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Mizuki Nomura
Manuscrit
Vu d’un ciel clément, l’histoire du timide océan
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
Traduit du japonais par Skythewood Translations
Traduit de l’anglais par la Mugetsu no Fansub
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CHAPITRE 2 : POURQUOI ELLE ÉCRIT
À la fin des cours, Hiyuki rassembla ses affaires. Elle les avait
déjà préparées avant la sonnerie. Elle se précipita ensuite hors de
la salle. Un camarade demanda à Ao quelques renseignements sur
les light novels du moment. Après lui avoir répondu, le jeune
homme prit son sac et quitta lui aussi la salle. Il se rendit aux
casiers pour changer de paire de chaussures et alla chercher son
vélo au parking. Au moment où il déverrouillait l’anti-vol, il eut
l’impression que quelqu’un le fixait.
Ao se retourna mais ne vit personne. Il pensa que ce n’était
que son imagination. Il retira le cadenas et se mit en route.
Quelques instants plus tard, il ressentit de nouveau cette
impression d’être épié.
Quelqu’un est en train de me suivre ?
Il se retourna. Cette fois, il eut le temps d’apercevoir une
longue chevelure brune au coin d’un immeuble. Une douce brise
de printemps la faisait flotter. Elle semblait translucide sous les
rayons éclatants du soleil.
« Hmm ? Hiyuki ? »
Ne s’attendant pas à être repérée, la silhouette qui dépassait du
bâtiment frémit et disparut aussitôt.
« Hiyuki ! Attends ! »
Ao se mit à pédaler plus rapidement et poursuivit la jeune
fille. Hiyuki marchait tout en serrant son sac contre sa poitrine.
Ses longs cheveux bruns se balançaient au fil de ses pas. Elle
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marchait à un rythme très rapide. Après l’avoir rattrapée, Ao
descendit de son vélo et marcha à ses côtés. En observant son
visage, il pouvait voir de plus près son grain de beauté au coin des
lèvres. Bien que son expression fût toujours aussi glaciale, ses
yeux étaient légèrement rouges.
« Hiyuki, je suis désolé pour ce qui s’est passé tout à
l’heure. » Hiyuki ne lui répondit pas. « Je t’ai surprise quand j’ai mentionné le manuscrit que tu as
déposé pour le concours des jeunes auteurs, n’est-ce-pas ? »
Elle garda le silence. « Je suis désolé. Tu ne vas sans doute pas me croire si je te dis
que je travaille comme examinateur sur ce concours, pas vrai ? »
Hiyuki ignorait encore le jeune garçon. « Je l’ai lu pendant la golden week. Il était dans le lot qui m’a
été envoyé. En lisant la fiche personnelle de l’auteur, j’ai vu ton
nom et celui du lycée. »
Les fines lèvres de Hiyuki restèrent fermées, même après les
explications de son camarade. Elle continuait à marcher, les yeux
baissés. Ils passèrent devant un arrêt de bus et ils s’engagèrent
dans une rue latérale, en plein quartier résidentiel. De belles
maisons étaient alignées le long de la route. Chacune avait un
jardin avec une cour florissante et bien entretenue. Les deux
adolescents marchaient toujours. Ao tenta de rompre ce silence
gênant.
« Je ne prévois pas de parler de toi ni de ton manuscrit aux
autres, si c’est ce qui t’inquiète. Je ne compte pas non plus te
critiquer. »
Ah ! Peut-être que je n’aurais pas dû le dire comme ça ! Elle
va croire que je la fais chanter !
Hiyuki, anxieuse, restait sur ses gardes face au jeune homme.
Puis, contre toute attente, elle s’arrêta de marcher. Hiyuki se
mordit les lèvres. Elle gardait encore la tête baissée. Ses yeux
devenaient de plus en plus rouges et elle se mit à parler d’une voix
si douce qu’elle semblait irréelle.
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Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
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« Ao… Tu as vraiment lu mon manuscrit ?
— Oui.
— En entier ?
— Oui.
— Même la fin ?
— Oui. »
Il l’avait lu jusqu’à la dernière ligne, lentement et avec
minutie. Il avait même entièrement rempli la fiche pour
commenter son travail.
Hiyuki se mit à marmonner. Elle leva la tête vers Ao. Ses yeux
le parcouraient frénétiquement. Elle était plus grande que la
plupart des filles tandis qu’Ao était légèrement plus petit que les
garçons de son âge. Une courte distance les séparait. Ao n’avait
pas l’habitude qu’une fille soit si proche de lui. Il admirait son
visage, ses yeux légèrement humides, sa bouche entrouverte et
son grain de beauté toujours aussi séduisant.
Ouah, j’ai les joues qui brûlent. J’espère que je ne rougis pas
trop.
Hiyuki regardait Ao d’un air anxieux, en ne se souciant pas du
tout de la distance qui les séparait.
« Et… Qu’as-tu pensé de mon travail ? »
***
Il était tard lorsqu’Ao arriva enfin chez lui.
« Je suis rentré. »
Alors que la zone résidentielle où habitait Ao baignait dans la
couleur du soleil couchant, le garçon ouvrit la porte de la maison
et s’annonça. Ses jeunes frère et sœur, des jumeaux, qui étaient
rentrés de l’école, se mirent à courir vers lui bruyamment.
« Tu es enfin de retour, Ao !
— Bienvenue à la maison, Ao ! »
Ils étaient encore jeunes et faisaient la même taille. Ils avaient
tous les deux de grands yeux et les lèvres charnues. Quant à leur
personnalité, le frère était assez turbulent tandis que la sœur était
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bien plus calme. Ao s’étonnait que leur différence de caractère
soit autant visible malgré leur jeune âge. Peut-être que ce n’était
qu’une impression, vu qu’ils sont de la même famille. Ils
s’entendaient tous les deux plutôt bien. Le frère malicieux aimait
jouer au baseball et au foot alors que la sœur plus douce préférait
dessiner et jouer à la maison. Les jeux était un sujet de disputes
constantes dont Ao était l’arbitre.
« Ao, on peut reprendre notre partie de jeu vidéo ?
— Ao, on peut dessiner ? »
Le pauvre garçon se faisait tirer par les bras.
« Je dois d’abord vérifier vos devoirs. Le premier qui aura
terminé pourra jouer avec moi !
Les jumeaux répondirent ensemble, en toute innocence.
« D’accord ! Je vais faire mes devoirs ! »
Ao leur tapota la tête.
« Parfait. »
À ce moment-là, la tête de sa mère dépassa de la cuisine.
« Bonsoir Ao. Tu rentres bien tard aujourd’hui.
— Oui, j’ai été prendre un thé avec une amie. » répondit Ao
nonchalamment en se remémorant sa conversation avec Hiyuki.
***
« Et… Qu’as-tu pensé de mon travail ? »
Hiyuki avait posé la question en hésitant. Ao ne sut quoi
répondre.
— À propos de ça… Eh bien… »
La jeune fille regardait fixement Ao dans l’attente de sa
réponse. Elle serrait son sac de plus en plus fort. Ses doigts
tremblaient légèrement. Ao se sentait sous pression face à sa
camarade. Il avait du mal à répondre en étant naturel. Il lui fit
alors une suggestion.
« Si tu veux en parler, ne restons pas ici. Tu veux t’asseoir
quelque part ?
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Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
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— Je crois qu’il y a un salon de thé pas loin… Dans cette rue.
Il n’est pas fréquenté par les autres lycéens. » Elle poursuivit
d’une voix douce. « Allons-y. »
Le salon de thé suggéré par Hiyuki était d’allure simple mais
il y régnait une atmosphère chaleureuse. La devanture était à la
base une résidence, qui a ensuite été rénovée. L’intérieur était
décoré de chaises en bois, le genre qu’on ne voyait que dans les
contes de fées, ainsi que de tables, elles aussi en bois, qui
semblaient anciennes. Des coussins avec des motifs rayés cousus
à la main étaient posés sur chaque chaise. Quant aux murs, ils
étaient couverts d’un papier peint à motif de losanges aux
couleurs chaudes.
Une tasse de thé ou de café coûtait 450 yens1. C’était un peu
plus cher que les boisons vendues dans le quartier mais la qualité
était au rendez-vous. C’était encore le début de la semaine et il y
avait beaucoup de places vides. Une jeune collégienne lisait et
deux dames âgées discutaient avec élégance. Cette ambiance
couplée au cadre de l’endroit donnait une atmosphère sereine et
confortable.
La gérante leur sourit poliment et les laissa choisir la table de
leur choix. Ao et Hiyuki s’installèrent à une table ronde contre le
mur, en face à face. La jeune fille continuait de fixer intensément
son camarade, attendant son avis avec impatience. Ao commanda
du thé Assam avec du lait. Hiyuki, elle, demanda une infusion de
chrysanthème. Ao prit la parole.
« Ton travail est très intéressant. »
L’expression de Hiyuki s’illumina.
— Euh, eh bien… Est-ce que ça veut dire que j’ai passé le
premier tour ?
— Euh… Je ne peux pas te le dire avant l’annonce officielle…
Mais… » balbutia Ao.
À ces mots, le visage de Hiyuki s’assombrit.
1 450 yens : environ 3,5 euros.
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« Je n’ai pas réussi… Encore une fois... Je ne suis pas
sélectionnée. »
Ao ne savait pas quoi faire, Hiyuki avait vraiment l’air
déprimée. Il ne pouvait pas lui donner les résultats, mais elle avait
raison. Son travail n’avait pas été sélectionné pour passer le tour
suivant. Au lieu de lui donner de faux espoirs, il valait mieux lui
dire la vérité maintenant. Toutefois, apprendre la mauvaise
nouvelle alors qu’elle avait soumis son travail il y a à peine un
mois était éprouvant. Ao, n’y pouvant pas grand-chose, se sentait
mal pour elle.
La gérante du salon servit leur boisson dans des tasses. Hiyuki
n’y toucha pas. Elle parlait d’une voix morne, les yeux dans le
vague.
« Je… J’ai déjà soumis mon travail cinq fois… Et chaque
tentative s’est soldée par un échec. Est-ce parce que le jury trouve
mon travail trop vulgaire ?
— Euh…
— Est-ce parce que ce n’est pas très recherché ? Ce n’est pas
agréable à la lecture ?
— Eh bien…
— Ou alors, ce n’est pas assez convaincant voire trop
présomptueux ?
— Attends, attends une minute Hiyuki. » Elle avait enchaîné
beaucoup de questions. Ao reprit la parole, paniqué. « Ce n’est pas
ce que je pense. Je n’ai pas envoyé ton manuscrit au second tour
mais je pense que ton travail est vraiment intéressant. Je l’ai écrit
dans les commentaires. Tu ne les recevras pas avant un certain
temps, mais lis-les, s’il te plaît.
— Est-ce que mon travail a vraiment… Des points positifs ?
— Oui ! » s’exclama Ao avec un sourire.
Hiyuki élargit les yeux de surprise et posa son regard sur sa
tasse, un peu mélancolique.
« Mais… Les autres examinateurs l’ont trouvé ennuyeux.
Tous les commentaires que j’ai reçus le confirmaient. L’histoire
est désordonnée, le vocabulaire est peu recherché et vulgaire. La
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Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
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lecture est pénible et le personnage principal n’est pas attachant…
La structure de l’histoire n’est pas assez convaincante et son
contenu est trop prétentieux. À chaque fois, j’ai eu la note la plus
basse, un C si c’était une note sur trois lettres et un E si c’était une
note sur cinq lettres. »
Les éditeurs de la plupart des maisons d’édition rappelaient à
plusieurs reprises à leurs examinateurs que les concurrents étaient
aussi des lecteurs de light novels. Ils se devaient de faire preuve
de subtilité et ne pas condamner les manuscrits qu’ils notaient.
Mais il existait des examinateurs beaucoup moins conciliants qui
donnaient leurs commentaires avec un autre état d’esprit. Selon
eux, les auteurs devaient être un minimum cultivés et connaître au
moins les bases de l’écriture. Ao l’avait entendu de la bouche de
son oncle, à ses débuts en tant qu’examinateur. Ces personnes
estimaient notamment que le changement de taille de la police et
l’enchaînement de plusieurs signes de ponctuation était inutile et
vulgaire. Elles détestaient cette manière d’écrire.
Par exemple, les points de suspension ne devaient être écrits
qu’en un seul caractère, et non trois points à la suite. S’il l’un de
ces examinateurs remarquait cette typographie incorrecte, il
estimerait que l’auteur n’a même pas acquis les bases de l’écriture
avant de se lancer dans la rédaction. À partir de ce moment-là, il
jugerait le travail comme mauvais et sans valeur à la lecture. Ao
fut surpris lorsqu’il entendit parler de tels examinateurs. Il était
vrai qu’il fallait suivre une typographie normée, mais, depuis
quelques temps, les jeunes auteurs qui auto-éditaient leur travail
sur internet suivaient leurs propres règles. Ils s’autorisaient alors
quelques libertés pour simplifier la lecture à l’écran. La plupart
des auteurs amateurs avaient pris cette habitude. D’après Ao, les
examinateurs ne devraient pas se baser sur de tels critères pour
juger un manuscrit.
De plus, les rédacteurs enseignaient toutes les règles de
typographie aux auteurs après que leur manuscrit avait remporté
le concours. Ao avait vu de nombreux manuscrits très intéressants
où les points de suspension n’étaient pas dactylographiés
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correctement. À l’inverse, il avait aussi lu des manuscrits avec
une grammaire impeccable qui manquaient de charme.
Ao avait déjà lu une fois un manuscrit sans aucun retrait de
paragraphe. Les paragraphes n’étaient donc pas distingués. Au
début, il avait quelques difficultés à le lire, mais après une
inspection un peu plus approfondie, il trouva que l’écriture était
très vivante et que l’histoire, pleine de personnalité, brisait les
standards. Pour réussir à écrire une telle histoire, sans connaître
les bases de l’écriture, cet auteur avait un énorme potentiel ! Ao
avait envoyé ce manuscrit au deuxième tour, le cœur rempli
d’espoir. Il n’avait malheureusement pas gagné le grand prix à
cause d’un conflit d’opinions entre plusieurs membres du jury. Ce
manuscrit avait quand même remporté un prix spécial et, par la
suite, le light novel alors né se plaça dans le top des ventes de sa
saison de sortie.
« C’est impossible de renverser la situation si on tombe sur
quelqu’un qui pense que sa propre norme est la seule qui soit
correcte. Je suis navré que tu sois tombée à chaque fois sur ce
genre de personnes. » s’exclama Ao.
Fort heureusement, un examinateur professionnel ne laisserait
pas un travail avec un bon potentiel tomber dans l’oubli.
Cependant, d’autres n’hésitaient pas à faire des commentaires
inutiles et méchants aux concurrents qui s’étaient fait recaler.
Certains auteurs, après avoir vu les résultats, étaient furieux et
provoquaient d’énormes vagues sur internet.
Hiyuki est tombée sur ce genre d’examinateurs… Oh non ! Je
n’aurais pas dû lui parler de ça.
Devant lui se tenait une Hiyuki complètement déprimée, les
épaules et la tête baissées. Elle se mordait la lèvre tellement la
déception la rongeait. La jeune fille ne ressemblait plus du tout à
l’image qu’elle donnait d’elle au lycée. Elle avait l’air si
pitoyable.
« Je pense que tu n’as simplement pas eu de chance. Ton
travail n’est pas parfait, c’est vrai. Les changements de taille de la
police et l’utilisation de la ponctuation sont un peu excessifs.
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Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
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C’est ce qui peut laisser une mauvaise impression mais il y a aussi
des bons points. Si tu arrives à les faire ressortir, je suis certain
que tu passeras le premier tour de sélection. » reprit Ao pour
tenter de remonter le moral de sa camarade.
À ses mots, la jeune fille releva la tête et le regarda droit dans
les yeux. Ao tenta de détourner la conversation pour aborder un
sujet moins épineux.
« En tout cas, le thé est vraiment bon » dit-il avec un sourire.
Il versa un peu de lait dans sa tasse de thé et but une gorgée.
Hiyuki prit son infusion de chrysanthème et la porta la tasse à ses
lèvres.
« Oui, c’est vrai… » marmonna-t-elle après avoir pris une
gorgée. « Je suis souvent passée devant ce salon de thé, mais je
n’ai jamais osé y jeter un coup d’œil, pas toute seule en tout cas.
— Moi non plus. En même temps, ce n’est pas courant pour
un garçon d’entrer dans un salon si mignon. Je suis heureux d’y
être avec toi, Hiyuki. »
Les joues de Hiyuki prirent une délicate teinte rouge cerise.
Elle gardait ses yeux baissés et parlait doucement.
— Euh… Les balles du paradis perdu, je le lis aussi. »
Il s’agissait du light novel qu’Ao avait fait tomber par terre
dans la salle d’informatique pour engager la conversation avec
Hiyuki. Le cœur du garçon faillit s’arrêter de battre.
« J’en étais sûr ! Je me disais bien que tu avais dû lire cette
série.
— J’en suis fan.
— Oui, la tournure et le développement de chaque tome sont
très excitants. Tu as lu le dernier ?
— Oui, le moment où Takato aide Falumia m’a profondément
émue.
— Oui, cette partie est vraiment sanglante ! Et ce moment-là,
lorsque le loup solitaire Jacille prononce le chant tabou pour
sauver son camarade !
— Je me suis mise à pleurer à ce passage.
— Moi aussi. »
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Sans s’en rendre compte, les deux lycéens parlaient avec
passion de différents light novels. Ao avait lui-même sélectionné
Les balles du paradis perdu en tant qu’examinateur. Il trouvait le
manuscrit très intéressant et voulait que le grand public le lise
aussi. Ao était vraiment heureux que Hiyuki exprime timidement
ses pensées à ce sujet.
« Ao, comment as-tu commencé à travailler comme
examinateur ? »
La jeune fille était toujours préoccupée par cette affaire. Elle
avait posé la question avec précaution.
« Euh, je ne suis pas vraiment autorisé à dire que je travaille
comme examinateur. J’espère que tu voudras bien le garder
secret. »
Hiyuki acquiesça doucement.
« Oui, je n’ai personne à qui parler de toute façon. »
Ao trouvait que cette façon de le dire ne rendait la jeune fille
que plus solitaire encore. Toutefois, vu le ton qu’elle avait
employé, elle ne semblait pas avoir besoin de la sympathie des
autres. Ao fit donc comme s’il ne l’avait pas entendue.
« Mon oncle travaille dans l’industrie du jeu vidéo. Tout a
commencé avec lui. Il lui arrivait d’examiner des manuscrits que
lui envoyait un éditeur. Un jour, surchargé de travail, il m’a
supplié de l’aider… »
Ao continua de raconter l’histoire qui fit de lui un examinateur
de concours de light novels. Hiyuki écarquillait les yeux et
semblait avoir le souffle coupé alors qu’il s’expliquait.
Finalement, après qu’il avait fini de raconter son histoire, la jeune
fille prit la parole après un court silence.
« Une telle chose peut vraiment arriver.
— Oui, on pourrait croire à une intrigue de light novel. J’ai
d’ailleurs entendu dire que certains des examinateurs pouvaient
être des femmes au foyer ou même de simples vendeurs de
légumes. En plus, les personnes chargées des manuscrits orientés
pour le public féminin peuvent très bien être des illustrateurs de
jeux H ou bien des hommes dans la quarantaine.
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Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
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— « Jeux H » ? » répéta Hiyuki sans comprendre, en inclinant
la tête sur le côté.
« Ah ça… Il s’agit de jeux déconseillés aux moins de dix-huit
ans. C’est ce que mon oncle produit. Quelques fois, ils sont
adaptés pour tous les âges, mais la plupart du temps, ce n’est pas
le cas. Ah, et même s’il s’agit de jeux H, leur contenu peut
vraiment être intéressant et passionnant. Oh, et je joue aux
versions pour tous les âges !
— Oui… Oui. »
Quand Hiyuki comprit que les jeux H étaient des jeux
érotiques, son visage devint rouge vif. Sur sa peau aussi pâle
qu’une pierre de jade, on ne voyait que ça. Ao avait cru au départ
qu’elle devait connaître ce genre de jeux puisqu’elle était capable
d’écrire des choses comme « C’est une culotte à rayures ☆ ». Il
s’avérait qu’il avait tort. Discuter de choses obscènes avec une
fille aussi sérieuse… Et si c’était du harcèlement sexuel ? Les
joues du jeune homme commencèrent à le brûler.
Hiyuki est une personne tellement différente de ce que laisse
penser son manuscrit. Et contrairement à ce que peuvent penser
nos camarades qui la trouvent aussi froide que la glace, elle est
tout à fait capable de parler et de discuter de façon naturelle. Elle
peut rougir facilement et elle choisit ses mots avec le plus grand
soin. Elle est difficile à cerner.
« Je… J’ai un couvre-feu à respecter, je vais devoir y aller. »
dit Hiyuki après un silence gênant.
Ao avait entendu dire que Hiyuki vivait dans un vieux manoir
de style traditionnel. Si elle rentrait chez elle à pied, alors son
couvre-feu avait lieu très tôt. Une rumeur racontait qu’elle habitait
avec sa grand-mère, une femme stricte. Ce devait être la raison de
ce départ précipité.
« C’est l’heure pour moi aussi. » répondit Ao en se levant.
Ils avaient été tellement absorbés par leur conversation qu’Ao
n’avait pas vu le temps passer. Il avait tout juste le temps de
rentrer pour arriver à l’heure du dîner.
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« Bien que je travaille comme examinateur, tu es la première
autrice de light novels que je rencontre. Je suis heureux d’avoir pu
en discuter avec toi aujourd’hui.
— Moi aussi.
— Alors j’espère que nous pourrons en parler une prochaine
fois. Ah, et si tu ne veux pas me parler au lycée, ce n’est pas
grave. Tu pourras faire comme d’habitude. Je vais te donner mon
numéro de téléphone et mon adresse mail. Mais c’est seulement si
tu en as envie. »
Ao avait parlé de façon décontractée comme il le faisait
habituellement lorsqu’il échangeait ses coordonnées avec
n’importe quel camarade de classe. Hiyuki s’agitait nerveusement
et semblait envisager quelque chose.
« Ao… J’ai une faveur à te demander.
— Hmm ? Laquelle ? »
Le jeune homme, son téléphone portable à la main, se raidit un
moment. Le visage de Hiyuki, en particulier ses lèvres, était dur.
Finalement, elle exprima ce qu’elle avait en tête.
« S’il te plaît, apprends-moi à écrire des light novels ! »
***
Hiyuki semblait si sérieuse… C’est pour ça que je lui ai dit
« Je t’apprendrai tout ce que je sais. » sans même prendre le
temps d’y réfléchir. Est-ce que je vais y arriver ? Je n’ai aucune
idée de comment écrire un light novel.
Après avoir dîné, Ao s’installa à son bureau dans sa chambre.
Il regardait pensivement la carte de fidélité du salon de thé. S’il
cumulait dix points, il aurait droit à un dessert maison. Le chiffre
1 était tamponné sur la première case de la carte. Il avait
également reçu un bon de 50 yens.
Il prit un autre rendez-vous avec Hiyuki au salon de thé après
l’école, le lendemain. Il commencerait alors à la conseiller sur la
manière d’écrire un light novel.
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Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
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J’ai beau être examinateur, je n’ai encore jamais fait l’expérience
de l’écriture. Je ne saurai pas comment écrire un bon light novel.
Je me demande si je serai utile. Je lui ai dit que je lui donnerai
seulement mon opinion mais ça avait l’air de lui suffire.
« Juste une fois. Rien qu’une fois, j’aimerais passer le premier
tour de sélection. » avait-elle dit en regardant Ao droit dans les
yeux. Tout ce qu’elle espérait, c’était que le garçon en face d’elle
lui vienne en aide.
« Oui, essayons. Ça a l’air amusant. » répondit-il après un
court moment d’hésitation.
Ils décidèrent de se rendre au salon de thé séparément. Après
la fin des cours, Hiyuki sortit rapidement de la salle de classe
tandis qu’Ao poursuivait une discussion avec ses amis. Après
s’être excusé de ne pas pouvoir les accompagner au fast food, le
garçon s’éclipsa rapidement. Il prit son vélo et se dirigea en
vitesse vers le salon de thé.
Quand il ouvrit la porte, il trouva Hiyuki installée à la même
table qu’hier.
« Désolé, tu n’as pas attendu trop longtemps, j’espère ?
— Non, je viens d’arriver à l’instant. »
Hiyuki sourit doucement. Ses lèvres et son grain de beauté
étaient toujours aussi séduisants. Son apparence était encore un
peu froide, mais son expression, elle, s’était déjà adoucie.
Lorsqu’ils étaient à l’école, elle n’avait adressé aucun regard à
Ao. Elle se tenait droite et l’atmosphère qu’elle dégageait était
glacée. Les camarades de classe d’Ao avaient commenté l’allure
de Hiyuki, comme à leur habitude.
« La reine de glace est telle un mur de fer aujourd’hui.
— Non, tu devrais dire un mur de glace.
— Ao, comment tu comptes la séduire exactement ? Je te
conseille de ne pas t’y risquer, sinon ton cœur risque d’être
transpercé par un pic de glace. Et tu risques de ne jamais t’en
remettre.
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Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
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— Un gars banal qui arrive à obtenir les faveurs de l’une des
plus belles filles du lycée. C’est une histoire qui n’arrive que dans
le monde des light novels. »
Il reçut ces conseils tout au long de la journée. Ao leur avait
répondu qu’il avait involontairement jeté quelques coups d’œil sur
Hiyuki car il la trouvait très belle. Mais ses pensées étaient bien
différentes.
Personne ne le sait mais Hiyuki est quelqu’un de réservé, qui
parle d’une voix douce, les yeux légèrement humides. Elle invente
des histoires et des univers particuliers. Elle ne connaissait pas
les jeux H mais elle est quand même capable d’écrire des scènes
où des jupes se soulèvent pour révéler une culotte rayée.
Alors que ses pensées le tiraillaient, Ao ne put s’empêcher de
se sentir supérieur à ses camarades. Quand il se retrouva seul avec
Hiyuki au salon de thé, ce sentiment l’immergea. Il savait qu’il
avait de la chance, et il en était très heureux. Ao s’assit en face de
Hiyuki et commanda un Darjeeling.
« Bien, puisque tu as un couvre-feu à respecter, mettons-nous
au travail rapidement. » commença calmement Ao, tandis que
Hiyuki tremblait nerveusement.
Elle revint peu à peu à son expression glacée habituelle.
« Hiyuki, tu vas tenter quel concours ?
— Je souhaite tenter le concours des Étoiles Montantes de la
Littérature des Éditions Eidansha.
— Oh ! C’est avec ce concours que j’avais commencé mon
travail d’examinateur.
— Oh, bon, très bien. »
Les traits de son visage se détendirent un peu. Ao reprit la
discussion.
« La date limite pour l’inscription est le 15 juillet.
— Oui.
— Nous sommes au milieu du mois de mai. Ce qui nous laisse
environ deux mois. Hiyuki, combien de temps il te faut pour
écrire un manuscrit ?
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— Pour le storyboard, ça me prendra environ une semaine. En
ce qui concerne l’écriture, je suis capable d’écrire entre dix et
quinze pages par jour. Mais je ne peux pas travailler dessus
lorsque je suis à la maison. Je devrais avoir terminé dans… Un
mois ? Ensuite, il faudra le vérifier et l’éditer. En tout, ça prendra
un mois et demi.
— Pourquoi tu ne peux pas écrire chez toi ? » demanda Ao.
Hiyuki regardait sa tasse d’un air triste.
« Je n’ai pas d’ordinateur à la maison. Et ma grand-mère
déteste les animes et les jeux vidéo. Elle m’interdit d’y toucher. Je
n’ai même pas le droit de lire le moindre light novel. »
Il était rare de voir un parent restreindre à ce point son enfant.
Il s’agissait même là d’un grand-parent qui s’occupait d’une
adolescente qui était déjà au lycée. Les personnes âgées devaient
probablement penser que les animes avaient une mauvaise
influence sur l’éducation des jeunes. Ces interdictions ainsi que ce
couvre-feu relativement tôt montraient bien à quel point sa grand-
mère était aussi stricte que la rumeur le disait.
Mais qu’en est-il de ses parents ? Pourquoi ne vit-elle pas
avec eux ?
Ao était troublé par cette affaire mais il ne voulait pas la
gêner. Hiyuki semblait réticente à parler de sa vie chez elle. Cela
devait expliquer pourquoi elle passait tout son temps dans la salle
informatique du lycée. Difficile d’imaginer qu’elle n’écrivait qu’à
ces moments-là. Ao fut impressionné par son rythme de travail.
Elle allait vraiment devoir travailler dur pour finir son manuscrit
en seulement un mois.
Ao la complimenta mais Hiyuki secoua la tête en soupirant.
« C’est parce que je n’ai rien d’autre à faire. » répondit-elle
embarrassée.
« Et comment faire pour l’impression ? Je crois qu’il y a
encore quelques éditeurs qui n’ont pas de soumission en ligne.
— Je serais découverte si j’imprimais tout ça au lycée. Je
préfère le faire dans un cybercafé.
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Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
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— Je vois. Et tu vas aussi là-bas pour les soumissions en
ligne ?
— Oui. » acquiesça-t-elle.
Malgré l’apparence digne et mature qu’elle laissait paraître à
l’école, elle avait là un comportement enfantin, ce qui fit sourire
Ao.
« Très bien, nous allons donc nous préparer pour le concours
des Étoiles Montantes de la Littérature d’Eidansha du 15 juillet
prochain. Il nous reste deux mois. Avec ton rythme, ça sera plus
que suffisant. On va y arriver.
— Oui. » Son visage avait repris des couleurs. Elle semblait
heureuse. « Pendant les deux prochains mois, je risque de
beaucoup te solliciter. »
Sa chevelure lisse et soyeuse tombait sur ses épaules alors
qu’elle saluait formellement le garçon. Ao en fut légèrement
troublé.
« J’espère que nous ferons du bon travail ensemble durant ces
deux mois. Et puis, je t’ai dit hier que je ne ferai que donner mon
opinion personnelle. Mais si tu penses que je suis dans l’erreur,
n’hésite pas à me le dire. Je veux avoir tes commentaires !
— Je ferai de mon mieux. » répondit Hiyuki avec inquiétude,
pas certaine de pouvoir y arriver.
Ao aussi était nerveux. Il se demandait s’il serait vraiment
capable de lui donner des conseils en écriture. Il se sentait mal à
l’aise mais maintenant qu’il avait accepté sa demande, il devait
aller jusqu’au bout.
« Pour commencer. Quel genre d’histoire aimerais-tu raconter
le plus ? »
Hiyuki avait l’air troublé.
« Quel genre ?
— Oui, qu’est-ce que tu préfères ? Beaucoup d’auteurs
prennent en compte les caractéristiques des saisons, les
préférences des lecteurs et ainsi de suite avant de décider du sujet.
C’est une stratégie, mais il faut d’abord que tu penses au style que
toi tu préfères. C’est une base importante. »
-
Manuscrit
18
Pendant la lecture de son manuscrit, Ao avait trouvé que
certains passages manquaient de naturel. Hiyuki avait essayé
d’aborder plusieurs thèmes différents dans l’espoir d’attirer plus
de lecteurs. C’est pour ça qu’Ao avait commencé par lui
demander son style d’histoire préféré.
« Si un auteur écrit quelque chose en se disant « Il faut
absolument que j’écrive ça ! » le lecteur le ressentira et il voudra
alors le soutenir. Donc nous devrions nous concentrer sur ce que
tu aimes pour ensuite choisir les caractères des personnages et la
trame de l’histoire. Ce sont des points essentiels sur lesquels il
faudra travailler si tu veux passer le premier tour de sélection.
— Ah, d’accord. » répondit Hiyuki en hochant la tête.
« Bon, je te le demande encore une fois. Hiyuki, qu’est-ce que
tu aimerais raconter ?
— Eh, euh… »
Elle avait l’air de prendre la question très au sérieux. Sans
doute y avait-il beaucoup de choses qu’elle souhaitait écrire. Bien
qu’elle fût bloquée dans un environnement qui l’empêchait de
s’exprimer pleinement, elle continuait à écrire. Hiyuki était
capable de faire tout un manuscrit en deux mois. Il y avait
certainement plusieurs sujets qu’elle aurait voulu aborder.
Pourtant à première vue, même au bout de plusieurs minutes,
la jeune fille semblait toujours indécise. Si jamais elle n’avait le
droit d’écrire qu’une seule histoire dans sa vie, que choisirait-
elle ? Il était impossible de répondre dans l’immédiat. Elle avait
beau réfléchir, Hiyuki n’arrivait pas à prendre de décision. Ao
décida de lui venir en aide.
« Tu n’arrives pas à le dire, pas vrai ? Dans ce cas, tu n’as
qu’à écrire.
— Hmm ?
— Sort ton crayon et ton cahier. Je vais compter jusqu’à
cinquante. Tu n’auras qu’à énumérer tout ce que tu aimerais
aborder pendant ce temps. Écris le plus possible.
— Jusqu’à cinquante ?
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
19
Le temps accordé était sans doute trop court pour elle et cela
l’angoissait. Hiyuki sortit son crayon et son cahier, un peu
paniquée.
« Allons-y. Trois, deux, un… » commença Ao.
Sans attendre que Hiyuki soit tout à fait prête, Ao commença à
compter. C’était une méthode que Sakuratô utilisait souvent
lorsqu’il était bloqué dans l’écriture de ses scénarios. « Ah, je
n’arrive plus à rien ! Je n’ai aucune idée ! Je ne sais pas quoi
écrire ! Ao, compte jusqu’à cinquante ! » disait-il en se grattant la
tête. Et alors qu’Ao se mettait à compter, les doigts de son oncle
survolaient les touches du clavier en tapant des mots seuls, voire
la description complète d’une scène. D’après lui, les pensées
inutiles encombrent l’esprit et les divagations entravent la
réflexion. Il valait donc mieux écrire tout ce à quoi on pensait
dans un court laps de temps, sans prendre le temps de réfléchir. La
solution était cachée dans ces mots.
« Quarante et un, quarante-deux… » poursuivit Ao.
Comme si elle était poursuivie par le compte à rebours, Hiyuki
ne cessait d’écrire ce qui lui passait par la tête. Elle n’avait pas le
temps de penser. Elle ne pouvait qu’observer les mots qui lui
venaient à l’esprit les après les autres. Son visage pâle avait pris
quelques couleurs.
« Quarante-huit, quarante-neuf… Cinquante. » finit Ao.
Après avoir terminé, Hiyuki relâcha ses épaules et poussa un
soupir de soulagement. Ses joues étaient toutes rouges.
« Laisse-moi regarder. »
Ao se pencha et Hiyuki lui tendit timidement son cahier en
vérifiant les mots qu’elle avait écrits, comme pour se confirmer
qu’elle en était bien l’autrice. Les deux adolescents lurent en
même temps.
« Autre monde, transporté, réincarnation, requin-liche, mer,
solitaire, amis, se faire des amis, chaleureux, douceur, vie
quotidienne, l’amour. »
Alors que Hiyuki regardait sa liste, elle se mit à rougir du
menton jusqu'aux oreilles.
-
Manuscrit
20
« Je… J’ai juste écrit ce qui me passait par la tête. » tenta-t-
elle pour se justifier.
Elle était sûrement gênée d’exhiber ses désirs enfouis au fond
d’elle-même.
« C’est tout simplement l’histoire que tu as le plus envie
d’écrire en ce moment ! » dit joyeusement Ao en la regardant dans
les yeux.
Hiyuki reprit son souffle, comme si elle s’autorisait à respirer
à nouveau.
« On va utiliser ces mots comme fondations pour ton nouveau
travail. Le personnage principal sera quelqu’un de solitaire
transporté dans un monde alternatif, un pays sous-marin dans
lequel il sera réincarné en requin-liche. Il se fera des amis et
tombera amoureux. Bref, une histoire pleine de douceur dans le
style tranche de vie. Est-ce que ça te va, Hiyuki ?
— Tu vois vraiment ce genre d’histoire ? Les lecteurs vont s’ennuyer si c’est juste une histoire dans le style tranche de vie.
Euh… Que dirais-tu d’ajouter des scènes de combat et d’aventure
dans un donjon pour créer un point culminant à l’histoire ? C’est
ce qu’il y avait d’écrit dans une fiche de commentaires que j’avais
reçue…
— Hiyuki, tu aimes raconter des scènes de combat ?
— Non, je n’aime pas ça. »
Il y avait des scènes de combat et de bataille à grande échelle
dans Seul, je suis venu dans un monde parallèle. Je suis devenu le
héros, le roi démon et l’empereur d’un harem paradisiaque. Mais
la description était principalement axée sur les bruits et le texte
manquait de tension, ce qui n’avait que peu d’intérêt. Ao avait
estimé que c’était avec ce genre de scènes-là que Hiyuki était le
moins à l’aise.
« Alors n’écris pas de scènes de combat cette fois-ci. Tu dois
écrire l’histoire que tu aimerais le plus raconter et sans perdre de
vue cet objectif. Alors, ne te force pas à écrire quelque chose que
tu n’aimes pas. C’est vrai que la mise en place de combats et de
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
23
batailles permettrait d’atteindre l’apogée de l’histoire. Or on peut
tout à fait y arriver en racontant le quotidien d’un personnage.
— Et comment suis-je censée faire ça ?
— Réfléchissons-y la prochaine fois. Pour l’instant,
concentrons-nous sur la structure de l’histoire. Autrement dit, son
cadre et son scénario. Personnellement, je pense qu’une histoire
dont le personnage principal se réincarnerait en un requin-liche
pourrait s’avérer intéressante. Je serais très curieux de lire une
telle histoire. Il pourrait tomber amoureux d’un autre requin et se
faire un copain crabe et une copine anémone. Ou quelque chose
comme ça. »
Hiyuki n’arriva pas à se retenir de rire face à cette proposition
délirante de scénario.
Elle a ri…
L’expression glaciale de Hiyuki avait laisser place à un sourire
qui fit battre le cœur du garçon à tout rompre.
« Ça a l’air vraiment intéressant… Cependant, je pense que
l’histoire que tu viens de me décrire semble plus proche du
scénario d’un roman que d’un light novel. Mais, j’ai envie de
l’écrire, j’ai vraiment envie de l’écrire. » reprit Hiyuki d’une voix
sérieuse.
Elle n’était plus nerveuse. Elle semblait au contraire beaucoup
plus chaleureuse, ce qui la rendait plus belle encore. Aux yeux du
jeune homme, ses derniers mots n’ont fait qu’accentuer encore
plus sa beauté.
« Oui, je suis heureux de l’entendre. » acquiesça-t-il. « Tout ce
qui importe, c’est ce que tu aimerais écrire. J’ai dit que ce serait
une bonne chose si ton manuscrit différait des tendances de la
saison de sortie. Cependant, ça sera difficile de passer le premier
tour de sélection du concours si l’histoire diffère trop du genre
littéraire attendu. Et même si le manuscrit arrive au deuxième
tour, il pourrait être éliminé plus tard. Ce serait dommage,
d’autant que l’écriture et la structure de l’histoire sont toutes les
deux intéressantes. Pourquoi quelqu’un présenterait-il un roman
sur un fond historique ou un fond de science-fiction, tout ce qu’il
-
Manuscrit
24
y a de plus classique, à un concours de light novel ? J’aimerais
beaucoup envoyer ce genre de manuscrits au deuxième tour en
mettant en avant leur superbe travail. Mais si je le fais, l’auteur
tentera-il de nouveau sa chance une prochaine fois ? Si c’est le
cas, est-ce qu’il ne vaudrait pas mieux l’éliminer dès le premier
tour ? Ça serait pour le bien de l’auteur, n’est-ce-pas ? Je suis
quelque fois confronté à des cas comme ça.
— Il y a beaucoup d’œuvres qui ne correspondent pas au
genre auquel elles concurrent ?
— Les détails du concours sont généralement publiés dans des
magazines assez populaires que beaucoup de lecteurs liront. La
plupart des manuscrits reçus sont désordonnés. On peut avoir des
contes de fées pour les enfants, des récits de vieux hommes qui
racontent leur expérience de la guerre, un recueil de pensées d’un
chef d’entreprise sur sa manière de gérer son affaire ou l’histoire
d’amour entre une femme de quarante ans et un jeune homme de
vingt ans. Ah, je me souviens aussi d’un manuscrit plein de
photos qui relatait le voyage de l’auteur au Cambodge. L’une
d’elle le montrait faisant le V de la victoire près du temple
d’Angkor Vat. Il avait l’air fier de lui. Quand j’ai lu le récit de son
voyage, j’ai eu un bien meilleur regard sur ce pays. Certains
auteurs avaient aussi inclus un CD-ROM avec le manuscrit. Ils
avaient enregistré une chanson qu’ils avaient eux-mêmes
composée.
— C’est vraiment chaotique. » murmura Hiyuki, les yeux
écarquillés.
« Oui ! Mais j’ai eu beaucoup de plaisir à les lire ! » dit Ao en
riant.
Voir le visage d’un auteur ainsi qu’une myriade de manuscrits
ne pouvait rendre le garçon plus heureux. Tourner les pages de ces
travaux était pour lui un véritable plaisir.
Hiyuki fixait le garçon. Elle avait l’air surprise.
« Même si certaines histoires ne sont pas mon genre, je me
sens toujours heureux et chanceux de pouvoir lire autant de récits.
Et j’ai toujours l’espoir que chaque manuscrit tombe entre les
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
25
mains du bon éditeur. Parfois, certains d’entre eux nous envoient
un courrier pour nous prévenir que nous devrions, je cite
« Sélectionner plus d’œuvres fantastiques » ou encore « Donner la
priorité aux histoires de lycéens, faciles à lire ».
— C’est une blague ? » dit Hiyuki, ravagée.
Cela voulait dire que plusieurs critères étaient déjà
prédéterminés avant la sélection. Les paroles d’Ao pouvaient
remettre en cause le côté impartial des concours.
Ma langue a fourché ! Je n’aurais pas dû en parler.
Ao réfléchit et tenta de se rattraper.
« D’après ce que je sais, il n’y a que deux concours qui le
font. La plupart des éditeurs ne nous donnent aucune consigne en
ce qui concerne le premier tour de sélection. Une fois, un éditeur
nous a demandé de « Donner la priorité sur les histoires de vie
scolaire ». Mais il y avait un manuscrit très intéressant dont
l’histoire était centrée sur la guerre. Il est passé au deuxième tour
et a remporté un prix. C’est devenu un light novel très populaire.
Lors de l’édition suivante, nous avions reçu une nouvelle
consigne qui disait de « Donner la priorité aux histoires sur le
thème de la guerre ». Ce genre de choses arrive souvent. Alors ne
te tracasse pas.
— Bon, d’accord. »
Hiyuki soupira de soulagement après les explications du jeune
homme.
« De plus, si tu te focalises trop sur la demande de l’éditeur, tu
seras incapable de te concentrer sur ce que tu aimerais écrire.
C’est bien de correspondre au genre qui est attendu, mais n’écrit
pas des choses que tu n’aimes pas. Si chacun écrivait la même
chose, ce serait ennuyeux.
— Alors… Il faut en fait trouver un équilibre, c’est ça ?
— Oui, c’est ça Hiyuki ! Tout à fait ! Je retrouve bien l’élève
modèle de la classe !
— Mais non… » répondit-elle un peu gênée.
À ce moment-là, l’heure vint pour eux de se séparer. Hiyuki
regarda Ao droit dans les yeux.
-
Manuscrit
26
« Je travaillerai dur pour écrire une histoire sur un royaume de
requins-liches en racontant la vie quotidienne du héros. »
Son sourire et sa détermination firent battre le cœur du garçon
à tout rompre. En sortant du salon de thé, elle le salua et partit. Ao
lui aussi se mit en route pour arriver à temps pour le dîner.
Le lendemain, ils se retrouvèrent au même endroit, à leur table
habituelle. Assis l’un en face de l’autre, ils passèrent commande
tout de suite. Hiyuki prit une infusion de chrysanthème et Ao un
Earl Grey. Arrivés à leur troisième rendez-vous, les deux
adolescents se montraient plus naturels.
« Le peuple de ce royaume s’entend bien avec les requins-
liches. Les habitants s’équipent de réservoirs à oxygène et
plongent dans l’océan. Ils peuvent se déplacer grâce aux requins.
Notre héros, lui, a du mal à voyager avec eux et il craint de se
faire dévorer. Dans ce monde alternatif, il fait la rencontre d’une
fille dont il se rapproche. Elle lui apprend à monter à requin.
Après avoir pris son courage à deux mains, il démontre finalement
un certain talent pour les conduire. Au début, il hésite encore,
mais au bout de quelques jours, il se déplace avec les requins-
liches de bon cœur.
— Pas mal. Est-ce que ça te dirait que chaque île de l’océan
soit un pays ? Les capitales seraient indépendantes les unes des
autres, ou quelque chose dans ce style.
— D’accord, l’idée me plaît bien. »
Ils continuèrent de s’échanger des idées pour mettre en place
le scénario et le monde du light novel, mais pas seulement.
« Hiyuki ? Dis-moi, pourquoi as-tu commencé à écrire des
light novels ?
— Tout a commencé quand j’étais en quatrième. Une fille de
ma classe a dit un jour « C’est super intéressant et très touchant ».
Elle parlait de light novels avec ses amies. Elles disaient « J’ai
pleuré à la fin de celui-là » ou encore « Je voulais absolument
savoir ce qui se passait ensuite ! J’ai lu le deuxième tome et je l’ai
adoré ». J’étais curieuse, alors j’ai mémorisé l’illustration sur la
couverture et le titre. »
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
27
Hiyuki s’était alors lancée à la recherche de ce livre dans les
librairies. Elle abandonna après avoir visité celles autour de chez
elle. Dans chaque nouvelle boutique, le livre était introuvable. En
plus, son téléphone ne faisait que SMS et appel. Sa grand-mère
avait décrété que toute autre fonction était inutile. Il n’y avait
aucun ordinateur dans sa maison et, à l’époque, elle ne connaissait
pas les webcafé. Elle n’avait pas non plus d’amis proches. Hiyuki
ne savait pas à qui elle pouvait demander où est-ce qu’elle pouvait
l’acheter et elle était trop timide pour demander directement aux
commerçants.
« Je suis quelqu’un qui peut paraître lugubre et effrayant, alors
tout le monde préfère m’éviter. »
Personne ne l’évitait. Elle était tout simplement trop belle et
trop raffinée. Elle semblait venir d’un autre monde. Voilà
pourquoi ses camarades hésitaient à l’approcher. Hiyuki, par
contre, semblait croire qu’ils la détestaient.
À ces pensées, Ao se sentit un peu gêné et nerveux, mais il
préféra se taire et continuer de l’écouter. Tout d’un coup,
l’expression de Hiyuki s’illumina doucement.
« Mais, une fois j’ai regardé un catalogue dans une librairie.
Et j’ai enfin trouvé le livre. »
Il ne se trouvait pas dans la section de la littérature classique
mais dans celle des bandes dessinées. Hiyuki était très heureuse
quand elle avait pris le livre en main. On aurait dit qu’elle venait
de cueillir une fleur légendaire. Elle était captivée jusqu’à ce
qu’elle rentre chez elle.
« Avant, je ne lisais que des romans recommandés dans les
manuels. Puis, quand j’ai vu ces illustrations, ces changements de
taille de la police ainsi que des pages entièrement vierges, j’ai été
très surprise… Penser que de tels livres pouvaient exister, et avec
une telle écriture… »
Hiyuki souriait en évoquant ce souvenir. Elle avait des
étincelles dans les yeux et ses joues avaient rougi. À l’entendre, il
était clair que ce fut un moment très émouvant pour elle.
-
Manuscrit
28
Cela rappela à Ao l’excitation qu’il avait ressentie lorsqu’il
avait lu pour la première fois un light novel chez son oncle.
L’opinion qu’il en avait fut complètement bouleversée. Les
univers qui s’imposaient à lui dans ces livres étaient si nouveaux,
si inspirants. C’était comme si les personnages de l’histoire lui
parlaient en face.
Hiyuki évoquait ses premières lectures le sourire aux lèvres,
des étoiles dans les yeux. Ao sentit son cœur battre plus fort.
« Les livres que j’ai dû lire pour faire des rédactions à l’école
ne racontaient que des histoires tristes. Quand les personnages
souffrent, je me sens mal pour eux. Ça ne me donnait pas très
envie de continuer à lire. Mais quand j’ai lu ce livre, c’était tout le
contraire. Il était rempli de bonheur et de scènes joyeuses. Et
même quand des événements tristes arrivaient, ils finissaient
toujours par s’arranger. La façon de parler des personnages
ressemble tellement à la nôtre aussi. J’avais des fois l’impression
de discuter avec eux. J’étais vraiment heureuse. Je l’ai fini en très
peu de temps. Ce livre m’a littéralement captivée. Impossible de
m'arrêter.
— C’était quoi le titre de ce livre ?
— Les Chroniques du Brave.
— Je vois. » répondit Ao.
Il s’agissait de l’histoire d’un lycéen appelé dans un monde
alternatif où on suivait ses aventures. Une œuvre populaire écrite
dans un style très libre, un grand classique parmi les light novels.
Il avait même été adapté en anime. En termes de développement
des personnages, le livre était très bien. Que ce soit le personnage
principal ou les personnages secondaires, chacun possédait un
caractère propre et bien défini. L’histoire ne manquait pas de
charme et les retours des lecteurs étaient excellents. Les
changements de typographie étaient très nombreux. Certains ont
même déclaré que l’utilisation de différentes tailles de police avait
augmenté suite à la parution des Chroniques du Brave.
C’était à la fois très apprécié par certains et discrédité par
d’autres. Mais Ao comprit pourquoi Hiyuki avait été charmée par
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
29
les light novels après avoir lu Les Chroniques du Brave. Cela
expliquait également pourquoi son écriture était pleine de
variations typographiques.
« Moi aussi je veux écrire une histoire qui apporte beaucoup
de joie et d’euphorie. J’ai donc commencé à écrire des light
novels après les examens. Je les écrivais à la main à l’époque…
Mais c’était amusant. J’avais l’impression d’être le personnage
principal. Je me promenais dans le monde des light novels. Dans
mes histoires, je pouvais parler à tout le monde. Je pouvais
rassembler mes amis pour partir à l’aventure avec eux. J’adorais
ça. »
L’expression de Hiyuki s’assombrit. Ses sourcils retombèrent.
Ses lèvres auparavant souriantes devinrent sans vie. Elle semblait
à nouveau si solitaire.
« Mais les manuscrits que j’ai soumis n’ont jamais passé le
premier tour. Les commentaires des examinateurs disaient « Le
personnage principal est trop cliché et sa personnalité est
désagréable. Il sera difficile pour les lecteurs de lire cette histoire.
L’écriture est brute et immature. L’ensemble donne un rendu
arrogant ». Après avoir lu ces commentaires, je me suis rendu
compte que j’étais la seule à être heureuse de travailler sur ces
projets. Tous ont estimé que le personnage principal était mauvais
et que ma façon d’écrire était trop présomptueuse. J’étais
tellement triste… » raconta Hiyuki d’une voix de plus en plus
basse.
Ao sentit une douleur sourde lui ronger le cœur.
Ces examinateurs n’auraient jamais dû écrire de tels
commentaires. Qu’ils aient trouvé son manuscrit désagréable ou
pas, ça reste une opinion personnelle. Comment ont-ils pu la
critiquer à ce point ?
Vu que c’était des experts qui avaient écrit ces commentaires,
c’est que cela devait être vrai. Et une autrice comme Hiyuki, avec
une faible estime d’elle-même, n’a pas dû penser une seule
seconde qu’ils avaient tort.
-
Manuscrit
30
« Alors, si je peux écrire une histoire qui passera le premier
tour de sélection, ça voudra dire que je ne suis pas une personne
désagréable ou présomptueuse. » continua-t-elle, les yeux baissés.
C’est pour ça qu’elle a tant insisté pour que je l’aide. C’est
pour que son histoire puisse passer le premier tour.
Quand il pensa dans quel état de détresse elle devait se
trouver, Ao sentit la douleur dans sa poitrine s’accentuer.
Quand son dernier manuscrit a été refusé, ça lui a forcément
rappelé les commentaires péjoratifs qu’elle avait reçus. Et si les
commentaires qui allaient avec étaient tout aussi méchants, elle a
vraiment dû en souffrir.
Cela ne valait pas seulement pour son histoire. Hiyuki devait
se sentir de plus en plus rejetée.
« Très bien, il faut absolument qu’on passe le premier tour de
sélection avec ce manuscrit. » déclara Ao pour encourager son
amie.
Les yeux de Hiyuki s’illuminèrent alors qu’elle relevait la tête
vers le jeune homme. Un léger doute semblait persister dans son
regard.
« Est-ce que je vais vraiment y arriver ?
— Eh bien, nous allons tout faire pour. » répondit Ao en
souriant.
Hiyuki le fixa quelques instants et finit par murmurer un
« Oui » avec un léger hochement de tête. Elle baissa de nouveau
le regard. Les souvenirs de tous ces commentaires semblaient
encore bien ancrés en elle.
Ce serait vraiment génial qu’elle puisse passer le premier tour
de sélection et avoir un peu plus confiance en elle.
***
Après être passé chez lui, Ao apporta du chou, des carottes et
de la salade préparés par sa mère à son oncle.
« Saku, tu as déjà fait une dépression ? Par exemple, parce que
l’un de tes jeux n’a pas eu le succès que tu escomptais et qu’il a
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
31
au contraire reçu une mauvaise critique ? Dans ce cas, qu’est-ce
que ton entourage peut te dire pour te réconforter ?
— Lorsque ça arrive, je maudis mon responsable commercial,
tout simplement. « Va crever ! Idiot ! Connard ! » Ensuite, on
oublie. Même si l’héroïne principale fait des actions qui ne
plaisent pas aux joueurs, et si plusieurs critiques me tombent
dessus, qu’est-ce que je peux y faire ? Ce n’est pas ma faute si elle
agit comme une salope. Je n’ai pas que ça à faire de prendre leurs
menaces de boycott au sérieux. Je finirais par me tuer sinon. Je
dois au contraire les remercier, « Bande de bâtards stupides,
incapables d’être populaires avec des filles réelles ! Abrutis ! » Et
ça suffit. Pourquoi s’embêter à vouloir discuter avec eux ? Je n’ai
pas le temps pour ça ! »
Peut-être qu’il n’aurait pas dû demander conseil à son oncle.
Ao était perdu. Si Hiyuki avait un caractère aussi fort que
Sakuratô, elle aurait pu mener un groupe de sous-fifres et devenir
la reine du lycée en jouant de sa beauté. Il valait mieux au
contraire qu’elle reste elle-même et qu’elle se concentre sur son
histoire. Ao préférait imaginer une Hiyuki souriante avec son joli
grain de beauté. Il reprit ses esprits.
« Eh bien Ao ? C’est pour une histoire de filles que tu me
poses cette question ?
— Pourquoi tu parles encore de ça ! Je ne t’ai rien précisé !
— Tu cherches une astuce pour encourager une fille un peu
déprimée, n’est-ce pas ?
— Je te le répète, il ne s’agit pas de ça !
— C’est très simple, il suffit d’être compatissant. Tu n’as qu’à
dire « Je serai toujours à tes côtés, toujours ». C’est cliché, mais
ça marche. Elle ne te résistera pas. Et en moins de trois rendez-
vous, tu pourras lui dire « Et si on sortait ensemble ? ». Et puis
vous vous enlacerez très fort.
— Comme si ça allait arriver ! »
Après avoir déposé les plats, Ao se dépêcha de quitter
l’appartement de son oncle.
-
Manuscrit
32
***
Le lendemain, Ao et Hiyuki se retrouvèrent après les cours.
« Hier, nous avons organisé la trame de l’histoire. Aujourd’hui
nous allons nous concentrer sur le personnage principal.
— Oui. »
Ao avait cette fois commandé un thé vert au jasmin tandis que
Hiyuki avait repris une infusion de chrysanthème. Quand la jeune
fille entendit ce sur quoi ils allaient travailler aujourd’hui, ses
épaules s’effondrèrent.
« Nous parlons donc d’un personnage solitaire qui arrive dans
un monde alternatif.
— Oui…
— Le personnage est quelqu’un de très solitaire dans son
monde d’origine. C’est bien ça ?
— Oui…
— Pourquoi ? »
Hiyuki poussa un soupir.
« Parce qu’il a mauvais caractère… Il ne discute pas avec son
entourage… Il regarde les autres d’une manière un peu bizarre. Et
les regarder est déjà une épreuve pour lui. » Hiyuki n’arrêtait pas
de jouer avec son crayon, celui avec l’embout en forme de requin-
liche, pour se calmer. « Un tel personnage principal avec aussi peu
de charme… Tu ne crois pas que les lecteurs vont avoir du mal à
l’apprécier ? C’est ce qui était marqué dans les commentaires…
— C’est vrai. »
La jeune fille se mit à trembler de tout son corps après la
réponse directe d’Ao. Elle baissa la tête, un peu abattue.
« Mais si ça ne dépendait que de moi, j’ajouterais autre chose.
Essaye de faire ressortir le charme du personnage dans ton
écriture.
— Son charme ? Tu trouves que mon personnage principal est
attachant ? » demanda la jeune fille, surprise.
« Bien sûr, je parle du personnage principal de Seul, je suis
venu dans un monde parallèle. Je suis devenu le héros, le roi
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
33
démon et l’empereur d’un harem paradisiaque. Lui, il ne manque
pas de charme. »
Les joues de Hiyuki commencèrent à prendre une teinte
légèrement rouge.
« Tu mens.
— Je ne mens pas. Au début de l’histoire, le héros se fait
renverser par une voiture. Il s’excuse bien en pensée auprès du
conducteur ? « Désolé que vous m’ayez heurté, vieil homme ». Je
m’en souviens. Pour penser de cette façon, c’est que le
personnage principal est quelqu’un de bien. C’est ce que j’ai
ressenti. »
Hiyuki resta silencieuse. Ses yeux clairs reflétaient ses doutes.
Elle était l’autrice de ce manuscrit. En l’écrivant, elle a dû se dire
que son personnage était sans intérêt. C’était pour cela qu’elle ne
pouvait pas croire les paroles d’Ao. Cependant, ce n’était pas un
mensonge. Ao était très sérieux et il reprit ses explications.
« Ce serait dommage que le lecteur ne saisisse pas le charme
de ce personnage. Il faut essayer de mieux décrire le héros, pour
faire en sorte qu’il soit compris.
— Et qu’est-ce que je dois faire pour ça ?
— Comment le héros explique-t-il le fait qu’il soit seul et isolé
des autres ?
— Il voudrait être capable d’aller facilement vers les autres et
leur parler. Mais il n’ose pas interrompre ses camarades qui
bavardent joyeusement… Il craint que les autres soient gênés s’il
s’invitait dans leurs conversations…
— D’accord. Maintenant, note en détail les pensées du
personnage. Au lieu d’écrire « Je suis un personnage solitaire et
inutile », il vaudrait mieux expliquer pourquoi il est solitaire. Que
pense-t-il de sa situation, quel est son point de vue sur ce qui
l’entoure… Comme ça, le lecteur saura pourquoi il est troublé. La
solitude n’est pas un sentiment qu’on souhaite éprouver au cours
de sa vie. Il y aura donc beaucoup de lecteurs qui s’identifieront à
ce personnage. » Un silence s’ensuivit. « Si on raconte l’histoire
d’un héros qui veut découvrir un monde nouveau, se faire des
-
Manuscrit
34
amis et tomber amoureux, on va à coup sûr faire ressortir ses bons
côtés. Si on fait en sorte que le lecteur s’attache à lui, il l’aimera
et il voudra l’encourager. »
Ao termina sa plaidoirie. Hiyuki le fixa quelques instants, en
silence. Puis, elle s’empara de son crayon.
« Je vais essayer. » finit-elle par dire.
Elle se mit à écrire d’un air sérieux.
Qu’est-ce qu’elle pense de mes conseils ? Est-ce que ça va
l’aider à y voir plus clair ? Est-ce qu’elle va au moins les
accepter malgré les avis contraires qu’elle a lu auparavant ?
Ao avait une certaine appréhension. Il continua à parler.
« Maintenant qu’on a le personnage principal, passons à
l’héroïne.
— Et si on mettait quatre ou cinq héroïnes ? S’il y a plus de
filles… Ça serait plus élégant et animé.
— Est-ce que ça aussi tu le tiens des commentaires que tu as
reçus ? »
Hiyuki hocha la tête.
— On m’a dit que « La présence d’un seul personnage féminin
rend le récit trop monotone. Pourquoi ne pas insérer plus de
personnages féminins qui se battraient pour obtenir le cœur du
héros ? L’histoire en serait plus animée ». Ça faisait partie des
commentaires.
— Hmm, pourquoi pas. Ça peut parfois être efficace. Mais
dans cette histoire, on pourrait partir sur une seule héroïne.
Qu’est-ce que tu en penses ?
— Je préfère qu’il n’y ait qu’un seul personnage féminin…
— Ok, parlons-en alors. Tu voudrais quel genre de
personnalité pour elle ?
— Qu’elle soit douce, gentille… Je… Est-ce que ça ira si je
veux qu’elle soit un peu sensuelle ?
— Eh, euh comment dire… » murmura le jeune homme, un
peu troublé et hésitant.
Hiyuki baissa la tête. Elle était rouge de honte.
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
35
« J’ai déjà eu « L’héroïne a un bon caractère. Je vous suggère
d’insérer des scènes de description de son apparence physique
pour laisser une forte impression aux lecteurs ». C’était dans une
autre fiche de commentaires.
— Euh, ça dépend de l’histoire. Par contre, évite d’insérer des
scènes avec une montagne de culottes rayées, s’il te plaît.
— D’accord… »
Ainsi, ils avaient terminé de créer les personnalités des deux
personnages principaux de l’histoire. Ils choisirent ensuite les
caractères des personnages secondaires et des requins-liches.
Les adolescents passèrent plusieurs jours à mettre en place
l’histoire. Au bout d’une semaine, ils avaient accumulé cinq
tampons sur leur carte de fidélité du salon de thé.
« Bien, nous avons maintenant défini le cadre de l’histoire
ainsi que les caractères des personnages.
— Oui. Quand je pense que nous avons décidé de chacune des
scènes de l’histoire rien qu’en discutant… Je n’aurais jamais cru
que ça serait aussi facile. » répondit Hiyuki le sourire aux lèvres.
C’était donc l’histoire d’un lycéen solitaire qui se retrouve
transporté dans un monde alternatif. Dans ce monde, les requins-
liches étaient les compagnons des humains. Ils entretenaient de
très bonnes relations. Le garçon faisait la rencontre d’une héroïne
au caractère doux et d’un requin-liche, qui était, au contraire,
assez froid. Leur relation s’améliorerait avec le temps au travers
de diverses péripéties. Le personnage principal se posait des
questions sur les différences entre ce monde et celui d’où il
venait. Il apprenait, sous la tutelle de la jeune fille, à monter à
requin-liche. Ils allaient ensemble à un festival pour admirer une
course de requins et passaient ensuite une magnifique soirée sur la
plage. L’histoire était racontée sur un ton doux et chaleureux.
« Maintenant, il faut s’attaquer à l’écriture. Tu préfères tout
écrire avant de me laisser vérifier, ou bien tu préfères y aller plus
doucement ? Que j’examine un chapitre à la fois, par exemple ?
-
Manuscrit
36
— Un chapitre à la fois, est-ce que ça te convient ? Si tu es
trop occupé, tu peux aussi tout lire lorsque j’aurai fini. » répondit
Hiyuki, un soupçon d’inquiétude dans la voix.
Par rapport au premier jour, la jeune fille était bien plus
ouverte à la discussion. Elle était aussi plus souriante, mais elle
montrait encore une expression bien sombre de temps à autre. Ao
la rassura.
« Ne t’en fais pas. Même si tu n’as pas terminé un chapitre, ou
si tu te retrouves bloquée à mi-chemin, viens me voir. Laisse-moi
lire pour que nous puissions en discuter ensemble.
— J’aime autant… Merci. »
Hiyuki rougit. Elle préféra regarder par terre pour cacher son
visage. La zone autour de son grain de beauté restait quand même
visible, et elle avait pris la même teinte. Chaque fois qu’Ao la
voyait dans cet état, son cœur s’emballait. Pour cacher son
trouble, il tentait de parler à la manière d’un enseignant, mais il
n’était pas aussi détendu qu’il voulait le faire croire.
« Sinon, tu vas utiliser le même style d’écriture ? »
Hiyuki se raidit. L’air un peu mal à l’aise, elle regarda le jeune
homme.
« J’ai style enfantin, c’est ça ? »
L’usage de différentes tailles de police, de plusieurs signes de
ponctuation et d’onomatopées lui avait été sévèrement critiqué à
chaque fois. Cela la préoccupait beaucoup bien qu’elle tînt à
écrire de la même manière. Elle avait insisté pour continuer à sa
façon.
« Pas du tout. » répondit Ao en se voulant rassurant. « Les
examinateurs qui critiquent l’utilisation de différentes tailles de
police, et qui considèrent son usage comme enfantin, sont eux-
mêmes puérils. Leur façon de penser est superficielle. C’est bien
en lisant Les Chroniques du Brave que tu as aimé ce style,
Hiyuki ?
Elle regarda le jeune homme et lui répondit de manière plus
ferme.
« Oui. »
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
37
— Dans Les Chroniques du Brave, il y a beaucoup de tailles
de police différentes. L’accumulation de signes de ponctuation
peut même sembler excessive. Même chose pour les
onomatopées.
— Oui.
— Et pourtant, beaucoup de gens l’ont trouvé bouleversant et
sensationnel. Et l’adaptation en anime a fait fureur pendant
plusieurs mois.
— C’est vrai.
— Est-ce tu penses que les changements de taille de la police
et les multiples signes de ponctuation dans Les Chroniques du
Brave sont inutiles ? »
Hiyuki secoua énergiquement la tête. Ses longs cheveux bruns
se balançaient.
« Non.
— Alors, si tu veux continuer d’écrire comme tu le sens, tu
n’as pas à renoncer à ton style. »
— Alors, si je le souhaite… Il n’y a pas de soucis si j’utilise
plusieurs tailles de police ? » demanda-t-elle franchement.
« Non ! Une fois, je suis tombé sur un manuscrit qui employait
le changement de taille de la police pour marquer profondément le
lecteur. Ce serait super que tu puisses surprendre les lecteurs de la
même façon.
— Et pour les signes de ponctuation ?
— Utilise-les autant que tu veux ! Dans le troisième volume de
La dernière balle céleste, il y avait un tas de signes de
ponctuation. Ça a mené une scène de guerre à son apogée ! Le
rendu était incroyable !
— Et pour les onomatopées ?
— Je ne vois pas de soucis à ce que tu mettes un « Bam »
lorsque le moment est bien choisi. Ça aura encore plus d’impact.
Utilise à bon escient les onomatopées pour montrer que tu as eu
l’inspiration !
— Et tu ne vois pas de problèmes à ce que je laisse des pages
vierges ?
-
Manuscrit
38
— Aucun ! Laisser des blancs, ça aère la lecture, et j’adore
ça ! Quand Raven tombe d’une falaise dans Les Chroniques du
Brave, les deux pages suivantes sont vierges. Je me souviens
encore de l’appréhension que je ressentais en tournant les
pages ! »
Chaque fois que Hiyuki posait une question, elle semblait
légèrement inquiète. Ao savait la rassurer en souriant et en lui
donnant un exemple convaincant.
« Ce qui est bien dans un light novel, c’est la liberté, surtout
en termes de format. Souvent, le style rompt avec la plupart des
conventions, ce qui surprend très souvent le lecteur. Alors va !
Fais ce que tu veux ! Écris ce que tu veux ! Les écrivains
pourraient avoir des restrictions mais, toi, tu es l’autrice de ton
propre manuscrit ! Il te suffit d’écrire ce qui te plaît ! J’espère
vraiment que tu sauras transmettre tes sentiments aux jurés qui
liront ton travail.
— Et qu’est-ce que je dois faire pour les leur transmettre ? »
demanda Hiyuki, ne tenant plus en place.
« C’est simple ! Ne réfléchis pas. Profite juste de l’instant.
Comment partager tes émotions avec le lecteur ? Tu dois travailler
dur, réfléchir aux mots que tu emploies et revoir le tout. Après,
peu importe que ton style d’écriture manque de profondeur. Et si
un examinateur critique ce fait, ignore-le. »
Sakuratô hurlait toujours contre son écran quand ses jeux
vidéo étaient critiqués. Puis, il passait outre parce qu’il avait
encore beaucoup de travail et des problèmes sous la ceinture à
régler.
S’ils veulent la critiquer, alors qu’ils le fassent. C’est tout.
Ao ne voulait pas que Hiyuki ait l’esprit aussi fermé que son
oncle. Il voulait qu’elle gagne petit à petit en confiance en elle
pour qu’elle soit capable de faire ce qu’elle voulait à l’avenir.
Hiyuki écoutait Ao, l’air légèrement étourdie, puis hocha la
tête avec vigueur.
« Je ferai de mon mieux.
— Parfait, c’est le bon état d’esprit. »
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
39
Ao continua de lui donner certains conseils avec le sourire. Il
ne pouvait pas évoquer tous les sujets, vu qu’il n’était pas auteur
lui-même. Mais cela ne l’empêchait pas de lui parler de tout ce
qu’il avait pu voir en tant qu’examinateur.
« J’espère que tu utiliseras différentes tailles de police, comme
on l’a dit. Mais attention, si tu en fais trop, le lecteur risque d’être
lassé. Je pense qu’il vaudrait mieux les utiliser pour donner un
effet. Par exemple, dans Seul, je suis venu dans un monde
parallèle. Je suis devenu le héros, le roi démon et l’empereur d’un
harem paradisiaque, tu as pris une page entière pour la phrase
« Je suis déjà mort ». J’ai trouvé ça génial. Essaye de le refaire
dans le prologue cette fois-ci.
— Ah oui ? » murmura Hiyuki, confuse. « Je pensais que ça
faisait trop…
— Pas du tout ! Ou alors, peut-être que ce sera rendrait mieux
sur deux pages. Comme ça il y aura une double-page.
— Hein ?
— Mais les manuscrits ne peuvent pas être envoyés sous ce
format. On ne peut écrire que sur des pages simples. Il n’y a donc
aucun intérêt à le faire, c’est dommage… On n’utilisera qu’une
seule page alors.
— Tu… Tu es sûr qu’on a le droit de faire ça ?
— Oui ! D’ailleurs, pour mieux mettre les différentes tailles de
police en valeur, est-ce que ça t’irait d’écrire le prologue dans un
style plus classique ? La scène où le héros meurt dans un accident
de voiture est facile à comprendre. Je te suggère de la revoir en
gardant le passage où il s’excuse dans ses pensées.
Personnellement, j’aurais aimé que cette scène soit un peu plus
détaillée. Par contre, n’utilise pas d’onomatopées, ni plusieurs
signes de ponctuation, ni plusieurs tailles de police différentes.
Contente-toi de décrire la scène, tout simplement. Et lorsque le
lecteur tournera la page, il verra toute une page avec la seule
phrase « Je suis déjà mort ». Le contraste sera évident ! Ce sera
une belle surprise ! »
-
Manuscrit
40
L’expression de Hiyuki s’éclaira au fur et à mesure de ses
paroles.
« D’accord, je vais essayer. »
***
Chaque fois que Hiyuki finissait un chapitre, elle l’enregistrait
sur une clé. Ao l’imprimait pour le lire. Ils se retrouvaient ensuite
pour qu’il lui fît part de ses commentaires. Ainsi, le prologue fut
réécrit quatre fois.
« Le début de l’histoire est d’une importance capitale pour
faire passer ton manuscrit au second tour. Il doit donner envie à
l’examinateur. Il faut qu’il pense « Ouah, celui-ci pourrait passer
au deuxième tour ». Après, l’examinateur continuera de lire avec
cette idée à l’esprit, s’il n’y a pas d’incohérence dans la suite de
l’histoire. D’après mon expérience, les manuscrits avec de bons
incipit ont beaucoup de chances de passer au deuxième tour. Au
contraire, si le début de l’histoire manque de rythme et est
illisible, l’examinateur va se dire « Ça ne va pas le faire » pendant
tout le reste de la lecture. Même si l’histoire prend vie peu à peu,
les examinateurs préféreront sélectionner des manuscrits avec un
début plus entraînant. À part ça, ton écriture est plus claire et plus
fluide après les corrections. Mais nous pouvons encore
l’améliorer. Peut-être qu’on pourrait travailler sur le contenu. Par
exemple… »
Ao et Hiyuki avaient fait du salon de thé discret leur lieu de
travail privilégié. L’adolescente écoutait Ao attentivement alors
qu’elle le fixait avec sérieux à travers la vapeur de son infusion de
chrysanthème. Statique, immobile, aussi concentrée que devant un
tableau noir, elle redevenait la fille froide qu’elle était au lycée.
« Cette réplique de Cyan renforce son côté gentil et doux.
C’est très bien écrit. » dit Ao pour complimenter l’héroïne de
l’histoire et l’écriture de son autrice. Les joues pâles de Hiyuki
rosirent et un léger sourire apparut sur ses lèvres.
-
Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
41
Chaque fois qu’elle souriait de cette façon si particulière, Ao
était ravi et son cœur s’emballait. Il espérait que ce sourire
apparaisse plus souvent. Sous l’aura mature et distante qui planait
autour d’elle, Hiyuki était soucieuse de bien faire. En fait, elle
souffrait d’un gros manque de confiance en elle, ce qui étonnait
beaucoup le jeune homme.
Une fille si belle avec un bulletin de notes digne de la
première de la classe… Hiyuki devrait avoir une plus grande
estime d’elle-même. Si elle pouvait sourire plus souvent avec un
tel naturel, ce serait un exploit. Nos camarades, ceux qui la
surnomment « la reine de glace », ne pourraient pas lui résister et
ils tenteraient de mieux la connaître.
Seulement, Ao était le seul à savoir qu’elle pouvait être très
charmante rien qu’en souriant. Il voudrait bien garder le secret,
pour lui tout seul. Il ne savait plus quoi penser. Des sentiments
plus contradictoires les uns que les autres se bousculaient dans sa
tête.
« La double ponctuation est bien placée ici. Ça fait ressortir
l’effervescence des piétons. Si tu pouvais accentuer la description
de la rue où a eu lieu l’accident, tu laisseras une marque plus
profonde dans l’esprit du lecteur.
— D’accord. » répondit Hiyuki, qui en prit note sur son cahier.
« Le requin-liche Lessie qui devient le compagnon de Subaru,
le personnage principal, est vraiment bien. Elle est facilement
irritable, mais assez douce au fond. Si tu pouvais faire en sorte
qu’elle s’agite un peu lorsqu’elle est embarrassée, elle serait
encore plus attachante. Par exemple, elle pourrait éclabousser les
gens avec sa queue.
— J’y penserai.
— Jacqueline, l’amie de Cyan, a l’air déraisonnable et un peu
inquiétante. Mais elle a quand même bon cœur. Le plus drôle,
c’est quand elle est ravie que Cyan lui apporte son gâteau au
chocolat préféré. C’est l’un des passages les plus mignons de ce
chapitre. Essaye de le décrire un peu plus.
— D’accord.
-
Manuscrit
42
— J’aime beaucoup le directeur de la poste, Jester. Ajoute une
petite scène pour montrer son caractère stable et posé. Ça fera
bonne impression auprès du lecteur et le personnage sera plus
crédible lorsqu’il interviendra dans la seconde partie de l’histoire.
— Je comprends.
— Tous les amis de notre héroïne sont de bonnes personnes.
En plus, ils soutiennent tous Subaru en secret et il en est très
touché. Au lieu des signes de ponctuations, ajoute plus de
dialogues pour que le lecteur se sente encore plus immergé dans
l’histoire. Et il faut que tu décrives cette partie avec plus de
détails. Ça laisserait une impression plus profonde qu’avec les
onomatopées seules. Par contre, tu pourrais les utiliser à fond pour
la course de requins. Cette scène aura alors plus d’impact.
Cette fois, Hiyuki garda le silence.
« Ah, désolé Hiyuki. Si tu avais d’autres idées en tête, tu n’as
pas besoin de te forcer à écrire ce que je dis.
— Non, ce n’est pas ça. » dit-elle en secouant énergiquement
sa tête. « Je pense que tes conseils valent la peine d’être écoutés.
Et puis, ils sont très pertinents. Et… Je te remercie pour tes
compliments. »
La jeune fille rougit tant elle était embarrassée.
« Je dis juste ce qui me vient à l’esprit. » répondit Ao tout
gêné.
« Oui. » dit-elle en hochant doucement la tête. Après quelques
instants, elle reprit contenance et l’un de ses rares sourires apparut
sur ses lèvres. « Je sais que tu ne fais pas tout ça par simple
courtoisie. Tu me donnes tous ces bons conseils pour m’aider à
progresser, pour que j’écrive mon histoire. En fait… Tu es ce
genre de personne.
— Hmm ? Et quel genre de personne tu pensais que j’étais ? »
s’étonna Ao un peu inquiet.
Hiyuki poursuivit doucement.
« Quels que soient les manuscrits, les personnes ou les objets,
tu arrives à leur trouver des qualités et à les aimer.
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Chapitre 2 : Pourquoi elle écrit
43
— Oh, tu trouves ? Ce n’est pas comme si j’aimais de tout non
plus. »
Hiyuki regarda le jeune homme avec des yeux étincelants qui
faisaient fondre son cœur d’adolescent.
« Ao… Tu ne détestes personne, n’est-ce pas ?
— C’est vrai que je n’ai jamais rencontré quelqu’un contre qui
j’étais vraiment énervé… Mais il m’arrive de me sentir
malheureux ou en colère.
— Et peu importe qu’une histoire soit enfantine ou ennuyeuse,
tu arrives à en profiter… Tu trouves que toutes les histoires ont de
l’intérêt, Ao ?
— Oui ! Toutes ! »
Alors qu’il lisait les manuscrits jonchés sur le sol de
l’appartement de son oncle, Ao lui avait répondu la même chose
sans aucune hésitation. Pour une certaine raison, les mots de
Hiyuki lui rappelèrent cette scène. Peu importe le type de travail,
Ao avait hâte de le lire et il le trouverait intéressant. Des histoires
qui avaient été mal pensées dès le départ, d’autres un peu
immatures, des manuscrits avec des défauts manifestes ou des
lacunes évidentes, voire des œuvres qui au contraire démontraient
un réel style d’écriture… Quel que soit le type de travail, chacun
d’entre eux avait son mérite et Ao tournait les pages avec joie. Il
ne comprenait pas ce sentiment d’ennui que pouvaient ressentir
les autres lorsqu’ils lisaient. « Alors, c’est ça… Tu en es sûr ?
Toutes ces histoires sont intéressantes ? » avait murmuré
doucement son oncle, avec une voix et une expression des plus
sombres.
En ce moment, par-dessus son infusion de chrysanthème,
Hiyuki regardait Ao droit dans les yeux. Comme son oncle à
l’époque, son expression était sombre et amère.
« Ao… » marmonna Hiyuki d’une voix triste.
Pourquoi Hiyuki me regarde-t-elle comme ça ? Pourquoi a-t-
elle de nouveau l’air si seule ?
« Tu es une personne intelligente et pleine d’esprit. »
-
Manuscrit
44
Ao sentit une douleur sourde dans sa poitrine. Pourquoi son
cœur lui faisait-il aussi mal ? Le garçon ne comprenait pas.
Hiyuki le louait, mais elle ne semblait pas heureuse du tout.
C’était pareil pour Ao. Il ne ressentait ni joie ni satisfaction en
entendant ces compliments. Au contraire, un fort sentiment de
malaise le tenaillait.
« Je te remercie. C’est la première fois que quelqu’un me fait
de tels éloges. » dit-il en feignant d’être timide pour détourner les
yeux de sa camarade.
Hiyuki se tut aussi.
« Euh, où en étions-nous ? Ah, c’est vrai, nous parlions de la
course de requins. Mets plus d’onomatopées et de détails dans
cette scène. » Pour balayer l’atmosphère gênante qui s’était
installée, Ao parla un ton plus joyeux. « On v