OBSERVATOIRE DES MUTATIONS POLITIQUESDANS LE MONDE ARABE
LES ÉTATS-UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES(JANVIER 2009-JANVIER 2013)
PAR AMINE AIT‐CHAALAL Directeur du Centre d’études des crises et conflits internationaux (CECRI)
et professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL)
novembre 2014
LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES (JANVIER 2009‐JANVIER 2013)/Par Amine Ait‐Chaalal –novembre 2014
1 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES
(JANVIER 2009‐JANVIER 2013)
Par Amine Ait‐Chaalal/ Directeur du Centre d’études des crises et conflits internationaux
(CECRI) et professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL)
Depuis le mois de décembre 2010, avec les premières manifestations en Tunisie, la plupart
des pays arabes connaissent des situations de transformations politiques, de changements
de régimes, de bouleversements, voire d’affrontements armés, que bien peu d’analystes
avaient envisagés ou anticipés. Au niveau symbolique, le processus débute le 17 décembre
2010 lorsqu’un jeune marchand ambulant, Mohamed Bouazizi, s’immole par le feu devant le
siège du gouvernorat de Sidi Bouzid (centre de la Tunisie) pour exprimer son désespoir face
aux abus dont il est victime de la part des représentants des forces de l’ordre et pour
protester contre la dégradation de son statut socio‐économique. Ce geste marque le point
de départ d’un vaste mouvement dont les effets et les conséquences se font ressentir
jusqu’à aujourd’hui, d’une façon ou d’une autre, à travers tous les pays arabes. Dans le cas
tunisien, la protestation populaire mène, le 14 janvier 2011, à la fuite vers l’Arabie saoudite
de Zine El Abidine ben Ali, qui dirigeait le pays depuis plus de 23 ans.
Peu après, en Egypte, à partir du 25 janvier 2011, d’importantes manifestations contre le
régime Moubarak ont lieu, en particulier sur la Place Tahrir au centre du Caire. Le 11 février
2011, après avoir occupé le pouvoir pendant près de 30 ans, Hosni Moubarak démissionne
et se rend avec sa famille à Sham El Sheikh. A partir de la mi‐février 2011 et jusqu’en octobre
2011, la Libye est en proie à de violents affrontements entre les troupes et affidés soutenant
le régime Kadhafi et des opposants au régime réunis dans le cadre d’un Conseil national de
transition. Le mouvement s’étend par la suite à la plupart des pays arabes, sous des formes
et des modalités variées, avec des réactions différentes selon les pouvoirs en place et une
violence plus ou moins féroce des forces de répression des régimes. De la Syrie au Bahreïn,
du Yémen au Maroc, et parfois sous des formes moins visibles dans les autres pays arabes,
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tout l’environnement régional arabe est atteint par cette lame de fond de protestation, de
revendication et de mobilisation1.
Ces évolutions interpellèrent la plupart des analystes qui estimaient avant 2011 que les
régimes arabes étaient solidement arrimés au pouvoir, notamment par le biais de la
répression, de la peur, de l’intimidation et de la corruption. Cette analyse était largement
partagée par de nombreux partenaires officiels internationaux de ces régimes comme le
montrent les attitudes (au mieux) ambiguës de plusieurs responsables politiques européens
au début de ces processus.
Dans ce contexte, les diplomaties européennes et américaine ont été confrontées à la
nécessité de faire face à ces évolutions majeures, généralement imprévisibles, souvent
rapides, quelquefois très violentes. La diplomatie du Président Obama, tout en tenant
compte des nombreux intérêts américains dans la région, a été dans l’obligation de réagir,
puis d’agir, vis‐à‐vis de ces évolutions spectaculaires et complexes. C’est pourquoi, malgré le
fait que de nombreuses informations restent encore à ce jour hors de portée, il s’avère
pertinent d’analyser les positions officielles américaines vis‐à‐vis de ces r‐évolutions durant
le premier mandat du Président Barack Obama (du 20 janvier 2009 au 20 janvier 2013).
Pour comprendre la politique et les positions de l’administration Obama face à ces
situations, trois dimensions préalables doivent être prises en considération :
‐ les intérêts américains dans la région du Moyen‐Orient depuis la fin de la Seconde guerre
mondiale;
‐ l’héritage moyen‐oriental des huit années d’administration G.W. Bush et des politiques
inspirées par les idéologues néo‐conservateurs;
‐ les premières étapes de la politique moyen‐orientale du Président Obama antérieures aux
événements dans les pays arabes, c’est‐à‐dire depuis son investiture en janvier 2009
jusqu’au mois de décembre 2010.
1 Parmi les très nombreuses publications journalistiques et scientifiques qui se sont multipliées depuis le début de ces événements, cf. Council on Foreign Relations (CFR) de New York, éditeur de la revue Foreign Affairs, qui publie en mai 2011 un volumineux dossier intitulé The New Arab Revolt: What Happened, What It Means, and What Comes Next. Cf. également les nombreuses contributions scientifiques figurant sur le site web du réseau d’instituts de recherches et de centres universitaires euro‐méditerranéens Euro‐Mediterranean Study Commission (EuroMeSCo): http://www.euromesco.net et sur les sites web des membres de ce réseau, comme, par exemple, l’Institut européen de la Méditerranée (IEMed) de Barcelone : www.iemed.org
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La combinaison de ces trois dimensions permet de mieux saisir les tenants et aboutissants
des politiques mises en œuvre par l’administration Obama à partir de décembre 2010,
notamment les limites et contraintes dans lesquelles les dirigeants américains devaient
envisager leurs actions dans la région du Maghreb et du Moyen‐Orient. A cet égard,
l’approche américaine au sujet de la question israélo‐palestinienne reste une dimension très
importante à prendre en considération.
LES INTÉRÊTS GÉOPOLITIQUES AMÉRICAINS AU MOYEN‐ORIENT
Quelle que soit la volonté d’un nouveau Président et de son administration, quelles que
soient les nouvelles orientations proclamées ou souhaitées, que l’administration nouvelle
soit démocrate ou républicaine, que l’accent soit mis (ou pas) sur la politique extérieure, que
le Président soit expérimenté en relations internationales ou pas, il n’est pas envisageable
que puissent se produire des changements radicaux ou une rupture nette dans les grandes
orientations de la politique étrangère américaine avec l’arrivée d’un nouveau Président à la
Maison‐Blanche. En effet, dans la perspective de la cohérence sur le long terme de l’action
extérieure américaine et dans le respect de la sauvegarde des intérêts nationaux américains,
il existe une continuité des principes et des orientations de la politique américaine au
Moyen‐Orient depuis les lendemains de la Seconde guerre mondiale puis de la fin de la
guerre froide. Les intérêts américains dans la région se sont constitués, structurés et
solidifiés de manière cumulative, accumulative et sédimentaire au fil du temps. Ils entrent
en interaction avec des considérations de politique intérieure américaine et font également
(ré)agir et intervenir plusieurs acteurs de la scène politique américaine autres que ceux
relevant de l’Exécutif (Congrès, lobbies, think tanks, médias). Dès lors, une nouvelle
administration ne peut rediriger de manière drastique ces orientations et modifier
substantiellement la mise en œuvre de la politique étrangère américaine. La seule approche
réellement envisageable est celle d’une réorientation graduelle et incrémentale. Ce constat
s’applique avec particulièrement d’acuité dans le cas du Moyen‐Orient.
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Dans ce contexte, les principaux intérêts nationaux américains dans la région moyen‐
orientale2 (conçue au sens large c’est‐à‐dire « Middle East and North Africa »/ MENA)
peuvent être identifiés depuis la fin de la Seconde guerre mondiale de la manière suivante :
1. la stabilité et la sécurité des approvisionnements en hydrocarbures;
2. le maintien de la position géopolitique dominante des Etats‐Unis dans la région que ce soit
dans le contexte de la rivalité avec l’Union soviétique durant la guerre froide puis dans celui
de la domination américaine sur la scène internationale après la fin de la guerre froide;
3. le maintien et la défense de régimes favorables, voire d’alliés structurels, dans la région,
d’où un intérêt pour la stabilité régionale, très souvent au détriment d’autres considérations
comme la promotion de régimes démocratiques;
4. la pérennité de l’alliance stratégique entre les Etats‐Unis et Israël;
5. depuis l’administration Bush‐Cheney et la tragédie du 11 septembre 2011: la « guerre
globale contre le terrorisme ».
2 Cf. George & Douglas Ball, The Passionate Attachment, Norton, New York, 1992; Andrew & Leslie Cockburn, Dangerous Liaison, Harper Collins, New York, 1991; Warren Bass, Support Any Friend. Kennedy’s Middle East and the Making of the U.S.‐Israel Alliance, Oxford University Press, Oxford & New York, 2003; Georges Corm, Le Proche‐Orient éclaté 1956‐2007, Folio‐Gallimard, Paris, 2007; Charles Enderlin, Paix ou guerres. Les secrets des négociations israélo‐arabes 1917‐1977, Stock, Paris, 1997; Charles Enderlin, Le rêve brisé. Histoire de l’échec du processus de paix au Proche‐Orient 1995‐2002, Fayard, Paris, 2002; Louise Fawcett (ed.), International Relations of the Middle East, Oxford UP, Oxford, 2005; Norman Finkelstein, Image and Reality of the Israel‐Palestine Conflict, Verso, Londres & New York, 2003; Lloyd Gardner, The Long Road to Baghdad. A History of U.S. Foreign Policy from the 1970s to the Present, New Press, New York, 2008; Fred Halliday, The Middle East in International Relations. Power, Politics and Ideology, Cambridge UP, Cambridge, 2005; David Hirst, The Gun and the Olive Branch, Faber and Faber, Londres, 2003; Chalmers Johnson, Blowback. The Costs and Consequences of American Empire, Owl, New York, 2001; Bichara Khader, Le monde arabe expliqué à l’Europe, L’Harmattan, Paris, 2009; Rashid Khalidi, L’Empire aveuglé. Les Etats‐Unis et le Moyen‐Orient, Actes Sud, Arles, 2004; Clifford Kiracofe, Dark Crusade. Christian Zionism and U.S. Foreign Policy, I.B. Tauris, New York, 2009; Henry Laurens, Le Grand Jeu. Orient arabe et rivalités internationales, Armand Colin, Paris, 1991; Camille Mansour, Beyond Alliance : Israel in U.S. Foreign Policy, Columbia University Press, New York, 1994; Arno Mayer, De leurs socs, ils ont forgé des glaives. Histoire critique d’Israël, Fayard, Paris, 2009; Benny Morris, Righteous Victims. A History of the Zionist‐Arab Conflict 1881‐2001, Vintage, New York, 2001; Kevin Phillips, American Theocracy, Penguin, New York, 2007; William B. Quandt, Peace Process. American Diplomacy and the Arab‐Israeli Conflict since 1967, The Brookings Institution/ University of California Press, Washington, DC/ Berkeley, 2005; David Rothkopf, Running the World. The Inside Story of the National Security Council and the Architects of American Power, Public Affairs, New York, 2005; Edward Said, The Politics of Dispossession, Vintage, New York, 1994; Edward Said, Peace and its Discontents, Vintage, New York, 1996; Edward Said, The End of the Peace Process, Vintage, New York, 2001; Arthur M. Schlesinger, War and the American Presidency, Norton, New York, 2005; Tom Segev, 1967. Israel, the War and the Year that Transormed the Middle East, Abacus, Londres, 2008; Avi Shlaim, Le Mur de fer. Israël et le monde arabe, Buchet‐Chastel, Paris, 2007; Janice Terry, U.S. Foreign Policy in the Middle East, Pluto, Londres, 2005; Mark Tessler, A History of the Israeli‐Palestinian Conflict, Indiana University Press, Bloomington & Indianapolis, 1994; Patrick Tyler, A World of Trouble. The White House and the Middle East – from the Cold War to the War on Terror, Farrar, Strauss & Giroux, New York, 2009.
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LE LOURD HÉRITAGE DE L’ADMINISTRATION G.W. BUSH
Une autre dimension essentielle afin de comprendre le cadre dans lequel se déploie l’action
du Président Obama est celle de l’héritage que lui a laissé l’administration précédente après
huit années d’exercice du pouvoir (de janvier 2001 à janvier 2009). La tâche n’est pas aisée
pour le nouveau Président car, lorsqu’il s’installe à la Maison‐Blanche le 20 janvier 2009, la
situation des relations des Etats‐Unis avec les populations arabes est catastrophique. Le
bilan des huit années de l’administration Bush‐Cheney est déplorable: des aventures
belliqueuses, désastreuses et meurtrières en Afghanistan et en Irak; une guerre en Irak
lancée sur la base d’allégations mensongères et qui provoque le déchirement
communautaire du pays; l’utilisation extensive de la torture notamment, mais pas
uniquement, dans le bagne de Guantanamo ainsi que dans les prisons afghane de Bagram et
irakienne d’Abou Ghraïb; le recours à une panoplie de méthodes illégales et extra‐judiciaires
(prisons secrètes, vols clandestins) pour l’interrogatoire brutal de prétendus suspects; une
rhétorique néo‐conservatrice perçue comme très hostile vis‐à‐vis des populations arabes et
musulmanes. A ces données, il faut ajouter la perception par les populations arabes d’une
politique perçue comme particulièrement partiale et univoque de l’équipe Bush‐Cheney par
rapport à la question israélo‐palestinienne, faite d’un soutien, analysé comme inconditionnel
et sans recul, des politiques des gouvernements israéliens, que ce soit celui d’Ariel Sharon ou
d’Ehud Olmert. Durant cette période, se déroulent ainsi, avec le soutien (plus ou moins)
implicite, voire explicite, de l’administration Bush, les guerres du Liban de juillet‐août 2006
et de Gaza de décembre 2008‐janvier 2009, cette dernière se terminant juste quelques jours
avant l’investiture du Président Obama. Le processus de paix israélo‐palestinien est en
ruines à la fin du mandat de G.W. Bush.
Le passif était donc particulièrement lourd. Les populations arabes, du Maghreb au Machrek,
étaient convaincues de la partialité, de l’unilatéralisme et de l’injustice de la position
officielle américaine du fait du caractère hostile des politiques mises en œuvre par
l’administration Bush‐Cheney qui, en particulier suite à la tragédie du 11 septembre 2001,
ont largement contribué à creuser le fossé entre les populations arabes et les autorités
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américaines3. Le symbole de cette défiance des populations arabes est mis en lumière par le
lancer de chaussures du journaliste irakien Montadher Al Zaidi contre G.W. Bush lors d’une
conférence de presse à Bagdad le 14 décembre 2008, un mois avant la fin de son mandat. Ce
geste sera pour de nombreux individus dans les pays arabes l’expression de l’indignation
face aux politiques de l’équipe Bush.
Cela dit, malgré ce contexte politique très défavorable, il importe de souligner que,
concernant la question centrale que constitue le dossier israélo‐palestinien pour les
populations arabes, quelques signes d’une évolution vers d’autres analyses (hors de la
sphère officielle) commencent à se manifester aux Etats‐Unis durant la même période. Ces
évolutions sont d’ailleurs probablement en partie la résultante des excès et dérives de
l’administration Bush‐Cheney, dans la mesure où ils sont apparus comme des contre‐
exemples de ce qu’il ne fallait plus faire. Six évolutions significatives peuvent être
mentionnées 4:
1. L’ancien Président américain Jimmy Carter (janvier 1977‐janvier 1981), promoteur de
la paix entre Egyptiens et Israéliens, publie en 2006 un ouvrage sur la question
israélo‐palestinienne intitulé Palestine : Peace not Appartheid5, qui remet
3 Cf. Benjamin Barber, L’empire de la peur. Terrorisme, guerre, démocratie, Fayard, Paris, 2003; Robert Byrd, Losing America. Confronting a Reckless and Arrogant Presidency, Norton, New York, 2004 ; Graydon Carter, Ce que nous avons perdu. Comment l’administration Bush a blessé l’Amérique et le monde, Grasset, Paris, 2004 ; John W. Dean, Bush. Le dossier accablant, Presses de la Renaissance, Paris, 2004; Charles Ferguson, No End in Sight. Iraq’s descent to chaos, Public Affairs, New York, 2008; Peter Galbraith, The End of Iraq. How American Incompetence Created a War without End, Pocket, Londres, 2006; Pierre Hasner & Justin Vaïsse, Washington et le monde. Dilemmes d’une superpuissance, CERI/ Autrement, Paris, 2003; Nubar Hovsepian (ed.), The War on Lebanon. A Reader, Olive Branch, Northampton (MA), 2008; Loch Johnson, Seven Sins of American Foreign Policy, Pearson Longman, New York, 2007; Lewis Lapham, Le djihad américain, Saint‐Simon, Paris, 2002; Gideon Levy, The Punishment of Gaza, Verso, Londres & New York, 2010; Henry Laurens, L’Orient arabe à l’heure américaine. De la guerre du Golfe à la guerre d’Irak, Hachette‐Pluriel, Paris, 2005; David Miller (éd.), Tell Me Lies. Propaganda and Media Distorsion in the Attack on Iraq, Pluto, Londres, Londres, 2004; Thomas Ricks, Fiasco. The American Military Adventure in Iraq, Penguin, Londres, 2007; Scott Ritter, Guerre à l’Irak. Ce que l’équipe Bush ne dit pas, Serpent à plumes, Paris, 2002; Nancy Soderberg, The Superpower Myth. The Use and Misuse of American Might, Wiley, Hoboken, 2005; Clive Stafford Smith, Bad Men. Guantanamo Bay and the Secret Prisons, Weidenfeld & Nicolson, Londres, 2007; Joseph Stiglitz et Linda Bilmes, The Three Trillion War. The True Cost of the Iraqi Conflict, Allen Lane, Londres, 2008; Ron Suskind, The One Percent Doctrine, Simon & Schuster, New York, 2007; Emmanuel Todd, Après l’empire. Essai sur la décomposition du système américain, Gallimard, Paris, 2002; Bob Woodward, Mensonges d’Etat, Denoël, Paris, 2007 ; Marcin Zaborowski, Bush’s Legacy and America Next Foreign Policy, Chaillot Paper n°111, European Union Institute for Security Studies, Paris, 2008. 4 Pour des indications plus détaillées, cf. notamment Amine Ait‐Chaalal, Bichara Khader et Claude Roosens, Proche‐Orient : entre espoirs de paix et réalités de guerre, GRIP, Bruxelles, 2010, pp. 295‐302. 5 Simon & Schuster, New York, 2006. Version française: Palestine. La paix, pas l’apartheid , L’Archipel, Paris, 2007.
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notamment en cause le caractère systématique de l’alignement officiel américain sur
les positions gouvernementales israéliennes6;
2. En 2006 les éminents professeurs de relations internationales John Mearsheimer et
Stephen Walt (respectivement enseignant à l’Université de Chicago et Doyen de la
John F. Kennedy School of Governement de l’Université Harvard) publient un article
très dense sur le thème « The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy »7. Cet article, qui
analyse et remet en cause le bien‐fondé de la politique américaine au Moyen‐Orient,
suscite un vaste débat scientifique et politique aux Etats‐Unis. Il est suivi par la
publication par les deux auteurs d’un volumineux ouvrage sous le même titre en
20078, qui devient un best‐seller aux Etats‐Unis et qui est publié dans une quinzaine
de langues9, suscitant à nouveau un débat vigoureux10;
3. En décembre 2006, l’Irak Study Group (aussi connu sous le nom de Commission
Baker‐Hamilton, du nom de ses co‐présidents James Baker et Lee Hamilton11) publie
son rapport, largement axé sur la situation irakienne12. Cela dit, dans le cadre d’une
approche qui se veut globale de la situation au Moyen‐Orient, le rapport traite
également de la politique américaine dans cette région et notamment de la question
israléo‐palestinienne avec la perspective de la nécessité de réévaluer les positions
officielles américaines;
4. En 2007, apparaît sur la scène washingtonienne un lobby en faveur de la paix nommé
« J Street » 13 et qui a pour objectif de faire contre‐poids au lobby jusqu’à présent le
plus disert sur la question, en l’occurrence l’American‐Israel Public Action Committe
(AIPAC);
6 Il publie par la suite We Can Have Peace in the Holy Land. A Plan that Will Work, Simon & Schuster, New York, 2009. 7 Une version résumée est publiée par la London Review of Books sous le titre « The Israel Lobby » : www.lrb.co.uk/v28/n06/mear01_.html . Une version plus détaillée (80 pages dont 40 de notes) est publiée sur le site web de la John F. Kennedy School of Governement de Harvard. 8 Farrar, Strauss & Giroux, New York, 2007. 9 Version française : Le lobby pro‐israélien et la politique étrangère américaine, La Découverte, Paris, 2007. 10 Cf notamment Dan Fleschler, Transforming America’s Israel Lobby, Potomac, Washington, D.C., 2009. 11 James Baker a notamment été, de 1989 à 1992, Secrétaire d’Etat du Président républicain G. H. Bush, et de 1985 à 1988, Secrétaire au Trésor du Président républicain R. Reagan. Lee Hamilton, représentant démocrate de 1965 à 1999, a été, entre autres, Président de la Commission des Affaires étrangères de la Chambre des Représentants de 1993 à 1995. 12 http://www.usip.org/isg/iraq_study_group_report/report/1206/index.html 13 www.jstreet.org
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5. Durant les guerres du Liban (juillet‐août 2006) et de Gaza (décembre 2008‐janvier
2009), quelques critiques des politiques israéliennes et de l’alignement officiel des
autorités américaines sur celles‐ci apparaissent dans la presse américaine;
6. Dans le cadre d’un ouvrage d’entretiens publié en septembre 2008, peu avant
l’élection présidentielle de novembre, sous le titre America and the World.
Conversations on the Future of American Foreign Policy14, deux éminents
représentants de l’establishment américain de la politique étrangère, Zbigniew
Brzezinski et Brent Scowcroft15, formulent des critiques sévères des politiques
menées par l’administration Bush‐Cheney finissante, notamment concernant la
question israélo‐palestinienne.
La dynamique convergente de ces évolutions était celle de la nécessité pour les Etats‐Unis
d’évoluer et de progresser vers une gestion rénovée et plus équilibrée des dossiers moyen‐
orientaux après les années de régression de l’administration sortante. Dans ce cadre,
l’élection à la Présidence du sénateur Barack Obama le 4 novembre 2008 paraît annoncer la
possibilité d’une nouvelle orientation. En effet, le nouveau Président est jeune, intellectuel,
ouvert sur la diversité du monde du fait de ses origines, de son parcours personnel et de ses
réflexions sur la politique américaine, illustrées dans son livre autobiographique Dreams of
my Father16 puis dans son ouvrage pré‐électoral The Audacity of Hope17. Son programme
électoral Blueprint for Change démontre aussi une évaluation lucide des maux, dérives et
avanies de la politique étrangère américaine, en particulier au Moyen‐Orient. De plus, son
opposition au lancement d’une guerre en Irak, dès octobre 2002, à un moment où cela était
très courageux et audacieux par rapport à la propagande de l’administration Bush‐Cheney,
donnait au Président Obama un atout supplémentaire vis‐à‐vis des populations arabes, qui
accueillirent globalement de manière favorable son élection.
14 Basic Books, New York, 2008. Version française: L’Amérique face au monde. Quelle politique étrangère pour les Etats‐Unis, Pearsons, Paris, 2008. 15 Zbigniew Brzezinski a, notamment, été National Security Advisor du Président démocrate Jimmy Carter (de 1977 à 1981). Brent Scowcroft a, entre autres, occupé les mêmes fonctions auprès des Présidents républicains Gérald Ford (de 1975 à 1977) et G. H. Bush (1989‐1993). 16 Version française: Les rêves de mon père, Presses de la Cité, Paris, 2008. 17 Version française: L’audace d’espérer, Presses de la Cité, Paris, 2007.
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LE PRÉSIDENT OBAMA ET LES PAYS ARABES AVANT LES RÉVOLUTIONS : UN
NOUVEAU DÉPART ?
Le Président Obama est très conscient des enjeux et de la nécessité de lancer de manière
ferme et résolue une nouvelle dynamique vis‐à‐vis des populations arabes et musulmanes,
surtout au vu de la situation très dégradée dont il hérite de l’administration précédente. Dès
son discours inaugural du 20 janvier 200918, certains aspects internationaux sont clairement
identifiés :
To the Muslim world, we seek a new way forward, based on mutual interest and mutual
respect. To those leaders around the globe who seek to sow conflict, or blame their society's
ills on the West, know that your people will judge you on what you can build, not what you
destroy. To those who cling to power through corruption and deceit and the silencing of
dissent, know that you are on the wrong side of history, but that we will extend a hand if you
are willing to unclench your fist. To the people of poor nations, we pledge to work alongside
you to make your farms flourish and let clean waters flow; to nourish starved bodies and
feed hungry minds.
Néanmoins, le discours le plus significatif, en vue de donner « un nouveau départ »19 aux
relations avec les peuples arabes et musulmans, est celui prononcé, quelques mois après son
investiture, par le Président Obama le 4 juin 2009 à l’Université du Caire20. Le passage
consacré à la promotion de la démocratie est à cet égard fort intéressant, en particulier si il
est mis en perspective (et en rétrospective) avec les événements ultérieurs dans les pays
arabes :
I know there has been controversy about the promotion of democracy in recent years, and
much of this controversy is connected to the war in Irak. So let me be clear: No system of
government can or should be imposed upon one nation by any other.
That does not lessen my commitment, however, to governments that reflect the will of the
people. Each nation gives life to this principle in its own way, grounded in the traditions of its
18 www.whitehouse.gov/blog/inaugural‐address/ 19 Titre officiel du discours tel qu’il est diffusé par les services de communication de la Maison‐Blanche : « A New
Beginning ». 20 http://www.whitehouse.gov/the‐press‐office/remarks‐president‐cairo‐university‐6‐04‐09
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own people. America does not presume to know what is best for everyone, just as we would
not presume to pick the outcome of a peaceful election. But I do have an unyielding belief
that all people yearn for certain things: the ability to speak your mind and have a say in how
you are governed; confidence in the rule of law and the equal administration of justice;
government that is transparent and doesn't steal from the people; the freedom to live as you
choose. These are not just American ideas; they are human rights. And that is why we will
support them everywhere.
Now, there is no straight line to realize this promise. But this much is clear: Governments
that protect these rights are ultimately more stable, successful and secure. Suppressing ideas
never succeeds in making them go away. America respects the right of all peaceful and law‐
abiding voices to be heard around the world, even if we disagree with them. And we will
welcome all elected, peaceful governments ‐ provided they govern with respect for all their
people.
This last point is important because there are some who advocate for democracy only when
they're out of power; once in power, they are ruthless in suppressing the rights of others. So
no matter where it takes hold, government of the people and by the people sets a single
standard for all who would hold power: You must maintain your power through consent, not
coercion; you must respect the rights of minorities, and participate with a spirit of tolerance
and compromise; you must place the interests of your people and the legitimate workings of
the political process above your party. Without these ingredients, elections alone do not
make true democracy.
Ce discours est significatif par la fermeté de son affirmation démocratique dans une région
qui l’est fort peu. A cet égard, il n’est pas étonnant que les dirigeants arabes, et notamment
Hosni Moubarak, qui n’est pas présent dans la salle, aient souhaité ignorer la teneur de ce
passage sur la promotion de la démocratie. Cela dit, il n’en reste pas moins que ces paroles
ont été prononcées, et après la rhétorique négative et les actions contre‐productives de
l’administration Bush‐Cheney, elles représentaient un acquis. Dans ce contexte, au‐delà des
efforts mis en œuvre par l’administration Obama pour relancer le processus de négociations
entre Israéliens et Palestiniens dès son installation à la Maison Blanche, il importe de
souligner les efforts des diplomates américains désignés par l’administration Obama en vue
d’établir des relations rénovées et plus apaisées avec les pays arabes et musulmans.
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Après avoir exposé quelques éléments du contexte général, comment situer les réactions
américaines par rapport aux r‐évolutions dans les pays arabes? Par le discours du Caire de
juin 2009, l’administration Obama avait, en partie, anticipé le fait que la situation dans les
pays arabes ne pouvait plus demeurer en l’état. Pour la nouvelle administration, l’enjeu et la
nécessité étaient d’abord de tourner la page de la période catastrophique de
l’administration Bush‐Cheney et d’en réparer les dégâts mais aussi de (se) lancer dans une
nouvelle perspective politique. A cet égard, un mémorandum titré “Political Reform in the
Middle East and North Africa” en date du 12 août 2010, envoyé par le Président Obama au
Vice‐Président Joe Biden, à la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton, au Secrétaire à la Défense
Robert Gates et à quelques autres hauts responsables de la politique étrangère explicitent
bien certains enjeux. Le journaliste du New Yorker Ryan Lizza, qui a pu prendre connaissance
de ce mémorandum, en fait la synthèse suivante :
On August 12, 2010, Obama sent a five‐page memorandum called “Political Reform in the
Middle East and North Africa” to Vice‐President Joseph Biden, Clinton, Gates, Donilon, the
Chairman of the Joint Chiefs of Staff, and the other senior members of his foreign‐policy
team. Though the Iranian regime had effectively crushed the Green Revolution, the country
was still experiencing sporadic protests. Egypt would face crucial parliamentary elections in
November. The memo began with a stark conclusion about trends in the region. “Progress
toward political reform and openness in the Middle East and North Africa lags behind other
regions and has, in some cases, stalled,” the President wrote. He noted that even the more
liberal countries were cracking down on public gatherings, the press, and political opposition
groups. But something was stirring. There was “evidence of growing citizen discontent with
the region’s regimes,” he wrote. It was likely that “if present trends continue,” allies there
would “opt for repression rather than reform to manage domestic dissent.” Obama’s analysis
showed a desire to balance interests and ideals. The goals of reform and democracy were
couched in the language of U.S. interests rather than the sharp moral language that
statesmen often use in public. “Increased repression could threaten the political and
economic stability of some of our allies, leave us with fewer capable, credible partners who
can support our regional priorities, and further alienate citizens in the region,” Obama wrote.
“Moreover, our regional and international credibility will be undermined if we are seen or
perceived to be backing repressive regimes and ignoring the rights and aspirations of
citizens.” Obama instructed his staff to come up with “tailored,” “country by country”
LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES (JANVIER 2009‐JANVIER 2013)/Par Amine Ait‐Chaalal –novembre 2014
12 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
strategies on political reform. He told his advisers to challenge the traditional idea that
stability in the Middle East always served U.S. interests. Obama wanted to weigh the risks of
both “continued support for increasingly unpopular and repressive regimes” and a “strong
push by the United States for reform.” He also wrote that “the advent of political succession
in a number of countries offers a potential opening for political reform in the region.” If the
United States managed the coming transitions “poorly,” it “could have negative implications
for U.S. interests, including for our standing among Arab publics.”21
Néanmoins il n’était pas envisageable que la nouvelle administration puisse réaliser un
scénario de rupture radicale avec le passé. En effet, le changement de perspective et de
philosophie ne pouvait s’incarner que dans la continuité avec les principes et les orientations
de la politique étrangère américaine dans la région définis depuis les lendemains de la
Seconde guerre mondiale et la fin de la guerre froide. Ce volontarisme modéré (ou tempéré)
s’incarne par les efforts du Président Obama et de son administration pour relancer, au
début de son mandat, le processus de négociations entre Israéliens et Palestiniens. Malgré
des actions significatives et des discours fermes ‐ réaffirmant en particulier la nécessité de la
cessation de la colonisation de peuplement israéliennes en Cisjordanie ‐ et un engagement
réel de l’administration durant les deux premières années du mandat, ces efforts ne portent
pas les fruits escomptés. Les sérieuses difficultés liées à la grave crise économique, sociale et
financière aux Etats‐Unis, la perte de la majorité démocrate à la Chambre des Représentants
aux élections de mi‐mandat de novembre 2010 et leurs effets subséquents ont incité
l’équipe Obama, notamment dans la perspective des élections présidentielles de 2012, à
s’investir de manière moins intensive sur ce dossier complexe.
Vis‐à‐vis des pays arabes en général, avec l’arrivée du Président Obama, la position
américaine est donc faite d’une volonté d’évoluer vers de nouvelles dynamiques,
notamment en ce qui concerne la promotion de la démocratie, tout en préservant les
intérêts américains dans la région, s’incarnant dans une forme de stabilité de régimes
souvent dictatoriaux et corrompus. Ces derniers, pour leur part, utilisaient, de manière assez
systématique, la menace des mouvements islamistes comme épouvantails dans leurs
relations avec les Etats‐Unis et afin de refuser toute incitation au changement démocratique
21 Ryan Lizza, « The Consequentialist. How the Arab Spring Remade Obama’s Foreign Policy », The New Yorker, May 2, 2011, www.newyorker.com/reporting/2011/05/02/110502fa_fact_lizza
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13 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
et à l’ouverture du champ politique. Cette équation complexe amène l’administration
Obama, qui, dès son arrivée, est confrontée à de nombreux défis internes et internationaux,
à faire preuve de réalisme et de pragmatisme (certains ajoutent de cynisme) combinés à une
part d’idéalisme et de volonté d’encourager l’émancipation démocratique des populations
arabes face à des régimes autoritaires. Avec cependant la réserve que l’administration
Obama estimait que toute action trop flagrante ou tout soutien trop évident des Etats‐Unis
vis‐à‐vis des mouvements populaires dans les pays arabes pourrait se révéler préjudiciable à
la légitimité de ceux‐ci du fait du lourd passif légué par l’administration Bush‐Cheney. En
effet, les circonstances de l’échec de l’aventure belliqueuse irakienne ont largement
discrédité et déstabilisé la légitimité et la crédibilité des actions et motivations américaines
dans la région. De plus le risque de l’arrivée de régimes, qui seraient défavorables aux
intérêts américains, ne pouvait pas être vu favorablement par l’administration Obama.
LES PREMIÈRES RÉACTIONS OFFICIELLES AMÉRICAINES FACE AUX
R‐ÉVOLUTIONS ARABES
Dans ce contexte comment analyser les réactions des autorités américaines face aux
premiers bouleversements dans les pays arabes, à savoir les événements de Tunisie à partir
de décembre 2010 et d’Egypte à partir de janvier 2011? Comme toutes les chancelleries
diplomatiques et l’immense majorité des analystes, l’administration Obama a été surprise
par l’ampleur, l’intensité et la rapidité du mouvement ‐en Tunisie à partir du 17 décembre
2010 et en Egypte à partir du 25 janvier 2011‐. Cela dit, même si les premières réactions
officielles américaines ont paru initialement empreintes de grande prudence et de forte
circonspection, restant visiblement très soucieuses de ménager leurs alliés historiques dans
la région (dont les régimes tunisien et égyptien faisaient partie), les autorités américaines
étaient lucides sur la nature des régimes Ben Ali et Moubarak. Les câbles émanant des
diplomates américains en poste en Tunisie et en Egypte, révélés par le site Wikileaks22,
fournissent des éclairages incisifs et sans concessions ‐ parfois même de manière caustique
et sarcastique ‐ sur la nature dictatoriale et les méthodes prédatrices des régimes Ben Ali et
22 Qui étaient d’ailleurs assez largement diffusés à Tunis et au Caire par différents canaux, notamment les réseaux sociaux.
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14 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
Moubarak, ainsi que de leurs affidés et clients. La diplomatie américaine était donc très
consciente de ceux avec lesquels elle traitait et de leurs méthodes, se distinguant ainsi de
l’aveuglement et/ou de la complaisance de certaines diplomaties européennes23. Cependant
les régimes Ben Ali et Moubarak étaient aussi identifiée à Washington comme des régimes
pro‐américains, luttant contre le terrorisme et s’intégrant donc, depuis longtemps, dans la
stratégie américaine dans la région. Avec la caractéristique additionnelle dans le cas de
l’Egypte que le régime jouait, depuis les accords de paix avec Israël de 1979, un rôle central
dans cette stratégie américaine24.
En Tunisie, à partir du moment où la situation de protestation populaire prend une ampleur
considérable sur l’ensemble du territoire tunisien (fin décembre 2010) et atteint Tunis
(début janvier 2011), les autorités américaines se trouvent confrontées à une situation
délicate. Le régime Ben Ali, en place depuis plus de 23 ans, semblait solidement accroché au
pouvoir et avoir les moyens de répression pour s’y maintenir. Mais les protestations
populaires sont de plus en plus puissantes et déterminées. De plus, Ben Ali prononce deux
discours qui n’apaisent aucunement la situation mais qui, au contraire, provoquent de
nouvelles protestations dans tous les milieux de la société tunisienne, qui se coalisent dans
le rejet du régime, de ses méthodes et de sa corruption. D’où le dilemme politique pour
Washington: soit intervenir de manière visible avec le risque de disqualifier le mouvement
de protestation en le faisant apparaître comme dirigé voire téléguidé de l’étranger (avec la
circonstance aggravante du discrédit américain dans la région). De plus le régime encore en
place pouvait alors être tenté de brandir la carte du nationalisme contre l’ingérence
étrangère. Soit rester sur une position attentiste et être alors accusé de ne pas avoir agi en
faveur de la promotion de la démocratie et se mettre ainsi en contradiction avec les
23 L’illustration la plus frappante en étant, entre fin décembre 2010 et début janvier 2011, les attitudes et les propos de la Ministre française des Affaires étrangères, Michèle Alliot‐Marie concernant les événements sanglants de Tunisie. Elle est obligée de démissionner fin février 2011. 24 Cf notamment les Congressional Research Service (CRS) Reports for Congress sous la plume de l’analyste Alexis Arieff : Tunisia: Recent Developments and Policy Issues (18/1/2011) et Political Transition in Tunisia (2/2, 4/3, 15/4, 27/6, 20/9, 16/11/2011, 18/6/2012). Cf également Jeremy Bowen, The Arab Uprisings. The People Want the Fall of the Regime, Simon & Schuster, Londres, 2012; Maria do Ceu de Pinho Ferreira Pinto, « Mapping the Obama’s Administration Response to the Arab Spring », Revista Brasileira de Politica Internacional, Ano 55, n°2, 2012, pp. 109‐130; George Friedman, « Obama and the Arab Spring », Geopolitical Weekly / Stratfor, May 24, 2011, www.stratfor.com/weekly/20110523‐obam‐and‐arab‐spring; Bichara Khader, « La Tunisie : est‐ce l’hirondelle qui annonce le printemps arabe ? », La collection Cepess, Cepess/ CPCP, Bruxelles, février 2011; Mansouria Mokhefi, « Washington face aux révolutions arabes », Politique étrangère, n°3, 2011, pp. 631‐643.
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15 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
principes affichés et proclamés par l’administration Obama depuis son arrivée, notamment
dans le discours du Caire de juin 2009.
L’administration Obama était donc consciente de la nature du régime avec lequel elle traitait
et de la contradiction entre les méthodes de plus en plus brutales et sanglantes de ce régime
avec les principes énoncés par le Président américain au Caire en 2009. La rapidité des
événements, leur imprévisibilité, la division à l’intérieur du régime Ben Ali sur les options à
envisager pour faire face à l’ampleur de la protestation populaire, les hésitations des
diplomaties européennes, le potentiel de diffusion de la protestation à d’autres pays arabes
intégrés dans la stratégie régionale américaine: Washington est confronté à la nécessité, sur
une brève période de quatre semaines, de faire face à une équation aux inconnues
multiples, variables et évolutives. Sur la base des informations actuellement publiées, il est
pertinent de souligner que la diplomatie américaine est apparue en mesure d’accompagner
le mouvement de protestation populaire tout en ne donnant pas l’impression, au début au
moins, de « lâcher » brutalement le régime en place, ce qui aurait pu avoir un impact
défavorable sur les relations avec les dirigeants arabes alliés à Washington dans la région. La
combinaison de réalisme, de prudence, de pragmatisme et d’idéalisme, décrite
précédemment pour ce qui est de la réorientation de la politique étrangère américaine
depuis l’arrivée du Président Obama, paraît avoir été appliquée pour la gestion des
événements de Tunisie.
C’est dans ce contexte que, dans un premier temps, une certaine prudence semble prévaloir
dans les réactions américaines. Mais, à partir du moment où le régime Ben Ali recourt
systématiquement à la violence et met en œuvre des actions de censure dans l’utilisation
d’Internet et des réseaux sociaux (instruments significatifs de mobilisation populaire et de
diffusion d’informations sur les exactions du régime), le Département d’Etat intervient pour
exprimer sa désapprobation face à ces mesures attentatoires aux libertés. Ainsi le 7 janvier
2011 il diffuse un communiqué à ce sujet25 où il est notamment indiqué :
We are concerned about demonstrations that have occurred over the past few weeks in
Tunisia, which we understand to be the result of social and economic unrest. We encourage
25 http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2011/01/154139.htm
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16 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
all parties to show restraint as citizens exercise their right of public assembly. We have also
conveyed our views directly to the Tunisian government.
Plus significatives encore sont les actions diplomatiques, plus ou moins discrètes, de
Washington. En effet, au vu de la dégradation de la situation sur le terrain, de l’extension de
la protestation populaire et de l’augmentation du nombre de victimes civiles tombées sous
les balles des services de répression du régime Ben Ali, les autorités américaines haussent le
ton. De plus elles agissent par le biais des canaux diplomatiques classiques pour convaincre
leurs contacts au sein du pouvoir de la nécessité d’éviter une dégradation dramatique
pouvant mener à un bain de sang.
Il apparaît qu’à partir du début du mois de janvier 2011 les autorités américaines ont fait
l’analyse que le régime Ben Ali était probablement condamné. Malgré le caractère imprévu
de ces évolutions, la diplomatie américaine paraît avoir été en mesure de s’adapter avec
pragmatisme à ces bouleversements. Les influences américaines se sont manifestées par au
moins deux canaux afin d’obtenir une issue ordonnée à la situation: par le biais de la
diplomatie américaine et de l’Armée américaine. Dans ce dernier cas, cette action s’intègre
dans le fait que la Tunisie est une alliée historique des Etats‐Unis dans la région et que les
relations militaires entre les deux pays sont intenses depuis plusieurs décennies26. La nature
exacte des contacts et des échanges entre les militaires américains et leurs homologues
tunisiens reste encore à établir avec précision.
Dans ce contexte, le discours prononcé le jeudi 13 janvier 2011 à Doha par la Secrétaire
d’Etat Hillary Clinton27 est significatif quant à la position américaine à ce moment du
parcours de la Tunisie en révolution et aussi vis‐à‐vis des situations prévalant dans
l’intégralité des pays arabes :
It is time to see civil society not as a threat, but as a partner. And it is time for the elites in
every society to invest in the futures of their own countries.
26 De nombreux officiers tunisiens ont effectué une partie de leur formation dans le cadre de structures militaires
américaines d’enseignement (c’est notamment le cas de Z. Ben Ali). 27 www.state.gov/secretary/rm/2011/01/154595.htm
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17 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
Those who cling to the status quo may be able to hold back the full impact of their countries’
problems for a little while, but not forever. If leaders don’t offer a positive vision and give
young people meaningful ways to contribute, others will fill the vacuum. Extremist elements,
terrorist groups, and others who would prey on desperation and poverty are already out
there, appealing for allegiance and competing for influence. So this is a critical moment, and
this is a test of leadership for all of us.
I am here to pledge my country’s support for those who step up to solve the problems that
we and you face. We want to build stronger partnerships with societies that are on the path
to long‐term stability and progress ‐ business, government and civil society, as represented
on this panel, must work together, as in our new regional initiative called Partners for a New
Beginning. We know that what happens in this region will have implications far beyond.
Le vendredi 14 janvier 2011 est devenu une date historique. Le peuple tunisien, mobilisé et
résolu, parvient ce jour‐là à obtenir la fuite du dictateur honni et détesté, en particulier à la
suite d’une manifestation massive de plusieurs dizaines de milliers de personnes rue Habib
Bourguiba devant le symbole abhorré du régime oppressif, le ministère de l’Intérieur.
L’ampleur et la force de cette manifestation démontrent que la peur a largement disparue
dans les têtes, que le régime est aux abois, malgré de multiples manœuvres dilatoires de
dernière minute, notamment un discours pathétique de Ben Ali la veille au soir.
Le Président Obama commente avec des mots choisis28 les événements à Tunis29 :
I condemn and deplore the use of violence against citizens peacefully voicing their opinion in
Tunisia, and I applaud the courage and dignity of the Tunisian people. The United States
stands with the entire international community in bearing witness to this brave and
determined struggle for the universal rights that we must all uphold, and we will long
remember the images of the Tunisian people seeking to make their voices heard. I urge all
parties to maintain calm and avoid violence, and call on the Tunisian government to respect
human rights, and to hold free and fair elections in the near future that reflect the true will
and aspirations of the Tunisian people.
28 A contrario les réactions timorées ou distanciées de plusieurs capitales européennes sont remarquées par de nombreux
observateurs tunisiens. 29 http://www.whitehouse.gov/the‐press‐office/2011/01/14/statement‐president‐events‐tunisia
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18 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
As I have said before, each nation gives life to the principle of democracy in its own way,
grounded in the traditions of its own people, and those countries that respect the universal
rights of their people are stronger and more successful than those that do not. I have no
doubt that Tunisia's future will be brighter if it is guided by the voices of the Tunisian people.
Dans les semaines qui suivent, un nombre significatif d’importants responsables américains,
y compris la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton en mars 2011, se rendent à Tunis pour appuyer
le processus démocratique et rencontrer les nouvelles autorités tunisiennes de transition.
Un scénario relativement similaire se met en place en Egypte à partir du 25 janvier 2011 et
des premières manifestations au Caire30. Dès cette date, le Département d’Etat prend
position, prudemment, sur ces premiers événements31 :
We are monitoring the situation in Egypt closely. The United States supports the
fundamental right of expression and assembly for all people. All parties should exercise
restraint, and we call on the Egyptian authorities to handle these protests peacefully. As
Secretary Clinton said in Doha, people across the Middle East – like people everywhere – are
seeking a chance to contribute and to have a role in the decisions that will shape their lives.
We want to see reform occur, in Egypt and elsewhere, to create greater political, social, and
economic opportunity consistent with people’s aspirations. The United States is a partner of
Egypt and the Egyptian people in this process, which we believe should unfold in a peaceful
atmosphere. We have raised with governments in the region the need for reforms and
greater openness and participation in order to respond to their people’s aspirations – and we
will continue to do so.
La dégradation de la situation sur le terrain incite les autorités américaines à hausser le ton
et à faire part de leur réprobation face à la répression mise en œuvre par le régime égyptien.
Preuve de l’importance de l’Egypte dans la stratégie américaine, dès le 28 janvier 2011 le
Président Obama32 déclare :
30 Cf les Congressional Research Service (CRS) for Congress par l’analyste Jeremy Sharp sous le titre : Egypt in Transition (4/5, 17/6, 18/11/2011). Cf également Bichara Khader, « L’Egypte : la deuxième révolution », La collection Cepess, Cepess/CPCP, Bruxelles, février 2011; Robert Solé, Le pharaon renversé, Les Arènes, Paris, 2011. 31 http://www.state.gov/r/pa/prs/ps/2011/01/155307.htm La Maison‐Blanche prend également position le même jour : cf. http://www.whitehouse.gov/the‐press‐office/2011/01/25/statement‐press‐secretary‐egypt 32 http://www.whitehouse.gov/the‐press‐office/2011/01/28/remarks‐president‐situation‐egypt
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19 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
The people of Egypt have rights that are universal. That includes the right to peaceful
assembly and association, the right to free speech, and the ability to determine their own
destiny. These are human rights. And the United States will stand up for them everywhere.
I also call upon the Egyptian government to reverse the actions that they’ve taken to
interfere with access to the Internet, to cell phone service and to social networks that do so
much to connect people in the 21st century. At the same time, those protesting in the streets
have a responsibility to express themselves peacefully. Violence and destruction will not lead
to the reforms that they seek.
Now, going forward, this moment of volatility has to be turned into a moment of
promise. The United States has a close partnership with Egypt and we've cooperated on
many issues, including working together to advance a more peaceful region. But we've also
been clear that there must be reform ‐ political, social, and economic reforms that meet the
aspirations of the Egyptian people.
In the absence of these reforms, grievances have built up over time. When President
Mubarak addressed the Egyptian people tonight, he pledged a better democracy and greater
economic opportunity. I just spoke to him after his speech and I told him he has a
responsibility to give meaning to those words, to take concrete steps and actions that deliver
on that promise.
Il devient rapidement perceptible que les autorités américaines, sans doute édifiées par les
évolutions de la situation peu de temps auparavant en Tunisie, prennent conscience de
l’ampleur de la protestation populaire à travers l’Egypte et du fait que les jours du régime
Moubarak sont comptés. A cela s’ajoutent de nombreuses considérations telles que le fait
que l’Egypte est un des pivots de leur stratégie au Moyen‐Orient, que l’armée égyptienne se
fournit largement en matériels militaires américains et que l’Egypte bénéficie d’une aide
officielle importante (militaire et civile) de la part des Etats‐Unis. Dès lors, la politique
américaine a comme objectif d’assurer une transition ordonnée du pouvoir afin d’éviter un
bain de sang.33
33 Cf notamment les analyses effectuées par Jeremy Sharp dans Egypt : The January 25 Revolution and Implications for U.S.
Foreign Policy, Congressional Research Service (CRS) Report for Congress (11/2/2011), ainsi que par le même auteur Egypt : Background and U.S. Relations (6/12/2012).
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20 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
C’est dans ce sens que le Président Obama prend à nouveau la parole au sujet des
événements d’Egypte le 1er février 201134 et met clairement la pression sur le régime
Moubarak :
We’ve borne witness to the beginning of a new chapter in the history of a great country, and
a long‐time partner of the United States. And my administration has been in close contact
with our Egyptian counterparts and a broad range of the Egyptian people, as well as others
across the region and across the globe. And throughout this period, we’ve stood for a set of
core principles.
First, we oppose violence. And I want to commend the Egyptian military for the
professionalism and patriotism that it has shown thus far in allowing peaceful protests while
protecting the Egyptian people. We’ve seen tanks covered with banners, and soldiers and
protesters embracing in the streets. And going forward, I urge the military to continue its
efforts to help ensure that this time of change is peaceful.
Second, we stand for universal values, including the rights of the Egyptian people to freedom
of assembly, freedom of speech, and the freedom to access information. Once more, we’ve
seen the incredible potential for technology to empower citizens and the dignity of those
who stand up for a better future. And going forward, the United States will continue to stand
up for democracy and the universal rights that all human beings deserve, in Egypt and around
the world.
Third, we have spoken out on behalf of the need for change. After his speech tonight, I spoke
directly to President Mubarak. He recognizes that the status quo is not sustainable and that a
change must take place. Indeed, all of us who are privileged to serve in positions of political
power do so at the will of our people. Through thousands of years, Egypt has known many
moments of transformation. The voices of the Egyptian people tell us that this is one of those
moments; this is one of those times.
Now, it is not the role of any other country to determine Egypt’s leaders. Only the Egyptian
people can do that. What is clear ‐ and what I indicated tonight to President Mubarak ‐ is my
belief that an orderly transition must be meaningful, it must be peaceful, and it must begin
now. Furthermore, the process must include a broad spectrum of Egyptian voices and
opposition parties. It should lead to elections that are free and fair. And it should result in a
government that’s not only grounded in democratic principles, but is also responsive to the
aspirations of the Egyptian people.
34 http://www.whitehouse.gov/the‐press‐office/2011/02/01/remarks‐president‐situation‐egypt
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21 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
La poursuite des manifestations et des violences incite l’administration américaine à durcir le
ton face au régime Moubarak et à envoyer des émissaires sur place afin d’inciter celui‐ci à
quitter le pouvoir. Les contacts s’intensifient avec l’armée égyptienne dans cette période
particulièrement délicate. Au fil des jours, il apparaît de plus en plus évident que les
autorités américaines ne soutiennent plus Hosni Moubarak et qu’elles souhaitent son
départ car elles l’estiment inévitable, notamment pour la préservation des intérêts
stratégiques américains dans la région. L’allié d’hier s’est transformé en quelques jours en
un élément problématique de déstabilisation.
Dès lors, le Président Obama salue la démission de Hosni Moubarak le 11 février 2011 dans
des termes indiquant que l’armée devient le nouvel interlocuteur politique des autorités
américaines, au moins pour la période de transition35 :
There are very few moments in our lives where we have the privilege to witness history
taking place. This is one of those moments. This is one of those times. The people of Egypt
have spoken, their voices have been heard, and Egypt will never be the same.
By stepping down, President Mubarak responded to the Egyptian people’s hunger for
change. But this is not the end of Egypt’s transition. It’s a beginning. I’m sure there will be
difficult days ahead, and many questions remain unanswered. But I am confident that the
people of Egypt can find the answers, and do so peacefully, constructively, and in the spirit of
unity that has defined these last few weeks. For Egyptians have made it clear that nothing
less than genuine democracy will carry the day.
The military has served patriotically and responsibly as a caretaker to the state, and will now
have to ensure a transition that is credible in the eyes of the Egyptian people. That means
protecting the rights of Egypt’s citizens, lifting the emergency law, revising the constitution
and other laws to make this change irreversible, and laying out a clear path to elections that
are fair and free. Above all, this transition must bring all of Egypt’s voices to the table. For
the spirit of peaceful protest and perseverance that the Egyptian people have shown can
serve as a powerful wind at the back of this change.
L’installation à la tête du pouvoir du Conseil Supérieur des Forces Armées, dirigé par le
Maréchal Mohamed Husein Tantaoui, est perçue comme une phase de transition pour la
35 http://www.whitehouse.gov/the‐press‐office/2011/02/11/remarks‐president‐egypt
LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES (JANVIER 2009‐JANVIER 2013)/Par Amine Ait‐Chaalal –novembre 2014
22 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
mise en œuvre d’élections pluralistes et l’établissement d’un pouvoir civil et légitime. Il est
donc accueilli favorablement, d’autant plus que les dirigeants militaires égyptiens sont bien
connus à Washington du fait de la coopération militaire intense entre les deux pays depuis
1979 et de par l’intégration de l’Egypte dans la dynamique géopolitique régionale des Etats‐
Unis.
Apparaît au sein des autorités américaines, une compréhension lucide de l’enjeu majeur que
constitue la nécessité de la réussite des expériences tunisienne et égyptienne pour
l’ensemble des pays arabes. Comme en écho et en prolongement à son discours du Caire du
4 juin 2009, le Président Obama prononce un discours sur la situation dans la région
« Middle East and North Africa »/ MENA (pour reprendre la terminologie américaine) le 19
mai 2011 au Département d’Etat. Ce discours est préparé par une intense campagne
diplomatique et médiatique qui souligne l’importance que souhaite lui donner
l’administration Obama. Une nouvelle politique américaine pour la région MENA est
annoncée, soulignant le soutien aux aspirations démocratiques des peuples. Ces deux
discours (4 juin 2009 et 19 mai 2011) feront que les historiens parleront peut‐être un jour de
« Doctrine Obama » pour le Moyen‐Orient. De plus un important accompagnement
économique, commercial et financier est annoncé en faveur de la Tunisie et de l’Egypte afin
de permettre une transition politique réussie dans ces deux pays. Pour souligner
l’importance et la centralité de son propos, le Président Obama prononce ce discours devant
une dense assistance réunie au Département d’Etat36 :
For six months, we have witnessed an extraordinary change taking place in the Middle East
and North Africa. Square by square, town by town, country by country, the people have risen
up to demand their basic human rights. Two leaders have stepped aside. More may
follow. And though these countries may be a great distance from our shores, we know that
our own future is bound to this region by the forces of economics and security, by history
and by faith. (…)
So it was in Tunisia, as that vendor’s act of desperation tapped into the frustration felt
throughout the country. Hundreds of protesters took to the streets, then thousands. And in
the face of batons and sometimes bullets, they refused to go home ‐ day after day, week
36 http://www.whitehouse.gov/the‐press‐office/2011/05/19/remarks‐president‐middle‐east‐and‐north‐africa
LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES (JANVIER 2009‐JANVIER 2013)/Par Amine Ait‐Chaalal –novembre 2014
23 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
after week ‐ until a dictator of more than two decades finally left power. The story of this
revolution, and the ones that followed, should not have come as a surprise. The nations of
the Middle East and North Africa won their independence long ago, but in too many places
their people did not. In too many countries, power has been concentrated in the hands of a
few. In too many countries, a citizen like that young vendor had nowhere to turn ‐ no honest
judiciary to hear his case; no independent media to give him voice; no credible political party
to represent his views; no free and fair election where he could choose his leader. And this
lack of self‐determination ‐ the chance to make your life what you will ‐ has applied to the
region’s economy as well. (…)
And that’s why, two years ago in Cairo, I began to broaden our engagement based upon
mutual interests and mutual respect. I believed then ‐ and I believe now ‐ that we have a
stake not just in the stability of nations, but in the self‐determination of individuals. The
status quo is not sustainable. Societies held together by fear and repression may offer the
illusion of stability for a time, but they are built upon fault lines that will eventually tear
asunder. So we face a historic opportunity. We have the chance to show that America values
the dignity of the street vendor in Tunisia more than the raw power of the dictator. There
must be no doubt that the United States of America welcomes change that advances self‐
determination and opportunity. Yes, there will be perils that accompany this moment of
promise. But after decades of accepting the world as it is in the region, we have a chance to
pursue the world as it should be. Of course, as we do, we must proceed with a sense of
humility. It’s not America that put people into the streets of Tunis or Cairo ‐– it was the
people themselves who launched these movements, and it’s the people themselves that
must ultimately determine their outcome. (…)
La politique étrangère américaine vis‐à‐vis de ces deux pays est d’accompagner le
mouvement en vue de permettre une transition politique ordonnée, dans le respect des
aspirations et des revendications des peuples tunisien et égyptien. Cela se traduit
notamment dans les réactions suite aux élections législatives dans les deux pays.
Ainsi, suite aux législatives tunisiennes d’octobre 2011, le Président Obama publie le
communiqué37suivant:
Today, less than a year after they inspired the world, the Tunisian people took an important
step forward. I congratulate the millions of Tunisians who voted in the first democratic
37 http://blogs.state.gov/index.php/site/entry/obama_tunisia_elections
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24 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
elections to take place in the country that changed the course of history and began the Arab
Spring. Just as so many Tunisian citizens protested peacefully in streets and squares to claim
their rights, today they stood in lines and cast their votes to determine their own future.
Now, Tunisia begins the hard work of forming an interim government, drafting a new
Constitution, and charting a democratic course that meets the aspirations of all Tunisians.
The United States reaffirms its commitment to the Tunisian people as they move toward a
democratic future that offers dignity, justice, freedom of expression, and greater economic
opportunity for all.
Dans le cas de l’Egypte les évolutions depuis la fin de l’année 2011 laissent cependant
apparaître une crispation dans les relations entre Washington et Le Caire du fait des
décisions mises en œuvre par le Conseil Supérieur des Forces Armées (CSFA) dirigé par le
Maréchal Tantaoui et de la difficulté de la mise en œuvre du processus de démocratisation
du régime. Les élections législatives égyptiennes38 et l’arrivée d’une majorité islamiste au
Parlement égyptien est prise en considération comme une nouvelle donne politique, tout
comme l’élection à la Présidence de la République en juin 2012, du candidat de la mouvance
des Frères Musulmans, Mohamed Morsi. Les autorités américaines paraissent devoir
déployer une dynamique d’adaptation progressive à des situations évolutives, notamment la
mise à l’écart du Maréchal Tantaoui par le nouveau Président et la désignation du Général
Abd Al Fatah Al Sissi comme Ministre de la défense et Président du CSFA.
Cela dit, la politique américaine se trouve confrontée à des évolutions parfois bien plus
préoccupantes et brutales que dans les cas tunisien et égyptien. Ainsi la Libye est en proie, à
partir du 15 février 2011 et jusqu’au mois d’octobre 2011, à de violents affrontements entre,
d’une part, les militaires et les mercenaires du régime Kadhafi, et, d’autre part, les troupes
du « Conseil national de transition », qui a son siège dans la ville de Benghazi. Un
mouvement de révolte populaire contre le Président Mohamed Ali Saleh du Yémen prend de
l’ampleur à partir de janvier 2011. La situation devient particulièrement instable au Bahreïn
qui voit des affrontements parfois violents entre une partie de la population à majorité chiite
et le pouvoir en place sunnite39. En outre la Syrie, où peu d’analystes avaient prévu la
possibilité d’un mouvement populaire contre le régime, voit se développer, à partir des
38 Elles se déroulent en trois étapes de novembre 2011 à janvier 2012. 39 Le Bahrein est le seul pays arabe, avec l’Iraq, où la majorité de la population est de confession chiite.
LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES (JANVIER 2009‐JANVIER 2013)/Par Amine Ait‐Chaalal –novembre 2014
25 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
premières manifestations populaires le 15 mars 2011, une répression particulièrement
sanglante du régime de Bachar Al Assad contre ses opposants puis le développement de
combats de grande ampleur avec la participation de groupes paramilitaires aux affiliations
diverses.
Dans ce contexte de grande instabilité régionale et d’imprévisibilité significative, la politique
américaine paraît être le fruit d’un dosage complexe, et parfois ambigu, de realpolitik et
d’idéalisme40. De plus, il apparaît que l’administration Obama, après le bourbier désastreux
de la guerre en Irak légué par son prédécesseur et son désengagement armé progressif de ce
pays (processus qui se termine dans une grande discrétion dans la nuit du 18 décembre
2011) et confrontée à la très complexe situation du conflit afghan41, ne souhaite plus être
directement impliquée dans des dossiers de cette région, en particulier au niveau militaire42.
D’où la posture de réserve et de prudence adoptée dans le dossier libyen durant l’année
2011. Les Etats‐Unis soutiennent, en particulier par le biais de l’Organisation du Traité de
l’Atlantique Nord (OTAN) les initiatives, y compris militaires, de la Ligue Arabe, de l’ONU, de
la France et du Royaume‐Uni, mais ne souhaitent pas apparaître en première ligne sur ce
dossier43.
La gestion du dossier syrien paraît obéir à la même volonté de grande circonspection, malgré
la très sérieuse détérioration de la situation sur le terrain, le bilan humain particulièrement
sanglant, le nombre croissant de réfugiés dans les pays voisins, et le risque de déstabilisation
régionale. Les blocages au Conseil de sécurité des Nations Unies, notamment du fait des
positions russes et chinoises, semblent limiter la capacité d’action de Washington et de ses
partenaires européens. Cependant, il apparaît également que la politique américaine soit
très prudente quant à la possibilité de fournir des armes à certains groupes luttant contre le
régime de Bachar Al Assad. A cet égard, des informations concordantes font au demeurant
apparaître des divergences sérieuses au niveau des plus hauts échelons du gouvernement
américain durant le premier mandat, le Président Obama s’étant opposé en 2012 à cette
40 Cf. Thomas Carothers, Democracy Policy under Obama. Revitalization or Retreat?, Carnegie Endowment for International Peace, Washington, D.C., 2012. 41 Avec un retrait théoriquement prévu pour 2014. 42 Cf Christopher Blanchard (ed.), Change in the Middle East: Implications for U.S. Policy, Congressional Research Service (CRS) Report for Congress (7/3/2012). 43 Cf. notamment Christopher Blanchard, Libya : Transition and U.S. Policy, Congressional Research Service (CRS) Report for Congress (18/10/2012).
LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES (JANVIER 2009‐JANVIER 2013)/Par Amine Ait‐Chaalal –novembre 2014
26 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
possibilité de mettre à disposition des armes à certains groupes anti‐Assad, contre les avis
conjugués de la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton, du Secrétaire à la Défense Leon Panetta et
du Directeur de la CIA David Petraeus44. L’ancienne Secrétaire d’Etat a d’ailleurs accordé en
août 2014 à The Atlantic une interview particulièrement critique de la politique syrienne du
Président Obama45.
D’autres évolutions dans la région, en particulier les situations au Yémen et au Bahreïn, sont
également gérées avec grande circonspection, et même, dans ces deux cas, quasiment sous‐
traitées aux alliés des Etats‐Unis dans la région, notamment l’Arabie saoudite et le Conseil de
coopération du Golfe (CCG) : après de multiples péripéties le dirigeant yéménite Ali Abdallah
Saleh quitte finalement le pouvoir en février 2012. Quant au Bahreïn, la révolte populaire y
est réprimée par le biais d’une intervention militaire des troupes du CCG en mars 2011, ce
qui n’empêche pas les troubles de se poursuivre durant les mois suivants.
LA GESTION DU DOSSIER ISRAÉLO‐PALESTINIEN
En outre, la volonté du Président Obama, dès son arrivée au pouvoir, a été de recrédibiliser
la position américaine dans la région. Dans ce contexte, il avait une perception claire du
caractère central des problématiques israélo‐palestinienne et israélo‐arabes à cet égard.
D’où sa volonté de lancer, dans la première phase de son premier mandat, une politique qui
se veut volontariste quant à la relance du processus de paix israélo‐palestinien. Après son
investiture, les premiers appels téléphoniques internationaux du Président Obama sont à
l’intention des dirigeants du Proche‐Orient. L’une de ses premières décisions internationales,
est, le 22 janvier 2009, la désignation de l’ancien Sénateur Georges Mitchell comme envoyé
spécial dans la région. Celui‐ci était notamment réputé pour avoir largement contribué à
l’accord de paix en Irlande du Nord de 1998. De plus, il a présidé une commission
44 Cf : http://www.thenation.com/blog/172774/obama‐opposed‐syria‐war‐plan‐clinton‐petraeus‐panetta‐gen‐dempsey#axzz2fMlDX8Es Tous ces protagonistes ont été remplacés dans le cadre des changements liés au second mandat du Président Obama : les actuels (octobre 2014) Secrétaire d’Etat, à la Défense et Directeur de la CIA sont respectivement John Kerry, Chuck Hagel et John Brennan. 45 http://www.theatlantic.com/international/archive/2014/08/hillary‐clinton‐failure‐to‐help‐syrian‐rebels‐led‐to‐the‐rise‐
of‐isis/375832/
LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES (JANVIER 2009‐JANVIER 2013)/Par Amine Ait‐Chaalal –novembre 2014
27 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
internationale sur les événements ayant mené au déclenchement de la seconde Intifada, qui
a publié en 2001 un document connu sous le nom de « Rapport Mitchell ». Il possédait donc
une expertise et une crédibilité élevées.
Par ailleurs, la nomination rapide, durant la période de transition entre l’élection en
novembre 2008 et l’investiture en janvier 2009, de la Sénatrice Hillary Clinton au poste de
Secrétaire d’Etat, marque l’arrivée d’une personnalité forte et expérimentée à ce poste. Elle
indique aussi le retour au Département d’Etat d’un certain nombre de « clintoniens » qui
connaissent la complexité du dossier israélo‐palestinien et paraissent décidés à le faire
aboutir favorablement. En outre, le Vice‐Président Joe Biden est un expert reconnu des
questions internationales, cette caractéristique constituant d’ailleurs une des raisons qui
avait amené le futur Président Obama à le prendre comme colistier sur le ticket démocrate.
Les premiers discours du Président Obama sur le sujet appellent en termes très fermes à la
relance du processus de paix entre Israéliens et Palestiniens et à la cessation de la
colonisation israélienne dans les territoires palestiniens. Le discours du Caire de juin 2009 est
particulièrement explicite à cet égard, tout comme les discours devant l’Assemblée générale
des Nations Unies de septembre 2009 et de septembre 2010. Mais la fin de l’année 2010
marque une inflexion substantielle de la position officielle américaine, notamment en raison
d’évolutions internes aux Etats‐Unis. En effet, les élections de mi‐mandat (« mid‐term
elections ») du 2 novembre 2010 font perdre aux démocrates la majorité à la Chambre des
Représentants et diminuent notablement leur majorité au Sénat. Le Président Obama et son
administration enregistrent donc une déconvenue sur le front intérieur qui les obligent à se
recentrer sur le traitement des problématiques internes, voire à délaisser certains dossiers
internationaux et à accorder une priorité moindre à la question israélo‐palestinienne. La
perspective d’une difficile réélection en novembre 2012 devient un élément majeur dans
l’analyse du Président et de son administration. D’autant plus que, malgré près de deux
années d’efforts intenses du Président, du Vice‐président, de la Secrétaire d’Etat et de
l’Envoyé spécial G. Mitchell46, la relance du processus de paix n’a pas progressé du fait des
nombreux blocages sur le terrain, notamment le refus du gouvernement du Premier ministre
Benjamin Netanyahou et de son Ministre des Affaires étrangères Avigdor Lieberman de
46 Celui‐ci démissionne de ses fonctions en mai 2011.
LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES (JANVIER 2009‐JANVIER 2013)/Par Amine Ait‐Chaalal –novembre 2014
28 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
mettre fin à la colonisation. Au niveau chronologique, il est opportun de noter que cette
réorientation de la politique proche‐orientale de l’administration Obama précède de
quelques semaines le début des évolutions spectaculaires que connaissent les pays arabes à
partir du début de l’année 2011.
Dans son discours devant au Département d’Etat du 19 mai 201147, le Président Obama
tente de reprendre l’initiative sur le dossier israélo‐palestinien, en mentionnant notamment
la référence aux frontières de 1967 :
So while the core issues of the conflict must be negotiated, the basis of those negotiations is
clear: a viable Palestine, a secure Israel. The United States believes that negotiations should
result in two states, with permanent Palestinian borders with Israel, Jordan, and Egypt, and
permanent Israeli borders with Palestine. We believe the borders of Israel and Palestine
should be based on the 1967 lines with mutually agreed swaps, so that secure and
recognized borders are established for both states. The Palestinian people must have the
right to govern themselves, and reach their full potential, in a sovereign and contiguous
state.
Mais cette initiative est contre‐carrée de manière virulente par le Premier ministre israélien
Netanyahou quelques jours plus tard dans un discours devant le Congrès le 24 mai 2011. Dès
lors, l’attitude officielle américaine revient à partir de 2011 à des positions beaucoup plus
conservatrices, et même paradoxales dans la mesure où elles sont contradictoires avec ce
qui avait été affirmé avec force lors des deux premières années du mandat. Ces positions
nouvelles se cristallisent notamment lors des demandes officielles de la Palestine pour
acquérir le statut d’Etat membre de l’ONU et de l’UNESCO. Les autorités américaines
s’opposent à la démarche palestinienne de septembre 2011 devant l’ONU. Elles votent
contre l’adhésion à l’UNESCO en octobre 2011 et se retirent de l’organisation lorsque la
Palestine y est admise par un scrutin largement majoritaire, avec le vote de nombreux pays
européens. L’administration américaine émet un vote négatif en novembre 2012 lors du
scrutin qui mène à l’admission de la Palestine comme Etat observateur à l’Assemblée
générale de l’ONU.
47 http://www.whitehouse.gov/the‐press‐office/2011/05/19/remarks‐president‐middle‐east‐and‐north‐africa
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29 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
Dans ce contexte, le crédit que le Président Obama avait patiemment tenté de restaurer au
profit de la politique américaine dans la région s’est trouvé à nouveau très déstabilisé. La
poursuite de la guerre en Afghanistan contribue également à cet affaiblissement de la
crédibilité américaine dans la région. C’est dans ce cadre, en plus de toutes les
manipulations et instrumentalisations coutumières en ce genre de circonstances, qu’il faut
décoder une partie des réactions très violentes dans des nombreux pays arabes et
musulmans suite à la diffusion sur le web en septembre 2012 d’un brulot islamophobe, issu
d’une initiative privée, provenant d’individus encore mal identifiés mais associés aux Etats‐
Unis malgré les efforts vigoureux de la diplomatie américaine pour s’en distancier sans
aucune ambiguïté. L’évènement le plus dramatique est la mort violente à Benghazi de
l’Ambassadeur américain Christopher Stevens et de trois de ses accompagnateurs le 11
septembre 2012.
Ainsi, durant les années 2011 et 2012, les aléas de la politique américaine, l’affaiblissement
du Président Obama sur des dossiers de politique intérieure (notamment l’Obamacare) et la
baisse de sa cote de popularité ainsi que la nécessité de se consacrer à la campagne de sa
réélection ont contribué, parmi d’autres éléments, à un essoufflement certain, voire à un
effritement significatif de la position américaine dans la région.
****
Le Président Obama a été réélu le 6 novembre 2012. Il a été investi en janvier 2013 et il a
devant lui un nouveau, second et dernier mandat. Il est entouré d’une nouvelle équipe de
politique étrangère48. Il est plus expérimenté et plus au fait des complexités, subtilités et
difficultés de la région moyen‐orientale. Il a dû faire face durant la deuxième moitié de son
premier mandat à des bouleversements considérables dans de nombreux pays arabes. Ceux‐
ci sont appelés à se poursuivre pendant de nombreuses années. Le mélange de
pragmatisme, de réalisme, d’idéalisme, de prudence et de volontarisme qui a caractérisé le
premier mandat devrait continuer à prévaloir. Cependant, se contenter de gérer de manière
conservatrice les situations n’est pas une option très audacieuse face à une région au milieu
48 Le Secrétaire d’Etat John Kerry, le Secrétaire à la Défense Chuck Hagel, la National Security Advisor Susan Rice.
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30 IRIS ‐ Observatoire des mutations politiques dans le monde arabe
de changements historiques majeurs. De plus, les autorités américaines plaident pour la
promotion et la consolidation de la démocratie à travers le monde. Cette position avait été
largement décrédibilisée par les méthodes brutales et contraires à la dignité humaine
employées par l’administration Bush. Le Président Obama a essayé d’y remédier, sans
toujours y parvenir et sans renoncer à certains outils d’une légalité parfois discutable selon
certains juristes.
Dans ce contexte, quels ont été les objectifs de l’administration Obama au Moyen‐Orient ?
Au moins cinq dynamiques peuvent être identifiées :
1) le maintien et le renforcement, autant que faire se peut, des intérêts américains dans
la région, notamment par le biais de régimes favorables (ou du moins n’affichant pas
d’hostilité flagrante) aux Etats‐Unis et à leur politique ;
2) l’accompagnement (voire le soutien discret) aux mouvements politiques dans la
région dans la mesure où cela ne paraît pas en contradiction avec les intérêts
américains ;
3) la volonté de ne pas antagoniser les partis issus de la mouvance islamiste, afin
d’éviter la répétition du contre‐exemple iranien de 1979 qui constitue à ce jour un
grave échec américain dans la région ;
4) du fait des contre‐exemples irakien et afghan, la volonté d’éviter toute nouvelle
aventure militaire impliquant une implication militaire directe des Etats‐Unis dans la
région, et même une certaine réticence à s’impliquer politiquement de manière trop
flagrante dans la région ;
5) du fait de la centralité de cette question pour la stabilité régionale et mondiale ainsi
que pour la crédibilité des Etats‐Unis dans la région, la tentative (une dernière fois ?)
de relancer le processus de paix entre Israéliens et Palestiniens.
6)
Ces cinq objectifs constituent encore aujourd’hui les principaux axes de la politique
américaine dans la région. Mais ils ne constituent que quelques‐unes des variables d’une
équation bien plus large et bien plus complexe. Cette dernière comprend, entre autres, la
question iranienne, les évolutions en Irak, la gestion du désengagement en Afghanistan ainsi
que les graves incertitudes liées à la tragédie syrienne et leurs impacts (im)prévisibles sur ses
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pays voisins mais aussi en dehors de la région du Moyen‐Orient. De sa capacité à gérer de
manière cohérente et déterminée ces multiples composantes parfois très aléatoires,
l’administration Obama pourra, à l’issue de son second mandat, présenter à un bilan, plus ou
moins convaincant, de son action dans cette région si complexe…
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LES ÉTATS‐UNIS ET LES SOULÈVEMENTS ARABES (JANVIER 2009‐JANVIER 2013)
Par Amine Ait‐Chaalal/ Directeur du Centre d’études des crises et conflits internationaux (CECRI) et professeur à l’Université catholique de Louvain (UCL) OBSERVATOIRE DES MUTATIONS POLITIQUES DANS LE MONDE ARABE Dirigé par Béligh Nabli, directeur de recherche à l’IRIS nabli@iris‐france.org
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