DIPLOME INTER-UNIVERSITAIRE SOIGNER LES SOIGNANTS
Mémoire de fin de DIU
Présenté par:
Docteur Martine DEKENS
Date de naissance: 17/10/1959
Lieu d’exercice: AMIENS
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Faculté de médecine de Paris 7
Faculté de médecine de Toulouse-Rangueil
Prendre soin de soi pour prendre soin de l’autre
Une proposition d’accompagnement de médecins dans une structure d’entraide
18 Novembre 2016
Directeurs d’enseignement:
-Professeur Eric GALAM
Paris Diderot
-Professeur Jean-Marc SOULAT
Toulouse Rangueil
-Docteur Jean-Jacques ORMIERES
Année universitaire 2015-2016
SOMMAIRE
I) Introduction
II) Méthode
2.1) Les outils
2.2) Deux expériences
2.2.1) Médecin du travail dans un service de santé au travail
2.2.2) Médecin effecteur MOTS
III) Synthèse et proposition d’une démarche d’accompagnement
3.1) Quel niveau d’accompagnement
3.2) Auto-évaluation: je respecte mes besoins
3.2.1) Le cadre qui me permet de rester dans le confort
3.2.2) La reconnaissance
3.2.3) Proposition d’un questionnaire d’auto-évaluation
IV) Discussion à propos d’un cas clinique
V) Conclusion
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I ) Introduction:
Ce mémoire a pour objectif de proposer un modèle d’accompagnement de
médecins en difficultés en partant du postulat suivant: « prendre soin de soi
pour prendre soin de l’autre » et ceci dans le but de préserver une qualité
d’écoute nécessaire à la relation thérapeutique. La question centrale: « qu’est
ce que prendre soin de soi dans la relation thérapeutique » a été peu abordée
dans la littérature en ce qui concerne l’accompagnement de médecins;
l’attention étant centrée sur le médecin accompagné et ses particularités
(E.Galam, 2013). Elle apparaît comme essentielle et interroge la congruence
du médecin accompagnant face à un soignant en souffrance qui ne s’est pas
respecté dans la relation à ses patients. J’expliciterai tout d’abord les concepts
d’Analyse Transactionnelle que j’utilise, m’appuierai sur deux expériences de
soutien: l’accompagnement de salariés en souffrance au travail en tant que
médecin du travail et l’accompagnement de médecins dans l’association
MOTS. Riche de ces deux expériences et de cette formation, je partagerai sur
le « comment j’ai appris à prendre soin de moi » dans l’accompagnement.
Enfin, un cas clinique illustrera cette démarche et prêtera à discussion.
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1
II) Méthode:
2.1) Les outils:
Médecin du travail, face à l’émergence dans les années 2000 des risques
psycho-sociaux en entreprise, je cherche des outils afin de donner sens à ce
que j’observe tant chez les salariés qu’au sein des entreprises. Je conscientise
également que mon positionnement, face à des salariés en souffrance n’est
parfois pas adapté, que des situations se compliquent sans que je comprenne
bien pourquoi. Je ressens fortement le besoin de soutenir ma pratique. En
2004, lors d’une formation en alcoologie, l’intervenant, Psychiatre, nous parle
d’Analyse Transactionnelle (AT) et partage quelques notions sur les concepts
de base : positions de vie, états du moi, triangle dramatique, injonctions. Ce
que je perçois intuitivement prend sens et je décide alors de me former.
Crée par Eric Berne, l’AT est une théorie de la personnalité et une
psychothérapie systématique en vue d’une croissance personnelle et d’un
changement personnel. L’AT est une théorie de la personnalité qui montre
comment, à partir du concept des états du moi, les gens sont structurés
psychologiquement. C’est également une théorie de la communication
puisqu’elle fournit une méthode d’analyse des échanges entre les individus, les
groupes. Elle est un instrument thérapeutique car étant une méthode d’analyse
de la structure de l’individu et de ses échanges, elle permet d’aider les
personnes à reconnaître leurs problèmes et à les résoudre. C’est également une
méthode contractuelle qui favorise la responsabilité de chacun dans une
relation d’égal à égal.
J’exposerai brièvement les concepts d’AT (I.Stewart, V.Joines, 2005)
(F.Brécart, L.Hawkes, 2008) tel que je les transmets et détaillerai comment je
les utilise au service du médecin accompagné plus particulièrement:
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2
-Les besoins fondamentaux:
Alors que Freud a construit sa théorie du développement à partir des pulsions,
Eric Berne élabore une théorie du développement en tenant compte des
besoins fondamentaux de la personne: le besoin de structure et le besoin de
stimulation, auxquels s‘ajoute ensuite le besoin de reconnaissance.
-Besoin de structure: l’être humain ne peut vivre dans le chaos. Il a besoin
d’un cadre, d’un contenant qui le rassure et l’aide à gérer ses émotions.
-Besoin de stimulation puis de reconnaissance qui construit et renforce
l’estime de soi. Il existe 5 façons d’échanger des signes de reconnaissance:
donner, recevoir, refuser, demander et se donner à soi.
Dans le milieu professionnel, le cadre est interrogé par les conditions et
l’organisation de travail. La fonction contenante de l’accompagnant aide
l’accompagné à contenir son propre psychisme (J.Chami, 2006).
Je questionne le médecin sur le comment il échange des signes de
reconnaissance (strokes), selon le schéma ci dessous, en posant la question
suivante: « sur une échelle de 0 à 100, à combien estimez vous savoir donner,
recevoir…» Je constate fréquemment un déséquilibre dans leur manière
d’échanger les strokes: donner beaucoup, pour recevoir peu, se donner peu à
soi, ne pas refuser la dévalorisation et demander peu. Un tel système a pour
conséquence une carence en signes de reconnaissance qui alimente une
mauvaise estime de soi.
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Donner 80
Recevoir 30Refuser 30
Se donner à soi 30
Demander 20
strokes
Figure 1: Exemple d’un système d’échange de signes de reconnaissance
3
-Les états du moi:
Un état du moi est un ensemble cohérent de pensées et de sentiments
directement associé à un ensemble correspondant de comportements. Le
modèle de Berne indique 3 états du moi: le Parent, l’Adulte et l’Enfant
(modèle PAE). On diagnostique l’état du moi selon les pensées, les sentiments
exprimés par la personne et les comportements qui en résultent. Si l’individu
se comporte, exprime des pensées et des sentiments introjectés à partir des
figures parentales, il se trouve dans son état du moi Parent. Si les
comportements, les pensées et les sentiments se situent en lien direct avec l’ici
et maintenant, il est dans son état du moi Adulte. S’il se comporte, pense et
ressent tel qu’il le faisait enfant, il est dans son état du moi Enfant.
Le modèle structural correspond à la personnalité de l’individu, ce qu’il est,
comment il est structuré. Le modèle fonctionnel correspond à comment
l’individu exprime sa personnalité, comment elle se manifeste à travers des
comportements. Les états du moi se représentent ainsi:
Figure 2: modèle structural Figure 3: modèle fonctionnel
PC: Parent Critique PN: Parent Nourricier
A: Adulte
EAS: Enfant Adapté Soumis EAR: Enfant adapté Rebelle EL: Enfant libre
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P
A
E
PC PN
A EAS EL EAR
4
Chaque état du moi a un versant positif et un négatif: le PC + est protecteur, le
PC- persécuteur. Le PN+ est permissif, le PN - entrave l’autonomie.
Le modèle structural interroge les contaminations: très souvent existe une
double contamination de l’A par l’E et par le P.
Figure 4: double contamination
Exemples:
Préjugés: « tous les patients sont démunis face à la maladie », « un médecin
n’a pas le droit à l’erreur »
Illusions: « je suis tout puissant », « l’autre sait de quoi j’ai besoin »
Le modèle fonctionnel permet de comprendre à partir de quel état du moi la
personne entre en relation. Johnson (2009) a décrit 2 types de médecins
perfectionnistes: le perfectionniste orienté vers soi qui consiste à se demander
à soi même la perfection (PC interne très présent) et celui qui est orienté vers
les autres et qui consiste à demander la perfection aux gens qui nous entourent.
Ce dernier s’exprimera plus facilement à partir d’un PC négatif (persécuteur)
et le premier à partir d’un PN négatif (sauveur); la position étant une position
de toute puissance dans les deux cas. Certains présentent une combinaison de
ces deux types.
Les positions de vie: une position de vie est l’ensemble des croyances
fondamentales qu’une personne a sur elle même et sur les autres et qu’elle
!
Préjugés
Illusions
P
A
E
5
utilise pour justifier des décisions et un comportement. Il existe 4 positions de
vie:
(+,+): je suis quelqu’un de bien et les autres sont des gens bien
(-,+): je ne vaux pas grand chose, les autres valent plus que moi
(+,-): personne ne vaut quelque chose et je vaux plus que l’autre
(-,-): nous ne valons pas grand chose, ni moi, ni les autres
Le persécuteur (PC-), comme le sauveur (PN-) ont une position de vie (+,-) ,
position de toute puissance: l’un dévalorise, l’autre « prend en charge »
entravant l’autonomie. Nous avons une position de vie existentielle
(psychologique) et différentes positions de vie selon les situations sociales
(défensives).
-Le sentiment parasite: le sentiment authentique est en rapport avec
l’événement, est justifié et permet d’être actif sur la situation rencontrée. Le
sentiment parasite (ou racket), encouragé dans l’enfance, a permis de nous
adapter à notre environnement, de le contrôler et d’obtenir des signes de
reconnaissance. Il s’est ainsi substitué progressivement au sentiment
authentique. Le sentiment parasite est un sentiment répétitif que nous
manifestons le plus souvent en situation de stress avec, pour but inconscient, la
recherche d’attention, le besoin d’exister et d’être reconnu par les autres.
Exemple: dans notre société la colère est réprimée chez la femme et la tristesse
encouragée. Face à une situation justifiant la colère (émotion qui permet de
mettre des limites à l’autre), la personne exprimera de la tristesse, ce qui ne
l’aidera pas à résoudre sa situation mais elle recevra des signes d’attention de
son entourage.
-Les jeux psychologiques- Le triangle dramatique de Karpman: Berne défini le
jeu comme « une série de transactions complémentaires cachées (sous
entendus), qui tendent vers un bénéfice bien défini et prévisible ». Les jeux se
jouent au moins à deux et chacun est responsable. Ils sont répétitifs,
inconscients, aboutissent au fait que les joueurs éprouvent des
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sentimentparasites. Ils comportent un moment de confusion où chacun change
de rôle et se terminent par le bénéfice final qui est prévisible bien
qu’inconscient: « J’ai bien raison de croire que je suis…, les autres sont… et
la vie est… ». Le déroulement d’un jeu est représenté par la formule J de
Berne:
Appât (MC) + Point faible = Réponse >>> Coup de théâtre >>> Moment de
confusion >>>Bénéfice final MC: message caché
Point faible: zone vulnérable
Karpman (1968) le représente par un triangle avec 3 positions: victime,
sauveur, persécuteur. Les joueurs entrent dans le jeu dans une certaine position
et au moment du coup de théâtre changent de rôle sur le triangle: le sauveur
devient victime ou persécuteur, la victime persécutrice, et le persécuteur
victime
Figure 5: Triangle de Karpman
Nous jouons pour confirmer notre position de vie, nos croyances de scénario*
et ainsi l’alimenter. Il nous permet d’éviter l’intimité, d’échanger des signes de
reconnaissance bien qu’ils soient négatifs, de répéter le protocole infantile de
notre histoire. Il est rassurant car prévisible: j’ai pu observer combien les
personnes jouent dans les entreprises quand les besoins fondamentaux (cadre
et reconnaissance) ne sont pas respectés.
!
P S
V
7
*Scénario: Plan de vie inconscient élaboré dans la petite enfance sous pression parentale, qui dirige le
comportement de l’individu dans les aspects les plus importants de sa vie (E. Berne, 1981)
Le persécuteur est le PC -, le sauveur le PN - et la victime l’EAS. La position
du sauveur est fréquente dans les professions d’aide à la personne et en
particulier chez les médecins. Afin de vérifier si, dans l’accompagnement,
nous sommes en position de sauveur, il est utile de nous poser 4 questions:
-La personne me fait elle une demande ? Combien de fois allons nous vers
des options sans qu’aucune demande ait été formulée ?
-Ai je les compétences? Cela fait-il parti de mes missions ? Suis je le ou la
mieux placé pour y répondre ?
-L’autre fait il sa part ?
-Ai-je envie d’y répondre? Ceci afin que mes besoins soient respectés ou tout
du moins interrogés.
Si je réponds NON à une de ces 4 questions: il se peut que je sois dans la
position du sauveur avec le risque de finir victime à la fin du jeu.
Enfin, si la personne accumule suffisamment de sentiments négatifs, il est
possible qu’elle aboutisse à un suicide, confirmant ainsi une issue de scénario
dramatique.
D’autres concepts mériteraient d’être développés: les injonctions, les drivers
par exemple. Ceux précédemment cités sont les concepts les plus
fréquemment partagés.
2.2) Deux expériences m’ont permis de repérer les facteurs favorisants et les
limites des accompagnements. Elles m’ont également appris à identifier et
respecter mes besoins
2.2.1) Médecin du travail formé en Analyse Transactionnelle
Après 2 ans de formation en Analyse Transactionnelle et le soutien de mon
superviseur, je propose à mon service de santé au travail d’accompagner des
salariés sur des suivis de courte durée. Le contrat triangulaire (F.English,
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1978) défini entre le service de santé au travail, les salariés et moi-même
permet de poser le cadre suivant:
- Les personnes me sont adressées par des collègues. Je me refuse, pour des
raisons éthiques, d’accompagner des salariés dont je suis le médecin du
travail.
- Un premier entretien avec le salarié pose les bases de notre collaboration:
le nombre de séances: 6,
la durée: 1h,
la périodicité: toutes les 2 semaines,
les conditions d’absence et d’arrêt.
L’employeur n’est pas informé de la démarche, sauf à l’initiative du salarié, et
les séances se déroulent en dehors des heures de travail dans mon cabinet
médical. Ces accompagnements ne sont pas facturés et la prise en charge est
assurée dans le cadre des missions d’un service de santé au travail. J’insiste,
lors de ce premier entretien, sur la confidentialité tant vis-à-vis de l’employeur
que de mes collègues. Les séances sont enregistrées avec l’accord des
personnes et supervisées si j’en ressens le besoin. J’aménage mon cabinet pour
l’occasion, me positionnant face à mon interlocuteur, sans bureau qui fasse
écran, ce qui me permet aussi de quitter la position de médecin du travail.
Ce premier entretien confirme également si un accompagnement de bref durée
est envisageable et s’il peut répondre au problème identifié par le salarié. Il
m’arrive d’ailleurs, à plusieurs reprises, d’orienter la personne vers un
psychothérapeute externe dès ce premier entretien.
Nous définissons ensemble un « contrat d’accompagnement » réalisable dans
ce contexte particulier. Il est important dès le départ de clarifier ce qui est
possible et ce qui ne sera pas fait, de ne pas accepter une demande de
changement irréaliste en un délai si court, de rester dans un cadre
professionnel, de vérifier l’existence d’attentes imaginaires.
J’accompagne donc 67 personnes de novembre 2007 à mai 2013. Le constat
est le suivant: 34 salariés trouvent des options résolutoires, 8 sont ré-orientés
vers des psychiatres ou des psychothérapeutes dès le début, 2 arrêtent après 1 à
!9
2 entretiens, 15 n’atteignent pas leur objectif d’accompagnement. Dans 8 cas,
le résultat est mitigé avec une progression certaine dans la prise de conscience
du problème mais sans réel impact sur la situation.
A postériori, je m’interroge sur les facteurs favorisants et les limites de ces
entretiens:
-Le cadre institutionnel: les salariés ont partagé combien ils se sentaient
reconnus dans leur souffrance du fait qu’un service de santé au travail propose
cet accompagnement.
-L’Analyse Transactionnelle: un outil qui favorise la collaboration
Le contrat établi le plus souvent à la deuxième séance permet de définir les
bases de notre collaboration et augure d’un résultat satisfaisant quand le
problème est clairement identifié. La transmission de concepts expliqués avec
simplicité permet au salarié de s’approprier sa part de responsabilité et de
donner sens à ce qu’il vit.
-La qualité du lien thérapeutique: favorisée par la fonction de médecin, le
cadre des entretiens (dans le cabinet en face à face), les qualités empathiques
du thérapeute qui s’affirment plus ou moins selon les salariés en un temps si
court.
A l’inverse, j’ai pu constater que pour ceux qui n’atteignent pas leur objectif,
le problème n’est pas identifié clairement, le salarié n’est pas prêt à prendre sa
part de responsabilité, demeurant en position de victime. Le contrat est-il trop
ambitieux? Il vise des options alors que se donner comme objectif initial
l’identification du problème aurait été probablement plus adéquat.
En conclusion, cette expérience m’a permis de mesurer combien il est
important de posséder des outils d’aide à la communication, de poser le cadre
de l’intervention tant pour l’accompagnant que pour l’accompagné, d’être
attentif à la demande, d’identifier où se situe le problème afin d’éviter d’aller
trop vite vers des options. La formation m’a aidé également à analyser
davantage le processus que le contenu: « qu’est ce que cela veut dire » plutôt
que « qu’est ce qui est dit ».
!
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Le cadre en particulier permet de poser les fondations d’une collaboration
respectueuse des besoins de chacun: par exemple la durée des entretiens
participe au maintien d’un bon niveau d’énergie propice à l’écoute.
L’accompagné intègre également le nombre des 6 séances dans sa progression.
J’ai pu constater dans les cas les plus favorables l’équivalent « d’un mini plan
de traitement » respectant le schéma suivant:
Séance 1: expression des difficultés et des émotions en rapport
Séance 2 et 3 et 4: analyse de la demande et identification du problème
Séance 4 et 5: prise de conscience et intégration
Séance 5 et 6: identification des options
2.2.2) Accompagnement de médecins pour MOTS :
Association loi 1901, MOTS est organisée et gérée par la profession elle-
même pour l’ensemble de ses membres, médecins libéraux et salariés et leurs
proches, ainsi que les praticiens en formation (www.association-mots.org).
Son objet est de proposer, en toute indépendance et dans le cadre de la plus
stricte confidentialité, à tous les médecins en difficulté y compris ceux en
formation, une écoute et un accompagnement adapté pour améliorer leur
exercice professionnel et les aider à retrouver des conditions favorables à leur
épanouissement personnel et professionnel.
Son principal moyen d’action consiste à des consultations d’écoute,
d’évaluation et de planification par des médecins compétents en ergonomie et
santé au travail (médecins effecteurs MOTS) qui orientent éventuellement le
médecin demandeur d’aide et d’accompagnement vers une personne ou une
structure ressource, en fonction de sa problématique et avec son accord.
Médecin effecteur pour MOTS depuis décembre 2014, j’ai accompagné à ce
jour 25 médecins sur des problématiques diverses. Le plus souvent, il s’agit
de médecins en situation de débordement, ne sachant poser de limites à leur
patients, en difficultés relationnelles avec leur environnement professionnel,
en souffrance après une plainte de patient, en difficultés financières. Les
médecins sont bien sûr tous différents. Cependant certaines caractéristiques se
!
11
retrouvent plus fréquemment chez eux que dans la population générale
(Johnson, 2009). Le perfectionnisme est un trait de personnalité très répandu
chez les médecins. Il serait une façon de réagir à une faible estime de soi en
lien avec des injonctions parentales. Il est valorisé par la société, renforcé par
les études médicales et le fait de devoir exercer une médecine exemplaire sous
peine de poursuites. Myers et Gabbard (2008) parlent de triade compulsive
qui associe doute chronique, sentiment de culpabilité et sens exagéré des
responsabilités.
La procédure est la suivante: le médecin demandeur appelle un numéro unique
et la secrétaire de MOTS prend les renseignements qui seront transmis au
médecin effecteur de la région (identité, âge, statut, coordonnées, horaires de
contact possibles). L’accompagnement est de durée variable selon la
problématique. Le cadre est souple et variable selon le médecin effecteur et
l’accompagnement vise à apporter écoute, soutien et orientation vers des
ressources externes. Aide, soutien et supervisions sont apportées par la
psychiatre de l’association en cas de besoin.
Le premier contact avec le médecin: il est parfois difficile à organiser; le
médecin n’étant pas souvent joignable aux horaires qu’il a pourtant
communiqué. Même joignable, il lui arrive de se montrer débordé et peu
disponible. Afin de garder une bonne qualité d’échange, j’ai fait le choix
d’adresser en première intention un mail dès que la secrétaire me transmet la
demande afin de prévoir un premier entretien téléphonique respectant nos
emplois du temps respectifs. Je n’ai, à ce jour, pas été confrontée à une
situation d’urgence nécessitant un appel immédiat. Le plus souvent le médecin
répond dans les heures qui suivent. Dans le cas contraire, après 24h, j’appelle
aux horaires précédemment transmis.
Lors de ce premier entretien, je pose le cadre: présentation et missions de
MOTS ce qui permet d’éviter des attentes imaginaires et d’éventuelles
frustrations: suivi de longue durée, aide financière par l’association… et
adresse au médecin le guide d’auto-évaluation de l’association qui pourra nous
servir de support pour la suite. Le médecin expose ses difficultés et nous
!
12
identifions ensemble son problème et la demande d’aide en rapport. Nous
posons également les conditions de notre collaboration: entretien en présence à
mon cabinet ou au téléphone. Je ne me déplace que très peu afin de préserver
mon confort et si la situation le justifie: empêchement physique du médecin,
étude ergonomique du cabinet…La durée des entretiens est de 1h au téléphone
et 1h30 en présence si le médecin se déplace. Nous prévoyons l’entretien
suivant, à 2 semaines en général, ou bien le médecin me re-contacte selon le
besoin. La durée du suivi est variable selon la problématique et n’a pas excédé
6h à ce jour.
Comme précédemment, l’AT s’avère un outil intéressant à partager avec les
médecins permettant de conscientiser leur part de responsabilité. D’un point
de vue technique, elle me permet d’identifier les processus mis en oeuvre par
le médecin, moi-même et dans notre relation.
La structure d’entraide aide aussi à ce que les médecins se sentent reconnus
par leurs pairs, sans crainte du jugement et en toute confidentialité. Ainsi cadre
et reconnaissance (les besoins fondamentaux) sont respectés de part et d’autre.
!
13
III) Synthèse et proposition d’une démarche d’accompagnement:
Ce parcours tant professionnel que personnel m’a permis de m’interroger dans
le but de définir un modèle d’accompagnement respectueux de mon confort et
favorable à notre collaboration. Ce modèle sera variable selon le médecin
accompagnant et ré-interrogé régulièrement car susceptible d’évoluer dans le
temps. Je n’aborderai pas le thème de l’hygiène de vie pour me centrer sur la
qualité de la relation thérapeutique. Il s’agira donc plus d’une série de
questions à se poser pour définir ce que sera le type d’accompagnement
spécifique à chaque médecin accompagnant.
3.1) Quel niveau d’accompagnement?: «prise en charge» ou
« accompagnement » en référence aux niveaux d’accompagnement de Loomis
(1982). Le niveau 1 se rencontre en cas de risque suicidaire et quand nous
décidons dans l’Adulte et non dans le sauveur d’accompagner un médecin vers
des ressources extérieures au lieu de simplement l’orienter. Il s’agit donc
d’une prise en charge et nous nous questionnons pour confirmer que le
médecin n’a momentanément plus les ressources pour faire face à la situation.
Sinon, en position de sauveur, nous risquons d’alimenter des jeux, nous
retrouvant l’un et l’autre en situation inconfortable.
Nous nous situons le plus souvent entre le niveau 2 (contrôle social) visant à
corriger un déséquilibre temporaire réactivant des décisions scénariques, et le
niveau 3 (changement relationnel) visant à assouplir les relations sociales.
!
14
Tableau librement inspiré de l’article de M.Loomis : contrats et niveaux de changement, Les classiques de l’Analyse Transactionnelle , volume 4.
Les interventions et techniques d’accompagnement permettent principalement
un travail de décontamination de l’A. Nous nous appuyons sur l’analyse des
états du moi, des transactions, des jeux et des sentiments parasites. Nous
identifions parfois des schémas relationnels répétitifs ainsi que des situations
traumatiques anciennes ayant un impact sur la situation actuelle et donc
importantes à conscientiser mais sans aller au-delà. Le niveau 4 non repris
dans le tableau (contrat de changement structural) est un contrat de thérapie
qui ne trouve pas sa place ici.
3.2) Auto évaluation: je respecte mes besoins:
3.2.1) Le cadre qui me permet de rester dans le confort:
Il est variable d’un médecin à l’autre et à ré-interroger pour le même médecin:
ainsi, avoir un téléphone dédié à MOTS m’a semblé essentiel au début de mon
activité et visait à me rassurer car je craignais d’être envahie. Il me semble
moins important actuellement car les médecins que j’ai rencontré ont toujours
été respectueux de mon espace.
-Un contrat clairement défini avec l’association: rémunération, missions.
-Avoir un téléphone mobile dédié au professionnel,
Niveau et type de contrat Objet des interventions Techniques d’accompagnement
1: Contrat de prise en charge Eviter les jeux, les sentiments parasites et les bénéfices de scénario
Protection, soins médicauxOrientation vers des ressources externes
2: Contrôle social Usage de l’Adulte pour résoudre les problèmesDécontamination de l’adulte, structuration du temps, signes de reconnaissance
Analyse des états du MoiInterventions pratiques orientées vers la solution du problème
3: Changement relationnel (assouplir les relations sociales)
Conscience des schémas relationnels et de leur répétitivité
Analyse des transactions et des jeux, des sentiments parasites
!
15
-Limiter mes déplacements: certains de mes confrères considèrent qu’aller
rencontrer le médecin à son cabinet ou à son domicile est un facteur aidant
dans la relation.
-Programmer les entretiens qui n’excédent pas 1h et 1h30 quand le médecin
se déplace, à des moments choisis où je serai pleinement disponible,
-Poser avec clarté les bases de notre collaboration: ce que l’accompagnement
permet et ce qu’il ne permet pas également, identifier le problème parfois
différent de la demande et aider le médecin à prendre la responsabilité de sa
demande,
-Situer le niveau d’accompagnement (de 1 à 3),
-Continuer de me questionner sur mes interventions en particulier quand j’ai le
sentiment de devoir être dans l’action et plus suffisamment “centrée“ sur moi,
-Vérifier si mon positionnement est adapté et identifier comment le médecin
vient, en lien avec sa problématique, me questionner dans mon système
(J.Chami, 2006). Avoir conscience qu’il existe des processus parallèles, par
exemple: être débordé alors que le médecin est en situation de débordement
lui-même.
3.2.2) la reconnaissance:
-Savoir demander du soutien à mes collègues, à la conseillère technique de
l'association,
-Comment je me sens reconnue au sein de l’association et mettre des mots
dans le cas contraire. reconnaissance de mes pairs, des institutions,
-Reconnaissance des médecins accompagnés: accepter les retours positifs et
les critiques négatives quand elles sont justes et constructives,
-Me reconnaître dans ma capacité à accompagner et y prendre plaisir
3.2.3) Proposition d’un questionnaire d’autoévaluation: En résumé, 13
questions à se poser
- Quel contrat avec l’association?
- Ai-je besoin d’un téléphone dédié à l’accompagnement ?
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- Est ce que j’accepte de me déplacer et si oui dans quelles circonstances ?
- Est ce que mes entretiens sont programmés en accord avec le médecin ?
- Ai-je expliqué au médecin le cadre dans lequel j’interviens ?
- La durée des entretiens est-elle définie ?
- Ai-je analysé la demande ? Ai-je identifié le problème ?
- Quel niveau d’accompagnement ?
- Mes interventions sont-elles en lien avec la demande et/ou le problème
identifié ?
- Suis-je à l’écoute de mon contre-transfert ?
- Est ce que je sais aller chercher du soutien ?
- Est ce que je me sens reconnue? par l’association
par le médecin accompagné
- Est-ce que je prends plaisir à accompagner ce médecin ?
!
17
IV) Discussion: à propos d’un cas clinique :
J’illustrerai ma démarche à partir d’un cas clinique qui prêtera à discussion.
Le cas clinique a été supprimé sur cette version publique afin de respecter le
médecin accompagné.
!
18
V) Conclusion:
Un accompagnement est avant tout une rencontre entre deux personnes. Il
appartient au médecin accompagnant de favoriser un environnement propice à
cette collaboration. Il est essentiel pour tout être humain que les besoins
fondamentaux, cadre et reconnaissance, soient reconnus et respectés. Ce
constat est particulièrement vrai lorsque nous nous adressons à des médecins
en souffrance.
« Prendre soin de soi dans la relation pour prendre soin de l’autre »: ce travail
a pour objectif d’inviter le médecin accompagnant à s’interroger sur différents
aspects de son accompagnement tout au long de son activité professionnelle.
Prendre soin de soi contribue à rester dans le confort et est également
modélisant pour le médecin accompagné qui s’est très souvent oublié dans la
relation à ses patients, privilégiant les besoins de l’autre au détriment des
siens.
Des outils d’aide à la communication, d’analyse des processus, concourent à la
qualité de la relation thérapeutique et participent à la conscientisation, par le
médecin accompagné et le médecin accompagnant, du système de croyances
et des schémas relationnels répétitifs limitants.
Formation, partage des outils et respect des besoins favorisent, pour chaque
partenaire, la mobilisation de ressources nécessaires à la résolution du
problème amené par le médecin.
Ce modèle n’est qu’une proposition: il s’inscrit dans une dynamique car il
appartient à chaque accompagnant d’identifier ses propres questions et de
continuer à s’interroger tout au long de sa pratique, de déterminer les outils qui
seront un soutien dans l’analyse des situations et ceci dans le respect de la
personne et du professionnel qu’il est et en « advenir ».
!
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BIBLIOGRAPHIE:
Eric Galam: Soigner les médecins malades, 1ère partie, un patient (pas tout à fait) comme les autres, vie professionnelle, novembre 2013.
Ian Stewart, Vann Joines: Manuel d’analyse transactionnelle, Inter éditions, 2005.
France Brécart, Laurie Hawkes: Le grand livre de l’analyse transactionnelle, Ed Eyrolles, 2008.
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RESUME
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« Prendre soin de soi pour prendre soin de l’autre » ce mémoire propose d’aider le
“médecin accompagnant“ de médecins en difficulté à s’inscrire dans une dynamique
d’accompagnement respectueuse des besoins de chacun et favorable à la qualité de la
relation thérapeutique. Il est le témoignage d’un développement tant personnel que
professionnel et s’appuie sur des outils d’aide à la communication et des expériences
d’accompagnement de personnes en souffrance.
« Taking care of yourself to take care of each other » this memory offers to help
"accompanying doctor" of doctors in difficulty to fit into a dynamic accompanying
respectful of each person needs and favorable towards quality of the therapeutic
relationship. It is the record of a personal development as much as professional and it
relies on help communication tools and accompanying experiments on suffering people.
Mots clés: médecin en difficulté, médecin accompagnant, dynamique relationnelle, analyse transactionnelle.