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Université Paris 1 Sorbonne
UFR 10
Florence BEGHI
KANT, UNE PHILOSOPHIE SANS PARDON ?
Mémoire de première année de
Master Recherche Histoire de la philosophie
Sous la direction de Philippe BÜTTGEN
Session 2012-‐2013
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SOMMAIRE
INTRODUCTION p 10
I LE PARDON DE DIEU : UN « ALS OB » POUR NOUS AIDER DANS L’ADOPTION D’ UNE BONNE
CONDUITE MORALE
A] CONDITIONS DE POSSIBILITE DU PARDON DIVIN P 14
1) L’existence de Dieu ne peut être prouvée, ce qui signifie qu’on ne peut prouver le pardon divin
-‐ réflexion sur l’existence de Dieu doit être replacée dans le contexte de La Critique de la raison pure
-‐ réfutation de la preuve ontologique
-‐ réfutation de la preuve cosmologique
-‐ réfutation de la preuve physico-‐théologique
-‐ Kant n’aborde pas le pardon divin en homme de foi ni ne considère que ce dernier peut être
rationnellement prouvé
2) L’homme est libre de faire le mal, et tout homme pêche
-‐ dans La Religion dans les limites de la simple raison Kant présente à travers sa réflexion sur le mal
radical la fausseté de l’affirmation : l’homme est mauvais par nature : si nous sommes libres de faire
le mal, alors nous sommes responsables et sommes susceptible de recevoir le pardon
-‐ nous faisons tous le mal et il faut poser que Dieu connaît nos intentions : nous sommes tous
concernés par le pardon divin
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B] LA CONCEPTION DE DIEU DANS LA RELIGION MORALE XCLUT LA VISION CHRETIENNE D’UN DIEU
DE MISERICORDE p 22
1) Il faut bannir la vision anthropomorphique de Dieu
-‐ on fabrique un Dieu à son image et on se comporte en courtisan hypocrite dans le but d’obtenir le
pardon divin
2) Concevoir un Dieu de pardon est un danger pour la morale
-‐ Dieu n’est ni miséricorde ni clémence
-‐ une conception susceptible d’encourager la désinvolture morale
-‐ une opposition avec la tradition chrétienne
3) L’opposition est résolue dans l’image du Dieu juge
-‐ la conception à adopter : Dieu rend deux sortes de jugements distincts : le jugement selon la
culpabilité et le jugement selon le mérite
-‐ cette distinction maintient la possibilité de la bienveillance divine, pardon pour les plus méritants : il
semble qu’il faille se figurer un pardon conditionnel
C] LA CONDAMNATION DES ATTITUDES ET PRATIQUES QUI CONSIDERENT LE PARDON COMME UNE
AIDE SURNATURELLE p 26
1) On ne peut ni se savoir pardonné ni provoquer le pardon de Dieu
-‐ impossible de se savoir pardonné
-‐ impossible de pouvoir agir sur Dieu
-‐ Kant invoque la crainte du mystère divin pour atténuer son opposition avec la doctrine chrétienne
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2) Condamnation de la prière qui demande le pardon comme aide surnaturelle
-‐ le rejet de la prière come adresse, qui manifeste anthropomorphisme et enthousiasme
-‐ forme de prière qui encourage la moralité de Dieu : expression du désir d’adopter une conduite
morale
-‐ prier pour recevoir le pardon est-‐ce une forme de prière morale ?
-‐ seulement si on considère le pardon comme un als ob, et non une intervention surnaturelle
3) Le cas de l’extrême onction
-‐une pratique qui n’encourage pas la conduite morale
-‐ il faudrait lui préférer l’introspection
-‐ et cesser d’estimer que, grâce à elle « tout est bien qui finit bien »
II DANS LA SPHERE ETHIQUE, UNE APPARENTE CONTRADICTION ENTRE UNE CONDAMNATION DU
PARDON QUI OPPOSE A LA LOI MORALE AU DEVOIR DE PARDONNER
A] LA CONSCIENCE D’AVOIR COMMIS UNE FAUTE ET LE SENTIMENT DE CULPABILITE : A L’ORIGINE
DE LA DEMANDE DE PARDON p30
1)Il est inévitable de ressentir la culpabilité, devoir indirect d’écouter la voix de sa conscience :
légitimité des motivations de la demande de pardon
2) On ne peut la faire taire, seulement ne pas l’écouter
3 ) Le devoir indirect d’écouter sa conscience
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B] IMPOSIBILITE DU PARDON ACCORDE A SOI-‐MEME p 32
1) La conscience est un tribunal intérieur : pas de pardon possible, seule la sentence existe
2) La condamnation du mensonge intérieur qui se donne l’apparence du pardon intérieur
3) L’humilité ne doit être confondue avec l’exacerbation vaine de la culpabilité
4) Il faut préférer la volonté de progresser moralement aux sentiments qui poussent à la demande de
pardon sans changement moral
C] LE PARDON ECHANGE ENTRE DEUX PERSONNES : UN ACTE CONTRAIRE A LA MORALITE p 36
1) Incompatibilité avec l’impératif catégorique ?
-‐ le pardon n’est pas une action morale car elle n’est pas universalisable
-‐ la deuxième formulation n’invalide pas le pardon
2) Le pardon qui découle de l’amour est condamné : il s’oppose à la morale
-‐ une opposition à la tradition chrétienne
-‐ le devoir d’amour n’existe pas : impossibilité d’un devoir de pardonner
-‐ le pardon accordé par amour de complaisance manifeste la faiblesse de l’homme qui agit par
inclination, indépendamment de la loi morale
-‐ le devoir de bienveillance n’inclut pas le pardon
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3) Le pardon par compassion est également condamné
-‐ la compassion n’est pas une obligation : elle ne relève pas de la raison pratique
-‐ la compassion est mue par l’imagination
-‐ la critique des affects ne correspond pas à une acceptation du pardon
4) Un seul devoir : tout mettre en œuvre pour que la personne n’éprouve aucun remords
D] LE DEVOIR DE PARDONNER DOIT ÊTRE COMPRIS COMME DEVOIR DE NE PAS SE VENGER p 41
1) Une contradiction apparente avec le reste du raisonnement kantien
2) Le pardon est un devoir de vertu lorsqu’il est absence de sentiment de vengeance : la vengeance est
en effet contraire à la rationalité et au droit
3) La vengeance est une passion dangereuse, car elle prend l’apparence du droit
III DANS LA SPHERE JURIDICO-‐POLITIQUE, UN PARDON CONTRAIRE AU PRINCIPE DE LA LOI,
DANGEREUX POUR ELLE, UN REFUS DU PARDON RADICAL QUI NE SOUFFRE AUCUNE EXCEPTION ?
A] LE PARDON S’OPPOSE A LA LOI. EN LA MENACANT IL MET L’EXISTENCE DES HOMMES ELLE-‐MEME
EN DANGER p 45
1) Le pardon est contraire à la loi morale
-‐ la possibilité du pardon ne peut être pensée que par rapport à la loi, dans un Etat de droit. Sans elle,
la faute n’est pas établie.
8
-‐ mais le principe de la loi qui tient dans la loi du talion s’oppose au pardon qui contredit la stricte
égalité
-‐ difficulté d’appliquer la loi du talion, mais c’est la pratique qu’il faut s’efforcer de faire correspondre
au principe
2) Le pardon met en danger la loi
-‐ gravité de l’enjeu : remettre la loi en cause c’est remettre en cause l’Etat et donc l’existence même
de l’homme
-‐ le pardon est associé avec l’effacement ou l’adoucissement de la peine de la peine : pardonner
revient à accepter l’impunité
-‐ annuler la loi revient à renie la volonté du peuple législateur
3) Le pardon fait de la loi un moyen alors qu’elle doit rester une fin en soi
-‐ s’oppose au pardon comme un moyen de faire le bien du criminel
-‐ la loi ne doit en effet répondre à des motifs philanthropiques ou eudémonistes qui peuvent motiver
le pardon
B] LA RADICALITE DU REFUS DU PARDON, MANIFESTE DANS LA POSITION KANTIENNE SUR LA PEINE
DE MORT p50
1) La pensée de la peine de mort doit être replacée dans son contexte
-‐ la peine de mort est appliquée partout en Europe, associée à la souveraineté de l’Etat
-‐ Kant répond à Beccaria
-‐ qui utilise des arguments contractualistes et utilitaristes
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2) Arguments de Kant contre Beccaria: semblables à ceux contre le pardon ?
-‐ reprise de l’impossible subordination de la loi à une autre fin qu’elle même: la peine ne peut être
adoucie en vue d’un bien quelconque
-‐ reprise de l’impossible compatibilité avec le principe de la loi qui réside dans la stricte égalité : il n’y
a pas d’équivalent à la mort dans la vie, même la plus misérable
-‐ argument supplémentaire contractualiste : il n’y a pas d’identité entre le criminel et l’homme
législateur
3) Deux cas d’exceptions qui ne légitiment pas le pardon
-‐ l’infanticide et le meurtre au cours d’un duel : deux crimes motivés par l’honneur
-‐ faut-‐il pour autant pardonner le criminel en annulant sa peine ?
-‐ pas de pardon, mais une réflexion sur la constitution
C] LE DROIT DE GRACE : UNE PLACE POUR LE PARDON ? p 54
1) L’enjeu contenu dans le droit de grâce : l’exception qui infirme la loi
-‐ le droit de grâce : accepter le pardon contre la loi
-‐ le souverain : agir en hors-‐la-‐loi
2) Un droit extrêmement restreint, condition d’un vrai pardon
-‐ un droit légitime uniquement lorsque le souverain est lui-‐même la victime de l’acte
-‐ la lecture de Derrida, qui voit dans cette restriction la possibilité d’un vrai pardon, non subordonné
à une autre fin
3) Un droit qui se comprend en lien avec le statut du souverain
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-‐ limiter le droit de grâce pour limiter le pouvoir du souverain
-‐ si le pardon du droit de grâce place le souverain au-‐dessus de la loi juridique il ne le place pas au-‐
dessus de la loi morale
CONCLUSION o p 57
;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;;; BIBLIOGRAPHIE p 60
11
Empruntons à Derrida notre toute première définition de ce mot, en
apparence si simple, qu’est le mot de pardon. « Une folie de l’impossible »1 « peut-‐être
même la seule chose qui arrive, qui surprenne, comme une révolution »2 Derrida, prudent et
humble dans ses réponses à Michel Wieviorka, dévoile ainsi la radicalité du pardon, de cette
action de tenir pour non avenue une faute, une offense, et de ne pas en tenir rigueur au
coupable ni garder contre lui du ressentiment. Comprendre la nature de cet « acte d’une
extrême gravité, perçu et vécu comme fort grave, »3 du pardon revient donc à s’interroger
non pas sur un simple fait, mais bien sur une relation informée, déformée et brusquement
transformée par le choix de pardonner. Surgit alors d’emblée l’urgence d’identifier les sujets
de la relation. Poser la question « qui pardonne ?» permet en effet d’établir en même temps
les distinctions essentielles : « A qui ? Pourquoi ? Comment ? Dans quel cadre ? Est-‐ce
possible ? » Tentons de « dénouer les complexités d’un réseau sémantique, où se mêlent
plusieurs langages qui n’appartiennent pas au même niveau »4 et de mieux comprendre les
enjeux inhérents à cette notion. Esquisser un tableau de sa complexité constitue un
préalable nécessaire à l’exploration de la façon dont Kant pense de cette notion.
A travers nos différentes lectures, s’est dessinée l’appartenance originaire du pardon
au champ théologique, que nous restreignons à sa dimension judéo-‐chrétienne dont
héritent les penseurs européens. Cela implique une double dimension du pardon : d’une
part, celui de Dieu accordé à l’homme pécheur et, de l’autre, le pardon qu’il faut s’efforcer
d’échanger avec son prochain. Hannah Arendt, dans The human condition attribue à Jésus la
conceptualisation du pardon. Il apparaît cependant qu’il faille modérer ce propos, car, si elle
est discrète, la question du pardon n’est pas absente de la tradition juive. Si l’on considère le
pardon divin, il est bel et bien présent dans l’Ancien Testament, présenté comme un Dieu de
miséricordieux, qui ne garde pas rancune.
En même temps, il est bel est bien pertinent de souligner la centralité du pardon dans la
tradition chrétienne. Celle-‐ci se décline en quatre points relevés dans l’encyclopédie dirigée
par: « la nécessité du pardon donné à autrui et attesté dans l’amour des ennemis,
1 DERRIDA, Jacques, « Le siècle et le pardon », Foi et savoir Paris, Seuil, 2001, 133 p, p120. 2 Ibid., p 120. 3 ROUSSET, Bernard, « La possibilité philosophique du pardon, Spinoza, Kant, Hegel dans le Pardon », Le Point théologique, numéro 45, 1987, p 186. 4 CANTO-‐SPERBER (coll.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, article : « pardon », Paris, P.U.F, 2004, 2199 p.
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l’articulation de la justice et de la miséricorde divine au sein de la doctrine du salut, la réalité
de l’impardonnable et l’intégration du pardon dans une discipline communautaire de la
réconciliation du pécheur. »5 A nouveau, deux relations se détachent: celle qui unit l’homme
à Dieu, et celle unissant les hommes entre eux. Cette dernière est étroitement dépendante
de la seconde. Il semble donc que le pardon que Dieu, s’il n’est pas chronologiquement
premier, l’est au moins logiquement dans la conception théologique chrétienne. Dieu
apparaît comme un Dieu d’amour, qui demande à l’homme doit pardonner à « jusqu’à
soixante-‐dix fois sept fois »6 (Matthieu 5 : 39,), c’est–à-‐dire toujours. Le refus de pardonner
représente donc un péché, c’est-‐à-‐dire un refus d’imiter l’amour divin. Alain Gouhier, dans
son ouvrage Pour une métaphysique du pardon attribue pour cette raison la naissance du
pardon à l’amour chrétien. Il est Agapè, s’exprimant dans le « geste d’amour pur, de don et
de pardon purs »7, qui prescrit, contre la loi du talion, de tendre l’autre joue si l’on est frappé
(Matthieu 5 :39). Il s’agit donc de faire preuve d’un amour qui dépasse le refus de vengeance
que contient la loi du talion. L’amour dont se réclame le pardon chrétien est en outre
distinct de l’Eros grec. Il est possible, comme le fait Anders Nygren dans Erôs et Agapè de
souligner la différence entre l’amour conçu comme Agapè dont se réclame le pardon, et
l’Éros grec. Cela permet de mieux cerner sa nature : désintéressé, indépendant de la valeur
de son objet, sa perfection s’exprime dans l’amour de Dieu qui descend vers l’homme. Il
s’oppose de cette façon à l’Éros qui se déploie comme désir motivé par la beauté de l’objet
et se constitue comme élévation de l’homme vers Dieu. Il s’avère que l’appartenance
apparemment première du pardon à la sphère théologique s’explique par la nature même
du pardon. Bernard Rousset, questionnant la « possibilité philosophique du pardon »8
affirme que le pardon, par sa définition même, semble voué à appartenir à la sphère
théologique, « selon une dimension religieuse qui transcenderait le domaine rationnel. »9
C’est ainsi que l’examen du champ théologique nous conduit à considérer en même temps
sa présence dans l’éthique. Le pardon en effet, ne se confond pas avec la simple excuse,
puisque l’acte même de pardonner n’existe qu’ « en face du mal et en présence du fautif »10.
Derrida explique de même que le pardon n’est jamais le fruit d’une discussion entre l’auteur
5 Ibid. 6 La Bible de Jérusalem, Paris, Edition du Cerf, 2000, 2175p., p 1737. 7 GOUHIER, Alain, Pour une Métaphysique du pardon, Paris, Edition de l’Epi, 1969, 622 p, p 115. 8 ROUSSET, Bernard, « La possibilité philosophique du pardon, Spinoza, Kant, Hegel dans le Pardon », Le Point théologique, numéro 45, 1987. 9 Ibid., p 186. 10 Ibid., p 186.
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de la faute et sa victime, car alors se dessine un dialogue, ouvrant le chemin de la
réconciliation. Le pardon n’est déjà plus pardon si la victime s’adresse à un homme meilleur
que celui qui a commis la faute. Pareillement, pardon et oubli ne sont synonymes : si l’on
parvient à oublier, alors, il n’y a plus besoin de pardonner. Ainsi la singularité de l’acte se
noue dans ce double mouvement : la reconnaissance d’un mal, qui peut être, suivant les
mots de Bernard Rousset « injustifiable, inexcusable, voire inexpiable » et, simultanément, la
décision de « l’effacer délibérément comme un mal dont l’auteur est fautif On comprend à
présent combien l’acte de pardonner n’est pas un geste anodin, mais bien un acte radical qui
dépasse la rationalité et l’équité
C’est dans cette radicalité, ce caractère incompréhensible que se noue l’enjeu de
l’étude du pardon dans l’œuvre kantienne. Celle-‐ci en effet constitue, selon les mots de
Philonenko « à ce que Bergson nommerait des sociétés closes, en lesquelles chacun a sa
place bien assigné. »11 Il vise par cette phrase à souligner la rigueur et la rationalité extrêmes
du système kantien. Comment Kant pourrait-‐il légitimer, à l’intérieur d’un tel système un
acte imprévisible, qui dépasse la morale et la rationalité ? Il semble que la conclusion de
l’article de M. Rousset qui étudie la possibilité du pardon dans la philosophie kantienne
s’impose sans difficulté : « Le vrai pardon s’évanouit à la lumière de la conscience
philosophique. »12 En effet, quelle légitimité la philosophie kantienne peut-‐elle accorder au
pardon, en tant qu’il se donne comme une exception. Dans la sphère religieuse, étudiée par
Kant dans La Religion dans les limites de la simples raison la difficulté d’accorder le pardon
divin avec la religion morale apparaît clairement. Les pratiques superstitieuses pour obtenir
le pardon divin, la représentation anthropomorphique d’un Dieu miséricordieux l’assurance
de recevoir l’aide surnaturelle divine : autant d’éléments relevés par Kant et qui signalent le
danger d’intégrer le pardon à la sphère religieuse. La notion de danger se retrouve
également dans la sphère éthique. Pardonner n’est-‐ce pas, en effet, préférer l’amour du
prochain au respect de la loi morale, qui semble proscrire le pardon dans la mesure où il ne
peut être un acte raisonnable et universalisable ? La gravité de l’acte de pardonner semble
apparaître de façon encore plus visible dans la sphère juridique. Si le pardon annule l’égalité,
11 PHILONENEKO, Alexis, L’œuvre de Kant ; la philosophie critique, Tome II, Paris, Vrin, 1997, 292 p, p 271. 12 ROUSSET, Bernard, « La possibilité philosophique du pardon, Spinoza, Kant, Hegel dans le Pardon », Le Point théologique, numéro 45, 1987, p 199.
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il semble qu’il annule également la loi juridique, et dès lors menace l’existence humaine
dans l’état de droit.
Dès lors, c’est ce rejet apparent du pardon qu’il nous faut comprendre, et
interroger ? La condamnation kantienne du pardon est-‐elle si catégorique, ou ne doit-‐elle
pas être nuancée ? Peut-‐on envisager une légitimité, une intégration du pardon dans la
philosophie kantienne, dont on considère les dimensions religieuses, éthiques et juridico-‐
politiques.
Il nous faut avant tout déterminer la possibilité du pardon divin, et
donc répondre aux questions simples, mais essentielles, sans lesquelles nous ne pouvons
avancer. Kant pense-‐t-‐il que Dieu existe ? Telle est la première question à laquelle il nous
faut répondre, car comment envisager le pardon divin si l’on ne connaît pas précisément la
façon dont Kant conçoit l’existence de Dieu ? Par souci de clarté, au risque de paraître long,
nous préférons développer ce point important dans la mise en place de notre réflexion, qui
doit se déployer dans l’ensemble du système kantien.
Reportons nous à la Critique de la Raison Pure, première pierre de l’édifice critique
parue en 1781. Kant répond dans cet ouvrage à la question « Que puis-‐je connaître ? ». La
question de Dieu a donc toute sa place dans un ouvrage qui interroge la Métaphysique.
Dans la Préface de la seconde édition Kant la présente comme « connaissance spéculative de
la raison tout à fait isolée qui s’élève complètement au-‐dessus des enseignements de
l’expérience par de simples concepts »13 et constate qu’ « on ne peut pas hésiter à dire que
sa méthode n’ait été jusqu’ici qu’un simple tâtonnement »14. Il s’agit pour le philosophe
d’établir la possible légitimité de la métaphysique à devenir une science, et pour cela
procéder à un examen de la raison en tant que faculté de connaître. Kant entreprend donc
de faire subir à la philosophie un examen, semblable à la révolution copernicienne ou
galiléenne. Il reproduit à l’égard de la raison la démarche de Galilée, qui a interrogé la
nature « comme un juge en fonction qui force les témoins à répondre aux questions qu’il
13 KANT, Emmanuel, Critique de la raison pure, Paris, PUF, 2004, 584 p, p 18; AK, III, 11. 14 Ibid, p 18; AK, III, 11.
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leur pose. »15 Kant souhaite de cette façon se départir à la fois du rationalisme, qui pose son
objet dans l’absolu, et de l’empirisme, qui réfute toute connaissance en dehors de
l’expérience. Il écarte l’alternative en affirmant que toute connaissance suppose la
dimension expérimentale de l’objet, en même temps qu’une disponibilité innée chez le
sujet. Pour mener à bien son entreprise, le philosophe démontre dans une première partie
appelée Esthétique transcendantale que l’espace et le temps sont les formes a priori de
l’intuition sensible et donc condition a priori de l’expérience sensible. Or, il est évident que
Dieu ne se donne pas dans les formes a priori de l’espace et du temps. Dès lors, Dieu ne doit
pas être qualifié de phénomène, dans la mesure où il ne nous apparaît pas, et comme le
déclare Kant dans la Seconde Préface, qu’il est commun, mais absurde de poser que l’on
puisse qualifier phénomène ce qui n’apparaît pas. La seule connaissance spéculative possible
de la raison doit être limitée aux simples objets de l’expérience. Mais ce n’est pas parce que
nous ne pouvons pas connaître les choses en soi, en d’autres termes en tant que tel que
nous ne pouvons pas les penser. Une question reste cependant en suspens : si nous ne
pouvons prétendre connaître Dieu, est-‐il néanmoins possible de prouver rationnellement
son existence ?
Kant développe sa réflexion dans le livre deux de la deuxième division intitulé Des
raisonnements dialectiques de la Raison Pure. Il s’attaque aux trois preuves de l’existence de
Dieu communément utilisées par les philosophes et qui sont la preuve ontologique, la
preuve cosmologique et la preuve physico-‐théologique. Kant réfute en premier lieu la
preuve ontologique, qui pose que, puisque Dieu est nécessaire, son existence constitue une
propriété nécessairement comprise dans son concept. Descartes utilise cette preuve dans la
cinquième méditation De l’essence des choses matérielles des Méditations Métaphysiques. Il
s’emploie à montrer que « l’existence de Dieu devrait atteindre en moi au moins le même
degré de certitude qu’ont eu jusqu’à présent les vérités mathématiques. »16 Contrairement
aux autres, le concept de Dieu comme être parfait s’impose à nous comme existant : « Ma
pensée, en effet, n’impose aucune nécessité aux choses ; et comme il est permis d’imaginer
un cheval ailé, encore qu’aucun cheval n’ait d’ailes, ainsi peut-‐être puis-‐je attribuer par
fiction l’existence à Dieu, quoiqu’il n’existe aucun Dieu. »17 déclare Descartes.
15Ibid, p 17; AK, III, 11. 16DESCARTES, René, Méditations métaphysiques, Paris, Le livre de poche, 1990, 331p, p183. 17 Ibid., p185.
16
Kant relève d’abord l’identification fautive de la nécessité du jugement avec la nécessité de
la chose. « Poser un triangle en en supprimant les trois angles est contradictoire ; mais faire
disparaître à la fois le triangle et les trois angles, il n’y a plus là de contradiction »18De plus,
Kant montre que le prédicat de l’existence est analytiquement compris dans le concept de
Dieu, c’est-‐à-‐dire que l’existence n’ajoute rien au concept. Affirmer que l’idée que l’on se
fait de Dieu est identique à Dieu lui-‐même est absurde : l’existence ne peut être posée que
par un jugement synthétique. Dès lors, le principe de non-‐contradiction n’est plus applicable,
car il ne fonctionne qu’avec les jugements analytiques. Finalement, Kant explique qu’« être
n’est évidemment pas un prédicat réel, c’est-‐à-‐dire un concept de quelque chose qui puisse
s’ajouter au concept d’une chose. »19 à l’aide d’une comparaison aujourd’hui célèbre. « Cent
thalers ne contiennent rien de plus que cent thalers possibles….Dans la réalité, en effet,
l’objet n’est pas simplement contenu analytiquement dans mon concept, mais il s’ajoute
synthétiquement à mon concept (qui est une détermination de mon état), sans que, par
cette existence en dehors de mon concept, ces cent thalers conçus soient le moins du
monde augmentés. » Ainsi, non seulement le jugement d’existence est toujours synthétique,
mais l’existence n’est de plus pas prédicable. Seule l’expérience attesterait l’existence de
Dieu, et Kant, on l’a souligné, a montré plus tôt que c’était impossible.
Au terme de la réfutation de la preuve ontologique, Kant infirme la preuve cosmologique et
la preuve physico-‐théologique en montrant qu’elles découlent de « cette malheureuse
preuve ontologique qui ne contient rien de nature à satisfaire ni l’entendement naturel et
saint ni l’examen scientifique (schulgerechte).20 L’auteur de la Critique explique ainsi : « si
quelque chose existe, il faut aussi qu’existe un être absolument nécessaire. Or, j’existe du
moins moi-‐même. Donc, il existe un être absolument nécessaire. » 21Il souligne que, dans ce
raisonnement, utilisé par Leibniz sous le nom de a contingentia mundi « La mineure contient
une expérience ; la majeure conclut d’une expérience en général à l’existence du
nécessaire. » Cette preuve implique l’identité d’une existence nécessaire avec celui du
concept de suprême réalité. L’argument ontologique est ainsi déguisé.
Enfin, l’argument physico-‐théologique prouve l’existence de Dieu à partir de l’organisation
du monde. Le mécanisme est le même, et suppose une nouvelle fois la preuve ontologique.
18 KANT, Emmanuel, Critique de la raison pure, Paris, PUF, 2004, 584 p, p 427; AK, III, 399. 1919 Ibid., p 427 ; AK, III, 399. 20 Ibid., p 432; AK, III,404. 21 Ibid., p 432; AK, III, 404.
17
L’existence ne peut être posée que par un jugement synthétique mais cela revient à dire
qu’on ne peut utiliser le principe de non-‐contradiction qui, lui, s’applique seulement aux
jugements analytiques.
De ce raisonnement Kant tire une conclusion ferme : « Tous les essais d’un usage
simplement spéculatif de la raison, sous le rapport de la théologie, sont entièrement
infructueux et [qu’ils] sont nuls et sans valeur quant à la nature interne de cette science »22,
la connaissance théorique étant spéculative « quand elle porte sur un objet ou sur des
concepts d’un objet tels qu’on ne peut y arriver dans aucune expérience. »23Dès lors,
gardons à l’esprit que Kant n’envisage pas le pardon en terme de foi, et, de la même façon
qu’il est vain de tenter l’existence de Dieu, il est vain de tenter de prouver l’existence du
pardon divin.
La suite de notre réflexion est guidée par le constat que le pardon se joue entre deux
personnes, ou deux instances, et c’est pour cela qu’il faut à présent se tourner vers l’homme
qui reçoit le pardon divin. La deuxième condition de possibilité du pardon divin consiste en
effet dans l’existence de la responsabilité humaine. En effet, il faut avoir librement commis
le mal pour en être tenu responsable, et être susceptible de demander et de recevoir le
pardon. Notre analyse s’applique non seulement à l’existence du pardon dans la sphère
religieuse, mais constitue un acquis pour la suite de notre réflexion.
Kant réfléchit sur la liberté de faire le mal au début de La Religion dans les limites de la
simple raison. Il réunit dans cet ouvrage quatre parties réunies en 1793 pour, comme
l’indique le titre, tenter de ramener la religion chrétienne dans les limites de la raison. Les
quatre articles dont se composent l’œuvre ont pour titre De l’inhérence du mauvais principe
à côté du bon ou du mal radical dans la nature humaine, Lutte du bon principe avec le
mauvais pour la domination de l’homme, Du prétendu droit du mauvais principe à la
domination sur l’homme et de la lutte des deux principes l’un contre l’autre, Triomphe du bon
principe sur la mauvais ; Etablissement d’un Royaume de Dieu sur terre et enfin Du vrai et du
faux culte sous la souveraineté du bon principe ou de la religion et du sacerdoce. Le
philosophe répond à la question « Que m’est-‐il permis d’espérer ? » qu’il présente dans la
lettre à Stäudlin du 4 mai 1793 comme l’interrogation qui succède aux « Que puis-‐je
savoir ? » et « Que dois-‐je faire ? » traitées dans la Critique de la Raison pure et Critique de
22 Ibid., 449; AK, III, 423. 23 Ibid., 448; AK, III, 423.
18
la raison pratique, en 1781 et 1788. Plus précisément, il s’agit dans La Religion dans les
limites de la simple raison de répondre à la formule : « Puis-‐je tendre vers moi comme sujet
libre et moral ? » selon les mots de Naar24, c’est-‐à-‐dire puis-‐je espérer devenir moral ? La
première dissertation s’arrête sur le problème du mal radical et vise ainsi « à établir l’exacte
proportion de désespérance et d’espoir »25. Expliquer que l’homme n’est pas voué au mal
laisse une place à l’espérance. C’est aussi, pour nous, le signe que l’homme peut demander
et recevoir le pardon puisque l’acte mauvais était délibéré. Kant annonce son souhait de
résoudre la contradiction du conflit entre « le conflit de deux hypothèses [.. ] L’homme est
(par nature) ou bon moralement ou mauvais moralement »26 Il nous faut prendre d’emblée
la précaution de prévenir des erreurs de compréhension de cette notion. Le mal radical ne
signifie pas, comme le souligne Philonenko « comme chez Leibniz la finitude originelle de la
créature », « cela ne veut absolument pas dire, comme on a pu le croire, que Kant admettait
chez l’homme la possibilité absolue d’être mauvais : dans la Doctrine du droit, il déclare
formellement que la liberté ou la volonté (Wille ) ne peut être opposée à la raison. »27, pas
plus qu’il n’est question d’admettre une doctrine du péché originel selon laquelle le mal
serait héréditaire. En outre, Kant n’entend pas traiter d’actions particulièrement cruelles,
mais compte s’attacher à l’intention morale intérieure. Kant dégage d’abord trois
dispositions propres à l’homme, dont deux abritent et développent le vice. La première
description s’arrête sur la disposition à l’animalité. Elle consiste en « l’amour de soi
physique »28qui se décline dans « la conservation de soi-‐même », « la propagation de
l’espèce, par l’instinct sexuel et la conservation de ce que procrée l’union des sexes » et
« l’association avec d’autres hommes, c’est là l’instinct de société. »Cette inclination ne
constitue pas le mal en elle-‐même, elle n’est pas une prédisposition au vice mais les maux
« vices de la grossièreté » et « vices bestiaux de l’intempérance, de la lascivité et de
l’anarchie effrénée. »29 s ’y greffent. Sur la disposition à l’humanité, amour de soi physique
qui se satisfait de la comparaison avec les autres à son avantage, se greffent cette fois les
vices diaboliques, « par exemple l’envie, l’ingratitude, la joie provenant du mal d’autrui,
etc »30. A ce point du raisonnement, le désespoir se donne comme conséquence logique de
24 NAAR, Monique, Introduction in, KANT, Emmanuel, La religion dans les limites de la simple raison, Paris, Vrin, 2010, 329 p, p 35. 25 Ibid. p 15. 26 KANT, Emmanuel, La religion dans les limites de la simple raison, Paris, Vrin, 2010, 329 p, p. 87; AK, VI, p22. 27 PHILONENEKO, Alexis, L’œuvre de Kant ; la philosophie critique, Tome II, Paris, Vrin, 1997, 292 p. 28 KANT, Emmanuel, La religion dans les limites de la simple raison, Paris, Vrin, 2010, 329 p, p92 ; AK, VI, 27. 29 Ibid., p 92; AK, VI, 27. 30 Ibid. p 92 ; AK, VI, 27.
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l’évidente imperfection humaine. C’est sans compter la troisième disposition, à la
personnalité. Elle consiste en l’ « aptitude à ressentir le respect de la loi morale en tant que
motif en soi suffisant de l’arbitre. »31.
Kant ajoute à cet examen des dispositions de l’homme le « penchant de faire le mal ». Celui-‐
ci correspond au « fondement subjectif de la possibilité de s’écarter des maximes de la loi
morale. »32 Contrairement aux dispositions, il est conçu comme inné mais pas dans le sens a
priori dans la mesure où « il peut être conçu (quand il est bon) comme acquis ou bien (s’il
est mauvais) comme contracté par la faute de l’homme lui-‐même (p95) Il faut en revanche le
comprendre comme naturel dans le sens où il appartient « en propre d’une manière
générale à l’homme ». Imitant les théologiens, Kant distingue « trois degrés divers dans ce
penchant. »,33 qui sont autant d’attitudes différentes face au devoir. La fragilité constitue
une première expression du penchant au mal. Ce motif est classique dans le discours
théologique, et référé à Saint Paul (Rom 7, 15-‐26) qui affirme l’incapacité d’agir
moralement : « Vraiment, ce que je fais, je ne le comprends pas ; car je ne fais pas ce que je
veux, mais je fais ce que je hais »34. L’impureté, que Kant évoque ensuite, caractérise « le
penchant à mêler des motifs immoraux aux motifs moraux (même si cela arrivait dans une
bonne intention et au nom de maximes de bien »35. C’est la fameuse distinction entre action
conforme au devoir et action accomplie par devoir qui se joue là. Subordonner le
commandement éthique pur à d’autres motifs n’est pas anodin, puisque cela revient à
rabaisser le motif moral, ne faisant de celui-‐ci plus qu’un motif parmi d’autres, ce qui
équivaut à une inversion des maximes. Finalement, le niveau de la méchanceté reprend
cette inversion des maximes. Mais cette fois, « On peut l’appeler aussi la perversité
(perversitas) parce ce qu’elle inverse l’ordre moral eu égard aux motifs du libre-‐
arbitre. »36C’est dans ce cas de figure précis, lorsque l’homme choisit délibérément des
motifs autres que la loi morale pour guider son action, que l’on peut dire que « l’homme est
mauvais. »37. « La manière de penser, (relativement à l’intention morale » est en effet
« corrompue en sa racine »38. Il ne nous faut à ce point de la réflexion ne pas conclure
31 Ibid. p 93; AK, VI,28. 32Ibid. P 95; AK, VI,29. 33 KANT, Emmanuel, La religion dans les limites de la simple raison, Paris, Vrin, 2010, 329 p, p 95; AK, VI, 29. 34 La Bible de Jérusalem, Paris, Edition du Cerf, 2000, p 1980. 35 Ibid., p 96; AK, VI, 30. 36 Ibid., p 97; AK, VI, 31. 37 Ibid., p 97; AK, VI, 31. 38 Ibid., p 96-‐97; AK, VI, 30.
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hâtivement que le pardon est impossible compte tenu d’un mal absolu. Mal absolu et mal
radical ne sont pas superposables.
Kant réfute en effet dans un troisième point à la fois la thèse qui fait de l’homme un être
mauvais par nature et celle qui en fait un être bon par nature. Il conteste ainsi Rousseau en
se moquant des « maints philosophes espéraient trouver surtout la bonté naturelle de la
nature humaine, à savoir l’état appelé état de nature. » Kant reconnaît que l’expérience
nous rend témoins de « scènes cruautés » et de « drames sanglants. »39, et que, dans la
civilisation la « fausseté secrète »40, les « vices cachés sous l’apparence de la vertu »41 sont
évidents.
Mais le principe de ce mal ne doit pas être confondu, ni être placé dans la sensibilité ou
dans « une dépravation de la raison législatrice morale ».42 D’un côté, la sensibilité
« contient trop peu »pour expliquer le mal moral en l’homme : elle ignore les motifs qui
peuvent naître de la liberté et « rend l’homme purement animal »43 De l’autre côté, postuler
« une volonté absolument mauvaise contient trop au contraire »44. Expliquer le mal moral
par une raison qui serait alors « maligne en quelque sorte » reviendrait à dépeindre une
opposition à la loi « élevée au rang de motif » et faire du l’homme « une être diabolique »45.
Or, force est de reconnaître qu’ « aucun des deux cas ne s’applique à l’homme. Kant refuse
de penser un homme « même le plus méchant » « rebelle » qui « renonce à la loi morale ».46
Car si l’homme n’avait en son cœur des motifs contrariants la loi morale, celle-‐ci s’imposerait
toujours à lui « d’une manière irrésistible »47. Sans les motifs qui entrent en conflits avec la
loi morale, l’homme serait systématiquement moral. L’homme est donc un être fini,
imparfait, mais non diabolique ou angélique. Seule la différence des motifs que les hommes
admettent dans les maximes détermine leur conduite, bonne ou mauvaise. Il faut dès lors se
résoudre à accepter la présence d’un mal radical en l’homme. L’adjectif « radical » renvoie à
son caractère « inextirpable », du moins « par les forces humaines »48. On ne peut l’effacer
dans la mesure où il faudrait recourir aux bonnes maximes, ce qui est impossible lorsque « le
39 Ibid., p 100; AK, VI, 33. 40 Ibid., p 101; AK, VI,34. 41 Ibid., p 101; AK, VI, 34. 42 Ibid., p 103; AK, VI, 35. 43 Ibid., p 103; AK, VI, 35. 44 Ibid., p 103; AK, VI, 35. 45 Ibid., p 103; AK, VI, 35. 46 Ibid., p 103; AK, VI, 35. 47 Ibid., p 103; AK, VI, 35. 48 Ibid., p 105; AK, VI, 35.
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fondement subjectif suprême de toutes les maximes est présumé corrompu. »49 Mais il est
primordial de noter que Kant pense l’homme capable de le dominer, puisque ce dernier, il
ne faut pas l’oublier est un « être agissant librement ». Nous touchons là le point de la
démonstration qui est pour nous primordial. Le mal radical existe, mais l’homme est libre.
Cette liberté implique un choix de faire ou non le bien, une responsabilité et une autonomie
humaine. Si l’homme est responsable du mal qu’il a causé, il peut demander pardon. Il faut
se garder de qualifier l’homme de méchant, ce qui voudrait dire que l’homme admet le mal
pour lui-‐même comme motif dans sa maxime, et donc qu’il est diabolique, mais plutôt parler
de « mauvais cœur », qui n’est pas contradictoire avec une volonté bonne en général. Dans
le quatrième mouvement de son argumentation consacré à l’origine du mal dans la nature
humaine, Kant établit que le péché originel dont l’Eglise parle ne constitue en réalité qu’un
mythe. Le propos est catégorique : « Quelle que soit d’ailleurs l’origine du mal moral dans
l’homme, la plus inadéquate de toutes les façons de se représenter sa diffusion et la
propagation de celui-‐ci dans tous les membres de notre espèce et dans toutes les
générations consiste à se le représenter comme nous étant venu de nos premiers parents
par hérédité. »50 Ce ne peut être qu’un acte de liberté qui a fait entrer le mal dans le monde.
On ne peut rationnellement concevoir un Dieu bon créant une mauvaise créature. C’est ainsi
que nous pouvons à présent comprendre le propos de Naar : « Ma liberté est le moment
infiniment solitaire et personnel dont tout suit pour moi : Operarie sequitur esse. Aussi
l’origine du mal, au sens de Ursprung est à indiquer (bien plus qu’à connaître) dans la
détermination vertigineuse de mon arbitre. …aussi la métaphysique nous enseigne—elle
qu’il ne peut jamais y avoir qu’une généralité de fait du mal et nullement une universalité lui
conférant la cohérence d’un Idée transcendantale immanente à la raison. Si le mal n’est pas
une Idée transcendantale, en dépit de ses lueurs métaphysiques, il retombe dans le royaume
des faits et comme tous ceux-‐ci il n’est pas indestructible et ses racines peuvent être
extirpées. »51
Et si nous sommes tous libres de faire la mal, nous le commettons tous, et sommes
donc tous concernés par la demande de pardon à l’égard d’un Dieu qui connaît chacune de
nos intentions morales. Kant développe cette idée en se référant à Saint Paul « Il se pourrait
49 Ibid., p 105; AK, VI, 35. 50 Ibid., p 105; AK, VI, 35. 51 NAAR, Monique, Introduction in, KANT, Emmanuel, La religion dans les limites de la simple raison, Paris, Vrin, 2010, 329 p, p 32.
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que ces paroles de l ‘apôtre 52soient vraies de l’homme d’une manière générale : « il n’est ici
aucune différence, tous sont pécheurs également ; -‐il n’y en a aucun qui fasse le bien (selon
l’esprit de la loi), pas même un seul. »53déclare-‐t-‐il. Nul ne peut se targuer d’avoir agi par
devoir puisqu’il est tout simplement exclu que nous puissions connaître le fond de notre
cœur. Comme le souligne Naar « On ajoutera que le diabolique est sans cesse tenté par le
bien. Quel est le bourreau qui peut dire n’avoir jamais éprouvé aucun remords ?...La pure et
sainte obéissance à la loi morale, sans le moindre doute, dans la transparence céleste d’une
conscience pure n’est pas plus problématique que la respiration droite et sans faille de
l’esprit au sein de la logique du mal ». Il nous est de toute évidence impossible d’affirmer
que nous avons vécu une vie entièrement morale, pas plus que nous ne pouvons le faire
pour autrui. A ce moment s’impose le lien avec le pardon divin : Dieu, et Dieu seul, peut
accéder à l’intériorité de nos cœurs. Kant le qualifie de « scrutateur des cœurs », qui « peut
regarder l’abîme des consciences. »
Ainsi, tout homme est concerné par la question du pardon divin, mais
ce dernier ne doit être considéré comme un fait qui peut être rationnellement prouvé.
Interroger la valeur du pardon ne revient donc pas à s’interroger sur son existence, mais sur
sa valeur morale.
Il faut donc revenir à La Religion dans les limites de la simple raison pour comprendre si le
pardon peut être intégré à la religion morale, seule religion valable. Comme le titre l’indique,
Kant souhaite dans son œuvre établir une religion rationnelle, morale. Celle-‐ci, qui consiste
en la vraie religion, qui « ne contient que des lois c’est-‐à-‐dire des principes pratiques d’une
nécessité inconditionnée, nécessité dont nous pouvons avoir conscience, et que nous
reconnaissons par suite comme révélée par la raison pure (et non de manière
empirique) »54. La religion morale encourage la conduite morale, quand la religion de culte
contient seulement la recherche de faveurs. L’enjeu se formule dès lors en ces termes : de
quelle façon le pardon divin doit-‐il être conçu pour qu’il puisse être intégré dans la religion
morale ? Au fil de La Religion dans les limites de la simple raison deux réponses
s’entremêlent.
La première correspond à la nécessité d’ajuster nos conceptions de Dieu. L’exercice
est délicat, car comment écarter les conceptions anthropomorphiques d’un Dieu de
52Ibid., p 32. 53 KANT, Emmanuel, La religion dans les limites de la simple raison, Paris, Vrin, 2010, 329 p., p 107; AK, VI, 39. 54 Ibid. 263; AK, VI, 167.
23
miséricorde qui menaceraient les conduites morales, sans s’opposer avec violence à la
tradition chrétienne ?
Kant dénonce l’anthropomorphisme, manifeste dans nos conceptions de Dieu,
déterminant la figure d’un Dieu qui pardonne. Notre auteur est conscient de l’omniprésence
de cet anthropomorphisme, et surtout de la difficulté de le dissocier de nos représentations.
Il est « au plus haut point dangereux » 55 » lorsqu’il « concerne notre rapport pratique avec la
volonté de Dieu »et par là aussi « notre moralité ».56 L’homme fabrique un Dieu à son image,
alors même qu’il a le devoir de fabriquer un Dieu qui soit conforme aux concepts moraux
pour ne pas tomber dans l’idolâtrie. Le Dieu que nous construisons suivant des conceptions
anthropomorphiques est un Dieu qui pardonne à conditions des faveurs, des flatteries. Une
telle vision doit être condamnée puisqu’elle exclut le changement réel d’intention morale : :
« Si bien que nous pensons pouvoir le gagner plus facilement à nos intérêts, tout en nous
dispensant du pénible effort ininterrompu nécessaire pour agir sur le fond intime de notre
intention morale »57. Sous l’effet de cet anthropomorphisme, nous nous conduisons alors
comme des courtisans, flatteurs et hypocrites à l’égard du souverain. Le sonore repentir que
nous exhibons n’a dès lors que l’apparence de la sincérité.
Il s’avère en fait que toute conception d’un Dieu miséricordieux ne puisse être inclue
dans la religion morale, et représente même un danger pour elle. Si l’on croit que Dieu est
miséricorde et clémence, se soucie-‐t-‐on vraiment de la moralité de notre conduite, puisque,
de toute façon, nous nous savons d’avance pardonnés ? Le propos de Kant ne souffre pas
d’ambiguïté : « En effet, il y est dit premièrement : on ne doit pas présenter le législateur
suprême en tant que tel, comme clément, donc indulgent pour la faiblesse humaine. »58 Pas
plus que la figure du despote la figure d’un Dieu miséricordieux n’est acceptable. La seule
conception légitime est celle d’un être qui rende strictement la justice : « ni comme
despotique, commandant uniquement selon son droit illimité ; ni ses lois comme
arbitraires »59.
Comment comprendre cette condamnation ? A l’instar de la condamnation de
l’anthropomorphisme, son sens réside dans le lien qui unit représentations de Dieu et
conduite morale. Concevoir un Dieu de pardon affaiblit considérablement l’élan vers la
55 Ibid. 266; AK, VI, 169. 56 Ibid. 266 AK, VI, 169. 57 Ibid. 267 AK, VI, 169. 58Ibid. 267 AK, VI, 169. 59 Ibid. 267 AK, VI, 169.
24
conduite morale. Dès lors, la bonté de Dieu ne doit être comprise comme une
« bienveillance inconditionnée à l’égard de ses créatures. »60 S’il est possible de parler de
bienveillance, c’est simplement dans la mesure où Dieu « considère en premier lieu leur
caractère moral, qui peut les lui rendre agréables et il ne supplée alors qu’à l’impuissance où
elles sont de satisfaire par elles-‐mêmes à cette condition. »
On comprend donc que l’image que l’on doit se faire de Dieu n’est pas conforme à celle de la
tradition chrétienne, qui, comme on l’a souligné parle d’un Dieu qui pardonne. Kant s’y
oppose même très clairement, lorsqu’il ajoute : « Sa justice ne peut être représentée comme
bonté et pardon (ce qui contient une contradiction). » Il faut pour encourager la conduite
morale de l’homme penser un Dieu juste, et la justice exclut le pardon. Dieu est un
Législateur Saint et non « un chef suprême humain », comme le pose la « foi servile
anthropomorphique ».61
Conscient de l’écart qui existe entre, d’une part, la vision qu’il faut s’efforcer de garder de
Dieu et, d’autre part, la description de Dieu dans la Bible, Kanté détaille la façon dont il faut
concevoir Dieu comme juge.
Kant explique que « l’acte de juger peut être interprété de deux manières : il peut
porter sur le mérite et le défaut de mérite, ou bien sur la culpabilité et l’innocence. »62 Si l’on
considère Dieu en tant qu’il est amour, alors il juge les hommes « dans la mesure où, leurs
obligations remplies, un certain mérite peut encore leur profiter et sa sentence se formule
alors par dignes ou indignes. »63Concrètement, cela veut dire qu’ « il met à part comme siens
ceux auxquels un mérite de ce genre peut encore être imputé, quant aux autres ils s’en vont
les mains vides. »64 L’acte de jugement est alors une séparation qui s’effectue entre « les
méritants et les non-‐méritants, les uns comme les autres aspirant à un même prix »65Les
méritants ne sont pas jugés par rapport à la loi, puisqu’il ne peut exister « aucun excèdent
dans l’observation du devoir, au-‐delà de nos obligations »66, la comparaison s’effectue entre
les hommes. Il s’agit donc d’ « une sentence sur le choix entre deux personnes (ou deux
partis) qui briguent le prix (la béatitude) ».67 Il n’y a donc pas de châtiment en jeu, ni même
de pardon. Dieu correspond effectivement à un Dieu d’amour, qui exerce une action 60 Ibid. 234 AK, VI, 142. 61 Ibid. 234 AK, VI, 142. 62Ibid. 239 AK, VI, 146. 63 Ibid. 239 AK, VI, 146. 64 Ibid. 239 AK, VI, 146. 65 Ibid. 239 AK, VI, 146. 66 Ibid. 239 AK, VI, 146. 67Ibid. 239 AK, VI, 146.
25
positive, à travers la récompense des plus méritants « sous le rapport de leur intention
morale. »68 Il n’y a donc pas peut-‐être pas pardon, mais il y a don d’une récompense. Le
pardon s’appliquerait au second cas de figure dépeint par le philosophe, lorsqu’ il est
question de la « sentence du juge selon la justice »69 Cette fois, Dieu sanctionne ceux qui
sont considérés comme coupables ou innocents. Le coupable doit recevoir la damnation,
l’innocent lui mérite l’absolution, et le pardon se joue donc à ce moment. La personne n’est
donc plus jugée en comparaison avec d’autres hommes, mais c’est « à l’égard d’une seule et
même personne devant un tribunal ».70
Dieu est réellement amour dans la mesure où il intervient pour les hommes qui, comme les
autres, adoptent une conduite morale imparfaite, mais sont plus méritants. Si ce jugement
n’intervient pas, c’est alors le second jugement qui est à l’œuvre, « selon la justice »71note
Kant. Il réussit ainsi à concilier deux propositions bibliques : « le Fils viendra pour juger les
vivants et les morts »et d’autre part « Dieu ne l’a pas envoyé dans le monde pour juger le
monde, mais afin que le monde soit sauvé par lui ».72Kant précise l’importance de cette
distinction, due au fait que : « les hommes, dans l’affaire de leur religion, ont la tendance
constante de s’adresser en raison de leurs faute à la bonté divine, sans pouvoir éviter
néanmoins sa justice et que, d’autre part, un juge bienveillant en une seule et même
personne est un contradiction, on voit bien que, même sous le rapport pratique, leurs
concepts doivent à cet égard être très flottants et sans harmonie entre eux et qu’il est par
conséquent d’une grande importance pratique de les rectifier et de les déterminer
exactement »73. Le philosophe préserve in extremis la vision d’un Dieu bienveillant. Mais le
pardon qu’il peut offrir n’est qu’un pardon offert aux plus méritants. Il reste dans un sens
encore conditionnel, dans la mesure où il se justifie par les bonnes actions qui ont été
accomplies par ailleurs, en comparaison avec les autres. Et si le pardon de Dieu accordé aux
plus méritant n’a pas eu lieu, alors la justice de Dieu sanctionne strictement les fautes, le
pardon correspond à un véritable non-‐sens.
68 Ibid. 239 AK, VI, 146. 69 Ibid. 239 AK, VI, 146. 70 Ibid. 239 AK, VI, 146. 71 Ibid. 239 AK, VI, 146. 72 Ibid. 240 AK, VI, 169. 73 Ibid. 240 AK, VI, 169.
26
Le second élément de réponse tient dans la forme des pratiques
religieuses elles-‐mêmes. Kant dénonce toutes les pratiques en lien avec le pardon qui
appartiennent à la religion de culte, et qu’il s’agit d’éliminer.
On peut d’abord identifier la condamnation de Kant à l’égard des croyants persuadés
d’avoir reçu le pardon en ayant agi sur Dieu. On ne peut en effet « être persuadé de pouvoir
distinguer les effets de la grâce de ceux de la nature (de la vertu) ou même pouvoir les
produire en soi, c’est de l’enthousiasme. » Il pose donc, d’une part l’impossibilité d’être
assuré du pardon. Il est vain de transformer de simples faits en signes : « nous ne pouvons
reconnaître à quelque signe un objet suprasensible dans l’expérience »74, comme le signalait
déjà La Critique de la raison pure.
D’autre part, Kant pose la stricte impossibilité de croire pouvoir agir sur Dieu pour qu’il nous
accorde son pardon. Il ne suffit ainsi pas de se protéger d’une vision anthropomorphique, il
faut en plus être conscient de notre incapacité à pouvoir agir sur Dieu. Kant le répète :
« nous ne pouvons…encore moins influer sur lui de manière à le faire descendre vers nous
» 75. Le philosophe admet qu’il peut « se produire parfois dans l’âme des mouvement
agissant positivement sur le sens moral, qu’on ne peut expliquer ». 76Il est néanmoins
impossible d’estimer que ces changements sont la preuve effective du pardon de Dieu. Kant
emploie un argument d’autorité pour assurer sa thèse, en invoquant l’Evangile de Jean III, 8
« Le vent souffle où il veut, mais nul ne sait d’où il vient. »
Une nouvelle fois, Kant semble soucieux de ne pas se poser en contradiction avec la
tradition chrétienne, et cherche à montrer, qu’au contraire, sa pensée s’accorde avec elle.
En rappelant cette phrase de la Bible, le lecteur peut choisir de comprendre le renoncement
à vouloir agir pour obtenir la miséricorde divine comme une mise en garde devant le
mystère divin. C’est ainsi qu’il faut comprendre la méfiance que Kant manifeste à l’égard de
la prière dans les dernières pages de La Religion dans les limites de la simple raison. Ces
pages témoignent du rejet de la prière pour obtenir le pardon.
Le rejet de la prière vise en fait la prière « comme adresse ».77 Le philosophe
s’emploie à montrer que s’adresser à Dieu est absurde, dans la mesure où l’on ne peut poser
son existence pour nous, « admettre que cet objet suprême est présent personnellement »
74 Ibid. 240 AK, VI, 169. 75 Ibid. 240 AK, VI, 169. 76 Ibid. 298 AK, VI, 194. 77 Ibid. 299 AK, VI, 169.
27
par un argument tiré de l’expérience commune. Il invite le lecteur à s’imaginer être surpris
en train de prier à haute voix, et la gêne qui succède nécessairement. Kant explique cette
gêne par la conscience que l’on peut être jugé comme un homme fou. On assimile la forme
de prière où l’homme « veut agir sur Dieu » 78 à un « léger accès de folie »79, et Kant précise
malicieusement dans une courte parenthèse que c’est « non absolument à tort ». 80 Surtout,
Kant souligne à quel point l’anthropomorphisme anime cette pratique. L’homme qui prie
peut en effet faire semblant de croire à l’existence de Dieu, estimant qu’il ne peut qu’en tirer
un profit : « Cela ne peut pas nuire, mais au contraire lui attirer des faveurs. »81écrit Kant.
Certes, l’erreur de croire accéder et agir au supra sensible n’est pas commise, mais la faute
morale persiste. En effet, on retrouve à nouveau la tendance à l’anthropomorphisme. On se
figure un Dieu à notre écoute, enclin à nous pardonner comme le ferait un souverain. Le
plus grave est que cet anthropomorphisme s’accompagne d’une grave hypocrisie : nous
accomplissons un « service de cour où l’humiliation et la glorification sont communément
d’autant moins senties qu’elles sont plus verbeuses. »82 Nous nous satisfaisons de quelques
mots, persuadés qu’ils nous apporteront la miséricorde de Dieu. Nous entretenons en même
temps l’ « illusion démente autant que démesurée »83de croire pouvoir détourner Dieu de
ses possibles projets : le philosophe y voit la marque d’une « arrogance »84. La condamnation
de la prière n’est cependant pas univoque, et il nous avancer plus en avant pour nous
déterminer s’il y a ou non une exclusion définitive de la prière qui implore le pardon divin.
Kant en effet encourage une forme de prière, favorable à la conduite morale de l’homme.
Celle-‐ci est distincte de ce que Kant a qualifié de « culte intérieur formel », « illusion
superstitieuse qui « consiste simplement à déclarer nos désirs à un être qui n’a nul besoin
que celui qui désire une chose lui déclare son intention intérieure ». Elle correspond à la
prière intérieure, qui ne s’adresse qu’à soi-‐même. Dans cette forme de prière, l’homme ne
prétend pas connaître l’existence de Dieu mais se concentre sur l’amélioration de ses
intentions morales. La forme même de la prière, les mots dans lesquels elle se dit
deviennent alors superflus, elle tient toute entière dans « la résolution d’avoir une bonne
78 Ibid. 299 AK, VI, 169. 79 Ibid. 299 AK, VI, 169. 80 Ibid. 299 AK, VI, 169. 81 Ibid. 299 AK, VI, 169. 82 Ibid. 302 AK, VI, p 198. 83 Ibid. 300 AK, VI, p 197. 84Ibid. 300 AK, VI, p 197.
28
conduite ».85 Celle-‐ci est « unie à la conscience de notre fragilité, elle reprend le constant
désir d’être des membres dignes du royaume de Dieu. » Profond désir d’adopter une
conduite morale, cette forme de prière ne se confond donc pas avec une demande d’une
aide surnaturelle. Elle est définie par le philosophe comme « un désir qui, s’il était sérieux
(actif), produit lui-‐même son objet (devenir un homme agréable à Dieu). 86
La question se pose pour nous de savoir si la prière qui demande le pardon peut être
qualifiée de prière morale. Nous trouvons des éléments de réponse dans cette phrase de
Kant : « Bien plus, même si l’objet était moral, mais cependant possible uniquement grâce à
une influence surnaturelle (ou bien si nous l’attendions de ce côté seulement parce que nous
ne voulons pas nous-‐mêmes faire un effort dans ce but, soi, par exemple, pour réformer
notre mentalité, revêtir un homme nouveau, ce que l’on appelle la nouvelle naissance), il est
très incertain que Dieu trouve conforme à sa Sagesse de parfaire notre indigence (due à
notre propre faute) d’une façon surnaturelle et il y a plutôt lieu de s’attendre au
contraire. »87
Il s’agit alors de savoir si le pardon constitue ou non une influence surnaturelle. Tout l’enjeu
du pardon est compris dans cette phrase. Si on le considère comme un don surnaturel, qui
nous dispense d’efforts moraux, alors il est effectivement nuisible pour la moralité de
l’homme, qui est l’enjeu même de la religion. Mais s’il est considéré comme un als ob, alors
il est bénéfique et il faut l’apprécier comme tel.
En plus de la critique générale des pratiques liée au pardon, Kant s’attarde sur la
dénonciation de l’extrême onction, censée assurer au mourant le pardon divin, et donc
l’espoir d’obtenir le salut.
La demande de pardon est motivée par la seule inquiétude, et non par le souci de
transformer son attitude morale. Kant introduit sa critique en faisant référence
aux« questions puériles »88, sans intérêt, sachant que l’on « ne saurait rien tirer de sensé,
même s’il était possible de lui en fournir les réponses. »89 La question de la vie après la mort
fait partie de celles-‐ci, et plus précisément celle de « savoir si les peines de l’enfer auront
une fin ou si elles seront éternelles. »90 La réponse à la possibilité d’avoir tous ses péchés
85Ibid. 299 AK, VI, p 196. 86 Ibid., p 299 AK, VI, 169. 87 Ibid. p 300 AK, VI, 197. 88 Ibid. p 145 AK, VI, 71. 89 Ibid. p 145 AK, VI, 71. 90 Ibid. p 145 AK, VI, 71.
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remis, et donc d’accéder à la vie éternelle est grave, dans la mesure où son impossibilité
signifie l’absence d’espérance, qui nuit à la conduite morale. « Si l’on enseignait la première
hypothèse, il y aurait à redouter que certains (ainsi tous ceux qui croient au purgatoire, ou
ce matelot des voyages de Moore), diraient : « J’espère pouvoir les supporter ».91 En même
temps, poser le pardon et donc l’assurance d’échapper aux peines de l’enfer c’est
encourager la désinvolture dans la conduite morale. « Mais si l’on tenait pour l’autre, en
l’introduisant dans le symbole de la foi, il pourrait en naître, contrairement au dessein que
l’on a en le faisant, l’espoir d’une complète impunité à la suite de la vie la plus
infâme »92explique ainsi Kant. Le philosophe explique la difficulté du prêtre, face au choix
d’attribuer ou non l’absolution des péchés, car, comme le note Kant « En effet, comme à la
fin de cette vie, dans les moments du repentir tardif, le prêtre auquel on demande conseil et
réconfort, doit trouver tout de même cruel et inhumain d’annoncer à l’homme sa damnation
éternelle ».93 Mais Kant n’admet pas pour autant que l’on pratique ce sacrement. Il est
absurde de prétendre pouvoir transformer dans la hâte un homme, quelques instants
seulement avant sa mort. Kant exprime sa condamnation de telles pratiques par l’ironie, en
décrivant des « confessions pleines de contrition, des formules de foi ou même des
promesses solennelles de vie nouvelle au cas où serait encore retardée la fin de la vie
présente, jouent le rôle de moyens. » 94 L’absence de conversion est manifeste, alors même
que la religion trouve sa raison d’être dans sa capacité à favoriser la conversion. On
comprend dès lors la contrariété de Kant à l’égard de ces formules creuses, mécaniques, qui
bien souvent ne sont le signe d’aucune conversion réelle. Kant explique cela par l’association
du pardon avec la vie éternelle qui est présentée par l’Eglise chrétienne comme le résultat
de la conduite sur Terre.
Bien plutôt qu’annoncer une telle doctrine et administrer l’extrême-‐onction, l’Eglise devrait
expliquer laisser le croyant se faire « une idée de sa condition future et [de] conclure lui-‐
même à l’égard de cette condition comme étant la conséquence naturellement prévisible de
sa conséquence présente »95. De cette façon, le croyant serait encouragé à tout faire pour
progresser moralement, et ne serait plus tenté de se comporter avec désinvolture, certain
de recevoir in extremis le pardon divin. Kant affirme que la conscience humaine est telle que, 91 Ibid. p 145 AK, VI, 71. 92 Ibid. p 145 AK, VI, 71. 93Ibid. p 145 AK, VI, 71.
94 Ibid. p 145 AK, VI, 71. 95 Ibid. p 145 AK, VI, 71.
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encouragé à réfléchir sur sa conduite morale, l’homme se juge avec sévérité et éprouve le
désir d’améliorer sa conduite morale.
Finalement, Kant reproche à ce sacrement de prétendre que, selon le dicton : « tout va bien
qui finit bien », dans la mesure où l’on meure assuré d’être pardonné par Dieu. Or, une telle
phrase ne s’applique en réalité que dans le cas où « l’homme est devenu vraiment bon. »96.
La vie constitue un tout et, même si le sacrement de l’extrême onction s’accompagne d’ une
conversion tardive, la vie antérieure ne disparaît pas. Kant ne conçoit donc pas le pardon
administré comme la possibilité d’effacer définitivement toute mauvaise conduite
antérieure, et de signifier la radicalité d’un nouveau départ. Il faut se garder d’identifier le
sacrement de l’extrême-‐onction à une sorte de formule magique qui fait que « tout finit
bien. »
Ainsi, le pardon dans la religion est exclu lorsqu’il participe de la religion de culte, mais
représente un instrument de moralité s’il est pensé comme un als ob et s’intègre alors dans
la religion morale. Il s’avère que, dans la sphère éthique, la question se pose à nouveau : le
pardon peut-‐il désigner un acte moral, et alors être vraiment légitime ?
. La lecture de la Doctrine de la vertu et de l’Anthropologie d’un point
de vue pragmatique nous suggèrent les éléments d’une réponse nuancée.
C’est d’abord la conscience d’avoir commis une faute et le sentiment
de culpabilité qu’il nous faut examiner. Ils accompagnent en effet tous deux la demande de
pardon. En déterminant la position que Kant tient à leur égard, nous déterminons son point
de vue sur la demande en pardon, possible étape du processus de pardon.
Partons de l’étude, dans la Doctrine de la vertu qui appartient à La Métaphysique des
mœurs, de la conscience humaine où naît le besoin d’être pardonné. Kant estime que tout
homme possède une conscience morale, et que la phrase absurde « cet homme n’a pas de
conscience »97 signifie seulement que l’homme n’écoute pas sa conscience. Avec Kant, il faut
donc poser que, puisque tout homme est conscient de ses fautes, tout homme est
susceptible de demander pardon à la personne blessée. Nul besoin de s’exercer pour
acquérir une conscience morale, celle-‐ci « n’est pas quelque chose que l’on soit susceptible
96 Ibid. p 145 AK, VI, 71. 97KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p, p 245 ; AK, IV, 400.
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d’acquérir, et il n’y a pas de devoir ordonnant de se procurer cette conscience ; mais tout
homme, en tant qu’être moral, possède en lui, originairement, une telle
conscience. »98déclare ainsi le philosophe. Concrètement, cette conscience morale que nul
ne peut choisir de fuir, qui s’impose à nous et qui nous expose devant nous notre
imperfection morale correspond au « devoir de reconnaître des devoirs. »99 Il y a donc un
jugement, dans la mesure où « la conscience morale est la raison pratique représentant à
l’être humain son devoir dans chaque cas où intervient une loi, que ce soit pour l’acquitter
ou pour le condamner. » 100 Si la conscience morale condamne, le sujet est forcément
affecté, puisqu’elle produit de la peine, sentiment moral qui procède de la « contradiction
entre notre action et la loi du devoir. »101 De la même façon qu’un homme sans conscience
n’existe pas, ’« il n’y a pas d’homme qui soit dépourvu de tout sentiment moral »102. Kant
juge favorablement ce sentiment, sans lequel l’homme perdrait sa qualité de sujet moral, et
« se dissoudrait dans la simple animalité et se fondrait irrémédiablement dans la masse des
autres êtres naturels. »103.
Il faut en plus noter que la conscience morale, qui provoque la demande en pardon n’est pas
susceptible de se tromper. Le contraire signifierait que l’homme perdrait sa qualité de sujet
moral, et comme l’explique gravement Kant, « Ainsi il est absurde de dire que l’homme peut
être dépourvu de conscience morale, tout autant qu’on ne peut affirmer qu’elle puisse se
tromper : nous sommes nécessairement conscients de nos fautes. »104 Un jugement objectif
peut être erroné, mais il est tout simplement impossible de se tromper lorsque l’on juge de
façon subjective. Kant est catégorique : «je ne peux me tromper, parce que, sinon, je
n’aurais aucunement jugé au plan pratique, auquel cas il n’y aurait matière ni à erreur ni à
vérité »105
Et pourtant, comment expliquer que l’homme dans certains cas ne s’embarrasse pas
de regrets, à la source de la demande de pardon ? Kant répond qu’il faut voir là l’inattention
à la conscience morale, qui ne constitue qu’un penchant. Mais un fait demeure : le
sentiment de culpabilité n’est pas trompeur, la conscience morale parle et dit la vérité sur
98 Ibid., p 244; AK, VI, 400. 99 Ibid., p 244; AK, VI, 400. 100 Ibid.,p 245; AK, VI, 401. 101 Ibid., p 245; AK, VI, 401. 102 Ibid.,p 243; AK, VI, 399. 103 Ibid., 244; AK, VI, 400. 104 Ibid., 244; AK, VI, 400. 105 Ibid., 245; AK, VI, 401.
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notre conduite. Cette impossibilité d’échapper indéfiniment à la voix de la conscience
morale est formulée à plusieurs reprises par le philosophe, qui dit notamment que l’homme
« peut certes par des plaisirs et des distractions se rendre insensible ou s’endormir, mais il
ne peut éviter par la suite de revenir à soi-‐même ou de se réveiller dès qu’il perçoit la voix
terrible de cette conscience. »106 On le constate dans la vie ordinaire, comme Kant le
remarque dans les Leçons d’éthique. « Je puis par exemple, alors que je suis à l’étranger,
offenser quelqu’un inconsidérément. Je n’ai rien à en craindre, car je serai bientôt parti. Et
pourtant je ne puis ni m’empêcher de me faire des reproches pour ce geste, ni altérer la loi
en moi. »107 écrit-‐il.
Avons–nous dès lors un devoir vis-‐à-‐vis de cette conscience qui nécessairement suit
l’homme « comme son ombre »108 ? Le seul devoir, devoir indirect, que Kant envisage est
l’attention à l’égard de cette conscience, il s’agit de tout mettre en œuvre pour écouter la
voix du « juge intérieur ». Tenter de faire l’inverse est donc non seulement voué à l’échec,
puisque on ne peut éviter d’entendre la voix de la conscience, mais c’est surtout « une
extrême infamie »109
Ainsi, on a compris que nous ne choisissons pas le sentiment de culpabilité qui s’impose à
nous. Il est signe de notre moralité, et à ce titre, il devient un devoir indirect d’y prêter
attention. Kant ne condamne donc pas ce sentiment qui nous oriente vers la demande de
pardon. Il semble alors que l’on puisse affirmer que ce besoin d’exprimer son sentiment de
culpabilité et sa volonté d’être pardonné soit non seulement inévitable dans la mesure où
nous sommes dotés d’une conscience morale, mais puisse même être encouragé, car c’est le
signe que nous sommes attentifs à la voix de notre conscience. Posons donc la légitimité de
la demande de pardon chez Kant si elle est comprise comme manifestation de la volonté de
progresser moralement, guidé par la conscience douloureuse de n’être jamais assez moral.
Mais est-‐il possible de penser, au sein de cette conscience morale, la
possibilité d’un pardon accordé à soi-‐même ? Cet acte constitue une forme de pardon à part
entière, et il s’agit de comprendre pourquoi Kant ne le pense pas, alors même qu’il étudie
longuement le mécanisme de la conscience morale.
106 Ibid., 295; AK, VI, 438. 107 Ibid., 172; AK, VI, 438. 108 Ibid., 295; AK, VI, 438. 109 Ibid.,p 295; AK, VI, 438.
33
Il s’avère en fait que notre auteur ne peut pas le penser dans la mesure où la
conscience morale est comparée à un tribunal intérieur. Seule la sentence peut exister : le
pardon est hors-‐jeu dans le processus de jugement de la conscience morale, formé de
plusieurs étapes. La conscience morale se manifeste tout d’abord avant une action. A partir
de là, le choix d’agir ou non en conformité avec la loi morale n’est pas négligeable, « une
véritable transgression ne peut être considérée comme une bagatelle ». Le sujet moral doit
prendre sa décision en son âme et conscience, et ne pas la laisser aux conseils d’un autre. Le
second temps établi par Kant est la confrontation qui prend place une fois que l’acte a été
accompli, entre un accusateur et un défenseur. Ce conflit est une bonne chose, dans la
mesure où il n’aboutit pas un compromis à l’amiable, mais à une opposition arbitrée « selon
la rigueur du droit. »110. A l’issue de ce deuxième temps une sentence est rendue. On se
situe encore dans la logique du droit, puisque la sentence possède « force de loi »111et
qu’elle n’admet pas d’autres alternatives que l’acquittement ou la condamnation. De ce
processus identique à celui d’une cour de justice, on comprend que sont logiquement exclus
tout pardon et toute récompense. Tout geste de pardon à l’égard de sa propre personne est
un geste impossible.
Il faut en même temps souligner que Kant condamne ce qui se donne l’apparence du
pardon intérieur, mais qui n’est en réalité que mensonge intérieur. Celui-‐ci correspond au
choix de ne plus écouter la conscience morale et Kant le condamne fermement : nier la
culpabilité s’apparente à un mensonge par omission. Il n’est pas anodin, puisque, en agissant
de la sorte, l’homme « se rend méprisable à ses propres yeux…et lèse la dignité de
l’humanité en sa propre personne. »112 ; Kant relève de plus le caractère contradictoire de ce
qui est « l’oubli, et pour ainsi dire l’anéantissement de sa dignité d’homme. »113La réalité du
mensonge intérieur est indubitable, et pourtant, comment comprendre que l’on puisse se
tromper soi-‐même ? En effet, l’homme, considéré comme être moral, homo noumenon ne
doit « se servir de lui-‐même, en tant qu’être physique (homo phaenomenon), comme d’un
simple moyen. »114Il a le devoir d’être en accord avec ce qu’affirme en lui l’être moral. De la
sorte, Kant dénonce l’homme qui se félicite de respecter la loi morale, alors même que son
mobile consiste en fait dans la peur d’être puni par Dieu. Il est aisé de transposer cet
110 Ibid.,p 298; AK, VI, 438. 111 Ibid.,p 298; AK, VI, 438. 112Ibid., p 283; AK, VI, 429. 113 Ibid., p 284; AK, VI, 429. 114 Ibid., p 28; 5 AK, VI, 429.
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exemple avec la culpabilité qui motive la demande de pardon. L’homme peut préférer, et les
raisons sont nombreuses d’agir ainsi, enfouir la culpabilité, prétendre vivre sans, alors même
qu’au fond la conscience morale la lui rappelle sans cesse. Kant condamne également la
mauvaise foi, présentée comme « un manque de conscience morale, c’est-‐à-‐dire un manque
de pureté dans la confession devant son juge intérieur que l’on conçoit comme une autre
personne »115 Kant explique une telle attitude par l’amour de soi, source de faiblesse.
L’analogie avec le comportement amoureux est ici éclairante : de même qu’un amoureux est
aveugle aux défauts bien réels de la personne aimée, le sujet moral se ment à lui-‐même sur
ses défauts. Il ne s’agit pas de traiter avec indulgence « ce manque de pureté dans les
déclarations que l’on fait sur soi-‐même »116soutient le philosophe, puisque cette « fausseté
qui semble être enracinée dans la nature humaine »117s’applique également aux relations
avec les autres hommes. Le mensonge intérieur se manifeste également dans l’attitude du
latitundaire, décrit dans les Leçons d’éthique comme « celui qui invente pour lui-‐même des
règles d’action indulgentes et pense la loi morale de façon à pouvoir fermer les yeux sur sa
conduite déficiente. »
Ce n’est donc pas la culpabilité qui souvent provoque la demande en pardon qui est
condamnée par Kant, mais la volonté de taire cette culpabilité. Ainsi, la gravité du mensonge
intérieur se comprend dans l’opposition à ce que Kant désigne comme le « premier
commandement intervenant pour tous les devoirs envers soi-‐même »118. Celui-‐ci est la
reprise du fameux « connais-‐toi toi-‐même » socratique. L’injonction commande
d’entreprendre tous les efforts pour être le plus lucide possible sur la pureté de nos
intentions morales qui déterminent la qualité de nos actions morales. Kant est
particulièrement élogieux à l’égard de cet examen intérieur, puisqu’il déclare que « La
connaissance morale de soi, qui réclame que l’on pénètre dans les profondeurs du cœur les
plus difficiles à sonder, est le début de toute sagesse humaine. »119
Mais si Kant n’envisage pas la possibilité d’un pardon intérieur, et met en garde
contre le mensonge qui en prend l’apparence, il ne faut pas pour autant penser qu’il
encourage de façon inconditionnelle la culpabilité qui provoque la demande de pardon.
Ainsi, le philosophe considère qu’il existe un véritable devoir d’estime de soi, c’est-‐à-‐dire de
115Ibid., p 285; AK, VI, 430. 116 Ibid., p 286; AK, VI, 431. 117 Ibid., p 286; AK, VI, 431. 118Ibid., p 299; AK, VI, 441. 119Ibid., p 299; AK, VI, 441.
35
la conscience d’être un être moral. Le sentiment de son imperfection par comparaison avec
la loi morale constitue « l’humilité (humilitas moralis ) »120et Kant la tient en estime,
contrairement à « l’orgueil de la vertu (arrogantia moralis) », 121qui est le contentement de
soi jamais confronté à la loi morale.122 Le philosophe distingue cette humilité, résultat de la
comparaison avec la loi morale de l’« humilité dans la comparaison avec d’autres hommes
(et même, d’une façon générale, avec tout être fini fût-‐ce un séraphin) »123, et cette dernière
ne saurait constituer un devoir. Ces distinctions établies cèdent la place à une critique de ce
qui est « l’abaissement délibéré de sa propre valeur morale ». Si celle-‐ci est délibérément
choisie, c’est pour « acquérir la faveur de quelqu’un d’autre ». 124Kant fustige cette fausse
humilité, étant donné qu’elle représente un abaissement de « la dignité de sa
personnalité ».125 La juste attitude à adopter est dès lors une humilité véritable issue de la
comparaison avec la loi morale, mais celle-‐ci ne doit se muer en un dénigrement de soi :
l’homme au contraire doit éprouver du respect à l’égard de son être moral.
Il s’agit donc d’exclure les deux excès que sont le mépris exalté de soi et la trop haute
estime de soi, mère de l’inaction. D’un côté donc, Kant exige de « bannir le mépris exalté de
soi-‐même comme homme (de tout le genre humain) »126, car on ne doit en aucun cas
mépriser l’humanité en soi. De l’autre, l’estime de soi qui ne se contente que de vœux
ardents, mais non d’actions morales proprement dites, doit également être rejeté. Kant note
dans Anthropologie du point de vue pragmatique la difficulté de se faire une juste idée de sa
valeur morale, précisément à cause de l’amour propre. Le philosophe compare ainsi
l’observation de soi même avec « une joie momentanée, comme un ciel rempli de nuages
qui s’ouvre en un point pour laisser percer le rayon du soleil, mais il se renferme tout
aussitôt pour ménager les yeux myopes de taupe que sont ceux de l’amour-‐propre. »127 Des
conséquences de l’amour propre, Kant décrit, et nous l’avons déjà longuement expliqué,
« l’illusion de pouvoir racheter sa faute grâce à quelque chose qui est dépourvu de tout
contenu moral »128. Le philosophe envisage également l’homme qui nie la faute pour se
déclarer son innocence. De là Kant critique le repentir tardif que nous avons déjà étudié
120Ibid., p 292; AK, VI, 435. 121Ibid., p 292; AK, VI, 435. 122 Ibid., p 172; AK, VI, 347. 123Ibid., p 172; AK, VI, 347. 124 Ibid., p 172; AK, VI, 347. 125 Ibid.,p 172; AK, VI, 347. 126 Ibid.,p 299; AK, IV, 441. 127 KANT, Emmanuel, Anthropologie du point de vue pragmatique, Paris, Flammarion, 349 p, p 59, AK p 133 ; 128 Ibid.,p 59; AK, VII, 133.
36
lorsque, « à la fin de sa vie, on dépeint le repentir de ses forfait comme s’il s’agissait d’ « un
amendement véritable ». Une autre manifestation de cette justification tient dans
l’invocation de la « faiblesse humaine » 129qui nous ont retenu de bien agir. Il ne s’agit pas
de rêver devenir un être moral parfait, car il est absurde de tendre vers un objet
inatteignable, mais bien plutôt se résoudre à progresser, à devenir meilleur. Il faut alors
« orienter délibérément sa pensée de manière à lier à sa volonté un sentiment suffisamment
fort pour en permettre la réalisation »130
A ce point nous comprenons donc que, si l’on voit dans la demande de pardon la conscience
de notre faute, preuve rassurante de la moralité en nous, il faut lui préférer la volonté de
tout mettre en œuvre pour progresser moralement. Il est donc vain et condamnable de
s’infliger des châtiments qui manifestent et exacerbent la culpabilité, ce mal qui « afflige et
atterre » 131. Il faut plutôt mobiliser son esprit et son énergie pour adopter une meilleure
conduite. Ne cesser de s’accuser sans agir conduit de plus à la pensée fautive que le seul
repentir efface les fautes. C’est ainsi que la plainte apitoyée sur ses erreurs est dénoncée par
Kant puisque « on se dispense ainsi de la démarche qui serait désormais raisonnable et qui
consisterait à redoubler d’efforts pour s’amender. »132
A l’étude du pardon intérieur succède logiquement celle du pardon
échangé entre deux personnes. Pour savoir si cette forme de pardon s’accorde avec le
système moral kantien, il nous faut d’emblée expliciter les mots d’Alain Gouhier dans son
ouvrage Pour un Métaphysique du pardon : « la morale ne pardonne pas »133. Commençons
par confronter le pardon avec l’impératif catégorique, clé du système moral kantien.
L’impératif catégorique est unique et l’action qu’il ordonne doit être nécessairement
réalisée, en tant que commandement que se donne la raison pratique à elle-‐même. La
première formulation de l’impératif catégorique prescrit : « Agis uniquement d’après la
maxime qui fait que tu peux vouloir en même temps qu’elle devienne une loi
universelle. »134Nous devons donc agir rationnellement, de telle sorte que notre action soit
universalisable. Or, est-‐il réellement possible d’universaliser le pardon ? Cela signifie en effet
que j’estime devoir être pardonné si je commets la même faute. Dès lors, si cette faute
129 Ibid.,p 59; AK, VII, 133. 130 Ibid.,p 59 ; AK, VII, 133. 131 Ibid., p 196; AK, VII, 238. 132 Ibid., p196 ; AK, VII, 238. 133 GOUHIER, Alain, Pour une Métaphysique du pardon, Paris, Edition de l’Epi, 1969, 622 p, p 115. 134 KANT, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Vrin, 2008, 206p, p 128 ; AK, IV, 421.
37
mérite d’être pardonnée, alors n’est-‐ce pas légitimer la faute, l’accepter ? La première
formulation de l’impératif catégorique contredit donc la possibilité d’intégrer le pardon dans
le système moral kantien.
Toujours dans Les Fondements de la Métaphysique des mœurs, la seconde formulation de
l’impératif catégorique semble moins s’opposer à la possibilité du pardon : « Agis de telle
sorte que tu traites l’humanité aussi bien dans ta personne que dans la personne de tout
autre toujours en même temps comme une fin, et jamais simplement comme un
moyen. »135C’est ici la valeur absolue de la personne qui est mise en valeur. Cette
formulation ne semble pas s’opposer au pardon que l’on échange, si celui-‐ci fonctionne
comme un acte gratuit, qui prend pour seule fin la personne. Nous nous contentons
d’esquisser cette piste, et il serait dangereux de poser plus d’hypothèses, sous peine de faire
dire à Kant des choses qu’il n’envisage tout simplement pas.
Finalement, la troisième formulation établit « l’idée de la volonté de tout être raisonnable
conçue comme volonté instituant une législation universelle »136 Cette fois, Kant insiste sur
la nature raisonnable qui est celle de tout être raisonnable. Or, le pardon, dans sa forme
d’acte gratuit, motivé par amour, ne constitue pas un acte raisonnable.
Il s’avère en réalité que Kant est profondément hostile au pardon comme acte
d’amour, tel qu’il est présenté dans la tradition chrétienne. Il se tient en opposition avec la
demande de « pardonner jusqu’à 77 fois sept fois. »(Matthieu 18, 21-‐35)137 en refusant de
penser une éthique qui laisse une place à l’amour. Cette exclusion du pardon, qui tire sa
raison d’être de l’injonction d’amour inconditionnel est présente dès les débuts de la mise
en place du système kantien. Ainsi, dès les Leçons d’éthique, notre auteur prend ses
distances avec ce qui est reçu sous le nom de devoir d’amour. Tentons de comprendre les
différentes articulations de la réflexion autour de l’amour, pour comprendre dans quelle
mesure le pardon comme acte d’amour n’a pas sa place dans le système moral kantien.
Kant part de la distinction dans les devoirs envers les autres hommes d’un côté « les devoirs
de bienveillance ou de bonté »138et, de l’autre « les devoirs constituant un dû, ou devoirs de
justice. »139. Il ne peut pas y avoir de devoir de pardon puisqu’il n’existe pas de devoir
d’amour : lorsqu’un homme en aime un autre, « ce sont ses dispositions volontaires et sa
135 Ibid., p 143 AK, IV, 429. 136 Ibid., p 146; AK, IV, 431. 137 La Bible de Jérusalem, Paris, Edition du Cerf, 2000, 2175p, p 1737. 138 KANT, Emmanuel, Leçons d’éthique, Paris, Le livre de poche, 2007, 285, p 328. 139 Ibid.,p 328.
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propre impulsion qui l’animent »140L’amour est alors défini comme « la bienveillance
découlant de l’inclination »141. L’amour par inclination prend la forme d’ un élan du cœur
sujet au changements, incomparable avec le devoir de bienveillance qui, lui, subsiste même
une fois que l’inclination a disparue. Il n’est pas question d’établir un devoir d’amour, dans la
mesure où l’inclination échappe à notre volonté, comme le révèlent les conduites
inconstantes qui s’originent dans la bonté de cœur, sans principes. Ainsi, parlant d’un
homme bienfaisant par inclination, Kant remarque : « quelqu’un s’avise seulement de le
tromper et d’abuser de sa bonté, et il regrettera ses bons gestes, au point même de décider
que dorénavant, il s’abstiendra de faire du bien à qui que ce soit. »142. Au prétendu devoir
par amour les Leçons d’éthiques préfèrent donc le devoir de justice, qui passe par le respect
du droit des hommes. Kant en rappelle la valeur inestimable, à côté de laquelle « il n’y a rien
de plus sacré en ce monde »143et qui, à ce titre, « doit être encore plus sûr que la plus
imprenable des forteresses »144. Kant explique préférer un homme qui ne manifeste aucune
bonté mais agisse en revanche conformément au droit et « agit avec justice ».145 Un monde
de bonté serait même dangereux, puisque n’y règnerait plus que de l’inclination, et non par
la raison et le droit.
A présent que l’on a compris la méfiance que Kant exprime déjà à l’égard de l’amour, et qui
explique l’impossibilité d’un pardon par amour, entrons dans le détail de ce qui recouvre la
notion d’amour. Kant y voit deux formes. La première, l’amour de bienveillance, « consiste à
souhaiter le bonheur d’autrui et réside dans l’’inclination à favoriser ce bonheur. »146 La
seconde forme correspond à « l’agrément que nous éprouvons dans l’appréciation des
perfections d’autrui ».147 Il faut alors dissocier les deux sortes de pardon par amour. La
seconde serait le pardon accordé par faiblesse, selon le modèle de l’amoureux. L’amour de
complaisance porterait à pardonner en raison de l’inclination portée à la personne qui a
commis la faute. On comprend qu’un tel pardon est inacceptable dans la conception morale
kantienne. En effet, le pardon accordé par amour de complaisance manifeste la faiblesse de
l’homme qui agit par inclination indépendamment de la loi morale. La critique du pardon au
nom de l’amour comme inclination se retrouve dans les pages de l’Anthropologie du point 140 Ibid.,p 328. 141 Ibid.,p 328. 142Ibid., p 330. 143 Ibid., p 331. 144 Ibid., p 331. 145 Ibid., p 332. 146 Ibid., p 334. 147 Ibid., p 334.
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de vue pragmatique dans la mesure où l’amour est considéré comme une passion profonde
et grave. Si l’affect ressemble à une ivresse, la passion correspond à un délire : « celui qui est
passionnément amoureux devient inévitablement aveugle aux défauts de l’objet aimé, bien
qu’en général il recouvre la vue huit jours après le mariage »148 Se présente comme
l’anéantissement de toute liberté. « En revanche, personne ne souhaite éprouver une
passion. Car qui accepterait de se laisser enchaîner s’il peut être libre ? »149
L’amour de bienveillance, lui, signifie souhaiter que les autres hommes deviennent dignes du
bonheur. Mais cet amour ne doit pas faire naître le pardon. La conduite morale est dès lors
le refus de pardonner, mais le souhait profond d’une conversion morale. Kant choisit
l’exemple d’un roi pour illustre cette thèse : « Un roi peut ressentir une pareille bienveillance
pour le rebelle qui méprise son autorité, même s’il doit le faire mourir et le faire pendre ; il
peut toujours regretter que ce malheureux ait dû souffrir la peine de la loi, et souhaiter de
tout cœur qu’il puisse se rendre digne de la félicité dans l’autre monde et qu’il y
accède. »150On comprend donc mieux de quelle façon l’amour de bienveillance est accepté
par Kant, sans qu’il légitime un acte de pardon qui serait issu de cet amour de bienveillance.
S’il y amour, ce ne saurait être à l’égard de l’individu, du « mécréant »151mais bien à l’égard
de l’humanité, qui ne commande pas de pardon.
Le pardon motivé par l’amour n’est pas plus acceptable que celui motivé par la
compassion, comme le révèle la partie de la Doctrine de la vertu consacrée aux devoirs
d’amour. Ceux-‐ci correspondent au devoir de bienfaisance, de reconnaissance et de
sympathie. C’est donc la troisième forme du devoir d’amour qui nous intéresse, insérée dans
la partie C intitulée « Prendre part à ce qu’éprouve autrui est en général un devoir. »152. Le
« en général »laisse apercevoir la difficulté que soulève le devoir de sympathie. Partager la
peine d’autrui peut se donner comme un devoir conditionnel, qui favorise la bienveillance
active à l’égard de l’homme considéré comme être doué de raison. Mais il s’avère que Kant
refuse la compassion, ce qui signifie qu’il ne saurait légitimer le pardon motivé par la
compassion. Devant la souffrance du remords et de la culpabilité, nous sommes poussés à
pardonner, mais cette attitude n’est pas légitime : la compassion ne doit pas être considérée
comme une obligation. Elle ne relève pas de la raison pratique, mais est comparable à la
148KANT, Emmanuel, Anthropologie du point de vue pragmatique, Paris, Flammarion, 349 p, p 219 ; AK, VII, 253. 149 Ibid., p 220; AK, VII, 253. 150 KANT, Emmanuel, Leçons d’éthique, Paris, Le livre de poche, 2007, 285 p, p 334-‐335. 151 Ibid., p 335 152 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p.324 ; AK, VI, 456.
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chaleur, aux maladies contagieuses qui se propagent et se communiquent naturellement. Il
ne faut donc pas confondre la compassion avec la « faculté et la volonté de communiquer
réciproquement à propos de ces sentiments »153qui dénote une liberté qui participe de la
raison pratique. Or, on a établi que le pardon ne relevait pas de la raison pratique : de cette
participation délibérée et raisonnée de participer à la souffrance d’autrui ne peut donc
naître le pardon. Le refus de la compassion est clairement exprimé par le philosophe qui
reprend le modèle stoïcien du rejet de la compassion. Le sage stoïcien souhaite un ami, non
pas être aidé, mais bien plutôt pour pouvoir lui venir en aide en cas de besoin. Mais lorsque
la situation ne dépend pas de son pouvoir, alors il s’agit de refuser la compassion. On
comprend donc que cela veut dire que, si mon ami a commis un mal qui le ronge, il est vain
de compatir, puisque le mal est déjà fait.
Kant souligne en plus que la rationalité est absente de la compassion, motivée par
l’imagination. Reportons nous aux pages de l’Anthropologie du point de vue pragmatique qui
détaillent le processus. Kant rappelle que l’imagination est étrangère au domaine moral,
étant constitutive d’une tendance humaine à se comparer avec les autres. Bien souvent,
notre sensation de bonheur s’accroît quand nous imaginons subir le même mal et prenons
conscience de notre chance d’être en réalité épargné par la douleur. Cela signifie que nous
sommes capables de nous figurer à la place de l’autre et de vraiment ressentir sa souffrance.
La force du phénomène est la même lorsqu’on se penche à la vue d’une personne qui perd
l’équilibre. Le visage et le comportement qui manifestent les émotions agissent sur nous par
sympathie. Pardonner serait dès lors céder à l’imagination contre une conduite morale,
« vouloir faire du bien par commisération, de fait, serait-‐ce même là une sorte de bienfait
offensant »154estime Kant. La miséricorde n’a ainsi pour Kant aucun lieu d’être. Elle est en
effet définie comme la bienveillance à l’égard d’une personne indigne.
Ainsi, le pardon, inspiré par l’amour et la compassion n’a aucune valeur morale. Une
hésitation peut naître d’une remarque d’Anthropologie du point de vue pragmatique,
associant le pardon avec le calme réfléchi, pur de tout affect. « L’affect réside dans la
surprise provoquée par l’impression, laquelle abolit la contenance de l’esprit »155et pour
cette raison il est condamnable. . Ainsi, sous le coup de la colère, on peut prendre des
153 Ibid., 325 AK, VI, 456. 154 Ibid., p 325-‐326 ; AK, VI, 457. 155 KANT, Emmanuel, Anthropologie du point de vue pragmatique, Paris, Flammarion, 349 p.218,;AK, VII, 252.
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décisions injustes, punir sans réfléchir. Mais l’envie de punir parce que l’on est mû par la
colère disparaît avec elle. Ainsi, Kant observe qu’ « Un père, un maître d’école ne peuvent
pas infliger de punition dès lors qu’ils ont eu la patience d’écouter les demandes de pardon
qu’on leur adressait (et non pas les justifications qu’on leur présentait.) »156. Cette courte
remarque paraît surprenante : dans la mesure où le pardon existe lorsque disparaît l’affect
qui annihile la raison, elle semble le légitimer. Il semble qu’il faille bien davantage la
comprendre comme une description de la façon dont nous agissons, étant donné le contexte
de l’Anthropologie du point de vue pragmatique. Il ne faut donc pas y voir ce qui serait
l’unique encouragement à pardonner dans l’œuvre kantienne, mais la critique des affects qui
nous pousse à agir de façon injuste, et que nous sommes capables de considérer comme tel
une fois la colère passée, et regretter.
S’il ne faut pas pardonner par amour ni par compassion, quelle attitude adopter face
à un homme rongé par le remords ? Comme on l’a déjà expliqué, Kant ne sous-‐estime pas la
souffrance de l’homme coupable. «La douleur qu’un homme ressent par remords, bien que
son origine soit morale, est cependant physique dans son effet, comme le chagrin, la peut et
tout autre état maladif. »157Néanmoins, face à cette douleur, Kant assure que mon devoir
n’est pas de faire en sorte que la personne cesse d’éprouver ce qu’on a déterminé comme la
voix du juge intérieur. Ce n’est donc en aucun cas mon devoir de lui accorder mon pardon
pour que les remords se taisent en lui. Mon devoir consiste à agir avant la faute. Il me faut
tout mettre en œuvre pour aider l’autre à ne pas commettre de faute morale en ne faisant
rien qui « puisse l’inciter à des actes que sa conscience peut ensuite lui reprocher. »158A la
place du pardon est donc prescrit un devoir large, dans le sens où on ne peut lui assigner de
limites bien précises. Contre l’immoralité du pardon, Kant promeut donc une action
préventive, il ne s’agit pas d’annuler le remords d’une personne indigne, mais faire en sorte
que la personne ne tombe pas dans l’indignité qui la pousse à demander le pardon.
On a donc établi l’exclusion du pardon de la philosophie morale
kantienne en tant qu’il est associé à l’amour et à la compassion. Dès lors, comment
comprendre qu’au paragraphe 36 de la Doctrine de la vertu le pardon soit qualifié de
« devoir de l’homme. » 159 ? La difficulté réside pour nous entre, d’une part, le « refus du
156Ibid., p 218 ; AK, VII, 252. 157 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p, p236; AK, VI, 393. 158 Ibid., p 237; AK, VI, 393. 159 Ibid., p 33 ; AK, VI, 461.
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pardon, refus qui s’impose au niveau de la rationalité objective et universelle »160 et, d’autre
part, le devoir de pardon. Dès lors, il nous faut comprendre le sens précis du pardon tel que
Kant l’entend pour résoudre cette apparente contradiction. En effet, Kant déclare que le
pardon ne doit « pas être confondu avec la veule patience à supporter les offenses (ignavia
iniuriaum patientia ), comme renonciation aux moyens rigoureux (rigorosa) pour prévenir
l’offense répétée d’autrui ; »161 En d’autres mots, et on l’a déjà noté, Kant refuse
d’encourager le pardon s’il ne représente qu’une faiblesse de l’homme, incapable de punir
l’offense. Une telle attitude est dangereuse, car elle favorise l’absence d’amélioration
morale de l’autre homme : celui-‐ci risque de commettre le même acte, puisque la pardon
accordé ne l’a pas prévenu de la gravité de ses actions. Kant estime qu’agir de la sorte «
serait jeter ses droits aux pieds des autres et violer le devoir de l’homme envers lui-‐
même. »162
Le pardon se donne comme devoir de vertu en tant qu’il est maintien de la punition
et simultanément163 élimination de la haine et de la vengeance. Kant écrit : « c’est donc un
devoir de vertu, non seulement de ne pas répliquer simplement par vengeance à l’inimité
des autres par la haine, mais encore même de ne pas demander au juge de nous venger ». Le
devoir de pardon met donc à l’écart, la haine, véritable passion qui, comme on l’a souligné
fait perdre à l’homme sa capacité de raisonner. La haine motive l’envie de se venger qu’il
faut éliminer. Or, la vengeance, en dépit des apparences, est une attitude qui ne se satisfait
pas du droit. Kant remarque que la vengeance est un désir animé par la haine masqué
derrière « l’apparence du meilleur droit et même de l’obligation (par amour du
droit)»164mais revient en réalité « à se proposer pour fin, même sans avantage personnel, le
malheur d’autrui. »165 En cela, le pardon tel que Kant l’entend correspond au refus de la
vengeance qui nie le devoir large de prendre le bonheur d’autrui comme fin et devoir. Le
devoir de pardonner ainsi décrit par le philosophe reconnaît la nécessité, et la légitimité de
la punition, « du châtiment, par lequel le crime est vengé dans la personne du coupable (et
le châtiment ainsi ne répare pas seulement le dommage causé). » 166Kant ajoute
160 Rousset ROUSSET, Bernard, « La possibilité philosophique du pardon, Spinoza, Kant, Hegel dans le Pardon », Le Point théologique, numéro 45, 1987, p 187. 161 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p, p 331 ; AK, VI, 461. 162Ibid., p 331 ; AK, VI, 461
164ROUSSET, Bernard, « La possibilité philosophique du pardon, Spinoza, Kant, Hegel dans le Pardon », Le Point théologique, numéro 45, 1987, p 186. 165 Ibid. ,p 186. 166 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p, p 330 ; AK, VI, 460.
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immédiatement ce qui assure la légitimité du châtiment : il n’est « pas un acte relevant de
l’autorité privée de l’offensé, mais c’est l’acte d’une cour de justice distincte de lui, qui
donne effet aux lois d’un pouvoir exerçant sa souveraineté sur tous ceux qui lui sont
soumis »167 Kant délimite donc strictement le cadre dans lequel le châtiment doit prendre
place. Il est hors de question d’admettre le châtiment hors de la sphère juridique qui est
spécifiquement chargée de l’appliquer. De là Kant explique que le pardon tel qu’il l’entend
est l’acceptation de cette idée : « si (comme c’est nécessaire dans le cadre de l’éthique),
nous considérons les hommes dans un état juridique, mais qui soit établi selon les seules lois
de la raison (et non pas selon des lois civiles), personne n’a le droit d’infliger des châtiments,
ni de venger une offense subie par des hommes ». Ainsi, la conception du pardon kantien est
exclusion de la vengeance qui ne saurait n’être que « subjective et particulière »168, opposée
donc à la raison qui doit valoir universellement. Kant ajoute qu’il faut proscrire la vengeance
haineuse qui passe par le châtiment que l’on souhaite appliquer soi-‐même et par la
demande que transmet au juge de nous venger aussi parce que nous ne sommes pas des
êtres complétement moraux. Kant rappelle que « l’homme a accumulé sur lui assez de
fautes dont il est responsable pour avoir lui-‐même très fortement besoin d’être pardonné ». 169On retrouve un écho à l’Evangile de Matthieu (7, 1-‐2) où Jésus demande de ne pas juger :
« Qu’as-‐tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ? Et la poutre qui est dans ton
œil à toi, tu ne la remarques pas ! »170. Kant souligne ici qu’il nous faut accepter de
pardonner, c’est-‐à-‐dire de ne pas chercher à nous venger, n’étant pas plus exempts de
fautes que la personne dont nous voulons nous venger. Notre conscience, comme on l’a
souligné, ne cesse de nous rappeler notre finitude morale. Le devoir de pardonner dans la
sphère éthique, pris comme refus de vengeance et de haine, reste donc exigeant, puisqu’il
demande de ne plus éprouver et agir mû par la haine jusque dans le recours à la justice. En
effet, « aucun châtiment, émanant de qui que ce soit, ne doit être infligé par haine. »171La
conception du pardon chez Kant ne saurait donc renvoyer à une impulsion naturelle à
l’homme après avoir été victime d’un mal. Bernard Rousset le constate dans son article La
possibilité philosophie du pardon : « il faut bien de la vertu à l’homme pour être absolument
167 Ibid., p 330 ; AK, VI, 460. 168 ROUSSET, Bernard, « La possibilité philosophique du pardon, Spinoza, Kant, Hegel dans le Pardon », Le Point théologique, numéro 45, 1987, p 197. 169 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p, p 330 ; AK, VI, 460. 170La Bible de Jérusalem, Paris, Edition du Cerf, 2000, p 1711. 171 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p, p 330 ; AK, VI, 460.
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rigoureux dans l’usage de la loi objective sans être subjectivement passionné, intéressé ou
prétentieux lorsque cette loi châtie le coupable. » La question se pose néanmoins de la
possibilité pratique de pardonner. Il est en effet étrange de penser que l’on peut réussir à ne
plus éprouver de la haine envers quelqu’un simplement pour être accord avec la loi morale ?
Difficile et mystérieux car c’est rapporté à autre chose. De même, il faut cesser de railler la
personne coupable.
Kant analyse dans L’Anthropologie du point de vue pragmatique ce désir de
vengeance, pour en dégager la dangereuse apparence de droit. La vengeance apparaît
comme un désir de justice, alors qu’en réalité Kant elle relève d’une passion de haine dont la
justice doit être purifiée. Le pardon tient donc dans ce refus de ce « désir passionné de
vengeance »172. Ce dernier constitue donc une passion, elle appartient donc par définition
aux « inclinations orientées d’êtres humains à êtres humains »173. Kant explique l’extrême
ampleur du désir de vengeance par son lien avec le droit, qui père avec force sur la
conscience dans la mesure où le concept de droit « procède immédiatement du concept de
la liberté extérieure ». De là, on comprend que la victime ne peut s’empêcher de garder de la
haine pour celui qui l’a lésé et que cette haine va se mêler à volonté de justice. Dès lors, on
ne parvient plus à faire la différence entre le désir légitime de justice, et le désir de
vengeance, qui n’a de la justice que l’apparence. Surtout, mêlée malgré tout au désir de
justice, la haine devient « une des passions les plus violentes et qui s’enracinent le plus
profondément dans l’âme humaine »174 ; Le pardon vise donc à se séparer de cette haine,
mais aussi de la rancune qui bien souvent tue, est cependant gardée au fond du cœur. Il
nous faut donc être prudent, avertit le philosophe et, pour réussir à pardonner, c’est-‐à-‐dire
à ne garder de haine pour le fautif, il faut réussir à distinguer le désir de justice du désir de
vengeance. Le désir de justice représente la volonté de vivre dans une stricte égalité, chacun
peut obtenir ce à quoi il a droit. Kant rappelle que c’est « un facteur fondamental de
détermination du libre-‐arbitre par une raison pratique. »175Nous basculons dans le désir
dans la revanche lorsque nous ne prenons plus en compte l’égalité, mais agissons
égoïstement en ne considérant plus que notre propre avantage. La haine de l’injustice fait
alors place à la haine de celui qui a commis l’injustice. Cette haine est véritablement une
172 KANT, Emmanuel, Anthropologie du point de vue pragmatique, Paris, Flammarion, 349, p.242 ; AK, VII, 270. 173 Ibid., p 242 ; AK, VII, 270. 174 Ibid., p 243 AK, VII, 270. 175 Ibid., p 243 AK, VII, 271.
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passion aveugle, puisque nous n’hésitons pas à prendre des risques pour réaliser notre
vengeance, ni à accuser de façon absurde les descendants du fautif, en dépit de leur
innocence.
Ainsi, il faut retenir l’apparente contradiction, entre un pardon incompatible avec la loi
morale, et un devoir de pardonner, qui équivaut en réalité à la supprimer la vengeance. Le
pardon est donc intégré dans le système philosophique kantien, et, il en est en même temps,
écarté. Tout dépend de quel pardon il est question, un amour motivé par l’amour, la
compassion, ou un pardon qui refuse la vengeance. La mention de vengeance nous suggère
la nécessité d’étudier la possibilité du pardon dans la sphère juridico-‐politique.
Notre étude se concentre sur la Doctrine du droit, dont il faut rappeler
la spécificité. Cette partie de la Métaphysique des mœurs, qui précède la Doctrine de la
vertu, a un statut bien particulier. Philonenenko la qualifie de « plaque tournante du
système », si l’on consent à admettre le mouvement des ‘’portes’’ »176 dans la philosophie
kantienne. « Jumelée avec la doctrine de la vertu, la théorie du droit ne reste pas sans
relation avec la morale. »177écrit Philonenenko. Dès lors, il s’agit pour nous d’identifier la
spécificité de la conception kantienne du pardon en tant qu’élément de la philosophie du
droit, sans oublier qu’elle « se rattache clairement et nettement à son anthropologie et à sa
sociologie »178. Ainsi il ne faut pas désolidariser les trois temps de notre réflexion, mais bien
au contraire les considérer comme les pièces du système kantien. L’enjeu est donc de
comprendre si le pardon peut s’intégrer dans la dimension politique et juridique de la
philosophie kantienne. Examinons d’abord la possibilité du pardon au regard de la loi. Le
pardon est-‐il prévu par la loi, et, dans le cas contraire, s’y oppose-‐t-‐il ? Le point de départ
dans la Doctrine du droit doit être le statut lui-‐même de la loi, qui détermine la possibilité
juridique du pardon.
176 PHILONENEKO, Alexis, L’œuvre de Kant ; la philosophie critique, Tome II, Paris, Vrin, 1997, 292 p, p 254. 177 Ibid., p254. 178 Ibid., p254.
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L’état de droit succède à l’état de nature, hypothèse de travail, qui
serait l’état « où chacun n’en fait qu’à sa tête »179, sans « aucun juge compétent pour
conférer la force du droit à la sentence grâce à laquelle chacun obtient désormais la
possibilité d’amener par la force autrui à entrer dans un état juridique. »180 , donc
« déterminée par aucune justice (distributive) publique et n’est garantie par aucune force
exerçant ce droit. »181 A l’évidence, le pardon dans sa dimension juridique n’existe que dans
l’Etat, défini comme « la réunion d’une multiplicité d’hommes sous des lois juridiques. »182 .
En effet, le pardon advient nécessairement avec la reconnaissance d’une faute, d’une
transgression du droit d’autrui. Or, sans Etat, impossible d’établir la transgression d’une loi
et par là même toute possibilité de pardonner. La justice dans l’Etat est garantie par la mise
en place de trois pouvoirs distincts mais unis que sont « le pourvoir souverain (souveraineté)
en la personne du législateur, le pouvoir exécutif en la personne du gouvernement (en
conformité avec la loi ) et le pouvoir judiciaire (en tant que capacité d’attribuer à chacun ce
qui est sien d’après la loi) en la personne du juge. »183. Seul un Etat organisé de la sorte
assure la permanence du droit, et, en même temps, la possibilité de pardonner.
Néanmoins, il faut se garder de conclure hâtivement que Kant accorde une place au pardon
dans un l’Etat garant de justice. En effet, la réponse à la question « quel est le type et le
degré de châtiment que la justice publique doit se donner pour principe et pour étalon ? » 184
contredit une telle hypothèse. Le principe de la loi exclut en réalité le pardon. En effet,
l’essence de la loi réside dans le principe d’égalité, qui caractérise la fameuse loi du talion.
On la connaît désormais à travers la Bible, lorsqu’il est dit dans l’Ancien Testament (Exode
21, 23-‐35) « Mais s’il y a accident, tu donneras vie pour vie, œil pour œil, dent pour dent,
pied pour pied, brûlure pour brûlure, meurtrissure pour meurtrissure, plaie pour plaie. »185.
Kant utilise, lui, l’image de « l’aiguille de la balance de la justice »186qui ne penche jamais
d’un côté ou d’un autre. Dès lors, le pardon s’oppose à la stricte égalité, à la fois qualitative
et quantitative, qui doit définir la peine. Kant précise que cette loi du talion n’est valable que
si elle s’accomplit « à la barre d’un tribunal (et non pas dans un jugement privé) »187. Cela
179 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411, p.P126 ; AK, VII, 312. 180 Ibid., p 127;AK , VII, 312. 181 Ibid., p 127; AK, VII, 312. 182 Ibid., p 128 ; AK, VII, 313. 183 Ibid., p 128; AK, VI, 313. 184 Ibid,., p 153 ; AK, VI, 352. 185 La Bible de Jérusalem, Paris, Edition du Cerf, 2000, p 124. 186 Ibid., p 153 ; AK, VI, 352. 187 Ibid., p 153 ; AK, VI, 352.
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implique donc l’existence préalable d’une procédure juridique et d’un tribunal public. Ainsi
la punition du coupable ne peut être administrée que par les juges qui parlent au nom de
l’Etat, et le caractère public du jugement n’inclut ni le pardon, ni la vengeance. Celles-‐ci
relèvent des actes de jugement privés, qui donc représentent des
«équivalences…chancelantes », qui ne « peuvent, à cause des autres considérations qui
viennent s’y mêler, atteindre à aucune adéquation avec la sentence de la pure et stricte
justice. »188
Kant reconnaît en même temps le caractère irréalisable de la loi du talion. Est-‐ce que pour
autant la loi du talion est disqualifiée, et le pardon admis ? Le philosophe est conscient «
qu’une amende prononcée pour une injure verbale est absolument sans rapport avec
l’offense, dans la mesure où celui qui a beaucoup d’argent peut bien se permettre cela,
parfois par plaisir »189. Il est cependant possible d’approcher de la réalisation de cette stricte
égalité : « mais l’atteinte subie par amour-‐propre de l’un peut pourtant être fort équivalente
à la blessure faite à l’orgueil de l’autre, si ce dernier, par le jugement et le droit, est forcé,
non seulement de présenter publiquement des excuses, mais aussi, par exemple, de baiser
en même temps la main du premier, bien qu’il soit assurément de condition inférieure. »190
explique de cette façon Kant. Il faut donc poser que « que quand bien même cela ne serait
pas possible à la lettre, ce principe conserve pourtant toujours sa valeur quant à son effet. » 191C’est la réalité qu’il s’agit de faire correspondre à l’idéal, et non l’inverse. L’effacement de
la faute ne saurait donc être comprise comme une solution de secours face à la difficulté de
garantir la justice. Le raisonnement suivant n’est pas admissible : puisque il est impossible
d’agir vraiment justement, alors pardonnons. Ce rejet d’un tel raisonnement est typique de
la pensée kantienne, et doit être rapproché de Théorie et pratique, dans lequel le philosophe
dénonce la proposition communément admise selon laquelle ce qui est « tout à fait
acceptable dans la théorie n’est d’aucune valeur dans la pratique »192. Si tel est le cas, alors
il faut conclure que la théorie ne représente « que des idéaux vides et des rêves
philosophiques » 193, inconsistants et donc sans réelle valeur.
188 Ibid., p 153 ; AK, VI, 352. 189 Ibid.,154; AK, VI, 332. 190Ibid., 154; AK , VI, 332. 191 192 KANT, Emmanuel, Théorie et pratique, Paris, Flammarion, 1994, 1990 p.56. 193 Ibid., p56.
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On a montré que l’essence de la loi n’admet pas de pardon puisque la
justice réside dans la stricte égalité. Il s’avère en plus que l’acte de pardonner constitue un
acte grave et dangereux pour la sphère juridico-‐politique elle-‐même. Pardonner revient en
effet à fragiliser considérablement la loi publique dans la mesure où l’on accepte qu’une
transgression ne soit pas punie. Or, la loi publique, on l’a souligné est constitutive de l’Etat,
qui seule garantit la pleine réalisation de l’homme. En effet, rappelons-‐le une nouvelle fois :
« L’état qui n’est pas juridique, c’est-‐à-‐dire celui dans lequel il n’y a pas de justice
distributive, s’appelle l’état de nature »194. La loi est primordiale : ainsi, contrairement à ce
qu’on pourrait penser, même le droit naturel n’est pas garanti : la propriété grâce au droit
naturel n’est que possession, c’est seulement par la loi qu’elle devient propriété.
L’expression de Philonenko exprime bien la gravité du pardon en tant puisqu’il remet la loi
en cause : « ce n’est pas parce que l’homme est homme qu’ il est citoyen, mais parce qu’il
est citoyen que l’homme est homme. » Il est à présent évident que le pardon apparaît dans
l’œuvre kantienne comme un véritable danger : de lui découle la mise en question de la loi
qui implique celle de l’Etat, du citoyen et enfin de l’homme même.
Et, non seulement la loi ne prévoit pas le pardon, mais le pardon s’oppose dangereusement
à la loi.
En effet, si l’on pardonne, n’efface-‐t-‐on pas en même temps la peine, qui signifie l’effectivité
de la justice? Derrida, dans Foi et Savoir remarque que l’on peut pardonner à un homme et
maintenir la punition. Mais ce n’est pas la conception du pardon que nous retenons de la
lecture de la Doctrine du droit. En effet, le philosophe associe dans le même paragraphe le
droit de punition et le droit de grâce. Il maintient le lien entre les deux, et il nous a paru clair
que, dans ces pages de la Doctrine du droit, le pardon devait être associé à l’annulation de la
peine. Nous gardons ainsi le sens fort de l’expression « tenir pour non avenue une faute »
signifiée dans l’action de pardonner. L’acte de pardon s’oppose donc à la punition, comprise
dans « le droit que possède le chef, envers celui qui lui est soumis, de lui infliger une
souffrance en raison de son crime. »195La peine est administrée ou par la justice civile ou par
la justice criminelle. La première concerne les crimes privés, « fraude commise dans l’achat
et la vente sous les yeux d’autrui »196par exemple, tandis que la seconde s’applique à ceux
qui menacent la République elle-‐même, par des actes tels que : « fabriquer de la fausse
194 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411, p.P120 ; AK, VII, 306. 195Ibid., p 151 ; AK, VI, 330. 196 Ibid., p 152 AK, VI, 331.
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monnaie, contrefaire des lettres de change, commettre vols et rapines »197 Dans les deux
cas, la peine sanctionne la transgression de la loi publique.
De plus, si l’on admet qu’un tribunal puisse pardonner, on renie la volonté du peuple en
prenant une décision qui contredit la loi publique à travers laquelle le peuple se juge lui-‐
même. Ainsi Kant affirme-‐t-‐il que « Le peuple se juge lui-‐même par l’intermédiaire de ceux
de ses citoyens qui sont nommés spécialement à cette fin par un libre choix comme ses
représentants, et cela, plus précisément, pour chaque acte judiciaire. Car le jugement (la
sentence) est un acte singulier de la justice publique (justitiae distributivae) qui est accompli
grâce à un administrateur de l’Etat ( juge ou tribunal) à l’endroit du sujet, c’est-‐à-‐dire de
quelqu’un qui appartient au peuple, par conséquent n’est revêtu d’aucun pouvoir, et qui
consiste à reconnaître ce qui lui revient (à lui attribuer) »198 : « C’est donc uniquement le
peuple qui peut juger chacun de ceux qui lui appartiennent, bien que ce soit de façon
seulement médiate, grâce à ses représentants qu’il met en place lui-‐même à cette fin (le
jury). »199. Seule la volonté concordante et unie de tous, en tant que chacun décide la même
chose pour tous et tous la même chose pour chacun, par conséquent seule la volonté
universellement unifiée du peuple peut donc être législatrice. »200 De la même façon qu’il n’y
a pas lieu de pardonner en effaçant la peine, il n’est pas légitime de l’adoucir.
Surtout, Kant dénonce le fait que le pardon, qui se manifeste par la suppression ou
l’adoucissement de la peine, lorsque, et surtout, quand elle vise bien souvent le bien du
criminel. Il est en effet absolument exclu pour l’auteur de la Doctrine du droit de tolérer une
telle attitude. Comme l’explique Simone Goyard Fabre, « pas un instant Kant n’envisage la
possibilité d’une punition qui permette le rachat ou l’amendement du coupable. »201Le
pardon comme moyen d’améliorer la conduite du coupable, en lui permettant de prendre
un nouveau départ par exemple, est pour Kant nul et non avenu. Il en va de même pour le
pardon que l’on accorde en vue du bien de la société civile, en pensant la protéger du
ressentiment de l’homme puni, devenu grâce au pardon un homme nouveau. « La peine
judiciaire….ne peut jamais être attachée à quelqu’un simplement à titre de moyen de
favoriser un autre bien pour le criminel lui-‐même, soit pour la société civile, mais elle doit
197 Ibid., p 152 AK, VI, 331. 198Ibid., p 133 ; AK, VI, 332. 199 Ibid., p 134 ; AK, VI, 316. 200 Ibid., p 129 ; AK, VI, 313. 201 GOYARD-‐FABRE, Simone, Kant et le problème du droit, Paris, Vrin, 1975, 287 p.
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toujours intervenir contre lui pour cette unique raison qu’il a commis un crime »202 écrit ainsi
Kant. Ainsi le pardon, comme adoucissement ou suppression de la peine est invalide. On ne
peut révoquer, quelle que soit la situation, que « l’être humain ne peut jamais être traité
simplement comme un moyen utilisable en vue des buts d’autrui »203.
La justice s’applique correctement lorsqu’elle est débarrassée de toute considération
eudémoniste ou philanthropique qui sont de puissants moteurs à la volonté de pardonner.
S’opposer à la stricte application de la loi en pensant au bien du criminel revient à enfreindre
un impératif catégorique, comme l’indique la mise en garde de Kant : « La loi pénale est un
impératif catégorique, et malheur à celui qui s’insinue dans les sinuosités de la doctrine du
bonheur pour y découvrir quelque chose qui, par l’avantage qu’il promet, le délierait de la
peine ou même simplement viendrait l’atténuer d’un certain degré »204. Le philosophe
prévient toute tentative eudémoniste qui s’exprimerait dans le pardon en s’appuyant sur
« la sentence pharisienne : « Mieux vaut qu’un homme meure, plutôt que tout un peuple
vienne à être corrompu. »205 Cette condamnation apparaît déjà dans le paragraphe 49, au
cours duquel Kant rappelle que l’Etat ne consiste pas à assurer à ses citoyens le bien-‐être et
le bonheur. Le « salut de l’Etat206 »est contenu dans « la plus grande concordance entre la
constitution et les principes du droit »207. Contre Rousseau, Kant conçoit l’état de nature,
hypothèse de travail, comme un état où le bonheur est possible, notant par ailleurs que l’on
peut être tranquille et heureux dans un Etat despotique. La punition ne doit donc pas
répondre à cette logique eudémoniste, pas plus que l’on ne doit accorder le pardon dans
cette logique.
Ainsi, on a montré que le pardon n’est pas intégré dans la loi et, que, en s’opposant à elle, il
s’oppose à la justice. Le pardon est donc un acte grave, étant donné que« si la justice
disparaît, il n’y a plus aucune valeur dans le fait que des hommes vivent sur La Terre » 208rappelle Kant.
Ce refus du pardon ne semble admettre aucune exception, comme en
témoigne la vision kantienne de la peine de mort. Kant rejette le pardon qui se manifesterait
202KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p, p 152; AK, VI, 331. 203 Ibid., p 15;2 AK, VI, 331. 204Ibid., p 153; AK, VI, 332. 205 Ibid., p 153; AK, VI, 332. 206 Ibid., p 134; AK, VI, 317. 207 Ibid., p 134; AK, VI, 317. 208 Ibid., p 153; AK, VI, 332.
51
dans l’adoucissement de la peine ou l’abolition de la peine capitale. Comment expliquer
cette position qui nous surprend aujourd’hui, dans ce refus radical de pardonner ?
Il faut avant tout rappeler avec Michel Porret que, « jusqu’à la ¨révolution carcérale ¨
qui instaure à la fin du siècle des Lumières la prisons comme peine légale, en Europe l’usage
de l’échafaud est universel »209. Les bûchers de sorcière ont disparu vers 1670 et, au
XVIIIème siècle, ce sont la nature du crime, le degré d’horreur qu’il provoque et le statut
juridique du condamné qui fondent « la liturgie de l’exécution ».210Il faut donc replacer la
position kantienne dans son contexte, alors que la peine de mort est associée à la
souveraineté de l’Etat. Il est également nécessaire de comprendre que la pensée de Kant
constitue une réponse à l’ouvrage de Beccaria, dont il critique la « sensibilité sympathisante
qui caractérise une humanité affectée »211, paru en 1764 sous le nom de Des délits et des
peines. Kant y fait en effet explicitement allusion lorsqu’il présente son rejet d’un
quelconque adoucissement de peine et le maintien de la peine de mort.
Présentons le juriste italien pour mieux saisir le raisonnement de La doctrine du droit.
Beccaria a lu Hume, Helvétius et Rousseau. Sa réflexion sur les peines prend comme point de
départ, selon les mots d’Alain Renaut « une conception contractualiste de l’association
politique »212. Les hommes, en entrant dans l’état civil, confient leur liberté à un pouvoir
commun. Le souverain correspond à l’intermédiaire qui défend ces parts de liberté et punit
légitimement ceux qui s’approprient les leurs, ou celles des autres. Dès lors, la punition est
proportionnelle à la gravité de la faute, hors de toute volonté de nuire excessivement au
criminel. Ce qui importe tient dans l’efficacité de la sanction, qui doit prévenir toute récidive
et délit de la même nature. Dans ce cadre théorique, Beccaria entend prouver que « la peine
de mort n’est donc pas un droit»213 , « n’est ni utile ni nécessaire ». 214Il conteste que le
contrat social puisse contenir la peine capitale. Celui-‐ci ne peut contenir la possibilité de se
faire tuer, dès lors que la vie constitue le plus grand bien, et que le suicide est interdit par la
loi. A une première approche contractualiste succède une série d’arguments d’ordre
utilitariste : « Sous le règne tranquille des lois, dans une forme de gouvernement qui réunit
les suffrages de la nation, bien munie au-‐dehors et à l’intérieur de force et d’opinion,…je ne
209PORRET, Michel, Beccaria : le droit de punir, Paris, Edition Michalon, 2003, 125 p., p 93. 210 PORRET, Michel, Beccaria : le droit de punir, Paris, Edition Michalon, 2003, 125 p., p 94 . 211 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p.157; AK, VI, 335. 212RENAUT, Alain, Notes in KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p , p 186. 213PORRET, Michel, Beccaria : le droit de punir, Paris, Edition Michalon, 2003, 125 p, p 98, cite Des délits et des peines, p 48. 214 Ibid.
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vois aucune nécessité de détruire un citoyen » 215affirme Beccaria. Il n’est pas sérieux de
prétendre qu’un homme en prison représente encore une menace. Finalement, dans un
troisième temps Beccaria se penche sur la relation qui unit les citoyens à l’Etat et fait
apparaître le caractère nuisible de la peine capitale. Il rappelle en effet que « Ce n’est pas
l’intensité de la peine qui fait le plus grand effet sur l’âme humaine, mais son
extension »216, et que la démonstration de cruauté provoque du mépris pour celui qui l’a
met en œuvre.
A cette thèse, Kant oppose un premier argument que nous avons déjà noté, et qui
tient dans l’impossibilité de faire de la peine autre chose que sa propre fin. On l’a remarqué,
il est illégitime de viser le bien-‐être, même moral, d’un condamné ou de la société civile en
exerçant une forme de pardon qui consiste à épargner la peine de mort. Par-‐là, Kant ne
s’oppose pas seulement à Beccaria, mais bien à la pensée commune, qui pense la punition
ou le pardon comme un moyen en vue d’autre chose. C’est ainsi qu’il refuse le propos de
Muyart de Vouglan qui énumère les trois vertus habituellement conférées à la peine de
mort : « exterminer le méchant afin qu’il ne fasse plus de mal ;servir d’exemple et détourner
les autres de mal faire ; purger la société et la préserver de la contagion que le mélange des
méchants ne manquerait pas d’y répandre »217 : Kant contredit ainsi toute thèse qui, à
l’instar de celle de Beccaria pose qu’une peine est juste si elle est utile.
Un autre argument reprend le principe de la loi, qu’on a identifié comme la loi du talion. Il
faut se souvenir que « C’est proportionnellement à la méchanceté intime des criminels que
l’arrêt de mort est prononcé contre eux »218Si un homme se rend coupable de meurtre, il
faut nécessairement qu’il meure à son tour : « il n’y a aucun substitut possible qui puisse
satisfaire la justice »219affirme Kant. Il est en effet clair que la mort n’est par essence
l’équivalent d’aucune vie, même une vie en prison. L’égalité ne peut exister si, et seulement
si, le coupable est condamné à mort.
Cette égalité est stricte, et tout mauvais traitement est superflu, mais aussi condamnable. Il
faut bannir « tout mauvais traitement qui pourrait faire de l’humanité un objet d’horreur
215 AUDEGEAN, Philippe, La philosophie de Beccaria : savoir punir, savoir écrire, savoir produire, Paris, Vrin, 2010, 285 p, p 157, cite Des délits et des peines par 28 , p 231. 216 Ibid., p 159 cite le 2 DP par 28 p 231. 217 MUYART DE VOUGLANS, Les Lois criminelles en France dans leur ordre naturel, Paris, Mérigot le jeune, 1780, p 53. 218 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p, p 154 ; AK, VI, 333. 219 Ibid., p 154; AK , VI, 333.
53
dans la personne du supplicié » 220souligne Kant. Pour son bien ou non, le condamné ne doit
pas être traité comme un moyen.
Kant répond également à l’argument contractualiste. Contre Beccaria, Kant ironise sur la
situation dans laquelle un criminel jugerait sa peine absurde : « chacun lui rirait au nez s’il
venait à s’exprimer ainsi. »221 Chacun, en effet, s’accorde sur la légitimité de l’Etat à légiférer
et à punir. L’argument consiste donc à montrer qu’il n’y a pas d’identité entre l’homme en
tant que législateur, et l’homme coupable qui agit sous l’influence de ses passions. Il y a,
d’un côté, le « législateur saint »222 qui est homo noumenon, « pure raison juridiquement
législatrice »223et, de l’autre côté, l’homo phaenomenon, c’est-‐à-‐dire « quelqu’un qui est
capable d’être un criminel, par conséquent en tant qu’une autre personne. »224. Dès lors,
j’accepte effectivement d’être passible de la peine capitale lorsque je participe au contrat
social. Il est bien sûr absurde de dire que je désire une punition, et de plus le droit ne peut
se fonder sur « la promesse du malfaiteur. »225. Simplement, j’accepte les lois qui concernent
l’ensemble des contractants, dont les criminels.
Kant envisage cependant deux cas de figures où la légitimité de la peine de mort peut
effectivement être mise en question, ce qui pose pour nous la question de leur pardon. Ces
deux cas constituent l’infanticide et le meurtre au cours d’un duel, tous deux motivés par le
sentiment de l’honneur qui, précise Kant « s’impose à ces deux groupes de personnes
comme un devoir »226. Et comme la législation ne peut effacer le sentiment de l’honneur
bafoué qui est celui de la honte, plus fort même que la peur de la mort, il semble que « les
êtres humains se retrouvent en l’état de nature et que l’homicide, sans qu’il doive dès lors
nécessairement être désigné comme un meurtre, soit certes dans les deux cas bel et bien
punissable, mais ne puisse être puni de mort par le pouvoir suprême. »227. L’enfant conçu
hors du mariage est en quelque sorte conçu « hors-‐la-‐loi »228, ce qui pour Kant explique le
caractère indélébile de la honte. Dans le cas du duel, c’est « l’opinion publique des
compagnons qui partagent sa condition »229qui exige que l’affront soit lavé au cours d’un
duel « pour démontrer son courage guerrier, en tant que c’est sur celui-‐ci que repose pour 220 Ibid.,p 155; AK, VI, 333. 221 Ibid. p 156; AK, VI, 334. 222 Ibid., 157; AK, VI, 335. 223 Ibid., 157; AK, VI, 335. 224 Ibid.,p 157 AK, VI, 335. 225Ibid., p 158 AK, VI, 335. 226Ibid., p 158 AK, VI, 336. 227Ibid., p 158 AK, VI, 336. 228 Ibid., p 159 AK, VI, 336. 229 Ibid., p 159 AK, VI, 336.
54
l’essentiel l’honneur de sa condition, cela dût-‐il impliquer l’homicide de son adversaire »230.
Face à ces deux situations, Kant estime que « la justice pénale est ici placée devant de
sérieuses difficultés »231. Elle oscille en effet entre deux solutions inadéquates : légiférer
pour abolir le concept d’honneur, attitude trop cruelle, ou « dissocier du crime la peine de
mort qui s’y applique », choix cette fois trop laxiste. Il n’est donc pas question de résoudre la
difficulté en faisant le choix d’un pardon au moins partiel, qui adoucirait la peine et abolirait
la peine capitale. Cette décision serait démesurément indulgente, et comment ne pas y voir,
encore une fois, une mise en danger de la loi ? Plutôt que le pardon, Kant privilégie une
troisième voie. L’homicide d’autrui doit bel et bien être puni de mort, le principe reste
valable, ce que ne permettait pas le pardon. Il faut simultanément s’accorder sur le fait que
c’est la législation, la constitution civile, qui est responsable de la situation. En effet, c’est à
cause d’elle que « les mobiles de l’honneur ne consentent pas dans le peuple
(subjectivement) à s’accorder avec les mesures qui (objectivement) sont conformes au but
visé, de telle sorte que la justice publique procédant ici de l’Etat devient une injustice vis-‐à-‐
vis de celle qui procède du peuple. »232Ainsi, une nouvelle fois, le pardon n’est pas retenu
comme une solution assez élaborée pour être légitime et satisfaisante.
Il faut finalement nous pencher sur le droit de grâce, droit par
excellence que possède le souverain de pardonner. Kant envisage ainsi une exception à son
refus de pardon dans le droit de grâce. Ce droit, acte juridique par lequel un condamné se
voit dispensé d’effectuer sa peine ou bénéficie d’une peine plus douce, doit être traité avec
d’autant plus d’attention que la peine de mort existe toujours. Le droit de grâce peut en
effet annuler la peine de mort qui sanctionne les délits les plus graves, maintenue par Kant.
Il correspond dès lors à une exception remarquable, qui semble miner l’ensemble du
système juridique sans pardon admis par Kant, et le remettre en cause. Si Kant insère le droit
de grâce dans sa pensée, alors il semble qu’il soit l’exception qui infirme la règle qui exclut le
pardon, et non celle qui la confirme.
Le philosophe en est pleinement conscient, comme le montre l’extrême restriction
qu’il impose à la possibilité au souverain de pardonner dans le droit de grâce. Il est
formellement exclu dans le cas où la faute concerne « les crimes commis par les sujets les
230 Ibid., p 159 AK, VI, 336. 231 Ibid., p 159 AK, VI, 336. 232 Ibid., p 160; AK, VI, 337.
55
uns envers les autres »233. Légitimer l’inverse serait un signe d’impunité, et rien ne saurait
justifier l’impunité, pas même la volonté du souverain de réaffirmer son pouvoir. En effet, le
droit de pardonner en graciant constitue une arme politique cruciale. En l’utilisant le
souverain exhibe l’ampleur de son pouvoir, « l’éclat de sa grandeur »234. Il est le seul à
pouvoir se placer au-‐dessus du droit, et ainsi devenir un véritable hors-‐la-‐loi, sans que cela
ne soit jamais remis en question. Or, utiliser l’injustice comme arme politique ne saurait être
jamais être légitime, la justice constitue, comme on l’a vu, toujours une fin en soi. La seule
situation où le souverain est légitime à pardonner est le cas où il est lui-‐même la personne
lésée. Si le souverain est touché, c’est en effet « dans son corps, la garantie même du droit,
de l’Etat de droit et de l’Etat » 235 qui sont en même temps concernés. La possibilité pour le
souverain d’accorder le pardon n’est donc pas, dans ce cas précis, la destruction du droit
puisque, c’est le droit lui-‐même qui est touché. Derrière une apparente contradiction, se
cache en fait, comme le souligne Derrida dans l’interview publiée dans Le siècle et le pardon,
la possibilité d’un pardon réel. Lorsque il est accordé pour un crime commis contre un autre
sujet, le pardon est condamné à être injuste, toujours conditionné par une autre fin, qu’elle
soit politique pour le souverain, ou simplement pour la société. La décision de pardonner
créé dans ce cas une impunité qui répond à d’autres fins, alors que la justice doit être la
seule fin dont se soucie le souverain. Et lorsque le souverain applique le droit de grâce
légitimement, il ne doit oublier de prendre en compte la sécurité du peuple. Si cette dernière
est mise en danger, alors le roi doit se garder de gracier. Ainsi, ce droit, « le seul qui mérite le
nom de droit de majesté »236est extrêmement restreint.
Il faut en tout cas souligner à quel point cette conception du droit de grâce est
dépendante de la conception du rôle et des pouvoirs que Kant accorde au souverain. Ce
dernier pose que les pouvoirs dans l’Etat sont partagés entre la puissance législative, la
puissance exécutive et enfin la puissance judicaire, entre lesquels s’articulent une hiérarchie,
puisque seul le souverain peut changer la constitution : « Un changement dans la
constitution politique (quand elle contient des défauts), qui peut bien parfois être
nécessaire, ne saurait donc être opéré que par le souverain lui-‐même »237écrit le philosophe.
De cette remarques découlent de dangereuses conséquences : si le souverain réforme la loi
233 Ibid., p 160; AK, VI, 337. 234 Ibid., p 160; AK, VI, 337. 235 DERRIDA, Jacques, « Le siècle et le pardon », Foi et savoir Paris, Seuil, 2001, 133 p, p 107. 236 KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p, 160 p ; AK, VI, 337. 237 Ibid., p 139; AK, VI, 321.
56
c’est qu’il se place au-‐dessus, et donc qu’il risque se comporter en dictateur. C’est ainsi que
la limitation du droit de grâce se comprend comme une des limitations nécessaires au
pouvoir du souverain. De la sorte, le souverain ne peut être propriétaire « car sinon, il se
transformerait en une personne privée »238 et entrerait en conflit avec un autre individu. Le
souverain ne peut non plus reprendre l’emploi donné, ce qui préserve de la dictature, étant
donné que le souverain ne peut pas décider du sort des fonctionnaires si le peuple lui-‐même
ne peut le décider. Le droit de grâce correspond à une « limitation extrêmement sévère »239,
selon les mots de Philonenko. Le commentateur pointe du doigt, d’un côté la possibilité pour
le souverain de réformer la constitution et, de l’autre, la limitation du droit de grâce. Cela
signifie qu’il peut s’appuyer sur des lois morales pour expliquer ou justifier la réforme de la
constitution, mais en même temps qu’il ne peut « pratiquement pas transformer en
problèmes moraux les problèmes juridiques, ce qui est l’essentiel du droit de grâce »240.
L’analyse de Philoneneko peut se dire plus simplement : le souverain, parfois libre de se
placer au-‐dessus des lois juridiques, ne peut se placer au-‐dessus des lois morales, comme le
montre le droit de grâce. On comprend dès lors que c’est parce que cette forme particulière
de pardon ne fonctionne qu’en relation avec l’ensemble du système kantien qu’elle est
extrêmement limitée. Le pardon dans sa dimension juridique n’est pas conçue comme un
fait isolé ou autonome. L’admettre pleinement dans son caractère exceptionnel serait
admettre que des exceptions dans le système juridique, et intégrer des éléments
hétérogènes à la signification de celui-‐ci. Le pardon ainsi limité dans le droit de grâce peut
exister comme un élément actif, qui joue comme les autres dans le mécanisme rigoureux de
la pensée kantienne. Le droit de grâce nous renvoie plus largement au statut de la Doctrine
du droit, puisque celui-‐ci fait effectivement jouer loi juridique et loi morale. Ainsi le propos
de Philonenko trouve un écho particulier à travers le droit de grâce parlant de l’union de la
Doctrine du droit et de la Doctrine de la vertu. Leur union « signifie au moins la présence de
la morale à l’intérieur de la politique et du droit. » 241
Ainsi, Kant signale le danger de légitimer le pardon au sein de la sphère juridico-‐politique : le
droit de grâce est restreint, de façon à ne pas admettre la possibilité d’un pardon qui
autorise l’impunité et ruine le système juridique de l’intérieur.
238 Ibid., p 142; AK, VI, 324. 239 PHILONENEKO, Alexis, L’œuvre de Kant ; la philosophie critique, Tome II, Paris, Vrin, 1997, 292 p, p 255. 240 Ibid., p 255. 241 Ibid., P 261.
57
« Kant, une philosophie sans pardon ? » Il s’avère que le propos
kantien n’est pas réductible à un simple rejet, ou à l’absence de condamnation du pardon.
Le sens, la fonction et l’enjeu contenus dans la notion de pardon sont propres et ne se
déploient pas de la même manière dans la sphère religieuse, éthique, ou juridico-‐politique.
C’est pour cette raison que l’on ne peut se contenter d’une réponse hâtive, mais qu’il faut
rassembler les éléments d’une réponse nuancée.
Ainsi dans la sphère religieuse, le pardon ne doit pas être considéré comme un fait,
démontrable ou au contraire surnaturel. Il ne nous revient pas d’établir l’existence du
pardon divin, tout comme il ne nous revient pas d’établir l’existence de Dieu. Et si la
question du pardon de Dieu se pose, ce n’est pas seulement en tant que tout homme est
libre, donc responsable du mal qu’il commet face à un Dieu juge, capable de déchiffrer ses
intentions morales. Le pardon divin, comme élément de la réflexion kantienne sur la religion,
est surtout envisagé en tant qu’il peut être un élément de la religion morale. Le pardon est
condamné lorsqu’il ne joue pas comme un élément moral, dans la demande de pardon
motivée par la vision d’un Dieu miséricordieux tel qu’il est dépeint dans la religion
chrétienne, mêlé d’anthropomorphisme. Une telle vision entraîne des attitudes et des
comportements qui caractérisent la religion de simple culte. Ainsi, Kant fustige le sacrement
de l’extrême-‐onction et la prière adressée à Dieu pour recevoir un pardon, identique à une
aide surnaturelle. Gardons-‐nous cependant de conclure que Kant écarte le pardon divin,
comme élément hétérogène à la religion morale. Le pardon divin reçoit en réalité une
appréciation positive à condition d’être considéré comme un als ob, un comme si Dieu allait
pardonner, et ainsi nous aider à progresser moralement. Dès lors nulle relation réelle entre
Dieu et l’homme, nulle certitude possible d’être effectivement pardonné dans la philosophie
kantienne. La foi est absente de cette conception du pardon divin, conforme à la
subordination de la religion à la morale. Le pardon divin est donc retenu dans la sphère
religieuse, mais le philosophe lui assigne un sens bien particulier. Le pardon divin comme
instrument de notre moralité peut néanmoins susciter des questions. On peut douter, en
effet, de la véritable efficacité de ce pardon compris comme un als ob dans l’amélioration
58
morale d’un homme. Kant le souligne lui-‐même, l’homme a besoin d’être persuadé qu’il
reçoit réellement le besoin divin. La question reste en suspens : l’homme ne peut-‐il pas
davantage améliorer sa conduite morale apaisé et délivré du sentiment de culpabilité ?
Le sentiment de culpabilité ressenti par l’homme fautif constitue en effet un
sentiment extrêmement douloureux, comme nous l’avons constaté dans l’étude du pardon
dans la sphère éthique. A l’origine de la demande de pardon, on distingue la culpabilité, née
de la conscience morale, qui fait entendre son jugement infaillible de façon nécessaire et
constante. Kant ne condamne pas le sentiment de culpabilité ressenti à l’écoute de sa
conscience morale, écoute qui est un devoir moral indirect. Ce que le philosophe exclut,
c’est l’exacerbation de ce sentiment, l’entretien d’un déni de soi. Si Kant ne se prononce pas
explicitement sur la demande de pardon, on peut néanmoins poser que le philosophe
s’oppose à la demande qui ne traduirait que mépris entretenu de soi, mais non celle où se
dit le désir de tout mettre en œuvre pour progresser moralement. De fait, la possibilité du
pardon échangé entre les hommes se joue une nouvelle fois dans la compatibilité avec la
morale. Or, il s’avère que l’acte de pardon ne s’accorde pas avec la morale. D’emblée, on
constate que le pardon s’oppose à la première formulation de l’impératif catégorique, ce qui
signifie que l’universalisation du pardon aurait des conséquences désastreuses. Le refus du
pardon entre les hommes s’exprime avec une netteté plus grande encore lorsqu’il s’applique
au pardon échangé par amour ou par compassion. Kant n’admet aucun devoir d’amour, à
l’exception du devoir de bienveillance qui ne contient pas le pardon. Il s’agit simplement de
désirer l’amélioration morale de l’homme, sans qu’il ne soit pour autant question de
pardonner. L’amour comme affect, autant que la compassion mue par l’imagination ne
s’accordent avec la raison pratique. Mais, cette fois encore, il ne faut établir hâtivement
l’exclusion du pardon de la sphère éthique. Kant, en effet, établit un devoir de pardon. La
contradiction apparente avec le reste de la pensée kantienne s’efface dès lors que l’on
comprend que ce pardon se réduit au refus de vengeance, passion d’autant plus dangereuse
qu’elle s’apparente au désir, légitime, de justice. Si Kant accorde donc une place au pardon,
entendu dans un certain sens, dans son système éthique, il apparaît en revanche que le
pardon intérieur, que l’homme s’accorde à lui-‐même, est bel et bien exclu. Non seulement
ce qu’on prend pour réconciliation intérieure peut être un mensonge intérieur masqué, mais
surtout, le fonctionnement de la conscience, comparable à un tribunal, n’admet pas le
pardon.
59
La comparaison avec le tribunal signale l’exclusion du pardon de la sphère juridico-‐
politique. Il n’est plus question dans cette sphère du respect de la loi morale contre l’amour
du prochain. L’enjeu de la question de l’intégration dans la sphère juridico-‐politique est
l’existence même des hommes dans un Etat de droit. Accepter le pardon revient de fait à
contredire la loi, dans la mesure où le pardon ne s’accorde pas avec le principe de la loi, et
annule son application. Car le principe de la loi tient dans la stricte égalité, détruite par le
pardon, également associé à l’annulation ou à l’adoucissement de la peine. Si l’on légitime le
pardon, on légitime alors l’impunité et la fragilisation de la loi, garantie d’un Etat de droit,
sans laquelle l’homme perd son humanité. La stricte égalité doit donc être maintenue,
comme en témoigne la défense du philosophe de la peine de mort. Sa prise de position, dans
sa radicalité, nous donne à voir l’exclusion intransigeante du pardon dans la sphère juridico-‐
politique, qui ne s’applique pas même aux meurtres pas honneur que Kant estime
problématiques. Le droit de grâce lui-‐même, droit de pardon accordé au seul souverain, est
extrêmement réduit par Kant. C’est seulement lorsque le souverain lui-‐même est victime
qu’il peut user de ce droit qui le place en situation de hors-‐la-‐loi, ce qui engage la possibilité
d’un véritable pardon.
Ainsi, on peut tout à la fois affirmer que la philosophie de Kant intègre et exclut,
condamne et prône le pardon. Il s’agit, pour résoudre les contradictions apparentes, de
s’attacher aux sens précis que Kant assigne aux différentes formes de pardon.
60
BIBLIOGRAPHIE
I -‐ OUVRAGES DE REFERENCE
A -‐ DICTIONNAIRES DE PHILOSOPHIE
CANTO-‐SPERBER (coll.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, article : « pardon »,
Paris, P.U.F, 2004, 2199 p.
JACOB, André (coll.), Encyclopédie philosophique universelle, Les notions philosophiques II,
article : « pardon », Paris, P.U.F, 1990, 3297 p.
B -‐ LEXIQUE ET ENCYCLOPEDIE SUR L’ŒUVRE KANTIENNE
EISLER, Rudolf Kant-‐Lexikon, articles : « Amour », « Bienfaisance », « Bonne volonté »,
« Christianisme », « Compassion », « Conscience », « Dévotion », « Dieu », « Éthique »,
« Mal », « Pitié », « Prière », « Punitions », « Religion », « Réparation » Paris, Gallimard,
1994, 1082 p.
JACOB, André (coll.), Encyclopédie philosophique universelle, Les œuvres philosophiques, III,
articles : « Critique de la Raison pratique », « La religion dans les limites de la simple
raison », « La Métaphysique des mœurs », « Anthropologie d’un point de vue
pragmatique », Paris, PUF, 1992, 2190 p.
C -‐ DICTIONNAIRE DE THEOLOGIE
61
EICHER, Peter (coll.), Nouveau dictionnaire de théologie, article : « Pénitence/pardon »,
Paris, Edition du Cerf, 1996, 1136 p.
GISEL, Pierre, Encyclopédie du protestantisme, article : « Pardon », Paris, Genève, Edition
Labor et Fides,1995, 1710 p.
LACOST, Jean-‐Yves (dir.), Dictionnaire critique de théologie, article : « Miséricorde »,
« Pénitence », Paris, P.U.F, 2007, 1587 p.
Le TOURNEAU, Dominique, Les mots du Christianisme catholicisme, orthodoxie,
protestantisme, articles : « Pardon », Paris, Bibliothèque de culture religieuse, Fayard, 1995,
742 p.
D]-‐ OUTIL DE TRAVAIL
La Bible de Jérusalem, Paris, Edition du Cerf, 2000, 2175p.
II -‐ ŒUVRES DE KANT
[Pour plus de clarté, les ouvrages utilisés dans plusieurs parties sont cités plusieurs fois. Ils
apparaissent par ordre alphabétique, la version traduite en français d’abord, puis la version
originale allemande.]
A –CITEES DANS LE I POUR L’ETUDE DU PARDON DANS LA SPHERE RELIGIEUSE
KANT, Emmanuel, Critique de la raison pratique, Paris, P.U.F, 1993, 192 p.
KANT, Emmanuel, Kant’s gesammelte Schriften, tome V, Kritik der praktischen Vernunft, Berlin, G.
Reimer puis W. de Gruyter, 1913, 544 p.
KANT, Emmanuel, Critique de la raison pure, Paris, PUF, 2004, 584 p.
62
KANT, Immanuel, Kant’s gesammelte Schriften, KANT, Emmanuel, Critique de la raison pure,
Paris, PUF, 2004, 584 p., Kritik der reinen Vernunft, Berlin, G. Reimer puis W. de Gruyter,
1968, 552 p.
KANT, Emmanuel, La religion dans les limites de la simple raison, Paris, Vrin, 2010, 329 p.
KANT, Immanuel, Kant’s gesammelte Schriften, tome VI, Die Religion innerhalb der Grenzen
der blossen Vernunft, Berlin, G. Reimer puis W. de Gruyter, 1914, 549 p.
B -‐ CITEES DANS LE II POUR L’ETUDE DU PARDON DANS LA SPHERE ETHIQUE
KANT, Emmanuel, Anthropologie du point de vue pragmatique, Paris, Flammarion, 349 p.
KANT, Immanuel, Kant’s gesammelte Schriften, tome VII, Anthropologie in pragmatischer
Hinsicht, Berlin, G. Reimer puis W. de Gruyter, 1968, 333 p.
KANT, Emmanuel, Critique de la raison pratique, Paris, PUF, 1993, 192 p.
KANT, Emmanuel, Kant’s gesammelte Schriften, tome V, Kritik der praktischen Vernunft,
Berlin, G. Reimer puis W. de Gruyter, 1913, 544 p.
KANT, Emmanuel, Fondements de la métaphysique des mœurs, Paris, Vrin, 2008, 206 p.
KANT, Immanuel, Kant’s gesammelte Schriften, tome IV, Grundlegung zur Metaphysik der
Sitten, Berlin, G. Reimer puis W. de Gruyter, 1968, 565 p.
KANT, Emmanuel, Leçons d’éthique, Paris, Le livre de poche, 2007, 285 p.
KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p.
KANT, Immanuel, Kant’s gesammelte Schriften, tome VI, Die Metaphysik der Sitten, Berlin,
G. Reimer puis W. de Gruyter, 1914, 549 p.
C -‐CITEES DANS LE III POUR L’ETUDE DU PARDON DANS LA SPHERE JURIDICO-‐POLITIQUE
KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion, 1994, 411 p.
63
KANT, Immanuel, Kant’s gesammelte Schriften, tome VI, Die Metaphysik der Sitten, Berlin,
G. Reimer puis W. de Gruyter, 1914, 549 p.
KANT, Emmanuel, Théorie et pratique, Paris, Flammarion, 1994, 1990 p.
III -‐ ECRITS CRITIQUES SUR KANT
A -‐ SPHERE RELIGIEUSE
BRUCH, Jean-‐Louis, La philosophie religieuse de Kant, Paris, Aubier, Edition Montaigne, 1968,
283 p.
DISPERSYN, Eléonore, « Du Mal radical au salut dans la religion dans les limites de la simple
raison : une instabilité créatrice », dans Revue philosophique de Louvain, 109/3, Peeters,
août 2011.
LEBRUN, Gérard, Kant et la fin de la métaphysique : essai sur la « Critique de la faculté de
juger », Paris, Armand Colin, 2003, 798 p.
NAAR, Monique, Introduction in, KANT, Emmanuel, La religion dans les limites de la simple
raison, Paris, Vrin, 2010, 329 p.
B -‐ SPHERE ETHIQUE
AVIAU DE TERNAY, Henri, Traces bibliques dans la loi morale chez Kant, Paris, Beauschene,
1986, 296 p.
DECKENS, Olivier, Comprendre Kant, Paris, Armand Colin, 2011, 191 p.
FERRARI, Jean, L’année 1793 : Kant, sur la politique et la religion, acte du 1er Congrès de la
Société d’études kantiennes de langue française, Paris, Vrin, 1995, 269 p.
64
LEQUAN, Mai, La philosophie morale de Kant, Paris, Seuil, 2001, 509 p.
SCHELER, Max, Le formalisme en éthique et l'éthique matériale des valeurs : essai nouveau
pour fonder un personnalisme éthique, Paris, Gallimard, 1991, 640 p.
C -‐ SPHERE JURIDICO-‐POLITIQUE
FERRARI, Jean, L’année 1793 : Kant, sur la politique et la religion ; acte du 1er Congrès de la
Société d’études kantiennes de langue française, Paris, Vrin, 1995, 269p.
GOYARD-‐FABRE, Simone, Kant et le problème du droit, Paris, Vrin, 1975, 287 p.
RENAUT, Alain, Notes in KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, Paris, Flammarion,
1994, 411 p.
PHILONENEKO, Alexis, L’œuvre de Kant ; la philosophie critique, Tome II, Paris, Vrin, 1997,
292 p.
THEIS, Robert, SOSOE, Luka, Les sources de la philosophie kantienne au XVIe et XVIIIe siècles :
acte du 6ème Congrès international de la Société d’études kantiennes de langue française,
Paris, Vrin, 2005, 382 p.
VILLEY, Michel, Introduction in KANT, Emmanuel, Métaphysique des mœurs, t.1, Doctrine du
droit, Paris, Vrin, 1993, 280 p.
IV -‐ PHILOSOPHIE ET PARDON
A – ETUDES SUR LE PARDON
DERRIDA, Jacques, « Le siècle et le pardon », Foi et savoir Paris, Seuil, 2001, 133 p.
GOUHIER, Alain, Pour une Métaphysique du pardon, Paris, Edition de l’Epi, 1969, 622 p.
65
ROUSSET, Bernard, « La possibilité philosophique du pardon, Spinoza, Kant, Hegel dans le
Pardon », Le Point théologique, numéro 45, 1987.
B -‐ DANS LA PHILOSOPHIE DE BECCARIA
AUDEGEAN, Philippe, La philosophie de Beccaria : savoir punir, savoir écrire, savoir produire,
Paris, Vrin, 2010, 285 p.
BECCARIA, Caesare, Des délits et des peines, Paris, Flammarion, 2006, 187 p.
PORRET, Michel, Beccaria : le droit de punir, Paris, Edition Michalon, 2003, 125 p.