Le microcrédit pour l'auto emploi : une approche Nord – Sud
Christelle Genoud
Mémoire en vue de l'obtention du Master recherche en économie du développement
Centre d'économie du développementUniversité Montesqieu IV, Bordeaux
Juillet 2006
INTRODUCTION...............................................................................................1
PREMIERE PARTIE: Du marché du microcrédit pour l’auto emploi.......12
1.1 L’existence d’échecs de marché? ...........................................................12
1.2 L’offre et la demande...............................................................................17
1.2.1 L’offre.....................................................................................................................17
1.2.2 La demande............................................................................................................21
1.3 La rencontre de l’offre et de la demande...............................................23
1.3.1 Le contrat de groupe: origine, définition et gains.................................................23
1.3.2 Les limites inhérentes au contrat de groupe..........................................................26
1.3.3 Prêt de groupe versus prêt individuel et autres innovations.................................27
DEUXIEME PARTIE: Impact, limites et perspectives ................................30
2.1 Impact sur la demande...........................................................................30
2.1.1 Questions d’ordre méthodologique........................................................................30
2.1.3 Facteurs limitants et perspectives...........................................................................39
2.2 Limites et perspectives de l’offre...........................................................40
2.2.1 Une limite principale: la subvention......................................................................41
2.2.2 Des perspectives: commercialisation et justification des subventions..................44
CONCLUSION .................................................................................................49
ANNEXES..........................................................................................................51
BIBLIOGRAPHIE............................................................................................53
INTRODUCTION
Il y a quelques mois, en décembre 2005, se terminait l’année internationale du microcrédit. Le
microcrédit est-il par conséquent un outil de développement économique incontournable au
Nord et au Sud en ce début du 21ème siècle? Le microcrédit en soi n’est pas un instrument
nouveau. Une des causes de l’intérêt qu’il suscite en ce tournant de siècle semble liée à son
utilisation, comme instrument de lutte contre la pauvreté, couronnée d’un succès non
négligeable dans certains pays en développement. Ainsi, depuis les années 80, nombreux sont
les fonds qui partent du Nord vers le Sud financer des projets de microcrédit. Avant 1980, les
pauvres du Sud obtiennent des crédits par le biais des banques ou coopératives d’Etat, dont les
modèles sont «importés» du Nord dès les années 50. Les populations financent encore leurs
projets en se prêtant à tour de rôle de l’argent ou en comptant sur les «banquiers de rue».
Cependant, une partie d’entre eux non solvables restent exclus du prêt. De plus, les banquiers
de rue sont parfois de véritables usuriers. Pour ces raisons, des initiatives d’octroi de
microcrédit à des groupes de pauvres, sans obligation d’épargne préalable, à taux d’intérêt
raisonnable, comme celle bangladaise subventionnée par le Nord nommée «Grameen Banque»,
prolifèrent. Au Nord, les exclus de la finance sont également les pauvres non solvables.
Néanmoins, leur nombre est comparativement dérisoire, 5% au Nord pour 50% au Sud. Au
Nord, le microcrédit n’est donc pas un instrument économique incontournable. Au Sud,
puisque la demande de petit crédit et d’auto emploi est forte, le microcrédit est potentiellement
un instrument clé. Cependant, est-ce que sa promotion peut réellement contribuer à l’atteinte
des objectifs du millénaire dont le but est la lutte contre la pauvreté?, comme le mentionne le
directeur de l’année internationale du microcrédit1.
Pour définir le microcrédit, on peut citer la définition retenue lors du premier Sommet du
microcrédit de 1997: «Dispositifs permettant d’offrir de petits crédits et d’autres services financiers
comme l’épargne, aux personnes très pauvres pour les aider à mener des projets d’auto emploi
générateurs de revenus, leur permettant de prendre soin d’eux-mêmes et de leur famille.» Cependant,
cette définition lacto sensu du microcrédit, englobant l’épargne, est plutôt proche de la
définition de la microfinance de Souleyman Soulama (2005), soit: «La microfinance désigne les
prestations de service de petite taille dans le domaine du crédit, de l’épargne et de l’assurance.» La
distinction entre microfinance et microcrédit est importante pour ce travail, tout autant
1 In “Microfinance and the Millennium Development Goals: a reader’s guide to the Millennium Project Reportand other documents.” (octobre 2005)
1
d’ailleurs que la distinction entre microcrédit de consommation ou productif. Ce document
discute en effet uniquement du microcrédit octroyé pour la promotion de l’auto emploi et ne
considère donc nullement les effets de la promotion de l’épargne, de la micro-assurance, ou du
crédit à la consommation. Par conséquent, il ne peut que partiellement juger de la place du
microcrédit dans l’atteinte des objectifs du millénaire, et ce parce que le terme de microcrédit
utilisé lors des grandes rencontres internationales, est en fait bien l’équivalant de microfinance.
De plus, il n’a pas comme objectif unique de discuter de l’impact du microcrédit productif dans
la lutte contre la pauvreté des pays en développement. L’approche Nord-Sud proposée en est
une première preuve, la limitation à l’offre de microcrédit de groupe une deuxième, l’intérêt
pour le rapport du microcrédit à l’emploi et non seulement à la pauvreté une troisième.
Le choix de la comparaison Nord-Sud semble de priori peu pertinent au regard de la
disproportion préalablement donnée (5% pour 50%) entre les populations étudiées. Il l’est
cependant davantage pour l’étude des causes de l’exclusion des pauvres du Nord et du Sud et
des moyens de répondre à leur demande. Au Nord comme au Sud, les exclus sont en fait les
exclus de la finance formelle, c’est-à-dire, les exclus des banques. Les banques se concentrent
en effet sur les agents les plus rentables et fonctionnent selon des modalités inadaptées aux
agents non solvables en exigeant par exemple des garanties matérielles. Il y a donc en quelque
sorte un échec du marché puisqu’une demande ne trouve pas d’offre. Comment procèdent alors
les organismes non bancaires du Nord au Sud pour répondre aux exclus? Et comment ces
même organismes assurent leur pérennité en choisissant une «clientèle» à la base peu rentable?
Ce sont là des questions largement discutées dans ce document et dont les réponses influent
directement sur l’impact du microcrédit. De plus, si la demande est numériquement inégale du
Nord au Sud, elle est relativement homogène. Les plus pauvres parmi les pauvres restent par
exemple desservis des deux côtés de la frontière.
Ce travail, en proposant une approche Nord-Sud, dépasse donc la discussion sur les seules
sources d’inspiration concernant les formes d’octroi de microcrédit entre le Nord et le Sud. Un
débat sur l’origine du microcrédit est en effet ouvert. Certains attribuent la paternité de la
tontine2 au Sud, d’autres estiment que le modèle de la Grameen Banque est responsable de
l’actuel regain d’intérêt pour le microcrédit au Nord (Maria Novak, 2005). Dans tous les cas, il
s’avère que le fait de compter sur le lien social (le groupe) pour gagner en information, en coût2«La tontine peut être définie comme des fonds d’épargne rotatifs, mis en commun, dont chacun bénéficie selon un ordre préétabli, maisrévisable. Chacun peut prêter et emprunter et remplacer une créance par une dette, celle-ci n'est pas assortie d’intérêts. La cohésion socialeest la caractéristique fondamentale de ce système.» (Soulama 2005, p.29)
2
et diminuer le risque, n’est pas une invention de la Grameen Banque. Les coopératives
d’épargne et de crédit, rurales et urbaines, créées au 19ème siècle en Europe et aujourd’hui
mondialement développées, ont comme base le lien social ou mutuel. La tontine est au moins
aussi ancienne que la monnaie. Néanmoins, le lien social comme base de l’octroi du crédit se
décline sous deux aspects: une fois des agents forment un groupe et s’auto prêtent du crédit,
une autre fois la création du groupe est le préalable à l’octroi du prêt par un organisme
extérieur. Ces deux aspects coexistent aujourd’hui au Nord et au Sud. Au Nord, des
expériences de type «grameen» sont en effet tentées par des fondations ou associations
subventionnées à l’égard des exclus, et parallèlement des coopératives de crédit
«s’autogénèrent» encore. On peut citer l’exemple allemand de Goldrausch, organisme qui s’est
créé à Berlin en 1983 sur la base du lien d’appartenance au genre féminin (mouvement
féministe) et qui s’autofinance totalement pour octroyer des prêts «productifs» aux femmes
(Pierret 2000). Au Sud, parallèlement au modèle de la Grameen répliqué dans de nombreux
pays, tontines et coopératives de proximité couvrent également une partie de la demande de
microcrédit productif.
Les organismes non bancaires «non autogénérés» sont cependant davantage pris en exemple
dans ce travail, d’une part parce que leur développement est récent et spécialement étudié au
Nord comme au Sud et, d’autre part, pour leur mode de fonctionnement original. Ils se
distinguent des banques notamment sur les points suivants: garantie non matérielle donc
généralement caution solidaire (caution de groupe), sélection basée sur des critères non
financiers, remboursement garantit par une pression progressive et non par une action légale,
statut non bancaire permettant parfois de fixer des taux d’intérêts plus élevés que les banques,
elles-même soumises à la législation bancaire (Evers and Yung, 2000). De plus, s’ils prennent
une longueur d’avance sur les organismes «autogénérés» en bénéficiant de subventions de
départ, ils sont ensuite rapidement confrontés au défi de leur viabilité à long terme. Finalement,
la réplication des organismes du Sud par le Nord est difficile. La demande d’auto emploi étant
plus faible au Nord, elle est également éparpillée. La formation d’un groupe de caution est
donc plus difficile et l’atteinte d’économie d’échelle permettant la baisse des coûts également.
La pression au Nord sur les microentreprises est aussi jugée plus forte, du fait notamment
d’une compétition plus élevée avec les macroentreprises, et de taxes et licences plus strictes
(Schreiner et Morduch, 2001). Les difficultés du Nord précitées y annoncent-elles un impact
moindre sur l’emploi qu’au Sud?
3
Dans des pays comme la Pologne ou le «Kosovo», le changement de modèle économique ou la
reconstruction ont permis un développement rapide des organismes. Ailleurs, l’impact dépend
de la performance des organismes mais également du contexte légal et économique de chaque
pays. En général, l’impact en terme de nombre d’emplois créés est faible, car on constate que
pour un emploi créé grâce à l’octroi de microcrédit, un disparaît dans la même branche par
effet d’éviction (Guérin, 2002). Par contre, les emplois créées sont durables. De plus, à la
différence du Sud, une partie de la demande au Nord est automatiquement subventionnée
publiquement, puisqu’elle est composée par des chômeurs ou assistés sociaux déjà à la charge
de l’Etat. Au Sud, la question de l’effet d’éviction se pose aussi. Finalement, en terme de
pauvreté du Nord au Sud, le microcrédit semble réduire avant tout la vulnérabilité des ménages
participant et ce sans atteindre les plus pauvres des pauvres (Armendàriz de Aghion et
Morduch, 2001).
L’approche Nord-Sud n’est pas vouée à dégager des expériences du Nord des enseignements
pour le Sud, comme elle pourrait l’être dans un travail consacré par exemple à la gestion des
finances publiques. Cette approche est ici proposée comme cadre d’analyse. Néanmoins, des
enseignements entre le Nord et le Sud sont relevés à chaque fois que cela est pertinent.
L’approche Nord-Sud renferme encore un double intérêt: comprendre d’une part comment et
pourquoi le microcrédit est un outil incontournable au Sud et seulement marginal au Nord et,
d’autre part, relever les questions microéconomiques et institutionnelles qui transcendent la
frontière Nord-Sud. Microéconomiques car à la relation existante entre un débiteur et un
créditeur on lie les questions d’asymétrie d’information, de risque, de garanties, et de
détermination du taux d’intérêt. Institutionnelles car le problème de la viabilité des organismes
non bancaires de microcrédit est commun au Nord et au Sud.
Ce travail est divisé en deux parties. Dans une première partie intitulée «le marché du
microcrédit pour l’auto emploi», il est procédé à une identification de la demande et de l’offre
de microcrédit «productif» pour ensuite comprendre sous quelles conditions l’offre et la
demande se rencontrent. Que le débiteur soit chômeur au Nord ou commerçant de rue au Sud,
la question de son exclusion financière liée à sa non solvabilité ou à la faible rentabilité
escomptée du crédit, se pose. Dans ce contexte, l’offre pour rencontrer la demande doit par
exemple se baser sur des garanties non matérielles telles que la caution solidaire décrite
4
précédemment, établir des mécanismes dynamiques et incitatifs ou encore être subventionnée,
et ce afin de ne pas répercuter tous les coûts de l’opération de crédit sur le bénéficiaire en lui
imposant un taux d’intérêt très élevé. Une seconde partie est ensuite intitulée «Impact, limites
et perspectives». Pour évaluer l’impact du mircrocrédit «productif», cette partie présente
principalement les résultats obtenus en terme de lutte contre la pauvreté, de revenu, et de
l’emploi. L’impact du microcrédit est également évalué en comparant la situation de
bénéficiaires et de non bénéficiaires ou en comparant l’effet d’une politique basée sur le
microcrédit «productif» à une autre politique de promotion de l’emploi ou de lutte contre la
pauvreté (Ravallion, 1999). Concernant les limites qui freinent la viabilité du microcrédit,
puisque la principale limite identifiée, commune aux deux régions, est la subvention, les
perspectives ou plutôt alternatives en découlent directement.
La première partie intitulée «la demande et l’offre » est divisée en trois sections: échecs de
marché, offre et demande, et modalité de leur rencontre. Il est en effet primordial de définir
l’offre et la demande globale de microcrédit afin de se rendre compte que des deux côtés du
marché il existe une diversité d’acteurs et que leurs rencontres peuvent ainsi se réaliser selon
des modalités diverses.
La question de l’existence d’échecs sur le marché de microcrédit pour l’auto emploi est
controversée. L’échec premier discuté est celui lié au manque d’information à disposition de
l’offre bancaire. Le second découle des pratiques usurières et monopolistiques des prêteurs
locaux. Le troisième est le résultat d’une pratique interventionniste: le crédit subventionné
étatique. Le prêt de groupe des organismes non bancaires se profilant comme un mécanisme
palliateur aux échecs précités.
Pour définir la demande, le travail identifie pour le Nord et le Sud, la population concernée, sa
proportion parmi la population totale et sa position par rapport à la ligne de pauvreté. Ainsi, on
compare donc les exclus de la finance formelle du Nord, qui sont principalement les chômeurs,
les rmistes, les sans-emploi, les microentrepreneurs dont l’activité a juste démarrée ou est
informelle, les travailleurs pauvres qui cumulent un emploi salarié et un auto emploi, à ceux du
Sud qui sont principalement les agriculteurs qui cherchent à préfinancer leur récolte ou les
petits commerçants et artisans de l’informel ayant besoin d’investir dans un peu de matériel
pour être réellement productifs. La comparaison dépasse cependant les seules caractéristiques
5
des agents économiques et relève l’inégale proportion des demandeurs Nord-Sud, car même si
en Grande- Bretagne une étude estime à 20% la population qui a des difficultés à obtenir un
crédit, lorsqu’on se limite aux exclus du crédit productif, le chiffre tombe en moyenne à 5% au
Nord alors qu’il atteint en moyenne 50% au Sud, région du monde où l’auto- emploi est la
principale activité génératrice de revenu (Guérin, 2002). L’identification des demandeurs par
rapport à la ligne de pauvreté permet pour finir de noter que les agents concernés par les
politiques de microcrédit au Nord le sont souvent indépendamment de leur place par rapport à
la ligne de pauvreté mais davantage dans le but de rompre leur statut d’assistés sociaux ou
d’encourager leurs microentreprises, alors qu’au Sud les agents ciblés sont majoritairement
proches de la ligne et actifs, les plus pauvres des pauvres bénéficiant davantage de politiques
d’assistance ou d’encouragement à l’épargne.
La section consacrée à l’offre énumère les acteurs fournisseurs de microcrédits en développant
un certain nombre de typologies présentent dans la littérature (Soulama, 2005). Les organismes
de microcrédit peuvent en effet être publics, semi-publics ou privés. Ils distribuent ensuite de
l’argent dit «chaud» ou «froid», selon sa provenance. On peut aussi les classer selon qu’ils
adoptent des normes bancaires ou de développement. Pour exemples, une fondation est un
organisme semi-public car subventionné par l’Etat qui prête de l’argent froid car non
autogénéré et selon des normes de développement, donc en recherchant le développement
socio-économique de ses bénéficiaires. Par contre, une banque privée fonctionne selon les
normes bancaires et recherche la rentabilité financière. La liste des acteurs fournisseurs de
microcrédit au Nord et au Sud est longue et leur présentation brève est nécessaire pour ensuite
détailler les modalités de rencontre de l’offre et de la demande, elle sert également à dégager
les acteurs principalement concernés dans ce travail. Au Nord, le microcrédit a été au 19ème
l’outil des coopératives d’épargne et de crédit, celles-ci s’étant créées pour combattre l’usure et
l’exclusion des plus pauvres du système bancaire. Aujourd’hui, le microcrédit est davantage
présenté comme un outil de réinsertion des chômeurs, octroyé par des fondations ou
associations semi-publiques. Au Sud, des banques d’Etat ou coopératives de crédits et
d’épargne se sont développées dès les années 50 et 60, cependant, la littérature actuelle est
abondante sur le microcrédit productif non basé sur l’épargne préalable mais basé sur le
principe de caution solidaire ou de groupe. Ce travail cible donc davantage l’offre qui n’exige
pas une épargne préalable de la part de la demande et l’offre non bancaire. Les banques ne
seront cependant pas totalement exclues de l’analyse, car elles sont souvent partenaires des
6
organismes de microcrédit non bancaires et fonctionnent selon des normes qui intéressent les
organismes non bancaires, surtout lorsque la question de leur pérennité se pose.
La section «rencontre de l’offre et de la demande» explique pourquoi les demandeurs de
microcrédit sont exclus du système financier bancaire et comment les organismes non
bancaires s’adaptent à leur demande. Il s’avère en effet que la théorie des rendements
décroissants, selon laquelle un entrepreneur pauvre qui investit moins qu’un riche obtient un
meilleur rendement sur sa prochaine unité et est donc prêt à payer un taux d’intérêt plus élevé,
ne se vérifie pas empiriquement (Morduch, Armendariz de Aghion, 2005): les pauvres de priori
plus rentables sont justement délaissés par les créditeurs bancaires et ce pour plusieurs raisons.
Un créditeur préfère premièrement s’engager dans une transaction importante plutôt que de
prêter à de nombreux clients et ce afin de limiter les coûts de transaction. Les coûts de
transaction regroupent ici les frais de négociation et de suivi du contrat, incluant les frais de
recherche de l’information: obtenir une information précise sur son client et son projet c’est en
effet limiter le risque d’aléa moral3 , d’anti-sélection4. Deuxièmement, les plus petits débiteurs
sont généralement ceux qui ne peuvent pas fournir de garantie financière ou matérielle,
garantie nécessaire pour couvrir le risque. Pour finir, avoir une petite entreprise ou un petit
capital ne signifie pas posséder tous les atouts pour réussir sur le marché, par exemple le
capital social ou humain (Hulme and Mosley, 1996).
Les causes précitées de l’exclusion bancaire sont également celles de l’émergence
d’organismes non bancaires. Ceux-ci se créent justement lorsqu’il y a absence d’actif chez le
demandeur, déficience d’information ou encore absence ou déficience d’un marché des
assurances pour couvrir le risque. La nouvelle économie institutionnelle lorsqu’elle prend
comme champ d’étude la microfinance, explique d’ailleurs la non exclusivité du marché et
reconnaît des modes d’allocation des ressources alternatifs, quand l’allocation par le marché est
sous-optimale. Le travail développe donc les modes alternatifs ou adaptés au microcrédit
utilisés. Grâce au mécanisme de la caution solidaire, lorsque le projet d’un membre du groupe
n’atteint pas le résultat escompté, les autres se partagent le remboursement. L’approche
3 Aléas moral: lorsque dans la relation contractuelle entre deux agents économiques, l’un des deux dispose d’uneinformation sur lui-même qu’il dissimule à l’autre et ce dans l’intention d’influencer le résultat de la transaction(Morduch 2005, p.43). 4 Il y a anti-sélection lorsqu’une banque ne peut au moment de choisir ses clients distinguer les bons des mauvais.En effet, dans le cas ou le principal (la banque) est dans l’incapacité de distinguer les bons et les moins bonsagents (emprunteurs), s’il décide de prendre le risque de prêter, il chargera un taux moyen suffisamment élevépour couvrir le risque, taux qui dissuadera potentiellement les bons emprunteurs (Morduch 2005, p.37).
7
collective se révèle également intéressante pour limiter le risque d’aléa moral, car chaque
membre ressent la pression du groupe (Ghatak, 1999). Pour finir, le créditeur peut compter sur
le fait que le groupe qui se constitue soit composé d’agents qui se connaissent et qui ont donc
déjà récolté l’information les concernant.
Le prêt de groupe s’avère de plus davantage efficace lorsqu’il est couplé à d’autres modalités
d’intermédiation financière. Modalités que ce document défit plutôt qu’analyse. Leurs limites
ne sont par exemple pas traitées. L’incitation dynamique est la première modalité
complémentaire. On parle d’incitation dynamique lorsque le remboursement permet un
deuxième prêt. Cette modalité ne semble en effet pas avoir été mise à profit par les banques
d’Etat, dont seulement 11 % des clients ont emprunté plus qu’une fois. Le prêt au montant
progressif est la seconde modalité innovante parfois utilisée par les organismes non bancaires.
La troisième et dernière modalité est le remboursement progressif. Finalement, les organismes
non bancaires, puisqu’ils ne peuvent compter sur des fonds épargnés préalablement se
nourrissent de subventions de départ, dont il est parfois difficile de se délier, même à long
terme. Au Nord et au Sud, les organismes non bancaires reçoivent des subventions publiques et
privées, directes ou indirectes. Certaines banques développent par exemple des partenariats
avec les organismes non bancaires en mettant à leur disposition des capitaux à un prix différent
de celui du marché. Les avantages et inconvénients de la subvention sont développés dans la
seconde partie du travail.
La seconde partie du travail «Impact, limites et perspectives» est subdivisée en deux sections.
Elle permet premièrement de présenter l’impact brut de l’octroi de microcrédit pour la
promotion ou la consolidation des activités génératrices de revenu par les organismes non
bancaires, et ce également en le comparant à d’autres «politiques» de soutien à l’emploi ou de
lutte contre la pauvreté. Si l’impact se révèle certain, l’outil microcrédit octroyé par les
organismes non bancaires n’est cependant pas sans limites. Ainsi, les questions de
pérennisation ou de viabilité de tels organismes sont discutées. Au Nord comme au Sud,
l’allocation des ressources hors marché peut en effet parfois s’avérer coûteuse lorsque les
organismes dépendent complètement des subventions. Les perspectives développées sont
justement les mesures à prendre pour contrecarrer la limite principale: la subvention.
8
La section consacrée à l’impact ne discute pas des taux de remboursement ou encore des taux
de rentabilité des prêts atteints par les organismes et donc des performances de l’offre, mais
donne un aperçu des résultats atteints en terme de revenu, d’emploi, et plus largement en terme
de pauvreté ou de développement économique. C’est donc de l’impact sur la demande dont il
est question. Il apparaît que les études d’impact sont souvent réalisées selon des modalités
différentes. Une littérature importante et récente traite d’ailleurs uniquement des méthodes de
mesure de l’impact. Dans tous les cas, l’isolation des effets liés au crédit s’avère être chose
complexe, du fait de sa fongibilité et donc du détournement possible de son usage. Ces
difficultés conduisent parfois à l’élargissement de l’objet d’étude. Ainsi, l’impact est mesuré en
comparant bénéficiaires et non bénéficiaires ou en comparant le microcrédit à d’autres outils de
création de revenu, d’emploi ou de lutte contre la pauvreté. Le biais de sélection est aussi à
prendre en compte lors de tout étude d’impact, car il s’avère que les bénéficiaires les plus
performants sont souvent retenus. Pour finir, au Nord comme au Sud, certains auteurs se
demandent si la demande ciblée n’est pas trop fragile. Ils avancent que l’apprentissage à la
création d’épargne ou l’offre de formation serait plus judicieux.
La section «limites» discute de la subvention. Les partisans du microcrédit mettent en avant les
avantages du microcrédit face aux politiques de santé ou d’éducation argumentant qu’il est
préférable de donner de quoi pêcher plutôt que d’offrir le poisson. D’un point de vue
microéconomique, cet argument peut s’avérer intéressant. D’un point de vue
macroéconomique, rien n’est moins sûr, car les organismes de microcrédit non bancaires ont
des difficultés à se détacher des subventions et donc de la dépendance ou encore de la charité.
De plus, en décidant de se libérer des subventions, ils doivent parfois renoncer à une partie de
leurs bénéficiaires pour se concentrer sur les plus rentables d’entre eux et perdre ainsi leur
raison d’être. Il s’avère également que profit ne rime pas avec rentabilité financière. L’exemple
de la Gramen Banque est à cet égard probant. Celle-ci affiche en effet un profit de plus de 1
milliard entre 1986 et 1995 et semble donc rentable, cependant, elle affiche aussi un total de
16,4 milliards de subventions directes auquel il faut ajouter les subventions indirectes, par
exemple les prêts à taux préférentiel octroyés par les banques (Morduch, 2005). Certains ont
calculé que, sans les subsides, le taux d’intérêt chargé aux emprunteurs serait de 75% (Yaron,
1996) .
9
Plusieurs solutions semblent permettre cependant de dépasser la limite exposée. Pour assurer la
viabilité des organismes subventionnés, la plus directe est de justifier les subventions. Certains
auteurs ont dans ce sens comparé la rentabilité des projets de microcrédits subventionnés aux
projets «food for work» du PAM subventionnés, afin de juger de leur rentabilité respective
(Khandker 1998). De plus, si les expériences de microcrédit étatique développées à large
échelle dans les années 60 et 70 au Sud ont souvent été jugées inefficaces, l’impact des
organismes non bancaires est jugé plus encourageant, ainsi, la littérature au Nord et au Sud se
rejoint pour justifier l’accord de subsides aux organismes non bancaires, mais avant tout de
subsides initiaux. Le terme de «smart subsidies» est encore évoqué. Il apparaît par exemple que
les organismes doivent se subventionner eux-mêmes plutôt que leurs bénéficiaires pour
lesquels le taux d’intérêt ne doit pas changer avant et après les subsides. Au Nord, il est
finalement reconnu que les organismes non bancaires de type «réinsertion sociale», destinés
avant tout aux chômeurs, ne peuvent être viables sans subventions. Ces organismes fournissent
en effet des services non financiers de conseil et d’encadrement qui ne peuvent être
«récupérables». Ces organismes sont parfois même considérés comme de réels instruments de
redistribution des richesses (Morduch, Schreiner 2001).
Lorsque les subsides ne sont pas justifiés, d’autres mesures sont efficaces. L’exemple de la
Grameen prouvent qu’une fois les subsides de départ octroyés, les pas vers l’autonomie
financière sont franchissables. La Grameen compte en effet chaque année davantage sur ses
propres capitaux, soit issus du produit de l’épargne de ses membres, soit provenant des
rendements d’économie d’échelle puisqu’elle ne cesse de s’agrandir. Entre 1985 et 1996, le
montant des subsides octroyés à la Grameen est par conséquent passé de 20 % à 9 %. Les deux
mécanismes développés par la Grameen, croissance et diversification de l’offre (ouverture à
l’épargne) sont par contre plus difficilement efficaces au Nord puisque la demande y est faible
et fragmentée. De plus, une législation bancaire plus stricte interdit le plus souvent aux
organismes non bancaires de collecter l’épargne. Le seule exemple reconnu au Nord est celui
de l’organisme Funduz Micro en Pologne qui a pu bénéficier d’économie d’échelle lorsque la
Pologne a passé de l’économie planifiée à l’économie de marché.
Au Nord, une des perspectives est encore l’évolution de la législation bancaire permettant aux
banques elles-mêmes d’atteindre les exclus. Aux Etats-Unis, une loi imposant aux banques la
remise de rapport concernant la composition de leur clientèle a par exemple permis une
10
augmentation des crédits octroyés aux faibles revenus et aux minorités (Evers, 2000). Le
déplafonnement des taux d’intérêts, réalisé notamment en Irlande et permettant aux banques de
fixer des taux d’intérêts plus élevés, a également favorisé l’accès au crédit des plus pauvres.
Certaines banques ont encore, en s’appuyant sur d’autres secteurs plus rentables, ouvert des
secteurs «microfinance» et couvert ainsi leur frais petit à petit. Certains organismes non
bancaires ont également profité de ce mécanisme de graduation, permettant de partager les
coûts entre bénéficiaires plus ou moins rentables. Les organismes non bancaires eux-même se
transforment parfois aussi en organismes bancaires, tel Prodem qui est aujourd’hui nommé
Bancosol en Bolivie. Bancaire ou non bancaire, la frontière est donc parfois presque
perméable, cependant, l’objectif reste la fourniture de microcrédit d’auto emploi aux exclus.
Cet objectif est-il en ce tournant de siècle plus globalement atteint qu’auparavant ?
11
PREMIERE PARTIE: Du marché du microcrédit pour l’auto emploi
Cette partie présente premièrement les distorsions existantes sur le marché du microcrédit,
définit ensuite l’offre et la demande de microcrédit pour l’auto emploi et finit par développer
les innovations récentes en terme d’intermédiation financière, dont la principale est le prêt de
groupe ou la caution solidaire.
1.1 L’existence d’échecs de marché? Du tableau ci-dessous5 représentant les rendements marginaux décroissants du capital, sous
l’hypothèse d’une fonction de production concave donc similaire pour les détenteurs
d’importants capitaux (riches) et de faibles capitaux (les pauvres) de départ, il peut être déduit
que les pauvres obtiennent des retours sur investissements plus élevés. Cette démonstration
graphique laisse entendre que les auto employés «pauvres» doivent pouvoir payer des taux
d’intérêt plus élevés que les riches et que les capitaux doivent donc affluer vers les pauvres.
Si l’on retient cette démonstration théorique, la question est: pourquoi empiriquement les
capitaux n’affluent- ils pas vers les pauvres? Une première hypothèse soulevée par Morduch et
Armendariz de Agahion (2005) est le risque d’investissement reconnu plus élevé, par exemple,
5( Morduch et Armendariz de Aghion 2005, p.5)
12
en Bolivie qu’aux USA. Une autre raison soulevée est la restriction imposée sur la fixation du
taux d’intérêt qui empêcherait les banques de fixer un taux suffisamment élevé pour couvrir le
risque de prêter aux pauvres du Nord ou du Sud. Dans ce dernier cas, l’échec de marché serait
donc uniquement lié à une contrainte juridique. La raison plus globalement acceptée est la
déficience d’information des banques concernant les pauvres et leur projet d’investissement,
doublée du manque de garantie offert par les pauvres (Hulme et Mosley, 1996). Pour expliquer
les questions d’asymétrie d’information sur le marché du microcrédit, la théorie économique
fait référence aux théories de l’agence (Soulama 2005).
De la relation entre le prêteur (le principal) et l’emprunteur (l’agent) découle en effet trois
défaillances d’information (Bassole, 2004). L’incapacité pour le prêteur de mesurer les
caractéristiques personnelles du client et de son projet, de mesurer les efforts entrepris par
l’emprunteur dans la réalisation de son projet, ainsi que de connaître son profit après
investissement. Obtenir cette information engendre un coût, auquel peut s’ajouter, dans le cas
du microcrédit, l’impossibilité pour l’agent de fournir des garanties et l’absence d’un marché
efficace d’assurance contre le risque. A la question de l’information sont liées les problèmes
d’aléa moral et d’anti-sélection. Il y a anti-sélection lorsqu’une banque ne peut, au moment de
choisir ses clients, distinguer les bons des mauvais. En effet, dans le cas ou le principal (la
banque) est dans l’incapacité de distinguer les bons et les moins bons agents (emprunteurs)
mais décide de prendre le risque de prêter, il charge un taux moyen suffisamment élevé pour
couvrir le risque; taux qui dissuadera potentiellement les bons emprunteurs. Il y a aléa moral ex
ante lorsqu’une banque n’est pas en mesure de savoir si le client fournit tous les efforts pour
que son investissement soit rentable, et aléa moral ex post lorsque la banque ne peut mesurer
les bénéfices dégagés par l’investissement. Dans le cas de l’aléa ex-ante, si l’inexistence de
garantie est supposée, le résultat est donc le risque que le principal, dans le doute, ne prête pas
ou fixe un taux d’intérêt trop élevé dissuadant l’agent à s’investir suffisamment. Dans le cas de
l’aléas moral ex-post, le risque est que la banque fixe un taux plus élevé que la valeur de la
garantie éventuelle, provocant ainsi le non-remboursement.
Dans de tels contextes, une banque puisqu’elle n’a généralement pas les moyens d’obtenir à
bon prix l’information, préfère s’engager dans une transaction plus importante impliquant un
seul gros emprunteur plutôt qu’assumer les coûts de transaction élevés engendrés par de
multiples petits emprunteurs, et ce surtout dans le cas où aucune garantie n’existe. Il est
également globalement admis que ces questions liées à l’information sont renforcées lorsque le
13
marché des assurances ou la législation permettant l’application de sanctions sont faibles ou
inexistants (Soulama 2005, Hulme et Mosley 1996, Morduch et Aghion 2005).
Si l’on revient à la théorie des rendements décroissants du capital, un doute subsiste: les
pauvres peuvent-ils réellement payer des taux d’intérêts plus élevés que les riches? Sur le
graphique précédent, on supposait en effet implicitement que les entrepreneurs pauvres et
riches avaient les mêmes attributs de départ, c’est-à-dire, par exemple, le même niveau
d’éducation ou la même insertion commerciale. Si cette hypothèse n’est plus, alors on peut
supposer que les pauvres possèdent des attributs non monétaires moindres et ne peuvent donc
espérer obtenir les mêmes rendements. La fonction de production dans ce cas n’est plus la
même pour les pauvres et les riches.
A la question posée dans le titre de cette section, existe-t-il une distorsion sur le marché du
microcrédit ?, la réponse à ce stade de l’analyse est la suivante: les banques, même dans le cas
où l’hypothèse des rendements décroissants du capital se vérifie, puisque confrontées aux
problèmes d’asymétrie d’information, d’absence de garantie ou de marché des assurances,
n’octroient que peu de microcrédit. S’en tenir à cette réponse, serait cependant limiter l’offre
de crédit à l’offre formelle des banques. En réalité, sur le marché du microcrédit, il existe
14
également une offre informelle. Cette offre informelle est représentée principalement par les
prêteurs locaux. Les prêteurs locaux ont en effet l’avantage de posséder l’information non
détenue par les banques puisqu’ils sont plus directement en contact avec les emprunteurs. On
les accuse cependant de pratiques usurières et monopolistiques (raréfaction de l’offre et taux
d’intérêts élevés). Dans le cas où cette accusation est empiriquement vérifiée, on peut conclure
à un autre type d’échec ou de distorsion sur le marché du microcrédit, l’absence cette fois non
d’offre mais de concurrence.
L’existence de pratiques usurières est en effet confirmée par la littérature au Nord et au Sud.
Les caisses canadiennes Desjardins ont par exemple récemment justifier la création d’un
produit financier de solidarité pour les plus démunis, afin de leur éviter d’emprunter auprès des
prêteurs sur gage, fixant le taux d’intérêt largement au dessus de la limite des 60% imposée par
le code canadien, et dont le nombre croît depuis une dizaine d’années (Lechasseur, 2004). La
question de l’usure est cependant controversée et fait d’ailleurs débat depuis fort longtemps.
Alors qu’Aristote et Platon fulminent contre les pratiques usurières, les points de vue sont
aujourd’hui contrastés (Morduch 2005). L’école de l’Ohio6 rejette par exemple l’idée de la
présence de monopole sur le marché du microcrédit informel, marché qu’elle qualifie de
compétitif et efficace. Un certain nombre d’enquêtes concluent également que les taux élevés
reflètent parfaitement le coût élevé des opérations (Aleem 1990).
Un troisième échec identifié et dont la validité est également controversée, est celui lié à une
troisième offre, l’offre publique. Cette offre est dans la littérature identifiée comme celle des
banques étatiques rurales créées après la deuxième guerre mondiale dans la plupart des pays en
développement. Cette offre, puisque subventionnée, propose des prêts à taux d’intérêt
raisonnables, et ce à défaut de l’offre privée des banques ou des prêteurs locaux. Cependant,
nombreux sont ceux qui dénoncent l’inefficacité de l’offre publique et ce pour plusieurs
raisons. Premièrement, les programmes subventionnés sont accusés de chasser les prêteurs
locaux. Deuxièmement, le prêt subventionné risque davantage d’être octroyé sur la base de
considérations politiques et sociales plus que sur la base de critères économiques. Les tenants
de ce double argumentaire, notamment les auteurs de l’Ecole de l’Ohio, expliquent que le taux
d’intérêt est un mécanisme rationnel et régulateur, qui, lorsqu’il se fixe naturellement, permet
uniquement à ceux dont le projet est valable de recevoir un prêt. Hulme et Mosley (1996)
6 L’école de l’Ohio compte en son sein un certain nombre d’économistes dont les plus connus sont: Dale Adams,Claudio Gonzalez Vega, J. Von Pischke
15
s’accordent eux pour mettre en garde ceux qui pensent que la demande de crédit est satisfaite
par l’offre informelle et privée, car souvent le prêt n’a pas lieu lorsque le risque est trop élevé.
Ils pensent que l’existence d’une offre subventionnée là où justement les autres types d’offre
font défaut est nécessaire.
Dans le cas ou ces échecs de marché se produisent, un mécanisme est cité comme mécanisme
palliateur: le prêt de groupe (Soulama 2005, Hulme et Mosley 1996). Les avantages et les
inconvénients de ce mécanisme seront cependant développés dans la section rencontre de
l’offre et de la demande. Ce document fait l’hypothèse en effet que ce mécanisme novateur
colmate les précédents échecs rencontrés sur le marché du microcrédit. Ce mécanisme est
principalement celui utilisé par les organismes non bancaires dont les ressources financières ne
sont pas auto générées. Il est connu depuis l’expérience de la Grameen Banque au Bangladesh,
dont les reproductions ou adaptations existent dans plus de trente pays à ce jour et dans une
majorité des états des USA. Une autre option novatrice aurait pu également être discutée et qui
part de l’hypothèse suivante7: si les banques manquent d’information, les prêteurs locaux
manquent eux de ressources financières, ainsi, ces derniers ne devraient-ils pas être employés
par les banques? Celles-ci, plus progressivement, ne pourraient-elles pas devenir fournisseurs
de fonds pour les prêteurs? S’il existe un petit nombre d’exemples empiriques récents et même
une récente étude qui compare cette solution à celle du group lending de la Grameen, ce travail
par besoin de circonscription n’en discutera pas. La relation banques/prêteurs locaux ne s’avère
en effet pas moins complexe que celle existante entre les organismes de microcrédit et les
groupes d’emprunteurs.Le mécanisme du group lending, aussi novateur soit-il, nous le
verrrons, ne permet cependant pas à tous les organismes l’utilisant de se passer de subventions
et ce même à long terme.
En guise de conclusion à cette section, trois constats dégagés d’une étude menée par Hoff et
Stiglitz (1998) sont ci-après résumés. Premièrement, l’arrivée de nouveaux prêteurs sur le
marché segmente le marché, et, puisque chaque prêteur obtient un nombre d’emprunteurs
moindre, provoque une augmentation du coût marginal et du taux d’intérêt. Deuxièmement,
l’emprunteur n’est plus soumis à la même pression, car en cas de défaut de remboursement, il
peut se tourner vers un autre prêteur, l’offre s’étant élargit. Troisièmement, dans le cas où les
anciens prêteurs ont acquis avant l’arrivée de nouveaux, une bonne connaissance des qualités
des emprunteurs, l’élargissement de l’offre risque de réduire le lien de proximité entre prêteurs7Hypothèse de Meyer (2002) in Morduch et Armendariz de Aghion (2005), p.43.
16
et emprunteurs et d’augmenter le taux d’intérêt. L’offre supplémentaire semble donc ici réduire
l’efficience sur le marché informel plutôt que de profiter aux emprunteurs pauvres. Il existe
donc apparemment de bonnes et mauvaises raisons d’intervenir sur le marché financier. Toute
offre interventionniste devrait donc s’assurer de l’existence réelle d’un échec, également celle
proposée par les organismes non bancaires.
1.2 L’offre et la demande
1.2.1 L’offre
Cette section passe en revue les tentatives de classification de l’offre de microcrédit et
répertorie les organismes non bancaires de microcrédit pour l’auto emploi utilisant le
mécanisme du group lending existants à travers le monde, sans pour autant en dresser un
tableau exhaustif. Ce type d’organismes forme en effet une catégorie parmi l’offre en générale,
cependant cette catégorie n’est elle même pas homogène puisque nombre de critères permettent
encore de distinguer les organismes entre eux. En énumérant les critères de classification de
l’offre de microcrédit proposés dans la littérature (Soulama 2005, Else 2000, Reifner 2002,
Chanel-Reynaud 1997, Evers and Jung 2000), cette section rend compte de cette non
homogénéité. Les critères suivants sont tout d’abord communs aux divers auteurs et également
communs au Nord et au Sud: taille de l’organisme, demande rurale/urbaine, provenance des
fonds (épargne ou appel à des fonds extérieurs, dit aussi argent chaud ou froid), organismes
d’épargne et/ou de crédit, prêt de groupe ou individuel (donc relation bilatérale ou
multilatérale), organismes ou fonds publics /privés, organismes bancaires ou non bancaires,
puis finalement, population ciblée (genre, ethnie, sans emploi, niveau de revenu, groupe d’âge,
bénéficiaires de l’aide sociale, immigrants, position par rapport à la ligne de pauvreté).
Le critère de la taille de l’organisme est intéressant puisque dans le cas des organismes étudiés
dans ce travail, il s’avère que la croissance de la taille est encouragée dans un but de recherche
de l’indépendance financière. Le critère rural/ urbain l’est également et ce pour deux raisons.
Premièrement, l’auto emploi ne se limite pas à l’entreprise mais concerne aussi les métiers
agricoles. Deuxièmement, la formation des groupes en ville et en zone rurale diffère. Le critère
argent froid et chaud est utile car au fil de leur existence, «nos» organismes qui démarrent
grâce à de l’argent froid, récoltent souvent petit à petit l’épargne de leurs membres afin de se
libérer de la dépendance envers l’extérieur. Le critère de la relation bilatérale ou multilatérale
entre prêteur et emprunteur nous intéresse encore en ce sens que les organismes utilisent
17
parfois les deux relations. Ils démarrent en privilégiant uniquement le group lending et offrent
ensuite souvent la possibilité du prêt individuel, notamment à leurs membres les moins fragiles.
Le critère public ou privé permet de préciser la provenance des fonds financiers de départ
utilisés par les organismes. Il s’avère que ces fonds sont publics et/ou privés: fonds de
donateurs privés tels qu’une fondation, fonds publics tels ceux octroyés par les agences de
développement bilatérales de type AFD (Agence française de développement) ou encore fonds
mis à disposition par les banques privées et ce à des taux préférentiels.
La distinction privé/public concerne aussi les organismes eux-mêmes. Au Nord, il existe en
effet des organismes de microcrédit entièrement publics, notamment ceux qui réinsèrent les
chômeurs. Le critère bancaire ou non permet par exemple de classer les organismes dans la
catégorie non bancaire lorsqu’ils ne sont pas soumis à la loi bancaire, et ce soit parce qu’ils
n’offrent pas les mêmes services qu’une banque, soit parce que leurs capitaux de base sont
insuffisants, soit parce qu’ils ne prêtent pas selon les prix du marché étant donné leur volonté
affichée de ne pas rechercher le profit mais le développement socio-économique de leurs
membres. Cependant, les organismes de type Grameen, non bancaires au départ, adoptent petit
à petit une logique bancaire et ce aussi pour atteindre l’autonomie financière. Le critère de la
population ciblée permet des commentaires Nord-Sud. Les chômeurs ou les immigrants sont
bénéficiaires uniquement au Nord. La sélection stratifiée selon la ligne de pauvreté est
davantage spécifique au Sud, alors qu’au Nord, on cible en dessous ou en dessus de la ligne
sans encore stratifier sous la ligne. La question du genre est par contre un critère de sélection
commun au Nord et au Sud.
Parallèlement à ces critères, des catégorisations plus élaborées existent pour le Nord et pour le
Sud. Une étude de 16 programmes aux Philippines (Ghate 1996) a permis à son auteur de
dégager la distinction entre les organismes «livelihood», que l’on peut traduire «organismes de
soutien aux activités de subsistance» et les programmes pour les microentreprises. Les
premiers sont destinés à lutter contre la pauvreté en soutenant la productivité des activités et ce
uniquement par l’octroi de crédit. L’objectif des seconds est le développement de l’entreprise
par le biais de crédit mais également de formation et d’assistance technique. Cette distinction
s’explique par le fait que les activités de subsistance font appel à des compétences simples, les
microentreprises.
18
Concernant l’Europe, la classification de Reifner (2002) est la suivante. Reifner propose
premièrement une définition du microcrédit pour l’auto emploi: «forme d’action de politique
sociale utilisée par des acteurs publics ou des acteurs privés philanthropes, pour répondre aux
besoins d’individus qui cherchent à gagner leur vie en exerçant une petite activité
indépendante, forme d’action qui n’est pas une activité bancaire à proprement parler, même si
elle fait appel à des techniques bancaires». Reifner distingue deuxièmement l’action qui se
développe là où le secteur bancaire n’est pas développé, de celle qui existe là où malgré
l’existence d’un secteur bancaire, ils subsistent des exclus «no bancable». De cette distinction
découle deux types de microcrédit. L’un de développement économique et l’autre qualifié de
microcrédit social. Aux USA, Else et Gallagher (2000) ont mené une enquête auprès de 500
organismes de microcrédit. Ils proposent sur cette base une typologie selon que la mission de
l’organisme soit le développement économique communautaire par la création d’emploi ( 47%
des organismes) ou la lutte contre la pauvreté par l’augmentation du revenu des ménages (30%
des organismes).
Avant de présenter l’offre par continent, il faut encore mentionner l’existence de tableaux de
classification de l’offre, annexés en fin de travail8. Gentil et Fournier (1993) proposent de
classer l’offre selon son degré d’autonomie et son degré de pratique du calcul marchand.
Hugon (1996) le fait selon l’origine de l’argent et la fonction épargne/crédit. Soulama (2005)
selon que l’organisme adopte des normes bancaires ou de développement et selon que le mode
d’intermédiation financière soit individuel ou collectif. Soulama (2005) propose encore une
classification qui sépare la demande par rapport à la ligne de pauvreté et à laquelle nous nous
référerons dans la prochaine section «demande».
Au Sud, les premiers organismes utilisant le group lending se sont créés dans les années 70 en
Asie et en Amérique Latine. Etant donné le succès rencontré notamment par deux d’entre eux,
la Grameen Banque du Bangladesh et l’organisme Bancosol en Bolivie (anciennement
Prodem), de nombreuses réplications ou adaptations se sont produites et ce dans une trentaine
de pays du Nord au Sud. Si le group lending leur est commun, ils se différencient à travers le
globe selon leur taille, leur statut institutionnel, leur objectif et leur mode d’intermédiation
financière. Pour exemple, alors que la Grameen Banque est implantée dans la moitié des
villages du Bangladesh, les cercles d’emprunts québécois touchent à peine mille personnes. Les
organismes sont ensuite des organisations non gouvernementales, des fondations, des
8Annexe 1,2,3,4
19
associations, des institutions de microfinance qui se transforment parfois en banque, comme
l’ont fait la Grameen et la Bancosol. Leur objectif partagé est toujours le soutien à l’auto
emploi, cependant, certains organismes se limitent aux zones rurales ou encore aux chômeurs,
d’autres ne traitent qu’avec des microentrepreneurs. Finalement, si le group lending est leur
dénominateur commun, chaque organisme a ses spécificités liées au nombre d’individus par
groupe, aux modalités de formation du groupe, à la fréquence des réunions du groupe,
spécificités davantage développées dans la section «group-lending».
Avant de présenter la demande correspondante à l’offre de ces organismes, il reste à évaluer la
part de cette offre parmi l’offre de microcrédit en général. Il est possible pour cela de passer
l’offre en revue continent par continent. Aux Etats-Unis (Else and Gallagher 2000), on
comptabilise environ 500 programmes dont le nombre de clients est en moyenne de 200 et dont
100 ont atteint une certaine ampleur. Conlin (1999) relève qu’en 1995, sur 248 programmes, 51
utilisent le group lending. Il ajoute que l’offre de type Grameen démarre aux USA dans les
années 80, notamment par le biais des organisations de développement économique pour les
femmes. Les tentatives de réplication se développent parce que le gouvernement états-uniens
lui-même est impliqué dans la promotion de ces modèles au sud dans les années 70. Les
organismes les plus connus sont WSEP (Women’s self employment project), Working Capital,
Accion International. Jusqu’au tournant du siècle, leur développement est important mais leur
croissance semble se ralentir devant la complexification de la création des microentreprises et
suite aux difficultés financières des organismes.
En Amérique latine, le premier programme basé sur le principe du group lending,
«Feddecredito», est créé au Salvador dans les années 70, puis, en 1981, Accion International
ouvre un programme en République Dominicaine. Accion International est l’organisme qui
créé ou soutient le plus de programmes en Amérique latine et centrale, programmes qui ont
pour la plupart gardé une petite taille mais dont l’un, Prodem, ensuite transformé en Bancosol,
est mondialement reconnu, puisqu’il a atteint un niveau d’indépendance financière élevé en
adoptant une logique de croissance et de profit. En Europe «occidentale», tous les pays n’ont
pas le même intérêt pour le microcrédit et peu d’organismes ont tenté une réplication de type
grameen (Reifner 2002). On peut citer l’organisme «Norwich full circle project» en Irlande qui
prête à des groupes de 6 femmes sans emploi (Pal, 1997), les organismes créés notamment
pour aider à la reconstruction des Balkans, et l’organisme polonais «Fundusz micro» réputé
20
également pour son niveau élevé de viabilité financière. En Afrique, il existent des réplications
nommées « Programme crédit et éducation» au Kenya, en Guinée, au Nigéria, au Burkina
Faso, au Malawi (Pal, 1997). Au Canada, des organismes appelés «Cercles d’emprunts»
utilisent le group lending et le «Calmeadow Metrofund» a été créé en 1994 à Toronto.
En Asie, l’offre est très développée. La Grameen au Bangladesh a plus de 2 millions de clients,
la Banque Rayat en Indonésie également. Ainsi, si sur les 3164 institutions de microfinance
recensées au 31 décembre 2004 par le Sommet International du Microcrédit, un nombre
incertain utilise le group lending, l’addition des millions de clients de la Grameen et de
Bancosol, à ceux du Nord, permet néanmoins de conclure que l’offre utilisant le group lending
est un objet d’étude significatif.
1.2.2 La demande
Cette section définit la population formant la demande en précisant son statut et son secteur
d’activité sur le marché du travail, sa taille, sa proportion parmi la population totale et son
niveau de vie en terme de revenu ou de pauvreté.
La présentation de l’offre a permis de séparer pour l’auto emploi au Sud, les activités de
subsistance de celles des microentreprises9. Les premières sont exposées aux fluctuations
saisonnières et donc de revenu (ex: les vendeurs de rue lorsque l’école prend fin ), ce qui
amène parfois le cumul de plusieurs activités. Au Nord, la demande est composée de
chômeurs, de microentrepreneurs, d’inactifs, de minorités, de travailleurs pauvres pour qui le
cumul de revenus du salariat et de l’entreprise est le seul moyen de survivre (Guérin 2001).
Pour exemples des secteurs d’activités, ceux recensés par l’Association pour le droit à
l‘initiative économique (Adie) sont représentés dans le tableau page suivante:
9Bien qu' il n'existe aucune définition universelle des micro et petites entreprises, les pays membres del’Organisation internationale du travail (OIT) s'accordent cependant sur des caractéristiques générales dans lespays en développement: niveau d'opération très bas, technologie rudimentaire, accès limité au crédit, manque decapacité gestionnaire.
21
Concernant la taille de la demande et sa proportion parmi la population totale, au Nord, si l’on
prend pour exemple la Grande- Bretagne, l’étude de Guérin (2002) estime à 20% la population
qui a des difficultés à obtenir un microcrédit. Cependant, lorsqu’on se limite aux exclus du
microcrédit pour l’auto emploi, le chiffre tombe en moyenne à 5%, alors qu’il atteint en
moyenne 50% au Sud, région du monde où l’auto emploi est la principale activité génératrice
de revenu10.
Où se place finalement la demande de microcrédit par rapport à la ligne de pauvreté? La
catégorisation de la pauvreté dans les pays en développement (J.Hatch, 1998) se rapportant à la
microfinance identifie trois strates de pauvreté. La catégorie marquée par la pauvreté sévère,
«les plus pauvres des pauvres», vivant avec au maximum 50% du niveau de revenu nécessaire
pour atteindre la ligne de pauvreté. La catégorie marquée par la pauvreté modérée, en fait il
s’agit des plus riches parmi les pauvres, qui vivent avec un revenu au moins égal à 50 % du
revenu nécessaire pour se maintenir sur la ligne de pauvreté. Pour finir, les désavantagés non
pauvres, c’est-à-dire cette catégorie de ménages ayant réussi à franchir légèrement la ligne de
pauvreté, dit également les ménages vulnérables. Selon le rapport du Sommet du microcrédit
de 2002, deux tiers des clients desservis sont sous la ligne de pauvreté mais dans la moitié
supérieure. Le rapport 2005 confirme la difficulté d’atteindre les plus pauvres des pauvres. Aux
USA, le seuil de pauvreté est fixé par le Département de la santé et de l’humain (DSH),
cependant, le seuil retenu est considéré ne pas prendre en compte suffisamment de pauvres
puisque fixé trop bas. Les organismes ou chargés d’études d’impact en microcrédit retiennent
donc le 150% du chiffre donné par le DSH (Schreiner 2001). Aux USA, on comptabilise10Prescott (1997) indique que l’auto emploi concerne 12% de la population aux Etats-Unis et 60 à 80 % de lapopulation dans les pays en développement.
22
environ 100'000 bénéficiaires des programmes de microcrédit mais seulement 2 à 5 % sont
issus des bas revenus ou sont sans emploi (Else and Gallagher 2002).
Au Nord, malgré la difficulté d’atteindre les plus pauvres, l’intérêt pour la microfinance est
croissant. En Irlande, entre 1991 et 1997, le nombre de chômeurs créant leur propre emploi est
passé de 11,6% à 15,3%, et ce grâce à la mise en place d’un programme public de grande
ampleur permettant aux chômeurs de bénéficier d’un complément de revenu pendant quatre ans
en plus des crédits d’auto emploi. Au Sud, la lutte contre la pauvreté reste cependant l’objectif
annoncé de la plupart des organismes. Des outils de sélection, permettant de distinguer au sein
de la population des strates de pauvreté, ont pour cela été développés. On peut citer le
classement par évaluation participative de la richesse (Participatory Wealth Ranking, PWR) qui
permet d’obtenir une classification des familles selon des critères élaborés par les
communautés elles-mêmes, ou encore l’index du logement de Cashpor (House Index) qui ne
fait pas appel à la communauté, mais à un enquêteur externe donnant une note à chaque
ménage par rapport à la qualité de sa maison (Simanowitz 2000). Finalement, la méthode
utilisée par la Grameen: celle-ci sélectionne ses clients ruraux selon la méthode suivante. Elle
cible les paysans pauvres fonctionnellement dépourvus de terre (possédant moins d’un demi-
acre, un acre représentant un demi-hectare) ou dont les biens représentent moins de la valeur
d’un demi-acre. Afin de soutenir l’objectif de la lutte contre la pauvreté, le gouvernement
américain a signé en 2000 le «Microentreprise for Self Reliance Act», qui prévoit que 50% des
fonds de l’USAID alloués à la promotion de la microentreprise, le soient aux entrepreneurs très
pauvres situés sous la ligne mais dans la moitié inférieure.
1.3 La rencontre de l’offre et de la demandeEn reprenant les problèmes informationnels et de marché soulevés préalablement, cette partie
expose les solutions «innovantes» utilisées par les organismes non bancaires et permettant la
rencontre de l’offre et de la demande: le group lending, ses gains et ses limites ainsi que
d’autres procédures d’intermédiation financière associées.
1.3.1 Le contrat de groupe: origine, définition et gains
Certains font remonter l’origine du prêt de groupe à celle de la tontine ou des coopératives
(Prescott 1997, Morduch 2005) et le comparent à l’Irish Loan Fund créé au début du 18ème
siècle, octroyant des prêts en exigeant la caution solidaire de deux personnes proches. La
comparaison est également faite avec les coopératives allemandes de la fin du 19ème, au sein
23
desquelles la coresponsabilité était cette fois totale, tous les membres étant responsables du
comportement de tous les autres. Tontines et coopératives contournent en effet le problème lié
à l’absence de garantie en se basant sur le lien social. Ce qui les différencie premièrement des
organismes group lending, c’est le fait qu’elles ne font normalement pas appel à des fonds
extérieurs. De plus, leur intégration est conditionnée à l’épargne. Finalement, la seule façon
pour la tontine d’augmenter le montant du prêt est d’augmenter le nombre de ses membres. Le
groupe lending dépasse ces limites. Le group lending est selon une traduction littérale, le prêt
de groupe. On peut cependant considérer le group lending comme un contrat ou un mode
d’intermédiation financière. Normalement, le prêteur bancaire sélectionne le client, encadre les
performances et applique le contrat (Prescott 1998). Dans le cas du group lending, le prêteur
délègue au groupe la sélection des emprunteurs, l’encadrement du contrat et la pression
nécessaire à l’accomplissement du contrat.
Bhatt (1998) relève ainsi 3 périodes dans le contrat «group lending» liant prêteur et
emprunteur: l’avant octroi du prêt (sélection), l’octroi du prêt (encadrement) et l’après octroi
du prêt (s’assurer du remboursement). Avant de reprendre chacune des périodes du contrat, il
faut mentionner l’existence de divers contrats de type group lending. Bhatt en relève 3: le
premier lorsque le groupe s’auto forme et reçoit un prêt de groupe qu’il partage et rembourse.
Le deuxième quand le groupe s’auto forme, le prêt est individuel, et la coresponsabilité reste
pour le remboursement. Le troisième lorsque le groupe n’a qu’un rôle de soutien entre les
membres car le prêt est individuel et le remboursement également. Il faut aussi noter que le
groupe est parfois formé par l’organisme lui-même. Cette typologie est empiriquement vérifiée
et la distinction réplication ou adaptation du modèle «Grameen Banque» le confirme (Hulme
and Mosley, 1996). Le contrat de «référence» de la Grameen prend la forme suivante: des
groupes de 5 personnes se forment dont les membres se réunissent pendant un mois avant
d’être admis en tant que groupe, puis 2 membres bénéficient d’un prêt, suivis de deux autres au
bout d’un mois, puis du dernier membre (système 2.2.1). De plus, lorsqu’un membre faillit, le
groupe se voit refuser le prêt futur. Le programme WSEP des Etat-Unis est proche du modèle
de la Grameen et de type 1. Le Calmeadow Metrofund de Toronto permet lui aux emprunteurs
d’obtenir des nouveaux prêts s’ils remboursent une partie de la somme non remboursée par un
de leur pair. Au Nord, nombreux sont cependant les contrats de type 3 qui ne retiennent du
groupe que la fonction de soutien.
24
Quels sont les gains informationnels obtenus en choisissant le prêt de groupe? Si l’on reprend
les 3 périodes du contrat, le gain lié à la première période et à l’auto sélection résulte du fait
que les emprunteurs qui disposent d’information sur leurs pairs, vont se choisir selon leur
propre degré de risque (homogénéité du groupe) et permettre ainsi d’éviter le risque d’anti-
sélection. Au départ, tous les groupes sont sous le même contrat, l’organisme lui-même ne
sachant pas qui sont les bons ou les mauvais groupes. Cependant, les moins bons groupes se
verront rapidement refuser de nouveaux prêts puisque leur projet rencontrera des difficultés.
Ainsi, l’organisme ne perd pas à long terme et les bons ne paient pas pour les moins bons. Ce
qui se produit, c’est un transfert du risque de l’organisme à l’emprunteur risqué (Gathak,1997,
Van Tassel 1999). Lors de la période 2, c’est le risque d’aléa moral ex ante qui est diminué par
l’encadrement du groupe. Stiglitz (1990) et Conning (1996) expliquent qu’il y a un
encadrement entre les membres concernant le choix de leur projet car les membres sont
concernés pas l’action ou l’inaction des autres. Pour finir, à la période 3, le risque d’aléa moral
ex post est finalement réduit, car si l’organisme ne connaît pas le profit des emprunteurs, les
membres peuvent l’obtenir. L’aléa moral (ex post et ex ante) est réduit car les membres
disposent de l’information et exercent une pression puisqu’il y a coresponsabilité pour le
remboursement (Besley, Coate 1995).
Aux gains du group lending liés à la réduction des coûts informationnels s’ajoutent encore les
suivants: le développement de l’estime de soi (capital humain) et du capital social lors des
réunions, notamment au sein des groupes formés artificiellement. En effet, les réunions entre
les membres permettent en plus de la gestion du prêt, la possibilité de discuter des difficultés
rencontrées et la transmission d’information et/ou de conseils (Pearson 1998, Morduch 2005).
25
Les auteurs qui ont étudiés les gains obtenus relèvent qu’ils sont cependant conditionnés à un
certain nombre de paramètres à ne pas négliger lors de l’élaboration du contrat, tels que la taille
du groupe ou le niveau du taux d’intérêt. Il apparaît que certains organismes autorisent la
formation de grands groupes dans le but de diminuer les coûts de transaction, néanmoins, les
défaillances, le risque de free riding ou de collusion augmentent au sein des grands groupes
(Hulme and Mosley, 1996). Un groupe trop petit risque par contre d’engendrer des coûts
d’encadrement trop élevés pour chaque membre. Finalement, l’emprunteur n’a intérêt à fournir
l’effort d’encadrement ou de pression que si le gain espéré dépasse le coût de son effort et de
son remboursement.
1.3.2 Les limites inhérentes au contrat de groupe
Un certain nombre de limites, non dépendantes des choix faits par l’organisme, existent encore.
Les gains du group lending sont premièrement complets seulement lorsque l’information entre
les membres l’est elle-même. Le défaut stratégique (Besley and Coate, 1995) existe dans le cas
où un membre a intérêt à ne pas rembourser sa part puisqu’il doit rembourser celle de l’autre
dont le projet tombe. Ce défaut peut s’expliquer par le fait qu’il peut y avoir asymétrie
informationnelle entre les membres eux-mêmes (Morduch 2005). De plus, il apparaît que
l’homogénéité suite à l’auto sélection se vérifie théoriquement mais pas forcément
empiriquement. Selon Montgomery (1996), il existe premièrement des différences de pauvreté
non visibles pour quelqu’un d‘extérieur à la communauté. Deuxièmement, la pauvreté n’est pas
statique mais dynamique, ainsi l’homogénéité dans le temps n’est plus forcément vérifiée.
Troisièmement, dans un cas d’hétérogénéité, la pression des pairs risque alors d’engendrer un
coût social pour les plus démunis. D’autres désagréments pour l’emprunteur sont relevés.
Pearson (1998) note que le groupe ralentit le projet des entrepreneurs les plus dynamiques.
Soulama (2005) note que l’obligation de passer par la caution solidaire pour obtenir un prêt
peut être ressentie comme une contrainte contre-productive lorsque les efforts individuels sont
réduits à néant. Comme exemple de comportement opportuniste et individualiste en résultant, il
cite la préférence pour la consommation. Guérin (2005) relève que la santé financière de
certains programmes utilisant le group lending importe plus que celle des emprunteurs, alors
que Morduch (2005) note que l’emprunteur se passerait bien d’aider l’organisme à démarrer, et
que si le choix revenait à l’emprunteur, il choisirait le prêt individuel.
26
Finalement, dans le cas où les emprunteurs vivent éloignés les uns des autres, le coût de
réunions peut s’avérer lourd pour l’emprunteur (Morduch 2005). Ce dernier coût fait dépendre
l’efficacité du groupe à la proximité géographique. La proximité sociale entre les membres est
aussi considérée comme une limite potentielle. Ces proximités sont apparemment davantage
réunies au Sud qu’au Nord. Prescott (1998) relève plusieurs raisons qui diminuent l’efficacité
du group lending aux USA. Un certain anonymat réduisant l’effet de pression des pairs
escompté, une densité de population peu élevée en zone rurale et une homogénéité moindre
entre les activités des emprunteurs rendant l’encadrement plus difficile. Colin (1999) note que
le group lending est plus adapté aux programmes du Sud car les communautés y sont
relativement immobiles, les secteurs d’activités davantage homogènes, et les membres
autrement liés par un lien social. Il ajoute encore que l’environnement économique et
commercial y est moins complexe qu’aux Etats Unis ou au Canada. Cependant, cet argument
limite également la portée du prêt individuel. Conlin (1999) conclut que les organismes au
Nord, lorsqu’ils utilisent le group lending, ne doivent pas espérer trop des effets constatés
concernant l’encadrement entre les pairs et la pression des pairs, mais doivent plutôt espérer
réduire leurs coûts en comptant sur le fait que les coûts de formation et d’élaboration du plan
de commerce sont réduits, les groupes s’en auto chargeant. Cette conclusion se vérifie
empiriquement puisqu’au Nord, les organismes optant pour le type 3 de contrat sont
proportionnellement plus nombreux qu’au Sud. Bhatt, l’auteur qui distingue les trois formes de
prêts de groupe, recommande d’ailleurs de faire dépendre le choix de l’arrangement au degré
de capital social existant au sein d’une communauté et d’analyser le contexte social,
géographique et économique avant toute définition institutionnelle de l’organisme et du
contrat.
1.3.3 Prêt de groupe versus prêt individuel et autres innovations
Le prêt de groupe exempte l’emprunteur d’épargne préalable et de garantie et transmet les
coûts informationnels de l’organisme au groupe. Permet-il cependant un taux de
remboursement plus élevé que le prêt individuel? Les organismes utilisant le prêt de groupe
sont internationalement réputés pour leur taux de remboursement, allant jusqu’à 98% pour
certains. Morduch et Aghion (2005), après avoir synthétisé la littérature sur la question,
résument qu’il est difficile de mesurer empiriquement le bien-fondé du group lending, pourtant
facilement prouvé théoriquement. Les organismes pratiquent en effet soit le prêt de groupe, soit
le prêt individuel, et les deux lorsqu’ils n’ont pas le même type d’emprunteur parmi leurs
27
bénéficiaires. Morduch et Aghion mentionnent néanmoins une étude réalisée en laboratoire
(population homogène)11 qui compare le prêt de groupe à l’individuel et dont l’une des
conclusions est: les taux de paiement sont plus élevés en cas de prêt de groupe qu’en cas de
prêt individuel. Une autre solution, afin de comparer des emprunteurs qui ont les mêmes
attributs économiques et sociaux de départ, est d’élaborer un index et de comparer uniquement
les individus ayant le même taux pour l’index retenu (Gomez and Santor 2003). L’utilisation
de cette méthode a confirmé que les emprunteurs de groupe remboursent mieux. L’index
retenu a été créé sur la base de critères (âge, sexe, revenu, etc..) relevés parmi la clientèle de
deux organismes canadiens. Les organismes eux-mêmes, appliquant le prêt individuel et de
groupe, avaient selon leurs statistiques tiré la même conclusion, mais ce sans que leurs clients
individuels et de groupe aient les même attributs.
Morduch (2005) ajoute que les chercheurs essayent de savoir ce qui fait que le contrat de
groupe marche, plutôt que s' il marche mieux que d’autres formes de contrat. A cette question,
la réponse n’est pas une réponse universelle. Dans les régions pauvres de la Thaïlande, le taux
de remboursement s’élève alors que les sanctions augmentent, tandis que dans les régions plus
riches, plus la responsabilité conjointe s’élève, moins bon est le remboursement. Le
remboursement est moins bon dans les zones urbaines du Costa Rica, là où les emprunteurs ont
davantage d’options, que dans les campagnes. Une autre étude (Kandker, 1998) note que le
remboursement est meilleur dans les villages économiquement plus avantagés, étant donné le
retour sur investissement plus élevé. Ces conclusions confirment l’importance du contexte
économique aux côtés des contextes géographiques et sociaux. Les études de cas divergent
cependant aussi quant au bien-fondé du degré du lien social, puisque certains affirment que les
membres amis s’avèrent plus durs, d’autres plus souples, si bien que le remboursement fluctue
en conséquence.
Le prêt de groupe s’avère dans tous les cas plus efficace lorsqu’il est couplé à d’autres
modalités d’intermédiation financière. L’incitation dynamique est le premier outil
complémentaire. On parle d’incitation dynamique lorsque le remboursement permet un
deuxième prêt. Cette modalité ne semble en effet pas avoir été mise à profit par les banques
d’Etat, dont seulement 11 % des clients ont emprunté plus qu’une fois (Hulme et Mosley,
1996). Le prêt au montant progressif est la seconde modalité innovante parfois utilisée par les
organismes non bancaires. Bassole (2004) développe un modèle d’analyse et conclut que la11Etude menée par Abbbink, Irlenbush et Renner (2002) p.102
28
valeur du crédit futur est plus importante que la coresponsabilité. Il propose d’ailleurs de la
laisser tomber car elle nuit justement à l’incitation provoquée par le prêt progressif. La
troisième et dernière modalité est le remboursement progressif. Ce mécanisme n’est pas utilisé
par les banques pour les prêts pour l’auto emploi, étant donné que le remboursement est
logiquement demandé une fois les retours sur investissement réalisés.
Concernant la promesse de prêt futur, les auteurs se rejoignent en notant que la compétition
peut diminuer la motivation dynamique et que la préoccupation principale du prêteur est
d’entretenir une relation continue afin de s’assurer que son emprunteur ne développe pas de
liens avec d’autres prêteurs. De plus, prévoir la possibilité de plusieurs prêts ne coûte pas deux
fois plus chers et permet de tester l’emprunteur et donc d’augmenter l’information (Soulama,
2005). Concernant le remboursement fréquent, il est noté que cette solution peut être bénéfique
pour l’emprunteur s’il a des difficultés à épargner mais moins s’il ne peut compter sur des
revenus autres que ceux engendrés par son investissement. Le modèle précité de Bassole
(2004) relevait l’effet contre-productif de la coresponsabilité sur la promesse de prêt futur plus
élevé. La compétition est également reconnue pour limiter l’effet incitatif du prêt progressif. A
l’arrivée de nouveaux prêteurs en Inde et en Bolivie, les taux de remboursement ont
effectivement baissés pour Bancosol et la Grameen (Morduch 1995), les emprunteurs cumulant
les prêts et s’infiltrant dans la spirale de la dette.
Au terme de cette première partie, le marché du micorcrédit de groupe pour l’auto emploi est
présenté. Il est maintenant possible dans la deuxième partie d’aborder l’impact du microcrédit
sur la demande ainsi que la viabilité de l’offre. La deuxième partie répond ainsi aux questions
suivantes: le microcrédit assure-t-il emploi et revenu stables et suffisants aux populations
pauvres? Quelle soutenabilité l’offre atteint-elle? La question de la soutenabilité est en effet
primordiale. L’offre pour rencontrer la demande utilise certes les mécanismes innovants
énumérés dans la première partie, mais dépend surtout des subventions.
29
DEUXIEME PARTIE: Impact, limites et perspectives
La seconde partie s’attache premièrement à dégager l’impact sur les bénéficiaires, c’est- à dire
l’impact sur la demande de microcrédit. Les projets des bénéficiaires fleurissent-ils au point de
leur assurer emploi et revenu à long terme et de les sortir de la pauvreté? La section limites et
et perspectives concerne par contre l’offre et répond à la question suivante; les organismes
sont-ils viables à long terme?
2.1 Impact sur la demande
Cette section, pour dégager un aperçu général de l’impact du microcrédit pour l’auto emploi,
présente premièrement les questions d’ordre méthodologique inhérentes aux études
empiriques, et donne ensuite les principaux résultats et facteurs «limitants» pour le Nord et le
Sud. Les sources utilisées ne sont pas les rapports de fin d’année des organismes utilisant le
prêt de groupe, mais un certain nombre d’études empiriques se basant sur de nombreux
organismes, études menées à un niveau national ou continental. Celles-ci ne se limitent
majoritairement pas aux organismes utilisant le prêt de groupe, mais relèvent cependant leurs
spécificités éventuelles.
2.1.1 Questions d’ordre méthodologique
Les raisons relevées pour lesquelles il est difficile de mesurer l’impact du microcrédit sont les
suivantes. Premièrement, le crédit est fongible et il est difficile de tirer un trait d’union direct
entre un prêt et son résultat (Soulama 2005). Doligez (2001) résume le problème en ces termes:«La fongibilité des flux financiers au sein de l’unité économique et l’importance des autres sources de
remboursements qui peuvent être liées soit à une logique de substitution du capital (désendettement,
financement de la soudure), soit à l’absence de valorisation monétaire du produit de l’activité
(autoconsommation) compliquent sérieusement l’analyse économique». Il est donc difficile de savoir
si le crédit a été investit dans le projet ou ailleurs. De plus, à l’inverse, les ménages ont d’autres
sources de revenu avec lesquelles ils peuvent modifier leur niveau de revenu.
La deuxième difficulté est qu’à priori on ne sait pas ce qu’il serait arrivé si le prêt n’avait pas
eu lieu (Wright 1999, Else 2000), et ce, sauf si une récolte de données est réalisée avant le
démarrage du programme ou l’octroi du prêt. Coleman (1999) a mené une étude dans un
village dont les bénéficiaires ont reçu le crédit seulement un an après avoir été sélectionnés et a
30
donc pu comparer. La comparaison n’est pas toujours possible, ainsi, les chercheurs comparent
généralement les nouveaux bénéficiaires aux anciens.
Troisièmement, le problème du biais de sélection est soulevé chez tous les auteurs précités. Ce
problème peut conduire à des surestimations ou à des sous-estimations d’impact allant jusqu’à
100% (Morduch 2005). Soulama (2005) met par exemple en doute les résultats concernant la
question du genre. Il est en effet souvent relevé que les femmes remboursent mieux que les
hommes. Cependant, il est possible que ce meilleur taux soit uniquement dû au fait que les
femmes reçoivent des prêts de plus faibles montants et que la théorie des rendements
décroissants du capital s’applique. Afin de contourner les biais de sélection, il est possible de
constituer un groupe de contrôle aux côtés du groupe dit «traité», en l’occurrence celui qui a
reçu le prêt. Cette méthode du groupe de contrôle est souvent couplée à la méthode des doubles
différences qui consiste à comparer le groupe traité avec le groupe de contrôle (première
différence) avant de comparer avant et après le programme (deuxième différence). Afin de
corriger le biais de sélection, la méthode d’appariement est également utilisée, elle consiste à
prendre en compte lors de l’analyse des résultats d’impact, les caractéristiques qui ont fait que
le groupe a été choisi (Schreiner, 2002). Morduch (2005) note d’ailleurs qu’une bonne analyse
d’accès peut être plus utile qu’une étude d’impact à posteriori mais biaisée ou incomplète. Lors
d’une analyse des critères de sélection, il faut encore prendre en compte le fait que ceux-ci ne
sont pas respectés à la lettre. L’étude de Morduch sur la Grammen (1998) confirme que le
critère de la taille de la terre cultivée ne l’est pas.
Quatrièmement, il est préférable de corriger les biais cette fois non de sélection, mais dit
d’endogénéité, c’est-à-dire les biais liés aux caractéristiques non observables ou non
mesurables. L’impact peut par exemple être sous-estimé dans le cas où ce serait une inflation
ou un changement politique, non pris en compte, qui ont rendu l’investissement non rentable.
De plus, l’âge, le niveau d’éducation, l’expérience du bénéficiaire sont facilement mesurables
alors que le capital social ou la capacité d’organisation du bénéficiaire le sont moins.
Cinquièmement, il est préférable de mener des études longitudinales, car la pauvreté n’est pas
statique et le microcrédit est souvent offert de façon échelonnée; ces études sont évidemment
chères et complexes (Doligez, 2001).
«L’efficacité d’une mesure, quelle qu’elle soit, se mesure en fonction d’objectifs fixés au départ. Si l’on
cherche à promouvoir l’entrepreunariat, l’efficacité se mesure en termes de survie et de longévité de
31
l’entreprise, éventuellement de croissance (chiffre d’affaires, bénéfices, embauche de personnel salarié).
Si l’on cherche à lutter contre la pauvreté, l’efficacité se quantifie en terme d’amélioration et de
stabilisation des revenus ainsi que d’autonomie financière. Enfin, si l’on cherche à améliorer la dignité
des personnes, l’efficacité se mesure en terme d’épanouissement personnel, de confiance et d’estime de
soi. Les variables d’efficacité ou d’impact, citées ci-dessus par Guérin (2001), sont valables
pour le Nord et le Sud. D’autres s’y ajoutent dans cette sous-partie consacrée aux résultats.
Pauvreté et revenu
Concernant l’impact sur la pauvreté, Jonathan Morduch a réalisé une synthèse des conclusions
de la majorité des études existantes, titrée «Analysis of the effects of microfinance on poverty
reduction»12. Il en ressort que les résultats en terme de pauvreté sont très controversés. Les
chercheurs produisent des résultats avant tout en terme de pauvreté monétaire. Soulama (2005)
explique que ce qui est mesuré en général c’est l’impact sur le niveau du bien-être, dont la
mesure renvoie à la pauvreté et aux notions dérivées, seuil de pauvreté et vulnérabilité. Les
données nécessaires sont alors le seuil de pauvreté pour un pays donné et le niveau de revenu
du bénéficiaire ou du ménage. C’est pour cela que la mesure de la pauvreté et la mesure du
revenu sont souvent confondues. L’effet sur la consommation découle également du niveau de
revenu. En terme de pauvreté, deux études d’impact sont incontournables, premièrement celle
de Hulme et Mosley (1996), puisqu’elle est la première à mettre en doute l’effet positif du
microcrédit sur la pauvreté, et deuxièmement celles de Pitt et Kandkher (1998) versus
Morduch (1998), puisqu’en utilisant les mêmes données, ces études dégagent des résultats
opposés.
La plupart des études menées concernant la Grammen Banque, Bancosol et la Banque Rayat
concluent à un impact positif sur le revenu des bénéficiaires13. Par exemple, celle de Hossain
(1988)14 qui note une augmentation du revenu de 43% par rapport au groupe contrôle. L’étude
de Hulme et Mosley dégage quant à elle des résultats plus controversés. L’étude de Hulme et
Mosley est réalisée dans 7 pays sur 13 organismes ayant tous le but de lutter contre la pauvreté.
Elle est menée entre 1989 et 1993 et cible 150 emprunteurs et 150 individus d’un groupe
contrôle. Pour donner leurs résultats, Hulme et Mosley séparent les organismes selon que leur
assise financière soit solide ou non.
12 New York University, working paper series, n§1014, juin 200213 Wrignt (1999), cite toutes les etudes menées depuis 1983 concluant à un effet positif sur le revenu. 14 Cité par Hulme et Mosley, 1996, p.30
32
Leur première conclusion est que les institutions financièrement plus viables ont un impact
plus marqué sur le niveau de revenu. La relation viabilité de l’offre/impact sur la demande sera
exposée dans la section «limites et perspectives». Leur deuxième conclusion est que le revenu
des ménages situés au seuil ou au dessus du seuil augmente en moyenne davantage que celui de
33
ceux situés au dessous de la ligne, qui d’ailleurs augmente presque de façon non significative
par rapport au groupe témoin.
D’autres études suivent et remettent également en question l’effet sur le revenu. L’étude de
Coleman (1999) menée en Thaïlande conclut à aucun effet significatif sur le revenu et sur les
autres variables, si ce n’est le fait que les femmes ayant reçu le prêt ont pu le prêter à un taux
plus élevé sur le marché. L‘étude de Snodgrass et Sebstad (2002)15 relative à trois organismes,
un au Pérou, un en Inde, un au Zimbabwe, conclut que le revenu des bénéficiaires augmente
seulement au Pérou et en Inde. Kandkher (2003) utilisant des données de 1991-92 et de 1998-
99 pour le Bangladesh, compare le ratio de pauvreté entre les deux périodes et constate une
baisse de 20%. Néanmoins, les individus non retenus bénéficient aussi de la même baisse. Les
optimistes interpréteront ces résultats en expliquant l’existence d’effets d’entraînements, les
pessimistes en dénuant tout impact au microrcrédit. Kandkher tranche en estimant que le
microcrédit est responsable de la baisse d’un tiers du ratio (Morduch 2005). Une étude de
Mosley (2006) révèle finalement que parmi les bénéficiaires de Bancosol, 25% bénéficient de
gains de revenu importants, 60 % ne constatent pas de changement, et 10 à 15 % aggravent leur
situation.
Qu’en est-il de l’effet sur la vulnérabilité? L’effet est également controversé, cependant la
définition de la vulnérabilité elle-même diffère selon les auteurs. La vulnérabilité peut être
définie comme la variation du niveau de revenu ou de la consommation dans le temps, la
pauvreté n’étant pas statique mais dynamique (Soulama 2005). Une autre définition existe mais
liée aux risques idiosyncratiques: la probabilité qu’un choc provoque une baisse du niveau de
revenu (World Bank, 1995). Wright (1999) estime que le microcrédit n’est pas l’outil adéquat
pour répondre aux chocs précités: ”Le microcredit pour l’auto emploi vise un accroissement de
revenu, le passage de sous la ligne à sur la ligne et la fin du cycle du bas revenu. Par contre, si l’on vise
à éviter également les dramatiques baisses de revenu (liées à une mort, une maladie, une variation des
prix, une sécheresse), alors il faut proposer d’autres services: les prêts d’urgence pour la consommation,
l’épargne et le soutien à des activités génératrices de revenu sans risques afin de ne surtout pas endetter
davantage le bénéficiaire.” Pitt et Kandkher (1998) concluent à une augmentation du revenu,
alors que Morduch (1998) conclut à un lissage de la consommation entre les saisons donc
15 Cette étude sponsorisée par USAID, menée au Pérou, en Inde et au Zimbabwe, s’est basée sur des donnéeslongitudinales en retenant donc deux périodes, à 2 ans d’intervalles, et en optant également pour la prise encompte parallèle d’un groupe test. Cependant, cette étude n’a par contre pas mesuré l’évolution des autresvariables (inflation, chocs économiques).
34
justement à un effet sur la vulnérabilité. Selon la définition de Soulama, Amin (2003) étudie
229 ménages au Bangladesh et compare les pauvres et les vulnérables qu’il a préalablement
identifiés. Il conclut que l’impact est réel sur les pauvres mais pas sur les vulnérables, car la
consommation n’est pas lissée.
Soulama (2005) confirme lui la possibilité de gravir les échelons de la pauvreté, donc
d’augmenter le revenu. Il identifie premièrement 4 groupes de pauvres en prenant en compte la
vulnérabilité (les non pauvres et peu vulnérables placés au dessus de la ligne et à faible
probabilité de redescendre, les non pauvres mais vulnérables susceptibles de redescendre, les
pauvres modérés vulnérables sous la ligne, et les très vulnérables sévèrement pauvres). Il
conclut ensuite que le microcrédit permet de passer d’une strate à l’autre mais sans en sauter
deux. De plus, il ajoute que la population du dernier groupe est peu apte à pratiquer une activité
productive car handicapée ou occupée à une activité de subsistance ambulante, saisonnière et
instable, et que cette population est alors non atteinte par les organismes, sauf exception. La
question de l’atteinte des plus pauvres des pauvres est d’ailleurs la troisième question qui fait
débat, après les controverses liées à l’impact sur le revenu et à la pauvreté versus vulnérabilité.
Le débat sur l’atteinte des plus pauvres parmi les pauvres est également complexe car tous les
auteurs ne définissent pas forcément les plus pauvres de la même façon. Les plus pauvres
représentent-ils la population placée à la moitié inférieure de la ligne, au quart inférieur de la
ligne, se définissent-ils selon la taille du prêt qu’ils reçoivent? Martin Greeley et Damian von
Stauffenberg16 estiment que les ménages pauvres, dans l’incapacité de faire un usage productif
du prêt et dont les besoins de base ne sont pas remplis, représentent 3 à 8 % de la population.
Ils concluent alors que la plupart des pauvres bénéficiant de moins de 1$ par jour peuvent donc
être ciblés. Hashemi (1996) s’exprime lui en ces termes: «La Grameen touche les pauvres, la
plupart des membres étant virtuellement dénués de terres et possédant moins d’un demi-acre, toutefois,
au sein des milieux défavorisés ruraux, la moitié de la population doit subsister avec un revenu de
moitié inférieur au seuil de pauvreté et la Grameen n’a pas réussi à toucher efficacement les personnes
appartenant à ce groupe. Ces populations sont dans un dénuement total. Il s’avère qu’elles s’auto
excluent ne se considérant pas solvables, qu’elles sont exclues des groupes car considérées comme trop
risquées ou qu’elles estiment trop compliqué le programme proposé». Schreiner et Gonzalez-Vega
(2000) suite à une étude conduite à la Paz avec un groupe de contrôle et portant sur 5
organismes de microfinance, tirent deux conclusions: les individus autour de la ligne sont
16 Crossfire, in Small Enterprise Development, vol.15, n°3, septembre 2004, p.6
35
davantage atteints, les organismes utilisant le prêt de groupe atteignent davantage les plus
pauvres. En conclusion, si les auteurs ne s’accordent pas sur la proportion de plus pauvres, tous
confirment qu’une demande n’est pas ou plus difficilement couverte. Ils se rejoignent
également sur le fait que l’usage du crédit ne peut être le même selon que l’on soit parmi les
plus riches ou les plus pauvres des pauvres.
.Hulme et Mosley font une distinction entre protection du développement et promotion du
développement. Selon eux, les clients au dessus de la ligne sont prêts à prendre des risques et à
investir dans des technologies pour poursuivre des activités de promotion, alors que les plus
pauvres empruntent pour des activités de subsistance et investissent rarement dans la
technologie.
Wright 1999 et Eversole 2000 indiquent que l’impact sur le revenu dépend du niveau de revenu
de base; car les plus riches sont prêts à prendre plus de risques que les pauvres qui doivent
36
conserver le minimum pour survivre. Doligez (2001) note que pour les plus pauvres, les
revenus engendrés par les activités développées par le crédit servent d’abord à diminuer les
dépenses envers les usuriers, fournisseurs, parents et à améliorer leur niveau de consommation.
Au Nord, le lien entre le microcrédit pour l’auto emploi et la pauvreté existe aussi. Schreiner
(1999) note que la plupart des bénéficiaires des organismes soutenant les microentreprises ne
sont pas parmi les plus pauvres de la population et que seul 1 individu sur 100 parmi les bas
revenus est touché. Else (2000) note que d’un point du vue socio-économique, la
microentreprise est une option pour une faible proportion de bas revenus ou de sans emploi (2
à 5%) et que seul 2 à 4 % des chômeurs sont concernés. Pearson (1998) en se basant sur une
recherche menée en Amérique du Nord, relève que seulement 10% des membres d’une
population ont les aptitudes nécessaires pour gérer leur propre entreprise et dégager un revenu
suffisant. Schreiner tire encore les conclusions suivantes pour les bénéficiaires de l’aide
sociale: «Si les programmes de microcrédit n’aident qu’un petit nombre de sans emploi et de plus
faiblement, alors il faut s’attendre à ce que les bénéficiaires de l’aide sociale en profite encore moins,
d’une part parce qu’ils sont majoritairement des femmes et que l’auto emploi est plus facile pour les
hommes, d’autre part parce parmi les sans emploi il est possible de sélectionner ceux dont le profil
convient le mieux et ce non pour les assistés, finalement, parce qu’ il est reconnu que les sans emploi
ont en moyenne plus de compétences que les assistés». Pour Doyle et Black (2001), la
microentreprise est par contre l’outil le plus flexible à la disposition des assistés sociaux, par
exemple, pour une femme souhaitant bénéficier d’horaire flexible pour s’occuper de ses
enfants ou pour un immigré doté de compétence mais non anglophone.
Schreiner (2001) note que les organismes ciblant les plus pauvres permettent à 53% de leurs
bénéficiaires d’augmenter leur revenu de manière significative et de dépasser le seuil de
pauvreté après 5 ans. Hashemi (1996) arrive à la même conclusion pour les bénéficiaires de la
Grameen et ajoute qu’après 8 ans, ils n’ont plus besoin du programme. Concernant le revenu
au Nord, Guérin (2001) note qu’après 5 ans, parmi les bénéficiaires de l’organisme Adie, 45%
gagnent un revenu équivalent au revenu minimum d’insertion, 35% davantage et 20 % gagnent
moins. En Irlande, les revenus des bénéficiaires de microcrédit sont ensuite évalués supérieurs
aux allocations chômage.
37
Emploi et autres variables
Concernant l’emploi au Sud, Thomas (1995) mène une étude en Amérique latine sur 3
programmes de type Grameen. Il interroge des individus ayant et n’ayant pas reçu le prêt, et
conclut que la création d’emploi est faible (préservation de l’emploi). Hashemi (1996) dans son
étude de la Grameen note que le nombre de jours de travail passe de 6 à 18 par mois. Les
études de Pitt et Kandkher versus Morduch relèvent un effet négatif versus positif sur l’offre de
travail. Au Nord, Else (2001) dans sont étude menée aux Etats-Unis sur 283 organismes, note
une moyenne de 1,5 emplois créés par entreprise et indique que les nouvelles entreprises ne
créent pas d’emploi supplémentaire à celui du bénéficiaire. Guérin (2001), dans son rapport sur
la microfinance dans les pays industrialisés, relève un nombre faible d’emploi créé, des
emplois à temps partiel dans les pays anglo-saxons et 1 seul par bénéficiaire pour les
bénéficiaires de programmes d’insertion sociale. Une amélioration de l’employabilité (retour à
l’emploi) est cependant constatée; alors qu’un emprunteur sur deux n’est plus auto employé
après 5 ans, 1 sur 3 retrouve un emploi salarié. Le taux de survie des entreprises est de 80 %
après 2 ans et de 50 % après 5 ans. Ces chiffres sont proches des données nationales concernant
les petites entreprises puisque 23,7 % d’entre elles ferment après 2 ans et 52,7% après 5 ans .
Ils sont donc très encourageants (Else 2001, Guérin 2001). Un certain effet d’éviction est
encore constaté et différentes études montrent qu’il serait en moyenne de 50%.
La qualité de l’emploi est encore discutée au Nord et au Sud. Wright (1999), citant le
Professeur Yunus fondateur de la Grameen, indique que l’auto emploi a plus davantage que
l’emploi salarié en terme de stabilité. Else (2001) et Guérin (2001) notent que «les données
rejoignent les caractéristiques générales de l’auto emploi: une situation matérielle plus difficile que le
salariat en terme de niveau de revenus (70% de ceux du salariat), de durée de travail (45 pour 41 heures
aux USA) et de protection sociale (pas de plan de retraite), compensée par une certaine satisfaction en
termes d’épanouissement (d’autant plus élevée lorsque la personne a connu une trajectoire difficile) et
de sentiment d’autonomie (flexibilité des horaires).» Finalement, la régularisation d’activités
informelles est en Grande-Bretagne l’objectif premier de certains programmes et concerne 11%
des bénéficiaires de l’Adie.
Concernant la portée du microcrédit, Mosley (2003) indique qu’en dehors du Bangladesh ou de
la Bolivie, celle-ci n’est pas vaste. Au Kenya, par exemple, sur 10 millions de bénéficiaires
potentiels, 70'000 ont accès à la microfinance. Doligez (2001) dont l’étude se base sur des
données concernant 3 programmes de microcrédit dont un seulement utilise le prêt de groupe,
38
«le Crédit rural de Guinée», relève la capacité des organismes à élargir les marchés de crédit en
terme géographique et social (intégration de nouvelles catégories sociales). Il note encore que
les organismes touchent 20% de la population économiquement active et que leur portée est
donc 10 fois plus élevée que celles des banques. Il remarque un effet de substitution de l’usure
par une tendance à une certaine égalisation des taux d’intérêts sur le marché.
L’effet sur le capital social et humain est relevé du Nord au Sud (Hashemi 1996, Doligez 2001,
Ashe 2001, .Soulama 2005, Guérin 2001) et le fait de se réunir en groupe est jugé primordial.
Les chercheurs relèvent encore des effets sur la pauvreté non monétaire (scolarisation,
nutrition, contraception). Ils dégagent parfois le profit de l’entreprise plutôt que le revenu du
bénéficiaire, et notent finalement les effets d’entraînement sur les autres marchés et sur la
démocratie (Guérin 2001, Doligez 2001).
2.1.3 Facteurs limitants et perspectives
Premièrement, la lecture des résultats d’impact confirme l’existence d’auto employés «plus
pauvres» dont l’activité est stabilisée (et créée au Nord) par le microcrédit et d’auto employés
«moins pauvres» dont la microentreprise a le potentiel de s’agrandir grâce au microcrédit et
peut-être de créer un emploi supplémentaire. Deuxièmement, un certain nombre de facteurs,
limitant l’impact si absents, sont également relevés dans la littérature concernant l’impact et
cette sous partie en rend compte. Certains sont relatifs à l’emprunteur (sa santé, son niveau
d’éducation, le soutien des ses amis et de sa famille, son niveau d’expérience, ses actifs),
d’autres à l’environnement (les politiques étatiques de soutien, un marché favorable, un
contexte économique stable). Ces facteurs sont jugés davantage contraignants pour les auto
employés dont l’activité est davantage précaire. Il apparaît par exemple que les activités de
subsistance soutenues au Sud et les auto emplois démarrés au Nord sont plus risqués, car se
trouvent dans les secteurs où les barrières à l’entrée sont faibles, et où, par conséquent la
concurrence est forte et le taux de rotation élevé (vendeurs ambulants, couturière, ..) (Giaucque
1999). De plus, généralement, les niveaux d’actifs et d’éducation sont plus élevés pour les auto
employés dont l’activité a des chances de croître (Schreiner 1999).
Les perspectives sont variées. Concernant les auto employés pauvres, pour le Sud, Thomas
(1995) juge que c’est le montant du crédit qui est trop faible pour réellement soutenir leurs
activités de subsistance, Eversole (2000) est partisan des dons plutôt que des prêts. De
39
nombreux auteurs jugent que l’épargne et les crédits à la consommation sont des outils plus
adaptés, puisque le crédit est souvent utilisé justement pour la consommation et rarement dans
le capital fixe. Au Nord, la proportion des bas revenus ou bénéficaires d’aide sociale jugés
aptes au démarrage d’auto emploi est faible. Ainsi, certains auteurs concluent que l’emploi
salarié ou la formation sont plus adaptés (Schreiner, Gonzalez-Vega, 2001). Au Sud, la
formation est par contre proposée pour les auto employés dont l’activité a des chances de
prospérer. Car même s’ils ont des attributs de base favorables, la gestion d’une activité puisque
se complexifiant en croissant, rend la formation nécessaire(Ghatt 1996).
Finalement, des études sont menées au Nord et au Sud pour comparer les politiques de
microcrédit à d’autres politiques de lutte contre la pauvreté ou de promotion de l’emploi. Au
Sud, il apparaît que les politiques de santé ou d’éducation sont plutôt complémentaires que
concurrentielles (Morduch 2005). Au Nord, la comparaison a été réalisée seulement en terme
de coût, et il s’avère que réinsérer un chômeur par le crédit pour l’auto emploi ne coûte pas
plus cher que de promouvoir sa réinsertion dans le secteur salarié (Guérin 2001 et Else 2001).
La section suivante consacrée à la viabilité des organismes, aborde davantage l’évaluation en
terme de coût-efficacité, car comme Morduch (2005) le note: «Un impact positif ne veut pas
forcément dire qu’un programme doit être soutenu, reste encore à évaluer les coûts et les bénéfices du
dit programme comparativement à d’autres».
2.2 Limites et perspectives de l’offre
Cette section pourrait reprendre les limites liées au contrat de groupe (collusion, faible degré
du lien social, etc.), ou encore celles limitant l’impact (effet d’éviction, préférence pour la
consommation, etc.). Cependant, la limite discutée est celle qui menace la viabilité des
organismes: la subvention. La subvention permet la rencontre de l’offre et de la demande de
microcrédit puisque l’offre ne dispose pas de fonds de base. L’offre, afin de ne pas dépendre
des subventions et d’élargir sa portée, peut-elle dégager à long terme les profits lui permettant
de prêter petit à petit sur ses propres fonds? Et ce sans renoncer à servir les exclus de la
finance? Les perspectives, suite à ces interrogations et développées ci-après, sont certes
nombreuses. Néanmoins, il s’avère qu’au Nord comme au Sud, l’heure est à la recherche de la
40
rentabilité et/ou de l’indépendance financière afin de solidifier, agrandir et pérenniser le
château du microcrédit pour l’auto emploi.
2.2.1 Une limite principale: la subvention
Cette section explique comment le degré de dépendance des organismes à l’égard des
subventions est chiffré et comment un débat s’est ouvert concernant l’indépendance financière
des organismes.
Les données disponibles rendent compte du petit nombre d’organismes ayant atteint
l’autonomie financière. Suite à une étude, le MicroBanking Bulletin de 2003 indique que sur
124 organismes retenus, 50% sont financièrement autonomes et viables. En se limitant aux
organismes desservant les plus pauvres, on tombe à 37%. Cette étude est cependant biaisée, car
elle sélectionne les organismes les plus susceptibles d’être autonomes. Copisarow (2000) et
Drake (2002) notent que sur 7000 organismes, 100 à 200 sont autonomes. Aux USA,
Balkenhol (2002) relève que 16% des coûts opérationnels des organismes sont couverts par les
revenus opérationnels. Qu’entendent cependant ces auteurs par autonomie/viabilité
financière/opérationnelle? La viabilité opérationnelle/financière est atteinte lorsque le revenu
engendré par le prêt couvre le coût de l’octroi du crédit. L’autonomie ne l’est que lorsque les
fonds prêtés sont les fonds propres de l’organisme. Pour résumer, la rentabilité financière ne
signifie pas l’indépendance financière.
L’indépendance est un objectif que se fixe de nombreux organismes. Un certain nombre
d’outils ont d’ailleurs été élaborés pour la calculer. Yaron (1997) a par exemple développé un
indice pour mesurer la viabilité des organismes, qu’il qualifie d’indice de dépendance à l’égard
des subventions (IDS) et dont la méthode de calcul est la suivante:
41
Du ratio de l’IDS, on déduit la hausse en pourcentage du taux d’intérêt nécessaire pour
permettre à un organisme de se délier de toutes subventions. Yaron pour simplifier suppose
donc que la seule façon de compenser la subvention est l’augmentation du taux d’intérêt. En
suivant cette méthode de calcul, la performance de la Grameen est relativisée. Celle-ci est en
effet rentable mais non encore indépendante. Elle affiche un profit de plus de 1 milliard entre
1986 et 1995, mais bénéficie d’un total de 16,4 milliards de subventions directes auquel il faut
ajouter les subventions indirectes, par exemple, les prêts à taux préférentiel octroyés par les
banques. Ainsi, le taux d’intérêt qu’elle devrait fixer après calcul de l’IDS atteint 75%
(Morduch, 2005). Concernant l’organisme Prodem, il est noté que l’indice est passé de 118% à
15% entre 1988 et 1991 (Gonzalez-Vega, Schreiner, 2000). Ce résultat est dû à la
transformation de Prodem en Bancosol, au passage d’un organisme non gouvernemental à une
banque.
42
Les deux organismes précités font partis de ceux qui se sont fixés comme but l’indépendance
financière. Ce but est d’ailleurs également celui de la communauté internationale, les
organismes non bancaires ne devant pas reproduire l’inefficience de leurs prédécesseurs
(banques ou coopératives d’Etat subventionnées) (Hulme et Mosley 1996). Les moyens pour
l’atteindre sont à priori la croissance dans le but de bénéficier d’économie d’échelle, la récolte
de l’épargne afin de constituer un fond de crédit, mais encore l’enregistrement en tant que
banque ou institution de microfinance afin de pouvoir emprunter des fonds sur le marché17. Le
mot débat est évoqué plus haut car parallèlement à l’indépendance financière, un second
objectitf commun à la communauté internationale s’est dessiné: la portée, en anglais
“outreach”. En 1997, le Sommet du microcrédit fixe en effet le nombre de bénéficiaires à
atteindre en 2005 et le microcrédit devient aussi un moyen d’atteindre l’objectif numéro un du
millénaire, la lutte contre la pauvreté. Viabilité et portée sont ils des objectifs compatibles? La
transformation en banque, si elle permet la croissance ou la largeur de la portée, ne diminue-t-
elle la profondeur de la portée, c’est-à-dire l’atteinte des pauvres?
Pour y répondre, certains distinguent transformation et commercialisation (Woller 2002) afin
d’expliquer que le fait de se comporter comme une banque et donc d’appliquer les taux du
marché, ne signifie pas faire passer le profit avant le client. L’exemple du conseil
d’administration de Bancosol, composé d’autant de nouveaux actionnaires que d’anciens
fondateurs de l’ong Prodem, est dans ce sens donné: ces derniers étant les garants de l’objectif
social devant l’objectif de profit (Gonzalez-Vega, Schreiner, 2001). Une autre garantie est de
faire le choix d’investisseurs socialement concernés. Le débat portée/viabilité est en 2006
toujours d’actualité et l’évaluation des performances d’impact d’un organisme se fait rarement
sans une évaluation coût- bénéfice parallèle. Au Nord, on compare le coût de réinsertion des
chômeurs à travers l’auto emploi à celui de l’octroi de formation pour l’intégration au secteur
salarié (Guérin 2001). Au Sud, on compare les projets de microcrédits aux projets «food for
work» du PAM afin de juger de leur rentabilité respective (Khandker 1998).
L’indépendance financière n’est néanmoins pas le but de tous les organismes non bancaires.
Au Nord comme au Sud, un certain nombre d’entre eux, en avançant le volet social de leur
mission, justifient leurs besoins de subventions à long terme (Pearson 1998). De plus, celles-ci
existent sous de nombreuses formes (incitation fiscale, exemption de taxe, etc..) et toutes ne
17L’enregistrement, généralement possible seulement à partir d’un certain niveau de fonds propres, est parfoiségalement nécessaire pour la récolte de l’épargne.
43
sont pas dénoncées (Hulme et Mosley 1996). Certains organismes privilégient encore le
partenariat avec les banques à la transformation en banque. La section suivante,
«perspectives», rend compte des nombreux moyens à disposition des organismes pour limiter
leur recours aux subventions et tendre éventuellement vers l’indépendance ou la rentabilité,
dans tous les cas vers l’efficience financière. L’efficience que l’on peut interpréter ici comme
la gestion rigoureuse et continue des comptes. Il apparaît de plus que le contexte économique,
démographique et cette fois également légal, influe sur le choix et la portée des moyens de
réduction de la dépendance envers les subventions, et ce au Nord comme au Sud.
2.2.2 Des perspectives: commercialisation et justification des subventions
Le choix des moyens d’assurer la viabilité de son organisme est double: tenter la
commercialisation et/ou justifier les subventions. Des différences et des similitudes Nord-Sud
existent concernant la commercialisation (récolte de l’épargne et approvisionnement en fonds
sur le marché dans un but de croissance et d’autonomie) et concernant la justification des
subventions.
La commercialisation dépend premièrement de la législation qui diffère d’un pays à l’autre. Au
Nord et généralement au Sud, la récolte de l’épargne est premièrement conditionnée à
l’enregistrement en tant qu’institution financière. L’épargne n’est cependant pas une condition
nécessaire à l’indépendance financière. L’organisme Fundusz Mirco en Pologne en est la
preuve, puisqu’il atteint presque l’indépendance sans collecter l’épargne. Concernant l’accès
aux fonds en provenance du marché, le besoin d’enregistrement est également nécessaire au
Nord et au Sud. En France, l’Adie, afin d’augmenter son portefeuille de prêt et donc sa portée,
a néanmoins contourné la loi et contracté des accords avec 25 banques, dont les fonds
représentent le 75% des crédits que l’Adie octroie. En France, les organismes non bancaires
exercent en effet leur activité dans un régime d’exception à la loi bancaire au titre de l’article
11, «l’interdiction relative aux opérations de crédit ne s’applique pas aux organismes sans but lucratif
qui, dans le cadre de leur mission et pour des motifs d’ordre social, accordent sur leur propres
ressources, des prêts à des conditions préférentielles» (Ferreira, Pierret 2000). Il est encore
intéressant de noter qu’en Espagne, l’octroi de crédit lui-même est interdit aux organismes non
bancaires (Evers 2000).
44
Concernant la justification des subventions, il est possible de se référer aux raisonnements de
Morduch (2005) en proposant parallèlement un commentaire Nord-Sud. Celui-ci s’oppose
premièrement au conseil «il faut subventionner l’institution et non le bénéficiaire» si souvent
avancé, et privilégie l’expression «smart subsidies». Il avance en effet que même si l’on
subventionne l’institution en mettant par exemple à sa disposition des locaux, ses coûts vont
être réduits. Elle chargera donc indirectement un taux d’intérêt plus bas. Par le biais du tableau
ci-dessous18, il explique que l’important est plutôt de ne pas modifier le taux d’intérêt en cours
d’exercice:
Afin de partager les bénéfices des subventions plus globalement, il propose encore de les
réserver pour les études d’impact qui sont utiles à d’autres organismes. Il note également
qu’une assistance technique occasionnelle peut encore être subventionnée puisque la survie de
l’organisme n’en dépend pas. Empiriquement, il est en effet difficile de savoir comment les
organismes utilisent leurs subventions. D’une part parce que les moyens de subventionner un
organisme sont nombreux: dons, fonds de garantie, mise à disposition de locaux, exonération
fiscale, mise à disposition de fonds à taux préférentiels, versement parallèle d’allocations
chômage pendant la période de démarrage de l’activité. D’autre part, parce que les organismes
18 p.246
45
eux même ne distinguent pas toujours les coûts du crédit des coûts de transaction, et englobent
souvent le tout sous les coûts opérationnels. Cependant, la volonté de démontrer la rentabilité
financière est de plus en plus une priorité du Nord au Sud. Cette rentabilité prouve l’efficience
de l’organisme.
Morduch identifie encore l’existence d’une approche plus interventionniste en terme de
subvention, également justifiable, et ce dans le but d’atteindre les plus pauvres. Il cite
l’organisme BRAC du Bangladesh qui procède en deux étapes. Premièrement, BRAC prépare
ses futurs bénéficiaires en leur proposant un programme vivre contre travail et en collectant
leur épargne, pour deuxièmement, après deux ans, leur octroyer le premier prêt. Le coût de
prêter un grand nombre de petits prêts étant plus élevé que l’inverse, BRAC, subsidie ainsi une
partie de ses petits prêts, comme illustré sur le graphique ci-dessous19.
BRAC choisi également de fixer le même taux pour tous ses clients, afin de partager les coûts
entre eux. Au Nord, cette approche plus interventionniste concerne un nombre élevé
d’organismes. Ces organismes n’ont en effet pas pour objectif d’atteindre l’autonomie
financière. Ils s’affichent dès le départ comme un organisme à but non lucratif mais social. En
19p.249
46
plus de l’octroi de crédit, il propose des formations aux nouveaux entrepreneurs. Leur mission
est reconnue comme un service social et l’Etat, en plus de leur mettre par exemple à disposition
des fonds à taux préférentiels, incite fiscalement les banques à faire de même. Certains
organismes choisissent à contrario une option minimaliste, l’octroi de crédit seul, afin de ne
pas renoncer à l’indépendance financière. C’est le cas de Fundusz micro et d’Accion
International qui sont d’ailleurs en tête au Nord dans la course à l’indépendance20.
Fundusz cible pour cela uniquement les microentrepreneurs qui ont une activité rentable depuis
trois mois au moins. Accion met à disposition des manuels pour éviter de donner des cours de
formation coûteux.
Les autres facteurs, aux côtés de la justification des subventions et de la commercialisation sont
les suivants. La possibilité premièrement de fixer librement les taux d’intérêts. Si l’on revient à
l’étude d’impact menée par Hulme et Mosley exposée dans la précédente section, et à leur
première conclusion, à savoir que les organismes dont l’assise financière est meilleure
atteignent davantage les plus pauvres, on découvre que l’explication donnée à cette conclusion,
est la possibilité de fixer un taux d’intérêt plus élevé. Au Sud, le régime de fixation des taux est
assez libéral. Au Nord, les pays anglo-saxons font exception en ne fixant pas un taux plafond.
Le deuxième facteur est l’utilisation de bénévoles qui est davantage le fait d’organismes au20 Tableau, p.27, Fondation Evers and Jung,2000
47
Nord. Le troisième est l’existence d’une demande élevée pour l’atteinte d’économie d’échelle.
Au Sud, la transformation de Prodem en Bancosol s’est faite après constatation du fait que
seulement 2 % de la demande potentielle était couverte (Yaron 1996). La demande est par
contre faible au Nord. Ce à moins de cibler par exemple une minorité, tel que l’a fait Accion à
New-York avec la communauté dominicaine. Des différences de rentabilité entre organismes,
liées à la demande inégale, sont également constatées au Sud. Hashemi (1996) en étudiant la
Grameen note des rentabilités différentes entre les succursales selon les régions ciblées.
Morduch (2005) note que le contexte rural africain est plus cher que le bangladais étant donné
la variation de la densité démographique. Au Nord, la solution pour attirer la demande est la
publicité, la collaboration avec les chambres de commerce, et la communication avec les
banques dans le but d’un échange de clientèle.
Cette deuxième partie jette un doute sur l’existence à long terme du microcrédit non bancaire
pour l’auto emploi étant donné la transformation souhaitable en organismes bancaires. Il faut
cependant noté qu’au Bangladesh des milliers d’ong existent aux côtés de la Grameen et des
autres banques des «pauvres». Au Nord, l’avenir des organismes non bancaires va dépendre de
l’évolution de la législation les concernant et donc du choix ou non de conserver des
organismes intermédiaires entre les banques et l’Etat. La frontière entre organismes bancaires
et non bancaires est déjà certes poreuse. Il existe actuellement des banques qui développent des
sous secteurs de microcrédit et des organismes non bancaires qui se créént un bras à but
lucratif. Aux Etats-Unis, la création du CRAM, objet légal, a ensuite, par exemple, contraint
les organismes bancaires à l’octroi de service d’un montant minimum alors qu’aucune offre
minimal en terme de crédit n’existe encore en Europe (Ferreira, Pierret 2000). Finalement, les
organismes non bancaires ont selon certains des avantages au moment de leur transformation
sur les organismes bancaires (Gonzalez-Vega, Schreiner 2000). Les organismes non bancaires
se constituent petit à petit une clientèle et développent des techniques d’intermédiation
financière adaptées avant de se transformer. Bancosol a en effet largement profité des actifs
matériels et immatériels de Prodem, actifs reconnus comme facteurs de son succès(Gonzaler-
vega, Schreiner, 2000).
48
CONCLUSION
Suite à ce travail, je peux tout d’abord tirer les principales conclusions suivantes.
Premièrement, l’arrivée d’organismes non bancaires sur le marché du microcrédit pour l’auto
emploi ne fait qu’alimenter le débat concernant les échecs de marché. D’une part, parce que ce
type d’organisme dépend comme les banques étatiques de subventions, sans lesquelles les taux
d’intérêts doubleraient. D’autre part, parce que cette arrivée provoque des changements sur le
marché, par exemple, la tentation pour l’emprunteur de faillir envers le prêteur ancien
puisqu’un nouveau prêteur répondra à son besoin de crédit. Deuxièmement, le prêt de groupe
est plus rentable que le prêt individuel seulement si de nombreuses conditions sont réunies,
liées au contexte démographique, économique, mais surtout liées au degré de lien social
existant entre les membres du groupe. Troisièmement, la présentation de l’offre est complexe
car même lorsqu’on se limite à l’offre des organismes non bancaires utilisant le prêt de groupe,
il est difficile de la présenter exhaustivement. Concernant la demande, l’exercice semble plus
simple et deux types de demande apparaissent au Nord et au Sud: des auto employés qu’on
aide à survivre et d’autres qu’on essaye de réellement promouvoir sur le marché.
Quatrièmement, le microcrédit est un outil, lorsque subventionné, tout a fait rentable au Nord
et au Sud. Au Nord, son coût ne dépasse pas celui des programmes de réinsertion vers l’emploi
salarié, au Sud, son impact sur le revenu est aussi bon que celui découlant d’un programme de
santé. Cinquièmement, la décision de la transformation en organismes bancaires dépend de la
valeur que l’on accorde respectivement à la profondeur versus la largeur de la portée.
Ensuite, suite à ce travail, je peux répondre aux trois questions qui sont posées dans
l’introduction. A la première question, est-ce que la promotion du microcrédit peut réellement
contribuer à l’atteinte des objectifs du millénaire dont un des buts est la lutte contre la
pauvreté? Je peux répondre par l’affirmative, sous réserve de deux conditions. Les organismes
souhaitant atteindre les plus pauvres doivent les cibler préalablement et doivent encore avoir à
leur disposition des moyens suffisants, car les pauvres ne forment pas la demande la plus
rentable. A la deuxième question: l’impact au Nord, étant donné un contexte de priori moins
favorable au microcrédit pour l’auto emploi qu’au Sud, est-il diminué? Je peux répondre par la
négative, sous réserve de deux remarques. Premièrement, puisque la demande est au Nord
proportionnellement plus faible, l’impact l’est également. Deuxièmement, puisque le prêt de
groupe, reconnu comme un moyen de baisser les coûts, fonctionne moins bien au Nord,
49
d’autres innovations bon marché doivent le compenser, par exemple, l’octroi de formation via
internet. A la troisième question: l’objectif d’atteindre les exclus de la finance au Nord et au
Sud est-il en ce tournant de siècle plus globalement atteint qu’auparavant ? La réponse est plus
controversée. Au tournant du siècle passé au Nord et au milieu du 20ème siècle au Sud, l’essor
des coopératives rurales et urbaines a également permis de desservir une demande auparavant
exclue.
Finalement, au terme de ce travail, je me permets encore quelques considérations plus
personnelles. J’ai choisi le microcrédit pour l’auto emploi comme objet d’étude certainement
par effet de mode. J’ai par contre choisi de proposer une approche Nord-Sud afin de fonder ma
propre opinion sur les sources d’inspiration qui existent du Sud au Nord et du Nord au Sud. La
réalisation de ce travail m’a cependant fait découvrir que les questions d’échecs de marché,
d’intermédiation financière, d’impact et de recherche de la viabilité à long terme, sont
communes au Nord et au Sud. Les théories de l’information, les difficultés liées à la mesure de
l’impact, les arguments concernant la justification des subventions sont en effet valables pour
le Nord et pour le Sud. Certains mettent en garde contre une approche Nord-Sud simpliste du
microcrédit en argumentant qu’au Sud le débat concerne la recherche d’économies d’échelle,
alors qu’au Nord le débat tourne autour du «community banking». Ce travail démontre donc
que le débat est plus large. Dans la perspective d’un approfondissement de ce travail, il serait
d’ailleurs intéressant de cibler l’impact du microcrédit ou la justification des subventions ou
encore le prêt de groupe tout en préservant l’approche Nord-Sud. Cette proposition de
circonscription de l’objet d’étude, permettrait en effet d’utiliser et de comparer davantage les
sources primaires, tels que les rapports des organismes, desquels des données intéressantes
peuvent être extraites. Les rapports de l’organisme Goldrausch à Berlin révèlent par exemple
les difficultés financières qu’il rencontre au fil des années, et ce à mesure que les liens
féministes unissant ses fondatrices, des femmes féministes, s’amenuisent. On peut conclure
que si le lien social ne se construit pas, il ne se maintient pas artificiellement non plus.
50
ANNEXES
Annexe I
Annexe II
51
Annexe III
Annexe IV
52
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