Année universitaire 2013-2014
Le tourisme, spécificité
et spécification d’une
discipline
Université Mohammed Premier
Faculté des Lettres et des Sciences Humaines
Master s. Tourisme et Patrimoine
Typologie du tourisme
H. SABER
2 Le tourisme, spécificité et spécification d’une discipline
Le tourisme, spécificité et spécification
d’une discipline1
La formation académique ne doit pas être séparée de la recherche : elle
utilise sans cesse les résultats de cette dernière pour adapter son contenu.
Or, il a fallu attendre longtemps avant que les chercheurs s’intéressent
véritablement à ce phénomène multidimensionnel qu’est le tourisme. Ce
n’est en effet que dans les années 1970 que le tourisme s’impose réellement
comme un domaine de discussion scientifique2. Depuis lors, on a assisté à
une augmentation importante des travaux de recherche portant sur le
tourisme.
D’une approche pluridisciplinaire à une approche interdisciplinaire et
systémique
Les travaux sur le tourisme sont menés avec des questionnements
différents selon l’approche disciplinaire. Economistes, géographes,
sociologues, anthropologues, politologues, historiens, etc. abordent le
tourisme avec leurs propres outils théoriques et méthodologiques. Ceci a
mené très tôt les chercheurs à reconnaitre la nécessité de dépasser une
perspective exclusivement disciplinaire pour comprendre le tourisme dans
toute sa complexité. Sans entrer dans un débat épistémologique, on peut
distinguer la multi- ou pluridisciplinarité, simple transmission de
connaissance d’une discipline à l’autre, l’interdisciplinarité, qui suppos des
1 Extrait de l’article de Christophe CLIVAZ intitulé « L’enjeu de l’interdisciplinarité dans les études en tourisme »,
paru dans l’ouvrage intitulé «Le défi de l’inter- et transdisciplinarité » paru dans Presse Polytechniques et universitaires romande, 2008, 299 p. 2 Graburn Nelson H., Jafari Jafar, « Introduction. Tourism social science », Annals of tourism research, 1991,
vol.18, n°1, pp.1-11.
3 Le tourisme, spécificité et spécification d’une discipline
interactions et donc une collaboration entre les discipline en vue d’étudier
un problème complexe, et la transdisciplinarité, qui requiert elle une vision
globale de la science en vue de résoudre un problème complexe.3
A ce jour, le défi pour la recherche sur le tourisme est essentiellement
de passer d’une perspective pluridisciplinaire à une perspective
interdisciplinaire. Aucun spécialiste du tourisme ne remet dans ce sens en
question la nécessité d’une approche interdisciplinaire dans l’étude du
phénomène touristique. Ainsi, Clare Gunn4 considère que la recherche doit,
étant donné la complexité du tourisme, utiliser toutes les approches
disciplinaires qui se révèlent les plus pertinentes pour résoudre les
problème concrets comme pour fournir de nouvelles informations, ce qui
exige la collaboration entre chercheurs venant de différentes disciplines.
Claude Kaspar5souligne lui que l’interdisciplinarité est un idéal qui reste
difficile à atteindre. Dans les années 1980, l’approche systémique s’est
certes imposée et a permis d’aborder le phénomène touristique de manière
moins réductrice qu’auparavant. Alberto Sessa 6 constate ainsi que si le
tourisme s’est toujours situé au croisement des différentes disciplines des
sciences sociales, seule la pensée systémique permettra peut-être un jour
d’analyser ce phénomène dans sa totalité. Plus de vingt ans plus tard, le
futur est toujours de mise dans la mesure où il n’existe aucune formulation
claire d’une théorie systémique du tourisme.
3 Vonèche Jacques, « Aspects épistémologiques des relations interdisciplinaires », Institut Kurt Bosch, 1993,
pp.111-128 ; Perrigue-Chiello Fréderic Darbellay, « Inter et transdisciplinarité : concepts et méthodes » in Perrigue-Chiello F. Darbellay Ed « Qu’est ce que l’interdisciplinarité ? Les nouveaux défis de l’enseignement », 2002, Lausane, Réalités sociales, pp.13-34. 4 Gunn Clare A., « A perspective of purpose and nature of tourism research methods », in Ritchie J.R., Goeldner
C.R. Eds, New York, 1994, pp. 3-11. 5 Kaspar Claude, « Recent development in tourism research and education at university Level », New York, 1989,
Prentice Hall, pp. 361-363. 6 Sessa Alberto, « The science of systems for tourism development », Annals of tourism research, Vol. 15, n°2,
pp. 219-235.
4 Le tourisme, spécificité et spécification d’une discipline
Le tourisme est-il une discipline scientifique ?
Cette question de l’interdisciplinarité est étroitement liée à celle de
savoir si le tourisme peut prétendre au statut de discipline propre ou s’il
n’est qu’un champ d’étude au sein des différentes disciplines scientifiques.
La majorité des auteurs considèrent comme peu opportun de développer
un cadre analytique et théorique indépendant de ceux des autres domaines
scientifiques7.
Pour des écrivains tels que Walter Freyer8, il n’excite actuellement
aucun modèle global du tourisme qui soit accepté par tous. Pour développer
un tel modèle, deux voies différentes sont imaginables. La première
consiste à envisager le tourisme comme faisant partie de différentes
disciplines « mère ». Cette solution « additionnelle » permet de souligner les
interdépendances entre les différentes sciences, mais ne donne que
rarement lieu à l’élaboration de réflexions théoriques transversales, chaque
discipline abordant le phénomène touristique avec des objectifs, des
méthodes et un questionnement propres. Le résultat d’une telle façon de
procéder est une séparation de la « science du tourisme » en plusieurs
disciplines partielles pour lesquelles l’approche retenue est celle de la
discipline « mère » plutôt qu’une approche commune à l’ensemble des
disciplines.
La deuxième voie pour développer un modèle global du tourisme
consiste à considérer le tourisme comme une discipline autonome qui
s’appuie néanmoins sur les connaissances des autres disciplines. Dans ce
7 Haulot Arthur, « Tourisme et environnement, recherche d’un équilibre », 1974, Verviers, Marabout, 411 p.,
pp.354-356 ; 8 Freyer Walter, « Tourisme économie ou économie du tourisme », dans Fischer Laesser, « Théorie et pratique
du tourisme et de l’industrie des transports dans le changement de valeurs », 1996, Bern, Haupt, pp.49-68.
5 Le tourisme, spécificité et spécification d’une discipline
cas, le point de départ d’une telle science autonome est l’identification des
éléments fondamentaux qui caractérisent le tourisme, on a vu au paravent
dans le document traitant les éléments de la définition du tourisme que des
divergences relativement importantes subsistent cependant entre les
chercheurs sur ce que recouvre la notion de tourisme. On est donc assez
loin de parvenir à l’élaboration d’un modèle global du tourisme accepté par
l’ensemble de la communauté scientifique, modèle qui témoignerait de
l’autonomie de la science touristique.
Ce constat est partagé par Wilhelm Pompl9 pour lequel les tentatives
de faire de la science touristique une discipline autonome n’ont pas dépassé
les encouragements programmatiques. La raison en est simple : il y a bien
un objet de recherche commun, mais pas de méthodes et de paradigmes
propres à la discipline. Il existe une sociologie du tourisme, une économie
du tourisme, etc., mais d’un point de vue théorique, ces approches sont
réductionnistes car elles séparent la totalité d’un phénomène en différents
segments qui sont ensuite étudiés comme unité indépendante à l’aide des
paradigmes et concepts de la discipline « mère ». Le tourisme est ainsi
devenu un objet d’analyse pour de nombreuses disciplines au sein
desquelles il a parfois donné naissance à des courants particuliers, par
exemple en sociologie ou en économie politique. En conclure selon l’auteur,
qu’il existerait déjà une recherche touristique interdisciplinaire bien
établie, voire une science touristique autonome, serait erroné.
Dans ce contexte, l’approche additionnelle évoquée précédemment
constitue certes un progrès, mais la simple juxtaposition de connaissances
partielles ne peut servir de base pour une science du tourisme. Par rapport
9 Wilhelm Pompl, « La recherche touristique : succès, échecs et problèmes non résolus », St. Gall, Éditions aiest,
vol. 36, 1994, pp. 233-248.
6 Le tourisme, spécificité et spécification d’une discipline
à cette approche, celle des systèmes à l’avantage d’éviter le réductionnisme
impliqué par la séparation des différentes disciplines et de mettre en
évidence les processus de pilotage du système touristique. Jusqu’à ce jour
cependant, elle n’a pas pu proposer un nouveau paradigme, préalable
indispensable à la constitution d’une science de tourisme. Selon Pompl, on
peut douter qu’elle puisse le faire un jour si l’on garde en tête les obstacles
auxquels elle doit faire face : déficits intradisciplinaires, coexistence de
différents concepts scientifiques, peu de valeur accordée à la recherche
touristique par le monde politique et universitaire, sans compter le fait que
la théorie des systèmes en est encore à ses balbutiements dans les sciences
sociales.
Ce débat a rebondi dans l’aire francophone au début du troisième
millénaire. Suite au « manifeste » pour la création d’une « tourismologie »
publié dans la revue Espaces par Hoerner10manifeste qui s’appuie sur une
nouvelle définition du tourisme.
Il reste vrai que les écrits de J.M. Hoerner relancent d’une manière très
orientée le débat sur une science du tourisme qualifiée de science de
synthèse. On observe un balayage critique qui touche deux acteurs
impliqués dans le développement du tourisme, l’un dans la production de
connaissances scientifiques, l’autre dans la reconnaissance professionnelle
et internationale. Il s’agit, d’une part, de certains universitaires perçus
comme conformistes « qui privilégient les sciences reconnues depuis
longtemps afin de préserver leur fonds de commerce »11, et d’autre part, de
l’Organisation mondiale du tourisme (OMT), jugée par Hoerner comme
ayant une « approche conceptuelle déconnectée de la réalité de l’industrie
10
Hoerner Jean Michel, « Pour la reconnaissance d’une science touristique », Espaces n°173 Juillet-Aout 2000, pp.18-20. 11 Hoerner Jean Michel, Traité de tourismologie: Pour une nouvelle science touristique, Presses
Universitaires de Perpignan, 2002, 191 p., p.18-20.
7 Le tourisme, spécificité et spécification d’une discipline
touristique » et « des définitions dépassées »12. La nouvelle orientation de la
science du tourisme est donc arrêtée : elle privilégie une définition par
rapport à l’industrie et non au touriste, selon Hoerner. Cette science doit,
sur le modèle de la géographie, définir son « unité » dans le voyage, objet de
la nouvelle science : « La science touristique étudierait tout ce qui est lié au
voyage : sa conception, sa mise en place, son déroulement, ses conséquences ;
l’industrie multiforme qu’il développe, son environnement social et culturel,
les rapports implicites entre les voyageurs et les sociétés visitées ». Cette
nouvelle science est à la fois science humaine, science de synthèse, orientée
vers l’étude du voyage dans le cadre de l’industrie et appliquée aux métiers
du tourisme et de l’hôtellerie13. Hoerner soulignent, notamment : « Cette
science se veut surtout appliquée, sans devenir, bien sûr, une technologie. Elle
a ainsi deux objectifs clairs : accompagner les études supérieures de tourisme
(dont l’hôtellerie) et se mettre au service des professionnels de la branche, des
experts et des institutionnels»14.
Plusieurs auteurs se sont prononcés soit en faveur, soit contre
l’opportunité de faire du tourisme une science ou discipline autonome15. Ce
débat « franco-français » ignore largement les réflexions faites à ce sujet
dans le monde non francophone. En outre il ne fait que reprendre une
discussion qui avait déjà été amorcée dans les années 1960 et 1970. Des
auteurs tels que Jovici16 et Stafford17 ont tous proposé la création d’une
science dédiée au tourisme même si c’est sous une appellation différente
12 Op.cit. 13 Op.cit. 14
Hoerner J.M, « Pour une nouvelle définition du tourisme » in Revue Espace n° 224, mars 2002, pp. 15-20. 15
Origet du Cluzeaut Claude, « Contribution à la tourismologie », Espaces, n° 175, Octobre 2000 ; Cazes George et al. , « A propos de la tourismologie. La science par autoproclamation ?», Espaces n° 178, Juillet 2001, pp. 16-19 ; Kadri Boualem, François Bedard, « Vers une science du tourisme », Téoros, été 2005, pp.77- 80. 16
Jovici Zivodin, « Pour et contre la Tourismologie comme discipline scientifique distincte », in AIEST (éd.), le bilan des derniers 25 ans de la recherche touristique, 1975, Bern, Ed, Gurten, pp.144-147. 17
Stafford John, « Le paradigme culturaliste en téorologie : étude, analyse, critique », Téoros, printemps 1988, pp.5-8.
8 Le tourisme, spécificité et spécification d’une discipline
(« téorologie », « touristologie », « tourismographie », « tourismologie »,
« touristique »).
9 Le tourisme, spécificité et spécification d’une discipline
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