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Xavier LafonJean-Yves MarcMaurice Sartre

La ville antique

Histoire de l’Europe urbaine 1

SOUS LA DIRECTIONDE JEAN-LUC PINOL

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Éditions du Seuil

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Introduction générale

Les premières concentrations urbaines se sont constituéessur les bords du Tigre, de l’Euphrate et du Nil, en des tempsoù l’Europe ignorait la ville. Au nord de la Méditerranée, ellen’apparaît que tardivement par rapport à Ur, Ninive, Baby-lone ou Thèbes, mais, ensuite, elle devient une des dimen-sions primordiales de l’Europe, à tel point que d’aucuns,aujourd’hui, font de l’européanité et de l’urbanité des catégo-ries coextensives.

Que serait l’Europe sans ses villes et comment se serait-elle construite sans elles ? Faire l’histoire des villes euro-péennes revient à faire l’histoire de l’Europe même, commele remarque Leonardo Benevolo dans son ouvrage La Villedans l’histoire européenne. L’historien de l’architectureannonce avoir voulu proposer un ouvrage dont l’objetunique était l’histoire de « la physionomie de la ville », ou,pour le dire autrement, de la forme urbaine. La présenteHistoire de l’Europe urbaine n’entend pas séparer laforme urbaine des pratiques sociales. Elle repose sur un

postulat : ville et société ne se comprennent que dans leursinterrelations.

La ville n’est pas une catégorie immuable et il serait vainde vouloir lui donner une définition normative et englobantevalable aussi bien pour la période des synœcismes, aumoment où s’amorce le phénomène urbain en Grèce ou enItalie, que pour l’aube du XXIe siècle, en des temps où se des-sineraient, selon certains, le déclin des villes ou la dissolu-tion de la ville dans l’urbain. Cette histoire ne débute doncpas sur un coup de force théorique et préfère considérer que« sous le nom de ville, s’accumule une somme d’expériences

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historiques plus que ne se profile la rigueur d’un concept1 ».De la même manière, loin d’affirmer qu’il existe un typeunique de ville européenne, cet ouvrage s’interroge sur ladiversité des modèles et des temps de l’urbain.

Ce refus d’une définition a priori de la ville se doubled’une conviction : la ville est un phénomène total où secondensent l’économique et le social, le politique et le cultu-rel, le technique et l’imaginaire et, partant, toute approchefractionnée qui privilégierait un domaine unique aux dépensdes autres manquerait de pertinence ; « au contraire, une lec-ture totalisante, comme affirme l’être l’analyse historique,risque de mieux prendre en compte l’effet des interrelations2 ».Ce « bricolage unificateur » qu’est l’histoire urbaine embrassel’ensemble des problèmes qui se posent aux villes, auxhommes et aux femmes qui y vivent, et tente d’en proposerune interprétation synthétique et cohérente.

Pour toutes les périodes, les auteurs ont eu le souci derépondre à des questions parallèles tout en respectant laspécificité des grandes temporalités de l’histoire urbaine.D’emblée, le principe d’un refus d’une histoire fondée sur lasuccession de chapitres « nationaux » a été accepté, l’objectifétant d’aborder les questions par vastes chapitres théma-tiques et/ou chronologiques, prenant en compte l’ensembledes villes européennes. Il a aussi été retenu de respecter lesgrandes périodes historiques mais de tenter de retrouver danstous les livres des thématiques communes, plus ou moins

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développées en fonction des recherches disponibles.Pour les auteurs, la mise en œuvre d’un tel ouvrage n’a pas

été chose aisée tant les historiographies nationales en matièred’histoire urbaine n’avancent pas toutes du même pas, et sur-tout, tant sont pléthoriques les études partielles et locales.

1. Marcel Roncayolo, La Ville et ses territoires, Paris, Gallimard,1990, p. 28.

2. Bernard Lepetit, « La ville : cadre, objet, sujet. Vingt ans derecherches françaises en histoire urbaine », Enquête, anthropologie, his-toire, sociologie, n° 4, 1996.

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Une autre difficulté a été d’accéder à l’information pour lespays dont la langue n’était pas maîtrisée par les auteurs. Laparticipation fréquente de nombre d’entre eux à des col-loques, des séminaires et des échanges internationaux eteuropéens ont aidé à pallier ces lacunes. Au demeurant,l’objectif n’est pas de proposer un ouvrage exhaustif maisune interprétation générale de l’histoire urbaine de l’Europe.

Lorsqu’un livre a été écrit par plusieurs auteurs, l’ensembledu texte est œuvre collective et les chapitres résultent d’écri-tures croisées : ce choix a certainement ralenti le processusd’écriture mais il a l’immense avantage de ne pas juxtaposerdes chapitres plus ou moins indépendants les uns des autres.Des lecteurs spécialistes de telle ou telle ville pourront,certes, trouver que la part qui lui est faite est trop mince ouque les analyses qui la concernent sont discutables, maisl’objectif de l’ouvrage n’est pas, ne pouvait pas être, de trai-ter par le menu les spécificités de telle ou telle cité mais deproposer des interprétations générales.

Réaliser un tel projet peut se faire de plusieurs manières.Une équipe très nombreuse, uniquement composée de spé-cialistes, peut s’atteler à la tâche. Chaque auteur ne parle quede ce qu’il a étudié directement, la qualité et la précision desétudes sont alors remarquables mais la synthèse n’est pastoujours au rendez-vous. Cette méthode a prévalu pour latrès précieuse Cambridge Urban History of Britain1. Pour laseule période allant de 1840 à 1950, vingt-huit auteurs ontdonné leur contribution et le livre, près d’un millier de pages,

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se déroule en vingt-quatre chapitres autonomes. Pour cetteHistoire de l’Europe urbaine, le choix retenu n’a pas été lemême.

Pour la période correspondant grosso modo à l’ouvrage citéde la Cambridge, la présente Histoire de l’Europe urbaine necompte que deux auteurs. En tout, une dizaine d’auteurs pour

1. Peter Clark (dir.), The Cambridge Urban History of Britain (t. I,David M. Palliser [éd.], 600-1540 ; t. II, Peter Clark [éd.], 1540-1840 ;t. III, Martin Daunton [éd.], 1840-1950), Cambridge, Cambridge Univer-sity Press, 2000-2001.

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plus de vingt-cinq siècles d’histoire et la planète pour terri-toire puisque les villes européennes ont essaimé sur tous lescontinents. Chacun a pris le risque de la synthèse, s’aven-turant souvent loin des domaines balisés qu’il a étudiésdirectement, s’exposant à la contradiction, mais soucieux deprendre en compte la complexité des situations vécues parles populations urbaines de l’Europe.

Selon une formule brillante, et souvent utilisée de BrianBerry1, les villes sont des systèmes dans des systèmes devilles. Cette approche fonde les démarches de l’histoireurbaine qui sont mises en œuvre dans cette Histoire del’Europe urbaine. La démarche comparative privilégie lesrégularités et minimise les particularités. Elle analyse prio-ritairement les relations qui se tissent entre les hommes,au sein de l’espace intra-urbain ou inter-urbain et qui seretrouvent dans toutes les localités en dépit de leurs éven-tuelles spécificités.

Ce n’est pas le lieu de revenir longuement sur les muta-tions importantes qui ont marqué l’historiographie des villesau cours des dernières décennies mais il faut rappelerquelques points saillants d’une évolution de longue durée.L’histoire des villes commence par le récit des origines,source de la construction d’une identité mythifiée dontl’objectif est de donner aux habitants un passé glorieux quijustifie les ambitions du présent. Le récit de la fondation deRome par Romulus et Remus en fournit le modèle emblé-matique. Reconstitution tardive, fortement imprégnée des

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pratiques étrusques, développée, au plus tôt, à la fin duV

e siècle, au moment où d’autres cités se lancent dans desopérations de colonisation qui pourraient concurrencer cellede Rome, le récit souligne la dimension religieuse du phéno-mène et contribue à renforcer le mythe. Toutes les villes nesont pas Rome, mais la mythification des origines est sou-vent instrumentalisée pour renforcer la cohérence d’une

1. Brian J. L. Berry, « Cities as systems within system of cities »,dans John Friedman et William Alonso, Regional Development andPlanning, Cambridge (Mass.), The MIT Press, 1964.

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communauté, affirmer le caractère unique d’une cité et justi-fier sa volonté d’autonomie face aux pouvoirs concurrents.Ainsi, au XIVe siècle, des villes de Castille se proclament fon-dées par Hercule ou par César. Le récit de ville tend à légiti-mer et à préserver l’autonomie politique de la cité. En pleinXIX

e siècle, au moment où elles sentent que leur autonomieest menacée par l’unification allemande, les élites des villesles plus traditionnelles de l’espace germanique inventent desrécits des origines censés justifier par l’histoire leurs reven-dications politiques de l’heure1.

En privilégiant le caractère unique de sa cité et en seconstituant comme objet idiographique, l’érudition localetelle qu’elle se construit aux XVIIe et XVIIIe siècles, et mêmelorsqu’elle adopte, au XIXe siècle, les techniques qui fondentle métier d’historien, n’est pas radicalement éloignée de cetype d’histoire. « Ce qui s’est passé dans ces murs est irré-ductible à des événements situés hors les murs », proclametoujours l’érudit. L’histoire et la conservation des documents– les traces qu’utilisent les historiens – attestent de la légiti-mité du pouvoir urbain. Ces impératifs politiques sontensuite relayés par la volonté de célébrer la gloire des cités,et les ordres religieux jouent, dans ce concert de la magnifi-cence urbaine, leur partition. Cette tradition, marquée par lapassion érudite, alimente le patriotisme provincial et nourritl’esprit de clocher, la petite patrie, même lilliputienne selonle mot de Fernand Braudel, devient le trébuchet de tous lesjugements de valeurs.

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Cette tradition n’a pas disparu et l’on en trouve la manifes-tation dans de nombreuses monographies ou « biographiesurbaines » comme disent les historiens britanniques. Dansles histoires suscitées par des syndicats d’initiative soucieuxde soutenir le tourisme local, elle se double souvent d’unefascination pour l’érudition locale qui se drape dans les plisde la défense du patrimoine.

1. Voir Gérald Chaix, dans Claude Petitfrère, (dir.), Construction, repro-duction et représentation des patriciats urbains de l’Antiquité au XX e siècle,Tours, Centre d’histoire de la ville moderne et contemporaine, 1999.

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Une autre manière d’aborder l’histoire de la ville a été,longtemps, de privilégier l’approche institutionnelle ou d’enfaire, d’abord, une histoire politique assez classique où lachronique citadine offre la meilleure part aux répercussionsque les grands événements, guerres, changements de régimeou d’autorité, ont pu avoir sur la vie de telle ou telle cité.Le fait qu’un événement se passe dans une ville n’impliquenullement qu’il relève de l’histoire urbaine : la topogra-phie ne suffit pas à définir une problématique. L’histoireurbaine n’est pas « un simple accident de la géographie » pourreprendre l’expression d’un historien britannique1. À ce refusde l’espace-prétexte s’est substituée progressivement lavolonté de développer une conception permettant l’analysedes « effets de l’urbain » : « Constituer clairement l’histoireurbaine en histoire problème, sérier les questions ayant pourbut de cerner les effets de l’urbain paraissait de bonneméthode pour continuer à faire véritablement de l’histoireurbaine, et pour ne pas revenir à une histoire qui n’a d’intérêtpour la ville que parce que son objet se présente dans uncadre citadin2. » Ou, pour reprendre une autre formule dumême auteur, passer de la ville comme cadre à la villecomme objet et sujet.

Cette Histoire de l’Europe urbaine ne relève pas d’une his-toire de l’urbanisme, dont le principal objectif serait l’histoiredes théories qui président, de manière implicite ou explicite, àl’organisation physique de la ville sur le modèle que PierreLavedan, parmi d’autres, a développé à partir des années 1930.

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Il ne s’agit pas non plus d’une histoire des villes qui renverraità une approche morphologique soucieuse de mettre en lumièreles spécificités topographiques ou fonctionnelles. Ces préoc-cupations ne sont pas absentes, mais elles ne constituent pasl’angle unique d’approche. En fait, cet ouvrage met en œuvre

1. Derek Fraser, « The urban history masquerade : recent trends inthe study of English urban development », The Historical Journal,vol. 27, 1984.

2. Bernard Lepetit, Les Villes dans la France moderne, Paris, AlbinMichel, 1988, p. 14.

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une histoire urbaine générale et comparée, pour reprendre uneformule utilisée au milieu des années 1930 par Georges Espi-nas. Ce dernier tenait, dans les Annales que Marc Bloch etLucien Febvre venaient de créer à Strasbourg, une rubriquerégulière intitulée « Histoire urbaine » et où, en rendantcompte de nombreux ouvrages – dont par exemple, celui dePierre Lavedan qu’il n’appréciait guère –, il s’efforçait de tra-cer un programme général de recherche en histoire urbaine,tout en étant lui-même très nettement orienté vers les problé-matiques de l’époque qui se focalisaient sur l’origine de la flo-raison urbaine médiévale.

À l’occasion d’une note intitulée De l’horreur du géné-ral : une déviation de la méthode érudite, parue dans lesAnnales de 1934, il revient sur les différentes manières d’abor-der l’histoire urbaine. Rendant compte de deux ouvragesd’Étienne Delcambre sur la ville du Puy, il y dénonce« l’analyse locale poussée à ses plus extrêmes limites, le tra-vail à la loupe, l’utilisation de la minutie, la description par lemenu des moindres détails de l’évolution des institutions »,et il reprend les termes d’un débat qui courait déjà auXIX

e siècle lorsque Fustel de Coulanges engageait le fercontre le spécialisme. « À en croire certains esprits, il fautborner le travail à un point particulier, à une ville, à un évé-nement… J’appellerai cette méthode le spécialisme. Elle ason mérite et son utilité, elle peut réunir sur chaque point desrenseignements nombreux et sûrs. Mais est-ce bien là le toutde la science ? Supposez cent spécialistes se partageant par

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lots le passé de la France ; croyez-vous qu’à la fin ils aurontfait l’histoire de la France ? J’en doute beaucoup : il leurmanquera au moins le lien des faits, or ce lien est aussi unevérité historique1. »

Et Georges Espinas de revenir sur la dialectique qui doits’instaurer entre l’analyse érudite et la synthèse : « Qu’une

1. Fustel de Coulanges, « L’esprit de doute, le spécialisme. Leçond’ouverture à la Sorbonne », s. d., cité dans François Hartog, LeXIX

e siècle et l’Histoire : le cas Fustel de Coulanges, Paris, Éd. du Seuil,2001, p. 367-373.

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histoire locale doive servir à l’histoire générale, rien de plusvrai, mais un tel résultat ne peut être atteint que moyennantdeux conditions : que le travail se présente avec un minimumde détails choisis pour des raisons purement qualitatives etque de ces détails soient déjà extraites les conclusions qu’ilspeuvent donner. L’étude locale n’est, bien entendu, nulle-ment “méprisable” en principe, mais, étant secondaire dansson essence, elle doit être non pas encore réduite, mais, aucontraire, élargie ; son infériorité naturelle, ses faiblessesspontanées doivent être non pas exagérées, mais refrénées ;elle doit être composée dans un sens non pas ultra, maisextra-local, autant que possible sous forme de travail géné-ral : bref, elle ne vaudra qu’en proportion, non pas del’absence, mais de l’existence d’idées générales, c’est-à-direde son intérêt pour la synthèse. »

Ce faisant, il plaide pour le développement d’une « his-toire urbaine générale et comparée » et prend le contre-piedd’une histoire des villes que seuls fonderaient le souci del’érudition et l’insistance sur les spécificités. Il le fait demanière véhémente avec des formules qui font mouche :l’érudit « ne connaît que sa ville et ignore toutes les autres :les murs de sa cité lui ferment l’horizon ».

Le projet qui préside au présent ouvrage est bien celuid’une histoire urbaine générale et comparée de l’Europe, unlivre qui embrasse large dans le temps et dans l’espace.D’aucuns pourront considérer qu’il est d’une ambition déme-surée. La difficulté était d’autant plus grande que l’histoire

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urbaine, à contre-courant d’une histoire en miettes, est, enelle-même, un exercice de synthèse. Logement, construction,usage et propriété du sol, transports, administration muni-cipale, finances locales, politique édilitaire, santé, hygiène,approvisionnement, population, famille, classes sociales, élites,pratiques culturelles, violence, conflits, mais aussi manifes-tations, philanthropie, bien-être, architecture, organisationde l’espace, besoin d’espace, qualité esthétique de la ville,rentes de situation, organisation industrielle : autant dedomaines qui mériteraient examen dans le cadre de l’histoireurbaine non pas comme des champs spécifiques, mais comme

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des pièces d’un puzzle qui ne serait achevé, comme toutpuzzle, que lorsque la dernière pièce viendrait donner lacohérence générale. Rude tâche pour l’historien, qui jamaisn’embrasse une telle variété d’éclairages mais dont l’objet sesitue bien dans l’entrelacs de disciplines diverses… Si l’his-torien du logement ou de l’architecture est intéressé par laconstruction des bâtiments et si l’historien de la société oude la famille se consacre à l’étude des manières d’y vivre,le propre de l’histoire urbaine sera – serait – de porter atten-tion de manière égale et concomitante « aux générationsd’immeubles et aux générations d’hommes1 ». Un tel pro-gramme est ambitieux, trop sans doute, et il serait préten-tieux d’affirmer que cette Histoire de l’Europe urbaine avoulu y répondre.

Plus modestement, et de manière plus pragmatique, fidèlesen ce sens au bricolage unificateur évoqué plus haut, tous lesauteurs se sont efforcés de répondre à des questions voisinessans s’interdire de signaler les domaines où devraient porter,selon nous, les recherches à venir.

L’Europe telle qu’elle est prise en compte dans l’Histoirede l’Europe urbaine est une Europe qui ne correspond pasaux définitions actuelles de l’Europe politique mais qui ren-voie à une approche pragmatique d’un espace aux limitesorientales incertaines. L’espace européen n’a pas connu uneurbanisation homogène et, surtout, la profondeur chronolo-gique de cette dernière n’est pas partout la même. Si les rives

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du Mare �ostrum figurent incontestablement, et dès l’Anti-quité, parmi les milieux urbanisés, celles de la Baltiquen’enregistrent l’émergence des villes que plusieurs sièclesplus tard. De la Méditerranée aux mers froides, le lent bascu-lement médiéval dessine les contours d’une Europe urbainedont le front pionnier se situe désormais à l’est. À l’intérieurdes terres septentrionales, la conquête urbaine attendra sou-vent l’équipement ferroviaire pour se mettre en place alors

1. David Cannadine, David Reeder (dir.), Exploring the Urban Past,Cambridge, CUP, 1982, p. 210-211

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que le cabotage avait permis d’ourler les côtes de petits portsqui furent longtemps le seul témoignage de la ville. L’espacede l’Europe urbaine s’est progressivement dilaté de l’Anti-quité à nos jours, de la Sicile à la Scandinavie et des côtesportugaises aux contreforts de l’Oural, même si le caractèreconventionnel et arbitraire d’une telle limite ne peut être nié.

L’un des problèmes que pose l’ouvrage est celui de la spéci-ficité de la ville européenne. « Ces hautes maisons tassées lesunes sur les autres, ces ruelles tortueuses, ces places impro-bables mais aussi cette promiscuité de groupes sociaux diffé-rents au sein d’une société pourtant lourdement hiérarchisée,ces rencontres imprévues entre professions pourtant stricte-ment séparées par la logique corporative – telles sont lescaractéristiques fondamentales et durables de la ville euro-péenne1. » Ce type de définitions ne semble pas totalementpertinent : il manifeste une forte tendance à dire la norme alorsqu’il peut y avoir diverses formes de villes. Il renvoie à uneintériorisation de valeurs et de critères qui rappellent étrange-ment ceux des voyageurs et des géographes venus d’Europeoccidentale, qui, au XIXe siècle, déniaient le nom de villes auxlocalités de l’est de l’Europe2. Les villes de l’« autre Europe »,pour reprendre la formule de Czeslaw Milosz, n’étaient pasdes villes parce que leur faible compacité les rapprochait desformes villageoises tout comme la forte présence du bois ensoulignait le caractère archaïque. La ville européenne n’existepas, ou plus précisément, il faut accepter l’idée qu’existent, enmême temps, plusieurs modèles de villes européennes. Ber-

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nard Lepetit note que « la ville […] n’est jamais synchroneavec elle-même : le tissu urbain, le comportement des citadins,les politiques d’aménagement […] se déploient selon deschronologies différentes. Mais en même temps, la ville est toutentière au présent. Ou plutôt, elle est tout entière mise au pré-sent par les acteurs sociaux sur qui repose toute la charge tem-

1. Jacques Lévy, Europe, une géographie, Paris, Hachette, 1997, p. 120.2. Voir, dans le tome 4 de l’Histoire de l’Europe urbaine, les

remarques d’Élisée Reclus sur la ville de Skodra ou sur les villes de laplaine hongroise.

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porelle1 ». Ce qui est vrai du fonctionnement de la ville l’esttout autant des modèles et des systèmes urbains : le résultatde la combinaison, dans la contemporanéité, de logiques etd’âges différents.

La longue durée n’est pas sans vertus heuristiques. Un seulexemple : la permanence de la densité du semis urbain lelong des fleuves qui traversent les Pays-Bas méridionaux,devenus la Belgique en 1830. Sur les rives de la Meuse, quiconstitue, aux VIIe et VIIIe siècles, le principal axe commercialde l’espace franc, se sont établis de nombreux portus. Naissentainsi Maastricht, Liège, Huy, Namur ou Dinant. Dans le troi-sième quart du IXe siècle, alors que les invasions normandescessent, le long de l’Escaut, se développent Valenciennes,Tournai, Gand et peut-être déjà Anvers.

Sans entrer ici dans le débat sur les raisons de la naissance deces portus – explosion du commerce international ou articula-tion entre croissance rurale et croissance urbaine – traité dans letome 2 de cette Histoire de l’Europe urbaine, il faut retenir laforte densité du semis urbain. Sous l’Ancien régime, la distancemoyenne entre les villes de ce qui sera la Belgique (tome 3) esttoujours une des plus faibles, et le phénomène se prolonge àl’époque contemporaine (tomes 4 et 6). En 1800, par exemple,les territoires de la future Belgique et des Pays-Bas ont lessemis les plus denses de toute l’Europe, avec une distancemoyenne entre deux villes de l’ordre de 20 kilomètres alors quela distance moyenne européenne est trois fois supérieure.

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Cette Europe urbaine dense voit se constituer les échangesles plus réguliers entre les villes et se mettre en place, à laveille de la Première Guerre mondiale et, surtout pendantl’entre-deux-guerres, les organisations internationales struc-turant les collaborations entre les villes. L’Union internatio-nale des villes est fondée à Gand en 1913 et son siège estétabli à Bruxelles pendant l’entre-deux-guerres.

1. Bernard Lepetit, « Une herméneutique urbaine est-elle pos-sible ? », dans Bernard Lepetit et Denise Pumain (dir.), Temporalitésurbaines, Paris, Anthropos, 1993, p. 293.

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Au moment même où Georges Espinas appelle au déve-loppement d’une histoire urbaine générale et comparée,l’Union internationale des villes, souvent avec l’appui de laSociété des Nations, multiplie les congrès favorisant leséchanges d’informations entre les villes et développe lesoutils statistiques permettant des comparaisons. Par exemple,une étude des méfaits de la tuberculose dans les villes, et enparticulier dans les villes européennes, est publiée, cartes àl’appui, par le bureau d’hygiène de la SDN.

La volonté de comparaison est, alors, très commune et,dans certains cas, les recherches menées ont été réutiliséesdans le présent ouvrage. La comparaison des taux de morta-lité de plusieurs dizaines de villes européennes au milieu del’entre-deux-guerres oblige à repenser certaines questionsqui se posent à l’histoire urbaine, tant la distribution dansl’espace souligne l’existence de systèmes urbains aux logiquestechniques, gestionnaires et sanitaires bien tranchées.

Aux lendemains de la Seconde Guerre mondiale, cettevolonté comparative s’est amenuisée et les historiens ont, enpartie, oublié ce « moment » où aurait pu émerger une autremanière d’écrire l’histoire des villes et peut-être l’histoire del’Europe. D’une certaine manière, cette Histoire de l’Europeurbaine renoue avec une tradition née pendant une périodeoù des doutes pesaient sur le devenir des villes, où les espoirsmais aussi les inquiétudes alimentaient débats et polémiques,où les villes, disait-on, étaient « en crise ». Comme en cedébut de XXIe siècle ?

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Introduction

Le phénomène urbain, qui se développe autour de la Médi-terranée au cours de la première moitié du Ier millénaireav. J.-C. et se répand ensuite sur ses périphéries, est révolu-tionnaire pour deux raisons principales. La première est quel’urbanisation des sociétés et des espaces concernés est sansdoute la réalité la plus importante de l’histoire ancienne.L’étude des premières agglomérations, de leur essaimage etdu développement d’une culture urbaine qui finit par deve-nir la culture dominante constitue par conséquent un champmajeur de l’histoire de l’Antiquité. Les civilisations grecqueet romaine sont en effet de véritables « civilisations del’urbain », ce qui les différencie qualitativement et quantitati-vement des civilisations palatiales orientales plus anciennes,même si celles-ci connaissent aussi des phénomènes prochesde la ville : on observe chez les premières non seulement unquadrillage de l’espace par les villes, mais également l’éla-boration d’une véritable culture urbaine, deux réalités incon-nues jusqu’alors. La seconde raison tient à la postérité

considérable de cette « révolution urbaine ». En effet, saisiedans sa longue durée, elle apparaît, d’une part, comme ayantstructuré pour longtemps une grande partie de l’espace euro-péen et, d’autre part, comme ayant fourni aux sociétés euro-péennes un modèle de développement anthropologiquerarement remis en cause depuis.

Mais tout cela ne rend pas plus facile la tâche de l’histo-rien. Celui-ci se heurte d’emblée à plusieurs difficultés. Sansparler des sources toujours partielles et fragmentaires en his-toire ancienne, qui laissent dans l’obscurité bon nombred’aspects de l’histoire urbaine, l’objet même de l’étude, la

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ville, ne se laisse pas aisément approcher. L’aporie tradition-nelle de la définition de la ville est encore plus manifestepour le monde antique et il faudra, dans bien des cas, secontenter d’une approche empirique, forcément relative,voire approximative. L’hermétisme du phénomène urbaindans l’Antiquité tient essentiellement à l’absence chez lesAnciens de véritables discours sur la ville et à la confusionentre le développement des agglomérations urbaines etl’apparition des cités. Chez Aristote, le phénomène histo-rique qui fait l’objet d’une réflexion critique est celui de lanaissance de la cité. Les Romains ne furent guère plusconscients que les Grecs de l’existence du fait urbain : levocabulaire qui leur sert à désigner les villes montre qu’ils nevoient pas la ville comme un phénomène économique etsocial. En grec comme en latin, c’est la définition politiquequi l’emporte et celle-ci est liée à un statut juridique, souventindépendant du poids démographique de l’agglomération oude son urbanisme. Qu’une ville importante perde son statutd’autonomie à la suite d’une guerre, elle perd alors son nomde ville, comme le montre l’embarras de Tite-Live qui quali-fie Capoue, privée de liberté après la deuxième guerrepunique, de prodigium, littéralement de « monstre ».

Cette focalisation sur le politique s’est transmise presquetelle quelle à l’historiographie contemporaine, si bien qu’onne trouve pour ainsi dire jamais, dans les grandes synthèsesou les manuels d’histoire ancienne, de chapitres consacrés à

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la naissance et au développement des villes. Or les deux phé-nomènes ne sont pas de nature identique et ne se recouvrentjamais complètement : il y a des villes qui ne sont pas descités et inversement des cités qui se développent sans agglo-mération urbaine. Cette tendance à l’occultation de la ville,considérée en tant qu’espace et structure sociale caractéris-tiques, derrière l’écran des institutions civiques ou munici-pales tient aussi au fait que le champ couvert par l’histoireurbaine est écartelé entre l’archéologie et l’histoire et queles pierres sont rarement étudiées en même temps que leshommes.

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Une dernière difficulté propre à l’histoire urbaine des socié-tés antiques est la surévaluation par l’historiographie du phé-nomène urbain. Celle-ci est provoquée par la confusion quenous venons de mentionner entre ville et cité, entre espaceurbain et corps politique. En réalité, les sociétés anciennessont encore très rurales par bien des aspects mais le mondeantique est culturellement un monde de la ville, et cela sansdoute très tôt. Cependant, il n’y a pas de véritables villesavant la fin de l’époque archaïque et peu de véritables villesavant la fin du IVe siècle av. J.-C. Pour une grande part, les« agglomérations1 » restent de gros bourgs ruraux, même sielles cherchent à passer pour des villes. La ville anciennerelève d’un phénomène plus culturel ou politique qu’écono-mique et social, phénomène qui constitue l’horizon majeurde développement des sociétés gréco-romaines.

La ville antique :construction d’un objet historique

Les études de la ville antique ont longtemps hésité entredeux approches théoriques : celle qui considère la ville commele produit de systèmes fonctionnels générateurs de son archi-tecture et donc de l'espace urbain, d’une part, et, d’autre part,celle qui la considère essentiellement comme une structurespatiale.

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La ville antique a d’abord été étudiée et théorisée par leshistoriens. Sans revenir longuement sur une bibliographieabondante et complexe, il faut en évoquer rapidement lesgrandes étapes. Les premières approches furent essentielle-ment sociologiques et économiques et s’attachèrent surtout àl’étude de la genèse de la polis. Fustel de Coulanges, en 1866,a donné de la cité grecque et romaine une définition qui met-tait l’accent sur le phénomène religieux et le fonctionnement

1. Ce mot doit être entendu pour l’Antiquité dans un sens plus largeque celui utilisé aujourd’hui par les géographes.

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des systèmes de parenté, considérés comme fondateurs de saspécificité. Cette approche essentiellement sociologique futenrichie rapidement par les travaux de Max Weber (1982)qui, à la recherche de caractéristiques propres aux villes pré-industrielles et aux villes antiques en particulier, proposa leconcept de ville de consommation. Il est intéressant de noterque ces deux approches pionnières de l’histoire urbaineantique envisagent la cité dans son ensemble, sans distinguerentre monde grec et monde romain. C’est qu’elles se situentl’une et l’autre à un niveau de généralisation et de conceptua-lisation auquel répugnent souvent les historiens plus récents.Depuis, à l’exception notable de M.I. Finley, ils se sontdavantage spécialisés dans une période ou une aire géogra-phique plus précise. C’est dire qu’on est aujourd’hui encorelargement tributaire de cette première approche théorique : lecorpus conceptuel élaboré par ces travaux fondateurs a étépeu enrichi et on continue sur bien des points à prolonger,d’une manière ou d’une autre, les débats suscités par les syn-thèses de ces pionniers. Les travaux plus récents de G. Glotz(1928) ou de V. Ehrenberg, davantage orientés vers l’histoirepolitique et institutionnelle, reprirent dans ses grandes lignesle modèle d’une ville beaucoup plus définie par une struc-ture sociale particulière ou des comportements politiques etculturels que par un phénomène économique. Ces travauxse concentrent sur l’analyse des concepts de « cité » et de« ville ». Ils se heurtent bien souvent à l’ambiguïté de lanomenclature antique, puisque en grec le mot polis désigne

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aussi bien la ville dans l’acception moderne du terme que leconcept politique de corps social. Quant au mot astu, son sensest fluctuant. Les Anciens avaient d’ailleurs conscience, dansune certaine mesure, de l’impasse dans laquelle les confinaitcette ambivalence du terme polis, comme en témoignent plu-sieurs observations d’Aristote (Politique, III, 1276 a 19-25).En latin, le couple civitas/urbs recoupe la même ambiguïté,compliquée par la présence de plusieurs autres noms commeoppidum, sans oublier le sens particulier d’urbs pour dési-gner la ville par excellence, par ailleurs capitale d’empire,Rome…

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La confusion entre l’histoire urbaine et l’histoire institu-tionnelle et politique est d’autant plus grande que ces étudesignorent encore presque totalement l’aspect urbanistique dela question. Si le mot polis n’a jamais cessé dans l’Antiquitéde désigner à la fois un système institutionnel (plus qu’unvéritable État) ou une organisation sociale et un chef-lieu oùse concentraient les fonctions politiques de décision et dereprésentation, la dimension urbaine du mot, très réduite auxépoques archaïque et classique (Hérodote, Thucydide, Pla-ton, Aristote), devient de plus en plus importante auxépoques hellénistique et impériale (Strabon, Dion de Pruse,Aelius Aristide, Pausanias).

Prenant en compte l’invention du concept d’urbanisme etle développement des études de la morphologie des villes oudu fonctionnement des espaces urbains (I. Cerdà et C. Sitte),d’une part, et les premiers dégagements importants de villesou de portions de villes antiques (Pompéi, Délos, Priène, Per-game, Olynthe, etc.), d’autre part, les premières études del’urbanisme antique ont modifié les données du problème.Les premières synthèses hésitent encore à utiliser un motperçu alors comme beaucoup trop anachronique (Haverfield,A. von Gerkan, P. Lavedan), mais le pas est franchi dès aprèsla Seconde Guerre mondiale (Homo, 1951 ; Martin, 1956).On n’hésite pas alors à emprunter termes et concepts auxarchitectes les plus modernes ou à la sociologie urbaine nais-sante : R. Martin utilise par exemple celui de zoning, quiappartient aux travaux de l’école de Chicago. La recherche

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sur le monde colonial à partir du début des années 1960 acontribué à relancer les réflexions. La multiplication desfouilles sur les sites de Grande-Grèce et de Sicile a mis à ladisposition des historiens des données fondamentales sur despériodes qui étaient restées jusque-là très mal connues, enparticulier le haut archaïsme grec, pendant lequel sortent desnimbes les premiers balbutiements urbains. Mais la dépen-dance, perçue très récemment, de ces premiers travaux surl’urbanisme antique à l’égard des réflexions contemporainessur l’aménagement des villes, leur rationalisation ou leurreconstruction, a entraîné une surévaluation de certains traits,

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comme la régularité des plans. On a souvent cherché unerationalité politique et urbanistique derrière des plans régu-liers. Comme on l’a fait justement remarquer, « dire du plande Milet qu’il est rationnel n’est pas faux, mais c’est uneremarque tellement générale qu’elle en devient vague ; ellene fournit aucune indication concrète sur le plan de Milet– sans parler de l’équivoque qui consiste à confondre la ratio-nalité avec certains traits géométriques simples » (A. Rossi).Quoi qu’il en soit, la documentation disponible n’a guèrepermis de sortir d’une simple phénoménologie. Or, des tra-vaux récents ont montré que certains plans qu’on croyaitdéfinitivement établis doivent être révisés, ne serait-ce queparce qu’ils associent dans un même espace-temps des étatsqui se sont succédé.

Si les approches politico-institutionnelles qui ont longtempsdominé l’histoire urbaine antique, en ignorant les aspects urba-nistiques de la question, ne peuvent plus être défendues, lessources archéologiques ne peuvent pour autant se passer dessources historiques.

À une première phase de l’histoire urbaine de l’Antiquitéorganisée sur la décomposition de l’objet urbain, séparé del’architecture ou de l’urbanisme et de l’histoire sociale, asuccédé une phase dans laquelle la ville tend à être considé-rée comme un objet socio-morphologique à part entière. Laville est désormais étudiée à la fois comme un espace et unecommunauté, comme une forme matérielle et une popula-tion, sans pour autant induire un quelconque déterminisme :

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des expériences politiques et sociales très différentes peuvents’inscrire à l’intérieur de formes urbaines très semblables (etinversement).

Le renouveau de l’histoire urbaine depuis les années 1970(B. Lepetit, M. Roncayolo, l’école de Leicester) a surtoutconcerné les périodes les plus récentes de l’histoire euro-péenne et, sauf exception (P. Leveau, P. Gros, P. Zanker,A. Wallace-Hadrill), les historiens de l’Antiquité sont restésen marge de ce mouvement. Il est même frappant de consta-ter que les études sur la cité grecque, qui se sont pourtantmultipliées dans les années 1980, n’abordent que très rare-

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ment la question de la ville. Elles se concentrent dans laquasi-totalité des cas sur les époques classique et archaïquequi sont encore des phases d’émergence du phénomèneurbain. L’intérêt porté ces dernières années à l’histoire descampagnes a, paradoxalement, permis de renouveler lesapproches de la ville antique, en permettant de réévaluer laplace de cette dernière dans des sociétés encore largementmarquées par des systèmes économiques et sociaux dominéspar la ruralité. Les travaux des spécialistes de la péninsuleitalienne à l’époque préromaine ou de ceux de la Gaule dudeuxième âge du fer ont également beaucoup apporté à l’his-toire urbaine antique, en cherchant à établir des critères pré-cis permettant de définir des seuils d’urbanité. La principaledifficulté du sujet réside en effet dans la définition de la villeantique, difficulté autant phénoménologique qu’ontologique.

La documentation archéologique, fragmentaire et hétéro-clite, pose de très nombreux problèmes d’historicité. Lesséquences chronologiques que la fouille met au jour sonttrès souvent disparates et mélangées. D’une manière géné-rale, ce sont les états les plus récents qui sont mis au jour,et ceux-ci offrent le résultat d’une histoire séculaire, voiremillénaire. Comment dès lors y retrouver les étapes d’undéveloppement ? Comment y retrouver les différents projetsurbains ? Les sources historiques ne sont guère plus favo-rables : souvent concentrées sur de courtes séquences chrono-logiques, elles privilégient quelques sites urbains parmi desmilliers d’autres. La conséquence en est une surévaluation

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d’un nombre très restreint d’exemples : les chronologies etles typologies risquent souvent d’être élaborées à partir decas exceptionnels et ne conviennent pas toujours à l’ensembledes agglomérations.

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La ville antique : entre réalités et concepts

Les premières tentatives pour définir la ville antique ontcherché à établir des critères objectifs. Ils ne sont pas tou-jours faciles à repérer et à évaluer, du fait de la nature de ladocumentation, et se révèlent souvent inefficaces, en raisonde leur sophistication croissante.

La ville antique et ses liensavec les sociétés urbaines antérieures

Il faut cesser de penser que le phénomène urbain apparaîtavec la civilisation grecque. Le concept de « révolutionurbaine » a d’abord été appliqué aux régions comprises entrel’Anatolie et la vallée de l’Indus. Il y a des villes dèsl’époque néolithique, comme Çatal Höyük ou Jéricho. Dès leIIIe millénaire, des agglomérations comme Ur ou Akkadatteignent des tailles impressionnantes. Mais le développe-ment de grandes agglomérations est surtout caractéristiquede l’âge du bronze, d’abord dans la vallée du Nil et en Méso-potamie, puis en Palestine, en Syrie, enfin en Anatolie oudans la vallée de l’Indus.

Les villes mésopotamiennes se caractérisent par une

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grande diversité : géographique entre Assyrie et Babylonie ;chronologique entre les cités-États du IIIe millénaire, lescapitales des royaumes du IIe ou les métropoles des empiresà prétention universelle. Une société urbaine existe-t-ellepour autant dès le IVe millénaire ? Le cas de l’Égypte n’estpas très différent, même s’il n’existe pas de mot en égyptienpour désigner la ville. Il faut être catégorique : l’Europe n’apas inventé le phénomène urbain. Seule l’absence de conti-nuité nous autorise à nous limiter au monde gréco-romain :ces premiers développements urbains n’ont pas eu d’influencedirecte sur le phénomène urbain de l’Antiquité classique. On

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peut, en revanche, se poser la question pour les aggloméra-tions de l’âge du bronze du monde égéen. L’existence dephénomènes urbains dans le monde grec avant l’âge du ferreste une question controversée et les réponses dépendent descritères utilisés. Les caractéristiques quantitatives (dimensiondu site, extension de la surface bâtie, nombre d’habitations)ou morphologiques (plan orthogonal, alignement des façades,enceinte) permettent rarement de trancher pour l’ensembled’une période donnée : le site de Troie I-V, par exemple,était entouré d’une enceinte, mais il s’agit sûrement d’unesimple forteresse. La présence d’ateliers, souvent difficile àdéterminer, ne constitue pas un critère fiable : des paysanspeuvent très bien fabriquer eux-mêmes leurs outils et les ate-liers être palatiaux. En conséquence, on partira du principequ’aucune agglomération ne peut être sérieusement qualifiéede ville avant le Bronze moyen.

Les premiers changements apparaissent en Crète et dansles Cyclades. Dans le premier cas, 10 000 mètres carrés dusite ont été dégagés à Théra, sans que l’on sache quelle partde l’agglomération cela représente. Les maisons sont de plu-sieurs types et certaines présentent jusqu’à quatre niveauxdifférents. Plusieurs d’entre elles comportent des pièces auxmurs décorés de fresques, dont l’une représente même unescène de port. Les rues, les places présentent par ailleursplusieurs aménagements (dallages, égouts) qui dénotent uncertain soin. Mais aucune caractéristique économique incon-testable n’a pu encore être établie. À Mélos, dans les

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Cyclades, le site de Phylakopi (Bronze récent) présente descaractéristiques qui peuvent passer pour urbaines : présenced’artisans, mais aussi constructions interprétées comme desédifices publics par leur taille, existence de sanctuaires, deplaces, de rues, de fortifications. Mais, là encore, la « ville »est abandonnée à la fin de la période et la « cité » archaïques’installe ailleurs sur l’île.

Dans le monde mycénien, autour des palais de Mycènesou de Pylos se développent des agglomérations comprenanten particulier des dizaines d’ateliers. Mais, outre quel’« urbanité » de ces centres est très discutée, il y a toujours

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entre eux et les premières agglomérations du Ier millénaireune solution de continuité qui s’étend le plus souvent sur plu-sieurs siècles.

À peu près à la même époque, les Phéniciens ont égale-ment expérimenté pour leurs agglomérations les plus impor-tantes une organisation spatiale qui appartient sans aucundoute à une forme embryonnaire d’urbanisation. Dès le débutdu Ier millénaire, ils connurent également l’expérience defondation de « villes nouvelles » au cours de leur expansionvers l’ouest. À l’exception de Carthage, ces implantationsphéniciennes en Méditerranée occidentale sont encore tropmal connues pour que l’on puisse établir des filiations entreelles et les premiers développements urbains grecs ou ita-liens, légèrement plus récents. Mais il est difficile d’imaginerqu’elles ne jouèrent pas un rôle, puisque dans certains cas lesGrecs succédèrent aux Phéniciens sur les mêmes sites,comme à Thasos ou dans le midi de la France.

On a abandonné l’idée d’un « miracle grec » ou d’uneexception romaine. Les développements urbains et la culturede la ville des mondes grec et romain restent certainementfondamentaux dans la genèse de l’Europe urbaine, mais lesprémices sont désormais expliquées par le développementgénéral du monde méditerranéen, dont l’impulsion vient detoute évidence de l’Orient.

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Proto-urbanisation et urbanisation : à la recherche d’une définition

Les premières agglomérations sont encore très difficiles àapprécier, en l’absence de sources permettant de se faire uneidée précise de la structure sociale ou des activités écono-miques. Ces difficultés ont amené les historiens et les protohis-toriens à élaborer un modèle intermédiaire entre le bourg ruralet la ville, et à définir le concept de « proto-urbanisation ».

Il faut insister à nouveau sur la difficulté presque insur-montable à laquelle se heurte l’historien de l’Antiquité, celle

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d’une définition de la ville. Jusqu’à une date finalement trèstardive, le milieu du IVe siècle av. J.-C., les sources sontpresque exclusivement archéologiques. Si l’on retire les casathénien et romain, beaucoup trop exceptionnels à bien deségards pour servir de modèle pour les autres cités, l’absencepresque complète de textes historiques ou littéraires et larareté, au moins relative, des inscriptions obligent les obser-vateurs modernes à définir des concepts trop flous pour êtresatisfaisants. Jusqu’à une date récente, on parlait de villesans trop se poser de questions et M. Weber fut sans doute lepremier à proposer une série de critères, permettant de clas-ser également les différentes agglomérations antiques : lataille et l’unité ; une implantation dense et compacte desmaisons ; l’anonymat des habitants ; leur nombre. Pour leProche-Orient et l’Antiquité, comme d’ailleurs pour le MoyenÂge, il ajoute que l’acropole et le mur d'enceinte appar-tiennent aussi au concept de ville. Mais cette tentative, tropthéorique, s’est révélée insuffisante.

G. Childe, un des premiers à aborder cette question pour leProche-Orient ancien, propose quant à lui d’autres critères,les uns socio-économiques, les autres plus culturels : taille del’agglomération ; spécialisation et différenciation sociale ;concentration puis redistribution des surplus de production ;architecture monumentale ; hiérarchie sociale avec une classedirigeante organisée ; écriture servant à l’administration ;développement des sciences ; art ; commerce lointain ; soli-darité sociale. Ces critères, plus complets que ceux de

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M. Weber, ne conviennent pas pour autant parfaitement aumonde antique. L’écriture, par exemple, réapparaît dèsl’époque géométrique dans le monde grec, bien avant l’émer-gence des premières villes.

Plus récemment, F. Kolb a proposé un faisceau de critèresplus précis que ses prédécesseurs : un caractère bien défini,sur le plan topographique et administratif ; un nombred’habitants supérieur à plusieurs milliers ; une division dutravail déjà avancée qui entraîne une différenciation sociale ;la diversité du bâti ; un mode de vie urbain ; la fonction deplace centrale de l’établissement pour la région avoisinante.

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La lecture de ces critères montre qu’il n’est que rarementpossible de les évaluer avec précision. Certaines agglomé-rations du monde antique ne comprenaient que quelquescentaines d’habitants et présentaient pourtant toutes lescaractéristiques et les aspects de villes beaucoup plus peu-plées. Les critères numériques et quantitatifs sont impos-sibles à utiliser pour l’Antiquité, où l’on doit se contenterd’approximations. Les critères sociologiques et économiquesne sont pas plus faciles à mettre en œuvre.

Il reste une dernière voie qui a encore été peu empruntée :c’est celle d’une définition subjective de l’urbanité antique.J. Beaujeu-Garnier (1980) a proposé une telle définition : il ya des villes à partir du moment où les habitants ont le senti-ment d’être dans une ville. Le critère retenu dans cette pers-pective serait celui d’une conscience de la différence entrela ville et la campagne. Même si le point de départ reste dif-ficile à préciser : à quel moment la ville acquiert-elle laconscience et la mémoire d’elle-même ? Ce critère culturelreste, en dernière analyse, le seul qui apparaisse comme réel-lement concret et suffisamment général pour être appliqué àdes situations différentes. Cette approche a en outre le méritede partir des systèmes de représentations propres aux socié-tés antiques et non plus des taxinomies modernes.

Vers une conceptualisation de la ville

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L’utilisation du concept d’urbanisme tel que l’a définiF. Choay doit être prudente, puisque l’Antiquité ne connaîtpas de principes abstraits et universels ni de théorie del’espace bâti. En revanche, de nombreux instruments pra-tiques et particuliers ont été conçus et développés, en particu-lier à partir de l’expérience des arpenteurs chargés de lotir lesterres. Il n’existe donc pas de théorie de la ville ou de l’amé-nagement urbain : le rôle d’Hippodamos de Milet, qui n’a,semble-t-il, rien écrit à ce sujet, est très exagéré par lesauteurs modernes.

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Introduction 31

La ville s’inscrit également dans un phénomène territorial,qui la dépasse. Comme l’a souvent rappelé M. Roncayolo, lephénomène urbain comporte une double territorialité : laville est elle-même un territoire, mais elle dispose égalementd’un territoire extérieur. Les travaux sur la khôra, mot quirecouvre très exactement cette notion, se sont développésd’abord en parallèle avec l’étude du phénomène colonial enItalie et autour de Marseille, puis de façon plus générale. Ilsont permis de définir à leur tour des notions telles que leslimites de l’approvisionnement, le chalandage, le bassin derecrutement, etc., de chacune des cités et, par là même, demieux comprendre le rôle spécifique de l’agglomérationprincipale et ses rapports avec ses voisines.

Dans l’Antiquité, l’apparition puis le développement desvilles ne sont pas des phénomènes révolutionnaires. Par lasuite, des nouveautés qui apparaissent au premier abordcomme décisives par leurs conséquences sur le tissu urbainexistant ne demeurent, quand on y regarde de plus près, quedes phénomènes modestes et marginaux. On peut citer à cetitre l’importance attribuée dans le développement des villesaux édifices consacrés au culte impérial ou même plus tardaux églises. Il en résulte une double difficulté : la définitiondes termini post et ante quem et l’établissement d’une pério-disation interne. La première difficulté est presque insoluble,dans la mesure où il est impossible de répondre précisémentaux deux questions suivantes : à partir de quand les agglomé-rations du monde méditerranéen deviennent-elles de véri-

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tables villes ? à quel moment la ville antique devient-elle uneville médiévale ? Le livre commence avec l’analyse desagglomérations du VIIIe siècle av. J.-C. et se termine à la findu VIe ou au début du VIIe siècle apr. J.-C., c’est-à-dire aurègne d’Héraclius en Orient mais au milieu de la périodemérovingienne en Occident.

La date de début correspond de fait à la naissance de lacité ; quant à la seconde, c’est elle qui est retenue le plus fré-quemment (depuis H. Pirenne). Ces dates doivent être immé-diatement relativisées par la prise en compte des différencesrégionales entre l’est et l’ouest de la Méditerranée, mais

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aussi entre le nord et le sud de l’Europe, même si tous cessecteurs géographiques ont été englobés, à un moment ou àun autre, à l’intérieur de l’Empire romain.

Trois grandes phases de développement seront abordées.Une première période de longue émergence d’aggloméra-tions de plus en plus importantes et complexes, et qui sedémarquent, de fait, des bourgs ruraux. Une phase de mise enplace d’éléments qui semblent bien appartenir à une cultureque l’on peut qualifier d’urbaine : ces éléments sont aussibien de nature urbanistique ou architecturale (l’architecturemonumentale, les places publiques) qu’économique et sociale(importance des échanges, du numéraire, apparition de nou-velles sociabilités et de nouveaux rapports sociaux, etc.).Mais ces deux périodes appartiennent encore à une phase quel’on pourrait qualifier de proto-urbanisation. La dernièrepériode voit en revanche l’explosion du phénomène urbainaussi bien en termes quantitatifs que qualitatifs : la cultureurbaine est la culture dominante et le nombre de villes necesse de croître. Nous avons choisi de réserver un chapitreparticulier à la ville des derniers siècles de l’Antiquité : parbien des aspects, ceux-ci prolongent les évolutions amorcéessous le Haut-Empire, mais d’importants changements sontégalement à l’œuvre, en particulier parce que la longue phasede croissance urbaine est terminée. Enfin, en raison dessources et plus généralement de leur importance historio-graphique, un chapitre particulier est consacré aux aspectséconomiques et sociaux des villes du IIIe siècle av. J.-C. au

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IIIe siècle apr. J.-C.L’espace retenu pour l’examen de ces villes antiques ne

pouvait correspondre exactement à celui défini aujourd’huicomme européen. Inversement, il ne pouvait être question dese limiter à la Grèce continentale et à l’Italie. On a doncchoisi comme fondamental pour cette présentation l’espaceméditerranéen dans son ensemble. La cité, dans le sens decommunauté urbaine autogérée, n’est pas un phénomèneexclusivement grec : les cités phéniciennes et italo-étrusquesont des points communs avec les villes grecques. Plus tard, ilparaît impossible de ne pas parler d’Alexandrie ou de Car-

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thage, situées en Afrique, pour comprendre les choix urba-nistiques retenus par les Romains pour transformer leurpropre capitale. Par ailleurs, dans une Europe non méditerra-néenne où circulent depuis au moins le néolithique hommeset idées, les oppida des mondes celtiques au sens large pré-sentent des caractères originaux et ne peuvent être réduits austatut de simples copies du monde méditerranéen. Ils parti-cipent à leur façon à la mise en place du phénomène urbaineuropéen et leur apport ne peut être négligé dans le cadre decette étude.

Nous avons déjà évoqué les problèmes posés par lessources dont nous disposons. Les données archéologiquessont prépondérantes, surtout pour les périodes les plusanciennes et les zones non méditerranéennes. Or elles sont,par définition, discontinues et nécessitent le plus souvent untravail de restitution et donc des hypothèses et des interpréta-tions délicates et contradictoires. Le recours aux sources his-toriques, inscriptions, papyri égyptiens ou textes transmispar la tradition manuscrite médiévale, indispensables pourqui veut quitter le raisonnement tautologique dans lequelnous enferme l’archéologie, n’est guère plus facile. Les sourcesécrites qui éclairent des domaines nécessaires à une véritablehistoire urbaine, comme, par exemple, l’histoire culturelle ousociale, demeurent ponctuelles. Si l’on prend l’exempled’une carte urbaine, indispensable pour établir le degréd’urbanisation d’une région à une époque donnée, les rela-tions entre les agglomérations, avec les contraintes topo-

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graphiques ou les axes de circulation, sa réalisation estpratiquement impossible car on ne peut être exhaustif : lesblancs dus à un défaut de connaissances peuvent se révéleraussi trompeurs que les localisations fautives. Or les sourcesqui permettent de compter les villes d’une région à unmoment donné sont très rares et très limitées : liste des citéspayant tribut dans le cadre de la Ligue athénienne ou catalo-gue des théarodoques pour le monde grec classique ; liste descolonies révoltées contre Rome au moment de la guerrecontre Hannibal ou « inscription géographique » de Nîmespour le monde romain. On ne peut pratiquement tirer aucune

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conclusion générale de cette dernière, exceptionnelle en cequ’elle fournit une liste hiérarchisée d’agglomérations dépen-dant de ce chef-lieu de Narbonnaise : elle est lacunaire, dansune proportion impossible à déterminer, et plusieurs nomsne peuvent encore être localisés… Dans les inscriptionsgrecques, on se heurte à l’ambiguïté du terme polis : sur ledocument daté de 431 av. J.-C., 226 poleis sont référencéesdans une inscription tronquée. Surtout, on devine une trèsgrande différence entre les 83 cités qui ne contribuent quepour 6 % de la somme totale et les 4 cités les plus puissantesqui représentent plus de richesses que les 137 les plus faibles.Il n’y a donc rien de commun entre les premières, qui ne sontque des villages plus ou moins indépendants, et les secondes,qui présentent un développement manifestement exception-nel : comment, dès lors, se fonder sur de telles sources pourrestituer une carte urbaine fiable des régions concernées ?

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Introduction générale ............................................... 7Introduction .............................................................. 19

Chapitre 1 : Les premiers développementsurbains et l’émergence des citésIX

e/VIIIe-VIe siècle av. J.-C. ..................................... 35

De nouvelles conditions .............................................. 35L’émergence du phénomène urbain : les synœcismes 39

Athènes et la Grèce ................................................. 39Rome et l’Italie centrale ......................................... 42

Les fondations coloniales ........................................... 48Considérations historiographiques ........................ 48Les premiers établissements coloniaux .................. 51

Des modalités urbaines comparables : l’affirmation urbanistique et les débuts de la monumentalisation ... 57

Les limites de la planification ................................. 57

Les enceintes ........................................................... 58Les maisons ............................................................ 60La différenciation des espaces : espaces publics, espaces sacrés ........................................................ 62Les premières étapes d’une monumentalisation architecturale ......................................................... 64

L’affirmation culturelle .............................................. 68Les limites de l’économie urbaine et l’absence d’une véritable société urbaine ................................... 70Conclusion .................................................................. 71

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Chapitre 2 : La mise en placede la cité classique Ve-IVe siècle av. J.-C.................. 75

La cité comme modèle politique 76Concentration en ville des institutions politiques ... 76La poursuite de l’urbanisation dans le monde méditerranéen ......................................................... 81La poursuite de l’urbanisation dans la péninsule italienne .................................................................. 84Les premières réflexions sur la ville ....................... 89

La définition d’un espace urbain et de son équipement monumental ................................................................ 97

La naissance de l’urbanisme ? ............................... 97L’apparition des grands espaces monumentaux .... 108L’équipement monumental : entre ornement et utilité 112

Développement d’une économie et d’une société urbaines : le cas d’Athènes ......................................... 123

Vers une économie plus diversifiée ? ...................... 123Une nouvelle société ? ............................................ 131L’émergence d’un mode de vie urbain ................... 139Vers une sociabilité urbaine ................................... 140Les limites de l’urbanisation dans le monde grec ... 141

Chapitre 3 : L’âge d’or de la cité antiqueIII

e siècle av. J.-C.-IIIe siècle apr. J.-C. ..................... 145

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Un mouvement continu d’urbanisation ...................... 149Dans le monde grec et oriental, hiérarchie et concurrence ........................................................ 149Dans le monde occidental ....................................... 164

Diversification et enrichissement des fonctions urbaines 201Les mégapoles ............................................................ 207

Rome, entre République et Empire ......................... 207Alexandrie ............................................................... 222

Page 32: La ville antique

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Démographie urbaine et taille des villes ..................... 229Démographie .......................................................... 229L’étendue des territoires civiques et leur contrôlepar la ville ............................................................... 233L’habitat privé ........................................................ 236

La monumentalisation croissante des édifices civiques 249Les monuments de types anciens ............................ 250Les éléments nouveaux ........................................... 253Un témoignage antique sur le paysage urbain ....... 258

Chapitre 4 : Économies et sociétés urbainesIII

e siècle av. J.-C.-IIIe siècle apr. J.-C. .................... 261

Gérer la ville ............................................................... 261Les objectifs de la gestion urbaine et ses acteurs locaux ............................................... 261Les instruments de la gestion .................................. 272L’interventionnisme des souverains hellénistiques et des empereurs ..................................................... 275

L’économie urbaine .................................................... 277La ville, centre de consommation .......................... 277La ville, centre de production ................................ 279La ville, centre d’échanges : marchés et ports ....... 281

Les sociétés urbaines .................................................. 283

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Les élites ................................................................. 284Les pauvres et les classes moyennes ....................... 291Sociabilités urbaines antiques ................................ 296

Chapitre 5 : �aissance de la ville chrétienneIV

e-VIIe siècle apr. J.-C. .......................................... 303

Une crise urbaine ? ..................................................... 307Destructions et abandons ....................................... 308Spoliation des édifices classiques ........................... 312

Page 33: La ville antique

10:48 10

La réorganisation des villes ........................................ 315Les transformations de la carte urbaine de l’empire 315Les transformations du rôle politique des cités ...... 326Les transformations des espaces et des paysages urbains .......................................... 339Les cadres culturels et politiques des sociétés urbaines .............................................. 369La vie en ville .......................................................... 375

Continuité et prestige de la ville antique .................... 379

Conclusion ................................................................. 381Postface ...................................................................... 385Bibliographie .............................................................. 395Bibliographie complémentaire (2003-2011) ............... 409Index des villes ............................................................ 419Crédits photographiques ............................................ 429Table des illustrations ................................................ 433

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