Download - Station de l'équivalence entre la femme et l'homme dans certaines demeures divines - Ibn Arabi
Sur la connaissance de la station de l'équivalence entre
la femme et l'homme dans certaines demeures divines,
qui a le privilège de la protection (Açimyah).
***
Mohyiddin Ibn Arabi, Futûhât al-Mekkiyah, Chap. 324.
A. Mostagh Firou,
Etudes Traditionnelles, 1988-1989.
Présentation.
La mentalité moderne tendant de plus en plus vers l'uniformisation en toutes
choses, on aurait grand tort d'être surpris de voir les différences qualitatives
disparaître de même progressivement. Cet état de fait a profondément marqué
aussi les rôles respectifs de l'homme et de la femme, si bien que désormais,
l'idée d'une illusoire égalité des fonctions, des droits et des devoirs incombant à
l'un et à l'autre, est acceptée partout dans le monde profane comme une chose
normale et indiscutable, et cela, même dans les domaines où des différences
physiologiques et psychologiques manifestes réclameraient logiquement un
statut différent.
En dénonçant les aberrations de la mentalité moderne, l'œuvre de René Guenon
a suscité chez de nombreux auteurs des mises au point diverses du rôle de la
femme dans un sens plus correct et traditionnel. Parmi les travaux publiés dans
le passé sur cette question, on peut citer ceux d'Ananda K. Coomaraswamy,
auxquels il sera fait appel à plusieurs reprises dans les notes qui suivront, ainsi
que ceux de Giorgio Manara. Cet auteur précisément, dans un article consacré
au rôle de la femme dans l'Islam, affirmait naguère très justement que « dans le
taçawwuf, des possibilités de réalisation spirituelle aussi illimitées que pour les
hommes sont offertes aux femmes (...) », et rappelait en outre qu' « il existe,
notamment en ce qui concerne la situation de la femme, un esprit particulier à la
forme islamique qui se retrouve aussi bien dans le Coran que dans les hadîth du
Prophète » (1) : « A titre de référence ajoutait-il, nous rappellerons simplement
(...) l'affirmation selon laquelle la femme occupe un degré hiérarchiquement
subordonné à celui de l'homme (ar-rijâlu qawwâmûna ‘ala-n-nisâ’i ; Surat
IV,38), sans doute en tant que modalité de manifestation individuelle à laquelle
elle doit se conformer pour sa propre réalisation, et aussi en vue du dépassement
initiatique de l'individualité » (2). Dans une autre partie de son article, Giorgio
Manara précisait encore: « en règle générale, la femme se trouve, plus que
l'homme, liée de façon constante à une autorité dont elle dépend (...) ; dans une
communauté islamique, chaque femme (...) est placée normalement sous
l'autorité directe d'un homme, nécessairement musulman, que ce soit le père, le
tuteur, un frère ou le mari (...) ». Certes, les conceptions exprimées ici par
Giorgio Manara le sont sous une forme islamique, mais il faut savoir qu'elles
peuvent parfaitement être transposées, sous un mode ou un autre, à d'autres
formes traditionnelles orthodoxes.
En fait il aura fallu qu’arrivent les temps modernes, pour que soit envisagée la
possibilité pour la femme d'exercer la fonction de rabbin dans la tradition
hébraïque, une éventualité qui naturellement souleva, en son temps, bon nombre
de réactions dans ces milieux traditionnels. D'autre part, sans un tel rapport de
dépendance et de complémentarité entre l'homme et la femme, le sacrifice de la
satî indienne ou du harakiri de la femme japonaise serait totalement
incompréhensible et injustifié (3). Enfin, ces mêmes préoccupations
traditionnelles sont également à l'origine du fait, que, dans la tradition
chrétienne, tout en reconnaissant à la femme aussi bien qu'à l'homme la
possibilité de s'élever à la « sainteté », l'exercice du sacerdoce a toujours été
exclusivement réservé à l'homme, ainsi que René Guenon l'a fait remarquer en
diverses occasions dans son œuvre (4).
(1) Cf., Rivista di Studi Tradizionali, N" 32 (1970), « La possibilité islamique
pour la femme », p. 341-342.
(2) Ibid., note.
(3) Cf. Ananda K. Coomaraswamy, Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporel
dans la perspective indienne du gouvernement, p. 97, éd. Arche.
(4) Ces observations restent valables même si, encore tout récemment, des
signes sont apparus donnant à penser qu'à l'intérieur de l'Eglise catholique
même, certaines tendances s'affrontent autour d'un débat visant à concéder à la
femme l'exercice du ministère sacerdotal jusqu'ici réservé aux hommes. Il
convient de se souvenir en effet de ce qu'a dit René Guenon à propos de
l'extériorisation providentielle du Christianisme dans les premiers siècles, et des
parallélisme que l'on peut établir entre les rites probablement initiatiques de
l'origine, et les rites exotériques et les sacrements qui leur succédèrent
vraisemblablement (Aperçus sur l'initiation, chap. XXIII). A ce sujet, il est
important d'ajouter que les précisions qui seront données dans le cours de cet
article sur les empêchements pour la femme d'accomplir certains rites
particuliers du domaine initiatique, sont susceptibles d'être transposées dans le
domaine exotérique et qu'elles pourront rendre plus explicites les raisons pour
lesquelles, dans l'Eglise catholique, la femme n'a jamais été admise à l'ordination
sacerdotale et à l'administration de certains sacrements. On remarquera en outre,
que certains passages de ce chapitre des Futûhât, présentent des analogies
incontestables avec les enseignements de la tradition chrétienne : Maître
Eckhart, par exemple, évoquant saint Augustin, dit de lui qu'il est comme un
« vase d'or », ouvert vers le haut et fermé vers le bas, et invite à prendre ce saint
pour modèle en ajoutant : « Les hommes sont assimilés aux forces d'en-haut
puisqu'ils ont toujours le chef découvert, tandis que les femmes sont assimilées
aux forces d'en-bas et ont toujours la tête couverte. Les puissances supérieures
(...) sont donc assimilées aux hommes car elles sont toujours nues. » (Etudes
Traditionnelles, « Comme un vase d'or massif », N" 301, juill.-août 1952, p.
213-214).
Cela étant dit, on peut légitimement se demander pour quelles raisons sont
apparus, plus récemment, dans la revue où écrivit Giorgio Manara, des articles
en parfaite opposition avec ce qui avait été pertinemment affirmé par celui-ci en
son temps, et dans lesquels est soutenu (5), sous une forme ou sous une autre,
que du point de vue initiatique il ne se trouve aucun empêchement à ce que la
femme accède, non seulement à la réalisation spirituelle, ce qui est tout à fait
correct, mais aussi « à l'exercice de fonctions hiérarchiquement plus élevées »,
ce qui est, comme on le verra par la suite, sujet à diverses restrictions très
importantes. En outre, ces mêmes articles soutiennent curieusement que du point
de vue exotérique, il n'existe aucun obstacle à ce que la femme accède à la
fonction d’Imâm, c'est-à-dire à ce qu'elle dirige « aussi bien la prière des
femmes que celle des hommes », ce qui, sous certains aspects, est une fonction
comparable à celle du prêtre chrétien ou du rabbin hébraïque.
Comme on le voit, s'il est permis de se poser des questions à l'égard d'un tel
changement de perspective sur le rôle traditionnel de la femme et quant aux
raisons qui l'ont provoqué, il n'en demeure pas moins un réel danger, c'est qu'à
une époque où de telles idées se répandent déjà que trop facilement, de
semblables affirmations n'entraînent de nouvelles confusions susceptibles de
servir davantage le désordre du monde moderne que l'orthodoxie de la tradition
(6).
Il entre certes dans le droit de ceux qui côtoient ces milieux, de vérifier si
derrière ces retournements de perspective, ne se trouverait pas quelque
circonstance insolite affectant la régularité traditionnelle, et probablement de
telles investigations conduiraient à des constatations qui ne manqueraient pas de
surprendre. Mais comme il n'est pas dans les attributions d'une revue comme
celle où nous écrivons, de se livrer à des vérifications internes de ce type, il sera
sans aucun doute beaucoup plus profitable, à maints égards, de chercher à
rétablir la vérité sur le rôle et les fonctions de la femme dans la tradition
islamique, à partir des écrits d'un Maître incontesté de cette tradition, le Sheikh
Mohyiddin Ibn Arabi. Par ailleurs, nous sommes persuadés qu'il ne sera de
surcroît pas bien difficile, à ceux qui le souhaiteraient, de transférer ces notions,
moyennant les adaptations nécessaires, à d'autres formes traditionnelles, surtout
s'ils tiennent compte du fait que le Sheikh Ibn Arabi, tout comme René Guenon,
s'applique toujours à résoudre les contradictions apparentes en faisant référence
aux principes métaphysiques, principes qui sont naturellement communs à toutes
les formes traditionnelles.
(5) Ceci se réfère aux deux numéros de la Rivista di Studi Tradizionali de
l'année 1986 parus dans le courant de 1987.
(6) II ne s'agit d'ailleurs pas d'un cas isolé et ayant des conséquences sur le plan
doctrinal : dans un article aussi récent (R.S.T., N° 64, janv.-juin 1986, p. 114),
qui n'est pourtant pas dépourvu de valeur à d'autres égards, on peut lire à propos
des rites cette affirmation par exemple: « (...) il est indispensable qu'ils soient
accompagnés d'une intention correcte ». Ceci jette un voile épais sur ce qu'a
rappelé René Guenon à maintes reprises, à savoir que « les rites possèdent une
efficacité propre ». En fait, ce qui est affirmé dans cet article témoigne d'une
notable confusion, c'est que l’ « aspiration », qui est une chose nécessaire pour
accéder à l'initiation, est prise ici pour l' « intention » — correcte ou droite -, qui
elle ne peut être obtenue qu'après un long chemin dans la voie. Devant de telles
méprises, il faut espérer que l'étude sur la « théorie du geste » annoncée
récemment dans notre revue, et à laquelle appartient ce domaine des rites,
vienne apporter dans divers milieux une plus grande clarté à cet égard. Quoi
qu'il en soit, il est curieux d'observer que si l'on rapproche le cas dont il s'agit
des autres confusions relevées depuis quelques temps dans la même revue, on
remarque manifestement une orientation allant dans le sens de la « rigueur », de
la fermeture du « Qabd », et de la « limitation », toutes choses assimilables en
grande partie à la nature féminine ; une nature qui rappelle le symbolisme de l’ «
arche », ou de la « baleine », ou encore du « dauphin » - que René Guenon
associe à la « Femme de mer » (S.F.S.S., chap. XXII, p. 170) - et à la
« matrice », qui conserve le germe d'immortalité et qui a, sous divers rapports,
un rôle analogue à celui de la caverne ou des « encadrements » ; rappelons que
selon René Guenon, ces encadrements « ont une valeur de protection, et même
doublement, en empêchant non seulement les influences maléfiques de pénétrer
dans la demeure, mais aussi les influences bénéfiques d'en sortir et de se
disperser au dehors » (S.F.S.S., chap. LXV, p. 393). Toutefois, il ne faut pas
oublier que l'éclairage de la « caverne » n'est « que le reflet d'une lumière qui
pénètre à travers le « toit du monde », par la porte solaire, qui est l’« œil de la
voûte cosmique » ou l'ouverture supérieure de la caverne ». La fermeture, dans
des conditions normales, ne peut donc être totale ; le qabd (coagula) doit être
équilibré par le bast (solve) ; l’attribut de Rahmân (qui implique la notion de
« donner l'existence - engendrer ») doit coexister avec l'attribut de Rahîm (qui
implique la notion de « protéger - conserver »).
Cette traduction intégrale du texte d'Ibn Arabî sera d'autant plus nécessaire, que
dans les récentes publications dont nous faisions état au début la citation de
passages isolés de leur contexte semble conforter les thèses exposées, alors que,
comme il sera aisé de s'en rendre compte, une lecture attentive du texte intégral
en fait au contraire ressortir toute la fausseté, ou pour le moins parfois, les
limites précises de leur application. Par exemple, en ce qui concerne l'Imamat de
la femme, qui est traité dans une autre partie de l'œuvre d'Ibn Arabî (7), il est
bien exact que cet auteur traditionnel en admet la validité dans des circonstances
particulières, mais en spécifiant que l'Imamat de la femme correspond à celui de
l’âme, tandis que celui de l'homme correspond à l'Imamat de l'intellect ('Aql).
Voici le passage en question : « Lorsque la Nafs (femme) en a assez de suivre
ton Imamat (de l'intellect — homme), et qu'elle fait l’Imam, alors toi, suis-la, et
fait la salâh derrière elle pour la protéger afin que la passion ne l'égare pas (...) ;
il est donc admis que la Nafs fasse l’imâm, et ceci est l'Imamat de la femme ».
Il est d'autre part bien trop évident, que des circonstances exceptionnelles ne
peuvent rien changer à cet égard de subordination de la femme, ni faire en sorte
de lui attribuer une égalité de fonction avec l'homme, qui, tout en remplissant
son rôle autonome et volontaire de protection lorsqu'il la suit dans l'exécution du
rite, conserve néanmoins son indépendance ; et cela de la même façon qu'un
Maître peut parfaitement suivre la salâh d'un disciple, sans pour cela que le
disciple ne prenne jamais ni la fonction ni le degré du Maître, ni qu'il y ait une
quelconque égalité de degré ou de fonction entre le Maître et le disciple. En fait,
cette « subtilité » conceptuelle exposée par Ibn Arabî n'est évidemment pas du
ressort du domaine exotérique, où les divers madhhab (rites) prescrivent
simplement : « La femme ne dirige (rôle de l'imam) ni les hommes, ni les
femmes (...) ni les prières d'obligation divine, ni les prières surérogatoires » (8).
Indépendamment du fait que ce texte d'Ibn Arabi écarte toute possibilité de
confusion sur la fonction de la femme, son importance réside aussi et avant tout
dans les précisions qu'il apporte sur la véritable nature féminine ; et ceci est
extrêmement précieux, car la voie initiatique ne pouvant être parcourue que dans
la conformité à la nature propre à chaque être (swadharma), laquelle diffère
nécessairement entre l'homme et la femme, la connaissance de la nature propre à
la femme sera donc de la plus grande utilité pour toutes celles qui, sensibilisées
par le message de René Guenon, ont l'intention d'entreprendre au moins un
approfondissement théorique, en vue de fournir un effort « opératif » par la
suite. De plus, il est tout aussi intéressant de remarquer que, précisément par le
jeu de ces différences de nature et par comparaison, le rôle et la nature de
l'homme apparaîtront aussi plus distinctement, de sorte que toutes les
complémentarités entre l'homme et la femme pourront de même être perçues
avec facilité et contribuer, si elles sont exploitées opportunément par l'un et par
l'autre, à élever la dignité de leurs rôles respectifs.
(7) Futûhât, vol. I, chap. LXIX, p. 447.
(8) Cf. La Risâlah, Epître sur les éléments du dogme et de la loi de l'Islam selon
le rite Mâlékite, Ibn Abi Zayd Al Qayrawânî, éd. 1460, p. 73.
Ainsi qu'il y a été fait allusion plus haut, il est toujours de règle, chez Ibn Arabî,
de ramener toutes choses, les êtres, leur nature, les contingences ou autres, à
leurs racines métaphysiques, et cela présente notamment l'avantage de rendre
évident ce qui serait susceptible de laisser planer un doute, comme c'est le cas
parfois lorsqu'on a affaire à une exposition de type exotérique et dogmatique, ou
lorsque la formulation est enveloppée dans la diversité des contingences. La
lecture de ce texte d'Ibn Arabî peut donc ouvrir sur des développements bien
plus amples que ceux suggérés par son titre, tout en conservant néanmoins un
côté pratique au niveau des concepts exposés.
Il est donc à souhaiter que cette traduction puisse être utile au même degré, non
seulement aux femmes, mais aussi aux hommes, notamment pour affiner leurs
rapports réciproques, afin qu'ils se conforment toujours plus harmonieusement
aux lois cosmiques qui nous gouvernent, et qui apparaissent aussi dans les
préceptes et les enseignements des Envoyés et des Maîtres des différentes
traditions.
Sur un autre plan, il ne pourra être que profitable de ce rendre compte
clairement, combien la confusion des rôles respectifs de l'homme et de la femme
constitue un empêchement de fait dans la voie de la réalisation : la régénération
ou l'harmonisation des puissances de l'être ne peut certes s'accomplira travers
des procédés ou des attitudes contraires à l'ordre cosmique (9).
Enfin, notre époque étant caractérisée par des mentalités tournées généralement
vers le « contingent » et l’ « apparent », et surtout vers leurs aspects les plus «
spectaculaires », c'est-à-dire capable de faire vibrer des « sensations », il n'est
pas douteux qu'on verra de plus en plus se multiplier, sous les formes les plus
diverses, des publications envahissant le domaine traditionnel pour y transporter,
en quelque sorte, consciemment ou inconsciemment, les usages et pratiques qui
ont cours dans le monde profane, et en vertu desquels il est licite de se faire
l'écho de n'importe quoi, dès l'instant où il s'agit de rabaisser les lecteurs au
niveau de leurs facultés inférieures; des manifestations apparentées à ce genre de
choses s'étant produites encore tout récemment, les notes qui accompagneront ce
texte d'Ibn Arabî seront donc aussi l'occasion de montrer indirectement combien,
en toutes circonstances, la réalité profonde demande à être approchée avec
beaucoup de prudence au travers des apparences, et surtout avec un ensemble de
connaissances au moins théoriques, assez étendues pour ne pas se laisser
entraîner dans des erreurs de jugement regrettables.
(9) Cf. Futuwwah, Etudes Traditionnelles, N° 499 & 500, pp. 15 & 74.
A. MOSTAGH FIROU.
Sur la connaissance de la station de l'équivalence entre la femme
et l'homme dans certaines demeures divines,
qui a le privilège de la protection (Açimyah).
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Les femmes sont l'autre moitié des hommes dans le monde spirituel et dans le
monde corporel, leur statut est unique et il est celui de l'être humain.
Ils se sont polarisés en deux (entités) pour une question contingente qui a séparé
les femmes des hommes.
Ils sont jugés, quant à leur degré d'universalisation, à travers la réalisation de
l'unité chez les êtres (dans la multiplicité).
Si tu observais (de façon correcte) le Ciel et la Terre, tu pourrais les distinguer,
sans d'ailleurs les diviser.
Regarde l'excellence (intérieure) et sa manifestation extérieure, elles sont une
unique chose sous le signe de l'harmonie.
***
Sache qu’Allâh t'assiste, que l'humanité étant une réalité qui comprend les
hommes et les femmes, il n'y a pas de supériorité des hommes par rapport aux
femmes pour tout ce qui concerne leur nature d'êtres humains.
Puisque l'homme est participant du macrocosme de l'univers, le macrocosme n'a
pas un degré de supériorité sur l'homme à ce point de vue. Toutefois, il résulte
que l'homme a une supériorité sur la femme, comme il résulte aussi que le degré
de la création des Cieux et de la Terre est supérieur au degré de la création de
l'homme.
La plus grande partie des hommes ne sait pas cela, malgré que dans les deux cas,
il y ait des indications et des signes qui mettent en évidence cet état de
supériorité.
Il est dit dans le Coran : « Seriez,-vous plus forts dans la création que le Ciel,
que Lui a créé ? » Lui (Allâh), a parlé de ce qui concerne le Ciel, puis a parlé de
la Terre, de sa forme sphérique et de ce qui la concerne.
Tout cela pour démontrer la supériorité (du Ciel et de la Terre) sur l'être
l'humain ; nous constatons ainsi que le degré de supériorité du Ciel et de la Terre
sur l'homme est le même que celui de l'homme sur la femme, Et ceci parce que
l'homme est créé du Ciel et de la Terre, et qu'il est produit entre eux et à partir
d'eux (d'où il descend), et que le créé n'a pas la même force que le Créateur,
puisque l' « agi » dérive de l' « agent ».
De la même façon, nous trouvons qu'Eve est produite à partir d'Adam, extraite et
constituée de la côte courte, par quoi elle est dans l'impossibilité d'atteindre le
degré de celui dont elle provient, et ne pourra connaître du degré de l'homme
que jusqu'à la limite d'où elle a été créée, qui est la côte, et c'est pour cela que sa
compréhension ne peut atteindre la réalité (entière) de l'homme.
Analogiquement, l'homme ne peut connaître de l'Univers, sinon à mesure égale
de ce qu'il a pris de l'Univers pour sa manifestation. L'homme, en tant que tel, ne
pourra jamais atteindre le degré de l'Univers dans sa totalité, malgré qu'il en soit
une de ses parties. Ainsi, la femme ne pourra jamais atteindre le degré de
l'homme, bien qu'elle soit une partie précieuse de l'homme. La femme ressemble
à la nature, étant, à l'inverse de l'homme, le lieu de l'action.
En effet, l'homme dépose seulement le germe dans la matrice, qui est le lieu de
formation et de création par lequel se manifestent dans la femme les existences
concrètes (a'yân) de cette espèce, en tant qu'elles sont susceptibles de formation
et de passer, stade après stade, par les diverses phases de la création, jusqu'à ce
que se forme un être parfait. A cause de cette assignation (particulière) (qadr),
l'homme est supérieur à la femme, et c'est pourquoi celle-ci est inférieure en
(Nâqiçât ul-'aql) par rapport à l’homme (1); en effet, elle ne peut comprendre
sinon ce qu'elle a pris de l'homme (min Khalqi ar-rajul) à l'origine de la
création.
Pour tout ce qui concerne l'infériorité de la femme dans les questions
traditionnelles (nuqçân ad-dyn), cela est la contrepartie de sa capacité d'opérer;
en effet, l'œuvre n'est une œuvre que par rapport à la connaissance (ars sine
scientia nihil), et la connaissance dépend de l'aptitude (qubul) du sujet, mais
l'aptitude à son tour dépend de la prédisposition du sujet depuis son origine. La
prédisposition de la femme est inférieure à celle de l'homme parce qu'elle est
une partie de l'homme, d'où il s'ensuit nécessairement (fa lâ budda an) que la
femme est caractérisée par une infériorité dans les questions traditionnelles par
rapport à l'homme.
Mais ce chapitre traite de l'attribut (Sifâh) dans lequel sont réunis les femmes et
les hommes, et cet attribut, comme nous l'avons mentionné, s'applique à leur état
d'êtres créés, aussi bien du point de vue de leur réalité essentielle (min jihati al-
Haqâiq), que du point de vue de leur évolution (may 'aridu lahumâ), ainsi que
cela ressort de cette parole (du Coran) : « Les Musulmans et les Musulmanes,
les croyants et les croyantes (...), ceux qui mentionnent intensément Allah, et
celles qui Le mentionnent intensément, (...), ceux qui se repentent L'adorent,
célèbrent ses louanges et font le pèlerinage (...), celles qui se repentent L'adorent
et font le pèlerinage ». (2)
(1) Ceci se rapporte à la " petite intelligence "dont parle Ibn Ajîba (Cf. Le Soufi
marocain Ahmad Ibn ‘Ajiba et son Mi’râj, p. 226) ; en ce qui concerne la
« grande intelligence », il y a une égalité d'accès pour l'homme et pour la femme
ainsi qu'on le verra plus loin. D'autre part, cette infériorité de la femme dans la
« petite intelligence », est compensée par d'autres qualifications dont il sera
question par la suite.
(2) Dans ce paragraphe, les points d'équivalence entre l'homme et la femme
commencent à être mis en évidence : d'une part, en tant qu'êtres humains, ils
sont assujettis aux mêmes lois, et en cela ils ont en commun le privilège (état
central) de la nature humaine ; d'autre part, ils peuvent devenir tous les deux (Cf.
L'Homme et son devenir selon le Védanta) des réalisés et obtenir l’ « Identité
Suprême », degré ou « station divine » qui bénéficie de la « protection » (Cf. Le
symbolisme de la Croix, chap. II & III, et en particulier la note suivante:
« Lorsque l'homme, dans le « degré universel », s'exalte vers le sublime, lorsque
surgissent en lui les autres degrés (états non-humains) en parfait
épanouissement, il est l’ « Homme Universel ». L'exaltation ainsi que l'ampleur
ont atteint leur plénitude dans le Prophète (qui est ainsi identique à l’ « Homme
Universel ») » (Epitre sur la Manifestation du Prophète par le Sheikh
Mohammed ibn fadlallah El-hindi) ». Pour plus de précisions en ce qui concerne
la « station divine » (El-maqâmul-ilâhi), on peut se reporter utilement aussi aux
observations de René Guenon (Le Symbolisme de la Croix, chap. VII, p. 49
notamment). L'évolution entre ces deux points extrêmes de la réalisation se fera
néanmoins selon des modalités qui dépendent des qualifications et des
prédispositions de chaque être, lesquelles sont naturellement différentes sous de
nombreux aspects chez l'homme et chez la femme ; en conséquence, les
fonctions que l'un et l'autre pourront assumer dans la hiérarchie indéfinie des
états d'existence seront différentes aussi.
Le Prophète — sur lui le salut de la paix, a dit que beaucoup d'hommes ont
atteint la perfection (Kamâl), et parmi les femmes, Miryam fille d'Imran, et
Assiâ la femme de Pharaon, l'ont atteinte. Ainsi les hommes et les femmes sont
réunis dans le degré de la Perfection (Kamâl) (3). L'homme a été préféré avec
une plus grande perfection (Akmâliâh) et pas seulement avec la Perfection
(Kamâliâh) ; ainsi, si tout deux peuvent être, parfaits jusqu'au degré de la
prophétie, l'homme a toutefois été préféré à la femme avec la fonction d'Envoyé
(Risâlah) et de vivificateur (Ba'athâh), alors que la femme n'a pas accès à ces
degrés (de fonction) (4) ; même si, par la suite, entre tous ceux qui appartiennent
à la même « station », il y a différents niveaux de préférence - comme l'a dit le
Très-Haut : « De ces Envoyés nous en avons préféré certains à d'autres », - ou
encore : « Nous avons préféré certains Prophètes par rapport à d'autres ».
(3) En ce qui concerne Marie, dont Ibn Arabi proclame par ailleurs la perfection
(Kamâl), sa relation avec Jésus et sa mission (prophétique selon l'Islam, divine
selon le Christianisme) de revivification de l'Ancien Testament, est
magistralement exprimée ainsi par Dante dans le Paradis : « 0 Vierge mère, fille
de ton fils » (XXXIII, I). Où le l'ait d'être in filiae loco est évidemment entendu
au sens hiérarchique et spirituel ; mutatis mutandis, un tel rapport, certes
complexe et particulier, peut cependant servir de base à d'utiles réflexions en
vue de situer, de manière correcte, les relations pouvant s'établir par analogie et
à un niveau moins élevé, dans les organisations initiatiques, ou même dans le
cadre de la famille traditionnelle. Par exemple, dans la tradition islamique, il est
bien compris que le rôle de chef de famille (l'autorité), à l’amont du père, est
confié au fils adulte le plus âgé, tandis que la conduite des affaires domestiques
(le pouvoir) est conservé par la mère, En dehors de quelques cas exceptionnels
el régionaux de matriarcat, une telle conception s'est d'ailleurs maintenue fort
longtemps en Occident, surtout dans les milieux ruraux, où pratiquement la
contamination générale des mentalités à cet égard n'a pénétré qu'après la
seconde guerre mondiale.
(4) On peut se rendre compte par ce qui précède, qu'Ibn Arabi attribue aussi à la
femme la possibilité d'atteindre la perfection (Al-Insânul-Kâmil), d'obtenir le
degré el la fonction de prophète, en limitant cependant cette fonction
prophétique à la fonction non-légiférante (comme c'est le cas de Seyyidinâ
Mohammed), el sans prétendre à celle de revivificateur (comme c'est le cas de
Seyyidinâ 'Isa — Jésus). Il ne faudra toutefois pas s'étonner si, dans le même
chapitre, on peut lire un peu plus loin que « tous ces états ont été partagés par les
hommes et les femmes, qui participent de tous les degrés jusqu'à la fonction de
« Pôle » (Qutbiah); en fait, il s'agit de degrés et de fonctions à tous égards
inférieurs à ceux de prophète, auxquels il a été fait allusion tout d'abord. Il suffit
de remarquer qu'ici, Ibn Arabi parle de prophétie « légiférante » et « non-
légiférante », de la même façon qu'il précise dans une autre partie du texte
(Futûhât II, p. 6), qu'il y a des « pôles » détenant le califat intérieur et extérieur,
(les quatre premiers califes ( Râshidûn) par exemple), et d'autres, le plus grand
nombre, qui n'ont que le califat intérieur, sans aucune fonction extérieure.
Malgré l'égalité de la femme et de l'homme au niveau de cette « station divine »
de la « Perfection », on aura remarqué qu'Ibn Arabî spécifie que l'homme « a été
préféré avec une plus grande perfection » (Akmâliâh) correspondant à la
mission d' « Envoyé » (Risâlah) et de « vivificateur » (Ba'athâh). Il est suffisant
de se référer a ce qu'a dit René Guenon à propos de la réalisation ascendante el
de la réalisation descendante (Initiation el Réalisation Spirituelle, chap. XXXII,
p. 262), pour comprendre que « l'universalisation atteint sa plénitude effective
dans le Rasûl, qui ainsi est véritablement el totalement l’ « Homme
Universel ». »
Il y a donc chez la femme, par rapport à l'homme, un certain « manque » qui
l'empêche d'accomplir jusqu'à ses extrêmes limites la réalisation descendante, un
« manque » qui, on le verra dans la suite du texte, a pour contrepartie des
qualifications particulières d'un autre genre. En effet, cela concerne
naturellement la femme en tant qu'être qui se manifeste sous cette forme dans
notre degré d'existence; mais il est bien entendu que cet être peut perdre la
limitation dont il s'agit dans d'autres degrés d'existence (Cf. Initiation et
Réalisation Spirituelle, chap. XXX, p. 229). Comme le remarque René Guenon,
la fonction « du simple nabî peut être plus ou moins limitée quant à son étendue
el quant à son but propre » tandis que celle de rasûl « manifeste l'attribut divin
d'er-Rahmân dans tous les mondes (rahmatan lil-âlamin) » (Initiation et
Réalisation Spirituelle, chap. XXXII, p. 261). On verra par la suite comment Ibn
Arabi met en évidence les facultés implicites de cet attribut divin, qui consiste
en la capacité de « faire exister », de « générer » les choses, établissant pour cela
un rapprochement entre Er-Rahmân (celui qui fait exister les choses), et Râhim
(matrice). Notons entre autres choses que Râhim a la même racine que le nom
divin Er-Rahîm qui implique les attributs de « conservateur » et de « soutien »
et non celui d' « existentiation » (Cf. Le Soufi marocain Ibn 'Ajiha et son mi’râj,
p. 112). Il apparaît ainsi que la femme, « lieu » de la filiation et de la
manifestation de l'existence concrète des êtres dans notre degré d'existence
(Râhim), ne puisse de toute façon, même après avoir atteint les degrés ultimes de
la réalisation, se libérer totalement des implications de sa propre nature, et
devenir apte à manifester « l'attribut d'Er-Rahmân dans tous les mondes » ; et
ceci parce que le « support » de sa manifestation individuelle, en tant que
féminin, n'est pas susceptible, comme le souligne Ibn Arabî d'accéder à la
plénitude de la réalisation descendante qui se concrétise dans le Rasûl.
II semblerait donc que la femme puisse être l'instrument de l'effusion
d'influences spirituelles aptes au maintien, au développement, et à la
conservation de la communauté traditionnelle et initiatique, mais non celui
d'influences capables de présider à la naissance, ou à la revivification, d'une
tradition par la transmission d'une nouvelle loi ou l'adaptation d'une précédente.
Un reflet de cet état de choses se remarque dans les organisations musulmanes,
où, normalement, la « guidance » spirituelle et la direction d'une tarîqah sont
confiées à un Maître qualifié de sheikh al-tarbîyah (instruction), qui réunit tous
les degrés et conduit le disciple le long du chemin initiatique (sulûk) (Cf. Sheikh
Tadili. La vie traditionnelle, c'est la sincérité, p. 36, Ed. Traditionnelles, Paris).
Dans les fonctions du Maître, on peut distinguer deux éléments fondamentaux
qui sont: le « pacte » (Al-bay'a) et l’ « instruction » (Tarbîyah : de rabbâ, élever,
éduquer).
Dès lors, par analogie avec tout ce qui précède, et par référence traditionnelle,
on peut concevoir qu'une femme possédant un certain degré de réalisation,
puisse avoir une fonction et coopérer à l'instruction d'un disciple, homme ou
femme, dans le respect des règles traditionnelles concernant les rapports entre
personnes de sexe différent, mais il est inconcevable qu'une femme confère le
« pacte » initial (initiation). On peut en avoir la preuve dans le fait que parmi
toutes les chaînes initiatiques orthodoxes, sur plus de quatorze cents ans de
tradition musulmane, ne figurent que des noms masculins. D'autre part, il ne
peut échapper qu'il existe une analogie évidente entre l'apport d'une nouvelle loi,
germe spirituel pour une communauté, et le dépôt d'un germe spirituel chez un
être à travers le « pacte » (initiation) ; les deux choses sont représentées, de
façon tout à fait évidente, dans la signification symbolique des facultés propres à
l'homme adulte de déposer, au sein même de ce qui va devenir l’« enceinte »
maternelle, le germe humain. Et il ne sera pas bien difficile de comprendre, que
ce symbolisme « naturel » peut avoir une très grande importance lorsqu'il est
transféré à la compréhension du domaine initiatique, puisque l'initiation est
considérée partout comme une « seconde naissance », et que, selon ce qui a été
dit ailleurs déjà, dans le cadre d'un mariage traditionnel la femme d'un initié est
une initiée mais l'inverse est impossible (Cf. A.K. Coomaraswamy, Autorité
Spirituelle et Pouvoir temporel dans la perspective évolienne du gouvernement,
p. 73). Il convient toutefois de tenir compte, afin de prévenir toute fausse
interprétation, qu'une telle « initiation », agissant en quelque sorte par
l'entremise du mari, son efficacité cesserait par là même que cette source
masculine viendrait à disparaître avant que la femme ait atteint l' « état
primordial ». Par ailleurs, ce germe d' « enceinte », qui est passé dans le langage
ordinaire pour désigner une femme en état de grossesse, et dont l'usage est
devenu en quelque sorte « mécanique », n'a certainement pas été choisi par
hasard à l'origine, car il comporte manifestement une signification profonde en
parfait accord avec le symbolisme de la nature féminine. Mais sans doute en a-t-
il été déjà assez dit pour permettre de se faire une idée, désormais assez précise,
de ce qui peut être défini par des ex pressions comme « paternité » et
« maternité » spirituelles, sans qu'il soit nécessaire d'ajouter d'autres
commentaires.
Si l'on envisage maintenant le cas des organisations initiatiques dans lesquelles,
en l'absence d'un Maître, des « délégués » (Kholafâ, Muqâddamun) opèrent à sa
place, il y a lieu de tenir compte, que ces représentants ne possèdent
évidemment pas les degrés de réalisation effective correspondant à une fonction
qu'ils n'exercent, précisément que par « délégation » ; il est donc évident qu'une
femme, à plus forte raison dans une semblable circonstance où la réalisation
effective fait défaut, ne pourra exercer validement un rôle de guide dans une
organisation initiatique ; en effet, ainsi qu'on l'a vu plus haut, sa constitution
symbolique même ne l'habilitera d'abord pas à conférer le « pacte » (initiation),
et d'autre part, manquant dans le cas présent d'un degré de réalisation effective,
elle se trouvera de nouveau, par rapport à l'homme, et bien qu'elle puisse avoir
une compétence spécifique dans tel ou tel domaine traditionnel, devant la
situation d' « infériorité dans les questions traditionnelles » dont parle Ibn Arabi.
Et l'on sait qu'il n'est pas licite qu'une communauté, surtout initiatique, ait à sa
tête même, un être qui manifeste par sa nature une « infériorité » au point de
vue traditionnel. On peut ainsi avoir la certitude, que, lorsqu'un élément féminin
prend le dessus, d'une façon ou d'une autre, dans une organisation initiatique
islamique et en assure la direction effective, il s'agit, « en acte », d'un processus
d'éloignement de l'orthodoxie traditionnelle : processus qui aurait d'ailleurs peu
de chance de se produire en présence d'êtres possédant un degré élevé de
réalisation et ayant dépassé le maqâm al-amr, lesquels n'iraient certes pas au-
delà des limites qui sont les leurs. Quoi qu'il en soit, on peut être sûr qu'il y aura
toujours des difficultés, d'une sorte ou d'une autre, à fournir l'indispensable
témoignage du mandat reçu (ijazah). Maintenant, que de telles choses
adviennent par suite d'excès de zèle, par incompréhension, ou par d'autres
circonstances, ne change rien à l'affaire, ni non plus d'espérer justifier cette
situation par de présumées insuffisances ou faiblesses de celui qui devrait
légitimement exercer la fonction en question : il y aurait là, au surplus, un
manquement grave au respect de la hiérarchie initiatique, à propos duquel il
serait impardonnable de ne pas rappeler la recommandation du Prophète
Mohammed, faite à l'occasion de son dernier pèlerinage : « Obéissez à votre
chef, même s'il était un esclave abyssin » (cité par Ibn Arabi dans La Profession
de Foi, p. 267).
Des milieux traditionnels du Taçawwuf se sont aussi exprimés en Orient sur ces
questions, en précisant qu'il est interdit (harâm) qu'une femme joue, même par
délégation, le rôle de guide d'une tarîqah ou d'une branche de celle-ci ; en
particulier, on pourrait citer ici un représentant de la tarîqah Darqawiwiah-
Shâdhiliah, lui-même Sheikh attarbîyah, et par conséquent dûment qualifié pour
émettre une ifta (verdict), a qui a été posé, il y a peu de temps, la question
suivante : « Dois-je déduire de vos paroles que si une femme est savante (idha
kanat 'alimah), elle peut donner des conseils aussi bien aux hommes qu'aux
femmes, mais qu'elle ne peut lier avec le pacte ni les hommes ni les femmes, et
que c'est pour cela que ne figure aucune femme dans la Silsilah des Turûq ! » —
A quoi il fut répondu : « La réponse est comme vous dites ».
Il est à signaler comme fait particulièrement intéressant pour les lecteurs de cette
revue, que ce personnage, qui a eu l'occasion de connaître au moins une partie
de l'œuvre de René Guenon, a affirme que « Le Skeikh Abdel Wahîd-Yahia
appartient à l'Orient des Orients, et au même Orient Eternel qu'Ibn Arabi. »
Allâh a réuni aussi bien les hommes que les femmes dans la tâche, chargeant les
femmes comme les hommes ; des devoirs sont ainsi réservés à la femme et non à
l'homme, comme sont réservés à l'homme des devoirs ne concernant pas les
femmes, même si les femmes sont la moitié des hommes (5).
(5) Toujours à propos des rôles ou des charges, en quelque sorte
« constitutionnels », c'est-à-dire procédant des natures respectives de l'homme et
de la femme, on pourra, indépendamment de l'exposé d'ibn Arabî, se référer aux
travaux d'Ananda K. Koomaraswamy (La Doctrine du Sacrifice et A.S.P.T. dans
la perspective indienne...), qui a aussi développé certaines argumentations de
René Guenon sur ce sujet spécifique. Il ne sera d'ailleurs pas superflu de donner
ici quelques extraits de ces études, qui furent en partie recensées positivement
par René Guénon : « Dans l’Anguttara Nikâya, III, 363, où sont énumérées les
passions et les fonctions dominant les êtres humains, la Seigneurie (issariya) est
assignée aux Kshatriyas et aux femmes. Dans le gouvernement comme dans le
mariage, le pouvoir revient à la femme, et l'autorité à l'homme. Le tyran ou la
virago abusent du « pouvoir » féminin ; avec un roi légitime ou une femme
véritable, il est exercé en accord avec la justice » (La Doctrine du Sacrifice, p.
147) ; — « En d'autres termes, la fonction spécifiquement royale et féminine est
l'administration ; la première administre un royaume et la seconde une maison »
(A.S.P.T., p. 96) ; — « Mais si le roi, en coopérant avec un pouvoir plus
éminent, devient ainsi le Père de son peuple, il n'en reste pas moins vrai que des
potentialités sataniques et mortelles sont inhérentes au Pouvoir Temporel quand
la Royauté ne poursuit que ses seuls intérêts, quand la moitié féminine de
l'Administration affirme son indépendance, quand le Pouvoir prétend régner
sans tenir compte de la Justice, quand la « femme » réclame ses « droits », ces
potentialités mortelles deviennent réalité ; comme la famille et la maison, le roi
et le royaume sont détruits et le désordre (anrla) prévaut » (A.S.P.T., p. 104).
Lorsque, notamment, se vérifie la présence des conditions indiquées dans la note
précédente, c'est-à-dire quand une femme, pour une raison quelconque, occupe
la place de l'autorité la plus élevée dans une organisation initiatique musulmane,
elle se trouve ainsi exercer un rôle illégitime allant au-delà de ses limites
naturelles ; et par conséquent, on peut parfaitement comprendre que les mesures
prises par cette autorité illégitime contre ceux qui s'opposent à cette irrégularité,
ne peuvent avoir aucune valeur, sinon sur le plan pratique et contingent. En
effet, dans un cas comme celui-ci, la situation même d'irrégularité qui est à la
source, empêche qu'un individu devenu ainsi une autorité illégitime, soit le
véhicule des influences spirituelles qui déterminent le rattachement ou
l'éloignement de la chaîne initiatique. De surcroît, ces mêmes mesures
représenteront un acte d' « injustice », puisqu'elles sont dirigées vers ceux qui
s'opposent à une illégalité, et elles ne pourront, de ce fait également, avoir la
« caution » d'aucune influence spirituelle : elles sortent des conditions exigées
pour qu'une autorité bénéficie de l’ « infaillibilité traditionnelle ». Ceux qui
seraient frappés par de tels abus, pourraient certes en ressentir les conséquences
sur le plan individuel, mais leurs possibilités sur le plan spirituel n'en seraient
pas amoindries pour autant, pas plus que celles liées aux fonctions qu'ils auraient
pu être appelés à exercer antérieurement, lesquelles, dans la pire des hypothèses,
c'est-à-dire dans le cas d'une impossibilité matérielle à poursuivre leur exercice,
demeureraient provisoirement à l'état potentiel de faculté, à moins qu'elles ne se
concrétisent ailleurs dans un « milieu » plus conforme : « Certes, ma terre est
grande... » (Inna ardy wâsi’atân; Cor. XXIX, 56).
Sur un plan pratique, et pour envisager tous les cas de figure, il en serait de
même si une autorité régulière extérieure, manipulée de fait par cette autorité
illégitime, avait servi de couverture à des actes irréguliers de celte nature ; car il
manquerait alors l’ « autonomie » requise, définie ainsi par A.K.
Coomaraswamy ; « Qu'entendons-nous par « autonomie » ? Dans de cas d'un
roi, c'est commander et non se laisser diriger pur la multitude de ceux qui
doivent rester ses vassaux et ses sujets ; au foyer, c'est diriger et ne pas se laisser
mener par sa propre famille ; et en soi, c'est diriger ses désirs et ne pas leur
permettre de guider notre conduite » (A.S.P.T., p. 116). Pareillement, l'anomalie
d'une telle situation subsisterait dans le cas où ces mesures seraient délibérées
par une communauté d'individus, même initiés, dès lors que le consentement
général (l'ijmâ) serait obtenu en éliminant ceux qui sont défavorables à la
décision, ou en ne faisant pas participer intentionnellement certains membres de
la communauté. Dans tous ces cas de figure, les vices de forme,
indépendamment de l'irrégularité de fond, apparaissent clairement, et c'est
pourquoi mieux valait développer jusqu'au bout cette question.
Si nous nous sommes arrêté sur ce cas particulier, c'est pour bien monter
combien la confusion des rôles et des devoirs spécifiques à chacun des deux
sexes de l'espèce humaine, rôles et devoirs qui sont, par la correspondance
nécessaire des divers plans de manifestation, l'expression de réalités
métaphysiques et cosmologiques supérieures, ne peut qu'aboutir au désordre, et
à terme, à un processus de dégradation. Il n'est possible de remédier à cela qu'en
se référant constamment aux principes doctrinaux communs à toutes les
traditions, même s'ils sont exprimés parfois sous des formes différentes. Dans la
traduction d'une autre partie de l'œuvre d'ibn Arabi, nous aurons aussi l'occasion,
à travers quelques notes, d'étudier en ce qui concerne plus particulièrement
l'homme, le danger qui existe pour lui d'outrepasser ses propres limites en
empiétant sur les domaines réservés de la femme. On peut comprendre en effet
que, quel que soit le niveau envisagé, qu'il s'agisse du plan individuel, du milieu
des organisations initiatiques, ou celui de la famille, il puisse y avoir de la part
de l'homme, un vice d’attitude qui conduise à un « envahissement » du domaine
féminin, comparable en cela aux excès dénoncés par Dante jadis, et concernant
l'usage direct du pouvoir temporel que voulut faire l'Eglise dans les siècles
passés, provoquant ainsi le désordre avec la « révolte des Kshatriyas » de
Philippe le Bel.
Sache, ensuite, que la position de la femme par rapport à celle de l'homme, à
l'origine de l'existence, est comme la position de la matrice (Râhim) par rapport
au Miséricordieux (Rahmân) (Er-Rahmân est un nom divin qui implique la
faculté de faire exister les choses) ; donc elle (la femme) dérive de lui (l'homme)
et elle s'est manifestée à la ressemblance de sa forme.
Il est dit dans certains récits, qu'Allâh a créé Adam à la ressemblance du
Miséricordieux, et il est démontré que notre matrice (Râhim) se conforme au
Miséricordieux ; notre position au regard du Miséricordieux est comme la
position d'Eve au regard d'Adam : elle (Eve), est le lieu de la filiation et de la
manifestation des enfants.
Analogiquement, nous sommes le lieu de la manifestation des actes, car, même
si l'acte est d'Allâh, il n'est manifesté que par nos actions, et ne se montre pas
dans le monde sensible, excepté par nous. Si nous n'étions pas dérivés du
Miséricordieux, ce rapport divin — qui d'un côté est constitué par notre
dépendance vis-à-vis de Lui, et d'un autre par le fait qu'un souverain est lié à son
peuple (littéralement : le souverain d'un peuple est à celui-ci) —, ne serait pas
possible (6).
Notre dépendance de Lui (Allâh) est la dépendance de la partie vis-à-vis du tout,
et s'il n'y avait pas un tel rapport, la Puissance divine et son Indépendance
absolue n'aurait aucune relation avec nous. Par cette relation, nous devenons le
lieu ou elle (la Puissance divine) est mise en évidence, son essence ne se voit
qu'en nous et en vertu de notre création à la ressemblance divine (Min aç-çurati
al-ilâhiyati) (7) ; ainsi, il nous a été attribué tous les noms divins. Il n'y a aucun
nom divin dont nous n'ayons une part, et rien ne peut arriver sinon le juste (le
voulu) de la cause première (Hukmuhu fi-l-açl).
(à suivre)
(6) Tout un approfondissement de ces rapports entre le Principe el les êtres, voir
les Symboles fondamentaux de la science sacrée, chap. LXXV, « La Cité
divine », p.462).
(7) Si l'on rapproche l'affirmation précédente selon laquelle notre position au
regard du Miséricordieux (Rahmân) est semblable à celle d'Eve vis-à-vis
d'Adam, avec la déclaration présente d'après laquelle « son essence (de la
puissance divine) ne se voit qu'en nous et en vertu de notre création... », le
parallélisme ainsi établi peut amener quelques remarques. En effet, il en résulte
que normalement, l'homme manifeste son intériorité à travers la relation avec la
femme, et que c'est cette dernière qui la met en évidence ; c'est-à-dire que dans
le mariage, la femme reflète l'expression de la Nafs de l'homme, dans le bien et
dans le mal, et en manifeste ses secrets. Il découle de cette perspective, que, de
la même façon que Dieu, en tant que « non-existant » (exstare), n'existerait pas
sans la manifestation, de même l'homme ne pourrait manifester les attributs
masculins (au sens intérieur) sans le support et la complémentarité de la femme,
d'où la sentence : « Le mariage est la moitié de l'Islam ».
D'un autre côté, la femme n'est pas en mesure de manifester ses potentialités et
de les transformer en « acte », sans l'intervention et l'influence de l'homme, et
cette transformation s'effectue aussi en fonction des prédispositions de la
« matrice », de la même façon que des champs dissemblables ensemencés par la
même semence, donnent des fruits de qualité inégale, bien qu'ayant pourtant
tous pour origine la même graine (Le Symbolisme de la Croix, chap. VI, p. 46).
Par ailleurs, bien que les relations matrimoniales entre l'homme et la femme
soient évidemment tout à fait privilégiées et les plus complètes, on ne doit
cependant pas limiter la question des rapports entre l'un et l'autre à cette seule
catégorie, En effet, il est facile de concevoir que cette relation réciproque (au
sens intérieur) entre homme et femme, peut parfaitement être cultivée sous
d'autres régimes, tels que le mode paternel par exemple, fraternel, ou encore
tutélaire, et il est bien connu qu'en Islam, une femme passe toujours sa vie sous
la protection d'un homme ; ne peuvent faire exception à cette condition
nécessaire, que celles qui ont atteint un degré de réalisation proche de l' « état
primordial » (Maqâm al-amr), celui même que cite Dante dans la Divine
Comédie, et à propos duquel Virgile confirme par ces mots à son disciple qu'il a
acquis l'autonomie : « Per ch’io te sovra te corono et mitrio » (« C'est pourquoi
sur toi je te couronne et sur toi je pose la mitre »; Purg., XXVII, 142). Cette
« protection » masculine, quoique réelle, n'est pas du tout ressentie par la femme
traditionnelle musulmane comme une « privation » de liberté ; en réalité, c'est
plutôt elle qui dissimule sa complète conformité à sa propre nature, sous l'aspect
d'une parfaite soumission et fidélité a son conjoint vivant ou mort. Ces brèves
remarques seront aussi susceptibles de faire comprendre, quoique cette question
mériterait bien d'autres développements, les raisons profondes du sacrifice par le
feu de la sâti indienne.
Il a été rapporté, par ailleurs, que dans un autre contexte concernant une tarîqah
située en Orient, à la mort du Maître, Sheikh al-tarbîyah estimé et vénéré, son
épouse prétendit, sans être en mesure de justifier de sa qualité et en l'absence de
dispositions de la part du Maître, faire partie des « pôles » (min al-aqtab). Ceci
eut naturellement pour conséquence de créer une série de difficultés, de troubles
et de divisions au sein de cette tariqah, mais, indépendamment de la valeur et du
caractère de cette prétention, ce cas reste toutefois un exemple pouvant fournir
l'occasion de quelques ultimes remarques. En effet, si l'on écarte naturellement
l'hypothèse que l'erreur puisse provenir d'une maladresse du Maître, puisque
aucune disposition précise de celui-ci ne valait a cet égard, et qu'il était de plus
estimé fort justement pour sa parfaite sagesse et sa totale conformité à la
tradition, expression d'un certain degré de réalisation, on se retrouve dans
l'obligation de reporter son attention vers l'épouse, ou plutôt, pour en revenir au
symbolisme dont il a été question, vers le terrain où a été déposé le germe. Il
serait naturellement absurde de considérer l'épouse comme conforme en rien à
son époux, puisque ce fait même aurait impliqué la répudiation durant la vie du
Maître ; mais on peut émettre l'hypothèse, que le point de départ de la confusion
conceptuelle commise par la femme, puisse plutôt résider dans quelque impureté
ou autres imperfections du terrain ensemencé par le germe ; un terrain qui a dû
cependant avoir un certain degré de fertilité pour assurer un début de
germination, car il n'aurait pu sans cela servir de plan de réflexion et être
complémentaire à la fonction masculine de l'époux (Cf. Le Symbolisme de la
Croix, chap. VI).
Enfin, on a maintenant suffisamment parlé de cette correspondance
complémentaire entre l'homme et la femme, pour comprendre qu'un rapport de
ce type peut parfaitement aussi être transposé analogiquement au niveau du
Maître et du disciple ; en effet, toutes les considérations qui précèdent dans cette
étude sur les divers aspects de ce complémentarisme. et sans doute bien d'autres
encore qui pourraient venir compléter utilement ces quelques remarques sur la
place traditionnelle de la femme par rapport a l'homme, y compris sur sa
nécessaire fidélité, ne sont pas exclusives d'être adaptées à la relation entre
Maître et disciple, où, à l'égard de la fidélité, vaut la formule : « Le Maître élit
(choisit) et n'est pas élu (choisi) » (Esh-Sheikh yuwajjih wa la yatawajjah).
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