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Les Mardis de la Philosophie V. Neurosciences et esthétique :
perception 3 D et représentation de l’espace en peinture
Une manière d’aborder le débat Nature-‐Culture
Pr émérite Marc Crommelinck
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Les Mardis de la Philosophie
Philosophie et neurosciences en dialogue
Philosophie et
Il n’y a pas d’immaculée percep4on !
Une formula4on du modèle de la percep9on visuelle d’après R. Gregory. La percep4on visuelle : un générateur d’hypothèses alimenté par trois flux d’informa4ons : 1. en provenance du monde extérieur (réel), 2. en provenance d’un ensemble de connaissances conceptuelles et perceptuelles (séman4que implicite), 3. en provenance d’un ensemble de règles (syntaxe implicite). Notez la présence de connexions top-‐down, de feed-‐back à par4r des sor4es et l’émergence d’une conscience percep4ve (qualia).
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Percep4on de l’espace : apport des neurosciences cogni4ves
Indices (informa4ons) monoculaires assurant la percep4on de la profondeur (et de la distance, la taille... rela4ves des objets).
• Perspec4ve linéaire : -‐ convergence vers le point de fuite à l’infini des droites orthogonales au plan du tableau -‐ diminu4on de la taille des et de l’intervalle entre les droites parallèles au plan du tableau
• Taille des objets vus en perspec4ve / Connaissance de la taille
• Occlusion
• Résolu4on : l’avant-‐plan est plus net que l’arrière-‐plan
• Répar44on des ombres, des couleurs, des textures
• ...
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Percep4on de l’espace : apport des neurosciences cogni4ves
Indices (informa9ons) stéréoscopiques binoculaires
L’écartement des yeux dans le plan horizontal (environ 6 cm chez l’homme) produit une légère inégalité entre les deux images formées respectivement sur les deux rétines par un même objet (une même scène). Cette « disparité » (de valeur angulaire) est une condition suffisante (mais non nécessaire) pour produire la perception en 3D (stéréoscopie).
Les expér iences de C . Whea ts tone (1838) on t démont ré expérimentalement l’efficacité de ces indices binoculaires dans la perception de la profondeur (« view master » et autres stéréoscopes / films 3D) : deux images d’une même scène sont prises avec un léger décalage dans le plan horizontal, chacune étant envoyée sélectivement à un œil.
La fusion binoculaire se produit sur des groupes cellulaires au sein des structures visuelles (tant occipitales que pariétales). C’est un des facteurs importants de la perception de la profondeur.
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Percep4on de l’espace : apport des neurosciences cogni4ves
E. Kandel et al., Principles of Neural Science 4e édi<on, 2000
La fusion binoculaire déjà réalisée au niveau de V1
Les deux hémi-‐champs visuels et la projec4on centrale contra-‐latérale
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Percep4on de l’espace : apport des neurosciences cogni4ves Les différentes dimensions de la percep4on visuelle (forme, couleur, localisa4on spa4ale, relief et profondeur, mouvement…) sont codées en parallèle au niveau de modules spécialisés répar9s sur deux grandes voies.
• Voie dorsale « occipito-‐pariétale » code le « où » (espace, a\en4on visuo-‐spa4ale)
• Voie ventrale (« occipito-‐temporale » code le « quoi » (forme, couleur, reconnaissance des objets, visages »)
L’unité percep4ve, phénoménale, est une propriété émergente de l’ensemble des cartes visuelles.
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“La pierre est sans monde L’animal est pauvre en monde L’homme est configurateur de monde” Les concepts fondamentaux de la métaphysique Mar4n Heidegger, 1929-‐1930
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II. Peinture et représenta9on de l’espace
II. La peinture : une représentation de l’espace au second degré ... Le peintre « externalise » sur le support (mur, panneau de bois, toile...) sa représentation « interne » de l’espace.
Vers quelle fenêtre tourne-t-il son regard, à quelle(s) source(s) son inspiration se nourrit-elle ? • à ce qu’il voit (nature/invariant), • à ce qu’il sait (cognition/histoire), • à ce qu’il crée (innovation/rupture)...
« Perspec<ves urbinates » : Le panneau d’Urbino, La Cité idéale, ca 1460-‐80
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Peinture et représenta4on de l’espace : introduc4on
• Quelques éléments d’histoire des relations complexes entre - la perception (naturelle) de l’espace liée à l’équipement neuro-cognitif de homo sapiens (structures cérébrales et lois d’organisation perceptive) - et la représentation (culturelle) de cet espace liée aux différents contextes historiques (avec la (les) perspective(s) comme structure(s) d’organisation de l’espace représenté)...
• Nous partirons des œuvres picturales, illustrant différentes formes d’organisation figurative de l’espace. Nous évoquerons aussi certains enjeux plus généraux qui peuvent se dégager de ces « choix » esthétiques (contexte plus global de l’histoire des idées).
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Peinture et représenta4on de l’espace : introduc4on
Dans la figuration de l’espace, place centrale de(s) la perspective(s) : représentation de la profondeur, passage progressif d’un avant-plan à un arrière-plan, détermination d’un point de vue sur la scène à représenter, détermination du point de fuite, modification des formes, des tailles, des couleurs… en fonction de la profondeur.
La(es) perspective(s) comme paradigme : en fonction d’un contexte socio-politique, idéologique, esthétique, technique..., une forme privilégiée d’organisation spatiale est adoptée comme dispositif ou règle de représentation, comme modèle pouvant être réinventé ou subverti librement (parallélisme avec la notion de paradigme chez Th. Kuhn in « La structure des révolutions scientifiques »,1962/1983).
Quelques types de perspective :
1. La perspective symbolique ou signifiante 2. La perspective atmosphérique ou aérienne
3. La perspective géométrique ou linéaire (centrale) 4. La perspective axonométrique (cavalière, à vol d’oiseau...)
5. La perspec9ve sphérique ou curviligne
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1. La Perspective symbolique ou signifiante
Au Moyen Âge, mais encore tard dans la Renaissance, la figuration de l’espace se structure selon les schèmes de la pensée aristotélico-thomiste : c’est la loi divine révélée dans le Livre, c’est la sagesse divine, la hiérarchie ecclésiale ou sociale (rois ou nobles)... qui gouvernent la représentation de l’espace, qui déterminent notamment l’inégalité des tailles des personnages (ou des choses) et leur rangement par degrés, et non la profondeur du plan spatial auquel ils appartiennent...
• Fra Filippo Lippi • Pierro della Franscesca
• Le Maître du Codex de Manesse
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2. La Perspective atmosphérique ou aérienne
La représentation de la profondeur peut se baser sur des indices liés à des caractéristiques de la lumière perçue. Au fur et à mesure que la distance augmente, d’une part, les détails tendent à s’atténuer jusqu’à disparaître à l’horizon ; de l’autre, les couleurs vont en se dégradant et en se refroidissant : les tons chauds (ocre, rouge) au premier plan, bleuissent au second, pour s’évanouir dans un bleu gris diaphane à l’horizon.
Cette modalité de représentation a été « exploitée » à la renaissance flamande, elle est relativement peu présente en Italie, sauf chez Léonard de Vinci (technique du sfumato).
• Joachim Patenier • Caspar David Friedrich
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3. La Perspec,ve géométrique
PiermaReo da Amelia, ca 1445-‐1509 (aRribué à)
Annoncia<on, ca 1475 Peinte pour le couvent de la Sainte Annoncia<on de Amelia (Ombrie)
Musée Isabella Stewart Gardner Boston
Comment ar4culer, dans la figura4on de l’espace, ces deux pôles en tension dialec4que que sont « l’esprit de géométrie » et « l’esprit de finesse » ? Ou comment dépasser ce\e tension tout en la maintenant (hau_eben) ? Ici entrent en résonance la profondeur géométrique et la profondeur narra4ve.
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La perspec4ve géométrique
Quelle histoire le peintre va-‐t-‐il raconter à la faveur de l’ordonnancement géométrique de l’espace ?
• La Trinité (Masaccio) • L’Annoncia<on (Fra Angelico)
• Les Epoux Arnolfini (J. van Eyck) • La dernière Cène (D. Bouts)
• Les perspec<ves accélérée et ralen<e • Des synthèses aux ruptures
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4. Perspective axonométrique
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4. Perspective axonométrique
Perspective cavalière Perspective à vol d’oiseau
Le point de vue ou pôle du sujet est renvoyé à distance infinie. Les droites perpendiculaires au plan du tableau et parallèles entre elles ne convergent pas vers un même point du tableau (point de fuite) mais restent parallèles, et les propriétés métriques (distances et formes) ne sont pas altérées en fonc4on de la profondeur.
• Chine • Japon
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Paolo Uccello 1397-‐1475 Le Déluge ca 1447-‐48 Cloître vert du Couvent de Santa Maria Novella Florence
Vassily Kandinsky, 1866-‐1944 Fugue, 1914 Fonda<on Beyeler, Bâle
III. Conclusions : les moments de rupture
• Le QuaXrocento • La post-‐modernité
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Conclusions : la « rupture » du Qua\rocento
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L’invention de Brunelleschi, à l’entame du Quattrocento, apparaît comme un des instruments d’une évolution de la conception de l’homme et du monde qui va progressivement s’opérer tout au long de la Renaissance (Pic de la Mirandole, Vésale, Copernic, Montaigne et la Boétie...), pour déboucher au XVIIe siècle, sur de profondes mutations dans les sciences et la philosophie (Galilée, Desargues, Pascal, Descartes, Spinoza...). D’une vérité révélée et qui semble progressivement s’obscurcir, l’homme de l’époque passe à la quête expérimentale, empirique de la vérité d’un monde à découvrir, à parcourir (la Modernité et les Lumières du XVIIIe).
Voir notamment H. Damisch, L’origine de la perspec<ve, Flammarion, Coll. Champs arts, 1987, 2012,474 p., plus par<culièrement le chapitre V La ques<on de l’origine, pp.98-‐111
« Je dis que la perspective à la Renaissance est un fait de culture, que la perception même est polymorphe et que, si elle devient euclidienne, c’est qu’elle se laisse orienter par le système. D’où question : comment peut-on revenir de cette perception façonnée par la culture à cette perception ‘brute’ ou ‘sauvage’ ? En quoi consiste ’l’information’ ? »
M. Merleau-‐Ponty Le Visible et l’invisible Tel Gallimard,1964, notes p. 265
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Conclusions : les « ruptures » du tournant XIXe-‐XXe siècles
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Les grandes ruptures de la fin du XIXe début XXe siècles :
• Géométrie : les géométries non euclidiennes (Lobatchevski,1835 et Riemann,1850)
• Mathématiques et logique : crise des fondements, les paradoxes (Frege,1885; Russell, 1903 et Wittgenstein,1920)
• Physique : théorie de la relativité restreinte et prémisses de la mécanique quantique (Einstein,1905)
• Poésie : crise des vers, vers libre (Mallarmé,1897)
• Musique : atonalité (Schoenberg,1912), dodécaphonisme et musique sérielle (Stockhausen et Berg)
• Psychanalyse : l’inconscient (Freud,1895)
• Peinture : abandon de la perspective avec le cubisme (Cézanne,1904; Picasso,1907; Braque,1910), avec l’abstraction (Kandinsky, 1910)
K. Malevitch, 1878-‐1935 Carré noir sur fond blanc, 1915 Musée russe, Saint-‐Pétersbourg
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III. Conclusions : Peinture et société
Ainsi, comme l'a montré Francastel (1951), chaque perspective correspond à une interprétation psycho-sociologique de l'espace et, ajouterons-nous, à une philosophie et à une conception de l'homme et de l'univers. C'est la société tout entière qui est présente dans l'espace d'un tableau.
L'étude de la perspective débouche sur la science, l'épistémologie et la théorie de la connaissance.
Mais l’art n’est pas la science...
Pierre Francastel, 1951. Peinture et société : naissance et destruction d’un espace plastique de la Renaissance au cubisme, Paris, Lyon, Audin, 302 p., ill. ; rééd. Denoël-Gonthier, 1984, 362 p.
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Bibliographie sommaire
• Alberti L. B., « De la peinture » (1435), traduction J.-L. Schefer, Macula Dedale, 1999
• Arasse D., « L’homme en perspective, les primitifs d’Italie », Bibliothèque Hazan, 2008;
«L'Annonciation à l’italienne, une histoire de perspective », Bibliothèque Hazan, 2010
• Dalai Emiliani M., « La question de la perspective », préface du livre de E. Panofsky; ce même
auteur a rédigé l’article « Perspective » dans l’Encyclopaedia Universalis, Vol. XIII, 1972
• Damisch H., « L’origine de la perspective » (1987), Coll. Champs Arts, édition 2012
• Gregory R., « L’œil et le cerveau : psychologie de la vision », De Boeck Université, 2000
• Marin L., « De la représentation », Hautes Etudes, Gallimard Le Seuil, 1993
• Merleau-Ponty M., « Le Visible et l’invisible », Gallimard, 1964
• Panofsky E., « La perspective comme forme symbolique » (1932), Les éditions de Minuit, 1975