La décision Le Chemin des Dames
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6 avril 1917
• Nous sommes le 6 avril 1917. Le général en chef Robert Nivelle a été
nommé, en décembre 1916, pour préparer une attaque massive au
printemps 1917. Il a prévu d’attaquer avec 800 000 hommes et
3 000 canons, le 16 avril, au Chemin des Dames.
• Depuis que le plan est divulgué, beaucoup d’officiers et de généraux
ont fait connaître leurs réticences au gouvernement. Le ministre de la
guerre, Paul Painlevé, récemment nommé à la suite de la
démission de Lyautey – qui ne croyait pas lui non plus au plan Nivelle
– a clairement pris parti contre le plan Nivelle, après une enquête
approfondie.
• Le président de la République, Raymond Poincaré, lassé de ces débats
et disputes qui affaiblissent l’armée ainsi que le commandement, a
convoqué une ultime réunion pour débattre, et décider de lancer
l’attaque, ou pas.
• Éléments de contexte : les États-Unis ont déclaré la guerre à
l’Allemagne quatre jours plus tôt (2 avril 1917). Le Tsar a été renversé
en Russie trois semaines plus tôt, ce qui affaiblit l’alliance russe.
Arguments pour l’attaque
• Nivelle a été mandaté pour concevoir et mettre en œuvre un
plan d’attaque.
• Il faut laisser le général en chef conduire les opérations
militaires.
• Nivelle est sûr de sa stratégie, fondée sur l’artillerie,
et qu’il a appliqué avec succès en 1916 a Verdun.
• Pour gagner la guerre, il faut livrer bataille.
• L’attaque a été « vendue » aux Alliés anglais,
qui vont effectivement attaquer en même temps que les
Français.
• Il faut se dépêcher de gagner la guerre avant la défection
russe.
Arguments contre l’attaque
• Aucune attaque, pendant cette guerre, n’a jamais réussi à
percer le front.
• Le terrain choisi, le Chemin des Dames, va fortement
favoriser la défense allemande, puisqu’il y a des
cavernes inaccessibles à l’artillerie.
• Qui dit attaque massive, dit pertes massives.
• Les Allemands connaissent le plan d’attaque dans le détail,
à la suite de la capture d’un officier, qui avait le plan sur lui.
• La doctrine de l’offensive à outrance due à Foch, et dont
s’inspire Nivelle, est rendu caduque par l’existence des
mitrailleuses.
• Les principaux généraux ne croient pas que l’attaque va
permettre de percer le front.
Raymond Poincaré
Président de la République, 56 ans.
Soutient plutôt les généraux favorables
à l’offensive.
Homme un peu froid et secret.
Politique et Républicain jusqu’au bout
des ongles.
S’ennuie à l’Élysée. Au fond, c’est un
hésitant, il ne sait pas ce qu’il veut, en
matière de conduite de la guerre.
C’est lui qui a choisi de nommer
Nivelle, plutôt que Pétain.
Alexandre Ribot
Président du Conseil, 75 ans.
Président du Conseil de transition
après la démission surprise de
Briand.
Avocat et pianiste dans sa jeunesse.
A participé à beaucoup de
gouvernements. Fuit les
responsabilités.
Esprit léger et jouisseur, n’ayant pas
le sens de l’intérêt général.
Il n’était pas président du Conseil au
moment de la nomination de Nivelle.
Paul Painlevé
Ministre de la Guerre, 53 ans. Mathématicien, va bientôt succéder à Ribot.
Intelligent, très vif, il analyse les problèmes à fond et en saisit l’enjeu.
A le sens de l’intérêt général
Apprécié de Poincaré.
Sans réel courage devant la décision.
Il n’était pas ministre de la Guerre, au moment de la nomination de Nivelle.
Robert Nivelle
Général en chef, 60 ans.
Disciple de Foch et Joffre, auquel il a
succédé, pour la doctrine de
l’offensive à outrance.
Vainqueur de Verdun, après Pétain.
Artilleur, connaît mal l’infanterie.
Courageux, pas intelligent, idéologue.
Imbu de sa personne.
Prototype du militaire à l’esprit de
géométrie, mais sans esprit de
finesse.
Il parle anglais, et est soutenu par les
Anglais.
Philippe Pétain
Général d’armée, 60 ans.
Le seul opposant de poids à la
doctrine de l’offensive à outrance.
Vainqueur glorieux à Verdun.
Il méprise ses contemporains,
ne doute pas d’être entouré
d’imbéciles.
Il est hiérarchiquement sous les
ordres de Nivelle.
Va lui succéder, comme général en
chef, après l’échec de la bataille du
Chemin des Dames
Joseph Micheler
Général d’armée, 55 ans.
Homme de terrain, inapte
aux débats d’idées.
Pas intelligent, mais loyal
et prévisible.
A la bêtise conquérante et
bruyante. Volontiers trivial
et grossier.
Ce sont ses troupes qui
doivent attaquer le 16 avril.
Intelligence et courage
Incompétent
Séducteur
Décideur
Bureaucrate
Courageux
Pas courageux
Pas intelligent Intelligent
Poincaré Pétain
Ribot
Nivelle
Painlevé
Micheler
Influence et réalisme
Idéologue
Lucide
Stratège
Irresponsable
Influent
Non influent
Non réaliste Réaliste
Poincaré
Painlevé
Micheler
Pétain Ribot
Nivelle
La décision n’a pas d’inverse
Il est impossible de ne pas
décider. L’inverse d’une
décision est une décision.
Nul n’échappe à la décision.
Avant que nous prenions des
décisions, c’est la décision qui
nous prend.
La décision est incertaine
Les méthodes qui prétendent
ramener la décision à un calcul,
ne font que masquer l’aspect
subjectif de la décision.
La décision oblige à comparer
ce qui n’est pas comparable.
Les matrices de décision sont
construites avec des
coefficients qui font intervenir la
subjectivité.
La décision a un très fort enjeu
Il existe des décisions
meilleures que d’autres.
Tout l’avenir dépend du
présent.
Savoir « bien » décider est une
des choses les plus
importantes qui soit.
La volonté est plus forte que la
chance (prééminence du locus
interne sur le locus externe).
Les trois ingrédients de la décision
Solitude
Incertitude
Enjeu
Challenger
28 janvier 1986
Kennedy et la baie des cochons
Après le désastre de la
baie des cochons le 17
avril 1961, Kennedy a
réuni son équipe et lui a
dit :
« Cette opération a été
un désastre et vous me
l’avez tous conseillée. Je
suis donc entièrement
responsable, je n’avais
qu’à pas vous écouter. »
« L’explication du
lancement de Challenger
est l’histoire de gens qui,
en travaillant ensemble,
ont construit des
schémas qui les ont
rendus aveugles aux
conséquences de leurs
actions. » Diane Vaughan
« C’est le moment
d’enlever ton chapeau
d’ingénieur et de mettre
ton chapeau de
manager. » Vice-
président de MTI la veille
du lancement
« L’insomnie tourne rarement
au cauchemar. »
Gracchus Cassar
- Je cherche un vin
qui se marie bien
avec une très, très,
très mauvaise
nouvelle que je dois
annoncer à ma
femme.
Les lignes de fuite du non décideur
Faire changer
d’épaule au singe
L’information infinie
Le gourou
Le découpage de la
décision
La théorie standard de la décision
Il existe une
meilleure
décision et
cette décision
est calculable à
partir des
matrices de
décision.
Je serai bref.
Les postulats de la théorie standard
Ce qui va arriver dépend de la décision
prise.
L’ensemble des données pertinentes
pour évaluer la situation peut être
complètement connu.
Le critère d’optimisation des
conséquences de chaque choix peut
être défini selon une dimension unique.
Les scénarios d’avenir peuvent être
probabilisés.
La subjectivité du décideur n’intervient
pas dans l’évaluation chiffrée des
avantages et inconvénients des
différents scénarios.
- J’ai un problème, Daphné : trouvez immédiatement une
solution et apportez-la moi dans mon bureau.
La rationalité limitée : Herbert Simon
L’attitude la plus rationnelle pour un décideur n’est pas celle d’une rationalité absolue mais celle d’une « rationalité limitée ».
Herbert Simon
(1916 – 2001)
Paul Simon
(1941 --)
Les postulats de la rationalité limitée
Acquérir l’information a un coût qui
réduit puis annule le gain que l’on
peut attendre en s’informant.
Plus une décision est projetée loin
dans l’avenir, plus ses conséquences
sont incertaines.
Le décideur rationnel ne vise pas, à travers ses
décisions, des objectifs lointains parce qu’ils sont trop
aléatoires. Il se contente d’objectifs limités dans le
temps et donc de décisions aux conséquences limitées.
« Pour notre entreprise,
cette question soulève
un grave problème
éthique et un problème
économique. Si
personne n’y voit
d’inconvénient,
passons directement au
problème
économique. »
Le Kairos
Le kairos est le temps de l'occasion opportune.
La décision ne noue pas un rapport avec le vrai mais avec le pertinent. Le pertinent se juge en situation, le vrai dans l’absolu.
Qu’est-ce qui nous pousse à cette décision maintenant ? Pourquoi pas avant ? Pourquoi parfois après le bon moment (après le kairos) ?
Petite décision
deviendra grande
Il existe des macros décisions, mais, le plus souvent, le manager prend, quotidiennement, une multitude de micro-décisions.
Pour toute décision, il est important d’en imaginer les conséquences positives et négatives (des scénarios plutôt que des prévisions).
Toute décision doit être annoncée et expliquée
Koutouzov contre Napoléon
« Tout ce que lui avait dit
Denissov était sérieux et
intelligent. Ce que disait le
général de service était
encore plus sérieux et plus
intelligent mais il était
évident que Koutouzov
méprisait et le savoir et
l’intelligence et qu’il savait
quelque chose d’autre qui
devait emporter sa décision
– quelque chose qui était
indépendant de l’intelligence
et du savoir. »
Léon Tolstoï, Guerre et Paix
Les messages clés
• La décision renvoie le décideur à sa solitude. Celui qui décide, c’est
celui qui assume cette solitude.
• La décision confronte le décideur à une incertitude radicale.
• Comme on est happé par la situation, on ne pense pas, face à la
décision à très fort enjeu, à recadrer le problème, c’est-à-dire à diviser
les enjeux.
• Dans la confrontation du courage et de l’intelligence, c’est
généralement le courage qui l’emporte.
• La responsabilité ne confère pas de compétence, les grandes
décisions peuvent être prises par des incompétents.
• Le décideur est à lui-même son propre risque. Ce n’est pas
l’incertitude qui le met en danger, mais ses œillères. La décision est
déjà jouée dans la boîte noire du décideur.
• Les décideurs ne cherchent pas à prendre la « meilleure décision »,
ni même une « bonne décision », car cela leur est inaccessible au
moment de trancher. Ils prennent simplement la décision qui leur
semble la « moins inacceptable », dans la situation du moment.
Six conseils pour
décider
1. Confrontez vos croyances à la
réalité observable.
2. Décidez avec vos émotions,
mais analysez avant.
3. Ne cherchez pas à prendre
une très bonne décision, mais
une décision acceptable.
4. Préférez les scénarii, aux prévisions.
5. Donnez-vous des objectifs intermédiaires et limités.
6. Restez toujours conscients qu’en tant que décideur, vous êtes
le principal danger dans la décision.