Transcript

Les abeilles sune biodiversité méco

L’ABEILLE MELLIFÈRE... ET TOUTES LES AUTRES ABEILLES !

Tout le monde a déjà entendu parlerdes abeilles, ne fût-ce que pour le mieldélicieux ou pour les autres produitsdérivés de la ruche. Tout cela résultede l’activité d’une seule espèced’abeille domestiquée depuis trèslongtemps par l’homme, Apis melli-fera. Mais derrière cette espèceemblématique se cache une diversitéinsoupçonnée et considérable, compo-sée de plusieurs milliers d’autresespèces, toutes sauvages et majoritai-rement solitaires. Plus de 20.000espèces d’abeilles ont déjà étédécrites à l’échelle mondiale, et enBelgique on compte pas moins de 380espèces qui peuplent nos prairies fleu-ries, parcs et jardins. A titre indicatif,cela représente près de huit fois plusque le nombre d’orchidées sauvages,cinq fois plus que la faune des libel-lules de Belgique et trois fois plus quele nombre d’espèces de papillons dejour recensés sur notre territoire!Cette diversité spécifique étonnante etgénéralement insoupçonnée par legrand public se décline en un trèslarge kaléidoscope de formes, de cou-leurs et de comportements qui méri-tent qu’on s’y intéresse de plus près.

page 16 // CLIN D’ŒIL

En Belgique, on dénombre pas moins de380 espèces distinctes d’abeilles.

CLINDOEIL_10-DEF_CLINDOEIL_10-DEF 05/07/12 18:38 Page16

CLIN D’ŒIL // page 17

auvages,nnue à protéger

Denis Michez1 & Nicolas Vereecken2

Graphique et photos: Nicolas Vereecken

1. Denis MichezUniversité de Mons, Laboratoire de Zoologie,Place du parc 20, 7000 Mons, Belgique. Email: [email protected]. Nicolas VereeckenEvolution Biologique & Ecologie, Université Libre de Bruxelles, Avenue FDRoosevelt 50, 1050 Bruxelles, Belgique. Email: [email protected]

Osmia rufohirta: cette espèce utilise descoquilles vides d’escargots pour nidifier.

CLINDOEIL_10-DEF_CLINDOEIL_10-DEF 05/07/12 18:38 Page17

page 18 // CLIN D’ŒIL

DIVERSITÉ DE TRAITS D’HISTOIRE DE VIE

La diversité spécifique des abeilles fait écho àune diversité passionnante de traits d’histoirede vie. Les abeilles sauvages se distinguentpar une richesse de comportements sociauxdifférents, de comportement de nidificationou encore de relation étroite avec certainesplantes à fleurs.

Les abeilles sauvages sont pour la plupartsolitaires, c’est-à-dire qu’elles ne formentpas de société hiérarchisée composée d’indi-vidus reproducteurs (reine et mâles) et d’ou-vrières stériles. Leur biologie est finalementassez proche de la plupart des autresinsectes, puisqu’on rencontre uniquementdes mâles, des femelles et leur descendance.

Le cycle de vie d’une abeille sauvage solitaireest très simple. Dès l’émergence, les mâlespatrouillent à la recherche des femelles etl’accouplement a lieu dans l’environnementimmédiat de leur naissance. La femelleconsacrera ensuite l’essentiel de sa courteexistence (quelques semaines au plus) à laconfection d’un nid composé d’un faible nom-bre de cellules larvaires dans lesquelles elleaccumulera du pollen, du nectar et autresdérivés floraux qui constitueront l’alimenta-tion exclusive de sa progéniture. Les abeillessauvages sont capables d’exploiter toutessortes de micro-habitats pour y installer leur

nid. La plupart d’entre-elles est terricole etcreusent elles-mêmes une galerie dans lesol, d’autres sont rubicoles et installent leursquartiers dans les tiges de végétaux (ronce,fenouil, carotte sauvage, etc.), et certainesconfectionnent leurs nids dans des anfrac-tuosités préexistantes (tiges creuses, trousd’aération dans les fenêtres ou les façades demaisons, etc.). D’autres espèces utilisentmême des coquilles vides d’escargots pournidifier)!

La diversité s’exprime aussi dans le régimealimentaire des différentes espèces.Certaines espèces d’abeilles sont inféodées àun nombre réduit d’espèces végétales et cetout au long de leur vie, de génération engénération. Les femelles de ces espècesd’abeilles qui récoltent du pollen exclusive-ment sur certaines espèces de plantes àfleurs sont dites «spécialistes», elles ont unrégime alimentaire bien caractéristique,contrairement à l’abeille mellifère et à d’au-tres espèces dont les choix alimentaires sontbeaucoup plus variés. Notre pays compte denombreuses espèces «spécialistes», dontcertaines visitent exclusivement la bryone(l’andrène de la bryone, Andrena florea),d’autres les fleurs de campanules (p.ex. leschélostomes), de saule (p.ex. de nombreusesandrènes dont l’andrène vague, A. vaga), lessalicaires (p.ex. la mélitte de la salicaire,

Melitta nigricans), les résédas (p.ex. l’abeillemasquée Hylaeus signatus), ou encore lesfleurs de lierre (p.ex. la collète du lierre,Colletes hederae).

Andrena vaga

Hylaeus signatus

Chelostoma rapunculi

Andrena florea

CLINDOEIL_10-DEF_CLINDOEIL_10-DEF 05/07/12 18:38 Page18

CLIN D’ŒIL // page 19

Certaines abeilles solitaires ont troqué leurexistence laborieuse pour un mode de viestrictement parasitaire: on les appelle lesabeilles «coucous». Comme l’oiseau quisquatte le nid d’autres espèces pour y pondreses œufs, ces abeilles sont passées maîtresdans l’infiltration des nids d’autres espècesd’abeilles sauvages. Une fois au cœur du nid,elles se débarrassent rapidement des œufsde l’abeille-hôte et déposent un œuf sur lesréserves nutritives accumulées avant dequitter les lieux. Elles ne récoltent donc pasde pollen et elles ne construisent aucun nid.Les Nomada et les Epeolus font partie de cesabeilles parasites au look de guêpe.

LA POLLINISATION DES FLEURS SAUVAGES ET CULTIVÉES

La pollinisation est le mode de reproductionsexuée privilégié des plantes à fleurs: il s’agitdu transfert de pollen d’une fleur vers uneautre, rendant possible la fécondation et doncla production de fruits contenant les grainesqui constituent la génération suivante. Lesabeilles sont des organismes clés dans lareproduction des plantes puisqu’elles pas-

sent la majeure partie de leur temps à récol-ter du pollen pour leur progéniture et à voya-ger de fleur en fleur, se faisant malgré ellesles vecteurs des grains de pollen.

L’Ophrys bourdon (Ophrys fuciflora), uneorchidée protégée en Wallonie, est ainsidépendante exclusivement des mâles d’eu-cères (Eucera longicornis et E. nigrescens)pour sa pollinisation et donc pour sa repro-duction sexuée. Ce phénomène est valablepour les plantes sauvages, mais aussi pourbon nombre d’espèces cultivées qui produi-

sent les fruits et légumes qui font partie inté-grante de notre alimentation. On comprenddès lors beaucoup mieux pourquoi et com-ment l’avenir de notre alimentation et de nosécosystèmes est si intimement lié à l’activitéde ces insectes !

ABEILLES SAUVAGES ET ABEILLES MELLIFÈRES EN DÉCLIN

Au cours de ces trois dernières décennies,les preuves du déclin de nombreusesespèces d’abeilles se sont malheureusementaccumulées. Les facteurs les plus couram-ment annoncés ont une origine humaine: 1. perte et fragmentation des biotopes;2. diminution en quantité et en diversité des

fleurs indigènes disponibles pour les res-sources en pollen et en nectar;

3. expansion d’espèces exotiques végétales; 4. contact avec des abeilles exotiques impor-

tées et leurs parasites/pathogènes;5. utilisation de pesticides;6. changements climatiques. De plus, ces six facteurs rapidement énumé-

rés pourraient interagir simultanément ousuccessivement, en synergie ou pas. Alorsqu’un seul facteur (le changement de res-sources alimentaires) peut fragiliser unepopulation, un second facteur (un change-ment climatique) peut être la cause ultime dela disparition irrémédiable. Le débat scienti-fique reste donc ouvert sur les causes princi-pales de déclin mais le déclin en lui-mêmeest maintenant reconnu par tous.

OBSERVER ET ACCUEILLIR LES ABEILLES CHEZ SOI... C’EST FACILE !

Les abeilles sauvages sont virtuellement par-tout où l’on trouve des fleurs. Les observer estdonc chose aisée, même en pleine ville. Pourmieux les accueillir dans votre jardin, l’inves-tissement ne doit pas être énorme, quelquesplantes indigènes et des nichoirs artificielscomme des tiges creuses de bambou dansune zone bien exposée, vous permettront derapidement déceler leur diversité.

Pour les plus motivés, vous pourrez ajouterdes plantes sauvages qui couvriront au maxi-mum les besoins en nourriture (pollen etnectar) sur la plus grande partie de l’année.Nous conseillons bien sûr les plantes melli-fères locales comme les saules, la vipérine,les trèfles ou les campanules. Vous pourrezaussi augmenter l’accueil en installant un«hôtel» à insectes où plusieurs types denichoirs sont installés, torchis, bambou ouencore bûche perforée.

Pour en savoir plusRevue « L’homme et l’oiseau», en 2010 et 2011,cinq articles ont été publiés par N.J. Vereecken, D.Michez, P. Colomb. et M. Wollast, sur le thème «Connaître et aider nos abeilles sauvages». Cesdocuments sont disponibles gratuitement sur lesite Atlas www.zoologie.umh.ac.be/hymenoptera

RemerciementMerci à Léoplod Dethier de nous avoir donné l’idée de cetarticle. Les auteurs voudraient remercier chaleureuse-ment la Loterie Nationale de Belgique pour le finance-ment du projet « Village d’abeilles» qui a pour objectif lasensibilisation du grand public à la problématique dudéclin des abeilles sauvages.

Epeolus cruciger

Colletes hederae

Nomada fucata

Eucera longicornis: la reproduction sexuéed’une orchidée sauvage dépend exclusivementde cette espèce.

CLINDOEIL_10-DEF_CLINDOEIL_10-DEF 05/07/12 18:38 Page19

page 20 // CLIN D’ŒIL

Andrena marginata

Dasypoda hirtipes

Macropis fulvipes

CLINDOEIL_10-DEF_CLINDOEIL_10-DEF 06/07/12 01:25 Page20

CLIN D’ŒIL // page 21

Andrena curvungula

Quelques abeilles sauvages protégées de chez nous

CLINDOEIL_10-DEF_CLINDOEIL_10-DEF 06/07/12 01:25 Page21


Top Related