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ENSC- 2007 n84-
THESE DE DOCTORAT DE LECOLE NORMALE SUPERIEURE DE CACHAN
Prsente par
Madame LEDRAPIER Catherine.
pour obtenir le grade de DOCTEUR DE LECOLE NORMALE SUPERIEURE DE CACHAN
Domaine :
SCIENCES DE LEDUCATION
Sujet de la thse : Le rle de laction dans lducation scientifique lcole maternelle ;
cas de lapproche des phnomnes physiques.
Thse prsente et soutenue Cachan le 15 dcembre 2007 devant le jury compos de :
COQUID Maryline, professeur, INRP ................... prsidente du jury.
GIORDAN Andr, professeur, Genve...rapporteur.
MARTINAND Jean-Louis, professeur, ENS Cachan.directeur de thse.
TOUSSAINT Jacques, professeur, Lyon I .rapporteur.
WEIL-BARAIS Annick, professeur, universit Angers..examinatrice.
Nom du Laboratoire UMR STEF ENS CACHAN/CNRS
61, avenue du Prsident Wilson, 94235 CACHAN CEDEX (France)
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Le rle de laction dans lducation scientifique
lcole maternelle.
Cas de lapproche des phnomnes physiques.
(table des matires en fin de document)
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Le rle de laction dans lducation scientifique
lcole maternelle.
Cas de lapproche des phnomnes physiques.
Introduction : une recherche en didactique des sciences
Lobjet de la recherche est lducation scientifique lcole maternelle. La question
est de savoir sil est possible de viser une ducation scientifique, ds cet ge et lcole. Il
faut donc en premier lieu dfinir ce que pourrait tre une ducation scientifique entreprise ds
lcole maternelle. Il faut tablir un cadre pour une telle ducation scientifique, et ltablir
selon les rsultats des recherches en didactique des sciences, en intgrant des donnes de la
recherche en psychologie pour tenir compte des contraintes ducatives lies au jeune ge des
lves. Cette recherche est donc propositionnelle, cest une recherche empirique, rendant
compte de la conception, de lessai et de lvaluation dun projet dactivits visant une
ducation scientifique lcole maternelle.
Bien que relative lcole maternelle, notre recherche relve de la didactique des
sciences. En effet, nos finalits, nos questions, nos mthodes sont celles de la didactique des
sciences. Lobjectif tant de concevoir des contenus et des dmarches dducation scientifique
pour lcole maternelle, il y a une responsabilit didactique vis--vis de ces contenus et de ces
dmarches, une responsabilit relative la lgitimit des propositions. Cest principalement ce
fait qui inscrit notre recherche en didactique des sciences, car comme le dit Jean-Louis
Martinand : Le terme didactique dsigne ltude des processus denseignement et
dapprentissage du point de vue privilgi des contenus. [...] tout didacticien exerce une
responsabilit vis--vis des contenus, soit pour leur cration ou leur adaptation, soit pour
leur lgitimit ou leur intgrit. 1 Il est question dune rflexion sur les savoirs, ce qui relve
de la didactique. La recherche en didactique a t amene construire des concepts, et ce sont
certains de ces concepts qui constituent les lments pour notre cadre thorique. Les concepts
1 Jean-Louis Martinand, 1994 d, p.254 & 255.
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impliqus dans notre travail sont : le concept de pratique de rfrence, le concept de
reprsentations, ceux de conceptions et de concepts en acte, celui dobjectif-obstacle, celui de
rfrent empirique, celui de modlisation, celui de problmatisation. Nous reprenons comme
un acquis didactique quau fond les contenus, les savoirs ne se transmettent pas, mais
doivent tre reconstruits, appropris. La mtaphore de la transmission na pas de valeur ds
que lon sintresse aux mcanismes. Cela conduit accorder de plus en plus dimportance
aux recherches qui tudient lappropriation en sintressant aux aspects lis au
dveloppement psychologique et aux mdiations pdagogiques mises en uvre. 2 Jean-Louis
Martinand prcise que les recherches de terrain permettent de faire la diffrence avec ce qui
relve de lopinion, que ce soit celle des universitaires spcialistes des disciplines ou celle des
psychologues, des sociologues, des historiens, des philosophes. Il prcise galement que les
interactions avec les sciences cognitives et lhistoire de lenseignement sont particulirement
utiles aux didacticiens. Et cest bien le cas de notre recherche, qui vise fonder des pratiques
pdagogiques non pas sur la tradition ou lempirisme, mais sur une approche rationnelle et
didactique. Du point de vue de la professionnalit des enseignants, il sagit de suggrer une
gamme de possibles et non un enfermement dans une modalit unique dinterventions. Notre
recherche tudie lappropriation de concepts relevant de la physique, elle sattache la
premire approche de ces concepts, et surtout lappropriation de dmarches intellectuelles
typiquement scientifiques, appropriations ralises par des lves singuliers qui apprennent
ensemble. Linscription de notre recherche dans le domaine de la didactique tient galement
au fait quelle examine ltude des reprsentations des lves, de leurs modes de
raisonnement, et aussi lanalyse du mode dintervention de lenseignant (JP Astolfi, 1989, p. 9
& 10). Notre recherche analyse des processus, en particulier les conduites des lves et des
enseignants. Comme la plupart des recherches en didactique, cette recherche vise une plus
grande comprhension des processus relatifs lapprendre, ceux qui caractrisent
lapprentissage scientifique, dans une perspective defficacit accrue de lacte
denseignement. Le but est de faire mieux russir les lves, et en plus grand nombre.
Deux questions vont dominer ltude. La premire concerne les critres de
scientificit retenir pour cette ducation scientifique premire puisque le problme est de
savoir comment penser une ducation scientifique, didactiquement, pour des lves de 3 6
ans. La premire question fondamentale est donc : Quelles caractrisations pour une
ducation scientifique lcole maternelle ? et en corollaire bien sr : Quelles interventions
enseignantes ? La seconde question de recherche tant : Quels rles peut jouer laction ?
Comment laction peut-elle permettre datteindre ces objectifs ? Linterrogation porte
ncessairement sur laction, du fait que lon se place lcole maternelle. En effet, on
2 Jean-Louis Martinand, 1994 d, p. 255-256.
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constate un consensus chez les psychologues selon lesquels cet ge, cest laction qui est le
mode dintervention privilgi, comme le dit Marcel Crahay dans ses recherches sur
lapprentissage en cole maternelle, Les enfants sont naturellement motivs pour agir et
cest notre levier dintervention. 3 Laction tait initialement interroge du fait du jeune ge
des lves, mais cest finalement une interrogation plus gnrale, plus fondamentale, sur le
rle de laction et ses limites qui est ouverte. Laction sera ainsi entendue avec diffrentes
acceptions, du geste individuel lactivit collective, de lapprentissage par laction selon
Piaget, la thorie de lactivit de Lontiev.
Pour dfinir un cadre pour lducation scientifique cole maternelle, nous prendrons
essentiellement appui sur les travaux de Jean-Louis Martinand et son quipe (le LIREST puis
STEF). Notre problmatique est en effet de type curriculaire, tablie sur les questions
fondatrices du laboratoire STEF pour les propositions de curriculum. Quels principes
fondateurs ? Quels principes organisateurs ? Quels enseignements lmentaires et
progressifs ? Les questions poses par Jean-Louis Martinand sont : Comment construit-on les
activits scolaires ? Avec quoi pense-t-on ? Avec quoi travaille-t-on ? Que veut-on changer ?
Quels futurs adultes souhaite-t-on former ? Il sagit de rpondre en terme de rfrence au rle
social de la discipline. Il sagit de la construction, linvention mme dactivits scolaires en
relation des pratiques de rfrences. Il sagit en effet douvrir des possibles et non
seulement de mieux habiller ou de critiquer un mauvais habillage 4 Dsigner les
rfrences des activits et les fins vises par celles-ci passe [...] bien avant la construction des
savoirs faire acqurir. 5 Cest ainsi que ce qui orientera notre choix pour une ducation
scientifique lcole maternelle sera dune part les missions vises, dautre part, et bien sr en
cohrence, le choix des rfrences. Les travaux de ce laboratoire concernent surtout lcole
lmentaire et le second degr, des applications destination de lcole maternelle sont
donc concevoir afin de prendre en compte les spcificits lies lcole maternelle, car nous
dsirons laborer des propositions de pratiques scolaires conues pour des enfants de trois
six ans, et non projeter les activits scientifiques existantes lcole lmentaire sur lcole
maternelle, moyennant quelques adaptations.
Sans entrer ds maintenant dans les dtails de notre cadre de rfrence didactique
signalons toutefois les points-cls. Parmi les nombreux points emprunts aux travaux de Jean-
Louis Martinand, deux sont prpondrants : la dmarche de modlisation caractrise par les
aller et retour entre registre empirique et modle explicatif et lentre par les activits. Cest
ainsi que prvoir une entre possible par les activits en tant que telles en posant que lactivit
3 Marcel Crahay, 1983 a. 4 Jean-Louis Martinand, 1989, p. 25. 5 Jean-Louis Martinand, 2001 b, p. 257.
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est en soi ducative, comme le fait Jean-Louis Martinand, est finalement une proposition rare
en didactique. Une mission de promotion dune pdagogie de laction, par et pour la
ralisation collective, comme valeur en soi, dans une perspective de dveloppement personnel
dabord 6 Il sagit bien daffirmer que cest la participation la ralisation collective en
elle-mme qui est ducative en promouvant des valeurs et des dispositions (mission
pdagogie de laction) 7 Ou encore, Il faut la penser (la discipline) dabord partir
des activits. Cest lengagement dans linvestigation, dans lappropriation dun savoir
accessible qui est formateur. 8 Certaines positions didactiques sont ainsi en harmonie, en
cohrence profonde, avec certaines positions philosophiques. Il y a des cadres de pense qui
sembotent (et dautres qui se heurtent ou qui sexcluent) entre options philosophiques,
psychologiques et didactiques. Nos rfrences psychologiques seront essentiellement
walloniennes, vygotskiennes et lontieviennes. Les thories de Wallon, de Vygotski et
Lontiev sur lorigine sociale de la pense nous semblent trouver leur cho dans le concept de
pratique sociale de rfrence de Jean-Louis Martinand, ainsi que dans sa proposition dentre
par les activits. Quant aux relations entre laction et la pense, chez Vygotski mais surtout
chez Wallon, elles semblent se couler avec aisance dans la problmatique du concret et de
labstrait dveloppe par Jean-Louis Martinand dans ses propositions relatives la
modlisation. Le seul contact avec les choses ne saurait donner lieu des connaissances,
cest--dire des reprsentations maniables en dehors de leur prsence effective. 9 Wallon
pense que grce la fonction symbolique il devient possible pour lenfant dchapper
lordre des choses actuel, immdiatement ralisable, et il lui devient possible de limaginer
diffrement, soit dans le pass, soit pour lavenir, soit seulement dans le monde des possibles.
(Henri Wallon, 1945/963, p.10). Il sagit pour lenfant dun vritable passage oprer
entre le perceptif et le reprsentatif, du passage de ce qui est sensoriellement actuel sur un
autre plan, sur le plan de lobjet mental. Cest ce quon appelle couramment la formation des
concepts et ce passage constitue, dit Wallon, un moment capital dans lvolution
intellectuelle de lenfant. 10 Et par ailleurs Wallon dveloppe comment la figuration nest
possible que si le sujet est impliqu dans des activits. Par activit, il ne sagit aucunement
dentendre activisme, activit qui se donne voir en tant que mouvement mais qui nest que
cela, ce qui pourrait tre effectivement une drive potentielle, notamment lcole maternelle.
Il sagit au contraire de laction dans lactivit collective, de laction comme exprience vcue
incontournable pour accder un autre registre, le registre de llaboration intellectuelle dans
le schma de modlisation de Jean-Louis Martinand, ce que Jean-Yves Rochex et lisabeth
6 Jean-Louis Martinand, 2000, p. 4, soulign par lauteur. 7 Jean-Louis Martinand, 2003, p. x +7. 8 Jean-Louis Martinand, 1994 a, p.52. 9 Henri Wallon, 1945/963 p. 138. 10 Henri Wallon, Perception et concept, 1949, p.8.
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Bautier entendent par secondarisation. Marcel Postic signalait dj cette spcificit dans les
travaux de Jean-Louis Martinand se limitant une simple curiosit intellectuelle et dsir
de dcouverte ? Non. Volont de matriser les situations quotidiennes en vue dagir. En
commenant tt dans la scolarit, on accde ainsi une culture technique. 11 Ainsi lcole
maternelle se doit de ne pas seulement sen tenir au registre de la familiarisation pratique, et
autant il est indispensable de donner toute lpaisseur ncessaire au rfrent empirique, autant
il faut galement entrer dans le registre des laborations intellectuelles, ds la maternelle.
Comme le dit lisabeth Bautier : Lcole maternelle ne peut limiter ses objectifs une
logique de dveloppement de lautonomie de lexpression de la communication et de
lpanouissement individuel, non plus qu une logique de normalisation et de socialisation
au seul vivre ensemble lcole. 12 Cest donc bien ds la maternelle quil faut
commencer laventure intellectuelle.
Dautres concepts de didactique nous seront indispensables, outre la dmarche de
modlisation et limportance de llaboration dun rfrent empirique, nous nous appuierons
trs fortement sur les travaux relatifs la problmatisation, essentiellement sur ceux de
Michel Fabre et Christian Orange, parce que, plus que dautres, ces auteurs sattachent plus
la construction du problme qu la vracit de sa solution. Nous nignorerons pas pour autant
les travaux relatifs la rsolution de problme, notamment ceux de Michel Caillot & Andre
Dumas-Carr, de Monique Goffard. Et bien sr, dun bout lautre de notre tude, nous nous
appuierons sur les travaux relatifs aux conceptions des lves et leur prise en compte dans
lapprentissage, tout spcialement les trs nombreux travaux dAndr Giordan, qui fut le
prcurseur en la matire, et le principal vulgarisateur des travaux sur les conceptions,
permettant ainsi une large diffusion de cet outil chez les enseignants, et entranant une
modification de la conception enseignante de lapprendre. Sagissant dlves de lcole
maternelle, nous proposerons une mthodologie spcifique et nouvelle pour le recueil des
conceptions : par rapport au recueil traditionnel se limitant souvent au registre oral ou crit,
nous prendrons en compte de faon privilgie le comportement, les gestes, et les actions des
lves pour accder leurs conceptions.
Pour ce qui relve de laction, nous sortons du champ de la didactique. Mais de
nombreux auteurs ont travaill sur laction, et se sont attachs au rle de laction dans
llaboration de la pense. Cest le cas de Piaget, Wallon et Vygotski, et nous nous rfrerons
leurs travaux ainsi qu ceux de leurs successeurs en psychologie cognitive. voquons pour
linstant la conclusion, concernant le rle de laction dans la conceptualisation, que propose
11 Marcel Postic, Jean-Louis Martinand, 1995. 12 lisabeth Bautier, 2000, p. 8.
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Vygotski dans son travail sur les relations entre pense et langage : Au dbut tait le
Verbe.13 cette parole de lvangile Goethe a rpondu par la voix de Faust : Au dbut
tait lAction14, voulant par l dprcier le mot. 15 Vygotski, en conclusion de son ouvrage
majeur Pense et langage dit que lon peut accentuer diffremment ce verset biblique si lon
considre lhistoire du dveloppement humain : au dbut tait laction. Le mot reprsente un
stade suprieur du dveloppement de lhomme. Le mot ntait pas au dbut. Au dbut il y a
avait laction. Le mot constitue la fin plutt que le dbut du dveloppement. Le mot est la fin
qui couronne luvre. 16 Lapothose de la conceptualisation se trouve donc bien dans le
mot, mais elle ny dbute pas. Et il y a aussi des mots creux, vides de sens, car ils ne sont pas
laboutissement dune conceptualisation, mais issus dun pur verbalisme, ce sont des mots
privs de pense nous dit Vygotski. Quest-ce quun mot priv de pense ? Le mot priv
de pense est un mot mort. 17 Tout louvrage de Vygotski tend nous faire dcouvrir le
rapport dynamique entre la pense et le mot, il analyse le passage de la pense au mot : pour
lui le mot est la ralisation, lincarnation de la pense. Il reprend Hegel qui considrait le mot
comme un tre anim par la pense, et souligne que cet tre est absolument ncessaire nos
penses. Vygotski souligne que les mots ne sont pas rien pour la pense, que leur relation est
puissante, que les mots alimentent et modifient la pense en retour (Vygotski, 1985, p. 376-
384). Mais la pense, do vient-elle ? Vygotski consacre un chapitre entier de son ouvrage
(Vygotski, 1985, p. 111-142), montrer, grce un faisceau de recherches concourantes, que
la pense et le langage ont des racines gntiques diffrentes, que le dveloppement de la
pense et celui du langage suivent des cours diffrents et indpendants lun de lautre, jusqu
un certain moment, o les deux cours se rejoignent et partir duquel la pense devient verbale
et le langage intellectuel (ibid., p. 125 128). Lintervention ducative se doit donc de tenir
compte de ce point nodal, qui se situe justement au moment de lentre de lenfant lcole
maternelle. Donc, la pense nest pas rductible au langage, ni mme au langage sans le son
selon la conception bhavioriste, et la relation entre pense et langage nest mme pas
originelle, cest par contre une relation qui se construit : mais, aussi importants que soient ces
faits, ils ne disent pas pour autant la racine gntique de la pense. Pour Vygotski, qui dnie
tout autant lorigine biologique que lorigine spiritualiste, elle est essentiellement dorigine
socio-historique et trouve sa racine dans lactivit sociale des hommes, do sa position : au
dbut tait laction. Lon remarquera que cette sentence utilise par Vygotski en conclusion
de son ouvrage Pense et langage, est celle employe par Wallon ds les premires lignes de
13 Cest ainsi que la redonne Vygotski, mais en fait la citation exacte est : Au commencement, il y avait le Verbe. Evangile selon saint Jean. La Bible. Jn 1/1. 14 J.W. Goethe, Faust, premire partie, cabinet de travail 15 Vygotski, 1985, p. 384. 16 Ibid, p. 384. 17 Ibid, p. 384.
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son ouvrage De lacte la pense, attribuant Au commencement tait le Verbe, aux
idalistes, aux disciples mystiques de Platon, lopposant aussitt Au commencement tait
lAction, pour rappeler que cest l un vieux dbat qui divise encore les philosophes
(Wallon, 1942, introduction). Laissons la parole Piaget qui rsume lvolution de ses
positions sur cette question lors dune analyse autocritique rtrospective de son uvre :
toute la suite de mes ouvrages sur la gense des oprations intellectuelles partir de laction
elle-mme, et sur la gense des structures logiques partir des coordinations de laction,
dmontre suffisamment que je ne spare pas la pense de laction.18 Nous reviendrons sur
les travaux de Piaget, de Vygotski et de Wallon, Wallon pour qui la pense part de laction et
retourne laction, sans que pour autant la pense ne soit dj dans laction, la pense se
situe sur un autre plan que celui de laction, celui de la reprsentation. Pour ces trois auteurs,
il y a relation forte entre lacte et la pense, mais les analyses quils font de cette relation sont
diffrentes, voire opposes. De cadres thoriques divergents, rsulteront des implications
didactiques et pdagogiques antagoniques, qui donneront donc lieu des pratiques scolaires
notablement diffrentes.
Le mmoire est compos comme suit.
La premire partie interroge les enjeux et le contexte et fait le point sur ltat de la
question. Quel intrt peut-il y avoir tenter de dbuter si tt une ducation scientifique, alors
que, a priori, le dveloppement mental semblant ncessaire pour pratiquer des activits
scientifiques apparat comme lapanage denfants nettement plus gs ? Que se fait-il lcole
maternelle dans le domaine des sciences, et que sest-il dj fait ? Quelles sont les pratiques
prescrites ? Quelles sont les pratiques relles ? Y a-t-il des recherches sur ces diffrentes
questions, que donnent-elles ? Cette premire partie permet de contextualiser notre recherche.
La seconde partie consiste en llaboration de la problmatique de la recherche.
Comme cette recherche a pour objet de concevoir des contenus et des dmarches dducation
scientifique lcole maternelle, il sagit de dcliner toutes les questions, de raliser toutes les
investigations, permettant de contribuer la question centrale : Quelle ducation scientifique
peut-on envisager lcole maternelle ? Ces questions sont avant tout dordre didactique,
pour tablir des critres de scientificit, et envisager une ingnierie enseignante en
adquation. Dautres questions se situeront dans le champ de la psychologie afin de prendre
en compte le dveloppement intellectuel des enfants, de situer le rle de laction, de lactivit
18 Piaget, 1962/1985, p. 391.
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dans lapprentissage, permettant ainsi denvisager des caractrisations scientifiques possibles
pour cette tranche dge.
La troisime partie prsente le dispositif de recherche. Tout dabord une prsentation
du projet dducation scientifique labor : conception des activits scolaires et des
interventions enseignantes visant une ducation intellectuelle, ducation au raisonnement et
attitudes scientifiques, selon les lments dtermins en deuxime partie. Ces
comportements et comptences seront mis en uvre lors dactivits relatives des
phnomnes qui relvent gnralement de la physique ; ce titre lon pourra dire quil sagit
galement, bien que trs modestement, dune premire approche scolaire des phnomnes
physiques en question. Des projets ont ainsi t mens dans les domaines de loptique
(ombres et lumire, miroir), de la mcanique (engrenages, mouvement), de llectricit, du
magntisme, et surtout de lhydrostatique (jeux deau, dplacements deau). En fait un projet
sera ensuite tout spcialement analys, projet o le matriel propos (toutes sortes de plans
inclins et de mobiles) permet de mettre en jeu des problmes relatifs au mouvement, au
roulement, la mise en mouvement, et daborder les concepts de vitesse, de trajectoire et
dinertie. Viendra ensuite la prsentation de la mthodologie de la recherche, puis celle de la
mthodologie de lanalyse du corpus. Il sagira dexpliciter les indicateurs retenus pour
lanalyse des donnes, et les critres dinterprtation : ce qui nous permet de valider ou non la
mobilisation de telle ou telle comptence ou de tel ou tel concept, ce qui nous permet
destimer des diffrences de niveau dans ces mobilisations, nous permettant dtablir
lexistence dun progrs, ce qui nous intresse est la dynamique lie au mode dactivits
scolaire propos.
La quatrime partie prsente les rsultats. La thse est propositionnelle, il sagit donc
la fois de ltude de faisabilit du projet dducation scientifique labor, et de ltude
interprtative des processus en jeu. Lors de la mise lpreuve du projet ducatif dans le
systme scolaire, ltude de faisabilit porte sur deux registres : faisabilit du point de vue des
lves, faisabilit du point de vue des enseignants. Il sagit de savoir quels sont, parmi les
objectifs didactiques poursuivis, ceux qui peuvent tre atteints et jusqu quel point. Bien sr
il ne sagit que dtudes de cas, les cas analyss permettant de poser des problmes
didactiques et de faire avancer la comprhension.
La dernire partie propose des discussions. Une discussion interne prenant position sur
les rsultats, sur les difficults rencontres lors de lessai, sur les situations qui semblent
facilement reconductibles et transfrables, et sur celles qui le semblent moins. Une discussion
externe soumet notre travail au regard dautres chercheurs, pointant certains de nos rsultats
qui peuvent interpeller, confrontant certains de nos rsultats avec les rsultats dautres
recherches. Il sagit galement de discuter linterprtation mme des rsultats car, comme le
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disait dj Vygotski comme toute tude qui cherche apporter une solution neuve un
problme, on est amen tout naturellement se demander ce que notre travail contient de
nouveau et, par consquent, de discutable19 Ce qui est trs consensuel Car lintrt est
de donner critiquer linterprtation des rsultats, puisque, comme dans toute activit de
recherche, la critique concourt la garantie du produit. 20
La conclusion reprendra les contributions principales et reconsidrera les enjeux. Les
apports sont de deux types : dune part la proposition dun cadre pour lducation scientifique
en cole maternelle, avec plusieurs essais tests, dautre part analyse du rle de laction dans
les diffrentes caractrisations scientifiques choisies. Cette partie est nouvelle puisque de
nombreuses recherches - en psychologie puis en psychologie cognitive - ont dj port sur
lapprentissage par laction, mais quaucune na regard le rle de laction du point de vue de
la conceptualisation des phnomnes physiques. Lanalyse tait toujours faite dun point de
vue structurel et/ou dveloppemental (origine et volution des oprations mentales, gense
des structures logiques), et laction navait jamais t considre comme un moyen
permettant dacqurir des postures et attitudes scientifiques, jamais interroge en tant
qulment participatif llaboration de comptences typiquement scientifiques, comme la
problmatisation et la modlisation. Cest donc sous un angle totalement nouveau relevant de
la didactique de la physique que laction est ici interroge. Il pourrait sembler bien audacieux,
voire prsomptueux de prtendre approcher les phnomnes physiques avec des enfants de cet
ge, mais les rsultats parlent deux-mmes. Toutefois les vritables enjeux sont ailleurs. Au-
del de la question dune premire approche des phnomnes physiques ds la maternelle -
laquelle ce travail pourrait se cantonner en montrant quelle est possible - la question
importante est dinterroger le rle dune ducation scientifique, en tant quducation la
raison, dans cette tranche dge. Interrogation relative certes la vise dune meilleure
formation scientifique ultrieure, mais essentiellement relative une autre vise : celle de
laccessibilit du plus grand nombre un comportement rationnel, permettant terme
lexercice raisonn des droits de citoyen. Interrogation non centre sur la formation dun
grand nombre dexperts, mais sur celle dun grand nombre de citoyens duqus, capables dun
accs raisonn aux ressources expertes, capables dun raisonnement rationnel, capables de
prises de dcisions informes. Une finalit donc essentiellement thique et dmocratique. Si
la ncessit dduquer la raison entre trois et six ans savre une condition capitale pour
permettre lavnement dune pense raisonne et raisonnante, alors les enjeux sont in fine des
enjeux sociaux. Et il faudra faire le choix entre une formation litiste qui pourra toujours se
19 Vygotski, 1985, prface p. 29. 20 Van der Maren, 1995, p. 479, cit par A Terrisse, 2001, p. 11.
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passer dune ducation scientifique ds lcole maternelle ou celui de tenter un accs la
raison pour le plus grand nombre.
La conception ducative de Wallon montre
la fois la possibilit de lducation et les
responsabilits des ducateurs vis--vis de lenfant.
Elle rsout lopposition du biologique et du social
ni dterminisme biologique, ni dterminisme social,
laction ducative consciente nest ni toute puissante
ni totalement inefficace(daprs Zazzo, 1962).
Wallon insiste constamment sur limportance du
milieu ce nest pas le ftichisme invtr de
ses parents qui peut interdire un individu plac ds
son enfance dans des conditions favorables de
sapproprier et dutiliser avec le maximum
defficacit les notions et les formules intellectuelles
qui mettent chaque jour davantage la causalit
physique la discrtion de lhomme. Henri Wallon.
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I - Contexte et enjeux de la Recherche. tat de la question
Cette premire partie interroge les enjeux et le contexte de notre recherche et fait le
point sur ltat de la question. Quel intrt peut-il y avoir tenter de dbuter si tt une
ducation scientifique, alors que, a priori, le dveloppement mental semblant ncessaire pour
pratiquer des activits scientifiques apparat comme lapanage denfants nettement plus gs ?
Que se fait-il lcole maternelle sur ce registre ? Quelles sont les pratiques prescrites ?
Quelles sont les pratiques relles ? Quelles sont les spcificits de lcole maternelle ? Y a-t-il
des recherches sur ces diffrentes questions, que donnent-elles ? Cette premire partie permet
de contextualiser notre recherche, den situer les enjeux.
I - 1. Faire des sciences lcole maternelle ?
Faire des sciences lcole maternelle ! Est-ce bien raisonnable ? Mais dj
apprendre tout court, des sciences ou dautres choses, a toujours pos problme lcole
maternelle. Quand je pense quil y a des enfants de 2 6 ans lcole, je ne sais si je dois
rire ou pleurer [...] Croyez aussi que nous comptons sur vous, (les institutrices de maternelle)
pour changer nos pleurs en un sourire reconnaissant. 21 Cette rflexion, faite lors dune
confrence par Mme Kergomard22, Inspectrice Gnrale des coles maternelles de 1881
1917, nous semble garder toute sa pertinence. En effet, bien des entreprises inhrentes cole
maternelle ont t tour tour encenses et critiques, car leurs mises en oeuvre ont donn tout
et son contraire, ce qui apparaissait enthousiasmant pouvant finir par devenir inquitant dans
les faits, voire dangereux pour les enfants. Avant mme lavnement23 de l'cole maternelle,
21 Pauline Kergomard, 1910, p. 40. 22 Pauline Kergomard, 1910, p. 40. Pauline Kergomard jouera un rle essentiel pour la reconnaissance dune spcificit pdagogique pour cole maternelle, une pdagogie adapte aux petits respectant les besoins, la particularit et la dignit du jeune enfant. 23 Traditionnellement les historiens font remonter les origines de lcole maternelle 1770 avec la cration de petites coles tricoter linstigation du pasteur Jean-Frdric Oberlin et sa femme, dans huit villages des Vosges. Il sagissait doccuper et dinstruire ces enfants de 4 7 ans laisss sans surveillance par leurs parents ouvriers dans les filatures vosgiennes. Linstruction comportait 3 4 heures par jour dapprentissage du tricot et de la couture, do leur nom. Il faut ensuite attendre 1801, avec louverture de la premire salle dhospitalit Paris par Adlade Pastoret (marquise du-), mais qui est une crche plus qucole, et surtout un chec cependant en 1815, dautres ouvertures de salles dhospitalit furent russies. Puis en 1926 souvrent les deux premires salles dasile Paris, rue du Bac et rue des Gobelins, par Mme Emilie Mallet (fille dOberampf) et Denys Cochin, maire du XIIime arrondissement. Denys Cochin qui fait ensuite construire un groupe scolaire sur sa fortune personnelle (cole lmentaire et salle dasile), et en fait donation la ville de Paris ; qui envoie Mme Eugnie Millet, femme du peintre, en 1827 en Angleterre pour observer les infant schools. (Les infant schools sont cres ds 1816 en cosse par Robert Owen, industriel qui organisa la garde des enfants des ouvriers de sa manufacture de coton.).Le mme Denys Cochin invente peu peu une mthode adapte lge
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les salles dasile, classiquement qualifies danctres de lcole maternelle franaise, sont
dj soit glorifies et objet du plus grand dvouement, soit trs svrement critiques.
Effectivement elles se veulent tre limage des premires tentatives ducatives pour cet ge,
certes parfois un peu idalises, et sous lgide de grands philosophes et pdagogues tels
Montaigne, Rousseau, Pestalozzi, Frbel Soit elles sont pointes du doigt pour leurs
dysfonctionnements dans les pratiques relles : surnombre, jusqu quatre cents marmots et
plus dans une mme cole24, et de ce fait la pdagogie est militarise, avec claquoir et sifflet
pour scander et stopper les activits collectives, obtenir dans linstant silence et immobilit,
pour mettre fin un exercice ou en scander sa mesure, tout marche la baguette
(description-prescription donne par le manuel de Cochin de 1833). Une pdagogie non pas
centre sur le respect de lpanouissement de lenfant, sur son besoin de jeu et de
mouvement, telle que la prsente les grandes dclarations, mais sur lobissance, la
soumission, le respect de pratiques religieuses et lacquisition dune bonne moralit. Ce
double phnomne se retrouve galement aprs les lois laques de la troisime rpublique et
lavnement de lcole maternelle. Les lois ds 1881 abolissent linstruction religieuse au
profit de la seule ducation morale, limitent le nombre dlves (100 150 maximum25), et
vont, sous linfluence de Ferry, Buisson, Grard, gommer laspect caritatif et mettre en avant
la mission dducation et dinstruction Mais nouveau les pratiques resteront bien souvent
des enfants, puis rdige en 1933 un ouvrage de conseils pour lenseignement en salle dasile. Mme Mallet soccupera de salles dasile pendant plus de trente ans. En 1933 deux circulaires reconnaissent un rle dinstruction aux salles dasile, et parlent de premire cole. Circulaire dAdolphe Thiers, mars 1833 : Il ne peut tre que fort utile de commencer linstruction ds lge le plus tendre : et tel semble devoir tre le but principal des salles dasile, qui formeraient le premier degr de lenseignement lmentaire, et que, pour cette raison, on pourrait appeler plus justement petites coles ou coles de l'enfance. (Circulaire dAdolphe Thiers, mars 1833).Et En premire ligne se prsentent les coles les plus lmentaires de toutes, celles qui sont connues sous le nom de salles dasile et o sont reus les petits enfants de lge de deux ans lge de six ou sept ans, trop jeunes encore pour frquenter les coles primaires proprement dites, et que leurs parents, pauvres et occups, ne savent comment garder chez eux. (Circulaire Franois Guizot, juillet 1933). Le ministre Salvandy, neveu de Mme Mallet, officialise et rglemente les salles dasile en 1837, Les salles dasile, ou coles du premier ge, sont des tablissements o les enfants des deux sexes peuvent tre admis jusqu lge de six ans accomplis pour recevoir les soins de surveillance maternelle et de premire ducation que leur ge rclame. Il y aura dans les salles dasile des exercices qui comprendront ncessairement les premiers principes de linstruction religieuse et les notions lmentaires de la lecture, de lcriture, du calcul verbal. On pourra y joindre des chants instructifs et moraux, des travaux daiguille et tous les ouvrages de main. Carnot, le 28 avril 1848, dbaptise les salles dasile pour les appeler coles maternelles mais cela sera phmre et ce nest quen 1880 que cesse lappellation salles dasile, et quadviennent vritablement les coles maternelles. La diffrence majeure avec la circulaire de 1837 est quapparat le dveloppement intellectuel. Etablissement de premire ducation o les enfants des deux sexes reoivent en commun les soins que rclame leur dveloppement physique, intellectuel et moral. Par rapport aux salles dasile, laspect caritatif, disparat officiellement au profit de laspect ducatif et les lois laques de 1881 abolissent lducation religieuse. Cest lcole, tous les degrs que se fait la fusion des diffrentes classes sociales. Lcole est le vrai berceau de la dmocratie. Encore faut-il que son titre nhumilie pas les uns et nloigne pas les autres dira Pauline Kergomard en 1986. Rsum ralis daprs A.Prost 1968, A.Prost 1981, F. Mayeur 1981J-Luc 1982, C. Nique et C. Lelivre 1990. 24 leffectif est tel que lenseignement mutuel est alors obligatoire. 25 Rparties en deux sections.
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nettement en de des ambitions et des dclarations. Malgr plusieurs tentatives de
recentrage, sous linfluence de Mme Kergomard qui tentera de placer en premier lieu le jeu et
la libert de mouvement, l'cole maternelle arrivera avec beaucoup de mal se dfaire des
pratiques des salles dasiles et ce sera bien souvent pour tomber dans des pratiques trs
proches de celle de lcole lmentaire.26 Mme Kergomard dnoncera ces classes maternelles
qui ne sont que de petites casernes ou de petites Sorbonne, car pour elle, l'cole
maternelle, il sagit avant tout dduquer et non dinstruire. Pour obtenir ses lettres de
noblesse et poser sa spcificit pdagogique, fonde sur la place centrale faite au jeu de
lenfant et son activit spontane, l'cole maternelle aura pendant longtemps se battre,
tant contre les mthodes de la salle dasile que contre celles de lcole primaire. Aprs la
seconde guerre mondiale, lcole maternelle connatra nouveau un phnomne analogue
quand il sagira de passer dun modle dit productif27 dans les annes 1945, un modle dit
expressif dans les annes 1980 fond sur le libre panouissement et dveloppement de
lenfant. Les changements de paradigme ducatif et les changements dans les pratiques ne se
font pas sans heurts. Nous analyserons plus loin les pratiques prescrites et relles actuelles
quant lenseignement spcifique des sciences. Longue opposition donc pour l'cole
maternelle entre les principes fondateurs, les grandes ambitions et les pratiques relles. Faire
des sciences lcole maternelle, doit-on en rire ou en pleurer ? La rponse nest pas si
vidente ! Quest-il question de leur faire faire exactement ? Cest ce quil faut examiner en
premier lieu, et cest ce que nous envisagerons dans les chapitres suivants mais lHistoire
nous montre quavant toute conclusion, il faudra passer par une tude dune faisabilit
institutionnelle, afin de ne pas obtenir deffets pervers.
Quoiquil en soit, la question fait sourire certains scientifiques ou certains enseignants
de sciences physiques du secondaire ou encore des universitaires. Pour nombre dentre eux,
on ne peut commencer tudier la physique qu lentre dans leur niveau
denseignement. De surcrot, ce qui a t fait avant leur intervention, apparat ces personnes
plus souvent comme une entrave que comme quelque chose de bnfique. Cest ce que Jean-
Pierre Astolfi nomme le mythe virginal. Le fantasme dtre le premier pour un
apprentissage. Les prcdents ont forcement gch linstant prsent sy prenant mal ! Cest
dabord la faute au primaire. Mais jusqu luniversit comprise on entend regretter les
26 Dans la loi du 18 janvier 1887 Mme Kergomard fait inscrire le jeu la premire ligne du programme, et fait disparatre ce qui dpasse lge des enfants : plus de notions, plus de leons. 27 Eric Plaisance (1977 & 1986) montre comment lcole maternelle passe dun modle dominant quil appelle productif dans les annes 45, un modle dit expressif dans les annes 80. Le modle productif est bas sur les qualits des productions de lenfant, productions juges selon des critres de perfections techniques, en adquation une norme de russite pralablement dfinie. Le modle expressif est bas sur le dveloppement des qualits dexpression de chacun, sur le principe du libre panouissement, plus dtalon de russite ou de perfection mais originalit de lexpression de la personne : les attitudes supplantent les productions.
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enseignements antrieurement dispenss. [...] Il faudrait toujours que le travail soit toujours
parfaitement prpar [...] mais jamais dflor28 Mais ces personnes nimaginent souvent
ce qui peut avoir t fait avant leur propre intervention, que comme une rduction, une
simplification de ce que eux enseignent. Dans ces conditions, en suivant ce point de vue, il est
vident quil y a un stade minimal de dveloppement intellectuel acqurir, et il est
galement vident que les enfants de lcole maternelle ne matrisent pas encore les
oprations mentales ncessaires. Ce type dopinion semble trs rpandue dans le corps
enseignant. Alors pourquoi vouloir faire des sciences lcole maternelle ? Quel intrt ?
Quelle lgitimit ? Puisquil semble que lon puisse remettre en question lutilit de ce
type de pratique, quil soit nomm activits dveil scientifique ou dcouvrir le monde ou
tout autrement.29 Pourquoi un projet de faire des sciences en maternelle ? Un apprentissage
prcoce savre-t-il utile, en toute innocuit? Quelle pertinence, quel intrt une telle
dmarche peut-elle avoir pour des enfants de trois six ans ? Ne vaudrait-il pas mieux,
comme le proposent certains, attendre plus tard, au moins lge de douze ans, voire quatorze
ou quinze ans30, selon les stades piagtiens, lorsque les enfants matrisent quelque peu les
oprations formelles et entrent dans la logique formelle, cest--dire deviennent capables de
manipuler des propositions et de leur faire subir le groupe INRC31, quand ils deviennent
capables de manier le raisonnement hypothtico-dductif, cest--dire capables dinfrences et
dhypothses, ainsi que de dductions (cest--dire produire du vrai partir de vrai). Ne
vaudrait-il pas mieux attendre cette priode avant dentamer un enseignement scientifique ?
I - 2. Ncessit et possibilit dune ducation scientifique ds lcole maternelle
I - 2.1. lments sociologiques
Pourquoi envisager une ducation scientifique prcoce ? Nous y voyons deux raisons :
ltat de lenseignement scientifique et limpact de la frquentation de lcole maternelle pour
la russite scolaire ultrieure.
Un grand nombre douvrages en didactique des sciences commence par ce type de
constatation : Lenseignement des sciences et des mathmatiques est devenu un enjeu social
28 Astolfi, lerreur un outil pour enseigner, 1997, p. 70. 29 Nous regarderons de plus prs dans un paragraphe suivant ce que recouvrent ces diffrentes appellations. 30 Et mme 20 ans selon les crits de Piaget de 1966. 31 Groupes des quatre oprations logique de base : I : identique, N : inverse ou ngative, R : rciproque, et C : corrlative.
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majeur. 32 Les deux prochaines dcennies seront capitales en matire dducation
scientifique. 33 Une culture scientifique est devenue ncessaire 34 Lenseignement des
sciences fait partie de ces sujets rcurrents o, chaque gnration, des esprits minents
saisissent lopinion publique pour en signaler les insuffisances, et plus rcemment, pour
salarmer de la dsaffection des jeunes dans les filires scientifiques. 35 Effectivement,
toutes les tudes36, y compris les tudes internationales, montrent quil y a problme,
dsaffection et insuffisance des rsultats. Lenseignement scientifique connat une crise, non
seulement un problme denrlement mais aussi une inefficacit rcurrente, dj longuement
interroge en didactique. Les premiers travaux en didactique des sciences ont ainsi analys
cette mauvaise rentabilit de lenseignement scientifique, en vue damliorer les situations
denseignement et dapprentissage. Le naufrage de lducation scientifique ? [...]Comment
se fait-il que cet enseignement soit en pure perte pour les trois quarts des lves qui y ont t
soumis ? 37 Une grande partie des savoirs scientifiques enseigns est oublie au bout de
quelques annes, voire quelques semaines 38 nous disent les didacticiens. Certains travaux en
didactique ont cherch les causes de ce peu defficacit de lenseignement (travaux sur les
conceptions), dautres recherches essaient de proposer des remdiations pour amliorer les
effets de lenseignement scientifique (travaux sur les obstacles, la modlisation, les
curricula).
La seconde raison se rapporte lge des lves. Il y a plusieurs dcennies maintenant
que des travaux internationaux39 ont montr limportance de lducation prscolaire dans la
russite scolaire puis professionnelle. Ds les annes 1960 le regard que la socit porte sur
32 Johsua & Dupin, 1993, p. 1. 33 Giordan et coll. 1994, p. 11. 34 Giordan 1999, p. 9. 35 Goffard & Weil-Barais, 2005, p.13. 36 lchelon international, des tudes ont t menes au niveau des lves de 15 ans par lOCDE (Organisation de coopration et de dveloppement conomiques).Une des dernires en date (PISA : programme international pour le suivi des acquis des lves, dc. 2001).place le Japon et la Core aux deux premiers rangs pour les mathmatiques et les sciences. Plusieurs rapports commands par le gouvernement fdral des USA, rvlent une dficience du systme amricain : dans les disciplines mathmatiques, physique, chimie, sciences naturelles et pour toutes les tranches dge, ces rapports aboutissent la mme conclusion alarmante : aux tats-Unis, le niveau national en sciences est vritablement lamentable, le trs srieux Science & Governement Report nhsite pas parler de catastrophe nationale. En France des tudes plus locales nous alertent de faon semblable. Rapport dvaluation pdagogique annuel du service de la prvision, des statistiques et de lvaluation demand en fin dcole primaire (cours moyen 2e anne [CM2], concernant des lves gs de 10 11 ans), par le ministre de lducation nationale (direction des coles). Cit in : GIORDAN Andr et GIRAULT Yves, 1994 Les aspects qualitatifs de lenseignement des sciences dans les pays francophones, Paris : d. UNESCO-Institut international de planification de lducation (IIPE), 172 pages, p. 3. (cit par J Ueberschlag). 37 Giordan et coll., 1978, p. 8. 38 ibid. 39 En tmoignent, la cration de lOMEP ds 1948 (Organisation Mondiale pour lEducation Prscolaire), regroupant 40 comits nationaux, dont le but est de promouvoir dans tous les pays lducation des jeunes enfants.
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lenfant est profondment modifi : lenfant devient une personne, les connaissances
psychologiques ont une telle diffusion quil est devient vident pour tout le monde que
tout se joue avant six ans.40 Mme si ce type de dclaration est sans doute abusif, il existe
une tendance assez forte qui consiste penser que plus on donnera lenfant une stimulation
intellectuelle prcoce, plus il deviendra vif et intelligent. Il sagit parfois aussi dacqurir une
intelligence suprieure Ce qui nest pas sans susciter des inquitudes lgitimes. Au dbut
des annes 70 souvre un dbat passionn41 sur le rle de lcole dans la dmocratisation, et
tout spcialement celui de l'cole maternelle. Les nombreux programmes de compensation ds
les annes 1960 aux USA et 1970 en France, ainsi que les nombreuses tudes sociologiques
relatives limpact de la pr-scolarisation dans la russite scolaire le soulignent. De
nombreuses tudes montrent aussi que linfluence de lenvironnement est dautant plus
marque quelle sexerce dans cette priode42.
Les travaux dEric Plaisance et dAntoine Prost, expliquent par ce changement de
regard sur lenfant, laugmentation considrable43 de la frquentation de l'cole maternelle en
France, et surtout le fait que lorigine sociale de son public se modifie progressivement. En
effet, lorigine l'cole maternelle sadresse aux enfants de familles indigentes, qui, suite la
rvolution industrielle, ne peuvent assurer ni la garde ni lducation de leurs enfants44. Jusqu
la seconde guerre mondiale l'cole maternelle continue sadresser quasiment exclusivement
aux enfants des classes populaires, ensuite elle devient de plus en plus un rel lieu de mixit
sociale. Lcole maternelle est ainsi passe du statut de garderie des enfants pauvres celui
dune tape indispensable dans le dveloppement enfantin, et les classes dirigeantes se
reconnaissent dans cette dmarche, ce qui va primer sur leur vitement de la promiscuit : il y
a homognit sociale de la frquentation.
Les tentatives ministrielles sont nombreuses45 pour tenter de remdier au fameux
handicap socioculturel par les pratiques mises en uvre en maternelle. Mais Basile
40 Les publications de Dodson y contribuent, notamment Tout se joue avant six ans, Dodson 1972. 41 Quelques uvres majeures structurent ce dbat : Baudelot et Estalet, lcole capitaliste en France, Bourdieu et Passeron, les hritiers, la reproduction, Snyder, cole classe et lutte des classes. 42 Bloom, affirme par exemple que les enfants forment 50% de leur intelligence avant 4 ans et 30% de plus avant 8ans ! 43 La progression du travail fminin nexplique pas totalement la gnralisation de lducation prscolaire, car les deux phnomnes ne sont pas de la mme ampleur. (Prost Antoine, 1981 p. 98) 44 Pauline Kergomard rappelle quil ne faut pas oublier que l'cole maternelle nest pas obligatoire et que si les enfants la frquentent cest que leur famille est pauvre et donc mal loge et mal nourrie, cest parce que la mre travaille au dehors. Ainsi les coles maternelles continuent sadresser quasiment exclusivement aux enfants des classes populaires. Le dveloppement du capitalisme industriel au XIXime sicle entrane la ncessit de recruter des travailleurs en grand nombre la femme latelier et lenfant lasile vitant vagabondage et oisivets, salles dasiles puis coles maternelles constituent une protection aux enfants de la classe ouvrire. 45 Les VIime et VIIime plans, (76-80), sont marqus par les perspectives de prvention des inadaptations et de rduction des ingalits.
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Berstein (1964), puis Chamboredon et Prvot46 (1973), puis Eric Plaisance (1977 & 1986)
montrent bien que si la frquentation prscolaire est bnfique pour tous les enfants, elle
profite surtout aux enfants des classes moyennes et suprieures47. Plaisance en explique la
raison : il y a connivence entre les modles pdagogiques de l'cole maternelle et les
conceptions des classes privilgies, notamment sur le rle du jeu lcole. Ainsi les parents
de classes populaires demandent avant tout lcole maternelle de bien prparer leur enfant
la scolarit obligatoire, ils apprcient les acquis immdiats et visibles, les connaissances bien
identifies. Le jeu reste pour nombre dentre eux une activit gratuite, futile le jeu est
lenvers du travail, ce nest pas une activit efficace. Au contraire, des parents plus
intellectuels vont reconnatre, comme le fait lcole, le srieux du jeu48 de lenfant, et surtout
son rle dans son dveloppement et ses apprentissages Ils ne seront pas inquiets dacquis
diffrs, non immdiatement visibles ou mesurables, mais stabiliss long terme. Pour Eric
Plaisance l'cole maternelle a suscit lintrt des classes sociales aises et sest peut-tre
mme adapte ses demandes spcifiques. Selon les origines sociales, les demandes des
parents ne sont pas les mmes vis--vis de lcole, la connivence, la comprhension,
ladhsion ce qui sy fait non plus. Les acquis des enfants qui entrent lcole maternelle ne
sont pas les mmes : certains sont dj dans la logique et les pratiques qui sont celles de
lcole, ils sont dentre institus en tant qulves, dautres pas. lisabeth Bautier49,
reprenant le fil des travaux de Basile Berstein, cherche expliquer comment, en quoi les
pratiques scolaires de l'cole maternelle creusent encore lcart existant entre les classes
sociales. Cest ainsi quelle montre que ce qui fait difficult pour certains lves, ds la
maternelle, cest la non-distinction entre la tche demande et lobjet dapprentissage. Ce qui
est vident pour les uns ne lest pas pour les autres, en fonction de lorigine sociale... Alors
que l'cole maternelle prsuppose dans ses pratiques un consensus partag par tous. Ainsi
lapprendre passe exclusivement par le faire pour un grand nombre denfants issus de
milieu populaire, et il y a difficult de prendre, dapprendre, une posture cognitive seconde.
lisabeth Bautier et Jean-Yves Rochex montrent galement comment les pratiques
dindividualisation sont perfides et peuvent nuire au sujet parce quelles instaurent des
pratiques langagires implicites, familires, dans une relation duelle ladulte, o la
46 Il y a selon Chamboredon et Prvot des fonctions diffrentielles exerces par lcole maternelle vis--vis des diffrentes classes sociales 47 Les enqutes de lducation nationale montrent que les carts entre les groupes sociaux ne se trouvent pas amenuiss par la frquentation de lcole maternelle. Plus rcemment les travaux de Marie Duru-Bellat confirment quil en est toujours ainsi, que la frquentation de lcole maternelle ne rduit pas les carts sociaux mais quau au contraire ils saccroissent. In les ingalits sociales lcole : des analyses sociologiques aux interrogations politiques. Comprendre n 4, PUF p. 53-67. 48 Pour Jean Chteau, 1967, le srieux est le caractre essentiel du jeu de lenfant. 49 E. Bautier, 2006.
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dsignation non-verbale est frquente, sans rigueur impersonnelle. Elles sont discriminantes
puisque cest ainsi lenfant qui est valu et non llve.
La modification de la population qui frquente lcole maternelle a entran
pareillement un changement complet au niveau des enjeux. Lhypothse de Plaisance reste la
mme pour ce qui est des enjeux : les pratiques de l'cole maternelle se sont modifies parce
que le public sest modifi. Quand la frquentation tait essentiellement populaire, il sagissait
dinculquer aux enfants des habitudes dordre et dobissance. Il sagit de les rendre plus
doux et plus polis, de leur faire accomplir leur devoir envers Dieu, leurs parents, leur matre
et tous leurs suprieurs. 50 Plaisance51 dnonce une volont denrgimenter les enfants
douvriers ds la salle dasile, et la considre comme une institution au service des classes
dominantes, pour maintenir les autres dans une position subalterne52. Les enjeux ne sont plus
tels, mais quels sont-ils ? Officiellement : la russite pour tous les enfants. Mais, nous venons
de le voir, les chercheurs en sociologie ont montr que l'cole maternelle favorise encore
actuellement les enfants des classes sociales aises, parce que les valeurs et les pratiques de
l'cole maternelle sont celles des classes suprieures et non celles des milieux populaires.
Les programmes de lcole maternelle ultrieurs aux travaux dric Plaisance ont chang, ils
sont de plus en plus centrs sur les comptences, les valeurs sont donc galement modifies.
Dans un mouvement de centration gnrale du primaire sur les savoirs et non plus sur
lenfant53, laccent est mis sur les connaissances que lenfant doit acqurir. Lcole maternelle
constitue le socle ducatif et pdagogique de lcole. Base, pivot, socle, les derniers
programmes laffirment clairement, l'cole maternelle est une cole importante. cole
importante, parce que ce qui peut tre fait cet ge est prpondrant, et quil convient den
tenir compte tout en prenant en compte des inquitudes lgitimes relatives des excs de
stimulation intellectuelle prcoce. Lenjeu affich par lcole rpublicaine, cest bien la
russite de tous.
Le rle trs bnfique de la frquentation de lcole maternelle pour la russite
scolaire de tous les enfants, mme si elle reste plus bnfique pour les enfants des milieux
privilgis que pour ceux des milieux populaires, nest donc plus prouver, ni analyser. Par
contre limportance ou non dy commencer une relle ducation scientifique na pas encore
t interroge. La question de savoir ce que lon met derrire ducation scientifique est
alors fondamentale. Si les enjeux sont dabord et avant tout sociaux, le problme central de la
50 Arrts de 1838 et de 1855. 51 Plaisance 1977, p. 43. 52 Une des finalits des salles dasile est le contrle par les classes suprieures, en imposant aux classes populaires des comportements acceptables. Pour ltablissement de la morale et maintien de lordre social il faut crer des habitudes dordre et dobissance, dvelopper un ducation religieuse et morale (Plaisance Eric, 1986) 53 la nouvelle loi dorientation, 2005, dite loi Fillon.
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recherche est lui didactique. Cette question est de type curriculaire, car mme si lcole
maternelle nest pas obligatoire,54 il faut prendre en compte quelle est trs majoritairement
frquente55 en France. La maternelle pour tous ! Dans toutes les rgions et dans tous les
milieux 56 Pour terminer sur les enjeux sociaux, il faut bien sr rappeler la grande spcificit
franaise : laccueil est gratuit pour les familles, car il y a prise en charge par ltat. Alors que
dans la plupart des pays il sagit de garderies, de jardins denfants, ou parfois de premire
cole, mais presque toujours payants. De plus cette prise en charge ne relve pas des affaires
sociales, mais de lducation Nationale, lcole maternelle bnficie donc de personnels
enseignants spcialement forms57.
I - 2.2. lments psychologiques
La question nest donc plus de sinterroger sur la pertinence, la ncessit dune
intervention cole maternelle, la question est maintenant de savoir si une intervention dans
le registre scientifique est possible : les enfants de cet ge ont-ils acquis le minimum de
capacits intellectuelles requises ? Un enseignement si prcoce nest-il pas prmatur ?
Comment situer la limite afin que ces interventions ne soient pas inoprantes plus ou moins
long terme? Ce sont ici les possibilits psychologiques que nous dsirons explorer et non les
54 En France, depuis la loi Jules Ferry du 28 mars 1882, article 4, cest linstruction, et non pas lcole, qui est obligatoire, partir de 6 ans. Larticle L.131-2 du code lducation prcise : Linstruction obligatoire peut tre donne soit dans les tablissements ou coles publics ou privs, soit dans les familles par les parents, ou lun dentre eux, ou toute personne de leur choix . Les parents ont par priorit le droit de choisir le genre dducation donner leurs enfants. Dclaration Universelle des Droits de lHomme, 1948, article 26-3. Nul ne peut se voir refuser le droit linstruction. LEtat, dans lexercice des fonctions quil assumera dans le domaine de lducation et de lenseignement, respectera le droit des parents dassurer cette ducation et cet enseignement conformment leurs convictions religieuses et philosophiques. Protocole additionnel la Convention europenne de sauvegarde des droits de lHomme et des liberts fondamentales, 1952, article 2, protocole n1. 55 Les salles dasiles une fois dveloppes (en 1876) regroupaient 25% dune classe dge, aprs les loi laques il y a une retombe de la frquentation, mais partir de 1946 il y a progression continue de la pr scolarisation qui atteint 50 % pour la tranche dge de 2 5 ans ds 1964, et il y a scolarisation des enfants de 4 ans 99, 3% ds 1980 (daprs Plaisance, 1986 & Prost 1981). 56 Expression dAntoine Prost, 1981. Alors que cette scolarisation stagnait peu prs depuis les annes 1930 le nombre de classes maternelles 8745 en 1938-1939 18641 en 58-59 et 31880 en 1968-1969 puis 51830 en 1976-1977 cette date le taux de scolarisation 4 ans est de 97%, au-del des objectifs du 5ime plan. : le dveloppement de la pr scolarisation a t prvu et planifi, il a fait lobjet dun consensus gnral, ctait une vidence pour tous. Le dveloppement de lcole maternelle commence au lendemain de la seconde guerre mondiale, en 35 ans leffectif a t multipli par quatre fois et demi : Cest spectaculaire ! in PROST Antoine, 1981, Lcole et la famille dans une socit en mutation, 1830-1980, tome IV de Histoire gnrale de lenseignement et de lducation en France, Louis Henri PARIAS directeur, pp14-729, Paris, Nouvelle Librairie de France. 57 Les enqutes montrent qu'un enseignement de qualit passe par un haut niveau de formation du personnel encadrant les enfants dans les structures prscolaires. Notamment D. J. Ackerman (2005) montre l'importance des qualifications et de la formation des enseignants destins lducation prscolaire. [Informations issues de la Cellule de veille scientifique et technologique. (VST)]
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possibilits institutionnelles. Cest ce degr de potentialit qui va conditionner directement
les rponses possibles la question centrale de notre travail : quelle ducation scientifique
lcole maternelle ?
Si lon sen rfre aux stades piagtiens la question est rgle, puisque quil faudrait
attendre le stade des oprations formelles, ladolescence, pour entrer dans le raisonnement
hypothtico-dductif58. Les partisans et ducateurs piagtiens qui relvent le problme,
puisque les pratiques pdagogiques font sans cesse appel aux raisonnements inductif et
dductif, disent par exemple, comme Michel Perraudeau, quelles en prparent
lacquisition. 59 Pourtant Piaget, et lcole piagtienne par la suite, ne croyait pas en une
influence de lducation sur le dveloppement, ou trs peu, et alors dans des cas particuliers
o les tches scolaires savraient de type piagtien, comme le montrent les crits
pdagogiques de Piaget. Mais les rsultats des travaux de Piaget sont maintenant fortement
remis en question par un grand nombre de psychologues. La thorie des stades de
lintelligence, qui a fait la clbrit de Piaget, est trs lgante, sduisante et, premire vue,
convaincante. Durant la seconde moiti du XXime sicle elle a profondment marqu la faon
de penser le dveloppement cognitif dans le monde de la psychologie et de lducation. Cest
toutefois elle qui, [...] fait lobjet des critiques les plus fondes de la part de la nouvelle
psychologie de lenfant. 60 Les recherches de ces dernires dcennies montrent quil existe
dj chez le bb des activits cognitives assez complexes, ignores par Piaget, et dautre part
que la suite du dveloppement de lintelligence est jalonne derreurs, de biais perceptifs, de
dcalages inattendus, et dapparentes rgressions cognitives, non prdits par la thorie
piagtienne (Houd, 2004, p. 86). De nombreuses recherches, anglo-saxonnes notamment,
tudient les capacits des trs jeunes enfants en ce qui concerne leurs activits mentales. Elles
nous apprennent lexistence de comptences et connaissances insouponnes chez les trs
jeunes enfants, ds quelques mois. Ces connaissances sinscrivent dans le cadre gnral de la
cognition physique du bb, i.e. des connaissances prcoces propos du monde des objets, de
leurs proprits et de leurs relations dans lespace. Par la mise au point de technologies
dexprimentation permettant dtudier lactivit perceptive des bbs, on sest aperu
quelles mettaient en jeu les capacits cognitives dcrites par Piaget mais de manire plus
prcoce que celui-ci ne le supposait. Roger Lecuyer signale que le point essentiel est ce que
lon pourrait appeler la description dune pense sans langage. [...] La perception est une
activit. 61 La diffrence nest pas que quantitative, elle met aussi en cause la nature des
58 Rappelons quen psychologie, la pense hypothtico-dductive est utilise chaque fois que lon raisonne en utilisant un nonc verbal de la forme sialors . La partie si (antcdent) correspond lhypothse et la partie alors (le consquent) la dduction (daprs Houd, 2004, p. 88). 59 Perraudeau, 1996, p. 65. 60 Houd, 2004, p. 17. 61 Lecuyer, 2000, p. 92-93.
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processus qui conduisent cette permanence de lobjet (trois mois et demi et non 12 18
mois chez Piaget). La diffrence avec les situations piagtiennes est dans le geste accomplir
ou pas, geste que demandait Piaget et que ne demandent pas les psychologues actuels, geste
qui se prsente comme un problme cognitif et non comme un moyen de rsoudre des
problmes cognitifs. Lerreur de Piaget, et de tous ceux de son poque, est davoir rduit
laction laction motrice. Et, Lhypothse de Piaget est quil (le bb) produit ces
variations, et donc que tant quil en est incapable il ne comprend rien. Piaget a tent
danalyser lacte comme source de la pense [...] le bb de quatre mois, incapable
dattraper un objet [...] nen pense pas moins. Nous sommes bien obligs de tenter danalyser
cette pense comme source de lacte. 62 Si certains travaux ont remis en question les rsultats
de Piaget sur les stades de dveloppement63, cela vient du fait que la mthode utilise est
totalement diffrente de celle de Piaget. Lintelligence du bb est teste travers son regard
et non plus comme chez Piaget travers ses actions, ou travers les discours tenus par
lenfant sur ses actions. Le principe de cette mthode, propose par R Baillargeon et nomme
mthode du regard prfrentiel, ou encore mthode de lvnement impossible (ou
inattendu), est dobserver le comportement du bb lors de situations impossibles, i. e. qui ne
respectent pas certaines proprits du rel. Si le bb est surpris par ces situations
inattendues, on considre quil conoit la proprit transgresse. La surprise chez le bb est
une toute premire forme du sentiment intellectuel. Elle tait dj considre comme la
chatouille de lme ds la fin du XIXime sicle, par Thodule Ribot64, titulaire de la
premire chaire de psychologie au collge de France. Cette mthode simple65 est beaucoup
plus sensible que ne ltait celle de Piaget pour valuer les comptences cognitives. Une
diminution significative du temps de fixation visuelle indique un moment donn, que la
situation nintresse plus le bb, car elle nest plus nouvelle pour lui. Il en a intgr
cognitivement les proprits. Leurs rsultats montrent que les bbs regardent plus longtemps
- car ils sont surpris - les vnements de type impossible que de type possible (Baillargeon
2000, p. 55-87). Le fait de ne pas tenir compte des motions semble galement avoir fauss
les choses ; sur ce point Jacques Mehler du CNRS a apport trs tt un souffle nouveau par
62 Lecuyer, 2000 p. 95-97. 63 Selon Piaget lenfant dge prscolaire na pas encore acquis le concept de nombre. /../Sur cette question du nombre la thorie piagtienne est lgante et ldifice cohrent et bien structur, mais il na pourtant pas rsist aux vrifications exprimentales ultrieures.[...] Dfendant lide que les principes (comptences) prcdent les habilets (performances) Gelman suggre que les difficults dge prscolaire relvent de composantes procdurales et dutilisation. Ce ne seraient donc pas des difficults dordre conceptuel et logique comme le pensait Piaget.[...] A ceux qui mettent en doute contre Gelman, Mehler ou Wynn la notion du nombre que pourrait avoir lenfant avant 7-8 ans (le stade sacro-saint de Piaget) il faut rpondre quune relle notion mathmatique du nombre chappe encore bien des adultes( Karen Wynn, Yale University) publie dans la revue Nature un fait marquant : la dcouverte de la naissance du nombre avant le langage ( avant 2 ans), en fait par des bbs de 4 5 mois ! (Houd, 2004, p. 55-67). 64 cit par Houd, 2004. 65 Technique denregistrement des temps de fixation visuelle relatifs (vidos et informatiques).
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rapport la thorie piagtienne. Ds 1967, son article dans Science implique une forte remise
en cause de la chronologie du dveloppement du nombre selon Piaget, qui tait alors au
somment de sa carrire. Les jeunes enfants russissent ds deux ans la fameuse tche
piagtienne66 si les jetons sont remplacs par des bonbons. Lmotion et la gourmandise
rendent le jeune enfant mathmaticien, lui font sauter la marche ou le stade dintuition
perceptive de Piaget. 67 La non-prise en compte des motions peut donc totalement fausser
linterprtation. Comme le fait remarquer Olivier Houd, on peut dailleurs se demander du
point de vue du diagnostic cognitif, quelle est la valeur effective des tches o lenfant se
trompe alors que le risque de se tromper nveille ni aucun enjeu, ni aucune motion !
Nous ne pouvons rendre compte ici des trs nombreuses capacits ainsi dcouvertes
rcemment chez les trs jeunes enfants, nous nous limiterons prsenter trs rapidement
lessentiel des rsultats de quatre types de travaux qui seront particulirement utiles pour notre
recherche. Il sagit des travaux dlisabeth Spelke, de Rene Baillargeon, des travaux sur les
thories de lesprit et de ceux sur la thorie de linhibition.
Nous considrerons en premier lieu les travaux Spelke, car ils interrogent les
connaissances physiques chez lenfant. Selon dlisabeth Spelke (Harvard University) les
bbs naissent avec la conscience dun certain nombre de principes physiques de base qui
guident leurs interprtations des vnements. Parmi ces principes le principe de continuit,
les objets existent de faon continue dans le temps et se dplacent de faon continue dans
lespace, et le principe de solidit qui spcifie que deux objets ne peuvent jamais occuper
un mme lieu en mme temps (Spelke, 1994). Elle montre galement que les reprsentations
sont soumises comptition : plus le nourrisson porte son attention sur un objet, moins
prcises seront les reprsentations dun autre objet. Or la prhension exige une reprsentation
prcise, (les performances dans une situation dobscurit sont ainsi significativement
meilleures). Elle travaille sur ce quelle nomme une scne incohrente : quand un fait les
tonne, les bbs regardent significativement plus longtemps. Elle montre Alors que le
nourrisson a, ds deux mois, la capacit de se reprsenter les objets dissimuls (tches
piagtiennes), et cette capacit ne subit pas de rorganisation qualitative quand lenfant
grandit. Elle rappelle qu neuf mois, le nourrisson ne trouve pas les objets cachs dans les
situations les plus simples (Piaget 1937), et quavant deux ans il ne fait pas dinfrences sur la
solidit pour rechercher un objet cach. Or le nourrisson de quatre mois a conscience de la
persistance de lexistence des objets qui disparaissent de sa vue, elle pose donc que la
performance des nourrissons dpend de la tche. Alors que pour Piaget, ces modifications
66 Les enfants sont invits dire o est-ce quil y a le plus de jetons entre deux ranges de jetons, leur rponse est qu il y plus de jetons l o cest plus long. 67 Houd, 2004, p. 62-63.
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comportementales refltaient lmergence de nouveaux systmes doprations logiques et
dun nouvel ensemble de concept. Elle pense que les concepts sont mis en jeu bien plus
prcocement que ne le pensait Piaget. Pour elle, le nourrisson et ladulte possdent les mmes
capacits et les mmes mcanismes de reprsentation, cest la prcision de reprsentation qui
voluera. La capacit de base se reprsenter les objets est constante mais la reprsentation
gagne progressivement en prcision mesure que lenfant grandit, ce qui se traduit par une
modification des performances.68 Autre dcouverte importante : les bbs ds 6 mois savent
que dans le cas des humains la causalit physique pour mettre en mouvement nest pas
ncessaire. Elle utilise la mme mthode : raction visuelle des vnements inattendus. Les
bbs sont surpris (ils regardent plus longtemps), quand lunit dun objet nest pas respecte,
ou quand il y a dplacement dun objet avant contact, ou discontinuit de la trajectoire dun
objet mais ils ne sont pas surpris quand un tre humain se met en mouvement sans contact
(ils savent que dans ce cas la causalit physique nest pas requise, ils ont la spcificit de
principes physiques pour le monde des objets inanims, i.e., ici et cet ge, le principe de
contact. Dans le monde social les intentions suffisent mouvoir les humains : cest la
causalit mentale dit-elle. Ds leur plus jeune ge, les bbs semblent donc considrer que
les tres humains sont anims par une vie mentale qui les diffrencient des objets inanims.
Ainsi que pour ses collgues, nous remarquons que les termes employs sont, ds trois mois,
conceptualisation (concept initial), prdiction, catgorisation et raisonnement. Pour Spelke ces
connaissances sont innes, ce sont des noyaux inns du cerveau humain dit-elle, elles sont
un cadre initial de comprhension du monde physique. Pour dautres, comme Baillargeon,
Houd et Lecuyer, cest la facult dapprentissage qui est inne, par la perception (notamment
visuelle) les bbs sont programms pour apprendre. Donc, contrairement lisabeth
Spelke, Rene Baillargeon, Univerity of Illinois, nest pas inniste, ses travaux nous
intressent donc dautant plus. Pour elle, le bb nat avec un mcanisme dapprentissage
spcialis qui lui permet la formation de catgories distinctes dvnements. Ayant pos cela,
elle tente ensuite de comprendre comment se dveloppent les connaissances des bbs en
physique, et elle montre que les bbs se construisent prcocement des connaissances
physiques par des mcanismes de catgorisation des situations perues, et par des
raisonnements sur les variables qui les caractrisent. Car catgoriser est une activit cognitive
68 Du Temps de Piaget, on pensait que le nourrisson passait dun univers gocentrique centr sur ses propres actions un monde objectif dans lequel il se voyait comme un objet parmi beaucoup dautres. Plus rcemment on a avanc que les modifications dveloppementales dans les actions sur les objets refltaient dautres modifications qualitatives, entre autres lapparition dune coordination dans le fonctionnement de voies visuelles multiples (Bernthal, 1996, Spelke, 1995), un passage du raisonnement qualitatif au raisonnement quantitatif (Baillargeon, 1998), lapparition dune capacit dvocation (Mandler, 1992), ou lapparition dune propension produire des explications (Baillargeaon 1998). Contrairement toutes ces possibilits nous suggrons que la nature et les limites des reprsentations des objets sont les mmes chez le nourrisson et ladulte et que seule se modifie progressivement la prcision des reprsentations. E. Spelke, 2002, p. 338-339.
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fondamentale, omniprsente, et cette capacit est galement prsente chez le bb plus
prcocement que ce que lon pensait jusqu peu. Les bbs se forgent un concept initial
centr sur une distinction primitive binaire. Ensuite, avec lexprience, ils identifient
progressivement une srie de variables qui affinent ce concept initial donnant lieu des
prdictions et des interprtations plus exactes (support, occultation et collision des objets). Il y
a catgorisation des situations physiques et raisonnement sur leurs variables. Pour elle, ce qui
dclenche chez le bb lidentification dune variable pour une catgorie de situations
physiques, cest lexposition des rsultats contrasts, qui sont inattendus sur la base de ses
connaissances un moment donn (le dmenti des prvisions). Elle utilise la mthode dj
dcrite appele mthode du regard prfrentiel. Cest Rene Baillargeon qui a dmontr en
1993, que ds 4-5 mois les bbs ont parfaitement compris que les objets continuent dexister
lorsquils disparaissent de leur vue.69 Sil existe chez les bbs une cognition physique
prcoce, son affinement nen exige pas moins, chez Baillargeon comme chez Piaget, un
apprentissage par la perception et laction.
De nombreux autres travaux compltent bien sr ceux de Baillargeon et Spelke,
souvent plus centrs sur les comptences mathmatiques. Retenons toutefois ceux de Rochel
Gelman (University of California), qui proposent une existence prcoce de cinq principes
numriques70 chez le jeune enfant de maternelle, principes mis en vidence ds lge de trois
ans, tout en distinguant trois composantes : la composante conceptuelle (savoir pourquoi), la
composante procdurale (savoir comment), et la composante dutilisation (savoir quand,
pertinence des deux premires, utilisations dans les contextes). Ce que nous retiendrons pour
notre travail, cest que Gelman dfend lide que les principes (comptences) prcdent les
habilets (performances), et suggre que les difficults dge prscolaire relvent plutt de
composantes procdurales et dutilisation. Ce ne seraient donc pas des difficults dordre
conceptuel et logique comme le pensait Piaget. De mme nous retiendrons la conclusion
gnrale des travaux de Jean Mandler (University of California), savoir que les conduites
errones des jeunes enfants ne peuvent plus tre aussi facilement retenues comme lindication
dun dfaut conceptuel (Jean Mandler, 1988). Nous retiendrons de ceux dAnnette Karmiloff-
69 Elle travaille ensuite sur des situations dquilibre. Par exemple le bb estimait ( valu par ses ractions visuelles) si une bote place dans plusieurs positions par rapport au support devait rester stable. A trois mois dj un concept initial de support centr (contact/pas contact) tout contact avec le support est jug suffisant pour assurer la stabilit de la bote. Dans les mois qui suivent, le bb identifie progressivement une srie de variables qui affinent ce concept initial. Autour de cinq mois il commence prendre en compte le type de contact entre la bote et le support (par exemple pour le contact latral, a ne marche pas), aprs six mois il prend en compte la quantit de contact et sil y a plus de la moiti de contact cela lui semblera stable et dautres affinements surviennent encore jusqu douze mois. 70 Ordre stable - stricte correspondance- principe cardinal- principe dabstraction ( les objets ne sont que des entits distinctes compter, peu importe sils sont diffrents)- non pertinence de lordre.
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Smith (University of London), lide gnrale dune redescription cognitive par laquelle
lenfant passerait de connaissances implicites (celles du bb) des connaissances explicites
avec lapparition du langage, vers deux ans. En dveloppant son intelligence linguistique,
lenfant gagne en capacit dabstraction et de manipulation symbolique.
Les travaux relatifs aux thories de lesprit ont galement retenu notre attention car
directement utilisables et dans nos propositions et dans nos interprtations. Andrew Meltzoff
(University of Washington) en est le prcurseur. Pour lui, limitation est la procdure pour
dcouvrir lhumain, pour ce faire le bb sait dj demble, implicitement, que les autres sont
comme moi.71 Ces travaux sont valids par des donnes dimagerie crbrale qui montrent
que lorsque nous observons une action ralise par une autre personne, les rgions frontales et
paritales, normalement utilises dans la gnration et lexcution dune action sont actives.
Ces rgions sont galement impliques lorsque nous nous reprsentons mentalement cette
mme action. Il sagit dun phnomne de rsonance motrice. Il semble que ce soit le
mcanisme fondamental de lintersubjectivit, dont limitation chez le nouveau-n serait la
toute premire manifestation comportementale. Comme le dit Houd, il ny a pas que le
monde des objets physiques (leur permanence, leur dnombrement, leur catgorisation, et leur
abstraction logique)il y a aussi la vie sociale (Houd, 2000 p. 20 & 109). Ce qui caractrise
le courant de recherche thories de lesprit est de dcouvrir quand et comment les enfants
font appel des entits mentales inobservables (croyances, dsirs, intentions, connaissances),
pour dcrire expliquer et prdire les conduites humaines observables. Les tches qui relvent
de ce courant sont des tches mtacognitives. Or, un des objectifs de Piaget tait de savoir si
lenfant distinguait le monde physique extrieur du monde mental interne ou subjectif. Sa
conclusion est quils sont ralistes, i.e. ils ne font pas de distinction entre les entits mentales
(penses, rves) et les choses physiques. L encore les nouvelles recherches montrent quil
existe des comptences prcoces dj chez le bb. Si les travaux de Piaget sont
aujourdhui critiqus, cest parce quil se fiait trop la capacit des enfants verbaliser leur
comprhension de lesprit en rponse des questions un peu bizarres. 72 Janet Astington
(University of Toronto), qui tudie ce sujet et publie Comment les enfants dcouvrent la
pense : la thorie de lesprit chez lenfant, dit : Nous nattendons pas des enfants quils
soient capables de dcrire leur thorie de lesprit (comme le leur demandait jadis Piaget),
cest nous de linfrer. 73 Nous retiendrons que John Flavell (Standfort University) a
montr que lenfant prend conscience quune autre personne peut voir les choses autrement
que lui trs. Ds 4 5 ans lenfant a la capacit de concevoir de multiples reprsentations dun
71 La thorie du like me de A. Meltzoff. 72 Houd, 2004, p. 111. 73 Astington, 1999, p. 18.
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mme objet. L encore, comptence plus prcoce que pour Piaget, qui disait quavant 7-8
ans lenfant ne prend en compte que son propre point de vue. Les rcentes recherches dAnne-
Marie Melot (Paris V-CNRS) prcisent que si les trois tches, fausses croyances, perspectives
visuelles et apparence-ralit, qui caractrisent les thories de lesprit sont ralises
positivement entre quatre et cinq ans, lordre de russite des tches varie selon les enfants, et
surtout montrent quun apprentissage dans une de ces tches provoque un transfert
dapprentissage sur une autre tche. Lenfant cognitif se double ds la naissance dun tre
fondamentalement social orient vers le monde des humains , nous dit Houd en conclusion
(Houd, 2000, p. 123), ce qui est lessence de la thorie wallonienne.
Enfin, nous nous sommes intresse la thorie de linhibition, thorie qui permet
de comprendre pourquoi les enfants interrogs par Piaget se trompaient. Grce une tude
comparative en neuropsychologie74 animale, Adle Diamond (University of Masschussetts)
pense quune inhibition entrave des connaissances dj prsentes, il y a mise en vidence dun
dfaut dinhibition motrice et cognitive, dun dj acquis : le bb doit inhiber un savoir.
Elle prouve ainsi que le dveloppement de lenfant ne doit plus seulement tre conu comme
lacquisition progressive de connaissances (Diamond, 1989). Il sagit en fait dtre capable
dinhiber ou non un comportement moteur inadquat. Mme chose pour Frank Dempster
(University of Nevada), qui considre que les tches piagtiennes de conservation et
dinclusion ont plus voir avec la capacit de rsister aux interfrences (confusion
perceptive nombre / longueur), quavec la capacit de lenfant comprendre la logique sous
jacente. Et rsister cest inhiber. En France cette thorie de linhibition est reprise par
Houd, tout porte croire que ce qui pose problme rellement lenfant dcole
maternelle de Piaget, ce nest pas davoir ou pas la notion de nombre, car les preuves sont
maintenant solides, cest dtre incapable dinhiber une stratgie perceptive inadquate,
stratgie qui dhabitude marche bien (tant pour ladulte que pour lenfant dailleurs). 75
Stratgie rapide, efficace et conomique qui marche trs bien et trs souvent mais pas
toujours ! En bref, la tche de conservation de Piaget ne teste sans doute pas ce quil croyait.
Il y a dfaut dinhibition et non pas dfaut conceptuel numrique, lerreur longueur =
nombre, est une raction de type conomique. En effet, le cerveau de lenfant dtecte trs
tt ce type de rgularit visuelle et spatiale. Or, quasiment partout, sauf dans la tche de
74 Comparaison de bbs de moins dun an et de singes adultes ayant subi une ablation du cortex prfrontal. Il sagit de lune des tches piagtiennes relatives la permanence de lobjet. La recherche systmatique dun objet disparu napparat que vers 8 mois. Mais lenfant ne cherche pas lobjet lendroit o celui-ci vient ouvertement dtre cach, alors quil le fait un an. Initialement, 8 mois, il cherche lobjet l o il la initialement trouv. Cette tche a bien sr t reproduite dans les laboratoires de psychologie du monde entier. Or les bbs singes, comme les bbs humains font initialement lerreur et ensuite ne le font plus. Les singes adultes normaux russissent cette tche Mais les singes adultes ayant subi une ablation du cortex prfrontal font la mme erreur que le bb de moins dun an ! 75 Houd, 2004, p. 72.
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Piaget, la longueur et le nombre varient ensemble ! Cette erreur dans la rponse cette tche
piagtienne vient simplement dune stratgie heuristique, frquemment valable et rapide, qui
doit tre inhibe dans la tche de Piaget. Ce que cette thorie de linhibition montre, est quil
ne sagit pas dun mode de pense enfantine correspondant un stade de
dveloppement (Houd, 2004, p. 73 - 76). Le problme avec les tches piagtiennes est que la
plupart dentre elles sont justement des tches pigeantes. Houd signale quvidemment
Piaget choisissait sciemment des tches pigeantes pour voir si la rationalit de lenfant y
rsisterait En fait, le problme est celui de linhibition de la stratgie habituelle.
Il en va de mme pour ce qui est du raisonnement logique. Le raisonnement logique
nest pas un apanage des adolescents et des adultes, il existe des formes prcoces chez les
enfants, et lon peut mme considrer que les toutes premires formes dinfrence dductive
sobservent ds les premiers mois de la vie propos de la permanence de lobjet ou du
nombre. partir dvnements perus, le bb de quatre cinq mois infre, il sattend un
rsultat (conclusion) qui est conforme ou non (vnement possible ou impossible), et lorsque
le bb est surpris par les vnements physiques ou arithmtiques impossibles, cest bien quil
considre dune certaine faon la structure de linfrence invalide (Houd, 2004, p. 107). La
difficult, pour lenfant comme pour ladolescent ou ladulte, tient ce que deux stratgies de
raisonnement entrent en comptition et se tlescopent. Face cette comptition cognitive, tout
semble indiquer que le sujet choue inhiber la stratgie perceptive, sans quil sagisse pour
autant dun problme de logique mentale en tant que tel. Les erreurs systmatiques de
raisonnement observes chez les adultes ne sont pas les indicateurs dune absence de logique.
Le raisonnement dductif ne se limite pas au raisonnement conditionnel, il comporte aussi les
syllogismes76. Or i