Le Roman de Tristan et Iseut, Chapitre II.
Le Roman de Tristan et Iseut1 raconte les amours contrariées de Tristan, neveu du roi Marc, qui règne sur la Cornouailles, et de la belle Yseult, princesse irlandaise mariée à ce même roi Marc. Les faits narrés dans le passage ci-dessous se déroulent avant la rencontre des futurs amants. Le héros, Tristan, combat le terrible Morholt, qui demande une rançon monstrueuse à son oncle : trois cent jeunes gens et trois cents jeunes filles. Jaloux de l’influence du neveu sur l’oncle, les barons de Cornouailles incitent Tristan à affronter le Morholt. Ce dernier est, en outre, l’oncle d’Iseut la Blonde.
Au jour dit, Tristan se plaça sur une courte-
pointe de cendal2 vermeil, et se fit armer pour la haute aventure. Il revêtit le haubert et le heaume d’acier bruni. Les barons pleuraient de pitié sur le preux et de honte sur eux-mêmes. « Ah ! Tris-5
tan, se disaient-ils, hardi baron, belle jeunesse, que n’ai-je, plutôt que toi, entrepris cette ba-taille ! Ma mort jetterait un moindre deuil sur cette terre !… » Les cloches sonnent, et tous, ceux de la baronnie et ceux de la gent menue, vieil-10
lards, enfants et femmes, pleurant et priant, es-cortent Tristan jusqu’au rivage. Ils espéraient encore, car l’espérance au cœur des hommes vit de chétive pâture.
Tristan monta seul dans une barque et cingla 15
vers l’île Saint-Samson. Mais le Morholt avait tendu à son mât une voile de riche pourpre, et le premier il aborda dans l’île. Il attachait sa barque au rivage, quand Tristan, touchant terre à son tour, repoussa du pied la sienne vers la mer. 20
« Vassal3, que fais-tu ? dit le Morholt, et pourquoi n’as-tu pas retenu comme moi ta barque par une amarre ?
- Vassal, à quoi bon ? répondit Tristan. L’un de nous reviendra seul vivant d’ici : une seule 25
barque ne lui suffit-elle pas ? » Et tous deux, s’excitant au combat par des pa-
roles outrageuses, s’enfoncèrent dans l’île. Nul ne vit l’âpre bataille ; mais, par trois fois,
il sembla que la brise de mer portait au rivage un 30
cri furieux. Alors, en signe de deuil, les femmes battaient leurs paumes en chœur, et les compa-gnons du Morholt, massés à l’écart devant leurs tentes, riaient. Enfin, vers l’heure de none4, on vit au loin se tendre la voile de pourpre ; la barque 35
de l’Irlandais se détacha de l’île, et une clameur de détresse retentit : « Le Morholt ! Le Mor-holt ! » Mais, comme la barque grandissait, sou-dain, au sommet d’une vague, elle montra un chevalier qui se dressait à la proue ; chacun de ses 40
poings tendait une épée brandie : c’était Tristan. Aussitôt vingt barques volèrent à sa rencontre et les jeunes hommes se jetaient à la nage. Le preux s’élança sur la grève et, tandis que les mères à genoux baisaient ses chausses de fer, il cria aux 45
compagnons du Morholt : « Seigneurs d’Irlande, le Morholt a bien com-
battu. Voyez : mon épée est ébréchée, un frag-ment de la lame est resté enfoncé dans son crâne. Emportez ce morceau d’acier, seigneurs : c’est le 50
tribut de la Cornouailles ! » Alors il monta vers Tintagel5. Sur son passage,
les enfants délivrés agitaient à grands cris des branches vertes, et de riches courtines se ten-daient aux fenêtres. Mais quand, parmi les chants 55
d’allégresse, aux bruits des cloches, des trompes et des buccines6, si retentissants qu’on n’eût pas ouï Dieu tonner, Tristan parvint au château, il s’affaissa entre les bras du roi Marc : et le sang ruisselait de ses blessures. 60
Le Roman de Tristan et Iseut, renouvelé par Joseph Bédier, 1900
1. Le manuscrit original (s’il a existé) du Roman de Tristan et Iseut s’est perdu. Il reste des fragments en octosyl-
labes de récits mis en forme au XIIe siècle par Thomas d’Angleterre et Béroul ; ces deux conteurs ont repris la
légende à l’intention d’Aliénor d’Aquitaine et d’Henri Plantegenêt. Ils s’inspirent de la « matière de Bre-
tagne », aux sources des aventures des chevaliers de la Table ronde, et de la civilisation courtoise. Chrétien
de Troyes (XIIe s) a également produit une version qui a été perdue. Joseph Bédier, en 1900, réécrit une ver-
sion complète à partir des différents fragments connus.
2. Couvre-lit en étoffe de soie
3. Sujet
4. Midi
5. Demeure du roi Marc
6. Trompettes
Séquence 1 – Texte 1
Honoré de Balzac, le Père Goriot, 1835
Eugène de Rastignac, jeune homme issu de la noblesse pauvre de province, est monté à Paris pour y étu-dier le droit et tenter de réussir dans le monde. Il se rend chez sa cousine, la vicomtesse de Bauséant. Celle-ci vient d’apprendre la trahison du duc d’Ajuda-Pinto, son amant, qui va la quitter pour se marier ; elle accepte cependant d’être pour Eugène une sorte de mentor, conseillère expérimentée et digne de confiance.
— Eh bien ! monsieur de Rastignac, traitez ce monde comme il mérite de l’être. Vous voulez parvenir, je vous aiderai. Vous sonderez combien est profonde la corruption féminine, vous toise-rez la largeur de la misérable vanité des hommes. 5
Quoique j’aie bien lu dans ce livre du monde, il y avait des pages qui cependant m’étaient incon-nues. Maintenant je sais tout. Plus froidement vous calculerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié, vous serez craint. N’acceptez les 10
hommes et les femmes que comme les chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais, vous arriverez ainsi au faite de vos désirs. Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n’avez pas une femme qui s’intéresse à vous. Il vous la faut jeune, 15
riche, élégante. Mais si vous avez un sentiment vrai, cachez-le comme un trésor ; ne le laissez jamais soupçonner, vous seriez perdu. Vous ne seriez plus le bourreau, vous deviendriez la vic-time. Si jamais vous aimiez, gardez bien votre 20
secret ! ne le livrez pas avant d’avoir bien su à qui vous ouvrirez votre cœur. Pour préserver par avance cet amour qui n’existe pas encore, appre-nez à vous méfier de ce monde-ci. Écoutez-moi, Miguel1... (Elle se trompait naïvement de nom 25
sans s’en apercevoir.) Il existe quelque chose de plus épouvantable que ne l’est l’abandon du père par ses deux filles2, qui le voudraient mort. C’est la rivalité des deux sœurs entre elles. Restaud a de la naissance, sa femme a été adoptée, elle a été 30
présentée3 ; mais sa sœur, sa riche sœur, la belle madame Delphine de Nucingen, femme d’un homme d’argent, meurt de chagrin ; la jalousie la dévore, elle est à cent lieues de sa sœur ; sa sœur n’est plus sa sœur ; ces deux femmes se renient 35
entre elles comme elles renient leur père. Aussi, madame de Nucingen laperait-elle toute la boue qu’il y a entre la rue Saint-Lazare et la rue de Grenelle pour entrer dans mon salon. Elle a cru que de Marsay la ferait arriver à son but, et elle 40
1 Prénom de son amant le duc d’Ajuda-Pinto
2 Le père Goriot a donné tout son argent à ses deux filles pour
les marier, l’une au comte de Restaud, l’autre au banquier
Nucingen. Mais elles ont honte de lui et le délaissent. 3 Acceptée par l’aristocratie
s’est faite l’esclave de de Marsay, elle assomme de Marsay. De Marsay se soucie fort peu d’elle. Si vous me la présentez, vous serez son Benjamin4, elle vous adorera.
Aimez-la si vous pouvez après, sinon servez-45
vous d’elle. Je la verrai une ou deux fois, en grande soirée, quand il y aura cohue ; mais je ne la recevrai jamais le matin. Je la saluerai, cela suffira. Vous vous êtes fermé la porte de la com-tesse pour avoir prononcé le nom du père Go-50
riot. Oui, mon cher, vous iriez vingt fois chez madame de Restaud, vingt fois vous la trouveriez absente. Vous avez été consigné. Eh bien ! que le père Goriot vous introduise près de madame Delphine de Nucingen. La belle madame de Nu-55
cingen sera pour vous une enseigne. Soyez l’homme qu’elle distingue, les femmes raffole-ront de vous. Ses rivales, ses amies, ses meilleures amies voudront vous enlever à elle. Il y a des femmes qui aiment l’homme déjà choisi par une 60
autre, comme il y a de pauvres bourgeoises qui, en prenant nos chapeaux, espèrent avoir nos ma-nières. Vous aurez des succès. A Paris, le succès est tout, c’est la clef du pouvoir. Si les femmes vous trouvent de l’esprit, du talent, les hommes 65
le croiront, si vous ne les détrompez pas. Vous pourrez alors tout vouloir, vous aurez le pied partout. Vous saurez alors ce qu’est le monde, une réunion de dupes et de fripons. Ne soyez ni parmi les uns ni parmi les autres. Je vous donne 70
mon nom comme un fil d’Ariane pour entrer dans ce labyrinthe. Ne le compromettez pas, dit-elle en recourbant son cou et jetant un regard de reine à l’étudiant, rendez-le-moi blanc. Allez, laissez-moi. Nous autres femmes, nous avons 75
aussi nos batailles à livrer. — S’il vous fallait un homme de bonne volon-
té pour aller mettre le feu à une mine ? dit Eu-gène en l’interrompant.
— Eh bien ? dit-elle. 80
Il se frappa le cœur, sourit au sourire de sa cousine, et sortit.
4 Son préféré
Séquence 1 – Texte 2
Gustave Flaubert, L’Education sentimentale, partie II, chapitre 6, 1869.
L’Education sentimentale retrace l’histoire « morale » d’une génération, celle qui a vu la révolution de 1848. La narration entrelace les fils de deux intrigues, amoureuse et historique, pour mieux les dévaluer l’une et l’autre. Dans le texte suivant, le personnage principal, Frédéric Moreau, est désespéré parce que Mme Arnoux, son grand amour, n’est pas venue au rendez-vous fixé rue Tronchet. Il l’a attendue toute la journée, en vain. Pour se consoler, il va retrouver Rosanette, une femme de mœurs légères. Pendant ce temps, en ce 23 février 1848, le peuple français manifeste dans les rues de Paris. Le roi demande à son ministre, François Guizot, fort impopulaire, de démissionner. Les manifestants se rendent rue des Capucines pour se mo-quer de Guizot mais un coup de feu part et, sur un malentendu, une fusillade éclate : les soldats tirent sur la foule…La révolu-tion de 1848 commence.
- Mille pardons ! dit Frédéric, en lui saisissant la taille dans les deux mains. - Comment ? Que fais-tu ? balbutia la Maré-chale1, à la fois surprise et égayée par ces ma-nières. 5
Il répondit : - Je suis à la mode, je me réforme. Elle se laissa renverser sur le divan, et continuait à rire sous ses baisers. Ils passèrent l’après-midi à regarder, de leur fenêtre, le peuple dans la rue. 10
Puis il l’emmena dîner aux Trois-Frères-Provençaux.2 Le repas fut long, délicat. Ils s’en revinrent à pied, faute de voiture. A la nouvelle d’un changement de ministère, Paris avait changé. Tout le monde était en joie ; 15
des promeneurs circulaient, et des lampions à chaque étage faisaient une clarté comme en plein jour. Les soldats regagnaient lentement leur ca-serne, harassés, l’air triste. On les saluait, en criant : « Vive la ligne 3! » Ils continuaient sans 20
répondre. Dans la garde nationale4, au contraire, les officiers, rouges d’enthousiasme, brandissaient leur sabre en vociférant : « Vive la réforme ! » et ce mot-là, chaque fois, faisait rire les deux amants. Frédéric blaguait, était très gai. 25
Par la rue Duphot, ils atteignirent les boule-vards. Des lanternes vénitiennes, suspendues aux maisons, formaient des guirlandes de feux. Un fourmillement confus s’agitait en dessous ; au milieu de cette ombre, par endroits, brillaient des 30
blancheurs de baïonnettes. Un grand brouhaha s’élevait. La foule était trop compacte, le retour direct impossible ; et ils entraient dans la rue 1 La Maréchale : surnom de Rosanette
2 Trois-Frères-Provençaux : restaurant de luxe.
3 Ligne : armée régulière rangée en ligne.
4 Garde nationale : favorable au peuple.
Caumartin, quand, tout à coup, éclata derrière eux un bruit, pareil au craquement d’une im-35
mense pièce de soie que l’on déchire. C’était la fusillade du boulevard des Capucines. -Ah ! On casse quelques bourgeois, dit Frédé-ric tranquillement. Car il y a des situations où l’homme le moins cruel est si détaché des autres, 40
qu’il verrait périr le genre humain sans un bat-tement de cœur. La Maréchale, cramponnée à son bras, cla-quait des dents. Elle se déclara incapable de faire vingt pas de plus. Alors, par un raffinement de 45
haine, pour mieux outrager en son âme Mme Arnoux, il l’emmena jusqu’à l’hôtel de le rue Tronchet, dans le logement préparé pour l’autre. Les fleurs n’étaient pas flétries. La guipure5 s’étalait sur le lit. Il tira de l’armoire les petites 50
pantoufles. Rosanette trouva ces prévenances fort délicates. Vers une heure, elle fut réveillée par des rou-lements lointains ; et elle le vit qui sanglotait, la tête enfoncée dans l’oreiller. 55
-Qu’as-tu donc, cher amour ? -C’est un excès de bonheur, dit Frédéric. Il y avait trop longtemps que je te désirais.
5 Guipure : dentelle.
Séquence 1 – Texte 3
Louis Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit
(1932)
Avec Voyage au bout de la nuit, Céline dénonce les horreurs de la guerre, de la colonisation, de l’exploitation capitaliste. Adepte du « parler vrai », il s’attaque aux représentations idéalisées des combats et aux idéologies. Le protagoniste du roman, Ferdinand Bardamu, incarne, en effet, un individu très ordinaire, qui séduit par une parade militaire, s’engage dans l’armée sur un coup de tête. Il se retrouve confronté aux dures réalités des combats qui se déchaînent dans l’est de la France, durant la Première Guerre mondiale.
Serais-je donc le seul lâche sur la terre ? pensais-je. Et avec quel effroi ! … Perdu parmi deux millions de fous héroïques et déchaînés et armés jusqu’aux cheveux ? Avec casques, sans casques, sans chevaux, sur motos, hurlants, en 5
autos, sifflants, tirailleurs, comploteurs, volants, à genoux, creusant, se défilant, caracolant dans les sentiers, pétaradant, enfermés sur la terre comme dans un cabanon, pour y tout détruire, Alle-magne, France et Continents, tout ce qui respire, 10
détruire, plus enragés que les chiens, adorant leur rage (ce que les chiens ne font pas), cent, mille fois plus enragés que mille chiens et tellement plus vicieux ! Nous étions jolis ! Décidément, je le concevais, je m’étais embarqué dans une croisade 15
apocalyptique. On est puceau de l’Horreur comme on l’est de la volupté. Comment aurais-je pu me douter moi de cette horreur en quittant la place Clichy1 ? Qui aurait pu prévoir, avant d’entrer 20
vraiment dans la guerre, tout ce que contenait la sale âme héroïque et fainéante des hommes ? A présent, j’étais pris dans cette fuite en masse, vers le meurtre en commun, vers le feu…Ça venait des profondeurs et c’était arrivé. 25
Le colonel ne bronchait toujours pas, je le regardais recevoir, sur le talus, des petites lettres du général qu’il déchirait ensuite menu, les ayant lues sans hâte, entre les balles. Dans aucune d’elles, il n’y avait donc l’ordre d’arrêter net cette 30
abomination ? On ne lui disait donc pas d’en haut qu’il y avait méprise ? Abominable erreur ? Maldonne ? Qu’on s’était trompé ? Que c’était des manœuvres pour rire qu’on avait voulu faire, et pas des assassinats ! Mais non ! « Continuez, 35
colonel, vous êtes dans la bonne voie ! » Voilà sans doute ce que lui écrivait le général des En-
1 Place Clichy : Lieu à Paris, où Bardamu revient de façon pério-
dique.
trayes, de la division, notre chef à tous, dont il recevait une enveloppe chaque cinq minutes, par un agent de liaison, que la peur rendait chaque 40
fois un peu plus vert et foireux. J’en aurais fait mon frère peureux de ce garçon là ! Mais on n’avait pas le temps de fraterniser non plus. Donc pas d’erreur ? Ce qu’on faisait à se tirer dessus, comme ça, sans même se voir, n’était 45
pas défendu ! Cela faisait partie des choses qu’on peut faire sans mériter une bonne engueulade. C’était même reconnu, encouragé sans doute par les gens sérieux, comme le tirage au sort, les fian-çailles, la chasse à courre ! … Rien à dire. Je venais 50
de découvrir d’un coup la guerre tout entière. J’étais dépucelé. Faut être à peu près seul devant elle comme je l’étais à ce moment-là pour bien la voir la vache, en face et de profil. On venait d’allumer la guerre entre nous et ceux d’en face, 55
et à présent ça brûlait ! Comme le courant entre les deux charbons, dans la lampe à arc. Et il n’était pas près de s’éteindre le charbon ! On y passerait tous, le colonel comme les autres, tout mariole qu’il semblerait être, et sa carne ne ferait 60
pas plus de rôti que la mienne quand le courant d’en face lui passerait entre les deux épaules. Il y a bien des façons d’être condamné à mort. Ah ! combien n’aurais-je pas donné à ce moment-là pour être en prison au lieu d’être ici, 65
moi crétin ! Pour avoir, par exemple, quand c’était si facile, prévoyant, volé quelque chose, quelque part, quand il en était temps encore. On ne pense à rien ! De la prison, on en sort vivant, pas de la guerre. Tout le reste, c’est des mots. 70
Si seulement j’avais encore eu le temps, mais je ne l’avais plus ! Il n’y avait plus rien à voler !
Séquence 1 – Texte 4
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toi
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