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Septembre 201025AGEFI LuxembourgEconomie/Finance

Portrait: Gérard LAURES, Partner KPMG Tax

La loi FATCA risque de sérieusement impacter lefonctionnement des banques, fonds d’investissementet autres acteurs financiers

En 2009, le Congrès américain aestimé à près de 100 milliardsde dollars la perte annuelle

de recettes liées à l’évasion fiscale.Dans un contexte de marasme éco-nomique persistant, et confrontés àdes besoins de financement accrus,les Etats-Unis ont multiplié les ini-tiatives pour enrayer ce fléau.Après la renégociation de plu-sieurs conventions contre ladouble imposition visant àfaciliter l’entraide administrativeet l’échange d’informations, et touten poursuivant sa croisade contre lesecret bancaire, le gouvernement Obamaa ainsi ouvert un nouveau front contrel’évasion fiscale en durcissant sa régle-mentation en matière de QualifiedIntermediary (QI). La loi FATCA (ForeignAccount Tax Compliance Act) signée le 18mars 2010, qui généralise l’échange d’in-formations vis-à-vis des institutionsfinancières percevant des revenus desource américaine, devrait ainsi permettredurant les dix prochaines années desrecettes budgétaires supplémentaires de8.5 milliards de dollars, d'après les esti-mations du gouvernement américain.

Les dispositions très larges de cette nouvelle loi, quientreront (pour la majeure partie) en vigueur le 1erjanvier 2013, devraient toucher non seulement lesbanques, mais également la plupart des fonds d’in-vestissement, des compagnies d’assurance et cer-taines institutions non financières. Le présent articledonne un premier aperçu des changements qu’im-pliquera, pour la place financière luxembourgeoisecette nouvelle réglementation, notamment par rap-port au régime QI actuel.

Le régime actuel des Qualified Intermediary

Il y a une dizaine d’années, la mise en place du régi-me QI avait marqué un premier temps fort de labataille menée par les Etats-Unis contre la fraude fis-cale. Le dispositif, qui instaurait, sur une base volon-taire, une coopération renforcée entre l’administra-tion américaine (Internal revenue Service, IRS) etles intermédiaires financiers non américains, avaitpour objectif affiché de faciliter la perception de rete-nues à la source sur les revenus de source américai-ne. En échange, les QI avaient pu continuer à fairebénéficier leurs clients des taux préférentiels desconventions.

En revanche, ces banques étaient contraints d'exigerde leurs clients américains un mandat afin de leverle secret bancaire pour tout investissement en titresUS. Ces clients subissaient donc un reporting annuelde leurs revenus américains auprès de ces banques.Néanmoins de nombreuses stratégies d’évitement,notamment via des sociétés off-shore, étaient encorepossibles. Le dispositif prévu par la loi FATCA, grâceà sa formulation très large et son champ d’applica-tion étendu devrait permettre la mise en place deprocédures d’échange d’information généralisées,tendant à éviter à l’avenir tout risque de failles.

Un nouveau cadre législatif contraignant

Dans le cadre de la loi FATCA, chaque institutionfinancière étrangère (Foreign Financial Institution,FFI) devra signer, avec le Trésor américain, uncontrat par lequel elle s’engage à fournir annuelle-ment des renseignements sur ses clients et ses titu-laires de comptes américains. Les FFI qui refuserontde se soumettre à ce type de contrat devront sup-porter une retenue à la source punitive de 30% surcertains paiements de source américaine.

Les revenus touchés par cet impôt incluront notam-ment les intérêts, dividendes, salaires, loyers ainsique le produit brut de la vente de certains titres (i.e.le prix de vente quelque soit le montant de la plus-value éventuellement réalisée). Or, la loi FATCAdéfi-nit de manière très large les différents concepts qu’el-le propose. Ainsi, la notion de "comptes américains"inclut non seulement les comptes à vue, mais égale-ment toute participation supérieure à 10% détenuepar un contribuable américain dans une sociétéétrangère, ainsi que toute détention de parts dans unorganisme de placement collectif. Parallèlement, laqualification de FFI englobe entre autres les véhi-cules de placement, les hedge-funds, les fonds depension et d’investissement, les trusts et fiducies deplacement, les fondations, voire certains produitsd’assurance, au-delà du secteur traditionnel de labanque qui était seul concerné par le régime QI.

Les dispositions du nouveau régime prévoient pourles FFI qui accepteront de s’y soumettre les obliga-tions suivantes:- la collecte, pour chaque titulaire de compte, d’in-formations permettant de déterminer s’il s’agit d’uncompte américain ;

- La conformité avec les procéduresde vérification et d’identification

des comptes américains, tellesque définies par l’IRS ;- Préparation d’un rapportannuel sur l’ensemble descomptes américains détenus

par l’institution; ce reportingdevra porter sur tous les reve-nus US et non-US ;- La perception d’une retenueà la source de 30% sur tous lespaiements à destination de

titulaires récalcitrants, c’est-à-direpour lesquels l’information estinsuffisante ;

- L’obtention d’unedéclaration de renoncia-tion au bénéfice de

toute loi étrangère inter-disant la divulgation d’in-

formation concernant lestitulaires de compte, ou la fer-

meture du compte lorsqu’une telledéclaration ne peut être obtenue.

Une mise en œuvre qui s’annonce difficile:la montagne accouchera-t-elle d’une souris?

Le champ d’application de cette réglementation estdonc extrêmement large, tant en termes de revenuspotentiellement soumis à imposition et d’obliga-tions déclaratives à remplir, qu’en termes d’inter-médiaires financiers susceptibles de devoir s’y sou-mettre. Cependant, la loi FATCAne propose pas dedirectives en ce qui concerne les modalités d’appli-cation du nouveau régime et stipule que le USTreasury aura la charge d’en préciser les conditionsde mise en œuvre. Or, cette dernière soulève denombreux problèmes pratiques, notamment en cequi concerne les conséquences de l’élargissementdu concept de FFI et de la présomption de résiden-ce américaine pour chaque compte dont le statutn’aura pas été renseigné.

L’IRS a d’ores et déjà publié une note d’information(Notice 2010-60 du 27 août 2010) indiquant les prin-cipales lignes directrices que le Trésor américainenvisage de suivre dans les futurs règlements d’ap-plication relatifs à la loi FATCA. Néanmoins la natu-re très générale de cette note n’en fait pour l’essentielqu’un appel aux commentaires, proposant auxacteurs concernés les pistes de réflexion dévelop-pées par les autorités américaines.

L’IRS y clarifie notamment la définition des FFIqu’elle souhaite soumettre effectivement à la loiFATCA. En effet, l’élargissement du concept de FFIà toute institution dès lors qu’elle exerce, à titre prin-cipal, une activité de placement et de gestion de titrespourrait accroître le nombre d’institutions suscep-tibles de s’engager dans un contrat avec l’IRS à plusde 200.000. Or cette multiplication des contrats seraità l’heure actuelle ingérable pour l’IRS. Dès lors, l’IRSenvisage d’identifier certains groupes susceptiblesd’être exemptés de la loi FATCAcar ils ne présententpas de risque d’évasion fiscale significatifs, tels quecertaines compagnies d’assurance, les plans de pen-sion, mais également sous certaines conditions, lessociétés holding, les sociétés mises en liquidation,les start-up, ou les institutions financières à dimen-sion uniquement familiale.

Bien qu’il n’en soit pas encore question, l’IRS pour-rait également proposer la mise en place de procé-dures simplifiées pour certains organismes de pla-cement collectif. En effet, dans le cas des fonds d’in-vestissement, le recensement de chaque bénéficiaireeffectif afin de déterminer son statut éventuel de rési-dent américain s’avérerait en pratique très difficile àréaliser.

Concernant l’identification des contribuables améri-cains, l’IRS prévoit également la possibilité, deprendre en considération les réglementations natio-nales en matière de KYC et de blanchiment d’argent,afin de se substituer aux demandes classiques d’in-formation et ainsi éviter la clôture intempestive decomptes lorsque cette identification ne peut êtreobtenue. En précisant que les formulaires existantsdans le cadre du régime QI pour l’identification desrésidents américains (notamment W9 et W-8BENpour les non américains) pourraient également êtresoumis comme documentation dans le cadre de laloi FATCA, l’IRS devrait atténuer l’impact de cettedernière, du moins pour les institutions actuellementsoumises au régime QI.

En revanche, les obligations de reporting sous for-mat électronique que l’IRS semble prêtre à imposeraux institutions qui signeront un contrat FFIdevraient engendrer des coûts de mise en conformi-té des systèmes informatiques relativement élevés.En imposant aux contribuables américains un cadreréglementaire et légal plus strict, la loi FATCAdevrait donc permettre de limiter au maximum lesrisques de fraude.

Bien qu’aucune annonce n’ait encore été faite sur lepossible audit de ces nouvelles obligations docu-mentaires, il est probable que l’IRS mettra en placedes procédures de contrôle, sur le modèle du régimeQI. En effet, cette dernière a récemment annoncé unerecrudescence des contrôles fiscaux des intermé-diaires américains réalisant les retenues à la source etdevrait également promouvoir de tels audits auprèsdes FFI étrangères. De plus, la note d’information del’IRS précise qu’il pourrait être envisagé plusieurstypes de contrôle: l’audit externe par des cabinetsindépendants, des procédures de contrôle interne,

ou encore une auto-certification par les membres dela direction.

Quelles conséquences pour le secteur financier luxembourgeois?

Atravers la loi FATCA, les Etats-Unis ont ainsi léga-lisé une présomption généralisée de fraude fiscale,dès lors qu’un titulaire de compte n’est pas recenséet documenté de manière transparente, et qui serasanctionnée par une retenue punitive de 30%. Dèslors, ce nouveau régime devrait avoir pour effet deplacer chaque intermédiaire financier luxembour-geois en avant poste de l’administration fiscale amé-ricaine dans sa lutte contre l’évasion fiscale. Si lesFFI ayant actuellement le statut de QI sont les mieuxarmées face à ces nouvelles responsabilités, il sera dudevoir de chaque entité visée par la réglementationFATCA de s’adapter à ces nouvelles contraintes.

Cette adaptation devra passer par une analysedétaillée des systèmes d’information existants ou àmettre en place afin d’être en conformité avec la nou-velle réglementation ainsi que des coûts engendréset des répercussions éventuelles sur le modèle d’af-faire de chaque institution concernée. En effet, lescoûts d’adaptation en termes de travail administra-tif supplémentaire et d’adaptation des systèmesinformatiques pourraient être considérables. Pourchaque FFI identifiée comme telle, il s’agirait parexemple non seulement de trier parmi sa clientèle lesrésidents américains mais également de mettrecontinuellement à jour ces informations pour la tota-lité de ses clients. L’obtention d’un permis de travailaméricain permanent par exemple, déclenchant l’as-sujettissement d’un client historiquement nonimpacté par FATCAdevrait ainsi être systématique-ment détecté et documenté.

Le diagnostic, par chaque institution soumise auxconditions de FATCA, de sa situation vis-à-vis de cesnouvelles obligations devrait notamment inclure:- l’identification des écarts existants entre les procé-dures de retenue effective et celles de collecte de l’in-formation y relative, - le suivi des problèmes potentiels de documenta-tion, ainsi que des cas d’échec de retenue et de paie-ment, et - la gestion des risques relatifs aux problèmes deconformité précédemment identifiés.

Cette analyse devra être menée le plus rapidementpossible malgré l’absence de directives précises del’administration américaine. En effet, le délai d’adap-tation à FATCA sera d’autant plus réduit que l’IRS

tardera à en définir les modalités exactes, à traversdes règlements d’exécution. Selon la réaction des ins-titutions luxembourgeoises, FATCApourrait impac-ter la place financière de plusieurs manières, allantd’une simple diminution de l’attractivité des valeursaméricaines en terme d’investissement, à un refus decroissant de gérer une clientèle d’origine américaine,notamment par les FFI qui ne seraient pas en mesu-re de bénéficier d’une exemption ou d’une procédu-re simplifiée et qui seraient dans l’impossibilité demettre en œuvre des procédures d’informationconformes aux exigences de FATCA. Certaines insti-tutions financières pourraient au contraire se tour-ner vers un modèle d’affaires différent et évoluer versun marché de niche, spécialisé dans l’offre de gestionde fortune pour les clients américains.

Conclusion: un cadre adapté aux ambitions américaines?

La nouvelle réglementation, couplée à des contrôlesfiscaux étendus, devrait donc rendre pour les contri-buables américains, la fraude fiscale de plus en plusdifficile. Dans la plupart des cas, le coût supplémen-taire généré par ces nouvelles obligations devraitsuffire à dissuader ceux qui auraient été tentés sousles dispositions actuelles. Néanmoins, il reste diffici-le de comprendre les raisons qui poussent les Etats-Unis à imposer aux institutions financières interna-tionales et à leurs clients un tel fardeau financier,lorsque les résultats attendus représentent moins de1% des pertes liées à l’évasion fiscale identifiées parle Congrès. En effet, ce sont certainement les institu-tions luxembourgeoises et in fine leur clientèle quidevront supporter les coûts de ce durcissement légis-latif. Les institutions luxembourgeoises concernéesdevront, face à cette approche unilatérale, s’adapterrapidement, au fur et à mesure de la publication parl’IRS des règlements pris en application de cette nou-velle législation.

Dans ce contexte, il est à espérer que l’IRS sauraadopter une attitude conciliante à l’égard des insti-tutions présentant un faible risque d’évasion fiscale.Si l’attractivité des Etats-Unis auprès des FFI est ame-née à diminuer, que ce soit en restreignant l’investis-sement dans des valeurs américaines ou en décou-rageant des clients sujets à l’imposition américaine,les éventuels inconvénients de ces nouvellesmesures risqueront dépasser le bénéfice espéré.

Gérard LAURES (cf. portrait), Partner KPMG Tax

Frank STOLTZ, Directeur KPMG Tax

Marie AUDRAIN, Tax Adviser KPMG Tax

La nouvelle arme américaine contre l’évasion fiscale s’appelle FATCA

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