Download - Le VJing est il une pratique inarchivable ?
Université de Paris Est Marne la ValléeUFR : Lettres, Arts, Communication et Technologies
M1 Cinéma-Audiovisuel
Le VJing, une pratique inarchivable ?
Par Hélène TAFRIHI-POUSSET Sous la direction de Steven BERNAS
UMLV 2009/2010
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REMERCIEMENTS
À Laurent Carlier, Brigitte Pousset, Jacques Emile Bertrand, Angie Eng, Matthieu Crimersmois, Giorgio Partesana, Duncan Pinhas et à tous ceux qui
contribuent à la recherche, à la création, à la diffusion et à la promotion des arts numériques en temps réel.
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INTRODUCTION
Tout comme Derrida au début de Mal d'archives, commençons par définir et tenter
de définir l'objet qui sera celui de notre étude. Le VJing consiste à effectuer une
performance artistique et/ou créative avec la plupart du temps une part d'improvisation
très forte grâce aux technologies en temps réel, faisant se confronter des images
montées et/ou filmées en direct, projetées et accompagnées par de la musique ou du
son, face à un public (espace public, galerie d'art, concert...), par le biais d'un dispositif
technique – analogique (caméras, vidéoprojecteurs, projecteurs de diapositives,
contrôleurs, micros...), numérique (ordinateurs, logiciels, programmation, contrôleurs
midi...), bien que cette définition tende à être plus vaste.
En effet, les nombreuses appellations que les performances audiovisuelles dénombrent
expriment la grande diversité et le flou des pratiques multiples regroupées sous
l'appellation de VJing : performance veejay, VJing (veejaying), performance A/V, live
A/V, live cinéma...Certains noms ont une même signification tandis que d'autres
peuvent désigner un type particulier de performance1.
Par souci d'unité nous nous limiterons à l'usage de « performances audiovisuelles » et
« VJing », ou « performance VJ » pour y référer par la suite (voir le glossaire). Le VJ
est le performeur audiovisuel, contraction de vidéo-jockey, tout comme le DJ mixe la
musique, le VJ mixe les images.
Puis, définir. Performance artistique : faire un acte, un geste artistique, créer une
attitude porteuse de sens au sein d'un contexte, face à un public conscient ou non du
geste s'effectuant face à lui et de son appartenance ou non au domaine artistique. Or, un
geste, d'autant plus lié au numérique, à une image projetée ou à un son peut ne pas
laisser de traces, si ce n'est mémorielle, au contraire d'une peinture ou d'une sculpture
où la matérialisation d'un objet laissera de facto une trace.
Puis inarchivable néologisme de non archivable, ou incapacité d'archiver. Archiver ?
1 Cf. le live cinéma, catégorie de Vjing n'utilisant que des images issues de films
cinématographiques, aussi utilisée pour désigner le nom de ces performances.
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Conserver, mettre hors d'usage pour protéger des objets porteurs d'un savoir à léguer au
futur, pour exprimer ce qui a existé, laisser une trace, un indice d'un réel à un moment
donné, un témoignage par l'intermédiaire d'un document, faire du documentaire. Donc
incapacité de rendre compte, de garder trace ou d'établir un système de classement
permettant d'accéder aux archives. Inarchivable pour plusieurs hypothèses : pas de
traces possibles, des traces non conservables, des traces conservables non classifiables,
pour des raisons liées aux particularités de l'acte de performance artistique en Vjing.
Ces particularités des performances VJ face à la conservation seront l'objet principal
de ce mémoire, qui ne se veut pas un remplacement à d'éventuels livres ou thèses sur ce
qu'est le Vjing1 ni un point de vue d'archiviste sur la création artistique. Continuons
donc de définir l'indéfinissable, ou du moins de lui tourner autour au travers de ses
multiples influences.
Le Vjing est une pratique actuelle ayant émergé à l'apparition du média vidéo dans les
années 60, puis il s'est principalement répandu à partir des années 80/90, notamment au
sein du milieu des musiques électroniques. Des formes d'images animées en relation
avec la musique plus ou moins proches existaient longtemps avant la vidéo ou le
cinématographe, l'histoire des liens entre le sonore et le visuel est particulièrement
fournie, se référer aux livres de Jean Yves Bosseur à ce sujet.
Les performances en collectif d'artistes ou groupes sont prédominantes, elles peuvent
s'établir dans la durée ou juste le temps d'une soirée. Chaque artiste puise dans son
propre domaine et peut apporter sa propre vision sur la performance, donnant à voir
plusieurs facettes d'une même œuvre, recherche, d'une même expérience. La
dynamique de groupe permet aussi de compléter et échanger ses connaissances
techniques, donnant forme à des artistes hybrides, multitâches.
Cette tendance de l'artiste « touche à tout » est beaucoup répandue et se constate chez
les jeunes artistes contemporains qui ne font plus l'apprentissage d'un seul médium
mais choisissent plutôt en fonction de leurs projets, l'idée devient prédominante sur le
médium, cela prend forme dans les expositions qui montrent vidéos, photographies,
1 A cet effet voir le mémoire d'Océane Ragoucy ou les quelques livres sur le VJing au sein de la bibliographie
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peintures conjointement et au sein des enseignements des écoles d'arts où ateliers d'arts
numériques, sonores ou de peinture sont des options qui cohabitent librement, l'étudiant
passant de l'un à l'autre.
Le regroupement d'artistes est aussi un mode de création que suit le Vjing mais qui a aussi
lieu en art contemporain, on peut citer les collectifs QUBO GAS1 en dessin, 9ème
concept2 en peinture, Bureau d'études3 et leurs cartographies subversives, etc. Il est rare
de voir des performances audiovisuelles réalisées par une seule personne, mais il est
possible de citer Ryoichi Kurokawa, Ouananiche, Matthieu Crimersmois et bien
d'autres encore, malgré la difficulté de gérer la musique et l'image en temps réel en
même temps, à moins de créer un outil qui gère les deux paramètres.
Si le VJing puise dans autant de disciplines telles que l'installation, les arts numériques,
l'art vidéo, le chant, la danse, l'installation, etc, c'est parce les Vjs et autres artistes
participants aux performances VJ viennent d'horizons très différents, allant de l'amateur
à l'artiste reconnu, et pour des raisons très diverses aussi : musiciens cherchant à
augmenter le sens de leur interprétation par un aspect visuel, artistes multimédias,
programmeurs informatique, groupes musicaux associés à des vidéastes, photographes,
graphistes, DJs, scratcheurs, etc.
Tous ont en commun au minimum une réflexion sur le rapport image-son en temps réel
et sur les moyens techniques et artistiques de mettre en place leur performances,
souhaitant faire s'établir un dialogue entre plusieurs arts.
Ces performances héritières des arts numériques perpétuent les mélanges déjà en place
au sein de ce secteur, passant du mixed-médias à l'inter média, au multimédia en live, à
l'installation interactive, mélangeant CAVE* immersif ou dispositif parfois presque
cinématographique. Il est impossible d'établir une seule et même catégorie au Vjing, si
ce n'est le Vjing en lui même, car chaque performance est unique et a son propre
système de fonctionnement, plus ou moins proche d'une de ces catégories au sein des
arts numériques.
1 http://www.qubogas.com/2 http://www.9eme.net/3 http://bureaudetudes.org/
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Le numérique nous permet actuellement de surveiller, enregistrer, conserver, échanger,
en quelque sorte de mettre en place notre propre système d'archivage à plus ou moins
grande échelle. Il nous permet aussi de mettre en place des créations avec des
particularités propres à son domaine, se mélangeant avec le champ de l'artistique.
Le VJing embrasse donc maints questionnements quant à son dispositif (une pratique
délimitée et permise par la technique engendrant de nouveaux outils ou de nouvelles
utilisations de ces outils), son matériau, par ses relation entre le sonore et le visuel, son
émergence dans le contexte actuel et ses filiations, etc. C'est un art contextuel qui
s'adapte à un lieu et temps donné (un art in situ tout comme l'installation), cherchant à
atteindre un but artistique, esthétique, sémantique, processuel, par la confrontation de
plusieurs disciplines artistiques, principalement par l'image et le son.
Si l'apparition des outils technologiques récents tels que l'informatique portable a
permis à cette pratique d'émerger et de se diffuser, le VJing perpétue cependant les
réflexions entamées sur les formes d'art total et synesthésiques par Wagner, Louis
Bertrand de Castel, Scriabine et leur prédécesseurs, ainsi que les performances Fluxus.
De même, il prolonge les systèmes de notations visuelles développés en musique et en
danse(partitions de John Cage, notation Laban en danse, scratch graphique...).La Vjing
a cependant un lien très fort au contexte contemporain, avec une critique de l'univers
médiatique ou visuel dominant, un regard subjectif sur des faits passés, juxtaposés à
des images contemporaines. Cela crée un décalage tout comme en documentaire ou en
found footage où l'on peut trouver un mélange de documents à but et fonctions
différentes à l'origine, bien que la forme du Vjing soit libre et principalement liée au
rythme musical.
Le Vjing rassemble au sein d'improvisations plus ou moins préparées un éclatement
d'images hétérogènes du point de vue du sens et hétéroclites de par leur statut, le long
d'un mix dans la durée, pouvant procéder à un aplatissement des hiérarchies
sémantiques entre images, recréant un sens nouveau pour celles-ci, pouvant être
purement formel ou non narratif. Les images peuvent être récupérées ou créées par le
VJ, qui peut mélanger les deux ou n'utiliser que des images trouvées ou uniquement des
images qu'il aura filmées, voire des images captées en direct lors de la performance.
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L'auto diffusion a une part dominante dans cette pratique, où non seulement le vidéaste
et ou musicien décide de ce qu'il va montrer mais décide aussi de l'endroit où il le fera,
des conditions de la performance, des outils pour le faire, du type de public (sensibilisé
ou non à l'art)... Le Vjing a longtemps, hérité dans sa diffusion, des liens avec le milieu
musical, notamment avec les musiques électroniques par la dimension festive au sein
de l'espace public, le mix, la fête dans les clubs ou au sein de frees-parties en références
aux zones autonomes temporaires d'Hakim Bey. Cependant c'était toujours par le choix
musical que le public assistait aux performances. Cette tendance change, du fait que
beaucoup de groupes audiovisuels se mettent en place. Ceci laisse une plus grande part
à l'écriture en commun et à la vidéo.
Par ailleurs, il s'agit d'une pratique qui demeure communautaire et méconnue du grand
public, celui-ci pouvant y assister sans en connaître le nom au sein d'évènements
commerciaux, patrimoniaux ou en clubs : le Vjing est davantage connu au sein d'un
public amateur d'arts numériques et ou de musiques électroniques. Les performances
VJ sont encore peu considérées par le marché et les institutions de l'art ou par le milieu
musical qui, s'ils n'hésitent pas à faire appel aux VJs et performeurs pour des soirées,
concerts ou vernissages ne pensent pas à la possibilité de conserver des traces de ces
performances ou de les intégrer au sein des expositions.
Le manque de reconnaissance des institutions, du marché et des industries (pour le
moment), font de cette pratique un art en quête de reconnaissance. Les principaux
cadres de diffusion du Vjing sont les festivals d'arts numériques (festival Némo, mal au
pixel...) et ceux spécialisés en Vjing (Vision'R, Visionsonic, le Mapping festival...), les
soirées de performances audiovisuelles, les clubs et concerts où sont intégrés des
écrans, bien que beaucoup d'artistes soient à l'initiative du lieu et du moment de leur
performance hors de toute institution.
Ce mémoire cerne les performances veejay à travers le prisme de son archivage. Il pose
aussi la question des limites, nécessités et contingences de l'archive au sein du VJing,
ainsi que les raisons que pourraient avoir les artistes de conserver ou non des traces de
leur performances.
Nous étudieront donc la manière de créer des documents à partir d'une performance VJ,
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incluant le risque de dénaturer ou rendre compte de manière erronée ou trop obscure
cette dernière, la remettant en cause. Dans ce cas y aurait il des moyens pour que cela
ne puisse pas être le cas ? La trace a sa vie propre, en plus d'être un indice.
Si l'archive conserve, on peut se demander ce qu'elle conserve exactement et jusqu'à
quel point elle le fait, et de quelle manière elle peut rendre compte de dispositifs
technologiques complexes liés à un instant de développement de la technologie bien
particulier aussi bien qu'à des interactions liées à un contexte – public, époque et lieu-
bien spécifiques ?
Par ailleurs, y a t il réellement un intérêt à archiver des performances se voulant
précisément éphémères et ou en marge?
Nous chercherons à savoir si une pratique de performance artistique telle que le VJing
est (in)archivable. Quelles sont les spécificité de cette pratique? Quels enjeux et
intentions la conservation de cette pratique soulève-t-elle? Enfin par quels moyens
techniques et comment cette hypothèse serait elle possible dans la pratique et à long
terme?
Dans un premier temps nous tenterons d'élaborer une filiation succincte du Vjing qui
émerge au sein des archives des arts et mouvements culturels, puis dans un deuxième
temps tenterons de cerner plus techniquement ces particularités en évoquant les
possibilités pour son éventuel archivage, enfin nous nous pencherons sur la portée
éthique, philosophique de l'hypothèse de l'archivage des performances VJ, et de quelle
manière l'archivage peut s'effectuer en pratique.
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Partie I archéologie du vjing :
héritages et filiations au sein des arts et des mouvements culturels
I. Formes premières de recherches entre le sonore et le visuel : des arts aux inter-médias
Bien avant la naissance du VJing, des artistes ont rassemblé images et sons dans
des dispositifs scéniques, des œuvres ou des recherches d'instruments audiovisuels. Si
de visu ces œuvres peuvent se ressembler, elles n'appartiennent cependant pas aux
mêmes idéologies et filiations artistiques.
Cette volonté d'assembler les arts est différente selon chaque artiste et s'inscrit dans des
processus de création singuliers. Chez certains il y a l'établissement d'un système de
correspondances entre les arts tandis que d'autres considèrent chaque art comme étant
autonome les uns vis à vis des autres. Nous chercherons à savoir quelle incidence ces
particularités peuvent avoir sur l'archivage et leur éventuelle prise en compte.
Nécessitent elles un classement chronologique, quand bien même les expérimentations
reliant le sonore et le visuel parcourent des courants artistiques différents ?
Le VJing actuel n'échappe pas aux différences de filiations possibles au sein de son
champ. Il bénéficie des mêmes questionnements que les performances audiovisuelles
ayant pu exister auparavant à partir de l'œuvre d'art totale. Ceci nécessite une prise en
compte de ces différentes références et considérations lors d'un éventuel archivage.
Nous tenterons par un récapitulatif succinct et à travers des exemples de montrer ces
filiations et leur différences les unes entre les autres afin de mieux cerner leurs
influences sur le Vjing contemporain.
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1.1 L'œuvre d'art totale : Wagner et le romantisme
Au sein de ces différentes idéologies d'assemblage des arts, on peut distinguer
l'œuvre d'art totale ou gesamtkunstwerk. Instituée par Richard Wagner, cette vision
considère l'interdépendance des arts dans une synthèse monumentale aspirant à renouer
avec la dimension romantique où à l'origine tous les arts étaient un. Cette perfection du
chef-d'œuvre ne peut s'atteindre selon Wagner que selon le drame musical assemblé à
la monumentalité architecturale, qui restituerait, par sa complexité intrinsèque, la
totalité et la complexité de la vie au sein d'une forme grandiose. Chaque art chercherait
à atteindre cette perfection. Cependant, le drame musical chez Wagner ne fait
communier que danse, musique et poésie, délaissant les arts visuels tels que la peinture,
ce qui peut s'expliquer par le fait que Wagner était musicien et considérait la musique
comme un art parfait, que les autres arts viendraient soutenir.
En 1849, Richard Wagner insuffle une dimension nouvelle à l'opéra avec son livre l'Art
et la Révolution, écrit dans un contexte insurrectionnel, où il exprime sa vision
politique des arts dans une dimension utopique. L'art total est pour lui « l'œuvre d'art
de l'avenir » et à la fois l'union des arts comme reflet de l'unicité profonde de la vie.
L'idéologie du progrès se diffuserait au sein de l'expérience esthétique par l'œuvre d'art
totale.
En 1874, Wagner applique sa proposition esthétique avec la création du Festspielhaus
de Bayreuth (toujours existant), salle spécialement conçue pour accueillir le drame
musical. Il accueillera L'Anneau du Nibelung, un cycle de quatre opéras. Ne restent de
ces représentations que des livrets d'opéra, des photographies d'acteurs, des partitions et
le lieu. Ce n'est pas tant les œuvres réalisées par Wagner que la forme qu'elles ont pris à
travers le biais de ses recherches théorisées qui retiendront notre attention, ainsi que
lesmodifications qu'il a pu effectuer au sein de la forme de l'opéra classique.
En effet, le Festspielhaus cherche à apporter une vision directe de la scène au
spectateur, quel que soit le siège. Il bannit colonnades et pigeonniers traditionnels dans
les opéras classiques, l'orchestre est caché presque sous la scène, de manière à ce que le
son des instruments soit directement mélangé à celui de la voix des chanteurs. Ces
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changements visent à une expérience la plus immersive possible dans l'œuvre.
Gravure du Festspielhaus de Bayreuth et couverture du livret de l'opéra Parsifal
Si la vision de Wagner est restée purement utopique, réalisée au sein de quelques
opéras, son influence idéologique aura marqué des générations de créateurs à venir.
Steve Dixon2 explique que la vision wagnérienne est centrale dans la filiation des
performances numériques, de par l'utilisation du paradigme de la convergence des arts
et du grand spectacle théâtral. Le multimédia est pour lui un méta-média qui embrasse
une vision contemporaine de l'œuvre d'art totale, grâce au regroupement de tous les
médias (photo, vidéo, texte...).
Cependant la vision wagnérienne ne peut être considérée séparément de son contexte
de trouble politique et sa monumentalité n'est pas nécessairement l'apanage de toutes
les performances VJ ou œuvres d'arts numériques. Si les projections sur façades (voir
annexes) semblent correspondre à cette idéologie, la manière dont sont considérés les
différents arts entre eux peut diverger. Dans la vision wagnérienne tous les arts
atteignent un idéal reproduisant la complexité parfaite de la vie, or le VJing s'inscrit
comme un art non séparé de la vie de part ses héritages tels que les happenings et les
performances fluxus (voir développement ultérieur).
Par ailleurs le VJing ne regroupe pas toujours l'ensemble des arts, beaucoup de
performances n'allient que vidéo et musique. Cependant l'attraction immersive des
images en VJing est commune à l'immersion que souhaitait Wagner et l'on ne peut nier
2 Page 41, chapitre Wargner and the total artwork, in. Digital performance, a history of new
media in theater, dance, performance art, ans installations, MIT press, 2007
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l'héritage fort qu'il a laissé au sein des arts, laissant dans son sillage une nuée d'artistes
prolongeant l'idée d'œuvre d'art totale.
L'heure de la nuit et L'heure du jour, de Philipp Otto Runge, dessins préparatoires au projet.
Selon Marcella Lista3, l'œuvre inachevée du peintre Philipp Otto Runge synthétise la
vision wagnérienne dans la fusion des arts et la vision romantique dans l'art comme
fragment qui l'a initiée. Celui ci entreprit en 1802 de décrire le cycle des Heures du
jour, réunissant peinture (par le biais de quatre panneaux, dont deux illustrés ci-dessus),
poésie et musique au sein d'un édifice architectural conçu à cet effet. Cherchant à
édifier un art du paysage autonome et complet devant dépasser toute formes
d'expressions préexistantes, le projet fut voué à l'échec par son ambition
disproportionnée, comme par la suite beaucoup d'artistes ayant fait des recherches dans
ce domaine, qui nous parviendront par des schémas, dessins et ouvrages publiés,
parfois prototypes, nous permettant de mieux comprendre l'ampleur des recherches
dans ce domaine. Barranoff-Rossiné, Scriabine, Schönberg, Kandinsky, etc, porteront
ces recherches à leur aboutissement, même dans leur œuvres ou projets de machines
inachevées, inachèvements marqués par leurs archives - ou leur manque d'archives.
En Russie, la théorie de Wagner est accueillie à travers la pensée de Schopenhauer par
les symbolistes et prend un autre tournant. Sa Métaphysique de la musique est reprise
3 in. L'oeuvre d'art totale à la naissance des avant-gardes, par Marcella LISTA, 2007.
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dans une synthèse des arts où chaque forme artistique tend à converger vers la musique.
Cette dernière prédomine aux autres arts dans une forme rituelle inspirée de l'Antiquité.
L'écrivain Andreï Biely incarne ce courant de pensée dans son essai Les formes de l'art,
radicalisant la thèse de Wagner. A la même époque en Russie, Viaceslav Ivanov puise
dans les écrits de Nietzsche pour revisiter la vision Wagnérienne. Par la participation
du public, le retour aux sources primitives et orgiaques ainsi que par le développement
des actions du chœur et des danseurs, il vise à retrouver la nature originelle de
l'homme. Tout comme Biely, il met en avant la supériorité de la musique sur les autres
arts. Pour Biely tout comme pour Ivanov, il s'agit de convertir les arts de l'espace
(peinture, danse...) en arts du temps (musique), idée aussi développée par le philosophe
Vladimir Soloviev. Il s'opère une fusion entre le symbole et son sens spirituel. C'est
dans la peinture de Mikolayus Konstantinas Ciurlionis et dans les symphonies visuelles
de Scriabine que leur thèses trouveront la concrétisation d'un art synthétique. C'est sur
ces bases de réflexion au sein de la notion l'œuvre d'art totale que l'abstraction naîtra,
portée par Kandinsky et Malevitch. La forme peut prendre un sens spirituel profond à
partir du moment où son intériorité est investie par le langage musical, dans cette
vision.
1.2 La synesthésie et ses influences dans le prolongement de l'œuvre d'art totale
Au XIXème siècle apparaissent les premières théories médicales sur la synesthésie
et les différentes formes que peuvent prendre cette maladie étrange, elles trouveront un
écho au sein du courant symboliste avec leur articulation au sein de l'œuvre d'art totale.
Aussi appelée audition colorée à l'époque, la synesthésie est une maladie qui connaitrait
deux causes : l'une psychologique et l'autre physiologique, où l'individu atteint subirait,
lorsqu'un stimuli sensoriel arrive via un des cinq sens, une réponse involontaire par un
autre sens pouvant prendre des formes diverses, telle que la vision sonore ou l'audition
colorée.
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Les artistes auront tôt fait de s'approprier ce système de correspondances subjectives,
par des œuvres recréant une synesthésie artificielle ou réellement destinées à provoquer
des réactions de la part de personnes synesthètes, prolongeant les recherches
précédentes de systèmes de correspondances entre sonore et visuel, initiées par
Arcimboldo ou Louis Bertrand Castel.
Comme eux, beaucoup d'artistes cherchant à concrétiser l'œuvre d'art totale laisseront
des essais inachevés. Ils justifieront ces correspondances par des notions de vérité
universelle au goût de positivisme scientifique ou au travers de la recherche d'une loi
d'ordre divine du côté des sciences occultes, systématisant la synesthésie.
Des projets de correspondances entre les arts seront envisagés dans tous les domaines
artistiques avec l'expansion de l'idée de l'art total, non plus recherche d'une perfection
de l'art comme dans la gesamtkunstwerk, mais d'une vision globale et utopique de
l'homme au sein d'un environnement où tout serait art, ce qui lui apporterait le bonheur,
comme avec les mouvements d'art nouveau, d'art déco et du début du Bauhaus en
architecture. Ce n'est plus l'œuvre d'art totale mais l'art total qui prend place, bien que
des créations rattachées à l'une comme à l'autre puissent coexister au sein d'une même
époque.
L'architecte Edmund George Lind crée un système de correspondances entre les
couleurs de l'arc en ciel et la gamme diatonique en musique, non sans écrire un livre sur
ses recherches entre musique et couleurs. Il laissera bon nombre d'architectures mais
peu de traces d'expérimentations.
Dans le sillage des Correspondances de Baudelaire, un exemple attaché à un lieu
montre la recherche de mise en spectacle de la peinture, combinant odeurs, peinture et
musique au sein du Théâtre d'art, lieu créé par Paul Fort en 1891. Cependant ce dernier
sera fortement critiqué par le public et les artistes, de part la médiocre qualité des
représentations, d'ailleurs il n'en restera pas trace, excepté au sein de publications de
critiques.
Autre publication, en 1902, Victor Segalen publie Les synesthésies de l'école
Symboliste, posant les bases d'un art synesthétique où l'union des sensations élargit le
champ des perceptions humaines, ainsi l'homme surpasserai la science à l'aide de ses
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sens subjectifs et en perpétuel progrès, idée qui sera reprise par les futuristes.
Un nouvel art spectaculaire basé sur des projections chromatiques en mouvement,
accompagnées ou non de musique naît avec les premiers films abstraits des futuristes
Arnoldo et Bruno Ginanni-Corradini et du cubiste Léopold Survage, laissant des traces
sur pellicule. L'époque est à la naissance de l'abstraction, et la fusion entre les arts n'est
pas innocente dans ce changement.
Le peintre Victor Borrissov-Moussatov propose une véritable relation de l'image à la
musique qui tend à ce qui l'image puisse représenter la fluidité idéale de la musique par
l'usage de la ligne. En ce sens, il précède les écrits de Kandinsky dans Point et ligne
sur plan et la performance d'Hundertwasser aux beaux arts de Vienne où ce dernier a
peint une ligne continue à travers toute l'école pendant plusieurs jours (voir annexe).
Cette réflexion de la temporalité du visuel amène à des questions de notation musicale,
et pour les symboles de la ligne et du point au Yi-king, le livre des mutations taoïste,
recensant tous les changements possibles, se jouant ou prédisant par l'intervention du
hasard, largement utilisé par John Cage dans son processus de composition musicale.
Correspondances colorées et partition, dessin préparatoire d'Alexandre Scriabine pour Prométhée.
En 1909, le compositeur Alexandre Scriabine se fait connaître pour sa création
Prométhée, le poème du feu, puis pour sa grande œuvre inachevée, Le mystère. Il fait
participer le public et aspire à une concordance des sens presque totale au sein de ses
spectacles par le biais d'un système très précis de correspondances de couleurs et de
notes inspiré par Louis Bertrand de Castel. Il puise dans la doctrine théosophique et
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met en application les idées synesthésiques pour créer ses œuvres, cependant en se
limitant au départ au sonore et au visuel dans un travail de correspondances
chromatiques, au début juste comme « résonateur psychologique », puis comme
véritable recherche de liens entre notes et couleurs. Malheureusement l'orgue de
lumière qu'il escomptait utiliser sur scène pour Prométhée et l'orgue à parfums destiné
à la représentation du Mystère ne se présenteront pas faute de moyens et laisseront son
idéal de concordance des arts inachevé. Resterons des partitions, écrits, croquis
préparatoires, et l'orgue de lumière conçu après sa mort. Il laissera derrière lui une
influence forte dans le domaine du sonore et du visuel qui inspirera de nombreux
artistes, tel le compositeur Ivan Wyschnegradsky (1893-1979), avec un Projet pour un
temple de lumière montrant des formes géométriques liées aux différentes tonalités de
l'œuvre jouée ou encore l'architecte américain Claude Bragdon qui présente en 1916 un
spectacle visuel et musical à partir de claviers mécaniques dans Cathedral without
Walls. Après de nombreuses recherches, il crée en 1921 avec Thomas Wilfred le
premier Clavilux (partie sur les machines audiovisuelles développée utlérieurement). Ils
font tous deux partie du groupe des Prométhéens, disciples de Scriabine installés à
Long Island cherchant à créer de nouveaux instruments jouant sur le mouvement et la
couleur.Un autre groupe inspiré par Scriabine, nommé Prométhée, est créé par Bulat
Galeyev. Il produira deux films, Prométhée (1965) et Mouvement perpétuel (1969).
Le Clavilux en état de marche à gauche, avec Thomas Wilfried à droite
Tout comme Scriabine, le peintre Kandinsky voit l'art total comme l'expression d'une
spiritualité et subit l'influence du concept de Symphonie colorée, qu'il finira par
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abandonner après avoir atteint la maîtrise du langage non figuratif en peinture et écrit
deux livres. Il réaffirme l'autarcie de la peinture et la possibilité de formes naissant et se
construisant sans objet extérieur. Cependant l'œuvre d'art totale aura été un moyen
d'atteindre une dimension spirituelle par la convergence de tous les arts et une quête
d'élargissement au sein du langage pictural. Pourtant certains artistes contemporains
comme Claude Melin s'attachent toujours à cette idée. Ses partitions inspirées du
langage sonore hésitent entre écriture, dessin et partitions inventées sans qu'aucun
système de correspondance particulier ne soit mis en place.
Avec la fin des utopies des Avant-gardes, l'idée de la fusion des arts au sein d'une
même unité portée par l'œuvre d'art totale tombe en désuétude, piétinée par Laszlo
Mohol-Nagy dans Peinture Photographie Film qui préfigure l'intervention de l'art dans
la vie en redonnant aux œuvres leur propre lois et propre spécificités selon leur
médium:
« Ce dont nous avons besoin n'est pas de l'œuvre d'art totale séparée du cours de la vie mais de la synthèse de tous les moments de la vie, elle même « œuvre totale » embrassant toute chose [...] Notre tâche principale devrait être à l'avenir de créer toute œuvre d'après ses propres lois et sa propre spécificité. Ce n'est pas en effaçant artificiellement les limites des différents domaines de créations pour les confondre que l'on fera apparaître l'unité de la vie. »
Disant cela, il préfigure un tournant de l'art porté à son apothéose avec le geste de
Duchamp et son célèbre urinoir, intégrant objets du quotidien à l'art. Si en VJing il ne s'agit
pas d'objets du quotidien, il s'agit d'images, parfois vues dans les médias, parfois issues du
quotidien d'un vidéaste. Et l'art du VJing se situe dans la vie par son contexte de
représentation et par ses images et sons glanés, puis altérés. Il ne s'agit plus d'embrasser
toutes choses, il s'agit d'affirmer un processus, une intention artistique au sein même de la
vie. Les limites entre musique et images ne sont plus effacées, il s'agit plutôt d'établir une
relation, une interaction entre l'un et l'autre, dans une approche improvisée, pouvant
conserver des correspondances qui ne seront plus nécessairement des passages d'un art à un
autre mais une résonance, une réaction au sein même de son propre matériau.
Au sein de toutes ces démarches, émergent plusieurs manières de créer des liens entre
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le sonore et le visuel : des correspondances entre couleurs ou contrastes allant du noir
au blanc reliées à des notes musicales à l'intérieur d'un système dont aucune exception
n'est possible, des correspondances décidées arbitrairement entre formes, couleurs et
notes musicales, des correspondances de couleurs et formes liées à un univers musical
auquel nous n'avons pas accès – retranscrivant donc la musique par la peinture, cela
vaut aussi pour images et musique et est réversible, des musiciens s'inspirant de
peintures ou d'images pour composer ou interpréter une œuvre ont déjà été recensés,
tout cela nous amenant à l'idée des partitions graphiques, représentant spatialement un
art du temps, où l'image se bornerait à suivre chaque note, idée qui sera inversée avec
l'apparition du cinématographe et largement utilisée au sein du mouvement lights and
sounds, notamment par la fabrication de machines audiovisuelles.
1.3 Les instruments audiovisuels, une forme qui perdure dans le temps
Parallèlement à l'influence de l'œuvre d'art totale sur les représentations in situ, des
instruments audiovisuels sont créés par artistes, musiciens et ou chercheurs afin de
compléter leurs spectacles combinant plusieurs arts, reprenant une idée déjà ancienne
puisque le premier à instituer des images ou lumières mouvantes au sein d'une œuvre
représentée sur scène fut Jacopo Peri, inventeur du premier opéra.
A la même époque, l'ancêtre du projecteur de cinéma se profilait avec les lanternes
magiques, permettant des performances visuelles improvisées où le geste, les images
graphiques sur des thèmes triviaux et la narration avaient déjà pris place, ne manquant
que l'aspect musical. La dimension nomade de ces objets était déjà présente, avec des
spectacles ambulants par Thomas Walgenstein ou Carmontelle.
Louis Betrand de Castel cherche de son côté à construire un clavecin oculaire, mais en
vain, cependant il nous lèguera son Optique des couleurs, publié en 1740. Grâce aux
instruments créés ou à leur recherches associées, nous pouvons remonter jusqu'à
l'époque qui les a portés et sommes à même d'étudier leurs usages et place dans les
interventions au sein des spectacles. Paradoxalement, s'il ne reste que peu de traces de
certaines représentations qui ont porté ces instruments, il nous reste un détail précis des
plans de construction de ces objets, quand ce n'est pas l'objet en lui même. Parfois, ces
19
instruments sont juste un support de création qui entrent en jeu dans le processus d'un
artiste, comme pour Ludwig Hirschfeld-Mack, étudiant au Bauhaus, construisant la
machine «Farbenlicht-Spiel» en 1921, qui sera le support de projection servant à la
réalisation de ses peintures, mais aussi un accompagnement visuel pour piano lors de
performances en 1923. A la même époque, le peintre Baranoff-Rossiné présente son
piano octophonique à Moscou, pendant que Laszlo Moholy-Nagy crée lui aussi au sein
du Bauhaus le « Licht-Raum Modulator », sculpture jouant avec la lumière et aussi
destinée à la scène. Alexander Laszlo construit en 1925 un appareil synchronisant
lumière et musique. Il développe dans son livre Farblicht Musik un système de liens
entre lumière et accords musicaux.
Plus proche de nous, Brian Gysin propose de détendre son esprit avec la « dream
machine », sortie du psychédélisme et présentée lors des Acid parties au alentours des
années 60. Cette machine s'expérimente les yeux fermés et est aujourd'hui encore
utilisée lors de concerts. Ces machines peuvent être comparées à un équivalent ancien
des formes colorées aléatoirement et se mouvant en fonction de l'onde sonore que l'on
peut voir au sein des logiciels qui permettent d'écouter de la musique, cependant le
mouvement qui a animé la construction de ces machines et abouti à la production de
films, peintures ou représentations issues de celles-ci peut se résumer au mouvement
appelé Lights and sounds, rassemblant comme le Vjing divers profils de créateurs et
d'intentions, prolongeant les recherches de correspondances entre le sonore et le visuel.
1.4 Cinématographe et VJing, du montage au mixage
Avec l'arrivée du cinématographe en 1895, les liens entre sonore et visuel
prennent de l'ampleur. La chronophotographie puis le cinéma s'établissent au sein des
arts reproductibles, engendrant un changement de statut dans les arts en opposition
avec la peinture et la sculpture, basés sur la rareté et l'originalité de l'objet. L'image est
reproductible, peut importe l'original. En Vjing, on inverse cette tendance, l'image
« récupère » une aura de part son assemblage au sein d'une construction visuelle et
20
sémantique qui ne peut jamais être la même – singulière - (mais intégrée au sein d'une
sérialité par le nombre de performances répétées, donc récupérant sa reproductibilité de
par la répétition), ainsi qu'au sein d'une composition sonore elle aussi mouvante. Cette
position d'un aura appliqué à un art reproductible, induite par le temps réel et
l'improvisation peut être vue comme moderniste, cependant son inclusion forte au sein
de son temps par les conditions de sa représentation, son contexte et ses images ne peut
que faire du Vjing un art issu de son époque, un post-post-modernisme contemporain.
Photographies issues de la performance Exploding Plastic Inevitable
Si le Vjing avait déjà lieu avec des diapositives et l'arrivée des premières caméras
vidéos dans les années 60 avec les performances multimédias organisées par Andy
Warhol et le Velvet Underground, The Exploding Plastic Inevitable ou encore avec les
Pinks Floyds, premier groupe musical audiovisuel, et leur lights shows inclus dans
leurs concerts, nous émettons l'hypothèse qu'il était aussi possible de faire des
performances en temps réel avec le support pellicule, avec plus de difficultés
probablement, cela a eu lieu mais ne s'est pas développé en dehors du cinéma
expérimental4 car les conditions de son émergence n'étaient pas encore là, bien que
Gene Youngblood ait écrit dès 1970 Expanded cinema, préfigurant l'intervention du
média vidéo dans l'espace public, ou que des expériences de participation du public à
l'histoire aient été réalisées en cinéma avec le Kino-Automat5 (Présenté au pavillon
4 Cf. les performances de Klonaris et Thomadakis.
5 De cette expérience on notera que les nombreuses sources retiennent le dispositif mais
21
Tchèque de Montréal en 1967, le Kino-Automat est considéré comme la première
expérience de cinéma interactif, avec des boutons sur les sièges de chaque spectateur
permettant de choisir entre deux suites possibles à l'histoire, avec l'intervention d'une
performeuse cinq fois durant le film). Par ailleurs, le fonctionnement du cinéma et celui
du Vjing sont intrinsèquement différents . Le cinéma est un art basé sur un montage
final qui ne changera plus une fois terminé, et basé sur une narration. Le Vjing possède
la liberté d'effectuer le montage de mêmes images à chaque fois différemment au sein
de la même performance ou à chaque représentation par l'utilisation d'une base de
donnée d'images, avec la possibilité de passer de la narration à la non narration, de la
vidéo au dessin et à la 3D de manière libre, jonglant entre les genres ou prônant
justement l'absence de genre. Pourtant, le Vjing renoue avec des questionnements ayant
eu lieu aux débuts du cinématographe, avec la relation de supériorité ou non de l'image
sur la musique, l'établissement des codes de la narration, du rythme visuel, etc.
Le cinéma muet établit une relation privilégiée entre musique improvisée et images
montée. Au fur et à mesure que la grammaire cinématographique s'installe, la musique
se fait illustrative, entièrement dominée par la narration des images. Des liens
pourraient être établis au sein du cinéma muet entre les codes colorés attribués à
certains genre de scènes et les morceaux joués par les orchestres au moment de la
projection, cependant trop peu de partitions dédiées aux films muets ont survécu au
temps pour en certifier. Une version contemporaine appelée cinémix consiste à
resonoriser un film muet avec une bande son qu'il n'avait pas à l'origine, tel le film
Three ages sonorisé par le musicien Jeff Mills. Dans certaines version avec VJing,
l'ordre des séquences est modifié selon la volonté du vidéaste, créant une nouvelle
narration à l'intérieur d'une histoire déjà établie, questionnant son sens originel, lorsque
il ne s'agit pas d'une performance uniquement basée sur des scènes de films différents.
Ralenti, pauses, silences dans l'image et dans le son nous font réfléchir sur le matériau,
sur la vision contemporaine de cette époque passée, etc. Nous pouvons nous demander
si l'archivage du processus est possible, si la conservation d'une performance issue d'un
film modifié constitue en soi la trace de ce processus.
s'abstiennent de parler du résultat que le film a pu donner, comme si l'innovation du dispositif se
suffisait à elle-même, peut importe le résultat escompté.
22
Parallèlement à l'émergence du cinéma narratif, ce média est aussi utilisé par les
artistes des arts picturaux et des chercheurs, les recherches d'abstraction
cinématographiques de l'époque avec Len Lye, Oskar Fischinger, Mary Ellen Bute
puis Norman Mc Laren montrent des recherches de synchromies, d'images et de formes
lumineuses en rythme avec la musique presque en même temps que perdurent les
débats sur l'art total au sein des autres arts (art déco, dadaïsme, futurisme, etc). Ces
recherches donneront naissance au courant de l'art vidéo, du dessin animé et du film
expérimental, en marge des institutions et du cinéma, tout comme le Vjing. C'est une
discipline visuellement très proche du Vjing dans ses formes les plus expérimentales,
de part sa liberté visuelle (pas de codes ou de règles pour filmer comme en cinéma),
proche de l'art vidéo, qui partage cette caractéristique. Le Vjing et l'art vidéo sont
d'autant plus proches qu'ils utilisent le même outil, la vidéo numérique ou analogique
Nam Jun Paik, les Vasulkas, Bill Viola ou Jeffrey Shaw retrancheront ce média dans
ses limites physiques et spatiotemporelles.. Tout comme le Vjing, cette discipline
n'hésite pas à utiliser des images préexistantes, à modifier sous-titres, voix, utilisant
effets, situations ou actions en concordance avec la démarche et le sens induits par
l'artiste. Cependant elle est pleinement reconnue par le milieu de l'art contemporain et
participe à son marché, au contraire du cinéma expérimental qui se voit méconnu du
cinéma dominant.
Cependant les débuts du cinéma révèlent aussi des formes plus libres, entre 1932 et
1933, Alexandre Medvedkine invente la forme du ciné train, ou kinopoezd en URSS.
Utopie itinérante réalisée qui n'aura pas duré plus de 294 jours, il s'agit d'un train
comprenant laboratoire, salle de montage et moyens de projections. Cette forme n'est
pas musicale, mais elle illustre une méthode du filmer-monter en un ou deux jours qui
ressemble à un ancêtre du temps réel6 . De plus, le nomadisme induit par le chemin de
fer est similaire à la réappropriation de l'espace parfois pratiquée en Vjing. La portée
révolutionnaire et documentaire de ce projet se retrouve aussi dans des formes de Vjing
militant (projections illégales, Vjing d'images documentaires d'ouvriers...) héritant du
mouvement de ciné-action ou cinéma-vérité, cherchant l'objectivité des faits.
6 Proche de la possibilité de directement montrer ce qui est filmé.
23
Hervé Bazin postule que le cinéma est l'art le plus proche de la réalité, de part la
captation de fragments de celle-ci, à l'inverse des arts plastiques dont le but inavouable
serait de dépeindre des objets du réel afin d'en garder une trace qui dépasserait
l'existence de son créateur dans un processus d'embaumement issu d'un complexe
mental de pulsion de dépassement de la mort. Cependant les arts plastiques ne
cherchent pas nécessairement à dépeindre un double du monde, d'autant plus que
depuis ils se sont fondus au monde, créant une frontière imperceptible entre objets du
réel et réalité, entre art et non-art. Par ailleurs, le Vjing ne se situe pas dans une
recherche d'illusion de la réalité mais comme un point de vue subjectif et artistique sur
ou par le biais des images parfois réalistes (webcams, téléphones portables, vidéos...)
ou au contraire tenant des partis pris formels assumés (pixels, flou général, effets...)
participant à la production du sens qu'il offre à la vision du spectateur, par la base
d'images connues ou totalement nouvelles, tout comme en art vidéo. Ceci d'autant plus
que le Vjing fonctionne rarement avec l'aide d'une production, il s'agit plutôt de
démarches individuelles, associatives ou au sein de collectifs informels, l'excluant des
industries culturelles dominantes, pour le moment.
Plus encore, si le cinéma narratif trouve son archivage facilité par son support fixe, d'un
temps standardisé selon qu'il soit court, moyen ou long métrage, le VJ ne peut
enregistrer directement ce qu'il effectue de par la complexité de ses gestes et choix au
sein d'une base de donnée. Son temps de performance peut durer de quelques minutes à
une nuit entière voire plus (au détriment de la qualité probablement). Dans ce cas là,
faut il conserver toute la base de donnée, juste l'écran lors de la performance, tout le
temps de la performance?
1.5 Images immatérielles et matériaux réels : performance et interactivité issue des arts numériques
L'utilisation d'une base de donnée de vidéos et du temps réel relie le Vjing aux arts
numériques ou à l'art vidéo bien plus qu'au cinéma. Beaucoup d'installations d'arts
numériques fonctionnent sur un choix aléatoire d'images, sur leur accumulation et leur
24
absence de liens créant des associations d'idées dignes d'Internet7. Dick Higgins utilise
trois catégories pour qualifier les œuvres mélangeant plusieurs médias : intermedias,
mixed medias et multimedias. Le Vjing se place la plupart du temps dans les
intermedias, de par son lien entre l'art et la vie dans le décloisonnement des arts, non
plus dans un double de la vie comme dans l'œuvre d'art totale mais en elle même, bien
que selon les performances cela puisse changer.
La relation La liberté, parfois l'esthétique du bug et des dysfonctionnements (dans une
esthétique du Glitch par exemple) sont utilisés comme dans les performances net.art8.
Des références aux jeux vidéos, à l'univers des mangas et à la culture populaire peuvent
être faites, brassant le flux d'images ininterrompues de notre quotidien lié à la
mondialisation, afin d'en tirer un sens parfois proche du non-sens, cherchant à
réintégrer une vision personnelle, non formatée et différente de ces images produites
pour vendre du rêve passif. Cette performance est comme une réponse d'humain face à
un flot inhumain cherchant à formater son vécu à base de clichés, permettant au
spectateur de redevenir actif par l'usage de la performance, de se relever de son fauteuil
(beaucoup de performances voient leur public et les performeurs se tenir debout).
tleesioivn par Kro de la Bestiole, la télécommande se situe hors champ, dans le public.
Une fois levé, le spectateur peut venir intégrer des performances où il est pris en
7 Cf. l'installation Manège de Claude Closky.
8 Cf la performance de Jodi à Mal au pixel 2009 où il est possible d'observer une série
d'accumulations de vidéos ouvertes en même temps et sur un même thème, qui font se retrancher
l'ordinateur aux limites de ses capacités, voir l'annexe.
25
compte de manière interactive, comme dans la performance tleesioivn par Kro de la
Bestiole où le public est invité à zapper du flux télévisuel par le biais d'une
télécommande, pendant que l'artiste modifie le son et l'image de la source
(télé)visuelle, à coups de coupes nettes pour le son, intégrant silences, voix et breakcore
intermittent ainsi que de bugs visuels, créant une poésie hachée issue du chaos
revisitant un média télévisuel devenu décadent. La réinsertion du spectateur dans une
copie projetée du dispositif télévisuel le place dans un contexte d'usage familier par le
biais du zapping, mais les modifications des flux sonores et visuels insérées
progressivement amènent le spectateur à ressentir une inquiétante étrangeté, partagée
par le fait de devoir prêter une télécommande à d'autres inconnus, et dont il rend les
autres spectateurs passifs lors de son errance au sein des chaînes, se mettant alors à la
place de celui qui décide de ce que l'on va montrer tout en subissant les choix de ce qui
est montré par les chaînes télévisuelles.
Images de l'installation Cocoon, festival Vision'R 2010.
Ou bien il peut assister à des performances immersives, comme dans l'exemple de
Cocoon par Urbrain, Ilona & Philo présentée lors du festival Vision'R 2010, où le
spectateur est amené à s'allonger sur un tapis vibrant en fonction de la musique, mi-
électronique mi-acoustique par l'usage de bols tibétains, et assiste à des images de la
vue subjective que pourrai avoir un cocon, inspirée de Microcosmos et des planches
d'acupuncture, projetée sur une grande alcôve de tissu pendant qu'une chanteuse berce
les spectateurs d'onomatopées et que des huiles essentielles parfument l'espace.
Ce type de performance se situe à la limite de l'installation. Dans ce cas là l'image ne
26
peux expliquer la fonction du tapis vibrant, par exemple, et nécessite explications, il en
est de même pour l'ambiance parfumée. Cette performance renoue avec les
expérimentations immersives dans les arts numériques tout autant qu'avec une forme
contemporaine de revisitation de l'art total par des liens à la relaxation, à un
renouement avec la lenteur à contrepied d'une époque surmenée.
27
II. Émergence du Vjing au sein d'une culture numérique et musicale: de la TAZ à Internet
2.1 Industrie du vidéoclip et le Vjing, deux cousins germains se retrouvant au repas de famille de la musique
Parallèlement au développement des arts numériques, le vidéoclip comme forme
populaire a probablement contribué à l'émergence du Vjing, apparaissant avec la chaîne
MTV en 1982. Cependant ces formes sont différentes même si elles partagent des
caractéristiques communes, telles que leurs ressemblances visuelles (liens entre le
sonore et le visuel de dissonances, rythme, surdécoupage dans le montage, utilisation
d'effets visuels rajoutés à l'image d'origine,etc), leur liberté d'expression avec parfois
une absence de narration et des images sans tabou ou sur le mode du voyage ou de la
contemplation leur permettent d'être confondues par les non initiés. D'ailleurs beaucoup
de Vjs comme le duo Hextatic réalisent des clips vidéos, contribuant à perpétuer la
confusion. D'une part, il convient de différencier VJing des clips vidéos, car si le VJing
est une pratique live s'établissant dans la durée où le montage s'effectue en temps réel
avec les possibilités d'erreurs ou de trouvailles fabuleuses liées à l'improvisation- le
tout projeté en plein air-, le clip est une pratique télévisuelle qui se montre dans
l'accumulation- les clips défilent les uns à la suite des autres-, montée et de durée
courte, il est un produit issu des maisons de disques et donc correspond à une méthode
de vente du morceau musical où le réalisateur n'est souvent même pas nommé, bien que
pour le public il s'agisse de plus que de la promotion, l'image véhiculant une identité du
groupe, alors que le Vjing se veut tout aussi important que la musique, et si les Vjs
gardent aussi l'anonymat, ils escomptent bien établir un point de vue, une force
artistique, un processus non alignés sur les standards de l'industrie (comme l'utilisation
d'images non libres de droits) et surtout non récupérables par celle-ci puisqu'en dehors
de ses réseaux dominants (MTV, chaînes de télévision musicales...) pour ses formes de
diffusions les plus autonomes, dans les cas du festival et de la projection dans l'espace
public. Ses formes plus commerciales telles que le Vjing de club se placent dans une
28
même mouvance que le clip, malgré les différences intrinsèques à leur pratiques. Par
ailleurs, le VJing contredit la vision adornienne prônant que la musique populaire ne
pourrait être qu'un produit de l'industrie. A la fois, le mouvement des musiques
électroniques recrée une élite et une communauté d'amateurs éclairés de part ses
réseaux de diffusion bien particuliers et à la fois s'est démocratisé et a été récupéré dans
des ersatz industriels (musique en clubs, passages à la télévision, fêtes à vocation
commerciale...). Cependant il est fort possible d'imaginer qu'au départ le clip ait pu
influencer les futurs VJs à faire naitre (ou renaitre) cette pratique au sein des musiques
électroniques, puisque nous ne connaissons pas à ce jour l'inventeur du Vjing et la
question ne se pose pas puisqu'il s'agit d'une volonté de retrait de la part des Vjs (un
parti pris politique), d'un échappement au traçage, en accord avec le mouvement des
musiques électroniques.
2.2 Les musiques électroniques, un lien fraternel au Vjing par similarité gémellaire
Afin de mieux comprendre les liens entre musiques électroniques9 et Vjing, il faut
en revenir à l'émergence de celles-ci, car elles ont contribué à faire connaître et diffuser
le Vjing depuis leur naissance dans une version populaire à la fin des années 80, de part
les nombreuses caractéristiques communes et complémentarités entre le ces deux
domaines, et si l'apparition de la vidéo vient à point nommé compléter les musiques
électroniques, c'est peut-être parce que la machine ne laisse rien apparaître de comment
elle crée et modifie le signal pour le transformer en son, au contraire d'instruments de
musiques où les gestes du musicien sont directement à l'origine de la transformation en
ondes sonores et donnent au spectateur quelque chose à voir lors d'une représentation.
La plupart du temps en musiques électroniques il y a un manque scénique, étant donné
que tout se passe derrière un ordinateur ou des platines vinyle. Par ailleurs, une certaine
part des DJs revendiquent l'anonymat de leur personne (par l'usage de pseudonymes
9 Cf. La techno, Guillaume BARA, Librio, 2001.
29
parfois multiples, parfois de masques ou de costumes...), et l'image devient l'élément
captivant qui empêche et parasite le transfert à la personnalité du créateur sur scène,
apportant par sa diversion une plus-value et une autre dimension à l'univers musical,
d'autant plus que l'élément musical au sein du mix improvisé, pratique spécifique à la
techno tout comme à l'improvisation en Jazz, se révèle le support d'une transe, dont les
auditeurs cherchent à repousser les limites en terme d'écoute (musique très forte) et de
durée (les raves peuvent durer jusqu'à plusieurs jours). Cette idée de transe et
d'immersion se retrouve dans la présence de plusieurs arts communiquant plus ou
moins entre eux, mais pas dans la perspective d'atteindre ou de retranscrire le tout de la
vie, plutôt dans un rassemblement catharctique autour de la musique et des images,
cherchant l'extrême, le rite de passage ou la rupture avec le quotidien plutôt qu'un
double parfait de la vie, avec un public lié à une performance : sans public, pas de fête,
pas de live audiovisuel, perpétuant l'utopie d'un art en réseau. Cependant il s'agit de
fêtes muettes, où le principal intérêt est la synesthésie comme support d'une trance,
rassemblant un public très varié, mais cela ne signifie pas que ce public communique, il
communie seulement avec la musique et les images qui lui sont proposées, dans une
extase plus ou moins mortifère, dans un oubli de soi au sein d'une communauté
utopique se voulant tribale.
2.3 La machine comme support essentiel de création artistique et de réappropriation du monde
Critique et paradoxalement usage d'une technologie mortière sont le point de
jonction essentiel entre les musiques électroniques et le Vjing, par de nombreuses
similarités liées à leur dispositif technique et son fonctionnement (machines
analogiques et numériques, logiciels en temps réel, opacités des pistes, boucles...). En
effet, les musiques électroniques sont un genre musical lié à l'évolution des machines et
de la technologie tout comme le Vjing et les arts numériques. Ces deux domaines
peuvent puiser historiquement dans des références artistiques allant jusqu'aux avant-
30
gardes et liées à une vision globale des arts ainsi que de la technologie, réveillant
l'ancien démon qu'est l'œuvre d'art totale.
Depuis le début du XXème siècle, la considération de l'Homme envers les machines a
évolué différemment au sein des arts. Suivant l'idéologie du XIXème siècle que le
progrès apporterait le bonheur et faciliterait l'existence, les futuristes prônent l'apologie
du modernisme et de la vitesse et voient la technologie sous un œil positif. Ce sont les
premiers à considérer l'utilisation des bruits de machines comme de la musique avec les
travaux de Russolo et Pratella, mais dans une dimension d'apologie de la machine et du
chaos. Russolo dans L'art des bruits explique:
« La vie antique ne fut que silence. C'est au dix-neuvième siècle seulement, avec l'invention des machines, que naquit le bruit.[...]Aujourd'hui l'art musical recherche les amalgames des sons les plus dissonants, les plus étranges et les plus stridents. Nous nous approchons ainsi du son-bruit. CETTE EVOLUTION DE LA MACHINE EST PARALLELE A LA MULTIPLICATION GRANDISSANTE DES MACHINES qui participent au travail humain. »
Ainsi il considère le bruit comme un nouveau médium musical en liaison avec la
machine, dans un projet global, à la fois littéraire, esthétique, musical et sociétal. Son
apologie de la technologie va jusqu'à la construction de machines musicales en
collaboration avec le peintre Ugo Piatti qu'ils présenteront le 2 juin 1913 au théâtre
Storchi de Modène. Ils fondent sans le savoir l'ancêtre de la techno, suivis par les
mouvements de musique concrète, GRM ou encore par les dadaïstes.
Deux guerres et quelques temps plus tard, l'industrialisation s'est imposée comme le
modèle dominant et décline, fermant usines et délocalisant à tout va. L'homme n'a plus
la foi en la machine qui peut faire le travail à sa place ou le rendre esclave de son
propre rythme effréné. A Detroit, l'usine Général Motors ferme définitivement, laissant
sa population dans la misère. Derrick May, Kevin Saunderson ou Juan Atkins créent la
techno aux alentours des années 1987 pour se réapproprier à des fins créatives les
machines qui ont exploité les générations autour d'eux et modifié profondément le
paysage de leur quotidien.
« On a été amenés à créer cette musique inconsciemment, expliquera plus
31
tard Derrick May. On a pris l'idée des machines et on a créé nos propres sons. Tous ces sons provenaient de l'univers de la mécanique, de l'industrie, des machines, de l'électronique. De l'environnement qui nous a crée, en quelque sorte. »
En effet, la musique techno pour sa création nécessite l'utilisation de machines
(analogiques ou numériques) et reprend l'esthétique sonore de l'usine (le fameux boum
boum binaire et répétitif) et sa diffusion s'est beaucoup effectuée au sein des usines
abandonnées avec les raves parties. De ce fait, ce qui fut une perte pour la ville et ses
habitants au départ a permis a ces Djs et musiciens d'accéder à une certaine notoriété,
amenant Détroit à devenir la capitale d'un certain genre de techno, promulgué par le
label Underground Résistance. Il s'agit d'un mouvement culturel et musical qui va se
répandre aux zones désindustrialisées du monde entier10 avec plus ou moins de
réussite et de dérivation musicales, ce qui n'est pas propre au Vjing, celui-ci se
contentant plutôt de suivre les évolutions de la musique Techno et d'en porter les
mêmes caractéristiques plutôt que de suivre un courant, il est porté par des
personnalités plus ou moins singulières et oppose dans ce que l'on pourrait appeler des
catégories de Vjing à des similarités au sein de dispositifs et/ou de genres d'images sans
nécessairement établir de mouvement globaux à l'intérieur du Vjing.
Après la réappropriation des machines par l'Homme dans une société où la technologie
et les industries prennent une part de plus en plus importante dans nos vies (cf
l'informatique ubiquitaire), les musiciens et fêtards et VJs se réapproprient les lieux et
non-lieux de la désindustrialisation avec les frees parties et raves, poursuivant une
utopie de liberté à travers l'idéologie d'Hakim Bey avec son concept de Zones
Autonomes Temporaires:
« La TAZ est comme une insurrection sans engagement direct contre l'État, une opération de guérilla qui libère une zone (de terrain, de temps, d'imagination) puis se dissout, avant que l'État ne l'écrase, pour se reformer ailleurs dans le temps ou l'espace. »
Cette tentative d'échapper au quotidien pour détourner ou investir des lieux abandonnés
10 Cf Guillaume Bara :« En Europe, ce n'est pas un hasard si la techno va d'abord s'implanter dans le
nord de l'Angleterre, de la France, en Belgique[...] Toutes des régions en pleine mutation, frappées
par la désindustrialisation... », in. La techno.
32
ou non prévus à cet effet peut se voir comme une recherche de liberté et comme un
renouement avec des rites de passages (avec la transgression, l'interdit...), ou un
renouement avec la nature dans une société fortement technicisée. Nous pouvons aussi
y voir un lien avec les rites dionysiaques ou païens dans un besoin de sortir du
quotidien afin de procéder à la catharcis, exutoire permis par par la performance
synesthésique et de renouer, en théorie, avec une communauté basée sur l'intérêt
musical et visuel le temps d'une nuit, indépendamment des questions de classes
sociales. La TAZ, tout comme les happenings ou events Fluxus, ne peut exister sans la
présence de personnes y participant. Cette dimension humaine est particulièrement
importante car elle est la condition à l'évènement. C'est aussi le cas des situationnistes
et des mouvements comme ceux de Reclaim the streets qui cherchent à réinvestir un
espace public de plus en plus privatisé. Il s'agit aussi d'un engagement de faire la fête
quasi gratuitement à l'air libre, avec des artistes proposant des performances aux
contenus hors catégories, parfois aussi formatées par cet hors catégorie devenu norme,
lorsque rares sont les endroits pour échanger et s'amuser sans devoir consommer,
assister à des performances musicales aux standards des industries et s'enfermer. Et si
la performance se réalise en dehors de toute institution, c'est parce que la liberté
permise peut aboutir à des résultats bien plus intéressants, en se frottant au monde réel,
c'est ce que nous explique Paul Ardenne dans Un art contextuel. Il illustre très bien la
manière dont ces formes d'art sont récupérées par les institutions et à la fois
pourchassées par les pouvoirs publics:
« Non pérennité, non-programmation des formes d'art public: leur destin est de l'ordre du surgissement, et leur durée de vie des plus brève. Activiste volatil, l'art public non programmé suscite l'acquiescement ou l'ire des pouvoirs publics, qui laissent faire ou interdisent selon les rapports de force du moment. Ou encore récupèrent à bon compte cet art d'insoumission qui leur permet de faire valoir en place publique leur goût du « subversif ». ».
Ainsi nous pouvons faire un parallèle entre l'époque révolue des frees parties et l'art
contextuel (Paul Ardenne y inclut le graffiti, les processions, les installations
éphémères...) qui, si elles sont des pratiques fortement appréciées du public car à
l'initiative d'un semblant de lien social et créant une discontinuité dans le quotidien,
33
sont vues d'un œil négatif par les politiques11 et à la fois récupérées par les institutions
culturelles12 par la création de fêtes légales, appelées « sarkovals » dans le jargon;
enfin récupérées aussi bien par un mercantilisme basique, annihilant toute
revendication subversive, que par des méthodes de marketing en mal d'inventions.
Ainsi l'engagement du mouvement techno aura fortement influencé la pratique du
Vjing par son expression dans un contexte de plein air et insufflé à celle-ci un vent
subversif avant de se faire récupérer, archiver, précédée par une frange moins extrême
des musiques électroniques.
La réappropriation de l'espace, même si elle ne se revendique pas comme politique est
un acte engagé, poussant à son paroxysme la logique de réappropriation de la technique
par un « retour aux sources », appelant l'éternel débat entre la nature et la culture dans
lequel serait tiraillé l'Homme, allant à l'encontre d'une économie qui fragmente l'espace
public et d'une technique nous ôtant tout besoin de déplacement, puisque nous somme
reliés d'un bout à l'autre de la terre avec Internet. Acte engagé car à la fois forcé par la
difficulté d'organiser des évènements musicaux indépendants face à un état et des
communes réticentes aussi bien que par la volonté de se mettre hors de portée du star
system et des réseaux dominants de l'industrie culturelle, tout en portant sur eux un
discours critique par la réutilisation de leur « produits » par l'utilisation du sample et du
recyclage.
11Cf. l'amendement Mariani en 2001 visant directement les frees-parties en France.
12 Pour cautionner des politiques locales interventionnistes, selon Paul Ardenne, in. Un art
contextuel.
34
Partie II
Dispositifs, contextes et matériaux face à l'archive
2.1 L'enregistrement comme représentation d'un processus mnémonique ou comme monstration d'un stockage de données?
L'émergence des techniques reproductibles telles que la photographie, le film, la
vidéo et le son ont permis dès le début, la réutilisation et modification des contenus par
l'usage de la copie de l'œuvre. Au départ était le found footage (récupération de films
jetés ou non utilisés), ont suivi avec la vidéo le sampling, pratique déjà largement
utilisée en musique, facilitée par l'usage de l'informatique musicale. Il s'agit d'extraire
un morceau (parfois infime d'une microseconde) d'une production sonore ou visuelle
déjà existante et de l'assembler et le modifier à sa guise afin d'en constituer une part
d'une autre œuvre indépendamment du contexte originel de production de cet extrait.
Cette pratique est tolérée du moment que le passage est court et non reconnaissable,
cependant la question du droit d'auteur dans cette méthode de travail est sujet à de
nombreux conflits lorsqu'il s'agit d'œuvres connues.
Elle s'inscrit dans une tendance post-moderne de recyclage, de parodie et de citation
très largement utilisée et répandue sur Internet, créant dans les domaines artistiques de
la musique et de l'image des assemblages inédits par le rythme, la mélodie, les
découpages, collages, dissonances... Elle trouve probablement son origine dans les
industries culturelles qui ont considéré les œuvres musicales ou filmiques comme des
produits jetables1, qu'à force les artistes ont choisi de réutiliser pour aller jusqu'au bout
de cette logique et la dénoncer. Considérer qu'une œuvre puisse être jetable, c'est
considérer uniquement l'aspect de mode et de consommation de celle-ci. Or, une
œuvre, même passée de mode, peut toujours toucher les personnes qui seront amenées
1 Les films des grosses industries, une fois passés au cinéma étaient récupérés pour le celluloïd
qu'ils contenaient, permettant de faire des objets de la vie courante.
35
à la voir, sa portée peut dépasser la dimension temporelle.
Cécile Fontaine dans Monter/sampler, l'échantillonage généralisé nous explique que
« La réappropriation est une tentative de neutraliser un lieu, une œuvre aliénante ».
Nous allons plus loin en étayant qu'il s'agit aussi d'un moyen de questionner un
matériau sonore ou visuel, son origine, l'intention qui a pu avoir lieu avant sa
production, et même trouver un sens dont son auteur était inconscient afin de nous
positionner par rapport à des œuvres ou produits audiovisuels par des industries, et des
médias et des dispositifs de loisirs. Il s'agit aussi de se questionner sur notre rapport à
ce matériau extérieur à nous, sur comment nous l'intégrons ou le rejetons au travers de
notre vision du monde.
L'artiste compositeur Herbert ou le duo Coldcut en sont des exemples parlants. Le
premier connu pour son engagement a créé un album entier sur des pistes sonores
composées de bruits provenant uniquement de grandes enseignes de la restauration
rapides ou de destruction de CDs, tandis que les deuxièmes ont pratiqué le mash up,
consistant à mélanger deux mélodies différentes issues de morceaux connus pour
arriver à un hybride hors la loi pouvant lui aussi devenir un tube, paradoxalement.
En vidéo, les performeurs utilisant uniquement des images récupérées peuvent se
retrouver chez Hextatic, Kro de la bestiole, Tasman Richardson, Rko...
Avec la pratique du DJing, le mélange de plusieurs morceaux est devenu une norme; la
rupture ou le silence deviennent l'élément perturbateur dans une pratique de mix où la
particularité est le temps long, la transition et l'élaboration d'un autre morceau à partir
du mélange de plusieurs passages de morceaux. Cependant le VJ ne peut être comparé
au DJ, car bien des cas de figures montrent des veejays travailler avec les matériaux
qu'ils ont créé ou travaillent à partir de logiques différentes du seul mélange de
plusieurs sources. La pratique du mix reliant des éléments hétérogènes dans un temps
long peut se voir comme un reflet d'une époque contemporaine où des expériences
singulières sans rapport les unes avec les autres tout autant que l'embrassement
d'engagements idéologiques allant à l'encontre d'actions consommatrices quotidiennes
peuvent coexister sans problèmes. C'est l'époque de la cohabitation des paradoxes,
comme le prône Gilles Lipovetsky dans son livre L'ère du vide, où il évoque cette perte
36
des repères à l'époque contemporaine où les individus sont devenus fragiles au sein
d'une société régressive.
Le Vjing utilise aussi les procédés du sampling et du mix. Le remix1 est considéré
comme une pratique montée. N'étant pas en temps réel, il ne fait pas partie du Vjing2
même si des VJ peuvent s'adonner à cette pratique, tout comme les musiciens peuvent
créer des œuvres musicales et avoir une activité de réinterprétation ou de mix (parfois
avec des titres d'autres artistes) de leur morceaux en live. Cette pratique questionne
l'authenticité des traces par leur remise en question, et démontre un parti pris de fin du
mythe de l'originalité chez l'artiste. Dans le cas de samples d'archives, l'archive est
considérée comme un gage d'authenticité non vérifiable, elle bénéficie d'une
reconnaissance par l'autorité que représente le lieu d'archive, qui amène l'artiste à
questionner cette relation de reconnaissance. L'archive qui échappe au questionnement
artistique échappe à la possibilité de revivre, d'être valorisée. Elle devient amnésie et
non plus mémoire.
Cependant ce modèle dominant de mix au sein de la pratique VJ est devenu une norme
avec l'utilisation des logiciels, dont la plupart fonctionnent sur le principe de boucle, la
plupart du temps utilisé avec des contrôleurs analogiques, fonctionnant sur la norme du
signal midi. Certains artistes faisant ce constat se sont impliqués dans la recherche et
création de nouveaux outils afin de trouver de nouvelles manières de faire, de penser et
de servir le sens de leur performances audiovisuelles par le biais de la programmation
et du circuit-bending, pratiqués autant en musique qu'en vidéo.
On peut établir la même comparaison entre des artistes concernés par les outils qu'ils
utilisent et ceux qui se contentent de choisir ceux mis à leur disposition dans le
commerce avec le domaine de la peinture. Il y a les artistes qui créent leur propres
pinceaux, pigments, châssis et ceux qui utilisent des outils déjà prêts. Cependant ce qui
domine au sein d'une œuvre réside dans le sens, dans ce qui est donné à voir (et à
imaginer) et dans le processus et comment ces outils servent et s'intègrent au sein de
1 Le remix est la reprise d'un morceau préexistant (avec ou sans consentement de l'artiste) et sa réinterprétation ou reconstruction dans son intégralité par un autre artiste avec son propre vocabulaire.2 Même si des pratiques qui ne sont pas en temps réel peuvent aussi faire partie du Vjing, à partir du moment où un élément est intégré en temps réel.
37
Outils utilisés par les artistes programmeurs : carte Arduino et logiciel Max Msp & Jitter à droite.
l'œuvre. Il en est de même pour le dispositif VJ, où les outils sont montrés au public et
participent de ce qui est donné à voir; ils induisent une esthétique du câble et de la
technique, malgré elle.
L'ordinateur a permis une diffusion à grande échelle de toutes sortes de contenus (du
discours politique aux vidéos amateur...), brassant les fluxs sans hiérarchie, faisant se
côtoyer le sérieux au trivial, mais permettant aussi aux artistes de créer des réseaux de
diffusion parallèles aux fonctionnements culturels dominants. La possibilité de
récupérer ces contenus et de les réutiliser et de rediffuser le contenu modifié est bien
plus grande grâce aux réseaux sociaux et aux sites de partage de contenus (Cf. Youtube
ou Flickr). Cependant ces contenus tendent aussi à une certaine uniformisation de part
leur modes de classements et leur diffusion.
2.2 Dispositif et liberté de création: La technique comme contrainte idéologique au sein des performances
Au palmarès des outils du VJ contemporain nous trouvons l'ordinateur, la caméra,
l'écran, le vidéo projecteur, les lecteurs DVD, les contrôleurs midi, les mixeurs vidéo,
etc, bien que nous pouvons trouver sur scène (lorsqu'il y en a une) attirail de musicien
(instruments, chanteur, etc) tables lumineuses, rétro/projecteurs (ou super8, projecteur
de diapositives...), écrans de télévision, aquariums, structures montées, consoles de
38
jeux ou jouets... Tous ces outils s'insèrent au sein d'une composition globale, le
dispositif, selon les envies et usages des artistes. Au contraire du cinéma, le dispositif
d'une performance VJ n'est pas toujours frontal (écran – public – projecteur, le tout
dans un noir relatif), mais librement configurable selon le lieu, la luminosité, la volonté
des performeurs. (se référer aux annexes)
Bien souvent on peut voir les VJs et musiciens face au public, l'écran derrière eux,
plaçant l'artiste et ses gestes devant l'écran, ou du moins bien visible par le public.
Cependant si les artistes sont face au public, cela ne veut pas dire que le public
comprend de quelle manière la performance se construit et quelle prise de risque est
effectuée. Les ordinateurs et outils laissent peu de transparence sur les actions qui sont
faites, la notion de temps réel échappant à un public novice. Cependant les instruments
audiovisuels comportant une visibilité d'une partie du lien entre geste et action sur le
son et l'image sont déjà plus explicites, par exemples des platines DJ configurées pour
avoir une action sur l'image projetée par le geste de la main sur les platines seront plus
parlantes qu'un ordinateur avec une personne derrière dont on ne peut savoir s'il fait
semblant de faire une performance ou s'il est en train d'inaugurer une avancée mondiale
en terme de création, conférant à la performance une aura de mystère technologique ou
d'incompréhension totale, engendrant une barrière entre le créateur et le public pour
peu que la performance soit trop austère du point de vue audiovisuel.
Ainsi si l'artiste ou une personne tierce ayant la volonté de conserver des traces de cette
performance oublie d'expliciter rôle et enjeux réalisés au travers d'annexes à un
enregistrement éventuel, cet enregistrement pourra rester un mystère total pour ses
futurs spectateurs. Il faudrait exprimer au sein même de l'archivage l'ambiguïté des
apparences (des machines, des éventuels costumes ou masques portés...), ainsi que
l'archivage d'un lieu à un moment donné afin de mieux comprendre l'appropriation du
lieu par les Vjs. Il s'agit aussi de rendre compte d'une position artistique, d'un être au
monde1 et d'un processus de représentation.
Le dispositif peut être un moyen de faire comprendre au public ce qui se passe, par
exemple avec des performeurs au même plan que le public, en rond les uns face aux
1 Cf. Le dasein chez Freud.
39
autres permettant aux spectateurs d'observer les agissements électroniques des
performeurs. Ainsi si l'importance du dispositif peut se faire envers ou pour une
compréhension des personnes assistant à la performance, l'implication philosophique et
éthique du dispositif a aussi son importance au sein de performances où la technique est
l'outil principal à une étape particulière de son évolution et dans un contexte
(technique, humain, topographique...) particulier, propre à l'ici et maintenant du
moment de la performance.
Pour Giorgio Agamben, le dispositif englobe plusieurs significations (philosophiques,
stratégique, technologique, juridique, politique, administratif, militaire...), mais surtout
hérite d'une signification foucaldienne où le dispositif est ce « réseau qui existe entre
ces éléments » et où ces différentes significations créent la définition globale du
dispositif. Il ne néglige pas de parler de l'héritage de la religion, notamment chrétienne,
sur cette notion de dispositif où Dieu « organise Sa maison, la vie et le monde qu'il a
créé », son oikonomia en grec-signifiant économie, son administration, son
gouvernement, venant du grec oikos, la maison. Cet héritage théologique dans sa
signification donne une dimension totalisante au dispositif, et induit une part
d'intégration de ce dispositif au sein même de l'individu : « Tout dispositif implique un
processus de subjectivation sans lequel le dispositif ne saurait fonctionner ». Il invoque
les processus économiques actuels comme des dispositifs de dépersonnalisation qui
cohabiteraient avec les milliers d'autres dispositifs faisant partie de notre vie
quotidienne. Pour récupérer sa place d'individu, il appelle à la resubjectivisation par la
profanation des dispositifs, autrement dit de se ré-emparer d'eux afin de mettre en
lumière cet « Ingouvernable qui est tout à la fois l'origine et le point de fuite de toute
politique. » Il faudrait donc pouvoir disposer des outils englobés dans un dispositif afin
d'en détourner leurs usages et permettre à l'individu de prendre conscience du sens
implicite qu'induit ce dispositif dans son usage culturellement admis (par exemple
l'utilisation du téléphone portable ou de la télévision).
La vision de désubjectivation du dispositif s'oppose à l'archive vivante comme
individuante et permettant un acte de liberté artistique. C'est là le paradoxe du Vjing,
alliant liberté artistique par le moyen d'un dispositif technologique.
40
Cette modification des outils n'est pas toujours possible à toutes les échelles, cependant
avec la technique, les outils deviennent modifiables. Les artistes l'ont bien compris et
n'hésitent pas à modifier l'usage des consoles de jeux (voir les VJs Pikilipita, The
noiser...), les télévisions, téléphones portables, etc, ces détournements et
réappropriations allant à l'encontre d'une vision issue du domaine commercial et
industriel s'intégrant pourtant au sein de logiciels, ordinateurs et outils numériques ou
analogiques que peuvent utiliser certains artistes lors de performances. Ces outils sont
certes faciles à prendre en main car intuitifs, mais s'avèrent souvent peu modulables et
permettent peu de liberté. Ils héritent de choix d'utilisation subjectifs en fonctions de
critères de vente ou de marketing qui peuvent avoir une incidence sur le processus de
création et lors de la performance elle même, allant parfois à l'encontre des idées ou
choix éthiques d'un artiste.
L'artiste vidéaste Angie Eng a un discours paradoxal vis à vis de ces logiciels. A la fois
elle les utilise car elle dit être incapable de programmer et à la fois les critique
fortement en soutenant qu'un enfant pourrait faire Vjing avec pour peu qu'on lui
apprenne quels boutons toucher, cependant serait-ce encore du Vjing en terme de
contenu et de démarche? S'oppose à cette vision le logiciel libre et la programmation
qui permettent une liberté chèrement acquise au prix de longues années d'apprentissage
et de pratique, soutenue par une forte communauté virtuelle.
Pour aller dans le sens de Giorgio Agamben, nous acquiesçons à l'idée que la technique
est porteuse d'une philosophie et d'une idéologie plus vaste que ce que l'on peut voir
dans un simple objet, de part son utilisation (dans quel but, quels gestes et intentions?),
son émergence au sein d'un contexte porteur d'une idéologie sur le monde tout comme
les vestiges archéologiques, à l'origine simples objets d'usage, deviennent des indices
pour comprendre la culture et le système de fonctionnement de l'époque qui les ont
portés.
Jacques Ellul (sociologue et penseur de la technique) soutient le contraire1 , exprimant
que la technique a dépassé son lien à l'économie, qui lui court maintenant après, et
qu'elle domine celle-ci, car elle représente le pouvoir. Quand bien même, le duo
1 http://sergecar.perso.neuf.fr/cours/technq3.htm
41
économie-technique représente l'idéologie dominante du monde actuel et tous deux
asseyent leur légitimité l'une à travers l'autre. Il y a un lien possible entre l'archivage
comme classement du monde dans un double incomplet par le biais de supports
subjectifs et le brevetage du monde comme démarche occidentale du classement
totalisant.
Par exemple, le téléphone portable est une invention technique censée nous rendre plus
mobiles en théorie, or en raccourcissant les distances pour se parler et en court-
circuitant les rencontres réelles, il nous ôte le besoin de nous déplacer pour déclamer ce
que nous avions à exprimer à la personne concernée, induisant ainsi des conséquences
liées aux usages dont nous n'avons pas toujours conscience.
Ainsi l'artiste peut utiliser les outils lui convenant, mais il doit être vigilant sur le choix
de ceux qu'il utilise, car ils peuvent formater ou modifier son idée de recherche et
induire une idéologie plus ou moins visible au sein de la performance, par exemple le
logiciel Resolume fonctionne avec trois pistes vidéo pouvant jouer en opacité les unes
avec les autres, par différents système d'incrustation (lumière, parties sombres,
pointillés...). Est ce réellement utile pour un artiste pratiquant la vidéo par découpes
nettes et en images non superposées ? Ou bien pour un artiste dont la démarche
nécessiterai le maximum de couches vidéo superposées possibles ? Par ailleurs, la
plupart des logiciels de Vjing sont limités à 3 sorties d'écrans. Ne parlons pas des effets
propres aux logiciels permettant de les reconnaître les uns entre les autres, que tout le
monde utilise...ou s'abstient d'en faire usage justement pour cette raison.
Interface en fonctionnement des logiciels VJ Resolume (version2.3) et Modul8
Ainsi, si l'évolution de la technique a permis un développement d'outils complexes
permettant à beaucoup de bénéficier de ses ressources, elle est aussi en train dde
42
favoriser une certaine uniformisation des pratiques créatives numériques, tout comme
on le constate déjà dans les pays industrialisés avec la mondialisation.
En effet, les logiciels utilisés ont souvent les mêmes fonctions, les mêmes effets, le
même système de fonctionnement (par boucles, superposition et opacité des pistes
vidéos), et ce qui pourrait distinguer les créateurs entre eux réside dans l'idée, les
images et le sens plus que dans les outils techniques. Cependant, certains artistes,
pratiquant la programmation informatique ou le bending vidéo/audio (personnalisation/
fabrication de machines électronique et ou analogique, souvent couplée à de la
programmation informatique), arrivent à générer des images et des logiciels plus
personnalisés en fonction du sens et du processus suivis, par l'adaptation de la
technologie à l'idée de l'artiste et non l'inverse. C'est ce sens et cette intention artistique
précédant l'acte qui crée la base de la performance, s'il s'agit juste de faire du technique
sans fin c'est se placer dans l'errance et se laisser guider par le progrès technologique
sans garde fous, sauf s'il s'agit justement de montrer cette errance dans une démarche et
dans un détournement critique.
Cette foi dans le progrès et dans l'avenir grâce à l'évolution nous ramène à l'ère de la
révolution industrielle, où avenir et progrès scientifique et technique allaient de pair
pour veiller au bonheur de chacun, modèle de pensée qui a déchanté avec l'arrivée du
XXème siècle et de ses guerres, mais qui pourtant persiste aujourd'hui avec le modèle
économique dominant (pouvoir en place et usage des archives institutionnelles). Dans
la Tyrannie technologique, Cedric Biagini et Guillaume Carnino explicitent la relation
du progrès au pouvoir (économique et politique) :
« On retrouve ainsi d'une part le lien typique des sociétés modernes entre innovation technologique et production capitaliste (...) il s'agit simplement de combattre le progrès en tant qu'idéologie partiale et partielle, masquant les véritables intérêts qu'elle sert ».
L'enjeu, lorsqu'il touche à la création artistique est important, car c'est l'un des derniers
lieux de liberté relative et d'expression individuelle au sein de la société. Si même la
création devient formatée, si toute subversion est de suite annihilée par des outils créés
pour nous faire intégrer une normalisation des œuvres, des idées, des moyens de
production, quel est réellement le statut de la liberté et de l'artiste, voire de l'individu au
43
sein de la société qui l'entoure? À contrario, Michel Gaillot explique que:
« ...au lieu de voir dans les nouvelles technologies une simple continuation ou consolidation de la technique sur l'existence, que nous n'aurions qu'à accepter passivement, il nous semble au contraire qu'une chance nous est donnée là de reconquérir et d'affermir notre liberté, notre autonomie, et notre indépendance vis à vis de tous les pouvoirs politiques, techniques, économiques. C'est pourquoi l'appropriation de ces machines dans un monde qui tend à devenir technologique dans sa globalité, constitue sans doute l'attitude la plus responsable que nous puissions avoir. »
C'est cette notion de responsabilité qui prend le pas sur la création et oblige les artistes
à prendre en compte les outils, moyens de production et la politique engagée au sein de
chaque performance. L'art lorsqu'il engage des moyens techniques ne peut se passer
d'une réflexion sur ceux-ci puisqu'ils sont issus d'un état technologique, un contexte de
création (économique, militaire...) qui orientent leur utilisation et la manière dont ils
sont conçus.
« Celui qui détient l'information détient le pouvoir de configuration du monde »,
d'après le théoricien de la communication Marshall Mac Luhan, or la technique
véhicule une vision du monde (par exemple la métaphore d'un bureau virtuel utilisée
par le système d'exploitation Windows ou encore les DRM utilisés pour éviter les
échanges de fichiers...), l'artiste doit donc pouvoir dépasser, s'approprier et à terme
partager cette conception du monde, via une transmission permise et délimitée par la
technologie elle même, en parasitant et questionnant les moyens déjà en place.
L'archivage personnel de l'artiste comme mis en place au sein du VJing devient donc
une réappropriation et un détournement de la réalité en place par une reconfiguration
individuante lors de la performance.
Par ce biais, c'est aussi rendre acteur le public plutôt que de le rendre passif en
l'infantilisant et en l'instrumentalisant à des fins politiques ou économiques comme il
est possible de voir dans les médias1, en mettant les moyens de création, les
informations à disposition des gens pour aiguiser leur libre-arbitre et leur autonomie,
une place pour l'altérité et une meilleure compréhension des œuvres (voir par exemple
1 Cf. No logo de Naomi Klein et les études de Noam Chomsky.
44
les nombreuses communautés d'échanges et d'entraide autour des logiciel de création
libre tels que Processing ou PureData) ou du matériel hardware tel que les cartes
électroniques Arduino très prisées chez les artistes numériques. Dans une « culture
populaire technique » telle que la conçoit Michel Gaillot, au sein d'un réseau horizontal
et non plus vertical (tel qu'on peut le voir dans les médias traditionnels), où l'individu
est son propre informateur et formateur et peut même créer ses propres logiciels, outils,
moyens de diffusion via un système de libre échange tel que soutenu par le copyleft,
Créative commons ou le système des logiciels open source (pas forcément en désaccord
avec le copyright mais permettant plus de souplesse et d'échanges par rapport à celui-
ci). La plupart des Vjs partagent ce mode de pensée de libre contribution et induisent de
ce fait une volonté de libre partage des images – Le mot « anarchive » en est un dérivé,
avec pour but le questionnement et l'échange de points de vues au sein du plaisir que
peut procurer la performance. Cela devient plus un archivage du réseau et des échanges
que l'archivage d'œuvres finies, comme on peut le voir avec les performances Wjs1.
2.3 Art et économie, pas de place pour l'utopie du petit Vjing
Le Vjing a réussi à mêler l'art et la vie, réalisant le fantasme du mouvement Fluxus
et la recherche de réalisme onthologie quez Bazin2, cherchant à dissoudre la frontière
entre cinéma et réalité - ce serait considérer que filmer est comme archiver, or ce n'est
pas seulement son but. Et si l'art est partout, l'art n'est nulle part. Se transfigurant en
banal, il n'est plus « l'utopie de l'art comme bulle de résistance » dont parle Jean-
Claude Moineau3, « résistance désolidarisée de toute critique », ce que l'on constate
1 http://www.wj-s.org/
2 Cf. le concept de momification à l'origine des arts plastiques selon Bazin, qui serait causé par un complexe psychanalytique, s'exprimant par une obsession de survivance d'objets du réel par leur reproduction au sein d'œuvres triomphant sur le le temps. La photo viendrait remplacer ce complexe. Il s'agit d'une réduction des intentions des artistes utilisant peinture ou sculpture, qui ne se basent pas forcément sur la reproduction du réel (voir les peintures abstraites ou l'art maniériste – utilisant des effets non réalistes tels que la serpentine ou des éclairages impossibles en milieu naturel-par exemple).3 in. L'art dans l'indifférence de l'art
45
dans un certain nombre de performances, souvent liées à l'amateurisme mais pas
seulement, une tendance générale au formalisme absent de toute démarche se retrouve
dans le Vjing de club et dans certaines performances, rassemblant engagement factice
sans aboutissement et/ou un nombre d'images aléatoires sans qualités ni réflexion.
Arguant que toute résistance est absorbée par l'objet même qu'elle critique, il nous
incombe de ne plus tomber dans le travers des utopies que porte le champ de l'art, selon
Moineau. La plus grande subversion quand la subversion est devenue une norme de
l'art, est la neutralité, ne signifiant pas une absence de sens, mais un entre deux entre art
et réalité. L'hypothèse est que cet entre deux redonnera une place à l'art, puisque celui-
ci a trouvé une norme dans le banal, dans le non art à base de l'art, ne pouvant plus être
art tel que le modernisme et les utopies avant-gardistes le concevaient.
L'anti- spectaculaire, le banal se veulent des réponses embrassant une non adhésion à la
réalité en place, mettant en place un art presque invisible (voir les actions-peu de Boris
Achour ou les Monochromes audiovisuels du collectif Rybn – en annexe), entraînant
dans son sillage la possibilité d'un archivage de l'invisible, de l'immatériel.
Jean Claude moineau déclare que le champ de l'art a connu un schisme, séparant un art
cherchant l'autonomie de son champ face à un art cherchant à détruire ce premier
champ, laissant ces deux champs exempts, tourner à vide, montrant l'échec de la
résistance de l'art face à l'industrie culturelle. Cette tendance s'observe dans les
expositions à gros budget organisées par les réseaux de l'art officiel, elles ressemblent
fortement à un Disneyland de l'art. Le mot entertainment nous est venu à l'esprit lors
des visites à ces expositions-usines telles que La force de l'art, dont le but semblait être
le nombre de visiteurs croissant1.
Ce discours d'une marchandisation de l'art officiel et dominant est aussi tenu par Ben
Lewis, révélant avec son documentaire L'art 'explose (censuré lors de sa rediffusion en
France ndrl) au travers d'une investigation auprès des galeristes et acheteurs d'art
connus dans le monde de l'art international. Il y révèle comment les actionnaires ont
investi le marché de l'art et, avec la complicité des galeristes fait monter et descendre la
1 Afin de justifier l'emploi d'une armée de médiateurs culturels? Il y a un certain cynisme à considérer le spectateur comme non capable d'appréhender l'art de lui même, transformant sa visite en tourisme culturel au sein d'une exposition de l'art marchand et officiel.
46
côte des artistes comme l'on jouerait à la bourse, considérant l'art comme un autre
moyen, plus original, de rentabiliser des actions, blanchir de l'argent (selon Ben Lewis),
etc. Rendant l'achat des œuvres de certains artistes impossible pour les musées, cette
manipulation le permet encore moins pour d'éventuels lieux d'archivage, pour qui le
fonctionnement de l'art vidéo ou de la photographie à tirage limités empêche toute
formation de fonds d'archives par les lieux d'archivage, étant donné que les musées
sélectionnent leurs œuvres sur la base d'un art officiel et dominé par son marché.
Dans un article du Monde Diplomatique d'avril 2010 intitulé Créateurs en mal de
provocation, Dany-Robert Dufour exprime cette réduction de l' art par son marché et
ses moyens de production, qui a d'autant plus lieu au sein des arts numériques de part
les outils nouveaux :
« L'art ne se réduit pas à un discours, un message, il dit ce que l'on ne sait pas encore, il rend visible ce qui n'était pas encore répertorié1, il ajoute au monde connu. Or, cette quête révolutionnaire se trouve désormais, dans l'art contemporain officiel, réduite à de la simple innovation, cette caractéristique de la production capitaliste, très logiquement exigée par le besoin de créer de nouveaux désirs. Il s'ensuit une confusion majeure entre la simple innovation et la quête du sens. »
Ce discours montre l'état actuel du monde de l'art parasité par son marché
économique² dans son fonctionnement, ainsi que par le monde industriel
technologique, comme l'a exprimé Bourdieu auparavant avec les notions de champs
englobant un domaine, prenant le dessus les uns sur les autres. Le manque de
distinction entre art et nouveauté est un écueil proprement lié à un manque de
connaissance du milieu artistique. Il est possible de créer une sculpture avec une
démarche très novatrice au sein de tout ce qui a pu se faire auparavant en art tout autant
qu'il est possible de créer une œuvre incluant de nouveaux outils numériques innovants
avec une démarche franchement moderniste voire passéiste ou sans aucun objet
artistique.
Par ailleurs cette insertion du mode de fonctionnement économique au sein de l'art
conduit les artistes à produire en chaîne, soit en reprenant toujours les mêmes
1 Il peut être unt anticipateur des archives du futur.
² Amenant les institutions à archiver et acquérir en aveugle.
47
performances ou en se sentant obligés de produire toujours plus et plus rapidement,
quand bien même la recherche nécessite du temps et de la réflexion afin d'aboutir
pleinement, s'établissant dans la durée. Cette tendance s'observe dans le changement de
fonctionnement des carrières des jeunes artistes. L'obsession pour un seul et même type
de pratique, liée souvent à un seul médium qui était la norme chez les artistes connus
tels que Gordon Matta-Clark, ou César s'est transformée. L'artiste et ses idées est
devenu son propre médium, passant d'un média à un autre selon ses recherches, c'est
d'autant plus valable en arts numériques qui regroupent de multiples médias (d'où le
nom multimédia), où il probablement possible que cet héritage provienne des œuvres
intermédias.
Au sein des arts numériques, moins touchés par le marché de l'art, notamment par l'art
institutionnel (il n'existe aucun grand musée d'arts numériques en région parisienne, la
plupart des initiatives de création de lieux d'exposition en arts numériques viennent
d'organisateurs indépendants ou de petites et moyennes structures – Synesthésie, Le
Cube, le Laboratoire d'Aubervilliers...). C'est par la technique que passe la connotation
consumériste : logiciels payants, outils hors de prix vite dépassés au bout de quelques
années, sources vidéos téléchargées sur les mêmes sites, etc. Si l'art subit une double
contrainte économique, à la fois par les machines (elles même issues de l'industrie
économique) et par son marché, il n'est pas étonnant que certaines formes de pratiques
audiovisuelles en temps réel coïncident complètement avec des pratiques
consuméristes. Par exemple avec le Vjing en club ou les concerts géants (concerts avec
Vjing au stade de France par exemple), ces performances audiovisuelles in situ sont
déjà rattrapée par le milieu économique et le marché des arts numériques1.
Déjà il est possible de trouver des DVD audiovisuels, se situant entre le vidéoclip et un
enregistrement de performance VJ qui serait uniquement cadré sur l'écran² (temps
supérieur ou égal à une heure, mix d'images ininterrompus...), des labels audiovisuels
tels que V-atak ou Dalbin sortent à petite échelle ces DVDs, disponibles sur Internet ou
dans quelques points de ventes liés à l'art (Palais de Tokyo, librairie du centre
1 Cf. le festival d'arts numériques Némo 2010, axé sur les pratiques en temps réel, où il était possible de voir le meilleur comme le pire des performances dites audiovisuelles.² Exemple parfait d'un archivage qui entretient la confusion entre VJing et pratique montée.
48
Pompidou...), augurant le possible futur marché commercial de traces à partir de
performances, où l'intérêt serait basé sur l'inédit et la rareté de chaque performance
captée... qui poserait de nombreuses complications pour les artistes recyclant des
images préexistantes en terme de droits d'auteurs. Cependant ce problème n'est pas
seulement valable pour le créneau commercial mais aussi pour la pratique d'archivage,
où une mise en abîme s'opère entre archives originales et archives de performances
réutilisant ces archives.
En 2009, la BDIC a fait appel au collectif Digital Cinéma, pour montrer le temps d'une
soirée un cinémix à partir d'archives sur la ville de Berlin, que se serait il passé si
l'institution avait décidé de conserver l'enregistrement de la performance ? Auraient ils
du s'arranger avec les autres centres d'archives ou producteurs des films montrés pour
obtenir les autorisations auprès des ayant droits, sachant que parfois les performeurs
ignorent l'origine des image qu'ils récupèrent, qu'ils ne peuvent certainement pas
prédire ni se souvenir de l'ordre dans lequel ils ont montré toutes les vidéos, que
certaines sont tellement modifiées par les VJ qu'il est impossible de les reconnaître
même avec un logiciel tel que celui que l'INA a développé pour savoir si les chaînes de
télévision n'outrepassent pas leurs droits en diffusant des images dont le centre
d'archives serait propriétaire ou responsable. Par ailleurs, les lieux d'archives ne sont
pas tous dotés d'un budget leur permettant d'acquérir ces droits ou même de pouvoir
filmer ces performances.
Ce désintérêt dans le non respect des droits d'auteurs et des ayants-droit des images
projetées de la part des VJ ou au contraire cette volonté chez certains de n'utiliser que
ce genre d'images peut avoir diverses causes d'origines, il peut s'agir d'une critique
sévère des images qui nous sont données par les industries dominantes (cinéma,
télévision...) qui sont réutilisées à contresens de leur intention d'origine et mêlées tout
comme nous pouvons recouper diverses images sans rapport dans notre quotidien,
d'une facilité de récupération des images permise par le média Internet1, d'une volonté
d'effectuer un travail historique, artistique ou documentaire donnant un point de vue
1Youtube, Dailymotion et leurs homonymes sont aussi une source incomparable de vidéos amateurs.
49
nouveau sur des images préexistantes, ou une manière de nous faire réfléchir sur les
images mêmes et notre positionnement en tant que spectateur.
50
Partie III :Enjeux de l'archive face à la création
artistique éphémère
3.1 Un contexte archivistique (im)compatible avec le Vjing ?
Partant de la base que les œuvres littéraires, cinématographiques, musicales,
théâtrales(..) peuvent être archivées, prononçons donc l'hypothèse que cela puisse aussi
être le cas pour les performances audiovisuelles, avec le cortège de problématiques que
cela puisse poser. Puis, par quels moyens cette hypothèse pourrait elle se mettre en
place? Car peut on archiver ce qui n'a pas à proprement parler de catégorie claire
(cinéma, art vidéo, performance musicale accompagnée, arts numériques, vidéoclip,
expérimentations en direct...?), de place reconnue par les institutions artistiques
(musées, lieu dédié, définition dans le dictionnaire...), qui se diffuse (ou s'autodiffuse)
dans des communautés particulières (arts numériques, festivals, groupes
audiovisuels...).
A-t-on le droit d'archiver ce qu'un artiste considère comme une œuvre ou
expérimentation éphémère, une performance liée à un contexte spatio-temporel
particulier ? Y a t il des situations où l'on devrait mieux ne pas archiver ces
performances ?
En touchant à l'archivage autour des œuvres d'art, on touche à la question politique au
sein des institutions qui ont le rôle d'archiver, qu'elles soient publiques ou privées.
Car, à travers la lecture de Mal d'archive, écrit par Derrida, on peut voir que l'archive, à
l'origine, est détenue par ceux qui ont le pouvoir d'interpréter les archives et qui font et
représentent la loi à travers celles ci, concluant que le commencement de l'acte
d'archiver survient lorsque le pouvoir cherche à asseoir sa justification. Surviennent
alors des questions : s'il y a archivage du pouvoir, peut il y avoir archivage de points de
51
vue subversifs voire antipolitiques éventuellement exprimés dans les performances
VJ ? Existe t il des archives plus dignes d'archivage que d'autres ? Jusqu'à quel degré de
réel archive t on ? Autant de questions qui dépendent des partis pris imposés ou choisis
des lieux de conservation et qui influent sur l'archivage de l'artistique.
Il s'agit aussi de se demander au sein de quelle structure un artiste aurait il envie de
céder ses archives. La volonté de se placer dans l'éphémère et l'auto-productif peut
entrer en conflit avec un raisonnement de conservation.
En effet, tous les lieux d'archivage n'ont pas les mêmes politiques de fonctionnement.
Si certains traitent toutes les archives de manières égales, d'autres peuvent établir une
hiérarchie dans le traitement de sauvegarde des documents.
Une problématique que pourraient poser certaines performances VJ est l'utilisation des
images d'archives sans accord préalable des ayant droits lors de la représentation.
Cependant, ces performances présentent un intérêt historique réel lorsque l'image
d'archive est juxtaposées à d'autres images (d'autres époques, parfois contemporaines),
présentant le point de vue de notre époque considérant le passé de manière subjective et
artistique. Ces performances véhiculent aussi des notions (technologiques, esthétiques,
idéologiques...) qui font partie d'un art lié à son époque et qui la représentent d'une
certaine manière, en montrant l'état des préoccupations actuelles de certains artistes.
La valeur historique se révèle lorsqu'une archive de performance VJ montre le contexte
de sa représentation, les réactions des spectateurs et permet d'imaginer les conditions de
production de l'œuvre. Elle sert aux historiens de l'art mais aussi aux autres chercheurs
(sociologie, histoire contemporaine...) par exemple pour la recherche des intérêts
artistiques de l'époque, pour savoir comment les gens pouvaient se divertir, s'informer,
exister, etc.
Ce sont ces conditions dépendant la plupart du temps du contexte de représentation qui
jouent souvent dans l'archivage ou non des performances, car une performance pourra
être enregistrée systématiquement au sein d'un lieu et pas du tout au sein d'un autre.
Cependant la sensibilisation à l'archive n'est pas un fait systématique et ne dépend pas
de la taille du lieu accueillant la performance.
52
Au fur et à mesure du temps la notion de patrimoine s'est élargie, passant des
monuments anciens avec la première mission héliographique en 1851 au cinéma ou aux
prospectus politiques. Peut on dire qu'elle pourrait encore s'élargir ?
Le VJing pose cette question en se plaçant à la limite de l'archivable, parce que
pratique contemporaine et encore en marge des systèmes officiels d'art (cf partie 2.4),
mais aussi de part sa nature qui s'inscrit dans la performance d'art et qui englobe à la
fois contexte, état d'avancement technologique et une part d'incertitude et de hasards
nécessaires à la recherche et création en art. Plus encore, on peut dire qu'il n'existe pas
une forme de performance Vj qui soit similaire à une autre, la multiplicité des
pratiques, les héritages et intentions artistiques propre à chaque artiste ainsi que la
multiplicité des dispositifs technologiques sont les caractéristiques principales de ces
performances.
Cependant l'un des écueils de l'archivage de cette pratique pourrait être la
marchandisation, sous prétexte de l'originalité et la rareté de chaque représentation de
ses archives, tout comme ce procédé est déjà en marche pour le land art ou les arts
vivants.
Dans la plupart des lieux de conservation des archives, c'est la valeur historique qui
prime sur les autres. Cependant Aloïs Riegel a recensé d'autres valeurs inhérentes à
l'archive. La valeur artistique en est une, souvent peu représentée ou prise en compte
(par exemple l'archivage des photographies à la BNF se fait par le thème de la
photographie et non par le photographe ou le type de photographie). Il existe un dépôt
légal du cinéma mais en art pas de dépôt légal. C'est le marché de l'art qui s'occupe de
montrer et diffuser les œuvres, cependant pas nécessairement de leur conservation. Il
opère cependant une sélection qui laisse pour compte bon nombre d'œuvres, parfois
volontairement en marge de ce même marché, comme la plupart des performances.
53
3.2 Conserver sans dénaturer, ou le Vjing mis en boîte
Dans la quête de l'établissement d'une méthode qui documenterai témoignerai et
documenterai d'une performance sans la réduire, il nous faudrait établir une liste
indicative des justes manières de les documenter, tout comme les lieux d'archives du
cinéma ont pu signer une charte éthique de l'archivage des films.
Dans Date limite de conservation1, l'atelier Boronali établit une approche
méthodologique de l'archivage des arts immatériaux ou éphémères. La méthode
préconisée est d'interviewer l'artiste avant, et après l'évènement artistique envisagé. Le
public a aussi son mot a dire dans une interview. Les objets nécessités lors de la
performance sont décrits. La documentation audiovisuelle est envisagée, avec un
dispositif multicaméras et des prises de photographies. Bien sur, ce dispositif est à
établir au cas par cas, selon eux. Les archives ainsi créées ne sauraient être
commercialisées et toute performance refaite à partir de ces documents ne saurait faire
œuvre. Cependant ils n'évoquent pas la question de l'indexage ni la possibilité au public
d'accèder à ces archives (parfois fermées au sein d'un musée).
Dans l'idéal, une performance serait documentée au sein d'un centre d'archivage
respectant une règle de non hiérarchie entre les archives, stockant les fonds dans les
meilleures conditions matérielles possibles et ne faisant pas commerce ou vente de ses
archives. Celles-ci reposeraient sur plusieurs supports, les plus variés possibles afin
d'assurer une bonne compréhension de la démarche des artistes. tout autant que de
donner une idée précise de la performance. Le fond de documents ainsi créés ne serai
pas éparpillé par support d'archivage mais resterai classé au sein d'un département
thématique autour des arts, bien que la question des critères d'indexation des
performances puisse se poser puisque plein de paramètres peuvent être pris en compte
pour classer les performances : type d'images (récupérées, filmées par l'artiste ou un
mélange des deux), type de dispositif, par artistes, par contexte... Or une archive sans
système de classement permettant de la retrouver est une archive indisponible à la
recherche, donc inexistante.
1 Page 141-142, édition du Mac/Val, 2009.
54
Tentons d'éclaircir cette question. L'usage du statut des images comme critère de
classement s'avère complexe puisque un artiste peut contenir au sein de sa pratique des
types d'images très différents, tant du point de vue de la thématique (classement encore
utilisé pour le département des photographies à la B.N.F) que de l'origine des images.
Si un artiste peut utiliser uniquement des images récupérées pour une performance, il
peut très bien se baser uniquement sur des images qu'il aura filmées pour la prochaine
représentation. Les performances ainsi classées seraient vraiment dans une logique non
artistique, plutôt juridique pour le statut et l'origine des images. Le fait que deux
artistes puissent utiliser des images issus de la télévision ne signifie pas qu'ils en feront
un traitement similaire visuel et sémantique. Quant au classement par thématique
d'images montrées, il s'avère tout simplement impossible pour certaines performances
qui montrent des centaines ou milliers d'images sur différents sujets.
Le classement par type de dispositif technique pourrait être une solution, si ce n'est qu'il
existe une configuration personnelle à chaque VJ. Ce classement pourrait se baser sur
différents critères, distinguant dispositifs uniquement basés sur logiciels et matériels
non programmés, dispositifs avec logiciels et outils programmés, dispositifs mixte,
mélangeant les deux, ou encore basé sur les dispositifs avec interactions : entre artistes
et public, entre artistes et machines et interaction entre artistes, public et machines... Ce
que l'on pourrait dire de chaque performance.
Un autre système de classement pourrait se faire aussi par dispositifs avec sculpture ou
installations particulières, avec danse, avec peinture en direct... Ce type de classement
pourrait être intéressant, cependant il nécessiterai de choisir sur quel type de critère
technique se baser pour classer les performances. Encore une fois, il arrive que des
artistes changent de dispositif d'une performance à une autre.
Le classement par artiste pourrait être judicieux, si ce n'est que beaucoup de
performances sont collectives, que les affinités entre artistes se font et se défont, que la
liberté d'aller d'un groupe à un autre avec des invités (tout en gardant une activité à soi
d'un autre côté), comme cela se fait un musique est fréquente. Il permet cependant
d'observer une évolution possible du travail d'un artiste et d'observer une certaine
chronologie dans ses performances.
55
Le classement par contexte de représentation peut aussi être intéressant dans la mesure
où il permet de retrouver une performance par chronologie (dates de représentation) et
d'observer de quelle manière les artistes se sont appropriés le lieu, même public. Il y a
aussi la possibilité que le lieu fasse une sélection dans les types de performances,
pouvant être la marque d'un certain courant de Vjing ou d'un certain gage de qualité, et
permet aussi de montrer un panel de performances appréciable. De plus, une fois qu'un
système d'enregistrement récurrent est installé au sein du lieu il ne peut que s'améliorer
et permet la systématisation de l'archivage des performances, comme on peut le voir au
sein du théâtre de Chaillot en théâtre par exemple.
Aussi, de par leur chronologie possible nous préfèreront choisir un archivage se basant
sur un critère d'indexage par lieu ou par artiste. Cela permet de constituer un panel de
performances dans lesquelles il est possible d'observer l'évolution d'un genre ou d'un
artiste, ce qui nous paraît être un critère important dans l'étude de cette pratique qui n'a
pas vraiment de genre ou courant particulier à l'intérieur de son domaine.
Après avoir établi les bases de la structure d'accueil des archives, concentrons nous sur
l'étape de documentation autour de la performance.
Avant même de commencer à se poser la question du classement, il faut se poser la
question de la fabrication des documents qui serviront de support à l'archive. Puis de la
sensibilisation à l'archivage auprès des artistes et de l'étape de collecte des documents.
L'étape de collecte des archives doit elle être une étape de recherche voire une étape de
création des documents, ou bien juste une attente de dons venant de la part des artistes?
Le lieu d'archivage doit il être passif dans la sensibilisation à l'archivage ou doit il
mener l'enquête dans le milieu du Vjing afin d'assurer une collecte en accord avec les
artistes ?
S'il n'y a pas de volonté de prospection ou de sensibilisation à l'archivage, nous doutons
que les lieux d'accueil Vjs se mettent à le faire d'eux-même, sauf de temps en temps ou
exceptions1. La sensibilisation dans un milieu communautaire et volontairement en
marge peu être difficile de par la nécessité d'établir des liens avec ce milieu. L'accord
1 Le centre Mercoeur à Paris, accueillant les soirées IRL en est une, il enregistre chacune des
performances audiovisuelles qui s'y déroulent.
56
des artistes est nécessaire, le mieux étant encore l'enregistrement au sein d'un lieu
spécifique et la sensibilisation des organisateurs et artistes à l'enregistrement de leur
performances.
Dans le cas des enregistrements, il est intéressant de noter que même si la vidéo
projetée est filmée en cadrant seulement l'écran (ou directement enregistrée sur
l'ordinateur à partir du logiciel), cette trace seule ne peut se substituer à la performance,
vue et documentée sur son contexte, sur ses conditions de production, sur le public et
son dispositif, au contraire de l'œuvre cinématographique qui peut se voir n'importe où,
avec n'importe quel public du moment que son dispositif unique (vidéo projection-
écran-public) est mis en place. Il est donc nécessaire de ne pas considérer le Vjing
comme n'importe quelle réalisation audiovisuelle montée et de prendre en compte la
part subjective, même au sein d'une vidéo documentaire, de l'initiateur du document
filmé. Par exemple, un film rendant compte d'une performance VJ qui présenterai une
majorité de plans sur les musiciens, performeurs, sur le public et laisserait une place
minimale à la vidéo projetée serait dans une vision réductrice de l'ensemble de la
performance et ne permettrai pas d'étudier les images projetées. À l'encontre de cet
exemple, un film qui ne filmerait que l'écran et ne présenterai pas les éventuels
événements d'interactions se passant sur scène et ou dans le public serait aussi
réducteur à la compréhension de l'œuvre en train de se dérouler.
D'où une nécessité de multiplier les sources documentaires, pour que, même si
l'enregistrement ne rende pas bien compte de la performance (dans le cas où il s'agirait
d'un enregistrement amateur par exemple), une idée de la performance par des plans,
schémas et dessins puisse se faire de la part de la personne consultant le fond d'archive.
L'exemple de la BDIC complétant son fond audiovisuel de vidéos documentaires par
un travail d'interviews et d'explications des réalisateurs, témoins, etc, est une initiative
particulièrement louable et utile en terme de compréhension, car elle permet de donner
plusieurs points de vues, questionnant un document d'archive par des archives.
Cependant dans le cas d'une discipline peu ou mal reconnue, il nous paraît essentiel de
faire état de l'existence de cette pratique par une présence au sein d'institutions, médias
spécialisés et lieux de conservation, dans une optique artistique et expérimentale. Ce
57
serait plutôt aux organisateurs et lieux d'accueil des performances d'initier, promouvoir
et sensibiliser à la conservation, bien que la plupart du temps ceux ci aient des budgets
limités et soient souvent obligés de ne conserver que des enregistrements à point de vue
unique.
3.3 La performance et son double
Il va de soi que l'on ne peut tout conserver en ce monde, ce serait comme chercher
à créer des doubles du monde réel à des instants précis de l'Histoire et chercher à les
stocker dans une bibliothèque digne de Babel, pour que ne rien ne puisse nous
échapper, par un impossible voyage dans le temps, ce qui nous aiderait pourtant bien
pour retrouver les indices exacts d'une Histoire encore obscure dans certains points de
notre « civilisation ».
Ainsi vouloir conserver à tout prix le matériel servant aux performances VJ, tels que les
ordinateurs et leurs systèmes d'exploitations, programmes, fichiers en état de marche,
câbles, alimentations électriques compatibles, vidéoprojecteurs, enceintes, etc, dans un
relatif état de marche, alors que bien souvent lors même de la représentation les
programmes s'avèrent instables, serait passablement coûteux et compliqué à mettre en
place.
Qui plus est, l'intérêt de la conservation de tout ce matériel en état de marche réside
dans sa réutilisation, or avons nous réellement besoin de tenter reproduire une
performance qu'il serait impossible de reproduire à l'identique, pour des raisons
différentes de celles qui avaient motivé son créateur à l'origine ? Bien que ce matériel
puisse aider à se rendre compte de ce à quoi ressemble vraiment une vidéoprojection
lors d'une performance, avec éventuellement son installation scénique et son dispositif
technique, nous doutons fortement que la tentative de reproduction d'une performance
par un autre que le créateur de cette performance soit éthiquement fondée. La
performance sera visuellement différente, le discours qui l'accompagnera le sera aussi
et nous doutons que l'on puisse parler d'art ou de performance créative pour ce qui peut
58
être comparé à une imitation, une simulation, un remake de la voix humaine par un
perroquet enroué, celui ci aura beau essayer de répéter correctement les sons émis
précédemment, il sera toujours incapable de les comprendre au delà d'une certaine
limite.
Argumentons : un individu dont le but serait la répétition d'une action passée se
réclamant de la copie totale d'une œuvre précédemment exécutée tomberai sous le coup
de plusieurs règles dont la logique le mènerait implacablement à l'échec, à l'exception
que son intention ne soit pas la reproduction d'un original préexistant. D'une part, les
lois physiques de ce monde ne permettent pas la reproduction exacte d'un même geste
deux fois d'affilée, il y aura toujours un décalage possible, même d'une milliseconde.
De plus, l'intention de cette personne si elle venait à être connue d'un public
connaisseur en art tomberait sous le joug d'une critique sévère, qualifiant sa démarche
de fétichiste ou pantomime, en tout cas dénuée d'intention artistique et donc d'intérêt
puisqu'à la base il s'agit tout de même d'une création artistique. Enfin si cette hypothèse
venait à être vraie, cela signifierait que le Vjing aurait investi les lieux d'archivage et
que donc certaines archives seraient disponible au visionnage, permettant déjà de se
faire une idée suffisante de ce à quoi les performances peuvent ressembler, rendant
toute tentative de copie d'une performance vaine.
D'ailleurs, le musée du Mac/Val à Vitry est tout à fait d'accord avec ce point de vue.
Dans Date limite de conservation, livre paru à l'initiative de ce musée d'art
contemporain, il est clair qu'une représentation de performance à des fins d'archive
« ne saurait faire œuvre ». Pourtant certains musées comme le centre Georges
Pompidou n'hésitent pas à montrer ces re-représentations de performances, ce que nous
réprouvons lorsqu'aucun avertissement n'est spécifié au public comme « adaptation à
partir de... » par exemple, alors qu'une création de documents d'archives correctement
faite à partir d'une performance et en collaboration avec les artistes, contenant plusieurs
types de documents (enregistrements vidéos, répétitions, schémas, notes d'intention,
recherches, interviews...) pourrait être bien plus éclairante pour celui qui y aurait accès
qu'une représentation copiée, brute et sans substance, et permettrait une étude et
compréhension plus étendues.
59
3.4 L'archive du point de vue des artistes : devoir, nécessité, incompatibilité ou impossibilité
Avant d'atteindre l'idéal parfait d'une œuvre finie ou d'un processus infini, l'artiste
passe par de nombreuses recherches. Celles ci peuvent l'amener à repenser
complètement son œuvre, voir à ne pas la réaliser du tout¹ , ou à justement chercher à
ne pas aboutir à une œuvre tout en créant tout de même, puisque ce qui compte c'est le
cheminement, le processus et que le résultat importe peu face à un discours non étayé,
du moins c'est ce qui est enseigné en école d'art et repris par thierry de Duve dans
Faire école, à propos de l'enseignement artistique.
Jacques Émile Bertrand, psychosociologue, musicien et enseigant en art, dans un
entretient² nous explique que certains choisissent donc la performance live comme non-
œuvre créative, se dédouanant ainsi de faire des erreurs ou de rater la performance,
puisque « ce n'est pas de l'Art ». La performance donne ainsi l'illusion d'une plus
grande liberté et la possibilité de ne pas être trop dérangé dans son égo artistique par la
prégnance prétendument impossible de la critique face à un discours absent.
Or l'absence de discours ne signifie pas nécessairement absence de critique sur le
contenu proposé, et s'il ne s'agit pas d'art, il s'agit d'une pratique créative amateur, et
quel artiste souhaite être considéré comme amateur, le but d'effectuer une performance
en public n'est il pas de partager un acte de création qui vaut la peine d'être montré ?
Les performances sont tout de même vues par un public généralement connaisseur,
quand ce n'est pas dans un contexte de fête, à même de faire la distinction entre
performance d'amateur et faussement amatrice. De plus, la pratique du live repose sur
un auto apprentissage technique plutôt long et sur une préparation très en amont des
logiciels et banques de données audio ou vidéo qui serviront de matière lors de la
performance. Le performeur ne peut donc exclure la nécessité d'une pensée ou
¹ La réplique du livre Bartleby, « I would prefer not to » d'Herman Melville nous reviens en
tête, crédo de certains courants artistiques contemporains pour lesquels seul le concept compte et il
n'est plus besoin de réaliser d'œuvre. Voir les écrits de Jean-Yves Jouannais.
² Entretien réalisé courant mars 2010 dans le cadre d'un documentaire sur l'archivage du Vjing
encore en cours de réalisation par l'auteur.
60
démarche puisqu'il a eu le temps de forger une réflexion durant le temps de préparation
de la performance.
Par ailleurs, il est rare qu'un artiste ne crée que des œuvres performées, il y a bien
souvent un travail écrit en musique ou d'œuvres plastiques à côté. Bien souvent, il porte
plus d'attentions aux travaux écrits, qui laisseront une trace (comme par exemple une
peinture ou une vidéo montée) qu'aux performances audiovisuelles, qui ne laisseront
pas de traces, au contraire des artistes où la seule pratique artistique est la performance
et qui sont obligés de conserver des traces pour attester de leur statut d'artiste et
éventuellement vendre des traces de leurs œuvres, comme par exemple en Land art.
La conservation ne va pas de soi pour un artiste, d'autant plus lorsque son art n'est pas
pérenne. Bien des œuvres sont éphémères ou limitées dans le temps (installations,
sculptures vivantes – voir Michel Blazy et son oeuvre Post Patman). Plusieurs profils se
déclinent alors face à la conservation :
– L'artiste ne conservant pas de trace car il ne le souhaite pas
– L'artiste ne conservant pas de traces car il n'en a pas les moyens (techniques,
financiers, judiciaires, humains) mais le voudrait
– L'artiste conservant des traces de son plein gré (celles ci peuvent se limiter à
quelques objets donnés au public ou à un carton d'invitation)
– L'artiste obligé de conserver des traces (pour justifier d'aides, d'une résidence,
parce que l'institution où il effectue une performance conserve
automatiquement des traces) mais réticent à l'archivage
– L'artiste indifférent à la conservation
Parmi tous ces profils, il existe maintes raisons et sentiments allant pour ou à l'encontre
de l'archivage. Au sein de quelques entretiens avec des Vjs et musiciens effectuant des
performances audiovisuelles nous avons pu dénombrer quelques exemples d'archivage :
une démarche volontairement éphémère peut ainsi créer un enregistrement
61
systématique mais qui servira juste comme un outil de travail (un point de vue extérieur
pour rendre compte après coup de la répétition) mais pas pour la performance devant
un public selon Angie Eng, un enregistrement aléatoire selon que l'artiste le sente ou
pas en fonction de son état de forme selon Giorgio Partesana, ou encore des
enregistrements de temps à autre mais juste pour la promotion en tant qu'artiste selon
Matthieu Crimersmois, pour donner un aperçu afin de se faire inviter à d'autres
festivals ou soirées...
Angie Eng, artiste vidéaste américaine, soutient dans un entretien que j'ai pu effectuer
avec elle en mars 2010 que la conservation reste le domaine des historiens, que ce n'est
pas aux artistes de faire ou d'initier ce travail de conservation. Elle oppose son travail
de vidéaste et de performeuse audiovisuelle aux performances VJ, tout en nous
expliquant que le public peut ne pas faire de différences entre les deux.
Ainsi un artiste peut avoir des œuvres qu'il conservera avec véhémence tandis qu'une
autre de ses activités, tout autant artistique et ayant sa place au sein de sa démarche, ne
méritera pas le droit d'être conservée par quelques documents attestant de son
existence, pour diverses raisons de la part de l'artiste.
Accolée à la constitution d'archives se trouve une phase de destruction. L'archive se
constitue par ses manques et ses oublis, par la volonté de laisser trace à ses
descendants, dans une certaine forme de conscience pour le futur ou de justification
d'un état (politique, administratif, culturel, historique...) du présent, cependant elle ne
peut être un document objectif et complet attestant d'une réalité passée. Or, que sait on
des besoins que l'être humain pourra avoir dans le futur ? N'y a t il pas à travers cet
intérêt de laisser trace une certaine forme d'angoisse de la perte, une justification de
l'actuel par le passé? La conscience de sa propre mortalité amène à l'acte de
conservation pour ses éventuels descendants, mais amène aussi à cacher ses erreurs
lorsqu'il s'agit de création artistique.
Lors de la journée d'étude sur les archives et le spectacle vivant (qui a eu lieu le 23
octobre 2009 à la B.N.F.), la question du créateur hiérarchisant et détruisant une partie
voire la totalité de ses archives avant qu'elles ne le deviennent par voie naturelle a été
abordée. Cette coupe dans une part de l'œuvre, même à l'étape de recherche peut créer
62
un manque et empêcher la compréhension en profondeur de celle-ci, notamment dans
un intérêt pédagogique, même lorsque dans les étapes de recherches des pistes ont été
abandonnées.
L'écrivain Ionesco a été montré comme l'exemple de l'artiste détruisant l'intégralité de
son travail préparatoire, ne laissant que le texte publié à la connaissance du public,
allant à l'encontre de ses proches qui sauvaient sans son autorisation les manuscrits
préparatoires.
En revanche, lorsque l'artiste décide de conserver ses archives et crée son propre
système d'indexation, il est important que celui ci soit pris en compte par le lieu de
conservation. Il a été ajouté que l'archive dans le domaine des arts du spectacle est un
moyen de cerner les processus engagés dans un œuvre lorsque les pistes de recherches
et étapes premières d'écriture sont prises en compte dans la constitution des archives
d'une œuvre scénique. L'œuvre en tant que telle ne peut être archivée, cependant un
aperçu documentaire des gestes, pistes de recherches, processus suivis peut être établi
par des traces diverses (vidéo, écrits, partitions, objets scéniques...), devant faire l'objet
d'une éthique et méthode particulière afin de ne pas dénaturer la performance.
3.5 L'exposition artitique, une possibilité d'archivage des performances dans la reconnaissance par le monde de l'art
L'exposition Siren Shields à la galerie Ars longa, par le duo HeHe (Helen Evans et
Heiko Hansen, plutôt connus pour leur projection verte sur un nuage de cheminée
d'usine : Nuage vert ), est le parfait exemple d'une exposition reliée à sa performance
audiovisuelle et la plaçant au même degré d'importance que l'exposition, dans un
second degré artistique socialement engagé envers les forces de l'ordre.
La performance se situe exactement au point de jonction entre le Vjing et les arts
numériques : un programme développé sous le logiciel Processing récupère par
reconnaissance sonore la tonalité des sirènes de police et visuellement le rouge et le
63
bleu sur des vidéos issues d'Internet, confrontant les unes après les autres des images
d'interventions de la police, avec pour seule musique celle des sirènes des voitures de
police.
Images de l'exposition Siren Shields à la galerie Ars Longa
Si le logiciel décide du choix des images qui seront montrées, au risque parfois de se
tromper (la tonalité des sirènes peut se retrouver dans le jeu d'un piano, les couleurs
rouges et bleues chez des pompiers...), la notion de temps réel est bien présente par la
récupération des images, le dispositif inclut la marge d'erreurs possibles (intervention
de musiques extérieure aux vidéos) et le public est confronté aux performeurs en train
d'effectuer la performance.
Cependant la réussite d'une exposition incluant performances audiovisuelles,
permettant de laisser des traces au moins par un catalogue, ne doit pas cacher par sa
radiation lumineuse l'absence générale des performances audiovisuelles au sein des
expositions dans les musées (nous ne comptons pas l'usage d'un VJ pour l'animation
d'un vernissage comme performance audiovisuelle, étant donné qu'il s'agit
généralement de performances dissociées de l'exposition sur le plan artistique, dans le
but de divertir), contrastant avec sa présence plutôt forte et de qualité au sein de
festivals d'arts numériques, dont la forme nomade et temporaire convient mieux à la
performance partageant ces caractéristiques.
64
CONCLUSION :
Si les performances VJ, par leur interaction entre différents médias artistiques,
pouvaient être assimilées à un ravivement de l'œuvre d'art total telle que conçue par
Wagner ou des recherches de liens ou de correspondances entre les arts au sein des
Avant-Gardes, nous avons pu voir qu'il n'en est rien, le Vjing est une forme de création
issue de son temps, de son lieu, de par son lien aux courants culturels, médias et outils
technologiques tels que la vidéo, la télévision, le cinéma, l'art vidéo, les musiques
électroniques, le vidéoclip, les ordinateurs et le multimédia en général.
Il engendre un art issu des réflexions sur ces outils technologiques et de leur
fonctionnement, sur ses influences. Le VJing est aussi un art du présent car il ne s'agit
plus de concevoir uniquement un système de correspondances visuelles mais d'établir
un point de vue artistique subjectif, représenté au sein d'un contexte spatio-temporel
particulier, parfois même en interaction avec celui-ci et où le processus et le concept
dominent plus que le média en particulier, d'où un rassemblement de plusieurs arts non
plus séparés les uns des autres mais en interstices, en combinaisons interagissant les
unes avec les autres.
Si les performances VJ sont issues d'un réseau hors de l'art dominant, autodiffusées ou
organisées dans des lieux de création alternatifs, pour le moment en voie de
reconnaissance, elles s'avèrent tout de même être récupérées par les industries
culturelles, sans pour autant être encore reconnues au sein des institutions artistiques
officielles.
Ainsi, elles n'ont ni leur place au sein de musées (sauf exception pour des vernissages,
comme nous avons pu le voir précédemment), ni leur place au sein des lieux
d'archivages dans l'immédiat, se situant dans un entre-deux entre l'utopie d'une
résistance artistique et le néant numérique amateur. Aussi, il nous paraît important de
pouvoir inscrire la pratique des performances audiovisuelles au sein d'un lieu, musée ou
65
lieu d'archive, où des documents ou œuvres inspirées de ces performances pourront
rendre compte de cette pratique, par le biais de documents divers.
En effet, des enregistrements audiovisuels avec plusieurs points de vues, des dessins ou
carnets de recherches, interviews des artistes, etc viendraient enrichir un fond peut être
incomplet sur toute la panoplie des différentes performances VJ, cependant bien
documenté, permettant d'en comprendre les enjeux, la démarche et la singularité, afin
de témoigner de cette pratique de manière pérenne au sein d'un lieu.
Il serait intéressant que comme au département des arts du spectacle de la B.N.F. ou au
sein de l'association Hors les murs, la création (par le biais de résidences artistiques)
puisse être accolée à un pôle de recherche et d'archivage, ou que comme dans l'exemple
de l'exposition Siren Shields à la galerie Ars longa les performances audiovisuelles
soient intégrées dans une exposition artistique comme un prolongement justifié,
permettant un archivage au minimum par le catalogue de l'exposition.
Le Vjing est donc une discipline en évolution et se redéfinissant à chaque performance,
par définition vouée à l'éphémère, tout comme le land art ou les installations.
Ne restent alors d'une performance que des traces, les gestes répétées d'une
performance à une autre, les souvenirs diffus d'une soirée, un flyer élimé par le temps,
quelques photos ou vidéos floues et l'émotion éprouvée d'alors. Il faudrait donc trouver
le moyen d'en garder trace, sans pour autant dénaturer par des traces qui seraient trop
froides, omniscientes, totalisantes, à l'image des photographies en plongée d'Andreas
Gursky ou à l'autre extrême trop subjectives, amateur, dénaturant de commentaires et
de vécu personnel la performance offerte, la plupart du temps pas ou peu rémunérée. Il
s'agirait plutôt de s'adapter au type et à l'ampleur de la performance, considérant
l'hypothèse que des traces puissent en être conservées. Mais pour en faire quoi ?
Des but pédagogique, sociologique, historique peuvent éclairer les documents
d'archives issus de performances Vjs. La recherche peut être dans le but de créer
d'autres performances dépassant celles précédemment créées, ou encore support à des
ouvrages esthétiques ou de théorie artistique, ou plus encore faire valorises ces archives
66
au sein d'une exposition sur les performances audiovisuelles.
Nous avons aussi pu voir que ces documents ne sauraient toutefois être le support à la
recréation d'une œuvre précédemment performée.
Cependant pour qu'utilisation des archives soit faite il faut un lieu d'accueil à celles-ci,
où une dynamique de sensibilisation du milieu du VJing serait mise en place afin que le
dépôt des archives de performances puisse non pas embrasser un panel de toutes les
performances VJ mais du moins en représenter la complexité, les héritages artistiques
et les processus mis en place, donnant à voir divers documents de qualité permettant de
comprendre la performance de manière claire au sein de son contexte.
Il faut aussi qu'un système de classement basé sur le contexte de création ou sur les
artistes soit mis en place, car la chronologie auteur et année n'est pas suffisante pour
exprimer les différents courants et filiations au sein du VJing, comme nous avons pu le
voir dans la première partie. Par ailleurs, ce classement est nécessaire aux archives pour
qu'elle soit intégrée au sein d'un ensemble de savoir au sein du mon domaine, pour leur
visibilité et la possibilité de les consulter. Il est important que le classement prenne en
fonction la spécificité du domaine artistique qu'il documente car il peut porter à
confusion sur le sens de différentes œuvres. Dans le cas du VJing il est essentiel de
prendre en compte sa spécificité, qui se retrouve aussi dans les documents qu'elle laisse
comme traces, par la mise en abîme dans la réutilisation d'archives elle même archivée.
Ainsi nous ne pouvons prétendre que le VJing est une pratique inarchivable, puisque
nous avons trouvé une méthodologie et les moyens de pouvoir en conserver des traces.
Cependant sans cette méthodologie stricte et sans prise en compte de la spécificité de
cette pratique (notamment dans la prise en compte du refus possible des artistes d'en
conserver des traces), il vaudrait mieux s'abstenir d'intégrer cette pratique au sein d'un
lieu d'archive quelconque, risquant au mieux un archivage incomplet, et au pire un
contresens de cette pratique, par un mauvais classement et des traces prenant trop peu
en compte la démarche et l'intention artistique.
Par ailleurs, cette pratique doit bénéficier d'un lieu à même d'accepter toute
revendication artistique subversive, à caractère possiblement choquant (performances
67
sur la sexualité – voir les œuvres de Joachim Montessuis ou les performance du
mouvement d'actionnisme Viennois) ou à portée politique, dans la liberté d'expression
représentant cette pratique, et à partir du moment où le caractère artistique de la
performance archivée soit fondé.
Un lieu ouvert comme l'équivalent de la BDIC appliqué au domaine artistique ou
encore la BNF au sein de son département des arts nous paraît idéal, de par l'absence de
hiérarchie entre les archives, la non commercialisation de celles-ci, et la libre
contribution que peut y apporter chacun en déposant ses archives (si celles ci sont
acceptées).
Cette pratique est contemporaine et tend à évoluer en fonction de l'apparition de
personnalités artistiques (peu connues) et de nouvelles possibilités techniques, ainsi il
nous paraît important de laisser des traces de cette pratique dans sa version actuelle, qui
sera à même de changer peut être profondément par la suite. Cependant l'absence de
traces est aussi une marque de liberté, de forme encore émergente.
La vie d'une pratique est déchirée dans le contexte actuel où c'est l'information qui crée
l'événement, et à la fois la volonté de ne pas être dans ces médias va à l'encontre de
cette logique.L'information reste en majeure partie chronologique et incluse dans une
conception classique de l'Histoire, et cette remise en question par des contenus
artistiques est à même de déranger (par une censure des archives) ou d'être au contraire
acceptée sans émoi particulier, dans une forme d'acceptation qui s'apparente à de la
récupération.
Notre société contemporaine est malade d'histoire et en même temps amnésique, selon
Henri-Pierre Jeudy. Dans La machine patrimoniale, il explique que notre société se
tourne vers son passé au travers de l'archive afin de pallier à son manque de sens actuel.
Pour lui, la logique patrimoniale en place au sein des archives est un moyen d'arriver à
la virtualisation de la société, fondée sur des valeurs du passé non remises en question.
L'archive est donc à ce titre un agent de mort du réel, porté par une politique allant dans
ce sens : il y a plus de moyens financiers pour l'archivage que pour la création actuelle.
Ainsi si le VJing n'est pas encore archivé, c'est peut être le signe qu'il s'agit encore
d'une pratique vivante et possiblement subversive, et c'est peut être aussi sa chance, par
68
sa manière d'être dans un hors-champ de l'art.
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GLOSSAIRE:
Musiques électroniques
Genre de musique divisé en de nombreuses sous catégories caractérisé par le fait que sa création et sa diffusion passe par l'utilisation de machines (analogiques ou numériques). Son apparition remonte au début du XXème siècle avec l'invention du thereminvox en 1917, cependant ce genre s'est développé à partir des années 50 et s'est popularisé à partir de la fin des années 80 avec l'apparition du mouvement techno. Genre faisant partie des musiques dites « amplifiées ».
(cf: Ishkur le guide des musiques électroniques, consultable sur Internet à l'url suivant : http://techno.org/electronic-music-guide/)
Dispositif
Mise en place d'éléments techniques (appareils) dans un contexte, induisant une contrainte d'ordre pratique, technique, créative et idéologique.Sens 1 :Ensemble des pièces composant un appareil [Technique]. Ex Le dispositif d'ouverture. Sens 2 : L'appareil en question [Technique]. Synonyme appareil.Sens 3 : Ensemble des mesures prises en vue d'atteindre un objectif. (dispositif policier)
Gesamtkunstwerk
Littéralement « oeuvre d'art totale », idée avancée par Wagner au XIXème siècle et se plaçant dans le courant du romantisme allemand. Tout comme la synesthésie, cette idée prône le rassemblement de différentes formes d'art, avec une visée idéologique unitaire totalisante, censée représenter la vie.
Mappage ou Mapping
Acte d'adapter une vidéo ou un dessin informatique sur une structure, sculpture par le biais de la vidéoprojection (voir les photographies dans l'index).
Performance
Pratique artistique éphémère née au début du XXème siècle mettant en jeu une action ou un évènement issus d'un individu ou d'un groupe dans un contexte spécifique et un temps donné.
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Sample
Morceau d'image ou de son pris hors de son contexte originel, généralement inclus au sein d'une composition globale différente de son contexte d'origine.
Synesthésie
Maladie caractérisée par une correspondance entre deux ou plusieurs sens, donnant son nom à une forme de pratiques artistiques mélangeant plusieurs médiums.(Olivier Messiaen et Kandinsky étaient atteints de synesthésie).
TAZ ou Zones d'autonomies temporaires
Notion développée en 1984 par Hakim Bey dans son livre TAZ, prônant la non définition, se réclamant des utopies pirates du XVIIIème siècle et encourageant à l'art de l'apparition-disparition dans des zones de libertés. Dès qu'une TAZ est répertoriée, cela n'en est plus une. Terme repris par la cyber culture et ayant inspiré le mouvement des free-parties.
Temps réel
Terme issu de l'informatique. S'oppose au terme « pré-calculé » ou pré-monté dans le cas de la vidéo. Signifie que ce qui s'affiche est le processus se déroulant temporellement.
Vidéo-jockey ou VJ
Personne effectuant le mixage en temps réel de flux d'images/vidéos projetées la plupart du temps sur un écran, ceci en même temps qu'un DJ ou musicien effectue une performance musicale. Le VJ peut être considéré comme le DJ des images. Parfois le VJ est aussi le musicien, dans ce cas nous parlons de performance D-Vj ou A/V (audiovisuelle), voir par exemple l'artiste Hexstatic.
Veejaying
Performances en temps réel de mixage d'images et de vidéos sur de la musique, en général en contexte festif. Genre artistique né avec l'apparition de la musique techno et des raves au début des années 90, aujourd'hui pratiqué sur tous genres musicaux et différents types d'évènements.
71
INDEX
Remerciements........................................................................................................................3
Introduction.............................................................................................................................4
Partie I :Archéologie du Vjing : héritages et filiations au sein des arts et
des mouvements culturels.......................................................................10
I Formes premières de recherches entre le sonore et le visuel :
des arts aux inter-médias......................................................................................11
1.1 L'œuvre d'art totale : Wagner et le romantisme......................................................111.2 La synesthésie et ses influences dans le prolongement de l'œuvre d'art total.........14 1.3 Les instruments audiovisuels, une forme qui perdure dans le temps......................191.4 Cinématographe et VJing, du montage au mixage.................................................20 1.5 Images immatérielles et matériaux réels : performance et arts numériques...........24
II Émergence du Vjing au sein d'une culture numérique et musicale:
de la TAZ à Internet..............................................................................................28
2.1 Industrie du vidéoclip et le Vjing, deux cousins germains se retrouvant au repas de famille de la musique....................................................................................................282.2 Les musiques électroniques, un lien fraternel au Vjing par similarité gémellaire..292.3 La machine comme support essentiel de création artistique et de réappropriation du monde.......................................................................................................................30
Partie II : Dispositifs, contextes et matériaux face à l'archive...........312.1 L'enregistrement comme représentation ou comme monstration d'un stockage de données ?......................................................................................................................352.2 Dispositif et liberté de création: La technique comme contrainte idéologique au sein des performances...................................................................................................38 2.3 Art et économie, pas de place pour l'utopie du petit frère VJing............................45
72
Partie III :Enjeux de l'archive face à la création artistique éphémère...............................................................................................51 3.1 Un contexte archivistique (im)compatible avec le Vjing ?.................................51 3.2 Conserver sans dénaturer, ou le Vjing mis en boîte …........................................54 3.3 La performance et son double ….........................................................................58 3.4 L'archive du point de vue des artistes : devoir, nécessité, incompatibilité ou impossibilité.........................................................................................................60 3.5 L'exposition artistique, une possibilité d'archivage des performances dans la reconnaissance par le monde de l'art....................................................................63
Conclusion............................................................................................................................65Glossaire...............................................................................................................................70Bibliographie........................................................................................................................74Annexes................................................................................................................................77
73
BIBLIOGRAPHIE :
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performance art, and installation, The MIT press, 2007
SPINRAD Paul, VJ book,
74
FAULKNER Michael / D-FUSE, VJ: audio-visual art+vj culture, Laurence
King publishing Ltd, 2006
LUND Cornelia et LUND Holger, Audio.visual - On Visual Music and Related
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MÉMOIRES ET THÈSES : LISTA Marcella, L'oeuvre d'art totale à la naissance des avant-gardes, l'art et
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RAGOUCY Océane, Pratiques et esthétiques du Vjing, mémoire de maîtrise,
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DUFOUR Dany-Robert, « Créateurs en mal de création », in Le Monde
Diplomatique, avril 2010.
FILMOGRAPHIE:Attentat VJ, par l'association Regarde à Vue.
LEWIS Ben, L'art s'explose, (Royaume-Uni, 2008, 1h30mn)
Ctrl Alt Shift , ? http://vimeo.com/4676745
CHABUEL Cedric, L'odyssée du sample,
http://www.dailymotion.com/ouananiche/video/136918
DELUZE Dominique, Universal techno,
http://www.dailymotion.com/swf/Q7t9gD7fvyabk6Rfu
Vision Sonic 1 à 12, explosive TV http://explosivetv.blogspot.com/
Point et ligne sur plan et Du spirituel dans l’art, Kandinsky
SOURCES INTERNET :http://sergecar.perso.neuf.fr/cours/technq3.htm
http://www.vjtheory.net/texts.htm
75
ANNEXES ICONOGRAPHIQUES :
Recherche de correspondances des couleurs et Orgue à couleurs par Louis
Bertrand de Castel.
Partition colorée par Edmund George Lind.
76
Le piano octophonique de Baranoff-Rossiné
Un orgue à couleur par Alexander Rimington, créé en 1893.
Lanterne Magique.
Oskar Fischinger Wax expériment.
Disque peint à partir du piano octophonique.
77
Raduz cinéma, Kino-automat, 1963.
Ben Laposky, Oscillons, 1947.
Deux œuvres de Claude Melin lors de
l'exposition Écritures déchirées (Metz
2004), titres inconnus.
78
Matériel utilisé pour une
performance VJ
(ordinateurs, contrôleurs
midi, boîte à rythme).
Un picoprojecteur, nouvelle
génération de projecteurs
de petite taille.
Performance sur le modèle d'un ring
opposant deux VJ,LaptopR us, festival
Vision'R 2009.
Attentat VJ par le
collectif Regarde à vue.
79
Performance net.art par Jodi, festival
Mal au pixel 2009.
Fabenlicht, d'Hirschfelmack
Dream machine
par Brion Gysin.
80
VJing avec danse, groupe
Op.9, 2008.
VJing sur façade dans un
contexte de fête.
VJing sur écrans multiples.
81