L'écriture : une pratique de différenciation
pédagogique
Sandra Cadiou
Lycée les 3 Provinces-Cholet
Concours d'Accès à l'Enseignement du Second Degré
Formation QP5
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Je remercie les formateurs de l'I.F.E.A.P.. pour leur regard profitable à ce travail.
Je tiens également à remercier, vivement, mon conseiller pédagogique, M. Giraudet, pour les
échanges fructueux, ses conseils, ses relectures, sa disponibilité et son soutien constants - tant pour
ce mémoire que pour l'ensemble des questions qui se sont posées tout au long de l'année.
Je remercie aussi Aurélie Levron, Yvette Coûtant et Lucie Guineberteau qui m'ont apporté
leur aide très précieuse et leur temps, pour la frappe de ce travail.
Mes remerciements vont enfin, bien évidemment, aux élèves qui se sont gentiment adaptés
aux exigences de cette année de formation.
SOMMAIRE
INTRODUCTION P4
QUELLE EST LA PLACE DE L'ECRITURE DANS LE COURSDE FRANÇAIS ? P5
I ) Etat des lieux P5I-a) Qu'est-ce que l'on est censé faire en cours de français ? P5I-b) Ce qui se passe en réalité. P6
II ) De l'importance de remédier à la place négligée de l'écriture(vers un plaidoyer de celle-ci P8II-a) C'est un devoir du cours de français P8Il-b) C'est un objectif qui a une incidence sur l'ensemble des enseignements P10II-c) L'écriture : un apprentissage constant. P12Il-d) Ecrire et penser sont indissociablement liés P13Il-e) L'écriture aide à comprendre. P14Il-f) L' écriture pour garder le plaisir vital à l'apprentissage. P15
III ) Et l'intérêt des élèves ? P19III-a) Cadre de l'enquête P19III-b) Interprétation des résultats. P19III-c) Un sentiment de perplexité P23
QUELQUES PROPOSITIONS POUR REVALORISERLA PRATIQUE D'ECRITURE P 25
I ) L'aide des manuels. P25
II ) Créer une dynamique d'écriture. P25II-a) Un enseignant identifié un peu plus à l'écriture. P27Il-b) Faire écrire les élèves en dehors du cours. p27II-c) A l'enseignant d'écrire. p29Il-d) Ecrire ensemble. P35Il-e) Donner un impact fort à l'écriture p39
III ) Proposer par l'écriture une voie différente pour mieux atteindreles objectifs du référentiel. P40III-a)Ecrire plus tôt dans les grands exercices de rédaction P40III-b) Ecrire pour comprendre . P44III-c) Un intérêt : remotiver certains élèves P53
CONCLUSION P56
INTRODUCTION
L'an passé, une collègue de matière professionnelle vint me voir à propos d'une élève. Elle
m'expliqua que les réponses de son formatif étaient invalidables, tellement elles étaient mal écrites.
Elle m'interrogea - en me plaignant - sur ses travaux en français. Je dus réfléchir un peu avant de lui
répondre, car cette élève avait des résultats moyens, et je n'avais pas une idée exacte de sa manière
d'écrire. Elle ne m'avait pas paru faire partie des élèves en grande difficulté. Par la suite, je relus son
test d'évaluation des pré-acquis fait à la rentrée, qui comprenait un texte à rédiger. Ecrire
correctement n'était pas simple pour elle.
Cet épisode me dérouta énormément. Je réalisai que je n'avais pas une idée précise de la
capacité à rédiger, de mes élèves. Etant enseignante de français, cette ignorance me parut -et me
paraît encore - grave. L'écriture n'est-elle pas une de mes principales charges, dont la connaissance
des compétences des élèves en la matière, est vitale ?
Comment pouvais-je m'expliquer cela ? C'est vrai que cet épisode se situa au premier
trimestre. Je ne connaissais pas encore très bien tous les élèves qui, de plus, sont nombreux. Et les
objectifs visés, au début de l'année, portaient sur la recherche d'informationset la prise de notes. Les
premiers formatifs n'impliquaient pas de rédaction particulière. L'élève pouvait réussir, tout en ayant
des difficultés à écrire. Il faut d'ailleurs s'en réjouir. « Etre bon en français » ne se résume pas à bien
écrire, même s'il est convenu de s'apitoyer sur « l'abaissement déplorable » du niveau des élèves en
français (point de vue que je ne préjuge pas).
Mais toutes ces explications ne suffisaient pas, d'autant que ce n'était pas la première fois
que cette faille m'était apparue. J'ai d'ailleurs déjà essayé de mettre en place des moyens pour
travailler l'écriture.
Il me semble qu'on touche, là, à une vraie carence : l'écriture me paraît être un peu délaissée,
alors que c'est un point essentiel de l'enseignement, et pour la vie de l'individu.
Pour creuser cette piste, il m'a fallu d'abord délimiter la place de l'écriture, attribuée au cours
de français,et réfléchir à la validité des raisons qui me pousseraient à la réhabiliter. Il m'a paru alors
important, aussi, de connaître la position des élèves vis-à-vis de l'écriture. Ensuite, en fonction des
résultats de cette première étape d'investigation, j'ai imaginé deux types de remédiation : d'abord lui
donner une place plus confortable, en créant une dynamique d'écriture, puis l'utiliser comme
alternative pédagogique, à côté des autres moyens habituels, afin d'atteindre les objectifs du
référentiel.
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QUELLE EST LA PLACE DE L'ECRITURE
DANS LE COURS DE FRANÇAIS ?
I ) ETAT DES LIEUX.
I-a) Qu'est-ce que l'on est censé faire en cours de français ?
A la question « Quelles sont selon vous les activités importantes du cours de français ? »,
posée à mes collègues n'enseignant pas la matière, nombreux ont répondu en tête : orthographe,
expression écrite et expression orale. Viennent ensuite la lecture, la compréhension et, plus loin, le
développement du sens critique, la découverte de différents moyens d'expression et la littérature.
La représentation du cours de français, la charge qu'on lui attribue, concernent les bases trop
souvent pointées par les autres enseignants comme plus ou moins acquises. Expressions orale et
écrite leur semblent primordiales à travailler, la deuxième peut-être encore plus, puisqu'ils insistent
sur la notion d'orthographe qui n'apparaît qu'à l'écrit.
Les domaines de la compréhension, du sens critique, cités moins souvent, ne semblent pas
être la prérogative du français, et cela ajuste titre. Car les disciplines comme l'économie, l'histoire-
géographie, la philosophie, les mathématiques, l'éducation physique et sportive etc. exigent
évidemment compréhension et esprit critique et, par là même, les traversent constamment
Parmi les multiples objectifs planant au dessus des modules liés au français, le point de vue
des enseignants des autres modules permet de faire apparaître la poutre maîtresse du module Bl,
mais aussi Gl : la maîtrise de la langue. Sans vouloir attribuer une attitude rétrograde de fermeture
aux autres objectifs de culture, d'ouverture... il me semblait être arrivée à un point où il fallait
restituer l'essence de ces deux modules en regard des objectifs plus « satellites », même s'ils ne
s'opposent pas et, on le verra plus tard, s'interpénètrent.
Il ne faut pas oublier que le français est d'abord une langue. C'est un « système d'expression
et de communication commun à un groupe social », comme le définit Le Petit Robert. Nous devons
nous plier aux règles de notre langue maternelle, règles qui nous sont parfois plus ou moins
étrangères. La connaissance opératoire de notre langue est fondamentale pour y véhiculer du sens,
de la même manière que pour les langues étrangères.
Si on se réfère d'ailleurs au référentiel de B2 du B.T.A. « Connaissance et pratique d'une
langue étrangère », l'objectif 1 porte sur ce point : « communiquer et s'informer grâce à la
connaissance opératoire d'une langue étrangère ».
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Les quatre sous-objectifs rappellent clairement les quatre capacités linguistiques
fondamentales : Objectif 11 : Comprendre un message oral
Objectif 12 : Comprendre un message écrit
Objectif 13 : S'exprimer oralement
Objectif 14 : S'exprimer par écrit.
L'expression « langue maternelle » est trompeusement générale. Si elle vient de nos parents,
elle n'en est pas pour autant « naturelle », il a fallu « l'acquérir », se familiariser avec son «
étrangeté ». Le détour fait par les langues étrangères ajuste pour objectif de rappeler que le français
est aussi un système linguistique qui, pour nous être familier, nous oblige à travailler l'oral et l'écrit,
tant dans l'expression que la compréhension.
I - b) Ce qui se passe en réalité.
Observons les places données à la compréhension et l'expression orale et écrite. Je me base
ici en grande partie sur ma propre pratique.
Le « monologue » du maître d'autrefois est révolu. Aujourd'hui, l'école laisse une meilleure
place à l'expression orale de l'élève. Les différentes méthodes interrogatives, actives.... font une
large place à leur parole. Certes, tous les élèves n'interviennent pas à toutes les séances. Si certains
participent constamment, d'autres sont plus fermés. Cependant ils ont tous la possibilité de le faire.
Le rôle de l'enseignant est de partager l'expression entre tous, en suscitant plus particulièrement les
plus réservés. Questionnement, débat, impressions de lecture d'un texte, exposé... les occasions sont
nombreuses de s'exprimer oralement.
Quant à la compréhension orale, l'écoute des questions, des interventions des pairs (et de
l'enseignant) pendant un débat ou un exposé, d'une lecture ou des exercices basés sur des documents
sonores sont autant de moyens de s'y exercer, même si on y met, semble-t-il, moins l'accent.
Ainsi la compréhension orale et, peut-être, plus l'expression orale trouvent
systématiquement leur place dans une séance de français. Au moins à chaque fois, les élèves ont
quelque chose à entendre et comprendre et peuvent s'exprimer oralement.
La compréhension écrite passe par la lecture. Au moins une fois par an, les élèves doivent
lire intégralement une œuvre. A chaque séance, ils ont quelque chose à lire : un texte au mieux, au
moins un exercice. La lecture, si elle est à haute voix par quelques élèves de la classe, est au moins
faite silencieusement par tous. Après l'étape du déchiffrage (même si on ne peut pas lire
correctement sans déjà comprendre un peu), vient celle de la compréhension du texte écrit. La part
laissée à l'analyse est très grande. Du commentaire littéraire au simple décodage de la consigne d'un
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exercice, on n'a de cesse de comprendre des messages écrits à chaque séance de français.
Jusque là, le bilan de la pratique effective des trois capacités fondamentales est plutôt positif.
Les séances de français offrent des situations amenant les élèves à s'exprimer et comprendre à l'oral
et encore peut-être plus à comprendre l'écrit, ce qui n'est tout à fait le cas de l'expression écrite.
Quand on pense à la classe de français, une des premières choses qui vient à l'esprit, on l'a
vu, est l'écriture. En français, on apprend à écrire : écrire sans fautes, écrire pour répondre à une
question, écrire pour analyser, écrire un rapport de stage. Or, lorsqu'on regarde le classeur de
français d'un élève, qu'est-ce qu'il a rédigé au bout du compte ? Pour répondre à cette question, je
suis partie surtout de l'observation des classeurs des anciens élèves de B.E.P.A. etB.T.A..
Leur classeur contient des textes photocopiés depuis que les manuels ne sont plus utilisés de
façon constante. Il contient aussi des notions, des analyses de textes avec des éléments de réponses
pris en notes. Là. il n'y a pas de rédaction personnelle. Ce sont des notes dictées par l'enseignant ou
prises par l'élève selon son âge et sa maturité.
Le classeur comprend des exercices où l'élève doit trouver des définitions. Il doit relever des
pronoms, des verbes... dans le cadre de la lecture méthodique qu'il peut faire en cours. Quant aux
exercices de manipulation de la langue, la rédaction refait surface , mais sans contexte et de façon
mécanique. Cela concerne moins les classes de Lycée que de Collège ,car la connaissance de la
langue est considérée comme acquise. De plus, cette pratique ne demande pas de créativité, ni de
maîtrise de l'expression, exigées dans une réelle rédaction. On lui demande parfois de rédiger la
thèse d'un texte, d'exprimer une hypothèse et alors s'amorce une petite rédaction . L'élève rédige une
ou deux phrases avec ses propres mots, sans l'aide de personne. Mais sa brièveté ne pose pas
beaucoup de difficultés. Jusque là, on est loin de la notion de rédaction , d'écriture.
Les seuls réels moments où l'élève rédige en Bl (et en Gl de façon semblable) sont ceux des
formatifs et des certificatifs. Là, il doit lire méthodiquement, disserter, résumer, synthétiser, établir
une fiche de lecture... à l'oral ou à l'écrit selon que les exercices s'y prêtent. A l'écrit, il devra réaliser
ces exercices sous la forme d'une rédaction. .La pratique de la langue devient alors essentielle.. En
tablant sur un nombre de neuf à douze formatifs par an, on peut conclure que l'élève ne rédige pas
régulièrement, ni beaucoup. De plus, attendre l'évaluation pour écrire est dangereux, car tardif.
Ainsi, parmi les quatre domaines expression et communication orale et écrite, la rédaction
est celle que l'élève pratique le moins. Entre le souci de respecter le référentiel et le constat du
manque de rédaction de l'élève, il me semble important de savoir pourquoi on en est arrivé là.
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II ) DE L' IMPORTANCE DE REMEDIER A LA PLACE NEGLIGEE DE L'ECRITURE ( VERS UN PLAIDOYER DE CELLE-CI).
Pour répondre à cette question moins simple qu'elle n'y paraît, la lecture des référentiels doit
trancher
II - a) C'est un devoir du cours de français.
Que dit le référentiel de B.T.A. ? Intitulé « Connaissance et pratique de la langue française,
des littératures et des moyens d'expression ». il a pour objectif général: « savoir s'exprimer,
communiquer, approfondir sa culture littéraire et artistique, scientifique et technique. Affiner son
sens critique ». Parmi Ses cinq objectifs, les deux derniers s'intéressent à « d'autres modes
d'expression » que littéraires (cinéma, danse, théâtre...) et le troisième à l'environnement historique
et social des productions littéraires. Par contre , les deux premiers sont liés directement à l'écriture :
objectif 1 : « utiliser correctement et efficacement la langue française »;
objectif 2 : « analyser des textes et produire des messages écrits »
L'écriture a évidemment sa place , les contenus proposent des «traduction », « exercice de
réécriture », « technique de la contraction : résumé et analyse », « dossier »; « compte-rendu », «
lettre », « rapport » , « réduction, extension de textes », « exercices structuraux », «articles», «
pamphlets », « parodie », « adaptation littéraire et théâtrale ...».
Puisque les élèves de B.T.A. viennent souvent de B.E.P.A. et puisque j'y enseigne aussi et ne
souhaite pas limiter ce travail aux seuls B.T.A., je vais aussi prendre en compte le référentiel des
B.E.P.A.
Le module Gl d'« expression, communication et pratique de la langue française » a pour
objectif général de « pouvoir s'exprimer et communiquer, développer sa culture et son sens critique
par la pratique de la langue française et de différents moyens d'expression ».I1 se divise en trois
sous-objectifs. Le premier concerne l'information, la documentation , la culture. Le deuxième
objectif s'intéresse à l'expression , la communication et le sens critique où est conseillée la pratique
des « différentes modalités de la restitution », de « la narration , de la description et de
l'argumentation ». Le troisième objectif vise l'acquisition d'une pratique correcte de la langue
française, en insistant sur la lecture et l'élocution , le vocabulaire , l'orthographe, la grammaire et
l'étude des langages non verbaux.
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Pour conclure, les référentiels de B.E.P.A. et B.T.A. font bien évidemment entrer l'écriture
dans leurs objectifs, activités et contenus: celles des « auteurs » comme celle des élèves. Selon les
niveaux d'exigence des diplômes, on insiste tantôt sur la correction de la langue, tantôt sur l'analyse.
Ces référentiels, même s'ils ne délaissent pas l'écriture comme activité pédagogique, n'en font pas
leur unique obsession. Et heureusement, les référentiels ont d'autres objectifs . Cependant, je
m'étonne que le mot « écriture » apparaisse si peu souvent. Seul le référentiel de B.T.A. l'utilise,
dans la formulation de l'objectif 2 « produire des messages écrits». Est-ce à croire que l'écriture est
considérée comme acquise et qu'il n'est pas besoin d'y revenir, ou bien vise-t-on à améliorer les
compétences des élèves en écriture, en passant par d'autres chemins? Car faut-il multiplier les
exercices d'écriture pour écrire mieux, correctement ? Certes, d'aucuns pourraient avancer qu'avant
de rédiger, il faut savoir quoi dire, que la préparation du travail final consiste en une recherche
minutieuse et longue du contenu, puis en une organisation de celui-ci qui relèguent l'étape de
rédaction à la fin.
Il est vrai que rédiger un travail d'analyse suppose que l'élève apprenne d'abord à analyser.
Prenons l'exemple de la lecture méthodique. Avant toute rédaction, l'élève doit s'entraîner à relever
dans les textes, les outils qui vérifieront son hypothèse. A l'occasion de sa lecture méthodique d'un
texte argumentatif , il aura pris conscience de l'importance de repérer le plan du texte, par exemple.
Dans le cadre d'un groupement de textes ,il aura.alors, eu l'occasion de souligner les idées
essentielles, de repérer les exemples, d'entourer les connecteurs logiques...Cette prise de conscience
et ces entraînements prennent du temps , si on garde à l'esprit qu'une lecture méthodique d'un texte
argumentatif- pour conserver notre exemple - ne se limite pas à l'analyse du plan. D'autres outils
sont fondamentaux. Il devra avoir aussi le temps d'apprendre à repérer le système énonciatif, les
champs lexicaux, etc.. Ainsi, la classe de français consacre une grande partie de son temps à
atteindre la capacité à relever les caractéristiques du texte argumentatif et non à rédiger une lecture
méthodique (dans un commentaire composé ou non).
On pourrait appliquer la même analyse à la discussion ou dissertation. L'élève passe du
temps à chercher des éléments pour nourrir sa réflexion, puis les organiser. On lui conseille
d'ailleurs souvent de rédiger directement sur sa copie, une fois le plan détaillé terminé (hormis
l'introduction et la conclusion rédigées). L'apprentissage de la synthèse se fait dans les mêmes
conditions. Lorsqu'il rend compte ou bien établit une fiche de lecture, il passe beaucoup de temps à
apprendre à collecter les informations, construire un plan avant de rédiger.
Il est vrai que certains exercices demandent davantage de souci de rédaction , comme le
résumé, puisqu'une de ses caractéristiques est la reformulation. De même l'objectif 29 du référentiel
de BTA conseille d'affirmer son esprit critique à partir de pamphlets, de parodies. On peut en
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analyser et en produire. Là encore, le travail de rédaction est plus important. De même encore,
l'objectif 5 engage à réécrire et transposer, notamment créer des adaptations littéraires, théâtrales.
On ne peut donc pas nier qu'il existe des travaux de production écrite où la rédaction est au devant
de la scène. Mais, ceux-ci ne sont pas majoritaires, semble-t-il. Mon expérience de conduite du
module Bl m'a fait remarquer que les élèves et moi passions bien plus de temps dans l'entraînement
à l'analyse qu'à la rédaction finale.
Dans cet état des faits, un curieux déséquilibre me frappe. D'un côté, la classe de français
appelle à la rédaction, cela sonne comme une évidence, mais, d'un autre, on ne cesse de travailler en
amont : faire des relevés, rechercher des informations, construire un plan... Il ne s'agit pas pour moi,
bien évidemment, de rejeter cet apprentissage précédent. Refuser de reconnaître la grande utilité de
celui-ci serait sot et l'on se poserait en porte-à-faux avec le référentiel. Il demande de lire et
d'analyser des textes, d'étudier des productions littéraires en les situant dans leur environnement
historique et social, d'approcher d'autres modes d'expression et d'en pratiquer un. Et l'on ne doit pas
non plus négliger l'expression orale. Enfin, jamais un élève ne pourra mener à bien une discussion
ou une lecture méthodique, s'il n'en a pas acquis les éléments nécessaires. Mais, trop souvent, la
rédaction est reléguée à l'étape finale, car on considère que l'élève a acquis une maîtrise suffisante
de la langue pour se débrouiller seul, dans la mise en forme finale d'un travail.
Peut-être faut-il chercher une réponse à mon étonnement et à mon insatisfaction dans un
respect trop scolaire ( !) et littéral des objectifs. Peut-être alors, le nez collé sur le référentiel, n'ai-je
pas su profiter de la marge qu'il m'accorde. En nous restreignant peu dans les activités, il nous
donne aussi peu de directives en la matière. C'est le prix de la liberté. Peut-être enfin, est-ce le
moment de prendre du recul pour mieux digérer et pratique et objectifs, et ainsi résoudre des
obstacles qui sont essentiellement créés par moi.
II - b) C'est un objectif qui a une incidence sur l'ensemble des
enseignements.
Donner une place plus large à l'écriture paraît essentiel, tout d'abord parce que c'est un
objectif primordial du « cours » de français. J'emploie volontairement ici le mot inexact de cours,
car, pour le B.T.A., il s'agit du module Bl certes, mais ce terme est plus général. En réalité, cet
objectif « écrire » est valable à tous les enseignements du français, quelles que soient les formations
envisagées.
De plus, écrire est une activité du cours de français et pas seulement une activité dans le
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cours de français. Cela suppose que l'élève écrive pendant les séances de Bl, mais aussi en dehors
de celles-ci. Cela rappelle aussi que l'élève écrit pendant et en dehors des autres modules. Par
exemple, le module B5 oblige l'élève à rédiger une analyse philosophique, historique et
géographique. Nous reviendrons sur ces points, lorsque nous envisagerons les moyens à mettre en
place pour encourager et travailler la rédaction.
Pourquoi écrit-on ? A quoi sert l'écriture ? Il serait bon de réfléchir à cela pour saisir ce qu'on
attend de l'enseignement du français. On entend souvent des remarques comme celles-ci : « ils ne
savent pas écrire », « je sentais bien que tu avais compris, mais ta réponse était trop confuse ». Ces
réflexions ne sont d'ailleurs pas toujours celles d'enseignants de français. Elles émanent aussi des
autres professeurs, qui viennent lui confier parfois que ce sont les difficultés d'expression des élèves
qui empêchent de valider une réponse. On sent, là, que l'enseignement du français est primordial, vu
que les enjeux sont multiples. Si un élève maîtrise très mal sa langue, il rencontrera vite des
difficultés dans d'autres disciplines. Comment rédigera-t-il le commentaire de document en
économie ? Comment formulera-t-il les différentes étapes de sa pensée en philosophie ? Cela est
tout aussi valable pour le français, comment rédigera-t-il un commentaire littéraire ? On pourrait
multiplier les exemples pointant le doigt sur le fait que maîtriser l'écriture est le pré-requis de toutes
les disciplines, tout spécialement au Lycée où émerge de façon prépondérante l'analyse.
Qu'attend alors, des élèves, l'ensemble des enseignants, pour atteindre ses propres objectifs ?
Ils ont besoin que la classe ait acquis la maîtrise de la langue, c'est-à-dire qu'ils puissent lire et
comprendre un document bien sûr. En ce qui concerne l'écriture, ils ont besoin que ceux-ci puissent
verbaliser leur réflexion. Les élèves doivent être capables de trouver les mots, les phrases qui
traduisent leurs pensées. Si l'on veut répondre à nos deux questions initiales, on peut affirmer que
l'écriture sert à donner du sens, avec des mots.
Certes, certains rétorqueront qu'au Lycée, les élèves sont censés savoir écrire, on peut même
dater la maîtrise de l'écriture bien plus tôt que cela.
N'oublions pas que l'écriture n'est pas toujours facile pour un lycéen et cela est encore plus
vrai dans les Lycées professionnels et techniques. Les cas d'élèves en difficulté en français sont
légion. Sans doute ne pouvons-nous pas négliger les objectifs propres à notre module pour «
combler» leurs lacunes. Mais ignorer cet état de fait me paraît insensé. Au contraire, cela conforte
plus que jamais l'idée qu'il nous faut insister sur l'écriture.
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II - c) L'écriture : un apprentissage constant.
Par ailleurs, on n'acquiert pas la maîtrise du français une fois pour toutes. On ne peut pas
imaginer que l'on va régler son compte avec la langue française au primaire et au collège et qu'on
passera à toute autre chose au Lycée. Écrire est un entraînement, cela s'oublie. L'éclairage de la
formation continue est pour cela édifiant.
Je suis intervenue en tant que formatrice en français dans des stages de remise à niveau V.
Le public se composait de chômeurs qui avaient arrêté leur scolarité en 4ème ou 3ème, pour
certains depuis quinze ou vingt ans. Leur rapport à l'écriture évoluait durant le stage. Au début, ils
avaient du mal à trouver leurs mots et s'en étonnaient. En effet, leur manque d'aisance à écrire
contredisait leur image d'eux-mêmes. Ils se savaient avoir été « bons en rédaction, toujours plein
d'imagination ». Pendant de nombreuses années, ils n'ont plus eu l'occasion de prendre le stylo pour
écrire un texte. Les lettres sont remplacées aujourd'hui par les coups de fil. La correspondance se
limite à apposer une date et une signature au bas des factures. On prend un bout de papier pour
noter la liste des courses à faire ou mettre un mot à l'aîné pour lui rappeler de donner à manger au
chat. Pendant ce temps, « la main se rouille ».
C'est une étape déstabilisante que de savoir qu'on n'arrive plus à écrire comme avant.
Cependant, à la reprise régulière du crayon et de la feuille, une fluidité s'installe. Ecrire n'est
pas une capacité acquise à jamais, elle se travaille régulièrement. Il faudra donc conjuguer
rédaction et répétitivité.
Non seulement l'entraînement à l'écriture doit être constant, mais aussi son apprentissage,
son apprivoisement. La maîtrise de la langue n'est jamais une compétence acquise définitivement,
car il faut s 'entraîner à écrire régulièrement - comme on l'a dit. Mais cette idée sous-entend plus que
cela : la maîtrise du français n'est jamais une compétence acquise définitivement, parce qu'il y a
toujours quelque chose à apprendre. Je ne pense pas ici aux lacunes des élèves. C'est valable pour
tout élève qui est à l'aise avec les mots, qui peut verbaliser sans difficulté. Je pense plutôt aux
difficultés d'écriture intrinsèques à certains exercices.
Prenons l'exemple de la synthèse, exercice incontournable du B.T.A., puisqu'il est présent
dans l'épreuve terminale n°l. Être capable de noter l'essentiel des documents dans un tableau en
colonnes, de confronter leurs vues, et d'organiser ces remarques dans un plan détaillé, ne suffit pas
pour produire une note de synthèse convenable. Évidemment, l'élève pourra sans doute produire un
texte satisfaisant dans son contenu. Mais qu'en est-il de la forme ? Le style est souvent lourd et
répétitif : « Dans le premier document, X dit que..., dans le second document, Y dit que... ». Les
élèves en prennent conscience. Introduire les références de façon élégante suppose d'utiliser des
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tournures variées. Un élève moyen - au sens de commun, sans difficulté particulière - trouvera une
ou deux autres manières d'introduire ces documents, une fois qu'il aura pris conscience de la
difficulté. Mais, très vite, il se trouvera démuni, d'autant plus que la rédaction de l'introduction aura
probablement déjà épuisé les formules qu'il possédait. Seul un entraînement à la rédaction du
paragraphe de confrontation de la synthèse lui permettra de s'en rendre compte et d'imaginer - avec
l'enseignant - des moyens de contourner ces difficultés.
La synthèse n'est pas le seul exercice qui pose des difficultés d'écriture. Pour s'en assurer,
penchons-nous sur l'autre partie de l'épreuve terminale n°l du BTA : l'essai. L'écriture du texte
argumentatif ne va pas sans difficulté. Dans les salles de correction de cet examen, assiste-t-on
souvent à des scènes où les correcteurs oralisent leurs remarques agacées pendant la lecture d'un
paragraphe : « qu'est-ce qu'il veut prouver ? ». L'élève a oublié d'annoncer, dès le début du
paragraphe, l'idée qu'il souhaite argumenter. Parfois encore, il semble se contredire dans sa
deuxième idée générale. L'antithèse soutient les idées exactement opposées à celles qui viennent
d'être démontrées. Car l'élève a négligé la transition et peu nuancé ses termes. D'un même plan
détaillé, on peut rédiger des textes argumentatifs de qualité très différente.
Pour en terminer avec l'analyse des exercices rédigés, il semble essentiel de garder à l'esprit
que chacun d'entre eux sécrète ses propres difficultés d'écriture qu'un élève moyen, seul, ne
surmontera pas d'emblée. Il est nécessaire de l'y sensibiliser et de l'aider à les résoudre.
II -d) Ecrire et penser sont indissociablement liés.
Paradoxalement, l'écriture facilite la compréhension, et cela à deux niveaux. Tout d'abord,
écrire oblige à exprimer avec précision une pensée plus ou moins floue. Elle permet aussi
d'appréhender des notions littéraires.
Ecrire, c'est figurer sur une feuille sa pensée de façon irrévocable. L'oral est le règne de la
tentative, de la remédiation, de l'oubli aussi, tandis que l'écriture laisse une trace que l'on doit
pouvoir assumer plus tard. Les idées contenues relèvent de la seule responsabilité du locuteur-
écrivain. Ainsi le choix des mots prend toute son importance, car l'auteur ne sera pas forcément là
pour justifier son propos, lever une ambiguïté. C'est sans doute ici que l'on peut trouver une
explication à la peur que provoque l'écrit. Car il est la preuve irréfutable de notre perspicacité,
justesse ou bien inadéquation, voire pire. De part sa pérennité, le document écrit instaure donc un
rapport particulier avec son auteur et l'oblige à clarifier sans cesse son propos.
Le rapport entre l'écriture et la compréhension est même parfois paradoxal. A priori, la
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compréhension précède l'écriture. J'ai une idée, puis je la rédige. La dichotomie entre la pensée et
les mots est fort discutable. Il ne s'agit pas ici de traiter une question de philosophie. Mais, se
souvenir que la réflexion et le langage sont indissociables, est d'un poids important pour la pratique
pédagogique.
L'expérience fréquente des élèves face à la rédaction d'un plan détaillé est éclairante. Ils
réalisent qu'ils ont oublié certains pans du sujet dans leur travail au moment où ils rédigent les notes
de leur plan. L'étape de la rédaction est un moment de recul pour l'élève vis-à-vis de sa réflexion
personnelle. Il peut mieux s'auto-évaluer.
La postériorité de la mise en phrases ne suffit pas à expliquer leur lucidité. Le fait même
d'écrire oblige à choisir. Or choisir, c'est dire non aux mots voisins, aux tournures équivalentes. En
laissant de côté certaines pistes, on prend alors conscience des horizons 10
inabordés. Si la réflexion amène à l'écriture, on peut dire aussi que l'écriture amène à la réflexion.
H-e) - L'écriture aide à comprendre.
On peut soutenir d'une toute autre manière que l'écriture conduit à la compréhension, surtout
si Ton considère l'enseignement du français. Pour comprendre ce qui constitue l'essence de la
description, vaut-il mieux amener l'élève à dégager les composantes de ce type de texte par
l'analyse, ou vaut-il mieux qu'il compose une description ?
Il est vrai que le référentiel du Bl de B.T.A. n'encourage pas explicitement la production de
textes non analytiques. Mais on peut se demander si l'analyse va « parler » plus efficacement aux
élèves. Une attitude d'analyse suppose que l'on va traverser le texte de l'écrivain avec le filet des
repères mentaux qui retient au passage ce qui constitue l'essence du texte descriptif. Cela sous-
entend que l'élève a déjà plus ou moins bien intériorisé un modèle abstrait de description.
Il est cependant nécessaire de nuancer ce propos. L'attitude inductive, de mise dans
l'enseignement du français, réfute l'idée que l'élève a déjà intériorisé la typologie avant l'analyse
des"textes. Au contraire, c'est dans un constant va-et-vient entre l'exemple des textes et la théorie
que celui-ci connaît et reconnaît les types de textes. Il observe, prend conscience et alors se
construit son savoir. Le nombre et la répétition des exemples des textes aidant, son savoir s'accroît.
On ne peut donc dire que l'analyse des textes soit une attitude purement intellectuelle, abstraite,
dans sa démarche. Pourtant elle l'est dans son résultat : elle apparaît comme un méta-discours qui
conceptualise les formes du texte.
Le public du Lycée, professionnel et technique, n'est pas celui qui est le plus à l'aise avec ce
14
discours abstrait pour plusieurs raisons.
Tout d'abord, c'est un public qui n'a pas toujours connu la réussite dans sa scolarité et qui a
été orienté parfois là, parce que le conseil des professeurs, les parents, estimaient qu'il ne réussirait
pas au Lycée général. Les élèves eux-mêmes - et d'eux-mêmes - le pensent. Derrière, sourd le
préjugé selon lequel conceptualiser est plus difficile que réaliser : les intellectuels sont « meilleurs »
que les manuels.
De plus, du Collège au Lycée, qu'il soit professionnel, technique ou général, l'élève doit
franchir un grand fossé. En français, on lui assène quotidiennement le maître-mot «analyser». C'en
est fini d'imaginer. Les rédactions d'imagination sont abandonnées, dans lesquelles l'élève pouvait
se projeter. Les exercices où l'élève a sa place, c'est-à-dire ceux qui favorisent la subjectivité, se
centrent sur lui, n'ont plus cours. C'est sur le texte d'autrui, d'un « grand écrivain » qu'on lui
demande maintenant de se centrer pour observer ses pratiques d'écriture. Certes, l'élève est toujours
subjectif dans son analyse. On sait bien la polysémie des textes et la multiplicité des entrées. Mais
le regard de l'analyse requiert rigueur et objectivité.
Dans ce même mouvement, une hiérarchie s'impose, avec l'appréciation plus systématisée de
la littérature. C'est l'apparition des « littérateurs », que l'on oppose aux auteurs de paralittérature que
fréquentent nos élèves. Leur statut d'artiste les éloigne aussi des élèves qui écrivent. Le discours des
professeurs de seconde du Lycée a des incidences. Les élèves en viennent à considérer leurs
rédactions d'imagination seulement comme des amusements des petites classes, dont la qualité «
littéraire » est sans grand intérêt. Ce ne sont pas les préjugés des professeurs qui influencent les
élèves. C'est plutôt dans cette rupture si vive entre le collège et le lycée qu'il faut chercher une
explication.
Il faut nuancer cet état de fait. La rupture est sans doute plus douce en Lycée professionnel
et apparaît plus nettement en Lycée technique et surtout général. De plus, l'analyse des textes
littéraires est source de joie et de fierté : de joie, car l'élève accède au(x) sens et à la beauté des
textes; de fierté, car il accède au savoir et à la culture. Cela le valorise que d'avoir de telles activités.
Notre public de B.T.A. qui doit être capable de reconnaître des notions littéraires (types,
genres, figures de style...) va-t-il les assimiler facilement en se limitant à l'analyse? Ne pourrait-on
pas encourager l'écriture des textes avec ces notions-là ?
Ecrire une description oblige l'élève à manipuler ses caractéristiques. Il va utiliser des verbes
d'état. Les compléments du nom, adjectifs et subordonnées relatives vont être nombreux. Des
champs lexicaux vont apparaître... L'élève les aura utilisés pour que sa description fonctionne. A
leurs yeux, ils deviennent utiles à la cohérence interne du texte. Tout cela prend sens.
L'autre avantage de l'écriture, c'est que cela permet aux élèves qui ont de grandes difficultés,
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d'éviter à nouveau des échecs cuisants. D'abord, un élève qui a du mal à analyser peut très bien
écrire des descriptions réussies (et vice versa). Ensuite, un élève qui éprouve de grandes difficultés
avec la lecture méthodique par exemple, peut très bien « bloquer » complètement. Sa feuille reste
blanche durant l'exercice. On m'objectera facilement qu'écrire une description peut laisser pantois,
car l'inspiration ne vient pas. Mais on a pour départ un texte et l'énoncé de l'exercice. Chacun sait,
sans entrer dans les détails formels, ce qu'est une description. On a tous l'occasion de décrire un
individu, une ville, à l'oral. L'élève reproduit cela à l'écrit. Il le fait « instinctivement », en tout cas
sans réfléchir à tous les éléments enjeu dans son texte, parce qu'il a déjà des connaissances sur ce
type de textes. Mais il est aussi entraîné, voire commandé ensuite par la logique interne du texte.
H-f) Ecrire pour garder le plaisir vital à l'apprentissage.
Enfin, s'il fallait citer une seule raison d'écrire, je souhaiterais avancer celle-ci : le plaisir.
Certes, c'est bien utopiste, dans le cadre de l'école où les enseignants qui ont une autorité, obligent
les élèves à le faire. Ils ont même des moyens persuasifs d'y parvenir. La sanction des notes fait que
l'élève va rendre un travail rédigé. Le plaisir fait place au devoir d'écrire. Une telle situation peut
empêcher, voire détruire le bonheur d'écrire.
Pourtant, il faut que l'enseignement crée des situations où l'écriture soit une activité
appréciée, en dehors peut-être des « notes ». Car écrire est - on l'a vu - fondamental en cours de
français, mais aussi dans tous les autres. Si l'élève n'en tire pas un minimum de satisfaction
personnelle, si l'acte de dire avec des mots est synonyme d'ennui, de difficultés de souffrance, alors
le château de cartes s'effondre. Il s'agit d'avoir une vue large, générale, et pas seulement de travailler
sur le particulier, sans quoi on risque de bloquer l'élève.
Lors de mes premières années d'enseignement, je travaillais dans un centre de formation
d'apprentissage par alternance. J'intervenais dans des classes de C.A.P. et B.E.P. du Bâtiment
(menuiserie, maçonnerie, peinture, chauffage). Ces élèves rencontraient de graves difficultés à
l'écrit et à l'oral, ainsi que de comportement. Travailler une règle de grammaire de façon répétée
était tout bonnement voué à l'échec. Non seulement la répétition de la règle de l'accent sur le A ne
les aidait pas..mais en plus entendre toujours les mêmes choses les agaçait. La rupture avec le
français et l'école continuait à s'accentuer. Ces élèves avaient fourni trop de temps et d'efforts sans
en retirer aucun fruit. Il fallait recréer des situations où ils retireraient davantage de plaisir.
Je lisais régulièrement en cours des textes : c'est, là. une des rares activités qu'ils aimaient
vraiment et où ils étaient silencieux. Après la lecture, les élèves avaient l'habitude de donner leurs
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impressions. C'est pourquoi nous avons entamé l'écriture collective d'une étude d'une nouvelle de
Maupassant, « La Parure ». Le travail a été divisé par groupes de trois ou quatre, chacun a dû en
rédiger une partie. Nous avons regroupé le tout dans un dossier dont chaque élève a reçu un
exemplaire. Cette activité, à mon étonnement, ne les a pas lassés, ils s'y sont investis. Il semble que
l'écriture a eu pour moteur l'envie de transcrire le plaisir de la lecture et des observations qu'ils en
avaient faites.
Travailler à court terme ne suffit donc pas et risque de dessécher la motivation de l'élève.
L'être humain régit ses actes en fonction du plaisir qu'il y trouve, ainsi laisser un espace de plaisir
dans l'écriture aux élèves est primordial. Il faut ménager les exigences d'un référentiel au
fonctionnement de l'élève.
A ce point de la réflexion, il me semble qu'il faudrait redéfinir la place de l'écriture dans
l'enseignement du français. Il ne s'agit pas d'amputer l'analyse, la méthode... pour les remplacer par
des temps d'écriture. Il ne s'agit pas non plus seulement de dire aux élèves : « écrivez ! ». Il va
falloir trouver des activités dans lesquelles l'écriture interviendra et de façon précise.
Il se profile une hiérarchie que je faisais s'en doute mal avant : celle que l'on fait entre les
compétences et les formes qu'elles prennent concrètement.
Chaque travail fait en cours devra être vu au regard du résultat attendu, à l'aune de celui-ci.
Par exemple, si l'élève est amené à expliquer la définition d'une expression, la préparation
pédagogique devra tenir compte de la forme finale, ici i expression écrite, et préparer l'élève à
l'utilisation des guillemets, à la rédaction de la phrase d'introduction, à la composition en deux,
voire trois parties de l'explication.
L'objectif est de garder liés et ce que l'on veut signifier et la manière de les signifier. Pour
plagier et dénaturer l'idée de Ferdinand de Saussure, il faut faire en sorte de travailler et le signifiant
(ce que l'élève a à expliquer, commenter, discuter....) et le signifié (ici la langue française) dans un
constant va-et-vient, car ils sont les deux côtés indissociables d'une même pièce.
L'écriture, puisque c'est notre sujet, ne doit pas être pratiquée de façon isolée, sans lien avec le
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référentiel ; mais chaque activité de la progression pédagogique - lorsqu'elle a une finalité écrite -
doit à un (des) moment(s) donné(s) traverser le prisme de l'écriture de façon accompagnée, c'est-à-
dire pensée en termes didactiques.
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III) ET L'INTERET DES ELEVES ?
III-a) Cadre de l'enquête.
Sachant que le choix de ce sujet impliquait que j'allais mettre parfois l'accent sur l'écriture, il
m'a paru intéressant de connaître la position de mes élèves vis-à-vis d'elle. Sachant aussi que
l'écriture - du fait qu'elle laisse des traces - n'est pas une activité innocente, je pouvais être
confrontée à des difficultés de la part de certains d'entre eux. La nécessité de savoir « quels
écrivains » ils étaient, m'a menée à effectuer une enquête sur les pratiques et les goûts, en matière
d'écriture, de tous mes élèves : B.T.A. et B.E.P.A.
Ces derniers, même s'ils ne font pas partie du cycle long, n'en sont pas moins dignes
d'intérêt, ne serait-ce que parce qu'ils seront, pour beaucoup d'entre eux, de futurs B.T.A ; et enfin
surtout parce que ce travail modifie mes pratiques pédagogique sans cloisonner les niveaux. C'est
pourquoi je citerai plus tard des exemples de situations d'apprentissage, indifféremment en B.E.P.A.
et B.T.A. Enfin cette enquête implique quasiment tous les élèves des 3 PROVINCES. C'est un petit
Lycée où nous ne sommes que deux enseignants de français. Seules deux classes de terminales
B.E.P.A., dans lesquelles je n'enseigne pas, n'ont pas été interrogées. Les chiffres concernant les
B.T.A. comprennent donc tous les B.T.A. du Lycée. Les pages qui suivent présentent le
questionnaire que les élèves ont reçu entre la Toussaint et Noël, et un tableau en pourcentage des
résultats obtenus.
La présentation des résultats du sondage ne suit pas l'ordre des questions de l'enquête, car j'ai
voulu qu'ils observent d'abord leurs pratiques, avant qu'ils ne s'expriment sur leurs goûts. De plus,
j'ai placé la question concernant le journal intime, plutôt dans la deuxième partie de l'enquête, pour
ne pas aborder, de front, un point personnel. Enfin, j'ai donné quelques exemples d'activités faites
ensemble, pour la question neuf, à propos des trois types d'écrits : imagination, réflexion, et analyse
des textes pour que les élèves réalisent à quoi ces trois mots renvoient.
III-b) Interprétation des résultats.
De façon générale, on peut dégager des résultats, deux constats : les élèves écrivent et
aiment écrire. Des chiffres sont même étonnants : 95,24 % des premières B.T.A. ont régulièrement
rédigé des lettres dans le passé, 54,76 % d'entre eux ont tenu un journal intime. L'importance des
résultats de l'enquête m'a laissé étonnée et perplexe. Et pour entreprendre l'analyse de ceux-ci, je ne
vais pas ignorer ma surprise pour la reléguer à la fin, mais la confronter tout de suite à ces résultats
19
afin d'en dégager des causes possibles.
A la question 10, « Aimez-vous écrire ? », les élèves répondent majoritairement oui à 59,06
%, sauf les terminales B.E.P.A. à 48 %. Les positions extrêmes, «j'adore», «je déteste », sont les
moins représentées : en troisième position, 20 élèves sur les 146 interrogés adorent et 5 seulement
détestent. Les deux classes de première B.T.A. se positionnent différemment. Le choix «j'adore »
arrive en deuxième position et aucun sur 42 ne déteste.
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21
Parmi les types d'écrit préférés, les ordres imagination/analyse/réflexion et
imagination/réflexion/analyse arrivent en tête avec 36,96 % et 28,36 % des réponses. L'imagination
semble être le type d'écrit le plus apprécié. Il vient moins rarement que les autres en dernière
position.
Quant aux courriers, j'avais distingué les courriers administratifs des autres. Car certains de
nos élèves sont issus de familles étrangères dont les parents écrivent ou comprennent parfois mal ou
pas du tout le français. Ils ont alors la charge de l'écrit. C'est ce type d'habitude que je souhaitais
recenser. Je suppose, au vu des résultats (en moyenne 39,6 %), que les élèves ont pris en compte la
rédaction des lettres de demande de stage ou bien des courriers dans le cadre des P.U.S. en B.E.P.A.,
des projets en B.T.A., pratiques courantes en Lycée Agricole. Ma question a mal été formulée, quant
au but que j'avais visé.
Les questions 2 et 3. concernant l'écriture régulière des lettres, révèlent des
pourcentages très forts : 84.56 % (jusqu'à 95,24 % en première B.T.A.), dans le passé, et 64,43 %
aujourd'hui. C'est cependant, une pratique en baisse. Il faut préciser que les 3 PROVINCES
accueille principalement des filles. Il y a seulement sept garçons en B.T.A. et huit en B.E.P.A. Les
filles seraient culturellement plus prédisposées à écrire qu'eux. Par ailleurs, beaucoup d'élèves sont
internes : ils écrivent et reçoivent des lettres. C'est une pratique qui permet de garder contact avec
les amis et parents, à l'extérieur. De plus, de façon générale, téléphoner n'est pas aussi « secret » que
recevoir ou envoyer du courrier, surtout lorsque le téléphone est dans la pièce où sont, aussi, leurs
parents. Enfin, il ne faut pas oublier le courrier adressé aux correspondants.
Quasiment une personne sur deux (49 %) affirme avoir tenu un journal intime, mais
seulement un sur quatre (24,16 %) aujourd'hui. Même si ces chiffres, très grands, me paraissent
exagérés, ils indiquent, quand même, une tendance. Ecriture et intimité sont pour eux associés.
Enfin les questions 4 et 5, concernant les autres types d'écrits que ceux déjà cités, présentent
des chiffres moins forts. Chansons ou poèmes, puis histoires inventées arrivent en tête, avec
respectivement 36,91 % et 22,15 % des réponses affirmatives, pour le passé ; mais ils sont moins
nombreux aujourd'hui : 19,46 % et 8,05 %. Par contre, rédiger des sentiments, des idées se pratique
davantage aujourd'hui, (45,64 %) qu'avant (36,91 %). Peut-être est-ce un palliatif au journal intime
abandonné. Globalement, l'écriture créative (poème, fiction) cède le pas à la vie intime, que
l'adolescent doit prendre en charge de façon plus individuelle et secrète.
Enfin, à l'option «un autre type d'écrit» des questions 4 et 5, dix-huit personnes disent avoir
rédigé régulièrement des lettres, et sept le faire aujourd'hui. Une autre personne reconnaît qu'elle
écrit des chansons ; une autre encore, « ce que je fais, ce qui me passe par la tête ». Ces réponses,
qui avaient la possibilité d'apparaître ailleurs, révèlent les erreurs des élèves dans leurs réponses au
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questionnaire, et doivent nous conduire à nous méfier des chiffres. Par ailleurs, des élèves ont
mentionné « les cours » et « les dossiers ». En première B.T.A., classes au profil particulier par
rapport à l'ensemble des autres élèves, trois citent l'écriture (et l'invention) de partitions musicales et
deux aujourd'hui encore, un(e) élève rédige des « lettres d'amour » et continuer de le faire (sic).
Enfin en terminale B.E.P.A., un(e) élève affirme avoir commencé l'écriture d'un roman.
III-c) Un sentiment de perplexité.
Lors du dépouillement du sondage, je n'avais de cesse de m'étonner des résultats. J'ai
interrogé des adultes, du domaine scolaire ou non, qui ont partagé mon avis ; mais aussi une
adolescente extérieure au Lycée qui ne s'en étonna pas.
Les élèves savaient que je leur communiquerais les résultats de l'enquête. Pour ce faire, je
leur ai remis un exemplaire des résultats et du questionnaire non rempli, leur ai laissé du temps pour
les observer et leur ai posé la question suivante : « Qu'en pensez-vous ? ». Je les ai laisséjparler sans
intervenir. Il n'y a pas eu, dans ce premier temps, beaucoup de réactions : « Les gens sont libres de
faire ce qu'ils veulent » (seconde B.E.P.A.), « c'est bien » déclara un élève de première B.T.A.. Je lui
ai demandé de préciser sa pensée : « c'est régulier et homogène ». Dans l'autre classe de B.T.A., ce
fut le silence au début. Sans continuer plus loin, on voit vite que les résultats ne les étonnent pas.
Est arrivé le deuxième temps, où une discussion s'est installée entre eux et moi et où j'ai
exprimé petit à petit mon étonnement. Les élèves n'ont guère relevé mon sentiment et la discussion
s'est orientée vers les différentes pratiques d'écriture entre garçons et filles, qui les passionnent bien
plus (« les filles sont plus sentimentales »). Seule une élève de terminale B.E.P.A. a répondu
franchement à mon étonnement : « c'est le reflet de ce que j'avais rempli ». C'est d'ailleurs dans
cette classe, que la question du mensonge possible est apparue.
En bref, le débat avec les élèves n'a guère éclairé mon étonnement, car il n'y a pas eu de
confirmation massive de leurs résultats, mais, plutôt, une sorte d'indifférence à ce point, dans nos
discussions. Est-ce parce qu'ils ont été tellement sincères qu'ils n'imaginaient même pas que je fus
réellement étonnée et eus besoin de certitude ? Ou bien, est-ce parce qu'ils ont plus ou moins
exagéré inconsciemment, et donc qu'ils ne sentaient pas le besoin de se remettre en cause ? Si les
élèves ont un peu surévalué leurs pratiques effectives d'écriture, l'ont-ils fait pour se donner une
bonne image d'eux-mêmes, ou pour me faire plaisir ? En effet, ils étaient - par cette enquête - l'objet
de toute mon attention. Si c'est mon étonnement qui est illégitime, est-ce parce que nous, adultes,
sous-estimons la part d'écriture chez l'adolescent ? Ou bien, est-ce parce que, me projetant en eux, je
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me dis n'avoir jamais été comme cela ? Cette dernière supposition ne tient pas cinq secondes à une
lucide rétrospective, car je tenais un journal intime et j'écrivais régulièrement des lettres
interminables.
Tout ce questionnement reste sans réponse, car trop de paramètres entrent en ligne de
compte. Cependant, quelques aspects, plus certains, émergent. Les élèves ont une appréciation
positive de l'écriture, celle-ci est capable, selon eux, d'être un espace d'intimité et d'introspection en
même temps que l'imagination est une valeur reconnue. C'est donc sur cette tendance, et grâce à
elle, qu'il faut prendre tremplin pour écrire et, de façon générale, avancer.
24
QUELQUES PROPOSITIONS POUR REVALORISER
LA PRATIQUE DE L'ECRITURE
I ) L'AIDE DES MANUELS.
En m'engageant à travailler par et pour l'écriture, j'ai espéré trouver appui dans des manuels
scolaires consacrés à elle. Parmi ceux-ci, peu nombreux, j'en ai consulté deux : Petite Fabrique de
Littérature (1987) de Duchesne et Leguay, collection «Textes et Contextes», «Périphériques», puis
La Petite Fabrique d'Ecriture de Vermeersch (1996), tous deux chez Magnard.
Le premier, Petite Fabrique de Littérature, est passionnant à lire, mais il semble peu
convenir comme livre scolaire.
Il se divise en chapitres proposant des groupements de textes (le plus souvent), non pas
thématiques, mais problématiques: «pastiche», «eut up», «sons répétés»... présentés théoriquement
au début. On sent, ici, la considération faite à l'écriture. L'avant-propos fait écho à notre propre
préoccupation : « le Second Cycle et le Supérieur sont tout entiers occupés par la réflexion sur le
fonctionnement de la littérature. Pourtant depuis la disparition de l'enseignement de la rhétorique (à
la fin du XIXème siècle), quelque chose manque singulièrement. En termes plus précis, on écrit
aujourd'hui sur la littérature, mais on n'essaie pas (même modestement) d'en fabriquer soit même
(...). Ce livre voudrait permettre que se rétablisse dans l'enseignement, le dialogue entre la lecture et
l'écriture. En somme, il ne s'agit pas seulement de « lire » pour mieux écrire, mais aussi d' « écrire »
pour mieux lire. ».
C'est vrai que la lecture de l'ouvrage est passionnante, de nombreuses idées fourmillent
confusément en tête, mais l'ouvrage s'arrête là. Il n'envisage pas d'application en cours. D'ailleurs,
son avant-propos précise clairement le public qu'il vise : « les élèves, les professeurs, mais aussi
[par] ceux qui se situent hors de l'enseignement ». Cette cible, très large, suppose d'emblée que cet
ouvrage ne peut être utilisé directement en classe, notamment comme livre de référence, c'est-à-dire
de « manuel de français ». Le texte poursuit plus loin : « ainsi le livre avec son public restreint, son
territoire étroitement fixé, n'apparaît plus possible : livre pédagogique d'un côté, pour le professeur ;
livre pour l'élève de l'autre, très scolaire ; livre pour le grand public ailleurs, vaguement
vulgarisateur ; livre pour l'universitaire enfin, tristement, sérieux. Il faut s'ingénier à briser ces
barrières ségrégatives (...) ».
On ne peut donc pas lui reprocher de ne pas s'adapter suffisamment aux exigences du cours,
au niveau de l'élève, puisque telle n'est pas son ambition. Les supports sont exclusivement
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littéraires et les problèmes de rédaction des dissertations, commentaires etc. sont absents. Cet
ouvrage se place davantage sous le signe de l'écrit que de l'écriture. Car, on lit beaucoup, mais au
bout du compte, on n'écrit toujours pas. Il reste cependant utile à l'enseignant qui devra imaginer
des exercices adaptés de ces chapitres (j'ai, d'ailleurs sans avoir vu la page 265, travaillé sur la
métaphore filée traitée dans cet ouvrage). On ne peut donc pas tirer directement parti de ce livre.
Le deuxième, La Petite Fabrique d'Ecriture, n'est pas non plus franchement satisfaisant pour
nos besoins.
Il se divise en deux parties : « Ecrire pour lire » puis « Lire pour écrire », divisées elles-
mêmes en chapitres visant des objectifs formulés au début, puis proposant des exercices. Le souci
pédagogique est évident. On précise les pré-requis, les supports nécessaires. Travaux individuels et
travaux de groupes alternent, « par plages d'environ deux heures ». Une «ouverture» est même
proposée, qui peut être l'occasion d'un «approfondissement». Ces chapitres sont, de plus, ordonnés
dans une progression logique des compétences acquises. Ici. les élèves sont vraiment invités à
écrire.
De plus, le public visé nous correspond davantage. Ces propositions d'ateliers d'écriture ont
été expérimentées dans différents endroits : Lycée professionnel, 4ème Technologique, Bac
professionnel, École normale, prison, usine. Stage MAPFEN...
Cependant, cet ouvrage n'est pas non plus utilisable comme manuel de référence. Il ne
propose pas de groupements de textes, mais seulement des exercices. Les supports sont littéraires, et
sfurtout poétiques. La progression proposée, qui se limite à ces textes, ne peut convenir au Bl des
B.T.A.. Les problèmes de rédaction, liés à la synthèse, la dissertation, le résumé... ne sont toujours
pas considérés.
Il ne peut donc être utile que pour le professeur, qui peut y trouver, dé-ci de-là un exercice
qui convienne à sa progression, et non pas totalement, ni directement pour l'élève.
Ainsi, les manuels classiques considèrent partiellement les problèmes d'écriture. Petite
Fabrique de Littérature et La Petite Fabrique d'Ecriture qui s'intéressent davantage à l'acte d'écrire
ne peuvent servir non plus d'outil pédagogique. Le premier donne des idées, mais il faut inventer les
exercices. Le second limite trop son champ à la poésie. Ils restent cependant des ouvrages qu'il faut
feuilleter de temps en temps, pour y picorer des idées intéressantes.
26
II :CREER UNE DYNAMIQUE D'ECRITURE.
Il-a) Un enseignant identifié un peu plus à l'écriture.
L'opinion voit généralement dans le professeur de français, celui qui parle sans faute, dans
un vocabulaire et des tournures recherchés. C'est aussi celui qui lit beaucoup. Et elle a sans doute
souvent raison. Par contre, on se dit moins que c'est quelqu'un qui écrit régulièrement, même si tout
le monde s'accorde vite à dire qu'il écrit bien.
Le « professionnel » de l'écriture n'est pas perçu de la même façon que les professeurs
d'autres matières, à caractère artistique, artisanal. Prenons l'exemple du dessin. Très souvent, les
enseignants en art plastique créent : ils peignent, dessinent ou sculptent régulièrement. L'art
plastique ne se cantonne pas. pour eux, au domaine professionnel, mais c'est aussi, et d'abord peut-
être, une activité personnelle. S'ils ne montrent pas leurs travaux aux élèves, il n'en demeure pas
moins qu'ils mettent la main à la pâte en montrant, en faisant, devant les élèves. Ils portent en eux
leur matière, et, par là même, légitiment pleinement leur enseignement.
On peut avancer la même chose pour les enseignants des matières professionnelles : ils
montrent aux élèves leur métier, car ils dessinent, coupent régulièrement leurs propres vêtements,
par exemple. Loin de moi de vouloir encenser ces professeurs, car, sans doute, tous ne sont pas
aussi « habités » par leur discipline, ni de blâmer ceux de français, puisqu'il y a aussi des «
écrivains» parmi eux, mais il semble que les premiers personnifient davantage leur enseignement,
dans l'imaginaire des élèves.
Cette réflexion ne cache pas. non plus, le désir de faire de tous les professeurs, des écrivains,
car cela dépasse le cadre du travail. Et, les écrivains seraient-ils les mieux à même d'enseigner ?
Peut-être, est-ce dû au fait que ces activités sont plus « voyantes » que l'écriture, plus spectaculaires.
Il serait utile, pour porter notre enseignement, le légitimer, que, nous aussi, écrivions. Comment
demander aux élèves d'écrire, de soigner leur rédaction, si moi-même je ne le fais pas devant eux ?
Comment créer un enseignement où l'écriture se verrait avoir une place réelle et serait perçue
comme telle par l'enseignement ? Pour mettre en place cela, il m'a semblé important que mon «
image » d'enseignant de français soit associée à l'écriture, et, cela, en dehors et à l'intérieur des
cours de Gl ou Bl.
Dans le cadre des cours, il me paraît essentiel de présenter des textes que j'ai écrits.
Toutefois, il faut, se méfier de ne pas tomber dans certains écueils. Il ne s'agit pas d'impressionner
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les élèves par des textes inaccessibles pour eux, mais de proposer des textes qu'ils peuvent écrire :
une note de synthèse, un résumé, une dissertation... Il ne s'agit pas, non plus, d'un modèle, au sens
où c'est l'unique possibilité (notamment dans le cadre d'une correction). Des précautions oratoires
s'imposent : c'est davantage un repère, une proposition qu'un modèle.
Je montre aussi mon intérêt pour leurs écrits que je lis chez moi, en cours, à voix haute ou
silencieusement. Outre le fait que je dois vérifier le travail, tant dans ses résultats que dans son état
d'avancement, je fais en sorte de donner de la place, de l'importance à leurs productions afin qu'ils
perçoivent, à mon attitude, que leurs textes me sont précieux. Il nous faudra d'ailleurs scruter les
autres facettes de ces deux derniers points, un peu plus loin.
Pour ce qui déborde du cadre strict des cours de Gl ou de Bl, j'ai intégré l'équipe de « La
Comète », journal du lycée qui avait été créé dans le cadre du P.U.S., il y a quelques années. En
perte de vitesse, l'équipe de rédaction se réduisait à deux élèves et un animateur socio-éducatif, au
début de l'année 97 / 98. Elle s'est étoffée par l'arrivée d'un collègue des 3 Provinces ( nous
partageons un site avec un lycée de l’Éducation Nationale). Il est étonnant qu'aucun professeur -
encore moins de français - ne s'y soit intéressé, sur un site d'environ presque mille élèves et quatre-
vingts professeurs ( moi la première, puisque j'y suis depuis quatre ans). Pour l'instant, outre le fait
de participer moi-même à une tâche d'écriture, j'ai proposé, par l'intermédiaire du journal et auprès
de mes élèves que j'ai sollicités, « d'aider à la rédaction », c'est-à-dire à la mise en forme, en mots.
Cependant, le passage à l'écriture, le fait de collaborer avec un professeur, sur un sujet parfois loin
du cours, et surtout celui d'être lu par l'ensemble de ses pairs, freinent les velléités journalistiques,
qu'il m'a semblé percevoir lors de discussions informelles avec certains élèves. J'aborderai, plus loin
les possibles exploitations du journal dans le cadre des cours.
Par contre, il pourrait y avoir des retombées indirectes. Cette année, des élèves m'ont montré
spontanément leurs rédactions personnelles. L'une avait négligemment posé son cahier de poésie sur
la table, en plein cours de français ; l'autre est directement venue me voir pour corriger les fautes
d'une nouvelle qu'elle souhaite présenter à un concours. Elle m'avait déjà fait lire l'an passé d'autres
nouvelles. Dernièrement, elle m'a présenté un recueil de poèmes écrits par elle. L'enquête que j'ai
effectuée, ma présence au journal ne sont sans doute pas étrangères à ces démonstrations. Même si,
en soi, elles n'ont guère d'intérêt pédagogique », elles sont les signes d'un changement dans le
rapport que mes classes et moi avons à l'écriture. En sortant du silence des tiroirs et en émergeant
dans la zone publique de la classe, ces textes entrent spontanément dans le cadre dynamique,
souhaité à propos de l'écriture.
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Il-b) Faire écrire les élèves en dehors des cours.
Un but : apprendre à écrire
On imagine bien que, si l'on veut mettre l'accent sur l'écriture, le travail en dehors des cours
va être un des premiers concernés ; sachant qu'écrire prend du temps, activité à laquelle quelques
heures de Gl ou Bl par semaine ne peuvent pas décemment tout sacrifier, tant pour des raisons
pédagogiques que matérielles.
Tout d'abord, il semble que^pour apprendre quelque chose, il faut, à un moment donné, s'y
essayer. Même si on peut expliquer, donner des directives auparavant, il faut bien « faire », au
mieux pour s'assurer qu'on en est capable, au pire pour échouer et remédier à cela.
Ainsi pour réussir à écrire, il faut écrire. Si l'on veut conduire les élèves à « affiner (leur) esprit
critique » et si on évalue cet objectif dans un formatif, un C.C.F. et à l'E.T. n°l du B.T.A., il va
falloir travailler l'argumentation et, plus précisément, l'argumentation écrite.
Amener les élèves à être capabler d'analyser un-sujet, construire un plan, ne suffit pas. Il faut
que le texte final soit convaincant. On sait pertinemment qu'un bon plan détaillé au brouillon peut
être plus ou moins bien exploité, lors de la rédaction. Jusqu'où va-t-il aller dans son argumentation ?
L'exemple sera-t-il développé en parallèle avec l'argument, ou bien sera-t-il simplement cité ?
L'élève utilise-t-il des mots de liaison ? Oui ? Tant mieux, mais lesquels ? La sainte trilogie : « tout
d'abord », « ensuite », « enfin », ou, pire, les sempiternels : '< premièrement », « deuxièment », «
troisièmement » ? En matière d'argumentation, la qualité de l'écriture a tout autant de poids que la
composition de la réflexion. Il est donc nécessaire de travailler ces deux objectifs, alors qu'il semble
qu'on oublie parfois l'écriture, mais jamais la construction. Car le jour de l'E.T. n°l, le jury
n'évaluera pas un plan sous forme de notes parcellaires, mais bien un texte qui aura intérêt à être
rédigé limpidement, s'il veut avoir grâce aux yeux des correcteurs parfois éreintés.
En ce qui concerne l'argumentation, l'exercice de rédaction d'un paragraphe argumentatif
s'impose. On peut donner un sujet, une thèse, ou un plan détaillé, à partir desquels on demande de
rédiger une idée secondaire. Selon les cas, l'exercice se complique, car il y a la recherche d'une idée,
voire même, avant, une analyse du sujet. C'est donc un exercice qu"on peut répéter, en ajoutant
progressivement les difficultés. L'élève devra évidemment savoir auparavant comment il se
compose et avoir vu une grille critériée pour en écrire (cf Annexe 1).
Dans le cas de la lecture méthodique, on peut demander aux élèves de rédiger l'analyse d'un
outil qu'on a rencontré dans un texte étudié en cours. Je préciserai qu'en B.T.A. je n'exige pas un
commentaire composé avec trois ou quatre axes de lecture. Je me contente d'une hypothèse et des
29
différents outils qui la vérifient. C'est pourquoi chaque paragraphe de lecture méthodique se centre
sur un outil.
Pour rédiger ce paragraphe, l'élève doit réutiliser les notes prises en cours et re-vivre
l'analyse qui a été faite. C'est donc réellement un exercice. De plus, cela l'oblige à respecter la
construction d'un paragraphe d'analyse : l'annonce de l'outil utilisé, le relevé dans le texte et
l'analyse des effets qu'il produit, enfin la conclusion confirmant que l'outil vérifie l'hypothèse de
lecture initiale ( ou non ). Car ces différentes étapes sont faites en commun par l'enseignant et
l'élève en cours ; devant la feuille blanche, c'est autre chose. Certaines d'entre elles sont parfois
négligées.
Un atout majeur : la régularité
Demander aux élèves de rédiger, dans le cadre du travail à la maison, permet de faire de
l'écriture, une habitude. Elle n'est plus un acte qui revient trois ou quatre fois par trimestre.
J'entends, par là, écrire vraiment soi-même ses phrases. Grâce à cette régularité, cette familiarité,
l'écriture ne se « rouille » pas. L'élève est fréquemment sollicité et doit trouver le mot, les tournures,
qui siê'ront à sa pensée. Petit à petit, le vocabulaire et les constructions de phrase s'enrichissent,
grâce aux corrections, où l'on écoute, lit et reconstruit une réponse.
De vrais formatifs
Evidemment, tous ces travaux faits à la maison sont des exercices, des entraînements
corrigés, annotés, mais jamais notés, évalués dans les bulletins trimestriels. L'élève peut alors
s'essayer, se tromper en toute tranquillité. Pour moi, ce sont des formatifs au sens premier du terme.
Car, trop souvent en Lycée agricole, on fait glisser la notion d'évaluation formative, vers celle de
sommative. I1 s'agit de situations idéales, car je ne parviens pas toujours à cela, faute de temps. Et
c'est regrettable. C'est pourtant très utile, pour suivre l'évolution des élèves dans l'acquisition d'un
objectif, et savoir quand poser l'évaluation sommative.
30
Par exemple, en seconde B.E.P.A., était prévue une séquence concernant la lecture et
l'écriture de textes à caractère professionnel. Les objectifs étaient multiples. Située avant le stage, la
séquence permettait de susciter des réflexions sur le monde professionnel. Par ailleurs, elle préparait
à l'argumentation : repérer la composition d'un texte, notamment relever l'essentiel de celui-ci
(entraînement à la prise de notes) et écrire un paragraphe argumentatif. Cela préparait ici le dossier
certificatif n°l du Gl, où l'élève doit pouvoir collecter des informations et argumenter à l'intérieur
d'une problématique. Dans le travail exigé à la maison, les élèves ont dû parfois souligner les idées,
repérer les exemples, entourer les indices d'organisation d'un texte et reprendre sur une autre feuille,
31
sous forme de notes, la démarche du texte. En ce qui concerne l'écriture, ils ont dû rédiger des
paragraphes argumentatifs.
Lorsque je les ai lus, j'ai réalisé qu'ils rencontraient des difficultés. La séquence a dû être
rallongée par des séances de remédiation à ce propos. C'est au bout de trois paragraphes
argumentatifs écrits à la maison (sans compter ceux faits en cours) que la classe a été fin prête à
l'évaluation sommative, que j'ai reculée par rapport au calendrier initial. Grâce aux évaluations
formatives. j'indiquais sur la copie, la mention « compris » ou « à revoir», qui concernait la
structure du paragraphe et non les fautes d'orthographe ou de grammaire. Chaque élève savait donc
où il en était, et moi aussi. Je gardais, pour moi, la comptabilité des élèves ayant réussi et ceux qui
avaient échoué, et pouvais graduer leur progression.
Le problème de la correction
Demander du travail rédigé aux élèves pose un problème : celui de la correction. Dans le cas
d'un exercice consistant à transformer des phrases nominales en subordonnées conjonctives ou
relatives, il suffit d'écrire au tableau les quelques cas possibles. Si l'on demande à l'élève d'écrire un
texte dramatique portant sur une dispute, on ne peut pas offrir un corrigé type. Car il sera inutile
pour les élèves, au sens où ils ne sauront pas si ce qu'ils ont créé, correspond à ce qui est demandé.
Pourtant, dans le cas de cet exercice, c'est utile de voir comment ils disposent, sur la feuille, les
répliques et les didascalies ; s'ils ne mélangent pas l'écriture dramatique et romanesque, notamment
dans le choix du système énonciatif...
On peut proposer des auto-évaluations, grâce à un système de questions, ou encore des
évaluations croisées. Mais les élèves n'ont pas confiance en leur propre jugement. De plus,
l'enseignant n'a pas une idée exacte de l'acquisition des compétences. On peut aussi en prendre
quelques unes, les corriger et, de la sorte, lire progressivement les productions de tous les élèves.
Cependant, il faut beaucoup d'exercices pour voir toute une classe et, durant une séquence, seul le
travail de quelques élèves aura été corrigé de près.
J'ai pourtant adopté cette manière de faire au début, mais elle cachait un deuxième défaut :
celui de créer de la frustration chez les élèves que j'ai sans doute aussi sollicitée. En effet, alors que
je prenais quelques exercices de façon obligatoire, je proposais aux autres élèves qui n'étaient pas
vraiment sûrs de leur rédaction, de corriger la leur. Au lieu de trois ou quatre copies, je me suis très
vite retrouvée avec une dizaine de textes, et même tous ceux d'une classe entière, quand approchait
le sommatif. Evidemment, les élèves ont écrit, ils ont envie d'être lus et de voir leur texte apprécié.
Sentant la brèche ouverte, ils s'y sont glissés avec raison.
32
J'ai, depuis, laissé ainsi cet état de fait. Environ une fois par semaine, l'élève a un travail de
rédaction que je ramasse systématiquement. Par contre, je fais en sorte que l'exercice soit bref, pour
ne pas passer trop de temps en correction. Finalement, cela va assez vite et c'est intéressant de lire
ces textes. Cela offre le grand avantage de cerner l'évolution de la classe.
Ce fonctionnement a un autre atout, psychologique et symbolique. Psychologique d'abord,
car les élèves exigeaient que je lise leurs travaux. Ne leur avais-je pas demandé d'écrire ? A-t-on
jamais écrit pour n'être lu par personne ? Leur frustration me semblait
légitime et je me devais d'y remédier. Symboliquement enfin, car si j'avais la prétention de
revaloriser l'écriture, il fallait m'en donner les moyens. Prendre tous les travaux, les lire et les
apprécier chez moi, signifient pour l'élève que l'enseignant accorde de l'importance à leurs écrits.
Ecrire, lire : cet échange constant rétablit une dynamique, un cadre vivant où l'écriture a une vraie
raison d'être : celle d'être d'abord lue. Alors après, on peut se préoccuper des exigences internes de
chaque type d'écrit.
II-c) A l'enseignant d'écrire.
L'échange dont je parlais précédemment n'est pas un échange en miroir, c'est-à-dire texte
contre texte, mais texte contre correction. Si l'on veut créer une vraie dynamique ayant pour centre
l'écriture, il faut multiplier ses échanges. Durant les cours, les élèves apportent leurs textes et en
écrivent, on fait appel à des textes d' « auteurs confirmés », l'enseignant corrige des textes et peut
même en écrire. Evidemment, ces textes n'auront pas le même statut. Autant l'élève est là pour se
former, autant l'enseignant est là pour être formateur. S'il écrit, ce n'est pas pour apprendre, mais
donner des repères. Il ne s'agit pas d'inonder l'élève de nos propres rédactions, mais parfois de
donner une idée de ce que peut être une argumentation, un résumé, une lecture méthodique, une
note de synthèse...
J'ai été élève à un moment où les corrigés types étaient bannis. Mes enseignants en français
ne nous proposaient pas d'exemples et même nous déconseillaient fortement les corrigés publiés
dans les annales, que certains d'entre nous leur montraient studieusement. Il est vrai que cette
littérature n'est pas toujours une référence et que, de toutes façons, le corrigé idéal n'existe pas.
Cependant, le besoin que certains éprouvaient de voir une bonne copie est significatif.
II faut se méfier de ses propres projections, de vouloir construire un enseignement en
fonction des manques que l'on a ressentis. L'élève que j'ai été et ceux que je rencontre aujourd'hui
sont différents. Mais j'ai remarqué qu'ils ont autant besoin de repères, que nous dans le passé.
J'ai pris conscience de ce manque l'année dernière, lors d'une séquence portant sur la synthèse, en
33
première B.T.A.. Celle-ci se déroulait de la façon suivante. Elle commençait par une séance sur la
découverte de ce qu'est une synthèse, en partant d'un « brainstorming » révélant les pré-acquis, puis
la réalisation d'une note de synthèse ensemble en différentes séances : l'une pour le repérage des
idées, la mise en place du système par colonnes, l'autre par la confrontation et l'élaboration du plan.
Une quatrième séance était consacrée à l'introduction. La dernière avait pour but d'établir ensemble
la grille critériée, pour vérifier l'acquisition des savoirs. Jusque là, tout semblait être bien compris et
je m'en réjouissai, en comparaison des difficultés rencontrées par leurs prédécesseurs.
Je déchantai, lorsque je lus leurs premières notes de synthèse. Elles comprenaient peu de
confrontations. Celles-ci étaient traitées trop longuement, dans plusieurs paragraphes consacrés à un
seul document à chaque fois. Lors de la deuxième séquence portant sur la synthèse, je dus remédier
à cela et choisis de travailler sur le paragraphe de confrontation plutôt que sur le plan, c'est-à-dire
sur la partie plutôt que sur le tout. Car la grande difficulté dans le traitement de la synthèse, c'est la
quantité de textes et, en même temps le besoin de voir tout l'ensemble. Mon objectif était le
suivant : comment faire une vraie confrontation ? Autrement dit, comment montrer qu'une idée
apparaît de façon plus ou moins identique (ou opposée selon les cas) dans deux, trois, quatre...
documents. Je travaillais avec les élèves par tâtonnements et nous avons rapidement été conduits à
écrire ces fameux paragraphes. Il semble que c'est cela qui leur manquait : voir concrètement à quoi
ressemble une note de synthèse. Il faut rappeler qu'ils n'avaient aucune connaissance en matière de
synthèse auparavant, c'est la première fois qu'ils rencontraient ce type d'exercice dans leur scolarité.
Il me paraît important de donner assez vite un exemple de ce qu'est une dissertation, un
résumé, une note de synthèse, un commentaire littéraire... tout particulièrement, quand les élèves n'
en ont jamais fait. Cela leur donne un repère et précise le niveau d'exigence que Ton attend d'eux.
Cette année, j'ai, bien sûr, pris en compte l'expérience de Tan passé, pour élaborer les séquences
concernant la synthèse, dans la progression de la nouvelle promotion. La première séquence visait à
découvrir ce qu'est une synthèse et comment elle se construit. Le déroulement a suivi globalement
celui de l'an passé, sauf en deux points. Tout d'abord, j'ai voulu insister sur la méthode et ai
raccourci le matériau de base : la première séquence se basait uniquement sur une documentation
courte, sans être compliquée par des documents iconographiques. Leur analyse exigeait des
compétences que nous allions acquérir dans la séquence suivante. Il me semblait inutile
d'encombrer trop tôt l'esprit des élèves.
En ce qui concerne la deuxième modification, j'ai consacré une séance à la rédaction du
développement (juste après le travail sur l'élaboration du plan). Celle-ci se basait sur une
proposition de note de synthèse écrite par moi (cf Annexe 2). Après sa lecture, nous avons analysé
sa construction oralement et visuellement^en surlignant de différentes couleurs les annonces des
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idées générales et secondaires et en entourant les indices d'organisation. Cela a permis de
réexpliquer ce qu'est une note de synthèse, de façon plus claire, aux élèves plutôt auditifs et visuels.
L'autre intérêt est de donner et pointer les différentes manières d'introduire les références aux
documents - ce qui évite les problèmes de répétition dans la synthèse, et de faire prendre conscience
de la brièveté du traitement d'une confrontation.
En ce qui concerne cette séance, elle a continué par l'écriture, par les élèves, de paragraphes
de confrontation, du plan fait ensemble, qui se différenciait de celui de la note de synthèse que
j'avais rédigée. Cet exemple de rédaction, enfin, ne comportait volontairement pas d'introduction,
puisque cela faisait l'objet de la séance suivante. Ces autres types d'écriture, n'étant plus les miens,
seront abordés plus loin.
Il-d) Ecrire ensemble.
Parmi les différentes sortes d'échanges nécessaires pour créer une dynamique de l'écrit, il y
en a un qui me semble très précieux : l'écriture collective. En effet, rédiger ensemble, élèves et
enseignant, inscrit vraiment l'écriture dans une dynamique. Elle est présente dans la classe, c'est une
activité. Et les élèves kinesthésiques y trouvent particulièrement leur compte, car nous sommes
alors vraiment dans le geste, dans le « faire ».
L'écriture collective est utile à tous les moments de l'apprentissage. Lorsqu'on aborde un
type d'écrit nouveau, on peut orienter l'attention des élèves sur telle ou telle
caractéristique. Par exemple, lors de la séquence n°l de la synthèse avec les premières B.T.A., nous
avons écrit ensemble une introduction, après avoir déterminé ses composants habituels (cf
Annexe3). Cette situation d'apprentissage offre l'occasion aux élèves d'emmagasiner des tournures
variées, utiles pour l'introduction de la synthèse, soit pour présenter les différents documents en
évitant la liste longue et en mettant en valeur les regroupements opérés entre eux. soit pour
exprimer et la problématique et le plan, sans trop se répéter et en évitant de pécher par un style trop
scolaire (« dans un premier temps, nous verrons.... puis dans un deuxième temps, j'analyserai... »).
L'écriture collective est aussi efficace pour revoir, reprendre les points abordés. Dans cène
méthode interrogative, l'enseignant questionne, selon les failles découvertes dans les travaux
précédents. Cela me semble particulièrement utile, lors des corrections. Alors que nous reprenions,
en terminale B.T.A., un formatif d'argumentation écrite, la classe et moi avons écrit ensemble un
paragraphe argumentatif, à partir de ridée et l'exemple qui leur convenaient. Mon rôle se concentrait
sur la structure interne : l'annonce claire de l'idée en rapport avec le sujet, un mot de liaison interne
introduisant l'argument, puis celui pour l'exemple et enfin une synthèse pour ce paragraphe. C'est
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vrai.qu'ensuite, on relit souvent les mêmes tournures, et les mêmes connecteurs logiques dans les
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copies (les miens), mais cela a au moins l'avantage d'être vraiment construit.
Cette situation d'apprentissage semble particulièrement efficace en correction car, si l'on
reprend le. triangle pédagogique, l'élève se réapproprie un savoir mal consolidé grâce aux questions
de l'enseignant sur tel point, repéré comme mal acquis dans les formatifs. Grâce à son savoir (a
priori) solide, l'enseignant épouse un rôle emprunté à la maïeutique, et laisse à l'élève le chemin
libre vers le savoir.
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Il-e) Donner un impact fort à l'écriture.
Donner du temps, de l'espace à l'écriture
Redonner à l'écriture la place négligée qu'elle mérite, créer un cadre d'enseignement où
écrire signifie vraiment dire quelque chose avec des mots et être lu, exigent des moyens. Pour que
cette revalorisation de l'écriture ait quelque impact, il faut lui donner de l'espace et du temps. Grâce
à cela, ce n'est pas évidemment l'écriture en soi seulement, qui sera réestimée, mais celle de tous les
élèves - la seule qui nous intéresse au bout du compte.
Pour valoriser l'écriture, il faut lui consacrer du temps. Nous avons déjà parlé de l'impact
psychologique et symbolique de la création et de la correction des textes en dehors du cours, mais il
est nécessaire aussi de prendre du temps en cours. Malgré les sempiternelles ritournelles remâchant
l'argument de l'énormité du programme, il faut se décider à prendre du temps, même si on peut
avoir le sentiment que cela pourrait être fait - et c'est déjà fait - à la maison. Laisser les élèves écrire
en cours signifie que leur rédaction est importante. Ce sont des situations pédagogiques qu'il faut
faire exister, se réaliser physiquement : des élèves, dans une classe, tous avec un crayon et une
feuille, à écrire dans le silence, pendant que l'enseignant attend de pouvoir les lire.
II me paraît important, aussi, de dégager du temps pour la connaissance de leurs textes. Il
faut laisser les élèves s'échanger leurs travaux pour lire ou être lus. Et bien sûr, il faut entendre les
textes. Sans récepteur, le texte voit sa raison d'être amputée. Car les élèves s'investissent dans
l'écriture. La part de créativité doit être reconnue.
Lors d'une séquence sur le conte, avec les terminales B.E.P.A., une séance avait mis l'accent
sur l'art de conter : les conditions, l'élocution, l'intonation... Ainsi, lors de la séance de mise en
commun de leurs textes, nous avons mis en scène la lecture, en plaçant les tables en U et l'élève
conteur à son extrémité. Le fait que chacun doive se déplacer pour lire son conte, que les autres
aient les mains vides et seulement leurs oreilles et leurs yeux pour recevoir les autres textes, donne
de l'importance à leurs travaux.
Savoir que ce qui est écrit va être lu à haute voix, rend leur texte précieux, crée une certaine
émulation - car l'élève a envie de présenter quelque chose de bien fait - et suscite la curiosité,
l'intérêt pour les autres écrits. On rencontre souvent de la timidité, de la gêne : les élèves ne
souhaitent pas lire leurs propres textes, surtout en B.T.A., ce qu'il faut aussi respecter. De plus, il
faut considérer le cas des élèves ayant de graves difficultés à l'écrit. Lire leur texte reviendrait non
pas à les valoriser, mais parfois plutôt à les humilier, si la classe n'est pas un public « sympathique»,
au sens étymologique du terme. Hormis les cas où il est prévu et exigé, à l'avance, de lire son propre
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texte, on peut échanger les feuilles anonymes et les faire lire par d'autres, ou bien l'enseignant en
prend quelques uns, qu'il lit lui-même.
Ainsi, donner une dimension physique temporelle, spatiale et orale à l'écriture, la rend
percutante et permet aussi de s'adresser à différents types d'élèves, kinesthésiques, auditifs, visuels.
Niveler la hiérarchie stérilisante : écrivains / enseignant / élèves
En mettant tout enjeu pour faire de son écriture quelque chose de précieux, on valorise
l'élève qui devient auteur à part entière. Il écrit, comme l'enseignant ou les écrivains des textes
étudiés. Il y a un nivellement, ici, de ces trois statuts, non pas d'un point de vue esthétique, mais
psychologique, puisque tous écrivent. L'élève s'autorise davantage, l'estime de soi grandit, chose
précieuse pour notre public qui a souvent connu l'échec scolaire.
Il faut d'ailleurs utiliser toutes les occasions pour cultiver ce sentiment. La correction est un
moment privilégié, pour cela. Dès qu'on remarque, en se promenant dans les rangs, un élève qui a
réussi un texte, il ne faut pas hésiter à le prendre comme modèle de correction. Par exemple, en
première B.T.A., lorsque ceux-ci ont à rédiger chez eux l'analyse du système énonciatif ou des
champs lexicaux d'un texte, il est tout à fait possible de donner un corrigé qui satisfasse l'ensemble
des élèves. Car la liberté de réponse est limitée par les éléments du texte. L'élève qui a réussi à
écrire un texte juste, peut très bien dicter sa réponse à l'ensemble de la classe. C'est le moment de
déséquilibrer le triangle pédagogique : l'enseignant s'efface et les élèves se gèrent eux-mêmes. C'est,
bien sûr extrêmement valorisant pour l'élève, mais aussi pour les autres. Ils peuvent, eux aussi,un
jour, être à sa place.
III ) PROPOSER PAR L'ECRITURE UNE VOIE DIFFERENTE POUR MIEUX
ATTEINDRE LES OBJECTIFS DU REFERENTIEL.
Ill-a) Ecrire plus tôt dans les grands exercices de rédaction.
Le problème de la progression des premières B.T.A. actuelles
Lors de l'élaboration des progressions annuelles, on bute souvent sur le même problème : les
séquences concernant les exercices longs comme l'argumentation écrite, le commentaire littéraire
(sans composition en B.T.A.), ou la synthèse, sont difficiles et impressionnants pour les élèves. Il
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faudrait fractionner les tâches, de façon à étaler les difficultés progressivement dans le temps, tout
en mettant, tôt dans l'année, les élèves dans le bain. Comment découper en étapes un exercice
difficile et imposant, sans détruire toute continuité logique ? Autrement dit, comment créer des
étapes suffisamment autonomes et significatives, aux yeux des élèves, pour traiter l'apprentissage
d'un exercice long ?
Je veux prendre pour exemple la promotion des actuelles premières B.T.A.. Un C.C.F. oral
de lecture méthodique d'un texte littéraire argumentatif est fixé en janvier, et un deuxième C.C.F.
écrit de dissertation en juin. Pendant le premier trimestre, des séquences de groupements de textes
alternent, pour varier et maintenir l'intérêt: argumentation, description, retour sur l'argumentation.un
peu plus littéraire cette fois-ci, et narration pour finir. Pour le deuxième C.C.F., trois séquences
portant sur la dissertation sont prévues : une, fin février -début mars axée sur la méthode de
composition ; la deuxième fin mai au retour de stage, axée sur l'exercice dans sa composition et sa
rédaction partielle, avec des sujets généraux. La troisième, juste avant le C.C.F., reprend le même
schéma que la deuxième séquence, cette fois-ci en s'essayant à une réflexion sur la lecture. Les deux
dernières séquences s'adapteront aussi aux remédiations nécessaires.
Deux défauts majeurs sont apparus. D'abord, les élèves se fatiguaient des lectures
méthodiques, au premier trimestre. Certes, on peut aborder les notions littéraires, autrement que par
elles. Mais, le C.C.F. 1 met l'accent sur la méthode (hypothèse - relevé d'un outil -vérification) et en
ne la pratiquant pas régulièrement, je craignais que les élèves ne l'assimilent pas. J'ai varié
cependant les activités par d'autres moyens (et j'en aborderai certains plus loin). La date proche du
premier C.C.F. nous donnait peu de latitude. Quant au deuxième inconvénient, l'argumentation
écrite arrivait tardivement dans la première année, et il me semble que les élèves auraient pu rédiger
plus tôt de l'argumentation.
Si j'avais opté pour ce système, c'était dans le but de ponctuer l'année de moments forts,
d'abord plutôt basés sur l'analyse littéraire, puis la synthèse et enfin la dissertation ; même si
j'alternais systématiquement argumentation (plutôt non littéraire) et groupements de textes, analyse
de l'image, œuvre intégrale. Car les impératifs des C.C.F. sont incontournables.
Cependant, on peut pousser plus loin l'entrelacement e^ainsi, mieux échelonner les
difficultés et-éviter la lassitude. Au début de l'année, on peut mener de front la maîtrise de la lecture
méthodique par les groupements de textes et l'argumentation écrite, si on utilise le groupement de
textes argumentatifs pour en faire des séquences axées sur la lecture et l'écriture.
Ce qui me freine dans cette voie, c'est la façon d'aborder partiellement l'argumentation,
sachant qu'entre chaque étape, il s'écoulera du temps : celui d'une autre séquence ; et c'est aussi son
évaluation. Le problème ne se pose pas pour la lecture méthodique, qui, dès le premier groupement
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de textes, reste suffisamment autonome aux yeux des élèves, et peut être évaluéeà l'écrit comme à
l'oral. Mais ce n'est pas le cas pour l'argumentation écrite.
Auparavant, j'avais l'habitude de faire un découpage logique, respectant toujours cet ordre -
là, pour ces trois étapes (même si d'autres étapes interviennent) :
1 -Dégager les enjeux des sujets et, en conséquence, les types de plans possibles.
(plans dialectique, analytique, comparatif, par définition...)
2 - Construire un plan détaillé.
(les idées générales, secondaires, les exemples et arguments)
3 - Introduire et conclure.
Si l'on élabore les séquences littéraires et argumentatives, comme on l'a dit plus tôt, on
risque de demander aux élèves - pour évaluer les acquis - d'analyser un sujet à la fin de la première
séquence, puis de faire un plan détaillé à la fin de la troisième, et une introduction et une conclusion
à la fin de la cinquième. Cette manière n'est guère satisfaisante, car il me semble périlleux d'évaluer
l'analyse d'un sujet ainsi qu'un plan détaillé. On a déjà dit plus tôt quelles surprises pouvait cacher
un bon plan détaillé. Il ne faut pas quitter des yeux la seule rédaction dont il est question ici, celle de
l'argumentation. Enfin, ces activités resteront stériles, car sans aucun résultat concret. Ces étapes
n'ont de sens que reliées les unes avec les autres. Séparées, elles risquent de n'être que des vues de
l'esprit un peu gratuites, aux yeux des élèves.
Le problème vient du découpage logique que je faisais. En fait, j'organisais les différentes
étapes, de mon point de vue : celui de l'enseignant renseigné, qui maîtrise les tenants et les
aboutissants, qui produit ex nihilo une argumentation. En prenant une démarche différente, on
pourrait démarrer par une partie de l'argumentation, pour découvrir enfin sa totalité. Ce n'est plus
alors un découpage de la logique, mais de la copie de l'élève :
1 - Ecrire le paragraphe argumentatif,
2 - Relier les différents paragraphes argumentatifs ensemble,
(pour construire une idée générale)
3 - Dégager les enjeux des sujets et, en conséquence, les types de plans possibles.
Remédiation proposée
Pour être plus claire, voici le début d'une nouvelle progression en B.T.A. :
Séquence 1 : Lire et écrire l'argumentation, sur un thème commun
- des séances de lectures méthodiques de textes argumentatifs
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- une séance sur le paragraphe argumentatif : comment l'écrire ?
Séquence 2 ; Groupement de textes descriptifs sur un thème commun ' - des séances
de lectures méthodiques de textes descriptifs
Séquence 3 : Lire et écrire l'argumentation, sur un thème commun
- séances de lectures méthodiques de textes argumentatifs
- séance sur les transitions : comment écrire différents paragraphes argumentatifs
(dans le but de construire une idée générale)
Séquence 4 : Groupement de textes narratifs sur un thème commun
- séances de lectures méthodiques de textes narratifs
Séquence 5 : Lire et écrire l'argumentation, sur un thème commun
- séances de lectures méthodiques de textes argumentatifs
- séances où l'on dégage les enjeux d'un sujet et ses plans possibles et
où l'on établit un plan détaillé en fonction du sujet.
Séquence 6 : Groupement de textes poétiques sur un thème commun
- séances de lectures méthodiques de textes poétiques
Séquence 7 : Lire et écrire l'argumentation, sur un thème commun
- séances de lectures méthodiques de textes argumentatifs
- séances sur l'introduction et la conclusion
Evidemment, s'y ajouteront aussi des séances d'histoire littéraire et d'autres comparant les
textes vus dans les séquences de groupement de textes. Il faudra aussi repousser les dates des
C.C.F..
L'intérêt de cette réorganisation, c'est qu'elle varie les activités, plonge dès le début les
élèves dans plusieurs types d'exercices, échelonne les différents savoirs à acquérir, permet Télève de
rédiger dès le début ; avec tous les avantages, déjà évoqués : entraînement régulier et remédiation
immédiate.
Auparavant, les élèves avaient tout à comprendre en une séquence, puis rédigeaient en
rencontrant en même temps toutes les difficultés que cela comporte. La fin de cette séquence et les
suivantes se bornaient donc à une batterie d 'exercices. Grâce au fractionnement de la rédaction, les
élèves escaladent une difficulté après l'autre, tout en ayant, à chaque fois, à produire un texte qui
garde une certaine autonomie.
Encore une fois, il faut garder à l'esprit que l'écriture est un but et un moyen. Trop la
subordonner à la réflexion risque de faire perdre pied avec le réel. Il suffit de voir les rapports de
stage des élèves. La forme de leurs premiers travaux n'est jamais celle du plan détaillé. Ils font
plutôt des textes, bien qu'on exige d'eux le contraire. Cette attitude est symptomatique de leur
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besoin de concret.
Ill-b) Ecrire pour comprendre.
L'écriture est à la fois un moyen et son but. Il faut écrire pour mieux écrire. Mais elle peut être,
aussi, un moyen pour atteindre d'autres buts qu'elle-même. Elle peut amener l'élève à la
compréhension, la réflexion, dans le cadre d'un texte, d'un genre littéraire, de notions « techniques».
Ecrire pour comprendre un texte
Pour faire en sorte que l'écriture soit une activité enracinée dans le quotidien de l'élève, il
faut saisir les occasions de la pratiquer. Celles-ci sont fréquentes. Lorsque l'élève est face à un texte,
il peut le résumer, en rendre compte... ce qui l'oblige à respecter son sens, à saisir sa signification
pour la restituer.
Dans le cadre d'une séquence de groupement de textes dramatiques visant la découverte du
genre théâtral en terminale B.E.P.A., a été choisi, entre autres, un extrait de la scène 6, acte IV de
Phèdre de Racine. Ce choix difficile, pris à cause du bon niveau et du vif intérêt des élèves pour ce
genre, a induit le déroulement de cette séance. Ses objectifs étaient doubles : relever les
caractéristiques d'une scène de tension et découvrir le théâtre tragique (le ton, les vers, le langage
particulier). Ce dernier objectif était celui de l'initiation, et non pas de la connaissance, il s'agissait
d'ouvrir des portes et donner des repères. Pour ce faire, j'avais prévu deux activités : une
transposition en français moderne, la première heure, et une étude dirigée du texte, dans la
deuxième.
Après la deuxième lecture du texte, j'ai posé aux élèves la question suivante : « Quelles sont
vos premières impressions ? ». Tout de suite, ils ont répondu que le texte n'était pas clair, qu'il fallait
le « traduire », ce que nous avons fait par groupes de quatre, en divisant le texte.
Les élèves ont dû comprendre des expressions, en fonction de la cohérence interne du texte,
chercher des synonymes au vocabulaire propre au XVIIème siècle (grâce à quelques notes),
remplacer des tournures trop soutenues, et, même, commenter des images pour clarifier le sens.
Comme ils se prêtaient au jeu, chacun défendait son point de vue dans le groupe. L'intérêt, c'est que
les élèves étaient déjà dans l'analyse littéraire, sans qu'aucune consigne de ce type leur ait été
donnée. Ils l'ont fait naturellement, parce que cela s'imposait d'emblée. En une heure, ce travail était
terminé. Les groupes ont noté leur transposition au tableau, puis nous sommes passés à l'étude
dirigée, déjà bien entamée.
L'intérêt de l'écriture est, en réalité, multiple, ici : elle aide à comprendre le sens . mais elle
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fait aussi découvrir un langage, un genre littéraire propre à un siècle, elle provoque l'analyse
littéraire, et, bien sûr, elle fait écrire.
Ecrire pour saisir le fonctionnement, les caractéristiques d'un genre littéraire
L'écriture trouve sa place dans' les séquences consacrées à des genres littéraires, elle
contribue à la compréhension des « lois » qui leur sont inhérentes. Ces séquences se construisent
autour d'un groupement de textes, qui est l'occasion de découvrir les constantes du roman, de la
poésie, du théâtre... à travers la lecture méthodique, l'étude dirigée... Pour éviter tous systématisme
et répétition, varier les habitudes est un bon moyen de garder l'intérêt des élèves. C'est l'occasion de
faire un point d'histoire littéraire, mais aussi d'écrire ce genre
Par exemple, en terminale B.T.A., les élèves ont un C.C.F. portant sur les objectifs 3-4-5 du
référentiel : ils doivent soutenir à l'oral, le choix de leur adaptation théâtrale d'un extrait du roman,
étudié dans l'année. L'écriture du texte se fait par groupes et est évaluée en sommatif; par contre
l'argumentation du choix de l'adaptation est individuelle, et fait, seule, l'objet du C.C.F. 3.
En amont, on étudie une oeuvre intégrale, cette année Une Vie de Maupassant ; puis une
séquence est consacrée aux enjeux de la mise en scène. L'objectif principal, outre l'accent mis sur le
décor, le jeu des comédiens, les lumières... est de prendre conscience que toute mise en scène est un
choix, une re-lecture d'un texte. Ainsi, leur adaptation théâtrale en est une, aussi c'est un parti-pris,
voire même une transposition réelle (changement d'époque, de lieu, de catégorie sociale...). Ensuite,
des séances sont prévues pour l'écriture collective du texte par groupes.
Auparavant, l'entraînement à la spécificité des écritures dramatique et romanesque est
nécessaire. En début d'année, deux séquences y ont été consacrées, comprenant des exercices de
transposition, avant de pouvoir les évaluer et les noter. C'est lors du groupement de textes sur le
théâtre que les élèves ont dû faire, par exemple, l'exercice situé en annexe 4.
L'enchaînement de ces différentes séquences permet donc d'écrire, bien sûr, et, aussi, d'écrire
en respectant les codes du texte dramatique : respect des temps, disposition du texte en didascalie...
Ce travail est un moyen efficace de réinvestir les connaissances acquises sur le genre non seulement
théâtral, mais aussi romanesque.
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Ici l'écriture permet aux élèves de comprendre et affermir les connaissances en matière de
genre littéraire, d'écrire tout simplement, tout en changeant la manière d'aborder la littérature. Grâce
à la méthode active notamment, utilisée lors de l'écriture de leur propre adaptation, les élèves
s'investissent beaucoup : c'est leur production, leur propre création.
Ce type de démarche peut se faire dans d'autres cadres que celui-ci, relié à un C.C.F. très particulier.
En terminale B.E.P.A. par exemple, alors qu'on abordait la séquence portant sur le conte, une
séance, vers la fin. a été consacrée à la rédaction - au choix - de la suite de deux contes. Respecter le
système énonciatif, garder la cohérence interne des personnages, lieux, utiliser des formules propres
au conte, sont autant de critères que l'élève redécouvre d'une manière changeante, ludique et
créative.
Ecrire des notions à dé-couvrir
Par l'écriture, l'élève accède à la compréhension, en réalisant, au sens littéral, des
connaissances abstraites. Je pense ici aux notions linguistiques, au vocabulaire littéraire, auxquels il
est initié en B.E.P.A., comme en B.T.A.. C'est généralement par la méthode inductive. grâce à la
fréquentation des textes, que l'élève les découvre, puis les analyse. Pour fortifier le savoir et
multiplier les accès à celui-ci, on peut aussi prendre un autre chemin : l'écriture.
En première B.T.A., lors d'un groupement de textes descriptifs, nous avons repéré
différentes constantes : les temps et verbes utilisés, le rôle des indicateurs de temps, l'expansion
nominale... mais aussi les images, notamment la métaphore filée dans un texte de Céline, qui
semblait leur avoir plu. Une séance d'histoire littéraire a d'ailleurs présenté l'écrivain et son oeuvre.
Comme je l'ai déjà dit, je ressentais la lassitude des élèves, devant la répétition des lectures
méthodiques. Pour changer l'approche aux outils et effets divers de l'écriture, j'ai consacré une
séance, à la fin de cette séquence, où les élèves écriraient eux-mêmes un texte descriptif, en
m'appuyant sur leur intérêt pour Céline.
Les objectifs de celle-ci étaient multiples. Il s'agissait d'abord de réinvestir les outils
rencontrés : le texte descriptif et la métaphore filée ; et aussi de les initier à la lecture de l'image ( en
jetant un pont à une séquence future s'y consacrant). La séance s'est déroulée de la façon suivante.
Nous avons, assez rapidement, fait une lecture d'image de Tardi, tirée de son illustration de Le
Voyage au Bout de la Nuit (cf Annexes). Très vite, les élèves ont repéré la dénonciation. Ils ont
suggéré, comme hypothèse, que l'image faisait le constat meurtrier de la guerre. Je leur ai. alors,
donné la consigne suivante : écrire un tableau d'un champ de bataille dévasté après le combat, en
utilisant la métaphore filée de la jardinerie pour la mort, dans un texte de sept ou huit lignes.
L'exercice étant très difficile, nous avons ensemble cherché des images qui pourraient correspondre
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à la consigne, puis les avons notées au tableau, par exemple : « les blessures fleurissaient sur les
flancs des soldats », « les fusils arrosaient les hommes de leurs balles ». Ils pouvaient reprendre ces
images ou en inventer d'autres. La fin de la séance a été consacrée à l'écriture de leur texte, qu'ils
devaient terminer chez eux, si nécessaire (cf les exemples de copies d'élèves, en Annexe 6).
J'ai mentionné la difficulté de la séance plus haut. Elle m'est apparue a posteriori. Ici, les
élèves devaient et décrire et créer une métaphore filée. C'est beaucoup à la fois. Malgré cela, tous
ont su respecter ces deux exigences. Il me semble qu'on peut continuer dans cette voie, donnant
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des consignes plus simples. Car les élèves semblaient avoir eu de l'intérêt à écrire leur texte et à
entendre ceux des autres. On s'échappait, alors, du train-train habituel.
L'intérêt de cette approche réside dans le déplacement de la position de l'élève : d'analyste à
créateur. Cela suscite leur investissement, chose rare. Au Lycée, on exige qu'ils commentent,
analysent. Il semble, après la 3ème, que c'en est fini de la narration, de la description, bref de
l'imagination et de la créativité (même si la critique est d'une certaine façon, c'est vrai, créatrice).
De plus, cela les oblige à « réaliser » une métaphore filée, la composer, l'écrire et donc à
bien comprendre ce qu'elle est,et le pouvoir évocateur qu'elle possède. On continuait, sans en avoir
l'air, à travailler pour la lecture méthodique, car il ne s'agit pas d'écriture seulement sous le coup de
l'inspiration. La contrainte d'écriture les oblige à réfléchir à leur rédaction.
Enfin, la diversité des moyens d'accès au savoir (par la lecture méthodique ou l'écriture) est
importante. Car la classe est une multitude d'individus au fonctionnement différent. Certains, plus
kinesthésiques, s'y retrouvent davantage.
J'ai aussi adopté cette démarche pour des notions à caractère linguistique. Une séquence
visant à identifier les caractéristiques d'une situation de communication est prévue en seconde
B.E.P.A. Il s'agit de repérer un schéma de communication et les formes que prend cette
communication aussi bien écrite, orale, qu'audio-visuelle. Avant d'observer chacun de ces trois types
de communication, j'ai consacré une première séance visant à faire prendre conscience aux élèves,
de l'incidence d'une situation sur les formes de la communication. Pour ce faire, après avoir fait
résurgir les pré-acquis autour de la notion de communication, nous sommes partis d'emblée sur
l'exercice suivant (cf Annexe fy.
La classe devait écrire les textes évoqués ou les transcriptions de l'oral des communications
évoquées dans quatre situations qui portaient sur deux fêtes. Chaque élève se voyait attribuer une
situation. La séance suivante, nous avons lu chaque texte dans l'ordre des situations, et, à chaque
fois, avons cherché à savoir si celui-ci correspondait à celle-là. Les discussions étaient formatrices :
« Peut-on parler en verlan dans un texte en Gl ? Marc Verzé de France Inter parle-t-il comme un
journaliste de Fun Radio ? ». Lors de ces débats, a émergé un vocabulaire de linguistique : schéma
de communication, émetteur, récepteur... qu'un polycopié donné, à la fin de cette même séance,
compilait en guise de repère à garder tout au long de la séquence.
Outre le fait que les élèves se sont amusés à écrire, ils ont dû rédiger, ont fait un vrai
exercice de communication et ont tenu une réelle réflexion sur leurs écrits. Ici les démarches
abordées dans la séquence étaient de deux sortes : l'écriture d'un texte personnel et, dans les séances
ultérieures, la rédaction de l'analyse de nouvelles communications, pour garder en éveil l'intérêt, et
parler de façon différente, à des élèves tous différents.
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Ainsi, l'écriture, par sa capacité à « réaliser » des connaissances abstraites, offre un moyen
supplémentaire pour faire accéder l'élève au savoir.
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III-c) Un intérêt : remotiver certains élèves.
L'écriture, on l'a vu, est une activité pédagogique qui me paraît à intérêts multiples : on peut
écrire pour s'entraîner aux longs exercices de rédaction, mais on peut aussi se servir d'elle, pour
accéder à la compréhension d'un texte et de notions théoriques, pour découvrir des genres littéraires,
en essayant de ne jamais détruire le plaisir en jeu dans toutes ces démarches. Outre tous ces intérêts
cognitifs, l'écriture offre aussi un intérêt psychologique : en modifiant, dans un premier temps, le
rapport de l'élève au savoir pour, au bout du compte. grâce à ce détour, atteindre à nouveau le but
cognitif dont nous avons la charge.
Car l'école n'est pas seulement le lieu de l'emmagasinage des connaissances. Pédagogie
signifie étymologiquement « voyage de l'enfant ». La dimension humaine est toute aussi importante.
Et il ne s'agit pas ici de choix humaniste, charitable, philanthropique, se limitant à mon seul choix
(que je revendique d'ailleurs et imagine partagé par beaucoup d'entre nous qui avons embrassé cette
profession). L'enseignant est en partie éducateur, mais il reste un enseignant. Son souci d'aider
autrui est logique et honorable. Cependant il ne doit pas se baser sur le désir direct de la réparation,
mais sur la distanciation : c'est-à-dire à travers et pour la discipline, en garantissant l'autonomie de
l'élève.
S'il veut que ceux-ci accèdent à de nouveaux savoirs et savoir-faire, il doit prendre en
compte les blocages de ses élèves, les considérer, pour tenter de les lui faire dépasser, et replacer les
élèves dans la voix de la réussite.
L'écriture, comme pratique de différenciation pédagogique, peut permettre à certains élèves
de retrouver le succès. J'en veux pour preuve le cas d'un élève de première B.T.A., cette année. C'est
un élève qui participe à l'oral assez régulièrement et de façon pertinente. Il faisait preuve
d'intelligence, de recul, lorsque nous lisions méthodiquement des textes au premier trimestre.
Cependant son premier formatif écrit de lecture méthodique n'était pas très bon. Le décalage
m'étonnait. Comme très souvent, le passage à l'écrit posait problème.
Ce phénomène me laisse toujours perplexe. Car on a eu la preuve,patente à l'oral, de ses
compétences. Et elles s'évanouissent à l'écrit, alors qu'il rédige sans difficulté particulière. Si écrire
semble ne pas lui poser de problème, alors ses capacités d'analyse devraient réapparaître. Je mettais
alors cet échec, sur le compte d'un « blocage d'ordre psychologique ». C'est pourquoi, lors du
premier formatif, je précisai sur sa copie que les prochains devraient sans doute être meilleurs, vu
les talents qu'il avait montrés en cours, à l'oral.
Les formatifs écrits et oraux qui suivirent (toujours en matière de lecture méthodique) ne
furent pas meilleurs. Ses notes oscillaient toujours autour de 7,8,9. L'écrit n'était pas seulement le
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moyen d'expression en cause, puisque son formatif oral n'était pas plus brillant. L'hypothèse d'une «
raison plutôt psychologique » se confirmait. Il se montrait pertinent, dans des circonstances sans
enjeu majeur, et ne montrait plus rien de tout cela, dans le cadre des formatifs. Mon commentaire
sur sa première copie était resté vain, même s'il n'était pas néfaste, car encourageant. Il était resté
tout bonnement stérile : sans effet concret. Car il ne suffit pas que l'enseignant exprime la confiance
qu'il a dans l'élève. Il faut aussi que l'élève en ait en lui.
Le déclic semble s'être produit, alors que nous travaillions vers la fin du premier trimestre,
sur des activités d'écriture bien différentes de la lecture méthodique, des activités plus créatives,
comme je l'ai déjà expliqué. En effet, lors d'une séance, tous étaient en train d'écrire et je passais
dans les rangs pour lire au fur et à mesure ce qu'ils créaient. Il avait terminé assez tôt, son texte était
réussi et je lui dis. A la fin de la séance, j'ai demandé à la cantonade si quelqu'un voulait bien lire
son travail. Personne ne se proposa, sauf lui.
Les élèves se sont rendu compte que son texte était bon. Leur perspicacité est toujours
stupéfiante dans des circonstances dénuées de souci d'efficacité, de rendement. Ils dévoilent toute
leur acuité littéraire devant le texte d'un pain qu'ils enfouissent sous d'opaques couvertures, quand
ils se savent évalués devant le texte d'un «écrivain ». Et la classe lui a fait sentir qu'elle trouvait son
texte réussi, ce que j'ai à nouveau confirmé.
Cette séance eut lieu peu avant le premier C.C.F. de lecture méthodique. Tous les formatifs
avaient été faits auparavant. L'élève n'avait donc pas eu, depuis, l'occasion de réussir dans ce cadre.
Or, le jour du C.C.F.. il a brillamment réussi sa lecture méthodique : sa note était de 14,5.
Aurait-il réussi sa lecture méthodique, grâce à l'occasion, offerte, d'un autre type d'exercice -
nouveau pour lui, connoté d'aucun échec - par lequel il s'autorisait à réussir en français ? Qri peut
objecter beaucoup d'arguments à l'interprétation que je donne de son parcours. Peut-être a-t-il réussi
par hasard. Peut-être est-ce quelqu'un qui se ressaisit quand l'enjeu a de réelles conséquences.
J'ai appris-plus tard, que ses parents, à la suite du premier bulletin, avaient rencontré son
professeur principal. Lors du premier conseil, l'équipe pédagogique l'avait considéré comme un
élève qui ne travaillait pas assez, qui n'exploitait pas toutes ses qualités. Ses parents l'avaient
franchement sermonné lors du rendez-vous avec le titulaire. On peut imaginer que leur sévérité a eu
son effet. La crainte de la réprimande ou les signes d'attention reçus de ses parents l'ont sans doute
mis au travail. Je ne crois pas que son évolution positive, jusqu'à ce jour, se limite à un seul succès
en français. Les paramètres en cause sont sans doute plus nombreux et pas tous connus de nous.
Mais je persiste à croire que cette séance a eu un petit rôle. Si l'élève a progressé au deuxième
trimestre, dans de nombreux modules, ses résultats ont quand même « doublé » en termerde points
en B1. Il a sans doute bénéficié, à un moment crucial, de suffisamment d'attention et de réussite
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pour que le déclic se produise. L'effet boule de neige a fait ensuite son chemin.
Le long développement de son cas en cache d'autres, sur lesquels j'avais moins de
renseignements précis (c'est pourquoi je me suis penchée sur lui). Car il semble que la spécificité de
l'Enseignement agricole provoque davantage ce type de métamorphoses. Cet élève imaginatif a vu
ses qualités reconnues et validées en Bl, où on attend surtout de l'analyse. Sa réussite, dans un
domaine plus créatif, a permis de transférer cette capacité repérée seulement à l'oral en cours, de
façon effective dans les exercices de pure analyse. Il me semble que plus on varie la nature des
exercices, plus on offrira aux élèves des chances de réussir.
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CONCLUSION
Pour cristalliser une réflexion sur du papier, il faut travailler et l'analyse et l'écriture.
Pourtant il m'est apparu que l'analyse littéraire, d'un sujet de réflexion, de documents... prenait une
place si importante qu'elle reléguait les problèmes de mise en forme, en mots, dans le meilleur des
cas bien trop tard. Dans une société et une école où l'écrit a tissé sa toile pour devenir un des
moyens d'expression majeurs, ses répercussions dans les autres disciplines sont d'un enjeu terrible.
Il devient donc urgent d'entraîner régulièrement l'élève et l'accompagner dans chaque nouvelle
difficulté rédactionnelle. Ecrire et penser ne s'opposent pas de façon étanche, bien au contraire, ils
se nourrissent l'un de l'autre. Et c'est dans cet échange, constant et source de plaisir, que l'élève
grandit.
Pour enrichir l'écriture anémiée, il est important d'en faire un but et un moyen de
l'enseignement du français. Tout d'abord, créer une dynamique d'écriture a plusieurs atouts. Les
textes circulent, ceux de l'enseignant, modalisateurs. ceux des élèves, comme autant d'entraînements
pensés didactiquement. Ils ont une vraie raison d'être, car ils sont lus. Cette mise en scène n'a qu'un
but : donner à l'écriture, vite oubliée tant elle est silencieuse sur sa feuille fine, la réalité, la pratique,
qui la constituent et qu'elle mérite. Par ailleurs, elle s'avère être un moyen efficace pour atteindre
des objectifs qui ne sont pas spécifiquement rédactionnels : écrire pour comprendre un texte,
appréhender des notions, un genre littéraire... Sans négliger les autres approches - plus analytiques,
inductives - elle offre une alternative, aux élèves, que les premières mettent en échec. En dehors des
progrès des élèves dans la structuration de leurs écrits, elle permet de varier les activités. La
créativité et le plaisir qu'elle a suscités a permis de rompre la monotonie de certaines approches.
On pourrait imaginer d'autres remédiations, à cette carence de l'écriture, que la longueur de
ce travail et la réalité d'une année scolaire ne m'ont pas permis. Ecrire une nouvelle, un roman, une
pièce de théâtre, en intégrant les objectifs du référentiel des différents modules susceptibles de
l'être, pourrait être une possibilité qui. par son ambition, motiverait les élèves. Je n'ai pas voulu me
lancer dans ce type de projet. Son envergure exceptionnelle -qui doit d'abord rencontrer l'adhésion
de la classe - peut-elle être répétée inlassablement chaque année ? Plutôt que tabler sur un atout
unique et ambitieux, j'ai préféré la prudence en répartissant mes chances par la mise en place de
différents procédés.
Sans abandonner complètement ce type de projet, on peut aussi garder à l'esprit
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l'exploitation du journal. Une séquence inter et pluridisciplinaire peut se construire en G4
notamment, sur l'écriture d'un article de journal. Par ailleurs l'exploitation des sondages pourrait y
trouver une publication. Toutefois, on ne peut pas obliger les élèves à être imprimés et diffusés dans
tout le Lycée.
La réflexion peut se tourner vers les problèmes d'écriture, propres aux travaux longs des
autres matières et faire, là aussi, l'objet de séances inter et pluridisciplinaires.
Enfin, pour créer de façon complète et convaincante, une vraie dynamique d'écriture, il
manque un (réd)acteur important dans la classe : l'écrivain. Pour cela j'ai sollicité l'intervention du
poète Michel Houellebecq, dont on va étudier des textes en première B.T.A..Outre le débat
traditionnel sur les questions de vocation et de création..., l'idéal serait d'organiser une séance
d'écriture, sous contrainte formelle, avec lui, en sa présence. En plus d'un moment précieux et
privilégié, elle apporterait la pièce manquante à l'édifice de ce dynamisme : les élèves écriraient
(entre autres) à un destinataire, habituellement destinateur : l'écrivain.
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