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MILITAIRE
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HUITIÈME ANNÉE
TOME V1IL — 1" LIVRAISON
BERGER-LEVRAULT & C'% LIBRAIRES-ÉDITEURS
PâRÏS
1Y0JÏ DES BKA'UX-AUTS, 5
NâNGT
MJK DES GLACIS, 18
1894Tous âi'oits réservés -'A
Revue du Génie militaire TomeVIlI.-
'
|
' Planche VIII
LA
MISSION DU GÉNIE AU CONGO
EN 1893-1894'
(PL. VIII.)
Les obstacles, dus à la présence de massifs montagneux
parallèles au littoral, qui s'opposent à la navigation dans
presque tous les fleuves de la côte africaine de l'ouest et
souvent à petite distance de l'embouchure, ont eu poureffet de limiter pendant longtemps à une étroite bande de
littoral le champ des explorations européennes dans ces
parages: les seuls besoins d'un commerce d'échange assez
restreint n'étaient pas de nature à provoquer des entré-
prises de pénétration pour lesquelles d'ailleurs des efforts
individuels semblaient insuffisants ou inefficaces. Bientôt
cependant les difficultés ont été abordées de front, et des
tentatives diverses ont amené la création d'établissements
à une très grande distance du littoral; ce mouvement s'est
accentué peu à peu, et depuis quelques annéesia prise de
possession des différentes parties du sol africain, répon-dant évidemment aune impérieuse nécessité économique,s'est accélérée dans des proportions qui retiennent l'at-
tention.La France possède maintenant dans le centre et l'ouest
de l'Afrique des terriLoires considérables, qu'elle doit soit
à des expéditions militaires, soit aux explorations hardies
l. Le présent travail a ét<§ publié dans sa plus grande partie par la
Hevue générale des sciences (15 novembre 1894). On. trouvera ici plusieurspages inédites relatives au détail des opérations do la mission du génie.
[(Note de la Réd.)
•154 LA MISSION DU GÉNIE AU CONGO
de quelques hommes d'énergie et d'initiative; ces posses-sions ont coûté, en tout cas, beaucoup d'hommes et quel-
ques-unes ont été l'occasion de dépenses considérables,motifs plus que suffisants déjà pour exclure toute idée de
les abandonner, si des raisons d'un autre ordre n'impo-saient pas l'obligation de les conserver, voire même de
les défendre. De cette obligation résulte une double né-
cessité, politique et économique: il faut, d'une part, sur-
veiller ces territoires, les organiser et y créer des moyensadministratifs appropriés; il faut ensuite chercher à les
mettre en valeur dans la mesure où il est possible de le
faire pour chacun d'eux.
Tout cela est évident, et tout le monde est à peu prèsd'accord à ce sujet; c'est dans la fixation du programme à
suivre et la solution des différentes questions qu'il com-
porte que s'accusent les divergences. Mais, quelles quesoient les opinions et les méthodes qui puissent prévaloir
pour assurer l'avenir, il faut bien se rendre compte qu'il
y a une condition nécessaire de toute amélioration et de
tout progrès, aussi bien dans l'ordre administratif quedans l'ordre économique : c'est l'établissement de voies
de communication, premier outillage indispensable à
créer dans un pays neuf.
Cette question des voies de communication en Afriqueest une question réellement difficile, en raison de l'im-
mense étendue des territoires occupés d'un seul coup et
qu'il faudrait desservir. Les directions suivant lesquelles
peuvent s'établir des courants commerciaux n'apparaissent
pas d'abord toujours nettement. Il peut arriver que, le
choix étant fait d'une première direction pour l'établisse-
ment d'une voie de communication, un nouveau groupe-ment ou une nouvelle annexion de territoire fasse ressor-tir immédiatement et d'une façon claire une' nouvelle
direction dont le choix eût été meilleur. Tout naturelle-
ment, l'indécision se produit devant la nécessité qui appa-raît de multiplier des efforts de longue durée, et, cepen-
EN 1893-1894. 455
dant, au fur et à mesure que le temps se perd, les' besoinsdeviennent de plus en plus nombreux et pressants. Lesterritoires augmentent d'étendue, des postes et des éta-
blissements sont installés à des distances de plus en plusgrandes; le ravitaillement de ces postes nécessite des
transports dont l'importance croît peu à peu et d'autant
plus qu'un commencement d'activité commerciale vient àse dessiner. Mais les transports ne peuvent se faire le
plus souvent que par portage à tête d'homme ; si ces
transports se font par réquisition, les noirs déserterontvite les lignes de ravitaillement ; s'ils se font de bonne
volonté et à prix débattu, les prix atteindront bientôt des
chiffres tels que le mouvement sera vite limité, et nousne parlons pas de la destruction ou tout au moins de l'a-
bâtardissement fatal de races que l'appât de gains élevés
conduit à ne vivre que de portage. Une solution de la
question des voies de communication s'impose donc : c'est
pour certaines colonies une question d'être ou de ne pasêtre.
D'autre part, sur la nature des voies de communicationà créer, il ne peut y avoir doute, surtout quand il s'agitde parcourir de longs espaces : un chemin de fer seul
paraît admissible ; une route ordinaire conduirait à des
dépenses de premier établissement et d'entretien presqueaussi grandes, et on ne voit d'ailleurs réellement pas quelemploi pourrait en être fait dans certaines régions. Etalors se dresse l'objection des difficultés de tout genre,des dépenses considérables qu'entraîne dans un pays neufl'établissement d'un outillage compliqué destiné à satis-faire à des besoins restreints d'abord, en attendant qu'uncommerce encore à inventer ou à découvrir vienne ali-
menter le trafic.
Il est puéril de nier la valeur de cette objection ou de
chercher à la faire tomber par des promesses souvent
exagérées et qu'un avenir plus ou moins lointain pourraseul réaliser. Il vaut mieux dire qu'il y a des nécessités
456 LA MISSION DU GENIE AU CONGO
qui sont le corollaire obligé d'une politique d'extension
coloniale et auxquelles il faudra se rendre tôt ou tard. Il
est malheureusement vrai que certains projets, en raison
du peu de précision de leurs données et de l'évidente
exagération des promesses, ont été de nature à jeter un
peu de doute dans les esprits et à faire tort à des proposi-tions concernant des travaux plus modestes, de nécessité
plus immédiate et à but plus visible.
On a été effrayé, d'autre part, des résultats qu'a donnés
au début l'entreprise du chemin de fer du haut Sénégal,sans se rendre suffisamment compte des causes qui ont
amené ces résultats. Des tâtonnements et des erreurs
étaient inévitables dans une première entreprise de ce
genre ; la mesure a certainement été dépassée, mais il ya lieu de supposer que l'expérience acquise permettrad'éviter de nouvelles fautes. D'ailleurs, toutes ces ques-tions s'éclairent maintenant d'un nouveau jour : c'est à
ceux qui ont la responsabilité du domaine colonial, mieux
éclairés sur l'urgence des besoins, mieux renseignés sur
les moyens à employer, qu'il appartient de déterminer la
nature et l'étendue des sacrifices nécessaires, sans atten-
dre surtout que les faits viennent obliger à prendre des
décisions tardives.
A la fin de l'année 1886, M. de Brazza faisait commen-
cer lés études d'une voie de communication destinée à
relier Brazzaville à Loango. Parmi les voies de commu-
nication à créer en Afrique, s'il en est une importanteentre toutes, c'est celle qui relierait à la mer un réseau
fluvial de premier ordre, desservant une immense étendue
de territoire au centre de l'Afrique ; aucune autre n'offre
une base aussi solide pour la discussion des chances de
succès, des-^résultats à atteindre et des efforts à tenter. Les
études, considérables par l'étendue du terrain reconnu et
la netteté des renseignements, faites sous l'inspiration de
M. de Chavannes, lieutenant-gouverneur du Congo, par
EN 1893-1894. 457
M. l'ingénieur Jacob et M. Michel Dôlisie, oht'précisébien des poinls et fourni d'importants résultats qui étaient
de nature à ouvrir les yeux des moins clairvoyants. Au-
cune suite, cependant, n'a été donnée à ces études, qui se
terminèrent en 1889.
Un an après, l'État belge faisait entreprendre les tra-
vaux d'une voie ferrée destinée à relier Matadi à Stanley-
Pool; et ce n'est que trois ans plus tard, dans le courant
de l'année 1893, qu'un acte d'initiative privée faisait re-
prendre les études relatives à l'établissement sur le terri-
toire français d'une voie de communication entre le Stan-
ley-Pool et la mer.
I.
Au mois de juin 1893, M. le sous-secrétaire d'État des
Colonies demandait à M. le Ministre de la guerre l'envoi
au Congo d'une mission d'officiers et de sous-officiers du
génie chargée d'étudier un avant-projet de voie de com-
munication entre Loango et Brazzaville. Cette mission,dont l'effectif avait été fixé à cinq officiers et une ving-taine de sous-officiers et caporaux, devait être tenue prête à
s'embarquer à Marseille le 10 août 1893. Mais, au dernier
moment, l'avis fut exprimé que des difficultés de recrute-
ment de porteurs paralyseraient certainement''dans :une
forte mesure l'action d'une mission à effectif aussi consi-
dérable, qui devait avoir d'autre part à lutter, à son arri-
vée au Congo, contre toutes les mauvaises chances d'une
saison défavorable aux travaux. Il fut alors décidé que la
mission ne comprendrait plus, comme personnel tech-
nique, que trois officiers et quatre sous-officiers. Son rôle,en raison de cette diminution d'effectif, était limité à des
reconnaissances ayant pour but d'établir les bases d'études
précises et définitives qui seraient entreprises avec un
personnel plus considérable, au cours de la saison sèche
suivante. Cette mission s'embarqua à Marseille le 17 août
458 LA MISSION DU GÉNIE AU CONGO
1893; le 12 septembre, elle débarquait à Loango avec son
matériel.
Les premiers jours qui suivirent le débarquementfurent employés à recruter des porteurs et à dresser un
plan de campagne. L'exploration d'un pays aussi difficile
que le Mayombe pour la recherche de la meilleure voie
de passage nécessitait la division du groupe du génie en
petils détachements qui eussent été, pour un temps assez
long, séparés les uns des autres sans communications
probables entre eux. Des reconnaissances faites dans ces
conditions pouvaient être entravées par des difficultés de
tout genre et donner ainsi des résultats dont l'importancen'eût peut-être pas été en rapport avec les efforts indivi-
duels tentés, ni la valeur comparative facile à établir. En
supposant même que ces reconnaissances fussent suivies
des résultats les plus heureux qu'elles pouvaient compor-
ter, on ne rapportait à Paris, une fois la campagne ache-
vée, que des opinions individuelles plutôt que des docu-
ments certains et des études précises pouvant servir de
base à une discussion raisonnée. Était-il possible, malgréles difficultés résultant de la saison des pluies et du faible
effectif de la mission, de commencer immédiatement des
études définitives? L'entreprise n'a pas paru impossible :
l'économie de temps et de dépenses qui devait en résulter
valait la peine qu'elle fût tentée.
Aussi bien les reconnaissances faites par M. Jacob, en
1887-1888, ainsi que la carte que cet ingénieur avait
dressée au moyen d'itinéraires, limitaient le champ des
explorations et des études préliminaires. Il avait semblé
à M. Jacob que le Niari donnait par sa vallée, le meilleur
moyen et le plus facile d'aborder l'étude d'une voie ferrée
ou carrossable destinée à contourner le massif montagneuxdu Mayombe.
Les études de M. Jacob furent donc prises comme
point de départ pour celles qui allaient commencer à nou-
veau, de façon à ce qu'on pût profiter des résultats acquis
EN 1893-1894. 459'
en les complétant el en les étendant. Déterminer le tracé
et le prix de revient d'une voie ferrée 1depuis le point où
le bas Niari cesse d'être navigable jusqu'à Loudima, ex-
plorer lé fleuve aux hautes eaux, en vue de l'établisse-
ment d'une voie de communication mixte depuis la côte
jusqu'à environ 125 km de Brazzaville, tel fut le but quese proposa la mission. Ce programme put être réalisé, "et
la première partie des études prit fin au commencement
d'avril 1894.
Ces études ont permis d'établir un avant-projet de voie
ferrée de 176 km de longueur, entre le confluent de la
rivière Mangi et Loudima. D'autre part, l'exploration du
Niari aux hautes eaux, faite au cours de cette première
campagne, a fait ressortir la nécessité et l'importanced'une élude complète du fleuve aux basses eaux; ces tra-
vaux, qui s'achèvent actuellement, ont été exécutés par le
personnel en partie renouvelé de la première mission. Il
ne reste plus, pour établir l'avant-projet complet d'une
voie de communication destinée à relier le Stanley-Poolà la mer, qu'à étudier le prolongement jusqu'au Congo de
la voie ferrée déjà tracée jusqu'à Loudima; ces dernières
éludes seront terminées vers la fin de l'année 1895.
Nous ne saurions entrer dons des détails techniquesrelatifs aux études faites sans donner à cet exposé un trop
grand développement; nous nous contenterons d'indiquerl'orientation générale de la voie projetée entre le con-
fluent de la rivière Mangi et Loudima, de donner quelques
renseignements sur la manière dont les travaux ont été
conduits, et nous terminerons par les résultats généraux
qui se dégagent comme conclusion des premières études
terminées.
l. La voie adoptée a 1 m de largeur; la déclivité maxima est 0,025 o'Ile rayon minimum 100 m.
HBYUK UU GÉNIE. — KOVEMURK-DÉCEMUUE 1894. 30
-460 LA MISSION DU GÉNIE AU CONGO
II.
Le point de départ de la voie projetée a été pris au
confluent de la rivière Mangi. La voie se prolonge dans la
vallée du Niari, sur les bords mêmes du fleuve, jusqu'aukilomètre 42,164, à 1 kilomètre environ en amont du
confluent de la rivière Boatou. Jusqu'à ce dernier point,tout essai de quitter la vallée du fleuve pour pénétrerdans le Mayombe a été infructueux : on se heurte à un
massif très fortement tourmenté, coupé par des vallées
profondément encaissées, et c'est certainement par la
trouée du fleuve que les difficultés se présentent comme
étant de beaucoup le moins considérables.
Le tracé se développe sur la rive gauche, tout d'abord
en pleine forêt dont la puissante végétation descend jus-
qu'à la ligne des eaux. Il utilise par instants une sorle de
plate-forme qui apparaît de temps à autre; mais cette
plate-forme disparaîtra le plus souvent et la voie sera
tracée à flanc de coteau sur les pentes, quelquefoisroides,de croupes rocheuses aux sinuosités desquelles elle se plieau moyen de courbes fréquentes. Les talus sont générale-ment réguliers et parfois s'adoucissent ; puis un contrefort
vient brusquement relever là pente et se terminer en
falaise au pied de laquelle les roches éboulées n'offrent
pour passer qu'un chemin difficile et irrégulier, dont la
partie basse émerge cependant au-dessus des plus hautes
eaux. Si, pour l'étude du meilleur tracé, on cherche à
s'éloigner du fleuve pour faire prédominer les lignes
droites, l'importance des terrassements augmente rapide-
ment; si, au contraire, on s'efforce de se maintenir sur la
berge en contournant le pied des i)entes, des murs de
soutènement trop fréquents sont nécessaires pour soutenir
la plate-forme et soustraire à l'action des hautes eaux les
talus de ses remblais. En cherchant à réduire au mini-
mum qu'elles comportent ces deux causes de difficultés
EN 1893-1894. 401
et de dépenses, on peut trouver un tracé moyen qui don-nera une voie bien assise, sans déclivités sensibles, et
dont l'infrastructure sera excellente.
La voie suit la rive gauche : la rive droite offrirait des
difficultés du même ordre et donnerait lieu à des dépensesd'établissement du même genre, auxquelles viendraient
encore s'ajouter celles d'un passage du fleuve. A 1 km
environ en amont du confluent de la rivière Boatou, la
voie ferrée s'éloigne du fleuve et serpente, jusqu'au kilo-
mètre 78,072, à travers la région encore assez'-dilfieile,mais à plus faibles reliefs, qui est située entre le Niari et
la rivière Mtigni. Elle tourne au plus court, en passant
par les cols les plus bas des contreforts que projettent vers
le nord les montagnes du Mayombe.A partir delà rivière Mtigni, que la voie ferrée franchit
au kilomètre 78,072, il n'y a plus aucune difficulté ; le ter-
rain est beaucoup moins accidenté. La voie, après avoir
passé au pied des pentes nord des contreforts montagneux
qui séparent la haute Mtigni de la vallée moyenne de la
Louvakou, prend sa direction générale presque en lignedroite jusqu'à Loudima; elle franchit la Louvakou au ki-lomètre 91,555, passe à l'est du col du Boundou, débouchede nouveau dans la vallée du Niari par un col assez bas,entre les monts Livindou et les monts Bamba, passe au
pied des monts Bamba, utilise quelque temps la 'vallée de
la Tchibouba et arrive par les hauteurs jusqu'à la Loudima
qu'elle franchit à environ 1 km du poste de Loudima.
Telle est en quelques lignes la description générale de
la voie, dont les premières études avaient pour but de dé-
terminer l'orientation et d'étudier le tracé.
III.
Les opérations à faire sur le terrain comportaient d'une
part les reconnaissances et d'autre part le lever propre-ment dit. La carte Jacob, le seul document existant sur la
462 LA MISSION DU GÉNIE AU CONGO
région, est insuffisante pour orienter des études de détail.-
Il a donc fallu faire des reconnaissances poussées à
grande distance en avant, pour chercher la direction gé-nérale à donner au tracé el déterminer les points de pas-
sage. Les fatigues de la marche à pied dans un pays à
rares sentiers et couvert par une végétation très haute,au plus fort de la saison des pluies, le manque completde renseignements locaux et la difficulté de trouver des
guides, la nécessité de marcher vite pour ne pas arrêter
les opérations du lever, ont rendu ces reconnaissances
particulièrement pénibles. Une fois les points de passage
fixés, on faisait entre ces différents points les reconnais-
sances de détail nécessaires pour déterminer la direction
et la largeur de la bande de terrain à lever, et il fallait
ensuite diriger les travaux de débroussaillement indispen-sables à l'exécution du lever dont les minutes devaient
servir ultérieurement à l'étude définitive du tracé.
Ce lever a été fait à l'échelle de T^TT, au moyen de la
planchette déclinée et de la règle à éclimètre. Toutes les
distances ont été à la fois chaînées et lues à la stadia. Le
nivellement a été fait au moyen de la règle à éclimètre,mais en outre tous les sommets du cheminement princi-
pal ainsi que les points importants en dehors de ce che-
minement ont été nivelés au moyen du niveau à lunette.
Les précautions suivantes ont été prises pour éviter les
erreurs de désorienlement. Tous les côtés du chemine-
ment principal ont été obtenus par visées directe et in-
verse; deux planchettes consécutives ont été raccordées
au moyen de deux côtés communs chaînés et orientés
séparément pour chaque planchette et souvent encore au
moyen d'une visée également faite sur chaque planchettevers un point saillant ou repère placé à bonne distance.
En outre"j les opérateurs se recoupaient fréquemment sur
chaque planchette au moyen de visées multiples sur cer-
tains points déterminés aperçus de différents sommets du
cheminement principal.
EN 1893-1891.-" ' '
'463
Toutes les opérations étaient vérifiées chaque jour et
contrôlées avant qu'on ne quittât le terrain du lever. Le
degré d'exactitude de l'ensemble du lever, c'est-à-dire sur
la longueur des 186 km du cheminement principal, a pus'évaluer au moyen des coordonnées géographiques de
deux points relevés par une précédente mission, l'un
situé sur le plateau de Kitabi, l'autre au poste de Lou-
dima. Entre la valeur directement établie de ces coordon-
nées, affectée d'une erreur probable que nous supposonsdevoir êlre de 1' au maximum, et celle qui ressort du pla-cement de ces points sur le lever à -~^ après le raccorde-
ment des planchettes, on relève des écarts de 52" en lon-
gitude et de 46" en latitude. 11 n'y a donc pas d'erreur
importante, et la précision des résultats est celle que
comportent la méthode suivie et l'emploi des instruments
dont on s'esl servi.
Il a été fait en outre un lever à l'échelle de 5„ „„„ de la
région parcourue en dehors de la forêt, en prenant pouraxe de-ce lever la bande de terrain levée à .^TJ. Pour
faire ce lever, on s'est servi de bases successives, chaînées
et rattachées aux sommets du cheminement principal du
lever à ~-^, quand elles n'étaient pas prises sur le lever
lui-même. Différents points saillants, déterminés à l'a-
vance, étaient recoupés à la foi6 sur les planchettes à
j^ et sur les planchettes à .„ j,uu, de façon à ce qu'il" fût
possible d'assurer le raccordement de ces dernières au
moyen des indications plus précises des premières.
Après le raccordement des planchettes à T^VÏ, le lever
à y±^ a été réduit à l'échelle de 50'u„u et a servi de base
au raccordement des planchettes à 5UJ,uu: une réduction
photographique de l'ensemble à l'échelle de su„'0„g) et
sur laquelle a été reporté le tracé étudié entre la rivière
Mangi et Loudima, donne une idée suffisamment nette
des formes du terrain dans la région parcourue et per-met d'éclairer la discussion relative à la justification du
tracé.
464 LA MISSION DU GÉNIE AU CONGO
Les troisofficiers assuraient les reconnaissances en avant,les études de détail entre les points de passage, le débrous-
saillement de la bande de terrain à lever, le lever à j^-~,souvent même et dans toutes les parties difficiles le lever
à~. Deux des sous-officiers étaient chargés, en prin-
cipe, des planchettes à j-^-; il restait deux sous-officiers,
et, à partir du 15 décembre, il n'en est plus resté qu'unseul pour assurer le service du niveau à lunette. Le chaî-
nage était assuré par des charpentiers sénégalais qui ser-
vaient en qualité de miliciens; leurs opérations étaient
souvent contrôlées directement et toujours comparéesavec les lectures à la stadia. Le service de porte-mireétait assuré par des noirs choisis, qu'il a fallu préalable-ment dresser et qui ont rendu de bons services. D'ail-
leurs, pour toutes les opérations secondaires d'un lever
dans ces pays, opérations toujours fatigantes, des noirs
intelligents et dressés sont plus attentifs et rendent de
meilleurs services qu'un personnel subalterne blanc, dont
la fatigue et la maladie limitent bientôt les efforts .et affai-
blissent l'attention.
La mission disposait, sans compter les miliciens, les
boys et les pagayeurs, d'une centaine de porteurs environ,au moyen desquels il fallait assurer le débroussaillement,les décampements successifs et le transport des chargesde matériel, d'étoffes et de vivres ; ces charges étaient de
400 au début, et il fallait en emmener la totalité, puisqueentre Kakamoeka et Loudima il n'existe point de poste où
on eût pu les faire porter auparavant. Pour assurer le
transport de ces charges, on a constitué des magasinséchelonnés à environ 25 à 30 km les uns des autres ; les
charges étaient transportées de l'un à l'autre de ces ma-
gasins par une équipe de noirs prélevée sur le nombre
des porteurs, et on ne gardait au camp que l'effectif néces-
saire pour assurer le débroussaillement et les décampe-ments successifs. Des difficultés de portage, celles beau-
coup plus grandes encore du débroussaillement, surtout
EN 1893-1894. . . 465
le long du fleuve, la nécessité de trouver des subsistances
pour les noirs, la difficulté du lever dans certaines régionset l'état sanitaire du personnel blanc, enfin les alternan-
ces de pluies, forçaient à vivre au jour le jour et impo-saient des mesures prises au dernier moment, si on ne
voulait pas qu'elles fussent perpétuellement modifiées.
Aussi, pour tous ces motifs, la vitesse du travail a-t-elle
été très variable. On a mis six semaines pour aller de la
rivière Mangi à Kitabi; six semaines également pouraller de Kitabi à la rivière Boatou ; un mois de la ri-vière Boatou à la Mtigni, et deux mois pour aller de la
Mtigni à Loudima. L'absence de moyens de transport
pour le personnel blanc obligeait à des décampements
journaliers dès que la vitesse du lever atteignait 2 km
par jour.L'état sanitaire, sans être très mauvais, n'a pas été bon
à la traversée du Mayombe, moins bon encore depuis Ki-
tabi jusqu'à la Boatou, c'est-à-dire pendant la période des
plus fortes fatigues. A ce moment, le sergent-major Bar-
bier a été atteint d'une fièvre bilieuse grave à la suite
de laquelle est survenue une paralysie des membres infé-
rieurs qui a persisté plus de trois mois. L'état sanitaire
s'^sL relevé depuis la Boatou jusqu'à Loudima. Les indis-
positions ont consisté en accès bilieux, dus à l'acclimate-
ment et aux fatigues souvent considérables qu'a éprouvéesle personnel restreint de la mission, d'autant plus que le
travail a été exécuté en pleine saison des pluies, saison
que les tornades, les fortes chaleurs et les hautes herbes
rendent beaucoup moins favorable que la saison sèche
pour des travaux de ce genre. La nécessité de marcher
vite a souvent forcé à opérer à des heures de la journéeoù il eut été préférable de se reposer; le dimanche étaitle seul jour consacré au repos, c'est-à-dire qu'on profitaitde cette journée pour vérifier et compléter le travail des
planchettes. L'effort a pu cependant être soutenu jusqu'aubout sans accident, et le but a pu être atteint, ce qui
466 LA MISSION DU GÉNIE AU CONGO
prouve qu'il est possible de travailler dans cette région à
toute époque de l'année.
IV.
Les résultats de la première campagne d'études peuventse résumer ainsi. Il est possible d'établir, depuis le pointoù le bas Niari cesse d'être navigable jusqu'à Loudima,une voie à profil particulièrement favorable, dont les tra-
vaux de construction ne présenteront de réelles difficultés
qu'au passage de la gorge de Koussounda sur une lon-
gueur de 1600 m. Sur une centaine dekilomètres'au delà
de Loudima, jusqu'aux environs de Bouenza, la voie
pourra se prolonger dans des conditions meilleures en-
core au point de vue du profil de la voie et des facilités
d'exécution. Il est nécessaire d'attendre le résultat des
dernières études qui se poursuivent actuellement au
Congo pour asseoir une opinion définitive permettantd'établir la comparaison entre la ligne qui s'exécute sur
le territoire belge et celle qui "pourrait être construite sur
le territoire français.Dès maintenant, il est acquis que, dans toute la région
étudiée, les conditions topographiques sont autrement
favorables que sur les rives du Congo, où des travaux
considérables, qui font le plus grand honneur à la science
des ingénieurs belges, ne peuvent permettre d'établir
qu'une voie difficile et à fortes décliviLés.
Mais laissons là cette question, dont nous ne parlons
que pour bien établir combien des retards apportés à
l'exécution de travaux.de première urgence, qu'il faudra
fatalement arriver à faire, peuvent devenir préjudiciablesaux intérêts généraux. Supposons la ligne belge achevée:
il n'en faudra pas moins se décider, un jour ou l'autre, à
établir des communications sur notre territoire, à moins
de.se. résigner à faire assurer par l'étranger nos transportsde:ravitaillement et de personnel, et le service de ;nos
EN 1893-1894. 467
courriers. Le sentier actuel de Loango à Brazzaville n'a
aucun titre à l'appellation de voie.de communication, et
le prix exorbitant du transport de la tonne entre le Stanley-Pool et la mer exclut fatalement toute idée de trafic pour
l'avenir, après l'épuisement des réserves d'ivoire. En
dehors de toutes considérations d'avenir et de prépondé-rance dans ces régions, qui ont cependant bien leur im-
portance, la création de moyens de communication pournos besoins actuels et journaliers s'impose donc à bref
délai. Les études qui ont été entreprises au Congo ont eu
précisément pour but de traiter cette question de voie de
communication de la façon la plus large et la plus com-
plète : une enquête, d'ailleurs, au sujet d'une voie de
communication à créer de toutes pièces dans un pays neuf
serait à juste titre considérée comme incomplète si elle ne
comportait pas la recherche de solutions intermédiaires,s'accommodantà des besoins progressifs, et que les premiersrésultats acquis, ainsi que la prévision d'un avenir mieux
entrevu, amèneraient à développer successivement. Rare-
ment les solutions intermédiaires se présenteront dans des
conditions aussi favorables que dans le cas qui nous oc-
cupe.Nous avons pris comme point de départ de la voie fer-
rée projetée, dans la première partie déjà étudiée, Te
point où le Niari cesse d'être navigable. Les 42 pre-miers kilomètres ont été tracés dans la vallée même^ du
fleuve, dont nous avons exposé que la trouée offre, pourcontourner le massif montagneux du Mayombe, un mini-
mum de difficultés. Un peu au delà de la rivière Boatou,la voie tourne au plus court pour prendre sa direction
définitive sur Loudima où elle rejoint le fleuve. Les études
suivantes utiliseront de nouveau la vallée du Niari pourle tracé de la voie sur une distance d'environ 180 kilomè-
tres. L'idée s'imposait donc d'étudier la navigabilité du
Niari et de chercher dans quelles conditions on .pourraitcréer une voie de communication mixte empruntant les
468 LA MISSION DU GÉNIE AU CONGO
biefs navigables du fleuve. La possibilité d'utiliser le
Niari, indiquée par M. de Chavannes, a d'ailleurs été ad-
mise par M. Jacob qui, après avoir exploré pendant plusd'une année la région comprise entre la Loeme et le Niari,avait abandonné définitivement toute idée de voie ferrée et
concluait dans son rapport de fin de mission (1887-1889),à l'établissement d'une voie entièrement fluviale jusqu'à125 kilomètres de Brazzaville.
Il existe une barre à l'embouchure du Niari, mais cette
barre n'est pas impraticable, car un vapeur de 80 ton-
neaux appartenant à une maison allemande la franchissait
souvent il y a quelques années. D'ailleurs, le 25 août der-
nier, un bâtiment à roues de l'État, la Cigogne, d'un tirant
d'eau de 1,50 m, a pénétré dans le bas Niari et en est
sorti sans aucune difficullé. Actuellement le débarque-ment des marchandises destinées aux factoreries du bas
Niari se fait au moyen de boats ou de pirogues qui passentla barre du littoral, rarement mauvaise, et rien n'empêchede débarquer dans ces conditions une quantité assez con-
sidérable de marchandises. Le fleuve est navigable en
tout temps depuis son embouchure jusqu'à Kakamoeka. A
partir de Kakamoeka commence une série de rapides qui
coupent la navigation jusqu'au confluent de la rivière Mti-
gni sur un parcours de plus de 70 kilomètres. Depuis la
rivière Mtigni jusqu'à Zilengoma, sur 160 kilomètres envi-
ron, la navigation est libre d'entraves, et le fleuve, presque .
aussi beau que dans la partie inférieure de son cours, a
encore, sur certains points, une largeur de 400 mètres.
A Zilengoma se trouve un passage difficile ; depuis Zilen-
goma'jusqu'à Biedi, sur plus de 230 kilomètres, il n'y a
aucun obstacle apparent à la navigation, et le fleuve atteint
encore par-endroits une assez grande largeur. Biedi est à
environ 125 kilomètres de Brazzaville.
Tel apparaît le fleuve aux hautes eaux. Il a été remonté
et descendu en pirogue, entre les mois de février et d'a-
vril, depuis et y compris les rapides de la Mtigni jusqu'à
EN 1893-1894. 469
Bouenza. La descente se fait sans aucune difficulté : le
fleuve décrit de larges sinuosités entre des rives le plussouvent boisées, se rétrécissant parfois pour passer entre de
hautes falaises, s'épanouissant plus loin en larges bassins
de retenue, presque toujours très beau et imposant d'aspect ;des cultures et des villages apparaissent en de nombreux
points de la vallée. Nous n'avons rencontré à la descente
aucun obstacle jusqu'à la Mtigni, et nous n'avons même
été avertis du passage à Zilengoma, le 19 mars, que par un
courant plus rapide sur cinq ou six cents mètres avec cla-
potis assez fort : nulle part ailleurs, aux endroits où il
était le plus fort, le courant ne nous a semblé avoir une
vitesse de plus de trois noeuds, et encore ces courants
sont-ils localisés dans certaines parties du lit du fleuve,sans en affecter toute la largeur, de sorte qu'un bateau na-
viguant d'une rive à l'autre et étudiant sa marche, une
fois la ligne des fonds connue ou balisée, pourrait proba-blement remonter en n'ayant le plus souvent contre lui
que des courants beaucoup plus faibles.
Il n'est, bien entendu, question jusqu'ici que des hautes
eaux. Aux eaux basses, il y a certainement une chute à
Zilengoma, des seuils de gravier et de roc en différents
points situés entre Loudima et Biedi : il a paru de pre-mière importance de connaître exactement la valeur de ces
obstacles, et tout l'effort des études pendant la saison sè-
che a été reporté sur le fleuve. Le cours du Niari est
maintenant reconnu et levé jusqu'à Biedi ; les études quiont été faites et dont les résultats seront bientôt exposés,
indiqueront le nombre et l'importance de ces obstacles,de quelle façon et pendant combien de mois ils s'opposentà la navigation, et permettront de déterminer dans quellesconditions il serait possible soit de les supprimer ou de
les contourner, soit d'aménager le fleuve en ses passagesdifficiles. Le lit du Niari étant connu, on pourra alors po-ser des conclusions plus précises ; mais l'impression quirésulte d'une reconnaissance aux hautes eaux et des indi-
470 LA MISSION DU' GÉNIE AU CONGO
cations recueillies sur le régime du fleuve est la suivante:
des vapeurs pouvant disposer d'une vitesse de 7 à 8 noeuds,
ayant un tirant d'eau de 0,60 à 0,70 m et peut-être plus
fort, pourraient circuler pendant huit mois de l'année au
inoins entre la Mtigni et Zilengoma d'une part, entre Zi-
lengoma et Biedi d'autre part, et franchir même peut-êtreaux fortes crues le passage de Zilengoma.
En résumé, le Niari est utilisable, depuis son embou-
chure jusqu'à Kakamoeka et de la Mtigni à Biedi, par des
moyens appropriés, dans des conditions plus ou moins fa-
ciles et variables des hautes aux basses eaux, mais quel'élude complétée du régime du fleuve, des essais et l'ex-
périence permettront en peu de temps de dégager nette-
ment. Il esl superflu d'ajouter qu'une solution permettantd'amener des charges presque entièrement par eau jus-
qu'à 125 kilomètres de Brazzaville vaut la peine d'être re-
tenue et essayée. La seule difficulté consiste à trouver le
moyen de faire franchir aux charges la région des rapides,c'est-à-dire la distance qui sépare Kakamoeka du confluent
delà Mtigni: de quelle nature est l'effort à faire et de
quel ordre est la difficulté ?
M. Jacob, qui concluait à l'établissement d'une voie
entièrement fluviale, a projeté un barrage de 19 mètres
de retenue d'eau établi dans la gorge de Koussounda. Sans
discuter au fond ce projet, on peut déjà lui reprocher de
ne donner à la question qu'une solution incomplète,
puisque les rapides difficiles de la Mtigni resteraienl au-
dessus du plan d'eau de la retenue. D'une façon générale,
l'aménagement du fleuve, pour l'établissement d'une voie
entièrement fluviale, nécessiterait des travaux très impor-tants dont les plus considérables seraient aux deux extré-
mités dexla région des rapides, à Koussounda et près du
confluent de la Mtigni. On peut envisager les chances
d'une solution de ce genre, et les études de la saison sèche
permettront de déterminer ce qu'il est possible de faire ;mais il y a lieu de remarquer dès maintenant que des Ira-
EN 1893-1894. 471
vaux de cette nature sont particulièrement difficiles en
Afrique. Si encore les circonstances étaient telles qu'on
pût obtenir une navigation continue sur le fleuve à toute
époque de l'année avec des bateaux de fort tonnage, et
qu'il suffit, pour atteindre ce but, d'accumuler les efforts
et les dépenses dans une partie limitée du cours du fleuve,on pourrait tenter l'entreprise. Mais il n'en est rien: des
travaux de ce genre exéculés sur le Niari et dans le but
d'une navigation limitée à la durée des hautes eaux, lais-
seront toujours subsister l'arrière-pensée d'une solution
plus complète de la question, qu'imposeraient à un mo-
ment donné les nécessités d'un trafic plus considérable et
à assurer dans de meilleures conditions. Ne semble-t-il
pas préférable, à tous points de vue, de contourner dès
maintenant la région des rapides au moyen d'une voie
ferrée, en faisant ainsi un travail définitif, c'est-à-dire
l'amorce d'une voie à prolonger ultérieurement, quand on
le voudra et au moment jugé opportun ? C'est cette solu-
tion que nous avons prévue, et c'est dans ce sens que les
études du tracé ont été conduites.
Nous avons dit que la région des rapides s'étendait de-
puis Kakamoeka jusqu'aux environs du confluent de la
Mtigni. Au moment où les études du tracé ont été com-
mencées, il avait semblé que des travaux peu considéra-
bles permettraient d'augmenter la longueur du bief infé-
rieur navigable des six kilomètres qui sépare Kakamoeka
du confluent de la rivière Mangi, et le point de départ du
tracé étudié a été reporté en conséquence au confluent de
cette dernière rivière. Les travaux de dérochage qui ont
été entrepris dans cette région pendant la saison sèche ont
confirmé ces prévisions, et actuellement une passe navi-
gable aux basses eaux est créée jusqu'à la Mangi. Cette
passe sera peut-être à agrandir ou à améliorer, mais on
peut tenir pour certain que le point de départ d'une voie
ferrée destinée à contourner la région des rapides peutêtre reporté au confluent de la Mangi. Cette voie a été
471 LA MISSION DU GENIE AU CONGO
étudiée jusqu'au kilomètre 42,164, un peu au delà du
confluent de la rivière Boatou, et cette section correspondaux deux premières parties de l'avant-projet déjà présenté.De ce point jusqu'au confluent de la Mtigni il faut compter25 kilomètres. Le lever complet de cette partie du fleuve
doit être fait pendant la saison sèche ; mais on peut dire
dès maintenant que le prix kilométrique sera sensiblement
inférieur à celui de la partie comprise entre Koussounda
et la rivière Boatou. Admettons néanmoins un chiffre
presque égal : il en résulte que la dépense d'établissement
d'une voie ferrée destinée à contourner la région des ra-
pides, sur une longueur de 6.7 kilomètres, peut être éva-
luée à douze millions. Quand cette section aura été cons-
truite et que le besoin se sera démontré de prolonger la
ligne dans la direction de Brazzaville, la voie, avec un
tracé facile dans la basse vallée de la Louvakou, viendra
se souder sur cette rivière même au tronçon qui constitue
la quatrième partie de l'avant-projet déjà étudié.
Tel est l'effort qu'il faudrait faire. Cet effort est-il irré-
ductible ou bien pourrait-on engager les travaux de la voie
de communication avec une prévision de dépenses moins
élevées- au début? Les études qui sont faites des rapidesnous fixeront encore sur ce point. On peut distinguer, en
effet, deux parties dans la région des rapides : depuis le
confluent de la Mangi jusqu'à celui de la Loubomo les obs-
tacles sont nombreux aux hautes comme aux basses eaux ;entre la Loubomo et les rapides de la Mtigni, au con-
traire, les obstacles disparaissent presque complètementaux hautes eaux, et la création d'une passe à un ou deux
tournants difficiles aux basses eaux pourrait même se faire
à peu de frais. Si donc il était possible d'aménager le
fleuve aux passages des rapides de la Mtigni, la naviga-tion pourrait être reprise dès le confluent de la Loubomo
et on éviterait ainsi la construction d'une quarantainede kilomètres de voie ferrée. Cette solution serait en-
core admissible, à la rigueur, dût-on contourner les ra-
EN 1893-1894. 473
pides par un tronçon de voie ferrée de quelques kilomè-
tres. Quand les projets seront achevés, l'étude comparativedes diverses solutions au point de vue de leur valeur propreet du prix de revient permettra de se déterminer en faveur
de celle qui paraîtra se rapporter Te mieux aux exigencesdu moment.
A l'autre extrémité maintenant de la région des rapides,il paraît possible, comme l'avait admis M. Jacob, mais au
moyeu toutefois de travaux de dérochage assez considéra-
bles, de créer une passe navigable aux moyennes et aux
hautes eaux entre le confluent de la Mangi et Kous-
sounda : nous saurons bientôt, dans quelles conditions et
avec quel chiffre de dépenses celle passe peut être créée.
Supposons des chances favorables : il ne resterait plusalors qu'une vingtaine de kilomètres de voie ferrée à cons-
truire. A vrai dire, cette dernière proposition vise plutôtle cas de mesures transitoires qu'elle ne constitue l'énoncé
d'une solution ferme. Il est probable qu'on se résoudra
difficilement à ouvrir des chantiers importants, en raison
de l'organisation d'ensemble à prévoir et des frais géné-raux qu'elle comporte, pour créer une voie de si court dé-
veloppement. Si, d'ailleurs, on se décide à créer une voie
de communication pour répondre à des besoins qui soient
de nature à s'accuser et à se démontrer d'eux-mêmes, on
sera vite conduit à simplifier les moyens et à réduire le
nombre des phases transitoires d'une mise à exécution.
La solution qu'il convient d'envisager consiste donc
dans la création d'une voie ferrée partant de la rivière
Mangi pour atteindre le confluent de la Loubomo ou celui
de la Mtigni. L'adoption de celte solution entraînera
comme première conséquence la création immédiate, le
long du fleuve, d'une route muletière franchissant les ra-
vins sur des ponts en charpente faciles à établir, et qui se
fera à peu de frais. Cette route est indispensable, tant
pour les études définitives à faire que pour le ravitaille-
ment des chantiers en vivres et en matériaux. Elle sera
474 LA MISSION DU GÉNIE AU CONGO EN 1893-1894.
utilisée provisoirement pour relier les biefs navigables'
du Niari et, dût-on n'employer que des boats ou des piro-
gues, on abaissera déjà dans des proportions considérables
surtout pour les charges non ou difficilement décompo-
sables, le prix de transport entre Loango et Brazzaville.
Résumon6-nous. Il est difficile d'admettre que nos.com-
munications au Congo puissent rester longtemps encore
dans l'état où elles sont, si on ne veut pas augmenter in-
définiment le chiffre des dépenses inutiles et improduc-tives : il y a donc quelque chose à chercher et à faire. La
vallée du Niari ouvre vers le Stanley-Pool une voie de
pénétration dont on ne peut méconnaître la vale.ur. La
route qu'offre le fleuve lui-même, malgré les gênes et les
périodes de chômage qu'elle peut présenter et au sujet
desquelles nous serons bientôt complètement fixés, permetle transport des marchandises qui ne peuvent supporterdes frais de portage à raison de 2 000 fr. la tonne;elle donne le moyen de faire abaisser, pour toutes, les
prix de transport dans des proportions considérables,et peut aider par conséquent au développement d'un mou-
vement d'échanges que la nécessité du portage limiterait
fatalement. En même temps, pour l'établissement d'une
voie plus importante vers le Stanley-Pool, l'utilisation
de la vallée du Niari permet la limitation et l'échelon-
nement d'efforts successifs, dont le moindre peut avoir' des résultats marqués, et dont la somme ou l'ensemble
nous permettraient de rester sans conteste maîtres des
transports du Haut-Congo à la mer.
A. M. CORNILLE, GûUDARD,
Capitaine du génie. Capitaine du génie.