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Université Paris 1 École nationale d’administration
Juin 2015
Master Études européennes et relations internationales
La lutte internationale contre la piraterie maritime au
large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
Les enjeux et défis pour la République de Maurice
soutenu par
Dooshant Kumar Bucktowar
CIP Promotion Olympe de Gouges (2014-2015)
Sous la direction de
Monsieur Mehdi KOUAR
Chargé de missions du ministère de la défense
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I
Remerciements Ce travail n’aurait pas été possible sans l’appui et le soutien de plusieurs personnes.
En premier, je voudrais remercier mon tuteur, Monsieur Mehdi Kouar, pour ses conseils, son
apport ainsi que sa disponibilité tout au long de la conception et la rédaction de ce mémoire.
Deuxièmement, je souhaiterais exprimer ma gratitude au personnel de l’École Nationale
d’Administration, particulièrement Monsieur Fabrice Larat et son équipe du Service des
formations diplômantes ainsi que Madame Cathy Simon-Bloch et toute l’équipe du Centre de
Documentation à Strasbourg, sans qui ce travail n’aurait pas été possible. Une pensée spéciale
pour le Professeur Jean-Paul Pancratio; nos échanges et ses travaux sur le sujet de la piraterie
maritime ainsi que sa passion pour le droit maritime international ont étés d’une grande
inspiration dans la réalisation de ce mémoire.
Mes remerciements les plus chaleureux vont aussi au Colonel Alain le Droff, Commandant en
Second de la Gendarmerie Maritime (GENDMAR), qui, durant mon stage au sein de l’État
Major de la GENDMAR, aura été d’un appui considérable.
Je ne pourrais terminer sans remercier mes camarades de promotion pour la qualité de nos
discussions qui aura certainement contribué à la réflexion conduisant à la rédaction de ce
mémoire.
Arvind Bucktowar
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II
Avant-propos
Le 26 mars 2015, un chalutier iranien est pris d’assaut par des présumés pirates au large de Ceel Huur, village côtier de la région de Mudug, au centre de la Somalie. Cet évènement, une
première depuis trois ans, est répercuté par les medias et confirmé par les instances
internationales présentes en Somalie. La question revient au centre des débats: les pirates
somaliens se sont rappelés au bon souvenir de la communauté internationale, alors que celle-ci
avait le regard tourné ailleurs, notamment vers le golfe de Guinée et le détroit de Malacca.
Les moyens considérables déployés depuis 2007 n’auront donc servi qu’à contenir le
phénomène mais pas à l’endiguer ; les pirates n’ont jamais vraiment quitté les mers. Or, peut-on
vraiment éradiquer la piraterie maritime, une activité qui existe depuis les débuts de la
navigation ? Ou encore, la piraterie ne serait-elle pas une menace dont s’accommoderait les
États, l’industrie maritime et les secteurs d’activités connexes. Qu’en est-il des marines
nationales dans un contexte global d’austérité budgétaire? Autant de questions qu’on est en droit
de se poser.
Comme le décrit si bien (feu) Jean-Baptiste Duroselle : « Tout État est une puissance car
par son existence même il modifie la volonté des autres ». En partant de cette définition
constructiviste-structuraliste, quels intérêts y aurait-il pour des superpuissances, des puissances
émergentes ainsi que les puissances régionales à engager des ressources et des moyens non-
négligeables dans la lutte contre la piraterie maritime en océan Indien ?
Autant de questions que j’ai essayé de traiter à travers ce mémoire avec une analyse
particulière de l’engagement de mon pays, la République de Maurice, dans la lutte contre la
piraterie au large de la Somalie. Il convient de souligner ici que les opinions exprimés et
l’analyse conduite dans le cadre de ce travail sont basées sur un point de vue personnel, quand
bien même que celui-ci serait construit à partir de connaissances acquises et de l’expérience
engrangée à traiter le dossier de la piraterie maritime dans le cadre de mes attributions
professionnelles.
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III
Bréviaire des sigles
1. ACP : Groupe d’états de la région Afrique- Caraïbes-Pacifiques 2. AEM : Action de l’État en Mer 3. AIS : Automatic Identification System 4. AMISOM : African union Mission in Somalia 5. AOSIS : Alliance Of Small Island States (Alliance des petits-états insulaires) 6. BIOT : British Indian Ocean Territory 7. BMI : Bureau Maritime International 8. BMP4 : Best Management Practices for Protection against Somalia-based Piracy 9. BRICS : Groupe d’états réunissant le Brazil, la Russie, l’Inde, la Chine et l’Afrique du
Sud 10. CAE : Communauté de l’Afrique de l’Est (EAC-East African Community) 11. CCOM : Centre de Coordination d’Opérations Maritimes 12. CEDH : Cour Européenne des Droits de l’Homme 13. CJUE : Cour de Justice de l’Union Européenne 14. COI : Commission de l’Océan Indien 15. COMESA : Common Market for Eastern and Southern Africa 16. CMF : Combined Maritime Forces 17. CNUDM : Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer 18. CNV : Contrôle de Navires Volontaire 19. CRFIM : Centre Régional de Fusion d’Information Maritime 20. CTF-151 : Combined Task Force-151 21. DPP : Directeurs des Poursuites Publiques (Ile Maurice) 22. DTAA : Double Taxation Avoidance Agreement 23. EPE : Équipe de Protection Embarquée 24. EUNAVFOR : European Union Naval Force 25. EUCAP-NESTOR : Mission de l'Union européenne visant au renforcement des capacités
de sécurité maritime régionales dans la Corne de l'Afrique et l'océan Indien occidental 26. EVEXI : Evidence-Exploitation-Intelligence (programme d’Interpol) 27. FAZSOI : Forces Armées de la Zone Sud de l’Océan Indien 28. FED : Fond Européen de Développement 29. GCPCS : Groupe de Contact sur la Piraterie au large des Côtes Somalienne 30. GIPM : Groupement d’Intervention de la Police Mauricienne 31. GFT : Gouvernement Fédéral de Transition (Somalie) 32. IDE : Investissement Direct Étranger 33. IGAD : Inter-Governmental Authority on Development 34. IORA : Indian Ocean Rim Association
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IV
35. IRTC : International Recommended Transit Corridor 36. ISPS : International Shipping and Port Security (Code) 37. JSDF : Japan Self Defence Forces 38. MASE : Maritime Security (programme de l’Union Européenne) 39. MOOTW : Military Operations Other Than War (Chine) 40. MOU : Memorandum of Understanding 41. MSPA : Maritime Security Patrol Area 42. OBP : Oceans Beyond Piracy 43. OMC : Organisation Mondial du Commerce 44. OMI : Organisation Maritime International 45. ONG : Organisation Non Gouvernementale 46. ONU : Organisation des Nations Unies 47. ONUDC : Office des Nations Unies contre la Drogue et le Crime 48. OUA : Organisation de l’Unité Africaine (connue comme Union Africaine depuis 2002) 49. PAM : Programme Alimentaire Mondial 50. PEID : Petit État Insulaire en Développement 51. PESD : Politique Européenne de Sécurité et de Défense 52. PIB : Produit Intérieur Brut 53. PLAN : People’s Liberation Army Navy (Chine) 54. PSDC : Politique de Sécurité et de Défense Commune 55. RAPICC : Regional Centre of Intelligence Coordination for Counter Piracy 56. REFLECS3 : Regional Fusion and Law Enforcement Center for Safety and Security at Sea 57. RPG : Rocket Propelled Grenade 58. SADC : Southern African Development Community 59. SMP : Societé Militaire Privée 60. SNA : Sous-marin Nucléaire d’Attaque 61. SNLE : Sous-marin Nucléaire Lanceur d’Engins 62. UA : Union Africaine 63. UNCTAD : United Nations Conference on Trade and Development 64. UE : Union Européenne 65. ZEE : Zone Économique Exclusive
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V
SOMMAIRE
Introduction : la piraterie maritime Page 1
Partie A : La piraterie maritime au large des côtes somaliennes : origines, évolution, facteurs constituants et impacts Page 5 Partie B : La Lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes Page 18 Partie C : La géopolitique de la piraterie maritime en océan Indien Page 36 Conclusion Page 57 Table des Matières Page (i) Annexes Page (ii) Bibliographie Page (v)
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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Introduction
« En effet, le pirate ne figure pas au nombre de ceux qu’on affronte à la guerre : il est l’ennemi commun de tous »
Cicéron, De Officis, 3.107
La piraterie maritime
La piraterie maritime est un phénomène ancien, elle a existé depuis le début de la navigation
et, avec elle, du commerce maritime ; on trouverait les premières références à la « côte des
pirates » en remontant à 5 000 ans avant J.C. en Arabie. Le bassin méditerranéen regorge aussi
d’écrits et de légendes qui témoignent de la présence de pirates le long de ses côtes dès le VIIème
siècle avant J.C. Et pendant toute la période de l’empire Romain la piraterie continuera à affecter
le commerce égyptien, crétois, phénicien, grec et romain.1 A la fin de l’Empire romain, la
piraterie connaîtra un ralentissement parallèle à celui du commerce en Méditerranée jusqu’au
XVIe siècle et une reprise à la période de la Renaissance, lorsque les marchands génois,
vénitiens et espagnols subissent régulièrement l’abordage des Barbaresques d’Afrique du Nord.
Le XVIIIème siècle verra l’avènement des ‘corsaires’ qui se distinguent des pirates
conventionnels de par leur emploi par les États au travers des fameuses “lettres de course”. Il
conviendrait de se souvenir que la US Navy, aujourd’hui la marine la plus puissante au monde,
est née au début du XIXème siècle pour lutter contre la piraterie qui affectait les navires
américains, en mer Méditerranée et notamment sur les côtes d’Afrique du Nord (Tripoli).
Aujourd’hui, lorsqu’on parle de pirates contemporains, la modernité du phénomène doit être
relativisée : les pratiques criminelles anciennes n’ont quasiment jamais disparues et les
« brigands des mers continuent leurs traques et leurs rapines »2 en usant de techniques certes plus
contemporaines mais qui relèvent finalement des mêmes logiques anciennes. Cependant, la
définition juridique de la piraterie maritime ne sera finalement précisée qu’en 1958 par la
Convention de Genève sur la haute mer3. Définition qui reprend l’esprit de celle formulée
1 Rapport d’information sur la piraterie maritime à l’Assemblée nationale par la Commission de défense nationale et des forces armées no.1670, présenté par Christian Ménard, député, et déposé le 13 mai 2009. 2 P.Chapeleau-J.P.Pancratio, « Piraterie Maritime-droits, pratiques et enjeux », 2012, p14 3 Article 15 de la Convention sur la haute mer (1958), Genève, entrée en vigueur le 30 Septembre 1962.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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pendant l’Antiquité par Cicéron dans De Officis4 selon laquelle le pirate est « hostis humani
generis » ou « l’ennemi du genre humain ». Cette définition est reprise dans la Convention des
Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM)5 conclue à Montego Bay en décembre 1982 qui
consacre de manière précise le devoir et la compétence universelle des États à combattre la
piraterie.
Ainsi, la piraterie maritime se distingue juridiquement des autres formes de crimes commises
en mer par trois éléments : une finalité privée et un but lucratif ; un crime commis en haute
mer qui équivaut à l’ensemble de l’aire marine (incluant la Zone Économique Exclusive-ZEE)
dans laquelle prévaut une liberté de navigation de tous les pavillons et ; la compétence
universelle à agir contre elle. Le Bureau Maritime international (BMI) adopte une conception
plus géographiquement décloisonnée des actes pouvant constituer des attaques contre les navires
marchands en prenant en compte l’ensemble des actes de violence commis à titre privé en mer
avec un but lucratif. Cela, afin d’avoir une vue plus globale, et sans doute plus réaliste, du
phénomène de la piraterie maritime.
La piraterie somalienne remonte au début des années 1990 avec la chute du régime du
dictateur Siad Barré et l’écroulement des structures d’un État déjà en proie à de profondes
divisions claniques et géographiques. Le phénomène connaîtra une croissance sans précédent au
cours des années 2007-2008, avec une nette augmentation du nombre d’attaques commises au
large des côtes de la Somalie. Selon le Bureau Maritime International (BMI), cette explosion
distingue la piraterie somalienne des autres formes de pirateries contemporaines, notamment
dans le détroit de Malacca et, plus récemment, dans le golfe de Guinée. Ainsi, en 2002, la
piraterie somalienne ne représentait que 7,5% des attaques recensées à travers le monde, contre
23% en 2005 et 55,6% en 20116. S’est ajoutée à cette augmentation dans la fréquence ainsi que
l’incidence des attaques, une extension géographique du phénomène ; les pirates vont s’éloigner
4 Dans De Officis - livre III, Cicéron emploi le terme « communis hostis ominium » ou « l’ennemi commun à tous », cf. Michèle Battesti (dir.), « La Piraterie au fil de l’histoire. Un défi pour l’État », PUPS 2014, p13. 5 Article 101 de la Convention de Montego Bay sur le droit de la mer (10 décembre 1982). Texte intégral en annexe. 6 ICC IMB Piracy and Armed robbery against ships-Annual report 2011, publié en janvier 2012. Rapport consultable sur le site https://icc-ccs.org/icc/imb.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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de plus en plus des côtes somaliennes pour se rapprocher des eaux seychelloises ou du littoral
Indien, toujours à la recherche de nouvelles proies.
Ce champ d’action qui s’étend au-delà des 500 miles nautiques est non seulement une des
particularités de la piraterie somalienne, mais aussi une conséquence de l’action de prévention et
de répression conduite autour du Golfe d’Aden et le long des côtes de la Somalie par la
communauté internationale. Cependant, s’il est vrai que depuis mai 2012 aucune attaque réussie
n’a été recensée selon le dernier rapport du BMI7, il n’en demeure pas moins que les pirates sont
toujours présents dans l’océan Indien, à l’affût de cibles potentielles, comme en témoigne la
prise de contrôle d’un chalutier iranien en mars 2015.8
Une des grandes questions soulevées par plusieurs auteurs dans la littérature sur la piraterie
somalienne9 a trait à la proportionnalité entre son impacte réel et les moyens mis en place pour la
combattre ; la lutte contre la piraterie engageant un coût, non seulement économique, mais aussi
social et politique. Et tout cela pour des résultats certes positifs au niveau de l’action de
coercition mais bien plus mitigés par rapport au problème à sa source, c’est à dire, à terre en
Somalie.
Ainsi, en partant du postulat que les moyens mis en place par la communauté internationale
pour lutter contre la piraterie au large de la Somalie seraient disproportionnés par rapport à la
menace qu’elle représenterait réellement pour l’économie (le trafic maritime et le commerce
international) et la stabilité mondiale, les raisonnements géopolitiques pourraient aussi expliquer
le déploiement et le maintien jusqu’à aujourd’hui des forces internationales en océan Indien.
Pour aborder cette question, il est nécessaire d’étudier dans un premier temps, l’origine, l’impact
et l’incidence de la piraterie maritime (partie A). Dans un deuxième temps, il apparaît important 7 ICC IMB Piracy and Armed robbery against ships-Annual report 2014, publiée en janvier 2015 Rapport consultable sur le site https://icc-ccs.org/icc/imb 8 Alan Cole, Chef de Mission du bureau de l’ONUDC en Somalie, a confirmé ( à l’AFP ) la prise de contrôle d’un chalutier Iranien à Ceel Huur dans la région du Galmuduug. Le bateau est soupconné de pêcher illégalement dans les eaux Somaliennes. A voir l’article posté dans Forces Navales, Opérations, Somalie par Lagneau L., 28 Mars 2015, http://www.opex360.com/2015/03/28/les-pirates-somaliens-sont-ils-de-retour/ 9 Piraterie Maritime-droits, pratiques et enjeux”, P.Chapeleau-J.P.Pancratio, 2012; V.Roger-Lacan dans “Piraterie Maritime: facteur constituants de la sécurité en océan indien’- Hérodote no.145-second semestre 2012; Roger Middleton, “Piracy in Somalia Threatening global trade, feeding local wars” Chatham House-Africa Programme | October 2008 | AFP BP 08/02
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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de passer en revue le cadre légal et les moyens déployés dans la lutte anti-piraterie au large des
côtes somalienne avant de procéder à une évaluation leur efficacité contre la piraterie au large de
la Somalie et dans le golfe d’Aden (Partie B). Enfin, le mémoire sera consacré à explorer une
vision géopolitique du phénomène de la piraterie somalienne en vue d’analyser les conséquences
sur les États présents dans l’océan Indien (partie C).
En filigrane à cette analyse de la lutte globale contre la piraterie au large de la Somalie, nous
nous pencherons sur le cas de la République de Maurice, État insulaire autrefois connue comme
« l’étoile et la clé10 » de l’océan Indien et qui nourri de grandes ambitions régionales.
En conclusion, quelques pistes seront proposées quant aux défis auxquels aura à faire face la
communauté internationale par rapport aux nouvelles réalités du phénomène de la piraterie
somalienne. Des réalités d’ordres sécuritaires et géopolitiques qui vont forcément régler la
partition que jouera Maurice au sein de ce concert naval des nations qui se joue dans l’océan
Indien.
10 Devise officielle de la République de Maurice « Stella Clavisque Maris Indici »
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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Partie A La piraterie maritime au large des côtes somaliennes : origines,
évolution, facteurs constituants et impacts
A.1 Les origines et l’évolution du phénomène.
Carte 1 : Carte de la Somalie/zones de piraterie (2010), Source : China Reports, http://charts4charts.com/somali-pirates-map.htm
La piraterie maritime ne s’est pas développée dans un vacuum mais plutôt dans un
contexte précis ou les Somaliens étaient engagés dans un combat interne pour leur survie mais
aussi pour accéder aux possibles « profits » de la guerre civile en tablant sur l’éclatement du
régime étatique. Tout ceci en luttant contre ce qu’ils percevaient comme des atteintes à leur
souveraineté par des acteurs internationaux. D’où l’émergence d’une certaine « économie
morale » de la piraterie11. La piraterie somalienne s’est ainsi développée suite à la chute du
régime de Siad Barre en décembre 1990 et se déroulait à ses débuts principalement sur les
façades maritimes nord-est (Bossasso dans la province du Puntland) et sud (Kismaayo-proche du
Kenya). Les cibles étaient surtout les chalutiers étrangers (asiatiques et européens) ainsi que
celles appartenant à des armateurs installés à Mombassa, au Djibouti ou au Yémen. Au milieu
des années 1990, le nombre ainsi que la nature des cibles aura connu une évolution avec des
11 Roland Marchal, « Flibustiers ou corsaires ? Des enjeux de l'opération maritime internationale contre la piraterie à proximité des côtes somaliennes », Politique africaine 2009/4 (N° 116), p. 85-96. DOI 10.3917/polaf.116.0085
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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attaques sur des navires commerciaux transportant des marchandises vers la Somalie ou le
Kenya. Ceux-ci étaient souvent des « dhows » (vaisseaux de moyenne taille traditionnels de la
région) en provenance des pays du Golfe jusqu’à la fin des années 1990 lorsque des plus gros
porteurs sont ciblés. Ils venaient plus souvent vers la Somalie en raison de l’afflux d’aide
internationale qui, au moyen d’un certain pouvoir d’achat, allait engendrer une demande
croissante en marchandises12.
Pour comprendre l’évolution du problème, il faudrait remonter aux années 1980 lorsque,
face au retrait du soutien soviétique vers la fin de la guerre froide (incluant la coopération en
matière de pêche en haute mer) lors de l’éclatement du conflit avec l’Éthiopie voisin, le
gouvernement Somalien se retrouve forcé à rechercher d’autres partenariats13. Cela le conduit à
établir en 1983 le Somalia High Seas Fishing Company (SHIFCO) conjointement avec des
compagnies de pêche italiennes, basées notamment à Naples. Et jusqu’à 1991 et la chute du
régime de Siad Barré, SHIFCO détient les droits de pêches exclusives sur la ZEE Somalienne
avec une exportation profitable vers l’Union Européenne. Le pillage des biens de l’État pendant
la guerre civile s’étend jusqu’aux bateaux de pêche de SHIFCO qui sont repris par Muniye Said
Omar14, un ancien collaborateur de Siad Barre, lequel va s’intéresser surtout au Puntland, zone
côtière du Nord très riche en ressources halieutiques. A travers des paiements réguliers aux chefs
politiques locaux et l’autorisation aux pêcheurs de continuer leurs activités, il va leurs assurer un
revenu économique substantiel. Les termes litigieux de la privatisation n’ayant pas empêché le
renouvellement de l’accord d’exportation entre l’UE et SHIFCO15, celle-ci entreprend donc de
protéger son monopole de pêche sur la ZEE de la Somalie.
Cependant, l’absence d’État pendant la guerre civile (qui atteint son paroxysme en 1991)
encourage les chalutiers étrangers à opérer dans les eaux somaliennes, souvent en abusant de la
12 Piraterie Maritime-droits, pratiques et enjeux”, P.Chapeleau-J.P.Pancratio, 2012, p 17 13 Roland Marchal ; ‘The moral economy of piracy: pirates or privateers’, Humanity, Spring 2011 14Muniye Said Omar, proche de Siyaad Barré est resté relativement éloigné de la politique Somalienne jusqu’a 2000 lorsqu’il est élu au parlement lors de la Conférence Arta à Djibouti, puis en 2004 lorsqu’il devient membre du parlement fédéral de transition. Source : http://humanityjournal.org/wp-content/uploads/2014/06/2.1-Somali-Piracy.pdf 14 En 1999, à quelques jours de la fin de son mandat, la commissaire à l’agriculture Emma Bonino renouvelle l’accord d’exportation de SHIFCO, en dépit de protestations de la presse italienne, lesquels étaient lies à une affaire de meurtre de journalistes et non à la privatisation litigieuse de la société. Source : Roland Marchal, « Flibustiers ou corsaires ? Des enjeux de l'opération maritime internationale contre la piraterie à proximité des côtes somaliennes », ibid
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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ressource halieutique. Et on assiste peut-être au début de la piraterie somalienne telle qu’on la
connaît aujourd’hui, dès lors que certains pêcheurs locaux commencent à percevoir des
contreparties financières de SHIFCO pour aborder ces bateaux étrangers qui seront ensuite
libérés contre une rançon.
Ainsi, les origines de la piraterie somalienne pourraient s’apparenter à l’action des
corsaires et « flibustiers » du XVIIème siècle, à la différence qu’ici, ils agissent pour une entité
privée en l’absence d’un État capable de gérer son espace maritime. Le modèle va ensuite
évoluer avec l’écroulement dans les années 1990 du fragile monopole de SHIFCO causé par la
multiplication d’accords entre communautés de pêcheurs locaux et compagnies de pêche
étrangères. Ces dernières vont aussi armer leurs bateaux de manière à mieux résister aux pirates,
composés à ce stade de pêcheurs qui sont loin d’être des experts du maniement d’armes et des
techniques de combat. Ce qui conduit à l’emploi de milices et d’anciens militaires par les
communautés de pêcheurs locaux qui auront, en profitant de l’absence d’État et de l’écroulement
de SHIFCO, repris le contrôle de la filière.
A la lumière de ces éléments, on peut retrouver les acteurs clés du modèle de piraterie
somalien, avec en premier, la communauté de pêcheurs locaux qui, sous le couvert de protéger
leur zone de pêche, se transforme très vite en commanditaire de la piraterie. En second lieu, pour
exécuter les abordages et prises de contrôle, les milices et anciens militaires venant
principalement de la capitale mais aussi du nord du pays. Très vite, la distinction entres pêcheurs
et pirates devient floue, la piraterie représentant des gains beaucoup plus lucratifs ainsi qu’une
activité socialement gratifiante. Ce phénomène s’inscrit dans un contexte général d’un État qui,
malgré quelques soubresauts en 2004 et 200616, reste largement incapable de combattre ce fléau.
On verra plus tard que la communauté internationale, pourtant présente en Somalie depuis
décembre 1992, ne se saisira du problème que vers 2007. Entretemps, le phénomène, qui trouve
ses origines dans les provinces autonomes du nord, Puntland (Bossasso) et Somaliland (Berbera),
va se répandre à d’autres régions sur la côte somalienne, notamment le centre du Pays
(Xarardheere) ainsi qu’au sud à Kismaayo (près des côtes Kenyanes).
16 La parenthèse au pouvoir de l’ Islamic Court Union (ICU) entre 2004 et 2006 est souvent considérée comme la seule période ou une vraie lutte contre la piraterie fut menée par la Somalie, surtout au Puntland.
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A.2 Les facteurs constituants
Le travail profond conduit par plusieurs auteurs17 sur le sujet de la piraterie maritime
dans le golfe d’Aden s’est beaucoup appesanti sur les causes du phénomène. Ainsi, la littérature
sur le sujet s’accorde à dire que la solution au problème de la piraterie « se trouve à terre » ; en
poursuivant cette logique, les causes du problème somalien se trouveraient aussi « à terre ».
Dans son rapport à l’assemblée nationale en 200918, le député du Finistère Christian Ménard
présente trois conditions qui favorisent le développement de la piraterie et qui pourrait être
résumées comme suit :
1. La configuration particulière de la région
2. L’absence endémique d’État en Somalie
3. L’extrême pauvreté en Somalie
Jean-Paul Pancratio19 propose un quatrième élément :
4. L’accroissement du trafic maritime
Michèle Battesti, contribue aussi à cette analyse avec d’autres facteurs liés surtout aux
structures de fonctionnement des pirates tels que l’existence de candidats pirates, de bases
d’opération sûres, d’organisation structurées. Elle propose surtout la notion « d’obligations
culturelles engendrant la solidarité du groupe d’ou émanent les pirates » ainsi que celle « de
réseaux extérieurs pour recycler l’argent des rançons ou les cargaisons volées »20.
17 « Piraterie Maritime-droits, pratiques et enjeux”, P.Chapeleau-J.P.Pancratio, 2012 ; V.Roger-Lacan dans “Piraterie Maritime: facteur constituants de la sécurité en océan indien ». Hérodote no.145 - second semestre 2012 ; Lauren Ploch et al. in “Piracy off the Horn of Africa »- Congressional Research Service, April 2011. 18 A consulter sur http://www.assemblee.nationale.fr/13/rap-info/i1670.asp# P172. 19 « Piraterie maritime-droits, pratiques et enjeux”, P.Chapeleau-J.P.Pancratio, 2012, p 68. 20 Entretien avec Michèle Battesti, docteur habilité en histoire, responsable de programme à l’Institut de recherche strategique de l’Ecole Militaire (IRSEM), directrice du séminaire ‘piraterie’ à l’École de guerre, dans Diplomatie 56, Mai-juin 2012, p 58 – 60 (propos recueillies par Éric Frécon)
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La configuration géographique particulière de la région
Carte 2 : L’Océan Indien-zone maritime, conflits et présence militaire, source : Le Monde Diplomatique, 2009
La configuration géographique de l’océan Indien fait d’elle une zone « piratogène »
importante qui englobe au nord le golfe d’Aden, le détroit du Bab-el-Mandeb et le détroit
d’Ormuz, à l’ouest les eaux somaliennes jusqu’au canal du Mozambique et, à l’est la côte
indienne et les détroits d’Asie du sud-est. Ce positionnement géographique (voir carte de
l’Océan indien ci-dessus) est très propice au développement de l’activité pirate, comme l’a
démontré l’évolution des attaques depuis 2008, qui pouvaient s’étendre jusqu’à au moins 500
miles marins des côtes de la Somalie. Ce facteur géographique différentie la piraterie somalienne
de celles qui sévissent dans d’autres régions telles que le golfe de Guinée où les attaques sont
surtout côtières, voire portuaires.
La Somalie : État failli en transition difficile
L’absence endémique d’État depuis le début de la guerre civile en 1992 et l’éviction du
dictateur Mohamed Siad Barré n’a fait qu’accentuer le phénomène de la piraterie dans la région.
Sans véritable gouvernement depuis plus de 22 ans, la Somalie est, en effet, actuellement divisée
en trois sous-régions : le Somaliland, le Puntland et le sud du pays, lequel se trouve en situation
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insurrectionnelle aux mains de milices islamistes armées. La mise en place depuis 2004, sous
l’égide de l’ONU, d’un gouvernement fédéral transitoire (GFT) en Somalie a très peu amélioré
le climat d’instabilité́ politique qui règne dans ce pays. En effet, le GFT, restée en place
jusqu’aux élections de décembre 2012, n’a jamais contrôlé qu’une partie de la capitale,
Mogadiscio. Et l’actuel Président Hassan Sheikh Mohamud, malgré tous ses efforts vers la
reconstruction de la Somalie, ne dispose que de très peu de leviers de pouvoir pour imposer ses
vues sur la sécurisation du pays. Ainsi, malgré certaines avancées, la protection des côtes
somaliennes ainsi que le cadre législatif de répression demeurent aujourd’hui encore largement
inadéquats.21
L’extrême pauvreté en Somalie
La paupérisation des populations littorales est le facteur qui est le plus souvent cité par
les auteurs dans la littérature sur le sujet, dont le député Ménard dans son rapport à l’assemblée
nationale. Effectivement, lorsqu’on dit que « la solution à la piraterie se trouve à terre », on
pense surtout à l’amélioration des conditions de vie des populations, notamment côtières. Mais,
pour plusieurs raisons, notamment l’instabilité politique et la complexité du modèle social
somalien, cette amélioration tarde à se matérialiser. Entretemps, les populations littorales
comptent sur la piraterie pour survivre et, éventuellement, pour prospérer, l’activité pirate étant
largement plus rémunératrice que la pêche traditionnelle. D’autant que celle-ci se retrouve
sérieusement menacée par la surpêche et le pillage de la ressource halieutique qui s’est opéré
dans les eaux somaliennes. Le tsunami de décembre 2004 qui avait touché les côtes somaliennes
n’aura fait qu’exacerber cet état de redondance des anciens pécheurs devenus pirates. Cette
situation a été très bien résumée dans le terme « économie morale » de la piraterie utilisé par
Roland Marchal22
L’accroissement du trafic maritime
Selon les chiffres publiés par le Bureau Maritime International (BMI) en 2013, la grande
majorité (90%)23 des échanges commerciaux se fait par voie maritime. Malgré la crise de 2008 et
le ralentissement économique qui s’est ensuivi, les volumes (et la valeur) des flux maritimes ne
21 Laurent Lagneau; « Les Pirates Somaliens sont-ils de retour? » publié dans Forces Navales , Mars 2015. 22 Roland Marchal ; « The moral economy of piracy: pirates or privateers” in Humanity, Spring 2014. http://humanityjournal.org/wp-content/uploads/2014/06/2.1-Somali-Piracy.pdf 23 Rapport consultable sur le site https://icc-ccs.org/icc/imb.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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cessent d’augmenter. Le développement des échanges régionaux en Afrique ainsi que la hausse
du commerce asiatique et sud-américain ne fera qu’augmenter ces tonnages. En 2011, selon les
chiffres de l’UNCTAD24, plus de 103 000 navires de commerces étaient immatriculés pour
transporter plus de 8,5 milliards de tonnes de produits bruts ou manufacturés. Aujourd’hui, le
pourcentage de ce trafic qui transite par l’océan Indien dépasse les 30% avec plus de 33 000
mouvements de navires dans le seul golfe d’Aden annuellement. Il est donc évident que les
activités pirates sont plus à même de se développer le long de ces corridors et autres zones de
grand trafics maritimes.
A.3 Impacts de la piraterie Somalienne Comme avancé dans le chapitre d’introduction de ce mémoire, la piraterie a existé depuis
le début de la navigation. A ce titre, elle aura eu un impact qui pourrait être qualifié de
« variable » sur le trafic maritime à travers le temps25. Cependant, on ne peut nier son incidence
durable sur le commerce et l’activité portuaire avoisinante sans oublier les conséquences sociales
et humaines que la piraterie peut produire. Les différents auteurs qui se sont penchés sur ce sujet
distinguent l’impact de la piraterie sur quatre niveaux : économique, social/humanitaire,
sécuritaire et écologique. Il est clair que les quatre sont étroitement liés. Par ailleurs, il serait
intéressant de prolonger cette grille d’analyse au niveau global/international, continental/régional
et, finalement, sur l’Ile Maurice.
Impact global
Dans une allocution prononcée au 15ème Forum de l’Institut de Hautes Études de Défense
Nationale (IHEDN) sur le continent africain en Juin 201426, Mme Véronique Roger-Lacan,
Ambassadeur thématique, Représentante spéciale de la France pour la lutte contre la piraterie
maritime, précisait en faisant référence à sa lettre de mission « La lutte contre l’insécurité
maritime, en particulier dans le golfe d’Aden et l’ouest de l’océan Indien, ainsi que dans le golfe
24 Review of Maritime Transport 2011, consultable sur le site http://www.unctad.org. 25 V.Roger-Lacan dans “Piraterie maritime : facteur constituants de la sécurité en océan Indien »- Hérodote no. 145 – second semestre 2012 ; Roger Middleton, “Piracy in Somalia Threatening global trade, feeding local wars” Chatham House-Africa Programme October 2008 AFP BP 08/02. 26 Présentation de Mme Véronique Roger-Lacan, Ambassadeur thématique, Représentante spéciale pour la lutte contre la piraterie maritime, au 15eme Forum de l’IHEDN sur le continent africain, 12 au 19 juin 2014 , sur « la sécurité maritime en Afrique : une approche globale » -Table ronde 7 « La contribution de la France à la sûreté maritime au large de l’Afrique ».
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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de Guinée, sont des enjeux majeurs pour l’Europe et pour la communauté internationale. Ces
routes maritimes sont vitales pour l’économie européenne, et la France, État riverain de l’océan
Indien, et très engagée en Afrique de l’Ouest, y a des intérêts évidents. »
La citation résume très bien la portée économique globale de la piraterie maritime vue
l’importance du golfe d’Aden pour le trafic maritime et, par conséquent, pour le commerce
mondial. Par ailleurs, une persistance de la piraterie maritime empêche une stabilisation de la
situation politique en Somalie et favorise, selon plusieurs auteurs, dont Isabelle Saint-Mezard27,
le « haut niveau de conflictualité » qui caractérise cette partie de l’océan Indien. En ce qui
concerne le prisme social, le volet aide humanitaire ne peut être occulté ; il conviendrait de se
souvenir que les premières actions de la communauté internationale concernaient justement la
protection depuis novembre 2007, à l’initiative de la France, de navires du Programme
Alimentaire Mondial (PAM) qui acheminaient l’aide internationale aux populations locales. Sans
oublier que la piraterie maritime, de part son modèle mafieux, s’associe avec le développement
d’une économie illicite tels que le trafic de drogue, la prostitution et la traite d’êtres humains.
Quant au volet sécuritaire, le lien avec les zones de conflits en Somalie mais aussi dans les pays
voisins, notamment le Yémen, mérite d’être considérée. Si la piraterie se distingue du terrorisme
de par sa nature lucrative et l’absence de fondement idéologique, il n’en demeure pas moins que
les liens claniques qui existent entre pirates somaliens et djihadistes al-shebaab, notamment sur
la façade nord-est de la Somalie, ne peuvent être totalement écartées. Les flux possibles de
financement (au moins partiel) d’activités terroristes par les recettes provenant de la piraterie
figurent parmi les préoccupations de la communauté internationale dans sa lutte contre la
piraterie auprès de ses commanditaires28.
Roger Middleton29 évoque aussi le possible danger écologique que pourrait représenter
une attaque pirate sur un pétrolier dans le golfe d’Aden. Une hypothèse rendue crédible au vu de
l’utilisation plus répandue d’armes sophistiquées et de lanceurs de missiles type-RPG par les
pirates somaliens.
27 Isabelle Saint-Mezard, « Quelles architectures de sécurité pour l’océan Indien », Hérodote no.145-second semestre 2012. 28 La CTF- 150 crée par la Combined Maritime Force (CMF) en réponse à l’attaque terroriste sur le destroyer americain USS Cole en octobre 2000 avait initialement incorporée la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe d’Aden. Et ce jusqu’à la création de la CTF 151, dediée exclusivement à la lutte anti-piraterie, en 2009. 29 Roger Middleton, “Piracy in Somalia Threatening global trade, feeding local wars” Chatham House-Africa Programme | October 2008 | AFP BP 08/02.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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Impact régional
A l’échelle continentale africaine, le problème de la piraterie maritime au large des côtes
somaliennes a été pris en compte dans le cadre de l’élaboration de la « Stratégie AIM 2050 »
présentée par la Commission de l’Union Africaine en 2012 lors de la commémoration du 50ème
anniversaire de la formation de l’Organisation de l’Unité Africaine.30 Sous le chapitre de la
gouvernance maritime, le sujet de la piraterie et du vol à main armée en mer y est érigé parmi les
menaces les plus importantes auxquels l’Afrique doit faire face. « Les crimes transnationaux
organisés dans le domaine maritime (y compris le blanchiment des capitaux, le trafic illégal des
armes et de la drogue, la piraterie et le vol à main armée en mer, le mazoutage illicite/vol du
pétrole brut sur le long des côtes africaines, le terrorisme maritime, le trafic humain,
l’immigration clandestine par mer….(..)…. Le domaine maritime africain attire l’attention sur
un large éventail de menaces réelles et potentielles qui pourraient se traduire par des pertes
massives et infliger des dommages économiques catastrophiques aux États africains. En plus de
la perte de revenus, ces menaces pourraient favoriser la violence et l’insécurité́.” (Stratégie AIM
2050, p 26).
Ainsi, on pourrait arguer que, nonobstant l’impact économique que peut amener
l’instabilité causée par la piraterie, son incidence sur la persistance de conflits, fléau qui ronge le
continent africain depuis des décennies, est encore plus préoccupante au niveau africain. La
force africaine African Union Mission for Somalia (AMISOM) déployée en Somalie depuis 2007
avec l’objectif de stabiliser la situation dans le pays a aussi pour mandat, de façon implicite,
d’assurer une force répressive à l’encontre des bases d’opération des pirates, notamment dans les
régions côtières du Puntland et du Somaliland. Cependant, il convient de noter que, par manque
de moyens, l’AMISOM n’a jamais vraiment réussi à déployer une présence hors de la capitale,
Mogadiscio.
Impact sur les îles de l’océan Indien
Au niveau sous régional, la Commission de l’Océan Indien (COI) émerge comme
l’organisme le plus impliqué dans la lutte contre la piraterie maritime, toujours dans une logique
30 Stratégie Africaine intégrée pour les Mers et les Océans – horizon 2050 (Strategy AIM 2050) – document consultable sur http://pages.au.int/sites/default/files/2050%20AIM%20Strategy%20%28Fr%29_0.pdf.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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plus large de sécurité maritime. Ainsi, le Ministre des Affaires Étrangères des Seychelles, dans
un discours prononcé en 2012 à Mahé lors du lancement de l’Unité anti-piraterie de la COI,
disais « Au-delà de ces tragédies individuelles, la piraterie maritime menace toute la région, et
toute la planète - directement et indirectement. En effet, elle a modifié les routes maritimes ; elle
a augmenté le coût du transport et elle affecte les conditions de vie des populations de tous les
États de la région… La piraterie est un frein à toute tentative d’intégration régionale”31. Il est
intéressant de noter la référence à l’intégration régionale, véritable priorité que se sont fixées les
États membres de la COI.
Il convient aussi de rappeler que plusieurs États membres de la COI, tels les Seychelles,
les Comores ou les Maldives, restent très dépendants du secteur de la pêche. Ainsi, tout impact
négatif dû à la piraterie entraine des effets néfastes sur leurs économies :
• la sécurité alimentaire est menacée à cause de la baisse en recettes de pêche et la hausse
des prix qui s’ensuit ;
• les pêcheurs de subsistance, groupes les plus vulnérables des sociétés de ces pays, sont
affectés par l’insécurité prévalent dans leurs zones d’activités. Non seulement la difficulté
d’aller en mer fait baisser leurs revenus, il crée aussi un effet traumatique du à la peur et au
stress sur eux et leurs familles ;
• Au niveau macro-économique, une contraction du secteur de la pêche fait baisser le PIB de
ces États ( baisse de 4% notée par les Seychelles en 2012)32 et entraine une hausse du
chômage, une baisse dans le revenu national et, par extension, une hausse de la pauvreté ;
• plusieurs de ces États sont des exportateurs de produits de la pêche et dépendent de cette
activité pour leurs besoins en devises étrangères. A ce titre, une baisse de leurs
exportations (due à une production inferieure) peut négativement affecter leurs balances
commerciales, fragilisant ainsi leurs économies ;
31 Discours de Jean-Paul Adam, Chef de la diplomatie Seychelloise et alors président du conseil de la COI, lors du 1er atelier de travail sur la lutte contre le blanchiment de l’argent de la piraterie- « Mise en œuvre de la Stratégie de lutte contre la piraterie et de sécurité maritime de la région d’Afrique australe et orientale et de l’océan Indien » (Hôtel Barbarons, Mahé, Seychelles, 29 – 30 Octobre 2012). 32 “The impact of piracy on Fisheries in the Indian Ocean”, report of the workshop organised by the European Bureau for Conservation and Development (EBCD) in collaboration with the Indian Ocean Commission, 28-29 February 2012, Mahé, Seychelles. Ref: 162-REPORT_FINAL_The_Impacts_of_Piracy_on_Fisheries_in_the_Indian_Ocean.pdf
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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• en même temps, le besoin de sécuriser les côtes fait monter la part de leur budget
consacrée à la défense et à la sécurité, au détriment d’autres dépenses budgétaires
prioritaires et au risque de dégrader leur équilibre budgétaire ;
• sans mentionner la hausse des prix qu’entraîne la hausse des primes d’assurances et autres
coûts du fret pour les armateurs de navires approvisionnant ces pays en produits de
consommation et matières premières, dont ils restent des importateurs nets ;
• Enfin, de manière générale, la piraterie affecte la capacité de ces pays à développer leur
économie océanique, secteur d’activité dont plusieurs États (notamment les états insulaires
tels que Maurice et les Seychelles) ont fait un des piliers économiques d’avenir.
A.4 Impact sur la République de Maurice L’impact de la piraterie maritime sur Maurice est avant tout économique au vu de la
position géographique du pays au sud-ouest de l’Océan indien (voir carte 2- l’Océan indien, p 9).
Ainsi, étant assez éloigné de la zone de concentration de l’activité des pirates, Maurice n’est pas
touchée directement au niveau sécuritaire, comme peuvent l’être les Seychelles, par exemple.
Cependant l’économie du pays a indéniablement été impactée par la piraterie maritime au large
de la Somalie.
Premièrement, le secteur de la pêche est très industrialisé à Maurice, avec une filière
basée sur la transformation des produits de la mer et leur exportation, notamment vers l’Union
européenne33. A ce titre, la piraterie affecte non seulement l’approvisionnement de cette industrie
thonière mais aussi les coûts associés à l’acheminement vers l’UE des exportations.
Deuxièmement, la République de Maurice compte le 23ème espace maritime au monde
avec une zone économique exclusive (ZEE) de 2.1 millions km2. S’il est vrai que, à ce jour,
aucune attaque pirate n’a été recensée ses eaux, les perspectives économiques du pays sont
résolument tournées vers les activités maritimes, notamment portuaires. Ce secteur, qui
contribuait autour de 2% du PIB34 en 2013, est appelé à se développer davantage afin de faire de
33 En aout 2013, Maurice a obtenu une dérogation pour l’exportation annuelle vers l’UE de 8 000 tonnes de thon en conserve et 2 000 tonnes longes de thon. Cette dérogation, qui concerne 2 000 tonnes de thon additionnelles provenant hors de la ZEE de Maurice, s’inscrit dans le cadre de l’Accord de Partenariat Économique (APE) signé par l’UE et les pays ACP de l’Afrique orientale et australe (AfOA) en aout 2009. L’accord, ratifié par le Parlement Européen le 17 janvier 2013, est consultable sur le journal officiel de l’UE en date du 07.09.2013 http://orthongel.fr/contenu/docs/joue/OJ_JOL_2013_240_R_0036_01_FR_TXT.pdf. 34 Rapport de Maurice, Organe d’examen des politiques commerciales de l’OMC, septembre 2014, ref: WT/TPR/G/304, consultable sur https://www.wto.org/french/tratop_f/tpr_f/g304_f.pdf.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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Port-Louis une plaque tournante régionale de la navigation maritime, de la logistique et des
affaires. Il va sans dire que l’insécurité que fait planer la piraterie maritime constitue un frein sur
les ambitions portuaires de Maurice. Rien que dans le domaine de la pêche, elle aura fait fuir un
nombre considérable de chalutiers asiatiques et européens des bancs de pêche se trouvant au
nord de la ZEE du pays, entrainant déjà une chute dans le nombre de licences de pêche délivrés
et, par conséquent, un baisse de 17 à 20% dans les revenus connexes perçus par l’état
mauricien35.
Troisièmement, comme pour les autres îles de l’océan Indien, la hausse des coûts du fret
et des primes d’assurance a été répercutée par les armateurs sur les prix des matières premières
nécessaires à l’industrie manufacturière (notamment le textile), deuxième secteur d’activité du
pays avec une contribution de 16,7% du PIB (2013). Cette hausse des coûts de productions a été
très néfaste à la compétitivité des exportations mauriciennes, déjà en proie à la concurrence
féroce des pays émergents sur les marchés européens et américains.
Quatrièmement, l’île Maurice a bâtie sa réputation comme une destination de choix pour
les affaires en Afrique et dans la région, se classant 28ème sur 189 pays du « Doing Business
report » pour l’année 2014 du Groupe de la Banque Mondiale36. Maurice est ainsi le 1er pays en
Afrique sub-saharienne dans ce classement, et ce, pour la troisième année consécutive.
Néanmoins, le secteur des affaires reste fortement conditionné par l’impératif sécuritaire, duquel
la sureté maritime et portuaire est une composante. A ce titre, l’insécurité que peut causer la
piraterie maritime est un sérieux handicap au flux d’investissements, notamment dans le secteur
du tourisme et des activités portuaires.
Finalement, l’impact de la piraterie maritime sur le commerce international affecte
l’économie du pays, importateur net de produits de consommation. Ce qui entraîne une hausse
des prix à la consommation causant ainsi une poussée inflationniste dans l’économie du pays.
35 Un manque à gagner évalué autour de 17 à 20% pour la période 2009-2011 selon Mons. D.Mauree, Directeur du l’Unité Pêche (Fisheries Unit) au Ministère de l’Agro-industrie et des Pêches, cf : présentation du cas mauricien lors d’un colloque régional sur ‘L’impact de la piraterie maritime sur la pêche en océan Indien’, co-organisé par la COI et l’UE à Mahé, 2012. (cf ref 32 p/15) 36 World Bank. 2014. Doing Business 2015: Going Beyond Efficiency. Washington, DC: World Bank Group. DOI: 10.1596/978-1-4648-0351-2. License: Creative Commons Attribution CC BY 3.0 IGO.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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L’enjeu des zones à haut danger en océan Indien
L’édition de Septembre 2011 des Best Management Practices (BMP4)37– Meilleures
pratiques de protection contre la piraterie – éditée par le QG anti-piraterie d’EUNAVFOR
Atalante et les industriels du milieu maritime prenait acte d’un fait : la piraterie est active sur
tout l’Océan indien. La zone de « haut danger » fut élargie du canal de Suez et du détroit
d’Ormuz dans le nord (10°S et 78°E) au canal de Mozambique dans le sud et ainsi, dans la ZEE
de Maurice38. Or, malgré la baisse drastique dans la fréquence et l’incidence des attaques de
pirates, la zone à haut danger n’a pas été redéfinie.
En outre, selon les préconisations de la BMP4, les navires marchands transitant par une
de ces zones à haut risque doivent prendre des dispositions pour se protéger, y compris en
embarquant des gardes armés. Ils doivent également contracter des polices d’assurance en zone
de guerre, très coûteuses (et profitables pour les compagnies), qui couvrent les vols ou les
destructions de cargaison, les prises d’otages, les demandes de rançon, etc.
Arguant l’absence d’attaques dans cette zone précise, Maurice a, depuis 2013, fait de la
reclassification de la zone à haut danger un des grands axes de ses interventions au niveau des
forums internationaux sur la piraterie Somalienne. En somme une approche de tiers est proposée,
allant de risque bas (partant du Sud de l’océan Indien) à haut (plus proche des cotes
Somaliennes) en passant par une zone de risque médian. Maurice est rejoint dans cette démarche
par des pays tels que l’Égypte, l’Arabie Saoudite et l’Inde qui ont des préoccupations plus ou
moins similaires sur la question. Cependant, cette proposition a jusqu’ici reçu très peu de soutien
des pays occidentaux et de l’UE, notamment en raison du fort lobby exercé par l’industrie
maritime (les assureurs et les armateurs) auprès des gouvernements et des instances
internationales qui s’occupent de la question.
37 BMP4- Best Management Practices for Protection against Somalia-based Piracy , aout 2011,p3-4. Document téléchargeable sur http://www.bruxelles2.eu/wp-content/uploads/2011/09/[email protected] 38 Voir Carte de la République de Maurice et sa ZEE en Annexe
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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Partie B La lutte contre la piraterie au large des côtes somaliennes
La lutte contre la piraterie maritime s’articule autour de deux approches, liées l’une avec
l’autre. En premier, la répression des actes de pirateries, la prévention et la sécurisation des
navires dans les zones à haut risque. En deuxième lieu, les solutions institutionnelles pour
attaquer le problème à sa source, c’est à dire, « à terre » en Somalie.
B.1– Le Cadre légal La lutte contre la piraterie maritime trouve son encadrement légal dans le droit
international, le droit dérivé (notamment les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU et du
Conseil de Paix et de Sécurité de l’UA), le droit communautaire pour les États membres de l’UE,
le droit interne des pays engagés dans la lutte et les codes ou autre formes de « soft law »,
notamment le code de conduite de Djibouti.
B.1.1 Droit international : les Conventions et la notion de compétence
universelle
La répression de la piraterie maritime est définie dans le droit international par la
Convention des Nations Unies sur le Droit de la Mer (CNUDM) - dite Convention de Montego
Bay39, notamment l’article 105 qui consacre une règle coutumière ancienne reprise par la
Convention de Genève sur la haute mer (1958), notamment la compétence universelle à agir
contre les pirates. Ainsi, en haute mer, espace international et fondement de cette compétence,
les bâtiments de guerre de tous les États peuvent intervenir et réprimer cet acte criminel qui a
toujours fait du pirate un « ennemi de l’humanité ». Cependant, la compétence universelle trouve
ses limites des lors qu’on entre dans les eaux territoriales d’un État (12 miles nautiques).
D’autres textes peuvent être mis en avant dans la lutte contre la piraterie maritime. La
Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée (2000)40, dont
39 Le texte des articles applicables à la lutte anti-piraterie de la CNUDM en Annexe. 40 La Convention des Nations Unies contre la criminalité transnationale organisée, adoptée par la résolution 55/25 de l'Assemblée générale le 15 novembre 2000, est le principal instrument dans la lutte contre la criminalité transnationale organisée. Elle a été ouverte à la signature des Etats membres lors d'une Conférence politique de haut niveau organisée à cette occasion à Palerme (Italie) du 12 au 15 décembre 2000, pour entrer en vigueur le 29 septembre 2003. La Convention est complétée par trois Protocoles, qui visent des activités et manifestations spécifiques de la criminalité organisée : le Protocole visant à prévenir, réprimer et punir la traite des personnes, en particulier des femmes et des enfants ; le Protocole contre le trafic illicite de migrants par terre, air et mer ; le Protocole contre la fabrication et le trafic illicites d'armes à feu, de leurs pièces, éléments et munitions.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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l’article 5 rend obligatoire pour les États parties de prévoir un régime pénal pour le crime
considéré, condition à laquelle cette convention est utilisable contre les pirates41.
B.1.2 Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU
Les résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU forment à l’heure actuelle un cadre
juridique dérivé et particulier, applicable spécifiquement à la piraterie somalienne. Mais en
amont, l’ONU s’était à de nombreuses reprises préoccupée du problème, notamment dans le
cadre de ses résolutions relatives aux océans et au droit de la mer, sur la base du rapport annuel
du Secrétaire général sur ce domaine42. La nomination en 2009 de Jack Lang en tant que
Conseiller spécial du SG sur la piraterie en Somalie illustre aussi cette préoccupation.
On peut décompter quinze résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU sur la Somalie et
ayant trait, au moins partiellement sinon exclusivement, à la piraterie maritime. L’objectif ici est
de se focaliser sur celles qui apparaissent comme les plus importantes dans la lutte contre le
phénomène.
La résolution 1816 de juin 2008 : qui autorise l’action de marines étrangères contre les
pirates en eaux somaliennes pour une période initiale de six mois. A noter ici la référence au
Chapitre VII et l’usage de la formule « utiliser tous le moyens possibles » qui, dans le langage
particulier du Conseil de sécurité, équivaut à « l’emploi de la force »43. Elle impose cependant le
consentement du Gouvernement Fédéral de Transition (GFT) somalien à ces actions, en respect
des provisions de la CNUDM.
La résolution 1851 de décembre 2008 est importante puisqu’elle autorise l’action sur terre en
Somalie par les forces étrangères. En reconnaissant la portée limitée de l’usage de la force et de
la répression pure, elle consacre aussi la formation du Groupe de Contact sur la Piraterie hors de
Côtes Somaliennes (GCPCS) autour d’un modèle de coopération élargie entre États, ONG et
l’industrie maritime avec une approche plus globale envers le problème de la piraterie maritime.
La résolution 1976 d’avril 2011 a essentiellement pour objectif d’accroitre la capacité judiciaire
régionale à poursuivre les actes de piraterie. Elle traduit l’ampleur de la tâche et consacre
41 P.Chapeleau-J.P.Pancratio ; « Piraterie maritime : droits, pratiques et enjeux » , 2012, p 87. 42 Voir l’ONU, Assemblée générale, Rapport du Secrétaire général, « Les océans et le droit de la mer », mars 2009, 64ème session, p 42-44. 43 Une formule qui a été employée pour la première fois dans le cadre de la célèbre résolution 1441 sur l’intervention en Iraq en 2003.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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l’importance de la coopération internationale qui doit être mise en œuvre dans un contexte
somalien demeuré instable, fragile et, donc, complexe. Cette résolution reprend aussi certaines
des suggestions faites par Jack Lang, conseiller spécial du SG sur la piraterie en Somalie, dans
un rapport soumis en 201144.
La résolution 2077 de novembre 2012 lance quant à elle un appel à la Somalie pour qu’elle
prenne ses responsabilités pour combattre elle-même la piraterie. On peut y déceler une certaine
impatience du Conseil face à l’inertie de la Somalie qui traine à adopter les dispositions
législatives appropriées, notamment dans la capture, la police et la poursuite judiciaire des
pirates. La résolution est aussi importante pour une deuxième raison : elle admet la possibilité
pour les États de pavillon de prévoir l’embarquement d’équipes de protection armées (EPE) à
bord de navires devant transiter par le golfe d’Aden et l’océan Indien. Ce qui équivaut à une
reconnaissance de l’efficacité de ce dispositif. Enfin, cette résolution va réaffirmer le besoin de
« frapper les pirates au portefeuille », à l’image de ce qui se fait en matière de lutte anti-terroriste
et crimes transfrontaliers45.
La résolution 2184 de novembre 2014, la plus récente sur la piraterie somalienne, renouvelle
pour une période d’au moins un an les mesures prévues jusqu’ici pour combattre la piraterie au
large des côtes somaliennes.
Le droit communautaire Européen – la nécessité d’accords de transfèrement
Les exigences du droit européen pour les États membres de l’UE qui sont engagés dans la
lutte contre la piraterie maritime se situent au niveau du droit européen et celui de la Convention
européenne des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Correspondant à ces deux
niveaux, les deux jurisprudences contraignantes issues de la Cour de Justice de l’Union
Européenne (CJUE) et de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH). C’est au moyen
de jurisprudences successives (le cas du Ponant et du Medvedyev46) que la question de la validité
procédurale de privation de liberté en mer des présumés pirates a été soulevée. Cette question
44 Rapport au SG de l’ONU sur les « questions juridiques liées à la piraterie », janvier 2011. 45 La résolution engage « instamment tous les États à prendre les mesures voulues dans le cadre de leur droit interne en vigueur pour empêcher le financement illicite d’actes de piraterie et le blanchiment des produits qui en sont tirés », consultable sur http://www.securitycouncilreport.org/atf/cf/%7B65BFCF9B-6D27-4E9C-8CD3-CF6E4FF96FF9%7D/s_res_2077.pdf. 46 L’Affaire Medyedev concerne un acte de narco-traffic par voie maritime. Les questions juridiques qu’elle pose sont parfaitement transposables à la répression d’actes de piraterie en lien avec la validité procédurale de la privation en mer. Piraterie maritime : droits, pratiques et enjeux, P.Chapeleau-J.P.Pancratio, 2012, p 89.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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sera à la base de la volonté des États membres de l’UE de conclure des accords de transfèrement
des présumés pirates appréhendés par les marines appartenant, notamment à la force navale de
l’UE.
B.1.3 Le droit interne des États
Afin d’exercer la compétence universelle, octroyée par le droit international et consacrée
par les résolutions du Conseil de sécurité, pour une répression effective de l’acte de piraterie au
large des côtes somaliennes, plusieurs États ont pris les dispositions légales internes appropriées.
Le cas de la France est intéressant à plus d’un titre. Le crime de piraterie stricto sensu avait été
supprimé des incriminations pénales par une loi de décembre 2007 visant à simplifier le cadre
légal français qui, jusque là, ressemblait à un mille-feuille normatif assez mal adapté aux
standards contemporains. Cependant, suivant le cas Medvedyev et l’arrêt de la CEDH qui
s’ensuivit, la France, mis au banc des accusés, a du se doter d’un cadre juridique adapté pour
pouvoir réprimer en toute sécurité juridique les actes de piraterie. Cette loi, adoptée par le
Parlement en novembre 2010 a été promulguée en janvier 201147 sous l’intitulé de « Loi relative
à la lutte contre la piraterie et à l’exercice des pouvoirs de police de l’État en mer».
Une loi plutôt « mal rédigée » selon J.P.Pancratio48 notamment au vu de son ambivalence
autour de la notion de compétence universelle. Elle améliore néanmoins le cadre juridique
antérieur pour permettre la rétention à bord de personnes arrêtées pour des actes illicites en mer,
dont la piraterie, tout en assurant une conformité avec la Convention européenne de sauvegarde
des droits de l’homme. La dernière évolution dans la législation française est venue avec
l’adoption de la loi sur les équipes de protection privées en novembre 201449.
Alors que la législation belge s’apparente à la loi française relative à la lutte contre la piraterie, la
législation britannique, le Merchant Shipping and Maritime Security Act (1997) se distingue par
son ancienneté et le vaste champ normatif qu’il couvre, la piraterie étant visée par l’article 26 qui
s’en remet principalement aux dispositions de la Convention de Montego Bay. Le Royaume Uni
a aussi opté pour la solution privée en ce qui concerne l’escorte de convois de navires dans
47 Loi no. 2011-13. 48 Piraterie maritime : droits, pratiques et enjeux, P.Chapeleau-J.P.Pancratio, 2012, p 100. 49 Décret n° 2014-1419 du 28 novembre 2014 pris pour l'application des dispositions du titre IV du livre IV de la cinquième partie du code des transports et relatif aux modalités d'exercice de l'activité privée de protection des navires – version actualisée du 16 mai 2015 sur http://www.legifrance.gouv.fr.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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l’océan Indien et le golfe d’Aden. Un domaine sur lequel la législation la plus particulière
demeure le droit constitutionnel des États-Unis qui, au moyen de leur constitution du 3
Septembre 1787, ont conservés la possibilité d’émettre des « lettres de marque »50. Ceci équivaut
à autoriser, à l’instar des anciens corsaires, des armements privés de participer à des missions de
lutte armée sur des espaces maritimes. Le cas du Japon est aussi intéressant avec l’adoption en
juillet 2009 d’une loi anti-piraterie qui criminalise les actes de piraterie, les condamnations allant
jusqu’à la peine de mort en cas d’homicides ou de meurtres. Cette loi permet aussi aux navires
militaires japonais de porter assistance à tout navire en danger, quel que soit son pavillon.
Au niveau des États riverains de la Somalie, les révisions légales entreprises successivement par
les Seychelles, le Kenya et les Maldives, entre autres, témoignent de la prise de conscience et la
volonté de ces États de participer pleinement dans la lutte contre la piraterie maritime. Le
régionalisation de cette lutte étant un des objectifs majeurs de la communauté internationale,
notamment du Conseil de sécurité de l’ONU (comme en témoigne les appels successifs dans ce
sens dans la plupart de ses résolutions sur la piraterie somalienne).
B.1.4 Et la Somalie ?
La Somalie a été, et reste toujours, une source d’inquiétude pour la communauté
internationale du fait de son inertie. La résolution 2077 du 21 novembre 2012 illustre la
préoccupation du Conseil de sécurité de l’ONU, en soulignant, sans ambiguïté, que « c’est aux
autorités Somaliennes qu’il incombe au premier chef la lutte contre la piraterie (….) et prie les
autorités somaliennes , avec l’aide du Secrétaire général et des entités compétentes des Nations
Unies, d’adopter sans plus attendre un ensemble complet de textes législatifs visant à combattre
la piraterie, et de déclarer une zone économique exclusive conformément à la convention des
Nations Unies sur le droit de la mer […]»51.
Le dégradation de la situation interne qui a depuis caractérisée la Somalie n’est pas de
nature à rassurer la communauté internationale sur les capacités du pays à se doter de dispositifs
législatifs adéquats même si il convient de noter que, depuis les élections de décembre 2012
50 Les lettres de marques ne devraient pas être confondues avec les lettres de courses, notamment au vu de leur plus courte durée. Cependant, les notions semblent se confondre dans la Constitution des États-Unis. A lire dans Jules Davidant (dir.), Dictionnaire de la terminologie du droit international, Paris, Sirey, 1959, p.369. cf : Piraterie maritime : droits, pratiques et enjeux, P.Chapeleau-J.P.Pancratio, 2012, p 104 51 http://www.un.org/fr/documents/view_doc.asp?symbol=S/RES/2077(2012)
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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marquant la fin du gouvernement de transition, certaines avancées, certes timides, ont pu être
notées dans le renforcement des capacités législatives, surtout dans les provinces du Puntland et
du Somaliland52. Ce renforcement devrait être étendu aux structures centrales de Mogadiscio
avec le soutien de L’ONUDC, qui en a fait une de ses priorités pour 2015. Il convient aussi de
noter les efforts du gouvernement de l’actuel Président Hassan Sheikh Mohamud de renforcer la
souveraineté maritime du pays, notamment avec la proclamation en 2014 de la ZEE somalienne.
Cependant, comme évoqué précédemment, l’exercice de cette souveraineté est très loin d’être
gagnée pour la Somalie tant face aux pirates qu’aux chalutiers étrangers qui viennent dans les
eaux somaliennes. Au niveau de la répression de la piraterie, des progrès notables sont à
souligner notamment dans la région du Puntland, avec l’appui de l’ONUDC et de l’UE
(EUCAP-Nestor).
B.1.5 Le Code de Conduite de Djibouti
Le Code de conduite de Djibouti portant sur « la répression des actes de piraterie et de
vols à main armée en mer à l’encontre des navires de l’océan Indien et dans le golfe d’Aden » a
été négocié et signé le 29 Janvier 2009 par neufs États de la région, dont la Somalie. Il a depuis
été signé par 11 autres États, dont Maurice, portant ainsi le nombre de signataires à 20 sur les 21
éligibles. Ainsi, selon les spécialistes en droit international, en dépit de sa nature non-
contraignante, le Code présente l’intérêt de faciliter la coordination de l’action des États de la
région en instaurant un principe de coopération. Sur le plan strictement juridique, il rappelle les
règles de compétence dans l’action menée par les États tant dans la poursuite et l’arrestation de
pirates présumés que dans la conduite des enquêtes.
B.1.6 Le cadre légal à Maurice
La loi contre la piraterie et la violence maritime (Maritime Piracy Act-2011) a été
adoptée à l’Assemblée nationale le 13 Décembre 2011 et est entrée en vigueur le 1er Juin 2012.
Les principaux objectifs de cette loi sont de fournir un cadre légal pour :
52 http://www.awepa.org/fr/programmes/soutenir-les-institutions-legislatives-en-somalie
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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1. La poursuite judiciaire de la piraterie et les infractions semblables, conformément aux
obligations de l’île Maurice en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la
mer de 1982 ;
2. la remise à l’île Maurice de personnes soupçonnées d’avoir commis des actes de
piraterie, d’attaque maritime et des infractions semblables, en vertu d’accords ou
d’arrangements avec l’Union européenne ou d’autres États, aux fins d’enquête et de
poursuites ;
3. l’admissibilité, avec l’autorisation de la Cour, d’une rupture de la déclaration de la Cour
dans les procédures pénales en vertu de la présente loi, où l’auteur de la déclaration n’est
pas disponible pour témoigner ;
4. le rapatriement des non-citoyens soupçonnés d’avoir commis des infractions, ou le
transfert de personnes condamnées pour des infractions, en vertu de la présente loi.
Afin d’exercer cette compétence judiciaire, des directives de passation de pouvoirs pour
le transfert des pirates présumés ont été préparées par le Bureau du Directeur des Poursuites
Publiques (DPP) et la Police mauricienne avec l’aide de l’ONUDC. Ce document définit les
procédures à suivre par les navires de guerre capturant les pirates qui peuvent être transférés à
l’île Maurice pour une éventuelle poursuite judiciaire.
La question des accords de ‘re-transfert’
La question juridique autour du transfert des pirates après leurs procès, notamment pour y
accomplir le reste de leur peine en cas de condamnation, reste un enjeu important pour Maurice.
La première considération a trait à la préservation des droits humains lors de ces transferts après-
procès, en vertu de l’accord de transfèrement signé en 2011 avec l’UE. Au delà de cette
question, le problème de la reconnaissance par l’état Mauricien de la province (auto-déclarée)
autonome du Somaliland devient prégnant. En effet, celle-ci ne reconnaît pas la convention de
re-transfert acté avec le gouvernement fédéral transitoire et exige qu’un accord spécifique, sous
forme de ‘Memorandum of understanding’ (MOU) soit signé avec elle. Or, cela pose un
problème par rapport aux implications qu’un tel accord poserait en terme de la reconnaissance
implicite de l’autorité du gouvernement instauré au Somaliland, qui utilise l’argument piraterie
pour faire avancer ses revendications d’autonomie et, même, d’indépendance. Cette question est
toujours à l’étude par les autorités mauriciennes, particulièrement sensibles aux cas de
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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revendications d’auto-détermination des peuples au vu du litige avec le Royaume Uni autour la
souveraineté territoriale sur les Chagos.
B.2 – L’action anti-piraterie : les acteurs engagés dans la lutte anti-piraterie
La lutte contre la piraterie au large des côtes de la Somalie se situe à deux niveaux : le
volet coercition, qui concerne l’action de sécurisation et répression en mer de la communauté
internationale et, le volet institutionnel qui touche à la recherche de solutions pour attaquer le
problème à la source. Tout cela s’inscrit bien évidemment dans un cadre multilatéral. Sous le
chapitre des dispositifs coercitifs mis en place sur l’espace maritime, 2008 reste l’année la plus
importante dans la mise en place de la riposte internationale contre la piraterie maritime au large
de la Somalie. Une multiplication des initiatives militaires a été notée depuis cette date avec le
déplacement de plusieurs flottilles pour sécuriser les eaux au large de la Somalie et dans le golfe
d’Aden.
B.2.1 Prévention et répression
La création d’un couloir de navigation recommandé à tous les navires souhaitant
traverser le golfe d’Aden, la Maritime Security Patrol Area (MSPA), en août 2008 sous la
responsabilité de la Task Force 150 américaine, allait être une des premières mesures. Cette zone
de transit sécurisée allait être remplacée en 2009 par l’International Recommended Transit
Corridor (IRTC), deux lignes de navigation longues de 492 milles nautiques prévues pour le
convoi de navires transitant dans les sens sud-ouest et ouest-est, préalablement regroupés selon
leur vitesse53. En parallèle, le nombre de navires affectés à la lutte anti-piraterie n’a cessé de
croître avec la mise en place de plusieurs missions internationales et nationales. Les plus
importantes missions et opérations internationales sont, par ordre chronologique :
1. l’Opération « Atalante » de la force navale de l’UE (EUNAVFOR) ;
2. la CTF-151 d’inspiration américaine ;
3. l’Opération Ocean Shield de l’OTAN.
53 L’IRTC aura connu un succès immédiat avec la chute dans le nombre d’attaques enregistré. Cependant, il aura mobilisé de nombreux bâtiments militaires dans le golfe d’Aden , laissant ainsi les zones sud et ouest de l’océan Indien relativement libres aux attaques des pirates. C’est aussi le début du déplacement de la zone d’attaque en haute mer jusqu’à 600 milles nautiques.
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L’Opération « Atalante »54
Lancé le 8 décembre 2008 par l’UE, l’Opération « Atalante » est une initiative
aéronavale de dissuasion, prévention et répression des actes de piraterie. Prolongée jusqu’en
2016, Atalante vise en premier lieu à contribuer à la protection des navires du Programme
Alimentaire Mondiale (PAM) qui acheminent de l’aide alimentaire aux populations déplacées de
Somalie. Elle vise aussi à assurer la protection des navires vulnérables naviguant dans le golfe
d’Aden et au large des côtes de Somalie, ainsi qu’à la dissuasion, à la prévention et à la
répression des actes de piraterie et des vols à main armée au large de ces côtes. Cette opération,
la première opération navale de l’UE, s’inscrit dans le cadre de la politique européenne de
sécurité et de défense (PESD) et s’appuie sur les résolutions du Conseil de Sécurité de l’ONU
relative à la lutte contre la piraterie en Somalie (notamment les résolutions 1814, 1816, 1838,
1846 et 1851).
Si l’opération est un succès selon l’Union européenne55, Atalante représente plus une
arme issue d’un arsenal militaire qu’un effort de défense élaboré au sein d’une action concertée
et multidimensionnelle de lutte contre la piraterie. Par ailleurs, au vu des difficultés de mise en
œuvre, elle est aussi l’illustration des limites des capacités européennes en matière de défense et
de volonté de défense commune56.
La Combined Task Force-151 (CTF-151)
Créée le 8 janvier 2009 par la Combined Maritime Forces (CMF)57, la CTF-151 a pour
vocation de lutter contre la piraterie dans un théâtre d’opération qui ne se limite pas au golfe
d’Aden. Cependant, les patrouilles et escortes dans l’IRTC restent une partie importante de son
champ d’action. Avec un déploiement très variable tant dans le nombre que dans l’origine de la
composition de la flottille, la CTF-151 aura connu des résultats très satisfaisants grâce à de
54 A voir détails sur http://www.defense.gouv.fr/operations/piraterie/dossier-de-presentation-des-operations/operation-eu-navfor-somalie-atalante, consulté le 12 avril 2015. 55 « Les données collectées depuis 2008 montrent que la force EU Navfor, en collaboration avec ses partenaires des autres forces anti-piraterie, est devenue très efficace dans la prévention des attaques », voir sur http://eunavfor.eu/mission. 56 Piraterie maritime : droits, pratiques et enjeux, P.Chapeleau-J.P.Pancratio, 2012, p 125-126 ; voir aussi sur http://lignesdedefense.blogs.ouest-france.fr/archive/2013. 57 Les CMF, pilotés par les États-Unis, englobent trois task forces : CTF 150(anti-terrorisme), CTF-151(anti-piraterie) et CTF-152 (sécurité et coopération dans le golfe Arabique) et regroupent, outre les États-Unis, 26 pays dont la France, le Royaume-Uni et les pays de la région (EAU, Arabie Saoudite, Seychelles, Singapour, Turquie, République de Corée, Australie et Japon). Voir sur http://combinedmaritimeforces.com.
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La lutte internationale contre la piraterie maritime au large de la Somalie : entre sécurité et géopolitique
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nombreuses attaques avortées, des arrestations de pirates et, par conséquent, une réelle
dissuasion.
L’opération Ocean Shield Le 17 aout 2009, suivant plusieurs opérations de circonstance et
sous le couvert des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU 58, l’OTAN lance l’opération
Ocean Shield axée initialement sur les opérations maritimes de lutte contre la piraterie. Au fil du
temps, l’opération, renouvelée jusqu’à fin 2016, aura élargie son approche et son champ d’action
en y incluant l’aide aux États de la région pour développer leurs capacités de lutte contre la
piraterie et aussi, plus récemment, en prenant des mesures destinées à saper les bases logistiques
et les moyens de soutien des pirates59.
Les interventions des forces marines nationales
Au chapitre des interventions des forces marines nationales hors du cadre des missions
multilatérales citées plus haut, il convient de mentionner quatre pays : la France, L’Inde, La
Chine, et le Japon. Alors que les fondements géopolitiques de leur présence en océan Indien
feront l’objet d’une analyse dans la partie C de ce mémoire, il est intéressant de situer le cadre de
leurs actions en matière de lutte contre la piraterie au large de la Somalie et dans le golfe
d’Aden.
Bien que participant aux trois opérations internationales précitées, la France a conduit un
certain nombre d’actions préventives et répressives, notamment lorsqu’il s’agissait d’otages
français60. A partir de juin 2009, la marine nationale a aussi fourni des équipes de protection
embarquées (EPE), détachements de six à dix hommes ayant pour mission de protéger les
navires, dont les cargos du PAM, des thoniers pêchant au large des Seychelles, ainsi que des
navires transportant des cargaisons stratégiques (pétroliers, câbliers, par exemple). Le tout selon
certains critères tels que le pavillon français, la présence à bord de citoyens français, l’intérêt
stratégique de l’activité pour la France. Et en dépit de l’adoption de la loi autorisant le recours à
58 L’Otan avait déjà lancé deux opérations de sécurisation contre la piraterie Allied Provider à l’automne 2008 puis Allied Protector de mars à août 2009. Ocean Shield sera lancé sous le couvert des résolutions 1814/1838/1846/1851 de CSNU. 59 Voir http://www.nato.int/cps/fr/natolive/topics_48815.htm. 60 Paris a décidé d’intervenir pour libérer les otages français du Ponant (opération « Thalatine » avril 2008), du Carré d’As (septembre 2008) et du Tanit (avril 2009) lors d’opérations conduites par des équipes déjà déployés dans l’océan Indien.
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des équipes de protection privées en novembre 2014, la marine nationale continuera à offrir son
concours pour protéger des navires ou cargaisons d’intérêt stratégique ou de nature sensible61.
L’Inde était sans doute l’État avec le plus de raisons d’engager sa marine dans la lutte
contre la piraterie en océan Indien (élément qui sera développé en partie C). Ainsi, en septembre
2008, New Delhi décida d’envoyer une frégate dans les zones à risques pour y escorter les
navires marchants indiens. Malgré des débuts assez chaotiques au niveau opérationnel (avec une
bavure en novembre 2008 lorsque les marins indiens avaient coulés un chalutier thaïlandais
capturé par des pirates) 62, l’Indian Navy a poursuivi ses patrouilles et escortes sur la zone
d’action des pirates qui, en s’éloignant de l’IRTC, se rapprochaient des côte