La Controverse de Valladolid
Jean-Claude Carrière
Fiche de lectureDocument rédigé par Éliane Choffray
maitre en langues et littératures françaises et romanes(Université de Liège)
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RÉSUMÉ 3
ÉTUDE DES PERSONNAGES 6Ginès de Sépulvéda
Bartolomé de Las Casas
Le légat du pape, Salvatore Roncieri
CLÉS DE LECTURE 8Contexte historique
Une mise en scène dramatique
L’art de persuader
PISTES DE RÉFLEXION 11
POUR ALLER PLUS LOIN 12
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Jean-Claude CarrièreÉcrivain et scénariste français
• Né en 1931 à Colombières-sur-Orb• Quelques-unes de ses œuvres :
Le Lézard (1957), romanLa Controverse de Valladolid (1992), romanLes Armées d'utopie (2003), roman
Né en 1931 en France dans une famille de viticulteurs, Jean-Claude Carrière a d’abord suivi des études de lettres et d’histoire avant de se tourner vers le dessin et l’écriture, ses passions. S’il publie des récits ou des romans dès 1957 (Le Lézard), il pratique également avec succès d’autres formes d’écriture : essais, entretiens philosophiques, pièces de théâtre, scénarios de films, et adaptations théâ-trales, cinématographiques et télévisées. Il collabore avec les plus grands cinéastes de son époque, notamment Luis Buñuel (cinéaste espagnol, 1900-1983).
La Controverse de ValladolidDébat sur la colonisation
du Nouveau Monde
• Genre : roman• Édition de référence : La Controverse de Valladolid,
Paris, Pocket, 1992, 252 p.• 1re édition : 1992• Thématiques : esclavage, Nouveau Monde, autrui,
colonisation, identité, querelle, débat
La Controverse de Valladolid constitue un bel exemple de la polyvalence de Carrière puisque cette œuvre voit le jour sous forme de récit en 1992, année où elle est aussi adaptée pour la télévision, avant d'être transformée en pièce de théâtre en 1999.
L’auteur y retrace, sur la base de faits historiques réels, une controverse, sorte de discussion argumentée, qui a lieu dans un couvent espagnol en 1550 et qui a pour objectif de déterminer si les indigènes rencontrés aux Indes (l’actuelle Amérique) ont une âme humaine et si l’esclavage auquel on les réduit est légitime. Toutefois, loin de se limiter à un fait historique, ce livre évoque des questions actuelles, touchant notamment à la problé-matique de l’autre.
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RÉSUMÉ
L'IDENTITÉ DES INDIENSEn 1492, les Espagnols découvrent les Indes et ses habitants, ce qui ébranle l’Europe entière. Qui sont ces individus ? Rapidement, une réponse s’impose : « [Ils] ont pour vocation l’obéissance. » (p. 13) Dès lors, la colonisation, ainsi que le massacre et l’asservissement du peuple indien sont en marche. Toutefois, vers 1550, un problème surgit : la population indigène, donc la main-d’œuvre, diminue. Aussi l’empereur Charles Quint (1500-1558) commence-t-il à douter du traitement qui leur est réservé. Il demande alors qu’on détermine définitivement leur identité afin de juger du bien-fondé de leur esclavage.
Pour ce faire, il organise un débat dans un couvent à Valladolid auquel participent le philosophe Ginès de Sépulvéda (théologien espagnol, 1490-1573) et le dominicain Bartolomé de Las Casas (1474-1566). Le premier a publié à Rome un ouvrage intitulé Des justes causes de la guerre, dans lequel il approuve les combats menés aux Indes. Il souhaite diffuser son livre en Espagne, mais le clergé s’y oppose. Le second a passé la majorité de sa vie à lutter contre la tyrannie et l’injustice envers les indigènes. Les deux hommes savent que le débat dépasse la question de la publication du livre et qu’il sera capital pour l’avenir du peuple indien. C’est au cardinal Salvatore Roncieri, représentant du pape, que reviendra la lourde tâche de prendre la décision finale.
LE POINT DE VUE DE LAS CASASSépulvéda, Las Casas, ainsi qu’une quarantaine de participants saluent, dans une salle du couvent, l’entrée du légat du pape. Celui-ci accorde en premier lieu la parole à Las Casas, qui ne mâche pas ses mots : les Espagnols, assoiffés d’or, ont massacré, au nom du Christ, les Indiens par milliers. Le dominicain décrit les conditions de travail des indigènes dans les mines et raconte avec moult détails les horreurs dont il a été témoin. Il ne veut rien omettre des crimes perpétrés à l’encontre des Indiens, évoquant même le cannibalisme des Espagnols à leur égard. Il décrit ensuite les habitants du Nouveau Monde comme étant beaux, doux, pacifiques, accueillants, intelligents et capables d’éprouver des sentiments chrétiens, bien qu’ils refusent de se convertir : « Que peuvent-ils penser d’un Dieu que les chrétiens, les chrétiens qui les exterminent, tiennent pour juste et bon ? » (p. 50)
Las Casas loue également la beauté de l’art indien et dresse la liste des nombreuses similitudes entre indigènes et Européens. Mais un coup de théâtre se produit lorsque son rival fait amener une idole indienne en pierre sculptée afin de prouver que les Indiens n’ont aucune idée du beau. L’assemblée est unanime : c’est hideux.
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LA RÉPLIQUE DE SÉPULVÉDALe lendemain, Sépulvéda attaque son adversaire sur son parcours personnel, insinuant qu’il ment, puis avance son premier argument : si les indigènes sont comme des brebis, ils ne sont pas des hommes puisque l’homme n’est pas doux. Le Christ a en effet précisé qu’il n’était « pas venu apporter la paix, mais l’épée » (p. 59). En outre, si Dieu n’avait pas désiré les guerres indiennes, il ne les aurait pas tolérées. Les Indiens sont donc punis par la volonté divine. Il rappelle par ailleurs que tous les êtres humains sont prédestinés à être chrétiens, or on n’a trouvé aucune trace des Évangiles chez les indigènes, ce qui signifie qu’« il ne s’agit pas de créatures reconnues par Dieu » (p. 69).
Sépulvéda évoque ensuite la barbarie de ces nouveaux peuples, qui s’adonnent au sacrifice humain. La guerre trouve alors une nouvelle justification puisqu’elle vise à protéger des innocents de pratiques inacceptables. Par ailleurs, le philosophe concède que les Indiens ont une âme, mais une âme de moindre qualité que celle des Européens. En fait, ils sont esclaves par nature, ce dont l’orateur fournit plusieurs preuves : ils sont incapables de créer et se contentent d’imiter, ils portent leurs fardeaux sur le dos comme les bêtes, ils ne connaissent ni l’argent ni les armes, ils ignorent l’art, etc. D’après lui, puisque la population du Nouveau Monde est vouée à la servi-tude, la parole de Dieu ne s’adresse pas à elle et pourrait même lui nuire. Par conséquent, il est nécessaire d’accélérer la soumission des Indiens afin de leur offrir une stabilité.
Le soir, un incident éclate au couvent. Deux Espagnols fraichement débarqués des Indes afin d’as-sister à la controverse dans l’anonymat sont découverts. Ils expliquent au légat qu’ils s’inquiètent pour leurs revenus car la situation outre-Atlantique est difficile. Ils sont autorisés à assister à la dispute.
DES EXPÉRIENCES INHUMAINESLe lendemain, à la surprise générale, le légat annonce avoir fait venir des Indes quatre autochtones, un homme et un couple avec un enfant, afin des examiner pour mieux juger de leur appartenance à l’humanité. Physiquement, ils sont semblables aux Européens ; il s’agit donc de s’interroger quant à leurs pensées et leurs sentiments.
Sous les ordres du légat, on se livre à des expériences sur le groupe d’Indiens. Tout d’abord, un moine se met à démolir l’idole sculptée. Immédiatement, un des indigènes fait un mouvement pour intervenir, mais il est retenu par sa femme. Las Casas en déduit qu’ils sont capables de réfléchir à leurs actions. Ensuite, les deux colons s’emparent de l’enfant et le menacent de mort, ce qui provoque l’affolement et les cris des parents. Cette cruelle expérience prouve ainsi que les habitants du Nouveau Monde éprouvent des sentiments humains.
Après le repas de midi, le légat fait entrer des bouffons afin de vérifier si les Indiens ont la capacité de rire, le rire étant le propre de l’homme. Les pitres jouent une scène comique qui ne déride pourtant pas les indigènes. Une violente dispute éclate alors à ce sujet entre Las Casas et le philosophe, et les deux hommes en viennent aux mains. Le légat, souhaitant s’interposer, trébuche et tombe, déclenchant l’hilarité des Indiens.
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Lorsqu’il est question du christianisme, un des Indiens confie qu’il refuse de se convertir par fidélité aux dieux de ses ancêtres. Si Las Casas signale que c’est le cas de tous les peuples, Sépulvéda, pour sa part, résume le problème ainsi : « Ou bien ils sont pareils à nous, Dieu les a créés à son image […] et dans ce cas, ils n’ont aucune raison de refuser la vérité […]. Ou bien ils sont d’une autre espèce. » (p. 128)
LE VERDICTLe débat touchant à sa fin, le cardinal convie chacun des deux protagonistes à résumer leur réqui-sitoire. Aussi un des deux colons s’exprime-t-il sur les problèmes économiques qu’engendrerait l’abolition de l’esclavage des Indiens.
Le légat se retire ensuite et, quelque temps plus tard, transmet son verdict. L’Église a tranché : « Les habitants des terres nouvelles […] sont bien nés d’Adam et d’Ève, comme nous. Ils jouissent comme nous d’un esprit et d’une âme immortelle […]. Ils doivent être traités avec la plus grande humanité et justice […]. » (p. 183) Quant au livre de Sépulvéda, il est interdit de publication. Enfin, un dernier rebondissement marque la controverse : les noirs d’Afrique, qui sont considérés comme plus proches des animaux, seront envoyés comme esclaves aux Indes pour remplacer les indigènes.
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ÉTUDE DES PERSONNAGES
GINÈS DE SÉPULVÉDACarrière consacre le deuxième chapitre de son livre aux portraits de ses deux personnages principaux, révélant clairement de quel côté il se situe : Las Casas retient son attention pendant plusieurs pages, tandis qu’il n’accorde que quelques lignes à Sépulvéda. Et encore, celles-ci ne sont pas dépourvues d’ironie ou de moquerie à l’égard de celui qu’il présente comme un homme de savoir « qui s’est fait une grande réputation de science en traduisant plusieurs livres d’Aristote » (p. 25). Un érudit donc, un homme « au teint pâle » (p. 31) qui passe sa vie à l’ombre des bibliothèques. De ce fait, certains des propos du philosophe reflètent les préjugés et les incompréhensions de quelqu’un qui ne connait pas de visu ce dont il parle. Il est l’auteur d’un livre dont le titre latin le rattache aux humanistes de l’époque, c’est-à-dire des intellectuels passionnés de langues et de littératures antiques.
En bon philosophe, d’une part, il sait qu’il est essentiel de bien mener une argumentation. Rusé, perfide et fin stratège, il maitrise toutes les ressources de la rhétorique, excellant lorsqu’il s’agit de déstabiliser son adversaire en profitant de ses faiblesses et en rebondissant sur ses faux-pas. À plusieurs reprises, l’auteur insiste d’ailleurs davantage sur la forme qu’il donne à son discours et sur les procédés argumentatifs qu’il met en œuvre que sur le sens de ses paroles. D’autre part, le propos de Sépulvéda est entièrement fondé sur la logique du raisonnement. Rigoureux, organisé et cohérent, il est aussi capable de se contenir en toutes circonstances. Quant à ses arguments, ils révèlent un personnage raciste et obscurantiste, soit défavorable au progrès. Il incarne l’homme du Moyen Âge partisan des guerres saintes et du massacre des innocents au nom de Dieu.
BARTOLOMÉ DE LAS CASASQualifié d’emblée d’« étonnant personnage » (p. 26), Las Casas est présenté comme un héros ou un saint. Carrière nous livre le récit de sa vie presque sur un mode épique. Né en 1492 dans l’agitation des premières découvertes, il grandit à Séville, puis, à 18 ans, après avoir reçu les ordres, met les voiles vers le Nouveau Monde. Là, il reçoit des terres qu’il administre sans se poser de questions. C’est seulement quelques années plus tard qu’il prend conscience de l’injustice et de l’oppression dont sont victimes les Indiens alors qu’il assiste, à Cuba, à leur massacre. Bouleversé, il voue le reste de sa vie à les défendre sans jamais baisser les bras malgré les oppositions qu’il rencontre. Après la conquête du Mexique, il fonde un territoire qu’il nomme « de la vraie paix », où il entreprend de convertir les Indiens en douceur. Si les débuts sont prometteurs, son entre-prise se révèle finalement être un échec. Nommé évêque d’un territoire au nord du Guatemala en 1543, il tente d’y abolir l’esclavage, mais, s’étant attiré les foudres des colons, il est contraint de rentrer en Espagne.
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Las Casas est un homme qui a vécu, qui a voyagé, qui a lutté, un homme énergique, déterminé, infatigable et sensible. Ce n’est pas un érudit à l’instar de son adversaire ; son argumentation prend donc une autre allure. Il parle de ce qu’il a vu et vécu afin de susciter l’indignation de ses auditeurs. Tout au long de son discours, il privilégie l’affectif et cède fréquemment à l’émotion, incapable de réfréner sa colère face aux propos de son rival. Sincère et entier, il est profondément impliqué dans son combat et se montre très inquiet quand à l’issue de la controverse.
Partisan de l’égalité entre les hommes, c’est un progressiste et, en ce sens, il incarne l’homme moderne. Promouvant le développement de valeurs qui ne sont plus exclusivement religieuses, mais humaines, il se fait le précurseur du changement de mentalité qui verra le jour au xviiie siècle.
LE LÉGAT DU PAPE, SALVATORE RONCIERILe cardinal Salvatore Roncieri préside la dispute en tant que représentant de l’Église de Rome. C’est à lui que revient la décision finale, une lourde tâche. S’il semble longuement y réfléchir tout au long de la controverse, il fait pourtant preuve de désinvolture et d’incohérence en annonçant son verdict.
Du reste, Carrière ne divulgue que très peu d’informations à son sujet : c’est un ami du pape qui s’intéresse aux Indes, mais qui n’y a jamais mis les pieds. Ce personnage est donc entouré de beaucoup de mystère, ce qui accentue le suspense que l’auteur parvient à maintenir tout au long du livre quant à ses sentiments et à ses intentions.
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CLÉS DE LECTURE
CONTEXTE HISTORIQUEEn 1492, Christophe Colomb (navigateur génois, 1451-1506), avec l’appui financier de l’Espagne, découvre un nouveau continent (l’Amérique) habité par un peuple dont on ignorait jusque-là l’exis-tence. C’est un bouleversement pour toute l’Europe, confrontée à une culture totalement différente de la sienne. On s’interroge alors sur l’identité de cette population, que l’on juge en fonction des mœurs occidentales. Ces étrangers apparaissent dès lors tantôt comme des êtres supérieurs, tantôt comme des ennemis ou des êtres inférieurs. S’agit-il de créatures innocentes vivant en harmonie dans une nature édénique ou, au contraire, de barbares monstrueux et inhumains ? Quelle que soit la réponse, les Européens se positionnent en individus civilisés et qualifient les indigènes de « sauvages », plus souvent barbares qu’innocents. Quant à l’image du « bon sauvage », elle perdurera à travers les siècles, donnant naissance à un mythe.
L’année 1492 est aussi celle qui voit triompher la Reconquista : l’Espagne est parvenue à chasser les musulmans de son territoire. Les souverains espagnols, forts de la victoire du catholicisme, ont donc pour premier souci d’évangéliser les habitants du Nouveau Monde. À cette époque, la religion catholique se veut universelle.
Dans les années qui suivent, Colomb réalise de nouvelles expéditions et inaugure la colonisation. S’ensuit alors l’appropriation des richesses des Indes (or, argent, épices, etc.) et, rapidement, le massacre des Indiens, notamment à Haïti et Cuba. Ensuite, deux grandes vagues de conquêtes militaires se succèdent : en 1519, Cortés (conquistador espagnol, 1485-1547) s’empare du Mexique et détruit l’Empire aztèque puis, en 1529, Pizarro (conquistador espagnol, 1475-1541) conquiert le Pérou, anéantissant l’Empire inca.
Face à cette situation, l’Europe est divisée : certains appuient la colonisation et se réjouissent des profits économiques, tandis que d’autres dénoncent le traitement réservé aux Indiens. En effet, dès 1501, on instaure le système de l’encomienda : on distribue des terres à des colons qui ont le droit d’utiliser la main-d’œuvre indienne gratuitement, cette dernière étant livrée à la domination absolue des nouveaux maitres. Dès le début du siècle, la reine d’Espagne, Isabelle, ainsi que d’autres, essaient d’enrayer cette situation, mais c’est seulement vers 1537 que le pape admet que les Indiens ont une âme humaine et qu’ils ne peuvent être traités en esclaves. En 1542, Charles Quint tente de supprimer petit à petit les encomiendas, mais la rébellion des colons l’oblige à se rétracter. En 1550, il décide de suspendre les actions militaires et requiert l’aide de l’Église. Il faut noter qu’à cette époque, pouvoir temporel et pouvoir spirituel sont intimement liés, ce qui signifie que le pape a son mot à dire dans les décisions politiques. C’est pourquoi l’empereur confie à l’Église le pouvoir de trancher sur la question de la colonisation.
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Le débat que Carrière rapporte dans son livre a donc réellement eu lieu. Cependant, l’auteur se permet quelques libertés avec l’histoire :
• premièrement, il y a eu, dans le courant du xvie siècle, plusieurs controverses, mais Carrière a pris le parti de les réunir en une seule ;
• ensuite, il a lié deux problématiques qui avaient trouvé des réponses à quelques années d’écart : dès 1537, le pape promulgue un texte dans lequel il reconnait que les Indiens ont une âme comparable à celle des Européens ; la question qui se pose en 1550 concerne donc uniquement le caractère justifié ou non des guerres de colonisation ;
• l’écrivain met aussi en présence deux personnages, Las Casas et Sépulvéda, qui ne se sont pas réellement rencontrés, mais qui sont des protagonistes réels du débat. Ayant lu la majorité des textes sur la controverse, ainsi que tous les documents publiés par les deux hommes, Carrière a été en mesure d’imaginer la dispute qu’il relate dans son livre sur la base des propos réels des protagonistes ;
• enfin, à l’abolition de l’esclavage des Indiens, il substitue la traite des noirs, or, historiquement, les deux problèmes sont indépendants.
UNE MISE EN SCÈNE DRAMATIQUEAvant même d’écrire son récit, Carrière avait déjà pour ambition d’en faire une adaptation télévisée. Par conséquent, une des principales spécificités de l’œuvre réside dans ses quali-tés dramatiques :
• tout d’abord, comme c’est le cas dans tout récit ou roman, l’auteur mêle le récit d’évènements et la reproduction de paroles. Toutefois, dans cette œuvre, les dialogues l’emportent de loin sur la narration ;
• ensuite, le récit des évènements lui-même est « théâtralisé » : l’auteur multiplie les surprises, les coups de théâtre et les rebondissements (exhibition de l’idole, intrusion des deux colons, examen des Indiens, comédie des bouffons et retournement de situation final). En outre, Carrière joue sur le suspense tout au long de son livre : par exemple, il évoque à deux reprises et sans fournir aucune explication la présence d’un chariot surmonté d’une guérite dans laquelle brillent « deux yeux sombres » (p. 101) dont on apprendra par la suite qu’il s’agit des Indiens ;
• aussi les nombreuses remarques du narrateur font-elles figure de véritables didascalies, ce qu’accentue l’utilisation du présent. Ces remarques dressent les décors et décrivent les gestes, les positions, les déplacements, les réactions et les émotions des personnages ;
• enfin, si l’écrivain a triché avec la réalité historique, c’est principalement pour respecter cer-taines règles dramaturgiques (unité de lieu, de temps et vraisemblance). Il regroupe ainsi des débats divers en une seule controverse qui dure quatre jours et qui a lieu dans un seul endroit. Il fait également coïncider l’ordre du récit avec l’ordre des évènements racontés, ce qui est propre au théâtre.
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L’ART DE PERSUADERLe titre de l’ouvrage nous indique d’emblée la forme de l’œuvre : une controverse est une discussion argumentée, c’est-à-dire dans laquelle il s’agit de persuader quelqu’un que ce que l’on dit est vrai, ce que l’on nomme « l’art de la rhétorique ». Invention de l’Antiquité grecque, la rhétorique était à l’époque pratiquée dans les assemblées de citoyens où il s’agissait, pour un orateur, de défendre ses idées ou ses choix politiques. Elle est ensuite devenue une technique qu’on enseignait aux politiciens : pour mieux convaincre, il était nécessaire de bien parler.
Pour argumenter, il existe différents moyens :
• on peut convaincre grâce à sa vie personnelle, son caractère ou son statut. C’est de cette manière que Las Casas s’attache la confiance de son auditoire : il a été témoin, il a défendu les Indiens, il a essayé de leur inculquer les valeurs chrétiennes, etc. Sépulvéda, de son côté, joue de son statut d’intellectuel ;
• on peut aussi citer, pour appuyer ses dires, des références incontestées, comme le font sans cesse les deux protagonistes, convoquant le Christ, saint Augustin, saint Paul, etc. Il s’agit de ce qu’on appelle « l’argument d’autorité » ;
• une autre méthode consiste à susciter l’émotion de l’auditoire. Las Casas excelle dans ce domaine : il provoque indignation et pitié en relatant les massacres, ponctue son discours d’exclamations et parle avec véhémence, le plus souvent en « je » ;
• enfin, on peut persuader en recourant à la logique, à l’instar de Sépulvéda, maitre en la matière. Celui-ci organise son discours en différents « points », et développe son argumen-tation avec ordre et rigueur.
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PISTES DE RÉFLEXION
QUELQUES QUESTIONS POUR APPROFONDIR SA RÉFLEXION…• Sépulvéda et Las Casas utilisent des méthodes d’argumentation différentes. De quelle manière
s’y prennent-ils l’un et l’autre ? Qui est le plus efficace ? Justifiez.• Quelles sont les idées qui font de Las Casas un progressiste et de Sépulvéda un obscurantiste ?• En quoi l’opinion de Las Casas sur la beauté et l’art (chapitres 7 et 8) est-elle plus moderne
que celle de son adversaire ?• Sépulvéda croit-il en la responsabilité humaine ? Et Las Casas ? Justifiez.• Le chapitre 12 met en scène des bouffons qui jouent une scène comique devant les ecclésiastiques.
Ces derniers sont extrêmement gênés face à la vulgarité du spectacle. Cependant, le comique n’est pas seulement vulgaire. Expliquez.
• Au début du chapitre 7, le narrateur fournit quelques explications théoriques sur le pouvoir temporel du pape. Il présente deux courants de pensée à ce sujet. Résumez en quelques mots l’idée principale de chaque courant. À quel courant se rattachent respectivement Las Casas et Sépulvéda ? Justifiez.
• Le thème de l’altérité est central dans le livre de Carrière. Expliquez la manière dont chacun des deux orateurs aborde l’autre, ici l’Indien.
• Le problème de l’autre est toujours d’actualité aujourd’hui. Trouvez des exemples.• Si cet ouvrage nous transporte en 1550, il soulève, outre la question de l’altérité, des problèmes
essentiels de notre époque. Lesquels ?• Historiquement, la traite des noirs n’est pas liée à l’abolition de l’esclavage des Indiens.
Dès lors, quel est l’objectif de l’auteur en liant les deux phénomènes ?
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POUR ALLER PLUS LOIN
ÉDITION DE RÉFÉRENCE• Carrière J.-C., La Controverse de Valladolid, Paris, Pocket, 1992.
ÉTUDE DE RÉFÉRENCE• Puzin C., La Controverse de Valladolid. Récit (1992). Pièce de théâtre (1999). Jean-Claude Carrière,
Paris, Hatier, 2004.
ADAPTATIONS• La Controverse de Valladolid, film mis en scène par Jean-Claude Carrière et réalisé par Jean-
Daniel Verhaeghe, France, 1992.• Carrière J.-C., La Controverse de Valladolid, pièce de théâtre, Arles, Actes Sud, 1999. La pièce
est jouée pour la première fois au théâtre de l’Atelier à Paris en 1999, mise en scène par Jacques Lassalle.Pour écrire cette version théâtrale, l’auteur a modifié trois aspects de son récit :
ʟ il a dramatisé la controverse en lui donnant la forme d’un procès ; ʟ il a multiplié les rebondissements et les coups de théâtre pour éviter le statisme ; ʟ il a élagué le texte initial (la dispute ne dure que deux jours et demi, certains épisodes
inutiles pour l’action sont supprimés, le nombre de personnages est réduit, l’action se déroule presqu’exclusivement dans la salle du couvent et les explications historiques sont absentes).
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