LES DÉFAUTS DE GOUVERNANCE DE LA
ZONE EURO ET LES VOIES DE PROGRÈS
Michel Aglietta
Université Paris Ouest et Cepii
L’Euro est une monnaie incomplète
• L’euro est monnaie légale par traité approuvé par les États qui l’adoptent.
• La BCE est la seule institution fédérale dans un ensemble de nations qui ne sont
pas soumises à un ordre constitutionnel fédéral : elle n’est placée sous l’autorité
d’aucun pouvoir souverain. C’est le « péché originel ».
• L’euro est une monnaie qui est commune aux agents économiques dans les
transactions marchandes mais que les Etats ne peuvent contrôler. C’est pourquoi
Le traité de Maastricht qui interdit à la BCE d’acheter la dette publique des pays
membres→ elle ne peut en principe être le prêteur en dernier ressort (PDR)
d’aucun Etat dans une situation de crise financière.
• Ce dogme entraîne des déficiences structurelles pour la macro de la zone euro:
-Pas de budget fédéral/ pas de transferts budgétaires entre Etats/ pas de défaut d’un Etat
-Exigences contradictoires : lorsqu’un Etat est endetté en monnaie étrangère, la dette
publique se dégrade en dette privée → il peut faire faillite car sa solvabilité est
soumise aux variations du prix du risque liées aux stress de liquidité des marchés
-Lorsqu’un Etat est en situation de défaut (la Grèce) dans un espace financier unique, la
situation de défaut tend à se propager par l’intermédiaire des banques qui détiennent
ces dettes→ cercle vicieux entre crise souveraine et crise bancaire (2011-12).
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La politique de la zone euro est intergouvernementale:
dans un ensemble qui exige plus d’interdépendances, cela
entraîne une dérive non démocratique
• L’inter gouv: jeu de stratégies entre Etats poursuivant leurs intérêts nationaux
– Les Etats dans leurs rapports réciproques ne peuvent exprimer que des intérêts
particuliers→ compromis sources d’interprétations divergentes
– Car souveraineté extérieure des Etats (faire reconnaître un intérêt/autres) ≠
souveraineté d’un peuple (législation garantissant les mêmes droits à tous les
citoyens)
• Par absence d’organe législatif fédéral, les Etats ont la main mise sur le
processus législatif européen
– La priorité de la loi européenne n’est pas hiérarchique. C’est une alliance d’Etats
qui délèguent de pouvoirs limités à l’Union dans les domaines de la concurrence
et de la monnaie où la Commission a l’initiative des propositions.
– Le Conseil des Etats Européens peut élaborer des orientations politiques. Mais il
n’a pas de force juridique pour faire légitimer ses décisions par un Parlement
porteur du bien commun européen.
– C’est pourquoi la révision des traités exige une unanimité paralysante d’autant
qu’elle est soutenue par la menace du droit de retrait.
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L’incapacité politique de l’Allemagne à exercer le leadership
bloque le modèle de l’hégémon bienveillant
• Asymétries de la puissance économique→ responsabilité pour la stabilité de la
zone euro permettant la restauration de la croissance et la consolidation de
l’endettement dans la durée
• Mais le débat politique en Allemagne est contradictoire:
– Le poids de l’histoire nourrit la préférence des citoyens pour un engagement
international minimal: l’Allemagne politiquement comme une grande Suisse
– Le sentiment majoritaire du besoin d’intégration européenne
– La priorité de l’ordo-libéralisme pour la stabilité→ l’Europe doit se coordonner par
un système de règles
• La conséquence est une vue erronée de la crise conduisant au néomercantilisme:
– La crise résulte du laxisme budgétaire des pays du Sud de l’Europe
– L’objectif suprême est la compétitivité internationale de l’industrie
– La polarisation en Europe ne peut être réduite que si les autres pays imitent
l’Allemagne: la zone euro économiquement comme une grande Allemagne.
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Les dysfonctionnements européens ont empêché
d’enrayer la crise
7
• La crise bancaire et financière de 2007 intervient dans une Europe déjà
affaiblie par l’hétérogénéité des pays membres et les divergences réelles
qu’elle n’a pas résorbées (et qu’elle a même accentuées) ;
• Dans un contexte de désendettement privé, enclenché en 2009, la mise en
place à l’initiative du G20 de politiques budgétaire et monétaire
exceptionnelles (par leur nature et leur ampleur), s’est révélée efficace.
• Depuis 2010, trois erreurs majeures à la fois politiques et économiques : - Assainissement timoré des bilans bancaires→ paralysie du crédit
- Extension de la crise grecque à des Etats solvables→ fragmentation de
l’espace financier européen.
- Des ajustements budgétaires trop rapides→ austérité budgétaire simultanée
en 2011-13 → 2 années de récession + rebond conjoncturel sans reprise de
l’investissement (-20% en zone euro depuis 2007).
• Interagissant avec les séquelles de la crise financière sur le secteur privé,
ces erreurs ont produit un équilibre auto entretenu de basse croissance.
L’hétérogénéité en Europe est celle de l’Allemagne
La raison première est
l’immobilier
La perte de compétitivité de la France par les
coûts salariaux unitaires pondérés est vis-à-vis
de l’Allemagne uniquement. Elle est dans les
services
0,5
1
1,5
2
2,5
3
1996 2001 2006 2011
Allemagne Espagne France
9
Italie
Royaume-Uni Espagne
France États-Unis
Allemagne
1,4
1,3
1,2
1,1
1,0
0,9
0,8
0,7
L’effondrement de l’investissement crée un excès d’épargne qui
est exporté au seul bénéfice de l’Allemagne; ce qui maintient la
ZE dans une quasi-stagnation auto-entretenue.
L’énorme gap entre investissement
domestique et épargne nationale
Les divergences externes entre les pays de
la zone euro Polarisation des positions extérieures en 2013
(% du PIB)
10
15
20
25
30
199119931995199719992001200320052007200920112013201520172019
Gross savings Gross Investment
Pays Balance courante Avoir (ou dette)
extérieur(e) net(te)
Output gap estimé
Allemagne 7,5 48 -0,6
France -1,3 -17 -2,9
Italie 1,0 -30 -5,6
Espagne 0,8 -98 -5,3
Croissance potentielle en berne et cumul d’un output
gap négatif sur 7 ans
Sources : IMF World Economic Outlook Databases, Bloomberg
11
La situation catastrophique de la Grèce
Situation macro: impact de l’austérité De 2010 à 2014
PIB: -25%
Demande interne: -40%
Salaires publics -23%
Prix immobilier -30%
Situation de l’emploi:2010 2014
Chômage: 12,5% 26%
des jeunes: 32% 57,5%
des femmes: 15,5% 30,5%
Réformes de base essentielle (Syriza):
-Restaurer l’électricité pour les ménages pauvres
qui ne peuvent payer l’abonnement
-Fournir des tickets de nourriture pour ceux qui ne
peuvent se nourrir
-Allègements fiscaux aux + bas revenus→ relever
le seuil du revenu imposable de €5000 à €12000
-Relever le SMIG mensuel à €750 et les retraites
de base à €700
Situation des finances publiques Dette publique/PIB:
109% (2008)→ 175% (2014). Les 2/3
détenus par gouvernements, BCE, FMI
Déficit budgétaire:
15,2% en 2009→ 1,8% en 2013
Maturité moyenne: 16,5 ans
La dépense de paiement d’intérêts
annuelle est 2,6% du PIB.
Le remboursement annuel incorporant
l’amortissement est 4% du PIB
Ajustement recherché par Syriza: un deal
remettre de l’ordre dans l’Etat vs
renégociation de la dette -Réduire la dette de 1/3 à 1/2 de manière que
le remboursement annuel ne dépasse pas 2%
PIB
-S’attaquer à la corruption et aux privilèges
fiscaux et réglementaires des oligarques des
oligarques 12
Les politiques adéquates pour un nouveau régime de croissance
• Politiques pour relancer la demande de consommation à CT:
– Politique monétaire pour ↑le taux d’inflation par achat massif d’actifs (politique de
bilan) et en affirmant une cible d’inflation à 2% pour faire remonter les anticipations
de prix→ prise de responsabilité de la BCE (achats d’actifs ≥€1,1trn jusqu’à ce que la
norme d’inflation soit durablement rétablie)
– Politique budgétaire injectant du pouvoir d’achat aux catégories de revenus à haute
propension à consommer pour ↓ l’épargne de précaution.
• Politiques d’investissement tournées vers l’innovation recréant un horizon de
LT pour ↑ le rendement du capital de manière à relever la croissance potentielle
• La priorité est d’inverser le déclin de l’investissement public au niveau européen
pour élever la productivité des facteurs de production:
– Catégories prioritaires n’entrant pas dans le solde structurel du TSCG: invests
d’intérêt européen, à rentabilité min, soutenables/ efficacité énergétique et bas carbone
– Cadre réglementaire incitatif pour industrie de réseaux+ intégration de la
programmation des investissements publics dans les semestres européens pour
coordination entre les pays membres
– Modifier les règles comptables paralysantes pour l’investissement LT 14
Efficacité d’un programme d’investissements publics
• Investissements efficaces à CT et MT :
– A CT l’output gap cumulé garantit un multiplicateur ≈ 1,5, donc une expansion induite du
revenu et de la dépense privée de 1,5 fois la dépense engagée.
– A MT l’effet d’offre est le + important et dépend de la composition des invests : le coût du
capital étant très bas, de nombreux invests de la transition énergétique auront un rendement
social> coût du capital, surtout si une valeur sociale du carbone élevée est définie.
– Effet de croissance endogène : l’invest public → ↑ productivité du secteur privé et ouvre des
secteurs d’activité à l’efficacité énergétique dans les territoires: rénovation bâtiments,
transports urbains, économie circulaire, agriculture respectant les normes écologiques.
• Invest public requis : 2 % PIB UE (≈€ 260mds) sur 3 ans au min, décentralisés
dans toute l’UE et guidés par une politique industrielle de transition énergétique
• Priorité transition énergétique et climatique avec des investissements
additionnels. Catégories prioritaires dans le total pour atteindre l’objectif 20/20/20
en 2020:
– 15 % énergies renouvelables
– 10 % réseaux de distribution électricité
– 30 % efficacité énergétique avec capacité d’entraînement sur le secteur privé (bâtiments
publics, logements sociaux)
– 20 % transports publics urbains
15
Financer le programme européen
• Plan Juncker et Fonds Européen (FEIS):
– Levier 1 à 15 trop élevé sauf si le Fonds accorde une garantie totale aux investisseurs
privés sur la 1° perte → partage des risques en rehaussant les tranches seniors des
obligations émises sur les crédits titrisés
– Mettre en commun les ressources et compétences de la BEI et des banques de
développement publiques nationales→ ces banques devraient entrer dans le capital du
Fonds pour le renforcer
– Les banques commerciales doivent pouvoir participer au financement par titrisation→
besoin d’une union des marchés de capitaux pour réduire la part excessive des
banques dans les risques du financement des investissements LT
• Importance de la sélection des projets en relation au partage des risques: il faut
éviter que les investisseurs privés aillent exclusivement sur les pays les plus sûrs
• La BCE peut acquérir des obligations émises par le Fonds dans le cadre de ses
achats d’actifs: cette catégorie doit avoir une garantie solidaire des Etats
membres quelque soit le pays bénéficiaire des investissements.
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Action collective: fonction de stabilisation
• Un mécanisme de stabilisation cyclique dans la zone euro. 2 possibilités:
– Assurance chômage européenne: présuppose un contrat de travail européen négocié
entre les gouvernements et inséré dans les législations nationales. Le contrat ouvre des
droits à une assurance chômage européenne. Une caisse européenne régule les
transferts et équilibre les comptes sur un cycle économique en faisant varier les taux de
cotisation en fonction de l’écart (taux de chômage effectif- taux de chômage structurel)
en sorte qu’il s’agisse d’un pur mécanisme de stabilisation.
– Fonds d’assurance cyclique: amortir les écarts de conjoncture pour qu’ils ne se
transforment pas en asymétries structurelles. Les transferts sont calculés sur les output
gaps relatifs→ la caisse d’assurance européenne est équilibrée par construction. En
outre, sur un cycle entier l’output gap doit être nul pour tous les pays s’il est bien
calculé. Les transferts sont temporaires.
• Symétrie des ajustements pour parvenir simultanément à une fermeture des output
gaps et des équilibres de balance de paiements de tous les pays:
– Eviter que les dévaluations internes des pays les- compétitifs n’aient un effet
déflationniste → hausse des salaires et des prix en Allemagne pour corriger le
déséquilibre accumulé depuis 10 ans. 17
La solution du problème posé par le changement politique en
Grèce implique une solidarité européenne
• Le changement politique en Grèce est un avertissement pour les gouvernements de
toute l’Europe: la politique d’investissement pour la croissance est une nécessité
de survie pour la construction européenne.
• Au-delà le sens du bien commun européen doit être institué par la coopération
institutionnelle des pays membres:
– Réduction de la dette grecque de 50% et de l’excédent primaire de 50% contre les
réformes rétablissant l’autorité de l’Etat en Grèce.
• En l’absence d’institutions politiques européennes, l’Europe requiert un leadership
que l’Allemagne s’est refusée à exercer jusqu’ici:
– Responsabilité pour la stabilité de la zone euro permettant la restauration de la
croissance et la consolidation de l’endettement dans la durée
– Symétrie des ajustements pour parvenir simultanément à une fermeture des output gaps
et des équilibres de balance de paiements de tous les pays
– Eviter que les dévaluations internes des pays les- compétitifs n’aient un effet
déflationniste → hausse des salaires et des prix en Allemagne pour corriger le
déséquilibre accumulé depuis 10 ans.
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Au-delà du leadership: promouvoir l’action collective pour
renforcer la légitimité démocratique
• Pour établir la confiance réciproque nécessaire à la coopération budgétaire, il
faut s’appuyer sur une évaluation fiable, exhaustive et indépendante :
– Mettre les Hauts Conseils des Finances Publiques (HCFPs) en réseau au sein
d’un comité budgétaire européen aboutissant à une évaluation des soldes
structurels des États membres compatible avec une estimation des output gaps
des pays tenant compte des interdépendances.
– Le rapport du comité budgétaire européen serait la meilleure évaluation possible
des situations macro et budgétaires en ZE. Elle devrait devenir la source
prépondérante des notations utilisée par les investisseurs financiers pour valoriser
les titres publics → il est essentiel de se débarrasser des 3 agences de notation
américaines.
• Pour faire émerger une légitimité démocratique dans une procédure qui en
manque totalement, une possibilité est :
– De faire débattre l’évaluation commune des HCFPs par une conférence des
parlements nationaux des pays membres de la ZE, composés de représentants de
leurs commissions des finances, et (ou) par le Parlement Européen.
– Le Conseil Européen et donc les gouvernements devraient tenir compte du
communiqué de la conférence des Parlements dans les arbitrages finaux. 20
Le problème à surmonter pour compléter l’euro est
d’ordre constitutionnel
• Allemagne et France ont des conceptions ≠ de la souveraineté:
– Ordo-libéralisme en Allemagne: la Loi Fondamentale renferme la souveraineté du
peuple. Elle condense les valeurs morales incorporées. La Cours constitutionnelle est
l’instance la + haute de la souveraineté→ le suffrage universel découle du Droit
– Principe Républicain en France: la souveraineté du peuple est représentée par
l’Assemblée Nationale→ le suffrage universel institue le Droit.
• Le traité de Maastricht, comme conséquence d’un compromis politique franco-
allemand, laisse implicite la discordance sur la souveraineté →l’Allemagne
impose des règles héritées de s conception éthique du droit qui sont arbitraires
pour des partenaires instituant le droit à partir du politique.
• Concevoir une fédération d’Etat comme une hiérarchie enchevêtrée (Habermas):
– Les nations s’entendent sur le min de domaines dans lesquels des institutions
européennes doivent être souveraines pour parvenir à une union monétaire complète,
c’est-à-dire instituer un Trésor Européen.
– Les pays membres demeurent souverains dans les autres domaines de la gouvernance
politique.
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