Transcript
  • Dfier le rcit des puissants Ken Loach avec la collaboration de Frank Barat Nous voici au cur de la rsistance et de la cration tout la fois. Dfier le rcit des puissants, cest dfier ces films parfaits formats par Hollywood, faisant de nous des citoyens passifs, dociles, sans esprit critique. Car ily a bel et bien une esthtique de la soumission.
  • En revanche, y a-t-il une esthtique de la rsistance ? Ken Loach rpond oui . Mais soyons clairs. Sil est un des rares aujourdhui assurer que la lutte des classes est toujours aussi vivante, il ne cde jamais pour autant la propagande. Il dit : Je ne filme jamais un visage en gros plan ; car cest une image hostile, elle rduit lacteur, le personnage un objet. Or on peut faire ce quon veut dun objet, lexclure, lexpulser... Mais si la camra est comme un il humain, alors elle capte toutes les prsences, les motions, les lumires, les fragilits. Et nous devenons tous des film makers . Sylvie Crossman et Jean-Pierre Barou Lauteur : Ken Loach, Palme dor
  • Cannes en 2006 pour Le vent se lve, est sans conteste lun des plus grands cinastes engags de notre temps. Il partage sa vie entre ses films, sa maison de production Sixteen Films Londres, et son jardin de Bath o il vit avec sa famille. Jimmys Hall est son dernier film (mai 2014).
  • Ken Loach Dfier le rcit des puissants avec la collaboration de Frank Barat (Traduit de langlais par Florent Barat)
  • REMERCIEMENTS Ce livre est n dun travail dquipe. Il aurait t trs difficile de le raliser sans les personnes suivantes. Merci infiniment Ken Loach, un ami et un exemple, pour mavoir fait confiance et avoir accept de se livrer comme il la fait. Je lui en suis extrmement reconnaissant. Merci Sylvie Crossman et Jean- Pierre Barou, pour avoir eu lide dun tel projet aprs avoir lu lentretien que javais ralis avec Ken Loach pour lmission Le mur a des oreilles ; Conversations pour la Palestine .
  • Merci Ann Cattrall, Rebecca OBrien, Paul Laverty, Tania El Khoury, Ewa Jasiewicz, Maria Matheas, Fay De Pourcq, Herve Landecker et Rafeef Ziadah pour leur aide, y compris les commentaires sur les questions et les retours sur le texte lui-mme. Merci Joss Barratt pour la superbe photo de couverture. Merci ma famille extraordinaire. Maman, papa, Mae, Christopher, Laury et Romane. Merci Florent Barat, qui en plus dtre une personne incroyablement talentueuse, dont les crits me font
  • rire, pleurer et rflchir, est mon frre et mon plus proche compagnon depuis trente-trois ans maintenant. Enfin merci Jeanne et Leo. Pour tre mon tout et sans qui rien ne serait possible. Frank Barat
  • INTRODUCTION Les joies de la cration dun film tiennent limprvisibilit des relations interpersonnelles. tout ce qui fait que nous sommes humains. Nos fragilits, nos contradictions, nos checs, nos inadquations. Cest a qui rend le processus merveilleusement exaltant. Ken Loach
  • Crer du dsordre Ce livre nest pas uniquement un livre sur les films de Ken Loach, cest aussi loccasion dexplorer la vie dun cinaste qui se bat depuis des annes pour construire une socit quitable et plus juste. Jai pass deux jours discuter avec Ken Loach dans une petite pice chaleureuse, niche au dernier tage des bureaux de Sixteen Films, plutt bruyante et claire la lumire naturelle. Sylvie Crossman et Jean- Pierre Barou, les fondateurs dIndigne ditions et Florent Barat, qui a assur la traduction franaise de cet ouvrage, taient galement prsents. Une pice limage du cinaste. Sans artifices, sans
  • maquillage, sans fioritures. Une pice o lon sassoit, discute, rit, dbat, cre, rflchit et coute. Une pice qui en dit long sur cet homme considr aujourdhui comme lun des plus importants ralisateurs europens et parmi les plus influents. En effet, peu de cinastes ont ce point, et avec une telle constance, mis leurs convictions au service de leurs films, sans pour autant tomber dans la propagande. Mais en cherchant plutt patiemment, film aprs film, construire une esthtique de lengagement capable de convaincre un large public, sensible lefficacit sans appel de lart mme si ce mot, galvaud dans nos socits utilitaristes, bute parfois sur les lvres
  • de Ken, minutieux ouvrier de la pellicule, de limage, de la lumire et du son. Modeste, comme son habitude, Ken ntait pas sr que quiconque voudrait lentendre ou le lire. Il nous livre pourtant un rcit fort o la voix dominante nest plus celle des puissants. Au cours dune carrire de plus de quarante ans, Ken Loach a reu les prix les plus prestigieux dont la Palme dor p o ur Le vent se lve, le Csar du meilleur film tranger pour Land and Freedom et Just a Kiss, ainsi quun Ours dor dhonneur pour lensemble de son uvre au Festival international du film de Berlin, en 2014. Pour Ken Loach, il est essentiel de penser le cinma comme un moyen de
  • briser le rcit des lites, des puissants, un moyen de contrecarrer la vision dichotomique du nous contre eux , denrayer la stratgie du diviser pour mieux rgner . Pour moi, activiste luttant pour la justice sociale, il fut exaltant de discuter politique avec Ken Loach. Ce fils dlectricien n en 1936 Nuneaton, quelque cent soixante kilomtres au nord-ouest de Londres, ne conoit pas le cinma et la politique comme des pratiques spares, les deux sujets se mlant au cours de la conversation sans transition et Ken soulignant sans cesse la diffrence primordiale entre faire des films politiques et faire de la politique grce au cinma , ce quil fait depuis
  • ses dbuts. Jai rencontr Ken Loach pour la premire fois au cinma en 1995. Je reus Land and Freedom comme un coup de massue. Ce film me marqua jamais et mouvrit les yeux sur cet autre cinma. Le ntre. Des annes plus tard, en 2009, Ken Loach fut lun des premiers rpondre lappel du tribunal Russell sur la Palestine, tribunal des peuples cr sur le modle de celui fond en 1966 par les philosophes Bertrand Russell et Jean- Paul Sartre pour sopposer la guerre du Vietnam. Je travaillais comme coordinateur de cette initiative, et loccasion me fut donne de rencontrer Ken et son scnariste et plus proche
  • collaborateur Paul Laverty, lors dune confrence de presse Bruxelles. Il mimpressionna alors par sa simplicit, sa gentillesse, son humour, son intelligence et son envie dapprendre et de comprendre. partir de ce jour, Ken est rest un fidle soutien du tribunal jusqu sa fin en 2013. Quand Sylvie Crossman et Jean- Pierre Barou me contactrent et me proposrent de travailler sur un livre avec lui, je fus ravi et impatient de commencer. Nous avions dj un grand homme en commun : Stphane Hessel, auteur dIndignez-vous ! et prsident dhonneur du tribunal Russell. Admiratif de lhomme et de luvre collective quil construit depuis tant
  • dannes, ce fut extraordinaire pour moi de passer quelques heures couter Ken Loach me parler de sa vision de la fabrication dun film, o tout le monde, de lingnieur du son au rgisseur plateau, est un artisan, un maillon essentiel de la chane. Pour Ken, nous sommes dabord des citoyens, nous faisons partie dune communaut dtres humains et notre rle est dagir contre linjustice, quelle nous touche personnellement ou quelle frappe nos frres. La lutte est une ralit quotidienne, sans trve ni repos. Et le cinma un bon moyen de rappeler quelle est aussi universelle. Que lhistoire dune famille perdue dans la banlieue londonienne peut rsonner dans
  • le cur de milliers de personnes des milliers de kilomtres de l. Que celle de lIrlande peut trouver cho dans un village palestinien. Un film peut tre ltincelle qui dclenche le feu de la colre, mais celui-ci stouffera si on ne lalimente pas. Il est donc grand temps, comme le dit Ken, de crer du dsordre . Le moment est venu dagiter, dduquer, dorganiser ! Frank Barat
  • N DFIER LE RCIT DES PUISSANTS ous faisons des films pour tenter de subvertir, crer du dsordre et soulever des doutes. Agiter, duquer, organiser. Il faut donc agiter, et cest ce que nous essayons de faire : enrayer la mcanique, bousculer le statu quo, dfier le rcit des puissants. Lart est produit par ceux qui ressentent un besoin compulsif de peindre, dcrire, de filmer. Les tentatives artistiques naissent invitablement de nos expriences et de nos perceptions, car elles sont notre unique matriau de travail, cest tout ce
  • que nous avons pour crer. Les problmes commencent quand le commerce sen mle, quand lunique objectif devient la fabrication dune marchandise pour faire du profit. partir de ce moment-l, la qute du profit impose le contenu et seul ce qui est commercialement exploitable peut tre produit. Comme le disait William Blake : Partout o largent simmisce, il nest plus possible de faire de lart, mais la guerre seulement1. Ceux qui veulent vraiment communiquer, quel que soit le mdia quils utilisent, le feront parce quils sont proccups par ltat du monde, par la condition humaine. Cest cela le moteur. Peu importent lhistoire que nous
  • racontons ou les images que nous montrons, nos choix sont le reflet de nos proccupations. Faire quelque chose de compltement libre dans un monde o rgne loppression montre clairement nos priorits, lesquelles induisent un positionnement politique. La plupart des crations artistiques sinscrivent dans un contexte politique et ont une incidence politique. Pour quun film soit rellement politique, dans le sens o il peut tre un outil, un moyen politique, il doit y avoir une cohrence entre sa sensibilit et son contenu. Cest ce qui me drange dans les grosses productions amricaines qui traitent de bons sujets. Ce sont des films hollywoodiens, avec une star
  • hollywoodienne, de vrais films revendicatifs, avec un bon message, clair, mais compltement perverti par la mthode employe pour faire le film. On entend frquemment dire quil faut une grande star pour quun film soit vu par le plus grand nombre, mais alors ce nest plus le mme film. En discours sous- jacent de ce type de film, on trouve lacceptation de la hirarchie, de lextrme richesse, du pouvoir des grandes entreprises et de tout ce qui va avec. En mme temps, il ne sagit pas de dire : Je crois en la proprit commune des moyens de production, de distribution et dchange, et donc je vais faire de cette conviction le thme de
  • mon film. Cette vision et nos convictions politiques ne dictent pas directement nos films : elles les colorent, guident le choix des sujets, permettent de distinguer une histoire qui vaut la peine dtre raconte de celle qui manque dintrt. Elles influencent galement nos partis pris esthtiques parce quelles dterminent la manire dont nous allons filmer les personnages. Les histoires doivent tre vcues, les personnages sont contradictoires et le plaisir de faire un film tient la dcouverte de la manire tout fait imprvisible dont les gens interagissent. Cest de l que naissent la comdie et la tragdie, de l que surgit tout ce qui fait de nous des tres humains. Les
  • personnages que nous mettons lcran sont pleins de contradictions, de failles et de dfauts. Cest la fragilit de lhumain qui est dramatique, pas la perfection strotype. Nous trouvons des personnages, une histoire, et cest limplication de ces personnages dans cette histoire qui tmoigne de notre vision du monde.
  • Lobjectif comme il humain Si lobjectif de la camra est comme un il humain et que nous abordons les personnages du film comme si nous les observions de nos yeux, alors nous pouvons avoir le sentiment dentrer en relation avec eux. Dans la vie, on nentre pas en contact avec les gens en gros plan mais, au grand maximum, dans un cadre qui va de la tte aux paules. Langle de lobjectif utilis doit donc tre sensiblement similaire afin de filmer les personnages de manire respectueuse et mettre le spectateur dans la position dune autre personne. Si la camra se substitue lil, nous obtenons une rponse humaine. Tandis que si lon utilise un objectif grand angle
  • et que lon installe la camra tout prs de la personne filme, comme certains photographes et ralisateurs le font, on obtient une image lgrement dforme, plutt dsagrable, quon ne voit jamais dans la vraie vie, et on transforme les personnes en objets. En tant que spectateur, cest rebutant, on a envie de sloigner. On a limpression denvahir leur espace. De plus, on doit essayer de se mettre la place de tous les personnages, mme ceux dont on ne partage pas forcment les points de vue. On doit voir le monde travers leurs yeux. Diffrents procds permettent de parvenir cet effet, mais mon avis le meilleur moyen est de montrer tous les
  • personnages de manire ce que les spectateurs puissent les comprendre, entrer en relation avec eux, se sentir solidaires et comprendre les enjeux de chacun. Traiter les autres avec respect implique un certain positionnement politique. Une organisation sociale et conomique juste se fonde sur le respect mutuel, le sens de lgalit et la dignit avec laquelle chacun est trait.
  • Le cinma comme rvlateur Dune certaine manire, le cinma peut permettre aux gens dtre qui ils sont, de se rvler. Ce qui, mon sens, diffrencie le travail de lacteur de thtre de celui du cinma. Dans les films, on veut que les personnes se rvlent, et peut-tre dune manire dont elles nont pas toujours conscience parce quon peut voir lincertitude dans le regard, lindcision, lesprit au travail derrire les yeux. Au thtre, il faut construire une interprtation consciemment, on la rpte, on la joue tous les soirs ; on doit connatre les balises du jeu et les motivations qui vont nous mener dune
  • scne une autre. Au cinma, on veut vivre un moment prcis avec toutes ses incertitudes et ses difficults. Pour y parvenir, nous devons tre honnte dans notre faon de filmer. Comme nous encourageons les acteurs tre vulnrables, puis que nous exploitons cette vulnrabilit, ce qui nest pas juste en soi, il faut faire les choses avec intgrit et finesse. Nous tournons dans lordre de lhistoire, scne aprs scne, pour que les comdiens puissent rellement vivre leurs personnages. Pour cela, il faut choisir des acteurs qui vont se rvler et, ce faisant, rvler leurs personnages. Par exemple, je ne dis jamais un comdien : Le personnage ferait a ,
  • mais je lui demande plutt : Quest-ce que tu ferais, toi, dans cette situation ? Comment ragirais-tu ? En travaillant de cette faon, on permet lacteur dtre aux commandes, de se sentir totalement responsable, et on na plus qu le guider. Les comdiens font souvent des lectures du scnario avant le dbut du tournage. Personnellement, je ne ferai plus jamais a. Je lai fait pour mon premier film, parce que je venais du thtre. Tout le monde a livr un excellent jeu pendant la lecture et, aprs deux semaines de tournage sous ma direction, ils taient tous trs mauvais ! Je ne sais pas ce que javais fait, quelles indications javais donnes, mais a
  • avait t dsastreux. Jaurais mieux fait de ne rien dire du tout. Pendant la lecture, les acteurs ont tendance mettre toutes sortes de jugements prmaturs sur ce quils sont en train de jouer. Par contre, la premire fois quon vous dit une chose, vous lcoutez avec une attention quil est difficile de reproduire. Il est extrmement compliqu de jouer la surprise, par exemple, mme pour lacteur le plus brillant. Il faut arriver capter et garder cette qualit dcoute originelle, mais cette spontanit se perd et ne se retrouve jamais si on fait des lectures et de longues rptitions. Il y a tout un tas de faons, comme celles que je viens de dcrire, daider
  • les comdiens rvler des choses et livrer la meilleure interprtation possible. a passe gnralement par une infinie succession de dtails. videmment, les acteurs ont besoin de se prparer avant que nous commencions tourner. Il est important pour eux de comprendre lorigine et le pass de leurs personnages. Sils ont une famille, nous travaillons la dynamique familiale, nous imaginons des scnes de vie de famille. Le mtier que le personnage exerce est galement important. Le comdien devra pouvoir en connatre les bases, le quotidien et sy exercer. Nous improvisons aussi des scnes qui auraient pu se passer, les comdiens ont ainsi une mmoire viscrale,
  • motionnelle et pas uniquement intellectuelle de certains vnements et de certaines relations. De cette manire, quand nous commenons le film, chacun sait qui il est et ce qua t son pass.
  • La crdibilit de lacteur La crdibilit est notre seule exigence. Nous voulons que le film soit crdible. Voil pourquoi le casting est primordial. Je cherche la personne en laquelle les spectateurs vont croire. Or ils seront moins enclins croire en quelquun de clbre parce quils voient la clbrit avant de voir le personnage. Faire passer des auditions est une tape puisante du processus de fabrication du film, que je mne dans un premier temps avec Kathleen Crawford, avant que Paul Laverty et Rebecca OBrien nous rejoignent pour le choix final. En tout, a prend peu prs trois mois. Il nous faut trouver des acteurs
  • avec une certaine fragilit, ouverts, disponibles et gnreux. On coute sils ont un certain accent et on essaie de comprendre de quelle classe sociale ils sont issus. Il est trs difficile dinterprter un personnage qui nest pas de votre classe sociale ou dimiter un accent rgional, parce que a ne tient pas seulement la phontique, mais lutilisation du langage, lattitude et le sens de lhumour ont aussi leur part. Si, par exemple, nous faisons un film sur des ouvriers, le dialecte va tre essentiel. Il faut trouver des personnes originaires du lieu et issus de la bonne classe sociale, et cest une recherche qui prend beaucoup de temps. Quand nous pensons avoir trouv les bonnes
  • personnes, nous faisons des essais sur des scnes qui ne sont pas extraites du film, mais qui mettent en jeu les mmes motions. Il nous arrive de voir certaines personnes sept ou huit fois. videmment, nous faisons toujours en sorte de les dfrayer. On ne peut pas attendre de quelquun quil se dplace tant de fois sans ddommagement. Il faut faire attention, les comdiens sont tellement vulnrables quils sont facilement exploitables. La manire dont est mene la recherche des comdiens est rvlatrice de la faon dont le tournage va se drouler. Cette tape fait intgralement partie de la cration du film, parce quelle permet aux
  • comdiens de se faire une ide de la mthode de travail. Ainsi, au premier jour de tournage, ils savent dj quoi sattendre.
  • Lhistoire comme microcosme Le processus de cration de tous mes films commence avec le scnariste. Jai dbut au thtre o lauteur est roi (ou reine) : on respecte le texte et on linterprte. Je suis ensuite pass par la tlvision, et l aussi, lauteur tait la personne la plus importante. Le travail du ralisateur consistait interprter le scnario, lui donner corps et en respecter les ides essentielles. Quand on arrive au cinma, soudain, cest le ralisateur qui est roi. Mme si, en thorie, nombreux sont ceux qui disent respecter lide de collaboration, au bout du compte, ils mettent toujours le ralisateur en avant et lui octroient tout le mrite. Ce qui nest
  • pas fidle la ralit. Quand on travaille avec un scnariste, on doit collaborer avec quelquun dont on partage les ides fondamentales, cest-- dire les convictions politiques, le sens de lhumour, de la dramaturgie, de la relation aux autres. Il faut partager un point de vue la fois esthtique et politique. Ces choses peuvent se discuter, mais ce nest quen travaillant ensemble que nous voyons si nous sommes vraiment sur la mme longueur donde. Jai eu beaucoup de chance avec les auteurs avec lesquels jai travaill. Jim Allen dabord, puis Barry Hines, Neville Smith et, depuis vingt ans, Paul Laverty. Quand on trouve cette compatibilit, on
  • peut tout faire. Parce que plus nous nous sentons en scurit dans une relation, plus nous pouvons tre audacieux. Ceci est dailleurs vrai avec tous les membres de lquipe et, je suppose, dans la vie en gnral. Si lon doit tout le temps revenir sur les principes de base, on prend moins de risques. Par contre, si on est en confiance et certain de partager un objectif commun, alors on peut tout tenter. Parce que nous savons que notre partenaire protge aussi nos valeurs fondamentales. Ainsi, avec Paul, nous sommes en constante conversation. De toutes nos discussions qui peuvent aller de nos familles ltat du monde, en passant par le football et les informations mergera une histoire ou
  • un vnement particulier, et de l surgira une ide de film. Je pense que les histoires qui fonctionnent le mieux sont celles qui semblent relativement anodines, mais qui ont de grandes consquences. Un petit caillou qui fait beaucoup de vagues. Lhistoire est un microcosme qui illustre ltat du monde, met en lumire la faon dont la socit fonctionne, en montre les drives et les ingalits. Cest inquitant de se dire que les choses nont pas beaucoup chang avec le temps, mais cest pourtant la ralit. La socit est toujours base sur le conflit, une classe contre une autre. Ceux qui ont le pouvoir ne veulent pas que le peuple combatte son vrai ennemi, la
  • classe capitaliste, ceux qui possdent et contrlent les grandes entreprises, ceux qui dominent la finance ou la politique. Leur socit est base sur les conflits, la division et lexploitation. Ils pensent : Ta personne mimporte peu, je veux juste savoir combien tu peux me rapporter. Ils doivent alors trouver des boucs missaires et ciblent toujours les plus faibles : les pauvres, les immigrs, les demandeurs dasile, les minorits. Cela nest pas nouveau, ils utilisent les mmes procds depuis des dcennies. La droite accuse toujours les plus vulnrables dtre responsables de la crise de son propre systme conomique. Ceux qui nont pas de travail sont tenus pour responsables et
  • sanctionns pour leur inactivit alors que, bien sr, il ny a pas demplois.
  • Construire une quipe Je prfre le terme de ralisateur celui de film maker , parce que tous les membres de lquipe sont des film makers , lassistant la prise de son fait aussi le film. Il est primordial de construire une quipe solide parce quun bon film doit tre port par une bonne quipe. Lobjectif nest pas pour autant de sentourer des techniciens les plus talentueux qui sont nombreux, trs professionnels et font du trs bon travail , mais de trouver les personnes capables de travailler lunisson, de porter le film dune mme voix. Les grands films commerciaux recrutent gnralement les meilleurs techniciens dans tous les domaines. Tous font un
  • travail remarquable, le rsultat est spectaculaire, mais on sent, derrire, le corporatisme, on a limpression que le film nest pas port par une seule et mme voix : tout le monde a trs bien fait son travail, mais chacun de son ct. Alors que ce que nous recherchons est limage de ce que recherche le chef dorchestre, qui harmonise lensemble des instruments en une unit cohrente. Pour cela, il faut trouver des personnes qui ont un talent particulier. Pour la prise de son, jai la chance de travailler avec Ray Beckett depuis des annes. videmment, la prise de son doit tre bonne, mais, comme nous essayons de recrer une ralit, il faut que le son soit cohrent avec le lieu dans lequel
  • nous filmons. Dans les films, le son est souvent trop parfait, les voix cristallines, trop propres, on ne peroit pas lambiance de la pice, la circulation lextrieur, ce lger cho naturel. Il en va de mme pour les mouvements de camra. Il ne faut pas que la camra anticipe ce qui va se passer, car elle ne le sait pas. Parfois, un acteur sapprte parler, mais on ne le filme que lorsquon entend sa voix, et alors seulement on peut donner limpression dtre dans une vraie pice, de suivre une vraie conversation. Si on filme un personnage avant quil prenne la parole, on sait quil va parler avant quil le fasse et on perd la
  • sensation de ralit. Cest galement comme a que nous travaillons la lumire. Certaines personnes disent quil est prfrable, en termes de ralisation et dimage, dclairer une personne de face pour quon la voie mieux, mais cest moins raliste, parce que dans la ralit on est clair par la lumire naturelle de la pice dans laquelle on se trouve. Le son, les mouvements de camra, lclairage ou encore le maquillage peuvent donc faire perdre tout ralisme, toute impression de ralit linterprtation des comdiens. Il faut que tout le monde comprenne bien la manire dont le film se fait, cette voix qui le porte. Que tout le monde soit lunisson. Plus on travaille avec une
  • personne, plus cela devient naturel et moins on a besoin den dire ; et moins on en dit, plus on peut se concentrer sur lessentiel dans une scne. On disait du chef dorchestre Otto Klemperer quil navait qu sinstaller sur le podium pour que lorchestre joue exactement comme il le souhaitait. Parce que les musiciens savaient ce quil attendait.
  • Non, non, non Le producteur aussi doit comprendre le film, la manire dont il sera fait, et y croire. Intellectuellement, mais aussi viscralement. Quand on sait que le producteur partage la mme vision que soi, alors on prend en compte son avis, ses propositions. Il faut tre dans le mme tat desprit et se respecter mutuellement. Cest pour cela que je tiens galement tre impliqu dans llaboration du budget pour massurer de la cohrence entre les moyens mis en uvre et le sujet du film. Ainsi, je sais de combien nous disposons au dpart et ce que je peux demander sans dpasser le budget de base. Il nest pas bon quun ralisateur demande toujours plus
  • dargent un producteur qui lui rpond : Non, non, non chaque fois, cest mme destructeur. Je mengage donc toujours travailler avec les moyens dont nous disposons, car je sais que ce nest pas largent qui rend un film intressant. Le budget moyen de nos productions slve 3 ou 4 millions de livres, ce qui est deux fois moins que la moyenne des films britanniques. Et il va sans dire que nous payons plus que le minimum syndical. Le budget de Jimmys Hall tait un peu plus lev, environ 5,5 millions, car nous avions une priode de tournage plus longue, sept semaines, avec beaucoup de comdiens. Une grande partie de cet argent part dans des
  • dpenses que nous ne pouvons viter : la pellicule, les frais de laboratoire Mais gnralement, nous tournons assez vite, entre cinq et sept semaines, cinq jours par semaine, ce qui permet de garder une bonne nergie et parce que certains pensent que je suis trop vieux pour travailler six jours par semaine ! Une des tches essentielles qui incombe galement au producteur est de constituer une quipe. Rebecca et moi le faisons ensemble, mais cest elle qui prend les devants et gre les oprations. Il y a tout un aspect commercial, des accords trouver avec diffrents partenaires et elle doit ngocier des salaires justes pour chaque membre de lquipe. Le producteur de mon premier
  • film tait trs traditionnel et son charg de production considrait quune partie de son travail consistait russir payer les gens au plus bas prix. Cest une industrie, cest ce quun employeur fait gnralement. Du coup, le premier jour du tournage, tout le monde arrive en tranant les pieds. Voil ce qui se passe quand un employeur rduit les salaires pour dpenser le moins possible. Alors que tout le monde, techniciens et comdiens, devrait arriver sur le plateau satisfait de son contrat. Pour un autre de mes premiers films, nous avions besoin dun quipement spcifique pour une camra, un objectif particulier. Le producteur nous a dit que nous ne pouvions pas lavoir, que ctait trop
  • cher, alors quen mme temps la voiture de la production cense transporter lquipe pour nous faire gagner du temps servait emmener sa femme faire des courses ! Ce genre de choses est assez courant. Mais en faisant a, on ne peut pas esprer que lquipe soit contente. Un producteur doit montrer lexemple.
  • Le montage : avec les yeux Avant darriver au montage, il faut bien sr passer par les diffrentes tapes de la fabrication du film. La premire est trs agrable. On est autour de la table, on discute de lide et tout est parfait, rien ne vient perturber vos plans. Cest trs plaisant. Le tournage est encore loin et on ne sen soucie pas encore mme si, videmment, la pression monte au fur et mesure quil approche. Cest un peu comme quand vous devez aller chez le dentiste, la peur augmente chaque jour qui vous rapproche du rendez-vous ! Le tournage est toujours un moment fascinant, quoiquassez anxiogne parce que les jours passent et quil faut avoir
  • toutes les scnes malgr les conditions ou vnements imprvus qui peuvent parfois se dresser sur la route la pluie, un comdien malade, etc. , et on ne peut malheureusement pas rallonger le temps. a peut tre passionnant, mais cest puisant. Quand arrive le moment du montage, tout a est derrire et mme si le matriau que nous avons est trs mauvais, nous ne pouvons plus rien y faire. Il faut faire avec. Cest aussi une priode pendant laquelle on commence travailler plus tard. Nous arrivons 9 heures, buvons un bon caf 10 heures et rentrons chez nous 17 heures 30. Et surtout, on sait quon a encore un salaire assur pour quelques mois, quon nest pas immdiatement au
  • chmage ! Nous montons toujours sur pellicule. Quand un monteur travaille en digital, il est trs difficile pour le ralisateur assis ct de comprendre ce quil fait. Il pianote sur son clavier et je ne sais pas ce quil fabrique. Je ne comprends rien aux ordinateurs, de toute faon. Alors que quand on coupe une pellicule, il est trs simple de voir ce qui se passe. Une bande dimages passe dans la machine, une bande-son, nous choisissons o nous voulons couper, je vois le monteur choisir le plan, le couper et je comprends tout. Comme cest un processus plus lent, on a plus de temps pour rflchir et puis on peut regarder par la fentre, couter le match de
  • cricket la radio Cest une cadence beaucoup plus humaine. En plus, comme on coupe vraiment la bande, on le fait avec plus de prcautions. Et on est beaucoup plus disciplins parce quon ne peut voir quune scne et quun choix la fois. Je prfre largement cette mthode. Je travaille avec Jonathan Morris depuis 1979, on se connat assez bien maintenant nous avons vieilli ensemble ! Ici encore, cest une question de partage. On partage un sens du rythme, de la progression. Le montage, cest en quelque sorte comme faire de la musique, mais avec les yeux. Il faut couper quand votre il vous dit de couper. Si lon coupe mcaniquement,
  • on le fera chaque fois que quelquun parle, pour que cette personne soit toujours limage au moment o elle prend la parole. Mais si un personnage parle et quun autre intervient, nous prfrons rester focaliss sur celui qui dit la chose la plus importante. Toujours pour donner du ralisme la scne. La manire dont les films sont produits actuellement nest pas acceptable, parce que tout est fait pour convenir en premier lieu aux producteurs et aux investisseurs. On demande au monteur, pendant le tournage, de raliser un premier montage qui sera prsent aux financeurs du film. Pour moi, il nest pas possible que le monteur choisisse une scne pendant le
  • tournage. Pour mieux comprendre pourquoi, il faut revenir un peu en arrire. Quand on tourne, si on veut que la performance soit vraie, quelle soit juste, on ne va pas dcouper la scne et la filmer rplique par rplique. Au contraire, on veut crer une dynamique, que les comdiens jouent la scne dans son intgralit et oublient la camra pour quils sinvestissent totalement dans le jeu. Le monteur ne peut pas extraire de lui-mme une scne sans consulter le ralisateur, puisquon ne peut pas connatre lordre des plans avant davoir vu tout ce qui a t film. Il y a tellement de choses qui se jouent sur de petites nuances, sur des dtails quil est mes yeux impossible de couper
  • pendant le tournage. Il faut dabord voir toutes les prises et choisir seulement aprs. Personnellement, nous ne commenons jamais couper avant davoir fini de tourner et Jonathan ne voit quune petite partie de ce que nous filmons. Ce nest gnralement pas comme cela que a se passe dans lindustrie du cinma.
  • La musique : porte vers luniversalit La musique est probablement llment le plus difficile apprhender. Cest un choix qui se fait en toute fin de processus. Vous connaissez votre film parfaitement et il est pourtant trs probable que la musique va le modifier, car elle peut donner un sens diffrent aux images. Sans musique, linterprtation reste ouverte parce quelle ne dit pas au spectateur ce quil doit penser. La musique permet, et en cela travailler avec mon ami Georges Fenton maide normment, de donner un sens universel un petit film avec deux ou trois personnages dans un milieu ouvrier. Elle peut donner une tout autre dimension une situation. Sans musique, a resterait
  • une petite histoire, dans un logement social de Glasgow ou une pice sombre de Londres. Mais la musique peut donner de luniversalit une petite scne locale, elle peut louvrir vers lailleurs, lui donner de lamplitude. La musique peut tre une porte ouverte sur luniversel. Elle peut aussi vous rappeler quelque chose, faire cho avec un vnement pass. Dans tous les cas, elle doit avoir une fonction, un rle, elle ne peut se limiter tre un habillage. Comme elle a une grande puissance, il faut lutiliser avec prudence et parcimonie. Cest comme mettre de la sauce sur un plat, si vous ne faites pas attention et en mettez trop, vous perdez le got des aliments.
  • Cest pour cela que le choix de la musique est des plus difficiles et que, personnellement, jen utilise trs peu.
  • La tlvision fait partie de lappareil dtat Jai eu la chance de travailler la BBC dans les annes 1960. La tlvision tait alors un jeune mdia et ltat desprit de lpoque permettait, dans une certaine limite, douvrir la culture et lantenne aux classes populaires. Avec le temps, a a t de plus en plus contrl. Plus les annes ont pass, plus le format de ce qui marchait, en termes daudience, sest dvelopp et rigidifi. Tout sest bureaucratis, hirarchis et, comme dans toute industrie, la pression sur la production sest fortement intensifie. La tendance est la rduction des quipes et la multiplication des
  • managers qui, pour justifier leur position, se doivent dintervenir dans tous les domaines, du scnario au casting. Dans les annes 1960, ils ne vous disaient pas quel acteur vous deviez engager. Aujourdhui, lquipe de comdiens doit tre approuve par les reprsentants des maisons de production, par ceux de la BBC ou dITV, par le responsable du dpartement, par le responsable de la chane Toutes ces personnes que vous navez jamais rencontres doivent donner leur accord. Ainsi, le ralisateur, qui lon impose des comdiens et qui ne peut plus travailler sur le scnario sans supervision, na plus que trs peu de pouvoir. Alors, bien sr, il ne peut
  • pas tre original. Cette pression et cette dpossession dtruisent loriginalit. Cest cela que les syndicats doivent dnoncer et combattre avec force. Autrement, cest presque impossible pour les ralisateurs. Lutilisation qui est faite de la tlvision nest pas acceptable. Ce mdium a un potentiel norme, mais ce quon voit sur les crans est terriblement limit. Les mmes clbrits, les mmes films diffuss en boucle, la mme vision politique restreinte, les missions de cuisine, de dcoration de maisons, de tl-ralit Comme cest ennuyeux ! Aujourdhui, faire de la tl, cest fabriquer un produit, nimporte lequel. Cest le management, prtendant
  • interprter le march, qui dcide. Tout doit satisfaire le march et cest lconomie qui faonne le produit. Il est difficile de rsister individuellement. En Europe, nous avons la chance davoir encore une niche qui nous permet, si nous sommes raisonnables, de faire les films que nous voulons. Cela dit, le montant dont nous pouvons disposer est limit. Laudience gnre un revenu qui dfinit combien vous pouvez dpenser pour un film. On dpend donc du public, il faut tre rentable . Parvenir changer, cela sinscrit dans la perspective dun changement politique beaucoup plus vaste. Les grands groupes de tlvision
  • font partie de lappareil tatique, cest un fait. Ils sont administrs par des personnes nommes par ltat selon un systme hirarchique trs vertical. Cest le gouvernement qui octroie les concessions aux socits commerciales et nomme les dirigeants de la BBC, laquelle est, avec la presse de droite, le principal fournisseur didologie et dinformation de notre poque. Linfluence de la tlvision sur la population est norme. Cest une institution tatique dont la mission premire est de relayer lidologie du pouvoir en place. Les nominations sont donc cruciales, car il serait dsastreux pour ltat que cet outil tombe entre ce quil considre comme de mauvaises
  • mains. Cest encore plus vrai pour la presse. Il faudrait quelle soit gre par des coopratives et quaucune socit ne puisse possder plus dun journal. Ce sont des revendications rvolutionnaires que ltat, tel quil est organis actuellement, nacceptera jamais.
  • Capitalisme brut Les annes 1980 ont t une priode trs difficile pour une grande majorit de la population. En ce qui me concerne, tout ce que jai entrepris dans ces annes-l a t interdit ou retard. Ctait la priode Thatcher. Les choses changeaient si vite sur le plan politique que lide mme de faire un film, dont la concrtisation peut prendre deux trois ans, paraissait inapproprie. Alors je me suis tourn vers la ralisation de documentaires qui peuvent se faire plus vite , mais bien sr les tlvisions nen voulaient pas. Le seul moyen que nous avions davoir un impact politique tait de tourner des documentaires. Tout coup,
  • on avait du chmage de masse, partout les usines fermaient parce que ltat ne les subventionnait plus et lindustrie devait survivre sans aucun support ni infrastructure de ltat. Thatcher a fait a trs consciemment, car elle pensait que pour rendre lindustrie efficace il fallait revenir au XIXe sicle : le capitalisme brut. a sest fait trs rapidement, semaine aprs semaine. On sentait grandir un sentiment de conflit de classes et dinjustice terrible et les dirigeants syndicaux se sont compltement dsengags de ce combat. Raliser des documentaires semblait le seul moyen de se dfendre, mais personne ne voulait les diffuser. En fait, ils taient carrment interdits, on me les
  • confisquait mme. Je ne les avais plus et je ne pouvais plus les montrer nulle part. Trois ans de travail gchs, perdus ! Non seulement ils ont saisi les films, mais en plus ils mont enferm dans des procdures lgales pour pouvoir les rcuprer et les diffuser. Ce nest pas comme si jtais censur un jour et que je recommenais travailler le lendemain, non, je devais me battre pendant une anne entire. Et pendant ce temps-l, je ne faisais pas autre chose, je navanais plus. Ctait une priode trs sombre. Thatcher tait lance dans sa guerre contre la classe ouvrire. Elle provoquait des grves, quelle gagnait, elle passait des lois contre les syndicats
  • et permettait au chmage de masse de crotre : une grande offensive contre les organisations de la classe ouvrire. Nous avons ralis plusieurs documentaires pour Channel 4 dans lesquels des syndicalistes nous disaient quil y avait dans leurs rangs un militantisme important que les leaders refusaient dorganiser. Combien de fois avons-nous vu des travailleurs prts agir et des dirigeants syndicaux qui retardaient leurs actions ou ngociaient dans leur dos ! Nous avions quatre films sur ce sujet, commands par Channel 4 et dont la diffusion tait prvue en septembre 1983, avant la grve des mineurs. Ctait lpoque o la lutte
  • tait son apoge, quand les mineurs taient encore forts. Si on regarde en arrire aujourdhui, on se dit quil tait certain que Thatcher allait gagner, mais sur le moment ce ntait pas si vident. La guerre battait son plein et ce ntait pas jou davance. Les dirigeants syndicaux que nous critiquions ont pris contact avec Channel 4 et ITA, lautorit indpendante de la tlvision2, en leur demandant dannuler la diffusion de nos films. Ils lont fait. Ils les ont retirs de la programmation. Il est intressant de noter que ces dirigeants syndicaux taient plutt des sociaux-dmocrates de droite et que les personnes la tte dITA taient des sociaux-dmocrates, sympathisants dun
  • parti qui sappelait le SDP3 et avait rompu avec le parti travailliste. Ctait donc des travaillistes de droite, ce quon appellerait aujourdhui le centre gauche, qui na pas grand-chose voir avec la gauche. Les gens que nous critiquions et ceux qui contrlaient les chanes de tlvision avaient donc tout intrt censurer le message et le point de vue que nos documentaires vhiculaient. Et ils y sont parvenus. Pendant un an, ils nont cess de repousser la diffusion, a ma cot une anne de combat, avant de finir par comprendre quils ne diffuseraient pas les films qui ont t perdus et jamais vus. Ils montraient juste des travailleurs et travailleuses ordinaires, quon ne voyait jamais la
  • tlvision et dont la parole ne serait jamais entendue. Il est difficile de trouver un exemple plus clair de censure politique. De la pure censure. la suite de a, il y a eu lincident avec la principale mission culturelle dITV, propos de la grve des mineurs en 1984. Ctait une priode extraordinaire parce que cette grve a t lvnement charnire de la politique britannique. Jusqualors, nous vivions toujours dans le consensus daprs- guerre, mais les attaques de Thatcher durant la grve des mineurs lont fait voler en clats et nous ont prcipits dans le nolibralisme. Ctait la bataille de Waterloo, le point de basculement. Jai essay partout
  • dobtenir un financement pour faire un film sur la grve des mineurs et lmission culturelle South Bank Show a accept que je ralise un documentaire sur les chansons et pomes crits par les mineurs et ceux qui les soutenaient une extraordinaire explosion de crativit. La plupart de ce qui tait crit traitait de la brutalit policire. Nous disposions dimages illustrant les violences policires contre les mineurs, et nous les avons bien videmment utilises dans le film pour accompagner les pomes et les chansons. Cen tait trop pour les producteurs de lmission : ils nont pas diffus le documentaire. Il la t sur Channel 4, quelques mois trop tard, quand le mouvement de grve tait trs
  • affaibli.
  • Le langage de la rue Sweet Sixteen a touch une autre corde sensible, cette espce dindignation puritaine de la petite- bourgeoisie pour laquelle ce ne sont pas les ides qui sont inacceptables, mais le langage. Comme le langage de la rue employ dans le film, celui dadolescents de quinze, seize ans issus dun milieu populaire de louest de lcosse, tait considr comme choquant, dautres jeunes du mme ge ne devaient pas tre autoriss lentendre. Vous voyez, lpoque, et cest toujours le cas aujourdhui, ce quon appelle le march du travail noffrait ces jeunes aucun emploi, aucune
  • chance de gagner un revenu digne. Quand nous tions l-bas pour le film, les filles taient embauches dans des centres dappels tlphoniques parce que leur voix et leur accent taient moins marqus. Ce ntait pas le cas pour les garons, dont le dialecte fait partie intgrante de lidentit. Alors, videmment, il ntait pas envisageable de travailler dans des centres tlphoniques ! Par contre, dans le film, nous respections cette langue, parseme de jurons et de grossirets, mais drle, tranchante et ptillante. Une campagne a t mene contre le langage utilis dans Sweet Sixteen et le comit de censure a jug que seuls les plus de dix-huit ans pourraient le voir.
  • Heureusement, les municipalits pouvaient passer outre cette censure et dcider de montrer quand mme le film. Certaines lont fait, notamment la ville o nous avions tourn. Cet exemple met en lumire toute lhypocrisie de la situation : le fait que, dans un mme pays, des jeunes de seize ans ne puissent pas tre entendus par des adolescents du mme ge, alors quil sagit uniquement du langage de la rue, des terrains de jeux. Quand vous faites un film sur des jeunes, vous esprez que des jeunes le verront. Quil soit interdit aux moins de dix-huit ans a videmment eu une incidence sur le box-office. Comble de lironie, il a souvent t montr dans les prisons pour mineurs. Par la suite, de
  • nombreux jeunes ont pu le voir quand il est sorti en DVD, sur lequel linterdiction ne sapplique videmment pas.
  • Le rcit britannico-irlandais Nous avons galement connu la censure avec nos films sur lIrlande. La presse de droite et les politiques ont men des campagnes contre Secret dfense et Le vent se lve. Secret dfense traitait de la stratgie tirer pour tuer employe en Irlande larme et la police britanniques travaillaient avec la complicit des loyalistes et des syndicalistes identifier et piger les rpublicains pour les assassiner. Cette stratgie a perdur longtemps et a t trs bien documente, tout le monde tait au courant, mme la BBC en a parl. Le film a t montr Cannes et un parlementaire conservateur a dit que
  • lIRA4 faisait son entre dans le festival, que le film justifiait le terrorisme. Cest pour cette raison que de nombreux cinmas du Royaume-Uni nont pas voulu le diffuser. Et puis il a disparu. On ne sait pas trs bien comment, mais il a disparu dans de nombreux pays. Il tait pourtant prsent dans tous les grands festivals, ce qui laissait penser que de nombreux cinmas allaient le programmer, mais non, il a juste disparu de la circulation. Jai tlphon quelques cinmas en Angleterre, ceux avec lesquels nous avions lhabitude de travailler, plutt des salles indpendantes. Parmi les personnes qui mont rpondu, une femme ma dit que ce film tait contre larme britannique
  • et quils ne diffuseraient pas un film contre notre arme, contre nos troupes. On pourrait sattendre ce quun film prim Cannes soit projet dans de nombreux pays, mais a na pas t le cas cette fois-ci. Ces attaques ont eu un impact trs important. Quelquun a crit dans The Times que comme propagandiste jtais pire que Leni Riefenstahl, la femme qui a ralis le film sur les Jeux olympiques de 1936 pour Hitler. Jtais pire quelle ! Et nous parlons du Times, pas dun tablod ! Dans The Telegraph, Simon Heffer, un chroniqueur de droite bien connu, a crit quil navait pas vu le film et quil nirait pas le voir parce quil navait pas besoin de lire Mein
  • Kampf pour savoir quHitler tait un salaud Dans The Daily Mail, un des articles tait intitul : Pourquoi cet homme dteste-t-il son pays ? La brutalit de ces attaques est extraordinaire. Ce que ces gens ne supportent pas, cest que quelquun remette en question la version officielle de lhistoire britannico-irlandaise : savoir que les Irlandais sont violents, que les catholiques et les protestants se font la guerre, quils se battent propos du pape et que les Britanniques, avec tout leur bon cur, vont les aider restaurer la paix. Cest cette histoire quils veulent entendre, pas le fait que les Britanniques ont colonis lIrlande pendant huit cents ans et impos de
  • terribles violences la population irlandaise : a, ils ne peuvent pas lentendre ! Cest une ngation de leur histoire.
  • Ici et maintenant Regardez ce qui arrive aujourdhui ceux qui disent la vrit sur la politique britannique en Irlande. Un ancien soldat et un ancien agent de scurit ont tent dalerter lopinion sur la politique du tirer pour tuer . Tous deux ont t victimes de coups monts : lun a t accus tort dassassinat ; lautre dclar mentalement instable. Il est intressant de noter que les gouvernements ne vous dfient jamais directement sur le terrain des ides. Ils ne dbattent pas avec vous publiquement, mais ils essaient de vous compromettre, de vous discrditer. Comme ils lont fait avec Arthur Scargill, lhomme qui a men la grve
  • des mineurs. Ils ont mont de toutes pices une histoire laccusant dtre corrompu et de dtourner des fonds destins au mouvement de grve pour payer le crdit de sa maison. Il navait mme pas de crdit ! Mais a navait pas dimportance. Lhistoire avait t rendue publique et la propagande avait commenc. Ils lont tran dans la boue, et la boue colle. Les Britanniques sont des experts en la matire. Nous vivons dans lhypocrisie dune socit ouverte et libre. Tony Benn5 avait trouv une belle expression : il disait quici nous navions pas besoin du KGB puisque nous avions la BBC ! Ceux qui dbitent des gnralits sont tolrs, par contre
  • les puissants ne supportent pas ceux qui peuvent intervenir sur des problmatiques spcifiques du moment, sur lici et maintenant. Parce que a, cest dangereux. Lart qui dure, qui reste, parle dides et de conflits universels, mais il ne faut pas dnigrer celui qui traite dvnements un moment prcis, spcifique de lhistoire, car cela ne lempche pas de faire rfrence des problmatiques plus larges et dtre lui aussi universel. On peut tre trs pertinent en se penchant sur un cas spcifique, sans mme en rfrer ouvertement son universalit.
  • Le rle politique de la culture Un film peut avoir un impact bien plus important quon ne laurait imagin au dpart mais cest de moins en moins probable. Dans le film Cathy Come Home, nous racontions comment une famille pouvait perdre son logement et, une fois sans abri, tre disloque parce que la municipalit ntait pas oblige de reloger toute la famille. Les pouvoirs publics avaient lobligation de reloger les mres et les enfants dans des foyers auxquels les pres navaient pas accs. De nombreuses familles se sont dsintgres comme cela. Aprs la diffusion du film, la loi a chang et les autorits locales ont eu lobligation de reloger les familles entires. Mais cest
  • une toute petite volution au regard de ce qui pourrait tre fait. Dune certaine manire, ctait un film social- dmocrate, parce quil ne sattaquait pas aux problmes de base qui font quune famille peut se retrouver sans abri. Il ne remettait pas en cause la proprit foncire, ni la proprit et le contrle de lindustrie du btiment, il ninsistait pas non plus sur la ncessit daccompagner le logement par de lemploi. On a voulu faire un film vrai et il a sensibilis les gens, mais il ne posait pas les questions essentielles. Il est trs important de rappeler qu lpoque la tlvision ne comptait que deux chanes et demie. Presque tout le monde avait la tlvision, mais on navait le choix
  • quentre deux ou trois programmes. Alors, le film a t vu par quinze millions de tlspectateurs. a permet davoir un impact. Cest bien plus difficile aujourdhui, car il y a des centaines de chanes. Il nous parat galement ncessaire dlargir le dbat, en parlant dautres combats, qui font partie de la lutte historique globale : la guerre dEspagne, les tats-Unis en Amrique centrale, les syndicats aux tats-Unis, etc. Cest important de montrer a aussi. Nous lavons fait avec Land and Freedom, qui traitait de la guerre dEspagne. Malgr Hommage la Catalogne, de George Orwell, persistait le mythe dune gauche unie contre le fascisme, alors que
  • les ruptures qui divisaient cette gauche faisaient partie intgrante du problme. Le livre dOrwell et notre film nont pas plu aux sociaux-dmocrates, car ils attaquaient la gauche rvolutionnaire. Ils nont certainement pas plu aux stalinistes, qui attaquaient galement la gauche rvolutionnaire et en assassinaient mme les leaders. Dterrer les attaques des stalinistes contre le POUM et les anarchistes, ctait aussi dterrer les procs de Moscou, pendant lesquels les anciens bolcheviks ont t vincs par Staline. Les quelques communistes qui restent ont donc dtest le film. Les films pourraient jouer un rle beaucoup plus important en comblant
  • lcart entre ce que les gens vivent au quotidien, ce quils voient sur leurs crans de tlvision et ce quils entendent de leurs dirigeants politiques. Mais il est difficile pour les films qui tendent cela datteindre un trs large public. Ils ny parviennent certainement pas par la tlvision, et ne le peuvent pas par le biais des cinmas non plus. La culture ne peut avoir un impact politique que si les gens peuvent la recevoir. Vous pouvez faire un film qui sera vu par un million de personnes, sil a la chance dtre diffus la tlvision, mais un film peut navoir aucun impact sil nest pas vu. Peut-tre que le changement aura lieu grce aux mdias digitaux je ne sais pas, je ne my
  • connais pas assez en nouvelles technologies. Mais on dit que cest possible, que a peut fonctionner dune manire souterraine et subversive. Alors se pose le problme de la fabrication du film. Parce que si les moyens de transmission sont trs diffrents, la manire de faire le film devra ltre galement. On ne pourra plus compter sur des budgets comme ceux du cinma ou de la tlvision. Il faudra travailler plus rapidement et dans des conditions moins confortables. La manire dont on regarde les films volue galement avec la technologie. Notre travail est plus facilement accessible grce Internet. La
  • protection du copyright est devenue un gros problme. Il est clair que si vous crez quelque chose, vous devez tre rmunr pour votre travail. Le copyright, cest le problme des grandes corporations, cest principalement elles qui se battent pour rendre le tlchargement illgal. Cest une question de profits quelles ne rcuprent pas. Les personnes qui ont fait le film, elles, ont dj t payes, et ne vont pas recevoir un centime des profits rsiduels.
  • Lennemi est gigantesque Nous sommes des citoyens, avant tout. Nous devons reprendre le contrle de nos vies. Nous sommes pris dans un systme conomique inexorable. Cest comme tre embarqu dans une voiture dont on a perdu le contrle. Un jour, Thatcher a dclar : Il ny a pas dalternative6 , qui est devenu un acronyme : TINA. Ici, en Angleterre, les gens disent que lidologie est morte. Cest pourtant bien une idologie qui nous tient entre ses griffes : le capitalisme dbrid et absolu. Cest un chec sur tous les points, mais ceux qui nous gouvernent nautorisent aucune alternative. Voil pourquoi un mouvement rvolutionnaire est
  • absolument ncessaire, tout de suite. Aujourdhui plus que jamais, cause du changement climatique. Nous savons que la plante change une vitesse alarmante et quil ne nous reste plus beaucoup de temps. Il y a urgence. La plus grande question qui se pose nous est de trouver le moyen de maintenir la lutte, de lalimenter. Voil notre plus grand dfi. Comment sy prendre ? Nous devons faire une srie de choix au quotidien. Il nous faut trouver la bonne tactique, mais aussi la bonne stratgie sur le long terme. Nous avons fait une grosse erreur aprs les manifestations contre la guerre en Irak, qui ont fait descendre un deux millions de personnes dans les rues. Si, ce
  • moment-l, nous avions demand aux gens de signer des ptitions contre la privatisation, contre les guerres, pour la dfense de lenvironnement, nous aurions eu un million de signatures, a aurait t la naissance dun mouvement politique. Si nous lavions dvelopp correctement, avec des antennes locales, une comptabilit dmocratique et un programme bas sur des idaux politiques, nous aurions eu une relle opportunit de crer le changement. Il y avait un sentiment de dgot gnralis contre Blair, la guerre mais nous avons mal valu notre force et a na pas pris. Les gens sont devenus cyniques et mfiants. On se retrouve toujours face aux
  • mmes questionnements politiques. Comment, par exemple, trouver lquilibre entre la poursuite de la lutte au nom dun idal et la dfense de ce qui a dj t acquis ? Si vous allez trop loin, vous pouvez porter prjudice au projet tout entier. Dfendre le socialisme dans un pays comme lUnion sovitique, ctait trahir toutes les autres rvolutions qui auraient pu russir. En Irlande, en 1916, ceux qui ont incarn linsurrection de Pques savaient quils allaient la mort, mais ils devaient saisir ce moment pour se soulever et dclarer lindpendance. En faisant cela, ils ont rendu la guerre dindpendance possible. Cette question de savoir si on doit
  • aller plus loin ou consolider nos acquis est une sorte de tension permanente dans les mouvements politiques et rvolutionnaires. Nous devons prendre des dcisions tous les jours. Cest comme un numro de funambule, extrmement difficile. Bien sr, il y a contre nous les forces de ltat : les services de renseignements, la police, les mdias, toutes les composantes de ltat et du grand capital qui donnent le ton. Lennemi est gigantesque. Nous avons de la chance : il va sa propre perte. Il lui faut continuer mener des combats parce que le systme ne peut pas survivre par lui-mme. Ces gens-l foncent droit vers le prcipice. Le problme, cest quils
  • nous emmnent avec eux. Nous devons nous battre contre a, voil ce qui est important.
  • Cinq camras brises Jai vu Cinq camras brises, un trs bon film pour lequel jai beaucoup de respect et que jai recommand autour de moi. Je lai vu lors dune projection dans un petit cinma de Bristol o il y avait une centaine de personnes. Tout le monde a quitt la salle en pensant que ctait un trs bon film. Cest l quil aurait fallu quelquun la porte pour prendre les coordonnes des gens, leur demander de se mobiliser, de mettre en place des actions, dinviter des Palestiniens, daller en Palestine. Il faudrait dailleurs faire a toutes les projections. Il est vident quil est ncessaire de faire dautres films sur la Palestine et
  • cest aux Palestiniens de les faire. De nombreux peuples sont opprims travers le monde, mais certains aspects rendent le conflit isralo-palestinien particulier. Tout dabord, Isral se prsente comme une dmocratie, un pays comme tous les autres pays occidentaux, alors quil commet des crimes contre lhumanit et quil a mis en place un rgime dapartheid, similaire celui de lAfrique du Sud lpoque, avec le soutien militaire et financier de lEurope et des tats-Unis. Cest dune hypocrisie sans bornes. Nous soutenons un pays qui prtend tre une dmocratie, nous le soutenons tous les niveaux en dpit des crimes quil commet. Nous sommes des citoyens et nous devons dabord ragir
  • en tant qutres humains, quel que soit notre statut, ou notre profession. Nous devons, en premier lieu, mettre tout en uvre pour informer la population de ce qui se passe en Palestine. travers sa campagne Brand Isral qui a mobilis de nombreux artistes, Isral a voulu prsenter au monde une meilleure image. Cette opration venait en rponse la campagne BDS (Boycott- Dsinvestissement-Sanctions), prconisant le boycott culturel dIsral, que jai soutenu ds le dbut. Cest bien la preuve que le boycott culturel gnait normment cet tat qui se prsente comme le pilier culturel du monde occidental. Nous devrions refuser dtre impliqus dans un quelconque projet
  • soutenu par Isral. Les individus ne sont videmment pas concerns. Ce sont les actions de ltat isralien quil nous faut cibler.
  • Le rcit du futur Aujourdhui, une jeune gnration avec une conscience politique forte merge du mouvement Occupy. Entre eux et moi, il y a ceux qui ont grandi dans les annes 1980, quand il tait de bon ton dtre de droite. Pour ma gnration, il tait de bon ton dtre de gauche. Nous avons perdu une gnration. Mais, aujourdhui, des jeunes font des films politiques et il importe peu quils ne les fassent pas exactement comme nous, ce qui compte, cest quils soient engags. Les artistes reprsentent un danger pour les lites, car ce sont des esprits libres qui sadressent au peuple, le touchent. Cest pourquoi les classes
  • dirigeantes livrent des guerres contre des artistes un peu partout dans le monde. En Chine, par exemple, le studio dAi Weiwei a t dtruit par les autorits parce que ctait un espace de libert. Il est primordial de dire aujourdhui quil ne devrait y avoir aucune exception culturelle. LAccord de libre-change transatlantique entre lEurope et les tats-Unis ne devrait pas tre sign du tout, car il est dvastateur. Cest un pas de plus dans le nolibralisme. Cest la drgulation de tout, obligeant la main- duvre se battre pour du travail et cest un pouvoir supplmentaire donn aux multinationales qui dominent tout dans ce monde. Nous ne devrions pas
  • avoir besoin de faire du cinma une exception, nous devons nous opposer ce trait dans sa totalit. Le cinma fonctionne comme nimporte quelle industrie dans le march global. Le rouleau compresseur des grandes entreprises multinationales crase tout sur son passage. Les gros finiront par dominer et dtruire les autres et il arrivera aux films ce qui est arriv aux petits magasins qui ont disparu cause des grandes surfaces. Si les pays ne sont pas capables de soutenir leur propre culture par des subventions et des accords spcifiques, leurs cultures cesseront dexister. Si nous ne sommes pas vigilants, si nous ne rsistons pas, nous finirons dans un
  • monde totalement uniformis dont la langue officielle sera langlais amricanis. Comment ragir ? Il faut analyser la situation et organiser la rsistance. Comment lorganiser reste toujours la grande question. Il faut se dfendre contre chaque attaque et tre solidaires de ceux qui sont le plus menacs. Reste la question des partis politiques. Le problme est que les partis actuels font une mauvaise analyse de la situation. Les partis stalinistes de gauche mnent les gens dans un cul-de-sac depuis des annes. Quant aux sociaux-dmocrates, ils veulent nous faire croire que pour rformer le systme il faut le travailler de lintrieur, que nous pouvons y
  • arriver, ce qui, mon avis, est illusoire. Cela ne suffira pas satisfaire les besoins de la grande majorit. Mais lart peut servir de dtonateur, tre ltincelle qui met le feu aux poudres. Ensuite, cest nous de tout faire pour entretenir ce feu, cette colre, et la transformer en un mouvement global qui mnera un changement radical, en profondeur, de notre socit tout entire. 1. Cette phrase est tire des commentaires que le grand pote anglais William Blake (1757- 1827) a fournis propos de luvre dite Le Groupe du Laocoon, ralise vers 40 av. J.-C. par trois sculpteurs rhodiens et conserve au muse du Vatican.
  • 2. Independent Television Authority (ITA), quivalent du CSAen France. (Toutes les notes sont du traducteur.) 3. Social Democratic Party, parti social- dmocrate. 4. Irish Republican Army, Arme rpublicaine irlandaise. 5. Une des principales figures de laile gauche du parti travailliste, mort en mars 2014. 6. There is no alternative , cest--dire : Il ny a pas dalternative au no-libralisme.
  • FILMOGRAPHIE KEN LOACH Ken Loach a reu lOurs dor dhonneur du Festival du film de Berlin (Berlinale) en 2014, le prix Lumire au Festival du film de Lyon en 2012, le prix de lEuropean FilmAcademy en 2009 et le Lion dor dhonneur la Mostra de Venise en 1994. 2014 Jimmys Hall 2013 LEsprit de 45 2012 La Part des anges Prix du Jury, Festival de Cannes, 2012 2010 Route Irish
  • 2009 Looking for Eric Prix du Jury cumnique, Festival de Cannes, 2009 2007 Chacun son cinma 2007 Its a Free World 2006 Le vent se lve Palme dor, Festival de Cannes, 2006 2005 Tickets 2003 Just a Kiss Csar du meilleur film de lUnion europenne, 2005 2002 110901 - September 11 2002 Sweet Sixteen 2001 The Navigators 2000 Bread and Roses 1998 Another City (court mtrage) 1998 My Name is Joe 1996 The Flickering Flame (moyen
  • mtrage) 1995 A Contemporary Case for Common Ownership (court mtrage) 1995 Carlas Song 1995 Land and Freedom Csar du meilleur film tranger, 1996 1994 Ladybird 1993 Raining Stones Prix du Jury, Festival de Cannes, 1993 1991 Riff-Raff 1990 Secret dfense Prix du Jury, Festival de Cannes, 1990 1989 The View from the Woodpile (TV) 1986 Fatherland 1984 Which Side Are You On ? (moyen mtrage)
  • 1983 Questions of Leadership (TV) (moyen mtrage) 1983 The Red and the Blue : Impressions of Two Political Conferences - Autumn 1982 (TV) 1981 Regards et sourires 1980 Auditions (TV) 1980 The Gamekeeper 1978 Black Jack 1973 A Misfortune (TV) 1971 Family Life 1971 The Save the Children Fund Film (moyen mtrage) 1969 Kes 1967 Pas de larmes pour Joy 1966 Cathy Come Home
  • Table des matires REMERCIEMENTS INTRODUCTION Crer du dsordre DFIER LE RCIT DES PUISSANTS Lobjectif comme il humain Le cinma comme rvlateur La crdibilit de lacteur Lhistoire comme microcosme Construire une quipe
  • Non, non, non Le montage : avec les yeux La musique : porte vers luniversalit La tlvision fait partie de lappareil dtat Capitalisme brut Le langage de la rue Le rcit britannico-irlandais Ici et maintenant Le rle politique de la culture
  • Lennemi est gigantesque Cinq camras brises Le rcit du futur FILMOGRAPHIE KEN LOACH
  • DANS LA MME COLLECTION Dans ce petit livre baguenaudeur,
  • lanarchiste Marianne Enckell constate que, dans les espaces autogrs daujourdhui, les squats militants, les centres de rencontres libertaires, les jeunes gnrations ont rinvent cette culture solidaire qui fut celle du mouvement anar. Jean-Luc Porquet, Le Canard enchan 12 mars 2014 Dune lecture facile, ce livre est limage de son auteur. nergique et joyeux. Une Marianne Enckell qui souligne combien le pouvoir na jamais aim ni les anars ni les mouvements fministes . Camille-Solveig Fol, Midi Libre, 19 mars 2014
  • Pour changer de vie, pour changer nos vies, il y a mille mthodes qui sinventent en permanence, un peu partout, dans lindiffrence du monde mdiatique ou politique. Ce petit bouquin est un relais indispensable vers ces mille mthodes. Jean-Michel Lacroute, Mediapart, 9 avril 2014
  • COLLECTION INDIGNE- GRGORES Quoi, Camus frayait avec les, horreur !, anarchistes ?
  • Et stait imprgn de leur pense ? Jean-Luc Porquet, Le Canard enchan, 12 juin 2013 Cest peut-tre l lun des intrts majeurs de ces textes rassembls et prsents par Lou Marin remettre au got du jour cet aspect libertaire de Camus, au moment o les tats dbattent pour tenter de conserver des traditions, des usages, des pouvoirs qui ne fonctionnent plus, ou gure plus. Daniel Cohn-Bendit, Le Nouvel Observateur, juillet 2013 Il sera difficile dsormais dcrire sur la pense dAlbert Camus sans se rfrer aussi ces crits. Hubert Prolongeau,
  • Marianne, 15 juin 2013 Lhonneur des libertaires, toutes nuances confondues, fut de ladmettre pour un des leurs, sans jamais tenter de lattacher un quelconque dogme. Ce livre, prcieux, en atteste. Arlette Grumo, Le Monde libertaire, 19 dcembre 2013
  • 1re dition : juin 2014 Indigne ditions, juin 2014 Maquette : Vronique Bianchi Photo de couverture : Joss Barratt Corrections : Marie-Christine Raguin, www.adlitteram-corrections.fr
  • Cette dition lectronique du livre Dfier le rcit des puissants de Ken Loach a t ralise le 16 juin 2014 par les ditions Indigne. Elle repose sur ldition papier du mme ouvrage (ISBN : 9791090354531). Dpt lgal : 2e trimestre 2014. ISBN ePub : 9791090354661. Le format ePub a t prpar par ePagine www.epagine.fr partir de ldition papier du mme ouvrage.

Top Related