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Segments introducteurs de discours direct et
reprages nonciatifs en latin biblique : lments
pour une tude diastratique et diachronique
Lyliane SZNAJDER
(Universit Paris-Ouest Nanterre, Centre Ernout)
Quil soit insr dans un rcit, partie dun change dialogu, ou enchss
en abme dans un autre discours rapport, le DD, forme propositionnelle
explicitement marque de la parole dautrui, se dfinit dabord par des
rattachements nonciatifs spcifiques dautres marques, qui guident le
lecteur/auditeur dans lassignation de la source nonciative.
Les lecteurs modernes sont en outre habitus reprer visuellement le
DD grce des marqueurs textuels externes spcifiques, les signes de
ponctuation, tirets, guillemets, les fameux deux points ouvrez les
guillemets dont lusage sest progressivement et plus ou moins codifi
depuis la naissance de limprimerie1.
Labsence de ces soutiens typographiques dans les textes anciens conduit
porter une attention accrue aux phnomnes discursifs de bornage
identifiant formellement le discours direct, et notamment au segment
introducteur gauche du dire reprsent, segment comprenant,
explicitement ou implicitement, lindication de la source de lacte
dnonciation reprsent, et la prcision, par un verbe de parole, quil
sagit bien dun acte dnonciation. ce propos, on remarquera que
lessor du DD libre et le dveloppement contemporain de verbes
introducteurs sans lien direct avec des verbes de dire2 (ex. 1) sont sans
doute favoriss par lusage moderne de ces marqueurs typographiques
(souvent associs la position en incise du verbe non dclaratif)3.
1 Sur lhistoire de la ponctuation, et entre autres de la ponctuation des discours cits, voir
entre autres MARCELLO-NIZIA (1978 : 40-41), BRANCA-ROSOFF (1993 : 178-202), CATACH
1994). On saccorde par ex. dater lapparition des guillemets au 16 s. (CATACH 1968 :
299).
2 Dveloppement particulirement frappant dans le domaine journalistique (cf. NITA
2011).
3 B.VRINE 2005 a relev plus de 265 verbes introducteurs de DD en Franais
contemporain.
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(1)Danina sanglote : Je vais plus sortir, je vais rester prs de ma
grand-mre . Le procureur rigole : Ces larmes de crocodile, je les
ai vues au moins 3 ans ! Cest remarquable, elle ne vieillit pas !
(extraits de Carnets de justice de D.Simonnot, Libration 25-4- 2005,
cits par R. Nita 2011)
Seront tudis ici les divers procds dannonce et de dmarcation
gauche du discours direct en latin biblique. Quil soit insr dans la
narration, ou partie dun change dialogu, ou enchss dans un autre
DD, le DD est le type de discours rapport de loin le plus reprsent dans
le texte biblique. Les innombrables prises de paroles constituent la trame
du texte ; la mise en scne des personnages se fait travers les changes
dialogus4, et trs souvent laction y dpend et dcoule dun dire
pralable. Ltude des segments introducteurs sera mene dun point de
vue contrastif, travers les diffrences entre les deux traductions latines
successives de la Bible, les Vieilles Latines et la traduction de Jrme,
assimile par simplification abusive la Vulgate : la divergence sur les
textes sources se superpose en effet une diffrence dans le registre de
langue, plus littraire chez Jrme, plus proche du parler quotidien
ambiant et plus formulaire aussi dans les Vieilles Latines. Lenqute
portera galement sur les traits innovants par rapport au latin classique
dans ces procds de dmarcation gauche du DD, sur leurs sources, et sur
linfluence exerce par le latin biblique dans ce domaine sur le latin
chrtien et le latin tardif.
On notera quil est une forme de disposition typographique propre au
texte de Jrme, en tout cas un certain nombre de ses manuscrits, et
reproduite dans les ditions modernes de la Vulgate, dont on pourrait
croire quil contribuerait ventuellement la dlimitation discours citant-
discours cit. Cest la disposition prconise par Jrme en cola et
commata5, quil prsente comme une aide la comprhension et la
lecture.
(2)(Hic liber) per cola scriptus et commata, manifestiorem sensum
legentibus tribuit. (prol. Ezech.)
4 Sur la citation de paroles comme moyen utilis par le narrateur biblique pour
caractriser les personnages, cf JOOSTEN (2001 : 233).
5 Sur cola et commata chez Jrme, voir PETITMANGIN (1985 : 104-106). Dans sa prface
la traduction dIsae, Jrme invoque des prcdents dans les ditions de Dmosthne
et de Cicron.
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3
Le dispositif en question regroupe en courtes lignes successives les
squences formant une unit smantique. Mais cette prsentation
textuelle ne peut pas systmatiquement servir la dmarcation du DD
car souvent un mme colon associe plutt le segment introducteur et le
DD qu'il introduit :
(3) qui ait non comedam donec loquar sermones meos
respondit ei loquere
at ille seruus inquit Abraham sum (gen. 24, 33-34)
Il dit : Je ne mangerai pas avant davoir dit ce que jai dire
Il lui rpondit : Parle
Et lui de dire : Je suis le serviteur dAbraham
Dans ces conditions, le segment introducteur semble tre le ncessaire
marqueur des diverses prises de parole. Cette tude des segments
introducteurs de DD sarticulera en 2 temps : dans une premire partie
seront examines et analyses les diffrences entre les procds
introducteurs des Vieilles Latines et ceux de Jrme ; dans une deuxime
partie seront tudies les formes spcifiques de sur-marquage et de
duplication du Dire introducteur propres aux deux traductions bibliques et
leur extension par-del le domaine biblique initial.
1.PROCDS DANNONCE DU DD ET CARACTRISTIQUES DES SEGMENTS
INTRODUCTEURS ; DIFFRENCES ENTRE LES 2 TRADUCTIONS BIBLIQUES
1.1. Place du discours citant et de ses constituants
Insr dans la trame du rcit, le DD du latin biblique est toujours introduit
par un segment propositionnel antpos ou plus rarement en incise,
spcifiant explicitement la source de lacte dnonciation.
1.1.1. Rappel sur les places et formes du discours citant en latin classique
et imprial
De faon gnrale en latin, et avec bien plus de libert quen latin
biblique, un segment introducteur propositionnel pouvait prcder le DD,
ou tre insr en incise, ou tre post-pos au discours cit.
(4) Ille ait: uis est et necessitas, ubi uelim nolim succumbendum est
mihiDicet alius: necesse mihi erat (Sen. Contr. 9, 3, 8)
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(5) Timeo, inquit, ne, si duos licebit creari patricios, neminem creetis
plebeium (Liv. 6, 40, 19)
(6a) dialecticam mihi uideris dicere, inquit (Cic. Brut. 153)
(6b) febrim ut tussim sitim, ait Plinius (Char. 164,19 ed. C. Barwick,
1964)
Loption droite des exs 6, moins frquente, implique que le
lecteur/auditeur ait une apprhension globale de lensemble discours
citant-cit. Quand le verbe de parole est post-pos, lnonc rapport est
mis au premier plan et nest pas demble distingu de la narration, ce qui
peut dailleurs permettre au narrateur ou locuteur initial de laisser un
temps planer le doute sur linstance validante ; dans le texte de Charisius
(6b), le grammairien cite certes sa source, mais au dernier moment.
Dans loption mdiane, la plus frquente (ex.5), le verbe de dire est seul
en incise ou alors associ son sujet nominal ou pronominal ; en tout cas,
ses expansions ventuelles ne sont pas en incise ; elles sont initiales (voir
7a) ; une situation frquente est la disjonction Sujet initial V en incise, et
les expansions sont toujours disjointes du verbe, juxtaposes au sujet
initial (7b) :
(7a) Quantum maxima uoce potuit : quem nunc, inquit, Roma
uirum fortissimum habet, procedat (Liv. 7, 9, 8)
(7b)Tum dictator silentio facto: utinam, inquit, mihi patribusque
Romanis ita de ceteris rebus cum plebe conveniat (Liv. 6, 15, 4)
La place des expansions est donc diffrente de celles des incises du
Franais moderne par ex.:
(8) Eh bien ! Monsieur, lui dit-il enfin avec un soupir et de lair
dont il et appel le chirurgien pour lopration la plus
douloureuse, jaccde votre demande (Stendhal, Le Rouge et le
Noir, Paris, Gallimard Folio Classique, 2000, p. 116)
Il y a un quatrime cas de figure possible : le DD peut aussi tre insr
sans segment introducteur, notamment dans un change dialogu; mais
la ncessit didentifier clairement le L limite fortement lemploi de ces
discours directs non introduits en latin.
(9)- subduxisti te, inquam, a praeceptoris colloquio. -quid ego, homo stultissime, facere debui, cum fame morerer?
(Petr. 9.9 10. 1)
Une solution intermdiaire est un segment introducteur sans verbe de dire
mais dans lequel seul le locuteur est spcifi :
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(10a) At ille : Vicisti; ista enim aui uolat nulla uehementius. (Cic. diu.
2, 144)
(10b) Tum Romanus legatus: Totam orationis meae formam
Macedones primum, deinde Athenienses mutarunt (Liv. 31, 31, 1)
(10c) Ergo igitur senex ille : Veritatis arbitrium in diuinam
prouidentiam reponamus. (Ap. met. 2, 28,1)
1.1.2. Le latin biblique limite fortement les variations dans la forme et la
place des discours citants et de leurs constituants
Les DD du texte biblique en revanche sont toujours explicitement
introduits par un verbe de dire, gnralement antpos ou plus rarement
plac en incise :
(11) Et adpropinquans ait numquid perdes iustum cum impio ?
(gen. 18, 23) (12) Et ille noli inquit nos relinquere (num. 10, 29)
La postposition dun segment citant est exceptionnelle :
(13)Sanusne est? inquit ; ualet, inquiunt (gen. 29, 6).
La parole cite dans le cours du rcit doit tre explicitement attribuable6 ;
Jrme rejette donc de sa traduction des formes non marques du
discours dautrui, comme les lots textuels prdicatifs de lex. 14. Ce rejet
est moins systmatique dans la premire traduction biblique. Jrme
prfre recourir une forme totalement explicite de DD avec linsertion
dun segment introducteur dicens (14 b) absent des textes sources et des
Vieilles Latines (14 a).
(14) gen. 41, 51-52 :
(14a) VL (ap. Hier. Quaest. (Cl. 0580 (ed. Lagarde) p. 61, l. 15-17)
Vocauit autem Ioseph nomen primogeniti Manasse, quia obliuisci me
fecit Deus omnium laborum meorum ... Nomen autem secundi uocauit
Ephraim, quia crescere me fecit Deus in terra humilitatis meae. Joseph appela lan Manass parce que Dieu ma fait oublier
toutes mes peines ; il appela le second Ephram parce que Dieu ma fait prosprer sur le sol de mes misres
Vs.
(14b) Vulgate :
6 Si lambigit dans lattribution du dire est rejete dans le cadre du rcit, en revanche
(cf. infra), elle est tolre voire recherche dans la parole relaye ou enchsse en
abime.
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Vocauitque nomen primogeniti Manasse, dicens : obliuisci me fecit
Deus omnium laborum meorum ; nomen quoque secundi appellauit
Ephraim, dicens : crescere me fecit Deus in terra paupertatis meae.
Il appela lan Manass, en disant : Dieu ma fait oublier toutes mes peines ; il appela le second Ephram, en disant : Dieu ma fait
prosprer sur le sol de mes misres.
1.2. Procds dattribution du dire dans les dialogues : VL vs.
Jrme
Lidentification des tours de parole dans les dialogues ne repose pas sur
les mmes procds dans les deux traductions bibliques. Les diffrences
sont une illustration des formes dannonce du discours direct propres un
style oral et formulaire dun ct, et un registre plus conforme lcrit
standard de lautre.
1.2.1. Vieilles Latines : ambiguts de lhyperonyme DIRE ; anaphores
lexicales et non pronominales
De faon gnrale, on peut classer les verbes introducteurs de discours
rapports en deux grandes catgories smantiques :
-soit ils appartiennent la classe des hyperonymes de dire , le locuteur initial se contentant dintroduire loccurrence de parole (par ex. en latin dicere, ait, inquit).
(15) et adpropinquans ait : numquid perdes iustum cum impio ? (gen. 18, 23)
-soit ils vhiculent en outre une valuation du narrateur sur lacte de
parole second7, faon de profrer les paroles (crier, chuchoter), formes
internes ou intersubjectales de la communication, tapes de
largumentation ou de la relation dialogale (affirmer, rpliquer, ajouter,
conclure), contenu modal de la parole profre (ordonner, interroger).
1.2.1.1. Les premires traductions bibliques latines prsentaient, dans le
sillage fidle de leur source grecque8, peu de diversit et de prcision
dans les verbes introducteurs : c'est lhyperonyme dire qui tait
7 A propos des verbes introducteurs vhiculant un jugement qualitatif du narrateur sur la
parole cite, voir particulirement le classement de DELAVEAU (1988 : 127-128). Divers
autres classements ont t proposs (voir VRINE 2009).
8 Et en amont de celle-ci, dans le sillage de la source hbraque.
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rptitivement utilis, au besoin sans sujet morphologiquement exprim,
sans quil y ait alors identification ou r-identification explicite du locuteur
secondaire. D'o une ambigit potentielle sur lattribution du dire leve
par le seul contenu des propos.
Le dialogue entre Jacob et lange lissue de leur combat (gen. 32, 26-
30), est donn ci-dessous, avec son accumulation de dixit introducteurs,
dans deux versions du texte vieux latin :
(16) gen. 32, 26-30 :
(16a) VL1 (ap. Aug. c. Maximin. 2, 9, PL 42, col. 810) :
Et dixit illi: Dimitte me; ascendit enim aurora. Ille autem dixit : Non
te dimittam, nisi me benedixeris. Dixit autem ei : Quod est nomen
tuum? Ille autem dixit: Iacob. Et dixit ei : Non uocabitur amplius
nomen tuum Iacob; sed Israel erit nomen tuumRogauit autem eum
Iacob dicens : Enuntia mihi nomen tuum. Et dixit : Quare hoc
interrogas tu nomen meum?
(16b) VL2 (ap.Nouatian. trin.19, 7, CC 4, (Diercks) 1972, p. 49) :
Et dixit ei: Dimitte me, ascendit enim Lucifer. Et ille dixit : Non te
dimittam, nisi me benedixeris. Et dixit : Quod est nomen tuum? Et ille
dixit : Iacob. Dixitque ei : Non uocabitur iam nunc nomen tuum
Iacob, sed Israel erit nomen tuum
Il lui dit : "Laisse-moi aller car l'aube s'est leve". L'autre lui dit: "Non,
je ne te laisserai pas aller que tu ne m'aies bni." Il lui dit : "Quel est
ton nom?" L'autre lui dit : "Jacob". Il lui dit: "On ne t'appellera plus du
nom de Jacob mais Israel sera ton nom." Jacob l'interrogea et lui dit :
"Dis-moi ton nom". Il dit : "Pourquoi me demandes-tu mon nom?"9
1.2.1.2. Lidentification des locuteurs dans les tours de parole se fait par
la rptition lexicale.
9 Les deux textes sources en amont, hbreu originel, puis grec de la Septante,
prsentaient la mme accumulation dhyperonymes dire :
HBTM : Et il dit ( wayyomr ) : " Renvoie-moi car laurore est monte" . Et il dit
( wayyomr ) : " Je ne te renverrai pas avant que tu ne maies bni". Et il lui dit
( wayyomr ) : " Ton nom ?". Et il dit ( wayyomr ) : "Jacob". Et il dit
( wayyomr ) : "On ne tappellera plus Jacob mais Israel" Jacob linterrogea et dit
( wayyomr ) : "Dis, je ten prie, ton nom". Et il dit ( wayyomr ) : "Pourquoi me
demandes-tu mon nom ? "
LXX : . ,
. .
,
.
;
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(17 a) Et dixit Dominus ad Moysen Et dixit Moyses ad Dominum
Et dixit Dominus : Et dixit Dominus ad Moysen ... Et dixit Dominus : . (ex. 33, 17 -21 ; VL cod. lugd.)
(17b) Et dixit Moyses ad Ioab filium Raguel Et dixit ad eum
RaguelEt dixit Moyses (num. 10 29 ; VL cod. lugd.)
(17 c) Et dixit illi Gedeon et dixit illi Dominus Et dixit Gedeon :ne
moueas te hincEt dixit : Ecce sedeo (Iud. 6, 14-18 ; VL cod. lugd.)
Sil ny a pas rptition lexicale, un travail interprtatif est ncessaire pour identifier lauteur dun dire dans un tour de parole ; dans la dernire
squence de (17c) par ex., (Et dixit : Ecce sedeo), puisque cest Gdon, lexicalement exprim, qui parlait prcdemment et qui adressait une
requte Dieu : Ne tloigne pas de moi , on en dduit que cest Dieu qui lui rpond en disant Ecce sedeo, Je ne bouge pas.
1.2.2.Les 3 changements introduits par Jrme dans les segments
introducteurs : (1) varit des verbes introducteurs prcisant les tours de
parole, (2) ajout de connecteurs textuels, (3) introduction du maillage
pronominal anaphorique
Jrme sest toujours prsent comme un traducteur scrupuleusement
fidle du texte biblique, affirmant quil ne faut rien changer au texte
source mme quand on nen comprend pas la ncessit, de peur de perdre
ou pervertir quelque chose de son caractre sacr10. Ici cependant, sil na
certes rien retranch, il a en revanche ajout, en sur-traduisant, dans le
but de clarifier les tours de parole. Sa traduction relve de lexplicitation
selon la formule de Delcourt (1995 : 47).
1.2.2.1. Changements dans les verbes introducteurs : verbes prcisant les
tapes de la relation dialogale substitus lhyperonyme dire des
textes sources conservs dans les Vieilles Latines
la place de lhyperonyme dire rptitivement utilis dans les textes
sources et dans les VL, caractristique dune forme dexpression orale et
dune littrature formulaire, Jrme a substitu une grille de verbes
introducteurs prcisant la place quoccupent les paroles dans lchange
discursif (typiquement : "ajouter" addere, "rpondre" respondere) : dans
la nouvelle traduction de Jrme, le verbe introducteur non seulement
signale louverture dun discours cit mais aide lidentification des
10 Melius est autem in diuinis libris transferre quod dictum est, licet non intellegas quare dictum sit, quam auferre quod nescias (comm. in Ezech. 1,1,13 CC 75, 17)
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locuteurs secondaires, addidit signalant ainsi que cest le mme L qui
poursuit son propos prcdent, respondit quun autre prend la parole.
(18) Dixitque Abram Domine Deus, quid dabis mihi ?
ego uadam absque liberis
addiditque Abram mihi autem non dedisti semen (gen. 15, 2-3)
Dans le dialogue entre Jacob et lange (gen. 32, 26-30 ; ex. 16a-16b
supra), Jrme prcise les tours de paroles successifs par des verbes
introducteurs chaque fois diffrents, dixit, respondit, ait, respondit, inquit,
interrogauit, respondit:
(19) Dixitque ad eum Dimitte me iam enim ascendit aurora
Respondit Non dimittam te nisi benedixeris mihi
Ait ergo Quod nomen est tibi
Respondit Iacob
At ille Nequaquam inquit Iacob appellabitur nomen tuum sed Israhel
Interrogauit eum Iacob
Dic mihi quo appellaris nomine
Respondit Cur quaeris nomen meum (Vulg. gen. 32, 26-30)
Vs. VL (ex. 16 a-b) : rptition de dixit
Cette diversit substitue par Jrme la neutralit rpte de
l'hyperonyme dire des textes-sources, pour signaler les alternances et
reprises de parole dans les dialogues, est une constante de sa traduction
(voir gen. 4, 9-10 ; 14, 21-22 ; 15, 2-3 ; 15, 7-9 ; 22, 1-2 ; 24, 23-25 ;
24, 33-34 etc.).
Ceci dit, ces verbes introducteurs plus prcis substitus par Jrme
lhyperonyme dire dcrivent simplement les tours de parole et ne sont
pas associs un jugement apprciatif ; Jrme garde videmment la
position neutre du narrateur initial, certes omniscient, en position
extradigtique, mais laissant parler les personnages et les donnant
connatre travers leurs seuls propos. Rien qui sapparente un jugement
du narrateur comme on peut en trouver chez les historiens latins :
(20) memorabilem illam meritoque laudatam uocem edidit: amici,
diem perdidi. (Suet. Tit. 7, 2)
1.2.2.2. Lajout de connecteurs : rursum/iterum vs. at
On retrouve cette mme volont d'explicitation des relations dialogales
avec l'insertion dans la traduction de connecteurs absents eux aussi des
textes-sources : Jrme ajoute rgulirement
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-rursum (quoque rursum) ou iterum ou deinceps pour scander les tapes
du discours et prciser qu'il y a reprise ou poursuite de parole dun mme
locuteur,
-et at pour signaler le changement d'interlocuteur.
(21) gen. 41, 39-41
(21a) Vulgate : Dixit ergo ad Ioseph
Quia ostendit Deus tibi omnia quae locutus es
numquid sapientiorem et similem tui invenire potero ?
Tu eris super domum meam
Dicens quoque rursum Pharao ad Ioseph
Ecce constitui te super universam terram Aegypti
tulit anulum de manu sua
vs.
(21b) textes sources :
-Texte source hbreu (TM) : Pharaon dit Joseph (wayyomr Paroh
l- Ysp) : " Puisque Dieu t'a fait connatre tout cela, personne n'est
aussi intelligent et aussi sage que toi ; c'est toi qui seras la tte de
ma maison" Pharaon dit Joseph (wayyomr Paroh l- Ysp) :
"Vois : je t'ai tabli sur tout le pays d'Egypte."
- Traduction grecque de la LXX :
,
Pharaon dit Joseph : "Puisque Dieu t'a montr tout cela, il n'y a pas
d'homme plus avis et plus intelligent que toi ; tu seras la tte de ma
maison" Pharaon dit Joseph : "Voici, je t'tablis aujourd'hui sur tout
le pays d'Egypte." (trad. M.Harl)
(22) ex. 33, 17 -21 :
(22a) Vulg. : dixit autem Dominus ad Mosen
et uerbum istud quod locutus es faciam
qui ait ostende mihi gloriam tuam ;
respondit ego ostendam omne bonum tibi
rursumque ait non poteris videre faciem meam
non enim uidebit me homo et uiuet
et iterum ecce inquit est locus apud me stabis super petram
Vs. (22b = 17 a) texte VL: Et dixit Dominus ad Moysen Et dixit
Moyses ad Dominum Et dixit Dominus : Et dixit Dominus ad
Moysen ... Et dixit Dominus
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-
11
(23) gen.24, 33-34 :
(23a) = (3) Vulg. : qui ait non comedam donec loquar sermones meos
respondit ei loquere
at ille seruus inquit Abraham sum
(23b) HBTM : Il dit (wayyomr): "Je ne mangerai que je n'ai dit
mes paroles." Il dit (wayyomr): "Parle." Il dit : "Je suis le serviteur
d'Abraham." .
(23c) LXX : .
. .
Et il dit :" Je ne mangerai pas avant d'avoir parl." Et ils dirent : "Parle
!" Et il dit : "Je suis le serviteur d'Abraham."
1.2.2.3. Le rle de lanaphore pronominale dans lidentification des
locuteurs
La troisime modification de Jrme relve du maillage anaphorique. la
rptition lexicale ou lanaphore nulle indistincte des textes prcdents,
Jrme substitue un maillage anaphorique reposant sur le jeu alternant du
relatif de liaison, de lanaphorique distal ille11 (ille et jamais un autre) et
de lanaphore nulle.
On peut ainsi regarder le jeu crois qui sinstaure entre sujet lexical,
anaphore nulle, relatif de liaison, ille, dans les exs 24 a et 26 a.
(24) ex. 3, 4 (dialogue entre Dieu et Mose):
Et le Seigneur dit : Mose Mose ! ; celui-ci rpondit : Me voici .
Et le Seigneur lui dit : Ne tapproche pas .
(24a) Vulg. : Et ait Moses Moses. Qui respondit adsum.
At ille ne adpropies inquit huc.
vs.
(24b) VL (cod. lugd.) : Dominus ait : Moyses Moyses . Qui respondit :
Adsum. Et dixit illi Dominus : Ne accesseris huc.
(25) Iud. 6, 14-18 (dialogue entre Dieu et Gdon)
(25a) Vulg. Respexitque ad eum Dominus et ait
Vade in hac fortitudine tua et liberabis Israhel
Qui respondens ait
Obsecro Domine mi in quo liberabo Israhel ecce familia mea infima
est
Dixitque ei Dominus
Ego ero tecum
11 Cf. lemploi du pronom dmonstratif cil et jamais cist en A. Fr. pour indiquer un
changement de locuteur lintrieur dune interaction orale (cf. C.GUILLOT 2012)
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-
12
Et ille si inueni inquit gratiam coram te da mihi signum ne recedas
hinc donec reuertar
Qui respondit Ego praestolabor aduentum tuum
vs.
(25b) (= 17c) VL : et inspexit super illum nuntius domini et dixit ad
eum et dixit illi Gedeon et dixit illi Dominus et dixit Gedeon et
dixit
Dans le systme des anaphoriques, cest ille qui est systmatiquement
privilgi pour signaler les changements de locuteurs ; mais lintrieur
dun segment introducteur, pour dsigner lallocutaire qui un locuteur
sadresse, cest plus souvent ei/ad eum qui est slectionn. Il en dcoule
que, lorsquun allocutaire devient, son tour de parole, locuteur, de ei/ad
eum il se transforme en ille. En revanche, le relatif de liaison peut tre
la fois allocutaire au datif puis locuteur au nominatif.
Ce systme est toutefois insuffisant lui seul pour assurer une
identification discriminante des locuteurs dans le tour de parole, comme
en tmoigne la succession des ille renvoyant conscutivement deux
locuteurs diffrents en num. 10,29 :
(26) num. 10, 29-31 Vulg. : Dixitque Moses Hobab filio Rahuhel
proficiscimur ad locum quem Dominus daturus est nobis ueni nobiscum
Cui ille respondit
non uadam tecum sed reuertar in terram meam
Et ille noli inquit nos relinquere
Mose dit Hobab fils de Rahuhel : Nous partons . Il (ille1 =
Rahuhel) lui rpondit : Je ne partirai pas avec toi . Et il ((ille2 =
Mose) dit : Ne nous abandonne pas .
Face la monotonie du dire et la ritration lexicale de lidentit des
sous-locuteurs des VL, ce sont donc ces trois donnes conjointes
spcifiques de la traduction de Jrme qui assurent la dmarcation des
tours de parole : les verbes et les connecteurs prcisant les tapes du
dialogue et le jeu des anaphoriques.
1.3. Les dires en abime ou enchssements de discours directs
1.3.1. Les paroles enchsses ou relais de paroles
Un trait rcurrent des discours rapports dans le texte biblique, li
limportance accorde la parole transmise et relaye, est que ces
discours se prsentent souvent en abime, avec des niveaux
-
13
denchssement trs complexes, doubles, triples, voire quadruples.
Souvent le premier acte de parole est directif, un locuteur second
missionnant le suivant pour parler en son nom, ce qui fait que ce locuteur
second (L2) rapparat au troisime degr denchssement en tant que
L4 :
(27a) gen. 32, 4 : Jacob qui redoute un affrontement avec son frre
Esa envoie des missaires de paix sa rencontre pour ngocier:
Praecepitque eis dicens (L2 Jacob)
Sic loquimini (L3 les missaires) domino meo Esau
Haec dicit frater tuus Iacob (L4 = L2)
Apud Laban peregrinatus sum et fui usque in praesentem diem
Il leur donna des ordres en disant : Parlez ainsi mon seigneur Esa :
voici ce que dit ton serviteur Jacob : jai sjourn chez Laban et jy
suis rest jusqu aujourdhui .
(27 b) lev. 17, 1-2 : Locutus est Dominus (L2) ad Mosem dicens
loquere (L3) Aaron et filiis Israhel
et dices ad eos
iste est sermo quem mandauit Dominus (L4 = L2) dicens :
(27 c) 2 Sam. 7, 4 : Ecce sermo Domini (L2) ad Nathan dicens
Vade et loquere (L3 : Nathan) ad seruum meum David
haec dicit Dominus (L4 = L2)
numquid tu aedificabis mihi domum ad habitandum ?
Voici ce que dit le Seigneur Nathan : Va et dis mon serviteur
David : telles sont les paroles du Seigneur :Me construiras-tu une
demeure ?
1.3.2. Sous-locuteurs devenant co-nonciateurs ; ambiguts dans
lattribution du dire
1.3.2.1. Sous-nonciateurs devenant co-nonciateurs
Dans le cadre de cette parole circulante, le rsultat est que frquemment
les sous-locuteurs successifs en viennent accder dune certaine
manire au rang de co-nonciateurs, le discours enchss de niveau 3
pouvant souvent tre pris en charge nonciativement la fois par le L2-L4
et le L3. Une figure typique cet gard est celle de Mose : dpositaire et
relais de la parole divine, il participe de cette parole, en devient le co-
nonciateur, et dans bien des cas le rattachement nonciatif peut se faire
aussi bien Dieu qu Mose (cf. les remarques de Rabatel 2007 : 92).
(28) Dixit autem Dominus (L2) ad Mosen
Dicesque (L3) ad eum ( Pharaon)
Dominus Deus Hebraeorum misit me ad te dicens (L4 =L2)
-
14
Dimitte populum meum ( laisse partir mon peuple vaut pour L2-4
Dieu et pour L3 Mose) (ex. 7, 14-17)
(cf. ex.8, 1 ; 8, 20, 9,1 ; 9,13 etc.)
1.3.2.2. Ambigut possible sur le rattachement nonciatif, au niveau du
dcodage, en cas denchssements successifs
Sil ny a pas de co-rattachement possible, alors lambigut peut surgir,
dans lattribution du dire, quand plusieurs Ps se succdent aprs un
discours citant enchss de niveau 3 ou 4 : quel segment rattacher une
P cite qui ne suit pas immdiatement un D citant ? Il faut alors un travail
interprtatif du rcepteur pour valuer les rattachements nonciatifs :
(29) ex. 3, 15 :
dixitque iterum Deus (Deus L2) ad Mosen :
[D2] haec dices (Mose L3) filiis Israhel :
[D3 manant de Mose] Dominus Deus patrum uestrorum
Deus Abraham Deus Isaac et Deus Iacob misit me (me renvoie ici
Mose L3) ad uos ;
[Retour D2] hoc nomen mihi (mihi renvoie ici Dieu L2) est in
aeternum
Dieu dit encore Mose : Voici ce que tu diras aux enfants dIsral : le
Seigneur Dieu de vos pres, Dieu dAbraham, Isaac et Jacob, ma
envoy vers vous ceci est mon nom pour lternit.
1.3.2.3. Confusion dans le rattachement nonciatif de la part de
lencodeur en cas denchssements successifs
De ces enchssements successifs peut aussi natre un embrouillamini
nonciatif, L2 reprenant son compte des paroles qui auraient dues tre
rattaches L3 comme dans le passage suivant tir du livre de Josu :
(30) (L2) Rubenitis quoque ait :
Mementote sermonis quem praecepit uobis Moses dicens (Mose L3) : Dominus Deus uester dedit uobis requiem et omnem terram ;
uxores vestrae et filii manebunt in terra quam tradidit uobis Moses trans Iordanem ;
uos autem transite armati et pugnate pro eis (Ios. 1,12-15) Josu (L2) dit galement aux membres de la tribu de Ruben :
Souvenez-vous de lordre que vous a donn Mose (L3) en ces termes : le Seigneur votre Dieu vous a accord le repos et toute la
terre ; vos femmes et enfants resteront dans le pays que vous a donn Mose par-del le Jourdain tandis que vous le traverserez en
armes et combattrez pour eux
-
15
Deux propositions suivent le segment introducteur injonctif enchss
praecepit Moses dicens : la premire P, descriptive (Dieu vous a accord
le repos et la terre) est la justification nonciative de la seconde, qui seule
est injonctive et aurait d tre rattache au propos de Mose (praecepit).
Or, cest Josu qui semble reprendre linjonction son compte : Vos
femmes et enfants resteront dans le pays que Mose vous a donns .
1.3.3. Dire de niveau infrieur annonc par un cataphorique : haec dicit
(L3/L4) + DD
Trs souvent un discours plusieurs fois enchss est annonc par un
cataphorique, pronom ou dterminant nominal, de la srie hic ou plus
rarement iste, ce qui ne clarifie pas le rattachement nonciatif mais
annonce doublement le nouveau D cit :
(27a)Praecepitque eis dicens (L2 Jacob)
Sic loquimini (L3 les missaires) domino meo Esau
Haec dicit frater tuus Iacob (L4 = L2)
Apud Laban peregrinatus sum et fui usque in praesentem diem
(27b) lev. 17, 1-2 : Locutus est Dominus (L2) ad Mosem dicens
loquere (L3) Aaron et filiis Israhel
et dices ad eos
iste est sermo quem mandauit Dominus (L4 = L2) dicens
(27 c) 2 Sam. 7, 4 : ecce sermo Domini (L2) ad Nathan dicens
Vade et loquere (L3 : Nathan) ad seruum meum David
haec dicit Dominus (L4 = L2)
numquid tu aedificabis mihi domum ad habitandum ?
1.3.4. La parole dlgue sans ltre : misit nuntios
Une expression rcurrente de la parole dlgue, enfin, ne lest pas
malgr les apparences : cest lexpression misit nuntios o L2 reste en fait
en position de sur-nonciateur, court-circuitant les messagers L3 comme
le prouve laccord du participe dicens au singulier la place de nuntios
dicentes/qui dicerent : la parole nest pas relaye mais nonce au nom
de L1.
(28a) misitque nuntios ad regem Edom dicens :dimitte ut transeam
per terram tuam (Iud. 11, 17)
(28b) misit ergo Saul nuntios ad Isai dicens : mitte ad me David (1
reg. 16, 19)
-
16
2. LES SEGMENTS INTRODUCTEURS SURMARQUS : AUX SOURCES DU
BIBLISME DIXIT DICENS
2.1. Sur les formes de surmarquage dun dire introducteur en latin
2.1.1. On observe tout au long de la Latinit, de faon sporadique mais
continue, des phnomnes de redondance expressive ou intensive dans le
dire introducteur, soit par relais hyponyme-hyperonyme, soit par
ritration synonymique de deux hyperonymes. Le deuxime verbe est
dans tous les cas inquit en incise.
2.1.1.1. Relais hyponyme-hyperonyme :
(29a) Vbi ab[i]it, conclamo: heus, quid agis tu, inquam, in tegulis?
(Plaut. Mil. 178)
(29b) Ibi ante signa Sex. Tullius, de quo ante dictum est, exclamat:
Aspice, imperator, inquit, quem ad modum exercitus tuus tibi
promissa praestet (Liv. 7, 16, 5)
(29c) Et uicinus ita respondit : Vt ager, inquit, mundus purusque
fiat(Gell. 19, 12, 8)
(29d) longe maiore nisu clamauit: taces, inquit, gladiator obscene
(Petr. 9, 7-8)
2.1.1.2. Ritration dun hyperonyme :
(30a)cum de iure diceret, dixit : Sub arbitrio, inquit, patris es (Sen.
contr. 2, 1, 19)
(30b) Silo Pompeivs dixit: Filia, inquit, mihi conscia est (Sen. contr. 9,
6, 17)
La duplication du dire est le plus souvent un signe de la langue familire ;
elle na pas forcment pour vocation dinsister sur la r-identification du
locuteur dans un dialogue ; le surmarquage insiste plutt sur le dire lui-
mme (do un emploi dans la langue du droit).
2.1.2. Ces phnomnes de redondances sont toujours observables en latin
tardif o ils prolongent formellement le schma latin prcdent avec inquit
en incise reprenant un verbe de dire antrieur :
(31a) Et stupentibus omnibus ait : Quando, inquit, producimur ad
uaccam illam nescio quam? (Pass. Perp. 20, 8 ; Amat SC 417,1996)
(31b) Cumque haec mihi recitare iussisset, ait: Sic, inquid, uolo
(Greg. Tur. Franc. 5, 44)
-
17
(31c) ait Lupicinus germano suo: Dic, inquid, mihi ? (Greg. Tur. vit.
patr. 1, 6)12.
2.2. Formes de surmarquage spcifiques en latin biblique : le
surmarquage par dicens
Diffrent et spcifique est le surmarquage du dire introducteur en latin
biblique ; spcifique par lampleur du phnomne et surtout par la
particularit de la construction : la ritration du dire ny repose pas sur
inquit en incise comme dans tous les exemples prcdents, mais sur le
participe dicens reprenant, la fin du segment introducteur, un verbe de
dire conjugu prcdent, soit hyponyme de dire contenu spcifique
(imperauit,interrogauit, clamauitdicens) soit hyperonyme redoubl
(ait..dicens, dixitdicens).
Les constructions les plus nombreuses sont celles dans lesquelles dicens
fait cho et suite un hyponyme conjugu de dire , verbe dnotant un
acte de langage (mandare, praecipere, imperare, interrogare, sciscitari,
consulere, iurare, spondere), verbe indiquant une tape du dialogue ou
focalisant une information (respondere, addere, nuntiare), ou verbe
prcisant la forme ou le vecteur de lacte locutoire (murmurare, clamare,
scribere).
(32a) mandauit Mosi dicens : Ego cognatus tuus Iethro venio ad te
(ex. 18, 6)
(32b) et respondit Samuhel Sauli dicens (1 reg. (1 Sam.) 9, 19)
(32c) nuntiauerunt Iudae dicentes (gen.38, 24)
(32d) et addidit dicens (gen. 24, 24-25)
Une variante possible est une proposition et dixit coordonne :
(33) Praecepit ergo Moses Eleazaro sacerdoti et Iosue filio Nun et
dixit ad eos (num. 32, 28)
Le relais dixit-dicens, ait dicens avec redondance totale dhyperonyme
hyperonyme, est un peu moins frquent, mais bien attest, et en
particulier dans le NT :
(34a) et non dicat filius aduenae qui adheret Domino dicens :
separatione diuidet me Dominus a populo suo (Is. 56, 3)
12 Cf. BONNET (1890: 71), LFSTEDT (1911: 229-230), HOFMANN-SZANTYR (1965: 418) ou
dans ce mme numro M.GAYNO 2015.
-
18
(34b) Ait autem Samuhel ad uniuersam domum Israhel dicens (1
reg.(1Sam.) 7, 3)
(34c) Et ait David ad uiros qui stabant secum dicens (1 reg.(1Sam.)
17, 26)
(34d) Et respondens Iesus dixit iterum in parabolis eis dicens : Simile
factum est regnum caelorum (Matth. 22,1)
(34e) Et aiunt dicentes ad illum : Dic nobis (Luc.20, 2)
Toutes ces constructions avec ritration du dire introducteur par le
participe dicens taient largement reprsentes dj dans les Vieilles
Latines. Elles taient en revanche apparemment inconnues avant les
textes chrtiens o elles apparaissent surtout sous forme de citations ou
rminiscences bibliques (exs 35 a et b) et -bien plus rarement- comme
tournures autonomes (36), ce qui constitue videmment un indice fort en
faveur de leur origine biblique13.
(35 a) Respondit ei Petrus dicens : Domine, ad quem ibimus? (Cypr.
epist. 66, 8, 2 citant Ioh. 6, 67-69)
(35 b) Tum fiet illud quod hic per Nathan locutus est Deus dicens
(Aug. Ciu. Dei 17, 12 citant 2 reg. (2 Sam.)7, 10-11)
(36) requisiui ab eo dicens : "rogo te, domine" (Eger. 20, 9)
Syntaxiquement, cest quelquefois dicens seul que le DD peut tre
rattach ; cest le cas avec les tournures du type negauit ...dicens (+ DD
de forme et de contenu ngatifs) : le DD ne peut tre rattach qu dicens
puisque nego nintroduit pas de DD.
(37a) Negauit Sarra dicens : "Non risi " (gen. 18, 15)
(37b) Ille negauit dicens : "Neque scio neque nolui " (Marc. 14, 68)
Dicens nest pas fig : il reste loccasion soumis aux variations de
nombre14, et mme de cas :
(38a) Nuntiauerunt autem Saul dicentes (1 reg.(1 Sam. 14, 33)
(38b) Nuntiatum est autem Sauli a dicentibus : "Ecce David" ((1 reg.(1
Sam.) 19, 19)
13 Sur la propagation de cette construction dans la littrature chrtienne, et par-del,
dans la plupart des textes dpoque tardive, cf. M.FRUYT (2015 :2) et M.GAYNO 2015, dans
ce mme numro, 2,2.
14 Les cas o dicens singulier est rapporter un sujet pluriel ne reposent pas sur un
figement de dicens mais sur des phnomnes daccord par syllepse ou avec le plus
rapproch (cf. ier. 44, 15).
-
19
2.3. Origine du surmarquage par dicens : une construction latine
calque du grec transposant un idiomatisme de lhbreu
Dans cette construction, le participe dicens porteur dun Dire redondant
est un calque systmatique du grec biblique (Septante et NT), ce
participe dans la LXX tant lui-mme la transposition dune
construction idiomatique de lhbreu source.
2.3.1. La construction source de lhbreu : linfinitif plonastique il dit
pour dire
En hbreu biblique, systmatiquement contigu au DD, et trs souvent en
association plonastique avec un Dire conjugu prcdent, on trouve
employ linfinitif de but lmor du verbe dire , ( wayyomr
lmor, littralement il dit pour dire )15. Il est vraisemblable quil
faille voir l initialement un phnomne nonciatif de sur-marquage ; quoi
quil en soit, cette forme dinfinitif parait stre progressivement lexicalise
et grammaticalise, en hbreu biblique, pour devenir une sorte de
particule dmarcative du DD, un signal avertisseur de citation16.
2.3.2. La transposition adaptation de lhbreu vers le grec : de linfinitif au
participe
Cest cette forme dinfinitif pour dire qui a t traduite par les LXX en
grec sous la forme du participe 17. Ce faisant, sil est vrai que la
forme infinitive de lhbreu biblique stait fige en particule dmarcative,
les traducteurs grecs ont consciemment ou non opr une
dgrammaticalisation en la transposant en participe syntaxiquement
intgr dans la P.
2.3.3. Le participe porteur dun dire redondant : sources internes
au grec et expansion biblique
Le grec classique faisait grand usage dun participe conjoint valeur
circonstancielle vague (exs 38). Cet emploi tait quoi quil en soit trs
15 cf. MEIER 1992. Voir par ex. gen. 9,8 ; 21, 22 ; 27,6 ; num. 7,4 ; 14,7 ; 14,15 ;
15,37 ; deut.9, 13 etc.
16 Voir MEIER (1992 : 90-91)
17 Transposition quasi-systmatique : plus de 90 % des cas selon PORTER (1989 : 138).
Dans 8 % des cas, linfinitif fig lmor pour dire de lhbreu nest pas traduit du tout
en grec.
-
20
diffrent du il dit en disant biblique puisque ce participe
conjoint ntait ni postpos ni smantiquement redondant :
(39a) : , , . (Plat. Symp.
202 B)
Et elle dit en riant 18
(39b) (Xen. Cyr. 3, 2, 25)
Certains des Chaldens vivent de pillage 19
Le modle il dit en disant se rencontre cependant, exceptionnellement,
dj en grec classique : on relve ainsi une ou deux constructions de ce
type chez Hrodote20.
(40) , , , , (Herod. 3,
156,3)
Voil, dit-il en substance, je viens vers vous, Babyloniens
Cest ce modle, trs rarement document en grec, qui a servi la
transposition de la forme nominale redondante de Dire de lhbreu
biblique et qui est devenu une marque de style biblique au point mme
dtre export largement en grec notestamentaire, les grammaires du NT
notant toutes quil sagit dun tour issu de la transposition vtro-
testamentaire grecque de linfinitif hbreu lmor 21:
(41a)
(Matth. 22,1)
(41b)
... (Luc.20, 2)
(41c) (Luc.
7, 39)
2.3.4. Curieusement, les lecteurs chrtiens lettrs de langue latine
voyaient dans cette construction redondante dixit dicens un hbrasme
18 cit par GOODWIN (1998 (18751) : 334).
19cit par GOODWIN (1998(18751) :333) ; RIJKSBARON (2006(19841) : 125) ;
ADRADOS (1990: 633).
20 Cf. BLASS-DEBRUNNER-REHKOPF (1976 : 349, 420 note 2), PORTER (1989 :139). Peu
dexemples recevables.
21 H.VON SIEBENTHAL (2011 : 413) ; BLASS-DEBRUNNER-REHKOPF (1976 : 349-350 420) ;
PORTER 1989 : 138-139).
-
21
alors quil sagissait du calque latin dune adaptation grecque de
lhbrasme.
En tmoigne la remarque suivante dAugustin :
(42) "Et accedentes filii Ruben et filii Gad dixerunt ad Moysen et Eleazar
sacerdotem et ad principes synagogae dicentes" 22: Non est ista uel
graeca uel latina locutio: "dixerunt dicentes", sed hebraea uidetur
(Aug. loc. hept. 4, 110, CC 33 (1958), p. 443).
2.4. Pourquoi Jrme a-t-il choisi de garder le calque du grec alors
quil traduit en gnral au plus prs du texte hbreu originel ?
(43) Sicut autem in nouo testamento si quando apud Latinos quaestio
exoritur et est inter exemplaria uarietas, recurrimus ad fontem Graeci
sermonis,...ita et in ueteri testamento, si quando inter Graecos
Latinosque diuersitas est, ad Hebraicam confugimus ueritatem (Hier.
ep. 106,2)
Les calques syntaxiques sur lhbreu sont de fait frquemment
observables dans le latin biblique de la Vulgate ; voici quelques exemples
de ces calques parmi bien dautres :
-la post-position de ladverbe dintensit
(43) pulchra nimis (gen. 12, 14) la place de nimis pulchra
/pulcherrima (cf. Garcia de la Fuente 1992)
- les noncs gnriques du type homo si, omnis qui au singulier, la
place de si quis, quicumque (cf. Bortolussi-Sznajder 2014a)
(44a) homo si uouerit domum suam (lev. 27, 14)
(44b) omnis qui tetigerit montem (ex. 19, 12)
- les accusatifs proleptiques associs aux compltives en quod (cf.
Sznajder 2012)
(45)Viderunt Aegypti mulierem quod esset pulchra nimis (gen. 12, 14)
Mais les calques ne sont possibles qu la condition que la superposition
avec un schma latin plus ou moins comparable, qui plus est dans un
niveau de langue compatible, soit possible23. Si le correspondant littral
22 Il sagit de num. 32, 2. Augustin cite bien entendu un texte vieux latin. Autres versions
VL : Et accesserunt fili Ruben et filii Gad et dixerunt ad Moysen et Eleazar sacerdotem et
ad principem synagogae dicentes (Cod. Lugd.) (ad principes : Cod. Monac.).
23 Cf. SZNAJDER 2013 ; BORTOLUSSI-SZNAJDER 2014a.
-
22
latin ad dicendum de linfinitif final de lhbreu a t cart au profit dun
participe appos calqu du grec, cest quaucun schma de redondance
interne au latin, mme rare, apparent *dixit ad dicendum, ne pouvait
servir de point de dpart au calque.
2.5. Pourquoi Jrme a-t-il maintenu, avec ce participe dicens
calqu du grec en fin de segment introducteur, la ritration du
Dire ?
De fait dans quelques cas Jrme a tout de mme supprim le participe
redondant dicens conserv, via la traduction grecque, par les VL.
(46) 3 reg. 18, 22
(46a) VL (ap. Lucif. Athan.1, 17, CC 8 (1978) p. 30): et dixit Helias ad
populum dicens : "ego superaui solus prophetarum domini unus"
(46b) Vulgate : et ait rursum Helias ad populum :
(47) lev. 10,3
(47 a) VL (ap. Aug. quaest. hept. 3, 31, CC 33 (1958) p. 197) : hoc est
quod dixit Dominus dicens : "In eis qui mihi adpropinquant
sanctificabor "
(47b) Vulgate : hoc est quod locutus est Dominus :
Cette suppression du Dire redondant prsent dans les VL donnerait
penser que le sur-marquage en dicens tait senti par Jrme comme un
trait de la langue familire au mme titre que les formes latines
prcdentes de duplication dun Dire introducteur (cf. supra 2.1.) : les
divergences de traitement syntaxique entre les deux traductions bibliques
peuvent frquemment sinterprter en termes de niveaux de langue,
Jrme tendant carter les constructions au confluent dun calque (ici du
grec et non de lhbreu) et dun registre de langue trop proche du latin
parl24.
Cependant, Jrme a ici dans la grande majorit des cas conserv la
construction duplique [V de dire conjugu +dicens]. La forme redondante
dicens devait tre sentie comme instrument de dmarcation du DD : un
indice de cette fonction dmarcative est la constante contigut de dicens
au DD quil introduit. Quant sa fonction nonciative, on peut faire
24 Voir par ex. la normalisation syntaxique des constructions disloques gauches du
texte source hbreu, conserves dans les VL via le texte grec, limines et ramenes
de simples topicalisations par Jrme (BORTOLUSSI-SZNAJDER 2014b).
-
23
lhypothse quil vhicule une insistance non pas sur le disant, sur le
locuteur, mais sur le dire et le dit qui en dcoule ; rendre compte de
cette redondance, on pourrait par ex. traduire par en ces termes25 .
2.6. Extension au-del du domaine biblique et postrit du
surmarquage par dicens
Le surmarquage biblique par dicens est devenu un trait de style des
auteurs chrtiens (Cf. M.Fruyt 2015)
(48)Rogemus de intimo corde et de tota mente misericordiam dei, quia
et ipse addidit dicens: misericordiam autem meam non dispergam ab
eis (Cypr. ep. 11,2,2)
Et in Zacharia locutus est Dominus dicens: Percutiam omnem equum
(Ambr. Nab. 15, 65)
Lemploi de ce dicens redondant comme outil dannonce du DD se
gnralise ensuite en latin tardif comme le montre dans ce mme numro
M.Gayno26 :
(49) uox illa qui (= quae) per Moyse populo locuta est,
dicens(Greg. Tur. Hist. 2, 10, 59, 3)
On peut noter quen Ancien et Moyen Franais galement, dans les
Chroniques notamment o la mise en scne des personnages se fait
prcisment travers les changes dialogus27, on relve les deux formes
de duplication du dire introducteur signales en latin28, la duplication par
incise reprable tout au long de la Latinit (ex. 50), et la duplication par le
participe de Dire en fin de segment introducteur (ex. 51) apparue en latin
biblique. Il ny a dailleurs pas forcment continuit depuis le latin tardif,
mais ceci est une autre question. La ritration du Dire introducteur
comme dmarcateur fort du discours cit est utile dans une littrature
vocation orale et dans des crits dnus de marqueurs typographiques
spcifiques.
25 Suggestion de M. POIRIER.
26 Cest Maryse GAYNO quest emprunt lex. 49 ci-dessus.
27 Sur les textes mdivaux dans lesquels la prise de parole est un lment narratif en
soi et o lagir dpend et dcoule dun dire, cf. ROSIER (2000 : 31).
28 Voir galement ce sujet GAYNO 2015.
-
24
(50) Puis luy dist ausques haultement : Veills moy oui, sire pre
saint, fet il, et je vous dirai une des merveilles du monde (Le roman
de Guillaume, d. Carl Weber Halle 1912, l. 372-374, cit par Marnette
2006 : 37-38)
(51)Adoncques la pouvrette se jecta genoux et sescrya haulte voix
disant :(Les 100 nouvelles nouvelles, nouvelle 60)29
CONCLUSION
Comme le remarque Laurence Rosier (2000 : 31) propos des ouvertures
de DD en ancien et moyen franais, dans un nonc sans marques
typographiques, le segment introducteur du DD rpond un double
besoin : besoin didentification et besoin de structuration. quoi
rpondent des solutions diverses partiellement lies au niveau de langue
du texte.
La langue de la Vulgate est complexe certes, en ce quelle reflte pour une
part linfluence des langues sources et prsente donc une certaine
artificialit, et en ce que dautre part elle incarne la fois un tat de
langue contemporain et vraisemblablement un certain conservatisme.
Cependant, travers ltude contrastive qui loppose aux langues sources
et la traduction plus orale et de registre plus familier des Vieilles Latines,
on peut dgager et illustrer un certain nombre de caractristiques du
bornage gauche du DD et notamment les procds dont dispose le
narrateur pour dlimiter et dsambigiser les prises de parole, pour
insister sur la rpartition des responsabilits nonciatives, ou au contraire
pour les superposer. Entrent notamment en jeu, dans un registre de
langue crit, diaphoriques pronominaux spcifiques et verbes
introducteurs et connecteurs spcifiant les tours de parole : tous ces
passeurs du dire sont des ajouts de Jrme. Les Vieilles Latines,
strictement fidles aux textes sources et plus marques par loralit,
faisaient appel au seul hyperonyme DIRE et la rptition lexicale pour
identifier les locuteurs.
Un point commun entre les deux traductions bibliques est en revanche le
frquent sur-marquage du dire par le participe dicens prcdant
immdiatement le discours cit, sur-marquage n prcisment de la
traduction biblique, issu dun calque du participe grec transposant
un infinitif grammaticalis de lhbreu source. On peut observer
29 On relve galement des variantes relatives :
Cil li respont qui se li dist (Le Bel Inconnu v. 1629)
(= Il lui rpondit en ces termes / en lui disant ceci )
-
25
prcdemment, dans lhistoire du latin, des duplications de Dire
introducteur par insertion dune incise redondante, mais ce phnomne
dmarcatif, caractristique de la langue familire dans son expressivit ou
de la langue juridique dans son souci formaliste de prcision, tait rest
trs sporadique dans ses manifestations. Le sur-marquage biblique
conserv par Jrme et trs largement rpandu ensuite en latin tardif, est
indit dans sa forme et remarquable par son extension ; sa principale
fonction est dmarcative : dans une langue dans laquelle aucun marqueur
typographique ne peut remplir ce rle, cest un pointage supplmentaire
des frontires entre propos citant et propos cit. Une tude symtrique
indispensable sera donc mener galement, dans ce cadre, sur les
marques du bornage droit du discours cit notamment dans le cadre du
retour du discours la narration.
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