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Page 1: Faut-il incorporer l'entrepreneuriat à l'école?

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Le Soir Lundi 18 mai 2015

17L’ENTREPRENEURIAT

Le Collège de La Fraternité,pionnier de la méthode québécoiseL’école secondaire le Collège de la Fraternité, à Laeken, estdepuis la rentrée scolaire 2014-2015 la première en Europeà mettre en place la méthode pédagogique Ecec, déjà im-plantée dans 128 établissements scolaires au Québec. Cetteapproche d’Ecole Communautaire EntrepreneurialeConsciente vise, comme le résume la directrice Rose Ro-main, à ouvrir l’école sur son environnement extérieur, no-tamment économique, et développer l’estime de soi et l’es-prit critique chez chacun des élèves. Depuis les premierspas en septembre, le Collège affirme pouvoir compter surl’adhésion des 65 enseignants, les oppositions étant trèsrares. Un nouveau projet d’établissement a été défini. RoseRomain estime que le grand mérite d’un programme commeEcec est de structurer des initiatives existantes, de ne pasvouloir réinventer la roue. Même si elle concède bien sûrqu’introduire l’éducation entrepreneuriale dans une écolenécessite un vrai « changement de posture ».Le principe est de rendre les cours plus vivants en y greffantdes projets et des activités qui stimulent l’implication desélèves. Des jeunes ont par exemple lancé de mini-maisonsd’édition, des bibliothèques, une radio, un journal d’école oucultivé un potager collectif.

O.F.

L’EXPÉRIENCE

Entrepreneur

Aux côtés de ces acteurs de la vie économique,Le Soir se mobilise pour stimuler l’esprit d'entreprise.

Cet espace est le leur, le nôtre, le vôtre.www.lesoir.be/entrepreneur

ENTRETIEN

D iverses initiatives ont vule jour ces dernières an-nées pour stimuler l’es-

prit d’entreprendre chez lesjeunes. Pour ne citer que deuxexemples, l’asbl Les Jeunes en-treprises a fait œuvre de pion-nier en Belgique francophoneavec ses mini-entreprises, et àBruxelles, le programme BoostYour Talent, avec le soutien del’Europe, rassemble différentsacteurs de la sensibilisation àl’entrepreneuriat dans les écoles.S’inspirant de ce qui se fait auQuébec, où l’éducation par l’en-trepreneuriat est intégrée depuis2001 au programme de forma-tion de l’école québécoise, dès leprimaire, des voix s’élèvent cheznous pour intégrer véritable-ment cette dimension à nos pro-grammes d’enseignement. « Il ya énormément de projets pilotessuper-intéressants dans nos

écoles. Mais à un moment,comme vient de le faire l’Ecosse,il faut valider ces projets et lesincorporer dans le programmed’éducation », plaide BrunoWattenbergh, le directeur opéra-tionnel d’impulse.brussels,l’agence bruxelloise en charge del’entrepreneuriat. « D’ici 2013,on sait qu’un grand nombre demétiers n’existeront plus et quede nouveaux vont apparaître.Dans un monde du travail où lesalariat sera de plus en plus souspression, il sera essentiel de for-mer nos jeunes à la gestion deprojet, de leur donner les moyensde se prendre en mains et d’entre-prendre sous différentesformes. » On notera d’ailleursque lors du colloque organisé parimpulse mardi dernier, l’expres-sion « esprit d’entreprendre »était préférée à « esprit d’entre-prise ». Car l’enjeu d’une généra-lisation de la formation à l’entre-preneuriat dès le plus jeune âgene serait pas nécessairement deformer des entrepreneurs, maisbien des personnes « entrepre-nantes », capables de rebondirdans des carrières de moins enmoins linéaires.

Deux experts « canadiens », àsavoir Matthias Pepin, un Belgeémigré au Québec, chercheur àl’Université Laval, et David Ha-labisky, économiste à l’OCDE,

ont présenté quelques résultatsde leurs recherches sur l’entre-preneuriat et les jeunes. Inter-views croisées.

Pourquoi est-ce si important deformer les jeunes à l’entrepre-neuriat ?David Halabisky La création d’entreprises est unimportant moyen de lutte contrele chômage. Nos études indiquentque ce sont les nouvelles entre-prises qui créent le plus d’em-plois. Elles en détruisent aussi,mais au final, le bilan est positif.En outre, il est impératif que lesjeunes participent davantage àune économie de la connaissancemarquée par des changementsstructurels. L’époque d’une car-rière à vie est révolue.Matthias PepinL’entrepreneuriat est un outild’apprentissage par l’action, dèsl’école primaire. Dans nos socié-tés, chacun aura besoin de plusen plus d’être entreprenant, sanspour autant en faire une profes-sion. Les mini-entreprises auQuébec servent de tremplin pourdévelopper des compétences decréation d’entreprise, comme ap-prendre à réaliser un plan mar-keting ou un ‘business plan’ maisaussi pour intégrer d’autres ma-tières sans se préoccuper des as-pects commerciaux. Les deux

angles ne sont pas antinomiques.Il faut bien se garder de diaboli-ser l’entrepreneur.

Y a-t-il un âge critique pouracquérir cet esprit d’entre-prendre ?M. P.Il est difficile de répondre à cettequestion. En revanche, plus unjeune avance dans sa scolarité,moins il aura tendance à entre-prendre, car il sera de plus enplus formaté dans un mode depensée, acculturé à un monded’adultes qui n’incite pas àprendre des risques. C’est pour-quoi il est intéressant de tra-vailler dès l’école primaire,quand la peur de l’échec n’existepas encore.

« Tout le monde n’est pas faitpour être entrepreneur » entend-on souvent… Un risque d’effetssecondaires à trop stimuler l’en-trepreneuriat ?D. H.Ce serait en effet une erreur quede vouloir pousser tout le monde.Et d’ailleurs tout le monde n’apas l’envie de prendre le risqued’entreprendre. Néanmoins, unsondage indique que 45 % desjeunes se disent intéressés par lestatut d’indépendant. Combienen sont réellement capables ? Iln’y a à ma connaissance jamais

eu d’études là-dessus, pour au-tant que ce soit mesurable.M. P.Je crois que le rôle de l’éducationest de placer des balises. Veut-oncréer des entreprises dont la seulevisée est le profit ? Ou veut-onaussi faire émerger une nouvellegénération d’entrepreneurs auxobjectifs sociaux et environne-mentaux ?

Qu’est-ce qui fera d’un jeune unbon entrepreneur ?D. H.En premier lieu, son désir d’êtreentrepreneur. A cet égard,l’énorme avantage de l’éducationentrepreneuriale est de permettreau jeune de jauger cette volonté àtravers des expériences concrètes.Ensuite seulement arrivent lescompétences techniques. Celles-ciaugmentent sans doute leschances de réussite, mais ne sontpas toujours indispensables.M. P.Pour savoir s’ils sont faits pourl’entrepreneuriat, les jeunesdoivent d’abord savoir que celaexiste et apprendre à se connaîtreà travers des projets entrepreneu-riaux. Ensuite, ils choisiront leurvoie. Ou pourront mieux s’adap-ter à des choix imposés par la vie.N’oublions pas que l’entrepre-neuriat de la nécessité est aussiune réalité.

Pourquoi la Belgique est-elle peuentreprenante ?M. P.La réponse ne peut être que mul-tifactorielle. Y a-t-il assez d’inci-tants financiers à entreprendre ?Je pense aussi que le système sco-laire belge est très traditionnel.

Les élèves sont formatés, à tra-vers les cours magistraux et lestests scolaires. Le programmescolaire est très pesant. S’y ajoutele problème de la formationcontinue des enseignants. AuQuébec aussi, l’entrepreneuriatéducatif fait donc partie du pro-gramme officiel depuis 2001mais très rares sont les profes-seurs qui ont pu suivre un coursd’entrepreneuriat…

Quelles sont néanmoins lesbonnes pratiques au Québec ?M. P. Des programmes comme l’ECEC(mis en œuvre dans une écolebruxelloise, lire ci-contre) ontstructuré les initiatives exis-tantes. Ils incitent au change-ment de l’école dans son en-semble. Cela nécessite évidem-ment l’adhésion de tous les pro-fesseurs. Selon moi, l’autonomieprofessionnelle de l’enseignantdoit être préservée. Il y a aussi leRéseau québécois des écoles entre-preneuriales et environnemen-tales ou le Junior achievement…

Avec quelles retombées écono-miques ?D. H.L’OCDE ne dispose pas de chiffresà ce sujet. C’est très compliqué àmesurer.M. P.Oui, car la réflexion est pluslarge que la simple retombée éco-nomique, mesurée par exempleen termes de créations d’entre-prise. Il faudrait être capable demesurer la capacité des gens à seréaliser… ■

Propos recueillis parOLIVIER FABES

Faut-il incorporerl’entrepreneuriat à l’école ?ENSEIGNEMENT Plaidoyers pour une éducation entrepreneuriale dès le primaire

L’expérience

québécoise au cœur

d’une conférence

« Entreprendre sa vie »,

à Bruxelles.

Tout le monde ne sera

pas entrepreneur, mais

devra être entreprenant.

Matthias Pepin, chercheur à l’Université Laval au Québec, etDavid Halabisky, économiste à l’OCDE, militent pour davantaged’implication des élèves à travers des projets entrepreneuriaux.D. R

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