Download - La Banquise N°3 - Été 1984
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un an h ~ z les pingouins
(qu avons-nous fait de notre temps
?)
les rvolutionnaires ont ils
une contre rvolution de retard
(notes
sur
une classe impossible)
. le bombardement de Dresde
comme rapport social
(les
restructurations
et la
guerre)
20 F
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u sommaire du numro 1
avant la dbcle
guerre et peur
l horreur est humaine
pour un monde sans morale
Pologne : voir ailleurs
au sommaire
du numro
2
le roman de nos origines
a-t-il une question juive ?
camarade Bulldozer,
f ut
pas pousser 1
ami(e)s pdophiles, bonjour 1
pravda/public opinion
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t
L
BNQUISE
Revue
de crit
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ciale
un
an
chez
les p
ingou
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(qu avon
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cour
r1er.
Responsable de
la publication :
S
uadruppani
Pour to
ute correspond
ance : LA BAN
QUISE B P
n 214 756
23 Paris Cedex
13
3
57
8
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seule dfense de l autonomie de l action
ouvrire
ne
pouvait
rpondre
aux
besoins rvolutionnaires profonds de
l poque. La survivance du vieux mou
vement ouvrier l Est - survivance qui
ne sera pas ternelle, cela nous pouvons
le prdir:,e
sans
crainte - et singulire
ment
en Pologne a permis certains de
continuer croire qu i l suffisait de faire
de la propagande
pour
les conseils
ouvriers pour qu un jour .. Nous ne par
tageons pas cette foi-l. Que les luttes
proltariennes de Pologne aient donn
naissance
l organe contre-
rvolutionnaire dnomm Solidarit,
que les ouvriers polonais se soient, en
dpit
d heureux
rats, largement recon
nus dans cet organe, constituent des ra
lits devant lesquelles il ne sert rien
de se voiler la face
en
invoquant les
manifestations d insubordination aux
quelles Walesa et consorts se sont heur
ts. L importance du mouvement
polonais,
en
tout cas
dans
ses manifes
tations les plus visibles, l importance de
ce mouvement pour l avenir de la rvo
lution mondiale est inversement propor
tionnelle
au
battage publicitaire qui
l a
accompagn.
Qu on ne nous fasse pas le chantage
l inaction
ou
l extriorit
au
mouve
~ n t
social. Nous
qui
faisons plus
ou
moins une revue, et de temps en temps
quelques tracts, nous ne nous sentons
pas plus thoriciens
ou pas
plus isols
du mouvement social que d autres qui
passeraient leur vie diffuser des tracts
incitant les proltaires briser eux
mmes leurs chanes, ou dnonant les
pratiques des patrons
et
des syndicats.
La totalit des groupes et des individus
partisans de ce que nous appelons com
munisme, sont aujourd hui condamns
une
activit essentiellement thorique.
Car il
ne
suffit
pas que
la thorie tende
vers la ralit, encore faut-il que la ra
lit tende vers la thorie. Nous vivons
une
poque confuse : Au
moment
mme o une grande masse d ouvriers
polonais remettent en cause ce qu avait
de radical leur mouvement antrieur, on
voit des mtallurgistes anglais menacs
de licenciement se polariser
sur
la
dfense de l emploi,
de jeunes
postiers
franais ragir
par
l absentisme, des
mineurs amricains sortir le fusil pour
mener une
grve revendicatrice trs
dure,
des
immigrs marocains
lutter
Aulnay l aide de leurs liens commu
nautaires.
Tous ces exemples contiennent un
germe communiste - les mtallurgistes
4
refusent les diktats de la fatalit cono
mique, les postiers font la critique
en
acte
de
l idologie
du
travail, les
mineurs ne reculent pas devant la lutte
arme, les immigrs privilgient une
communaut
autre contre la fausse
communaut du
travail
mais
l envi
ronnement particulier empche cha
que
fois le
mrissement et
l panouissement de ces germes. C est
la prsence simultane de ces lments
encore spars, qui constituerait
l amorce d un mouvement commu
niste.
La
Banquise
n
1
mouvement
qui, peut-on ajouter, ne pourrait se for
mer
qu en critiquant en acte ce
qu ont
de born la
communaut
immigre, la
critique
du
travail, la lutte revendica
tive, etc ... Le mouvement communiste
ne serait videmment pas l addition des
limites des diffrentes luttes mais leur
dpassement grce leur confrontation.
Aux exemples cits dans l extrait de a
Banquise, on
en
pourrait ajouter
d autres, gure diffrents : le rcent
affrontement de Poissy prsente un
aspect trs
positif:
l extrme combati
vit
d une
fraction des licencis a russi
un moment bloquer la machine. Que
des hommes refusent la logique capita
liste, et la refusent
en un
lieu et un
moment nvralgique pour cette logique,
est
une
bonne chose, qui permet de ne
pas dsesprer de l avenir. Mais cela
ne
doit
pas nous
empcher de voir
l extrme isolement de cette lutte, dans
l entreprise mme.
Le
plus grave, ce ne
sont pas tant les violences des contre
matres et ouvriers franais contre les
grvistes, que la passivit de la grande
masse des ouvriers
qui suivaient ces
combats en spectateurs. A ce point
d isolement extrme, cette lutte ne pou
vait certes
pas
dpasser la
pure et
sim-
ple dfense
d un
travail,
pour
toucher
la critique
du
travaiL
Nous ne voulons pas l u t t e r p o ~ t tlne
organisation, mais
pour
le com.oi- .
nisme. A
chaque manifestation d insu-
bordination
des
ouvriers
et
des salaris,
les
souteneurs
professionnels
vonta
la
pche aux militants. Pas nous.
Quand
nous disons nous, ici, nous pensons
tre reprsentatifs
de
ceux qui l Appel
a t lanc. Mais si
nous
disons
que
nous n avons que faire des manifesta
tions de solidarit, ce nous risque de
s amenuiser considrablement. C est l
pourtant, qu on retrouve la nouveaut
radicale de la thorie rvolutionnaire.
Quels liens pouvons-nous tisser avec
des ouvriers
en
lutte? aucuns qu ils
n aient pas eux-mmes aussi cherch
tisser : condition ncessaire mais
non
suffisante. Car ce
qu il
s agit de recher
cher, ce sont des liens
non
pas de soli
darit, mais
de
communaut. Manifester
une solidarit, c est forcment manifes
ter une sparation et sa pseudo-abolition
par la magie de la rthorique rvolution
naire. Nous ne dsirons nous e t r o ~ v e r
avec des proltaires en lutte que dans
ce que nous
aurons
de commun.
Quand
la violence ouvrire dborde le cadre de
l usine et s en
prend
aux forces de
l ordre ou aux marchandises, n importe
lequel
d entre
nous s intgre spontan
ment
la communaut de lutte qui se
forme l. Quand elle s enferme dans le
cadre de la dfense d une entreprise ou
d un travail, nous ne pouvons participer
cette lutte que si,
par
hasard, nous
nous
trouvons
dans
cette entreprise
ou
ce travail. Vouloir obtenir,
e
l extrieur,
qu une lutte se dpasse, c est rejouer la
comdie lniniste.
Nous partageons l effarement du
rdacteur de l appel, face
au
comporte-
.r
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domaine
que
les articles venir sur le langage, la biologie,
etc. exploreront encore. L'important est de pratiquer l'uto
pie partir ce qui existe. Par exemple, propos
de
phra
ses comme: Parmi les richesses qu une
rhumanit
dbarrasse du capital ferait prosprer figurent les innom
brables variations d une sexualit et d une sensualit per
verses
et
polymorphes,
on
nous a, juste titre, reproch
d affirmer un avenir sans expliquer quelle dynamique y
conduirait. En fait, si nous avons voulu exprimer l un pro
gramme, c'tait un programme de travail: il faudra dmon
trer
que l' amour est une construction culturelle
transitoire et que la sensibilit communiste est efflorescence
du divers.
Comme
tout
dcoupage ncessaire l'analyse, la spara
tion en deux questions de la rflexion sur le ommunisme
et son agent, est artificielle. Car l'efflorescence du divers
repose sur des richesses humaines transmises par des com
munauts part iculires (ethniques, traditionnelles villageoi
ses, culturelles contemporaines, etc.)
dont
la ngation
par
la valeur est la fois source d'universalisation
et d appau
vrissement. De mme, le proltariat se constitue contre le
reste de la socit travers la contradiction entre les dter
minations particulires des groupes
humains
et la dtermi
nation fondamentale du travail
producteur de
valeur.
Le proltariat, agent du communisme : Pour transformer
rellement leurs conditions d'existence, les proltaires
ne
doivent pas se soulever
en
tant
que
classe ouvrire ; mais
c est ce qui est difficile, puisqu'ils se battent prcisment
partir de leurs conditions d'existence. La contradiction
ne sera tout fait claircie thoriquement que lorsqu'elle
aura t surmonte dans la
pratique
LB, n
1).
Le pr
sent numro est en grande partie consacr cet effort
d'claircissement
condamn
l'inachvement,
et qui ne
saurait se limiter la rflexion en chambre. On ne com
prend pas la mme chose suivant qu on contemple la ra
lit ou qu on y intervient.
a
Banquise n est pas une revue
questionnante. Comme il est indiqu dans la rponse
l' Appel, nous nous sommes rencontrs durant l't 1983
avec des individus venus de divers horizons critiques de
l'ultra-gauche, sur le thme d une dfinition du proltariat.
L'article
Les
rvolutionnaires sont-ils en retard d une
contre-rvolution?
est issu de cette rencontre,
de mme
qu un rseau de liens de confiance qui a produit les tracts
ci-contre.
Comme le disait fort
bien
Ernest Everhard du groupe
Volont Communiste qui, nous ayant mal lus, croyait
nous critiquer :
S il est clair
qu
travers les
diffrents
amnage
ments du
capital
et
sa rationalisation technologique,
la composition
sociologique
du proltariat moderne
n est plus
la
mme que celle de
la
classe ouvrire tra
ditionnelle
(extension du salariat
et
des secteurs
improductifs, croissance des exclus de
la
production
et du chmage .. ) il n y a
pas
pour
autant
chercher
d autre
figure
de
proue,
d autre moteur de l Histoire,
que
la
communaut
des exploits enchans
au
tra
vail ou confronts la survie quotidienne
sans
travail.
S il
est
clair que
des
mouvements importants peu
vent
venir des ghettos dans
lesquels le capital enferme
tous les exclus de la production
cf.
les
meutes
de l t
81 en Angleterre, les
meutes quasi-quotidiennes
au
6
Brsil
depuis plusieurs
mois ..
),
le combat
central
des
ouvriers au
cur de la
production
et dans les
entre
prises
demeure
un
axe essentiel qui peut
faire
clater
durablement
le
consensus
social cf.
la
rsistance des
proltaires
polonais
toute
normalisation
mili
taire, politique, religieuse ou syndicale, c est--dire
tout
compromis national).
De plus, il est noter que si
les
luttes ouvrires peu
vent tre rcupres,
dvoyes,
etc.
(usinisme,
corpo
ratisme, autogestion
.. ) celles des proltaires extrieurs
la production sont galement soumises
aux pressions
du
capital (culte du
marginalisme,
quotidiennisme,
mythes alternatifs
..
). C est dans
le
dpassement de
leurs
limites propres que les unes et les autres auront
la
capacit d enclencher une dynamique unitaire
et
d affronter
radicalement le
capital.
A l'exemple de la Pologne prs
la
rsistance des ouvriers
polonais la normalisation militaire n'a-t-elle pas
au
contrai
re abouti
souder
le consensus
de
la socit civile polo
naise contre son Etat ?) , nous pouvons contresigner les trois
paragraphes qui prcdent. Ernest Everhard nous posait la
question : Pourquoi avoir dcid
de
rdiger et diffuser
un
tract unitaire
en
cet automne 1983 ? . La rponse est assez
simple : parce que nous en avions le dsir et la possibilit.
Il y avait
d un
ct
une
ralit sociale (politique gouverne
mentale envers les immigrs et multiplications d'agressions
racistes) qui nous donnait envie de ragir et de l autre une
dynamique de contacts qui nous en donnait l'nergie et la
capacit. Les groupes rvolutionnaires qui parlent de leur
pratique comme d une stratgie ajoutent leur mgalo
manie l'usage malencontreux d un terme qui contient la
sparation
entre mouvements
et direction de ces mouve
ments. Nous recherchons un type d'activit dans lequel
rflexion et action se transforment mutuellement sans cesse,
contrairement aux stratges qui prtendent possder
l avantage d une intelligence claire des conditions, de la
marche
et des
buts du mouvement
. Manifeste u Parti
communiste). Cette intelligence claire laquelle prtendai t
Marx est-elle celle qui lui a fait placer des espoirs t rompeurs
dans les trade-unions et la dmocratie, et face aux dbuts
de la Commune de Paris, adopter une position qu il a d
rapidement abandonner ? Ou bien est-elle seulement com
prhension gnrale des grandes tendances de l'histoire
de
son poque? Mais dans ce dernier cas, il
n est
plus ques
tion de stratgie. Le fait que l auteur de la formule qui sert
de devise aux stratges rvolutionnaires ait laiss indits
la plupart des textes qui nous sont essentiels aujourd'hui,
devrait
donner
rflchir
sur
les capacits des individus
discerner l'essentiel dans ce qu ils prouvent le besoin
d'exprimer. Sans compter
qu un
individu capable
de
con
centrer dans sa personne la thorie la plus profonde de son
temps, est aujourd hui impensable.
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IL Y A DE PLUS EN PLUS D'ETRANGERS DANS LE MONDE
Ces temps-ci les racistes se font plus arrogants et l'Etat de gauche les encourage
puisqu'il a repris son compte
le slogan d'extrme-droite: la France aux Franais.
Pourtant, cela fait longtemps que nous sommes devenus trangers nos nations.
L'identit nationale n'a plus gure de sens que juridique: c'est
le
fait d'avoir des
papiers d 'un Etat ou d'un autre. On a une nationalit comme on a un chquier,
ou une fiche de paie, ou une contravention.
Le
nationalisme, qu'il soit franais,
arabe, isralien, russe, amricain ou chinois, se fonde sur des rfrences culturelles de
plus en plus drisoires et stupides.
Le
mouvement de l'conomie a gnralis
le
nomadisme industriel et urbain et a
fait de tous des immigrs des gens qui sont partis de l
o
ils taient enracins,
de leurs communauts, de leurs villages, de leurs montagnes, de leurs valles. L' co
nomie se moque bien des patries
Ceux qui mettent en avant leur identit nationale par peur de la diffrence ne sont
pas moins dracins que les autres. Et au fond, ils le savent. Ce qu'ils dfendent c'est
leur Etat et l'illusion que ce dernier leur assurera
un
emploi.
Quand, la Courneuve ou Nanterre, un pauvre type qui se prend pour un
Franais flingue un mme qu'il prend pour un
Arabe
parce que c'est plus
facile que de tirer sur son chef, voil qui est dgueulasse, d'accord.
Mais
il faut bien
voir que de tels misrables
se
sentent couverts par l'Etat. C'est l'activit mme de
l'Etat qui entretient
le
racisme: il imprime et distribue des cartes d'identit nationale
ses ressortissants comme les matres d'antan marquaient au fer rouge esclaves
et btail. Et puis il organise un systme de cartes de sjour qui maintient des millions
d'tres humains dans une situation d'expulsables tout moment.
Les politiciens qui chaque jour proclament produisons franais qui chaque
jour
expulsent des Maghrbins parce qu'ils sont Maghrbins
et
des Noirs parce qu'ils
sont Noirs ont bonne mine avec leurs appels antiracistes. Avec la complicit des Etats
trangers et
de leurs polices dlgues,
les
Amicales
l'Etat franais accumule
contrles, rafles et quadrillages policiers contre les immigrs pour les dissuader de
sortir de leurs ghettos et les empcher d'utiliser, comme Talbot Citron, la force
de
leurs liens communautaires pour se dfendre. L'extrme-droite sert
de
bouc
missaire. En ralit, entre Marchais, Mitterrand, Le Pen et Chirac, il n'y a que des
querelles de chiffres sur le nombre d'immigrs virer.
Beaucoup de travailleurs .franais supportent mal l'image de l'immigr parce
qu'il leur rappelle qu'eux aussi sont des proltaires, c'est--dire des exclus potentiels.
Plutt que de jeter un regard lucide sur leur propre misre, ils prfrent se replier sur
une pseudo-communaut : celle du travail garanti par 1 Etat.
Mais
la communaut du travail est devenue aussi incertaine que la communaut
nationale. Personne n'est l'abri des attaques de l'conomie - cet autre nom du
capitalisme. Les ouvriers du bassin lorrain
et
d'ailleurs ont pu vrifier que Fran
ais
ou
pas, le capitalisme a vite fait de les rendre trangers leurs rgions, aprs
les
avoir rendus chaque jour un peu plus trangers eux-mmes.
Car c'est l'conomie qui nous traite chaque jour davantage en trangers, en nous
employant c'est--dire en nous assignant des activits aussi vides que l'inacti
vit du chmeur, en nous contraignant perdre notre vie pour assurer notre survie.
Nous n'avons que foutre des races et des nations. Nous sommes tous trangers.
Nous voulons
vivre
nos diffrentes faons d'tre humains comme il nous plat. La vie
nous parat plus attrayante lorsque l'universel y est vraiment en jeu. La diversit des
aspects physiques,
les
manires varies,
les
gots et les couleurs nous sont des possi
bilits de bonheur.
C'est dans le jeu gratuit de nos diffrences, de nos attirances, de nos rpulsions,
de nos rvoltes, de nos amours et de nos lans communautaires que nous devenons
humains.
A bas toutes les patries
A bas
la
France
Des partisans de la communaut humaine.
7
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MARCHER POUR L EGALITE,
C EST MARCHER
POUR QUOI ?
La marche contre le racisme a rassembl autour d'elle chacune de ses tapes, les
immigrs, les jeunes des cits et tous ceux qui sentent le besoin de riposter collective
ment
aux agressions insupportables des racistes efdes flics.
Mais, elle a aussi attir groupuscules, curs et pasteurs, ministres et souteneurs de
gauche.
Pourquoi
sont-ils
tous
l?
S'ils peuvent parader, se faire photographier, tenir
quelques beaux discours anti-racistes qui n'engagent rien, en mme temps qu'ils
expulsent tour de bras, c'est que les revendications des marcheurs, l'appel aux bons
sentiments, ne les drangent pas vraiment.
Il en allait
autrement
pendant l't 80, aux Minguettes et ailleurs,
quand
les jeunes
des cits, en se battant en dehors de la lgalit, faisaient plus pour leur dignit qu'en
mendiant leurs droits auprs de l'Etat.
COMBATTRE LE RACISME?
En guise de riposte, les organisateurs de la marche ne proposent que de rclamer
l'Etat la scurit, la reconnaissance de
la
dignit humaine et le droit de s'intgrer
la communaut nationale
, tout
en conservant une identit culturelle. Ils
prnent la non-violence, en appellent la
bonne
volont des gens et de l'Etat pour
faire reculer le racisme.
Quelle aubaine publicitaire pour le pouvoir de gauche,
qui
peut jouer les anti
racistes- peu de frais, alors que dans les faits,
il
a repris son compte le slogan
d'extrme-droite: la France aux Franais en faisant la chasse aux sans-papiers et
en fermant les frontires aux Maghrbins, aux Noirs, aux Turcs, etc. Il a aussi repris
la notion de seuil de tolrance : 10% d'immigrs, a va, mais pas plus, sinon le tir
au fusil est lgitime, ou
du
moins comprhensible ..
Mais le racisme n'est pas qu'une simple ide dans la tte des gens, que l'on pour
rait
combattre
en faisant appel leur raison et leur
bonne
volont.
D'autant plus qu'avec l'aggravation de la crise, les racistes se
sentent
de moins en
moins honteux et de plus en plus couverts par l'Etat qui avec ses cartes d'identit ou
de sjour, nous divise en
bons
citoyens d'un ct et mauvais trangers de l'autr e.
Le
racisme c'est
notre
monde, c'est celui
du
capital
tout
entier qui enferme les
immigrs et leurs enfants dans une situation prcaire (chmage, expulsions) pour
mieux tenter d'attacher les proltaires franais la dfense de l'conomie
nationale.
DEMANDER DES DROITS ET DES GARANTIES A L'ETAT?
C'est demander l'Etat qui
nous
divise
et nous
exploite d'aller
contre
sa nature.
C'est soumettre encore plus la communaut immigre l'arbitraire de la socit
capitaliste.
Demander la Justice de faire son travail en punissant plus svrement les
racistes ? Alors que le travail de la justice c'est prcisment, tous les jours, d'expu lser
les sans-papiers, de
condamner
aux peines les plus svres les beurs
qui
tombent
entre les griffes de la police.
Demander la police de garantir la scurit des immigrs ? Alors que c'est la
police qui quadrille, intimide les cits et quartiers d'immigrs Alors que police et
justice
n'ont d'autre
fonction que de rprimer
tus
les exploits, franais ou
immigrs.
Et mme si les revendications des bonnes mes (carte de sjour de dix ans, par
exemple) taient satisfaites, ces garanties pourraient
tre
supprimes tout
moment.
On a vu
comment
l'Etat anglais pouvait retirer du jour au lendemain leur passeport
britanni que des millions d'Asiatiques et d'Antillais.
INTEGRATION?
Tant
que
la crise durera, l n'y aura ni intgration sociale, ni dignit civique
pour les immigrs et les jeunes de la deuxime gnration, parce qu'ils seront tou
jours plus exclus de la communaut du travail, considrs comme la lie de la socit,
et serviront de boucs missaires.
8
Pour prvenir une possible explosion, l'Etat tente d'occuper les jeunes des cits
des activits striles: camps de vacances surveills, stages de formation o ils
se
font surexploiter. Il fait galement miroiter le mirage
d'une
identit culturelle
beur, qui ne permettra qu' quelques intellectuels de la communaut de jouer les
vedettes et de rafler les subventions. Ce folklore n'a pour but que de faire oublier
aux beurs leur communaut relle: celle de la rvolte contre
tout
nationalisme et
tout
Etat.
L'avenir est l: non dans la dignit et la respectabilit bourgeoises l'abri
des lois de l'Etat, mais dans l'association rvolutionnaire des immigrs avec
tous
les
autres proltaires frapps par la crise: chmeurs, squatters, intrimaires, ouvriers
se
retournant contre la dfense de l'conomie nationale,
pour
la destruction de notre
condition proltarienne commune et l'affirmation d'une communaut humaine
universelle en laquelle nos diffrentes manires
de
vivre, de sentir, s'panouiront en
autant de richesses humaines et d'occasions d'aventure pour chacun de nous.
A BAS LA FRANCE
A BAS TOUTES LES PATRIES
Des partisans de la communaut humaine.
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de l accompagner
mme
si
l on n est pas
trs convaincu ds
le dpart. Ainsi avons-nous accept que le texte attaque sur
tout l Etat et le nationalisme sans analyser en profondeur
la particularit du racisme, parce
que
le rdacteur identi
fiait purement et simplement xnophobie et racisme, ce qui -
est tout fait faux. Mais il nous semblait nanmoins impor
tant de montrer
ce
qui
relie l une
l autre
ces deux rali
ts. Notre bonne volont
s est
cependant
mue
en
inattention lorsque nous avons laiss passer ce
membre
de
phrase stupide : plutt que de jeter
un
regard lucide
sur
leur propre misre .. qui devrait s appliquer davantage aux
thoriciens qu au proltariat.
Dans l ensemble, nous pouvons tre satisfaits
du
type de
relations que nous avons tabli avec ceux qui nous ont
contacts. Malheureusement, en rencontrant ces individus,
nous avons aussi rencontr un milieu, ou ce
qu il en
reste.
Dans les annes 68-77, la socit a p rodui t
bon nombre
de
rvolutionnaires qui ont intgr la critique de l chec du
vieux mouvement ouvrier mais
n ont
pas
su
ni pu aller plus
loin. Le reflux relatif des luttes de classe a entran l ato
misation ou le repli sur des groupes menacs de devenir
des sectes. Toute nouvelle r evue s expose des rflexes de
boutiquier craignant la concurrence. Tous les groupes n ont
pas ces rflexes-l, mais il en est certains qui voudraient
apparemment
nous ~ n t r a n e r dans
une
guguerre polmi
que. Ce
n est pas par
anglisme
que
nous
ne jouerons pas
ce jeu-l, mais parce que les simulacres de guerre ou qe
procs n ont rien voir avec la critique. La polmique uti
lise la forme aux dtriments du fond
du
dsaccord. Au lieu
de donner du tranchant la pense, le style dforme la pen
se de l autre, et l insulte vise faire taire.
La critique s apparente l activit subversive, la polmi-
.
que au rquisitoire de l avocat gnral. La critique est une
activit humaine, dans laquelle celui qui critique ne craint
pas
d tre
transform par la rencontre de ce qu il critique,
et par l activit critique elle-mme. Alors que la condam
nation est un rituel, une nonciation formellement spa
re de ses consquences, nonciation qui place celui qui
condamne
dans une
position de domination magique. C est
une
forme de domination magique parce
que
la sentence
prtend
contenir le
condamn et
que
dns une
certaine
mesure elle russit. Car le juge prtend juger non seule
ment l acte, mais l tre mme du prvenu. La critique ne
prononce ni n administre
de
peine, elle transforme sans
1
crainte
d tre
transforme. En cela elle
n a
rien voir avec
le dialogue dmocratique.
La dmocratie runit le spar en tant que spar, et main
tient la sparation. Dans les procs, il existe
une
sorte de
dialogue dmocratique entre juge et prvenu, au cours
duquel l un
et
l autre
s emploient construire
une
image
du prvenu
en fonction de laquelle la condamnation sera
prononce. Sauf dans les rares cas o le prvenu refuse de
jouer le jeu et se fait expulser, quelle que soit son attitude
- et s il est combatif, cela
ne
fait
que
renforcer le carac
tre dmocratique du dialogue, le prvenu concourt la
production
d une
image qui lui est radicalement trangre,
puisqu il s agit d envisager un individu en regard d un acte
prjug
par
des lois hors d atteinte de la discussion. La
mystification repose
sur
l oubli volontaire,
au
cours
du
dia
logue,
de
la prsence des gendarmes
et
de leurs flingues
aux cts du prvenu, pour l empcher de dire : ce dialo
gue, dans ces termes, ne m intresse pas, je m en vais. Ainsi
plac
dans une
situation de domination, le
prvenu
con
court son alination.
Au contraire, la critique, compris la critique des ~ u r n e s
s affronte au corps corps avec l objet de la critique et si
elle l emporte, ce
n est
pas parce q u e l ~ est en position de
domination mais parce que son principe est plus proche du
monde
humain, et qu elle s attaque
aux
maux
de
celui qui
critique aussi
bien que de
celui
qui
est critiqu. Comme
le rquisitoire de l avocat gnral, la pol mique fait des
effets de style pour impressionner sans dmontrer et quand
elle dmontre, elle dcoupe les textes
pour
chercher des
preuves
et
des intentions, et choit parfois carrment dans
le mensonge et la calomnie.
Avec le premier tract sur le racisme, nous avions fait
l exprience des insuffisances des autres. Il nous restait
dcouvrir que la collectivit des rdact eurs de
a
anquise
n tait pas
l abri du cafouillage. En prvision
de
la
venue
Paris des sidrurgistes lorrains, nous avions eu des
contacts avec un certain nombre d individus et de groupes,
dont certains proches
de
l autonomie. Nousavons pr
sent
un
projet
de tract
qui,
dans notre
esprit, devait ser
vir de test la possibilit d un accord a v e c l e s ~ r o u p e s et
individus que nous ne connaissions pas. La yplont de trou
ver un moyen d agir ensemble tait manifeste chez tous les
participants. Malheureusement, nous avons bien failli sui
vre le conseil de l auteur de l Appel.. et mettre la praxis
-
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parler de la crise pour Q\ Oi faire
?
1
Question de mthode
La comprhension d une rvolution
future
ne
vient pas de la comprhension
de la crise prsente. C est
au
contraire
la comprhension de la rvolution
future qui doit nous
permettre d
appr
hender la crise prsente. Autrement dit,
c est l analyse de
l
crise fondamentale que
serait une rvolution communiste, qui
dtermine l analyse des crises du capita
lisme.
En saisissant de quelle faon le
monde continue, jusque dans la et les
crises,
on
verra
pourquoi
il peut
s crouler.
A la place des priodisations binaires,
(tant que le capitalisme peut conti
nuer/quand
il lui devient impossible de
continuer), mieux vaut une priodisa
tion historique, base
par
exemple sur
les grands systmes de production (de
la manufacture l OST, et aujour
d hui?). Quand Marx oprait la distinc
tion soumission formelle/soumission
relle, il parlait du capitalisme de son
temps et non d une distinction entre son
poque et
une
poque venir radicale
ment
nouvelle.
Il.
Crise, automation t valeur
Il n y a pas de dterminisme techno
logique. La crise actuelle
n est
pas due
aux robots. Mme du point de vue capi
taliste, 1 avance japonaise sur la France
ne vient pas du nombre de robots, mais
de leur efficience, donc des conditions
sociales globales. Le texte de Saint
James* dcrit bien la crise de rentabi
lit. La crise vrifie la validit de la tho
rie de la valeur. Equipements vieillis,
force de travail use et rebelle, nergie
plus chre, puisement des satisfactions
sociales entranent des surinvestisse
ments
coteux.
L extension d un machinisme automa
tis ne supprime nullement la ralit du
capitalisme comme univers de valorisa
tion. La combinaison de l activit
sociale constitue dsormais toute la
force productive, y compris la science,
la vie sociale, qui cre la richesse, e t non
plus le travail isol et direct
(Manus
crits
de
1857-58, OEuvres,
Il, 308). Qui
crerait la valeur dans un monde
o
ne
resterait qu un seul travailleur
actif?
Tout
le
monde.
La nouveau t de l automation n est ni
dans une soumission totale de l homme
14
la machine, ni dans
une
dqualifica
tion gnralise. L automation est plus
un effet de la crise (et en particulier de
l action des salaris) qu une cause, bien
qu elle aggrave la soif de capitaux sou
vent introuvables.
L automation inserre l i nforma
tion, c est--dire le commandement,
dans l acte productif, dans la machine
mme. Mais si
l on peut innerver
ainsi
le systme productif, il faut encore
savoir quoi produire et comment. Le
xx sicle finissant annoncerait l man
cipation
par
rapport la nature, l abs
trait vcu
par
la transformation de tout
en donnes numriques, la circulation
de l information devenant la base de
tout. Cette image est et restera aussi
fidle la ralit que les romans de Jules
Verne la ralit
du
XIX. De toutes
faons, la libration de l nergie
par
le
nuclaire et la rorganisation du
systme rclament des investissements
aujourd hui
impossibles.
a perspective quasi, certaine d un ch
mage massi f d ici l an 2000 n est pas
le
point de dpart d une analyse.
La misre
noire aprs 1929
n a
pas entran de
rvolution, car les proltaires se sont
battus pour du travail et les droits du
travail. Certes, la socit reposant
sur
le travail
en mme temps
qu incapable
d en donner, rvle son absurdit. Mais
l absurde n est
pas un agent social.
III. fl n y a pas de no-proltariat et le capi
talisme social n est pas fini.
Autrefois, runis par le capital dans
le travail et
mme
l extrieur, les
ouvriers tendaient constituer un
monde
autre, part, mais toujours
fond sur le travail. Le clacissme con
siste voir dans la lutte de classe un
bien en soi. Le classicisme a fait faillite
au XIX et
au
xx sicle et la commu
naut
ouvrire dcline. Sa dernire
manifestation massive en France fut la
grve des mineurs en 1963. On est pass
d une communaut base
sur
une capa
cit concrte
le
mtier) une commu
naut dans l obligation
de
se salarier,
sans reconnaissance dans
une
qualifica
tion quelconque.
On
n est plus soudeur
ou ajusteur mais agent de production ou
oprateur.
Le travail ne peut plus tre,
n est
dj
plus le pivot social.
Mais une socit peut
intgrer des gens sans leur offrir du travail.
L intgration
n est
ni conomique, ni
politique, ni culturelle mais les trois.
Une socit peut trs bien intgrer des
masses de chmeurs vie. Mais ce qui
est vrai pour les Noirs des Etats-Unis ne
pourrait l tre pour la socit amricaine
tout entire. L exemple tasu nien offre
une image de l avenir: une minorit,
problablement importante, vivra en
marge des activits rgulires
du
reste
de la socit.
Le problme
n est pas
le
nombre
de
chmeurs, mais l quilibre entre les
couches. L OST n a pas transform tout
le monde en OS et recouvre une grande
varit de formes.
Le dveloppement de
l
prcarisa
i
on est important en ce qu il
transforme
l
relation au travail
de
tous,
travailleurs
t
non-travailleurs.
On peut
certes objecter
que
la prcarisation et
l htrognit de la classe ouvrire ne
sont pas si nouvelles que cela :les usi
nes amricaines
du dbut du
sicle
taient de vritables tours de Babel.
Nanmoins, la particularit de notre
poque est que la tendance la plus nova
trice surgie de la crise ne peut qu accen
tuer prcarisation et .chmage. Il faut
pourtant se garder des conclusions
htives.
Pour le moment,
on
n assiste ni la
fin du capitalisme social, ni son ter
nisation par l affirmation d un pro
gramme social-dmocrate ou PC. Nous
vivons la fois le maintien
de
ce capi
talisme et la tentative d mergence
d autre chose, qui pourrait trs bien
coexister avec lui. La vraie limite de
l automation actuelle est qu elle suscite
des
procds
plus que des
produits.
Elle
n a
pas fait natre, jusqu ici, de nouveau
mode de vie et elle ne liquide pas la
socit d assistance, elle dveloppe
mme une
pauprisation assiste. That
cher, Reagan, tous les capitalismes
nationaux taillent sans piti dans les pro
grammes sociaux mais conservent
une
aide sociale rogne.
L important, c est que le capitalisme
n offre plus
une
situation dynamique
la masse (pas tous,
bien
sr) des sala
ris. C est cela qui compte pour nous,
et non une misre rampante . De l insa
tisfaction qui dcoule de c ette situation
peut
natre que lque chose. L insatisfac
tion n est que l expression affective
-
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-
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en
leur proposant
un
cycle de runions rgulires
sur
des
sujets comme l immigration,
mais aussi
le
terrorisme
ou la
guerre. Trs vite, ces runions ont tourn autour du thme
de la restructuration,
et aucune
convergence
ne
s est des-
sine.
Pour ne pas sombrer dans le bavardage, comme
il tait annonc dans notre rponse l Appel... , nous
avons
mis
fin
pour l instant
ces runions,
en nous
rsr-
vant de nous revoir sur des sujets plus prcis, comme ceux
voqus plus haut. Le texte
qui
suit,
prsent
la discus-
sion
sur
la restructuration, doit tre lu comme la premire
esquisse
d un
article paratre
dans
le
n
4
de
a
Banquise.
Le
texte initial a t lgrement modifi.)
Quelle classe ouvrire a suivi son chemin de croix le ven-
dredi 13
avril1984?
La possibilit de rpondre cette ques-
tion recoupe celle
de
nous fondre
un jour dans une
c o m ~ u n u t de lutte bien plus vaste que l phmre com-
munaut de
pingouins rassembls
sur
a
Banquise.
Le 28 avril 1984
Pour obtenir le texte intgral de l Appel . et l Bulletin
de
correspondance
no
0,
contenant les premires rponses, crire : D. Gontarbert, 18, Bd
Soult, 75012, sans autre indication.
Nous avons supprim les redites par rapport au texte de la rponse
l Appel. .
6
a
classe
la
plus nombreuse et la plus
utile de la socit est sans contredit la
classe des ouvriers. Sans elle les capitaux
n ont aucune valeur. Toutes les classes
s appuient sur elle
[ ]
L Artisan, journal
ouvrier
paru
Paris
aprs
1 8 ~
-
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19/92
les rvolutionnaires ont-ils
une contre-rvolution de retard ?
notes su une classe impossible)
1. dfinir le proltariat,
pour quoi faire
Tout ce
que nous
disons
n'a
de sens
et d'intrt qu'en
fonction
d'une
ralit
qu'il n'est pas facile de fixer dans une
dfinition simple, immdiatement ac
cessible
ceux qui sont porteurs de cette
ralit. C'est
l'ironique
paradoxe
de
la
thorie
rvolutionnaire, prsent ds ses
origines. Les crits de Marx abondent
en
formules surprenantes, ds qu'il
s agit de dfinir le sujet rvolutionnaire :
une classe de la socit
civile
qui
.
n'est pas
une
classe
de la socit ci
vile Pour une critique de la philosophie
du droit de Hegel,
Gallimard,
OEuvres,
t. III, p. 397).
La classe
qui, dans la
socit,
n'a plus rang de classe et.
n'est pas reconnue comme
telle
:
ds
maintenant,
elle marque la dissolu
tion
de toutes
les classes,
de toutes
les nationalits, etc.,
au
sein mme
de la
socit prsente
Idolpgie al-
lemande,
Gallimard,
id
p. 1123).
Pour
obscures qu'elles soient
au
premier
abord, ces dfinitions se sont montres
bien
plus
fcondes
que
la simple galit
avec laquelle elles voisinent chez le
mme Marx : proltaires = ouvriers.
Les dfinitions qui
rendent
compte
de
la nature contradictoire du proltariat
refltent ce
qu'il
y a de
plus
profond, et
de plus profondment
neuf
dans
le tra
vail de Marx
et dans
la thorie rvolu
tionnaire
en
gnral. La nouveaut nous
apparat aujourd'hui plus neuve que ja
mais,
car
la contradiction
n'a pas
cess
de s approfondir, et de s'tendre : la
condition proltarienne
tend
s impo
ser
la
grande
majorit
de l'humanit
et l activit contradictoire
du
proltariat
ne cesse de rpandre ses produits mins
-
sur
la plante. En mme temps, le pro
ltariat en tant que tel ne s est gure ma
nifest ces dernires annes. Approfon-
dissement
de la
contradiction
proltarienne et faiblesse
des
attaques
du
proltariat expliquent la crise ac
tuelle
du
communisme thorique, o
l'on voit les uns abandonner toute rf
rence
la lutte de classe et les autres se
raccrocher
un
effort
de
formulation
qui
peut
ressembler parfois
de
la scho
lastique. Nous allons
prendre
le risque
de nous
exposer aux deux reproches
la fois.
Toute la difficult vient de ce que la
dynamique qui dfinit le proltariat est
celle de son autongation. Il n'est pas
ais
de
saisir
dans
la ralit
une
entit
dont le maximum d existence consiste
s'abolir
L effort de saisie thorique
anticipe
sur
l effort
de
saisie
du
prol
tariat
par
lui-mme. Seule cette ralit
venir donne
au
fond son sens
l ef
fort thorique. Et cet effort
qui ne
con-
tient pas
en
lui-mme son
propre
sens
est pourtant doublement ncessaire. N
cessaire
parce que
si nous
n'avions que
notre
subjectivit
pour nous
dire
que
ce
monde est lamentable, il
n'y
aurait
mme
plus parler
de mouvement
r
volutionnaire mais
de
posie
ou
de
mystique. Doublement parce
que
la d
finition
du
proltariat
tant
celle
de
la
dynamique
de
sa dtermination fonda
mentale, elle est forcment analyse
de
la rvolution
venir, elle-mme indis
sociable d'une analyse de la priode. On
ne peut parler
du
proltariat aujourd hui
comme on
en
parlait en 1840 ou en
1960.
Pour rompre avec le subjectivisme, il
ne
suffit pas de le vouloir. Le refus vis
cral
du monde,
s il est
notre point de
dpart,
n'est
pas une garantie de la jus
tesse de nos points de vue. Mais la pure
cohrence thorique
non
plus. Aprs
tout, et comme toutes les grandes cons
tructions paranoaques,
la
cosmogonie
du prsident Schreber* donne, elle
aussi,
une
forte impression de coh
rence interne. C est dans la pratique
que
nous pouvons commencer
- mais
seu-
lement commencer - de
vrifier
que
nous ne
dlirons pas.
Dans
sa
pratique,
l Eglise de Scientologie vrifie
tous
les
jours
la justesse
de
ses vues (elle ob
tient d'indniables
succs
dans
la lutte
contre la drogue et le mal-tre de ses
membres mais ce sont chaque fois des
vrifications partielles, dont le sens g
nral chappe aux scientologues. La v
rification gnrale de la validit de la
thorie, c est la rvolution communiste
Elle seule
arrache tout
fait la thorie
la subjectivit des thoriciens. S il veut
aller
au
bout de lui-mme- et
non
se
rsoudre
en une
manire parmi d autres
de supporter ce monde - le refus vis
cral du monde
doit se
donner une
forme qui l intgre aux forces qui dtrui
ront le monde. Il
n'empche
que, sans
subjectivit rvolutionnaire, il
n'y
aurait
pas de thorie rvolutionnaire.
La thorie rvolutionnaire
n'est
pas
une science - et c'est
tant
mieux, car
c'est
une
raison
de
plus pour
qu'elle
ne
soit pas digre
par
le capital. La dimen
sion
subjectivede
la
thorie n'est que
le reflet
d'une
pratique humaine qui
se
cherche et se pense mal dans
un
langage
domin. Elle
ne
prouvera tout
fait sa
validit qu'au
moment o
elle sera de
venue
inutile, elle
n'est donc qu'un
en
semble d approximations. Cette banalit
- ant idote bien des prtentions - il
ne faudrait jamais la
perdre
de
vue
quand on
lit cette revue - et les autres.
Nous
parlons du
proltariat
comme
d'un
rapport social,
d'un mouvement
qui accderait
l existence maximale en
*
e
prsident Schreber,
sur
lequel Freud glosa,
crivit
un
gros ouvrage
pour
expliquer que Dieu
complotait de le tr ansformer
en
femme.
17
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leurs grce ces autres dimensions que
la force
de
travail
peut
continuer pro
duire de la valeur.
Contre les tenants de la classe univer
selle, ou contre ceux qui veulent aban
donner la lutte de classe au capital,
l
im
porte nanmoins de rappeler que
l exploitation n est pas la mme pour le
cadre suprieur
et pour
l OS
et que
le
second voit son activit bien d avantage
enferme dans la forme du travail.
Enfin, si le cadre suprieur, dans la me
sure
o
l organise le t ravail de l OS,
exerce une activit productive, l OS, lui,
joue un rle spcifique dans la produc
tion de valeur.
C est l ensemble de la socit qui pro
duit de la valeur, mais il y a dans cet en
semble des couches sociales
dont
l ac
tivit
demeure au
contact
du
support
matriel
de la
valeur. Ce sont les cou
ches les plus exploites, toutes les au
tres participant leur exploitation des
degrs qui varient selon la place qu ils
occupent dans la hirarchie. L extension
du
salariat ne doit pas nous aveugler sur
cette grossire ralit : l existence de
gens dont l activit immdiate reproduit
les conditions matrielles d existence de
l humanit et
donc
du
capital.
Les
salaris astreints
des tches
d excution connaissent
de la ma
nire la
plus crue et
la
plus directe
la condition proltarienne qui
s tend
ou
m:enace
de s tendre au
reste de la socit.
Force de
travail
sans cesse dvalorise
par
le
mouve
ment de la valeur qu ils contribuent
produire, ils
se
trouvent au cur
de la contradiction capitaliste.
Acti
vit
valorisante de la
force
de travail
la moins valorise, leur travail
re
prsente le plus petit commun dno
minateur des c ~ i v i t s dans le capi
tal
-
leur quivalent
gnral.
Par
leur position dans
la
production, ils
peuvent mieux
que d autres la
bou
leverser. Ils jouent donc un rle
cen
tral
dans la
production
du capita
lisme
aussi bien que du
communisme.
Par
consquent, si
l on
ne
peut
le rduire
une iden
tit sociologique, une classe,
le
pro
ltariat
nat d abord
de
ces couches
sociales-l
et de leurs luttes.
Mais la
dynamique
productive
n est
pas seule responsable du maintien du
vieux monde. Elle se double
d une
norme inertie. En cas de dynamique
rvolutionnaire, il faudra peut-tre que
les employs
jettent d abord
la pape
rasse par les fentres. Mais ceux qui
sont
au
contact de la production des
choses - objets mais
pas
seulement -
ncessaires la rvolution et la vie hu
maine auront un rle plus essentiel et
plus central. La rvolution ne sera pas
une
vaste aboulie. La rvolution
par
l inertie est aujourd hui l utopie pro
duite par ceux qui sont du ct de l iner
tie, ceux
dont
la fonction sociale para
site la production des choses qui nous
font vivre. Evidemment, ces choses sont
aussi ce que nous voulons changer mais
on ne les changera qu partir de ce
qu elles sont. Sinon, ce ne serait pas le
bouleversement
mais la sortie
du
monde:
une
manire
d abandon
gn
ral
du
capitalisme pour aller ailleurs.
Dj programme et r-evendication po
tiques des artistes de la seconde moiti
du
XIX
sicle, le spleen, l anywhere out
o his world, ne sont pas un programme
rvolutionnaire.
Marx parle de changer le mode d ac
tivit.
Or
ce mode est universel : le
P-DG comme l ouvrier et l artiste y par
ticipent et le reproduisent.
On peut
raf
finer l infini
sur
les considrations so
ciologiques : constater, par exemple,
que le paysan petit propritaire est ex
ploit la fois
par
le
march
mondial
et par son travail qui vide l activit agri
cole d une partie de son contenu. Mais
quel est celui dont le mode d activit
s impose
tous
les
autres?
C est
plutt
le mineur, le conducteur de locomotive
et
jusqu
l employ
de bureau
qui aide
grer tout cela. Le P-DG et l artiste
peuvent toujours plus ou moins chan
ger de vie
d e
survie - sans chan
ger la vie, sans changer ce mode d ac
tivit. Le mineur, le mcanicien,
l employ n ont pas cette possibilit.
Certes, il y a quelque chose d inhumain
chez le P-DG, alin comme le
mineur
et peut-tre davantage. Mais c est parce
qu il intgre en lui l humanit du mi
neur, parce qu il concentre
en
lui l cra
sement de
ce
qu il
y a d humain chez
des milliers de mineurs. Le saucisson
nage
du temps
dans la socit - travail
et
non-travail,
tranches de
quotidien
ne t
dont so nt victimes le P-DG, l ar-
tiste et le mineur, ce saucissonnage est
fond d abord sur celui qui dcoupe la
vie - productive et non-productive -
du
mineur. C est le travail qui fonde
toute l organisation sociale. Et l exten
sion
du
salariat signifie l organisation de
toute l activit sociale
sur
la base
du
tra
vail le plus contraignant. Dans ce
monde qu i est le ntre Socrate aurait t
professeur de CES. Sur cette base, le r
formisme constate
que tout
est con
trainte, autorit, gaspillage et exploita
tion et il ne cesse de proposer des
remdes qui ne changent jamais rien au
fond. Pourquoi ce mystre ? Il faut aller
chercher la rponse la source, dans la
nature mme du
travail alin. La sup
pression de l alination ne peut partir
que
de ce qui est alin.
La question
n est pas
celle
du
person
nel du capitalisme (on sait qu il trouve
ses gestionnaires
o
il peut), elle
n est
pas non plus celle du personne l de la r
volution. Il s agit simplement d isoler
(artificiellement, certes, en un mouve
ment d abstraction provisoire ncessaire
l analyse) le nud du problme- le
lieu o
les .hommes
produisent leur
in
humanit. C est pourquoi - et c est
l ambigut de tout ce
qui
prcde -
nous
n affirmons
pas que
la rvolution
sera le fait d ouvriers plus que d ing
nieurs mais
que
les ouvrie rs et les ing
nieurs
feront la rvolution
sur
la base
d une critique radicale du travail ou
vrier,
sur
la base de sa destruction et,
partant, de tout ce qui est construit
dessus.
Que s agit-il de changer ?
Le
rapport
entre
les hommes, le rapport entre les
hommes et
le monde. Le problme du
prolt ariat est donc celui de savoir
s il existe un groupe
humain
plus direc
tement en rapport avec le monde. Un
monde
cr, bien sr,
par
l ingnieur
comme par l ouvrier, mais sans oublier
que c est l ouvrier qui rappell e l ing
nieur que l humanit
y
compris celle de
l ingnieur) est rduite rien malgr les
compensations et hochets - rduite
une force de travail. La condition mme
de l exploitation de ces couches les plus
exploites - ouvriers, employs, sala
ris agricoles etc. - est
que
leur trava_il
conserve un degr
ou
un autre un
caractre de prcarit- c est vrai mme
en priode de plein emploi, mme dans
le capitalisme d Etat.
Pour que
le pro
ltaire ne dispose que de sa force de tra
vail et de rien d autre, il ne faut pas
qu elle lui garantisse
automatiquement
un travail, et donc une place dans laso
cit. Le proltaire est donc
par
dfini-
19
-
5/21/2018 La Banquise N3 - t 1984
22/92
tion un
chmeur en
u i ~ s n c e
et
le ch
meur un
proltaire, aussi indispensable
au
capital
qe
le travailleur. En admet
tant que la richesse humaine rside dans
l activit et donc dans les relations
qu'implique cette activit, on a au
jourd'hui plus que jamais
le face face
dont parlait Marx ~ des masses pri
ves de tout et totes les richesses et
la culture du
monde. Peu
importe
qu'on ne puisse mesurer le degr de va
lorisation qu'apporte le travail de telle
ou telle catgorie de proltaire. L acti
vit proltarienne incarne visiblement
une abstraction sur laquelle repose le
plus rellement
du
monde la socit : la
mesure de toute chose par le temps con
sacr la dpense de la force de travail.
Mais le capital se nourrit de sa propre
incapacit rduire l activit humaine
au travail et donc l activit
du
proltaire
ne
se rduit
pas non
plus
au
travail. e
capital
ne
peut exister qu'en vampiri
sant l activit humaine qu'il ne peut ab
sorber tout fait - c'est la fois ce qui
le dynamise et ce qui le menace : l'tre
du
capital est
un
rapport contradictoire
et le proltariat est constitu par l en
semble des individus et des couches so
ciales dont les luttes tendent mettre
en crise ce rapport contradictoire. Ainsi
dfini
par tout
ce qui
prcde on
voit
que le proltariat n existe que tendan
ciellement, on voit que le moment o
il existe le plus est celui o il se nie dans
la communisation
du
monde.
Qu est-ce qu agir dans un sens commu
niste ?Voil la vraie question. Question
qu obscurcit l ide d'un
germe
du
communisme qu'il s agirait chaque
fois d isoler. Les luttes de classe, qu el les
soient sauvagesjcoulage, sabotage, per
ruque, etc.) ou revendicatives, ne sont
porteuses du communisme que
lorsqu elles se dpassent. La rsistance
l exploitation n'est porteuse
du
com
munisme
qu'au moment o
elle se
transforme ou
tend
se
transformer en
attaque contre l exploitation. Exploita
tion
et
rsistance l exploitation font
partie du fonctionnement normal
du
ca
pitalisme et,
quand
la rsistance s'y
laisse rsorber, on peut seulement affir
mer que
c'est le capitalisme qui est,
dans son fonctionnement,
porteur d'un
balbutiement com.r,nuniste. On ne peut
dpasser le revers oblig de l exploi
tation
qu'en
passant l attaque directe
de l exploitation.
Comment ? La difficult de rpondre
cette question, comme
l'tat de
dla
brement du mouvement rvolution
naire,
tiennent aujourd'hui
ce
que
20
cette action, cette
attaque
contre l ex
ploitation,
demeure
terriblement
embryonnaire.
Pour.
le capitalisme, le proltariat
n existe
que
tendanciellement, dans la
mesure
o le capital fournit aux hom
mes,
ou
les laisse produire,
des
dter
minations particulires jidentit de na
tion,
de
classe,
de culture
.. )
qui
dissimulent la dtermination fondamen
tale qu'est le rapport travail/valeur tout
en la nourrissant et parfois mme en
l'attaquant. Ce qui
n'empche
pas ces
dterminations particulires
d'tre
leur tour ronges
par
la valeur.
Pour le communisme, le proltariat
n existe
que
tendanciellement, puisque
la ralisation
du
communisme est l abo
lition du proltariat. C est pourquoi, s il
se constitue travers la l utte des clas
ses de la socit capitaliste, le prolta
riat n'est pas une classe de la socit ca
pitaliste. Quand il se constitue contre le
reste de la socit, le prolt ariat s atta
que
directement sa propre dtermina
tion de classe. e proltariat se consti
tue contre le reste de la socit lorsque
travailleurs, exclus du travail et dclas
ss plus ou moins volontaires s atta
quent
ce
qui
les unifie
dans
le capita
lisme et contre lui : le rapport
travail/valeur.
e proltariat est ncessaire
au
capi
tal parce qu il produit ce rapport social,
la valeur,
mesure de
toute chose
par
le
temps de travail. e proltariat est
l agent du communisme car plus les pro
ltaires se dgagent
de
leurs dtermina
tions particulires, partir de la lutte de
classe, plus ils sont amens affronter
leur dtermination universelle. Produc
teurs et prisonniers
d'un
rapport fonda
mentalement inhumain, ils
ne
peuvent
se poser face la valeur san s s'y oppo
ser
; ils
ne peuvent
se
dterminer
comme force de travail sans rompre
avec le travail. Cette saisie
n'est
pas -
.pas seulement - affaire de conscience.
C'est avant tout
une
pratique, ne de la
contradiction entre les dterminations
particulires, alinations particularistes
des richesses humaines jles communau
ts, etc.)
et
la dterminat ion universelle
de la production de valeur, alination de
f activit humaine qui s'est empare de
toutes les richesses
du
monde. Placs
par le capital dans
une
situation d uni-
versalit, dans
une
existence qui se rat
tache directement l histoire univer
selle , les proltaires longoviciens
s opposent aux consquences de cette si-
tuation partir de dterminations par
ticulires - leurs attaches un sol -
mais dans ce mouvement, ils commen
cent saisir qu ils ont
perdu
toute autre
qualit
que
celle de force de travail sur
numraire. En se posant en hommes
sans qualit face
au
reste de la socit,
les ouvriers
de
Longwy pourraient at
taquer
le scandale de
leur
rduction
une force de travail, sinon, ils ne pour
ront que se replier et se perdre dans
l identit ouvrire.
3.
le capitalisme, concentr
e l histoire humaine
Parce que nous envoyons des engins
des milliards de kilomtres de la terre,
il est facile d'oublier les racines mat
rielles
du
monde actuel. Etre commu
niste, c'est considrer que la premire
et peut-tre la seule richesse est dans les
relations
humaines
et en faire dcouler
tout le reste. Or, on s aperoit que tout
ce qui est
commun
dans l activit hu
maine chappe aux tres humains
pour
leur revenir sous la forme d'entits qui
les crasen t : argent, travail, Etat ..
Pourquoi?
Le marxisme a apport une rponse
qui rejoint le sens
commun
: parce
que
les
hommes
vivent
dans
la pnurie. Il
faut donc
l'abondance
Mais l ge
d'abondance reste toujours crer.
C est
au
contraire dans l activit
mme
des groupes sociaux d il y a dix mille ans
et moins, et non dans leur prtendue
pauvret, que rside la cause de l ap
parition de l Etat, de l argent, de
la
valeur.
Ces mdiations que l'humanit a in
ventes
peu
peu
doivent bien remplir
une fonction
qu'on
ne peut rsumer ni
par
la gestion de la pnurie au profit
d'une minorit, ni
par
le maintien d'un
ordre
qui
s avre chaque
jour un
s o r ~
dre catastrophique. Il faut remonter le
fil du
temps
et
distinguer
dans
l activit
matrielle et sociale jqui sont une seule
et
mme
activit) ce qui a engendr ces
mdiations.
Les maux de la socit industrielle
taient prpars par ceux des socits
traditionnelles pr-industrielles -
du
moins la
plupart d'entre
elles. Il
ne
se
rait pas inintressant de savoir comment
s'est opre la mutation vers le travail,
trs tt,
sur
des millnaires, puisque les
groupes humains les plus proches du
communisme qui existent aujourd'hui
n'ont survcu que dans des rgions ex
ceptionnellement protges. Nous en sa
vons plus sur l activit dj mue
entra-
vail que sur l activi t sociale totale,
-
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23/92
communiste
ou gnrique,
trop
rare. Cependant, les socits de classe
archaques elles-mmes gardent au tra
vail une dimension qu il perd sous le ca
pitalisme. Mme pnible, le travail y
conserve une dimension sacre qui d
passe son
contenu
et intgre le travail
leur dans
un tout. Il sert
assurer
la re
production d un ordre
du
monde vcu
comme religieux, c est--dire
o
l acti
vit a son sens en dehors d elle-mme,
dans une transcendance protectrice
qu il faut assurer. L Empereur tient du
Ciel le
Mandat de
garantir l quilibre et
l unit du monde, en veillant aux rites
qui assurent la fcondit
du
sol, l ent re
tien des digues, etc. Mais le cordonnier
aussi fait
plus que des
souliers, son tra
vail fait partie d une totalit au sein de
laquelle il prend
un
sens.
C est l qu on voit le reliquat mais
aussi la perte dcisive de ce que poss
dait de communautaire l activit ant
rieure dj disparue.
La
prsence d un
lment
commun
est dsormais lie
une
transcendance : la
communaut
n est plus
celle des gestes des
hommes
mais seulement celle
d un
tout cosmi
que. Certes, l existence de celui-ci est
plus ancienne
et
l tait aussi
prsent
dans les esprits
et
donc
dans
les com
portements. Mais, dsormais, cett e to-
.
A ood Laugh W ~ n t Hurt Anyone
talit est
hors
de porte
des hommes
:
la religion et le pouvoir en ont seuls la
charge. Les hommes se sont mancips
de la
nature et
des superstitions qui fai
saient
d un
roclier,
d une
source
ou
d un
arbre, le sige de forces occultes. Mais
ils ont report leur croyance
sur
un
groupe social ou sur un homme. La
moindre dpendance locale s accompa
gne d une soumission de plus
en
plus
lointaine, qui finira
par
se dpersonna
liser tout fait dans le capitalisme.
Le processus d autonomisation
du
tra
vail a franchi
une
tape dcisive avec
le passage
de
l agriculture l industrie
comme activit centrale
de
la socit.
Pour l homme ancien, le temps tait
rempli d une totalit sacre marque
par des
ftes et des rites
qui
assuraient
sa permanence et son renouvellement.
L homme de l industrie, lui, se substi
tue au
temps,
s use
sa place, dans
un
travail dsacralis. Le travail a toujours
un sens extrieur son contenu, et
mme de plus en plus indpendant de
ce dernier, mais l extriorit est dsor
mais profane,
non
divine. Le paysan ex
ploit travaillait pour le seigneur, mais
aussi
pour
le Seigneur. L ouvr ier mo
derne
travaille
pour
gagner
1
argent n
cessaire sa vie.
C est
une
volution qui s est droule
sur
plusieurs sicles. En Europe cen
trale, du xn au xv sicle, des associa
tions d artisans mineurs
exploitent les
mines. Elles disparaissent quand l ex
ploitation commence se faire en pro
fondeur. Les artisans
ne
sont plus
en
mesure d assumer eux-mmes la com
munaut
de leurs activits : seuls des
marchands ont le capital ncessaire aux
investissements dsormais indispensa
bles aux travailleurs,
qu ils
vont donc
transformer en salaris. C est alors
qu apparat le mot allemand Arbeiter :
celui
qui
travaille
pour
autrui,
par
op
position l ouvrier libre.
Les pays
protestants dcouvrent en
suite le travail comme facteur structu
rant de la socit et plus efficace que les
liens de parent ou la pratique reli
gieuse. Le protestantisme achve la scis
sion entre la religion et le mythe, isole
l homme,
donne l individu le travail
comme raison de vivre et fait du travail
social la seule base de la collectivit.
Hegel rserve
au
travail
une
place cen
trale,
au
moins aussi importante que
l histoire,
dans
son systme philosophi
que. Sur ce point, il prolonge et synth
tise les Lumires : avec les clbres
planches de l Encyclopdie, la bourgeoi
sie
du
XVIII sicle fait le tour du pro
pritaire. Hegel dcrit
une
progression
21
-
5/21/2018 La Banquise N3 - t 1984
24/92
de l an imalit la spiritualit
qui
repose
sur le mouvement
du
travail conqurant
le
monde avant de
se dmatrialiser en
art, philosophie, religion.
Les rvolutions bourgeoises, et parti
culirement celle de 1789, se firent
au
nom du
travail contre l oisivet, de l uti
lit sociale contre le parasitisme. Il n est
pas
tonnant que la Rvolution fran
aise
demeure
la
grande
rfrence de
gauche et
mme
d extrme-gauche jvoir
les thorisations trotskistes
sur
Thermi
dor et
le bonapartisme). Toutes les
contradictions dont vit et
meurt
la gau
che
sont dj
dans
cette rvolution
qui
l emporte
grce
l lan des
masses et
qui, incapable de les satisfaire, finit
par
les combattre. Les contradictions
de
la
Montagne et
du
jacobinisme se rptent
dans
l idal impossible
d une
dmocra
tie des petits,
d une
autogestion de la R-
publique liminant le
Maljles
riches, les
immoraux, les marginaux oisifs, les as
sociaux sans amis
comme
disait Saint
Just),
au
profit
du
Bien jle peuple pas
riche mais
pas
trop
pauvre non
plus, le
bon
travailleur
honnte et
moral).
Celui qui ne veut pas travailler ne doit
pas manger.
Frontispice de L Artisan.
Le c p ~ t l i s m e
moderne
ralise donc
l idal sculaire d une socit reposant
sur
le travail. Transcendance profane,
c est--dire
non
plus extriorise
en un
dieu
ou un
principe
du
monde, mais in
triorise
par
la socit, le travail cons
titue
une communaut de
l imma
nence
: les choses
tiennent
dsormais
par
elles-mmes,
par
leur mouvement
incessant,
qui
entrane
tous
les tres de
l espce
dans une
sorte
de
gravitation
universelle.
La
tendance apparue
depuis peine
quelques sicles s est ralise. Autrefois,
les tres et les groupes
humains
taient
dtermins
par un
ou
des traits spcifi
ques. Aujourd hui,
tout
se dtermine
par
rapport
au
_capital,
qui recentre sans
cesse
tout autour
de lui.
4.
le
mythe de
l
crise mortelle
L ide
de
la crise mortelle finale
ne
s est jamais impose ni Marx, ni L-
nine, ni Luxembourg. Marx a toujours
cru que c tait dans les mouvements ou
vriers
que
gisait la possibilit de la r
volution.
Au
sein de la
social-
dmocratie,
on
prvoyait qu une crise
inluctable surviendrait un jour, mais
aucune
crise conomique
ne
fut jamais
prsente
comme
la dernire. Dans
l re
de
guerres
et
de rvolutions
22
qu annonaient ~ n i n e et Luxembourg,
ils
ne
voyaient poindre
aucune
impos
sibilit
technique
pour le capital
de
fonctionner. La
thse d une
crise mor
telle
dont
l issue serait ncessairement
soit
la
rvolution, soit la barbarie jcar
.ses
tenants
ne
donnent pas dans
un op-
timisme bat
peu
soutenable l poque)
nat aprs 1920,
quand
il devient juste
ment
difficile de croire
aux
vertus rvo
lutionnaires
du
proltariat. La faillite de
l espoir
de
1917,
survenant aprs
la d
bandade de
1914, incite c roire la n
cessit d un stimulus conomique
qui
pousserait le proltariat cette rvolu
tion qu il
rencle
tant
faire.
Aujourd hui
la tentation est forte
de
reprendre
1 ide d une crise finale
en
l tendant
ou en
la dplaant
au
niveau
social : le capital
tant
cens
ne
plus
pouvoir largir son rapport social,
on
irait vers le
communisme
ou
un
totali
tarisme expos des catastrophes co
logiques sans prcdent. Il faut pourtant
rappeler
que l
crise
du
capitalisme,
c est son incapacit intgrer sa contra
diction fondamentale : les proltaires
dont il vit. Les crises
qu il
connat et
celle, trs grave, qu i l traverse
en
ce mo
ment, ne deviennent
fondamentales
qu en
cas
d intervention
communiste
des proltaires. a crise fondamentale du
capitalisme, c est l action proltarienne qui
s attaque
son fondement. Il
n y
a pas
de
crise sociale sans
un minimum de
crise
conomique, qui cre
un
contexte favo
rable
en
branlant les bases sociales,
en
rvlant les failles,
en
interdisant cer
taines formes de domestication. Il
n y
a pas d galit garantie
entre
le niveau
de gravit
des
difficults conomiques
et celui
de
la capacit
communiste
des
proltaires.
Le
communisme thorique n est pas
la thorie
de
l effondrement
du
capita
lisme, mais de l mancipation
humaine
laquelle le capital
apporte
malgr lui
un
nouvel lan. La thorisation des cri
ses n a
pas pour but de
prophtiser la
fin prochaine du capital, mais de lire
dans ses soubresauts les conditions g
nrales
en vue de
l tablissement
d une
production
communautaire
jMarx).
a limite du capital n est ni conomique,
ni naturelle, elle est humaine. Il
n y
a
pas
-de stade
~ p r m e
du
capitalisme. Engels
se trompait dj
en
attribuant
au
char
tisme des qualits radicales absentes,
sous prtexte
que
les conditions de vie
des ouvriers lui paraissaient trop affreu
ses
pour qu ils
les
supportent plus
longtemps.
Les
hommes ne seront
jamais
confronts
un
capital
dominant
tout,
et donc
pur,
suscitant contre lui un
proltariat
tout
aussi
pur
et donc
enfin radical. La tentation
de
rduire la
vie sociale
une
mcanique surgit
quand l action humaine semble faire d
faut. Elle est aussi trompeuse
que
la ten
tation inverse de nier le caractre objec
tif des
phnomnes
historiques en
misant sur
une
avant-garde
ou une
prise
de
conscience.
Socialisme
ou
barbarie, apocalypse
ou
rvolution : affirmer
une
telle l t e r n ~
tive, c est encore
chercher une
garantie
de succs. En
s affirmant que
si le pro
ltariat
ne
fait
pas
la rvolution, ce sera
l enfer,
on
se
masque toute
possibilit
d volution
du
capital
et on
pose,
on
se
donne
l exigence d agir
tout
de suite
et
radicalement. Cette alternative thori
que
dforme la ralit et impose
dans
la pratique l alternative
entre une
obli
gation d agir proche du militantisme, et
le dsespoir.
5. quel monde refusons-nous?
Le
capitalisme est indissociablement,
un monde de production matrielle pour
la valorisation.
On
se dbarrassera de la
valorisation
en
transformant la produc
tion matrielle. Les grandes entreprises,
les chanes, les normes concentrations
d nergie, etc., s expliquent principale
ment par
le besoin
d conomiser
du
temps. En crant d au tres relations nous
pourrons
les
rendre
inutiles.
Et rciproquement, les dmanteler,
saper les bases techniques
d un
colosse
industriel
qui
crase sous lui les rela
tions humaines, con tribuera et forcera
l extension
d autres
rappor ts sociaux.
Il
n y
a pas
de
dterminisme techni-
que. Aucune production
en
srie n est,
en
soi,
synonyme
d exploitation. Pas
.
plus
qu aucun
type de nourriture
ne
ga
rantit
un
style
de
vie convivial
ou en
harmonie avec
ia
nature. Le commu
nisme
n accorde pas
la
primaut
la
survie
ou
mme
l
quilibre
jdfini
par quel critre?
par qui?) de
l espce.
Comment savoir si d un point de
vue
technique,
l humanit de
zombies
dont
rve le capital
ne
serait
pas
la
plus
quilibre et la plus apte survivre ?
Le communisme ne se confond pas avec
un eugnisme. Il
n y
a ni bonne ali
mentation,
ni bonne
habitation, ni
bonne technique en
soi. Notre poin t
de
vue n est ni
celui
de
la technique, ni
celui de l thique, mais celui
d une
pas
sion rationnelle.
Ce chapitre est fort succinct.
C est
-
5/21/2018 La Banquise N3 - t 1984
25/92
qu il
y a
l
matire dveloppements
essentiels
qui prendront
place
dans
les
textes
venir
..
6. le problme et sa solution
sont dans l activit humaine
Le capital vit
de
l activit des hom
mes. Le besoin d agir, de sentir, de
crer, de participer, tout ce qui fait la
nature humaine et anime le mouve
ment communiste, le capital a soif de
tout cela ; il est cette soif
et
le dsert o
il l gare. Voil sa contradiction.
Il
en
rsulte que le capital, rduisant
toute activit quelque peu crative au
travail salari, joue sur l attrait de cette
activit emprisonne dans le salariat.
Une fraction non ngligeable des travail
leurs est
amene
ne plus croire
un travail et le saboter quand c est pos
sible, et se trouve disponible
pour
l ac
tion subversive. Mais une grande par
tie des salaris jparfois les
mmes)
trouve
d autant plus de satisfactions relatives
dans le travail, et de raisons de le sup
porter, qu i l reste dans le salariat une ac
tivit offrant un semblant de commu
naut. Pour beaucoup, dans une socit
qui interdit toute aventure qui ne se soit
pas loigne dans une reprsenta
tion
,-la
seule aventure, c est le travail.
La faillite
des
idologies, les fissures de
la coquille protectrice de la famille, la
dconfiture
de
religion
et de
la politi
que transformes
en
spectacle souvent
moins stimulant que les spots publici
taires, font
de
l entreprise l un des rares
lieux collectifs
o
bien des gens ont le
sentiment de faire quelque chose, de
participer une activit commune.
Le capital se sert
du
fait qu il subsiste
quelque chose
d humain, de
gnri
que dans le
travaille
plus dgrad. Il
n aurait pas triomph depuis les annes
20 sans ce
mouvement o
salariat et ac
tivit
humaine se nourrissent l un de
l autre.
Parvenu faire entrer les enfants
l cole et les adult es dans l entreprise,
le capital
ne peut cependant intgrer la
totalit de la vie humaine. Sa nature
mme le lui interdit. Car le capital
n achte pas le travail mais la force de
travail : 1 ouvrier de la mettre en
uvre.
Le salari agit alors sous la
contrainte
du travail, mais c est
tout
de
mme
lui qui fait ce travail. Mme su
bordonn rellement, le travail garde
une relative autonomie. Le mme be
soin
humain
essentiel pousse le bon
salari accepter son travail en
s y
con
formant, et le mauvais le subver
tir, c est--dire la plupart
du
temps en
l acceptant aussi en le rendant moins en
nuyeux, voire ludique .
L ouvrier du dbut du sicle pouvait
saboter
en
conservant une fiert com
pagnonnique. Aujourd hui, absentisme
et sabotage peuvent devenir des soupa
pes de sret supplmentaires. L absen
tisme massif dans certaines socits
permet un second mtier, au noir. Grce
la perruque, l ouvrier hongrois peut
complter son salaire et raliser l in
trieur du cadre
de
travail l activit dont
le travaille prive.
La
perruque, acte plus
collectif qu individuel, prouve
que
la
mise en miettes du travail n empche
pas un vritable savoir ouvrier et
un
contrle plus grand
qu on
ne le croit sur
les conditions de production. Elle atteste
aussi une adhsion j .. )au modle ou
vrier traditionnel, la vie d usine
jD. Moth). L ouvrier se dmontre ainsi
qu il
est capable de fabriquer quelque
chose
par
lui-mme, alors
que
le mor
cellement de son travaille persuaderait
qu il
n est
rien sans l tre collectif de
l usine,
en
un
mot
sans la force autono
mise qui les
met en
branle, ses cama
rades et lui : le capital. Elle
peut
mme
devenir un rite d initiation reconnu
par
la matrise.
Dans une grosse entreprise comme
la
ntre, o
il
n y a qu un seul et unique syndi
cat
-
la CGT la perruque, c est aussi
le
moyen trs individualiste
de
reprendre
de l autonomie par rapport au dialogue
sans
fin
des deux institutions :
le
pouvoir
patronal
t le
pouvoir syndical.
n
ouvrier, cit dans
Le Monde,
16-17 novembre 1980.
La
perruque
entrane
une
activit qui
anticipe le communisme. Mais la cra
tivit est elle-mme une condition
du
ca
pitalisme, qui suppose l intervention ac-
tive de l ouvrier, malgr et contre
l organisation capitaliste .du travail,
comme le montre Moth dans ses arti
cles
de
Socialisme ou