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JOURNÉE DE DÉMONSTRATION SUR LES
ENGRAIS VERTS - Victoriaville, 19 octobre 2010
Organisée par le Centre d’expertise et de transfert en
agriculture biologique et de proximité (CETAB+)
Animée par M. Denis La France, enseignant, chargé de
projet
Compte-rendu par Catherine Goulet, chargée de projet pour le G.R.A.IN. des
Hautes-Laurentides
La journée de démonstration était divisée en 2 volets : L’avant-midi était plus
spécifiquement consacré aux engrais verts en horticulture alors que des visites d’engrais
verts sur des fermes de grandes cultures étaient au programme de l’après-midi. Les
informations recueillies ici sont celles étant le plus susceptibles d’être utiles aux
producteurs de grandes cultures de notre région.
Avant-midi
Bien que les parcelles de démonstration du jardin de la ferme-école du Cégep de
Victoriaville étaient spécialement conçues pour une ferme d’horticulture, plusieurs
informations pertinentes aux grandes cultures ont pu être tirées de l’animation généreuse
de Monsieur La France. Ces parcelles ont été mises en place par Monsieur
Ghislain Jutras, enseignant au Cégep.
INFO EN VRAC
L’intégration d’engrais verts dans la rotation est une technique de base pour
remettre les sols en état. Les graminées sont les engrais verts idéals pour améliorer
la structure.
Sous les climats du Québec, les sols ont naturellement tendance à accumuler la
matière organique. Pour que les cultures profitent des nutriments qu’elles contiennent,
il faut DÉTRUIRE la matière organique. Enfouir de la matière organique jeune
(facilement dégradable) permet d’activer les microorganismes pour enclencher le
processus de minéralisation.
Il est préférable de herser (ou d’enfouir) l’engrais vert le plus tard possible à
l’automne (lorsque la température du sol descend sous 10oC) pour éviter une
décomposition et une minéralisation de la biomasse verte avant la saison morte et le
lessivage des nutriments.
À partir du mois d’août, chaque semaine de retard du semis d’un engrais vert
équivaut à une diminution du développement de l’engrais vert pouvant atteindre
1 tonne de MS. Pour compenser, on peut augmenter le taux de semis, par exemple,
pour une avoine semée en septembre, de 40 kg/ha pour chaque 10 jours qui passent.
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Si on a le temps, il peut être bénéfique de laisser pousser au printemps (un engrais
vert vivace, par exemple, la vesce velue) si le semis a été fait trop tardivement pour
atteindre une biomasse optimale à l’automne.
Il est quand même profitable de semer un engrais vert tard, car il y a structuration
du sol par les racines même si la
biomasse aérienne est plus faible. À la question « Quelle est la date
limite pour semer un engrais vert? »
M. Denis La France répond qu’il a
déjà vu du seigle d’automne semé le
10 novembre passer l’hiver.
Cependant, dans le Sud du Québec,
le 30 septembre semble une date
limite pour une céréale, sauf pour un
seigle d’automne. Un participant du
Lac St-Jean témoigne que du trèfle
semé le 10 septembre sur sa ferme a
très bien couvert l’année suivante.
15 % à 17 % de l’azote fixé par les légumineuses est injecté dans le sol en cours
de croissance (par la mort des racines). Cet azote peut être directement utilisé par
une culture abri de céréale par exemple. Le reste se trouve DANS LES TISSUS (et
non pas dans les fameux nodules). Après la vente d’une légumineuse à graines, dans
le soya par exemple, il ne reste presque rien au champ. L’azote fixé a pratiquement
toute été exporté; le soya est exportateur net d’azote. Dans un engrais vert
incorporé au sol, l’azote est au contraire remis en circulation dans le système.
Pour la destruction d’un engrais vert de graminées hautes, le cultivateur ou le
chisel risquent de bourrer. Les outils à disques (ou encore la charrue) sont plus
appropriés. Le offset peut aussi bien faire, mais il faut faire plus attention aux
conditions d’humidité, car il est plus lourd. Faucher avant l’enfouissement peut être
pertinent si un engrais vert de sarrasin vient en fleur et risque de reprendre après sa
destruction; sinon la fauche est une pratique coûteuse pour rien. Note : Le sarrasin
qui gèle facilement n’est pas adapté en engrais vert d’automne, car il laisse le sol à nu
longtemps et le chiendent en profite pour se renforcer.
Au Québec, l’épandage d’été avant un engrais vert est idéal, car le sol est sec et
portant. Souvent, on peut épandre tous les besoins de la culture suivante. Les
nutriments seront retournés au sol avec la minéralisation de l’engrais vert et on peut
calculer l’apport comme s’il n’y avait aucune perte hivernale. On devrait idéalement
déchaumer et semer l’engrais vert aussitôt que la culture est récoltée.
Après 2 mois de croissance, le seigle mesure
environ 15 cm, avec autant de racines.
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PARCELLE 2 : Mélange Avoine (60 kg/ha) -
Vesce commune (25 kg/ha) – pois (20 kg/ha) -
Féverole (30 kg/ha). Semis mi-août.
Avec l’automne froid que nous avons eu, l’avoine a
pris le dessus, mais lorsqu’elle gèlera, la vesce
prendra le relais et continuera de pousser jusqu’à
tard (la vesce gèle au mois de janvier). C’est là
l’INTÉRÊT DES MÉLANGES D’ENGRAIS VERTS. La
céréale sert de plante abri à la légumineuse qui est
souvent plus lente à s’établir (il faut compter un
minimum de 60 kg/ha de céréales dans le mélange). Ajouter une crucifère et/ou une
céréale à un engrais vert de sarrasin est également une bonne façon de prolonger la
couverture au-delà du premier gel.
Un mélange d’engrais verts permet aussi une couverture plus uniforme dans un champ
où les types et les conditions de sol sont variables; chaque espèce dominera dans le
type de sol qui lui convient. Une diversité d’engrais verts nourrit également des flores
différentes, ce qui augmente la biodiversité dans le sol de façon à créer un certain
équilibre de force avec les pathogènes qui ne seront alors pas libres de coloniser.
Diversifier les engrais verts utilisés est surtout important sur une ferme de grandes
cultures sans prairies.
DE FAÇON PRATIQUE : Pour semer un mélange d’engrais verts, on mélange les grosses
graines et les petites graines chacun dans sa boîte, et on arrête de temps en temps pour
brasser pour éviter qu’il se crée des canaux préférentiels. La valorisation des pertes de
battage de grains mélangés est également une façon peu coûteuse d’intégrer un mélange
d’engrais verts avec légumineuse dans le système (voir encadré page suivante « Pour des
engrais verts peu coûteux »).
PARCELLE 8: Luzerne – fléole - trèfle blanc
On peut semer le trèfle blanc à un taux très faible en août, car le plant fera des stolons et
fournira quand même une bonne couverture l’année suivante. M. La France soutient qu’il
peut être avantageux de semer du trèfle blanc malgré son prix plus élevé (par rapport au
trèfle rouge) puisque le taux de semis peut être beaucoup plus faible (2 kg/ha vs
8-10 kg/ha pour le trèfle rouge). Aussi, les semences de trèfle blanc sont plus petites et
une poche de trèfle blanc équivaut à environ 3 poches de trèfle rouge quant au
nombre de graines.
Vesce velue : Racines développées, très structurantes (mais très compétitives). Même si peu de
plants survivent à l’hiver, chaque plant couvre beaucoup au printemps. Vesce commune : Ne passe pas l’hiver mais gèle très tard.
Mélilot : Ne pousse pas en terre acide.
Trèfle incarnat : Bonne adaptation au froid, pousse très tard à l’automne. Inoculant difficile à
obtenir.
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Doit-on inoculer un engrais vert de légumineuses? C’est surtout important si la plante
n’est pas cultivée fréquemment sur la ferme. Autrement, l’inoculum demeure dans le sol
d’année en année et la nodulation de la légumineuse devrait être bonne sans inoculation
supplémentaire. Il faut tenir compte de l’espèce de légumineuse dans le choix de
l’inoculum.
PARCELLE 10 : Seigle d’automne (80 kg/ha) - semé le
15 août.
Les céréales d’automne ne font pas beaucoup de feuilles
mais beaucoup de racines à l’automne. Selon
M. La France, en grandes cultures ça vaut la peine de
labourer un seigle en automne (le plus tard possible)
même si la biomasse aérienne ne semble pas si
importante. Le seigle passe moins bien l’hiver en sol
lourd alors les risques de repousse au printemps sont
faibles si on laboure à l’automne. En plus, les risques
d’érosion sont fortement réduits, car les racines tiennent
la terre.
POUR DES ENGRAIS VERTS PEU COÛTEUX
- Faire lever les pertes de battage. Il s’agit de
faire un passage rapide de herse
perpendiculairement à la culture (ou en oblique)
TOUT DE SUITE APRÈS LA RÉCOLTE. On
peut compléter avec le semis à la volée d’une autre
espèce, mais généralement, une fois réparties
uniformément, les pertes de battages sont
suffisantes pour assurer une bonne couverture
d’engrais vert.
- Demander aux fournisseurs s’ils ont des restes de semences ou des mélanges non vendus (erreur
de production pour l’alimentation animale par
exemple) que vous pourriez obtenir à faible coût.
- SYSTÈME AVEC FOIN : Laisser mourir au champ la 3e coupe en EV augmente
significativement le rendement l’année suivante. On peut aussi faire de l’engrais vert de
foin en culture maraîchère. Après une fauche, les racines meurent et cela bâtit la
structure. Il faut idéalement faucher sans andains, sinon il est possible de faire de
« l’ensilage en champ » (hacher le foin et le redistribuer uniformément).
Repousse de pertes de battage de grain
mélangé dans l’andain (non-réparties)
Un seul plant de seigle et son
système racinaire
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Après-midi
Malheureusement, les propriétaires des fermes visitées n’étaient pas toujours là pour
témoigner de leurs pratiques. M. La France a assuré l’animation pour ces fermes.
FERME ÉLIRY (ferme laitière avec chèvres, semis direct, non bio)
Retour d’avoine (175 kg/ha) avec trèfle rouge intercalaire semé au stade 2 feuilles (8 kg/ha).
Azote fourni par cet engrais vert : 60 kg/ha
Un essai a été réalisé sur cette ferme pour comparer le semis d’un engrais vert (triticale et
pois) après une récolte d’avoine, avec ou sans passage préalable du Aerway. Même si le
Aerway est un instrument surtout utilisé en semis direct, les résultats (photos ci-bas)
démontrent bien l’action d’un brassage de la terre sur l’activité biologique du sol. La
minéralisation plus importante qui en découle profite grandement à l’engrais vert qui suit.
Différence d’un EV semé tout de suite après la récolte (sans brassage) vs avec passage du Aerway
Selon M. La France, un brassage de la terre équivaut pratiquement à une
fertilisation, et c’est vrai aussi pour le binage en cours de croissance. En travail
conventionnel, le déchaumage avec un cultivateur, un chisel ou une herse à disques avant
le semis de l’engrais vert peut avoir le même effet.
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FERME JOËL DESROCHERS (Régie conventionnelle)
Moutarde semée entre les andains de céréales
Dans ce champ, les pertes de battage n’ont pas été redistribuées mais un engrais vert de
moutarde a été semé entre les andains. Du Round Up a été épandu sur l’engrais vert une
semaine auparavant par peur de propagation de la moutarde par les graines. M. La France
souligne ici la non-pertinence de cette pratique puisque LES CRUCIFÈRES NE FONT
PAS DE GRAINES EN AUTOMNE. Il faut par contre faire attention aux graines qui
n’auraient pas germé à l’automne.
Malgré un semis adéquat, la moutarde dans ce champ était petite, chétive et clairsemée.
C’est une bonne démonstration du BESOIN D’AZOTE des engrais verts de crucifères :
il faut fertiliser avant de semer. Si on applique du fumier solide, il faut l’enfouir
superficiellement pour activer la minéralisation. L’idéal est une application de lisier.
Selon le cas, la totalité des besoins pourra être appliquée avant l’engrais vert. Pour un
engrais vert de moutarde, il est préférable de semer le 15 août, au plus tard, pour les
régions plus au nord.
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FERME LOUIS-D’OR
Avoine semée à la volée (200 kg/ha) le 20 septembre, sur retour de grains mélangés
avec essai de jachère.
L’avoine à moins de 10 cm, les racines
sont peu développées. L’engrais vert non
enfoui fournira une certaine protection
contre l’érosion durant l’hiver mais la
biomasse et l’effet structurant des racines
sera peu important.
La stratégie de gestion
du chiendent sur cette
ferme repose sur un
contrôle des vivaces
par jachère après les
céréales. Il y a aussi
jachère sur retour de
prairie dans la rotation.
Le CÉTAB+ réalise
des essais d’extirpateur
à chiendent sur ces
parcelles. Selon le
fabricant, l’outil contrôle 70 % du
chiendent en 1 passage. L’essai cherche à
évaluer les effets d’une utilisation répétée
(3 années de suite dans la rotation) sur la
population de chiendent. La pression
initiale était très élevée.
Rhizomes remontés à la surface après 1 passage d'extirpateur à chiendent
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FERME BERGFERME
Radis fourrager sur retour de seigle d’automne hersé 3 fois.
Semé le 23 août sans lisier.
M. La France souligne encore une fois l’importance de
fertiliser un engrais vert de crucifère. Avec fertilisation,
le radis aurait probablement 2 pieds de haut.
Le mythe du pouvoir décompactant du radis est démonté.
Selon M. La France, si le sol est compacté, la racine ne
grossira pas et elle peut même pousser complètement
hors du sol. L’idéal est de décompacter avant, alors les
racines occuperont l’espace pour maintenir ouverts des
canaux d’infiltration.
FERME HIBRO (régie conventionnelle)
Avoine semée en rang le 4 septembre
(avec moutarde sauvage) après prairie
au round-up. Une avoine de cette
densité d’une hauteur d’environ 1 pied
peut apporter de 20 à 25 kg d’azote.
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FERME HAMELON (régie biologique)
Céréale (200 kg/ha) + raygrass annuel (5 kg/ha) et trèfle blanc Huia (5 kg/ha)
Rotation : maïs – céréales – soya – céréales grainées – prairie 4 ans
Cette ferme gère une très grande superficie de champs et pâturages et possède un
troupeau important. Les propriétaires ont donc adopté une LOGIQUE DE TRAVAUX
RÉDUITS AU MINIMUM (très peu de sarclage mécanique). Ils ont cessé de se battre
contre le chiendent : ils maintiennent la pression basse.
Le pilier de leur stratégie est le semis d’un engrais vert intercalaire de raygrass annuel
(5 kg/ha) et de trèfle blanc huia (5 kg/ha) dans une céréale semée à 200 kg/ha. L’engrais
vert est semé en même temps que la céréale.
Après la récolte, le raygrass fait tellement de compétition que le chiendent ne prend
pas le dessus. Le système racinaire s’étend jusqu’à 9 pouces.
Durant la croissance de la céréale, le raygrass attend la lumière (il ne dépasse pas 1-2
pouces de haut) et ne fait pas compétition à la céréale. Après la récolte, le raygrass
profite de la lumière pour produire un couvert très dense qui empêche le chiendent de
prendre le dessus (pression initiale modérée). En cas de manque de fourrage, le
raygrass peut être ensilé. Sinon, l’engrais vert est labouré tard à l’automne. Le raygrass
est un engrais vert tendre et donc facilement minéralisable. L’apport d’azote est moins
important qu’avec un engrais vert intercalaire de trèfle uniquement, mais la ferme
dispose d’une quantité importante de fumier et de lisier pour combler les besoins des
cultures (le quart du fumier est accumulé sous les vaches avec ajout de 10 kg de
paille/jour puis précomposté). Normalement, du fumier est épandu après la récolte pour
profiter à l’engrais vert. Cette année par manque de temps ils n’ont pas pu épandre; le
raygrass aurait été plus fourni et plus haut avec un apport de fumier.