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  • 1Hors srie N1 de la Revue de Nou

    velle Acrop

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    Sep

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    Le monde changesi les tres humains changent

    tre ph i losophe au jourdhu iHORSSRIEN1

    CIVILISATIONSLhumanisme,le souffledu renouveauen Alsace

    SOCITPeut-on sinspirerdes valeurs anciennes ?

    QUESTIONPHILOPeut-on apprivoiserla solitude ?

    SOCIT

  • 2rendre le monde plus humain

    Philosophie Culture Volontariat

    54 ans d'exprience dans 50 pays dans le monde

    www.nouvelle-acropole.fr

  • Le retour la morale pratiqueDepuis janvier 2011, notre revue est devenue mensuelle et est dite sous format lectronique.Notre lectorat sest vu augmenter de plusieurs milliers de personnes mais une trace papier, aumoins une fois par an, me semblait indispensable pour consolider nos liens.

    Ce numro exceptionnel de rentre synthtise nos orientations philosophiques et nos ambitions.Nous constatons que le besoin de philosophie en action, travers un savoir-vivre pratique est unedemande croissante dans notre socit et en mme temps une option indispensable si celle-civeut oser faire face aux dfis de notre poque.

    Nous apprenons avec joie que le ministre de lducation nationale a dcid quil tait tempsdoprer le grand retour de la morale lcole. Sentences et maximes dautrefois reviennent surle devant de la scne ; bien entendu, il ne sagit pas de les apprendre par cur mais de les vivre.L se situe lenjeu. Nous pensons que les enseignants et les parents doivent conjuguer leursefforts pour aider lenfant acqurir les principes de la citoyennet et de la vie collective. Latransmission des rfrences communes qui permet de penser, vivre et agir ensemble est urgenteet doit se faire au niveau national.

    La finalit de lthique consiste savoir comment chaque personne peut devenir meilleure,quelles sont les actions qui sont bonnes pour elle et qui peuvent lui faire du bien. Lthique engage pratiquer quotidiennement pour se former le caractre et apprendre bien vivre mais cettepratique doit galement transcender lindividu, pour devenir une pratique collective, vivreensemble et partager affection et solidarit. Do limportance de donner des finalits dedpassement de soi, dordre individuel et collectif et ce, depuis le plus jeune ge. Survivre dansun monde de brutes nest pas suffisant. Nous devons nous engager vers ce qui est juste et bon,quitter notre conformisme et notre confort pour nous permettre de vivre pleinement. Donc, gardons le moral !

    Fernand SCHWARZPrsident de la Fdration des Nouvelle Acropole

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    ED I T OR I A L

    Nouvelle Acropole Revue - Hors srie N1 - ISSN 0396-7387 - Dpt lgal aot 2011. dit par la Fdration Franaise Des Nouvelle Acropole, association franaise rgie par le dcret loi du 1er juillet 1901.Sige social Administration : La Cour Ptral, D941, 28340 Boissy-ls-PercheRdaction : 6, rue Vronse 75013 Paris - 01 42 50 08 40 Internet : http://www.nouvelle-acropole.frDirecteur de Publication : Fernand SCHWARZ - Rdacteur en chef : Isabelle OHmANNSecrtariat de rdaction : marie-Agns LAmBERT - maquette : Sylvie COTSCrdit photo : Nouvelle Acropole - Impression : Print24 - Prix de vente : 5 Reproduction interdite sans autorisation.

  • Sommaire

    ditorial Le retour la morale pratiquePar Fernand SCHWARZ ............................................................3Socit Philosophie pour temps de crisePar Dlia STEINBERG GUZmAN................................................5Le monde change si les humains changent Par Beatrice DIEZ CANSECO ....................................................6Socit Transformons les catastrophes en opportunitsPar Fernand SCHWARZ ............................................................7Civilisations Apocalypse ou renaissance ? Par Laura WINCKLER ..............................................................8Socit Peut-on sinspirer des valeurs anciennes pourvivre aujourdhui ? Par Fernand SCHWARZ ....................14Civilisations Lapport culturel de Rome aux problmesdu monde actuel Par Jorge Angel LIVRAGA......................16Civilisations Le souffle du renouveau en AlsacePar michle FLORIANGE ........................................................20Environnement Le mystre de la disparition des abeillesPar Anne NOTARAS................................................................23Philosophies Confucius, lidal de lhomme de bienPar Brigitte BOUDON ..............................................................24Question philo Peut-on apprivoiser la solitude ?Par Lonie BEHLERT ............................................................28Art et symbolisme Regards sur Kannon, le grand com-patissant Par Laura WINCKLER........................................30Philosophies Montaigne, une pense en perptuellevolution Par Brigitte BOUDON..........................................34Art et philosophie veiller le potentiel artistique et spirituel Par V. V. KARENINE ........................................39Art et philosophie Lamour au cinma aujourdhuiPar Lionel TARDIF ..................................................................43A Lire ..................................................................................45

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    16aNToNY1, rue Madeleine 92160 [email protected] 50 35 61 35BIarrITZ1, rond-point de lEurope [email protected] 59 23 64 48BorDeauX2, rue Boyer, 33000 [email protected] 56 08 99 96DIJoN2, rue de la synagogue [email protected] 22 62 42 28le Havre30, rue du Marchal Joffre [email protected] 76 89 35 95lYoN6, rue Saint Georges [email protected] 78 37 57 90MarSeIlle19, boulevard Salvator [email protected] 96 11 07 [email protected] 70 77 34 40parIS 548, rue du Fer Moulin [email protected] 42 50 08 40parIS 1170, rue J.P Timbaud, [email protected] 43 38 46 84parIS [email protected] 58 84 18 32roueN53, rue Cauchoise [email protected] 35 88 16 61STraSBourG4, rue des Bateliers [email protected] 88 37 05 94ToulouSe4, rue Joutx-Aigues [email protected] 61 32 78 97la cour peTralD 941 28340 [email protected] 37 37 54 56

    Nouvelle acropole eN fraNce

  • iDune part nous avons dcouvertquen raison du modle socio-cono-mique des dernires dcennies, lescycles du progrs matriel avaientplus dinfluence sur nos vies que nousne laurions imagin ou dsir.Dautre part, la crise a t une oppor-tunit intressante pour dcouvrir quenous, les tres humains, avons dau-tres valeurs sur lesquelles nousappuyer dans les moments difficiles.Prcisment, la philosophie en tantquart de vivre nous a permis de nousposer nouveau les questions de tou-jours et de revenir aux rponses vala-bles auxquelles le passage du tempsna retir aucune valeur, bien aucontraire. Un grand point dinterroga-tion continue de planer sur la connais-sance de qui nous sommes, pourquoinous sommes dans le monde et quelest notre rle dans cette histoire quise tisse jour aprs jour. Il serait troptriste de croire que notre unique fonc-tion est de survivre mdiocrement ou,en tout cas, de nous efforcer de par-venir un meilleur niveau de survie,avec plus de richesses quon ne peuten mettre profit. Les biens matrielsessentiels sont absolument indispen-sables. mais il y a beaucoup de gensqui possdent plus que le ncessaire

    sans avoir pour autant russi limi-ner ni la douleur ni le malheur. Parcontre, il y en a qui nont que le strictncessaire et parfois moins, et qui ontatteint une grande paix intrieure endveloppant dauthentiques valeurshumaines. En tant que philosophesqui aspirons la droite connaissance,nous avons constat que le Bon, leBeau, le Vrai et le Juste continuent tre des lments indispensablespour atteindre le bonheur. Philoso -phie et bonheur ont beaucoup dechoses en commun. Les crises sont des situations particu-lires, dans lesquelles dcouvrir cesconcidences peuvent nous aider surmonter les difficults et nousdpasser nous-mmes pour grandirmoralement et spirituellement. Ilconvient de rappeler ici la clbrecitation du savant et philosophe AlbertEinstein sur le sens de la vie : Unecrise peut tre la plus grande bn-diction qui puisse arriver aux gens etaux nations parce que toute criseengendre des progrs. La crativit

    nat de langoisse comme le jour natde la nuit obscure. Cest dune situa-tion de crise que naissent linventivit,les dcouvertes et les grandes stratgies. Qui surmonte une crise, se dpasse lui-mme sans tredpass. Qui attribue la crise seschecs et ses lacunes fait violence son propre talent et a plus de consid-ration pour les problmes que pourles solutions... Sans crise, il ny a pasde dfi et sans dfi la vie est une rou-tine, une lente agonie. Sans crise, ilny a pas de mrite... Finissons-enune fois pour toutes avec luniquecrise qui nous menace, savoir la tra-gdie de ne pas vouloir lutter pour lasurmonter. Nouvelle Acropole, enharmonie avec ces ides, parie pourle talent et la crativit et les opportu-nits offertes par une philosophievitale, pour que llan individuelpuisse tourner au bnfice de lhuma-nit tout entire

    Dlia STEINBERG GUZMANPrsidente internationale de Nouvelle Acropole

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    Philosophie pour temps de crise

    Il est invitable, en faisant le bilan de lanne,de se rfrer la crise conomique qui, sousune forme ou une autre, a touch tant degens dans le monde.

  • Il est certain que dans un contextede crise, dinstabilit, de catas-trophes naturelles, de violence etde chmage, il est difficile de garder foi en lavenir. Toutefois,perdre courage et ne pas fairedefforts pour susciter un relchangement nous rend en partieresponsables du problme et nousconduit dautant plus vite latotale dsintgration de nos soci-ts. Nous voudrions tous un avenirmeilleur mais ce sur quoi noussommes en dsaccord est la faondy parvenir. Nouvelle Acropole,nous pensons que les systmesdoivent changer mais noussommes convaincus que cestdabord ltre humain de chan-ger. quoi bon rnover les outilsde la socit sans objectifs nobleset bons ?Pour contribuer de faon dcisive lamlioration du monde, cela faitcinquante trois ans que nous tra-

    vaillons au renouvellement int-rieur des tres humains et de laculture, travers une ducationphilosophique qui veille lesvaleurs les plus leves, qui dve-loppe lintelligence, le courage etla force intrieure pour pouvoirfaire face lpoque difficile quilnous incombe de vivre etpour construire un avenir meilleur,par-del toutes les adversits. Les pages de notre bilan annuel (1)contiennent un bref rsum denotre intense activit dans lemonde entier et se veulent unehumble contribution pour amlio-rer les individus et le monde. Quelesprit inspire et unifie des actionsaussi diverses, dans les domainesde la culture, de la philosophie etdu volontariat ?Un idal philosophique qui nousrapproche de la connaissance pro-fonde de nous-mmes et de la vie ;qui nous permet de comprendre la

    valeur de notre temps et nouspousse quitter une attitude pas-sive afin de devenir des leaders dechangements positifs dans notresocit ; un idal qui promeut unart qui touche lme, une sciencequi nous soit vraiment bnfique ;une technologie qui ne pollue pasnotre plante - tel est lidal deNouvelle Acropole et, dans plus dequatre cents villes travers lemonde, nous le faisons dj deve-nir ralit. Des milliers dhommeset de femmes, travers chaquecours de philosophie, chaque ate-lier artistique, chaque actionsociale ou cologique, apprennent vivre avec courage, fraternit,gnrosit, enthousiasme, espoir. Notre mission est denseigner auxgens vivre et apprendre de cequi est vcu

    Beatriz DIEZ CANSECO

    (1)www.nouvelle-acropole.fr/institutions/nouvelle-acropole/bilan-international.html

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    Le monde change si lestres humains changentQuand commence une nouvelle anne, nous esprons tous quelle serameilleure que la prcdente. Cest un beau dsir qui vient du fond de notrecur, au-del des circonstances ngatives qui nous entourent.

  • Depuis plus dun sicle, lOccidenta russi imposer son modle laplante, saffirmant comme le sou-ligne trs bien Stphane Foucart(1) comme tant la civilisationtechno-scientifique par excellence,proposant ou imposant au reste dumonde un mode de dveloppementfond sur linnovation technolo-gique comme principal moteur decroissance conomique Le pro-grs technique prime sur touteautre considration politique,sociale, morale. Cette fabuleusepromesse de domination de laNature et de la matrise du mondefinira par sduire tous les peuples de la Terre. mais un accident de civilisation est intervenu :Fukushima. Il a rveill partout lapeur de voir sa promesse nontenue et propage la crainte que lescratures des techno-scientifiquesnchappent leur contrle. Lacrature a pris une vie autonome.Les matres de latome ne saventmme pas ce qui se passe dansson cur car personne ne peutsen approcher sans prir. Cest lemythe du progrs et de la scuritqui seffondre avec son lot de peursirrationnelles et de fatalit. Les hommes commencent pren-dre conscience que le plus granddanger auquel il faut faire face vientdeux-mmes, comme le montrentles changements climatiques, lescrises financires, le 11 septem-bre Le nuclaire na fait que cris-talliser ces lments. mais cetteprise de conscience collective peuttre aussi une opportunit pourremettre plat nos fondamentauxet rcuprer le got de la vie. Lacourse effrne de lindividualismeest probablement la source de la

    grande tension nerveuse que vitnotre socit : 40 % des Franaisse sentent abandonns. Ellepourrait peut-tre nous conduire sortir du chacun pour soi pourembrasser lide de vivre ensem-ble. Comme le disait le Gnral deGaulle Quand les Franais croienten la grandeur de la France, ils fontde grandes choses ; quand ils sesentent abandonns, ils font depetites choses.

    Il y a quelques mois, Jean-PaulDelevoye, dernier mdiateur de laRpublique a remis son rapportannuel. Face au constat de lasocit franaise qui se fragmenteet o selon lui, on devient de plusen plus consommateur deRpublique plutt que citoyen, ilsonne lalarme sur la ncessit deretrouver le got de mieux vivreensemble. Il constate que notresystme administratif globalchoue sur sa capacit dinclusionet devient une machine exclure. Ilnest plus capable daider au bonmoment, devenant complice delinstauration dune spirale de fata-lisme. Les politiques, aujourdhui,suivent lopinion plus quils ne laguident, tandis que les opinions,soumises aux motions plus quaux

    convictions, sont volatiles (2)On croirait lire Platon dans LaRpublique lorsquil dit Il faut du-quer un peuple, non par la satisfac-tion de ses dsirs mais par des res-ponsabilits. Notre socit doitretrouver le chemin des valeurs,sinon ses tensions internes serontsuicidaires. Il insiste sur le fait,quil faut quitter la culture du conflitqui ne fait quaccrotre nos fai-blesses, instaurer le dialogue, et

    proposer un projet soutenu par desvaleurs qui mritent lengagement.Construire sur un socle de convic-tion et non btir sur le sable desmotions. Le courage de Jean-PaulDelevoye est pour nous une notedencouragement et chacun dentrenous doit exercer sa lucidit pourdceler des pistes cratrices etenthousiasmantes pour lavenir etle futur que nous voulons construireensemble. Le modle du citoyenphilosophe nest plus une utopiemais une inspiration suivre pourse librer de la fatalit

    Fernand SCHWARZPrsident de la Fdration Des Nouvelle Acropole

    (1) Fukushima, un accident de civilisation,Le journal Le monde du 10 avril 2011(2) Sindigner cest une bonne chose maisse mobiliser cest encore mieux, Jean-Paul Delevoye, mission de France Inter,24 mars 2011

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    Transformons les catastrophes en opportunits

  • 2012apocalypseou renaissance ?

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  • Depuis quelque temps, lactualit, la littrature, lascience, des films documentaires et mme des filmsdaventures parlent de 2012 comme dune catastrophesans nom, nourrissant les peurs ancestrales delhumanit. Quen est-il vraiment ? En tant quephilosophe, quoi ce thme nous invite-t-il rflchir ?

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    recommencement, une volution,une maturit et une naissance versun nouveau cycle de vie. Le Tzolkinassocie les nombres de 1 13 avecune squence de 20 signes appe-ls glyphes qui sentremlent et serptent sans cesse. (Un cycle de20 jours combin avec un cycle de13 jours).

    Les 20 jours du Calendrier mayaLe Haab est bas sur un cyclesolaire de 365 jours comme notrecalendrier grgorien (le cycle secompose de 18 mois de 20 jours etdun mois de 5 jours appel les dor-meurs).Les mayas employaient lpoqueclassique un troisime type dedatation extrmement prcis : lecompte long. Le point de dpart decette datation (confirme par lesinvestigations de ric Thompson(2)) est la date 0.0.0.0.0 du comptelong maya qui correspond au 11 aot 3114, sensiblement par-tir du lever du soleil sur un fuseauhoraire pour lAmrique. Cette datefigure sur la stle C trouve Quirigua et aussi sur une stle deTikal. Selon les conceptions cos-mogoniques que les mayas parta-geaient avec les autres civilisationsmsoamricaines, les dieux fai-saient et dfaisaient rgulirementle monde. Il ny a donc pas une seulecration mais une suite vraisembla-blement ouverte de crations.

    pour mesurer le temps. Ceux-ci for-ment des cycles rcurrents basssur les rythmes du cosmos et quisenchanent comme les rouagesdune montre. Les scribes mayasdvelopprent un systme vigsi-mal (1) dunits de mesure dutemps (les glyphes de priode)dont lunit principale fut le tun oupriode de 360 jours. Le systmedes multiples du tun est ouvert etparfaitement vigsimal : 1 katun =20 tun, 1 baktun = 20 katun, etc. Ilsdvelopprent aussi un sous-sys-tme dunits de mesure de temps,luinal (1ere partie du tun) et le kin(20e partie du uinal). Les calendriers mayas les plusconnus de nos jours sont le Tzolkinet le Haab. Le Tzolkin ou calendrier sacr estbas sur un cycle de 260 jours (13mois de 20 jours). Ce cycle corres-pond la gestation humaine, souslinfluence de la Lune. Il induit un

    Le thme de 2012 a t abord pardes civilisations anciennes, dont lesmayas.La civilisation maya a connu sonapoge la priode classique,entre 300 et 1000 aprs J.-C. Ellepossdait de grandes richesses etdes connaissances et, son apo-ge, son influence stendaitdepuis la Pninsule du Yucatan etle Guatemala jusquau Salvador etau Honduras. Il subsiste encoredes ruines imposantes de certainesde leurs cits-tat comme ChichenItza, Uxmal, Bonampak, Tikal,Copan ou Palenque (o lon atrouv dans la pyramide des BellesInscriptions le tombeau intact du roiPacal). Les mayas croyaient en lin-fluence du cosmos comme activa-teur de lesprit humain. Grce leurs observations astronomiqueset leurs connaissances mathma-tiques, ils ont dvelopp un sys-tme de calendriers trs complexes

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  • Pour les mayas, chacune dure 13baktun (cycle de 13 x 20 x 20 =5125 ans). Pour les scribes duClassique, la cration en coursavait commenc un 4 Ahau 8Cumku (date dans le Calendrierrituel de 18 980 jours). Dans la version actuellementaccepte de la corrlation deGoodman-martnez Hernndez-Thompson, la date du 21 dcembre2012 correspond celle o lecompte ltong a termin un cycle(commenc 0.0.0.0.0 en - 3114de notre re) et recommence 13.0.0.0.0. Cette anne sera alors

    un moment de grande transition etde transformation, car elle marquela fin dun cycle de 5 125 ans etdun cycle de 13 ans. Dans le cycledes crations mayas, elle corres-pond la fin de la cinquime re,car leurs textes cosmogoniques,comme le Popol Vuh, parlent dequatre res prcdentes, chacunedtruite par un cataclysme produitpar un excs de lun des lments :le vent, la terre, le feu et leau.Toute fin de cycle saccompagne decertaines catastrophes produitespar la nature ou par les astres.

    Les cycles de lHistoireDe nombreuses civilisations an -cien nes concevaient la relationentre les cycles de lhistoire et lescycles cosmiques au rythme dumouvement des toiles et des pla-ntes ainsi que par le cycle terres-tre des saisons. Elles ont constatlvolution cyclique de la vie avecdes phases de naissance, pa-nouissement, mort et renaissanceet ont dduit quil en tait de mmepour lhumanit. Cette visioncyclique ne nie pas lide de pro-gression, profondment ressentiepar lhomme comme besoin de se

    dpasser et daller toujours plusvhaut et plus loin. mais cette pro-gression se fait, comme il arrive notre plante Terre ou au Soleil, entournant autour dun centre. Cedouble mouvement courbe etascensionnel est celui de la spiraleou le septime mouvement dontparlait dj Platon. Il conduit las-cension de lHlicon, la montagemagique au sommet de laquellerside laccomplissement de lhu-manit dans la Sagesse.Ainsi, bien que concevant la nais-sance et la mort des systmes

    vivants, les civilisations ne serontjamais porteuses de la conceptionde la fin des temps comme unabsolu irrductible, que lon trou-vera plus tard partir des religionsmonothistes en particulier dans lechristianisme avec sa conceptiondu millnium.

    Les cycles dans les civilisationsDans lInde classique, nous retrou-vons le cycle du Maha Yuga, com-pos de quatre ges, ge dOr, gedArgent, ge de Cuivre et ge deFer. Ils sont symboliss par le tau-reau du Dharma qui a 4, 3, 2 et 1patte(s) selon les poques, ce quiindique la dure respective desges. La dure totale de ce grandcycle est de 4.320.000 annes. En msopotamie, on concevaitsous une base sexagsimale descycles qui senchanaient aussi lesuns dans les autres, depuis le sosde 60 ans jusquau Grand Saros de216 000 ans, reprsentant une ins-piration qui avec une expirationdonnait la vie totale de lunivers, de432.000 ans.En gypte, on clbrait tous les 1 460 ans, le retour du Benben Hliopolis, tablissant le rajuste-ment entre le calendrier solaire etltoile Sirius qui se lve laube, lhorizon annonant la crue du Nil etle dbut de lanne. Ce grand cyclepermet de rajuster galementlcart entre lanne vague de 365jours et lanne tropique de 365,25jours. Ce retour fut clbr autemps de Djeser, lors de laconstruction de la pyramide deSaqqarah, sous Ramss Ier et sousAntonin le Pieux. Cette civilisation afait preuve dune longue cons -cience historique fonde sur saconception des cycles malgr les

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  • hauts et les bas de ses empires.En Grce, on retrouve la traditiondes quatre ges dOr, dArgent, deCuivre et de Fer rapporte parHsiode et reprise par la suite parCicron et Virgile Rome. Platonparlera de lAnne Parfaite quirecouvre la vie de lUnivers dunedure de 36 000 annes. La religion zoroastrienne, prsenteun cycle de lunivers de 12.000 ansdans lequel la Lumire (Ormuz) sebat contre les Tnbres (Ahriman),jusqu sa victoire. Les stociens parlent galement decet ternel retour des astres unpoint initial de convergence. maiscet achvement comporte unernovation, avec opportunit de seprojeter dans le futur enrichis de

    lexprience clture.La Grande anne prcessionnelleest base sur le phnomne astro-nomique de la prcession desEquinoxes, ce qui donnera un cyclede 25.920 ans, donc chaque moiscorrespond une constellation duZodiaque. Ainsi, nous sommes entrain dachever lre des Poissonspour rentrer dans lre du Verseau

    (3). noter que les Cinq res desmayas correspondent 25.625 ans,ce qui est trs proche de la dure dece grand cycle et nous permet depenser des correspondancesastronomiques dans ses calculs,tout comme les autres grandscycles des civilisations classiques.

    Rsurgence du catastrophismeen temps de criseDans un monde en crise et dbous-sol, des peurs ancestrales mer-gent et des augures annoncent lespires catastrophes, dans un lan-gage pseudo-scientifique qui faitautorit aujourdhui. Ainsi ressurgis-sent les dates du calendrier mayaet les anciennes prophties dechangement des res, enrichies augot du jour. Il ne sagit plus de sim-ples inondations (source de luni-versel mythe du Dluge), de trem-blements de terre ou druptionsvolcaniques ou dextinction desespces mais dautres catas-trophes plus extraordinaires et met-tant en jeu non seulement notreplante mais aussi son environne-ment spatial.

    Nous reprendrons les sept scna-rios catastrophes annoncs pour2012 et les rponses que lascience leur donne (4).

    Premier scnario : Serons-nousvictimes dun alignement galac-tique fatal ? On se rfre un alignement duplan galactique et de celui delcliptique qui se confond avec ladirection du solstice dhiver, maiscet aspect dure dix-huit ans entre1980 et 2016 et nimplique aucuneanomalie astronomique.

    Second scnario : Quadviendra-t-il lors du transit perturbateurde Venus, attendu pour la nuitdu 5 au 6 juin 2012, quand ellepassera devant le Soleil ? On verra depuis la Terre une minus-cule tache noire. Ce type daligne-ment, correspondant uneconjonction Soleil Venus Lunequivalente la Nouvelle Lune quiparfois correspond des clipses,se reproduit rgulirement. Simple -ment, par rapport laxe de Venus,on ne la voit pas souvent passerdevant le Soleil. mais, cela ne peuttre source dinquitude car mmeau niveau astrologique, la conjonc-tion Soleil Venus a une significationplutt bnfique.

    Troisime scnario : Le risque de collision avec un astrodegantLes astronomes nont identifi aucunastrode de ce type prt croiser laTerre dans les cent prochainesannes. Et les petits astrodes croi-sant lorbite de la Terre, nommsgocroiseurs, ont t recenss etle risque calcul, au moins pour2012, est presque de zro.

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  • Quatrime scnario : La Terresera-t-elle expulse de sonorbite ? Pour parvenir ceci, un corps demasse terrestre devrait nous frler.Il changerait de lnergie avecnotre plante, prendrait sa place etnous jecterait dans lespace. maisun tel objet baladeur nexiste pasdans le systme solaire, donc lerisque est inexistant. Et mme sitoutes les bombes atomiques exis-tantes explosaient en mme temps,lhumanit serait morte mais laTerre continuerait tre sur sonorbite.

    Cinquime scnario : Le soleilconnatra-t-il une surchauffehors du commun ?Il existe un cycle de onze ans, aucours duquel des taches sombresapparaissent sa surface et sonactivit devient plus intense. Cescycles sont rpertoris depuis leXVIIIe sicle et lon a pu constaterque, lors des cycles plus calmes, latemprature terrestre a diminu for-tement, tablissant un lien entrelactivit solaire et le climat. Les

    taches jectent des flots de parti-cules charges du vent solaire quiperturbent la magntosphre de laTerre, provoquant des perturba-tions au niveau des communica-tions et des satellites. Bien que lepic dactivit soit prvu pour 2012 2013, on ne peut pas encore antici-per son intensit et il ne sagit nulle-ment dun phnomne nouveau ouexceptionnel. Par ailleurs, les cher-cheurs calculent quun ralentisse-ment de lactivit solaire se produiradans les prochaines dcennies.

    Sixime scnario : Assisterons-nous une inversion des plesterrestres en 2012 ? Pour commencer, ce qui peut sin-verser ce sont les ples magn-tiques de la terre (la direction poin-te par la boussole) et non pas lesples gographiques. Ce type din-version sest dj produit par lepass, la dernire remontant environ 800 000 ans. Le phno-mne nest pas priodique etdpend de la source du champmagntique terrestre qui est le ferfondu au cur de la terre, agit

    parfois par des mouvements deconvection turbulents. On constateune dcroissance du champmagntique depuis 3 000 ans, maison ne peut dterminer si cetteinversion se produira dans 1 000 ou2 000 ans. En tout cas, on naobserv aucune corrlation entrelinversion du champ magntique etlextinction des espces. Uneconsquence constate est laffai-blissement de la protection natu-relle contre les particules solaires.

    Septime scnario : Y a-t-il uneplante fantme qui risque denous frler ? Certains parlent dune planteNibiru, derrire lorbite de Pluton,dont lorbite excentrique croiseraitchaque 3 600 ans lorbite terrestre,en provoquant des tsunamis,sismes, ruption volcaniques, etc.Jusqu prsent, aucun observa-toire terrestre ou spatial na vu tracede cette gante de laves. Et uncorps cleste avec une telle excen-tricit serait plus proche dunecomte que dune plante.Est-ce dire quaucun danger nenous menace ? La rponse est nonet malheureusement, nous savonsquune grande partie de cesgrandes menaces (rchauffementclimatique, destruction de la biodi-versit, pnurie deau et de nourri-ture, pollution de toute sorte, surpo-pulation, guerres, etc.) est le pro-duit dune activit humaine fondeplus sur lignorance, la soif du profitgoste et la vision court termedune nature-objet exploiter, quedune vision globale dun Universvivant. Homo lupus hominis :lhomme est un loup pour lhomme.Ce modle de lhomme arrogant,matre absolu de la Nature et capa-

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  • cent par le changement de chaqueindividu. Nous devons aspirer lUnion qui est la trame indivisiblede lEnergie. Pour parvenir rendrepossible ce qui semble impossible,il faut une vritable et profondeouverture de la conscience. Cestpar notre imagination cratrice quenous forgerons ce monde plusbeau et plus juste auquel noscurs aspirent.

    Agir au niveau individuel et collectif, une ncessitIndividuellement, nous devons deve-nir les acteurs de transformation, enpermettant une authentique mer-gence de lindividu, capable de seconnatre intimement lui-mme etde connatre les lois de la nature.Nous devons appliquer une thiquede la reliance, qui nous permette dedcouvrir le trsor cach dans lau-tre. Nous devons promouvoir leretour une ducation initiatique dudpassement des peurs, commesource dune vritable fraternit.Nous devons adopter une visiondunicit, de cohrence dans ladiversit, dorganicit et rassembler

    ce qui est pars et tisser le multiple.Nous devons dvelopper un senti-ment dappartenance notre mai-son-mre Gaa, commune tous,dans un Univers vivant. Nousdevons mettre en avant les valeurspratiques par le hros, courage,authenticit, gnrosit, responsa-bilit et confiance.Collectivement, il nous faut passerde lillusion de labondance la ra-lit de la raret. Nous devons pr-server la biodiversit et nous adap-ter. Nous devons tre conscientsde notre communaut de destinhumain et terrestre, concevoir unprogrs organique qui allie cyclicitet progression, changer nos menta-lits au niveau de nos penses,paroles et actions pour changer laralit. Enfin, nous devons promou-voir un nouvel humanisme

    Laura WINCKLER(1) vigesimal : base 20(2) Sir John Eric Sidney Thompson (1898 1975) : archologue britanniquespcialiste des inscriptions mayas pr-colombiennes (3) Lre du Verseau, Laura WINCKLER,Editions des 3 Monts(4) Dossier paru dans la revue Sciences etAvenir, n 753, novembre 2009

    ble par sa seule raison de lexploiter outrance, est arriv puisementet montre ses limites. Le XXIe siclene tient pas toutes les promessesde paix, bonheur et progrs promisdepuis le XVIIIe sicle par lesgrands visionnaires de lOccident.Nous sentons quun modle estarriv son terme et que nousdevons changer de paradigme. Lesnouvelles dcouvertes de lascience vont dans ce sens et nousdevons entirement repenser dansune logique de vie, nergie, solida-rit et interaction et non pas de mort,matire, inertie et sparation.

    Changer notre vision delhomme et de la NatureSi on se mettait esprer limpro-bable comme le conseille Edgarmorin, et comprendre avec SrenKierkegaard que ce nest pas lechemin qui est difficile, cest le diffi-cile qui est le chemin. Il est urgentde changer notre vision de lhommeet de la nature et dans ce domaine,les Anciens en ont beaucoup nous apprendre. Les mayas pen-saient que les systmes fonds surla peur entrent en crise et que nousdevions faire natre une humanitplus libre, plus courageuse etmoins dogmatique. Les change-ments rapides qui arrivent, nousobligent prouver la ncessit denous renouveler tous les niveaux.Le temps est une source de trans-formation et assumer les cyclescest transformer lexprience enSagesse. Il faut chercher des chan-gements profonds dans lesprit et lecur de lindividu et celui-ci doit sesentir partie dun Tout vivant etorganique et pas dun univers mortet insignifiant (sans sens). Leschangements du monde commen-

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  • Peut-on sinspirer des valeursanciennes pour vivre aujourdhui ?Se renraciner pour le futur Rendre le monde habitable. Telle tait la qute desgyptiens. Il sagit de sinspirer des valeurs et racinesdu pass afin de les ractualiser laide des apportscontemporains. Une ncessit pour la socit actuelleen panne de valeurs.

    dernires recherches en scienceshumaines, notamment celles quiconcernent le fonctionnement dessocits traditionnelles et la fonc-tion du sacr dans les socitshumaines en gnral. Ces nou-velles connaissances nous am-nent nous interroger et revoirnos ides sur les notions de tradi-tion, de spiritualit, dintriorit,dinitiation, de rite, de symbole et demythe, de hirarchie, dhonneur, dedvotion, de foi. Nous avons eneffet la surprise de constater queces principes, loin de contreveniraux notions de libert, de respect,dautonomie et de dveloppementde lindividu, les servent, tout commeelles servent une vie collective elle-mme au service de la justice.Ce nest pas sans raison que tantde chercheurs contemporains comme le psychologue Carl G.Jung ou le physicien Fritjof Capra(1) se sont inspirs ou sinspirentde ces civilisations et de leurs tradi-tions, donnant ainsi une nouvelleactualit des socits dont onpensait quelles ne pouvaient riennous apporter. Parce que nous avons accept derviser nos ides reues dans lesdomaines de la physique ou de labiologie, notre vie en a t chan-ge. Les dcouvertes qui ont suiviont trouv dinnombrables applica-tions dans la vie quotidienne et lefonctionnement de notre socit,apportant un changement profondet acclr de notre environne-ment : confort dcupl, longvitaccrue, etc.

    individuels que collectifs. Afin de mieux comprendre la ralitet de mieux agir sur elle, nousavons accept de rviser des idesreues sur le fonctionnement delunivers, sur lorigine de lhomme,sur la biologie et la sant...Aujourdhui, aprs la crise finan-cire qui a secou toute la plante,le rchauffement du climat et sesconsquences sur lcosystme,face au dsarroi dans lequel sontplonges les socits occidentalespour amnager une socit habita-ble et harmonieuse, nous devonsaccepter de rviser nos ides sur lemode de fonctionnement dessocits humaines. La situationactuelle du monde exige de nousune refonte complte de notre grillede lecture de la ralit. Nous constatons en effet quelcole ne prpare plus travaillerni penser, que la famille ne pr-pare plus une vie affective pa-nouie qui ouvre sur les autres, quela socit ninspire plus un compor-tement civique et que les religionsdfendent davantage leur chapelleque lthique.

    Revenir la notion du sacrDepuis quelques dcennies, uncertain nombre dides reues surle fonctionnement de la socit ontt balayes par les rsultats des

    Lpoque est rvolue o le progrsnapparaissait possible qu condi-tion de faire table rase de tout cequi nous avait prcd. Noussavons quon ne peut crer exnihilo et que le tenter entrane lhu-manit sur le chemin de lauto-muti-lation et de lauto-destruction. Ilnous apparat que le seul moyenque nous ayons aujourdhui de fon-der un avenir qui ne soit ni unergression aveugle vers la barbarieni une tentative dsespre darr-ter lHistoire au nom dun pas-sisme strile consiste nousrconcilier avec nos racines, lesrefconder et les ractualiser laide des apports des sciencescontemporaines.

    Rviser nos connaissances et nos ides ?Notre poque a dgag, tant auniveau des sciences exactes quedes sciences humaines comme lapsychologie et lanthropologie, desmoyens que lhumanit a peu, voirejamais connus. Ces dcouvertes,inestimables, sont cependant insuf-fisantes, telles quelles, pour rpon-dre aux besoins daujourdhui.Disparates, elles doivent tre int-gres dans un ensemble cohrent ;il nous faut par ailleurs trouver lesmoyens de transformer ces apportsen comportements efficaces, tant

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  • SOC I T

    la conscience en mme temps quele savoir-faire, pour nous rappro-prier cette comptence. Sans tom-ber videmment dans le passismequi consisterait croire quil fautnous cantonner dans la rptitiondes savoir-faire des socits tradi-tionnelles. Il sagit non pas derecrer le pass mais de se rap-proprier les moyens universels quiappartiennent lespce et quinous manquent actuellement. Nombreux, aujourdhui, sont ceuxqui pensent quil nous faut, au-delde lidentit locale, nous renracinerau niveau de lhumanit, et retrou-ver une dimension universelle

    Fernand SCHWARZ

    Cet article est extrait de Mat, gyptemiroir du ciel", Fernand SCHWARZ,ditions des 3 Monts, 2009

    (1) Physicien amricain dorigineautrichienne, auteur de nombreuxouvrages dont Le Tao de la Physiqueparu en 2004 chez Sand, Le Temps duchangement, paru en 1994 aux ditionsdu Rocher

    de la transmission. Un des grandsdfis du XXIe sicle consistera rendre le monde habitable et trou-ver un fonctionnement social quipermette de vivre les valeurs desolidarit et de fraternit.Le changement radical de notreregard sur le monde et le balayagedes ides reues que nous devons la science sont rests striles auniveau des comportements. Si,paradoxalement, nous sommesplongs dans une barbarie crois-sante, cest que nous ne parvenons transmettre et diffuser cesdcouvertes ni au niveau du savoircollectif ni au niveau de la sensibilitet des murs. Lexistence dunpareil foss entre la connaissance etla vie quotidienne est due la naturede lunivers culturel qui est le ntreet qui a dissoci le savoir-tre dusavoir-faire, la pense de laction.

    Se rapproprier les valeurs des AnciensAussi avons-nous tout intrt essayer de comprendre commentles Anciens ont russi transmettre

    La socit contemporaine en panne ?malheureusement, dans le domai -ne qui nous intresse, celui de lap-port des socits traditionnelles aufonctionnement de la socitcontemporaine, nous sommes endfaut. Nous ne dveloppons pasles comportements ou les ides quipourraient nous aider mieux grerles rapports humains dans notresocit. Lapport de ces socitstraditionnelles, longtemps dcries,est fondamental dans le domainede la transmission des connais-sances et des comportements.Domaine particulirement sensible lheure actuelle o la ruptureentre les gnrations saccentue etalors que le dficit dducation nestignor de personne. Au cur denos socits, des rseaux entierspermettant la rgulation et la forma-tion sont en panne. Une rvisionurgente des ides reues sur laquestion simpose, la lumire delhritage que nous ont lgu lescultures et civilisations qui ont dleur russite au savoir-faire dans lart

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    Cest une cole pour les Grandsque lhomme sage ; ceux quiconnaissent son savoir ne latta-quent pas, aucun mal ne survientdans son voisinage. La vrit et la justice (Mat) vien-nent lui, dj brasses, conform-ment aux conseils que les anctresont dit... Cherche galer tes pres,ceux qui ont vcu avant toi... vois,leurs paroles persistent dans leslivres ; ouvre ceux-ci : lhommehabile devient alors un homme ins-truit. Enseignement du roi Kheti III son fils Merikar, la fin du troi-sime millnaire avant J.-C. Textes sacrs et textes profanesde lancienne Egypte, ClaireLalouette, Gallimard.

  • Lorsquon parle de Rome en tantquEmpire, on dit souvent quelle aeu pour mission de reconstruire ourestituer pour le futur une sriedlments artistiques, littraires etmme scientifiques de la culturehellnistique. Ceci est nuancer. Siles lments de la Rome antiquesont effectivement en partie hell-nistiques, il faut galement recon-natre quen dehors de la vieillepninsule, ils prennent des formesautochtones qui font que leurapport est original et fondamental.Non seulement Rome puise sesracines de peuples peu connus,comme les Tyrrhniens ou lesSabins mais elle les puise gale-ment dun grand empire comme lefut lempire trusque. Nous avonspeu traces crites des trusquesmais cela nenlve en rien de leurlinfluence sur les civilisations.

    Lempreinte de Rome en EuropeEn Europe, ce qui est remarquable

    cest qu nimporte quel endroit olon se trouve, on dcouvre uneempreinte de Rome : un arc, unmur, une dalle, avec ce contenuprofondment humain que Rome asu leur donner. En partant dumonde hellnistique qui tait unmonde fragment, du mondedAlexandre qui sest divis en cou-rants, Rome sut assembler les mor-ceaux et raliser un creuset capa-ble de fondre divers mtaux pourformer un alliage qui fut la civilisa-tion romaine. Segbriga, sur lameseta de Castille, jai trouv unegrande plaque de marbre cassecrite en latin et qui disait :Voyageur, regarde, ici sont pas-ses les lgions dAuguste. Toi quime vois, souviens-ten, nous pas-sons comme passe le vent.

    Des hommes dieuxSouvenons-nous de ce vieil exem-ple, aux premiers temps de Rome,vers 507 avant J.-C., alors que lavieille monarchie tait en train deseffondrer. Lors dune attaque, leroi trusque Porsenna sest trouvdans limpossibilit dentrer dans cequon a plus tard appel la Villeternelle et il entreprit un sigerude. Un jeune Romain, aid dunpetit groupe (on dirait aujourdhuiun commando tactique), tenta detuer le toi assigeur. Ce jeune fitune erreur car il y avait des fonc-tionnaires qui taient mieux vtusque le roi. Cest une chose quon nesait peut-tre pas de nos jours : centaient pas les vtements ni lesbijoux qui faisaient les rois delAntiquit mais lautorit et lamour

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    Lapport culturel de Romeaux problmes du monde actuel

    La Rome antique a laiss ses empreintes dans toutelEurope. Elle a su crer une civilisation qui culminaavec la Paix Auguste. Que reste-t-il de ses valeurs ?

  • quils avaient pour leur peuple. Cejeune Romain se trompa. Il tua lesecrtaire du souverain. Il fut faitprisonnier et dit quil tait dcid tuer le roi. On lui demanda alors dervler le nombre et le nom de ceuxqui voulaient tuer le roi. Le jeunehomme refusa de rpondre. On lemenaa de mettre sa main sur lefeu jusqu ce quil avout. Caiusmucius Scvola mit lui-mme samain sur le feu, la laissa sur lesbraises jusqu ce quil nen resttplus que quelques os carboniss. Ildit alors au roi quil y avait troiscents jeunes qui, comme lui,avaient jur de le tuer. Le roiPorsenna lui rpondit alors quiltait venu pour combattre deshommes, pas des dieux et que siltait vrai quil y avait des centainesde jeunes comme lui, il valait mieuxque lui, le roi, sen allt. Il relcha leprisonnier.

    La paix AugusteCette action est lorigine du sym-bole de la main quAuguste arbo-rera plus tard pour la Paix Auguste.Qutait donc cette Paix Auguste etqui tait Auguste ? En tant que phi-losophe, je vais tenter dexpliquer lamerveilleuse folie dAuguste,celle dunir des hommes et despeuples de races, croyances etlangues diffrentes.Il y a deux mille ans, Auguste taitune sorte de citoyen du monde. Ilrigea Rome un autel, lAraPacis, lautel de la Paix, avecune main ouverte, comme symbolede paix et de concorde pour tousles hommes. Auguste convoquatous les rois, toutes les religions dumonde entier pour construire ungrand tat dont la plaie du cur

    se refermerait. Il proclama laConcorde, comme la marque dusceau de lgalit le plus brillant, leplus rationnel, le plus humain et leplus naturel. Pour lui, la Concordeconsistait, comme lindiquait le motlui-mme, mettre un cur avecun autre coeur (Con-cordia, uncur avec un autre). De nosjours, nous qui essayons dunir leshommes sur la base de lgalit,nous oublions que les choses sem-blables se repoussent et que cesont les opposs qui sattirent. LaConcorde de la Paix Auguste tait

    la mise en commun, lunion deschoses diffrentes. Auguste ladcouvert sans tuer lindividu ni lin-dividualisme, sans enlever la forceni le message particulier de cha-cun. Avant tout, il a donn lhomme la capacit de vivre lhon-neur.Cette union, mme les esclaves lapossdaient parfois. lpoquedAuguste, il y eut une cit romainequi fut encercle par les barbares.Les troupes sortirent, combattirent etfurent dfaites. lintrieur de la cit,restaient les femmes, les enfants et

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  • les esclaves. Les esclaves se pr-sentrent devant les matrones et lesfemmes en leur demandant decombattre avec les armures et lesarmes de leurs hommes. Des cata-pultes lancrent des messagesexpliquant que si la cit tombait, lesfemmes et les enfants seraient mis la disposition des esclaves etceux-ci pourraient piller les mai-sons et dtruire tout ce quils vou-draient. Les esclaves insistrentdans leur demande de dfendre lacit. Finalement la permission leurfut accorde. Ils sarmrent, sorti-rent, combattirent, triomphrent etrevinrent dans la cit. Ils se dbar-rassrent de leurs armes et les ras-semblrent en une forme de pyra-mide de bronze au milieu de la cit.Les femmes leur demandrent laraison de ce geste. Ils rpondirentquils prfraient tre esclave Rome plutt qutre libre dans unmonde barbare.

    La parole donneQuel est lenseignement de cettehistoire ? Il sagit du sens de lhon-neur, de la parole donne, mmevenant des esclaves. De nos jours,la parole nest plus engage, laparole est perdue. Ces esclavesconnaissaient le secret de la paroledonne. Souvenons-nous gale-ment de ce gardien des portes dePompi, qui, alors quil voyait lalave du volcan le Vsuve avancer,resta son poste parce quil navaitpas reu lordre de labandonnermais de surveiller les portes. Laconsigne navait pas t leve. Onle trouva ainsi, les pieds carboni-ss, devant la porte, face la lavedu Vsuve.Dans lHistoire, on trouve deshommes et des esclaves qui ont

    dfi des rois et des armes, desgardiens qui nont pas reculdevant les forces de la Nature.

    Rome, un idal Rome nest pas une ville ni un lieu.Rome est un foyer, un foyer puis-sant qui illumine le monde. Romeaccueille, emprunte tous les peu-ples ce qui est le plus valable. Biensouvent, on parle de Rome defaon errone. On parle de sa cor-ruption, de sa dcadence, et cestvrai ; Rome a connu de grandescorruptions, est tombe en dca-dence mais, pourquoi est-elletombe ? Elle est tombe parcequun jour, elle a reprsentquelque chose.

    Lidal de Nouvelle Acropoleconsiste recueillir le meilleur, lescimes et non pas les abmes, sesouvenir des grands hommes, pasdes petits, recueillir les grandstriomphes et pas les checs. Nousavons lidal dune grande citoyen-net du monde, o tous leshommes pourraient tre Romains,non par leur naissance mais parleur niveau culturel, moral et par unsentiment profond. Rome nous a appris quil peut yavoir une capitale du monde, quetous les chemins mnent Romeet que tous les chemins peuventmener un centre de force et uncentre spirituel. Sur les chemins deRome, comme ctait le cas des

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  • anciens chemins qui partaient de laVille jusquen Amrique, ceux quirevenaient de Rome avaient la prio-rit. Les hommes leur cdaient lepassage parce quils rapportaientlesprit de la grande Capitale.Aujourdhui personne ne cde lepassage celui qui rapporte les-prit. Aujourdhui tout est techniquemais la technique nous tue. Latechnique nous permet de voyageret de communiquer. La seule chosequi ait progress ce sont lesmachines mais pas lhomme.Lhomme qui, aujourdhui, conduitles engins spatiaux nest pas meil-leur que celui qui conduisait hier unnavire romain. Lhomme bon estcelui qui doit crotre et se retrouver.

    Le pouvoir de la ConcordeCest pour cela que nous propo-sons un nouvel humanisme quisinspire de Rome ; un humanismenon pas bas sur des intrts pas-sagers mais qui vive au fond delHistoire, qui nous permette devivre la Concorde, un cur avecun cur, non seulement commeune position intellectuelle mais plusencore, comme une union descurs. Lhumanisme que nous pro-posons est une Concorde qui nouspermette de considrer comme un

    frre, lhomme qui a la peau noireou celui qui est dune autre religioncar ils ont le mme dsir deconstruire.Rome nous a appris que ce nestpas lor qui prime mais la qualit delme ; que nous pouvons vaincreles abmes en accumulant despierres en quilibre ; que nous pou-vons parfois convertir des hommesapparemment briss en tres quiont la force daller partout dans lemonde. Et Rome nous a enseignle pouvoir divin de la parole, ceVerbe mentionn dans toutes lesreligions dont Cicron a dit quelletait la force la plus grande, quellemarchait au-devant des armes etquelle se tenait blottie sous lespouvoirs des rois. Quand il arriva Alexandrie, legrand marc-Aurle, que toussaluaient avec le bras lev commepour un Csar, regardant les com-pagnons qui lavaient accompagndans lart oratoire, dit : Jauraisprfr que vous me saluiez avecune accolade. Ses camarades luidemandrent pourquoi : parceque les Csars passent mais lartoratoire, lui reste. Lart oratoire,venu de Rome est un grand art ora-toire de triomphe et de pouvoir.

    Les traces dun gant Rome, les hommes taient desgants. Les femmes taienthroques, comme celle qui, envoyant passer Csar, lui dit : Oh,Csar ! jai six fils dans la lgion ;dis-moi, comment vont-ils ? Csarretint sa bride et lui rpondit : Oh,matrone ! Je tapporte de mau-vaises nouvelles. Tes fils sontmorts, je le regrette. La matronelui rpondit : Csar, je ne tedemande pas sils sont vivants oumorts, je te demande sils ont faitleur devoir ! Csar lui rponditalors : Oui, matrone, ils ont faitleur devoir. Ils sont morts de faonhroque pour leurs aigles, ils sontmorts pour ce en quoi ils croyaient,dune faon digne et vraie. Alors,la matrone, les larmes aux yeux etune lumire dans le cur seretourna et dit sa famille et sesesclaves : marchez, ce soir il yaura une fte dans ma maison,parce que mes fils sont morts pourla patrie. Rome, ctait tout cela :ces hommes, ces femmes, cetidal, cette sensation de laigleimprial qui a la force de sleversur lhorizon, le regard fixe.L o vous irez, vous rencontrerezde grands restes de constructions,des paroles sages, des traces im -menses de murailles. Ce sont lestraces dun gant : par l un gant estpass, par l, Rome est passe

    Jorge Angel LIVRAGAFondateur de Nouvelle Acropole

    Article extrait dune confrence donnepar Jorge Angel Livraga lInstitutChileno-italien Santiago du Chili (Chili)en 1972. Traduit de lespagnol parGuilhem Le Grand.N.D.L.R. : Les intertitres ont t rajoutspar la rdaction

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  • La Renaissance fut une priode decrise essentiellement religieuseinduite par la dissolution desmurs des clercs et de la curieromaine, la richesse excessive desprlats et lhistoire des indulgences.La ville de Strasbourg nchappapas la rgle avec le passage pro-gressif aux ides de la Rforme,leffondrement de lenseignementalors sous la frule de lglisecatholique, le tout exacerb par lesproblmes politiques lis la suc-cession de diffrents empereurs la tte de lEmpire. Ces diffrentescrises engendrrent un profond

    questionnement, entranant unevolution des murs et des idesfavorables lavnement du mou-vement humaniste.

    La naissance de lhumanisme en AlsaceLe mouvement humaniste stras-bourgeois sintressa ltude deslangues et de la culture grco-latinede lAntiquit classique, commefondement de la connaissance. Ilmit au centre de ses proccupa-tions lhomme et sa place dans lemonde. Les humanistes menrentun triple combat, religieux, ducatif

    et pdagogique et politique. Ils ten-trent dincarner, chacun leurniveau et selon leurs attributs sp-cifiques les valeurs de lhonntehomme, du citoyen et du philo-sophe. Ils menrent des actionsaussi bien personnelles et indivi-duelles que publiques et collec-tives. Ils publirent leurs proprescrits, forts nombreux et parcouru-rent inlassablement lEurope larecherche du savoir et des ensei-gnements des matres. Ils rencon-trrent dautres humanistes pourconfronter leurs savoir et leursides, nhsitant pas changer entreeux une correspondance suivie.

    La diffusion des ides humanistesLes ides humanistes se diffus-rent en Alsace et plus particulire-ment Strasbourg grce au dve-loppement de limprimerie typogra-phique sous limpulsion deJohannes Gensfleisch (1399-1468)plus connu sous le nom de JeanGutenberg. Son objectif tait deproduire des ouvrages des prixavantageux et accessibles tous.En dix ans, limprimerie connut unessor trs rapide et Strasbourgdevint un centre de formation et dediffusion de cette nouvelle tech-nique en Europe. Les premiresuvres dites furent religieuses,rapidement suivies par des publica-tions dauteurs classiques puishumanistes (Erasme en particulier)et par des manuels scolaires.Devant un tel succs, le magistratet lEpiscopat mirent en place unecensure. Cest aussi cettepoque que furent cres desbibliothques dont deux devinrentles plus clbres : celle de BatusRhnanus Slestat et celle de

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    Entre le XV et XVIe sicle, Strasbourg fut au cur dunmouvement philosophique et culturel qui aprofondment marqu le renouveau de la socit : le mouvement humaniste.

    Le souffle du renouveau en Alsace

  • Jacques Spiegel, secrtaire de lar-chiduc Ferdinand. Le mouvement humaniste stras-bourgeois gagna toutes les stratesde la vie publique : la culture, la lit-trature, lenseignement, lart, lapolitique, la diplomatie et bien vi-demment la religion avec lavne-ment de la Rforme.

    La vie littraireJacques Wimpfeling, SbastienBrant et Jean Geiler de Kaysersbergfondrent en 1510 une socit litt-raire, sorte dacadmie la modeplatonicienne, la sodalitas literariaqui invita Erasme en 1514. Elleregroupait de jeunes intellectuelshumanistes, lacs ou clercs, dsi-rant cultiver et diffuser les lettresclassiques pour relever le niveauintellectuel et moral de leurs conci-toyens et dnoncer les dysfonction-nements de la socit de lpoque.Ils firent diter en latin et en languevernaculaire (1) (en allemand), desauteurs classiques, des ouvragesreligieux et surtout bon nombre descrits des humanistes de lpoque. Quand arriva la Rforme, celle-citrouva un cho favorable dans lesesprits strasbourgeois, imprgnsdes rquisitoires souvent violentsdes humanistes. Ceux de la premire gnration, linstardErasme, prnaient une rgnra-tion de lglise, sans rvolution, etles suivants furent gagns auxides de la Rforme.Les animateurs de la sodalitas lite-raria proposrent avant toute chosedes faons dagir et surtout dtrequi allaient rvolutionner la socit :Jacques Wimpfeling (1450-1528),pdagogue et un historien taitdsireux damliorer la qualit et lecontenu de lenseignement, de ren-

    dre au clerg sa dignit, de formerune gnration dhommes instruits,vertueux et capables de diriger leurvie et celle de leur cit.Jean Geiler de Kaysersberg (1445-1510), prdicateur trs populaire Strasbourg tenta de rtablir unemoralit de type humaniste aussibien au sein de lglise que dans lacit et mena une lutte incessantecontre le vice. Sbastien Brant (1457-1521),juriste et crivain fut clbre pourson ouvrage le Narrenschiff, la Nefdes fous, Ce pome recensait lesdiffrents types de folie, brossantun tableau de la condition humainehumaine, sur un ton satyrique. Lelivre obtint un grand succs, tant cause du thme de la folie lamode depuis le moyen-ge que parla prsence des illustrationsdAlbrecht Drer, qui permettaientaux moins instruits de comprendrele message. Enfin Batus Rhnanus (1485-

    rupture entre Erasme et martinLuther. Il fut reconnu pour lareconstitution rigoureuse demanuscrits anciens, pour sesuvres historiques GermaniaeRerum Germanicum Libri et pour laconstitution dune bibliothque deplus de mille livres lgus sa villede Slestat.

    La rforme de lducation et de la pdagogieAu milieu du XVe sicle, la ville deStrasbourg, qui ne possdait ni uni-versit ni cole latine fut supplantepar la cration dune cole latine Slestat sous linfluence des deuxgrands courants humanistes rh-nan et italien et de la DvotioModerna (2). Elle devint un centreducatif clbre. La rforme de lenseignement Strasbourg, largement inspire parla pdagogie rasmienne, dbutaavec Jacques Sturm par la crationdune commission des trois sco-larques. Celle-ci modifia complte-ment le paysage ducatif et pda-gogique de la cit, mettant laccentsur le passage de la Rforme et lesvaleurs humanistes. Ainsi furentcres au sein de la cit des coleslatines, des collges-internats, desbibliothques et mme des boursespour tudiants mritants mais ds-argents. En 1537, Jean Sturm(1507-1589), disciple dErasmerhtoricien, pdagogue et diplo-mate, jeta les bases de lenseigne-ment suprieur en fondant la Hautecole qui devint une acadmie puisune universit en 1621 ainsi que leGymnase... La renomme de lta-blissement servira de modle demultiples tablissements danstoute lEurope du Nord. Il a laissde nombreux ouvrages de rhto-

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    1547), souvent dsign comme lal-ter ego dErasme dont il fut lamifidle et qui linitia Platon et auxno-platoniciens, ctoya les rfor-mateurs strasbourgeois jusqu la

  • rique et des manuels scolaires trsbien conus.

    La vie politiqueJacques Sturm (1489-1553) fut leplus grand homme politique quaitconnu la ville libre de Strasbourg etincarna bien des carts les vertusde la Renaissance : tolrance,modration, recherche de paix etdunit dans le respect de lautre.Sa sagesse fut reconnue aussi bienpar les humanistes que par le pou-voir politique en la personne delempereur Charles Quint qui futpourtant son adversaire. Il menaune carrire politique prestigieusedans les affaires intrieures de lacit, en tant que stettmeister (3).Sur le plan de la politique ext-rieure, il mena une grande carrirediplomatique, notamment commereprsentant de Strasbourg laDite (4). Il joua un rle de premierplan dans la constitution de la liguede Smalkalde (5), participa lardaction de la Ttrapolitaine, textevisant exposer les points essen-tiels de la Rforme la Dite.

    La RformeSi certains humanistes avaientprn une rforme interne delglise, dautres, gagns aux idesde martin Luther, se sparrent delglise catholique. La messe futabroge Strasbourg en 1529 et lacit devint un refuge pour les rfor-

    ms trangers perscuts. Lafigure de proue de la Rforme Strasbourg fut martin Bucer (1494-1551). Il est considr aujourdhuicomme le pre de lcumnisme. Ilsvertua concilier les courantsdivergents au sein de la Rforme etavec la curie romaine. Aux cts deJacques Sturm il participa la liguede Smalkalde et la rforme delenseignement. Il prit galementpart de nombreux dbats tholo-giques, appels disputes, au seinde toute lEurope. Il fut habit parlide dune Europe unie, dunechrtient rnove, par le dialogueentre les glises et par lamour duprochain.Avec lhumanisme, un souffle derenouveau a travers lAlsace, ten-tant de rtablir des valeursthiques, dans une socit en proieaux drives morales et religieuses.Les humanistes ont mis au premierplan de leurs proccupations ledveloppement des qualits essen-tielles de ltre humain ncessairespour lui-mme comme pour laconduite en socit et dans la ges-tion de la cit. Leur grand force futdincarner ces valeurs dans leur viepersonnelle et publique

    Michle FLORIANGE (1) Langue parle couramment au seindune communaut(2) Courant religieux du XIXe sicle restclbre pour les mthodes pdagogiquestrs progressistes pratiques dans leurscoles

    (3) Fonctionnaire du pouvoir excutif dansles villes libres du Saint Empire romaingermanique(4) Anctre du parlement allemand(5) Union militaire des princes protestantsdAllemagne du nord en guerre contreCharles Quint, le catholique.

    Cet article est extrait dun articleLhumanisme en Alsace du XVe au XVIe

    sicle. Pour le consulter www.revue-acropolis.fr,rubrique Actualits

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    IIIe colloque de la revueAcropolis

    Dans le cadre des journesmondiales de la philosophiedcrtes par lUNESCO, du 18 au 20 novembre 2010 sest tenu Strasbourg, letroisime colloque de la revueAcropolis sur le thme delhumanisme en Alsace. Le publica pu dcouvrir les humanistesalsaciens qui ont marqu laRenaissance et contribu renouveler les valeurs morales et religieuses. Denis Marquet,auteur de lments dephilosophie anglique, paru auxditions Albin Michel a montrcomment lhomme pouvaitdevenir vritablement humain, en se librant du pass, enapprenant aimer sans limite, dire oui la vie.

  • Labeille est un animal essentielpour la survie de lhomme sur laterre. Elle nest pas seulement unfacteur de biodiversit mais par sonrle de pollinisation (1), elle est unagent agricole essentiel. Sans lesabeilles, de nombreux arbres etplantes ne pourraient produire lesfruits dont nous nous nourrissons.

    Les abeilles menaces par les pesticidesDepuis une vingtaine dannes, lesabeilles sont en danger. Leffon -drement des colonies dabeilles estlongtemps rest un mystre, ali-ment par des tudes contradic-toires sur les causes de la mortalitet par la difficult observer larelle activit des abeilles en pleinchamp. cela il faut ajouter la com-plexit et sophistication de lorga-nisme de labeille qui le rendent dif-ficile tudier.La premire mise en cause despesticides date de la fin des annesquatre-vingt dix en France.Lutilisation du pesticide Gaucho,puis Rgent sur le mas et le tour-nesol, associe leffondrementdes colonies dabeilles dans cer-taines rgions a conduit, au nom duprincipe de prcaution, leur inter-

    diction. Depuis les colonies sontrevenues leur tat initial et pros-prent, comme dans le dparte-ment du Lot.Ces pesticides ont tv commercia-liss dans dautres pays dEurope,comme lAllemagne ou lItalie, pro-voquant des taux de mortalitnormes dans les coloniesdabeilles de ces pays.Les firmes chimiques ont ripost,arguant que les nouvelles tech-niques appliques aux rcentesgnrations de produits phytosani-taires, qui consistent enroberdirectement la semence et non plus pulvriser les champs, contien-nent des doses infinitsimales depesticides, nettement infrieuresaux normes considres commeltales pour les abeilles.malgr cela, leffondrement descolonies a continu. Finalement, en2009, des chercheurs amricainspuis franais de lINRA ont mis envidence lexistence de plusieurs

    facteurs de mortalit des abeilles,notamment le fait que ces pesti-cides nouvelle gnration, mme des doses infinitsimales, favori-saient le dveloppement de virusmortels pour les abeilles.

    et par leur exploitationindustrielle ceci sajoute lexploitation indus-trielle des abeilles, comme auxtats-Unis o la moiti des coloniesdabeilles amricaines sont trans-portes une fois par an, durant troissemaines, dans une valle deCalifornie, pour polliniser desamandiers sur des dizaines de mil-liers dhectares. Cette exploitationindustrielle a eu pour effet daffaiblirla sant des colonies dabeilles, enles exposant une monoculture et des regroupements massifs deplusieurs origines, favorisant la dis-smination de virus et de dangersde toutes sortes. Afin dtre mainte-nues en vie, les abeilles sont dsor-mais alimentes par des nutrimentsartificiels incluant des antibiotiquesleur permettant de rsister auxmaladies. Labeille reste irremplaable. Sanslabeille, les facteurs de pollinisationnaturels comme le vent ou les bour-dons procurent des rsultatssoixante-dix fois infrieurs. Si lesabeilles disparaissaient, certainesespces vgtales ne pourraientplus se reproduire et certainesespces animales risqueraientelles aussi de disparatre. La nature est notre fondement,nous devons agir pour elle si nousvoulons vivre

    Anne NOTARAS

    (1) Action de rendre fertile

    EN V I RONNEMENT

    2 3

    Le mystrede la disparitiondes abeilles

    Au-del des polmiques autour de certains insecticides,que se passe-t-il rellement sur la plante des abeilles ? Et si elles venaient disparatre ?

    Si les abeilles venaient disparatre, lhomme naurait plusque quatre annes devant lui. Sans abeilles, plus de pollinisation,plus de plantes, plus danimaux, plus dhommes. Albert Einstein

  • matre Kong (Kong Zi, devenuConfucius en Occident), vcutentre 551 et 479 av. J.-C., unepoque trouble nomme Printempset Automnes, priode de chaos etde luttes entre les souverains desdiffrentes provinces de Chine. Onle dit contemporain de Lao Tseuquil aurait rencontr lors duneentrevue devenue lgendaire et deBouddha. La Chine de Confucius

    se caractrise par la dcadence dupouvoir central et le cynisme poli-tique. Cest dans ce bouleverse-ment politique quil faut replacer lesprincipales proccupations deConfucius et, en particulier, soninsistance sur la perte du mandatcleste, la perte de la Voie.Confucius se sent charg dunemission essentielle, celle de faireretrouver au monde la Voie perdue.

    De ses enseignements oraux com-pils par ses disciples, subsistenten particulier les Entretiens (1). Samission, celle dveiller le mondecomme un gong, le conduit pra-tiquer la vertu et enseigner toutau long de sa vie. La porte de sesenseignements grandit avec letemps et subit tous les alas delhistoire mais continue nous tou-cher par sa grande actualit.La lgende lui attribue des caract-ristiques exceptionnelles, une viede gloire et de pouvoir, un nombretrs important de disciples. Or, lavie de Confucius nous le prsenteplutt comme un ducateur,entour dun petit nombre de disci-ples fidles. De son propre aveu, ilnaquit dans des circonstancesmodestes et y resta toute sa viedurant. Confucius nourrit certes degrandes ambitions politiques, cher-

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    Philosophe et minentpdagogue, Confucius adonn naissance unedoctrine politique etsociale qui a t appliqueds la dynastie Han.Considr comme lepremier ducateur dela Chine, premier dessages et modle de dixmille gnrations saconception de lcole etde lducation aveclapplication de la vertuest encore dactualit denos jours.

    Confucius, lidal de lhomme de bien

  • chant dsesprment le Princecapable dappliquer sa doctrine,mais il mourut sans avoir pu vrai-ment les raliser.

    Une vie denseignantSon pre se marie 70 ans avecune trs jeune femme. Il nat en551 avant J.-C. Qu Fu, village dupays de Lu, lEst de la Chine,sous la dynastie des Zhou. Il perdson pre lge de trois ans et sepassionne trs jeune pour lestudes. Bien que doriginemodeste, il frquente les collgespour les nobles o est enseigne lavie militaire et celle de cour. Il yapprend lhistoire, la littrature, lecalcul, la musique et le tir larc.Employ en tant quintendant desgreniers publics, il est remarqupour son exactitude et sa prcision.Il devient un grand rudit et 22ans, il ouvre une cole Lu o ilenseigne lhistoire. Il est consultpar un grand nombre de souverainset certains lui proposent despostes, quil accepte ou refuseselon lthique du souverain. Il estnomm gouverneur du district deLu, puis ministre de la Justice. Ondit que le pays connut une priodede paix inconnue jusqualors. Puis,il quitte son district pour entrepren-dre de multiples voyages dans

    dautres Etats afin de faire coutersa voix. Il ne reoit pas lcouteespre, et aprs quatorze annesde tribulations, il rentre dans sonancienne province. Il constate queson enseignement reoit toujoursune grande coute mais jamais uneapplication correcte. Il consacrealors le reste de sa vie enseigner quelques disciples et meurt lge de 72 ans.On le prsente souvent comme unhomme doux et ferme, grave etsouriant. Il aimait beaucoup lamusique et tait prudent dans lac-tion. Partisan avant tout de lquili-bre et de la mesure.Sa pense fut trs souvent utilisepar les hommes politiques qui luiont succd, soit pour reprendrecertains aspects de son enseigne-ment (la pit filiale notamment),soit pour le combattre en le prsen-tant comme un homme conserva-teur et uniquement attach aupass (exemple de la campagneanti-confucenne dclenche lorsde la Rvolution culturelle).

    Un idal thique pour lhommeComme lcrit marcel Granet dansLa pense chinoise (2), la doctrinedu matre parat avoir t une doc-trine daction. Il enseignait unemorale agissante, et la lettre des

    principes lintressait moins quelaction morale quil entendait exer-cer. Cest en tant que directeur deconscience quil semble avoirmrit son prestconseillait de nerien faire sans consulter pre etfrre an.La pense de Confucius proposeun idal thique pour lhomme. Sipour les taostes, le Tao ou la Voieest la grande communion quirgnait lorigine entre les tres etles choses et quil sagit de retrou-ver, pour Confucius, la Voiedsigne plus spcifiquement laVoie des Anciens, cest--dire celledes mythes et des Sages Rois delAntiquit. Il est conscient que lapriode chaotique que connat laChine est due la perte de cetteVoie. Il estime ncessaire de pas-ser par cette voie pour retrouver unquilibre politique stable, comme ilfaut passer par la porte pour sortirdune maison. La politique nestpour lui pas une question de tech-nique mais de qualits thiques.On a parfois parl de son agnosti-cisme cause de son thiqueessentiellement fonde sur laffir-mation des valeurs humaines. Sarponse un disciple qui luidemande comment servir lesesprits, est caractristique cetgard : Tant que lon ne sait pas

    PH I L O SOPH I E S

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    Ecole de Confucius - QuFu

  • servir les hommes, comment peut-on servir leurs mnes ?(Entretiens livre XI, 11).Lenseignement de Confucius estcentr sur un idal pratique, fondsur une certaine conception delhomme et de sa nature thique.Lidal quil propose, contenu dansle terme chinois jun-zi, signifiant lit-tralement fils de souverain et,par extension, descendant dunefamille noble, est surtout lhommede bien. Lhomme de bien doit ten-dre vers la ralisation du Bienquest le ren. Le ren est le matremot de lthique confucenne. Leren est une vertu dhumanit. Il nedsigne pas un Bien abstrait,absolu, mais le bien quun hommepeut faire un autre. Vertu dhuma-nit si rare, toutefois, queConfucius ne juge personne dignede cette qualification !Voici un homme avec qui tu peuxparler ; tu ne lui parles pas : tuperds un homme. Voil un hommeavec qui tu ne dois pas parle ; tu luiparles : tu perds une parole. Sageest celui qui ne perd ni un hommeni une parole.

    Le renLes composantes du ren concer-nent les relations de lhommeconfucen : parents, souverain,amis. La pit filiale y est consid-re comme le ciment des rapportssociaux et hirarchiques.Etre bon fils, tre simplement bonfils et bon frre, cest dj prendrepart au gouvernement. (Entre -tiens, II, 21).Entrent galement dans la composi-tion du ren deux vertus dhonntet :- Zhong, la loyaut envers soi-mme et les autres ;- Xin, la fidlit la parole donnequi rend un homme digne deconfiance. Cest une forme deloyaut o la parole na de valeurque si elle saccompagne de lac-tion qui y correspond.Lhomme de bien doit enfin poss-der deux qualits sans lesquelles ilne saurait assumer de responsabi-lits politiques : zhi, le discerne-ment et yong, le courage.Le discernement permet de pren-dre les dcisions judicieuses, lecourage doit tre tempr par lesautres vertus.

    Le rle de lducationLes prceptes de la morale indivi-duelle guident dj lattitude poli-tique. Lhumanisme confucenplace une grande foi dans lduca-tion comme facteur damliorationconstante. tudier doit treentendu dans un sens pratique, devoir faire, entendre dire, cest--dire apprendre par exprience.Si jai seulement deux hommesavec moi, je suis sr davoir unmatre, disait-il.Le grand souci de Confucius estdonc de marquer que la vie encommun est, avec le contrlequelle entrane des moindresdtails de la conduite, le principe deperfectionnement qui fait dun indi-vidu humain un homme accompli.Lenseignement de Confucius estdonc une morale agissante et cesten tant que directeur de consciencequil sest fait le plus connatre.Pour ajouter lefficacit de sonenseignement, il avait souci de lin-flchir en fonction de son interlocu-teur. Les tranards, je les pousse ;les fougueux, je les retiens.Lducation est directement orien-te vers les responsabilits poli-tiques mais elle revt chezConfucius une dimension pluslarge, en devenant la mthodedirectrice de lart de gouverner.Toute la pense de Confucius estfonde sur le rapport entre le matreet le Prince. Un souverain ne peutgouverner que sil est lui-mmedroit, digne dtre un exemple etune norme pour ses sujets. Cestcette rectitude, cette exemplaritdans la personne mme du souve-rain qui lui permet de simposercomme tel, qui justifie son pouvoiret son autorit.Confucius ne condamne pas seule-

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  • ment la poursuite de lintrt, maistout esprit de comptition vulgaire.Lhonnte homme ne cherche quse surpasser lui-mme.

    Le rle fondamental du rituelAu rle primordial du souverain, ilfaut cependant ajouter, pour que seralise le gouvernement idal, lerle non moins essentiel du rituel,du li. Cl de vote de ldifice socialet marque suprme de civilisation,le rituel constitue en Chine le traitdistinctif entre barbares et civili-ss. Le caractre chinois li repr-sente un vase sacrificiel contenantdes objets prcieux destins auxesprits, et par extension, dsigne lerituel du sacrifice offert par le sou-verain ou ses vassaux aux mnesde leurs anctres. Le rituel doit treaccompagn de musique et dedanses qui constituent lharmonieet lefficacit du geste. Ce rituel,pour Confucius, en vient marquertoutes les activits humaines. De lprovient lide que cest de laccom-plissement rigoureux des ritesroyaux que dpend la bonnemarche de lEtat mais aussi la paixet le bonheur du peuple, la fertilitdes champs, lordre social.Leffort de Confucius pour revenir la vision authentique du rituel nestpas un rflexe de conservateur,mais la tentative de retrouver uneforme dquilibre social. Le ritueljoue dans le bon fonctionnement dugouvernement un rle fondamen-tal, puisquil canalise les nergieset les instincts individuels dans descomportements harmonieux, facili-tant ainsi les relations politiques etsociales. Cest lesprit, et non la let-tre du rituel que Confucius tente deretrouver. Loin de prner une adh-sion aveugle, dogmatique une

    forme quelconque dtiquette ou dergles arbitraires, il accorde unegrande importance lexprienceet au jugement de chacun. Le yi estce sens du Juste, cette capacit dejuger ce quil est quitable de fairedans telle circonstance.Dans les affaires du monde,lhomme de bien na pas une atti-tude rigide de refus ou daccepta-tion. Le juste est sa rgle(Entretiens IV, 10). Il ny a donc pasdans la pense de Confucius decritres absolus, de valeurs abs-traites mais plutt un rapport com-plexe entre les situations environ-nantes et le sens du Juste.Lhomme de bien est impartial etvise luniversel ; lhomme de peu,ignorant luniversel, senferme dansle sectaire (Entretiens II, 14).

    La vie en socit linstar du Bouddha, Confuciusrejetait toute spculation sur luni-vers et faisait de lhomme lobjetpropre du savoir. Cest grce lavie de socit que se constituepour lui la dignit humaine.Confucius cherche rendre sensi-ble lunit dun principe dordreunissant, la manire dun courantrversible, des groupements hirar-chiss (les amis, les parents, ledomaine, lEtat) mais troitementsolidaires qui vont de lindividu lUnivers. Pour lui, la vie en socit

    est ltape obligatoire entre lhom -me et lUnivers, la diffrence de lavision taoste, philosophie plus cos-mique o la voie du sage nest pasforcment une voie sociale. Quine reconnat le Dcret Cleste nesaurait tre homme de bien. Qui nepossde les rites ne saurait saffir-mer. Qui ne connat la valeur desmots ne saurait connatre leshommes (Entretiens XX, 3).Lhomme de bien a souci de neufchoses : il sapplique bien voir cequil regarde, bien entendre cequil coute. Il a souci de respirer labienveillance dans son expression,la dfrence dans ses manires,lhonntet dans ses paroles, lesrieux dans son travail. Dans ledoute il demande conseil ; dans unaccs de colre, il pense auxconsquences ; dans la perspec-tive dun profit, il garde le souci duJuste Entretiens, XVI, 10.Confucius affirme que cest au seinde la socit que lhumanit delhomme saccomplit. Cest en celaque sa vision est complmentairede celle de Lao Tseu qui prnedavantage une fuite du monde pourmieux rintgrer lunit

    Brigitte BOUDON

    (1 )Entretiens, Confucius, traduit duchinois par Anne Cheng, Seuil, 2004(2) La pense chinoise, Marcel GRANET,Albin Michel, 1999

    PH I L O SOPH I E S

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  • Un sentiment mtaphysique

    Quel que soit son tat lindividu estseul ; la solitude exclut la notiondge, de sexe - elle est un senti-ment mtaphysique. Chacun a djprouv la sensation de se sentirseul au sein dune foule, ou mme,parmi ses proches. Nous avonstous fait lexprience, heureuse oudouloureuse, de notre propre uni-cit et partant, de notre solitudeirrductible.Dans les mythes, les contes et leslgendes, le hros est toujours irr-mdiablement seul lorsquil sagitdaffronter le dragon, la situationprilleuse ou le dieu vengeur ; aumoment crucial, celui du combatdcisif qui engage le hros sur savie et son me, celui-ci ne peutcompter que sur lui-mme. Car cest au moment de la plusgrande vulnrabilit, de la plusgrande solitude que peut se rveil-ler la force qui sommeille en cha-cun de nous. Dpouills de nosartifices, dlests de tout ce qui neconstitue pas nos pouvoirs vrita-bles, nous voil enfin dans ltat de

    solitude rayonnant, cest--dire,paradoxalement, pleinement pr-sents nous-mmes, authentiqueset profonds - prts dcouvrir nosressources intrieures.

    La solitude est bonne aux grands esprits et mau-vaise aux petits. La solitude trouble les cerveaux quellenillumine pas.Victor Hugo, Choses vues

    Une source de crativitNe pouvoir compter que sur soi-mme, ce nest pas mpriser lepouvoir des autres mais apprendre dpendre de soi avant de dpen-dre dautrui, sortir de la passivitpour entrer dans laction et dans lavie. tre seuls face nous-mmesnous permet de faire linventaire denos propres ressources intrieures.Jacqueline Kelen dit : La solitudeoffre chacun le recul et le rassem-blement des forces indispensables

    pour uvrer. Elle permet de sedgager des contingences et frivoli-ts du quotidien et de faire linven-taire de ses ressources person-nelles. Dans la solitude on amassedes munitions. Si de ces provisionson ne cre rien, on ne parcourtquune partie du chemin. La soli-tude est un dtachement qui mne un dbordement. Si elle ne fructi-fie pas, elle nest quisolement (1).Du vide apparent peut ainsi natreun plein, si nous prenons cons -cience que nous sommes dposi-taires dun trsor. mais ce trsor nenous est pas rvl demble, ilnous incombe de partir sarecherche en apprenant dvelop-per une vie intrieure qui nousmette en contact avec linfini quenous portons en nous.

    Les fruits sacrs de la solitudeLa solitude est donc loin dtre uneposition hautaine et misanthrope.Elle incarne plutt la volont depoursuivre une dmarche intrieureen toute lucidit : [] il existe aussi

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    La solitude est le plussouvent connotengativement, synonymede tristesse etdisolement. Pourtant elleest injustement mprisecar lorsque nousparvenons lapprivoiser,elle se rvle exaltante etfructueuse

    Peut-on apprivoiser la

    solitude?

  • des hommes et des femmes excep-tionnels qui, ayant parfait leur exp-rience, ont besoin de la rflexion etde la mditation profondes, loin duva-et-vient du monde ; pour eux, ilest lgitime de se sparer dumonde. mais cest une sparationsilencieuse et humble, crative etfertile car ils retourneront dans lemonde, dans leur vie prsente oudans une autre, pour apporter auxautres hommes les divins trsorsdcouverts dans les profondeursde leur propre tre (2).En effet, la vritable solitude ninvitepas se perdre dans notre laby-rinthe intrieur mais bien aucontraire en trouver le centre afindaider ensuite nos semblables apprivoiser leur propre solitude, toutcomme nous sommes parvenus le faire pour nous-mmes : Si lemonde, avec ses changements, estun adversaire ou une adversit, levrai philosophe doit laffronter et levaincre ; non pas en schappant,mais en transformant ce monde, outout au moins en le dominant (3). Et cest bien de cet unique mouve-ment, partant de notre cur enrichides fleurs cueillies dans la solitudefructueuse et allant la priphriede nous-mmes, que se situe lefondement de notre action de philo-sophes

    Lonie BEHLERT

    (1) Jacqueline Kelen, LEsprit desolitude, Editions Albin Michel 2005,p.132(2) Jorge A. Livraga, Lettres Dlia etFernand, Editions Nouvelle Acropole1994, p.93

    (3) Ibid. p.91-92

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    6

    6Dernires parutions

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    En ventedans le centre

    Nouvelle Acropole le plus proche de chez vous !

    QUES T I ON P H I L Oditions

    Nouvelle Acropole

    Pour plus dinformationssur nos dernires parutions,consulter la rubriqueA Lire page 45 et 46

  • Incarnation de la compassion uni-verselle, Kannon est un boddhi-sattva et la divinit la plus populairedans toute lAsie. Connue sous dif-frents noms (1), figure majeure dubouddhisme du Mahayana ouGrand Vhicule (2), on linvoqueaujourdhui encore pour recevoir saprotection dans toutes les difficults

    de la vie (catastrophes naturelles,agressions), demander la nais-sance des enfants et galementpour tre accompagn par lui dansson voyage vers les Terres puresde lOccident, au moment de lamort. Capable de prendre de multiplesformes pour se manifester en notre

    monde, il est lobjet dune iconogra-phie abondante, de type aussi bienrituel que populaire.

    De multiples formes de manifestationsLe bodhisattva est un tre (sattva)qui uvre pour librer tous lestres des prisons des passions etde lignorance. Les pouvoirs quil aacquis par ses propres mrites luipermettent de se manifester soustoutes sortes de formes poursadapter aux circonstances.Kannon est lunique bodhisattva quipeut prendre tantt la forme mas-culine, tantt la forme fminine.Celle-ci, tout particulirement auJapon et en Chine est connue sousle nom de Guanyin, o elle favorisela demande denfants si importantepour prserver la continuit rituellefamiliale. Le Sutra du Lotus (3) nu-mre trente-trois de ces formes, quivont dun corps de bouddha jusquceux dune pouse ordinaire enpassant par toutes sortes de per-sonnages daspects divins ouhumains. Au XVIIe sicle, leButsuzo zui de Gizan reproduit unesrie des Trente trois incarnationsde Kannon prsentes avec dtaildans louvrage de Jrme Ducor (4).

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    Il existe une grande figuredans le bouddhisme qui se dresse pour aider toutepersonne en difficult, chaque fois que lonprononce son nom. Ilsagit de la dit Kannon(nom japonais de la ditAvalokiteshvara) trsconnue en Asie.

    Regards sur KannonLe grand compatissant

  • Kannon, autre nom de Avalokitasvara lorigine, en Inde (5), le nom dubodhisattva Kannon tait Avalo -kitasvara, de Avalokita (seigneurqui observe) et de svara (le son),do celui qui considre lesappels, ce qui dsigne le rledmissaire quil remplit auprs desbouddhas Shakyamuni et Amitabhadans le Krandavyha Stra (6). Lenom de Avalokitasvara voque soninfinie compassion qui lui fait scru-ter les cris de tous les tres plongsdans la souffrance, afin dintervenirpour soulager leurs peines.Avalokitasvara est sans doute legrand bodhisattva, le plus vnr etle plus populaire parmi les boud-dhistes du Mahayana. Bodhisattvaprotiforme et syncrtique, il peutreprsenter tous les autres bodhi-sattvas et incarne la compassionultime. Au Tibet, le Dala lama estconsidr comme une de ses ma-nations. galement nomm Padmaiou mipadm Avalokitasvara est invo-qu par le clbre mantra (7) OmManipadme hum (8). Limportance de son regard vientdu fait quen Orient, la vision a unrle actif car les yeux projettent dela lumire sur lobjet observ.Lorsque Kannon scrute de sonregard les voix du monde, il balayelunivers de sa lumire de compas-sion, tel un phare sur la mer. Doson nom de Vigie-des-voix-du-monde.

    uvrer pour le bien des hommesLune des lgendes les plus cl-bres est dorigine tibtaine.Avalokitasvara/kannon (Chen rezig en tibtain) serait n dun rayon

    de lumire mis par un ildAmitabha, le Bouddha Lumire-infinie qui prche sur sa Terre purede lOuest. Lorsquil voulut uvrerpour le bien de tous les tres, il fiten prsence dAmitabha le vusuivant : Aussi longtemps quunseul tre naura atteint lveil, ju-vrerai pour le bien des tres. Si jevenais manquer cet engage-ment, que ma tte clate en dixmorceaux, que mon corps se briseen mille parties. Amitabha accueil-lit cette promesse et promit de lai-der laccomplir. Pendant unedure incalculable, le corpsdAvalokitasvara/chenrenzig mitsix rayons de lumire qui produisi-rent dinnombrables manationspour soulager les souffrances dessix classes dtres (dieux, demi-dieux, humains, animaux, espritsaffams, enfers). Aprs de nom-breux kalpas (9), il prit un momentpour regarder sil restait encorebeaucoup dtres librer dans lesamsara (10). Hlas, il lui semblaque le nombre avait peine dimi-nu. Dcourag, il jugea sa tcheinutile ; mieux valait se reposerdans la paix du Nirvana (11).Ruinant par cette pense sa pro-

    messe, sa tte et son corps se bri-srent. La douleur fut grande et ildemanda laide dAmitabha. Celui-ci lexhorta continuer sa tche etpour rendre sa puissance plusgrande, il recomposa sa tte, en luidonnant dix visages, neufs paisi-bles et un irrit, pour quil post sonregard de compassion sur tous lestres la fois et couronna lensem-ble de sa propre image pour rappe-ler sa prsence en lui. Prenant lesmorceaux de son corps, il en fit unnouveau corps do rayonnaientmille mains marques par milleyeux de compassion.

    La symbolique des mainsAvalokitasvara/Kannon, dit auxmille mains est nomme parfoisRoi de lespace et ses attributssont canoniquement reprsents.Parmi eux, on distingue les yeuxsur les paumes des mains, poursignifier ce regard attentif toute lasouffrance du monde. Dix mainsprincipales symbolisent son corpsessentiel (dharmakaya), racine desa ralisation. Les deux premiresmains sont jointes sur la poitrine etabritent le Joyau qui exauce lesdsirs. Les autres mains gauches

    ART & SMBOL I SME

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    Le Sutra des contemplations de Vie infinieLumire immacule et trs pure,Ce soleil de sagesse brise toutes les tnbres,Subjugue le vent et le feu calamiteuxEt, partout, claire brillamment le monde.La compassion quil incarne prvientTel un coup de tonnerre.Et la bienveillance qui lanime,Merveilleuse comme une nue,Rpand en douce rose la pluie de la Loi,Qui teint la flamme des passions.Fragment du Pome du Vnr-du-monde, in opus cit

  • tiennent : le lotus blanc de la puresagesse, le pot du nectar de la lon-gvit, le joyau qui exauce volont, larc de la connaissance etla flche des moyens adapts ladlivrance des tres. Les autresmains droites tiennent : le chapeletdu mantra dAvalokitasvara, la rouede la Loi bouddhique, le geste dudon de labsence de crainte, unbouddha de transformation. Lestrente-huit mains suivantes, avecdivers accessoires, symbolisentson corps de gloire (sambhoga-kaya), par lequel il se rend visibleaux autres bodhisattvas. Les neufcent cinquante-deux mains res-tantes symbolisent ses corps detransformation (nirmanakaya), quilmanifeste auprs des tres ordi-naires plongs dans la souffrance.Ses onze ttes sont disposes enpyramide : les six premires sontsouriantes, les quatre suivantesfurieuses, car elles se tournentcontre les passions ; la dernire, ausommet, est celle de BouddhaAmitabha.

    Les six formes de KannonAu Japon, en tant que protecteurdes vivants, il peut prendre sixformes particulires pour uvrerdans les six mondes. On les

    nomme dans ce cas les sixKannon. 1. Kannon le Saint : reprsentationla plus simple, quivalent Padmapani, le porteur du lotus,indien. Il est associ aux enfers. 2. Kannon aux onze faces : les dixpremires reprsentent son ubi-quit et la onzime, le BouddhaAmitabha. Elle correspond la des-tine des titans.3. Kannon aux mille mains : sareprsentation la plus spectaculaireest dans le temple de Sanju -sangendo Kyoto, o la statueprincipale est entoure de mille sta-tues grandeur nature de Kannon. Ilintervient dans le monde desesprits affams.4. Kannon la roue et la gemmeexauant volont : sa premiremain droite fait le sceau de larflexion et la premire gauchesappuie sur le mont Potalaka, sarsidence. Les quatre autres por-tent la gemme, un chapelet, unlotus et la roue de la loi. Il est pr-sent dans le monde des dieux.5. Kannon la tte de cheval :seule forme laspect furieux. Il estassoci la destine des animaux.6. Kannon au lasso infaillible :forme associe la destine deshommes. Le lasso signifie quil pos-

    sde les moyens infaillibles dattra-per les ignorants pour les conduiresur le chemin de la libration.

    Des adaptations surprenantesde KannonEn Chine, la fminisation deKannon lui a valu dtre rcuprpar les catholiques de lEmpire dumilieu pour reprsenter la Viergemarie dans des temps o ils taientperscuts. Ils ont vnr demanire clandestine une forme demarie Kannon.Au Japon, le crateur des appareilsphotos, Yoshida Gor, fidle deKannon, donna son nom lamarque, dabord par le nom deKwanon, ensuite Kyanon, pourdevenir en anglais, le fameuxCanon. Il choisit comme logotype

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  • une de sept formes de Kannon,celle de Cundi dix-huit bras, maiscet usage na pas perdur.Incarnation de la compassion, lin-vocation du bodhisattva Kannonest dautant plus dactualit, que leJapon est entrain de connatredepuis le 11 mars 2011 des boule-versements sans prcdents danslhistoire, du tremblement de terre,en passant par le tsunami et lamenace nuclaire. Que Kannonpuisse apaiser les souffrances etdonner force spirituelle, morale etphysique ce vieux peuple de sur-monter les obstacles et de retro verla paix et la srnit

    Laura WINCKLER

    (1) En hindi Avalokitasvara, en chinoisGuanshyin ou Guanyan, en japonaisKannon, en tibtain Chenrezig, envietnamien Qun The m, en indonsienKwan Im, en khmer, Lokevara(2) En sanscrit, Mahayana, doctrine dubouddhisme qui prne le fait que tout trevivant peut atteindre lillumination etrecevoir de laide pour veiller le Bouddhaqui est en lui.

    (3) Le sutra est un canon, un livre, un critspculatif ou philosophique, rdig sousforme daphorisme. Cest sur le Sutra duLotus quont t fondes les colesTiantai en Chine et Tendai et Nichiren auJapon.(4) Le regard de Kannon, Jrme DUCOR,ditions Infolio et Meg, 2010(5) Le bodhisattva Avalokitasvara apparatdans le Sutra du cur


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