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�entin LeGuennec

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Chapitre 1

Le Velours Bleu

«J’ai découvert que si on regarde d’un peu plus près cemonde magnifique, on trouve toujours des fourmisrouges dans ses profondeurs. »–David Lynch

Un homme dans un costume chic, comme on envoit rarement à Rabbit Hole, se tenait devant moi. Ilarborait un tailleur noir, une chemise blanche et unecravate rouge, ostensiblement et en parfait accordavec sa taille imposante, qui devait approcher les

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deux mètres. Ses oreilles élancés et abruptes, sur lesommet de son crâne, lui rajoutaient au minimum 30centimètres, et ses grandes moustaches immaculéeslui donnaient une mine austère.

« Je me présente, Monsieur Stanley, commença-t-il. Nous avons eu peine à vous contacter, MadameBrown. Quel intérêt avez-vous de dissimuler ainsivos pistes? »

La pièce était éclairée d’une lumière instable, clig-notante, et des tâches de moisissure apparaissaientsporadiquement sur les murs. Rabbit Hole peut êtrefière de ses salles d’interrogatoire. . .

« Désolé de vous décevoir, mais contrairement àce que vous semblez impliquer, je n’ai rien à cacher,Monsieur Stanley. »

Cette situation m’inquiète. Ma fourrure est trem-pée de sueur, j’espère que le type ne l’a pas remarqué.

« Avez-vous de la famille, Madame Brown? de-manda Monsieur Stanley.

- J’ose imaginer que vous vous êtes renseignés àmon sujet avant de mon convoquer à cet. . . inter-rogatoire. Non, je n’ai aucun parent vivant. En fait,

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d’après mes souvenirs, je n’ai même jamais connu defamille.

- J’ai en effet mené une enquête. Vous avez raisonen affirmant que vous n’avez pas de famille. Votregrand-mère est décédée hier.

- Non, c’est. . . c’est impossible. Vous devez faireerreur, bégayai-je.

- Je crains que ce soit la vérité, Madame Brown.Mais je ne me suis pas déplacé en cet endroit miteuxpour annoncer un deuil. Vous aurez bien le temps depleurer dans les jours à venir. J’ai connu votre père.Un homme respectable, croyez-moi. Il possédaitun hôtel aux confins de la ville. Hélas pour votrefamille, l’établissement ne générait pas énormémentde revenus. Il était dégradé, et votre père, HollisBrown, n’avait plus d’argent pour le rénover. Ilcroulait sous les dettes et l’hôtel croulait sous lesruines. Plutôt ironique en comparaison à son nom,Le Velours Bleu.

- Que lui est-il arrivé? Pourquoi a-t-il acheté cethôtel s’il n’avait pas les moyens de l’entretenir?

- Je ne suis pas en mesure de vous révéler ces infor-4 15

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mations, je le crains. Toujours est-il que nous avonsdécidé de louer l’hôtel.

- « Nous » ? À qui faites-vous référence?- Cessez de poser des questions et écoutez moi. «

nous » agissons pour le bien de Rabbit Hole, plusprécisement pour ses habitants. Je vais maintenantvous réveler la raison de votre présence içi. Votregrand-mère, après la mort de votre père, a hérité del’hôtel. C’est maintenant à votre tour de le posséder.»

Le chemin fut long jusque l’hôtel. Monsieur Stan-ley a insisté pour m’y conduire. Je comprends main-tenant pourquoi l’hôtel n’a pas eu de succès. Ilressemble à un asile psychiatrique abandonné enruines. Je ne suis jamais allé dans ce coin de RabbitHole. C’est amusant de constater que là où la villeest la moins dense, la végétation a repris ses droits. Jen’ai jamais vu d’arbres aussi hauts, et derrière l’hôtelsurgit une forêt dense.

« Voici Le Velours Bleu, Madame Brown, je vousen prie, dit-il en m’ouvrant la porte. »

Je sentis un choc sur mon crâne. Puis plus rien.5 15

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Chapitre 2

La chambre 47

C’est un monstre. Quand il se lève, son ombre serépand dans la sale et sa silhouette est la forme latentede la réalité lorsque l’on se réveille en sursaut d’uncauchemar. Il ne parle jamais, m’ignore. Quandil ne regarde pas la télévision, il se masturbe ou sepique. Pourquoi suis-je ici? Pourquoi tout le mondes’acharne-t-il sur moi?

Tous les jours, quelqu’un glisse deux assiettes parla trappe de la porte, et tous les jours il vole la mi-enne. Je suis affamé. La plupart du temps, je m’assois

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dans un coin de la chambre, le plus loin de lui pos-sible, et j’essaie de dormir. Il n’y a même pas delit - juste un fauteuil, et le type est toujours assisdessus. Les murs sont vert clair et la moquette ausol est bordeau. Je n’ai pas vu le jour depuis que jesuis ici (combien de temps cela fait-il?), et les seulessources de lumière sont l’éclairage de la télévision,une lampe à chevet près du fauteuil et une lampehalogène aveuglante. Il porte un costume chic noiret blanc et une cravate rouge.

J’entends les battements de mon cœur détruire macage thoracique sous le poids de l’angoisse. Parfois, ilrit, pour aucune raison, pendant plusieurs minutes,et je me bouche les oreilles pour ne pas l’entendre.

Je voudrais pouvoir m’évader, mais je ne trouveaucun moyen. Je voudrais pouvoir rêver. . . Mais jene peux pas, quelque chose chez ce connard m’enempêche.

Ce matin, je me suis réveillé seul.

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Chapitre 3

Tony Miller

« J’espère sincèrement que vous comprenez. Tonyest un enfant. . . différent. Il n’a pas eu une viefacile, vous savez. Il a commencé à manifester sesexcentricités il y à peu près un an. Il avait 11 ansà l’époque. Une nuit, j’ai entendu la fenêtre de sachambre s’ouvrir, j’ai réveillé mon mari et lui aidemandé d’aller voir se qui se passait. Il avait disparu.On est parti à sa recherche et. . . Madame Millerfondit en larmes.

- Que lui était-il arrivé? dîtes moi, madame Miller,8 15

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nous avons besoin de tous les indices possibles.- Il avait acheté avec son argent de poche un

déguisement de super-héros, ou quelque chose dansle genre. Une cape rouge et un costume bleu, quirecouvrait tout son corps, sauf ses yeux, ses oreilleset ses moustaches qui dépassaient. Et il courraitsur les toits du quartier. Quand mon mari et moil’avons aperçu, à quelques patés de maisons d’ici,nous étions affolés. Nous l’avons appelé, mais il n’amême pas eu l’air de nous reconnaitre. Nous avonsdû appeler la police car il ne voulait pas s’arrêter. Ilsautait d’immeuble en immeuble. Je ne savais pasqu’il pouvait être capable d’une telle agilité. Unseul faux pas et il aurait possiblement fait une chuted’une centaines de mètres et ce serait retrouvé dansles bas fonds de Rabbit Hole. . . Oh, je vous en prieMadame Brown, vous devez mettre tous les moyensà votre disposition pour le retrouver, lui implora-t-elle.

- Nous faisons notre possible, madame. Vous savezque nombre d’enlèvements ont été constatés à RabbitHole ces derniers mois. La police ne sait plus où

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donner de la tête. Quelles mesures avez-vous prisesaprès cette nuit? A-t-il recommencé à fuguer?

- Et bien, mon mari et moi lui avons donné unebonne correction. Nous l’avons enfermé dans sachambre pendant une semaine sans lui donner àmanger. Nous lui donnions seulement de l’eau detemps en temps. Nous pensions qu’il avait comprisla leçon, mais une nuit, l’hôpital nous appelés, monmari et moi, pour nous alerter que Tony était chezeux. Ils l’avaient retrouvé en sang, le visage défiguréet couvert de bleus, dans une ruelle des bas-fonds. . .Les docteurs ont fait passer des tests psychiatriquesà Tony, mais il ne leur a jamais parlé. C’est commesi. . . Comme s’il était dans une autre réalité que lanotre. Il est très intelligent et sensible, vous savez. »

Quelle histoire. . . Quand je me rappelle cetteconversation, je me demande vraiment lequel desparents ou du gosse est le plus taré. Des gens tarésà Rabbit Hole, ce n’est pas ça qui manque, bien sûr,mais un gosse qui se prend pour un super-héros, c’estune première dans ma carrière. Remarque, ça changedes drogués. Merde, mon téléphone sonne. C’est

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mon boss.« Judith Brown.- Un homme est ici et veut te parler. Ça a l’air

sérieux. Un mec de la mairie, apparemment. Bref,ramène-toi vite.»

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Chapitre 4

L’appel du coyote

Nombres d’images indésirables traversaient l’espritde Hollis Brown. Sa vision était d’autant plus brouil-lée par les cernes qui lui creusaient les yeux, et iltanguait au rythme d’une valse lancinante. Le sangs’égouttait de son poing serré, et son visage com-primé par la douleur vomissait une lueur jaunâtre.Sa cage thoracique était stimulée par des sifflementssuraigus occasionnels et il trébucha pour essayer dereprendre son souffle. Il apposa son oreille contre

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le sol. Il entendait le supplice des rouages des usinesde Rabbit Hole, qui même de nuit exerçaient leurlabeur. La forêt, légèrement éclairée par les lucioles,contemplait de haut son rejeton. Hollis sombra. Auloin dans le désert, un coyote froid hurla.

C’était la dernière fois qu’Hollis entendait ses fillesfaire crisser la balancelle sur le perron de la ferme.

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Chapitre 5

Il vivait à l’extérieur dela ville

La première image que je fus capable de constater futl’homme en costume assis sur un fauteuil se tenantdevant moi. Puis ma mémoire revint peu à peu enplace. Ma grand-mère, morte. L’hôtel. Je me trou-vais dans une chambre d’hôtel. Et le type devant moiétait le même homme qui m’avait conduit jusqu’ici.En me tâtant l’arrière du crâne, je constatai que du

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sang y avait séché et ma fourrure était poisseuse.« Que. . . Que s’est-il passé?- Judith. Je suis rassuré que vous vous soyez réveil-

lée. Vous vous êtes évanouie, semblerait-il, réponditMonsieur Stanley.»

J’essayai de me relever, mais ce fut impossible tantj’étais étourdie.

« Je voudrai sortir maintenant. Je ne veut pas decet hôtel. Je vous le donne.

- Je crains que ce soit impossible, Judith.- Pourquoi? Qu’est-ce que je fais ici? puis j’hurlai:

LAISSEZ-MOI SORTIR!- Je vous aime bien, Judith. Je n’ai normalement

pas le droit de communiquer avec vous, mais vousne direz rien à personne, n’est-ce pas? Vous êtes iciparce que vous êtes complètement folle. Pensez-vousréellement que des humains à tête de lapin vivent àRabbit Hole? »

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