Transcript
Page 1: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 1/42

Le « Sur Racine » de Roland Bartheshttp://rene.pommier.free.fr/Barthes01.htm.................... PREMI ÈRE PARTIE : L' ÉROS RACINIEN.................... CHAPITRE I : « LES DEUX ÉROS »

La distinction que nous propose Roland Barthes, au d ébut du chapitre intitul é« Les deux éros », n'a sans doute pas le caract ère de totale gratuit é queprésentent si souvent les vues de ce critique. A en juger par leurs copies, c'estd'ailleurs, avec celle de « la double équation », la seule th èse du Sur

Racine dont les étudiants r éussissent à conserver un souvenir à peu pr ès clair[1]. Elle a m ême recueilli l'approbation de critiques par ailleurs fort r éserv és àl'égard du livre de Roland Barthes. Ainsi Mme Madeleine Remacle qui se dit,et nous la comprenons, « trop souvent […] choqu ée par des g énéralisations

abusives, par des rapprochements forc és, par des citations inad équates, parl'arbitraire avec lequel sont choisis et exploit és les éléments des pi ècesétudi ées » [2] fait une exception pour « la distinction entre les deux éros » quifut, pour elle, « une r évélation » [3]. Mais nous ne la suivrons pas sur ce pointcar nous croyons qu'un examen un peu attentif ne laisse finalement passubsister grand-chose de la th éorie des « deux éros ».Roland Barthes distingue donc deux grandes formes d'amour dans le th éâtrede Racine : « l' éros sororal » et « l' éros- événement ». « Le premier, dit-il, na î tentre les amants d'une communaut é très lointaine d'existence : ils ont été

élevés ensemble, ils s'aiment (ou l'un aime l'autre) depuis l'enfance(Britannicus et Junie, Antiochus et B érénice, Bajazet et Atalide) ; lagénération de l'amour comporte ici une dur ée, une maturation insensible […]l'autre Amour, au contraire, est un amour imm édiat; il na î t brusquement; sagénération n'admet aucune latence, il surgit à la fa çon d'un événement absolu,ce qu'exprime en g énéral un pass é défini brutal (je le vis, elle me plut, etc.).Cet éros- événement, c'est celui qui attache N éron à Junie, B érénice à Titus,Roxane à Bajazet, Eriphile à Achille, Ph èdre à Hippolyte » [4]. Laissons decôté - nous y reviendrons dans un moment - l'exemple erron é d'Antiochus et

disons tout d'abord que, si Roland Barthes s' était content é d'observer que, chezRacine, certains amoureux l' étaient devenus d'une mani ère instantan ée, tandisque d'autres, ayant connu l' être aim é dès l'enfance, en étaient devenusamoureux d'une mani ère progressive et quasi insensible (le contraire e ût étésurprenant), personne, assur ément, ne pourrait songer à contester la justessede cette remarque. Mais personne non plus ne songerait sans doute à nierqu'elle n'aurait qu'un int érêt très limit é. l'originalit é de Roland Barthes neconsisterait, en effet, qu' à avoir remplac é les expressions conventionnelles d'« amour d'enfance » et d' « amour-coup de foudre » par celles d' « érossororal » et d' « éros- événement » [5].

Page 2: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 2/42

En r éalit é, ce qui pourrait passer pour une simple et tr ès banale observation,est d é jà une g énéralisation imprudente, puisque Roland Barthes affirme qu'« il y a deux éros raciniens » et deux seulement. Il exclut donc l'existence deformes interm édiaires qu'on rencontre pourtant, nous le verrons, dans la

trag édie racinienne comme on les rencontre dans la r éalit é. Pour lui, tout cequi n'est pas « éros sororal », est « éros- événement » et r éciproquement. Maisil ne s'en tient pas l à. Car il y a effectivement, et l'on ne saurait s'en étonner,deux « éros raciniens »: l'amour heureux et l'amour malheureux, l'amourpartag é et l'amour non partag é. Et Roland Barthes va reprendre cettedistinction traditionnelle pour en nourrir la sienne, en confondantabusivement, d'une part, « l' éros sororal » et l'amour partag é, d'autre part,« l'éros- événement » et l'amour non partag é. Il aboutit ainsi, pour reprendreune expression qu'il utilisera plus loin d'une mani ère un peu impropre, mais

qui conviendrait ici, à une « double équation »:éros sororal = amour heureuxéros- événement = amour malheureux.Il s'est dit alors que cette belle sym étrie ne pouvait être le fait du hasard etqu'il devait y avoir un rapport de cause à effet entre la naissance de l'amour etson destin. Et tout de suite il a compris : chez Racine, l'amour est heureuxparce qu'il est « sororal », et malheureux parce qu'il est « événement ». Ledestin de « l' éros racinien » se joue tout entier à sa naissance. S'il na î t endouceur - et c'est « l' éros sororal » - « son avenir est paisible, il ne re çoit decontrari été que de l'ext érieur de lui-m ême; on dirait que sa r éussite tient à sonorigine m ême : ayant accept é de na î tre à travers une m édiation, le malheur nelui est pas fatal » [6]. « l' éros- événement », au contraire, ne se remet jamaisdu traumatisme de sa naissance : « on ne peut passer […] de l'amour-ravissement (qui est toujours condamn é) à l'amour-dur ée (qui est toujoursesp éré), c'est l à une des formes fondamentales de l' échec racinien » [7].Voil à donc la grande d écouverte que Roland Barthes nous propose dans sonchapitre « Les deux éros ». Mais il nous faut, bien s ûr, v érifier si cettedécouverte en est vraiment une, et, pour cela, il n'y a qu'une m éthode s érieuse,bien qu'elle soit un peu fastidieuse : passer en revue toutes les relationsamoureuses de la trag édie racinienne. C'est évidemment ce que RolandBarthes aurait d û faire lui-m ême; c'est aussi ce qu'il ne fait jamais, commenous aurons souvent l'occasion de le constater. Jean Pommier l'avait d é jà not éà propos de son Michelet par lui-m ême , et il n'avait gu ère eu de mal à sel'expliquer : « Ah! les d énombrements entiers, c'est bien ennuyeux, bien long,cela tuerait dans l'œuf le syst ème; alors on pr éf ère s'en passer » [8].

La Th é ba ï de va nous permettre de mettre tout de suite à l'épreuve la th éoriedes « deux éros », puisque, bien que le sujet en soit la haine beaucoup plusque l'amour, on peut n éanmoins y trouver à la fois un amour partag é, celuid'Antigone et d'H émon, et un amour malheureux, celui de Cr éon pour

Page 3: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 3/42

Antigone. Et l'on s' étonne que Roland Barthes, pour nourrir la cat égorie peufournie de « l' éros sororal » - il n'en donne que trois exemples - n'ait pasévoqu é l'amour d'Antigone et d'H émon. Cet exemple aurait avantageusementremplac é celui, malencontreux, d'Antiochus. Mais Roland Barthes, en

l'occurrence, a sans doute été victime de sa prudence : comme il est habitu é àne jeter sur les textes qu'un coup d'œil furtif, de peur d'y trouver ce quiruinerait aussit ôt ses th èses, il lui arrive aussi de ne pas les regarder d'assezprès, alors m ême qu'il pourrait y trouver, tr ès rarement il est vrai, de quoi lesétayer un peu. étant donn é leur lien de parent é, tout porte à croire, en effet,qu'Antigone et H émon se sont connus d ès leur petite enfance et que leuramour partag é rel ève bien de « l' éros sororal ». Malheureusement Racine n'apas cru n écessaire de le dire express ément, comme il le fera pour Junie etBritannicus, ainsi que pour Atalide et Bajazet. Mais, à l'époque de La

Thé ba ï de , peut- être n'avait-il pas encore clairement per çu que la r éussite d'unamour tenait toujours à son caract ère « sororal ». Il n'avait certainement pasencore compris, en tout cas, que son échec était toujours li é au caract èreimm édiat de sa naissance. Car, si l'amour de Cr éon n'est pas exactement unamour « sororal » à cause de la diff érence des g énérations, il en a pourtant lecaract ère essentiel, celui qui, selon Roland Barthes, assure sa r éussite : lamédiation du temps ne lui a pas manqu é. L'amour de Cr éon, qui est l'oncled'Antigone, qui l'a vue grandir, qui l'a peut- être vue na î tre, n'est certainementpas le fruit d'un coup de foudre !Ainsi, d ès La Th é ba ï d e, la th éorie des « deux éros » rencontre d é jà desérieuses difficult és d'application. Elles vont cro î tre encore avec Alexandre ,dans la mesure m ême o ù l'amour y joue cette fois-ci un r ôle essentiel. II y a,en effet, cinq personnages amoureux - c'est- à-dire tous les personnages, àl'exception d'Ephestion, qui n'est que le porte-parole d'Alexandre -, un amourmalheureux, celui de Taxile pour Axiane, et les amours partag és d'Axiane etde Porus, d'une part, d'Alexandre et de Cl éophile, de l'autre. Certes, le texte nepermet pas de d écider si les amours de Taxile, d'Axiane et de Porus rel èventde « l' éros sororal » ou de « l' éros- événement ». On ne peut donc s'en servir nipour confirmer ni pour infirmer la th éorie des « deux éros ». Pourtant le faitmême qu'on ne puisse se prononcer n'incite gu ère à croire à l'importance decette distinction. Si vraiment les destins contraires des amours de Porus et deTaxile étaient li és au caract ère « sororal » de l'un et « imm édiat » de l'autre,Racine ne l'aurait-il pas indiqu é ? Pourquoi nous aurait-il, au contraire, induiten erreur, en nous invitant, tout au long de la pi èce, à en chercher l'explicationdans la conformit é du caract ère de Porus et l'incompatibilit é du caract ère deTaxile avec celui d'Axiane ? Quant à l'amour partag é d'Alexandre et deCléophile, il infirme, lui, directement la th éorie des « deux éros ». Car, si letexte n' évoque pas de fa çon assez pr écise la premi ère rencontre d'Alexandre etde Cl éophile pour permettre d'affirmer qu'il s'agit d'un « éros- événement », il

Page 4: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 4/42

permet du moins d' écarter totalement l'hypoth èse d'un « éros sororal ».Cléophile nous apprend, en effet, qu'Alexandre ne l'a connue et aim éequ'apr ès l'avoir faite prisonni ère :Tandis que ce h éros me tint sa prisonni ère,

J'ai pu toucher son cœur d'une atteinte l égère [9].Il est donc tr ès probable que la naissance de cet amour a été très rapide et sansdoute m ême imm édiate. Bien entendu, ce n'est que par modestie queCléophile parle d'une « atteinte l égère ». Elle s'adresse, en effet, à l'envoy éd'Alexandre, Ephestion.Voil à donc d é jà deux trag édies qui contredisent nettement la th éorie des« deux éros ». Dira-t-on - mais Roland Barthes ne le dirait sans doute pas, dumoins pour La Th é ba ï de - que Racine n'y était pas encore lui-m ême? Il seraitdifficile de ne pas reconna î tre, en revanche, que, dans Andromaque, Racine

était d é jà pleinement Racine. Pourtant la th éorie des « deux éros » ne s'yvérifie pas plus que dans les deux premi ères trag édies. Car des trois amoursmalheureux que nous offre Andromaque , celui d'Oreste pour Hermione, celuid'Hermione pour Pyrrhus, celui de Pyrrhus pour Andromaque, seul le dernierpeut être consid éré comme un amour imm édiat. Il y a tout lieu de penser, eneffet, que Pyrrhus a été amoureux d'Andromaque d ès qu'elle est tomb ée en sonpouvoir apr ès la chute de Troie. L' événement remonte à un an, commePyrrhus nous l'apprend, en r épondant à Oreste :Ah! si du fils d'Hector la perte était jur ée,Pourquoi d'un an entier l'avons-nous diff érée ? [10 ]Or il nous apprend aussi qu'il aime Andromaque depuis un an, lorsqu'il luidit :Mon cœur, d ésesp éré d'un an d'ingratitude.Ne peut plus de son sort souffrir l'incertitude [11].Cela dit, il aurait tout de m ême mieux valu, pour la th éorie de Roland Barthes,que Racine e ût pris soin de bien marquer le caract ère imm édiat de cet amour,en prenant la peine d'en raconter la naissance. Mais cela n'emp êcherait pas queni l'amour d'Hermione ni celui d'Oreste ne rel èvent de « l' éros- événement ».On peut affirmer, certes, qu'Hermione a été amoureuse de Pyrrhus d ès lepremier instant ou elle l'a vu; mais c'est qu'elle l' était d é jà avant de l'avoir vu.Hermione a aim é Pyrrhus, elle s'est unie à lui en imagination, avant,longtemps peut- être, de l'avoir rencontr é. Elle s'en souvient, pour accro î tre sondésespoir, au moment de le faire p érir :Ce prince, dont mon cœur se faisait autrefoisAvec tant de plaisir redire les exploits,A qui m ême en secret je m' étais destin éeAvant qu'on e ût conclu ce fatal hym énée,Je n'ai donc travers é tant de mers, tant d'Etats,Que pour venir si loin pr éparer son tr épas [12].

Page 5: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 5/42

Pour parler comme Roland Barthes, on pourrait dire que « fantasmatiquementHermione est du c ôté de l' éros sororal ». Quant à Oreste, son cas contreditencore beaucoup plus nettement la th éorie des « deux éros ». Nul coup defoudre, assur ément, à l'origine de son amour pour une cousine germaine qu'il a

connue d ès la petite enfance. Il a b énéfici é, au contraire, de cette « maturationinsensible », de cette « m édiation du temps » qui caract érisent « l' érossororal ». Et, malheureusement pour Roland Barthes, Racine a pris la peine dele souligner. Car, lorsque Oreste croit n écessaire de rappeler à Hermione quiest l'homme qu'elle a devant les yeux, elle lui r épond :Oui, c'est vous dont l'amour, naissant avec leurs charmes,Leur apprit le premier le pouvoir de leurs armes [13].Enfin, en opposition avec ces trois amours malheureux, la pi èce évoque unamour qui fut le mod èle m ême des amours partag és : celui d' Andromaque et

d'Hector. Et, si l'on pouvait prendre au s érieux la th éorie de Roland Barthes,on s' étonnerait, une fois de plus, que Racine ne nous ait pas renseign és sur lanaissance d'un amour aussi m émorable. Rien ne nous permet, en effet, desavoir s'il s'agit d'un amour d'enfance ou d'un coup de foudre r éciproque. SiAndromaque avait vraiment le sentiment que la r éussite exceptionnelle de sonunion avec Hector tenait au fait qu'ils s' étaient connus d ès l'enfance, nel'aurait-elle pas dit, à Pyrrhus d'abord pour mieux lui faire comprendre qu'ellene saurait consentir à une autre union ? N'aurait-elle pas confi é à sa ch èreCéphise :J'ai connu mon Hector quand il jouait aux billes ?Il faut en arriver à la quatri ème trag édie de Racine, Britannicus, pour trouverenfin la premi ère pi èce à laquelle le sch éma de Roland Barthes puisses'appliquer. C'est vrai, l'amour partag é de Junie et de Britannicus rel ève biende « l' éros sororal » et l'amour malheureux de N éron pour Junie, de « l' éros-événement ». Mais ce n'est sans doute pas un hasard si Britannicus semble, aupremier abord, assez bien illustrer la th éorie des « deux éros ». Car c'est tr èsvraisemblablement à partir de Britannicus que Roland Barthes a échafaud é sathéorie. Nous aurons, en effet, bien souvent l'occasion de constater qu'ilprivil égie abusivement cette pi èce et veut à tout prix en retrouver lescaract ères dans toutes les autres.On pourrait pourtant se demander si l'exemple est vraiment probant. Toutd'abord, la facilit é avec laquelle la jalousie s'empare de Britannicus à la sc ène6 de l'acte II, ne tend-elle pas à sugg érer que « l' éros sororal », pourrait bien,dès qu'il se sent menac é, se montrer aussi possessif, aussi « pr édateur » [14]que « l' éros- événement » ? Mais nous reviendrons sur ce point plus à loisir àpropos de Bajazet . Nous voulons surtout souligner maintenant que, pourpouvoir retrouver dans Britannicus l'opposition des « deux éros » ch ère àRoland Barthes, il faudrait d'abord être s ûr que l'amour de N éron pour Juniemérite bien ce nom. Or il y a de bonnes raisons de douter de la sinc érité et de

Page 6: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 6/42

Page 7: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 7/42

caprice, à un amour v éritable et émouvant un amour factice qui ne fait querendre N éron encore plus odieux.Si l'on peut trouver enfin le sch éma des « deux éros » dans Britannicus , c'estdonc, en fin de compte, d'une mani ère plus apparente que r éelle.

Avec Bé r é nice , en revanche, la question ne se pose m ême pas. Il est denouveau tout à fait impossible d'y mettre en œuvre la th éorie de RolandBarthes, bien que lui-m ême, nous l'avons vu, n'ait pas craint d'y faire appelpour illustrer sa distinction des « deux éros ». Mais l'usage qu'il faitde Bé r é nice ne confirme pas seulement le caract ère tr ès arbitraire de sa th èse.Il nous permet aussi de constater que sa connaissance des textes est tr èssuperficielle et, plus encore, de d éplorer la profonde incoh érence de sespropos. Il consid ère que l'amour d'Antiochus pour B érénice est un exemple d'« éros sororal », tandis que celui de B érénice pour Titus est un exemple d'

« éros- événement ». Quant à l'amour de Titus pour B érénice, il n'en parle paspour la bonne raison - nous en discuterons plus loin - qu'il n'y croit pas. Onaurait aim é savoir, car ii ne s'appuie sur aucune citation, sur quoi il se fondaitpour faire remonter à l'enfance l'amour d' Antiochus. Mais quand on conna î tun peu la m éthode de travail de Roland Barthes, il n'est gu ère malais éd'entrevoir ce qui a d û se passer. Il s'est sans doute souvenu (peut- être lesavait-il not és sur une fiche) de ces vers d'Antiochus disant à Bérénice :Si, dans ce haut degr é de gloire et de puissance,Il vous souvient des lieux o ù vous pr î tes naissance,Madame, il vous souvient que mon cœur en ces lieuxReçut le premier trait qui partit de vos yeux [16].Et, quand il a r édigé son chapitre sur « Les deux éros », il n'a pas pris la peinede les replacer dans leur contexte. Bien s ûr, si l'on ne se souvient que de cesvers, on peut croire, sinon que l'amour d'Antiochus est un amour d'enfance (ceserait forcer le texte), du moins qu'il a aim é Bérénice d ès qu'elle a été en âged'être aim ée, c'est- à-dire d ès qu'elle est sortie de l'enfance. Et l'on pourraitpenser alors, comme le fait Roland Barthes, que l'amour d'Antiochus pourBérénice est nettement plus ancien que l'amour de Titus pour B érénice, ou,puisque le critique ne croit pas à l'amour de Titus, nettement plus ancien quel'amour de B érénice pour Titus. Le premier aurait donc b énéfici é de lamédiation du temps qui a manqu é au second. Pourtant - et ceci nous incite àcroire que Roland Barthes ne s'est m ême pas servi d'une fiche, mais qu'il s'estseulement fi é au souvenir confus qu'il avait gard é de ces vers - l'image du« trait » sugg ère d é jà qu'Antiochus est tomb é imm édiatement amoureux deBérénice [17]. Et, si l'on veut bien se souvenir du reste de la pi èce, il estimpossible d'en douter, comme il est impossible de douter, non plus, que l'« événement » n'ait eu lieu, tr ès peu de temps, quelques jours sans doute,avant que Titus arrive en Palestine. Celui-ci nous apprend, en effet, qu'il aimeBérénice depuis cinq ans, lorsqu'il dit à Paulin :

Page 8: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 8/42

Depuis cinq ans entiers chaque jour je la vois,Et crois toujours la voir pour la premi ère fois [18].Or, lorsque Antiochus évoque sa passion pour B érénice, lui aussi, il parletoujours de cinq ans :

Je me suis tu cinq ans, et jusques à ce jourD'un voile d'amiti é j'ai couvert mon amour [19].Dira-t-on que, s'il s'est tu cinq ans, il aimait peut- être B érénice depuisbeaucoup plus longtemps? Mais l'incertitude est lev ée lorsque, un peu plusloin, à la fin du m ême monologue, il dit :Exemple infortun é d'une longue constance,Apr ès cinq ans d'amour et d'espoirs superflus,Je pars fid èle encor quand je n'esp ère plus 20.II est clair maintenant (« une longue constance »; « cinq ans d'amour ») que

ces cinq ans constituent la dur ée totale d'un amour qui semble avoir étécondamn é au silence presque aussit ôt apr ès sa naissance. Et cette impressionva se trouver pleinement confirm ée, lorsque Antiochus fera à Bérénice l'aveude son amour. Reprenons les vers que nous avons rappel és tout à l'heure etprolongeons la citation (car, si Roland Barthes s'est sans doute confus émentsouvenu des quatre premiers, il a manifestement oubli é ceux qui les suivent) :Si, dans ce haut degr é de gloire et de puissance,Il vous souvient des lieux o ù vous pr î tes naissance,Madame, il vous souvient que mon cœur en ces lieuxReçut le premier trait qui partit de vos yeux :J'aimai. J'obtins l'aveu d'Agrippa votre fr ère;II vous parla pour moi. Peut- être sans col èreAlliez-vous de mon cœur recevoir le tribut;Titus pour mon malheur vint, vous vit et vous plut […]Bient ôt, de mon malheur interpr ète s évère,Votre bouche à la mienne ordonna de se taire [21].Non seulement ces vers confirment qu'Antiochus est devenu amoureux deBérénice fort peu de temps avant qu'elle-m ême le dev î nt de Titus, puisqu'ellen'avait pas encore eu le temps de lui rendre sa r éponse, mais ils montrentsurtout qu'au lieu d'opposer « l' éros sororal » d'Antiochus à « l' éros-événement » qui s'empare de B érénice, Roland Barthes aurait été beaucoupmieux inspir é de voir dans l'amour d'Antiochus, non moins que dans celui deBérénice, cet amour imm édiat qui « surgit à la fa çon d'un événement absolu »et « qu'exprime en g énéral un pass é défini brutal » [22]. Ce « pass é définibrutal », on le trouve ici pour r ésumer la naissance de l'amour d'Antiochus(« J'aimai »), comme pour r ésumer la naissance de l'amour de B érénice(« Titus […] vous plut »). On peut m ême estimer que le premier pass é défini(il est assez inhabituel, dans un alexandrln, de rencontrer un point apr ès ladeuxi ème syllabe) est plus frappant, plus « brutal » que le second.

Page 9: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 9/42

Mais le plus étonnant, le plus consternant, ce n'est pas que Roland Barthes, envoyant dans l'amour d'Antiochus un cas d' « éros sororal », soit encontradiction avec le texte de Raclne; c'est qu'il soit aussi en contradiction - etle lecteur l'aura sans doute d é jà remarqu é - avec la th éorie m ême qu'il cherche

à établir. Car enfln, sept lignes plus loin seulement, il dit de « l' éros sororal »:« son avenir est paisible, il ne re çoit de contrari été que de l'ext érieur de lui-même; on dirait que sa r éussite tient à son origine m ême » [23]. Aurait-ildonc oubli é qu'Antiochus n' était pas aim é de B érénice? Malheureusement -car l'incoh érence de la pens ée nous para î t être beaucoup plus grave quel'ignorance - il ne l'a pas oubli é. Si l'on relit, en effet, le d ébut du paragraphe,on est frapp é par une parenth èse qu'on ne remarque gu ère à la premi èrelecture, mais qui, lorsqu'on conna î t dé jà la suite, laisse compl ètement pantois : « Il y a deux éros raciniens. Le premier na î t entre les amants d'une

communaut é très lointaine d'existence : ils ont été élevés ensemble, ilss'aiment (ou l'un aime l'autre) [24] depuis l'enfance » [25]. Cette parenth èse aété évidemment introduite pour permettre de citer l'exemple d'Antiochus à laligne suivante. Mais, si Roland Barthes se montre alnsi capable de tenircompte de ce qu'il va dire une ligne plus loin [26], il ne l'est manifestementplus lorsqu'il s'agit de sept lignes. Il ne voit pas que, pour avoir un exemple deplus d' « éros sororal », il met sur le m ême plan deux situations radicalementoppos ées (l'amour partag ê et l'amour non partag é), contredisant lui-m ême cequ'il s'appr ête à dire et d étruisant alnsi à l'avance la signification de ladistinction qu'il pr étend établir. On se demande jusqu'ou il faudrait qu'il ailledans l'lncoh érence pour en prendre conscience. On veut croire que, s'il avaitd'abord écrit, pour trouver encore plus facilement des exemples d' « érossororal »: « ils s'aiment (ou ils ne s'aiment ni l'un ni l'autre) depuis l'enfance »,il aurait tout de m ême sursaut é en se relisant.Bien s ûr, en rectifiant l'erreur de Roland Barthes, nous avons supprim é ladifficult é qu'aurait constitu é, pour sa th èse, le cas d'Antiochus. Nous esp érons,en revanche, avoir éclair é le lecteur sur le "fonctionnement" de sa pens ée.Quoi qu'il en soit, les deux autres cas, ceux de Titus et de B érénice,contredisent évidemment la th éorie des « deux éros ». Leur amour est, eneffet, un amour partag é, quoi que pr étende, par ailleurs, Roland Barthes; il« ne re çoit de contrari été que de l'ext érieur de lui-m ême » et pourtant il estimm édiat. Les vers que nous avons cit és, le prouvent pour B érénice. Quant àTitus, il a recours, lui aussi, à un « pass é défini brutal » pour évoquer lanaissance de son amour : « B érénice me plut » [27]. Ainsi les amours deBérénice, de Titus et d' Antiochus sont tous les trois des amours imm édiats.Or les deux premiers sont heureux et le troisi ème, malheureux. Qu'en concluresinon que Roland Barthes lie arbitrairement l' échec ou la r éussite de l'amourracinien au caract ère imm édiat ou non imm édiat de sa naissance ?

Page 10: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 10/42

Avec Bajazet, en revanche, nous retrouvons une pi èce, c'est la seconde (et cesera la derni ère) qui nous pr ésente l'opposition d'un amour « sororal » etpartag é, celui d'Atalide et de Bajazet, et d'un amour imm édiat et malheureux,celui de Roxane pour Bajazet. Peut-on dire, pour autant, que Bajazet illustre

pleinement les propos de Roland Barthes ? On fera tout d'abord observer que,si l'on peut consid érer l'amour de Roxane comme imm édiat, son« imm édiatet é » n'est pourtant pas aussi absolue que le critique aurait pu lesouhaiter. écoutons, en effet, Acomat raconter à Osmin comment Roxane estdevenue amoureuse de Bajazet :Roxane vit le prince; elle ne put lui taireL'ordre dont elle seule était d épositaire.Bajazet est aimable; il vit que son salutDépendait de lui plaire, et bient ôt il lui plut [28].

Il est f âcheux que le « bient ôt » enl ève au pass é simple toute sa « brutalit é ».Certes, il se pourrait qu'Acomat, qui dit un peu plus loin au m ême Osmin :.................... Voudrais-tu qu' à mon âgeJe fisse de l'amour le vil apprentissage ? [29]ne soit pas un bon juge en la mati ère et qu'il n'ait pas vu imm édiatement cequi, pourtant, s' était produit imm édiatement. Toujours est-il que, si Racineavait partag é le point de vue de Roland Barthes, il aurait fait en sorte quel'erreur d'Acomat f ût rectifi ée dans la suite de la pi èce.Mais c'est surtout à cause du personnage d'Atalide que la th éorie des « deuxéros » ne nous para î t pas pouvoir s'appliquer à Bajazet , non plus qu'aux autrestrag édies de Racine. Atalide nous semble, en effet, r épondre assez mal à l'id éeque Roland Barthes se fait de l'amant « sororal ». Certes, son amour pourBajazet est pleinement partag é. Certes, il s'agit bien d'un amour d'enfance,comme elle-m ême le rappelle à sa confidente Za ïre :Dès nos plus jeunes ans, tu t'en souviens assez,L'amour serra les nœuds par le sang commenc és [30].Certes, la grande menace qui p èse sur l'amour d'Atalide et de Bajazet, lui estextérieure : elle a nom Roxane. Peut-on dire, pour autant, que cet amour nereçoive « de contrari été que de l'ext érieur de lui-m ême » ? Ce serait oublierque c'est la jalousie d'Atalide qui provoque la mort de Bajazet. Elle-m ême lesait fort bien et elle s'en accuse avant de se tuer :Enfin, c'en est donc fait : et, par mes artifices,Mes injustes soup çons, mes funestes caprices,Je suis donc arriv ée au douloureux momentOù je vois à mes yeux expirer mon amant [31].Bien s ûr, la situation était absolument sans issue [32] et t ôt ou tard Roxane seserait veng ée. Mais Bajazet aurait r éussi à gagner encore du temps, il auraitmême, ce qui paraissait tout à fait impossible au d ébut de la pi èce, r éussi àmonter sur le tr ône sans avoir d'abord épous é Roxane, si la jalousie manifest ée

Page 11: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 11/42

par Atalide à la sc ène 5 de l'acte III ne l'avait amen é à se perdre lui-m ême, à lascène suivante, en d ésabusant la sultane. Or cette jalousie est tout à faitinjustifi ée. Comme le remarque M. Paul B énichou, Atalide interpr ète « defaçon d élirante la soumission que Bajazet a t émoign ée sur ses propres

instances à l'amour de Roxane » [33]. Ainsi l'amour d'Atalide, bien que «sororal », n'en porte pas moins en lui-m ême un principe de destruction. Elle ena bien, d'ailleurs, le sentiment, puisqu'elle s' écrie, en s'adressant à l'ombre deBajazet :Ah! n'ai-je eu de l'amour que pour t'assassiner ? [34]De plus, quand on compare les deux personnages d'Atalide et de Roxane, iln'appara î t pas du tout évident que Racine ait voulu opposer à l'amour« sororal » et « pacifi é » de la premi ère l'amour imm édiat et « pr édateur » dela seconde. Bien au contraire, lorsque Atalide dit à Bajazet :

Il est vrai, je n'ai pu concevoir sans effroiQue Bajazet p ût vivre et n' être plus à moi;Et lorsque quelquefois de ma rivale heureuseJe me repr ésentais l'image douloureuse,Votre mort (pardonnez aux fureurs des amants)Ne me paraissait pas le plus grand des tourments [35],comment ne pas rapprocher son attitude de celle de Roxane elle-m ême qui necesse de proclamer que Bajazet ne peut vivre sans être à elle ? Comment nepas se dire qu'en évoquant sans distinction « les fureurs des amants », Atalidemontre bien qu'elle n'a jamais lu Roland Barthes? Elle ignore compl ètementqu'il y a « deux éros » et que l'on ne saurait les confondre.Dans Mithridate , nous trouvons trois relations amoureuses : les amours nonpartag és de Mithridate et de Pharnace pour Monime, et l'amour partag é deMonime et de Xiphar ès. Certes, le cas de Mithridate est bien conforme ausch éma de Roland Barthes et la naissance de son amour a effectivement étéimm édiate. Xiphar ès, devant Arbate, l'a r ésum ée en trois syllabes : « Il la vit » [36]. En a-t-il été de m ême pour Pharnace ? C'est possible, mais rien nepermet de l'affirmer. On sait seulement qu'arriv é huit jours plus t ôt àNymph ée, il est all é aussit ôt déclarer son amour à Monime et lui offrir del'épouser, mais on ignore quand et comment il en est devenu amoureux.Constatons-le une fois de plus, Racine ne semble pas accorder à la« génération » de l'amour la m ême importance que Roland Barthes.Le cas de Monime peut être confondu avec celui de Xiphar ès. Le seul fait qu'ils'agisse d'un amour partag é ne nous autoriserait pas à confondre les deux cas :deux êtres peuvent s'aimer, et s'aimer avec la m ême intensit é, sans êtredevenus amoureux en m ême temps ni de la m ême fa çon, Mais Monime elle-même nous invite à le faire. R ésumant l'histoire des sentiments de Xiphar èsdepuis le jour de leur rencontre, elle conclut en effet :

Page 12: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 12/42

Vous n'en sauriez, Seigneur, retracer la m émoire,Ni conter vos malheurs, sans conter mon histoire [37].Or le cas de Xiphar ès montre fort bien ce qu'il y a d'arbitraire dansl'opposition que Roland Barthes pr étend établir entre les « deux éros

raciniens ». Son amour ne peut sans doute pas être consid éré comme tout àfait « sororal », puisqu'il n'a pas connu Monime depuis l'enfance. Il lui dit, eneffet :Je vous vis, je formai le dessein d' être à vous,Quand vos charmes naissants, inconnus à mon p ère,N'avaient encor paru qu'aux yeux de votre m ère [38].l'expression « charmes naissants » indique que Monime n' était plus vraimentune enfant. Mais elle indique aussi qu'elle était encore une tr ès jeune fille etqu'il s'est écoul é depuis un certain nombre d'ann ées. D'ailleurs bien que le

texte ne nous donne aucune indication pr écise de dur ée, il nous est rappel é àplusieurs reprises qu'il s'agit d'un amour d é jà ancien. Xiphar ès dit à Arbate, enlui confiant son secret au d ébut de la pi èce :Tu ne t'attendais pas sans doute à ce discours,Mais ce n'est point, Arbate, un secret de deux jours [39].Et lorsque Monime apprend à Xiphar ès qu'elle r épond à son amour, elle le faiten ces termes :Vous m'aimez d ès longtemps. Une égale tendressePour vous, depuis longtemps, m'afflige et m'int éresse [40].De tels vers incitent évidemment à voir dans l'amour de Monime et deXiphar ès un cas d'« éros sororal ». D'ailleurs, au-del à de la simple dur ée, leuramour poss ède le caract ère essentiel, constitutif, pourrait-on dire, de « l' érossororal », En effet, lorsque Xiphar ès confie à Arbate :Cet amour s'est longtemps accru dans le silence [41],il nous r évèle qu'il y a bien eu une « maturation insensible » et « entre lesdeux partenaires une m édiation, celle du temps » [42]. Pourtant, et c'est l à quenous voulons en venir, cet amour qui, finalement, pourrait semblertypiquement « sororal », n'en a pas moins, en m ême temps, le caract èreessentiel et constitutif de « l' éros- événement »: la naissance imm édiate,Xiphar ès, tenant à souligner qu'il a aim é Monime alors que Mithridate ne laconnaissait pas encore, dit, en effet, à Arbate :Qu'il te suffise donc, pour me justifier,Que je vis, que j'aimai la reine le premier [43].Comment ne pas reconna î tre, dans ce « j'aimai », le « pass é défini brutal »caract éristique de « l' éros- événement »? Comment ne pas voir que lasuccession expressive des deux verbes (« je vis… j'aimai ») indiqueclairement qu'il a suffi à Xiphar ès de voir Monime pour en être amoureux ?Comment ne pas rapprocher ce vers de celui d'Antiochus disant à B érénice,pour lui rappeler que Titus n'avait eu qu' à para î tre pour se faire aimer :

Page 13: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 13/42

Titus, pour mon malheur, vint, vous vit et vous plut [44] ?Et Monime, disant à Xiphar ès :Songez depuis quel jour ces funestes appasFirent na î tre un amour qu'ils ne m éritaient pas [45]

témoigne que cet amour peut être dat é d'une fa çon pr écise; et pourquoi lepeut-il, sinon parce qu'il remonte au jour de leur rencontre ?Concluons donc qu'en pr êtant à l'amour de Xiphar ès et de Monime lecaract ère distinctif et de « l' éros sororal » et de « l' éros- événement », Racine af âcheusement laiss é voir qu'il n' était pas capable de bien distinguer les « deuxéros raciniens » [46].Avec Iphig é nie, si l'on retrouve encore l'opposition d'un amour malheureux,celui d'Eriphile pour Achille, et d'un amour partag é, celui d'lphig énie etd'Achille, cette opposition peut pourtant difficilement être consid érée comme

celle d'un amour imm édiat et d'un amour « sororal ». Certes, l'amourd'Eriphile rel ève incontestablement de « l' éros- événement »; il est m ême, aveccelui de Ph èdre pour Hippolyte, l'amour dont Racine a le mieux soulign é lecaract ère imm édiat. Malheureusement - car il aurait été temps qu'il pr î t enfinconscience de l'importance de la question - il n'a pas cru devoir nous éclairerde fa çon pr écise sur la « g énération » de l'amour d'lphig énie et d'Achille. Onen est donc r éduit à scruter le texte pour essayer d'y glaner quelquesindications, mais le butin n'est pas riche.On peut du moins affirmer qu'lphig énie et Achille ne se sont pas connus« depuis l'enfance ». Car ils ne s' étaient jamais rencontr és avant qu'Achilledemand ât la main d'lphig énie. C'est ce que Clytemnestre nous apprend,lorsqu'elle rappelle à sa fille :Moi-m ême, de l'ingrat approuvant le dessein,Je vous l'ai dans Argos pr ésent é de ma main [47].De plus, s'il est impossible de la dater avec pr écision, cette rencontre nesaurait être tr ès ancienne. La main d'lphig énie devait être, en effet, le prix duconcours et de l'appui qu'Achille venait d'apporter à Agamemnon. Achille,indign é par l'attitude d'Agamemnon, le rappelle à Iphig énie :II voit que de sa sœur je cours venger l'outrage;II sait que, le premier lui donnant mon suffrage,Je le fis nommer chef de vingt rois ses rivaux;Et pour fruit de mes soins, pour fruit de mes travaux.Je ne lui demandais que l'honneur d' être à vous [48].Ajoutons enfin que, si Achille ne fait pas le r écit de la naissance de sonamour, il dit pourtant à Agamemnon, dans la grande "explication" qu'il a aveclui :Votre fille me plut; je pr étendis lui plaire;Elle est de mes serments seule d épositaire [49].

Page 14: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 14/42

On voit donc qu'Achille, lui aussi, a recours au pass é défini (« plut ») pourévoquer la naissance de son amour. Certes, et nous ne songeons aucunement àle nier, le pass é défini d'Achille est loin d' être aussi « brutal » que certainsautres, ceux de Ph èdre ou d'Eriphile par exemple. C'est pourtant un pass é

défini et il semble donc exclu que l'amour d' Achille ait pu b énéficier de cette« maturation insensible » qui d éfinit « l' éros sororal ».Mais, si l'amour d'lphig énie et d'Achille n'est évidemment pas celui qui « na î tentre les amants d'une communaut é très lointaine d'existence », s'il ne poss èdepas, par cons équent, le caract ère premier et fondamental qui permet dereconna î tre « l' éros sororal », il n'en a pas moins un autre caract ère dontRoland Barthes se sert pour le d éfinir la « l égalit é ». Si « l' éros sororal » estun amour « dont les parents eux-m êmes […] ont fond é la l égitimit é " [50],alors l'amour d'lphig énie et d'Achille peut être consid éré comme tel. Leur

amour n'est pas seulement approuv é par Agamemnon et Clytemnestre : cesont eux qui ont voulu et conclu cette union. De plus, si la d écision et l'accordsemblent assez r écents, ils r épondent, en ce qui concerne Clytmnestre, dumoins, à un vœu ancien et qui remonte m ême à l'enfance d'lphig énie. Elle dit,en effet à Achille, lorsqu'elle le supplie de d éfendre sa fille :C'est votre épouse, h élas ! qui vous est enlev ée;Dans cet heureux espoir je l'avais élevée [51].Et l'on peut penser que le vœu d'lphig énie a r épondu à celui de sa m ère.Certes, le vers de Clytemnestre est l égèrement ambigu. Il pourrait, à larigueur, vouloir dire simplement que Clytemnestre a élevé sa fille ennourrissant personnellement l'espoir de la marier avec Achille. Mais l'on peutaussi, et l'on doit sans doute, rattacher « dans cet heureux espoir », non pas ausujet (« je »), mais au compl ément (« l' ») et comprendre que Clytemnestre asu faire partager son espoir à sa fille et qu'elle l'a élevée en l'entretenant dansl'espoir d' épouser un jour Achille. Toujours est-il que cette indication deClytemnestre nous permet seulement de penser qu'lphig énie a sans doute r êvéd'épouser Achille, longtemps avant de le conna î tre, mais que Racine n'a pas

jug é nécessaire de nous en dire davantage. Il n'aurait sans doute pas manqu éde le faire, s'il avait pens é qu'un amour partag é devait n écessairement avoirquelque chose de « sororal » ou de quasi « sororal ». Hermione se souvient,nous l'avons vu, d'avoir r êve d' être à Pyrrhus avant que son mariage ait étédécidé. Rien n'emp êchait Racine de pr êter à Iphig énie des propos semblables.Il ne l'a pas fait et l'on n'entend pas Iphig énie confier à Eriphile ou à Ægine :Je me disais d é jà, étant petite fille :« Je ne voudrai jamais un autre époux qu'Achille ».Mais, à l'évidence, lorsque Racine écrivait Iphig énie, il n'avait toujours pascompris qu'il y avait « deux éros raciniens », et deux seulement, totalementoppos és. Il n'a pas craint, de nous pr ésenter, en effet, avec l'amour d'lphig énieet d'Achille, un cas à la fois passablement incertain et profond ément ambigu.

Page 15: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 15/42

S'il fallait absoiument le d éfinir par rapport aux cat égories de Roland Barthes,on serait sans doute tent é de s'en tirer, tant bien que mal, en disant que cetamour, vu du c ôté d'lphig énie, semble plus proche de « l' éros sororal » que de« l' éros- événement », alors que, vu du c ôté d'Achille, il para î t peut- être moins

éloign é de « l' éros- événement » que de « l' éros sororal ».Comme dans Iphig é nie , nous trouvons dans Ph èdre un amour malheureux,qui, indiscutablement, est aussi un amour imm édiat, l'amour de Ph èdre pourHippolyte, et un amour partag é, celui d'Hippolyte et d'Aricie, qui est encorebeaucoup moins conforme au sch éma de Roland Barthes que l'amourd'lphig énie et d'Achille. Il le contredit m ême d'une mani ère tout à fait radicale,puisque, au lieu d' être « sororal », comme il le faudrait, il rel èvemanifestement de « l' éros- événement ». Hippolyte et Aricie se connaissent,en effet, depuis six mois environ et tout indique qu'ils sont tomb és amoureux

l'un de l'autre aussit ôt qu'ils se sont vus. En ce qui concerne Hippolyte, il suffitde rappeler la d éclaration qu'il fait à Aricie. La fa çon dont il évoque lanaissance de son amour, ne peut laisser aucun doute sur son caract èreimm édiat :Moi qui, contre l'amour fi èrement r évolt é,Aux fers de ses captifs ai longtemps insult é;Qui des faibles mortels d éplorant les naufrages,Pensais toujours du bord contempler les orages;Asservi maintenant sous la commune loi,Par quel trouble me vois-je emport é loin de moi ?Un moment a vaincu mon audace imprudente :Cette âme si superbe est enfin d épendante.Depuis pr ès de six mois, honteux, d ésesp éré,Portant partout le trait dont je suis d échir é,Contre vous, contre moi, vainement je m' éprouve [52].On constate tout d'abord qu'Hippolyte situe approximativement (« pr ès de sixmois ») la naissance de son amour au moment de l'arriv ée d'Aricie à Tr ézène.Il a, de plus, recours à l'image du « trait » qui est l' équivalent classique denotre « coup de foudre » [53]. Enfin, il nous semble que Roland Barthes auraitfort bien pu se servir de ces vers d'Hippolyte pour illustrer ce qu'il dit de« l'éros- événement » On a bien l à l'évocation d'un « amour-ravissement »,dont « le h éros […] est saisi, li é comme dans un rapt ». Bien s ûr, on n'y trouvepas de « pass é défini brutal ». Mais comment nier que le « un moment » duvers 537, s'opposant au « longtemps » du vers 532 et au « toujours » du vers534, a exactement la valeur d'un pass é simple succ édant à des imparfaits etqu'il traduit aussi bien que lui la brusque naissance d'un amour qui « surgit à lafaçon d'un événement absolu » [54] ?

Page 16: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 16/42

Quant à Aricie, si elle évoque plus bri èvement qu'Hippolyte la naissance deson amour, la confidence qu'elle a faite à Ism ène, à la sc ène pr écédente,ressemblait fort a la confession d'Hippolyte :Tu sais que de tout temps à l'amour oppos ée,

Je rendais souvent gr âce à l'injuste Th ésée,Dont l'heureuse rigueur secondait mes m épris.Mes yeux, alors, mes yeux n'avaient pas vu son fils [55].Là encore, s'il n'y a pas de « pass é d éfini brutal », l'impression produite estexactement la m ême. Au lieu d' évoquer directement l' éblouissement amoureuxque lui a donn é la vue d'Hippolyte, en ayant recours à un pass é simple (« je levis »), Aricie le fait d'une mani ère indirecte et n égative, mais non moinsexpressive, en utilisant un plus-que-parfait (« mes yeux n'avaient pas vu ») quinous conduit jusqu' à la seconde m ême qui pr écède l' éblouissement amoureux

et nous y arr ête, nous le faisant ainsi deviner. Notons encore qu'au« longtemps » et au « toujours » que nous avons relev és dans les versd'Hippolyte, r épondent, dans ceux d'Aricie, un « de tout temps » et un« souvent ». Ils nous montrent que, comme celle d'Hippolyte à sa vue,l'attitude d'Aricie envers l'amour, cette attitude qui semblait immuable, s'estbrusquement transform ée à la vue d'Hippolyte. Comment nier enfin que larépétition (« mes yeux, alors, mes yeux ») exprime fort bien ce « saisissement[…] d'ordre visuel », qui serait la marque m ême de « l' éros- événement » ?Nous ne croyons pas qu'il soit utile de tenir compte des deux trag édies sacr éespour étudier l'amour chez Racine. Mais, nous le verrons, ce n'est pas le pointde vue de Roland Barthes qui invoque Esther et surtout (sans doute parce quecela s'imposait encore beaucoup moins) Athalie pour d éfinir « l' érosracinien ». Toujours est-il qu' Esther pourrait difficilement servir à justifier lathéorie des « deux éros ». Le r écit qu'Esther fait à Elise, montre que l'amourd'Assu érus est n é d'une fa çon quasi instantan ée :De mes faibles attraits le Roi parut frapp é.II m'observa longtemps dans un sombre silence;Et le ciel qui pour moi fit pencher la balance,Dans ce temps-l à sans doute agissait sur son cœur.Enfin avec des yeux o ù régnait la douceur :« Soyez reine », dit-il; et, d ès ce moment m êmeDe sa main sur mon front posa son diad ème.Pour mieux faire éclater sa joie et son amour,Il combla de pr ésents tous les grands de sa cour [56].Une chose est donc s ûre : l'amour d'Assu érus pour Esther ne saurait êtreconsid éré comme un « éros sororal ». Et pourtant quel amour a devant lui un« avenir » plus « paisible » ? Certes, Esther ne r épond pas à l'amourd'Assu érus et n' éprouve pour lui que de la reconnaissance et peut- être del'affection. Mais Assu érus ne para î t pas s'en soucier le moins du monde (il ne

Page 17: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 17/42

s'est m ême pas souci é, depuis six mois qu'il la épous ée, de savoir qui elle étaitet d'o ù elle venait). De toute évidence, il est parfaitement tranquille etparfaitement heureux avec Esther. Et il le lui dit :Croyez-moi, ch ère Esther, ce sceptre, cet empire,

Et ces profonds respects que la terreur inspire,A leur pompeux éclat m êlent peu de douceur,Et fatiguent souvent leur triste possesseur.Je ne trouve qu'en vous je ne sais quelle gr âceQui me charme toujours et jamais ne me lasse.De l'aimable vertu doux et puissants attraits !Tout respire en Esther l'innocence et la paix.Du chagrin le plus noir elle écarte les ombres,Et fait des jours sereins de mes jours les plus sombres [57].

Mais, redisons-le, nous ne comptons Assu érus parmi les amoureux raciniensque parce que Roland Barthes le fait lui-m ême [58]. Bien s ûr, Assu érus estamoureux d'Esther. Mais il s'agit d'un cas tr ès particulier, celui d'un amoursuscit é par Dieu en fonction de ses desseins providentiels (Esther le dit : c'est« le ciel qui […] sans doute agissait sur son cœur »). Nous sommes donc dansun domaine qui est celui du merveilleux et du surnaturel plut ôt que de lapsychologie amoureuse. Aussi peut-on fort bien se passer de l'exempled'Assu érus pour étudier l'amour racinien, et, d'une mani ère plus g énérale,étudier « l'homme racinien » sans tenir compte d'une pi èce dont lespersonnages n'ont gu ère de consistance psychologique et qui ressemble, selonl'heureuse formule de Raymond Picard, à une « tapisserie orientale » [59].Quant à Athalie, il faudrait, pour pouvoir y trouver ou non la confirmation dela th éorie des « deux éros », que l'amour n'y f ût pas totalement absent, commeil l'est évidemment. Mais ce n'est pas l'opinion de Roland Barthes. Il a sudécouvrir ce qui, pendant trois si ècles, avait échapp é à la perspicacit é de tousles spectateurs, de tous les lecteurs et de tous les critiques : comme Hermione,comme Roxane, comme Ph èdre, Athalie est aussi une grande amoureuse. Et,comme elles, elle aime un être qui ne l'aime pas. Mais - et c'est ce qui fait lagrande originalit é du cas d'Athalie - si l' être qu'elle aime ne r épond pas à sonamour, ce n'est point du tout parce qu'il aime ailleurs, comme Pyrrhus, Bajazetet Hippolyte; c'est tout simplement parce qu'il est dans sa neuvi ème ann ée etqu'il n'est donc pas encore en âge d'aimer. Car, et c'est l à sans doute une desthèses les plus grotesques du Sur Racine , Roland Barthes n'a pas craintd'affirmer qu'il y avait une relation v éritablement amoureuse entre Athalie etEliacin. Mais notre prochain chapitre nous fournira l'occasion de revenir surcette étrange affirmation. En attendant, et pour prouver notre bonne volont é,nous reconna î trons tr ès volontiers que, si l'on pouvait prendre au s érieux un telpropos, le cas d'Athalie serait tout à fait conforme à la th éorie des « deuxéros », son amour étant à la fois imm édiat et malheureux.

Page 18: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 18/42

Nous voil à donc arriv é au terme de notre enqu ête. l'heure est venue de faireles comptes et de tirer les conclusions. Au total, si l'on consid ère l'ensembledes relations amoureuses de la trag édie racinienne, on s'aper çoit qu'il y a denombreux cas qui n'entrent pas dans le sch éma beaucoup trop simpliste que

nous propose Roland Barthes. Il s'en faut d'abord que l'amour racinien puissetoujours être catalogu é comme un amour « sororal » ou comme un amourimm édiat. Il s'en faut, enfin et surtout, que l'amour imm édiat soit toujours unéchec et l'amour non imm édiat, toujours une r éussite.Il y a d'abord des cas tout à fait incertains, le texte ne permettant aucunementde savoir s'il s'agit d'un « éros sororal » ou d'un « éros- événement ». Rienn'emp êche qu'Axiane, Porus et Taxile, dont les royaumes à tous trois sontdans les Indes, ne se connaissent depuis longtemps, voire depuis l'enfance.Mais les Indes sont grandes, et rien n'emp êche non plus qu'ils ne se

connaissent que depuis peu de temps et qu'ils ne soient devenus amoureuximm édiatement. Le cas de Pharnace, aussi, est largement incertain. On saitque son amour pour Monime est plus r écent que celui de Xiphar ès [60] etainsi, moins que le sien encore, il peut être consid éré comme un amourd'enfance. Il se peut donc fort bien que cet amour malheureux soit un amourimm édiat, mais rien ne permet de l'affirmer.A c ôté de ces cas incertains, il y a aussi, et c'est nettement plus grave, des casambigus qui rel èvent à la fois de « l' éros-sororal » et de « l' éros- événement ».Il y a le cas d'Hermione, qui a r êvé d'être à Pyrrhus longtemps avant de leconna î tre. Il y a le cas de Xiphar ès et de Monime dont l'amour, sans remonter

jusqu' à l'enfance, est d é jà ancien et a grandi avec le temps, bien qu'ils se soientaim és dès le premier instant. Il y a le cas, à la fois incertain et ambigu,d'phig énie et d'Achille dont l'amour ressemble fort à « l' éros- événement »,puisqu'ils ne se connaissent que depuis peu de temps et semblent s' être aim éstout de suite, mais qui pourtant r épond, comme « l' éros sororal », à la volont édes parents, et m ême aux vœux anciens de la m ère et sans doute aussi de lafille.Il y a enfin d'assez nombreux cas qui sont évidemment en contradiction avecla th éorie des « deux éros ». Il y a l'amour d'Oreste pour Hermione, amourqu'on a toutes les raisons de consid érer comme « sororal » et qui est, pourtant,malheureux, comme l'est l'amour quasi « sororal » (il est, en tout cas,« avunculaire ») de Cr éon pour Antigone. Il y a, surtout, les trois casd'amours imm édiats ou quasi imm édiats et pourtant pleinement partag és :celui de Cl éophile et d'Alexandre, celui de B érénice et de Titus, celui d'Aricieet d'Hippolyte. Ajoutons-y l'amour d'Assu érus pour Esther, amour, sinonpartag é, du moins tout à fait pacifi é et parfaitement heureux.Voil à donc bien des cas d é jà (ils concernent dix-huit personnages d'amoureuxraciniens sur un total de trente et un [61]) qui n'ob éissent pas aux lois d éfiniespar Roland Barthes. Certes les cas incertains ne peuvent pas contredire la

Page 19: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 19/42

théorie des « deux éros ». Mais ils ne peuvent pas la confirmer non plus,comme pourtant ils devraient le faire, si cette th éorie avait vraiment la port éeet l'importance que Roland Barthes lui attribue. Quant aux cas ambigus, ils lacontredisent, au moins partiellement, et les derniers cas que nous avons

rappel és, les plus nombreux, la contredisent enti èrement.Si nous r écapitulons maintenant les exemples qui, du moins au premier abord,semblent conformes au sch éma de Roland Barthes, nous trouvons, d'une part,les amours « sororaux » et partag és d'Antigone et d'H émon, de Junie et deBritannicus, d'Atalide et de Bajazet, et, d'autre part, les amours imm édiats etmalheureux de Pyrrhus, de N éron, d'Antiochus, de Roxane, de Mithridate,d'Eriphile et de Ph èdre. Mais, nous l'avons vu, ces exemples eux-m êmesn'illustrent pas tous la th éorie des « deux éros » aussi pleinement qu'il lefaudrait. En effet, sur ces treize personnages d'amoureux raciniens, il y en a

tout d'abord six dont le cas, sans être ni ambigu ni m ême incertain, n'apourtant pas toute la nettet é qu'on pourrait souhaiter. Certes, si l'on veut à toutprix les ranger dans la cat égorie de « l' éros sororal » ou de « l' éros- événement », le texte permet de le faire. Encore faut-il le vouloir et, sinon solliciter letexte, du moins le scruter et le serrer de pr ès pour en extraire lesrenseignements dont on a besoin. Ainsi le caract ère « sororal » de l'amourd'Antigone et d'H émon se d éduit du fait qu'ils sont cousins germains et que,selon toute apparence, ils ont grandi ensemble à Th èbes (il y a un anseulement qu'H émon en était parti, à la demande d'Antigone, pour suivrePolynice). Mais cette enfance commune, le texte ne la rappelle jamais, nel'évoque jamais, f ût-ce d'une mani ère tr ès rapide et allusive. On peut d'ailleurspenser, on peut esp érer, que, si cela avait été, Roland Barthes s'en seraitaper çu et qu'il aurait compt é, pour étayer sa th èse, Antigone et H émon aunombre des amants « sororaux ». De m ême, si les amours malheureux dePyrrhus, d'Antiochus, de Roxane et de Mithridate, sont à ranger au nombredes amours imm édiats, il faut bien reconna î tre que Racine n'a pas cru devoirfaire un sort à « l' événement ». Dans le cas de Pyrrhus, il a été si discret qu'ilnous a seulement permis de deviner « l' événement ». Dans le cas deMithridate, comme dans celui de Roxane, il s'est content é d'une rapideallusion. De ces quatre amours, c'est, incontestablement celui d'Antiochusdont il a le plus nettement indiqu é la naissance imm édiate. Pas asseznettement, cependant, pour que Roland Barthes s'en soit aper çu, ce qui luiaurait évité, pourtant, de contredire lui-m ême sa propre th éorie en citantl'amour malheureux d'Antiochus comme exemple d' « éros sororal ».II n'y a donc finalement que sept personnages pour lesquels Racine anettement marqu é la g énération » de leur amour, en en soulignant le caract ère« sororal » ou imm édiat. Ce sont, pour « l' éros sororal », Britannicus et Junie,Bajazet et Atalide, et, pour « l' éros- événement », N éron, Eriphile et Ph èdre.Mais, sur ces sept exemples qui paraissent ainsi conformes à la th éorie des

Page 20: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 20/42

« deux éros », on peut encore en écarter trois, si l'on se souvient des objectionsque nous avons soulev ées tout à l'heure. l'amour de N éron pour Junie ne nouspara î t pas assez convaincant pour qu'on puisse le prendre en compte, etl'amour « sororal » de Bajazet et d'Atalide, à cause de la nature inqui ète et

jalouse de celle-ci, n'a gu ère le caract ère serein qu'il devrait avoir. Ainsi, sil'on examine les choses d'une mani ère tout à fait rigoureuse, il nous sembleque seuls r épondent vraiment à la description de Roland Barthes, l'amour« sororal » de Britannicus et de Junie [62] et les amours imm édiats d'Eriphileet de Ph èdre. Au total, sur trente et un personnages d'amoureux raciniens, iln'y en a donc que quatre à être tels qu'ils devraient tous être, si Roland Barthesavait raison. C'est assur ément bien peu.C'est pourtant mieux que rien. C'est m ême, pour qui est un peu habitu é auxaffirmations, souvent totalement gratuites, de Roland Barthes, tout à fait

inesp éré. Si on la compare à d'autres th éories du Sur Racine , qui ne peuvents'appuyer que sur un ou deux exemples, et souvent m ême, nous le verronsbient ôt, sur aucun, la th éorie des « deux éros » semble faire tr ès bonne figure.Et, de fait, sur le plan purement descriptif, elle pourrait, à défaut d' être exacte(nous croyons avoir suffisamment montre qu'elle ne l' était pas), n' être pastotalement irr éelle et contenir une parcelle de v érité. En effet, si l'on ne peutpas dire que l'amour « sororal » soit toujours heureux et pacifi é, on peut toutde m ême parler, dans l'ensemble, d'une r éussite de « l' éros sororal ». Les deuxcas dont Racine a le mieux soulign é le caract ère « sororal », celui deBritannicus et de Junie et celui de Bajazet et d'Atalide, sont tous les deux descas d'amours, sinon pacifi és, du moins pleinement partag és. Rappelons aussila r éussite de l'amour d'Antigone et d'H émon, bien que Racine ait n églig é d'ensouligner le caract ère « sororal ». Il est plus difficile, en revanche, de dire qu'ily ait, dans l'ensemble, un échec de « l' éros- événement ». Car, nous l'avons vu,il y a de nombreux cas d'amours imm édiats et heureux (Alexandre, Cl éophile,Titus, B érénice, Hippolyte, Aricie, Assu érus). Il y a en m ême autant {sept dechaque c ôté) que d'amours imm édiats et malheureux (Pyrrhus, N éron,Antiochus, Roxane, Mithridate, Eriphile, Ph èdre). Mais, si l'on regarde leschoses d'un point de vue, non plus quantitatif, mais qualitatif, il n'en va plustout à fait de m ême. On peut dire que la seconde liste ne compte que desfigures de premier plan, ce qui n'est assur ément pas le cas de la premi ère. Despersonnages comme Alexandre, Cl éophile ou Assu érus, ont évidemment bienpeu de poids à côté d'un Pyrrhus, d'une Roxane ou d'une Ph èdre [63].Ajoutons que les trois amours dont Racine a le mieux soulign é la naissanceimm édiate, ceux de N éron, d'Eriphile et de Ph èdre, sont tous les trois desamours non partag és. Disons donc qu'il y a sans doute, dans la trag édieracinienne, un certain succ ès de « l' éros sororal », et, peut- être, dans la mesureoù les figures marquantes retiennent davantage l'attention, un échec, mais tr èsrelatif, de « l' éros- événement »

Page 21: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 21/42

Mais le probl ème est de savoir s'il y a l à un fait significatif. Car, quand bienmême la th éorie des « deux éros » aurait une certaine valeur descriptive, savaleur explicative n'en serait pas d émontr ée pour autant. Allons plus loin.Quand bien m ême tous les amours que nous offre la trag édie racinienne,

seraient tr ès nettement ou « sororaux » ou imm édiats, quand bien m ême tousles amours « sororaux » seraient partag és, tandis que tous les amoursimm édiats seraient malheureux, quand bien m ême, par cons équent, la th éoriedes « deux éros » serait totalement vraie sur le plan descriptif, ce qui est bienloin d' être le cas, il faudrait encore, avant d' établir un rapport de cause à effetentre la r éussite ou l' échec de l'amour, d'une part, et son mode de naissance« sororal » ou imm édiat, d'autre part, bien s'assurer qu'il n'y a pas d'autreexplication possible. Rien n'est plus n écessaire dans le cas qui nous occupe.Tout d'abord, s'il y a bien, chez Racine, une nette r éussite de « l' éros sororal »,

il est tr ès facile de l'expliquer. A vrai dire, ce qui serait étonnant, c'est qu'il enf ût autrement. Nous nous sentons, quant à nous, tout à fait incapable de dire siles amours d'enfance sont plus souvent partag és que les autres. Mais nouspouvons avancer, en revanche, sans prendre beaucoup de risques, que,lorsqu'un amour d'enfance n'est pas partag é, le gar çon et la fille cessentordinairement de vivre ensemble, d ès qu'ils cessent d' être élevés ensemble.S'ils continuent, au contraire, à se voir quasi quotidiennement, c'estgénéralement le signe qu'ils s'aiment. Supposons un instant que Britannicusn'ait jamais inspir é à Junie que de l'indiff érence, voire du d édain, il se seraitsans doute lass é depuis longtemps de subir ses froideurs et aurait cess é de luirendre visite dans son palais, à moins qu'elle-m ême n'ait fini par lui eninterdire la porte. Roland Barthes constate que l'amour partag é de Britannicuset de Junie dure depuis l'enfance et il en conclut aussit ôt qu'il est partag é parcequ'il remonte à l'enfance. Voil à, assur ément, une étrange fa çon de raisonner !Car, si rien ne permet d'affirmer que la r éussite de lamour de Junie et deBritannicus tient au fait qu'il remonte à l'enfance, en revanche, on peutaffirmer, sans grand risque de se tromper, que le fait que cet amour duredepuis l'enfance, doit tenir à sa r éussite. Par cons équent il est fort probableque, si Racine a pris la peine de pr éciser que l'amour de Britannicus et deJunie était d é jà ancien et remontait aux ann ées d'enfance, ce n'est pas du toutpour expliquer la r éussite de leur amour, mais seulement pour la souligner.A l' évidence, Racine n'a jamais pens é qu'un amour d'enfance étaitnécessairement partag é. Lxemple d'Oreste suffirait à le montrer. Mais ilapporte aussi à notre propos la contre- épreuve qui le confirme. Britannicus etJunie s'aiment depuis l'enfance et, depuis l'enfance, semble-t-il, ils n'ont

jamais cess é de se voir et n'ont jamais v écu éloignes l'un de l'autre. Oresteaime Hermione depuis l'enfance, mais lorsque la pi èce commence, il y a d é jàun an qu'Hermione se trouve en Epire, alors qu'Oreste vient seulement d'yarriver. Fatigu é de supporter les m épris d'Hermione, il s' était, depuis un an,

Page 22: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 22/42

efforc é de l'oublier. Sans doute n'y est-il pas arriv é et est-il finalement revenuvers elle. Mais, comme il le dit à Pylade, au d ébut de la pi èce :J'aime : je viens chercher Hermione en ces lieux,La fl échir, l'enlever ou mourir à ses yeux [64],

cette fois-ci, il est bien d écidé à en finir d'une fa çon ou d'une autre, et à neplus prolonger une situation insupportable. On a d'ailleurs tout lieu de penserque cette s éparation n' était pas la premi ère. Il dut y en avoir d'autres avant,moins longues sans doute et qui paraissaient moins s érieuses. Nous ne savonspas grand-chose sur les relations pass ées d'Oreste et d'Hermione. Tout cequ'on peut affirmer, c'est qu'elles ont été difficiles et souvent orageuses. Il estdonc probable qu'elles ont aussi été souvent interrompues, du fait d'Hermionesans doute. On n'imagine gu ère, en effet, qu'elle ait laiss é Oreste la voir aussifacilement et aussi r éguli èrement que Junie laissait Britannicus le faire.

Comment donc le nier ? Un amour non partag é constitue n écessairement unerelation moins stable et moins durable qu'un amour partag é. Ainsi il n'y aaucunement lieu de s' étonner s'il semble y avoir, dans la trag édie racinienne,une nette r éussite de « l' éros sororal ». Cela ne signifie pas du tout que laréussite soit naturelle à « l' éros sororal ». Cela signifie simplement qu'unerelation amoureuse qui ne r éussit pas, est aussi, d'ordinaire, une relation qui nedure pas. Cela signifie, par cons équent, qu'il est tr ès ais é de faire remonter

jusqu' à l'enfance un amour partag é, mais qu'il l'est nettement moins demontrer face à face un homme et une femme dont l'un se refuse obstin ément àrépondre à l'amour de l'autre et de faire remonter jusqu' à l'enfance une tellesituation.On le voit, à l'origine de la th éorie barth ésienne de « l' éros sororal », il y a unétonnement inconsid éré. Roland Barthes a remarqu é, et il serait difficile de nepas le faire, que, g énéralement, un amour qui r éussissait, était aussi un amourqui durait. Et tout de suite, il a été intrigu é, son intelligence a été en alerte et iln'a eu de cesse qu'il n'ait entrevu la solution de ce probl ème : « on dirait quesa r éussite tient à son origine m ême : ayant accepte de na î tre à travers unemédiation, le temps ne lui est pas fatal » [65]. On aurait souhait é, assur ément,qu'il analys ât de fa çon un peu plus pr écise un m écanisme psychologique quinous semble rester assez myst érieux. Mais le conditionnel prudent auquel il arecours (« on dirait »), indique suffisamment qu'il serait bien en peine de lefaire. Et pourquoi le ferait-il ? Ses explications para î traient certainementbeaucoup moins subtiles à ses admirateurs, et d'abord à lui-m ême, si ellesexpliquaient vraiment quelque chose. Mais il ne cherche qu' à déconcerter, qu' àintriguer, qu' à ébahir les jobards, et sans doute à s'ébahir lui-m ême, par despropos paradoxaux. Dans le cas pr ésent, le proc édé utilis é pour y parvenir esttout à fait simple : il consiste à inverser l'ordre des termes, à transformer l'effeten cause et à expliquer la r éussite de l'amour par ce qui en est la cons équencela plus évidente et le signe le plus visible : la dur ée. Quand on parle à Roland

Page 23: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 23/42

Barthes d'un restaurant o ù la cuisine est bonne et o ù les clients reviennentsouvent, il doit se dire, non pas que les clients reviennent parce que la cuisineest bonne, mais que la cuisine est bonne parce que les clients reviennent.Quand il rencontre un centenaire, au lieu de penser, bien banalement, qu'il faut

avoir une bonne sant é pour vivre jusqu' à cent ans, il doit r éfléchir un momentet conclure gravement : « on dirait que c'est bon pour la sant é de vivre jusqu' àcent ans ».Ainsi, dans le cas de « l' éros sororal », la r éussite est sans doute nette, maisl'explication en est aussi tr ès ais ée. On n'a donc aucun besoin de l'explicationhypoth étique, plus verbale que v éritablement éclairante, propos ée par RolandBarthes. Dans le cas de « l' éros- événement », pour qu'on ait vraiment besoinde l'explication de Roland Barthes ou de quelque explication que ce soit, ilfaudrait d'abord qu'il y e ût vraiment un fait à expliquer. Car, redisons-le, en

admettant qu'on puisse parler d'un échec de l'amour imm édiat, ce n'est qu'unéchec tr ès relatif. Plut ôt que d'un fait (les cas de r éussite sont aussi nombreuxque les cas d' échec), il s'agit d'une impression qui tient à ce que, d'une part, lesfigures les plus marquantes de l'amour racinien sont celles de l'amour nonpartag é [66], et, d'autre part, les amours les plus nettement imm édiats sonttous les trois des amours non partag és. Mais il suffirait sans doute desupprimer le seul personnage de Ph èdre pour qu'il n'y ait m ême plus uneimpression. Car enfin Andromaque est évidemment la trag édie de l' échec del'amour; elle n'est pas pourtant la trag édie de l' échec de l'amour imm édiat.Seul, en effet, l' échec de Pyrrhus pourrait être consid éré comme un échec del'amour imm édiat (encore e ût-il été souhaitable que Racine l'indiqu âtnettement !), mais non l' échec d'Hermione, et encore moins celui d'Oreste.Mais soyons bon prince. Il reste, il est vrai, que les grands amoureux racinienssont, le plus souvent, des amoureux malheureux. Et, s'il n'est pas vrai que,chez Racine, l'amour imm édiat soit le plus souvent malheureux, il est vrai quel'amour malheureux y est le plus souvent imm édiat. Mais qui songerait às'étonner qu'un auteur de trag édies peigne mieux l'amour malheureux quel'amour heureux, alors qu'il cherche avant tout à éveiller la piti é du spectateur.Et, s'il fait le plus souvent de l'amour malheureux un amour imm édiat, ce n'estpoint du tout parce qu'il entend nous expliquer ainsi pourquoi l'amour estmalheureux. Mais la m ême raison qui fait que Racine ne peint que rarementun amour malheureux qui remonte à l'enfance, cette m ême raison (le caract èrenaturellement instable d'une relation d'amour non partag é) fait aussi qu'il pr êtesouvent à l'amour malheureux une naissance imm édiate.A partir du moment, en effet, o ù Racine d écide de peindre une passionviolente et non partag ée, il ne peut, sans invraisemblance, lui pr êter un longpass é. Une situation de crise ne saurait s' éterniser. Un amour malheureux etcapable de provoquer un d énouement tragique peut difficilement durer depuisdes ann ées. Sans doute une certaine dur ée est-elle n écessaire pour permettre à

Page 24: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 24/42

Page 25: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 25/42

deux ou trois ans. Quant à la seconde crise, celle qui conduit au d énouementtragique, elle a commenc é avec l'arriv ée de Ph èdre à Tr ézène, il y a six mois.Le cas de Ph èdre confirme donc finalement que les situations de crise nesauraient durer pendant plusieurs ann ées. On pourrait, bien s ûr, nous objecter

le cas d'Antiochus qui aime B érénice depuis cinq ans d'un amour non partag éet qui, depuis trois ans entiers, vit à Rome dans son voisinage. Maisl'explication d'une aussi longue patience se trouve évidemment dans ce quiconstitue la donn ée essentielle de l'intrigue. Ce qui a emp êché jusque-l à Titusd'épouser B érénice, est aussi ce qui a conserv é à Antiochus l'esp érance qui l'afait rester, comme il l'explique à Bérénice :Mais toujours quelque espoir flattait mes d éplaisirs :Rome, Vespasien traversaient vos soupirs [71].Cette longue patience s'explique aussi par le caract ère d'Antiochus, qui n'est

pas un violent. On n'imagine évidemment pas un Oreste ou un Pyrrhus faisantpreuve d'une telle patience et se taisant pendant si longtemps.Mais l'obligation o ù se trouve Racine de ne pr êter à l'amour malheureuxqu'une dur ée tr ès restreinte, l'am ène tout naturellement à lui pr êter aussi unenaissance tr ès rapide [72]. D'ailleurs, sans vouloir faire comme RolandBarthes, et pr étendre enfermer la complexit é des sentiments humains dans desformules simplistes, on peut affirmer pourtant qu'effectivement la naissancede lll'amour est souvent tr ès rapide. Bien s ûr l'amour peut na î tre rapidement,très rapidement m ême, sans que cette naissance soit pourtant instantan ée etqu'il y ait v éritablement un ph énom ène de coup de foudre, ph énom ène, audemeurant, assez banal. Mais, à vrai dire, Racine n'a vraiment d écrit que troiscas de coups de foudre, celui (plus jou é, d'ailleurs, que vraiment v écu) deNéron, celui d'Eriphile et celui de Ph èdre. Bien des cas que Roland Barthesconsid ère comme des cas d'amours imm édiats, et que nous avons accept é decompter comme tels pour simplifier les choses, pourraient fort bien, en r éalit é,être des cas d'amours dont la naissance a été rapide, mais non instantan ée. Il ya, ainsi, le cas de Pyrrhus. Si les indications chronologiques nous conduisent àadmettre que la naissance de son amour a été rapide, elles ne nous obligentpoint à conclure qu'elle a été instantan ée. Il y a aussi le cas de Roxane, quipeut fort bien avoir mis quelques jours à se rendre vraiment compte qu'elleétait amoureuse, comme le sugg ère le « bient ôt » d'Acomat. Et m ême danscertains cas o ù la naissance de l'amour est évoqu ée gr âce à ce que RolandBarthes appelle un « pass é d éfini brutal », comment peut-on affirmer que cepass é défini ne sert pas à évoquer, d'une mani ère concise et expressive, unenaissance assur ément rapide, mais qui peut pourtant n'avoir pas été tout à faitimm édiate ? Faire un r écit, c'est toujours, plus ou moins, r ésumer et simplifierla r éalit é. A plus forte raison est-on oblig é de r ésumer et de simplifier,lorsque, ne voulant ou ne pouvant pas faire un r écit, on se contente d' évoquerle pass é en quelques mots. Or (mais nous y reviendrons dans le prochain

Page 26: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 26/42

chapitre), la naissance de l'amour n'est l'objet d'un r écit, dans la trag édieracinienne, que d'une mani ère exceptionnelle. Le plus souvent, elle estseulement évoqu ée tr ès rapidement. On peut donc penser que le pass é définiemploy é par certains personnages est peut- être sommaire, avant d' être

« brutal », surtout lorsqu'ils s'adressent à un interlocuteur qui conna î tparfaitement les faits, et parfois mieux qu'eux. C'est le cas lorsque Antiochusrappelle à Bérénice :Titus, pour mon malheur, vint, vous vit et vous plut [73].Cela ne prouve pas que B érénice ait n écessairement éprouv é en voyant Titusle m ême saisissement instantan é que Ph èdre en voyant Hippolyte. De m ême,lorsque Xiphar ès résume, devant Arbate, la naissance de l'amour deMithridate pour Monime en disant : « Il la vit », cela ne veut pas forc émentdire qu'il a éprouv é devant elle la m ême fascination imm édiate que N éron a ou

feint d'avoir éprouv ée devant Junie, m ême si Monime lui a certainement faitune impression forte et rapide.Quant à expliquer pourquoi les personnages de Racine se contentent sisouvent de ces évocations sommaires, rien n'est plus ais é. L'un deux,d'ailleurs, l'a fait pour tous les autres : Xiphar ès. Lorsqu'il apprend à Arbatequ'il est depuis longtemps amoureux de Monime, il lui dit qu'il aimerait bien,comme tous les amoureux d'ailleurs, lui faire l'histoire de son amour. Mais ilajoute aussit ôt qu'il ne le fera pas et il lui explique pourquoi :Mais en l' état funeste o ù nous sommes r éduits,Ce n'est gu ère le temps d'occuper ma m émoireA rappeler le cours d'une amoureuse histoire [74].La journ ée tragique est, en effet, une journ ée bien remplie et il n'est gu èreétonnant que les personnages de trag édie soient peu port és à s'attarder sur lepass é.lI n'y a, d'ailleurs, pas que les personnages qui n'ont pas le temps; il y a aussiet d'abord l'auteur lui-m ême. Les n écessit és de la repr ésentation font qu'uneœuvre dramatique doit être br ève, sous peine d' être injouable comme laversion int égrale du Soulier de satin . Les trag édies classiques ne d épassentguère d'ordinaire dix-huit cents vers (celles de Racine varient entre 1506 verspour Bé r é nice e t 1816 vers pour Athalie [75]). On mesure mal, g énéralement,à quel point l'auteur tragique se trouve ainsi l' étroit. Il suffit pourtant, pour s'enrendre compte, de se livrer à de rapides calculs et de comparer la longueurd'un texte comme celui de Ph èdre (1654 vers) à celle d'un roman comme LaPrincesse de Cl èves. On s'aper çoit alors qu'un roman aussi court que LaPrincesse de Cl èves forme cependant un texte cinq ou six fois plus long quecelui de Ph èdre . Quant au texte d'un roman de longueur moyennecomme Madame Bovary , il repr ésente environ dix à douze fois celuide Ph èdre . Au-del à de toutes les raisons, plus ou moins discutables, invoqu éespar les th éoriciens de la dramaturgie classique, c'est l à que se trouve, croyons-

Page 27: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 27/42

nous, la v éritable justification de la r ègle de l'unit é de temps. Fran çoisMauriac, apr ès beaucoup d'autres, constate que la r ègle de l'unit é de tempsinterdit au dramaturge de peindre la dur ée : « Ce qui ne saurait être introduitdans la trag édie, c'est la dur ée. Impossible dans ces cinq actes qui fractionnent

une seule journ ée et qui évoluent dans un seul endroit, de montrer à la fois lanaissance de l'amour, ses progr ès, ses reculs, ses reprises, son paroxysme, sesintermittences, sa diminution et sa mort. La passion n'y peut être saisie qu'aubord de la catastrophe derni ère » [76]. Assur ément. Mais, ajouterons-nous, ceque l'unit é de temps rend impossible, était de toute fa çon fort malais é. Cequ'elle interdit de faire au dramaturge, il n'avait pas vraiment les moyens de lefaire. A l' évidence, pour peindre la dur ée, il faut d'abord avoir le temps. Leromancier, lui, peut prendre son temps et g énéralement il le prend. Le tempsest, au contraire, compt é au dramaturge, et tr ès strictement.

Rien d' étonnant, par cons équent, si Racine ne raconte qu'exceptionnellementla naissance de l'amour. Rien d' étonnant s'il se contente souvent de l' évoquerpar un pass é défini dont on ne sait pas toujours s'il est vraiment « brutal » ousimplement h âtif. Rien d' étonnant si parfois m ême il la passe totalement soussilence. En revanche, si Racine avait effectivement pens é que le destin del'amour se jouait enti èrement à sa naissance, il aurait certainement pris lapeine, et le temps, de nous en dire davantage. Mais il y a gros à parier qu'ilaurait hauss é les épaules s'il avait pu lire les propos de Roland Barthes. L'id éeque l'amour ne pouvait être heureux que s'il naissait insensiblement pendantles ann ées d'enfance et qu'il était, au contraire, n écessairement malheureux, s'ilnaissait imm édiatement, une telle id ée lui aurait certainement paru totalementgratuite, tout à fait simpliste, et, pour tout dire, parfaitement sotte. Si Racineuse si souvent du pass é défini, c'est d'abord parce qu'il a constat équ'effectivement la naissance de l'amour était souvent tr ès rapide; c'est ensuiteparce que cela lui permet de gagner du temps; c'est enfin parce que lecaract ère « brutal » du pass é défini sert à affirmer la force de la passion. Cen'est aucunement pour expliquer son échec. Premi èrement l'amour imm édiatou quasi imm édiat est, chez Racine, aussi souvent partag é que non partag é(rappelons seulement Titus et B érénice, Hippolyte et Aricie). Deuxi èmement,lorsqu'il est effectivement un échec, cet échec n'appara î t jamais comme étant,si peu que ce soit, la cons équence de sa naissance imm édiate. En effet, ou bienil nous est pr ésent é comme étant totalement inexplicable; ou bien l'explicationen est, au contraire, si ais ée et si évidente qu'on n'a vraiment aucun besoind'une autre explication, à plus forte raison si cette explication, comme celle deRoland Barthes, aurait elle-m ême grand besoin d' être expliqu ée. Dans lepremier cas, Racine nous invite à nous rappeler que « le cœur a ses raisonsque la raison ne conna î t pas » [77]. Pourquoi B érénice n'a-t-elle pas r épondu àl'amour d'Antiochus ? Pourquoi a-t-elle r épondu, au contraire, à celui deTitus ? Racine n'a évidemment pas cru n écessaire d'en chercher l'explication

Page 28: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 28/42

ailleurs que dans les raisons myst érieuses du cœur. Il s'est plu à souligner queles m érites d'Antiochus n' étaient pas moindres que ceux de Titus. B éréniceelle-m ême aime à les rapprocher l'un de l'autre et elle avoue à Antiochus :Cent fois je me suis fait une douceur extr ême

D'entretenir Titus dans un autre lui-m ême [78].Mais, et Antiochus le comprend fort bien, la grande diff érence entre levéritable Titus et son double, Antiochus, c'est que B érénice aime le premier etne s'int éresse au second que dans la mesure o ù il lui rappelle le premier. Lamême chose peut se produire, d'ailleurs, avec « l' éros sororal ». Nonseulement un tel amour n'est pas n écessairement pay é de retour, mais il peutfort bien ne pas l' être, alors qu'il aurait normalement toutes les raisons del'être. Le cas d'Oreste est, en effet, comparable à celui d'Antiochus. Il est peut-être m ême encore plus d émonstratif puisque Oreste, par son amour et sa

fidélité, m ériterait mieux que Pyrrhus d' être aim é par Hermione. Elle-m ême lesait fort bien et le reconna î t devant Oreste lui-m ême, lorsqu'elle lui dit :Vous que mille vertus me for çaient d'estimer;Vous que j'ai plaint, enfin que je voudrais aimer [79].Mais, le plus souvent, s'il appara î t tout à fait gratuit d'expliquer l' échec del'amour racinien par le caract ère imm édiat de sa naissance, c'est toutsimplement parce que cet amour est condamn é à l'échec avant m ême de na î tre.C'est évidemment le cas de l'amour de Roxane pour Bajazet, puisque celui-ciaime d é jà, et depuis longtemps, Atalide et est aim é d'elle. C'est aussi le cas del'amour de Mithridate pour Monime. C'est aussi le cas des trois seuls amoursmalheureux dont Racine ait vraiment racont é la naissance, ceux de N éron,d'Eriphile et de Ph èdre. Ces trois r écits ne sauraient donc servir à expliquer cequi n'a m ême pas besoin d' être expliqu é. Comment Junie pourrait-ellerépondre à l'amour de N éron ? D'une part, elle aime d é jà, depuis longtemps etprofond ément, Britannicus, et, d'autre part, N éron se montre bien peu aimable.L'amour d'Eriphile est condamn é, non par sa naissance imm édiate, mais parcequ'Achille aime d é jà Iphig énie qu'il est sur le point d' épouser. Le cas dePhèdre est, bien s ûr, diff érent. Hippolyte ne conna î t pas encore Aricie,lorsqu'elle tombe amoureuse de lui à Ath ènes. Mais il n'est aucunement besoinqu'il soit d é jà amoureux d'une autre femme pour qu'il ne puisse r épondre à unamour qui lui fera horreur lorsqu'il le conna î tra. Ce qui fait tout le malheur dePhèdre, ce n'est pas le mode de naissance de son amour, sa « g énération »,c'est bien évidemment son objet.Au total, nous pensons qu'il n'y a strictement rien à retenir de la th éorie des« deux éros » pour l'explication de la trag édie racinienne. Sans doute, et c'estune chose que nous ne retrouverons gu ère, tout n'est-il pas totalement fauxdans ses propos. Mais la petite part de v érité qu'on peut y d éceler rel ève de lalapalissade. Il est vrai que, chez les personnages de Racine, comme chez toutle monde, les amours d'enfance n'ont pas la naissance rapide, voire imm édiate,

Page 29: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 29/42

qu'ont souvent les amours adultes. Mais quoi d' étonnant si les choses sepassent de fa çons diff érentes suivant que deux êtres se connaissent avantd'être en âge d'aimer ou quand ils le sont d é jà ? Roland Barthes a su remarqueraussi qu'il semblait y avoir un lien entre la dur ée de l'amour et sa r éussite.

Mais, malgr é sa perspicacit é, il n'a pas pu d écouvrir la vraie nature de ce lien.Pour le reste, tout est faux dans la th éorie des « deux éros ». Il n'est pas vraiqu'il n'y ait chez Racine que deux sortes d'amours que tout oppose, àcommencer par leur mode de naissance, l'amour d'enfance et l'amour-coup defoudre. Il n'est pas vrai que l'amour d'enfance y soit toujours partag é et quel'amour-coup de foudre ne le soit jamais. Il n'est pas vrai qu'il y ait un rapportde causalit é entre le mode de naissance de l'amour et le fait qu'il soit ou nonpartag é.D'ailleurs, pour que l'on puisse prendre un peu au s érieux la th éorie des « deux

éros », il faudrait que Roland Barthes lui-m ême ait bien voulu nous donnerl'exemple. Or, dans la seconde partie de « l'homme racinien », on trouve, àpropos de « l' éros sororal », des formules qui donnent à penser que RolandBarthes ne se souvient plus tr ès bien de ce qu'il a écrit dans la premi ère partie.On est ainsi un peu surpris d'apprendre que Xiphar ès « est d éfini par cet érossororal, qui est toujours l'expression d'un lien ambigu, à la fois s écurit é etpeur » [81]. On l'est encore davantage, lorsqu'on lit, à propos de l'amour deBajazet pour Atalide : « il s'agit de cet éros sororal, dont on sait qu'il estessentiellement fid élité, légalit é, mais aussi impuissance à na î tre, à devenirhomme » [82]. « On sait », nous dit Roland Barthes. Mais non, justement, onne sait plus. Il nous avait peint « l' éros sororal » comme étant essentiellement« pacifi é » et « paisible », et voil à maintenant qu'il est « peur » autant que« sécurit é » ! Il avait oppos é « l' éros sororal » à « l' éros- événement » commela r éussite à l'échec, et voil à maintenant que « l' éros sororal » est, comme« l'éros- événement », condamn é à l'échec! Il avait écrit que « l' éros sororal »tenait « sa r éussite de son origine m ême » et il écrit maintenant qu'il est «impuissant à na î tre » ! Comment ne pas se dire que Roland Barthes, quis'embarrasse si peu des textes qu'il pr étend expliquer, ne s'embarrasse gu ère,non plus, de ce qu'il a écrit lui-m ême?Ce premier examen d'une des grandes th éories du Sur Racine nous a d é jàlargement r évélé deux des trois grands traits les plus constants de cet ouvrage : le m épris des textes et l'incoh érence. Mais, si Roland Barthes ne se soucieguère de savoir si ce qu'il dit des textes, correspond bien à ce qu'ils disent, s'ilne se soucie gu ère de savoir si ce qu'il est en train de dire, correspond bien àce qu'il a d é jà dit, il ne se soucie gu ère, non plus, de savoir si ce qu'il dit peutbien correspondre à quelque r éalit é. Non seulement Roland Barthes ne sesoucie pas de savoir si son « homme racinien » est bien racinien, mais il ne sesoucie m ême pas de savoir s'il est humain.

Page 30: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 30/42

Cette irr éalit é des propos, qui est la troisi ème grande constante du Sur Racine ,nous pouvons d é jà nous en faire une assez bonne id ée : le sch ématisme de lathéorie des « deux éros », la fa çon tout artificielle et verbale dont RolandBarthes explique la r éussite ou l' échec de l'amour racinien, sont d'un homme

qui n'a évidemment pas l'habitude de se demander si les choses se passentvraiment dans la vie de la fa çon dont il le dit. Mais, pour bien comprendre jusqu'ou peut aller cette irr éalit é, il nous faut poursuivre un peu la lecture duchapitre « Les deux éros ». Nous n'en avons examin é jusqu'ici que lesparagraphes deux et trois, les plus importants, si l'on peut dire, puisqu'ils nousexposent cette th éorie des « deux éros » qui donne son titre au chapitre. Maiscelui-ci compte encore trois pages o ù l'on trouve un certain nombred'élucubrations d'un moindre calibre et qu'il serait beaucoup trop long depasser au crible. Nous ne voudrions pourtant pas quitter ce chapitre des « deux

éros » sans relever une faribole qui nous para î t particuli èrement propre àmontrer jusqu' à quel degr é, vraiment grotesque, de gratuit é peuvent atteindreles propos de Roland Barthes.Apr ès avoir expos é sa th éorie des « deux éros », Roland Barthes remarqued'abord que Racine ne nous dit rien de pr écis sur le physique de sespersonnages : « La beaut é racinienne est abstraite en ce sens qu'elle esttoujours nomm é e; Racine dit : Bajazet est aimable, B érénice a de bellesmains; le concept d ébarrasse en quelque sorte de la chose. On pourrait direqu'ici la beaut é est une biens éance, un trait de classe, non une dispositionanatomique : nul effort dans ce que l'on pourrait appeler l'adjectivit é du corps[83] ». Notons, en passant, que le ton sentencieux et pr étentieux(« l'adjectivit é du corps » !) de cette remarque ne l'emp êche pas d' être assezridicule. Tout d'abord on est un peu surpris de voir Roland Barthes prendre enquelque sorte le relais de tous ces professeurs (gens qu'il m éprise fort) qui fontremarquer à leurs élèves le caract ère abstrait de la litt érature classique. Mais, àla diff érence de Roland Barthes, ils le font g énéralement à bon escient. Car,s'il est tout à fait justifi é d'attirer l'attention sur le fait que madame deLafayette ne d écrit pas ses personnages, dans le cas de Racine, ça l'estbeaucoup moins. Classique ou pas classique, un auteur dramatique n'a gu èrel'habitude, en effet, de d écrire ses personnages. Si le romancier le faitvolontiers pour aider et guider l'imagination de ses lecteurs, le dramaturge, lui,écrit pour des spectateurs et il n'a gu ère de raisons de leur d écrire despersonnages qu'ils ont sous les yeux.Cette remarque faite, Roland Barthes craint qu'elle n'induise son lecteur àcroire que, dans l'amour racinien, le corps ne compte pas. Il l'avertit donc, audébut du paragraphe suivant : « Pourtant l' éros racinien (du moins l' érosimm édiat dont il s'agira d ésormais ici) n'est jamais sublim é; sorti tout arm é,tout fini , d'une pure vision, il s'immobilise dans la fascination perp étuelle ducorps adverse » [84]. A vrai dire, on s'en doutait un peu. Quand l'amour tourne

Page 31: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 31/42

à la trag édie, il est rare qu'il soit « sublim é ». On se doutait aussi que le coupde foudre se traduisait volontiers par la « fascination perp étuelle du corpsadverse ». En revanche, on ne lit pas sans surprise ce que Roland Barthes écritquatre lignes plus loin: « c'est d'ailleurs parce que, chez Racine, l'amour est

une pure épreuve de fascination qu'il se distingue si peu de la haine; la haineest ouvertement physique, elle est sentiment aigu de l'autre corps; commel'amour, elle na î t de la vue, s'en nourrit, et comme l'amour, elle produit unevague de joie. Racine a tr ès bien donn é la th éorie de cette haine charnelle,dans sa premi ère pi èce, La Th é ba ï de».Cette « th éorie de la haine physique » [85] est, selon Roland Barthes une desgrandes le çons que nous apporte la trag édie racinienne. Il y revient pluslonguement lorsqu'il pr ésente La Th é ba ï de , dans la seconde partie de« l'homme racinien »: « Le premier conflit racinien est donc d é jà un corps à

corps. C'est l à, je crois, l'originalit é de La Thé ba ï de : non que deux fr ères sehaïssent, th ème h érité d'un folklore tr ès ancien; mais que cette haine soit lahaine de deux corps, que le corps soit l'aliment souverain de la haine. D ès cemoment, l'impatience du h éros racinien est physique, il lutte toujours contreune fascination, commune à l'amour et à la haine : éros est une puissanceambigu ê. Racine a bien compris que c' était en insistant sur la nature corporellede cette haine qu'il rendait le mieux compte de sa gratuit é. II y a sans douteentre les deux fr ères une contestation politique autour du pouvoir : Polynices'appuie sur le droit divin, Et éocle sur le suffrage populaire, deux conceptionsdu Prince semblent s'affronter. Mais en fait, le vrai Prince, c'est Cr éon : luiveut r égner. Pour les deux fr ères, le tr ône n'est qu'un alibi : ils se ha ïssentabsolument, et ils le savent par cette émotion physique qui les saisit en facel'un de l'autre. Racine a tr ès bien devin é cette v érité toute moderne, que c'estfinalement le corps d'autrui qui est son essence la plus pure : c'est parce qu'elleest physique que la haine des deux fr ères est une haine d'essence » [86].Ainsi, gr âce à Racine, Roland Barthes a cru d écouvrir que la haine était uneesp èce de coup de foudre à l'envers. Comme l'amour, elle échappe àl'explication rationnelle; comme lui, elle est immotiv ée; comme lui, elle estessentiellement une « émotion physique » provoqu ée par « le corps d'autrui ».Et comme celle de « l' éros- événement », sa naissance est imm édiate. Onpourrait donc reprendre à propos de la haine ce que Roland Barthes disait del'amour imm édiat : « Le h éros y est saisi, li é comme dans un rapt, et cesaisissement est toujours d'ordre visuel ». Par cons équent, si, pour r ésumer, «aimer, c'est voir », on peut dire aussi que « ha ïr, c'est voir ».Il est tout à fait exact, reconnaissons-le, que, dans La Th é ba ï de , la hained'Et éocle et de Polynice ne s'explique pas seulement par la rivalit é politique.A la sc ène 1 de l'acte IV, lorsque Et éocle évoque devant Cr éon cette haine quil'oppose à son fr ère, il avoue :

Page 32: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 32/42

J'aurais m ême regret qu'il me quitt ât l'empire :ll faut, il faut qu'il fuie, et non qu'il se retire.Je ne veux point, Cr éon, le ha ïr à moiti é,Et je crains son courroux moins que son amiti é [87].

Et quand, peu apr ès, à la sc ène 3, Polynice lui propose de lutter avec lui encombat singulier, il accepte aussit ôt en disant :J'eusse accept é le tr ône avec moins de plaisir [88].Pour expliquer leur haine, Et éocle et Polynice pourraient se servir de lafameuse formule dont Montaigne se sert pour expliquer son amiti é avec LaBoétie : « parce que c' était lui; parce que c' était moi » [89]. D'ailleurs Et éocleemploie une formule qui s'en approche, quand il confie à Créon :Ce n'est pas son orgueil, c'est lui seul que je hais [90].Et pour bien lui faire comprendre le caract ère visc éral de cette haine, il ajoute,

quelques vers plus loin :Nous étions ennemis d ès la plus tendre enfance;Que dis-je ? nous l' étions avant notre naissance.Triste et fatal effet d'un sang incestueux!Pendant qu'un m ême sein nous renfermait tous deux,Dans les flancs de ma m ère une guerre intestineDe nos divisions lui marqua l'origine [91].Pour notre part, nous avons toujours trouv é ces vers regrettables, pour ne pasdire ridicules. Tel n'est pas le sentiment de Roland Barthes qui semble, aucontraire, avoir trouv é cette sc ène de « guerre intestine » tout à fait saisissante : « D ès avant leur naissance, nous dit Racine, dans le ventre m ême de leurmère, d é jà coll és l'un à l'autre, les deux fœtus combattaient » [9]. Comment nepas regretter, en lisant cette phrase que Roland Barthes n'ait pas écrit desœuvres d'imagination? Il y avait peut- être en lui un grand po ète épique quisommeillait. Quoi qu'il en soit, il y a un point qu'il aurait d û nous expliquer.La haine, nous a-t-il dit, « comme l'amour, […] na î t de la vue, s'en nourrit ».Comment dont Et éocle et Polynice ont-ils pu se ha ïr dans les entrailles deJocaste o ù, selon toute apparence, on ne devait pas y voir grand-chose ?Mais surtout, s'il est vrai qu'Et éocle et Polynice « se ha ïssent absolument »,c'est Roland Barthes qui fait de leur cas un cas exemplaire ce n'est pas Racine.Bien loin de pr étendre faire « la th éorie de la haine », Racine a voulu insistersur le caract ère exceptionnel et humainement inexplicable de cette haineinexpiable. Il aurait évidemment mieux fait de ne pas pr êter à Etéocle ces versoù il évoque l'origine pr énatale de sa haine [93]. Mais, s'il a cru devoir le faire,ce n'est assur ément pas pour expliquer comment naissait une haine; c'est, aucontraire, pour souligner combien celle-ci est anormale, monstrueuse, et nousfaire comprendre qu'elle échappe à l'ordre humain. La v éritable explication dela haine d'Et éocle et de Polynice est, en effet, d'ordre surnaturel. Cette haineest l'Ouvre des dieux qui s'acharnent contre la famille d'Œdipe et dont Jocaste

Page 33: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 33/42

ne cesse de d énoncer l'injustice et la cruaut é. D'ailleurs Et éocle lui-m êmeajoute, trois vers plus loin :On dirait que le ciel, par un arr êt funeste,Voulut de nos parents punir ainsi l'inceste,

Et que dans notre sang il voulut mettre au jourTout ce qu'ont de plus noir et la haine et l'amour [94].Raymond Picard a donc raison, en commentant cette tirade d'Et éocle, decomparer son cas à celui de Ph èdre : « La haine d'Et éocle et, de m ême,l'amour de Ph èdre, ont quelque chose de sacr é et de surnaturel : ils sontl'œuvre des dieux acharn és à punir ». Il a sans doute raison aussi d'ajouter :« Mais la vraisemblance psychologique n'y perd rien : Et éocle, comme Oresteou Ph èdre, divinise sa passion en s'y livrant » [94]. Il n'y a, en effet, riend'invraisemblable à ce qu'Et éocle soit tent é d'attribuer aux dieux l'origine de

sa haine. C'est pour lui le meilleur moyen de se justifier à ses propres yeux etaux yeux des autres. Il n'emp êche qu'il se pose quand m ême, dans LaThé ba ï de , un grave probl ème de vraisemblance psychologique, un probl èmequi ne se pose ni dans Andromaque ni dans Ph èdre . Le cas d'Et éocle et dePolynice peut sans doute être compar é à celui de Ph èdre, à ceci pr ès que, quoique puisse dire Roland Barthes, la haine n'est pas l'amour. Et, lorsqu'il s'agitde faire admettre l'id ée qu'une passion est envoy ée par les dieux ce qui estassez facile dans le cas de l'amour, devient beaucoup plus difficile dans le casde la haine. En effet, pour le spectateur moderne, qui ne croit pas que lessentiments humains puissent être command és par les dieux, l'explicationsurnaturelle n'est acceptable que quand elle ne fait que se superposer à uneexplication naturelle. En fait, elle ne passe que dans la mesure o ù l'on pourraits'en passer. Ph èdre rend les dieux responsables de ce qui lui arrive. Mais cequi lui arrive n'est pas une chose qui ne puisse arriver sans l'intervention desdieux. Œnone, d'ailleurs, le lui rappelle, en choisissant mal son moment, il estvrai :Vous aimez. On ne peut vaincre sa destin ée.Par un char me fatal vous f ûtes entra î née.Est-ce donc un prodige inou ï parmi nous?L'amour n'a-t-il encor triomph é que de vous ? [95]Que l'on croie ou que l'on ne croie pas aux dieux, l'amour-coup de foudre estune r éalit é à laquelle on ne peut pas ne pas croire. En revanche, cette hainegratuite, immotiv ée, « physique », qui oppose Et éocle et Polynice depuis leurnaissance, est tellement irr éelle que, pour pouvoir y croire, il faudraiteffectivement pouvoir croire à l'intervention des dieux. C'est l à sans doute laprincipale faiblesse de La Th é ba ï de. Rien d' étonnant, par cons équent, si c'estaussi ce que Roland Barthes y admire le plus. Son instinct ne le trompe

jamais : ou bien il admire, chez un auteur, ce qu'il n'a pas dit et qu'il a eu bienraison de ne pas dire; ou bien, beaucoup plus rarement, il admire ce que

Page 34: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 34/42

l'auteur a vraiment dit, mais alors c'est que l'auteur a eu tort. D'ailleurs Racines'en est sans doute rendu compte. Toujours est-il qu'il n'a plus jamais commisl'erreur qu'il avait commise dans sa premi ère trag édie. Bien loin de s' êtreflatt é, comme Roland Barthes l'en f élicite, d'avoir « tr ès bien devin é [une]

vérité toute moderne », il a sans doute compris qu'il avait suivi tropservilement une fable archa ïque. Signalons au passage, - car la chose n'est pasfréquente - que, sur ce point, nous sommes tout à fait d'accord avec LucienGoldmann. Dans son petit livre Situation de la critique racinienne , il voit dansla haine gratuite d'Et éocle et de Polynice une des raisons qui font que « cettepièce n'atteint pas, et de loin, à la valeur litt éraire des trag édies ult érieures »,et il ajoute : « Et c'est ici, entre autres [sic], que nous ne saurions suivreRoland Barthes, qui voit dans cette haine immotiv ée, pour ainsi dire visc érale,un caract ère g énéral de "l'homme racinien" alors que nous ne la retrouvons

dans aucune des pi èces ult érieures » [96].D'ailleurs Roland Barthes lui-m ême ne dit plus un mot de sa « th éorie de lahaine physique », lorsqu'il étudie les trag édies suivantes. Il faut en arriverà Esther pour la voir r éappara î tre, tr ès épisodiquement. Il écrit, en effet, enparlant d'Aman : « sa haine pour Mardoch ée n'a pas pour mobile une rivalit éde race ou de fonction (comme ce sera le cas entre Mathan et Joad) : il haitd'une fa çon toute pure » [97]. Bien s ûr, c'est l'affirmation de Roland Barthesqui est gratuite et non pas la haine d'Aman pour Mardoch ée. A d éfaut d'une« rivalit é de race ou de fonction », il y a une raison tr ès pr écise à cette haine etAman lui-m ême l'explique assez longuement à Hydaspe :L'insolent devant moi ne se courba jamais.En vain de la faveur du plus grand des monarquesTout r évère à genoux les glorieuses marques.Lorsque d'un saint respect tous les Persans touch ésN'osent lever leurs fronts à la terre attach és,Lui, fi èrement assis, et la t ête immobile,Traite tous ces honneurs d'impi été servile,Présente à mes regards un front s éditieux,Et ne daignerait pas au moins baisser les yeux.Du palais cependant il assi ège la porte :A quelque heure que j'entre, Hydaspe, ou que je sorte,Son visage odieux m'afflige et me poursuit [98].Ainsi, ce n'est pas (et c'e ût été, assur ément, bien surprenant) la vue du corpsde Mardoch ée qui a fait na î tre la haine d'Aman; c'est la vue d'un corps qui nese courbait pas devant lui. Le plus curieux, c'est que Roland Barthes s'est,quand m ême, souvenu de ces propos d'Aman, puisque, cinq lignes apr ès nousavoir dit qu'Aman ha ïssait Mardoch ée « d'une fa çon toute pure », il écrit :« En fait, Aman ne veut qu'une chose : être reconnu. Dans cette Cour o ù lagloire laisse toujours appara î tre quelque ressort économique, Aman n'a qu'un

Page 35: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 35/42

mobile : la volupt é de l'honneur. Un seul être le refuse : Mardoch ée.Mardoch ée est un regard immobile qui dit non, et il y a entre lui et Aman lemême rapport qu'entre Dieu et la cr éature à qui il refuse sa gr âce: c'est cettefrustration m ême qui encha î ne Aman à Mardoch ée : comme les h éros de

l'ancienne trag édie profane, il refuse de fuir, de quitter la trag édie » [99].Comprenne qui pourra ! C' était bien la peine de nous avertir que la hained'Aman était « toute pure » pour ensuite nous en expliquer sentencieusementla raison !Mais ce n'est l à qu'un exemple, entre tant et tant d'autres, de l'incoh érencedu Sur Racine . Revenons-en à ce qui fait pour nous tout l'int érêt de la «théorie de la haine physique », son extraordinaire irr éalit é. Cette haine qui na î tà la seule vue du corps d'autrui, on aurait bien aim é savoir si Roland Bartheslui-m ême l'avait jamais éprouv ée; on aurait bien aime savoir s'il connaissait

quelqu'un qui l'avait éprouv ée lui-m ême ou qui connaissait quelqu'un d'autrequi l'avait éprouv ée; on aurait bien aim é savoir si, au hasard de ses lectures, ilavait rencontr é un jour un cas de ce genre, dans un ouvrage biographique,dans des M émoires, dans une correspondance, dans un journal intime, dansquelque texte que ce f ût, publi é ou rest é manuscrit. Pour notre part, nousn'avons aucun souvenir d'avoir jamais éprouv é quelque chose de tel; nous neconnaissons absolument personne qui l'ait un jour éprouv é ou qui nous ait ditconna î tre quelqu'un ou avoir entendu parler de quelqu'un qui l'avait éprouv é;enfin nous n'avons encore jamais rencontr é et nous doutons fort de rencontrerun jour dans nos lectures le t émoignage d'un cas semblable.Bien entendu, il ne s'agit aucunement de nier que la haine puisse être aussi« physique ». Quand un être en arrive à en ha ïr un autre, il le hait souvent toutentier [100]. Sans aller m ême jusqu'a la haine, qui est somme toute unsentiment exceptionnel (contrairement à l'amour), la simple antipathie devientfacilement physique : ne dit-on pas volontiers, quand quelqu'un a le don denous irriter, qu'on ne peut pas le voir en peinture? Il peut m ême arriver quel'antipathie ait une origine purement physique et que la seule vue d'un autreprovoque en nous un l éger malaise, voire un peu de r épulsion. Mais cephénom ène, outre qu'il est assez rare, reste g énéralement tr ès limit é. S'ilpersiste vraiment et, a fortiori, s'il s'aggrave, s'il tourne à la haine, c'estassur ément que d'autres raisons, plus s érieuses, ont pris le relais de la simpleimpression physique.Dire que la haine peut être aussi la haine d'un corps, est une chose, pr étendreque la haine est toujours la haine d'un corps, qu'elle l'est d'abord, qu'elle l'est «d'essence », en est une autre. Entre ces deux propos, il y a toute la distance quisépare la constatation d'un fait et l'affirmation de ce qui n'a jamais été. Toutel'absurdit é de la th éorie de Roland Barthes tient à ce qu'il veut à tout prix quele corps joue dans la haine le m ême r ôle qu'il joue dans l'amour, que la vue lafasse na î tre comme elle fait na î tre l'amour et qu'elle la fasse na î tre

Page 36: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 36/42

imm édiatement comme elle fait souvent na î tre l'amour. Il veut à tout prix qu'ily ait une haine-coup de foudre comme il y a un amour-coup de foudre.Pourtant, si cela était, cela se saurait. La haine-coup de foudre devrait êtreaussi facile à reconna î tre chez soi ou chez les autres que l'amour-coup de

foudre. A c ôté de tant d'exemples et de t émoignages qu'on pourrait citer pourprouver l'existence de l'amour-coup de foudre, comment se fait-il donc qu'onne puisse en citer aucun pour prouver que la haine-coup de foudre ait jamaisexist é ? Ce que l'amour produit tous les jours, comment se fait-il que la hainene le produise jamais ? Tous les jours, en effet, des hommes suivent dans larue des femmes inconnues dans l'espoir tr ès incertain de satisfaire le d ésiramoureux que leur vue a fait na î tre en eux imm édiatement. A-t-on jamais vula haine produire le m ême effet ? A-t-on jamais vu un homme, tranquillementattabl é à la terrasse d'un caf é, se lever brusquement, sous l'effet d'une haine

soudaine, au passage d'un inconnu et se mettre à le suivre, en proie àl'imp érieux besoin de lui casser la figure ?D'ailleurs, si la th éorie de la « haine physique » avait quelque fondement dansla r éalit é, il y a une discipline qui ne devrait pas pouvoir l'ignorer : lacriminologie. Car, si elle existait vraiment, la « haine physique » devraitprovoquer beaucoup de violences et conduire souvent au meurtre. Sans doute,on peut du moins l'esp érer, Roland Barthes aurait-il tout de m ême admis quela « haine physique », était un ph énom ène nettement moins fr équent quem'amour. Mais, m ême dans cette hypoth èse, la « haine physique » ne devraitprovoquer gu ère moins de crimes que l'amour n'en provoque. En effet, si lemeurtre de la personne aim ée n'est assur ément pas la fin naturelle de l'amour,mais rel ève à l'évidence d'une conduite de d ésespoir, il en va tout autrementde la haine qui, elle, semble devoir conduire au crime tout naturellement.Pourtant, il n'est pas n écessaire d' être un sp écialiste de criminologie poursavoir que le crime passionnel est vieux comme le monde, mais que le crimeprovoqu é par la « haine physique » semble totalement inconnu. Il y a, biensûr, des crimes sadiques, mais ils ne sont évidemment pas imputables à une« haine physique », puisque le sadisme est, au contraire une manifestationperverse du d ésir. Gageons donc que, si jamais un avocat arrivait un jour àconvaincre les jures que son client a tu é sous l'emprise d'une « hainephysique » irr ésistible, il lui éviterait peut- être la prison, mais certainementpas l'asile psychiatrique.Pour clore cette discussion, on nous permettra de poser une derni ère question.Si vraiment il y avait, comme le pr étend Roland Barthes, une parfaite sym étrieentre la haine et l'amour, si vraiment le corps jouait dans la haine le r ôle qu'il

joue dans l'amour, si vraiment la haine était d'abord « physique » et plusprécisément, comme Roland Barthes ne craint pas de l' écrire, « organique »[101], ne devrait-il pas y avoir un ou des organes de la haine, comme il y a desorganes de l'amour ? Tout le monde conna î t ceux de l'amour. O ù sont donc

Page 37: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 37/42

ceux de la haine ? Si Roland Barthes les a d écouverts, il aurait d û nous enavertir.Avec Roland Barthes, nous dit M. Georges Mounin, « d ès qu'on essaie decomprendre pas à pas, au lieu de se laisser exciter agr éablement l'esprit, tout

ou presque craque » [102]. Au terme de notre examen de la th éorie des « deuxéros » et de son corollaire, la th éorie de la « haine physique », commentpourrions-nous ne pas être tr ès fortement tent é de souscrire à ce jugement,voire de rench érir sur la s évérité de cette appr éciation en supprimant la petiteatténuation qu'apporte le « ou presque » ? En dehors de quelques observationsque tout le monde peut faire, les propos de Roland Barthes apparaissent tout àfait gratuits. Comme les autres th éories du Sur Racine , la th éorie des « deuxéros » est destin ée à nous faire comprendre, selon un mot que Roland Barthesaffectionne, comment « fonctionne » la trag édie racinienne. Malheureusement

le sch éma que nous propose Roland Barthes, nous explique le m écanismed'une fonction qui n'existe pas. Roland Barthes nous expose la r éponse queRacine aurait apport ée à une question qu'en r éalit é il n'a point pos ée : qu'est-cequi fait que l'amour est ou n'est pas partag é ? Il ne l'a point pos ée, il n'a m êmecertainement jamais song é à la poser, pour la bonne raison, d'abord, qu'il seserait certainement senti tout à fait incapable d'y r épondre autrement que parune formule du genre : « Allez savoir ! ». Quant à apporter à une tellequestion une r éponse qui vaudrait pour la totalit é des cas, une telle pr étentionlui aurait sans doute semble bien ridicule. Il ne l'a point fait enfin et surtoutparce qu'il écrit des trag édies, c'est- à-dire - et Roland Barthes n'y pense jamais- des œuvres d'art et non des trait és de psychologie. Il s'agit pour luid'int éresser et d' émouvoir les spectateurs en leur peignant des sentiments qu'ilsconnaissent bien parce qu'ils sont universels, et non de se livrer àd'aventureuses sp éculations psychologiques.

Haut de page

Retour à l'Accueil

NOTES :1. Du moins le plus souvent, car je me souviens d'avoir lu une copie ou« l'éros sororal » était devenu « l' éros pastoral ».2. « A propos de l'essai de R. Barthes, Sur Racine », dans Cahiers d'analysetextuelle , 1975, p. 109.3. Ibid. , p. 97.4. S.R., p. 22.5. Dans le m ême esprit, nous sugg érons de remplacer l'expression si vulgaire

d' « amour vache » par celle d' « éros rosse ».6. S.R., p. 22.

Page 38: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 38/42

7. Ibid. , pp. 22-23.8. « Baudelaire et Michelet devant la jeune critique » , R.H.L.F ., 1957, p. 547.9. Acte II, sc ène 1, vers 369-370.10. Acte I, sc ène 2, vers 205-206.

11. Acte III, sc ène 7, vers 969-970.12. Acte V, sc ène 1, vers 1423-1428.13. Acte II, sc ène 2, vers 533-534.14. Voir S.R., p. 23.15. Classicisme et baroque dans l'œuvre de Racine , p. 178. J'aurais pu citeraussi M. Le Bidois qui dit que le meilleur moment, selon Racine pour porterl'amour à la sc ène, c'est « quand la passion est charg ée en quelque mani ère detoutes ses énergies et qu'elle est à son plus haut p ériode à la fois d'activit é etde souffrance. Son th éâtre n'offre à cet égard qu'une seule exception : l'amour

de N éron pour Junie; cet amour, n é il y a quelques heures d'une surprise dessens, se d éclare tout de suite et produit imm édiatement ses funestes effets.Mais l'amour de N éron pour Junie n'est qu'une fantaisie passag ère, c'est unepassion non sans r éalit é, mais sans racines profondes, et, comme on dit, touteà fleur d' épiderme » ( La Vie dans la Trag é die de Racine , p. 181). Mais M.Butler ne semble pas conna î tre le livre de M. Le Bidois : il ne le cite nulle partet ne le mentionne pas dans sa bibliographie.16. Acte I, sc ène 4, vers 186-190.17. M. Alain Niderst n'y a pas pris garde lui non plus. C'est, d'ailleurs, d'autantplus étrange qu'il cite le vers d'Antiochus. Mais il le fait pour illustrerl'affirmation qu' « Oreste et Antiochus éprouvent pour leur ma î tresse un " érossororal" »; leur amour est n é avec […] [ses] charmes ( Andromaque , v. 533) »( Racine el la trag é die classique , p. 53).18. Acte II, sc ène 2, vers 545-546.19. Acte I, sc ène 2, vers 25-26.20. Acte I, sc ène 2, vers 44-46.21. Acte I, sc ène 4, vers 187-194 et 199-200.22. Loc. cit.23. Loc. cit.24. C'est nous qui soulignons.25. Loc. cit.26. Ce n'est, d'ailleurs, pas toujours le cas, comme nous aurons l'occasion dele voir.27. Acte II, sc ène 2, vers 509.28. Acte I, sc ène 1, vers 153-156.29. Acte I, sc ène 1, vers 177-178.30. Acte I, sc ène 4, vers 359-360.31. Acte V, sc ène 12, vers 1721-1724.

Page 39: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 39/42

32. Il faut l'inintelligence éléphantesque d'un Lucien Goldmann pourprétendre le contraire et affirmer que tout aurait fort bien pu se terminer lemieux du monde. Il ose, en effet, écrire que « l' échec de la ruse de Bajazet etd'Atalide est accidentel - d û à un évanouissement et à la d écouverte d'une

lettre - car cette ruse aurait pu r éussir (ce qui aurait donn é une fort bellecom édie dans le genre de celles qu' écrira plus tard Marivaux) » ( Racine , pp.16-17). Mais nous y reviendrons ailleurs.33. Morales du grand si ècle , pp. 139-140.34. Acte V, sc ène 12, vers 1736.35. Acte II, sc ène 5, vers 683-688.36. Acte I, sc ène 1, vers 49.37. Acte II, sc ène 6, vers 687-688.38. Acte I, sc ène 2, vers 194-196.

39. Acte I, sc ène 1, vers 37-38.40. Acte II, sc ène 6, vers 679-680.41. Acte I, sc ène 1, vers 39.42. Loc. cit.43. Acte I, sc ène 1, vers 45-46.44. Bé r é nice , acte I, sc ène 4, vers 194.45. Acte II, sc ène 6, vers 681-682.46. Roland Barthes ne parle pas de Xiphar ès dans le chapitre « Les deuxéros ». Mais, lorsqu'il étudie Mithridate , dans la seconde partie de « l'hommeracinien », il voit dans l'amour de Xiphar ès un cas d' « éros sororal ». Il estvrai, nous le verrons, qu'entre temps la d éfinition de celui-ci a un peu chang é.47. Acte II, sc ène 4, vers 639-640.48. Acte III, sc ène 6, vers 965-972.49. Acte IV, sc ène 6, vers 1393-1394.50. S.R., p. 22.51. Acte III, sc ène 5, vers 933-934.52. Acte II, sc ène 2, vers 531-541.53. Rappelons que l'acception actuelle de cette expression a été popularis éepar Stendhal dans De l'Amour. Elle s'employait auparavant pour d ésigner« tout événement d ésastreux qui atterre, qui d éconcerte, qui cause une peineextr ême » (Littr é). Ainsi Ph èdre, rest ée seule sur la sc ène apr ès avoir appris deThésée qu'Hippolyte aimait Aricie, s' écrie-t-elle (acte IV, sc ène 5, vers1195) :Quel coup de foudre, ô Ciel ! et quel funeste avis !Un autre exemple montre encore mieux peut- être que l'usage classique n' étaitpoint le n ôtre, celui de S évère disant à Fabian, lorsque celui-ci lui apprend quePauline est mari ée (Polyeucte , acte II, sc ène 1, vers 407-408) :Soutiens-moi, Fabian; ce coup de foudre est grandEt frappe d'autant plus que plus il me surprend.

Page 40: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 40/42

54 . Loc. cit.55. Acte II, sc ène 1, vers 433-436.56. Acte I, sc ène 1, vers 70-78.57. Acte II, sc ène 7, vers 665-674.

58. Roland Barthes ne parle pas d'Assu érus dans le chapitre « Les deux éros ».Mais il s'appuiera sur son exemple quelques pages plus loin, dans le chapitre« La "sc ène" érotique », pour soutenir que l'amour racinien va toujours d'unpersonnage « solaire » à un personnage « ombreux ».59. O.C.I ., p. 808.60. Rappelons que Xiphar ès dit à Arbate (acte I, sc ène 1, vers 45-46) :Qu'il te suffise donc, pour me justifier,Que je vis que j'aimai la reine le premier,et dit aussi à Monime (acte I, sc ène 2, vers 193-194) :

Faut-il vous dire ici que le premier de tousJe vous vis, je formai le dessein d' être à vous.61. Voici, en suivant l'ordre des pi èces, la liste de ces trente-et-unpersonnages : Antigone, Cr éon, H émon, Alexandre, Porus, Taxile, Axiane,Cléophile, Pyrrhus, Oreste, Hermione, N éron, Britannicus, Junie, Titus,Bérénice, Antiochus, Bajazet, Roxane, Atalide, Mithridate, Monime,Pharnace, Xiphar ès, Achille, Iphig énie, Eriphile, Ph èdre, Hippolyte, Aricie etAssu érus. Nous n'avons compt é ni Andromaque (qui, de toute fa çon, auraitfait partie des cas incertains), puisque l'homme qu'elle aime, étant mort, nepara î t pas dans la pi èce, ni Th ésée, qui fut, certes un grand amoureux, maisqui est maintenant assagi, et qu'il e ût été, d'ailleurs, impossible de classer.62. En d épit de la petite objection que nous avons faite. La jalousie deBritannicus n'a pas le m ême caract ère irrationnel et passionnel que celled'Atalide. Sans doute peut-on trouver qu'il tombe un peu trop facilement dansle pi ège de N éron. Et certes Britannicus est cr édule. Mais on pourrait montrer,et nous le ferons ailleurs pour r épondre à Lucien Goldmann, que Racine a toutfait pour rendre n éanmoins son erreur vraisemblable.63. C'est, du moins, notre point de vue. Mais, pour Roland Barthes, commepour l'ensemble de la « nouvelle critique », tout étant toujours totalementsignifiant chez un écrivain, tout est donc également signifiant. Et, de fait,Roland Barthes ne craint pas, pour étudier l'amour racinien, de mettreAssu érus, ou m ême Athalie, sur le m ême plan qu'un Pyrrhus ou une Ph èdre.64. Acte I, sc ène 1, vers 99-100.65. Loc. cit.66. Rappelons que le th éâtre classique distingue parfois l' « amant » (celuidont l'amour est pay é de retour) et l' « amoureux » (celui qui aime et n'est pasaim é). On sait que, dans la liste des personnages du Cid , Rodrigue est pr ésent écomme l' « amant de Chim ène » et Don Sanche comme l' « amoureux deChim ène ».

Page 41: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 41/42

67. Racine : Bajazet , p. 140.68. Acte I, sc ène 3, vers 269-272.69. Acte I sc ène 1, vers 39-40.70. Acte I, sc ène 3, vers 297-300.

71. Acte I, sc ène 4, vers 245-246.72. Dans le cas o ù la dur ée est si restreinte qu'elle devient nulle, la naissancede l'amour se trouve n écessairement si rapide qu'elle devient imm édiate. C'estce qui se passe pour l'amour de N éron.73. Loc. cit.74. Acte I, sc ène 1, vers 42-44.75. Bien s ûr, nous ne comptons pas Esther qui n'a que 1286 vers, mais qui n'aque trois actes.76. La Vie de Jean Racine , pp. 86-87.

77. Pascal, Pens é es , fragment 277 (Br.). Nous n'ignorons pas que la formulede Pascal a une signification beaucoup plus g énérale que celle qu'on lui donned'ordinaire quand on la cite. Mais elle a aussi celle-ci. D'ailleurs, le fragments'ach ève sur ces mots : « est-ce par raison que vous aimez ? ».78. Acte I, sc ène 4, vers 271-272.79. Acte II, sc ène 2, vers 535-536.80. Bien s ûr, N éron pourrait être dot é d'une s éduction physique capable defaire oublier à Junie ses mauvais proc édés, lorsqu'elle se trouve en face de lui.Mais absolument rien dans le texte ne permet de dire que N éron est beau, ni,non plus, qu'il est laid. Qu'en conclure, sinon qu'il n'est ni beau ni laid ? Nousn'arrivons vraiment pas à comprendre comment Antoine Adam a pu écrire :« N éron, tel que Racine le voit, est un jeune homme infiniment beau etgracieux » ( Histoire de la litt é rature fran çaise au XVlI e siècle , tome IV, p.355). L'exemple d'Hippolyte suffit à montrer que, lorsque Racine voit un deses personnages comme « un jeune homme infiniment beau et gracieux », il ledit clairement.81. S.R., p. 106.82. S.R., p. 103.83. S.R., p. 23-24.84. S.R., p. 24.85. S.R., p. 24, note 2.86. S.R., pp. 70-71.87. Acte IV, sc ène 1, vers 935-938.88. Acte IV, sc ène 3, vers 1074.89. Essais , livre I, chapitre XXVIII, « De l'amiti é », p. 188.90. Acte IV, sc ène 1, vers 914.91. Acte IV, sc ène 1, vers 919-924. 92. S.R., p. 70.93. Rappelons que ces vers constituent une addition de l' édition de 1697.Raymond Picard pense à juste titre que « Racine seul a pu se permettre

Page 42: Le « Sur Racine » de Roland Barthes

7/25/2019 Le « Sur Racine » de Roland Barthes

http://slidepdf.com/reader/full/le-sur-racine-de-roland-barthes 42/42

pareille addition » et il voit l à « un argument solide, semble-t-il, pour affirmer(malgr é son fils) que c'est bien lui qui est responsable de l' édition de 1697(O.C.I ., p. 1067, note 2 de la p. 148)94. Acte IV, sc ène 1, vers 927-930.

95. O.C.I, p. 1067, note 3 de la p. 148.96. Acte IV, sc ène 6, vers 1297-1300.97. Situation de la critique racinienne , p. 50.98. S.R., p. 123.99. Acte II, sc ène 1, vers 424-435.100. S.R., p. 123.101. Flaubert le savait bien. Son Emma Bovary en arrive à détester chez sonmari non seulement son corps, mais m ême ses v êtements. Rappelonsseulement un passage, parmi beaucoup d'autres, celui o ù le regard d'Emma

tombe brusquement sur Charles, pendant la visite à la filature de lin : «Charles était l à. Il avait sa casquette enfonc ée sur ses sourcils, et ses deuxgrosses l èvres tremblotaient, ce qui ajoutait à son visage quelque chose destupide; son dos tranquille était irritant à voir, et elle y trouvait étalée sur laredingote toute la platitude du personnage. ( Madame Bovary , deuxi ème partie,ch. V, p. 104).102. S.R., p. 71.103. « La s émiologie de Roland Barthes », dans Introduction à la s é miologie ,p. 190.


Top Related