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  • CONTEXTES

    Je cherche donc la morale d'aujourd'hui. J'essaye d'luci-der le choix qu'un homme peut faire de soi-mme et du mondeen 1948. Dans les annes qui se sont coules entre la publi-cation de L'tre et le Nant (1943), o cette recherche taitannonce, et celle de la Critique de la Raison dialectique(1960), Sartre a effectu sur le sujet un travail philosophiqueintense, rest inapparent de son vivant. Quelle relationy avait-il entre ses deux uvres majeures, fallait-ilcomprendre que la seconde impliquait un renoncement,provisoire ou non, au programme annonc dans la conclu-sion de la premire ou voir la Critique comme un dtourncessaire pour mieux se rapprocher de son but le plusancien: fonder une morale?

    En 1983, trois ans aprs la mort de Jean-Paul Sartre, nousavons publi ses Cahiers pour une morale, ensemble de notescrites en 1947 et 1948, qui donnent la possibilit de suivreun moment la marche de sa pense aprs L'tre et le Nant;il y traite en particulier la question du rgne de la valeur enmorale, telle qu'elle se posait lui la fin de cet ouvrage,compte tenu de la conception de la libert qu'il y formulaitEst-il possible que [la libert] se prenne elle-mme pour valeurou doit-elle ncessairement se dfinir par rapport une valeur

    1

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  • qui la hante? crit la suite des Cahiers, en 1948, Vrit etexistence permet aux lecteurs de continuer mettre leurs pasdans ses pas. C'est, parmi les crits posthumes de sa matu-rit, le seul, notre connaissance, qui se prsente comme untexte complet. Il s'agit d'un premier jet et, sur certainespages de gauche du cahier, qui lui servaient de marge, il aconsign des ides dvelopper ultrieurement ou devants'intgrer, lors d'une deuxime rdaction, ce qui tait djcrit. Nous avons reproduit cette particularit du manuscritafin que le lecteur puisse juger de l'tat de son travail. (Surla dernire page de son essai, aprs avoir tir un trait, Sartrea tabli un nouveau plan pour sa morale, qu'on trouvera enappendice.)

    Sartre, occup construire une morale, devait rencontrerle problme de la Vrit sous un jour particulier. Il avait djtourn autour de la question dans les Cahiers, examinant enparticulier la position hglienne de la vrit devenue. Quel-ques mois plus tard il recevait De l'essence de la Vrit, tra-duction d'une confrence de M. Heidegger, rcemmentparue. Il est possible que la lecture de l'opuscule, auquel ilfait de nombreuses allusions, l'ait incit entreprendre cepetit essai qu'il a peut-tre eu l'intention, un moment, depublier. A vrai dire Sartre regarde ici la pense du philo-sophe allemand d'assez loin parce que leurs buts diffrentce dernier a en vue la vrit de l'tre, alors que pourl'auteur de L'tre et le Nant il s'agit d'valuer le rle del'ide de vrit dans l'intersubjectivit des existants commel'indique le titre, qui est sien. On notera cependant une cri-tique de la notion heideggerienne de mystre et l'oppositionqu'elle indique entre deux atmosphres morales.

    Au lecteur qui aborderait la philosophie de Sartre parVrit et existence, il est peut-tre utile de rappeler succincte-ment quelques points importants de L'tre et le Nant

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  • auquel se rattache cet crit, considrer comme une uvrede passage. Sartre distingue deux rgions de l'tre, l'tre-en-soi qui est l'tre de tout phnomne et l'tre de laconscience, qui est pour-soi. De l'tre-en-soi on ne peut riendire, sinon qu'il est; l'tre de la conscience, en revanche,n'est pas sparable de ce dont elle est conscience, n'est doncrien en soi. La ralit-humaine, en tant que la conscience luiest spcifique, cre son essence par ses actes; cette essenceest donc toujours venir. Or une des caractristiques detoute activit humaine, c'est d'tre dvoilante et vrifiante.Toute pense, toute action pratique, toute conduite im-pliquent un rapport avec la Vrit. Mais o est la garantie dela Vrit si, comme c'est le cas pour l'existentialisme sar-trien, on ne fait pas intervenir une rvlation divine, le dondivin d'une notion de la vrit selon les besoins et les possi-bilits de la nature humaine?

    L'homme a pourtant une vocation totalisante vis--vis dela Vrit. Mais est-il capable de soutenir cette vocation, outoute vrit reste-t-elle fragmentaire et relative? Mais rela-tive quoi ? A une poque ? Le sens de ces simples mots Notre poque , est d'ailleurs brouill d'ignorances, probl-matique. Il faut pourtant en dcider. Si tout rapport del'homme avec un au-del de lui-mme devait tre exclu, ilserait vain d'envisager une vrit morale de l'humain et,pense Sartre car le problme se pose minemment pourl'crivain il pourrait bien tre vain d'crire: lorsquej'nonce publiquement ce que je pense tre une vrit, pourqui est-elle vrit, pour combien de temps? Ma vrit est la fois dvoilement et don l'autre. Elle claire celui qui lareoit, mais selon sa subjectivit propre, les circonstanceshistoriques, etc., toutes choses dont je ne suis pas matre; elleaura des consquences que je ne contrlerai pas. L'claire-ment de l'tre est-il un bien absolu ou dois-je m'inquiter de

    m

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  • la porte et des effets de mon vidence, me tenir pour res-ponsable de ce que j'ignore ? Pour aller vers nous-mme, ilnous faut un sol. Relatif et absolu, fini et infini, un et multi-ple, particulier et universel, Sartre revient donc ici sur desoppositions en apparence irrductibles. On entrevoit grce ce texte pourquoi son projet de fonder une morale a dbou-ch sur la Critique de la Raison dialectique, interrogationradicale sur les structures et le sens de l'Histoire et sur l'outilmme qui la pense.

    1948. La guerre froide. C'est, rappelons-le, sous soninquitante lumire que Sartre crivait Vrit et existence.L'extinction de l'humanit par une troisime guerre mon-diale, LA guerre atomique, tait une hypothse l'ordre dujour. Le dbat philosophique sur le destin de l'aventurehumaine, fin forcment catastrophique ou progrs infini, unvnement dfinitif et absurde qu'il s'efforait, par ail-leurs, de conjurer par ses crits et par ses actes pouvait letrancher tout moment.

    Je cherche donc la morale d'aujourd'hui. Cette qute donton trouve trace jusque dans ses dernires confrences auraitparu bien prime il y a quelques annes encore; de nosjours, alors que la possibilit que le monde devienne tel quetoute libert y soit impossible dsormais effleure de nouveauplus d'une conscience mais pour d'autres raisons et quesurgissent des comits d'thique, Sartre se raffirme par ellenotre contemporain.

    Arlette Elkam-Sartre

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  • La numrotation des pages droites du cahier manuscrit, utilises parl'auteur en continu, est indique entre crochets; les numros des pagesgauches correspondantes qui portaient des rflexions marginales sont enoutre affects du signe

    AVERTISSEMENT

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  • 1) S'il y a un mode d'tre commun qui est l'inauthen-ticit, alors toute l'Histoire est inauthentique et l'actiondans l'Histoire entrane l'inauthenticit; l'authenticitretourne l'individualisme. Rciproquement, si la naturede l'homme est au bout de l'Histoire, l'inauthenticit doittre voulue pour elle-mme comme la condition mmede la lutte historique. Toute doctrine de la conversionrisque fort d'tre un a-historisme'. Toute doctrine

    1. La thse sartrienne de la conversion est dveloppe dans Cahiers pourune morale (1947-48); voir, notamment, les pages 488 531. Pour l'auteur, direque l'inauthenticit est un mode d'tre commun, c'est dire que le projet origi-nel humain est de chercher perptuellement, pour chapper la contingence, ne faire qu'un avec soncaractre, sa situation sociale, ses biens, etc. Larflexion complice est le moyen par lequel le pour-soi tente ainsi de se faire en-soi-pour-soi ses tentatives restent vaines: je ne puis me convaincre durable-ment que je suis tel et tel. En revanche le regard d'autrui unifie, que je leveuille ou non, l'ensemble de mes conduites et tend me considrer commeun tre l est l'origine de l'alination, soit que je fasse tout pour m'identifier cet tre que le regard d'autrui me renvoie, soit que je cherche lui chapper.La rflexion pure est prise de conscience de cet chec fondamental de larflexion complice; c'est le premier pas vers ce que Sartre nomme conversion,ou projet de se mettre en question comme existant, au lieu de chercher sefiger en tre, acceptation du fait que le mode d'tre de l'existant est diaspo-rique .

    n peut tre intressant de mettre en parallle, quant leur tonalit, l'ided'authenticit chez Sartre, expose dans L'2tre et le Nant et dans les pages desCahim cites ci-dessus, avec la conception de Heidegger. Pour ce qui est de

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  • de l'historicit risque fort d'tre un amoralisme'.2) tre ou s'historialiser ? Si c'est tre, l'Histoire est ines-

    sentielle. Mais l'Histoire elle-mme, si elle a un sens, se faitpour que l'homme soit (progrs, dialectique, etc.). L'aventu-rier de l'Histoire est celui qui s'historialise pour l'Histoire(pour que le processus historique soit par lui, pour tre agenthistorique). Alors le but est indiffrent 1. Autre aspect del'inessentialit du but le destin. Spengler. L'homme s'histo-rialise dans la perspective de l'acceptation d'un destin; il s'his-torialise soit en acceptant que le processus historique soit cequ'il doit tre et en y cooprant soit en acceptant que sa posi-tion historique soit vaine (position tragique). De toute faonle but tombe l'extrieur de la volont humaine. La volupthistorique est pose pour elle-mme. Jouir du destin. D'unautre ct, si le but est l'essentiel, l'Histoire n'est qu'unmoyen; elle est l'inessentiel-essentiel. Par exemple, elle serapour Marx la prhistoire. Il faut alors se refuser toute complai-sance historique tout en sachant qu'on ne peut jouir de l'Etre.Quant cet tre lui-mme, il est conu dans l'inauthentique(le bonheur ou la socit harmonieuse), car il est pos d'abordpar les besoins (faim, rvolte contre l'esclavage, etc.).

    a) L'homme doit chercher l'tre mais par l'historialisa-tion. Son lot est l'historialisation vers l'tre. L'tre est l'ide.

    l'inauthenticit originelle, le premier souligne le dsir du pour-soi de se figer en en-soi, le second l'agitation de la ralit-humaine en tant que on, son errance d'tanten tant. Sur l'authenticit de l'action en histoire Sartre met l'accent sur la trans-formation de la gratuit en libert absolue , la finitude comme ncessit pour cettelibert, la cration; Heidegger sur l'hritage des possibilits passes (rptition,choix des hros) et leur r-assomption en possibilits futures, avec la mort commepossibilit propre, l'horizon de toute action. (2v*.

  • Le vcu, le domaine de la moralit, c'est l'Histoire pourl'tre.

    P) L'authenticit doit tre cherche dans l'historialisa-tion'. La fin de l'Histoire est le mythe qui pntre perp-tuellement l'Histoire et lui donne un sens. Mais l'Histoirerecule perptuellement cette fin Z.

    Considrer que l'inconnaissable, l'invrifiable, tombe endehors de l'homme c'est le positivisme. L'homme est untre sans rapport avec ce qu'il ne peut connatre. On dfinitl'homme par ce qu'il peut connatre. L'antithse dfinirl'homme par le mystre position mystique 3. La nuit toutesles vaches sont grises. 1) Refuser la notion de mystre.2) Refuser que l'homme se dfinisse uniquement par desconnaissances et des ignorances qui ne sont qu'absence deconnaissances possibles. Certes la question vient parl'homme l'univers. Mais ds que le monde est clair par lacatgorie gnrale du questionnement, c'est partir de luique se forment les questions. Dans un univers en question,

    1. Une distinction sera faite dans les dernires pages entre historisation et histo-rialisation. (N.dE)

    2. La conversion morale, comme passage de la rflexion complice la rflexionpure, est par dfinition individuelle, bien qu'elle modifie le rapport autrui. Orpour qu'existe une morale, il faut que la collectivit humaine la reconnaissecomme sienne. Ici, donc, l'auteur semble s'loigner de l'ide qu'une morale puissetre fonde uniquement sur la conversion puisque le projet originel est fascinationsur l'tre (tre en-soi-pour-soi de l'inauthenticit), il faut tenir compte de cetamour de l'tre. Une possibilit se dessine non pas convaincre les hommes derenoncer tre, mais poser l'tre comme fin dsirable et toujours recule de l'His-toire, pour soi-mme et pour l'ensemble des hommes. (N.d.E)

    3. Cette allusion au mystre confirme que Sartre avait bien commenc lire Del'essence de la Vrit l'poque o il crivait ces pages (difficile de dire s'il avait euconnaissance auparavant de cette confrence, publie en franais en 1948, maisprononce en 1930). Heidegger y soutient, en effet, que le Dasein (ou ralit-humaine), source formelle du dvoilement de l'tre, dvoile les tants comme telset, dans le mme mouvement, dissimule que l'tant en totalit fait question etoublie cette dissimulation. Cet oubli n'empche pas une certaine prsence de ceque l'auteur nomme k mystre. Pour le philosophe allemand, le Dasein se dfinitcomme cartel entre l'errance (oubli de soi et de l'tre dans la dcouverte et lamanipulation des tants particuliers) et le mystre oubli. (N.cLE.)

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  • c'est une question objective que de savoir si les plantes sonthabites. L'homme est l'tre par qui des questions viennentau monde; mais l'homme est l'tre qui des questions qui leconcernent et qu'il ne peut pas rsoudre viennent au monde.L'homme se dfinit donc par rapport une ignorance ori-ginelle. Il a un rapport profond cette ignorance. C'est enfonction d'elle qu'il dfinit ce qu'il est et ce qu'il cherche.

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