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La viticulture illustre bien le lienentre paysages et activité desfermes. Le programme Herculerassemble des acteurs du monde

viticole de Bourgogne, du Valais (Suisse),de la vallée du Douro (Portugal) et duNiederösterreich (Autriche). Son but estde maintenir les ouvrages en pierres spé-cifiquement construits pour la culture dela vigne.

Selon Jean-Louis Raillard, du Centre deformation agricole de Beaune, participantau projet pour la Bourgogne, “les fonc-tions du paysage sont multiples : Desaménagements viticoles réussis amélio-rent la sécurité, contribuent à protégerl’environnement et mettent en valeur lepatrimoine culturel.”

Consentement à payer. Défini comme“une unité naturelle considérée du pointde vue de ses aptitudes agricoles”, le ter-roir dépend lui aussi du paysage. La cir-culation de l’eau et du vent, par exemple,varie en fonction de la disposition destalus.

Or, le prix que les consommateursacceptent de dépenser pour un aliment estfonction d’au moins deux éléments liés auterroir : la saveur et l’image du produit. Àpropos de ce dernier point, l’identification

entre un magnifique paysage et une pro-duction est d’autant plus forte que l’onprogresse vers le haut de gamme, où lesmarges sont plus élevées.

“La publicité peut modifier la percep-tion des personnes extérieures au milieupendant un certain temps, remarque Jeande Legge, de l’institut d’études TMOrégions de Rennes. Mais, tôt ou tard, lesmoyens de communication modernes fontémerger la vérité. Les consommateurs quiont un pouvoir d’achat suffisant pour nepas tenir compte uniquement du coûtpeuvent alors réagir et, s’ils sont déçus,leur reconquête prendra autant de tempsqu’a duré leur aveuglement.”

Grandes cultures. Les liens entre agri-culture et paysage qui existent dans lesrégions viticoles sont aussi présents dansles autres systèmes de production. Le filmPerdreaux et quintaux, produit par l’entre-prise Syngenta, décrit l’expérience deJacques Hicter, dont les 170 hectares de laFerme du Bois du cabaret se situent prèsde Saint-Quentin, en pleine Picardie, dansune zone d’openfield.

“Ma passion est la perdrix grise,explique l’agriculteur. C’est en constatantque cet oiseau ne s’épanouissait plus dansmon exploitation que j’ai pris conscience

qu’il fallait que je change mes pratiques,pour me rapprocher d’une agriculturetoujours efficace économiquement maisplus responsable et plus durable.”

Toutes les parcelles du céréalier sontmaintenant divisées en bandes longues etétroites. Chaque bloc associe une céréalede printemps, une céréale d’hiver et estborné d’une bande intercalaire, elle-mêmecomposée de deux types de jachères :industrielle et faune sauvage. La réflexionde l’exploitant l’a également conduit aabandonné le labour, qui favorisait l’éro-sion et privait les oiseaux de nourriturependant l’hiver, en enfouissant les résidusde récolte.

“Avec 200 perdrix grises prélevées,contre moins de 50 il y a une dizaine d’an-nées, les résultats sont là, se réjouitJacques Hicter. Les abeilles, les écureuilset de multiples espèces de passereauxrecolonisent aussi la ferme. Le milieu s’en-richit et cela profite à l’activité agricole.”

Les jolis paysages agricolesL’agriculture les façonne mais ils n’appartiennent pas aux exploitants.

Pourtant, les paysages ne sont de qualité que si les agriculteurs les prennent en compte dans leurs pratiques, pas par générosité, mais par intérêt bien compris.

L’agriculture fait le paysage est l’un des panneauxdu sentier créé à Plélan-le-Petit, en Bretagne, pourexpliquer aux randonneurs le lien entre ce qu’ilsont sous les yeux et le travail des agriculteurs. Leparcours a permis de développer le dialogue entreles exploitants, les ruraux et les urbains

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Avec 110 quintaux par hectare en blé,Jacques Hicter se classe parmi les cham-pions du rendement, tout en ayant réduitson temps de travail de moitié et saconsommation annuelle de carburant de25 000 à 17 000 litres.

L’agroforesterie, qui consiste à mélan-ger arbres et cultures, est une autre pra-tique innovante pouvant être appliquéeavec profit dans un paysage d’openfield.Fabien Liagre, d’Agroof, une société deconseil d’Anduze, près de Nîmes, estimeque : “Même en prenant de grandes pré-cautions dans les calculs, le revenu tiréd’un champ cultivé selon ce systèmedépasse de 30 % celui d’une surface iden-tique en culture classique.”

Dialogues citoyens. À Plélan-le-Petit,60 kilomètres au nord-ouest de Rennes,les arbres sont déjà très présents dans lespaysages agricoles. Pour valoriser le lienentre ces derniers et leur travail de tous lesjours, des exploitants ont participé à laréalisation du sentier Agriculture etPaysage.

“Le parcours de huit kilomètres duredeux heures et son aménagement a coûté27 000 euros, expose Nabila Gain,employée de la Chambre d’agriculturedépartementale. Huit panneaux illustrésdonnent des explications sur la protectiondes cours d’eau, le respect des zoneshumides, le patrimoine bâti rural, un ver-ger conservatoire, etc.”

“Dans un climat morose, un projetcomme celui-ci valorise l’image de notremétier et donne envie de le découvrir. Lemonde agricole n’était pourtant pas unanime”, relate Yvon Thomas, l’un desagriculteurs membre de l’organisation.Peut-être est-ce parce qu’une telle réalisa-tion force à prendre conscience de l’im-pact de ses pratiques sur les paysages et, le cas échéant, pousse à changer samanière de faire.

“En tous les cas, avec quelques cen-taines de randonneurs chaque mois, lesentier est un succès, affirme PierreBenoist, conseiller municipal de Plélan-le-Petit. Il donne l’occasion aux exploitants,aux ruraux et aux citadins de dialoguerensemble.”

Propriété des paysages. Ces discus-sions sont nécessaires. Selon une étude del’École polytechnique de Zurich, les agriculteurs ne sont responsables quepour 12 % dans le maintien de l’habitat enzone rurale mais ils ont un rôle majeurdans l’entretien de la beauté de la “Suissetypique”, c’est-à-dire qu’ils participent àla création d’un bien public inestimable.

Définir les paysages comme des biens

publics signifie que les exploitants sontpropriétaires de leurs parcelles mais pasde la magnificence – ou de la laideur – dela zone où ils exercent leur activité.L’apparence du milieu appartient à l’en-semble des citoyens. Ce titre de propriétérelève non seulement de l’éthique, maisencore des impôts, dont une partie sert àfinancer les subventions versées auxfermes.

Actuellement, les aides agricoles nevont pas aux systèmes qui correspondentle mieux aux attentes des consomma-teurs, mais la démocratie directe se déve-loppe et les citoyens exercent uneinfluence croissante sur l’utilisation del’argent public. Les agriculteurs doiventdonc prendre les devants, sous peine devoir un jour promulguer des lois contrai-gnantes. Il pourrait devenir obligatoire,par exemple, de soumettre toute modifi-cation du patrimoine bâti ou natureld’une exploitation à une délibérationd’un “Conseil du paysage” !

Marché implicite. Selon DominiqueVermersch, de l’Agrocampus de Rennes,“L’agriculture est un acte de productionsjointes : matières premières et paysages.Le consommateur veut lui aussi desconsommations jointes : nourriture, santéet maintien d’une agriculture familiale.Le grand défi est de faire correspondreces jointures.”

Dans l’Antiquité, Marcus T. Varo écri-vait : “Tout ce qui rend une ferme plusjolie, grâce à des pratiques agricolessaines, la fait aussi devenir plus pro-ductive. (…). Comme les gens préfèrent acheter ce qui est beau, la valeur de l’exploitation est aussi plus élevée.”(De Rustica, traduction de l’auteur).Aujourd’hui, le lien entre l’agriculture etla beauté des milieux va encore plus loin,puisque faire correspondre actes de pro-ductions et de consommations jointessignifie la naissance d’un marché impli-cite des paysages.

Stéphane Brélivet

La vallée de la Moselle, en Allemagne, est uneexcellente porte d’entrée pour comprendre les rela-tions entre l’agriculture et les paysages. La viticul-ture façonne de jolis terroirs, qui, à leur tour, appor-tent des bénéfices aux exploitations, pour l’agrono-mie, le tourisme et le marketing.


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