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MEDIATETE (A-YOGA)
"Nouvel an 2013", horreur absolue des lieux communs imposés par le maternage, des
heures bien totalement perdues, négatives énergétiques. Tous les pères se devraient d'être
en fuite. Elle, quelque part, lointaine, chante Halleluya mais qui n'est plus, d'ici, de Cohen.
Tout est à refaire, et c'est peut être là le seul message de nouvel an, millénariste,
désescalade.
Quel est le possible d'être seul ? Cette extase où le miroir de l'autre est à l'océan ? Qui parle
enfin tout le langage, et plus le maternage ? Là où se tient allumé tout un peuple non-
dépendant, solidaire d'obligé en ce juste de la solitude-expansion. Où seuls les quadrants
noirs du phare ne divisent plus la nuit ?
Où toute sa pensée, d'Elle, vous soutient ? (une année où tout nous tiendrait, même nos
absences !, et qui ne serait pas d'un pauvre calendrier, mais Citta, Manas, retour aux
sources, sanscrit). Thérèse d'Avila, enfumée (Ahumada!) plutôt que Romain Rolland, en
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plein d'emblée, et sans ce labeur pauvre des jours: nécessité mystique, les mots en plein,
tous recrutés, à l'objet.
Merci à la fenêtre du deuxième étage enfin retrouvée après ces très longues heures d'attente
vides. Intérêt pourtant de ce vide d'attente, qui ne sépare pas. Un néant actif, un presque
mourir qui nous laisse libre de jouir sans comprendre de quoi ni comment, dit la sainte.
Des textes qui exigent une halte, de la lecture même, pour consigner l'obstacle atteint,
avant de le traverser peut-être, lui ou l'autre d'un "hier" de même route. Nous marchons
tous dès lors que nous allons contre le père, c'est là la fonction active du symbole, nous
coller enfin au réel, après toutes ces heures de maternage générationnel. Livre des
fondations, pérégrinations, ce monde est bien en feu, de Tsétaïeva en Avila, Chemin de
perfection, avancer dans le monde tout en pénétrant au plus profond de soi, dépasser les
bornes, s'en inquéter encore parfois, s'autoriser à lâcher prise enfin, La Mère divine et non
plus maternante. L'écriture d'extase (Avila) est-elle autre que celle des expériences
psychodysleptiques (Michaux, etc...) ? Tout avait été dit jusqu'ici sans "trucs" aucuns,
uniquement par la concentration dans le voyage-mot; y aurait-il aujourd'hui comme une
bascule avec cette dépendance-induction ("oh, rien de grave, un peu moins d'un biri par
jour, et de l'herbe à pierre une fois par mois peut-être") qui me bascule peut-être dans cette
"dépendance delta" d'habitude et de faible dose contre laquelle longtemps, jeune étudiant,
je mettais en garde mes proches ? De cette modification là, de cet impératif à penser là,
fonctionne-t-on par un autre feuillet de l'esprit, tout est-il stoppé par une multiplicité facile,
et ne faudrait-il pas retourner au grand oeuvre ? Faut-il se contenter de naviguer, lâchant
prise, ou résister au désir de comprendre ? Quel englobement est-il plus nécessaire à ce
retour au réel ? Comment accorder la vibration du ça à celle de l'océan primordial ?
Comment être quasi-soi dans ce geste progressif et tâcheron du mourir ?
Une exaltation unie au martèlement des mots, dit Michaux, dans le lieu même de la
souffrance et de l'idée fixe, et le mal progressivement dissous en est remplacé par une
boule aérienne, alchimie poétique, ravissement, science expérimentale, action sur le corps,
la contemplation en est concomitante de l'examen de ce dernier. Double mouvement
contradictoire encore de rupture et d'adhésion, le pôle de ce double mouvement là est toute
la quête, et il est l'âme sans doute, qui échappe à toute forme, et requiert le recours à toutes
les dimensions du temps.
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Avila, Freud: notre âme est un château avec plusieurs demeures, ces espaces-là sont à
conquérir, dans un acte d'hospitalité envers soi. Les images qui envahissent au passage le
discours sont nécessaires fabrications de fictions, pour donner à comprendre. Certeau.
Famille, sympathique mythologie de poubelles, qui ne sont pas en propre, que l'on
s'espionne. Rétention d'habitudes et compost de voisins humides, invités tolérés, vite
irritants, cultivant par leur autre-social cette place de toujours-même à laquelle quelques
jours, par amusement aussi, ils s'accommodent. Pièces rapportées ne s'y rapportant plus,
chocolats interposés. Grandes plages cachées, volées, comme un peu de musique toujours
inconnue à l'autre généalogique. A l'intrusion, la soeur qui pourtant y devine, le fils qui
pourtant y attend, y atteint. L'ailleurs qui s'accoude au rite qui le conteste, l'autre qui s'y
accroche d'y être, quasi-espion, anti-fan toujours à l'heure de la messe prêchée en tous.
Famille, prêche croisé d'une religion-colle que tous fuient en souriant, en s'y pliant.
Insocial, et dans un temps qui ne s'alignera jamais à celui du trauma, gagner enfin
l'ermitage du soleil. Hermitage est possible. Esparons, 1973 peut-être, et comme une
injustice dans cette communauté que je tentais. Impossibilité de la replantation ad
integrum, car c'est le temps même qui a changé : même si la chair est sauvée la diachronie
constitutive de l'être et de son traumatisme se révèle. Au café parisien : Elle, imagine vivre
en rythme avec un amoureux de la montagne... La diachronie de l'ambassadeur (!) : est
originaire. Un temps de deux n'est jamais clair ; la faucheuse en oublie sa faux...
En Egypte, aux alentours de -1000 (si ce repère de notre muséographie signifie quelque
chose): plusieurs types d'éternités sont encore symbolisables : l'une cyclique, l'autre
linéaire. Des facettes de temps. Des déesses noires, aussi. Un choix d'abords. Et la mort en
un autre monde des vivants, tandis que bientôt la Grèce extériorise et expose la mort avec
la prothésis.
Un sens de l'intuitif (au travers des mots, des exposés, ou des flaques d'eau) qui d'emblée
compensa une intelligence à la vitesse freinée, bridée. Une forme d'évasion en contact au
réel, et autour la nécessité de très longues approches studieuses. Aujourd'hui ne tendrait à
persister que le "direct", de plus en plus utilisé, banalisé ?
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Et ce galbe féminin qui seul touche le monde: quelle accommodation de ces deux modes-là
? Comme autant de plongées pour un possible.
Le seul traitement que je proposai à mon père - et qu'il attendait de moi, à ma surprise -
fut ... la Génésérine ("ça fait rien, ton truc, le lendemain, râlant, douleur). Deux granules
peut-être... Et un soin de drain au décours de la première opération, lors duquel il évacua la
pudeur de mon service trois pièces originel, de ses gestes saccadés sans yeux. Puis des
myoclonies à 90° pré-mortem. Aujourd'hui ce n'est plus du Mécano mais du briquet à
rallumer les demi-bidis que mon pouce se lisse; je me souviens (peu) de des Gitanes, mais
pas de ses briquets. Un cri de la Pierre ? Non, un clic de l'électrique. Je me brûle les doigts
doucement aujourd'hui, combustion plus lente, comprenant.
RECU VACACIONES EDREAMS. Les vacances la tentent, m'insuffisent, par leur
manque d'arrêt, cet arrêt devant le fleuve qui brûle, silencieux, solitaire, une foule entière
rien que pour moi devenu absent grâce à la multitude même où le monde immerge. Et
pourtant je ne peux me résigner à cette absence d'elle, totalité vitale, nécessité, catalyse,
chant. L'ashram serait sans doute le seul compromis, je pourrais l'y attendre. Je m'en
gonfle, du quotidien, hors tes petites trouvailles j'aspire à ce deuxième étage de soleil et de
bruit en bas qui me porte, devant la fumée qui monte, ou bien le fleuve, cette fumée de tous
les restes des hommes où je passe sous tous mes états. Le premier instant du bidi, ou de la
première gorgée de whisky, survient bien maintenant avant même tout effet cybernétique
molécules-récepteurs; ou, si l'on prèfère, en bon thalamique, ils sont activés de façon
réflexe. vers un hypothalamus actif mais connecté au monde-soi est sans doute la tâche
totale de cette évolution à venir que décrit Aurobindo. A la fenêtre ouverte, il pense que le
bidi n'est plus que rengaine, parfois; en d'autres jours pourtant on retrouve ce beau
tourbillon interne de la mêlée à laquelle on aspire, pleine-en-soi de ce que l'on désire, on se
plait à penser, quelque part derrière, que la neurologie n'est plus que système ouvert aux
autres feuillets du soi-non soi, là où le soi persiste à l'océan. Peut-être est-ce bien là ce que
R. Rolland a découvert en vieillissant, cette préservation du jivâtman, dans son déni du
mystique. En cet autre soir, le bidi devient rengaine, il faut un peu s'y forcer, heureusement
la nuit est claire, d'une impalpable mais tenace brume, je ne peux renoncer à cette fenêtre-
là, mais je suis prêt à l'y emmener, elle qui calcule maintenant son quotidien, pour
préserver sa propre poésie, celle-là même qui me fascine. Peut-on être volé par celui ou
celle qui nous aime, celui ou celle qui nous aime peut-il être tenté à voler l'autre ? Le goût
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âcre est maintenant bien installé, dans l'accommodation à ce "dehors" d'un instant toujours
plus jeune; l'extérieur n'est que notre diachronie en cette vie réduite du temps entropique.
Combien coûte un coffre où l'on roule pour un temps toute cette étoffe de seule limite ?
Mais en voilà une étoffe bien pleine, tissée de sept, et qui laisse toujours amène-amère
celle à venir ! Implore-t-elle encore comme je l'espère ?
Comme un laiteux du ciel qui résiste à la fin de la lune. La te s'en plaint, un instant, et vite
redemande; le fil net qui se déroulait n'est plus, une autre étoffe croise, faut-il s'en éprendre
? "Au fil" du bidi est devenu est redevenu une 2D qui demande, encore, encore,
dépendance. Tout un vaisseau, encore, s'impose, en marche de volume qui avance, vers
cette fusion cette fois des formes, et qui court-circuite la cuisson ménagée du corps
organique. Entre il n'est presque plus d'impatience. Peur de la perte des écus ? Quelle
police encore ? Allons vite au grésil du fil, pour l'au-delà de l'histoire; mais le bidi tente le
grésillement sans moi, et déjà une étoile-braise leur fait sa course, en bas, en plein. Il est à
peine besoin du guide maintenant, et le mariage serait-il encore possible ? Qu'est-ce-que
-peut recomposer le mariage qui soit hors de ce quotidien qui nous traine, nous déchire ?
A l'entre-deux du réveil - à l'entre-monde, à l'entre-tout - , consistance de moka des sinus,
traversée de la bûche de Noël. Même dans le regret de ce grand trans-bidi-time sinuso-
stimulant parfois perdu, satisfaction qu'il remplace, replace, l'anxiolytique, et peut-être
économise et positive le sommeil.
Touristants en pays de sable, indigènes, rosé-déjà-du-matin; tenancière du lieu, sobres
habitudes, réglages d'antan. Bistrot des immémoriaux de la peine mais de la parole: "Non,
je n'ai eu personne, j'ai passé les Etrennes à regarder la télé, ils sont trop loin", dit la
cliente-au rosé du 9h26 au café de la gare. Mais la tenancière, elle, est famille, s'inquiète
des objets de vie trouvés, "Oui mais comme on ne se parle pas, vous savez, avec la
mercière". La femme seule a un mari pourtant, qui vient la chercher à la gare le soir de
travail, à moins que ce ne soit le gendre, les petits-enfants "je ne retiens jamais leur nom".
Mr Gossart le VRP vient payer sa chambre. "Y'a un fumoir, c'est marqué", lance la
patronne au pervers quittant la très jeune métis - est-ce sa fille ? - pour fumer dehors. Elle a
de très beaux seins sans doute, mais ses lunettes par trop dévorantes la néoténisent, quand
tant d'autres adolescentes se misstickent. La télé assène "on est sauvés, ce sont les garde-
côtes". Le couple sort sur un froid "je déteste les débats"qui lui arrache un sourire soumis,
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ils ne se donnent pas la main, son Dexter refume. "Je réfléchis également, là", continue la
tenancière, "les têtes de veau on pourrait les prendre. J'y ai réfléchit cette nuit; en fonction
des commandes, mais je n'ai que trois concrets à prévenir pour l'instant, au cas où. Les
cervelles, là, aussi. On les ferait pour le 15 et pas pour le 7". Le VRP était son chef, sans
doute. Mais elle continue: "La porte s'ouvre entièrement, à part entière, Monsieur". et
comme pour elle-même encore: "Tout le monde cogne ses valises, alors que vous serez
beaucoup plus à l'aise pour passer vos bagages; on n'est même pas obligé de la tenir, cette
porte".
Je commence à apprécier le scepticisme social de R. Rolland. Grand bourgeois contrarié,
cependant, avoue-t-il; il aurait voulu l'or et l'anarchie, l'or nous colle. J'entre à Vichy avec
une pièce slovène à croix de Lorraine. Où est donc la Slovénie ?
On est maintenant installés en Sibérie crasseuse, voies de garage à la fois blanches et
noires, températures douloureuses, et l'humeur qui en rien dans ce morne tableau ne peut
faire levier. Une idée de là-bas, me dit-elle, dont tu fais l'éloge, mais tu oublies l'hiver.
Voyages insensés, étonnants voyageurs, un ciel bleu de toujours attente et pourtant d'accès
à ce dépaysement suprême qu'aucune rapidité des voies de communication ne pourra
jamais détrôner, on peut rêver au bord même de l'autoroute. Effroi de dépaysement
suprême, à la fois charme et petite angoisse, des bouts du monde, et comment y arriver est
sans doute important, comment ne pas en revenir encore plus, ce pathologique est-il d'un
voyage absolu ou d'un non-voyage ?
Le troisième de l'amour: ce "juge" de L. Cohen entre l'homme et la femme dans "Where is
my gypsy wife tonight ?".
On existe en plein, dans ce temps décontraint. Beaucoup à qui rendre compte, travail,
compagne, enfants, mère. Et puis, cet arrêt total, cette journée enfin vide et qui s'étend,
heureuse, de tous les possibles de vague. L'estomac s'emplit, le verre de vin, la radio libre,
les événements qui ne forcent pas mais sont livrés à notre pensée englobée-englobante. La
mort ! ce bonheur qui n'obéit plus à aucun scénario !Je n'aspire à aucun pays juste et
possible, mais bien à la coalescence douce de tous les handicaps de cette plénitude du sol
total (mon rêve du Varanasi-Benares). Les hommes d'affaires dirigent tous des centres de
torture, parfois même s'en excusent; le, monde est cet ailleurs décontraint.
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Paroi qui cède, ou paroi qui se reforme, d'aise, d'ipséité, au sortir de la fièvre qui bloque-
bouche-pèse-condense ! De la douleur ! Levée, liberté, de la santé, que l'on ne sait goûter à
l'état d'usage !
L'admettre, cette incompétence à tout social, à toute politique, pour le seul plaisir de
naviguer en les soleils des attrape-mots, des mots-trappes, des concepts-qui-dressent !
Je ne sais plus dire le mot qui est pensé juste à l'extérieur de ce social-là; je savais détourer
le réel à l'entre-mots, hier encore, mais aujourd'hui me surprend en retour, j'ai quitté ce
corps en cette nuit de fièvres, laissant les rails du quotidien pour seul dire. Je est un
autre !!!
Se désencombrer de soi-même, pour atteindre.
Homo faber, Homo democratis, Homo biopoliticus: quand la compétence se réduit à la
capacité de soumission proposée. Vécu de l'institution, territorialisante,
compartimentalisante, pyramidalisante, maître d'un temps de pointeuse: écrire est échapper
à cette servitude (Véronique Pittolo, On sait pourquoi les renards sont roux, écrits à
l'hôpital), par l'enfant cloîtré des dimanches de tous les jours, dans la maladie-bulle
qu'impose heureuse de séquestration la mère, cette enfance-là, mienne, fut un syndrome de
Stockholm, mais est-il d'autres enfances ? Quand obligé-résigné à la chambre et à sa robe,
cachant la non-maladie aux hôtes de passage qui tentent de m'arracher l'aveu qui n'existe
pas, moi n'osant dire que je suis séquestré... Pourquoi n'ai-je donc pas saisi l'occasion,
exigé la liberté, auprès de ce cousin que je croyais d'abord s'inquiéter pour la santé de son
épouse ? Aurait-il pu m'arracher à cette bulle ? A ce placard, à cette chambre noire, à ce
grenier que mes parents ne pouvaient que reproduire, ne connaissant d'autres modes
secures ? Dans ce roman de V. Pittolo, il est aussi une prof de mathématiques, agrégée
précise-t-elle bien, qui, maintenant décédée, lui ouvrit pourtant les voies de la tangente...
L'ouverture béante se profile et agira, mais hors de ce temps-ci.
Pourquoi, et de quelle nature est cette anti-empathie qui me coupait à ceux que j'admirais,
sinon toujours cette coque qui me faisait ressentir d'exception, car au monde toujours de
cette coque-bulle materno-post-utérien, l'utérin et son mystère et sa co-extensivité,
océanique, oui ! Ce repli-là: a pourtant donné, permis l'atmosphère permanente de ce
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dimanche d'ennui où l'on tente le monde. Mais auquel on s'oblige et meurt dès qu'un
certain mouvement cesse. Thérèse d'Avila ne se comprend certes pas par la description de
ses fondations temporelles, il manque ses cris à ses écrits, que jean de la Croix dans ses
souffrances lui restituait en plein, en vrai, alors même que, victime du même Stockholm,
elle s'appliquait à traduire son oeuvre en texte. Jean de la Croix était dans l'attente de ce
qu'elle espérait toujours à chaque page. Fin de séance, fin de tranche.
Il n'y a bien sûr aucun compte à rendre sur ce passage (qu'est-ce qu'un jugement sur une
pyramide de livres de chevet qui s'effondre par glissement doux dans la mer de l'être ?).On
ne peut pour l'heure que briser la glace de cette surface, et ce craquement même ouvre par
places et par éclairs fugaces à ce contact à venir, chacun en est sa marche d'être. Ici-bas
reste cependant un ailleurs sans être, et aucune hagiographie n'a plus de justification en ne
se livrant que sur quelque création temporelle, si riche soit-elle d'apparences. Nous
sommes tous accordeurs de ce compte-à-tendre; on ne juge pas une montagne, fut-elle de
brume magnifique sur ce qu'elle doit immanquablement livrer un jour.
Quelle catastrophe (plus totale, brutale) espérer, qui nécessiterait le recours au seul canal
empathique ?
Démonter le campement tous les matins, en chantant les révoltes du Père Duval, protège de
l'alcoolisme de la société. Ne fait que protéger ? Un marche-dit, le limite-pas est cette
marche constante, nous dit encore Deleuze.
La castration en psychanalyse est le sacrifice d'une part de soi au profit du groupe, de
l'autre. Quelque chose de "résonnant" avec le "reste" du sacrifice. Un partage d'espace
intermédiaire qui fait germe /dans une culture / dans le Réel ?
Insomnie, ces angoisses matinales, descente du week-end fumé-arrosé sans doute, mais
plus fondamentalement aussi - il n'est point de frontière des états d'âme et des positions
d'être ! - souhait de révolte envers moi-même, prendre l'écriture, s'y obliger pour mémoire,
pour construire; ou bien prendre l'ashram. Il est vrai que l'exploration s'en précise, au
plaisir encore de la navigation dans l'institution générale. Où poser ses congés sonne
comme récompense et acte de liberté; pourquoi y voir encore résistance ?
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Farenheit 451, R. Bradbury semble avoir tout pressenti de notre carcan sociétal actuel, la
tentative d'abolition des périphéries, un centre-sphère qui veut imposer un monde sans
mémoire, en apesanteur dans un présent perpétuel.
La chirurgie primaire est celle du bide, Monsieur Mondor, enveloppe floue, domestique, ne
livre rien. Les médecins de l'âme, eux, sont sur la ligne de front qui les expose. Folie privée
et traumatisme secondaire, feux croisés de la séduction et de la destruction. La littérature
est de ces mêmes confins de l'humain, où l'on risque d'être touchés au mort. Ecrire un
journal qui épuiserait le matériau autobiographique, tarirait le besoin même d'écrire, c'est-
à-dire de se mettre à distance, en retrait de l'existence, mais par métamorphose, un
entretien soigneux de la stratégie de rupture, depuis la première défaite de la naissance. Le
bonheur: dans l'attrait de sa peau d'aurore, dans ce jour plein d'elle qui se lève, et dans la
certitude que l'on ne veut pas atteindre midi, jamais (il n'est pas d'arc-en-ciel de neige). Le
chagrin d'amour: ne peut se lire au premier survol. Se retrouve, plus loin, neutre des vies-
surface, traversée justement de cette douleur de notre domestique du bide, autrefois à jeûn,
et déployant maintenant son originaire en 10.000 facettes de l'être, vers le cristal et son
asymétrie à nouveau germinale de la "mort". La mémoire est une couche de chaux sur les
trottoirs du sang.
Comment peut-on encore être Homo faber après avoir lu H. Arendt ? Le travail: chaque
lecteur en plus est cet actionnaire en moins, qui fait retour à un collectif par lignes de fuite,
en autant de suivis de son étoile, de fabrique de son hasard. Travail et iceberg du Care
cependant, touts les acteurs s'y imbriquent, vers accomplissement d'un lien qu'il faut
détourer et dire. Dans l'échappement au contractuel qui achoppe à la frontière de
l'institution, nous n'avons rien d'autre que la route et ce travail, où chacun joue un rôle, seul
le contrat du "trader" peut-être est absolu, H. laborans n'étant même plus H. faber, son
collectif étant un vide, au sein duquel on parvient encore à créer des "cellules"...de crise.
On s'éloigne, on s'isole. Fait-on semblant ? Travail qui tente d'annihiler la subjectivité, qui
impose un sédentaire; depuis le "passage" débuté vers 1998, je ne fais plus semblant, je
suis pris au désir de famille, par parcelles certes, mais la route est vraie.
Civilité, malaise face au corps. L'égalité morale de la démocratie nous cache et nous
dégoûte à notre chair, l'auto-contrainte de la chair se transmet par les mères... On en tend
même à se dégriser de l'amour de soi. Attrait pervers en retour des faits divers déviants de
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la presse ..."people". Les "cool", eux, savent recirculer, croire encore la société mobile, au
gré de toutes les musiques, dans l'empire du juste avant l'adolescence, ce moment ou la
chair se quantifie, s''évalue, se soupèse dans la terreur et le désir renouvelés du mélange
des corps jusque là soigneusement cachés.
L'archéologie n'est pas un métier raisonnable, surtout quand on s'évertue à épuiser au long
de décades un seul et même chantier, plutôt que de multiplier les sauvetages. Au
laboratoire d'immunologie, chacun de même cultive sa propre cellule, son propre
marqueur. Un même mode de conquête linéaire et balayant pourtant le réel, faisant fi des
strates imposées. Une tegula enserre le monde, un tesson mène en Inde, le relatif et
l'anodin ont un caractère. Les enfants sont les détectives que les parents lancent dans le
monde à la recherche du plein de leur fragments.
On peut gagner Madras parce qu'on a un père alcoolique, parce qu'Eliade a senti les
effluves des palétuviers avant même d'aborder à Ceylan, parce qu'en légiste on est fasciné
par le germe que portent ses propres os, parce qu'Allwright, mousse, quitte la Nouvelle-
Zélande pour le théâtre; derrière chaque point de départ il y a toujours une histoire qui
attend, et les histoires sont difficile à percer, il faut donc lire, passer le lisse. En caravane,
en train, dans son bureau, dans son lit, tous ces lieux qui se déplacent sans cesse.
Ceux à qui la parole se déroule sans pré-établi, sous la poussée de la pensée, calmement,
logiquement (les analystes); et les poètes qui plantent ou réceptionnent des mots entre
lesquels se détoure le réel. L'analysant est le poète qui contourne la lacune toujours plus
proche, mais toujours hors d'atteinte du réel; l'analyste lui est du côté de la coupure du
langage.
L'"éducateur" travaille dans son imaginaire pour dire la parole du psychotique, qui, elle, est
plus ou moins non-verbale, et inclivée, nous dit l'éducatrice devenue psychanalyste. Je
parlais trop fort (celà m'arrive...) de "prise de leur parole", il ne s'agit en fait que d'une
distorsion,ou, si l'on parle encore lacanien, d'une prise partielle. Si notre langage évolue
sous la poussée de la pensée ("contrairement" à celui des poètes), comme un "propre" du
sujet, est-ce que deux peuvent parler en chaîne ? Une théorie de l'information qui ne
considérerait plus un sujet Emetteur et un autre récepteur serait-elle navigation au sein de
ce chaos inclivé, à travers une "prothèse" de langage proposée par l'autre dans sa structure-
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découpe propre ? L'éducateur fait-il de l'"aide humaine" ? Il ne peut sans doute être que la
voix d'un collectif qui l'a lui même formaté, mais qui propose un milieu d'expression au
psychotique, dans le cadre de la psychothérapie institutionnelle, cet oxymore auquel Freud
se refusait, "trahi" par Ferenczi, Winnicott et leur bande d'expansion.
La plaque de banquise, masquée par la neige, cède sous mes pas, et s'incline, alors que je
m'en reviens du bosquet sacré de Nolhac. Je reste quelques instants en lutte sur ce radeau
ivre. France-Culture: pour la dernière fois, dit A. Camus (Les Noces, à Tipasa), nous
sommes spectateurs, voici l'expérience, et la beauté du monde n'est pas négociable au bien
et au mal, le monde sourit, gratuitement; dans l'étreinte sexuelle, comme dans ma mort, du
ciel descend une joie étrange vers la mer. Mort du symbole, absolu de la quête de
transcendance paternelle, bain d'immanence maternelle (Sloterdijk, Sphères I).
Effet nicotinique (sans doute) du bidi: simple stimulation de l'intellect ou levée d'une
certaine médiateté (a-yoga) ? Importance de la diction-digestion complète des mots en
-tion, exige F. Lucchini (Alceste à bicyclette). L'intellect, ou buddhi, assure dans l'organe
interne (ou corps subtil) la fonction psychologique suprême, c'est l'éveilleur, la certitude, la
décision; il n'est plus dans le domaine des idées comme le manas ou mental, premier
connecteur de l'activité sensible dans le corps subtil, et qui est caractérisé par le doute.
Mental et intellect ont qualité d'organe, le Soi n'a pas plus besoin d'organe que d'objet, le
sujet se trouve bien du côté de l'esprit, mais sans s'identifier avec lui (O. Lacombe). Ces
successions de formations mentales, du manas au buddhi, en passant par citta l'élaborateur
de pensée puis ahamkara le producteur du soi, de l'egotisme, se produisent au gré des
interactions de l'organe mental avec ses objets, il y a ébranlement de toute l'âme, et la
vibration de l'organe interne à laquelle nous parvenons perdurera après la mort, par
réincarnations dans d'autres corps grossiers, jusqu'à la délivrance de l'âme. Vibrations
différentes donc de chaque renaissances, inversement liée à l'intensité de l'arrachement
originel à l'atman ou à la grande matrice, en fonction du niveau d'activation de cet organe
interne transmigrant: plus proche de la matrice-atman, plus faible arrachement, vibration
plus intense, intellect plus volontaire... L'avenir m'est ouvert ! Car je fonctionne pour
l'heure (en ce temps du chronos) dans l'indétermination, mais avec cependant la certitude
que la certitude est possible (dans celui des temps multiples qui nous restent à déployer).
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Comment comprendre que, les physiciens ayant englobé les concepts newtoniens dans
ceux plus vastes de la relativité puis de la théorie des cordes, ils n'aient pas théorisé encore
ces différentes dimensions de temps, se "bornant" à multiplier celles d'espace ? Oeuvre des
physiciens des supercordes peut-être ? Mais le boson de Higgs, ce coupable majeur de la
médiateté, encore nous aveugle.
L'étrangement de l'être naturel, dit Hegel (p. 420) secrète l'esprit de sa vraie nature (comme
la pensée est épanchement de la buddhi, dit Cankara), de sa substance originelle.
L'étrangement, ce premier trauma, cette séparation première, par laquelle une vibration
spécifique, d'entremêlement aux strates du chaos (sic) (je dis), d'entremêlement à d'autres
arrachements, redonne matière au réel dans ses tentatives de réenracinement, et dépôt lors
de la dernière tentative, efficace, dernière du cycle entropique d'un corps ou d'une
conjonction diachronique de sujets, ou encore d'une cascade chronologique de réinsertions
dans cette parcelle du réel qu'est le corps. L'aliénation enfin, poursuit H., moyen du
passage. La volonté ne peut appartenir elle-même qu'à quelque chose d'universel. Je me
posais hier soir la question: l'énergie originelle, d'où cette volonté, est-elle plus ou moins
intense selon les sujets; y-a-t-il égalité dans l'arrachement premier ? Eléments de réponse
de Cankara dans le paragraphe ci-dessus.
Hegel: le point de vue intime (ahankara) n'a pas d'existence durable en ce monde. Ce
"point de vue" évoque le centre panoptique du sujet (encore plus proche donc du choc
primaire avec les organes des sens (manas) que du buddhi), un lieu polaire du miroir
lacanien où l'imaginaire du corps se construit, tout aussi imaginaire, "neurone miroir"... Il
est des moments de la pure essence, dans le pur mouvement même, nous dit encore Hegel.
Sans doute ces moments sont-ils nos refuges d'individualité (le château de l'âme, chez
Thèrèse d'Avila), et le sont-ils encore une fois accomplie la grande dissolution (ou la
cascade de ces dissolutions). Des noeuds ("des torsions du néant", disait P. Ledru)
conjonctifs (au sens des logiciens stoïciens) de ceux qui nous portent "individuellement".
Ces noeuds que nous traquons en analyse, tandis que voir est un handicap pour apprendre
ce braille du réel, dans cet état de spectateurs qui par nos sens annihile la volonté qui nous
porte. Mais le volontarisme fort de certains réside sans doute également dans tout un pan
de leur surdité ou cécité de conscience, anesthésie du manas, cette conscience de début de
chaîne associée aux organes des sens (la conscience relève de toute une chaîne psychique
d'opérateurs dont certains sont organes, mais d'autres extensifs à toute la nature, récepteurs-
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pronoïa, bien plus larges que le corps anatomique, à chacun son niveau de paralysie, à
chacun son programme de réactivation). L'éveil suit une chaîne quasi-physiologique, mais
dans un temps diachronique, un degré zéro du temps, un Δ temps/ sujet. Une structure
éclate, avec Hegel, le structuralisme passera comme les guerres.
Au-dessus ou en dessous de la mêlée se tenait R. Rolland, homme sans enfants ? R.
Rolland, ou la vie à travers les volets.
Pourquoi le journal ouvert, replié sur son interne, perd-il cette aura, ce secret, cette
jeunesse, cette éternité... cette beauté de l'originaire qui clame ? Dès lors que l'on a
transpénétré l'écriture qui ne s'offrait qu'à nous, et maintenant mêlée de tout ce qui nous
assaille de quotidien, on passe du sentiment au travail...
Des êtres qui tentent de faire face aux assauts de la vie ? Snober ces assauts, ne pas donner
prise à l'entropie, tuniques internes seules, sous le masque d'organique, quai d'attente de la
pronoïa, seule qualia. Grand roman de la consternation humaine. Des hommes assistant de
loin à la vie des femmes. Un homme ? Cet être inachevé que l'amour, en le laminant,
accomplit. La biologie, elle, n'est pas ambiguë.
L'île d'Olkhon est, selon les Bouriates, l'endroit où la distance entre le monde des vivants et
celui des esprits est la plus faible. Mais on disait aussi cela de Rome. La plus grande île du
Baïkal. Golovanov doit y tendre. Lire Les nuits de Vladivostok, de J. Garcin pour y
rejoindre cette porosité des mondes. Y reparler le zaoum, ce langage humoral issu de cette
végétalisation progressive de la pensée, entre poésie et écriture automatique, envahissant et
évident.
L'homme n'est jamais qu'un fils, et la paternité une option. Ou: nous sommes tous pères
d'enfants apprenant un autre langage, et qu'il leur faudra rétro-traduire à la maturité. Faire
son deuil... alors que la mort ne provoque qu'une marche sans rémission, d'abord colère,
puis processus. Mais sans doute sommes-nous dans une méta-société ou l'humeur devenue
invisible ne se prête plus au végétalisme du réel, alors que tous les enfants ont bien hérité
d'une histoire qui excède largement la famille. Guerres et utopies. 1940 et Vatican 2-mai
68. Cosmopolitisme et sous-développement. Pacte germano-soviétique.
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Nazisme: l'antisémitisme avait cessé d'être un code culturel pour devenir le vecteur d'une
extermination (E. Roudinesco).
La chambre à part du père, ses livres, sa radio et sa fumée. Ces instants de livre-soleil-seul
dont je suis dépendant. Madeleine avait ses fenêtres ouvertes sur l'obscurité liquide. Le
livre, idéalement, serait une coopérative.
Dans la fièvre (du rhume) on ressent bien la distance qu'il y a entre soi-même et son
"living body", et inversement les phases d'écrasement par ce dernier, scaphandre/papillon.
Te le disais ce matin, je poursuis avec la bible d'Edith Stein sur l'empathie que je viens
d'imprimer.
IL ne faut pas parler de la mort sous la tente du nomade. Extrême-Orient ancien, extrême-
conscience, un climat longtemps resté "gothique", précartésien: des cosmologies pour
lesquelles une même substance compose toutes les choses créées. Les grandes religions
monothéistes ont rompu cette unité primitive en opposant à la création périssable et à
l'absolu divin l'homme capable de rédemption et de résurrection. C'est enfin la science
moderne, qui en "désacralisant la Nature" à fait de celle-ci un simple objet offert à sa
curiosité et docile à ses fins. L'Ancien considère qu'il est normal que l'homme parle aux
animaux, aux choses, aux forces occultes répandues dans la Nature, tous en rapport
constants. Prononcer leur nom, c'est les appeler; de là la coutume si répandue de parler
par antiphrases, de ne pas évoquer, de ne pas prononcer, le nom de la maladie, de la chose
ou de l'homme que l'on craint. On lui donne un autre nom. "Cette maladie"... On ne dit pas
tigre mais Monsieur... (P. Huard et M. Durand, Connaissance du Viêt-Nam, 1954). Le
cartésianisme a liquidé le sentiment de dépendance dans la culture occidentale.
Qu'est-ce qu'un pouvoir médical qui ne s'exerce pas ? Mais qui par éclairs satisfait l'Ego ?
Est-il "pouvoir social" bien qu'intangible ? Ou: vacaciones et radiance du pouvoir
"inutile" ? Ou: besoin de délire. Et: comme un besoin de famille... Ashram, Ashes, Mère...
(Retour au Réel) La beauté est cette circulation des radiances inutiles.
-"Que cherchez-vous ?" -"La Loire !" (salle éponyme)
"Hébergement renforcé de personnes Alzheimer": hamsters en cage, circulation-exutoire
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au plus près des portes, des visiteurs ou des vitres; des objets pathétiques en accroches, une
tentative de sortie, "Non Monsieur D...", porte, main, serrure. Le social d'une dispute entre
deux dames semi-écroulées mais voisines de table.
Privilège de la vieillesse d'afficher tous les âges en simultané et non plus simplement en
mémoire ou en projets. Une phénoménologie de la vieillesse, où, en toute logique,
l'imaginaire du moi, dans ce travail à plein temps de l'âge, disparaît. Avant ce boulot là, une
période d'incertitude, celle encore de l'intelligence des choses, cette douleur toujours
jeune, active, qui empêche la trêve et ne prévoit pas la fin de la vie (Colette).
Graeme Allwright, l'oiseau blanc, le retour à son grand-nuage-blanc, grand sourire, blancs
de mots. Le tore du réel. Un homme qui a rencontré de Certeau nous parle d'une psychose
angélique, mais le titre de sa conférence a dû être masqué au très catholique Trou-en-elay.
Gödel et son "délire" angélique, il y a bien autant de plans d'existence qu'il y a de concepts,
le plan mathématique que Platon déjà disait monde autonome peut bien "s'incarner"
quelque part, et nous n'en percevrons bien que ce qui nous est sensoriellement possible
(considérant comme organes sensoriels aussi ceux de "l'organe interne' de l'Inde ancienne,
Manas, Citta, etc...). Des anges non plus des mathématiques maintenant, mais incarnant le
sacré, l'océanique: "le sacré n'est pas un stade dans l'histoire de la conscience, c'est un
élément dans la structure de la conscience. [...] Le sacré n'implique pas la croyance en
Dieu, en des dieux ou des esprits. C'est [...] l'expérience d'une réalité et la source de la
conscience d'exister dans le monde" , nous dit Eliade. Exister dans le monde, et donc avec
et de par les autres: le sacré, ce processus empathique itéré ?
Et puis Graeme Allwright, cette année entré dans le travail à plein temps de la vieillesse,
justement. Le dos flanche, la voix s'amuse, les mots s'oublient, le caractère s'égare, mais
l'intérieur bouillonne ! L'intensité et le sourire, sur "J'm'envolerai", sont d'une intensité et
d'un bonheurs intérieurs fabuleux. L'homme, s'excusant des "ratés", continue, parfois n'y
arrive pas et les musiciens compensent, mais lui aussi parfois se plonge totalement dans le
texte et c'est magie (sur Kipling, cette magnifique traduction d'André Maurois qui "colle"
si bien au message de Graeme, sur Meditation adapté de Jobim, sur Halleluyah de Cohen
qu'il a adapté de ses clefs à lui... Bien vieillir, c'est sans doute cela, quand son corps et son
moi disparaissent peu-à-peu, mais qu'un passage est en marche devant nous. J'attendais
peut-être encore un "magic choc" d'une rencontre qui n'aurait pu être que banale et
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décevante, la réponse à ma lettre de Jageshwar est tout dans cet être qui parle bientôt sans
plus de mot, qui passe et nous porte. C'est son travail intérieur qui toujours nous fait choc.
Et la boucle faite du "Jour de Clarté", que je dactylographiai lettre à lettre dans mon carnet
de chants scouts alors qu'il décidait, pour des décades, de ne plus la chanter, qui fit retour
ce soir. Boucle bouclée, chez lui. Quête avec Méditation de C. Jobim, extase de
J'm'envolerai, clefs de Halleluyah de Cohen en son interprétation française. La douleur
s'est faite bonheur, et la tristesse s'est en allée.
On m'a dit qu'il existe un accord secret
David jouait et Dieu l'aimait
Mais tu n'aimes pas vraiment la musique
N'est-ce pas ?
C'est très simple la quarte, la quinte
Le chute mineur, le majeur qui grimpe
Le Roi dérouté composant
ALLELUIA...
Tu voulais des preuves malgré ta foi
Tu l'as vue se baigner sur le toit
Sa beauté, le clair de lune
Te renversaient
A une chaise de cuisine elle t'a attaché
Brisé ton trône, tes cheveux coupés
Et de tes lèvres arraché
ALLELUIA...
Tu me dis que j'ai pris ce nom en vain
Je ne connais pas ce nom enfin
Mais si je le connaissais
Qu'est-ce que ça peut te faire ?.
Dans chaque mot un éclat de lumière
Peu importe lequel tu considères
Le Saint ou le brisé
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ALLELUIA...
J'ai fait de mon mieux, très peu je sais
Je ne sentais rien, je voulais toucher
Je parlais et je ne voulais
Pas te tromper
Et même si tout a mal tourné
Devant le Dieu du Chant je me tiendrai
Plus rien sur ma langue sauf Halleluya...
(Halleluya de L. Cohen, adaptation française G. Allwright)
Il arrive devant un gigantesque complexe en bordure de la vie:
Il sort à grandes enjambées de lui-même (la seule utopie est la troisième aile).
Je suis resté profane, sentant le sacré devant la porte du temple.
Un café de Mézenc blanc.
"Quand vous vous ennuyez mortellement, vous chiquez le temps", dit Cioran cité par E.
Klein, physicien du temps. (Mais) la joie est aussi dans cet immédiat qui suit
(Jankélévitch).
Je dois m'absenter pour une durée indéterminée. Touquet peut-être, aux fenêtres d ela mer,
au bruit nocturne de ses vagues par gros temps, jusqu'à la plongée dans cette humidité
totale qui parfois angoisse de quelque chose justement qui est presque au-delà de l'ennui.
Cette maison qui ne se ferme pas sur les décès, car elle n'est pas habitat permanent, et
pourtant siège. Cette grande table à la double exposition, et aux rideaux si simples à ouvrir
comme à fermer. Lieu de rires, et du zaoum familial, ce plurilogue qui porte bien un sens
auquel personne ne veut s'astreindre, dans ces cènes familiales, car ce sens est en-deçà et
au-delà de ce qui nous y réunit. Ce silence et ce vif de l'air, aussi, et ce jardin ouvert, ces
portes multiples qui ne s'ouvrent grand que sur la thanatosphère privée de la famille, et
permettent le travail, comme en ces mois de réclusion (2007-8) où j'y étudiais comme en
cachette les ouvertures des mots sanskrits.
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Toutes les guerres dégagent de la poussière: villes de suds, villes de vents, villes de déserts.
Tout film adapté d'un livre est un plagiat.
Je fleuris sans saison, raison ni maison. La plante qui a passé l'hiver en intérieur, et toi, me
dit-elle.
Dominicaines de Langeac ou frères de Ker Guila, Sénégal: on entend la courbe de leur
chant, la voûte de la chapelle, la rencontre quand la vibration de voix et de pierre redescend
pour s'unir à déjà l'autre plein du chant.
La mort: une maman de substitution, qui disparaît, comme ça, sans qu'on ait pu savoir si
l'amour, au-revoir impossible (Tante Madeleine; la bonne dans Les femmes du sixième;
Geneviève pour Maxime à Fosseux, me dit Pierre).
Je marche sur les nuages comme un malade de la moelle épinière
B. Brecht, en exil
Blessure sur site: "notre neurologie" est sectaire - et paranoïaque - Internet n'est libre ici
qu'aux handicapés, qu'aux membres de cette communauté de souffrance qui se dit
spécifique, alors que, oui, je théorise mais tente la circulation par la souffrance originaire,
aspécifique. Rejet des souffrants-eux, site SEP, "quel est votre rapport ?", me demande-t-on
inquisitoirement...
Le parking du tout-au-bout (hier, Nietzsche: co-métonymique. Des premières pages de
Zarathoustra éclate l'Oméga).
Réveil au Touquet. Des objets pleins, clairs, garants d'un espace large. Et les oiseaux,
pleins de leur chant. Et comme une angoisse dans cette sérénité.
L'île du Dr moreau de H.G. Wells. Bibliothèque des grands-parents paternels au Touquet,
tandis que je découvrais La faim de Knut dans la maternelle. Moreau, ce livre qui
appartenait à Brigitte, renvoie à L'invention de Morel, et est sans doute un primordial de
L'interprétation des singes en forêt de Meudon. La souffrance et le corps d'un très autre, ce
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thème m'interroge. Orson Wells (1915-1985, La guerre des mondes radiodiffusée) versus
H.G. Wells (l'écrivain), Pierre ou Brigitte ? Pour H.G. Wells, l'histoire de l'humanité est
une course entre l'éducation et la catastrophe. Une bibliothèque qui aurait dû être précoce,
très précoce, énorme d'humanités. Le livre sorti de la bibliothèque, donc, commence dans
l'espace mince entre le juste-encore-en-vie et le déjà-mort: une ville à l'horizon, perçue, est
dans le trop tard du narrateur. Et passe de la Dame Altière à la Chance Rouge... mais voici
bientôt le premier demi. L'île est une histoire de demis qu'on apparie pour tenter un tout -
L'interprétation des singes n'en était qu'un résumé-force. Car il ne s'agit pas ici
d'appariement dans la strate du rêve, mais dans un niveau de conscience corporel, et Morel,
quant à lui, échouera sur le plan de l'assemblage des soi, des Jivatman. Notre demi-des-
corps, lui, est toujours dans le chemin. Tout s'est dit dès le capot de l'échelle, passant
l'écoutille. Il n'y a plus, il n'y a pas, d'anomalie distincte, mais une étrangeté globale (et
sommes-nous dans le Normal ou le Pathologique ?), et un refuge en la fissure d'humanité-
proche, et son espoir encore. Car tous les demis sont façonnés en de nouvelles formes par
lesquelles les passions s'ensuivent, il s'agit de former par l'anatomie nouvelle différents
sous-symboles par lesquels la pensée peut se soutenir, explique Moreau, et les signifiants
maternels ne sont plus les seuls à même d'organiser la pensée. La quête paradoxale de
Moreau vivisecteur passe par ce stade où la douleur en devient inutile, et que nos propres
souffrances ne sont plus ce qui nous mène. Re-façonner, une forme nouvelle qui porte émoi
et pensée, mais surgit un conflit nouveau entre ce qui est donné et ce qui est possible. Car
c'est cette forme nouvelle qui crée la contrainte mentale, entraves de l'humanité, crainte et
loi... Comment façonner pourtant ce qui peut-être ne dépendrait pas du corps, cette part
peut-être libre et sans propriétaire de la pronoïa ? Cette part de pensée libre du corps
existe-t-elle ? La pensée n'existe-t-elle qu'à ce filtre à venir du corps ? Et faut-il attendre ?
Ou se risquer à façonner selon un quelconque "dessein intelligent" qui monopolisera une
route unique ? Un destin qui façonne les existences ? Une sculpture, et par quoi ? La
mort ? La forme ? L'arrachement originel ? Ou autant de rouages qui nous sont invisibles,
et tous soumis aux mille sculptures ? La vie n'est-elle que ce laboratoire des corps du Dr
Moreau ? Sans doute allons-nous vers un Dieu que nous ne connaissons pas, et qui ne peut
nous imaginer encore. Moreau, d'ailleurs, "butte" dans sa chirurgie sur le remodelage d'un
siège qu'il ne peut déterminer... Le siège de ce non symbolisable, et qui pourtant se
manifeste...
A la mort de Moreau, aux trans-formes s'impose maintenant le sans-forme du "Dieu
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éloigné", ce Dieu défaillant d'Eliade, transcendance et médiateté, comme celle des sens
par rapport à la représentation, rishis perdus dans la Maya. La forme, passage-douleur,
versus l'alcool, plaisir-impasse. Les trans-formes déjà en perdent le langage, sans que l'on
sache bien s'il s'agit maintenant d'un zaoum des émetteurs, ou d'une agnosie des récepteurs,
d'une "syn-mantique" suprasymbolique, au-dessus du langage, ou d'une régression vers le
bruit, cette asymbolie malgré les coupures. Il y a un retour animal au corps, dans l'île du Dr
Moreau, comme il y a un retour-vieillesse au corps en dehors de l'île, retour que l'on dit
désinhibition, utilisation de la main pour manger de la Vieille Maman, chute du rideau de
la pudeur, etc... Ce qui semble un arrêt de pensée pour l'autre qui se croit plein-corps est
accès à un nouvel être-pensée du synmantique. Un Khlebnikov, lui, eut ce langage avant le
temps de l'Alzheimer. "Nous sommes prêts!" répètent les semi-animaux de Wells, "nous
sommes prêts" ! La loi ! Allumez le feu !
On ne peut s'éloigner de l'île que sur la barque des morts, dans ce plan inversé d'animalité
qui voudrait, illusoire, nous diriger - le Lethe de la mémoire: l'homme fuyant l'animal
pousse les corps humains déjà gangrénés, en contrepoint du passage du Styx. Bientôt
"sauvé" par les hommes, le narrateur voit son incertitude et sa crainte grandir, mais
toujours de même nature que celles qu'il ressentait au contact des demi-animaux. Lui
même est à jamais entre ces deux barques, crainte d'une "réversion" animale, crainte d'une
mort-corps comme celle qu'il cotoie à nouveau, hors de l'île, de tous ces ouvriers blessés et
comme perdant leur sang. L'animal trouve sa consolation dans l'infini de la matière, et non
dans le quotidien d'une semi-humanité, le fugitif ne peut plus vivre maintenant que près
d'une large plaine libre, dans l'espérance et la solitude. Une yourte sous le ciel, dans une
grande plaine chaude de nuit...
On est tous quasiment à l'origine de ce quelque chose qui à la fis nous dépasse et nous
attire tel un trou noir impossible ("je suis presque à l'origine de cette association, j'y suis
arrivé un an après sa création", dit l'orateur, quelqu'un en "plein de parties", pourtant,
depuis cette origine. Moi, devant, en fuite-détourage de cette origine-appel-poussée;
l'origine est bien sûr une supercorde, et pas seulement ce point impossible. Je ne sais pas
mon "je", comment dire "je" ? Y entrer enfin ? Et parler de là où ça touche, enfin, et pas
seulement de là où ça ne touche pas... Mais dans l'urgence, la personne accueillie que nous
sommes n'apparaît qu'en creux, membrane-contrepoint d'une famille et de tout un social.
Un contrepoint, et une greffe.
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Le fontainier de la commune réclame, Fred, lui, boucle comme il peut son départ.
Un bilan d'extension que l'on reconstitue à demi-mots, à demi-douleur, à traits tirés. Un
pronostic trop automatique. Sur la voiture, mauvaises surprises, silencieux arrière, joints de
cardan, cylindre de frein arrière droit. On voudrait croire que ça suffira, on ne veut plus
rouler, sauf à déménager, poser ailleurs tout ce support.
Dans la littérature, dans le symbole, dans la harpe des mots, on n'est plus dans le fantasme
puis la branlette, on ne peut se donner pour l'autre n'y le recevoir au seul, on traverse cet
espace plein et qui avance: une jouissance sans dépersonnalisation. Comme lire dans le
train. F. Cusset voudrait croire en un possible d'un collectif de la lecture (celui de l'écriture
s'impose à l'évidence). Le lecteur a-t-il une dette ? Est-il le seul créateur ? L'inchoativité du
livre est-elle sa seule fonction ? Une empathie est, à l'évidence également, impossible au
travers des seuls mots ? Un peuple lecteur ??? Aucune lecture commune n'est possible,
sauf à média nouveau peut-être et encore à venir, lecture interactive en réseau, hypernotes
de lecture.
Si, cher Ami, vous allez chez le coiffeur à Clignancourt: quémandez, quémandez !! du bidi.
Car ces bêtes s'y circulent comme en Bénarès. En Arles plutôt qu'en Avignon, et tous ces
bouts-du-monde de notre guide au Vietnam aux tongues paraît-il puantes, qui là-bas ne se
fournissait qu'en fils et laines magnifiques à broder en retour de quelconque mari de cadre
Penelopus. La lumière jaune des fenêtres de reste nous circule comme ce feu entretenu aux
confins des cicatrices de tous ces plans de limites, nations, individus, et foyers même.
"Combien de feux en ton foyer, combien de feux en ton village ?" demande Platonov à
chaque étape, spécialiste hydraulique de sa ville-utopie (la seule limite est celle que nous
ne parvenons jamais à porter seul). Puis leur fenêtre de jaune, en face, vire à ce rez-de-
chaussée déjà, mais ce soir solidaire d'un brouillard de toutes les formes (il fait toujours
beau quand on ne sait le soleil masqué de la brume de mer), les vaisseaux de linéaires en
prenant toutes leurs aises, traversant non plus les espaces entre les bords mais nos propres
allants. Le vent peut bien faiblir en cette phorèse maintenant, qui rien ne peut plus séparer,
quelles que soient nos modifications post-générationnelles, tous ces ajouts de résidus à
notre carbonation première qui n'a jamais quitté le feu et qui n'est pas que programme: les
babas sont les virus de nos généalogies. Et les lectures précoces, aussi, augmentent le
monde ? Les phrases lues, alors, nous devancent.
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Cerisier-de-mer-peut-être et home-cinéma des connexions entre la vieille "chaîne Hi-Fi", la
TNT, et quelques cables récupérés par le fils. Assemblage de résistance, création-malgré,
relève sans spéculation.
Le brouillard s'est levé, on revoit l'église et les voitures trop rangées derrière la clôture.
Des gares qui ne sont connectées que par nos pas-de-nuit-de-deux. Seul on n'atteint aucune
communauté. Eluard: "Nous n'irons plus au but un par un mais deux par deux. Nous
connaissant par deux nous nous connaîtrons tous, et nos enfants riront de la légende noire
où pleure un solitaire". Dans cette citation on a omis dans la brique rouge peut-être, j'ai
omis certainement, "nous nous aimerons tous". Toutes les briques sont rouge-sang.
Planteurs de poteaux à courant qui accourent vers la jeune fille dont la famille fait silence,
et la gène et le départ, sans mots. Qu'est-ce-qui nous fait clair un jour-puis dans le destin de
l'autre ? Quoi sauf un jour le partage des demi-rêves ? Comme une double empathie de ce
qui n'est pas mais doit venir.
Réveil: "remontée d'ashram", tous ces temps de culture cellulaire, d'errance d'une cachette
bio-médicale à une autre, échec de tout clone. Mais: les voyages ! Où seuls régnaient les
potentats dirigés: congrès, regrets de désert.
Lévinas, la dialectique de la parole (p.100): il y a dans la parole une impossibilité de
sincérité qui en constitue l'unique sincérité. Personnages de Dostoïevsky, de Gide qui en
pleine confession s'interrompent pour déclarer qu'ils font de la comédie, de la littérature, et
cet aveu est la seule sincérité qui leur soit encore donnée. La simplicité honnête et posée de
l'Idiot: comme une empathie automatique, mais qui ne règne que lorsque la dépolarisation
corticale et orientée est levée, cette vague corticale de la migraine, de l'aura et que je tente
dans l'épilepsie. La personnage s'en dégage de sa position sexuelle, pour atteindre un ordre
simultané et une égalité de personnes: quotidien et ordre cosmologique, croisement,
Dharma.
Aphorisme: un méthodologiste qui clame n'être en quête que d'une idée, au mieux, et si le
vent est "bon" dans sa vie, est quelqu'un qui n'a jamais dépolarisé, et n'a jamais fumé. La
force du bidi, aussi: est qu'il stoppe sa combustion quand on le délaisse. La méthodologie -
de ceux qui, $cientifiques ou littérateux, ne publient que leurs protocoles - est d'écriture
corticale. La littérature, elle, traque le sous-cortical libre et ouvert au vent de la pronoïa.
22
Mais je me répète, je n'ai que cette seule "idée"... Ou encore depuis ces quelques mois: je
fume à cette idée par jour du bidi, qui est toujours la même et qui est toujours une autre.
La conscience est le mode d'existence d'un être qui peut, et, dès lors, le rapport avec le
commencement est une relation avec ce qu'on ne peut pas.
Lévinas
S'affirmer, dit Lévinas, comme une souveraineté dans cette civilisation, est la condition
pour la transcendance de l'accomplissement d'une promesse.
En terrasse, une ombre toute noire qui me percute latéralement, je dois me retenir de la
main à la table voisine, c'est elle ! en manteau et guitare noirs, coquine et radieuse !
Le mot, dit Lévinas, n'est qu'un signe, qui, taillé dans l'élément du son, confère aux
éléments signifiés un rapport avec le mystère de l'être, qui brise la continuité de l'univers.
Mais la société-QCM s'accommode à sa dyslexie. L'écriture échappe, on compense par des
dictées à trous, il suffit de compléter le programme. Le dyslexique apprend-il l'ordinateur,
ou le virtuel de l'hyper-image, qui n'est plus dans le même registre de césure partielle du
symbole, mais dans l'hyperdistance, dicte-t-il sa loi nouvelle ? D'une logique exploratoire
du langage, et qui laissait libre l'imaginaire des autres plans de langages, on s'applique à de
nouveaux interdits au réel plus massifs que ceux de la logique, sans bien savoir lesquels.
Qui regarde encore le monde des résistants qui tentent ?
Pour Marx, mais en Amour aussi, les grands événements se présentent une première fois
sous forme de tragédie, puis se répètent sous forme de comédie. On se cache, dans
l'ensuite, espérant.
Exil universel et aphasie. Babel fut interdit de la langue commune, à chacun ses césures et
qui ne font plus sens à l'autre, dans le langage des Dieux, ce zaoum du mélange de toutes
ces langues devenues étrangères, chevauchement de coupures mais qui ne peuvent dire, les
hommes étant descendus. Aphasie de l'exilé dans un seul langage maternel, la naissance est
quasi-aphasie qu'il faut éteindre encore pour se reprendre. L'écriture, dit N. Manea, est un
résultat du déracinement, qui oblige à habiter dans les fissures, le sol perdu, portant sa
maison sur son dos. Ecrire après Auschwitz ? Aujourd'hui rien ne semble assez scandaleux
23
à l'audimat des médias, mais rien n'est plus assez scandaleux pour devenir mémorable.
Comment exprimer cet inexprimable dont nous sommes privés par le déracinement
originel, tombés du placenta-contact ? Quel avenir pour les écrivains roumains privés du
refuge et de l'exil ?
Romain Rolland et Panaït Istrati. Il en tapissa sa chambre pour apprendre ce français
mièvre, mais sut camper l'injustive au vent des saisons, chardons des saisonniers agricoles,
chemins interdits des gitans, et toute première dénonciation de la dictature stalinienne. Il
paya de la part des camarades français... Vers l'autre flamme. Une mort discrète en 1935.
Comme une non-tronche du père, aux lunettes, dans la collection Phoebus.
Au Trou-en-Velay, prendre sa carte, c'est pour la pêche. On hésite. Il faut pourtant satisfaire
l'esprit cannibale, le printemps épargnant les animaux à leur ponte, les poissons en relai
offrent leur chair de croissance elle continue.
Il est d'autres émigrés roumains à Paris que des ambigus du fascisme: Elie Wiesel, et ce
très beau Mendiant de Jérusalem, me fut-il offert en toute vision ?
Les changements ne tombent que du ciel, ou alors ils ne tombent pas, dit encore un
roumain littéraire. Mais il nous échoit bien de titiller l'échelle, de ployer sous la myriade
des étoiles découvertes, de voir ainsi quelque peu leur courroie d'unique dans ce
mouvement-là qui s'enclenche dans cette chute, qui nous fracasse, ou nous projette.
Comme un Ph.D. écrit à bout de compétence. Lui était déménageur international, qui ne
croyait pas aux nations, ces cicatrices des guerres, ces gels de la migration première. Il ne
laisse à ses fils que des cartons emplis de souvenirs et une foule de questions. Tout s'y
bouscule, mais oui, joyeusement. Je répète (la science, c'est risqué, peut-on aussi proposer).
Crépuscule des idoles, mais ce crépuscule est annonce d'un plus de réel. Schweitzer
revisité d'un autre côté d'un miroir, dans cette aura qui ne nous apparaît pas, justement, de
l'intérieur des nations auxquelles on a voulu nous lier. Le miroir d'Eliade, lui, est sphérique,
ce qui complique son agonie, l'aura en reste palpable, ancrée malgré le voile. Fascinant
fascisant. Dr America, le Dr Tom Dooley était sans doute médiocre étudiant et homosexuel
de découverte tardive, mais pourtant fondateur d'un royaume. L'image peut bien un jour
tomber, et doit bien tomber, l'aura persiste et nous a donné à la faille, le pli nous explique.
24
Sloterdijk et l'origine technognostique des religions. Elevation de murs, restitution de leurs
fantômes. Sloterdijk (Globes, Sphères II, Pluriel, 2010, p. 240-87). Les murs des
civilisations de la haute antiquité, les premières murailles, celles de Mésopotamie, notre
berceau du néolithique, sont constitutives de notre immunité de surélévation, externe
comme interne. Le castillo intérieur de Thérèse d'Avila reprendra encore, lui aussi, en
quête de sa septième chambre, cette technognostique héritée du haut-empire romain. La foi
est un effet psychologique secondaire à la construction des paléomurs: aucun religieux du
premier palier ne peut discerner ce qui constitue le fait primitif de toute religion,
considérée comme cryptoarchitecture: seul l'emmurement du dieu produit son mystère
spécifique.
Edifices paléo-chrétiens, bientôt les cryptes s'armeront de forteresses-églises. Dans cette
compétition des chambres successives, c'est la crypte, et son rocher originel, qui lui ne fait
plus mur, qui tient de cette restitution suprême du mur-fantôme, quête de l'archéologue de
l'antiquité et du monde médiéval. Nous recherchons constamment la crypte, et ce à la
verticale aussi bien qu'à l'horizontale, dans une démarche phénoménologique ou abscisse et
ordonnée ne sont plus que des modes de chiffrement de notre emmurement et de notre
désaliénation au grand carroyage. Là où, dira Augustin, notre Dieu est plus proche de nous
que de nous-même. Ce là vers où se diriger non plus en faisant la queue, en perçant les
enfermements concentriques, mais en brisant les codes comme on voudrait briser les murs.
Sloterdijk nous redit Eliade, dans son exploration du sacré au néolithique, quand la foi des
hautes-cultures relègue l'"inconscient" paléolithique dans des enceintes de murailles, dans
la ville, d'où aucun recul n'est plus possible. Obscurci, isolé, retranché et perdu de l'autre
côté du mur, le dieu créateur; dans la ville, un dieu "sauveur" auquel il faut désormais se
livrer, sauf à retrouver la crypte: Sloterdijk nous donne ce lien étroit entre archéologie, foi
et "psychisme néolithique" qui nous gouverne encore. Nous offre une lecture de cet
ésotérisme néolithique, et de son hermétisme, du sadisme du constructeur, du masochisme
du contemplatif emmuré. Gilgamesh, roi d'Uruk, cette énorme cité de sans doute plus de
50.000 habitants en l'empire et l'emprise de Babylone en 2700 avant J.C., fait le premier
récit, celui de son échec dans l'immortalité, sur lequel Epicure fera deux mille ans plus tard
ce commentaire: "face à la mort, nous vivons tous dans une ville sans murs". Et si
aujourd'hui, livrés au monde globalisant, les murailles physiques des cités ne sont plus
aussi épaisses qu'en Babylone, mais sont des parois fines, notre immunologie en est-elle
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pour autant modifiée, avons-nous quitté le néolithique ? Car si les limites de notre être ne
sont plus en murailles concentriques mais en emboîtements décentrés et chevauchants,
"réseaux", "entreprises", "classes sociales", etc..., ne sommes nous pas masqués au réel de
manière encore plus complexe, distante et opaque dans cette "modernité" ?
Si la Grande vérité l'emporte, alors la terre sera la propriété de tous. Alors les hommes
n'aimeront plus seulement leurs proches, ils ne se soucieront plus seulement de leurs
propres enfants. C'est celà, la grande communauté (vision de Confucius, face à la
claustrophilie et la xénophobie de ses compatriotes).
Sloterdijk rejoint aussi la démarche mystique d'un de Certeau, dans cette description
oxymorique du mur, car les murs, porteurs de miracles, quoi qu'ils montrent déjà d'eux-
mêmes, dissimulent en même temps quelque chose d'essentiel, même s'il ne s'agissait à
première vue que du mur suivant. Quête de la crypte, de l'argile, du rocher originel qui est
celle de l'archéologue sur son champ de fouilles, ou quête d'une cité utopique sans plus de
murs, à l'image de la Tchevengour de Platonov, ingénieur es-argile qui s'emploie à faire
déplacer chaque fin de semaine les quelques maisons encore debout dans une ronde de
désespoir communiste, ou encore "graal" du mandala kalachakra tibétain où l'initié devra
parvenir à franchir nombre de constructions avant de retrouver la semence pleine du centre
emmuré. Car de la cellule primordiale à la cathédrale occidentale, la membrane, le mur, le
rempart sont autant d'épiphanies.
Visions prophétiques d'îles plutôt que dissection du panoptique des tours-murs. Oasis en
désert: d'où l'on sent plus que l'on ne voit, comme si l'on était en mer. Attrait pour
l'immunologie, mais en déconstruction, recherche de l'atteinte du fantôme archéologique
du mur, du mur spectre total, métamatériau.
Seule une existence purement physique (prison, camp, simplicité volontaire, ashram, etc...)
peut permettre de ré-atteindre au noir de source. Le corps en vecteur obligatoire de
l'énergie d'arrachement originel.
Mézenc et Allambre vus de Nolhac: le lingam et le réceptacle de Shivah.
26
Réveil: marre
d'extraire mes
souvenirs
comme de
vieilles dents.
Tournée en bicyclette assistée - mais la batterie faiblit vite aux rues en fortes montées - j'en
reviens penaud, ayant réalisé pourtant mon évasion, échappé au rendez-vous sans question,
la nuit m'en avait donné l'évidence, je n'avais aucune raison. Je tournai, donc, en boucles
dans la ville, insulté de ma liberté par le camionneur enrageant au feu rouge, moi le croyant
vouloir me réorienter. J'étais irrémédiablement libre, bien qu'assisté. Electrique de cette
énergie qui filait.
Enorme guitare de trop petit, corde cassée-sourire, la croix masquée et pourtant déjà forte
de haine, cadeau de la mère, qui l'a oublié. Oublié ? Elle sourit plus maintenant qu'elle
nous échappe. Elle trouve sa
présence, que nous aurions aimé
côtoyer enfants; elle accepte enfin
d'être guide, perdant son guindé.
Découvrir le père dans ses furtives
phrases de fin, la mère dans son
silence enfin. Cancer versus
Alzheimer, fumée précoce et
fumée tardive, j'espère en ce
centre.
"Je découvre votre travail, mais ce qui se passe est très fort, car il est des écrivains qui
n'ont pas vécu, des lecteurs qui en vivent, et vous nous donnez ce centre", aurai-je pu leur
dire, à ces quatre de l'atelier d'écriture de l'hôpital psychiatrique.
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Hegel: en-soi durable dans des dimensions qui ne sont plus orientées, rejoignant peut-être
l'univers physique de la théorie des supercordes. Mais pourquoi donc n'apparaît jamais
cette possibilité mathématique de dimensions multiples de temps, sauf à relire les
psychanalystes (A. Green) ? Les présocratiques eux-mêmes ne semblent que vouloir abolir
le temps, sans poser clairement le possible de sa multiplicité; même les mondes de la S.F.
ne s'autorisent des temps diachroniques que dans des mondes parallèles mais peu
communicants. Théorie des multivers de la S.F., rejointe par la théorie des cordes encore,
où se déploient électivement quelques dimensions choisies d'univers, mais toupours une
seule dimension temporelle. Einstein même ne posa dans sa relativité qu'une courbure du
temps sous l'effet des masses, sans oser théoriser des temps multiples: ?
La Madeleine à la veilleuse, retour à l'homme, Eliade partiel sans journal 1940 et
Alexandra David Neel m'y attendent, mais "vendre ce lieu" trop fermé encore pour le
champ et son centre-yourte, où d'autres refuges peu-à-peu s'adjoindront.
Réveil: j'ai vu le ciel de lotus, détail sous couvert de l'automate sacrée, danse en un ciel
toujours proche, bleu-vert mer et paon.
Eliade: une présence du réel plus qu'une mécanique structurale. Une phénoménologie des
religions, plutôt qu'une "histoire" des religions. Mythes, messianismes et guerres ? Les
généraux sont ailleurs, et pas dans tous ces livres qu'il nous reste à lire. Coquille, carapace
et crâne sont les livres; au reliquaire, avec la poudre de source du Gange, d'une source, il
ne manque au fait religieux que la consubstantialité de la relique.
"Je vois une fonction sociale à l'histoire des religions", poursuit Eliade dans ces entretiens
(p. 125): voilà la thèse, qui prépare un certain oecuménisme religieux; son oeuvre et son
courant, la contre-culture, Chicago, ont favorisé ces rencontres, mouvement hippie comme
Taizé, et on l'a voulu guru de ces années là. Eliade a certes posé là un "New-Age", mais
sans son aspect commercial, sans ce cognitivisme ou ce dessein intelligent qui maintenant
en émerge; quelque chose comme l'atmosphère du campus universitaire de Chicago, mais
sans Chicago; un lieu risqué, certes, où "la liberté de l'esprit est telle qu'on ne peut
l'anticiper". Eliade ne propose rien de moins risqué en effet qu'une phénoménologie des
religions (p. 138), qui vise à nous faire revivre ces positions, ces moments, un "comprendre
du dedans" la situation de l'homme en sa religion primitive (ou pour le moins néolithique).
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Et à cet empathique vers la religiosité première, répond un risque de possession secondaire
de l'historien (comme du thérapeute se risquant au soin non médicamenteux de la
psychose): un risque existentiel de l'aventure intellectuelle, dit Eliade, où il risqua parfois
le passage irréversible, mais risque qu'il sut dépasser. Risque existentiel de décompensation
psychologique dans la traversée du mystique, par la participation au phénomène, et risque
majeur par rapport à Hegel, qui, lui, "ne s'occupait que de deux ou trois cultures"...
Spectre du cannibalisme, omniprésent, aussi, (p. 140), cette énorme liberté vivante dans les
rites orgiaques, et jusque dans le mouvement hippie, et sa créativité. Eliade valide les
catastrophes créatrices (p. 143), y compris celle du nazisme, la déesse-mère shivaïste
enfante et tue dans ce monde où nous vivons "entre" animal et esprit, il y aurait un sens de
l'horreur à appréhender dans une voie parallèle à celles de la mystique, du yoga, de la
contemplation. Condamnation par contre du meurtre moderne "inutile", "désacralisé", de la
cruauté pure, mais "pour les SS l'anéantissement de millions d'hommes avait un sens
eschatologique"... Et encore, sur l'idéologie nazie: "ces malades, ou ces passionnés", qui
auraient basculé dans l'effondrement existentiel... Il n'y aurait "terreur de l'histoire" que si
le mal n'est pas accolé à un sens, et Eliade navigue dans cette herméneutique et cette
créativité-là de ce sens parfois horreur...
Eveil: quand on meurt (m'envolant) on s'aperçoit que ce monde est plat (comme une feuille
blanche peu écrite, et presque pas plissée, à peine quelques montagnes d'émoi et de
conjonctions). Noir et blanc, aussi. Mais non irréel: un feuillet de tout ce qui est. A tous
ceux qui explorent ces plis, où nous nous retrouvons. Etranges, convaincus ou
explorateurs, y tentent des pieux, vers toutes les autres strates, avec péril souvent (ce risque
existentiel de l'aventure). Moi, je me laisse pour mort, réintègre le plan peut-être, éveil.
Ages obscurs: préhistoire et Alzheimer. Le second attend aussi ses phénoménologues.
Eliade se livrant, sans construction sans doute, mais avec quelques scotomes de choix (ses
sympathies fascisantes; ses expériences tantriques). Compréhension cosmique et destinée
propre, gnose de Princeton, une phénoménologie qui permet de balayer, voire de décrire
l'unité de l'esprit humain et sa créativité, en partant de l'analyse de l'imaginaire et du
symbolique: "le sacré est camouflé dans le profane, comme pour Freud ou Marx le profane
est camouflé dans le sacré". Dès l'enfance, une expérience en pénétrant dans un tout autre
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espace, le salon interdit des parents, lieu d'un social ordinaire bourgeois pourtant, mais le
fanum interdit qui s'emplit d'une lueur verte d'un centre plein. Mon fanum interdit exista
bien, ce premier chantier qu'on me refusa car appartenant à un autre champ, de discipline
(un médicastre qui se voulait fouilleur!), et du père Mathieu, aussi, qui y soignait je ne sais
plus quels choux au croisement d'une déroute de Thérouanne. Interdit surtout de par la
volonté que je n'exprimai pas, non né, trainant de père introuvable en père occupé. Mon
fanum en propre existe pourtant, il fut dans la contemplation de routes interdites, liquides
ou souterraines, de mes huit ans, puis circulation à pied en équipe scoute ou en caravane
pourtant familiale sur ces routes qui en devenaient dès lors sinon sacrées encore, mais bien
autorisées de l'institutions et échappées. Maitryi, elle, y était encore soit invisible, soit
dangereuse.
Eliade tend à atteindre l'autre espèce humaine, qui est androgyne. Sous l'influence de
Kierkegaard (lui aussi me resterait, semble-t-il, à découvrir tout au moins en ses mots,
sinon en son message. Ne pas lire K. lui-même, qui serait "dilué", mais les études Kennes de
J. Wahl, conseille le maître, souvent critiqué pour sa culture de seconde main et de
bibliothèque plutôt que de terrain), il se sait précocement pamphlétaire, fiancé et ermite.
Reformer une philosophie, amener à lire les penseurs à l'âge encore ouvert, éviter le nuage
forcé qui règne dans l'éducation occidentale, suggère-t-il. Le socle de l'histoire des
religions: Le Rameau d'Or de Frazer (et ma joie d'être encore inculte !). La gnose: le jnana
yoga, Pic de la Mirandole, Ficin, et l'orphisme. Voir, voir, tout celà ! Eliade, sans doute, ne
cherche pas un guru qui reviendrait parmi nous, mais un homme en partance: celui qui, au-
delà de cet espace que nous partageons (le monde plat de mon rêve) arpentera le
labyrinthe, par les plis. Sur ses expériences yogiques, donc, Eliade se livrerait quelque peu
ailleurs, dans son roman Le secret du Dr Honig Berger, et sur l'"érotisme" dans La nuit
bengali. Fragments d'un journal, aussi. Et le grand initiateur semble bien Milarepa, dans sa
biographie comme dans ses poèmes.
Néolithique, le sujet d'Eliade est le sacré au néolithique, ce grand pli toujours de la culture,
et la chtonalgie est-elle alors cette douleur nouvelle de l'homme qui érige les premières
limites étanches à la nature ? Le rêve, en tant que mémoire de notre vibration
d'arrachement, est bien le livre de notre destinée; plus que "prémonitoire", il est description
fidèle de cette "destinée" qui n'est autre que l'originaire spécifique qui porte chacun de
nous, une vibration une, mais torsadée par notre forme. La vie, torsion du néant en tant
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qu'arrachement originaire, à cheval sur la probabilité de notre forme, propose le fils
complétant l'équation du père Pierre. Et selon Platon, la connaissance consiste pour l'âme à
se souvenir des Idées qu'elle a contemplées au Ciel; pour les soufis ou le zen, "contempler
le visage d'avant sa naissance".
La lokoapattes de l'imagination tire le train où vont les choses, livre quant-à lui Fred;
comme un crâne de l'imaginaire qui transcende le caput mortuus. De l'odeur pleine de
l'encre, imaginaire total, au point du bidi et de son vertige horizontal, les choses n'ont pas
changé. Plein pouvoir de ce mot choses, réel de Ponge, mystique de Lacan, vécu dans les
choses totales du haut hindouisme. Les artha nous articulent bien au réel, et non le manas,
qui est aussi chose en abyme; chacune des choses a cette articulation au réel qui s'écrit, se
projette sur la portée (infinie ?) du mille-feuilles deleuzien du réel. La bibliothèque
philosophique totale se construit autour de Mille Plateaux, de Qu'est-ce que la philosophie,
de Philémon et de de Certeau. Et je me retrouve à nouveau en l'oncle Félicien, qui n'a plus
besoin de voyager, mais sait imaginer l'entrée de tous les tunnels.
Le ternaire éliadien, sur le modèle de Dumézil qui l'épaula à son arrivée en France:
alimentation, travail, vie sexuelle. "Vivre en tant qu'être humain est en soi un acte
religieux", ce mode d'être ouvre l'expérience du sacré, phénoménologique. Une ipséité, une
oïkeiosis; c'est par ces expériences, et non par la vie religieuse, qu'il faut se construire.
L'exploration du labyrinthe, chemin des épreuves-expériences; Neumann, disciple de Jung,
apporte la notion d'un "centre" de ces expériences sacrées, mais "nous sommes des êtres
d'aventure", aventure qui nous distingue des pierres, des plantes et des insectes (la ligne
claire du vivant ne serait pas alors dans le mouvement, qui peut être imprimé passivement
à tout tissu organique ou minéral, selon les stoïciens, mais bien dans cette force
hegelienne de l'exploration, en amont de ce mouvement).
Le nourrisson donne tous les sourires et tous les droits à la maman. Second mode d'accès à
la terre-mère, la maternité, et sur un mode peut-être moins psychotique que dans l'amour.
Voilà pourquoi sans doute l'Inde, mais aussi l'Eglise catholique, n'envisage-t-elle pas de
dissocier sexualité et conception. Ceci dit après lecture de Mayetri et sa triple interrogation
finale.
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La littérature devait très bien pouvoir se passer du livre, cette occasion matérielle, qui
aujourd'hui est circulée, le texte n'étant plus qu'occasion de connexion. L'auteur seul,
d'ailleurs, s'enfermait dans le livre, soupape, devant l'impossibilité du dire, l'écrasement
d'interdits. Un code, un texte, une souveraineté. Soupape de l'écrire, quand, tout près du
réel, il faut écrire inflammatoirement, afin que ce tissu qui maintenant nous trame puisse
rejeter sans sanction ce social qui encore tente notre découpe à froid. Parler des pauvres
quand on ne l'est pas c'est s'exposer à l'anathème, et à ce rejet, maintenant, de nous-même
par le tissu. Avec le clochard, dit P. Bruckner, la compassion n'est jamais loin de la
violence, la charité de la haine. Car le peuple des berges, à l'hébergement de la cloche
céleste, s'il n'était pas déjà rêveur, le devient, illuminé; cloche pathologique, et pathologie
de la cloche, voyage sans doute absolu. Bien loin, bien loin de l'ouvert plein, qu'est-ce-qui
branle la cloche opaque du cybermonde ? L'usage ou la maille imposée ? Le réseau est-il
vraiment celui de la nouvelle migration de masse de la population vers un nouveau
continent ? Ou dérivation, itinéraire de délestage du désir, qui bientôt deviendra circuit
obligatoire, les routes et les ciels se nécrosant d'oubli ? Internet n'est ni média, car il n'est
plus de source centrale, ni oeuvre reproductible, car totale plastique d'un contenu (dans une
forme pourtant sévèrement imposée); nous y sommes aliénés non seulement par notre
capacité réceptrice, mais aussi par nos émissions qui s'y tubulisent, délaissant les auras de
l'affect. Cette nouvelle viralité sociale, est mouvement, forme, attraction qui l'emporte sur
le fond, analysent J.-F. Fogel et B. Patino; un colle-au-social plutôt qu'un fouille-réel,
qu'était la littérature-livre. Un flux qui tient autant de l'électricité qui la porte (comme la
douleur) que du débat; et un flux éphémère, vite submergé par un autre, d'aussi peu
d'importance. Mais dans cette régression étonnante, l'hypertexte du réseau social recrée
aussi l'ambiguïté créatrice des premiers manuscrits médiévaux, où le commentaire du
copiste se diluait à ce qu'il reproduisait. Carl 'hypertexte abandonne l'italique et la
guillemée, le commentaire différencié des textes sanskrits ou la note de bas de page, et
jusqu'au nom de l'auteur, dans la liberté du clavier. Mais qui, dans ce flux des posts, se
soucie encore de cette créativité, et du message ? Du pouvoir étrange du littéraire, de
l'écriture, de son matériau, plutôt que du dématérialisé, qui ne gère plus son énergie perdue,
livrée à la connectique et à une onde impalpable à l'usager ? Et quel écrit utilisera demain
l'histoire pour juger cette toile qui nous guide-prive notre électrique ?
Eliade et la Bhagavad-gita: la guerre aussi peut être "karma-yoga", acte désintéressé,
renoncement au fruit de ses actes; mal et compassion se rejoindraient alors, acceptation
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d'un chat qui hurle... un dépassement de la logique et de l'interdit... un double mouvement
entre un moment de la création (du "temps" des origines vers celui du temps légendaire
puis du temps historique) et un moment herméneutique, en sens inverse: dans ce retour-là
rien n'est perdu et siège la mémoire. Lévy-Bruhl, et la phase prélogique (Gödel pourrait
intervenir..;: n'est-elle pas encore et toujours logique, incomplète, cette origine ? est-elle
pleine, consistante ? ) de la pensée humaine, avec ses explorations-vols ascendantes, et son
noir de source à la J. Bousquet, "descesus ad inferos", dans cet aller-retour, ou cette
combinatoire qu'il faut rendre incessante, entre ces deux mouvements (insérer scan
schéma). Cycle des oiseaux de Brancusi, autre zaoum: l'artiste y recherche non le vol lui-
même, mais l'essence du vol, ponctuation du labyrinthe. Pour Eliade, le contact par l'extase
au sacré n'est pas une "mystique", n'est pas un cri de la perte de contact; mais l'expérience,
elle, englobe ces deux aspects, se vit dans le parcours du labyrinthe comme lors des sorties
de ce labyrinthe. Et notre corps, soumis à toutes les pesanteurs, est capable de navigations
comme de "transmutations".
n: valeur pleine de cet effectif impossible des statisticiens, toujours pourvue d'un manque,
qu'ici on appelle risque.
Réveil: bloc de sommeil (condensation tête-mains-etc, foetale), des vers y-aspirés défilent
en clair. Ribosomique ! Je ne les note pas, pensant les avoir déjà écrits...
Biographie d'un frère altiligérien, enseignement, patronage, camps de jeunes, missions en
Côte-d'Ivoire, puis bienfaiteur des polios... Attention ! Frère Polycarpe va parler ! Toute
une gangue de colonialisme ! Mais qui masquait la beauté de ces hommes, aussi ! Appel
interdit de mon scoutisme des années 70 ! Et la technicité-prétexte ! Soeur Sourire
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fracassée ! Mission impossible ! Mais attention ! Frère Polycarpe va parler ! Frère
polycarpe parlera-t-il ? Ces jeunes que l'on draguait dans les campagnes (aujourd'hui
encore aux USA pour gagner le Golfe ou autres Afghanistans), sous la conduite des Pères
des villes; tous ceux-là qui sont "allés chez les Frères" et en ont gardé un éveil peut-être ?
Simple hyperactivisme ? Foi ? Compassion comme Mal... Dois-je maudire mes parents
d'avoir été trop bêtes, ou trop absents, pour m'évoquer une voie religieuse ? Frère
Polycarpe aurait-il parlé ? Parlera-t-il dans ce besoin de contact (cf. Eliade ci-dessus) qui
se renforce maintenant d'année en année, après toutes ces années d'autisme ? Frère
Polycarpe a-t-il touché le monde, son évidence et sa joie ? Nécessaire traversée du trauma:
les Pères et leurs enfants handicapés,une fois l'école et la catéchèse "usées" à leur
activisme, celui que je n'ai pas ? La vie dans ce plan en pure traversée du corps-trauma,
ouverture de l'oeil interne, une fois l'horrible exorbitation réalisée...
Zeno Bianu, chantre des poètes du Grand Jeu, disciple de quelque cercle... qui me touche
...les yeux sous le oui affleurent dans un bleu d'aube pour saluer les anges et les
dépossédés... rappel au plus insoumis de toi-même, à ton noyau de mort errante... Peut-
être la mort n'est qu'un phosphène, une brèche pour respirer autrement; cours plus vite
sous la cendre, traque les instants où se lève la parole, enfouis-toi dans les limbes d'une
seule seconde. Elle disait encore comment ouvrir une prière jamais dite remontant à la
source. Nous nous insoumettons (La Troisième Rive, Fata Morgana, 2004).
Eric Jaqueline, assistant d'histologie que je ne fus pas... et mes macrophages qui doivent
gérer ce bidi maintenant quotidien. Le journal est la seule littérature qui tienne, qui lève
l'angoisse de ce qui est étroit, cette pure étymologie de détresse - si on m'autorise cet
oxymore - qui donne la question en migration, nous dit Adler dans Voyages: ces quelques
lignes le valaient bien, ce voyage, qu'à nouveau on me le permette, moi qui ne suit
aujourd'hui encore qu'en témoin obligé de tout ce que mes parents se sont vu occulter de la
guerre. Abandonner toute prétention au clavier, mes deux doigts pauvres frappeurs sont
une chance contre toute cette dyslexie du monde d'aujourd'hui, laisser glisser cette plume
qui tente à abolir toutes les césures.
Art et santé mentale, lectures croisées, en revanche contre les murs. Portrait chimique:
suis-je moi-même sous clopixol injectable ? Emoussement de l'affect. Viennent alors les
année solian: manie. Années zyprexa: prise de poids. Abilify, trop haut; zeroken: bien. HP
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libératoire: enfermement sans sentence, consignes secrètes, injustice, attente, solitude.
Notre folie nous est bien commune, mais la douleur, elle, est la, charge des fous: notre
décharge. Ouvrir un livre: l'envie de boire s'en est passée, intérieurement je le déguste, je
me plonge, je garde tel passage, la répétition est comme une fête. Lectures de contes à
l'école: les personnes handicapées, encore, font du care. Beckett et sa psychose, aussi. je
déambule à gauche de mon couloir et je fais tourner l'hémisphère sud, je pense que celui
que je croise de l'autre côté fait tourner l'hémisphère nord. La guerre la ferme le
catholicisme les cris les grossesses les bottes de traîtres (quel lapsus...) le pensionnat le
linge neuf le numéro
Les sinus s'ouvrent il faisait longtemps quelles sont donc ces bottes de traître quelqu'un un
jour lui a-t-il demandé demandé demandé demandé quelqu'un c'est moiu je n'accroche rien
il faut répéter celui-là me demande mais il tourne j'ai déjà répondu mais moi aussi moi
aussi moi aussi j'ai tourné c'est dans l'autre sens les bottes de traite la ferme oui la ferme on
se tait par la suite par la suite on nous taira (Tes petits pieds dans les traces de mes sabots,
R. Defay). Renée. Le médecin lui lui ne s'est jamais autorisé rené rené. Je tourne, ça
tourne, oui ça tourne, je n'ai pas le dire ça tourne le médicament les murs les murs. Je
donne du coeur et de la voix, parce qu'on est là pour ça.
Le voyage (Adler) n'a pas de lieu mais un milieu, là tout est présent, Paul prend sa part,
parcourt beaucoup de chemin avec ses parents et ses amis, descend, meurt. L'image du
voyage. Le souvenir en pérégrination. Il y a un milieu comme lieu d'origine et destination
du voyage. Ai-je atteint le but ? Suis-je l'invité ? Je me tiens sur la scène, même en tant que
mort fuyant le phénomène. Il y a un milieu où exister, et la contenance est dmilieu/dt. La
fuite devant l'apparence, pas de tranquillité... voyage... emporté... déchet, rien que déchet.
Le pèlerinage, lui, est contenance du groupe, contenance des morts, communauté à la M.
Weber. Il me restait encore quelques représentations. Le déchet est partout. Ce qui nous
appelle, c'est le devoir de reconstruire.
Le métro de Porto (coup de massue d'un nez fabuleux en bord d'océan, fort, tempête, plus
de sardines ici) est en arbre et non en étoile, s'ouvrant vers les vagues et le nord. Il a un
tronc, et pas de centre, à l'image de sa ville. S'ils faisaient une révolution, ils en
trouveraient bien, un centre ? dit-elle, elle, tendre. Ils sont conservateurs, répond-il.
Immune Porto... "Oh les mêmes épaves de toujours, entre l'Asie et l'Europe. Les luttes, les
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variétés éclatent dans ces côtes et partout. Où reste la mer dans sa détresse irréelle ?" (cet
après-midi, l'océan frappant les rochers où s'établit le fort à l'empire des identiques). "Et les
empires et toutes leurs provinces ne durent plus. Ils sont l'affaire des gens vaincus", la
frontière est le propre du vaincu à son niveau de tentative impériale.
Nous ne sommes pas rue des Douradores, et pourtant Pessoa est partout et nous foulons
son pavage, son portant, ses frontières. Meillassoux m'offre une densité conceptuelle de
mon "oeuvre" que je croyais passée, redoutant d'ouvrir son mail, croyant en sa politesse
face à ma folie. Feuilleté, éclat et transparence. Enormes granites pailletés de mica des
roches lusitaniennes. Dressées en murs ou domestiquées en pavés. Un bardo entre la rue
qui rejoint de la rivière la ville haute, dans la brume de l'océan, passant sous la ferraille du
pont ou quelque métro à la lueur de buée semble traverser l'espace d'une rive à l'autre sans
plus aucune consistance intermédiaire. Des chats tranquilles et des vides-ordures au plein
de la pente. Du linge qui pourtant sèche, donnant une verticale rose à ce chaos de gris, à
cette étoile faite d'ombres de poutrelles Eiffel. Quelques rais d'un improbable réverbère:
bardo, étage, étoile.
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... "d'autres foules plus vouées à quelques histoires absurdes. Voire des odes, certaines
épigrammes dangereuses; rien ne va changer la vie en mort d'un seul coup. La mort, ça
n'existe que dans les forces ignorées des vagues ou d'autres choses encore mémorables; les
allures de ce monde décimal ne changent pas la bride des âmes, il y a peut-être un
écoulement, des tempêtes, quelque égarement de symboles" (J.P. Feio, Pathos, in Sundry
poems collected as poetical tracts). "Le monde décimal a triomphé, aux abords d'une vie
dorénavant déconsacrée. La compassion n'est plus visible. On souffre, désormais. Et l'on
craint l'ennui, la mort, les machines et les leviers du profit. L'Occident n'a plus de sens.
L'Orient s'enfonce dans ses ###" (humeurs ? humours ? hum...?)
L'étrange n'est pas celui que l'on croit, que l'on croise sur la brume à gros sable de la plage.
Hier baigneur décapité, rongé, comme un organillon tardif d'avortement, comme un trop
néoténique mal engagé; aujourd'hui un foetus de chien (ou un rat nude). Longue queue, sur
la grève, quelque part entre poisson et mammifère: une récapitulation portugaise. Ces
roches maintenant, encore, qui serrent ce presque-cap, en un passer à battre. Verticalité des
vagues, surfant comme sur elles-mêmes, jusqu'en geyser, positivité de l'abyme marin;
Saudade. La Mauritanie, atlante et déserte, est en continuité de cette terre-mer. Un enfant
élevé en ville peut-il encore être compensé ? Odeur d'anis, des plantes grasses sous le vent.
Compostelle en galerie de gâteaux. Quelques femmes sur le pas de leur champ y vendent
citrouilles et blettes géantes. L'Italie, bientôt, autre voyage, dira le sud et le fenouil; ici
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Manuel a mis en grenier dogon le varech qui doit nourrir son champ.
Ponte de Lima, rio, et ville aux directions pleines. Brume stable, Noël sur terre, ici est eau,
Elle dans son bain, enregistrer tous les sons qui passent, et sa voix de soprano, et le
rythme: dans chaque gouttelette stable. Julian, L'Ombre du vent, jeunesse des passants de
noir, hors toutes le "automobiles" que les pères de famille vont chercher. Que rassemblent-
ils (y ?). Mussorie encore, bidi qui restait à venir. Parking insubmersible, sauf les jour de
marché, nous ne craignons rien sauf de l'eau, passants d'attente pris au flux, plus aucun
horoscope qui vaille, lichen absolu, quelle est ta symbiose rêvée ?
Sur son monte, sur la route de la devenue sainte, la capella de Madalena n'est qu'eau, qui
rebondit, flotte, coule, s'évapore, nous composte, permanents ici au monde qui circule.
Elle: est là où elle devait arriver. Les femmes sont à l'eau magnétiques. L'onde tourne,
aérosole, neige de soleil, été de décembre, et j'écris dans les bulles même sur la peau de ce
carnet. Ciment-boucles tordu des kermesses, invasions de mon enfance-pourtant, en ces
massifs où le sud se découvrait de leur ombre, ces labyrinthes de joie à se cacher des
adultes et à être au monde, ces jardins des Soeurs missionnaires malgré ce Nord, comme
une foi portugaise transportée en les murs de la ville déjà-toujours usée, la ville alors
éclatée, libérée, pur espace d'émois et de chagrins.
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Striptease au musée d'art moderne: "il n'y a pas une phénoménologie, mais bien des
problèmes phénoménologiques", dit-elle discutant des couleurs et rangeant ses vêtements
en cubes, impassible (mais promptée), séductrice finale. Wittgenstein, Remarks on colour.
A Porto, immune à la modernité, frappe toujours le "calash-calash" du fondu-enchaîné,
trois projecteur pour une ambiance de jardins lisboètes. Paniers circulaires mais
programmés: cybernétique et société, pour une aura pourtant au-delà de la machine de
Turing.
Le retour, ah! être à l'étranger du temps... larges des quais ou des valgo, y être vaste et
fainéant, places estago de ces villes amples et vides, comme des fleuves toujours partis,
partants. Le Puy nouveau sous la pleine lune, exotique et froid. Elle envahie dans son chez
elle: par moi, et ses fils. Nous faut-il de l'ordre ou du temps ? Ou les autres ? Je suis un
sol(it)aire qui n'ose pas voyager seul, elle me confisque et plonge dans Mystiques et
magiciens du Tibet (A. David-Néel) dont je voulais apprendre les asanas.
Italie. Notes végétariennes sur le journal de Genève (###). Tournerons-nous toute la
semaine autour de l'ashram qui nous amena ici ? Cisternino, Cisternino, mantra d'autour
encore, mantra de route.
Pour mon anniversaire, elle veut m'offrir un saut en parachute, moi j'préfère un seau de
compost ! J'aurai au final un sot dans le compost. Mon destin était scellé.
Psychiatrie ou compétence en humanité précaire ?
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Dans l'ashram à venir, il y aura la salle, le vestibule, des figures tutélaires, Allwright,
Mother et Aurobindo, Soeur Sourire ou Aimé Duval, etc... Méditation sur les textes
d'Allwright. Leila songs et consultation de schizoanalyse. Fleurs dans l'Oka, et dans la
Ganga. Mandala de Michelangelo (cf. pièce en euros) with Anda's lotus all around. Au
centre du lieu: le compost. Salle des gurus et des fleuves, salle des communautés, aussi:
Auroville, Larzac, et Touva, Asie centrale à venir. Et puis les textes, de la supraconscience,
et du réel. Borges pourrait être de la bibliothèque, et Winnicott, Green, et pas mal d'autres.
Et puis le théorème de la table du nuit-radio du père, en sa cellule pas si recluse qui guettait
la vie extra-terrestre, quand la science-fiction (et K. Gödel, en secret) théorisaient déjà des
voyages par les différentes dimensions du temps, "Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se
retrouve et se transforme dans la nature". Et le guru, dans sa cellule feutrée et ouverte, se
consacrera à l'écriture du monde de la cellule, cet ouvert-fermé. Et sa "pathologie de
limite".
L'ahsram à venir, un vaste espace, enluminé (mer, rivière et/ou soleil), des abris de passage,
un bloc central-bureau, un camping permanent sans réservation, un mouvement interne qui
s'alimente aussi aux déplacements des visiteurs, comme une Tchevengour non pas cyclique
d'absurde mais une ville blanche auto-catalytique.
Ne plus déménager plus vite que je ne décomposte ! Toutes les marches sont renégates.
Suis-je blocage (réutilisation, cora), ou parement (une surface, plus ou moins
renouvelée ?).
Les accords-bornes de l'harmonique te sont imposés par ton éducation, même artistique;
mais ton individu danse le déséquilibre entre ces deux harmoniques. Le chamane voyage
dans les deux sens de cet autre harmonique de l'espèce; ou peut-il fusionner les bornes ?
Fin mars, au Touquet, le froid printemps de sable a une lueur blanche intense qui nappe
toute la ville, l'air lui-même, le bruit lui-même. Ici il est vrai on échappe au bruit
d'ambiance neutre et gris de la ville, et dominent les doux fracas des vagues que le vent
nous donne jusqu'aux maisons.
Ecouter l'arrêt de la pluie, les haies maintenant gorgées de blanc, l'éclat plat des pissenlits.:
le bruit soudain levé que ne font plus les gouttes lentes, un silence vif, comme lorsque les
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murs de la caverne-maladie, chez Michaux, se métamorphosent plus qu'ils ne se
disloquent. Ecouter les parcelles colorées d'un maintenant.
Un Thé au Sahara avait donc été
interrompu une première fois, juste après
mon diagnostic, elle de sommeil, et
aujourd'hui la fuite totale, frustrée de cet
exotisme qui est, heureusement, derrière
moi. Enterré son Monchu Moldu, elle
part chez les gens normaux, en quête de
mariage, et en seul orgasme de la
baignoire; elle part dans l'ombre pourtant
d'une dernière fesse. La séduction, nous
montre bien le film, c'est tenter de réduire
l'autre, celui qui fuit, en esclavage; je
pousse un grand Ouf !, les hirondelles
sont bien là ce matin comme je le
pressentais, enfin libérées de l'eau de la
vallée.
Possession des petits riens. Le monde figé des urbains n'est lisible que par une certaine
forme d'illumination, qui ne relève ni du sujet, ni de l'objet, écrit Warren Montag relisant
de Certeau. Qu'est-ce qui donc, vu de la ville, pourrait ne pas rentrer ici ? Tout le monde
n'a pas voulu converger vers la même boîte de nuit, ramassons donc la mémoire, et c'est
aussitôt le clavier qui s'emballe au feu de mon petit truc, après un bon repas au soleil, seul,
comme il se doit, là sans doute je rejoins un peu A. Nothomb, même si elle est sans doute
toujours multiple dans son apparente redite littéraire de ce qui ne se mange pas, se mange
trop, se gerbe. Elle ne peut prendre sur elle le risque du débordement, aussi travaille-t-elle
à jeûn, tout au moins de calories. Ramasser, donc, "ce qui aurait pu y rentrer", dans cette
ville qui se délite au sujet: ainsi de la mémoire, au feu de la micro-histoire collective, qui
tente au réel de ce que toute une histoire prétend avoir nettoyé. La ville: quand l'absence de
camarades vaut mieux que leur silence.
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Je la laisse à tous ses feux verts.
Zomia: une histoire anarchiste des hautes-terres d'Asie du Sud-Est. Zomia, terre de
Zaoum. Inclusion de tous mes bouts du monde, refuge, un loin, une vallée, et une
itinérance donc de ce fleuve-là, qui pourrait même permettre l'abandon de l'écriture, là on
n'est pas dans un "pré-quelque chose", on peut s'y affirmer post-sédentaire. Comme en ces
confins Inde-Tibet-Népal, où peut-être reculent toujours les glaciers, mais quelque chose
toujours s'ensemence. Tout est prêt pour l'oubli, qu'on appelle l'éternité ? L'écriture procède
du phénomène hégélien: la phrase posée s'efface à la lecture; mais le chef-d'oeuvre,
conquérant des territoires, élargit notre domaine (Ch. Dantzig). Un dernier sifflement balte,
inconnue totale de la langue des serpents, si continue que rien ne peut la faire affleurer à la
mémoire, d'un effroi d'étrange, cette mémoire du "quand-nous-avons-quitté-la-forêt", cet
oubligatoire qui nous fait craindre, et tomber malade, parfois. Un jour, pourtant, il faut
quitter le Centre. Ou écrire un pamphlet, à l'ombre des tronçons d'autoroutes, si l'on
s'oblige encore à suivre deux lignes de crête (crête: ce qui est à la fois le nadir et la faille),
pour tenter, comme les médiums, d'entrer en lévitation par effet de levier, et de nous
regarder déjà, non plus dans la glace, mais dans le papier.
Borges: un style ennuyeux, le mien, de commentateur, mais une torsion de la littérature sur
le réel: nous tordons l'univers, par nos mots-actes, qui en retour, et c'est cela qu'il nous
donne en touche et donc en navigation dans sa cécité perceptive, nous écrit. Fictions ?
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Bibliothèque absolue, libre encore de la maille digitale ? (toute une école hispanophone
suivra dans cette ombre du vent). Il ne me manqua, pour percer plus tôt la Maya, mais c'est
juste l'histoire d'une génération, que la fierté de ses ancêtres. Les miens: se cachant en pas-
de-politique ou en personne-de-tué. Les auteurs ne peuvent être que kibboutznik ou bien
d'épopées guerrières. L'amour, lui, ne leur est pas toujours un cadeau mais parfois un
obstacle à l'existence; l'auteur est seul entre tous à sculpter plutôt la maitri, ou le rêve: nous
livrer une communauté, ou bien un reste laissé intact. A part les romanciers, bien sûr, mais
qu'espèrent-ils de ce descriptif des corps ?
Abandonnant le mystère de la porte unique, cette quête impossible des mystiques, Volodine
explore un plus proche du bardo. Sfarr, lui, croit en la permanence tragique, dans un plus
proche encore, celui des corps morts, gonflés, puis flottants, des charniers. Celui des
cauchemars de l'enfant, nous dit-il, dont l'adulte croira pour de faux qu'il s'agit de la
matière de l'histoire. Se rencontrent, en silence, des corps fatigués par l'errance, que l'on
tente de sculpter, d'enfermer dans des frontières, mais la frontière est justement un coeur
battant et une matrice, un lieu de transformation, quand elle ne se stérilise pas en muraille
de la ville. La frontière ne tient qu'en tant qu'étirement intérieur (M. Agier), seuls les
camps et les ghettos sont fertiles pour penser le monde, rien n'est plus (in)habitable qu'un
lieu où l'on a été heureux (S. Berlendis). Quand les robinets de la ville, dépotoir d'instants,
crachotent des coulées de rouille (A. Devi), quand les reliquats des rêves ne sont plus
alluvions de la mémoire (E. O'Brien), quand il suffit pourtant de patauger dans les
tourbières de l'hiver, guettant les haies d'aubépines blanches et se risquant à leur carnaval
de pétales aux vents d'un mai tardif. To splash about.
Là-haut dans le monde des corps forts, même en rase campagne, le bruit reste nécessaire,
concert des tondeuses et des moteurs à régler rien que pour consommer le silence,
beaucoup succombent au quotidien, surtout des dimanches.
Eliade, La nuit bengali, 1950/2012, traduit du roumain: MAITR(EY)I... son nom apparaît
beaucoup plus tard, après ma sortie du sanatorium... S'ouvre sur l'oubli et la quête de la
première rencontre l'image, le trouble, la surprise et l'incertitude: le coup de foudre décrit
ici, ressenti ici, en contrepoint de l'arrachement originel à notre tissu placentaire. Son père
et moi relève de l'intrigue fondamentale, de la puissance de ce "livre", de ce qui nous livre,
un déplacement d'emblée du temps généalogique au temps absolu - un fils mais un couple.
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L'Autre absolu, la femme, et non européenne, ici au piège encore d'une même classe
sociale, Eliade refoule quand-même encore l'intouchabilité constitutive de l'étranger à la
terre de la mythologie indienne (celle-là même que Gandhi contait, quoi que timidement, à
la même époque). Lui envoyer ce livre, évidence. Et une poitrine puissante, matrice, alliage
d'argile et de cire, de l'originel et du phénomène, comme on rêve avec le personnage
européen qui s'immerge là presque contre son gré, mais aimanté, d'une ferme proche d'une
ville... Progressivement on sait déjà, en quelques pages, que la matrice sera rejointe, par
accès-retraits, Maitreyi initie en se livrant non pas à lui mais à son Être. Alors qu'ils
deviennent amant, dans un interdit qui pourtant ne s'impose pas, la jeune soeur, elle, accède
à la psychose, leur amour est toute douleur qui protège sa voie à Elle, l'énergie de retour à
l'originaire n'étant pas totale mais dissociée, lui doutant comme s'il connaissait un certain
futur, et les soeurs seules sachant l'être total qui se livre à lui mais auquel lui se refuse
encore, soumis à son interrogation, ne s'autorisant pour l'heure qu'une initiation ménagée,
préservant d'autres rêves, craignant comme une chute dans le retour total, car d'un là-bas le
père va donner des ordres, il le sait. Risque essentiel du retour éliadien qui emporte soit
vers l'union totale, soit vers l'effondrement, voilà l'exercice avec garde-fous que propose le
maître, là est ce "risque du yoga"... La terre-mère amante, elle-même, est malade, et il faut
l'enduire, même dans une fête des couleurs, car de vives douleurs l'assaillent alors qu'elle
se donne, totalement, frénétiquement. Une humeur circule qui tient encore par fibres à la
cloison, interrègne qui gémit encore aux décharges de l'inorganique: il doute, au lieu de
compatir.
Pour l'heure le père de famille disparaît encore de jour en jour dans sa cécité. Lui imagine
des rites de possession brutaux, cannibalisme et sa jalousie. La fillette tente de quitter plus
radicalement son corps en se jetant, depuis la balustrade, dans la rue. Il est alors chassé par
le père, la petite reprend ses esprits, mais meurt le jour du départ de l'amant... Il gagne la
solitude d'un bungalow de l'Himalaya, à ... Almora, non loin de Jageshwar et ses bois de
pins !!! Ils seront unis de tous leurs sens, il voudrait regarder Maitreyi droit dans les yeux,
mais quels sont ces yeux de l'amour qui seraient en amont de toute illusion ?
L'idée vient comme une première page. Puis, labeur de l'écriture.
Aujourd'hui, Clermont-Ferrand, ciel bas, j'ai perdu - ou plutôt je n'ai plus - ma cuillère
mongole et mon couteau suisse, jusqu'à ce moment indispensables. Chaque évasion
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compte, quel que soit le nombre de morts, hier soir La grande évasion, avec Julien,
évocation de Philippe au service militaire, qui m'accompagna au cinéma en ce dernier soir
de perme, se replongeant plus tôt en malaise d'armées pour me permettre de voir ce film.
Now happy in the very last train, Elle aussi en attente du train vers, quoiqu'hiver, centre
détouré de deux, préparé de tout. Sans doute au fond du bus des prochaines sources du
Gange fumerai-je avec les jeunes imbéciles amis. Pour l'heure, un mélange d'anchois et de
tabac dans l'odeur de mes doigts. Derrière, un peu de neige encore sur le dôme du Puy. Plus
aucun livre, tout à écrire bien en route, des blocs de réel qui s'accrochent, contreforts du
tunnel de l'évasion.
Le radin vient de réparer ses chaussures à la colle !
Bon, j'espère que le frérot va pas faire cette nuit une décompensation, d'avoir cédé ce
bateau jaune qui l'accrochait à un rêve de naviguer depuis près de 40 ans... Dur la vie; je
me demande quelle est sa porte de navigation à lui ? Bon, c'est un scientifique malgré les
apparences gamines et originales, il sublime dans les théories sur les avions, l'énergie, etc...
Ben, oui, tout le monde ne peut pas être artiste, mais tout le monde sort du sillon d'une
façon ou de l'autre pour creuser plus profond. BizouX, avec Z et x c'est plus cher.
Envie d'un chat, en en regardant un qui s'amuse-chasse-souple dans le jardin.
Pour écrire, il faut être juste assez solitaire, dans juste un peu de désordre...
La Princesse de la yourte - on en reverra à Touvour, ne seront-elles qu'isbas, il faudra
chercher, Elle sera en URSS, ne me traduira pas - Peleka en T9 donne toujours relecture, et
c'est bien, toute traduction est l'impossible en plain (comme plainte) de l'adolescence, une
nouvelle fois je côtoierai cet impossible énorme. Je ne pense pas assez souvent à l'accent
circonflexe, si fréquent dans cette langue française, seul refuge d'une identité mouvante
depuis la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, qu'il faudrait faire approuver en
contrat de désintégration nationale à tous ces petits haineux de la fable de la nation. Alors
on pourra se côtoyer. Je chercherai la yourte, donc, ou Elle avait le regard plein et comme
bleu d'un ciel que sans doute elle eut bien quitté; le missionnaire aurait pu, en d'autres
temps, pourchassé, lui faire son bois à côté des jeunes yacks à traire dans son enclos; mais
alors il n'y avait là ni guerre ni nécessaire refuge où son corps à Lui eut pu s'autoriser, il
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repartit dans l'ivresse, et elle resta maîtresse de sa tente, se donnant à son mari. Un jour, le
missionnaire connaîtra son nom.
La fille qui n'osait pas dire qu'elle voulait aller dans son Sud. Sur le triptyque de la vie un
couple marche vers la mer; bientôt ils jouent, trois. Puis une femme seule s'en revient, lui
s'immerge dans les vagues tendres et mortelles peut-être. Savoir l'immense masse de la mer
alors que l'on fait la queue pour le pain, déjà caché par quelques rues (acte de croire:
percevoir l'énorme de la réalité).
Retrouvant le chez moi, j'en avais presque oublié de regarder mon Mézenc.
Le cadre aux ruches, smartphone et agenda, terrasse de la gare de Lyon
Un gros bagage théorique, tant de galeries creusées, mais cette difficulté à le mettre en
application, avoue-t-il. Où est la reine ? Il est bien apiculteur maintenant. Mais ne s'est-il
pas plutôt façonné-tamis pour gagner le sable-écume ? A la table d'à côté, c'est mon
premier bidi d'escale, ce truc à idées, à aller chercher en fond de galerie, mais je n'ai pas
ensuite le courage du développement de ce gradient qui s'amorce là. , me si je n'apprécie
pas le bidi-téléphone, celui qui ne s'éteint pas, et que je lutte avec le vent sous la table pour
rallumer plusieurs fois le mien. Je découvre tous ces gestes, mille fois décriés, toutes ces
années.
"Je crois en Dieu, le Père tout puissant, sécateur du ciel et de la terre", profère-t-elle, qui
devra être coupée pour renaître (R. Defay, Tes petits pieds dans les traces de mes sabots, et
atelier d'écriture de l'hôpital Ste-Marie); son pépé, lui, ne mentait jamais, il y aura un grand
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coup de sécateur, rupture inaugurale qui la rendra à un originaire, la livrera a toute une
traversée de souffrances, de désirs et de violences, qui apparaissent uniquement en
filigrane dans cette oeuvre qu'il faut lire totale, les nuits de la ferme, les aubes de la nature,
malgré le trop ciselé parfois de l'écriture, mais elle ne peut s'autoriser à nouveau
l'effondrement, malgré l'enchaînement au premier abord déconcertant des courts
paragraphes, comme des aboiements mais empathiques. Les ribotes aussi, ces tournées des
bistros qui n'existent plus aujourd'hui au village, sont furtivement évoquées, mais feront
bien partie, on le devine en discrétion, de la catastrophe encore à venir. Quelques moutons,
suivant le pépé qui disparaît, prennent le chemin de la lune, et si "la lune leur était bien
apparentée, à eux gens de la campagne, c'était toutefois, la fillette venait de le comprendre,
avec une certaine distance qu'elle avait prise depuis la nuit des temps, la bergère devrait
savoir pardonner à son papa, jusqu'à ce lieu où il l'avait précipitée, dans ce geste indigne
d'un être humain". Mais elle frissonnait de bonheur, pour l'heure, en compagnie des
garçons, elle très jeune, eux toujours fort vieux. Bêtes de somme, grands et petits enfants,
citoyens bouseux de la France rurale et démodée, il faut bien s'évader, comme mourir pour
vivre à tous les voyeurs, "les fourneaux brûlaient ce que les cochons ne mangeaient pas et,
dans les environs, traînait ce que le fourneau ne brûlait pas". "Pourvu, mon Dieu, que le
papa rentre", et tous ces adultes pour qui les êtres n'existaient que par leur sang, que par
leur comestible, ces êtres cependant "refusant, jusque dans la mort, d'abandonner leurs
partenaires... (...) A l'église, elle crut que c'était pour elle qu'on le chantait, ce requiem"...
Toujours le chat. c'est en parlant de cette petite bête à François qu'on est arrivé à parler de
Laura, on dit que les chats portent beaucoup de choses dans l'histoire des humains, je l'ai
revu ce matin, escaladant l'escalier de secours de l'immeuble en face, il avait l'air du vrai
maître des lieux.
Tom Dooley, Dr America, baie de Haïphong 1954 et premiers boat-people, bien avant les
Frenchy doctors, parce qu'il avait fait un "erasmus" en France. Puis Nam-Tha et Muong-
Sing au nord Laos, meurt début 61 d'un mélanome, aura, mais piètre étudiant-médecin
condamné à l'exercice outre-mer, médaille du congrès, eut été béatifié sans doute s'il
n'avait pas été homosexuel, pourquoi ne recrutait-il que des infirmier mâles, se demandait
l'adolescent, Fred Mella et les compagnons, le Kingston trio et les campus américains, la
CIA sans doute, la rencontre avec Schweitzer, tous deux un piano dans la brousse, piano
qui moi me fut interdit, dans le grand salon, simple décoration, ne rien poser ...
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Trois millions de volumes, et les voûtes, et les pleines peaux, et si peu de temps depuis les
premiers volumes imprimés, et toutes ces interrogations et ce travail à venir encore,
quelque chose nous submerge, agréablement, et de par les tripes d'abord. La première lettre
est la seule certitude du copiste et l'enluminure seule s'entrelace à l'origine, la reproduction
est parent pauvre, perte provisoire, attente de l'hypertexte. Atteindre l'autre bout de la
salle ? Les poèmes de Yeats, par nous dénichés dans la belle collection à la tranche d'or de
la majestueuse library-du-poids-vivant-des manuscrits de Dublin, un unique qui porte et
développe, une voûte toujours rehaussable, la réception du poids de tout le livre: d'où vient
le souffle de cet anglais pourtant mal compris, mais qui persiste à l'exploration des pages ?
Où tient, et où se tient, l'amour dans cette voûte de la révélation ?
Douane. Le bidi au filochage rouge du plus humble, retourné par les doigts gantés de latex
face au presque hippie qui se présentait devant lui, le sac jaunasse sale multi-recousu de
lui, et la veste en cuir, encore on the floor, "downstair" dis-je, comme si même en cette
douane de la mondialisation, une crypte restait un possible à découvrir. Il me rendit tout,
satisfait des 50 ml en trop de mon tube quasi-vide de gel dont je lui prouvai l'inocuité en
m'en appliquant devant lui. Soupçonneux mais désabusé sans doute, du non-toucher de
nous deux, et pourtant: une communication.
Pub. L'homme de certitude, de menton découpé, reste debout toute la soirée derrière
l'extrémité de son comptoir, grosses paluches d'accroche pure, courtes et fortes. Le menton
supporte cette ride unique d'entre jeunesse et veille, profonde, par laquelle la bouche
parfois médite, ou ordonne. L'homme a la haute carrure tirée par l'abdomen du bouton de la
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veste, et la cravate claire à petites fleurs bleues et roses, et dirige de son regard de toujours
son pub, paye pourtant ses pintes, enfile celles-ci d'un demi-trait.
Les petits fils rouges du quartier indien de Paname sont respectables. Ce quartier est à
explorer plus profond. Les gâteaux, de Ganesh peut-être, sont de juste consistance (cet
indémontrable de toute recette de cuisine, comme Gödel se laissant mourir d'inanition était
fin cuisinier d'un monde total).
C'est le printemps et enfin la fenêtre ouverte permet de diluer aussi la fumée, le fils
s'insurge et râle, comme son père, sa grand-mère, explosif de mes cris qui cherchent à dire,
de mon capharnaüm qui gagne, l'aîné, lui, refusant le calme de l'ashram, et m'offrant
pourtant les couleurs de la capitale qu'il s'est choisie, fondatrice de son centre, Dublin. Elle,
regagnant son chez elle dès sa voiture, son chant retrouvé, inquiète du matériel qui la
dépasse mais la happe aussi, se révoltant de ma possible nouvelle fugue intellectuelle: est-
elle encore possible, est-elle souhaitable ? Je reste avec son fils, nomade et propre de son
être si jeune.
Sweet heart, do not love too long:
I love(d) long and long,
And grew to be out of fashion
Like an old song
(In a minute she changed)
W.B. Yeats
A Saint Alban, un fol nous donne le passage.
"De voir cet homme je ne suis pas à jeûn" est l'unique phrase qui me parle dans L'Enfer de
dante. Revendu.
Encore et jamais, de Camille Laurens, essai sur la répétition. C'est un de ces livres qu'on
achète parce qu'on considère que c'est celui qu'on aurait voulu écrire. Et que toutes les trois
pages on croise une image de soi, un lieu connu, et qu'en te d'un chapitre sur deux trône
une citation que l'on aurait pu souligner. Je le pense homme, je le sauve de la pile des
"retours" alors que je ne testais en cette place que des écritoires, "oh oui nous faisons
beaucoup de retours, mais prenez donc votre temps", et la pile qui le supportait l'instant
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d'avant sur ce rayon perdu et de simple pause disparut, où aurais-je pu le reposer ? La
répétition en méditation de l'horrible: et ce n'est pas triste. Vanille très douce et papier maïs
tendre, pour son encre. Comme chaque concert d'Allwright: une rencontre doublée d'un
adieu. Ecouter Cohen: relèverait du suicide - répéter, c'est aller chercher quelque chose.
Mais ! Comme si un livre était répétable ! On ne peut répéter qu'un non, certes pas un oui,
le nom du fils mort, car Camille se révèle vite être une Elle. Evanescence du final de
concert, qui nous ramène brutalement à notre seule vacuité, plutôt qu'à notre devenir-
répétition, à notre modalité, plutôt qu'à notre fuite mélodique. Seul le rêve ne répète pas,
premier.
Seul le rêve serait l'échappée à la forme, vers la pensée, dans une voie atraumatique peut-
être, une traversée douce arc-boutant l'autre, celle des blessures, vers le noir de source, une
voie externe, englobante, et une autre condensante, mais vers le même centre.
C. Laurens est quelque part entre A. Dillard et E. de la Herronière, et comme si elle
rédigeait par touches sa propre biographie. Quignardesque, aussi, bien sûr, elle se coule
dans un style à la Quignard, elle l'avoue très tout de suite, en exergue presque ! Mais qui
est-elle, cette Camille qui vaut son pesant de féminin, de féminité, de perte et de matrice ?
Elle reste encore un peu hermétique: elle est femme ! Et ça m'accommode très
correctement, très plaisamment. La répétition, dont l'acte I serait "le grand pouls
amniotique" ? La littérature seule est capable de ramasser ainsi en quatre mots (et un point
d'interrogation-exploratoire que je rajoute) toute la thèse de Sloterdijk sur la philosophie de
la sphère ! Je m'éloigne au plus, moi, tentant encore l'impossible marche, de ma très pauvre
langue maternelle, réduite aux seules coupures, au vide et à l'absence, par tous ces zaoums-
là sans césures, ou toutes ces forces littéraires de la dislocation et de l'attente, qui laissent
vivre d'autres rythmes que celui qui me fut si longtemps imposé. La littérature est ce
nouvel harmonique qui se joue de toute gamme. Je veux absolument qu'on me lâche pour
pouvoir être; mon train qui ne s'arrêterait jamais - mais d'où encore je m'évade, lâche - n'a
aucun roulement saccadé, c'est un tissu qui glisse sur la terre. Laurens recherche dans la
langue une solidité d'arbre, je cherche l'arbre qui s'étend malgré la langue, et où Camille est
bien femme ! Anyway ! C. Laurens: l'angoisse qui se ramène le matin comme une servante
chargée de mon réveil. C'est une première fois, ce livre: savourer, participer à la pensée
féminine, moi qui espérait à l'abord un classique Camille mâle.
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Ecouter d'un reste de gâteau à Pierre de la veille Diamonds in the mine au soleil du bureau
de jardin, what else ? (dans la version de l'album "songs of love and hate", où
l'accompagnement piano est fabuleux. La voix de Cohen tiendrait-elle, sur cette musique,
de l'impossible synergie du raga et du mélodique ?)
Mon "humanitaire" a été jugé dés son émergence ambigu ou égoïste (le professeur de
français de première me refusant à la correction ce mot qui était censé résumer "toute
l'humanité", car trop chargé d'autre chose maintenant dans son usage).. En ces temps-là
encore, une analyse graphologique gratuite me réfuta mon altruisme; un verre d'alcool me
permettrait plus tard de franchir l'épreuve d'un recrutement basé en grande part sur cette
approche, de gagner la seconde place, échappant ainsi à un emploi qui m'eut fixé
histologiquement en plein sang à jamais externe, contaminé sans doute (en un centre de
transfusion sanguine de Lyon). Il me fallait, il me faut toujours, marcher ce traumatisme
insoupçonnable, par trop léger mais... de répétition justement, de toute cette enfance
blessée, m'inscrire dans la théorie de la séduction freudienne, renoncer à celle du fantasme
qui fait la zone grise de notre perversitude. Seul le noyau ne répète pas, et seule la famille
s'acharne à répéter pour figer la pensée; vivre est un lieu où c'est impossible, crache aussi
en beauté Tsetaeïva, fracassée dans la mondialisation-empire, sans qui nous aurions sans
doute ignoré un énorme poète. Refuser maintenant toute carte d'identité, et vivre le
passeport.
Du Péguy à la Colombière, du poète catholique à la résistance, des tableaux, des greniers,
des archets, et leur reste, chez C. Laurens, et quel seuil ? Elle moulinait les archets des
déchets, par la répétition, et le pas-de-côté; le verre pour boire du psychotique est en lui-
même, et en le monde. Le mille-feuilles n'est pas une question de goût, ni de possible: juste
cette difficulté à le déguster sans explosion. L'état stable est nouveau champ de répétition
atteint via le chaos, cet espace de vecteurs libres. "Je" est soit l'objet de tout présent,
mystique, soit un présent absolu, traumatique. "Je" est cet entre. La psychose: quand on se
détache de ce "Je" imperator, trompeur, domestique (le "Je" est un symptôme, un mode
particulier du jouir, dit Lacan). Est-il dans la jouissance ou dans le désir ? Elle me croit
dans la jouissance quand je suis dans la quête. Se détacher constamment de son lieu, de sa
généalogie, pour pénétrer et vivre la vibration du désir, originelle, viatique: "chaque fois
que je voyage, je perds ou bien je gagne". Et de temps à autre, il s'agit bien de passer outre
la répétition; ce qui serait folie ce serait d'attendre que ça change".
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Borges, livre de sable, infini, bibliothèque circulaire. Ce sont les objets qui changent, pas
les gens (B. Vian, L'écume des jours). Au non psychotique manque le mot qui trompe la
mort, l'exploration de la faille est continue, Tapisseries, de Ch. Péguy.
Une décondensation appliquée de la répétition et de son processus de recherche; un texte
peu inchoatif cependant, si on le compare aux essais de Quignard, de par même cet
étalement: ce livre est par trop personnel pour être essai, par trop conceptuel pour être
roman, c'est un livre "entre". Mais chaque texte, aussi, change selon la transparence
instantanée des yeux du lecteur, ou le niveau des marées de la mort dans lesquelles il
baigne, nous dit R. Juarroz; on est simplement ici un peu trop soigneusement guidé, dans
un livre sur le relire... qu'on ne pourra pas relire ! Musique ! Mais je ne signe pas: je me
relis.
Première satisfaction téléphonique, peut-être, de cet appel à Hubert G., cloué ou presque
chez lui par la maladie, et qui travaille à son oeuvre politique, sociale, encore un peu plus
exclus maintenant du réseau que le premier il a initié (Attac 43), cherchant à renouer. Une
discussion pleine, et qui était inattendue, mon appel longtemps différé, repoussé, fait
comme par obligation médicale, mais il en ressort une vraie sympathie.
On ne plaisante pas avec le compost. Celui qu'elle destinait à mon anniversaire s'est
transformé en son seul jardin intérieur. Mais plus d'angoisse seul au réveil ce matin: j'y suis
bien dans une marche pleine de lait.
"Peut-être ceux qui tuent jusqu'à plus soif n'ont-ils pas d'autre moyen de se purger du
démon qui les dévore", de cette haine qui les délie depuis n générations et z exils...
Réveil: être retraité du soleil, savourer un café-terrasse permanent, non pas reclus, mais
mélangé, à la belle couleur dorée du monde qui s'éprend.
Tsetaïeva: Bien que j'eusse vite appris à lire la musique à la perfection, je n'ai jamais aimé
les notes. Les notes me gênaient: elles m'empêchaient de regarder, ou plutôt de ne pas
regarder le clavier, elles me faisaient perdre la mélodie, le savoir, le mystère; comme on
fait perdre pied à quelqu'un elles me faisaient perdre mes mains, elles empêchaient mes
mains de savoir par elles-mêmes, elles s'imposaient en tiers, cet "éternel tiers dans
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l'amour" de mon poème (La Naïade) que personne (sauf Monchu) n'a compris à cause de
sa simplicité ou de sa complexité - et jamais je n'ai joué de façon aussi sûre que lorsque je
jouais par coeur.
(Le diable et autres récits, p. 50)
L'âme mêlée à la cendre a oxydé au profond vert le cuivre, plus qu'un oxyde, plus qu'une
attaque même, un nouvel état du son à venir, greffe et plaie à la fois. Et cette fois, comme il
était craint, le cendrier plein tombe, tinte, roule, revient et se tait dans une dernière roulade.
Qui avons-nous vu en cette dernière rencontre où elle se fumait-sauvait plutôt que de
s'épandre, et que je l'insultai ? C'est mon incapacité à être public, publié que je lui criais,
c'est son angoisse carrière-rêvée qui la torturait. Abruti de mots, je ne nage que dans le
contrepoint qui a arraché avec lui le conflit, laissant le tendre que d'autres n'ont toujours-
craqué-déjà sans goût. Moi ancré au plot, elle marchait sans plus regarder que trouble; elle
est le Moi de l'humain qui me fut volé, je manquai-toujours-demain la révolte et tout ce
sang autour. Un moldu: celui qui loupe toutes les guerres, aussi loin que remonte sa
génération. Elle a fui,
elle s'est défaite de ses liens éoliens.
Plus encore
- toute seule -
elle s'est dissoute en procession.
Mon coeur ressuscité tressaille lourdement.
Je suis reconnu par mes terrestres tourments.
Et vive
à nouveau
mon aliénation !
L'homme, V. Maïakovsky
Ce serait toujours à son double historique qu'on s'adresserait à travers lui, ou par dessus
son épaule (F. Saintonge). Je tournais la tête vers mon passager, celui que j'ignorai avoir
gagné en cette tombola, passager de sang trop interne, pas d'effusion grave, tous l'ont
évitée, sauf le sabre de l'aïeul, exposé au musée... Nous avons tous besoin d'un myope aux
lentilles que l'on souille... Pour le post-moderne, qui lui est équipé, l'humanité n'est pas une
catégorie, mais une intensité variable, qui peut se rétracter, se diffuser, être au-delà ou en
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deçà d'elle-même (T. Garcia). Mémoires de la jungle jamais écrites, empathie pour tous ces
êtres qui y sont devenus étrangers à cette nature, exilés, martyrisés, ressoudés peut-être
parfois par un Schweitzer ou un Dooley. Humanité dont je suis, justement, un post-
moderne.
"Je la connais, la source, elle coule, elle court, mais c'est de nuit", écrivit Jean de la Croix
lors de son passage au cachot. Celle qui pourrait sauver nos vies, celle du grand âge, cette
partie de la vie qui pourrait en être la plus précieuse, celle où chaque instant compte,
vraiment, où l'on voit que rien n'est profane ici-bas, selon la formule de Teilhard (J.
Benameur). Profanes est l'incroyable récit d'un élargissement.
Un journal que l'on écrit: une bibliothèque de souvenirs ? Alors on écrit une fiction; la
bibliothèque de sensations, elle, décrit notre vibration.
Être maintenu dans un enclos, attendant d'être lâché dans la vraie vie. Chercher, jeune,
l'intensité d'un présent qui ne l'était pas encore, privé de vision comme de regard,
condamné à une alloscopie, et à l'exil du Moi. Un père vivace m'eut sans doute aidé à
basculer dans la psychose. Alors, entre mémoire et documentation, tenter d'atteindre le
point d'équivalence, entre ces deux gels mouvants et pourtant porteurs d'événements que
nous sommes à chaque instant, désir et devenir, projets et souvenirs, et diffuser enfin de
nous en nous.
Dingo ! En plein Alchimiste: je cherchais l'Inde partout, elle est juste au tournant derrière la
Gare du Nord !! (voir la carte du réseau TGV, l'Italie du Sud non plus n'est pas forcément
là où on la pense, dans cette pensée-temps qu'il nous faut composter). Un petit fil rose
retrouvé, avec les félicitations du patron ("you know India ! South India !"), le doigt
bientôt brûlé au vent, le journal flottant, passe un bus qui affirme se transformer chaque
nuit.
J'emmènerai tous mes carnets de notes aux portes sans portes du bardo, et me jetterai sur la
première lumière capable de les brûler, me rendant ainsi pour toute la suite au flux retrouvé
de la parole, cette vibration qui ne me fut pas donnée en ce cycle présent.
Dans la correspondance de Tsetaiëva qu'elle lit, elle me signale le renvoi à La Naïade, ce
poème incompris de tous, où est évoqué mon troisième de l'amour, lacanien peut-être,
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expérience en tout cas, de ces nuits-là où flottait au dessus de nos ébats cette présence. Elle
me le traduira du russe, ce poème introuvable. Et hier soir, au générique de Lelouch, Brel
nous le redonne, il y a toi, il y a l'amour il y a moi, valse à trois temps.
"Pourquoi ai-je gardé la mémoire ?" se demande la survivante, "quand je ne peux retrouver
l'odeur des cheveux ou joue le vent"; mais aujourd'hui, nous l'avons vue, cette odeur des
couleurs que le vent faisait onduler dans la palette impressionniste des près d'enfin
printemps de cette Haute-Loire où tous deux nous avons échoué comme par désir.
Reliaison, moi qui suis hanté par le mal absolu, cet oméga du totalitarisme, et elle qui
cherche l'amour, ces deux pensées peut-être plus puissantes pour sentir au-delà du mal et le
bien, une voie de moldu, une voie d'artiste. La vie ici n'est plus ce qu'elle était, puisqu'elle
ne devait plus être (Charlotte Delbo, rescapée). Je reviens d'au-delà de la connaissance, il
faut maintenant désapprendre, résignation qui est celle aussi du père Surin de retour à la
vie civile après vingt ans d'expérience, enfermé dans son corps souffrant mais dialoguant
avec le surnaturel.
Changer d'avis: mais en avoir un, comme dans le monde financier, commercial,
domestique, etc... est-il cohérence ? Cultiver les préavis de changement, mais devant
témoins si possible maintenant. Je n'ai jamais eu d'avis mais été un obsessionnel de la
culture du pré-avis (autant de déménagements, portés par une même vibration que l'on
qualifierait pourtant d'instable au code de la bonne société DSMisée et maintenant anglo-
saxonne, loin les contradictions spirituelles des croisades, entièrement digérées et
restreintes à des modes de conquête par l'histoire, cette fable des nations). Être peut-être un
écrivain du vacillement, de cette torsion autour de notre énergie porteuse fondamentale. Le
doute doit être seul roi. Le ciel, tourmenté, acquiesce; ne pas faire abstraction des touristes,
de tous ceux égarés là, de l'inadvertance; l'écriture doit poser et l'inadvertance et le
vacillement pour dire l'avant de la si incertaine forme. D'autres goûtent aux cendres de
leurs pères; mais écrire, ne serait-ce pas cela, dire le tabac du père ? (ce roman-essai qui
serait à soumettre à la collection L'un et l'autre de Gallimard). Oeuvre d'empathie.
P. Deville: de Kampuchea à Peste et Choléra, il évacue crudités sexuelles et sado-
masochisme du monde, et gagne en concision.
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Retour du Mézenc aujourd'hui, enfin, et comme une présence un peu trop proche, trop plat,
lavé de ses énigmes de nuages, de noirceurs et de tempêtes de masse, qu'on ressent le
besoin d'y aller, d'y gravir, d'y partir.
Le retour mathématique, au corps des anges...
On a dit des médecins (des 70' ) qu'ils étaient des matheux, et comme en retrait sans doute
de la contre-culture de ces années-là, comme à contre-courant, conservatisme de corps
peut-être. Un matheux limite décroche son bac C avec 5/20 en maths, et fut biologiste
malgré son diplôme de médicastre jusque dans les 2002, année de rédaction de son Ph.D.
que l'on jugea étrange de littéraire, que l'on commenta d'ailleurs sur ses citations, "l'arbre
finit toujours par tomber du côté où il penche", et autres indécidabilités contestées. Jusque
dans les 2005, tsunami au coeur de la grande vague indienne et tous ses mystiques, Pessoa,
Allwright, Cohen etc... 2012: retour mathématique des anges, mort définitive du corps
scientifique-restreint, Gödel et Surin. Prêt pour une co-stratification ?
Le pâtre poète altiligérien fort à propos ce soir du décès de G. Moustaki: "Il a pris quelque
chose au poumon qui lui venait de son histoire".
Encore un guru qui tombe en son centre: René Leriche, médecin de la douleur, chirurgien
sympathique, pseudonyme du père dans les années retour, fut aussi... le premier président
du conseil de l'Ordre, à la demande de Pétain... Syndrome de Leriche, algodystrophie, sa
prévention par la douceur chirurgicale, mais l'absence de révolte du ponte face aux lois
racistes qu'il appliqua à ses confrères au sein de l'ordre nouveau... Il était dans une
dépendance de la génération, pourrait-on peut-être dire: "chaque génération redécouvre",
dit RL (Mémoires de ma vie morte, bouquin déniché dans... le vieux Puy-en-Velay, au bas
des marches de la basilique, où le dernier Roi de France justement vînt s'exhiber en
1942 !). Curieux titre, écrit de sa retraite d'un certain Sud, cassis, une villa, Madame posant
dans son cabinet de travail, ancienne carabine reconvertie par le maître en gérante de tout
son quotidien, "je n'eus jamais à m'occuper de rien" sur le plan matériel et domestique, la
félicite-t-il... Snobant l'autre dépendance, celle de la dette aux non-affiliés, aux hors-classe,
Leriche traque le mécanisme de la douleur que sa position bourgeoise ne lui rend pas
perceptible pourtant. "Chaque génération redécouvre", donc, "ce que la précédente a
imaginé et n'a pas su faire triompher". Négation d'un au-delà de l'origine, réductionnisme
occidental en marche, sensibilité au bain du Lethé (il s'amuse d'ailleurs de son prénom, lui
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qui ne se considère pas re-né). Mais une créativité toujours en action dans l'acte
chirurgical, chez l'homme blessé comme l'animal de laboratoire, et une distinction assumée
par lui entre la "douleur de laboratoire" (traumatique, accidentelle, accessible à la
technique) et la douleur-maladie qui lui reste bien plus énigmatique, insaisissable, en
posant pourtant dès ces années-là sa gouvernance thalamique.
Où s'enregistrent donc, dans la génération, ces "fausses nouveautés" que nous
redécouvrons ? Que reste-t-il aujourd'hui de ses patientes dissections du sympathique par
tout le corps (qu'il découvre auprès des confrères allemands), pilier de sa théorie
fonctionnelle vasculaire de l'algodystrophie, modèle tissulaire de toute une douleur ? Pour
Leriche, ce qui "vient de (re)naître" à l'expérimentateur ne nécessite pas de vaste
échantillonnage, c'est une marche immédiate vers le nouveau, qu'il ne faut pas perdre
encore à une autre amnésie, celle des chiffres et des statistiques. Leriche a une intelligence
particulière et propre des situations pathologiques, et une cécité à l'abstraction. Il entre
droit dans l'analyse de l'état physiologique nouveau créé par la maladie, thèse que
développera dans sa thèse de 1943 (à Clermont-Ferrand je crois) le double Dr Canguilhem,
citant abondamment le maître ! Pour Leriche, "la chirurgie est une" et traite le tissu,
l'expérimentation ou la maladie lui parle directement, dans ce message par lequel "souvent
l'os se venge de ce qui trouble sa vie propre". "La pathologie n'est qu'une succession
d'actes physiologiques"; un cycle qui nous progresse de fonction en lésion et fonction
"nouvelle", au sein d'un tissu qui n'est pas isolé, seul un mur tissulaire, pourrait dire
Sloterdijk, n'isole pas. Lésion, nouvelle physiologie et chirurgie, une tentative "à la
Moreau" de refaçonner la fonction... Comme une empathie du corps, une vie morte et sans
regrets, car sans échecs rapportés dans ses mémoires; une vie qui cesse avec la douleur des
autres...
"Parce que... je suis de la campagne", dit-elle de son accent du 16è à sa compagne au
caniche, dans l'autocar qui la ramène de prou-Prout-Plage à son appartement, depuis
longtemps délaissé par son cadre de mari fauché au décours de quelque repas de petites
affaires. Le chauffeur ne se lève même pas: "la soute est ouverte, Madame", jette-t-il sans
regard sur sa petite valise qu'elle avait décidé ne pas pouvoir hisser elle même dans le
transport de prolétaires où elle se glisse avec jouissance altière. "C'est pour cela que le
soleil a une grande action sur moi", poursuit-elle, précieuse, fragile, teinte de roux et au
visage lent, tellement écoeurante à moi en cet instant, que si je le pouvais je l'euthanasierai,
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cette sans-déchet-à-seulement-la-peau-comme-liftée, je lui crierai "si vous êtes trop vieille
ne voyagez plus', comme si seuls les vrais vieux et les pauvres, pour moi avaient ce droit
au voyage. Devant le café-arrêt de bus, deux vrais de la mer et de la campagne discutent,
en fait il est seul, le copain en unique prétexte à rapporter les deux voix de sa conversation
téléphonique, "alors je lui dis à Jean-Pierre, t'es où ? - A Boulogne il me dit - Ben qu'est-ce
qu'tu fais ce soir tu prends le train ? - Il dit ... - A sa place si c'est Ronaldo moi je le
laisserai pas monter dans le bus - Il me demande vous prenez le bus ? Moi j'étais assis
dedans alors y dit...". Devant les deux canichées toujours tentent de tendre vers le centre du
couloir du bus où leur bulle propre cherche à ne pas éclater, l'une le cou légèrement penché
de vif argent, l'autre toute tournée et toute sourire-rides-sous-le-fard-pas cachées quand-
même au coin des lèvres-et-des-yeux. Mais tout le monde n'a pas eu la chance de pouvoir
croire se perdre en Inde, dans ce même autobus vers les sources. "Jai dû perdre une roulette
dans le car", s'enfonce-telle à la descente, exigeant et trouvant de l'aide. Comme si !
d'autres qu'elles n'étaient pas de la campagne, elle dans son enfance peut-être, à la ferme
riche, épousée du notable en recherche d'une invisibilité de son domestique, et toutes les
autres poussées peut-être par le besoin plutôt que déplacées ! Le migratoire commun
rendrait-il plus ou moins fort, plus ou moins libre, s'il est en "push" plutôt qu'en "pull" ?
Lequel renferme-til plus de douleur d'absence au monde ? Tant que l'on creuse le tunnel, on
ne soufre pas, on espère; l'angoisse vient en ce juste avant les retrouvailles, quand, un bref
instant, ni la tâche ni l'espoir ne meublent plus. Certains, en ce presque, se trouvent
confinés.
Vers une masse critique de compost dans la caillasse de la Maya, vers une bascule, quand
en surface comme en thanatosphère la force noire, terre et os, dépassera l'équilibre mort de
l'illusoire individualisme.
Aujourd'hui, Clermont-Ferrand, j'ai perdu - ou plutôt je n'ai plus - ma cuillère mongole et
mon couteau suisse, jusqu'alors indispensables à chaque évasion. Les retrouverai.
Vaslan Nijinski. Folie, danseur. Manuela Hesse, le regard émacié d'ailleurs, perchée, un
parler qui cultive son étrange, et son désir, mais dans l'autorisé de sa thèse de philo., en ce
séminaire sur "intime et handicap". Nijinski consulte Bleuler à Zürich en 1919, l'année de
l'écriture de ses Cahiers, empruntés à Anda. Il utilise un "fountain-plume", mon stylo
chinois de Mongolie pour deuxième étage à fumée verticale. La philosophe fume, de ses
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yeux proches et son corps qui incline à l'empathie, "pourquoi êtes-vous là", me demande-t-
elle, plutôt que "quel est votre nom ?". Phénoménologie, empathie, lutte de l'intellectuel,
mur occidental. On ne sait pas s'il est lui ou elle; "bien des gens n'aiment pas la fountain-
plume", sans doute la philosophe est-elle femme fontaine quand elle fouette, on ne s'y
trompe pas, elle est la maîtresse de Jung, mais elle se récuse, elle est très prise par sa
famille et son enseignement de taï-chi. "Je pompe l'encre de façon que l'air n'y entre pas".
"Pour que l'air n'y entre pas, il faut tremper le tube dans l'encre". "Souvent les gens se
trompent en prenant la bulle pour de l'encre". "J'aime la physionomie noire". Je ne soupire
pas chaque fois que je la remplis d'encre. J'ai l'encre blue-black Stephen. L'encre est diluée
avec de l'eau, car l'homme veut s'enrichir. Je sais que tout le monde aimerait avoir une
fountain-plume. J'ai lu L'Idiot à 18 ans et j'en ai compris le sens. Je ne pouvais pas écrire
car je réfléchissais à ce que j'écrivais. Elle: la lutte affect/intellect; ce n'est pas elle que
j'aime, c'est son fountain-plume à affect quand elle parle, elle m'emporte dans son affect,
l'auditoire lui est partagé, je suis dans ceux qu'elle emporte, je crois qu'elle me lance des
appels, je vérifie qu'elle est belle, même si ça n'a pas d'importance. Je ne veux pas être son
élève, mais qu'elle lise mes textes, et me dise qu'elle sent ce qui y passe, elle me dira
simplement que c'est un gros travail que j'ai fait. Ses nerfs sont en mauvais état, elle ne
peut supporter les ponctuations de l'intellect, seul le flux qui traverse les corps. Séduire est
un mouvement, M. Gaucher est celui-là d'elle. Je lui dirai un jour que nous devions nous
marier par le sentiment. Nous pourrions être le moment de la troisième phase de l'individu.
Elle est si universitaire dans son délire de négation de l'occident, psychose aurovillienne.
Ce projet qui passe est mouvement, ne se parle pas. "Dieu est mouvement", dit V. Nijinski.
C'est pourquoi il faut mourir. Je suis un philosophe qui ne pense pas, je suis un philosophe
qui ressent. L'oeil est le théâtre. Le cerveau est le public.
Machisme, jeunisme, validisme: nous sommes tous de vieilles femmes handicapées. Ce
retour en matrice.
Je suis né dans un "Boulle", "va dans le Boulle" me répétait ma mère chaque dimanche
urgent de réception de famille, il n'y avait plus de repas de confrères déjà, il n'y avait
jamais eu d'amis - "va dans le tiroir du Boulle". Mais j'écris maintenant au fountain-pen du
fond du tiroir du Boulle.
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Imagine! Un jardin dans une valise !
Chez les cousins Polle, la conversation de ma mère était tirée vers le haut, et mon père
redevenait l'élève qu'il eut toujours voulu être, fidèle absent.
Chez Tatane et Raymond: encore une histoire atypique qui a nourri mes deux ainées mais
qui n'était plus que rentrée en norme spiessbürger à l'heure de la deuxième couvée, moi et
mon cadet (tandis qu'entre Philippe et moi "il y aurait dû avoir quelqu'un, culpabilisa la
mère à l'évocation, une seule fois, de cette fausse couche qui fait voguer un troisième
centre fantômatique). Christiane, sévère-peut-être institutrice de maternelle de l'aînée,
devenue l'amie lilloise de la mère, arracha Raymond et sa trompette, au bal des Gadsarts,
des bras de sa fiancée. Le jeune ingénieur toujours marin breton, fermement ferré, voguera
alors aussi devant l'oscilloscope des regrets électroniques du père, un homme condamné à
régler les fumées d'Usinor, l'autre à vivre en chambre noire. La fille adolescente du breton,
en ces années 68, a sans doute rêvé d'Inde comme l'héroïne de Chandigarh, mais fut
rattrapée par sa généalogie, ses hanches de plus en plus scellées lui refusant le fleuve.
Tandis que tatane gagnait tous ses plaisirs à la salle des ventes, et que Raymond rafistolait
tout, sauf ses escapades en mer. Il tenta de me faire voguer sur une patinoire mais buta sur
ma phobie du couteau censé me faire danser sur la glace, trompette coupée.
Loin de Chandigarh, T.J. Tejpal, tandis qu'Allwright chante Jageshwar, que pour les
pèlerins morts aux sources on monte en urgence des bûchers à Badrinath et Kerdanath, et
que je recircule à Kathgodam, ce nom que je me répétais inlassablement afin de ne pas
l'oublier, en route vers le temple Cham. Le corps, c'est à dire la généalogie, avec ses
besoins multiples et tenaces, avec ses marques de fabrique, est-il le véritable moteur d'un
certain feuillet de cette vie, de cette norme ? Dès la première page on sent que ce roman
sera inachevé, ne sera qu'un départ, ne servira qu'à retourner son auteur et ses lecteurs en
doigt de gant. Et dans le sexe, il n'y a pas de doute, les hommes stationnent au camp de
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base, seules les femmes gagnent les sommets vertigineux, mais ceux du camp de base
connaissant l'existence de ces altitudes inaccessibles, luttent contre la certitude. J'ai le mal
des montagnes avant même les 3000 mètres, le Baba de Badrinath m'a soulagé, a-t-il
survécu au désastre de la mousson précoce cette année ? En Inde, tout ce qui devrait être
dans un musée se trouve sur la route et subit des mauvais traitements: idées, objets,
édifices, individus. Mr le Bouffon aussi, Chinchpokli, Monchu. L'aide-conducteur, dans un
geste désespéré arrache le levier de vitesse des entrailles de son camion bloqué au feu,
geste retrouvé de cultivateur dans son enfer de la ville. Le levier reste dans la main, le
moteur ronronne ailleurs, Tejpal quête cet ailleurs dont il connait l'existence, le monde
appartient à ceux qui en sont dépourvus. Rêve d'un train, lent et silencieux, empli de gens
immobiles, démarrant sans jamais s'être arrêté en gare d'une aurore rouge, beaucoup y sont
morts, c'est mon rêve du Varanasi-Benares, en pages 271/272 (cf. rue grenouillis), tandis
qu'hors cette gare on se prépare avec entrain à mourir de divertissement, occidentalisés.
Dans la vie publique indienne, avec son tissage exaspérant de castes, de classes, de
religions et de régions, le fossé entre le dit et le signifié, le jeu entre la piété et l'immoralité,
la liaison illicite entre le symbolique et le réel, le médiévisme et le modernisme, le danger
de l'innocence est double. Entre, quelques uns encore sont en colère contre le monde. Dans
un petit village proche de Kurukshetra, là ou le Maha bharata imposa le modèle
merveilleux et ambigu permettant la compréhension de l'humanité entière, une femme au
mari éventré par la religion se préparait à fuir, ayant enflammé le bûcher de son rituel.
Grand-mère qui permettra au travers de l'interdit, tandis que celle de Catherine regagnera
dans le contraint. Aucune vie n'est bien ordonnée; de celles qui nous paraissent claires et
nettes on connait en fait peu de choses. Des démons invisibles qui nous assaillent seuls on
peut faire émerger cet ordre d'un autre ordre. Puissance exponentielle, mathématique, vers
les anges. Les visages aperçus dans les portes ne disent que la porte, ils sont pagaille de ce
monde de portes qui s'ouvrent à l'infini, de l'existence sans frontières, et le monde est un
lieu merveilleux à étudier. Catherine, sur la route après Kathgodam, sent qu'elle arrive, à
Gethia, chez elle, dans l'endroit sur terre où elle devait vivre, elle l'enfant née au hasard
d'un Chicago arrière-boutique des élans de son père. Le pic des brumes tournoyantes. Non
loin de Jageshwar où le petit tenancier de dhaba me fit visiter le lodge donnant sur la vallée
sublime par une grande baie, chauffé par un poële à bois, au mobilier cosy, au plancher
simple, aux fondements improbables et sûrs de pierres, tout juste achevé, attendant que je
revienne. Aux fondements qui enserrent et pourtant recèlent encore non-violence,
compassion, humour, ces armes totales du fantôme faiblissant du grand fakir que l'on tente
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d'immoler à la puissance technologique et à la production matérielle, dans la plaine, et
bientôt jusqu'aux cimes des dernières frontières. Mais l'eau violente toujours résiste,
emporte. Mousson 2013: nous empêche de devenir moins que ce que nous sommes.
Greetings et blessings for the pilgrims, and the Babas, from Badrinath. J'en suis, j'aurais pu
en être, j'en serai. Des pactes que nous concluons avec l'univers à notre naissance, à notre
arrachement à l'anesthésie du Lethe.
Arlescapade possible, me dit Le Monde, et l'angoisse de ne pas pouvoir partir se lève,
d'ailleurs souhaite-t-elle encore que je la rejoigne sur sa Baltique ? Sergio Larrain, le
photographe mystique exposé post-mortem à Arles, a mené une quête de lui-même passant
par les moyes extrêmes, psychotropes, psychanalyse, spiritualité occidentale. Julien hier se
cachant à demi-seulement pour fumer un cigare, me jetant à la foule familiale pour avoir
consommé, moi !, de la « beuh » avec Pierre, Julien en crise d'adolescence, oui !! Et puis
les USA ont proposé hier soir de l'aide à Morsi le Frère Musulman, me dit le vendeur de
journaux, oui, il est bien Egyptien, mais nous n'en voulons pas nous n'en voulons plus, me
dit-il, excitation non simulée, je vérifie quand-même ma monnaie, car je sais que celui-là
toujours attend quelque-chose, si même il ne le prend pas d'emblée. Je suis à Paris, en
Centre-Culture, c'est bien le réel du monde même qui sort du papier du journal, ce
suintement singulier, irremplaçable, irrationnel et technologique pourtant que l'auteur de
Telex hier soir, et moi avec, aimons, lui en 1974 déjà annonçant le risque de son déclin, de
son autre, de son seul enveloppement d'un corps qui ne serait plus multitude de fantôme
mais individuelle momification aux bandelettes reproduites... Mais quel est-il donc, ce
« centre » immobile retrouvé, plein, à la sortie mouvante du RER, en gare, et en soleil ?
Quelques instants plus tôt en ce centre, un magnifique cul, qui se prépositionne au dessus
de me mains, après un sourire à travers une vitre. Il n'est pas de hasard, mais seulement des
coïncidences. Album du cinquantenaire offert hier au frère : quand tu prends une photo, dit
S. Larrain, tu organises ton corps, les trois points sont en ligne, c'est une expérience de
yoga. Il est, hors de tout contexte, des fuiteurs sans frontières, qui tiennent doux et fort ce
centre : content ! Et le Sud y impose, une mère napolitaine, une Amérique dite latine, une
adolescence qui n'en finira pas, en ce centre.
Le "Trou-en-Velay" et sa dimension figée: le "depuis-quand n'as tu pas campé (le sol,
l'immersion en nature, le Bouddha en prise, sa clef de sol...) aurait tendance a y devenir:
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"depuis quand n'es-tu pas allé à une conférence ?" Le train et son déplacement, plutôt que
son mouvement, les remplace-t-elles ?
Philippe Riviale, Demain vous entrez dans la conjuration, Attila, 2012. Une grande
histoire de puzzle qu'il ne faut surtout pas assembler par les bords, quitte à en créer de
nouveaux, ciseaux à la main. J'ai longtemps, dit un des héros en poupées russes, justifié
mon absence dans la vie, ma passivité à l'égard des choses et des gens, par la conviction de
mon omniscience. Pourquoi vouloir une chose en particulier quand mon oeil panoptique
voit tout, un cerisier gorgé de fruits sur une aire d'autoroute, une lampe indienne magique
dans une brocante de Haute-Loire , ou l'émergence brusque d'une réponse inflammatoire
pourtant inattendue ? Mon oeil donne à mon esprit connaissance de l'équivalence absolue,
ou, si vous voulez, la connaissance de l'aveuglement de tous ceux qui préfèrent,
choisissent, décident des idées, des carrières, des moyens de s'affirmer. Comme si, à prix
d'or, ils avaient accumulé des tessons de poteries irréparables, tandis qu'un seul tesson
minuscule par sa fracture même, et par son durcissant, me dit le monde. Au lieu de projeter
l'idée d'une demeure, amasser des rebuts, ne jamais appliquer son jugement, mais s'enrichir
de la transformation, du manque, du cassé, du reste. Un peuple n'est qu'une absence, une
perfection de cauchemar; la loi, la langue, les usages, le passé raconté, tout cela est au
peuple sa différence proclamée envers les étrangers; or un peuple ne contient que des gens
qui auraient voulu autre chose, ailleurs, autrement. Le peuple tue le messager, épuisé de
transporter un si lourd message. Il faut bien un échappement à l'harmonie sociale, chacun
veut être seul parfois, oublier les autres; si les autres lui en savent gré en reconnaissant la
valeur de sa contribution, alors on peut vivre en harmonie. Nulle volonté collective, nul
pouvoir transcendant, et l'amour de soi en ciment tenant ensemble ces gens, mais amour
d'un soi compris comme vivant parmi les vivants, maitri. Et ne pas déclarer d'avance un
amour qui doit se faire. Et non plus une égalité dans la quête d'un butin, mais une égalité
dans une friche, où l'on ignore toujours le jardin à venir, où l'on produit l'humus par
couches fines, insensibles, et que l'on contemple avec satisfaction, avec dispersion.
Dispersion qui éveille la mémoire des temps futurs, celle-là qui sommeillait au profond de
nous, et nous ne sommes pas au bout de nos peines, nous sommes des rebelles, nous ne
serons jamais nombreux, on ne nous laissera pas tranquilles.
Tu n'est capable d'aucun ici, me traduit-elle; bien sûr, lui répondis-je, nous ne somme qu'en
voyage vers ce bout qui nous tiendra. Mais: es-tu capable de l'écrire, là, cette ambiance
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unique de ton histoire et de ton rêve ? Quand tu sens que déjà tes yeux se brouillent un peu
plus, qu'une lourde chaleur une nouvelle fois les a pris, et ne rend que peu, et que tu
n'avances pas sur l'autoroute qui traverse un unique des villes, où tu ne peux joindre au
nomade qu'il faudra bien, dans la douceur de ton soir ? La vie te manque ce personnage qui
ferait de tes tessons une maison, mais dont 'absence précisément permet l'ouvert de la plaie
du bonheur, éclate le fragment qui ne tient qu'au jardin mais à aucune poutre maîtresse.
L'âtre y est doux, ne pleure que l'entre des feux que tu repousses au plus loin d'une
quelconque cité.
Elle voudrait n'être qu'elle et brûler en noeuds de sa propre traîne tous ces points de non-
alliage que pourtant tu as besoin de lui offrir. Quand elle te vide ainsi, pourtant, le chemin
est au fort qui offre à l'orage blanc et noir de trois.
Tu avances donc un peu plus dans la rue que tu ne cherches plus, inspectant ses seuls
pavés, ou plutôt leur réseau d'interstice, éloge du dépôt, comme celui hier de la poussière.
Ton orthographe se dégrade alors même que tu scrutes cette maille. Il y a tout l'amas des
pas dans ces creux comblés, ici sans doute un jour Teilhard, comme chez A. Dillard, sans
doute un peu de la cendre d'un de ces multiples mégots qui fracassèrent le coeur du père
échoué à New-York. Tu récapitules les raisons qui te conduiront un jour vers Big Aple: la
pierre du jésuite inaccessible, la quête de Roehrich, mais il en est une autre, une troisième,
celle qui toujours t'échappe.
Il n'y a plus de briquet, tous vides, les trois chinois à sécurité qui souffrent ta rhizarthrose,
même au fond de ton sac tibétain de voyage, que tu déverses sur le lit défait, plutôt que de
le resuspendre à son clou dans ta chambre. Tu refuses d'exposer maintenant d'espoir le sac-
de-la-prospérité-de-la-famille, que t'offrit la médecin-chef mongole en cadeau de bon
retour. Les bidis s'épuisent, les allumettes de Riga n'y sont pas assez précises de leur
flamme, tu reviens à cette feuille. Le troisième n'était pas tout-à-fait vide, tu apprécies ce
demi-bidi, elle t'a dit aimer l'orangé géométrique et translucide de ta peinture dans la
cuisine, elle te regrette de ne pouvoir s'offrir à toi pendant les trois jours de sa pleine lune,
elle t'a donné une magnifique recette pour demain soir, et encore tu protestes, vers elle
fragile poète qui se veut sédentaire, enfin, ici, avec toi. Tu as vu les cantonniers du XXIè
siècle colmater d'une coulée dirigée de gélifiant brun le pourtour du goudron rapiécé de la
route, pour prévenir le dépôt encore des cendres des pères, pour que la faille qui viendra
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pourtant à la puissance de l'hiver n'éclate l'interstice, en genève déjà tu as détouré un pavé
de grès, avec lui passé interdit la frontière, l'amie a pleuré de ce cadeau d'anniversaire de
leur mariage, de ce lest de la famille qui empêche notre implosion de tous en la ville
psychotique, tu as préservé son jeu par cet arrachement nocturne et donc illicite, les fous
sont les plaies à respirer de la ville, les mots masquent notre interdit à nous réenfoncer trop
vite dans le sol qui nous a donné en pâture à notre douleur. Elle, encore, t'a demandé des
paroles pour ses chansons, mais tu crains de ne pas lui permette son rythme. Tu as beau
massacrer ta coiffure aux ciseaux seul devant la glace, on te complimente encore, on ne te
regarde que de face, tu souris.
Le voisin (l'autre) a tronçonné de beaux arbres pour entourer son potager de tristes
parpaings gris. Tout en travaillant sa terre comme si de rien n'était, mais s'emmurant.
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