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Les métamorphoses de Batine
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Castor Poche Collect ion a n i m é e p a r
F r a n ç o i s F a u c h e r , M a r t i n e Lang et Soazig Le Bail
Une production de l'Atelier du Père Castor © 1992 Flammarion
© 1994 Castor Poche Flammarion pour la présente édition
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ANDRÉE CHEDID
Les métamorphoses de Batine
illustrations intérieures de
SOLVEJ CRÉVELIER
Castor Poche Flammarion
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Andrée Chedid : « Je suis née au Caire, en Égypte. J'habite
Paris par choix, parce que j'aime cette ville depuis l'enfance. J'écris depuis l'âge de dix- huit ans, en plusieurs genres : poésie, roman, théâtre. Écrire, c'est très dur, avec de grandes fenêtres de joie.
« J'ai deux enfants, six petits-enfants. « J'écris pour essayer de dire les choses
vivantes qui bouillonnent au fond de chacun ; j'espère ainsi communiquer. Les sujets que je choisis sont en général marqués par la tragé- die et par l'espérance. Je veux garder les yeux ouverts sur les souffrances, le malheur, la cruauté du monde ; mais aussi sur la lumière, sur la beauté, sur tout ce qui nous aide à nous dépasser, à mieux vivre, à parier sur l'avenir. »
Andrée Chedid a reçu en 1994 le Grand Prix de littérature Paul-Morand, décerné par l'Aca- démie française.
Du même auteur dans Castor Poche : L'autre, n° 22 Derrière les visages, n° 80 Le sixième jour, n° 109. Le Survivant, n° 188 Les manèges de la vie, n° 245 L'enfant multiple, n° 321
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Christian Broutin, l'illustrateur de la couver- ture, est né le 5 mars 1933, par un curieux hasard, dans la cathédrale de Chartres... Après des études classiques, il est élève à l'École des métiers d'art et sort le premier de sa promo- tion. Il est l'auteur d'une centaine d'affiches de films ainsi que de nombreuses couvertures de livres et de magazines.
Solvej Crévelier a réalisé les illustrations de l'intérieur. Elle est née à Paris en 1947.
Illustrer est toujours un voyage, une aven- ture... voyage dans la rêverie puisque, assise dans le fauteuil de Batine, j'ai eu ce bonheur de contempler le jour tomber lentement dans le Nil, dans l'inégalable somptuosité colorée que décrit Andrée Chedid... aventure de tenter d'évoquer, dans un petit dessin noir et blanc, la chaleur poussiéreuse (presque blanche) de l'Égypte, l'angoisse (noire) de la tempête, la légèreté du rêve ou d'un matin d'été parisien...
Les métamorphoses de Batine : Six nouvelles, tour à tour tragiques ou drô-
les, toujours émouvantes. Du vieil homme riche dont le seul complice est son âne, de l'ermite qui a choisi la mer comme univers au truculent Batine, tous les personnages d'An- drée Chedid sont porteurs du même message de fraternité et d'amour.
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Ce n' est pas vrai que la nuit est noire, Ce n' est pas vrai qu 'on n y voit point —
La nuit : Le monde enfin à la mesure de ton cœur, De ton âme, de tout toi
Guillevic
« N'oubliez pas que vivre est gloire ! » Rainer Maria Rilke
(sur son lit de mort)
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L'ancêtre sur son âne
pour Bernard Giraudeau
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À califourchon sur son âne gris, de lar- ges pantalons bistre serrés aux chevilles, les pieds dans des babouches en cuir jau- nâtre qui décollaient sans cesse de ses talons, la chemise en grosse toile à man- ches longues sous un gilet de drap noir, un fez rouge légèrement penché à gauche sur ses cheveux qui s'éclaircissaient : c'est ainsi que l'ancêtre arpentait, vers les années 1860, les souks du vieux Caire, pour vendre ses bouchons de liège. Deux sacs, remplis à ras bord, étaient suspendus de chaque côté de sa monture.
Célibataire à plus de trente ans, Assad avait quitté son Liban natal depuis peu. La famine s'y annonçait. Les luttes tribales ou confessionnelles — débouchant sur des
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Sacrée mouche !
pour Jean L'Anselme
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J'ai dormi mon content. Longtemps la mouche et moi on s'est regardés dans les yeux
« Haïku » de Shiki (1867-1902)
E l l e est là s o u d a i n , b o u r d o n n a n t e ,
i n c o n g r u e , si r a r e s o u s le ciel pa r i s i en . S o n a p p a r i t i o n m ' é b a h i t !
J ' e f f a c e j u s q u ' a u s o u v e n i r des pays c h a u d s de m o n e n f a n c e , o ù elle r é g n a i t q u o t i d i e n n e et f ami l i è r e . Là-bas, les m o u - c h e s a r r i v a i e n t p a r essa ims , o n les p o u r - c h a s s a i t à c o u p s de c h a s s e - m o u c h e s o u d ' insec t i c ide , o n les p i é g e a i t s u r de l a rge s b a n d e s de p a p i e r e n g l u é ; o n s ' e n p ro té - geait, c o m m e de t o u t i n s e c t e volant , e n se r é f u g i a n t s o u s d ' é p a i s s e s m o u s t i q u a i r e s .
Ce m a t i n de mai , la voici : u n i q u e e t vire- vo l tan te , t o u r b i l l o n n a n t d a n s m a c h a m b r e
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a u x m u r s b l ancs , a u x vo i lages b l eu t é s . Insou- c ian te , dés invo l te , elle j o u e à la d a n s e u s e , p i q u e t t e l ' a i r de s o n b o u r d o n n e m e n t , s'es- qu ive , r e p a r a î t , se t e r r e de n o u v e a u .
Les i n s e c t e s m ' i n s p i r e n t so i t d u d é g o û t , soi t u n e f r a y e u r q u e j e q u a l i f i e r a i d e « c i n é m a t o g r a p h i q u e ». C o m m e d a n s u n f i lm d e sc ience- f ic t ion , j e les i m a g i n e sou- v e n t e n g r a n d f o r m a t : g é a n t s i n v e r t é b r é s e n m o u v e m e n t p e r p é t u e l , avec d e s t ê t es ro t a t i ves à a n t e n n e s , des y e u x à face t tes , d e n o m b r e u s e s p a i r e s de pa t tes , des a i les agi- t ées de v i b r a t i o n s c o n t i n u e s . S u c e u r s ,
p i q u e u r s , d é v a s t a t e u r s , l e u r s c o r p s — p o u r - t a n t f o r m é s de s u b s t a n c e v ivan te — s ' appa- r e n t e n t a u x m a c h i n e s c o m p o s é e s de bou- lons, d ' é c r o u s , de c l ique ts , de gl issières, d e rivets, de biel les, de roues. . .
Ainsi, d ' h y p e r b o l e e n h y p e r b o l e , m a ter- r e u r s ' ins ta l le e t se r ami f i e .
La m o u c h e — p a r t i c u l i è r e m e n t la m o u - c h e — m ' é v o q u e , à d ' a u t r e s m o m e n t s , u n u n i v e r s d ' i m m o n d i c e s . Je la vois : v e r t e o u
b leue , f r i a n d e d ' o r d u r e s , p l a q u a n t sa f o r m e t r a p u e s u r d e s c a d a v r e s de bê tes , s u r d e s v i a n d e s a v a r i é e s ; y d é p o s a n t ses l a rves q u i se g a v e n t e t se f o r t i f i e n t de ces m a t i è r e s o r g a n i q u e s e n p u t r é f a c t i o n .
L 'h i s to i r e q u e je m e f a b r i q u e à s o n pro- p o s n ' a s o u d a i n p l u s r i e n à f a i r e avec ce m i n u s c u l e t i r e t n o i r q u i o c c u p e , e n ce
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m a t i n de mai , m a c h a m b r e ; et q u i s ' en d o n n e à c œ u r joie, z é b r a n t le vide.
Celle-ci, j e la t u e r a i s a n s p i t ié ; avec ce q u i m e t o m b e sous la m a i n : d ' u n r e v e r s de p a n t o u f l e o u de livre, d ' u n c o u p de ser- v ie t te o u de j o u r n a l repl ié .
M a c h a s s e d é b u t e , p i e d s nus , z i g z a g u a n t à t r a v e r s la c h a m b r e , la d é c o u v r a n t s u r u n m u r , s u r le d r a p , la p a r o i lisse d ' u n pla- c a rd , le co l d ' u n vase, u n c o i n d 'é tagère . . . Ne l ' a p e r c e v a n t plus , e n t e n d a n t s o u d a i n s o n b o u r d o n n e m e n t t e n a c e q u e j e cher - c h e v a i n e m e n t à s i t u e r ! La r e m a r q u a n t de n o u v e a u , m ' é l a n ç a n t de-ci de-là, bond i s - s a n t g a u c h e m e n t , m e d é m e n a n t à sa p o u r - suite. Puis, l o r s q u e je la t i ens e n f i n à m a m e r c i , r e t e n a n t m o n b r a s — p a r j e n e sais q u e l ins t inc t , q u e l i n t e r d i t — a u m o m e n t o ù il s e r a i t e n m o n p o u v o i r de l ' a n é a n t i r . I m a g i n a n t e n s u i t e s o n l a r g e s o u r i r e m o q u e u r — c o m m e ce lu i d u c h a t d e Lewis C a r r o l l — p l a n a n t a u - d e s s u s de m e s é c h e c s success i f s .
M ' é t a n t é p u i s é e à a c c o r d e r m a gest icu- l a t i on à sa p res t e s se , m o n a g i t a t i o n à ses agi l i tés et, p o u r f inir , é p a t é e p a r le c o m b a t — a p p a r e m m e n t i néga l — q u ' e l l e a victo- r i e u s e m e n t m e n é a u n o m de la vie, j e d é c i d e d ' u n e t o u t a u t r e so lu t ion .
J ' o u v r e à d e u x b a t t a n t s la f e n ê t r e de m a
c h a m b r e e t lui off re , d ' u n c o u p , soleil et
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l iber té . P o u r f ac i l i t e r s o n envol , je m e r e t i r e s u r la p o i n t e des p ieds , r e f e r m e la p o r t e d e r r i è r e moi . R é f u g i é e d a n s la p i è c e conti- guë, j e pa t i en t e , c e r t a i n e q u ' e l l e m e t i r e r a r a p i d e m e n t sa r é v é r e n c e , e n t o u t e d igni té .
U n e h e u r e après , la m o u c h e a d i s p a r u . M a j o u r n é e se d é r o u l e h o r s de c h e z moi .
Le soir, j e r e f e r m e vitres, volets, et m e cou- che . Au m o m e n t d e m ' a s s o u p i r , j e c ro i s e n t e n d r e le s i n g u l i e r b o u r d o n n e m e n t .
Je m e p e r s u a d e q u e j e rêve. La tê te d a n s les couss ins , la c o u v e r t u r e
pa r -dessus , j e m ' e n d o r s s a n s t a r d e r .
Au réveil , c ' e s t le r i t u e l d u pe t i t d é j e u n e r a u lit.
Mag ie s de l ' aube , q u i s ' a f f i c h e n t à tra- ve rs m e s c a r r e a u x , se m ê l e n t à l ' a r ô m e d u
p a i n gri l lé et d u café . P la is i r r e n o u v e l é d e ces pe t i t e s c h o s e s q u i p o n c t u e n t l'exis- t e n c e et se s a v o u r e n t , i n é p u i s a b l e m e n t .
S u b i t e m e n t , s u r le r e v e r s d u d r a p d ' u n b l a n c i m m a c u l é , j ' a p e r ç o i s u n g r a i n noi r . U n e m i n u s c u l e t ache , f o n c é e e t f r é t i l l an t e : la m o u c h e .
T r a n q u i l l e , p a r f a i t e m e n t t r a n q u i l l e , elle lisse ses pat tes , f r i s s o n n e d e s ailes.
L ' env ie m e u r t r i è r e m e r e p r e n d . Ce t t e
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t e n t a t i o n n e d u r e , pas, l ' i n t r u s e s 'es t d é j à envo lée .
Le l e n d e m a i n , m ê m e t a b l e a u . Le su r l en - d e m a i n aussi .
C u r i e u s e m e n t , je c o m m e n c e à m 'a t t a - c h e r à c e t t e bes t io le . J ' o b s e r v e ses h o c h e -
m e n t s de tête, l ' é t r a n g l e m e n t q u i s é p a r e son a b d o m e n de s o n corse le t , j ' e x a m i n e ses a i les m o t r i c e s , je c h e r c h e à vo i r sa t r o m p e .
L ' i n t é r ê t s 'évei l lant , je c o n s u l t e u n dic- t i o n n a i r e e t d é c o u v r e q u ' e l l e se c lasse d a n s l ' o r d r e d e s « d i p t è r e s ». J ' é c l a i r c i s le s e n s de ce m o t q u i l ' a p p a r e n t e a u m o u s t i q u e , a u taon , à la p u c e . Je m ' i n f o r m e p l u s avant , c h e r c h a n t à d é c e l e r sa d i f f é r e n c e , ses p a r t i c u l a r i t é s .
La p r é s e n c e de m a m o u c h e , je f inis p a r m ' y fa i re . E t m ê m e à m e c o m p l a i r e e n sa c o m p a g n i e .
P lus t a rd , j ' e x t r a p o l e . J ' é l a rg i s m a vision. Je m ' é m e r v e i l l e d e s p r o d i g e s d e la n a t u r e , d e s p e r f o r m a n c e s de la vie, i n sc r i t e e n ce « si p e u », e n ce « si l a id ».
D é s o r m a i s , il n ' e s t p l u s q u e s t i o n d 'é l imi- n e r ce t t e « p a r c e l l e d ' ê t r e » d u m o n d e des vivants.
U n e é t r a n g e f a m i l i a r i t é s 'es t t i ssée e n t r e
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la m o u c h e e t moi . S o n ex i s t ence , si c h è r e - m e n t , si a s t u c i e u s e m e n t d é f e n d u e , f o r c e m o n a d m i r a t i o n .
El le n e m ' é v o q u e p l u s d u t o u t ces n é c r o - p h a g e s av ides d e c h a r o g n e , m a i s p l u t ô t — p a r h o m o n y m i e — c e t t e pe t i t e r o n d e l l e e n t a f f e t a s n o i r q u e les d a m e s d e j a d i s se col- l a i en t s u r le v isage p o u r p a r a î t r e p l u s mu t i - n e s et p l u s s é d u i s a n t e s . El le m ' a t t e n d r i r a i t p r e s q u e !
Avan t de sor t i r , j ' o u v r e l a r g e m e n t les f enê t r e s , l a i s san t a ins i à m a m o u c h e t o u t e s ses c h a n c e s d ' évas ion .
Au pe t i t j ou r , s o r t a n t de la c u i s i n e avec m o n p l a t e a u , j ' e s p è r e la r e t r o u v e r à la m ê m e p l a c e : t o u t e à sa toi let te , g u e t t a n t m a v e n u e .
E t puis , u n ma t in , je l 'ai a t t e n d u e e n vain. Lui e m p r u n t a n t des b r i b e s d e s o n lan-
gage, j ' a i b o u r d o n n é , s t u p i d e m e n t , p o u r l ' appe le r .
El le s ' é ta i t éc l ipsée . P o u r t o u j o u r s .
P o u r la p r e m i è r e fois m o n ca f é avai t m o i n s d ' a r ô m e . E t les m a g i e s d e l ' a u b e m e
p a r u r e n t b i e n s u r f a i t e s !
![Page 22: Les Métamorphoses de Batineexcerpts.numilog.com/books/9782081640900.pdfmatin de mai, ma chambre ; et qui s'en donne à cœur joie, zébrant le vide. Celle-ci, je la tuerai sans pitié](https://reader034.vdocuments.fr/reader034/viewer/2022050511/5f9bdebf16af82051d219155/html5/thumbnails/22.jpg)
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Cet ouvrage,
le quatre cent soixante-dix-huitième
de la collection CASTOR POCHE,
a été achevé d'imprimer sur les presses de l'imprimerie
Maury Eurolivres SA 45300 Manchecourt
en septembre 1994
Dépôt légal: octobre 1994. N° d'Édition : 17863. Imprimé en France.
ISBN : 2-08-164090-2 ISSN : 0763-4544
Loi n° 49-956 du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse
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ANDRÉE CHEDID
Les métamorphoses de Batine
Six nouvelles, tour à tour tra- giques ou drôles, toujours émou- vantes. Du vieil homme riche dont le seul complice est son âne, de l'ermite qui a choisi la mer comme univers, au t rucu len t Bat ine . . . Tous les personnages d 'Andrée Chedid sont porteurs d'un message de fraternité et d'amour.