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Jeux en réseau, mondes virtuels, le nouvel âge de la société numérique
Ouvrage collectif coordonné par la FING et TELECOM ParisTech
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Collectioninnovation
ISBN 978-2-916571-19-5
26 € TTC(Prix France)
Partagés et fréquentés par des millions de personnes, les jeux massivement multijoueurs, les univers persistants ou les simulateurs de vie, défraient la chronique.
Des économies parallèles inédites apparaissent dans ces mondes virtuels. Elles surprennent par leur ampleur et leur complexité, investissent les jeux vidéo, mais aussi l’Internet et l’ensemble des médias. Des cultures fantaisistes, contemporaines et mixtesprospèrent en faisant jaillir du cyberespace des questions à présent incontournables : que se passe-t-il dans la tête de tous ces joueurs ? Ces univers préfigurent-ils la sociéténumérique du futur ? Et s’ils étaient à l’avant-garde d’une convergence inattendue des médias au XXIe siècle ? Comment renouvellent-ils le rapport entre réel et virtuel ?
Synthétique et prospectif, Culture d’Univers est le premier ouvrage francophone qui décrypte cette nouvelle culture et rend compte de ce qui se pratique et se crée dans ces Nouveaux Mondes.Fruit d’un travail entre une trentaine d’auteurs parmi les meilleurs chercheurs, professionnels, joueurs et spécialistes internationaux, l’ouvrage explore – au moyen d’enquêtes, d’analyses et d’exemples concrets – ces profondes transformations culturelles de l’âge du numérique.
Lire Culture d’Univers, c’est partir à la découverte de ces nouveaux continents et comprendre ce que – joueurs ou non – nous avons déjà tous en partage. Car ce nouvel âge de la sociéténumérique nous concerne tous...
Coordonné par Frank Beau, chercheur et journaliste indépendant, spécialiste de la mutation des médias,
Culture d’Univers est le fruit d’une collaboration entre la FING (Fondation internet nouvelle génération)
et TELECOM ParisTech (Institut TELECOM). Il a reçu le soutien du Centre national de la cinématographie
à travers le réseau Riam.
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Distribution : Pearson Education France
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CultureUniversd’
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Copyright © 2008 FYP Éditions
Copyright © 2008 Fing
Les photographies de la série No Game Last Night inspirées de l’histoire de Snowly (voir page 10) et présentées dans les pages d’ouvertures de chapitres, ont été réalisées par Samuel Lahu, Yann de Montgrand, Pauline Bourdon et Rozenn Quéré (Femis).
Remerciements à la communauté JeuxOnLine, en particulier à Aurélien Pfeffer et Nicolas Chollet.
Les traductions des textes de Julian Kücklich, Nicholas Yee, Holin Lin et Chuen-Tsai Sunont été réalisées par Frank Beau ; celles de Barry Brown, Stuart Reeves et Eric Laurier par TELECOM ParisTech.
Un ouvrage de culture scientifique présenté par Philippe Bultez Adams
pour la collection [email protected]
Édition : Florence Devesa
Révision : Séverine David
2e édition revue et augmentée.
© 2008, FYP Éditions, Limoges (France)
ISBN : 978-2-916571-19-5
Première édition © 2007 - FYP Éditions
Le Code de propriété intellectuelle interdit les copies ou reproductions destinées à une utilisation collective. Toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle faite par quelque procédé que ce soit, sans le consentement de l’auteur ou ses ayants cause, estillicite et constitue une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Comité de Pilotage :
Fondation internet nouvelle génération (Fing), TELECOM ParisTech, Riam - CNC
La Fing a reçu le soutien du réseau Riam du Centre national de la cinématographie
pour la coordination de ce travail en amont.
Ouvrage collectif sous la direction de Frank Beau
avec la collaboration de Daniel Kaplan (Fing)
et Laurent Gille (TELECOM ParisTech)
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Frank Beau
Jeux en réseau, mondes virtuels, le nouvel âge de la société numérique
Ouvrage collectif coordonné par la FING et TELECOM ParisTech
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Nicolas Auray, sociologue, département Sciences économiques et sociales, TELECOM ParisTech, France. Frank Beau et son avatar Irvin Bearcat,spécialiste des médias, collaborateur de la Fing, chercheur à TELECOM ParisTech en 2005, France.Barry Brown, department Computing Science, University of Glasgow, Grande-Bretagne.Marc Caro, cinéaste, France.Nicolas Chollet, animateur du site JeuxOnLine.info.Nicolas Ducheneaut, sociologue, Palo Alto Research Center (PARC ), États-Unis.Thomas Gaon, psychologue, OMNSH, France. Michel Gensollen, économiste, département Sciences économiques et sociales, TELECOM ParisTech, France. Laurent Gille, économiste, directeur du département Sciences économiques et sociales, TELECOM ParisTech, France. Julian Kücklich, doctorant, Center for Media Research, University of Ulster, Allemagne.Jean-Baptiste Labrune, doctorant, université Paris Sud, INRIA – OMNSH, France.Xavier Lardy, graphiste, responsable du site machinima.fr, France.Eric Laurier, department of Geography, University of Edinburgh, Grande-Bretagne. Maxence Layet, journaliste scientifique, France.Christian Licoppe, sociologue, département Sciences économiques et sociales, TELECOM ParisTech, France. Holin Lin, département Sociologie, National Taiwan University, Taipei, Taiwan.Éric Meiller, notaire stagiaire, ancien ATER à l’université Lyon III, France.Magali Moisy,université Rennes II, France.
Les auteurs
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Robert J. Moore, Palo Alto Research Center (PARC ), États-Unis.Philippe Mora, université Rennes II, France.Eric Nickell, Palo Alto Research Center (PARC ), États-Unis.Nicolas Nova, Abell Entertainment, École polytechnique fédérale de Lausanne, Suisse.Aurélien Pfeffer, auteur, études juridiques, cofondateur du site JeuxOnLine.info.Jean-Pierre Quignaux, Union nationale des associations familiales.Stuart Reeves, School of Computer Science & IT, University of Nottingham, Grande-Bretagne. Michaël Stora, psychologue, OMNSH, France.Chuen-Tsai Sun, département Informatique, université nationale Chiao Tung, Hsinchu, Taiwan.Lingyun Wang, économiste, département Sciences économiques et sociales, TELECOM ParisTech en 2005, Chine. Frédéric Weil, auteur de jeux de rôles, éditeur d’ouvrages SF, producteur de jeux vidéo et directeur de Capital Games, France.Nicholas Yee, Virtual Human Interaction Lab, Stanford University, États-Unis.Entretiens :Edward Castronova, économiste, University of Indiana, Bloomington, États-Unis.Joram Epis, responsable Exploitation, Goa – Dark Age of Camelot, France. Goodgame, champions de Counter Strike, Nicolas Cerrato, Nicolas Papon, Julien Rivière, Julien Mailhé, Frédéric Ngor, Oscar Parrocel, Matthias Denis, France. Raphaël Fumanal et Uwe Oster, MDO Entertainment, Allemagne.Illustrations et extraits :Aux forumeurs de JeuxOnLine.info : David Collet (aka Esme), NeoGrifteR (PlusTard), Silence, Nof des Einherjars ; Pauline Bourdon (Femis) ; Ankama Studio ; Blizzard Entertainment ; Yoald Penokea (slgeographic.com).
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SommairePréface de Daniel Kaplan 8
Zone 1 À la rencontre des nouveaux continents 13Zone 11 Les trois âges du virtuel dans la société numérique 14
Zone 12 La galaxie des univers 20
Feuille de route des 8 zones à explorer 32
Petit guide pratique et équipement du voyageur 33
Zone 2 Vers des sociétés virtuelles ? 39Zone 21 Les mondes virtuels 40
Zone 22 Une solitude collective ? 47
Zone 23 Combattre ensemble dans un MMORPG 65
Zone 24 Griefplayers : les empêcheurs 69de jouer en rond
Zone 25 Gouvernance des mondes virtuels 76
Zone 26 Banquet virtuel : La gouvernance 92vue par les « maîtres du monde »
Zone 3 Le jeu des identités, des vertus et des mythes 99Zone 31 Miroir magique et balai de sorcière 100
Zone 32 Voyage au début du virtuel 109
Zone 33 Des paradis artificiels 116
Zone 34 L’art de jouer à Counter Strike 130
Zone 35 Rencontre avec des champions : 141
les goodgame
Zone 36 Banquet virtuel : L’individu, 148le mythe, la culture
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Zone 4 Les ingénieurs de mondes 163Zone 41 La mutation industrielle des jeux 164Zone 42 Jeux en ligne en Chine 173Zone 43 De la fabrique à la gestion des univers 184Zone 44 Banquet virtuel : L’industrie du jeu 190
vue par les « maîtres du monde »
Zone 5 La ruée vers l’or virtuel 197Zone 51 L’économie des détrousseurs de monstres 198Zone 52 La cession des biens virtuels 221Zone 53 Vers une propriété virtuelle ? 229
Interface de Marc Caro 245
Zone 6 Les artisans de l’invisible 253Zone 61 Gameworkers 254Zone 62 Un phénomène de « mods » 259Zone 63 L’âge du craftware 269Zone 64 Une nouvelle société du spectacle 283
Zone 7 Tous les chemins mènent au réel 299Zone 71 Géopolitique de l’imaginaire 300Zone 72 Chasseurs-cueilleurs d’aujourd’hui 309Zone 73 Les nouvelles formes d’interactions ludiques 316
Zone 8 Neotron, l’art du XXIe siècle ? 327
FaQ 1.0 : relevés [méta]physiques d’expédition 333Biographies 343Bibliographie 351
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Préface
Daniel Kaplan
On les appelle encore des jeux, mais on y voit des gens pêcher pendant des
heures, puis cuisiner ce qu’ils ont trouvé, avant de revendre leur production sur
le marché ; d’autres se disputer le leadership de leur guilde ou de leur clan. Ils
construisent sur le Web des espaces entiers consacrés à leur animation. D’au-
tres encore réinventent dans ces nouveaux univers ce qui fait le sel de la vie :
en vrac, la séduction, la confiance, la frime, l’alliance, la trahison, l’arnaque, la
triche, le déguisement, la fête, la morale...
Quelle que soit la forme qu’ils prennent, depuis les jeux de « mission » où
l’aventure – la bataille, en général – dure quelques minutes jusqu’aux univers
persistants dans lesquels le temps se mesure en mois, ces espaces sont plus
que des jeux. On pense à eux le soir avant de se coucher, on y occupe un
emploi, on s’y fixe des buts derrière lesquels on met en jeu une partie de son
image de soi et de son statut social.
Quelle est donc la nature de ces objets ? L’hypothèse de cet ouvrage est que
ces univers fonctionnent à la fois comme des extensions nouvelles du monde,
comme des bancs d’essai d’innovantes manières d’être – individuellement –,
de faire société – collectivement –, de produire et de créer. D’une part, de nou-
veaux continents qui présenteraient la double originalité de se constituer en
même temps qu’ils se découvrent et d’accepter par construction les nationali-
tés multiples ; d’autre part, des sortes de simulateurs comportementaux à par-
tir desquels s’expérimentent, puis se sélectionnent, des pratiques et des for-
mes de relations novatrices.
Voilà qui nous conduit bien au-delà de l’imaginaire consacré par la science-
fiction, qui construit souvent les mondes virtuels en opposition au monde réel,
comme échappatoires ou bien comme successeurs potentiels à ce dernier.
Insensiblement, avec ou malgré leurs concepteurs (et souvent propriétaires, ce
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qui complique les choses), les habitants de ces univers inventent des pratiques
qui, toujours, parce que le corps entre en jeu, relient les deux mondes. Une
économie réelle – quoique pas systématiquement officielle – s’associe à ces
mondes, avec parfois un taux de change. Un nombre croissant de personnes y
assument une identité que l’on peut rattacher à leur identité physique – ce qui
ne les empêche pas d’en avoir également d’autres. Et surtout, les manières
d’agir et de se déplacer, les vocabulaires, l’esthétique, les créations issues de
ces univers commencent à irriguer les autres médias.
Ainsi, sans éluder les questions classiques que la société leur pose (le virtuel
comme évasion, le sujet de l’addiction, le jeu des identités), Culture d’Univers
rend compte de l’extraordinaire densité sociale de ce qu’il se produit concrète-
ment dans ces nouveaux continents : les relations économiques et sociales, les
conflits, les multiples formes de professionnalisation et enfin, la production de
plus en plus consciente d’une culture à part entière.
C’est bien sûr par là qu’il faut terminer ou, commencer. Ces univers se
« cultivent » d’abord au sens où leurs concepteurs, animateurs et « joueurs »,
doivent sans cesse imaginer de nouvelles manières de les ensemencer et d’en
assurer la croissance ; mais ils produisent désormais une culture, qui n’atten-
dra pas longtemps avant d’en déborder les frontières.
Voilà pourquoi il faut lire Culture d’Univers : pour partir, aidés de quelques-
uns des meilleurs professionnels, chercheurs et praticiens du monde, à la
découverte de ces nouveaux continents que, joueurs ou non, nous avons déjà
en partage.
Daniel Kaplan est délégué général de la Fondation internet nouvelle génération (Fing).
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No Game Last Night No Game Last Night est une fiction photogra-
phiée s’inspirant librement des funérailles de
Snowly racontées en zone 24. Cette série de pho-
tographies a été réalisée à la suite d’une recher-
che sur les manifestations des mondes virtuels
dans le monde réel, et sur la contamination réci-
proque de ces deux mondes. Il s’agit d'un travail
de fin d’études de Pauline Bourdon (Femis, sec-
tion décor), avec la collaboration de Samuel Lahu,
Yann de Montgrand et Rozenn Quéré.
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© Photo : Pauline Bourdon - Femis
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« Représentons-nous chacun des êtres vivants que nous sommes, comme une marionnette fabriquée par les dieux ; était-ce amusement de leur part,
était-ce dans un but sérieux, cela nous ne pouvons le savoir. » Platon, Lois, Livre I.
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À la rencontre de nouveaux continents
Des personnes sont devant leurs écrans. Sur l’Internet.
Ils font bouger des marionnettes en image de synthèse
appelées « avatars ». Dans ces espaces graphiques et
sonores, ils marchent, ils courent, ils pilotent des engins.
Ils se battent à deux, quarante, cent. Ils construisent des
morceaux de territoires. Certains fabriquent des objets,
des maisons, des œuvres, des programmes.
Ils parviennent parfois à en vivre. Ils sont des millions
dans le monde, dans ces mondes. Et on ne sait rien sur eux.
Pourtant eux, c’est nous.
Première expédition à la rencontre des cultures d’univers.
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Les trois âges du virtuel dans la société numérique
Irvin Bearcat
L’idée que des mondes virtuels seraient en train de sortir de l’Internet, du
cyberespace, et de la nouvelle génération des loisirs numériques de masse, ne
date pas d’hier. Elle a déjà connu trois âges, qui se sont mutuellement influen-
cés au cours de ces vingt-cinq dernières années. Ils sont chacun le fruit de la
rencontre entre l’informatique, l’image, et un mythe pluriséculaire, qui a tra-
versé toute l’histoire des arts ; celui de la reproduction du monde à l’identique,
ou bien encore de la fabrication par l’homme d’un simulacre d’environnement
immersif, capable de tromper ses sens.
L’âge imaginaire
Tron de Steven Lisberber, en 1982 chez Walt Disney, est l’histoire d’un cham-
pion de jeux vidéo d’arcades, Flynn, qui se fait digitaliser par un ordinateur
appelé « Maître contrôle principal ». Enfermé dans la machine, il devra livrer un
combat pour libérer le programme Tron, et empêcher l’ordinateur et son
concepteur de prendre le contrôle du monde. Tron est un film qui a fait date
pour plusieurs raisons. C’est la première fois que la thématique des jeux vidéo
fait l’objet d’un long métrage de cinéma, en l’occurrence de science-fiction. Il
s’agit ensuite de la première rencontre entre le cinéma et l’image de synthèse.
Les décors du monde électronique mixent des dessins de Mœbius, des effets
de couleur fluo, et du design par ordinateur. Ce film qui ne rencontre pas vrai-
ment son public à sa sortie, porte en lui toutes les questions fondatrices de la
thématique des mondes virtuels. Il montre une réalité électronique, un micro-
monde caché dans le silicium, et un métamonde possible fait d’intelligences
artificielles connues depuis le Hal 9 000 de 2001, l’Odyssée de l’espace, qui
tentent de s’octroyer du pouvoir sur les hommes.
Dans The Last Starfigher de Nick Castle, 1984, un adolescent champion de
jeux vidéo d’arcades reçoit un jour la visite d’un personnage étrange, lui appre-
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nant que les mondes dans lesquels il se bat dans ces jeux, existent vraiment
quelque part dans l’espace. On a besoin de ses talents pour lutter contre des
ennemis qui menacent la galaxie. Ce film est un hybride entre la trilogie Star
Wars et Tron. On y retrouve des effets spéciaux numériques 3D réalisés par le
studio ILM de Georges Lucas. Mais surtout, il marque la convergence de l’uni-
vers électronique et de la thématique de l’espace, les deux métaphores de nou-
veaux mondes à conquérir ayant marqué ces quarante dernières années. La
conjugaison des deux donnera le cyberespace.
En 1992, le film The Lawnmower man (Le Cobaye) de Brett Leonard est la
première fiction brodant sur le phénomène de la « réalité virtuelle », cette idée
d’immersion sensorielle intégrale dans un environnement d’images de syn-
thèse. Un ingénieur de talent a développé une machine de réalité virtuelle pour
l’armée. Il décide de se servir d’un jardinier benêt pour mener des expérimenta-
tions sur la croissance de l’intelligence dans le virtuel. Le jardinier va évidem-
ment devenir un surhomme, surpassant son maître, et chercher à contrôler le
monde par l’intermédiaire des réseaux, après s’être à nouveau dématérialisé.
En 1995, avec le film Existenz, le cinéaste David Cronenberg met en scène
une auteure-démiurge ou conceptrice de jeux vidéo, Alegra Geller. Le film
aborde cette fois-ci le thème d’une expérience d’immersion psychologique
dans une réalité parallèle. Son thème est celui de la confusion du réel et le vir-
tuel par un jeu de mise en abîme ou de poupée russe de la fiction, qui vise à
perdre le spectateur lui-même.
Avalon de Mamoru Oshii, 2001, un film de l’auteur du célèbre film d’anima-
tion Ghost in the Shell, nous raconte la vie d’une jeune « gameuse », plongée
dans un univers alternatif de guerre et de chaos, et n’ayant plus de vie en
dehors de ses « moments de jeu ». Elle cherche à accéder au niveau final, et à
se libérer ainsi de ses fantasmes. Ce film est le premier à opposer les fantas-
magories des univers virtuels et une réalité morne, celle de cette femme vivant
seule avec son chien.
Enfin, Matrix des frères Wachowski, 1999, a soulevé la thèse d’un monde
futur devenu totalement virtuel. Neo, son héros, aura la charge de révéler à l’hu-
manité la dissolution de son rapport au réel dans un programme informatique,
et si possible de l’en libérer. De Tron à Matrix, la boucle est bouclée. Entre les
deux, une dizaine d’autres titres vont progressivement cristalliser, à travers le
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cinéma hollywoodien et parfois underground d’animation, la mythologie nais-
sante des mondes virtuels et des jeux vidéo. Il en ressort une promesse de réa-
lité alternative censée guérir du monde, remplacer le monde, supplanter le
monde, et en outre perturber la frontière entre le réel et l’imaginaire. Un retour
de ces vieux démons qui depuis l’Antiquité questionnent les limites parfois
troubles entre le rêve et la réalité, l’au-delà et le vivant, l’espace et le terrestre,
l’image produite par la technique tout simplement et la conscience.
Le cyberespace devient la nouvelle frontière de l’imaginaire postlunaire et
galactique. La littérature cyberpunk, psychédélique, de William Gibson avec
Neuromancien en 1983, de Neal Stephenson avec Snow Crash en 1992, et de
Philip K. Dick, va inspirer directement ou indirectement ces fictions, mais
encore l’imagination des premières générations de créateurs de jeux vidéo eux-
mêmes. Incontestablement, le jeu vidéo deviendra le média incarnant le mieux
cette idée d’une réalité alternative produite par la technologie, et susceptible
d’aboutir, à terme, à une immersion fondamentale, créant un demi-monde,
entre ce qu’il est convenu d’appeler la perception du réel, et l’immersion dans
une réalité modélisée ayant directement prise sur le cerveau.
L’âge technologique
Nous sommes au début des années 1990. Depuis quelque temps, les milieux
informatiques et scientifiques parlent d’un dispositif technique mis au point en
1986 par Jaron Lanier, un gourou américain de la techno New Age. Il s’agit de
la « réalité virtuelle ». Le concept : une combinaison à capteurs, équipée de
gants de données (Dataglove), d’une blouse en latex transmettant des informa-
tions sur les mouvements corporels (Datasuit), et un casque de visualisation
permettant de créer l’illusion d’un déplacement du sujet dans une image à
360 degrés (le Eyephone). La réalité virtuelle (RV), comme son nom l’indique
assez bien, c’est l’idée que l’on pourrait substituer à la vision naturelle, une
vision artificielle, ou bien encore une sensation globale de se déplacer dans un
espace alternatif en images de synthèse.
Au Medialab, une filiale de la chaîne Canal +, spécialisée dans les effets spé-
ciaux numériques, quelques privilégiés peuvent tester au milieu des années
1990, l’un des rares dispositifs de réalité virtuelle en état de marche. À l’inté-
rieur d’une sorte de cabine à ciel ouvert, le spectateur des premiers temps de
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la RV, peut se déplacer dans une pièce aux formes géométriques simplifiées.
Une créature volante passe et laisse un souvenir étrange. Les nausées montent
vite et rendent l’expérience prolongée impossible. Le futurologue Joël de Rosnay
dira au cours de cette période lors du festival Imagina, que « ce qui frappe avec
la réalité virtuelle, c’est l’idée que des souvenirs virtuels vont habiter l’histoire
de la personne. Que seront les hommes de demain qui auront des souvenirs
virtuels aussi bien imprimés que des souvenirs réels ? » Une question que
posait déjà, en 1962, le film de Chris Marker La Jetée. Et que l’on retrouve dans
de nombreux films de science-fiction contemporains inspirés de K. Dick, tel
que Total Recall.
Le virtuel rappelle l’histoire du « cinéma total » – une expression des années
1930 de l’écrivain René Barjavel –, à savoir celle de ces dispositifs techniques
inventés dès le début du XXe siècle, qui cherchèrent à immerger le spectateur
dans l’image. C’était la projection à 360°, le cinéma en relief conçu par les frè-
res Lumière eux-mêmes, le Ciné-Train préfigurant le cinéma dynamique que
l’on voit dans les parcs d’attractions depuis les années 1980. La réalité virtuelle
semble ouvrir des interrogations abyssales entre 1990 et 1996, qui occupent
alors les philosophes de l’image. Pierre Lévy écrira entre autres son Qu’est-ce
que le virtuel ?, et Paul Virilio, surnommé le Cassandre de la technologie numé-
rique, spécialiste de la mobilité et de l’urbanisme, fustigera les dangers de la
virtualisation du monde. Jean-Baudrillard, avec La Guerre du Golfe n’a pas eu
lieu et un torrent d’autres textes sur la question du simulacre ne cessera de
nous mettre en garde sur le changement de nos paradigmes de la représenta-
tion. Philippe Quéau, ingénieur, poète, et gourou français des mondes mathé-
matiques sera l’un des premiers exégètes de ces promesses platoniciennes
retrouvées dans ces nouvelles images.
La croyance et la défiance dans la réalité virtuelle – le devenir réel du virtuel, et
le devenir virtuel du réel – constituent alors la métaphore d’un monde dont les
idéologies et les grands récits viennent de s’effondrer et qui retravaille derrière un
sujet bien théorique, des questions fondatrices, aussi lourdes que celles de la
réalité, du possible et du virtuel. Des questions qui firent déjà débat entre Aristote
et les néoplatoniciens. Il n’y a pas d’objets et de situations tangibles auxquelles
se référer. La réalité virtuelle qui tarde à devenir une réalité de tous les jours, va
vite être remplacée dans le débat sur les nouvelles technologies, par le cyber-
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espace émergent. La toile et ses hypertextes chasseront les discussions méta-
physiques sur cette mutation polysensorielle de l’humain et de ses représentations.
En marge de cela, et des autres médias, la jeune industrie des jeux vidéo,
s’apprête à discrètement assembler, agréger, les évolutions techniques suc-
cessives qui ont marqué l’âge numérique : l’image de synthèse, l’interactivité,
le multimédia, et pour finir l’Internet. La question du virtuel fait son retour, au
début du nouveau siècle, par le biais des univers persistants, ou des « mon-
des virtuels », qui cette fois-ci pointent le bout de leur nez, comme sortis de
nulle part.
L’âge sociétal
EverQuest, World of WarCraft, Star Wars Galaxies, Final Fantasy, Ragnarok,
Eve Online, A Tale in The desert, Habbo Hotel, Second Life, Runescape... Des
environnements graphiques sur l’Internet que l’on appelle « mondes virtuels »
ou « univers persistants », font irruption à travers leurs premières frasques, leurs
bizarreries. Celui ou celle qui n’en a jamais entendu parler, doit savoir que ces
espaces virtuels sont à ce jour fréquentés par des millions de personnes dans
le monde. Des gens qui s’y connectent depuis leur domicile ou des salles de
jeux en réseaux enfouies dans les sous-sols de Séoul, ou ayant pignon sur rue,
à Paris, Pékin, New York, Moscou ou encore Marrakech. Si certains existent
depuis plus de dix ans, ce n’est que depuis peu de temps qu’ils commencent à
se faire connaître, à interpeller nos sociétés, en appelant des questions naïves,
aussi inquiétantes pour les uns que fascinantes pour les autres.
En 2005, l’univers d’heroic fantasy World of WarCraft se propage comme un
virus, atteignant ses 8 millions d’adeptes au début de l’année 2007. Second
Life, créé par l’entreprise californienne Linden Lab en 2003, et inspiré du meta-
verse de Neal Stephenson, dans un genre très différent, défraie la chronique à
partir de l’année 2006. Le metaverse de l’ouvrage de science-fiction Snow
Crash de N. Stephenson (1992), est un monde 3D futuriste, dans lequel les
gens interagissent et travaillent, directement instillé du concept de réalité virtuelle.
Les médias découvrent avec ces deux phénomènes emblématiques des sys-
tèmes de communication et de divertissement d’un nouveau type, et pour ainsi
dire non-identifiable. Avec Second Life, un monde dans lequel on peut avoir
des amis, avec des activités culturelles, travailler et faire fortune, les questions
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qui tombent sont les suivantes : « A-t-on affaire à une nouvelle réalité ? »,
« Comment est-il possible que l’on gagne de l’argent dans ces mondes ? »,
« Ces mondes sont-ils des sociétés alternatives ? »
Après quelques mois, après que des dizaines de « premières fois » aient été
relayées par les médias – premier parti politique dans un monde virtuel, pre-
mière marque de chaussure, première ambassade, première action terroriste,
première fortune, première infortune, etc. –, les questions changent : et si
Second Life était une supercherie, une sorte de buzz-machine qui ne tiendrait
pas les promesses qu’on lui aurait prêtées, une nouvelle bulle de l’Internet dans
lequel chacun se serait laissé piégé. La fascination et la naïveté deviennent
méfiance et sarcasme.
En attendant, en marge des débats d’opinions et des considérations méta-
physiques, des millions de personnes passent un temps de plus en plus impor-
tant et significatif dans les jeux de rôles en ligne, et dans ces univers synthéti-
ques. Que sait-on de ce qui les y attire, de ce qui les y retient, et ce qu’ils y
font ? Que sont au juste ces nouvelles interfaces avec le monde ? Comment
fonctionnent-elles ? Que réalise-t-on avec elles, à travers elles ? Comment sim-
plement partir à leur rencontre ?
Au-delà des idéalisations et des scepticismes suscités par ces phénomènes
de notre époque, ce n’est qu’une méconnaissance qui demeure. Ces objets,
ces environnements, ces mondes, ces usages, tendraient vers une sorte de
synthèse des trois âges du virtuel : des imaginaires, des technologies et des
pratiques sociales, que les sociétés héritées de l’image spectaculaire de la télé-
vision, ou encore de l’écriture – terreau de l’Internet lui-même –, auraient bien
du mal à comprendre. En savoir davantage sur lesdits « mondes virtuels »
mérite alors une première expédition. Pour y trouver quoi ? Du fondamentale-
ment nouveau, du fondamentalement ancien ? Reparlons-en au gré de ce
voyage.
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La galaxie des univers
Irvin Bearcat
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’Univers
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Bestiaire 1.0
MMORPGs, MMOGs, MUD, UNIVERS VIRTUELS, UNIVERS PERSIS-
TANTS, JEUX MASSIVEMENT MULTIJOUEURS, MONDES SYNTHÉTIQUES.
Ce sont pêle-mêle les terminologies d’usage nommant le phénomène des uni-
vers 3D sur l’Internet. Déjà, la variété de ces acronymes, de ces appellations
génériques, atteste du fait que quelque chose se cherche, dont les catégories
et les frontières ne sont pas réellement fixées à ce jour. Car ces objets dési-
gnent tantôt des jeux collectifs, tantôt des espaces de simulation de comporte-
ments par exemple, et tantôt une sorte d’extension 3D de dispositifs existants
sur le Web (le chat, les réseaux sociaux, l’autopublication, etc.). Si l’on se réfère
aux usages et aux cultures de jeux en ligne de type « communautaire », et non
stricto sensu de mondes virtuels, trois principaux ensembles peuvent être dis-
tingués : les jeux de rôles en ligne (MMORPGs), les simulateurs de vie, et les
jeux de sports et de combat en équipe. À ces genres il faudra ajouter tous les
jeux de simulation, de stratégie, ou encore le casual game sur l’Internet, dont
nous ne traiterons pas spécifiquement dans cet ouvrage.
MMORPG - Rencontre du jeu de rôles, des jeux vidéo, de l’Internet
Littéralement ce terme un peu barbare signifie : Massivement Multijoueurs
Online Role Playing Game. Autrement dit jeux de rôles en ligne massivement
multijoueurs. Les MMORPGs ont pour ancêtre les MUD, Multi User Dungeons,
des jeux de rôles textuels apparus dès le début des années 1980, avec les
créations de Richard Bartle et Ray Trubshaw. Les MMORPGs s’en distinguent
en se basant sur des technologies graphiques. Il ne s’agit plus d’écrire : « Je
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suis un orque, je vais sauter par-dessus le mur. » Mais bien de sauter par-des-
sus le mur en tant qu’orque dans un monde 3D.
Ces jeux représentent à l’heure actuelle 80 % des parts de marchés des uni-
vers virtuels 3D commercialisés. Leurs caractéristiques sont les suivantes : ils
sont accessibles exclusivement sur le réseau internet. Ils sont persistants. Cela
veut dire qu’ils continuent d’évoluer pendant que le joueur n’est pas connecté –
évolution des paysages, des quêtes, de l’histoire et les autres personnages. Ils
sont ouverts à un nombre important de joueurs simultanément – jusqu’à plu-
sieurs milliers. Le gameplay ou principes de jeu de ces MMORPGs repose le
plus souvent sur le fait de faire progresser un personnage (du niveau zéro au
niveau maximum du jeu), en effectuant une série de tâches telles que : tuer des
créatures qui grouillent dans les environs, résoudre des quêtes données par des
NPC ou des intelligences artificielles du jeu, s’amuser à interpréter des rôles.
Les MMORPGs peuvent se jouer seul, mais inévitablement, plus les quêtes
et défis seront complexes, plus les joueurs seront amenés à se regrouper. Ils
formeront alors des guildes pour combattre les créatures artificielles, se battre
entre eux, ou simplement jouer des rôles. Le jeu le plus fréquenté à ce jour est
Word of WarCraft avec 8 millions d’abonnés en janvier 2007, suivis par Lineage
I et II en Corée qui ont atteint 4 millions d’utilisateurs au début des années 2000.
Les plus célèbres sont Ultima Online, Dark Age of Camelot, Guild Wars, ou
encore Dofus en France pour les MMORPGs Flash en 2D.
Simulateur de vie - La simulation, la 3D, l’Internet
Les simulateurs de société n’ont pas réellement d’appellation générique
contrôlée. Ils sont connus sous les noms de Second Life, There.com, Habbo
Hotel, Entropia Universe, ou Sims Online. Ils ont pour ancêtre des jeux comme
Civilisation ou le Deuxième monde créé en 1997 par Cryo et Canal +, une simu-
lation de Paris en 3D. Ces simulateurs proposent des environnements d’inter-
action en ligne, s’apparentant à des chats ou des logiciels sociaux, que l’on
pourrait comparer à des Myspace en image 2D ou 3D, au sein desquels l’utili-
sateur s’adonne à toute une série d’activités inspirées ou non de la vie réelle :
discussion, commerce, design de personnages, d’objets ou de lieux, rencon-
tres, organisation d’événement en tous genres (concerts, manifestations, mee-
ting politique, projections de films, etc.). Certains sont destinés à des adoles-
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cents comme Habbo Hotel du Finlandais Sulake Games qui dénombre plu-
sieurs dizaines de millions de comptes ouverts. Au premier semestre 2007,
Second Life en comptabilisait près de 5 millions depuis sa création en 2003.
Sport en ligne - Le sport, le collectif, les réseaux
Les First Person Shooter (FPS) ne sont pas des univers persistants, mais ils
comptent parmi les jeux en réseau les plus pratiqués dans le monde, à travers
des titres tels que la série des Quake, Counter Strike, Unreal Tournament, Bat-
tlefield, Operation Flashpoint. Nous aborderons le phénomène Counter Strike
dans plusieurs chapitres, car ce dernier est fondateur de communautés en ligne
importantes, mais aussi du développement de pratiques coopératives et com-
pétitives annonciatrices d’un nouveau type de spectacle.
Parmi les univers 3D les plus fréquentés sur l’Internet figurent les jeux de
sport et de course multijoueurs. Ils ne sont pas persistants, mais certains,
récents, tels que Trackmania Nations du studio Nadeo s’approchent de plus en
plus de MMOGs compétitifs, qui installent une forme de persistance grâce au
principe du score. Ce jeu permet de créer ses propres circuits, véhicules et ani-
mations (radio en ligne, informations sur les tournois). En Corée le jeu Kart Rider
a rassemblé près de 15 millions d’aficionados et son modèle économique
repose sur la vente d’items dans le jeu. Auto Assault, sorti en 2006, est le der-
nier né des MMOGs centré sur l’univers automobile. Il s’agit cette fois-ci d’un
MMVCG ou Massively Multiplayer Vehicular Combat Game.
Les grandes étapes des MMORPGs1997 - 2007
Aurélien Pfeffer
Chacune de ces catégories renvoie à des pratiques très spécifiques, des
cultures d’univers, ayant évolué au cours de ces dernières années au rythme
de la technologie 3D et de l’Internet. Il en existe de nombreuses formes mixtes
telles que le MMOFPS (FPS persistant), le MMORTS (jeux de stratégie temps
réel persistant, tel que Eve Online). Déchiffrer la nature des mondes virtuels
suppose d’appréhender leur gameplay, leur « genèse ». Comment une forme
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de communication et de divertissement qui n’existe que depuis tout juste dix
ans – du moins avec des images de synthèse – en est-elle parvenue à conqué-
rir plusieurs dizaines de millions de personnes dans le monde ? Comprendre
cette élaboration permet de mieux appréhender les questions de société que
ces usages posent désormais.
Le monde fondateur, la civilisation et la guerre
Unanimement considéré comme le père fondateur des jeux massivement
multijoueurs – même s’il n’est pas historiquement le premier monde virtuel de
l’histoire comme Project Habitat dès 1985 et Meridian 59 en 1996 –, Ultima
Online (UO) a posé les bases du jeu en ligne moderne. Le but du jeu consistera
à faire progresser un avatar dans un univers stable et persistant, notamment en
combattant des adversaires. Le « combat » deviendra le cœur d’une grande
majorité des jeux en ligne massivement multijoueurs. Sur Britannia, chaque
joueur peut posséder sa demeure virtuelle, tenter de faire prospérer son com-
merce, affronter des dragons légendaires (PvE – Player versus Environment) ou
d’autres joueurs (PvP – Player versus Player). Ultima Online est inspiré des
sociétés féodales européennes, mais dans un genre fantastique. On y croise
des nobles occupant des charges politiques, des artisans faisant marcher le
commerce ou encore des soldats assurant la sécurité du Royaume. Si Ultima
Online se voulait une véritable petite organisation sociétale, ses successeurs
évolueraient davantage vers un gameplay plus ludique et très largement inspiré
des jeux de rôles, dans lesquels il s’agit d’accompagner un personnage tout au
long de sa vie. EverQuest n’échappera pas à la règle.
EverQuest, l’invention de la collaboration entre joueurs
Afin d’éviter les dérives connues dans Ultima Online – où certains joueurs
prenaient plaisir à en « tuer d’autres » sans raison –, EverQuest interdira les
combats entre joueurs. Ils devront tous collaborer ensemble pour éliminer des
ennemis communs – la pire engeance maléfique contrôlée par l’ordinateur –
toujours plus puissants. EverQuest inaugurera la notion de raid, c’est-à-dire
des expéditions organisées généralement contre un monstre légendaire sur-
puissant nécessitant de regrouper parfois quelques centaines de joueurs bien
équipés pour espérer vaincre.
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L’apparition des instances, et des lieux d’élite
En juin 2001, Funcom est le premier développeur à s’attaquer au marché
des MMOGs (Massivement Multiplayer Online Games). Il sort Anarchy Online
(AO), le premier jeu reposant sur une trame mêlant science-fiction et lutte des
classes futuriste. Au-delà de son atmosphère novatrice, Anarchy Online prend
également le contre-pied des gigantesques raids d’EverQuest en imaginant la
notion d’instance : les zones les plus dangereuses ne sont plus accessibles
qu’à un nombre limité de joueurs simultanément (une fois pleine, l’instance est
dupliquée et une zone parallèle apparaît pour les joueurs suivants).
Les Royaumes s’affrontent
En novembre 2001, le studio Mythic Entertainment propose Dark Age of
Camelot (DAoC), inspiré du mythe arthurien. Les gameplay reposant sur du
Player versus Player (PvP) sont particulièrement attractifs pour des dévelop-
peurs, car ils ne nécessitent que peu « d’entretien régulier ». Les utilisateurs
« consomment » toujours le contenu d’un jeu bien plus rapidement qu’il ne peut
être développé. Proposer aux joueurs de s’affronter permet de faire concentrer
l’attrait de ce divertissement sur les participants eux-mêmes et non plus sur les
développements réguliers du studio de création. Ultima Online avait néanmoins
démontré que le PvP présentait des risques de harcèlement (les joueurs n’ap-
préciant pas forcément de voir leur personnage régulièrement attaqué, parfois
sans raison). Dark Age of Camelot invente alors le RvR (pour Realms versus
Realms, ou Royaumes contre Royaumes). Les joueurs s’affrontent pour la gloire
du royaume auquel ils appartiennent et sur des champs de bataille. Celui qui
souhaite vivre en paix peut rester en sécurité au sein des frontières de sa patrie,
les plus belliqueux peuvent en découdre dans les « zones frontières » dédiées
aux batailles.
« …des ailes d’anges sont apparues dans le dos d’un d’entre eux et il m’a lancé un sort quia amélioré les caractéristiques de mon personnage. L’ange m’a ensuite dit de faire attentionà moi et m’a souhaité bonne chance. » >> Zone 32
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Final Fantasy, un monde japonais à part
Bien que précédé dans le même genre des premiers opus de Phantasy Star
Online, Final Fantasy XI (FF XI) sera en mai 2002 l’un des premiers succès com-
merciaux de MMORPGs disponibles à la fois sur PC et sur les consoles
connectées. Pour la première fois, Square-Enix réunit deux populations de
joueurs aux comportements distincts sur des serveurs communs pour jouer
ensemble. Au-delà de sa disponibilité sur les deux plateformes, Final Fantasy
était aussi l’un des premiers titres massivement multijoueurs originaire du
Japon et emprunt de la culture nippone. Là où la concurrence utilise des uni-
vers médiévaux fantastiques, FF XI se veut onirique et plonge le joueur dans un
monde envoûtant. Pour la première fois, un MMORPG s’inspire du jeu vidéo
traditionnel et s’adresse réellement au grand public – en multipliant les platefor-
mes ou en adoptant un contenu plus universel.
Les genres s’hybrident
En 2003, l’offre commence à se diversifier. En juin, Sony Online Entertain-
ment lance PlanetSide, l’un des premiers MMOFPS – World War II Online, déjà
disponible depuis juin 2001, occupe également ce créneau, mais revendique
plus volontiers le statut de simulation militaire historique retraçant les grands
épisodes de la seconde guerre mondiale. Jusqu’alors, les jeux de rôles étaient
l’unique source d’inspiration des jeux en ligne, PlanetSide (PS) est un véritable
jeu de tirs futuriste au sein duquel des milliers de joueurs s’affrontent. À travers
cette rencontre, des gameplay de jeux compétitifs et tactiques s’acoquinent
avec la persistance des univers de la toile.
Les mondes virtuels cultivent les univers de films
Afin de se démarquer d’une offre de plus en plus vaste, les MMOGs emprun-
teront les mêmes mécanismes de promotion que les jeux vidéo traditionnels en
s’appuyant sur des licences célèbres. En juillet 2003, Sony Online Entertain-
ment lance Star Wars Galaxies (SWG), un MMOG inspiré des films de George
Lucas. Le jeu connaîtra un succès relatif – avec des pics de 300 000 abonnés –,
mais suffisant pour initier une vague d’adaptations comme The Matrix Online
ou Pirates of the Caribbean Online, respectivement adaptés de la trilogie ciné-
matographique des frères Wachowski et du film de pirates des studios Disney.
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Mais aussi celle des MMOGs comme The Lord of the Ring Online ou Age of
Conan : Hyborian Adventures, librement inspirés des livres de J. R. R. Tolkien et
de Robert E. Howard, ensuite popularisés au cinéma, ou encore Star Trek
Online et Stargate Worlds, tirés des séries télévisées éponymes. Cette relation
à la culture d’un univers filmique populaire correspond à la fois à un modèle
économique se garantissant d’une audience préexistante.
L’utilisation de licences va également marquer l’histoire des MMOGs. C’est
le cas de City of Heroes, le premier MMOG de super-héros inspiré des comics
américains, qui prendra grand soin à ne faire aucune référence directe aux per-
sonnages des éditions Marvel, non-associées au projet. En avril 2004, City of
Heroes (CoH) est l’un des premiers titres réellement accessibles à tous les
publics. Les MMOGs commencent à sortir de leur marché de niche, il n’est plus
question de proposer des jeux chronophages, politiques et complexes. City of
Heroes n’a aucune autre prétention que d’être simple et amusant, faisant inter-
agir ensemble des milliers de joueurs. Avec 200 000 abonnés revendiqués, le
jeu connaît un certain succès commercial même s’il ne rencontre pas la réus-
site escomptée sur le territoire américain.
Dofus, le massivement multijoueur Flash
À la même période en France, en août 2004, le studio lillois Ankama lance
Dofus, le premier MMORPG d’un petit développeur indépendant. Il est déve-
loppé en Flash et remarquable par ses graphismes très colorés, à mi-chemin
entre jeu vidéo et dessin animé. Dofus fête son premier million de joueurs en
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© Ankama Studio – Photo prise dans l’univers de Dofus.
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2006 – dont 100 000 payants –, plaçant le jeu en tête des succès français en
matière de jeu en ligne massivement multijoueurs malgré des moyens très
modestes. L’utilisation d’un standard Flash permet à Ankama une liberté d’ac-
tion que les géants du domaine n’ont pas : graphismes humoristiques, ventes
d’objets dans les jeux. Le succès de ce jeu étonne le monde entier, et fait date.
La dématérialisation change les modèles économiques
Disponible depuis avril 2005, Guild Wars est un succès commercial avec plus
d’un million de boîtes de jeu vendues à travers le monde. Développé par Arena-
Net – regroupant nombre de vétérans de l’industrie vidéo ludique issus notam-
ment des studios de Blizzard –, le jeu repose sur l’affrontement de guildes de
joueurs, mais est surtout connu pour être le premier à avoir expérimenté un
modèle économique non-basé sur un abonnement mensuel comme ses prédé-
cesseurs. Seules les boîtes de jeu – la version de base du jeu puis ses exten-
sions – sont payantes. Et cette stratégie commerciale semble avoir été gagnante.
World of WarCraft, le premier pas vers le marché de masse
À ce jour, le plus grand succès commercial de l’histoire des MMORPGs est
incontestablement le fait de World of WarCraft. Depuis fin 2004, le jeu en ligne
de Blizzard Entertainment revendique plus de 8 millions d’abonnés payant à
travers le monde. Peu novateur dans son contenu, on le considère générale-
ment comme une synthèse de l’ensemble des points forts de ses prédéces-
seurs. À la fois facile d’accès et immersif – comme City of Heroes –, il repose
sur un gameplay fait de PvE, de raids et d’instances organisées contre des
boss. Sans doute aussi grâce à la bonne réputation de Blizzard auprès d’une
très grande majorité de joueurs (Blizzard était déjà à l’origine de nombreux suc-
cès avec la série de jeux de rôles Diablo ou de stratégie WarCraft et StarCraft),
la réussite de World of WarCraft aura permis de populariser le genre et de
considérablement élargir la base des joueurs de MMOGs. Pour la première fois
en 2005 les jeux en ligne ont été le moteur de l’industrie des jeux vidéo. Plus
largement, ces succès attisent la convoitise de nombre d’autres développeurs
d’envergure (THQ, Ensemble Studio et Microsoft, etc.) et l’émergence des
consoles connectées de nouvelle génération peut conduire à envisager une
explosion du marché des jeux en ligne dans les années à venir.
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Derrière le virtuel, des cultures d’univers
Cette brève généalogie de l’évolution des MMORPGs montre à quel point
l’histoire de ces mondes est liée aux dispositifs se situant entre l’univers de réfé-
rence à cultiver, et les règles d’interactions proposées. Mais ces dispositifs ne
sont pas visibles de l’extérieur. Ce qu’ils véhiculent, c’est l’idée de la simulation,
de l’image de synthèse, du fait de jouer un autre rôle. On se balade dans des
environnements 3D ; il y a des créatures appelées intelligences artificielles, des
milieux naturels, urbains, des véhicules. Une modélisation de choses vivantes. Et
tout cela suffit à dire : « Nous sommes dans le virtuel. » Le concept de « virtuel »
paralyse pourtant la distanciation nécessaire si l’on veut comprendre la nature de
ces nouveaux médias. Il empêche de penser que ces environnements sont
d’abord des machines à s’exprimer, à communiquer, à jouer, à vivre ou faire vivre
des histoires. Si bien que l’on perd de vue, au passage, que la littérature elle aussi
est virtuelle. On s’immerge dans un récit, de manière active. Le roman fixe le
corps dans l’espace autant que l’ordinateur ou le film. On notera alors une diffé-
rence, l’interactivité : le pratiquant d’univers synthétique pianote sur sa machine.
Mais là encore est-ce nouveau ? Dit-on d’un pianiste qu’il est dans son monde
virtuel ? On répondra que le piano est un instrument et que l’instrumentiste est un
artiste. Le joueur est perçu comme un simple usager lorsqu’il s’agit de compren-
dre son statut. Quel que soit le bout par lequel on prendra ces usages, il y a incon-
testablement quelque chose de nouveau en eux, qui empêche de classer ces envi-
ronnements dans les catégories habituelles des médias, des arts, de la culture ou
des jeux. Les mondes virtuels inquiètent ou rendent perplexes certains, mais susci-
tent aussi de vertigineuses promesses et d’étonnants fantasmes. Car voilà qu’ils
font dire : « Nous produisons une valeur économique à part entière, ce n’est plus
du jeu. » Ou : « Ce monde est mon pays, c’est ici que j’habite. » Ou encore : « Cet
avatar exprime quelque chose de moi que je ne peux exprimer autrement. »
Les mystères du virtuel :
l’intangible, le « comme si », l’impossible, le sans risque
Signifiant littéralement « potentiel », et s’opposant à « actuel », le mot virtuel
est devenu, à l’heure de la société numérique, synonyme d’artifice, de faux, de
simulation, de quelque chose qui s’oppose au réel. Les mondes virtuels amè-
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nent plus encore, tant que cette inconnue demeure, à réinterroger plus que tout
autre usage de la société, des problèmes pour le moins métaphysiques. Qu’est-
ce alors que le réel ? Trois faisceaux de projection travaillent cette question du
virtuel devenu réalité, à l’âge numérique.
L’inconnu, l’invisible, l’intangible. Combien sont les domaines bien réels,
ceux par exemple du transport, de la ville, de l’entreprise, où l’Internet est perçu
comme quelque chose d’intangible, de diffus, de difficile à intégrer sur le plan
des infrastructures et du développement. Avant que les transformations soient
tangibles, on ne voit pas bien ce que cela fait, ce que cela change. Et l’on peut
souvent entendre : tout cela c’est du virtuel. L’écosystème terrestre est invisible
à l’œil nu, est-il pour autant virtuel ? Le vent est invisible, est-il pour autant virtuel ?
On nomme virtuel tout ce qui ne semble pas en rapport avec une modification
concrète et directement visible de la matière, du monde physique, de nos infra-
structures. On dit des rencontres sur l’Internet qu’elles sont virtuelles. On ne dit
pas de personnes qui se parlent au téléphone qu’elles sont dans le virtuel.
Le simulacre, la puissance, l’impossible. L’autre connotation du virtuel dis-
tingue ce qui consiste à simuler quelque chose avant ou au lieu de le faire. Ce
qui permet de dire qu’une expérience, qu’un usage technologique, sont vir-
tuels, c’est que l’on se branche sur quelque chose qui est en puissance, sou-
vent inconnu, que l’on va explorer d’une certaine façon, pour faire une expéri-
mentation du « comme si ». Mais il y a aussi l’idée d’abondance, de puissance,
de possible. Ces mondes disent qu’« il y a beaucoup de gens à rencontrer,
beaucoup de choses à faire que l’on ne peut pas faire dans la réalité, beaucoup
de choses à voir ». Le virtuel dans ce cas est indissociable de l’idée des virtua-
lités ou des possibles, de potentialités.
Le risque, la distance, les images. On entend souvent dire que « le virtuel
c’est faire des expériences sans prendre de risque ». Pourtant, il ne viendrait
pas à l’idée de dire que « la différence entre aller voir un film d’accident d’avion
et être dans un accident d’avion c’est qu’avec un film on ne prend pas le risque
de l’accident ». On voit ici le pouvoir des images, en tant que modèles ou que
langage. Que veut dire mourir sans risque ? Ou bien se faire arracher un bras
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sans risque ? Le bon sens ne peut que nous incliner de répondre : ou le bras
est arraché, ou il ne l’est pas. En revanche, se battre, affronter l’autre ou se
tromper sans risque signifie bien quelque chose dans nos sociétés. S’il n’y avait
pas de l’engagement dans ces nouveaux usages, il n’y aurait pas toutes ces
hésitations et ces questions à propos du virtuel.
De nouvelles cultures tout simplement
Tous les jours vous pourrez croiser quelqu’un qui vous entretient d’un jeu dont
vous n’avez jamais entendu parler. Lorsque vous lisez des échanges sur les
forums, les questions courantes sont du type : « Je fais partie de la communauté
Warhammer et non de WoW ; je suis un héritier de la 4e Prophétie ; je défends des
jeux tels que Eve ou Star Wars Galaxies parce qu’ils sont plus complexes ou plus
sociaux ; Counter Strike et les compétitions de FPS sont mieux parce qu’ils font
appel à la compétence des joueurs et pas des personnages. » Ces échanges de
« forumeurs » ne sont pas différents de ceux de cinéphiles qui diraient : « Tu as vu
le dernier film de Gus van Sant ou Hou Hsiao-Hsien ou P. Jackson ? » Qu’aurez-
vous à dire si vous n’avez pas approché ces univers ? Il sera aussi difficile pour
un néophyte d’appréhender un film de Straub qu’un jeu comme Ultima Online,
de plonger dans l’Ulysse de Joyce que dans Anarchy Online.
On comprend que les objets dont il est question ne sont pas des livres, des
fictions cinématographiques ni même de simples jeux. Ils sont quelque chose
d’autre. On appelle aujourd’hui « virtuel » ce que l’on ne comprend pas, plutôt
que ce qui n’a pas de réalité. La communication est rompue entre les cultures
d’avant et d’après ce « quelque chose » qui caractérise ces dispositifs. Plus
simplement, elle n’a jamais commencé d’exister. S’aventurer dans la descrip-
tion de la galaxie des mondes synthétiques et de leurs divers usages est un
exercice difficile. Le fossé culturel qui existe entre les cultivés de ces univers et
les profanes est très important à ce jour.
L’histoire des MMORPGs proposée précédemment est celle des gameplay,
des systèmes de jeux de rôles en ligne. Si l’on devait faire une histoire générale
des mondes virtuels, et de ces cultures, on s’attaquerait à quelque chose de
périlleux. Faut-il parler de la genèse des jeux, des pratiques sociales dans ces
mondes, des aventures mi-réelles mi-imaginaires vécues dans ces mondes ?
Une histoire du virtuel doit-elle prendre en compte la mythologie viking, la cul-
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ture celtique sur DAoC, la civilisation égyptienne dans A tale in the desert, ou
les cultures de joueurs, celles des communautés Warhammer, WoW tendance
PvP ou roleplay, Eve Online, Second Life ? Comment comprendre la désolation
des résidents d’Asheron’s Call II, de Star Wars Galaxies, de la 4e Prophétie, ou
de Ryzom, qui ont vu peu à peu leur univers disparaître ou être menacé de
l’être ? Que veut dire sauver un espace synthétique en voie de disparition ?
Est-ce comme une espèce vivante, une personne, un monument de l’histoire
ou un journal ?
Cela aurait-il un sens de faire les annales des troubadours Griots et cha-
mans Sagoma africains dans le futur jeu Africa, la guilde des War Legend ou
des Légions Fyros ? Dans quel bestiaire faut-il classifier la créature appelée
Mektoub du jeu Ryzom, ainsi que des milliers d’autres aux noms les plus étran-
gers peuplant ces univers ? A-t-on à faire à des monstres imaginaires comme
dans la littérature, le cinéma et les arts graphiques, ou à des embryons de
sujets d’un nouveau genre, puisqu’ils se présentent de plus en plus comme
des intelligences artificielles ?
Ce sont des cultures, des cultures d’univers, au sens d’une histoire, de
références, de langages communs partagés par des millions de gens. Mais
ce sont aussi des univers qui se cultivent, ou se laissent cultiver.
Mario Gerosa a créé l’agence de voyages Synthravels qui a pour objectif de
faciliter la découverte de ces univers, en mettant en relation des visiteurs poten-
tiels et des guides bénévoles familiers de ces nouveaux Far West et autres ter-
ritoires numériques. L’agence propose des expéditions dans une quinzaine de
mondes, d’être embarqué dans une guilde comme un journaliste sur un champ
de bataille, de partir à la rencontre d’architectures et de curiosités diverses, de
faire du tourisme, des sorties dans des restaurants ou des discothèques vir-
tuelles, ou simplement du shopping. Ce que montre cette initiative, c’est que
des passerelles manquent entre « ceux du dedans » et « ceux du dehors ».
C’est pourquoi les premières excursions doivent être entreprises. Dans cet
ouvrage, nous étudierons trois types de cultures d’univers sans prétention à
l’exhaustivité : les MMORPGs ou jeux de rôles persistants en ligne, les simula-
tions de société ou de vie (mondes virtuels) et les FPS à travers leur usage
compétitif. Ici commence l’expédition dans les cultures d’univers.
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Feuille de route des 8 zones à explorer
Cet ouvrage international est le fruit d’une collaboration entre une quaran-
taine d’auteurs et contributeurs experts, parmi lesquels une vingtaine de cher-
cheurs, une dizaine de professionnels et de créateurs, mais encore des joueurs
et animateurs de communautés.
Nous avons découpé l’ouvrage en 8 zones :
Zone 1 : Vous y êtesBrève taxinomie des univers persistants et des jeux en ligne qui constituent
les premières formes structurées de ces mondes virtuels.
Zone 2 : L’expédition ethnographiqueQui joue, pourquoi, comment s’organisent les rassemblements de joueurs
appelés guildes, quels sont les questions de gouvernance émergentes ?
Zone 3 : La question de l’addiction, des habilités, des civilités, développéespar les jeux en réseau. Un banquet sur les questions sociétales et mythologi-ques fermera la marche.
Zone 4 et 5 : L’économie Comment s’organise le tissu industriel et la fabrique de ces mondes, mais
encore sur quoi repose la nouvelle économie du virtuel, nouvel eldorado, ruéevers l’or virtuel dont on parle tout le temps ?
Zone 6 : Que produisent les joueurs et habitants de ces cultures, commentle voir et en rendre compte ? Ces champs culturels ne produisent-ils pas lesgermes d’une nouvel artisanat de l’information, des langages et des cultures ?
Zone 7 : Retour au réelLe « réel » ne serait-il pas en train de faire un retour dans le virtuel, par le
biais des univers réalistes, de la digitalisation des territoires, ou encore des jeuxutilisant les interfaces mobiles, tangibles, des objets communicants.
Zone 8 – Bilan provisoire de cette expédition Qu’est-ce que virtuel nous dit sur l’une des mutations radicales de la nou-
velle société de l’information et du numérique ? Les cultures d’univers ne por-tent-elles pas en elles l’émergence d’un nouveau média, voire d’un nouvel art ?
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’Univers
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Petit guide pratique de Culture d’Univers,et équipement
Les différentes zones et chapitres de Culture d’Univers sont étayés
par des récits, des encadrés, des pièces à conviction ou empreintes
« virtuologiques », mais encore des entretiens avec des experts, qui sont
reconstitués en « banquets virtuels ».
Le lecteur trouvera en chemin, des « tags » permettant de relier
des questions communes aux différentes zones et textes.
En guise de valise et d’équipement, vous trouverez un lexique d’une
trentaine de termes caractéristiques du langage des cultures d’univers.
Les annexes complètes, en particulier bibliographiques, seront publiées
sur le site culturedunivers.org, ainsi que certaines versions longues des
textes rassemblés dans l’ouvrage.
Culturedunivers.org mettra en « culture » quelques hypothèses, thèses
et questions ramenées de cette première expédition collective.
Bon voyage.
Irvin
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ÉQUIPEMENT DU VOYAGEUR
35 mots indispensables pour démarrer cette expédition
Avatar : c’est le personnage du joueur dans un monde virtuel.
Azeroth : C’est le nom du monde à l’intérieur du jeu World of WarCraft.
Craftware : néologisme proposé dans cet ouvrage, désignant tout ce
qui se fabrique et se créé à l’intérieur des mondes virtuels.
Counter Strike : le plus célèbre des FPS. Des terroristes affrontent des
antiterroristes, dans une ville déserte avec des caisses partout.
E-sport : Sport électronique. Pratiques compétitives autour de jeux vidéo
de sports et de combats.
FPS : First Person Shooter. Jeu de tir à la première personne
Gameplay : le gameplay est le nom que l’on donne au principe d’un jeu vidéo.
C’est à la fois son concept et ses règles : sa marque de fabrique.
GM (gamemaster) : les maîtres du jeu ou les managers de communautés.
Game designer : le créateur d’un jeu.
Goldfarmer : paysan du monde 3D qui ramasse des tonnes de pièces d’or
virtuel pour les revendre à des joueurs fainéants.
Guilde : regroupement de joueurs dans les jeux en ligne.
On parle de clans pour les jeux de tir.
Griefer : empêcheur de jouer en rond.
Hardware : nom que l’on donne aux machines et composants tangibles
de l’informatique.
Hardcore gamer : joueur assidu, spécialiste, qui en sait vraiment beaucoup.
On l’oppose en général à casual gamer : joueur occasionnel.
IRL : In Real Life. Les joueurs disent cela, lorsqu’ils se rencontrent
dans la vraie vie.
Jeu de rôles : quand on joue au troll qui court après une elfe en abattant
des cartes sur une table.
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LAN (Lan Area network) : jeu en réseau local.
Machinima : contraction de machine-animation-cinéma.
Il s’agit d’un concept désignant les films faits à partir de moteurs de jeux
vidéo, équipés de technologies en 3D temps réel.
MMORPG (Massivement Multiplayer Online Role Playing Game) : néologisme
insupportable à prononcer signifiant : jeu de rôles multijoueurs sur Internet.
MMOG (Massivement Multiplayer Online Game) : jeu à plusieurs sur Internet
mais pas forcément de rôles.
MOD : jeu modifié par les utilisateurs
MUD (Multi User Dungeons) : ancêtre des MMORPGs, jeu de rôles
en mode textuel sur l’Internet.
Neotronique : à vous de deviner.
NPP (Non Playing Person) : en référence à NPC (Non Playing Character),
et par opposition à Player.
No life : personne passant plus de dix heures par jour en dehors
d’un monde virtuel.
PvP (Player versus Player ) : affronter d’autres joueurs dans des jeux
en réseau. Se dit JvJ en français.
PvE (Player versus Environment) : affronter la machine et ses créatures.
Se dit JvE en français. On parle aussi de PvM pour jouer contre des monstres.
Raid : attaque menée à plusieurs – comme attaquer une guilde ennemie
ou un dragon en colère.
Roleplay : jouer un rôle dans un jeu en ligne.
RTS (Real Time Strategy) : jeu de stratégie en temps réel. En français STR.
Second Life (SL) : monde virtuel 3D sur Internet créé en 2003.
Software : nom que l’on donne aux logiciels et programmes.
Serveur : ce sont les machines dédiées au jeu, gérées par les éditeurs,
sur lesquelles les joueurs se connectent.
Univers persistant : jeu ou monde synthétique en ligne qui évolue sans cesse.
World of WarCraft (WoW) : le jeu de rôles en ligne le plus fréquenté à ce jour,
créé par Blizzard en 2004.
Pour Stun, flood, respawn, Out of Mana, et Cie, voir le lexique sur le site
de référence www.jeuxonline.info, le Champollion des nouveaux mondes.
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Culture d
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Notes de voyage
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QR code
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© Photo : Pauline Bourdon - Femis
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zone 2
Vers des sociétés
virtuelles ?
Dans les mondes synthétiques, les joueurs sont regroupés
en « guildes » ou en « clans », qui explorent ces univers
accessibles sur l’Internet à partir d’un « avatar »,
appartenant à une espèce spécifique (homme, orque,
paladin, mage, guerrier…) ou bien à un corps de métiers.
Les tribus formées directement sur l’Internet à travers
les autres usages, ne sont pas légion. La complexité
apparente de l’organisation des guildes des jeux de rôles
en ligne renvoie à l’idée que des communautés réelles
peuvent s’y développer.
On se demandera pourquoi ces mondes ne finiraient pas
par engendrer des organisations sociales autonomes, ou
des droits distincts, dans la mesure où il s’y construit déjà
leurs règles, leurs valeurs, leurs monnaies, leurs drapeaux ?
Les mondes synthétiques préfigurent-ils des sociétés
alternatives, ou des alternatives à la société ?
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les mondesvirtuels
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’Univers
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Les univers persistants sont en apparence les premières formes d’expres-
sion collectives en ligne, ayant en quelque sorte un mode de fonctionnement
quasi « organique » et autonome. Des « tribus » d’un nouveau genre appelées
« guildes » ou « clans » s’y font et s’y défont. Dans le monde de l’Internet, les
pratiques collectives se sont en général développées à partir de questions
communautaires préexistantes, ou bien renvoient à des problématiques
concrètes dans la vie de chacun. Elles vont du forum de discussion au « social
networking » professionnel ou amical, en passant par des sites de rencontres
de proximité. Dans tous ces cas, peut-on parler de groupes, d’équipes, de tri-
bus, s’étant formés sur l’Internet, et vivant en tant que collectif au sein même
de cet écosystème ? C’est l’une des raisons pour laquelle les univers persis-
tants et les jeux en réseau fascinent. On pourrait voir en eux l’une des premiè-
res expériences primitives de micro-sociétés créées à partir de l’espace public
en ligne, et dépassant les barrières de langages, de distances géographiques
et de cultures. Les environnements 3D de la première époque, soulèvent de
multiples questions sur l’étendue de leurs usages et sur l’impact qu’ils peuvent
avoir auprès des nouvelles générations. L’observateur du XXe siècle, éduqué
avec le cinéma, la télévision, et même avec l’Internet, se demandera : pourquoi
jouent-ils, que fabriquent-ils au juste dans ces mondes, comment fonction-
nent-ils, qu’est-ce que cela apporte d’y passer autant de temps ? Si l’on veut
comprendre ce qui se trame dans ces univers, on devra affronter un concentré
Données générales
Irvin Bearcat
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de toutes les questions de la société numérique et de ses usages foisonnants.
D’autant que les phénomènes dont nous parlons ne sont pas tout à fait des
« médias », de simples « jeux vidéo », et des usages familiers de l’Internet parmi
d’autres. Un univers persistant, serait peut-être même l’un des premiers objets
culturels « complexes » d’une ère renouvelée de la communication, qu’il nous
reste à comprendre.
Le joueur, le professionnel, le chercheur : le triptyque des experts du virtuel
Aucune des expertises actuelles n’est à ce jour suffisamment complète pour
définir la nature et le fonctionnement de ces environnements, tous genres
confondus. Il manquera souvent au joueur expert un certain recul sur son acti-
vité participante, et son expérience intime. Il manquera au « gamemaster »
(l’animateur de l’univers) les méthodologies d’analyse permettant d’aller au-
delà des constats empiriques réalisés par les équipes d’exploitation de l’uni-
vers persistant. Ils disposent d’outils de monitoring, de données personnelles
sur les usagers, des retours de bugs et de problèmes rencontrés dans le jeu,
de la maîtrise des architectures réseau et du gameplay. En dépit de ces savoirs,
ces derniers sont confrontés à une expertise collective sans cesse croissante
des joueurs, et ce, dans les domaines de la sécurité, de la maîtrise des mondes
eux-mêmes et de leurs différents secrets. Pour finir, il manquera à tout sociolo-
gue, profane bien souvent, une véritable expérience prolongée de l’immersion,
une culture des genres et de leur histoire, une connaissance intuitive des mail-
lages existant entre les diverses communautés.
Le sujet n’est en rien nouveau pour la sociologie et l’ethnologie des prati-
ques culturelles. Elles se heurtent ici à une nécessité de renouvellement métho-
dologique spécifique. Nick Yee est à ce jour l’un des emblèmes de cette géné-
ration de chercheurs s’étant approprié l’objet, en inventant une méthodologie
d’analyse ad hoc [Zone 21 et 61]. Dès 2002 il lance le Project Deadalus, une étude
et un centre de recherche permanent prenant pour point de départ l’exploration
du jeu EverQuest. Mis à jour en temps réel depuis, cet observatoire en ligne
comptait au début de l’année 2007 plus de 40 000 contributions de joueurs.
L’approche de Nick Yee pose les premières bases d’une ethnographie et d’une
lecture psychosociologique des mondes virtuels. Elle servira de référence à de
nombreuses études aux États-Unis, en Europe et en Asie.
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L’infernal chiffrage des pratiques et la catégorisation des joueurs
Pour analyser ces comportements, on cherchera à savoir comment se for-
ment les groupes, quelles sont les règles structurelles et de gouvernance de
ces environnements. Et la première question, à laquelle il sera difficile de répon-
dre, est celle du recensement des populations de joueurs dans le monde.
L’économiste Edward Castronova, qui consacre l’essentiel de ses recherches
depuis 2001 aux mondes virtuels, donne un chiffre de 10 millions d’usagers
dans son ouvrage Synthetic Worlds, publié au début de l’année 2006. Ce der-
nier note qu’il pourrait y avoir en réalité 30 millions d’adeptes de ces jeux :
« Nous n’avons en réalité aucune idée du nombre de personnes qui sont à ce
jour capables de se servir d’un avatar. Un chiffre minimum serait 10 millions.
Mais je suppose que la réalité se situe entre 20 et 30 millions. À ce niveau le
phénomène des mondes synthétiques semble être devenu bien plus qu’une
activité de niche(1). » Une étude de l’Idate, basée sur le chiffrage du site
mmogchart.com, estimait que le nombre d’usagers payants d’univers massive-
ment multijoueurs se situait autour de 12 millions en juillet 2006, exception faite
de la Chine. Dans ce pays, on dénombrait en 2005 plus de 26 millions de
joueurs, dont 13,5 millions avaient contracté un abonnement [Zone 42). Un rap-
port de la mission économique française en Chine a réévalué ce chiffre global à
30 millions en 2006(2). Les choses se compliquent si l’on ajoute les adeptes des
jeux gratuits, non commercialisés, tel que Habbo Hotel qui compte 50 millions
d’utilisateurs dans 18 pays – parmi lesquels l’Italie, l’Australie, les États-Unis, la
Chine et le Brésil –, dont un million en France. Ou encore les jeux de voiture
multijoueurs tels que Kart Rider et Trackmania, ayant dépassé les 10 millions
de téléchargements chacun sur la seule année 2006.
Pour avoir un aperçu précis de l’étendue du phénomène, il faudrait pouvoir
disposer de diverses données : les revenus des éditeurs, la répartition concer-
nant les jeux gratuits et payants, le pourcentage d’usage de jeux piratés, le
nombre d’utilisateurs d’un même titre par station ou par foyer, le nombre de
joueurs fréquentant les salles en réseau. Mais encore et surtout des chiffres fia-
bles en provenance des serveurs. Il s’agirait d’effectuer cette évaluation sur les
jeux de MMORPGs, MMOGs, et les autres types de jeux en ligne (FPS, Sport,
casual, gambling). Les méthodes de calcul varient aussi. Les exploitants de
MMORPGs, en Corée notamment, comptent en nombre de joueurs simultanés
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et non en comptes ouverts (ces derniers pouvant être inactifs, non payants, ou
une seule personne pouvant en posséder plusieurs). Il est important de signaler
que les grands cabinets d’étude travaillant pour l’industrie des jeux vidéo,
comme l’Institut GFK en Europe ne se sont pas encore réellement spécialisés
dans la mesure de l’audience des jeux en ligne. Nous sommes à la préhistoire
de cette pratique, le sujet étant d’autant plus complexe qu’il nécessite de croiser
des données marchandes et non marchandes, officielles et officieuses. Consi-
dérons qu’il existe un noyau dur de joueurs assidus appelés les « hardcore
gamers », en Europe, Amérique et Asie du Sud-Est. Mais que la culture des
mondes virtuels touche désormais une population de plusieurs dizaines de mil-
lions d’utilisateurs. Elle constitue en outre un phénomène plus significatif que
pour d’autres usages culturels en ligne, compte tenu du temps qu’elle exige du
joueur, voisin de celui consacré à la télévision par les jeunes générations(3).
Les travaux de Nick Yee et de chercheurs tels que Foo et Koivisto(4), Lin Holin
[Zone 23], Alan Meades(5), permettent de donner une idée de la durée moyenne
de jeu, mais encore des différences ethnographiques dans les pratiques. Si l’on
parle des MMORPGs de type heroic fantasy, nous savons, selon les enquêtes
et les pays, que la répartition en terme de sexe est de 80 à 90 % pour les gar-
çons et 10 à 20 % pour les filles. La moyenne d’âge, se situe autour de 26 ans
(Nick Yee), le temps de connexion d’un joueur assidu est 20 à 24 heures par
semaine. Les profils de joueurs et de milieux sociaux se sont considérablement
élargis avec WoW. Pour des environnements comme Second Life, la diversité
des populations rejoint davantage celles du Web, que celles de l’amateur de
productions vidéoludiques et de jeux de rôles.
En Corée, San Min-Wang a effectué une étude sur 15 201 usagers de
Lineage de NCsoft (dont 570 femmes) mais encore sur Land of the Wing (LOW)
de Nexen (24 247 joueurs dont 3 199 de sexe féminin). Sur Lineage 17,4 %
étaient des collégiens, 40 % des lycéens, 38,1% des étudiants.
(1) Extrait de Synthetic Worlds, 2006, de Edward Castronova.(2) Mission économique de Canton, Pékin et Shanghai, une étude réalisée par Thomas Canvel et dirigéepar Vincent Huynh en septembre 2006.(3) Voir à ce titre Gamers in the UK, une étude réalisée par la BBC en décembre 2005, qui met en relief lamontée en puissance du temps consacré aux jeux chez les jeunes générations. (4) D’après Grief Player Motivation, 2004, de Foo et Koivisto (www.itu.dk/op/papers/yang_foo_koivisto).(5) Observing Player Behaviour in Virtual Worlds, 2005, de Alan Meades (www.videogamestudies.com).
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Sur LOW, 73 % étaient de collégiens, 11 % des lycéens. Sur Lineage, 4 %
passaient moins d’une heure par jour sur le jeu, plus de 60% jouaient plus de
trois heures par jour, contre 3 % et 52 % pour LOW. San Min-Wang va distinguer
trois grands groupes de joueurs : les solos « single oriented players » (28,2 %),
qui ne sont pas très éloignés des adeptes de jeux offline et de console, et cher-
chent à s’amuser tout seuls. Les joueurs communautaires (44,8 %) appartenant à
des guildes, et les antisociaux (26 %), souvent appelés les « griefers ». Ces clas-
sifications sociologiques auxquelles mènent les études quantitatives, renvoient à
la question des différentes typologies d’usagers existant à ce jour.
Les premières typologies des joueurs dans les MMORPGs
Les premières grandes catégories de joueurs de MMORPGs ont été propo-
sées par Richard Bartle à partir d’une enquête en ligne, le Bartle Test(1), lui per-
mettant d’établir qu’il existe quatre profils de joueurs qui se combinent de multi-
ple façon. Pour Richard Bartle – qui est à l’origine de MUD avec Roy Trubshaw en
1978, l’ancêtre des MMOGs – les centres d’intérêt des usagers de MMORPGs
tournent autour des catégories suivantes.
Classification de Richard Bartle (2)
Exploration La découverte et la connaissance aussi complète
que possible de tous les aspects de l’univers.
Performance Les achievers cherchent à maîtriser tous les modes
de fonctionnement de l’univers et entrent
généralement dans une perpétuelle quête
de puissance.
Sociabilité Pour le socializer, l’objectif sera de nouer
des contacts et d’interagir avec les autres
participants et différents aspects du jeu relevant
de la socialisation.
Domination Les killers (tueurs), d’après Richard Bartle qui les
distingue des performeurs, peuvent être
assimilables aux joueurs compétitifs, et aux griefers.
(1) Voir le site www.guildcafe.com/bartle.php(2) La classification de Richard Bartle a été reprise par Foo et Koivisto.
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Cette catégorisation va servir de première matrice aux créateurs de jeux,
jusqu’à ce que Nick Yee, en 2002, à partir d’une étude portant sur 6 700 réponses,
propose une nouvelle typologie. Il trouve cinq catégories de motivations.
Classification de Nick YeeSocialisation Se faire des amis dans les jeux.
Immersion S’engager à fond dans le jeu et dans ses diverses
possibilités de construction.
Grief (perturbateur) Utiliser d’autres joueurs pour son avantage propre
Leadership Le désir ou l’exercice de l’autorité.
Achievement Le désir d’être puissant, d’aller au bout du jeu.
Lazzaro propose, en 2004, une autre formulation du spectre des profils de
joueurs de MMORPGs avec les catégories suivantes : l’expérience intérieure, le
challenge et la stratégie, l’immersion et le divertissement, l’expérience sociale.
À travers ces recherches, on retrouve des composantes communes du « joueur
social », et du « joueur compétiteur », du « casseur de jeu ». On remarque que
ces enquêtes distinguent plus difficilement les catégories du « roleplay », du
« crafting » (créateur d’objets), du « joueur marchand », dont on reparlera plus
loin. Pourtant, ces dernières désignent des formes archétypales et hybrides.
D’autres études ont produit des typologies en faisant ressortir des genres
comme celle du collectionneur, de l’artiste, du conteur, du performeur, de l’arti-
san. Elles renvoient en partie à des types d’univers persistants comme les
simulateurs de vie, à l’instar de Second Life [Zone 63].
Les prémices de l’anthropo-avatarologie
La typologie des usages dans les jeux en ligne varie largement en fonction
des « gameplay », déterminant fondamentalement les rôles, les possibilités et
principes d’interactions. Étudier ces pratiques revient à travailler au milieu d’un
triptyque formé par le joueur, son avatar, et l’action en jeu. La première corres-
pond aux caractéristiques de la personne : son profil socioprofessionnel, son
âge, ses motivations personnelles (je m’amuse et j’explore un monde, je me
socialise, je fais de la compétition). La seconde est déterminée par le système
de jeu lui-même et la fonction du personnage (métier, classe, niveau).
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La troisième se situe entre les deux et concerne tout ce qui émerge entre le
sujet et sa fonction dans l’univers persistant ; je fabrique des animations, j’es-
saye de perturber les règles du jeu, je créé des choses qui n’étaient pas pré-
vues, je m’inscris dans une profession, je réalise des films, je participe à des
forums, etc.
En guise d’exemple de la frontière brouillée entre le ludique, la motivation du
joueur et l’identité hybride qui s’installe entre les deux, lisons Laura Wise (voya-
geuse), qui s’interroge sur le site de la communauté, JeuxOnLine.info, à propos
du rôle de danseuse dans Second Life(1) :
« Auriez-vous quelques explications S.V.P. ? Bientôt deux semaines dans
SL, mon avatar commence à devenir présentable (à mon goût en tout cas !)
et j’aimerais bien me faire embaucher comme danseuse. Mais en quoi
consiste le travail ? Est-ce que c’est seulement arriver à l’heure, se mettre
sur le tapis de danse et basta ? Parce que si c’est ça, on n’a pas besoin de
rester devant le PC, ce qui m’arrangerait. Y a-t-il des obligations à remplir,
comme parler avec les clients, des manœuvres spéciales à effectuer à un
certain moment ? Parce qu’en fonction de ça, mes horaires de présence ne
sont pas les mêmes, alors c’est bien de le savoir avant de voir un futur
employeur, histoire d’éviter des déceptions mutuelles.
Merci à ceux et celles qui voudront bien me répondre. »
On voit à travers cet exemple que le sujet qui parle ou dont il est question
est un mélange entre la personne, le personnage, et le rôle qu’il s’agit de jouer
dans le système. La typologie des usages et les matrices permettant de les
étudier dans les jeux en ligne reste à fonder, d’autant que ces derniers ne ces-
sent d’évoluer. Elle nécessitera sans doute à l’avenir, une collaboration plus
étroite entre les joueurs, les chercheurs et les professionnels. L’étude de Nico-
las Ducheneaut, Nick Yee, Eric Nickell et Robert J. Moore nous livre en atten-
dant, des données précieuses sur le système social régissant les interactions
dans l’univers persistant le plus fréquenté à ce jour, World of WarCraft.
(1) Voir le lien : http://forums.jeuxonline.info/showthread.php?t=753061
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Une solitude collective ?
Le « facteur social » des MMORPGs est très souvent avancé pour expliquer
leur popularité croissante. Comme le dit un joueur : « Ce sont les autres per-
sonnes qui rendent ces jeux si attirants, pas le jeu lui même(1). » Bien des élé-
ments caractéristiques des MMOGs (développer un personnage et gagner des
niveaux, combattre des monstres) sont déjà présents dans d’autres jeux indivi-
duels. La différence essentielle apportée par un MMOG réside dans la nature
collaborative des activités, qui permet aux usagers d’être progressivement
socialisés dans une communauté et d’accroître leur réputation(2).
Si de nombreux chercheurs(3) ont commencé à s’intéresser aux MMOGs,
peu de données empiriques sont disponibles pour comprendre les dimensions
sociales et comportementales de ces jeux. Une majorité de la littérature scien-
tifique sur les MMOGs repose sur des données subjectives issues d’entre-
tiens(4), d’observation participante(5), ou par le biais de questionnaires(6). À l’ex-
ception de l’étude de Nicolas Duchenault et Robert J. Moore(7), aucune étude
n’est basée sur des informations obtenues à partir du jeu lui-même.
Pour dépasser cette limitation, nous étudions les activités sociales au sein
des environnements multijoueurs sur la base de données collectées directe-
ment sur les serveurs. Nous calculons diverses mesures pour évaluer, combien
de temps les joueurs passent en groupe, avec qui, à quelle fréquence, et com-
22
Observations sur le capital social dans un jeu vidéo multijoueurs : World of WarCraft
Nicolas Ducheneaut, Eric Nickell, Robert J. Moore et Nicholas Yee
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ment cela impacte leur progression. Ces données constituent une base empiri-
que solide qui nous permet de mieux accéder à la complexité de ces mondes
virtuels.
Nous présentons nos observations du MMOG le plus populaire aux États-
Unis : World of WarCraft (WoW). Nous nous concentrons sur trois aspects signi-
ficatifs du jeu : la durée de ces pratiques, les « groupes d’aventures » formés
par les joueurs pour accomplir divers objectifs, et les « guildes » (associations
de joueurs de beaucoup plus longue durée que les « groupes d’aventure »).
Nous utilisons ces données pour décrire la nature et la structure des relations à
travers WoW, afin de comprendre le rôle des MMOGs dans la formation et la
maintenance de capital social entre les joueurs. Avant de présenter ces analy-
ses, examinons les attributs essentiels de WoW. Nous commençons ci-des-
sous par une description de l’environnement offert par ce jeu.
(1) Extrait de l’article « It’s the people that are addictive, not the game » publié en 2006. Voir aussi l’intervention de Nicole Lazzaro à la conférence GDC (Game developers Conference) de 2004 sur le site gamasutra.com. Experte dans la recherche et la conception d’expérience joueurs pour des produits de créativité et de divertissement grand public, Nicole Lazzaro est la fondatrice et la présidente de XEODesign.
(2) Conférence Digital Arts and Culture (DAC) à Melbourne, Australie, en 2003, de Jakobson & Taylor : « The Sopranos meets EverQuest ».Voir aussi sur le lien www.nickyee.com/hub/addiction/home.htm« Understanding MMORPG addiction » de Nicholas Yee, 2002.
(3) Comme Bartle, Castranova, Jakobson et Taylor.
(4) Voir le lien de Nicholas Yee, www.nickyee.com/eqt/report.html
(5) Conférence ACM sur le travail coopératif informatisé, en 2004, de Barry Brown et Marek Bell.
(6) Une étude de A. Fleming Seay, William J. Jerome, Kevin Lee et Robert E. Kraut, sur les communautés en ligne, présentée à Vienne, Autriche, en 2004 lors de la conférence ACM.
(7) « The social side of gaming » : une étude de Nicolas Ducheneaut et Robert J. Moore sur les modèlesd’interaction dans un jeu en ligne massivement multijoueur, suite à la conférence ACM de 2004, sur le travail coopératif informatisé.
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World of WarCraft :une variation réussie sur un modèle classique
Basé sur une formule héritée des jeux de rôle sur papier – comme Donjons
et Dragons –, WoW est clairement le premier vrai « blockbuster » des MMOGs
aux États-Unis. En moins de 24 heures plus de 240 000 personnes en ont fait
l’acquisition, dépassant largement le précédent record de vente pour un jeu sur
ordinateur personnel. Le nombre d’abonnés a depuis augmenté de façon très
importante, atteignant 1,5 million en mars 2005 et plus récemment 8 millions en
2007. Blizzard avait auparavant produit d’autres titres sur le thème de WarCraft
– aucun d’entre eux n’était un MMOG. Ces jeux étaient extrêmement populai-
res, et il est fortement probable que la croissance initiale de WoW a été alimen-
tée en partie par la migration de ces « fans » vers la version massivement multi-
joueurs de leur environnement favori.
Tout comme dans d’autres MMOGs, les utilisateurs de WoW débutent en
créant un alter ego, un « personnage », pour reprendre la terminologie de Don-
jons et Dragons. Ils peuvent choisir parmi huit races différentes (nains, elfes,
humains, etc.) et neuf « classes » (magicien, paladin, prêtre, etc.). Après avoir
généré ce personnage, les joueurs peuvent commencer à réaliser leurs quêtes
dans le monde fantastique d’Azeroth, qui est largement inspiré des ouvrages
de J.R.R. Tolkien tel que Le Seigneur des Anneaux. Azeroth est extrêmement
vaste et détaillé, navigable à travers une interface en trois dimensions. On peut
y combattre de dangereuses créatures – y compris, sur certains serveurs, d’au-
tres joueurs – et explorer deux continents, seul ou avec d’autres. Les « quêtes »
constituent un aspect essentiel du jeu. Elles sont données par personnages
contrôlés par l’ordinateur, qui envoient le joueur accomplir différentes missions
(tuer un ennemi, ramasser certaines ressources, retrouver un objet volé, etc.).
La plupart de ces quêtes sont trop difficiles pour qu’un joueur isolé puisse les
réussir : c’est ainsi que WoW encourage les participants à former des groupes.
Aller au bout de ces dernières fait gagner des « points d’expérience » qui per-
mettent de monter en « niveaux » – le maximum étant 60. Au cours de leur pro-
gression à travers ces niveaux, les joueurs obtiennent des sorts et aptitudes de
plus en plus puissants et des objets (armes, armure, monture) prestigieux.
I 49 I
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Interface
Les joueurs interagissent avec l’environnement et les autres participants
grâce à une interface qui ressemble fortement à celle de MMOGs précédents
(voir visuel ci-dessous). Une rangée de boutons en bas de l’écran permet
d’exécuter certaines actions comme jeter un sort ou ajuster son équipement.
Les joueurs communiquent en tapant leur texte dans une boîte de dialogue,
d’une façon analogue à la messagerie instantanée ou des services IRC. Plu-
sieurs canaux de communication sont disponibles : les « tell » privés ; les mes-
sages adressés à un groupe lors d’une quête ; ceux destinés la guilde à laquelle
on appartient ; la communication « spatiale », visible pour les joueurs physique-
ment proches de l’émetteur ; et les messages de « zone », qui atteignent toutes
les personnes présentes dans une aire géographique donnée.
L’interface utilisateur de World of WarCraft
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Serveurs et géographie
Afin de séparer l’immense population du jeu en unités plus faciles à gérer,
chaque joueur doit choisir un serveur spécifique lors de la création du person-
nage. Ce dernier accueille une communauté d’environ 20 000 personnes (à la
mi-2006 il y avait 107 serveurs disponibles aux États-Unis). On en dénombre
trois types : le plus commun est le PvE (Player versus Environment), où les
joueurs ne peuvent pas s’attaquer, le second est le PvP (Player versus Player).
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Le troisième type est RP (roleplaying) qui permettent de maintenir et dévelop-
per une fiction autour du personnage autant que possible. Sur chaque serveur
le monde d’Azeroth est scindé en deux continents, qui sont à leur tour divisés
en plusieurs zones. Les joueurs peuvent y voyager librement, que ce soit à pied,
sur une monture, ou grâce à diverses formes de transport public (bateaux, zep-
pelins, etc.). Chaque zone contient des créatures hostiles ayant une certaine
force (par exemple Tanaris est une zone de niveau 40-55), et il est très difficile
pour un joueur n’ayant pas atteint ce niveau, de la traverser en toute sécurité.
Chaque race a une capitale– pour les nains la capitale est Ironforge – qui joue
un rôle important en tant que place de commerce et centre de transport. Les
capitales ont toutes une bourse d’échange « Auction House » qui permet de
vendre et d’acheter les objets disponibles dans le jeu. Ces caractéristiques ren-
dent les capitales très populaires et elles sont généralement densément peu-
plées à toute heure du jour ou de la nuit.
Méthodes de recherche
Notre collecte de données repose sur deux approches. Nous avons observé
WoW de l’intérieur dès le lancement du jeu en novembre 2004. Chaque auteur
de cette étude a créé un personnage principal, « main », et plusieurs personna-
ges secondaires, « alts », sur différents serveurs, afin d’être exposé à une large
palette d’activités et d’environnements. Chacun devint membre d’au moins
une guilde, et tous participèrent activement à la vie de leur serveur (quêtes –
seul ou en groupe, raids à plusieurs, combat contre d’autres joueurs, etc.). Ceci
nous donne une riche toile de fond qualitative qui encadre nos analyses.
Après quelques mois, nous avons ajouté une composante quantitative à
notre approche. WoW a été construit de façon extensible, et il est possible de
développer des modifications substantielles, « mods », de l’interface utilisateur
à l’aide de scripts programmés en Lua (un langage informatique proche de Perl
ou Python). Le jeu offre par défaut une commande, « /who », qui permet de lis-
ter tous les personnages présents sur un serveur à un moment donné, ainsi
que certaines de leurs caractéristiques (classe, niveau, emplacement, etc.).
Ceci nous a permis de créer un logiciel recensant la population et les activités à
intervalles réguliers : en fonction du trafic, les données d’un serveur entier peu-
vent être récupérées toutes les 5 à 15 minutes. Chaque fois qu’un personnage
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est observé, nous enregistrons une entrée de la forme suivante :
Alpha,2005/03/24,Crandall,56,Ni,id,y,Felwood,Ant Killers.
La ligne ci-dessus représente un personnage nommé Crandall, Druide Night Elf
de niveau 56 et membre de la guild Ant Killers. Au moment de ce recensement,
il est actif dans la zone de Felwood et appartient à un groupe « y ». Ces données
ont été collectées en continu depuis juin 2005 sur 5 serveurs différents :
PvE(+) et PvE(-), fortement (+) ou faiblement (-) peuplé ;
PvP(+) et PvP(-), leurs équivalents permettant le combat entre joueurs ;
RP, un serveur roleplaying.
Au total 129 372 personnages ont été observés. Cet échantillon extrêmement
large a permis de calculer différentes mesures reflétant les activités des utilisa-
teurs (présentées ci-dessous).
Le capital social des jeux massivement multijoueurs
Temps de jeu et progression
Les MMOGs sont fréquemment critiqués pour l’investissement temporel qu’ils
requièrent – 21 heures par semaine, selon les recherches de Nicholas Yee en
2005. Avant même d’aborder les dimensions sociales de WoW, il est important
de comprendre comment l’on passe son temps dans ce monde virtuel. Nos don-
nées montrent que chaque personnage est joué en moyenne 10,2 heures par
semaine. Considérant que chaque joueur contrôle le plus souvent au moins un
« main » et un « alt », il est fort probable que le temps passé dans WoW n’est
guère éloigné des 21 heures hebdomadaires observées dans d’autres MMOGs.
Il faut ensuite calculer le temps de jeu passé à chaque niveau – jusqu’au
niveau 60 – au cours de la vie d’un personnage. Cette progression sur une
semaine est riche d’enseignements. Le temps de jeu augmente de façon quasi
linéaire au fur et à mesure des niveaux. WoW est structuré pour « accrocher » le
joueur : les premières étapes sont faciles, et la progression rapide. L’augmenta-
tion incrémentale du temps de jeu requis conduit à s’y investir de plus en plus,
jusqu’à un point tel où il sera ardu d’abandonner. La difficulté des challenges
augmente subtilement et elle est probablement difficile à repérer pour un joueur
qui se trouve pris « dans le flot ». Ce rythme particulier appelé « leveling tread-
mill » – une analogie avec les tapis de course motorisés où la vitesse monte
progressivement et imperceptiblement – est propre aux MMOGs.
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Il existe des différences significatives entre certains niveaux. Il est clair que le
temps de jeu progresse fortement tous les dix niveaux. Ceci commence avec
un pic au niveau 9, suivi d’autres plus prononcés aux niveaux 19 et 29. On
trouve un pic très important aux niveaux 35-39. Au niveau 39, un personnage
est joué en moyenne 1 032,43 minutes, au niveau 40 cela tombe à 774,62
minutes. Cette distribution bien particulière du temps de jeu prend toute sa
signification lorsqu’on la compare à la façon dont les récompenses sont repar-
ties dans WoW.
Les personnages gagnent généralement plus de nouveaux talents chaque
dix niveaux – ces étapes sont importantes. Elles ouvrent de nouvelles possibili-
tés. Les avatars gagnent l’accès à une monture au niveau 40. Elle permet de
voyager bien plus vite, et elle est aussi un symbole prestigieux et un rite de
passage. Très clairement, les joueurs sont extrêmement motivés par cette pers-
pective, et ils « travaillent » plus dans les niveaux précédents 40 pour l’obtenir
au plus vite. Il semble que les récompenses sont savamment réparties dans
WoW : il y a toujours un objectif en vue, ce qui motive à jouer davantage. La
récompense augmente avec l’investissement. Il est possible d’observer une
version plus restreinte de ce phénomène : les joueurs passent apparemment
un peu plus de temps aux niveaux impairs, et moins aux pairs. Encore une fois,
la répartition des récompenses nous explique pourquoi les personnages ne
gagnent de nouvelles compétences qu’aux niveaux pairs. Comme pour la mon-
ture ou les 6 niveaux majeurs, c’est-à-dire, tous les 10 niveaux, les joueurs sont
prêts à investir plus de temps pour progresser rapidement à travers les niveaux
impairs et récupérer de nouvelles aptitudes aux pairs.
Prise dans son ensemble, cette analyse semble refléter comment WoW a été
méticuleusement ajusté pour conditionner le comportement des joueurs, d’une
façon analogue aux expériences de Burrhus Frederic Skinner(1). WoW créé un
subtil engrenage qui stimule et récompense à une fréquence adéquate.
(1) Burrhus Frederic Skinner (1904-1990) est un psychologue comportemental américain. Sa théoriemajeure est le concept de conditionnement opérant qu’il distingue du conditionnement pavlovien : lescomportements sont sélectionnés par leurs conséquences sur l’environnement. Par exemple, on diraqu’une action est conditionnée de manière opérante quand sa fréquence augmente dans le comportementd’un organisme du fait de ses conséquences positives pour l’organisme.
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Avant même de considérer d’autres variables, il est très important de pren-
dre en compte cet aspect propre aux MMOGs pour expliquer leur succès. Les
créateurs de jeux vidéo réalisent le pouvoir d’une telle structure. Raph Koster,
concepteur d’Ultima Online, propose que le plaisir vidéoludique découle en
partie de l’avidité que le cerveau humain a de maîtriser des schémas relative-
ment répétitifs. Mettre ce principe en pratique n’est pas trivial. Il semble que
WoW ait réussi à créer une balance proche de l’optimum. Sur la base de nos
données, nous avons ensuite obtenu une équation prédisant le temps moyen
passé à chaque niveau :
Temps de jeu accumulé (en minutes) = (Niveau courant x 14) – 44
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Temps de jeu accumulé au cours des niveaux
Temps investi à chaque niveau,sur une semaine d’observations
Si nous acceptons que chaque personnage qui atteint 60 a suivi cette pro-
gression, il découle qu’en moyenne ces derniers ont passé 15,5 jours dans le
jeu. Si nous comparons WoW au monde du travail et supposons que chaque
personnage est joué 8 heures par jour, il s’ensuit qu’un joueur doit « travailler »
47 jours ouvrés (approximativement 2 mois) pour atteindre le niveau 60. Le plus
étonnant est que près de 15 % des personnages observés lors de nos analy-
ses avaient déjà atteint cet objectif, et ce seulement 8 mois après le lancement
du jeu ! Il fait peu de doutes que WoW exerce une puissante attraction sur ses
abonnés.
Min
utes
Niveaux Niveaux
Jour
s
« Le succès croissant des MMORPGs aboutit à ce que l’on cache à ce jour cette nature-là du jeu.Pourtant, l’ironie est que cela correspond à la manière dont les jeux ont toujours fonctionné :entraîner les joueurs à travailler de plus en plus dur pour continuer de s’amuser. » >> Zone 60
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Relations sociales de courte durée : les groupes d’aventure
WoW encourage les joueurs à créer des groupes grâce à deux mécanismes
assez classiques pour un MMOG. Chaque « classe » de personnage dispose
de compétences spécifiques qui en complètent d’autres. Les prêtres peuvent
soigner des personnages avec une grande efficacité, les guerriers sont les meil-
leurs combattants au corps à corps, etc. Se regrouper avec des joueurs de dif-
férentes classes offre d’intéressantes synergies. Un grand nombre de quêtes et
de donjons sont bien trop difficiles pour pouvoir êtres attaqués par
un personnage isolé. Les joueurs doivent former un « groupe d’aventure »,
5 joueurs maximum, ou bien un « raid », avec pas plus de 40 joueurs, pour avoir
la moindre chance de triompher et de remporter les prestigieux objets disponi-
bles à ces emplacements.
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Distribution des classes sur l’ensemble de l’échantillon
Temps moyen passé en groupe,par classe
Tem
ps
Classe Classe
Tem
ps
Malgré la complémentarité des différentes classes, certaines ont de meilleu-
res chances de survie. Les chasseurs (hunters) sont accompagnés par un puis-
sant animal, ce qui permet de contrôler deux personnages à la fois. Comme
nous l’ont indiqué de nombreux joueurs, ceci rend une classe comme les chas-
seurs plus facile à jouer « solo ». Nous avons calculé le temps moyen passé
dans un groupe pour chaque classe, et nos résultats reflètent clairement leur
aptitude à être jouée « solo » ou non. Les différences sont significatives : la
classe la plus « solo », les « warlocks », passe environ 30 % du temps de jeu
dans un groupe, tandis que les prêtres y consacrent près de 40 %. De façon
étonnante, les classes les plus individualistes sont aussi les plus populaires. La
distribution sur l’ensemble de notre échantillon montre que les trois qui se trou-
vent être les plus prisées (guerrier, chasseur, et bandit) sont aussi parmi celles
qui passent le moins de temps en groupe, soit moins de 32 %.
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Le temps passé en groupe n’est pas uniforme à travers la vie d’un person-
nage. Il augmente linéairement au fil du jeu, et se stabilise éventuellement
autour de 40 %. À partir de 55, nous notons une très forte augmentation
jusqu’au niveau 60 où il atteint près de 60 %.
Il est intéressant de considérer l’impact des groupes sur le progrès d’un
joueur. Nous avons séparé les personnages en quatre catégories, basées sur
leur propension à former des groupes (par exemple, ceux de 0 à 1 % ne furent
presque jamais observés dans cette activité). Nous avons ensuite calculé le
temps passé par les membres de chaque catégorie pour progresser jusqu’au
niveau 60. Les personnages qui ne se groupent pratiquement jamais progres-
sent nettement plus rapidement et atteignent le niveau 60 presque deux fois
plus vite !
Prises dans leur ensemble, ces données peignent un portrait bien plus
nuancé de la dimension sociale des MMOGs. Former un groupe est apparem-
ment une façon inefficace de progresser, et beaucoup de joueurs ne sont pas
observés dans un groupe avant le niveau 55. Les joueurs optent nettement
pour les classes les plus individualistes et c’est seulement dans les dernières
étapes du jeu, où les donjons sont simplement inaccessibles à un joueur seul,
que la proportion de temps passé dans un groupe augmente. Lors de nos
conversations avec plusieurs joueurs, cet état de fait nous a été résumé plu-
sieurs fois de façon succincte : WoW est un environnement où les joueurs pré-
fèrent être « seuls mais ensemble ». Cela signifie que les joueurs préfèrent être
entourés par d’autres participants sans nécessairement interagir directement
avec eux. Nous analysons ce phénomène important en profondeur plus loin
dans cette étude.
Relations sociales de longue durée : les guildes
Nous venons d’analyser ci-dessus les relations sociales formées dans le
cadre des quêtes, qui nécessitent la formation de groupes de courte durée
assemblés autour d’un objectif commun : accomplir une mission, et gagner
des points d’expérience. Les joueurs de WoW peuvent aussi créer des asso-
ciations de plus longue durée : les guildes, qui sont souvent décrites comme
un facteur important pour expliquer la popularité des MMOGs. Les guildes
sont apparemment la source principale de capital social dans un jeu, et elles
exercent un puissant effet en encadrant l’expérience d’un joueur. Nos don-
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nées révèlent que 66 % des joueurs de WoW appartiennent à une guilde. Cette
proportion augmente jusqu’à 90 % pour les personnages de niveau 43+.
Une grande majorité de joueurs appartient à une guilde. Il est intéressant
d’analyser leurs effets sur le temps passé à jouer. Certains proposent que les
guildes exercent une pression sociale sur leurs membres qui les conduit à jouer
davantage. Elles organisent fréquemment des événements tels que les « raids »
décrits dans la section précédente, et ces événements nécessitent d’importan-
tes préparations qui peuvent créer un sentiment d’obligation chez les mem-
bres. Dans notre étude, selon la procédure ANCOVA (analyse de la covariance)
l’appartenance à une guilde est utilisée comme variable indépendante, le
temps passé à jouer chaque semaine comme variable dépendante, et le niveau
moyen comme co-variant. Elle révèle que les membres d’une guilde y consa-
crent plus de temps que les autres. Nos données semblent confirmer l’hypo-
thèse d’une pression sociale exercée par ces groupes.
L’importance des éléments ludiques dans la conception d’un MMOG
Nos analyses ont révélé plusieurs éléments importants dans la conception
de WoW, certains confirmant des travaux précédents, d’autres plus surpre-
nants. Par-dessus tout, il semble clair que WoW est un jeu tout aussi exigeant
en temps que ses prédécesseurs. Le succès de WoW ne peut donc être expli-
qué par une plus grande accessibilité aux joueurs occasionnels. Les 8 millions
d’abonnés paraissent être tout aussi « fanatiques » que dans des MMOGs équi-
valents – comme pour EverQuest.
Si WoW n’est pas plus accessible, quelle est alors la raison de sa popula-
rité ? Beaucoup de créateurs de jeux vidéo multijoueurs croient que « les
MMOGs sont des communautés, pas de simples jeux vidéo ». Nos données
montrent que les aspects ludiques de ces univers virtuels ne peuvent pas être
ignorés. Il est clair que WoW propose une progression de challenges et de
récompenses savamment distribuées, qui conduit à des comportements pou-
vant rappeler la dépendance. En d’autres termes, WoW fonctionne comme une
« Skinner box » offrant des renforcements périodiques : les joueurs sont tou-
jours près d’obtenir un nouveau talent, objet, ou de découvrir une nouvelle zone
du jeu. L’augmentation significative du temps de jeu, aux abords d’étapes
importantes (par exemple, l’obtention d’une monture) montre comment ces
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derniers peuvent être facilement motivés par de tels objectifs. WoW représente
donc une véritable expérience – hors laboratoire ! – dans le domaine de la psy-
chologie des loisirs.
L’importance de ces éléments ludiques, par opposition aux éléments com-
munautaires, peut être clairement illustrée en comparant WoW avec un de ses
compétiteurs : Star Wars Galaxies (SWG). Ce dernier fut créé explicitement
pour encourager les aspects les plus sociaux des univers multijoueurs. Les
joueurs peuvent y choisir un personnage tel qu’un « entertainer », dont le but
principal est d’interagir avec les autres, et non plus de tuer des monstres ou de
remplir des quêtes. SWG fut aussi beaucoup critiqué pour être extrêmement
laborieux – un « grind » selon l’expression de joueurs anglophones – ce qui
signifie que la progression des joueurs dans SWG n’avait rien a voir avec le flot
finement ajusté de WoW. SWG ciblait la même population de joueurs que WoW.
Il n’a jamais atteint la popularité de ce dernier – des estimations récentes mon-
trent que SWG a probablement autour de 300 000 abonnés. Ceci pourrait indi-
quer que, au fur et à mesure que le marché des MMOGs s’étend et que plus de
choix deviennent disponibles, une majorité de joueurs tend à préférer un envi-
ronnement ludique bien ajusté à un autre, plus social et interactif. Les éléments
présentés ci-dessus ne veulent pas dire que la dimension sociale des MMOGs
est inexistante et qu’elle devrait être ignorée – au contraire. Nous pensons que
WoW montre qu’il est possible, voire même nécessaire, d’organiser ces jeux
autour de principes collectifs, différents des canons du genre.
Les autres joueurs : amis ou audience ?
Quand on demande aux usagers des MMOGs la raison principale de leur
attraction pour ce type d’expérience, une grande majorité cite le « facteur
social ». C’est la présence d’autres personnes – et non plus d’intelligences arti-
ficielles – qui place ces jeux dans une catégorie à part. Les études des pre-
miers MMOGs produits ont renforcé cette image en mettant en avant l’impor-
tance des activités collaboratives dans ces environnements, en particulier le
temps passé en petits groupes pour accomplir des missions de tout genre.
Nos analyses montrent que ces derniers pourraient ne pas être ce que les
joueurs recherchent vraiment. Il semblerait qu’un grand nombre d’entre eux ne
forment pas de groupes sur une partie importante du temps de jeu. Bien sûr, il
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est établi que tous les joueurs n’aiment pas forcément se socialiser. Si l’on
considère la taille considérable de WoW, cette absence de groupes ne peut pas
être entièrement attribuée à ces différences de styles – le phénomène est bien
trop répandu. Nos mesures, renforcées par nos observations ethnographiques,
nous ont conduits à redéfinir le rôle des autres joueurs dans un MMOG. Beau-
coup d’abonnés jouent seuls. Mais nous pensons qu’ils préfèrent se consacrer
à un MMOG plutôt qu’à un jeu solo à cause du « facteur social » qui le caracté-
rise. Les autres joueurs ont une importance considérable qui s’étend bien au-
delà de la camaraderie et des interactions directes offertes par un groupe formé
autour d’une mission. Ils représentent aussi une audience, une source de pré-
sence sociale, et un spectacle. Ces trois facteurs peuvent expliquer l’attrait de la
solitude collective qui a émergé de ces analyses.
Interagir avec une audience
Il est important de préciser que les MMOGs sont essentiellement des jeux
de réputation. Un personnage portant une armure et un équipement presti-
gieux, est un élément essentiel dans la construction identitaire. Ces objets
annoncent aux autres abonnés le statut du joueur et sa puissance, lui donnant
en retour un sentiment d’accomplissement personnel. Sans une audience à
laquelle ces objets peuvent être montrés passivement, par le simple fait de se
mouvoir dans l’univers virtuel, ces jeux ont peu de sens. La possibilité de se
construire une identité d’« élite » constitue un élément central de la socialité
des MMOGs. Former un groupe avec d’autres n’est qu’un moyen pour cette
fin, et ceci pourra être évité par un joueur s’il le souhaite. Par analogie avec
l’expression reprise dans notre introduction, ce ne sont pas « les autres person-
nes » qui rendent le jeu attirant, mais « l’image de moi-même que je forme grâce
aux autres joueurs ».
Les créateurs de jeux devraient prendre en compte de tels comportements
sérieusement. Plutôt que de se concentrer entièrement sur les éléments du jeu
qui amèneraient les participants à former des groupes, il pourrait être plus pro-
ductif d’explorer la manière d’encourager une interaction joueur/audience. La
notion de communauté dans les MMOGs tend à être définie de façon restric-
tive, référençant les villages mythiques d’autrefois où tout le monde se connaît
et se parle. Il est important de reconnaître qu’une large communauté de joueurs
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peut prospérer dans un contexte où les relations sociales sont beaucoup plus
indirectes, ce que WoW accomplit à merveille. Si ces environnements offraient
encore plus de moyens pour jouer non pas « avec », mais « en face » d’autres
joueurs, ils pourraient capitaliser sur cette tendance. Nous notons que cette
notion a fait ses débuts dans le domaine de l’interaction homme-machine, et il
semble profitable de l’étendre au MMOG.
Être entouré par d’autres
La sociabilité dans WoW est bien plus diffuse que dans d’autres MMOGs :
comme nos données l’ont aussi illustré, les opportunités pour des interactions
directes et intenses dans le cadre de petits groupes peuvent être rares. Malgré
cela, WoW ne semble pas être un environnement asocial. Nous pensons que le
système de communication du jeu y contribue. Dans WoW ils ne sont pas limi-
tés par la distance. Chaque zone a un canal « général » qui diffuse les messa-
ges de chaque joueur à tous les autres présents à ce moment, et le canal de la
guilde permet aux membres de ces associations de communiquer où qu’ils
soient dans le monde virtuel. Ceci peut apparaître irréaliste et contraire au sen-
timent d’immersion que les créateurs de jeux vidéo cherchent à produire. Il offre
l’équivalent du pouvoir de télépathie, et beaucoup de MMOGs préfèrent limiter
ce genre d’échanges sur la base d’un modèle plus spatial (SWG est encore une
fois un exemple évident). Le système de WoW, qui peut paraître simpliste au
premier abord, a un effet très important : il contribue au sens de la présence
sociale.
Si peu de joueurs décident d’utiliser ces canaux de communication, le sim-
ple fait qu’ils soient ouverts à une large fraction de la population leur permet
d’atteindre très rapidement une masse critique. Un flot constant de messages
va défiler dans la « chat box ». Chaque joueur a l’impression d’être entouré par
d’autres personnes, qui ne sont pas immédiatement visibles dans l’univers 3D
du jeu. Chacun peut choisir d’intervenir dans ces conversations à son gré, ce
qui leur donne un ton teinté d’humour ou informel. Ces canaux offrent aussi
accès à une source d’aide instantanée : une demande d’information dans le
« général » reçoit bien souvent plusieurs réponses en l’espace de quelques
secondes. Par analogie, jouer à WoW est très similaire au fait de lire le journal
dans un café populaire. Le sentiment d’être dans un espace public, étant
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attractif, on décide d’y avoir des activités individuelles qui auraient très bien pu
être accomplie à la maison ou ailleurs. WoW est plus qu’un simple jeu solo. Il
est aussi moins intense sur le plan social qu’on pourrait s’y attendre.
Le rire des autres
Il est important de noter que les autres joueurs, même de parfaits inconnus,
peuvent être une source constante d’amusement. Lors de nos voyages à tra-
vers le monde d’Azeroth nous avons pu observer un nombre significatif de brè-
ves interactions teintées d’humour. Par exemple une danse impromptue entre
les passagers en attente d’un bateau. Ou un gnome s’affublant d’un casque de
plongée au milieu d’un regroupement d’humains bien plus grands que lui, don-
nant ainsi l’impression qu’il nage a dans une forêt de jambes. Les autres
joueurs d’un MMOG sont importants parce qu’ils représentent un spectacle.
Chaque opportunité pour une interaction humoristique peut contribuer grande-
ment au succès d’un univers persistant.
Et encore une fois, il semble que les créateurs de WoW ont parfaitement
intégré cette notion : leurs mondes virtuels ont souvent des éléments comi-
ques. Le jeu propose un grand nombre d’objets qui ne sont pas directement
utiles à la progression. Ils peuvent être appropriés à des fins amusantes. Le
casque de plongée mentionné ci-dessus est l’une de ces possibilités. WoW
offre une commande « /silly » qui permet à chaque personnage de proférer une
phrase comique aléatoire, au cas où le joueur manquerait d’inspiration ! Ces
détails qui peuvent paraître triviaux sont très importants pour la vie sociale d’un
environnement multijoueurs.
Les communautés ludiques et le capital social
Nos observations ont montré qu’une écrasante majorité de guildes ont
35 membres avec une taille moyenne de 14,5. Le taux de rotation est impor-
tant, et de nombreux joueurs quittent régulièrement leur association pour être
remplacés par d’autres. Le taux de mortalité des guildes est aussi relativement
élevé (21 %). Ces données donnent l’impression que les faire croître et les sou-
tenir au cours du temps est une tâche difficile, peut-être plus que de gérer un
groupe dans un contexte « réel ». Du point de vue d’un créateur de jeu vidéo
ceci est clairement problématique. Les guildes encouragent les joueurs à s’in-
I 61 I
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vestir plus et à former davantage de groupes pour accomplir leurs missions.
Aussi, un MMOG comme WoW semble avoir le potentiel pour créer du capital
social entre les joueurs. Mais tous n’en bénéficient pas. Il est important de ne
pas oublier que WoW offre également une expérience collective plus indirecte,
mais peut-être tout aussi satisfaisante.
Plusieurs raisons peuvent expliquer ce phénomène. Malgré leur attache-
ment au jeu, WoW reste un loisir pour ses abonnés. Face aux contraintes du
« monde réel » qui peuvent les forcer à se détacher du jeu, beaucoup préfèrent
probablement quitter leur guilde. Pour les responsables de ces associations, la
rétention des membres est difficile. Les communautés ludiques pourraient bien
être limitées, de par leur simple nature, à une croissance limitée : seuls les
joueurs les plus motivés décident de s’investir sur le long terme, sans doute au
dépens d’autres activités.
Les guildes sont clairement divisées entre un groupe central, jouant active-
ment ensemble, et d’autres plus périphériques qui interagissent avec difficulté.
Ces derniers développeraient un attachement beaucoup plus limité à leur
guilde. Nous avons aussi vu qu’en rejoindre une devient de plus en plus difficile
au fur et à mesure de sa croissance, ce qui renforce le problème. Nous pen-
sons que ces problèmes de cohésion sont dus en grande partie à un méca-
nisme commun à tous les MMOGs : la progression par niveau.
Les joueurs éloignés de 5 niveaux ou plus ne peuvent pas former de grou-
pes viables pour les quêtes. Car les joueurs de niveau plus faible meurent
constamment. Ou bien, si le niveau de la quête est plus faible, les joueurs de
haut niveau ne gagnent pas de point d’expérience et ne progressent pas. Ceci
crée une asymétrie qui peut être très problématique pour la formation de liens
sociaux. Il est très probable que le cœur de chaque guilde soit constitué par les
fondateurs de l’association et leurs amis, qui ont tous commencé à jouer au
même moment et synchronisent leur progression. Les futures recrues – ou les
joueurs en retard qui ne progressent pas au même rythme – ne peuvent former
des groupes que si suffisamment d’autres joueurs de même niveau sont dispo-
nibles. En d’autres termes, si les fondateurs d’une guilde ne recrutent de nou-
veaux membres que sporadiquement et sans considérer leurs niveaux, ces
recrues risquent de rester isolées et d’abandonner le groupe. Seules les guildes
de « fin de jeu » ne connaissent pas ce problème. Ces associations se concen-
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’Univers
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trent sur les donjons et les zones les plus difficiles du jeu, qui demandent des
joueurs de niveau 55 à 60. Par définition, tous les joueurs de ces guildes ont le
niveau requis pour jouer ensemble. Celles qui survivent suffisamment long-
temps pour amener la majorité de leurs membres au niveau 55 et au-delà,
bénéficient du même effet. Et nos observations ethnographiques montrent que
les plus importantes sont bien des guildes « de fin de jeu », pour lesquelles les
problèmes de niveau n’existent plus. Ceci tend à confirmer notre hypothèse
que la taille et la cohésion sont directement affectées par ces différences de
niveau.
Cette analyse fait état d’une tension importante dans la pratique du joueur,
entre ses disponibilités hebdomadaires et la maintenance du capital social. Si
ce dernier saute des étapes de ce « tapis roulant » imposé par le système de
progression, il ne peut rapidement plus jouer avec ses amis. Il semblerait que
les MMOGs, de par leur structure, ne supportent pas la formation de relations
sociales entre joueurs occasionnels, et ceci pourrait être une des raisons expli-
quant la prédominance du jeu « solo » dans WoW. Trouver des mécaniques qui
préservent les aspects clairement attachants de WoW, et qui dépassent aussi
les limitations de la progression par niveau pourrait être la clé du succès pour
les MMOGs de la prochaine génération.
De la solitude collective à d’autres formes de gamedesign
Ces observations montrent que les MMOGs sont des environnements
sociaux réussis. La nature et la prévalence de ces activités diffèrent de façon
significative des comptes-rendus disponibles. Le temps de jeu passé en
groupe semble faible, surtout dans les premières étapes de la vie d’un person-
nage. Au lieu de jouer avec leurs co-abonnés, les participants les utilisent plus
comme une audience, une source de spectacle, et une source diffuse, mais
aisément accessible, de conversation et d’information. Pour beaucoup, jouer à
WoW représente donc une forme de solitude collective. À savoir un univers vir-
tuel où chacun est entouré d’autres humains, mais n’interagit pas nécessaire-
ment avec eux. Étant donné le succès de WoW, cela suggère de possibles stra-
tégies alternatives pour la conception de ces jeux en ligne. Les interactions
directes entre joueurs pourraient devenir moins importantes que la création et
le maintien d’un sens de présence sociale et de spectacle.
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Les données montrent que les groupes formés autour de quêtes pourraient
ne pas être ce que les joueurs recherchent. Les guildes ont un impact positif et
significatif sur leur expérience. Elles facilitent la création de groupes quand ils
sont requis, encouragent les joueurs à s’impliquer davantage et plus fréquem-
ment, et offrent une source de soutien et de sociabilité constante à travers leur
canal de communication réservé « guild chat ». Elles doivent aussi affronter de
sérieuses difficultés qui compromettent leurs chances de croissance et de suc-
cès, et limitent la formation de capital social. Ceci pourrait simplement être dû
à un mécanisme caractéristique des MMOGs : la progression par niveau. Héri-
tée du monde des jeux de rôle sur papier – comme Donjons et Dragons –, ce
système force les joueurs à se synchroniser. Les écarts de niveaux entre les
membres d’une guilde compromettent sa cohésion et limitent le nombre de
partenaires disponibles pour chaque joueur, cet effet pouvant expliquer partiel-
lement le taux de mortalité extrêmement élevé de ces associations.
Par-dessus tout, nos mesures montrent que les récompenses et les challen-
ges sont savamment distribués dans WoW. Ce jeu est une expérience réussie
sur la motivation des joueurs, avec des éléments de conditionnement qui peu-
vent rappeler les théories de Skinner. L’engrenage subtil et agréable de WoW
est pour beaucoup dans le temps de jeu consacré à cet univers persistant, et
montre comment un MMOG peut être attractif pour un marché bien plus large
que celui de ses prédécesseurs (comme EverQuest). La question est mainte-
nant de savoir si cette recette pourra continuer à fonctionner de nombreuses
années, ou si les concepteurs trouveront de nouvelles façons de nous impli-
quer encore davantage dans des mondes virtuels.
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« L’industrie des jeux vidéo, si elle voulait embrayer sur cette mutation, doit dans ce cas concevoir lesjeux, comme des outils générant de la fiction partagée, et non plus de la fiction pour le sujet joueurlui-même. Ce qui l’amènerait à penser au-delà d’une logique de « produit », à concevoir des mondes,des animations, des processus techniques et de valorisation, dépassant de ce qui existe aujourd’hui,notamment dans les MMORPGs ou dans beaucoup de jeux vidéo. » >> Zone 64
039-098-Zone2-CU-v6 19/03/08 15:55 Page 64
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Combattre ensemble
dans un MMORPG23
Par définition, les MMOGs mettent en relation des centaines, voire des mil-
liers de joueurs qui interagissent ensemble selon les règles de gameplay imagi-
nées pour chaque univers. Le personnage endosse des rôles divers détermi-
nant ses responsabilités au sein des communautés. Dans un cycle immuable et
par mimétisme avec la réalité, des « aventuriers » explorent de lointaines
contrées « virtuelles » et partent en quête de trésors fabuleux et matières pre-
mières rares, que des « artisans » utiliseront pour ériger des forteresses ou
fabriquer des objets plus ou moins utiles à tous. Ils seront ensuite vendus par
des « commerçants », notamment à des « combattants » aguerris, réunis en
guilde ou ayant fait serment d’allégeance à des « monarques » régnant sur tout
ou partie du monde virtuel. Tous, à des degrés divers, se révèlent successive-
ment explorateurs, à la poursuite de performances ou de rapports sociaux, que
ce soit en qualité d’artisan ou de soldat, en tant que chef de guilde ou de
guerre, voire même à la tête de cités entières. En fonction des capacités et
compétences minutieusement choisies par le joueur, les quelques milliers de
personnages d’un univers ont tous vocation à trouver une place au cœur de la
collectivité. À ce jour, si le combat contre des créatures hostiles ou contre d’au-
tres joueurs, est la base du gameplay de nombre de MMOGs, des « profils »
caractéristiques ressortent au sein de ces petits groupes de combattants,
autant que dans la vie sociale de ces univers.
Stratégies et profils des petits groupes de combattants
Aurélien Pfeffer, Nicolas Chollet, JeuxOnLine
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Quel type de combat préférez-vous dans les MMOGs ? (1)
Offensif, 33 % 183 votesj’inflige un maximum de dommages au corps à corps (épée, hache)
Défensif, 8 % 45 votesje protège et encaisse au corps à corps (maniement du bouclier)
À distance, 26 % 146 votesje frappe de loin et disparais (archerie, sorts, fusil de précision)
J’affaiblis pour mieux vaincre 8 % 46 votes(malédiction, poisons, irradiation)
Je manipule 11 % 61 voteset envoie mes sbires combattre pour moi (pets, charme)
Avec des machines de guerre 6 % 31 votes(béliers, trébuchets, tanks)
Moi, je soigne 21 % 116 votes(classes de support)
Vive la cueillette de fleurs 17 % 93 votes
(1) Sur JeuxOnLine.info, créé le 09 mai 2005. Chiffres du 27 janvier 2007, 555 votants.
Les règles de combats des MMOGs reposent souvent sur des bases com-
munes. Les stratégies employées consistent généralement à envoyer un
« éclaireur » ayant la possibilité de se camoufler ou de se déplacer silencieuse-
ment. Il cherchera à repérer les effectifs adverses et choisir une cible. Une fois
l’ennemi identifié, son rôle est de l’isoler et de l’amener loin de ses alliés en lui
infligeant des dommages légers, et tout en restant à bonne distance. L’éclaireur
sera alors qualifié de « pulleur ». Il s’agit d’un néologisme issu du verbe anglais
« to pull », désignant le fait de tirer ou d’attirer quelque chose à soi. Le plus
souvent, un adversaire cherchera à fuir et appeler de l’aide si le coup porté est
violent, ou à se défendre lorsque la blessure n’est pas importante. Si le pulleur
a bien dosé son attaque préliminaire, l’ennemi est censé le prendre en chasse.
Il peut être conduit droit dans une embuscade, auprès des compagnons d’ar-
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mes de l’éclaireur. Une fois au contact d’un groupe de plusieurs assaillants,
l’opposant porte généralement ses impacts sur l’attaquant le plus redoutable,
celui qui inflige le plus de dégâts. Ce comportement impose des choix stratégi-
ques, car en règle générale les personnages les plus efficaces offensivement
souffrent de graves carences défensives. Inversement, les plus résistants se
révèlent peu dangereux pour l’ennemi. Les joueurs doivent réussir à se syn-
chroniser pour utiliser au mieux les compétences de tous, au profit du groupe.
Lorsque l’adversaire arrive au contact des assaillants, le personnage bénéfi-
ciant des défenses les plus efficaces – souvent appelé « tank » – l’engagera au
corps à corps pour d’encaisser les dommages à la place de ses alliés les moins
résistants. Il peut railler et provoquer (« taunt ») l’opposant afin d’attirer toute
son agressivité. Cette abnégation,souvent propre aux classes de paladins,
laisse le champ libre pour porter les coups décisifs.
Infliger de lourdes atteintes à l’adversaire est généralement de la responsa-
bilité des « magiciens » ou « artilleurs ». On les appelle aussi les « casters » en
référence au verbe « to cast », lancer un sortilège puissant. Essentiellement
offensifs, ils sont très peu résistants au corps à corps et attaquent à distance
de l’ennemi, protégés par les « tanks ». Les « guérisseurs » (healer) se voient
confier la tâche de soigner et de veiller à la bonne santé de leurs compagnons
d’armes, se trouvant sous le feu adverse.
Le gameplay de combat s’enrichit de diverses variantes plus ou moins com-
plexes. Certains combattants peuvent soutenir leurs alliés en améliorant les
capacités innées, à l’aide de « buff » ou au contraire réduire celles des oppo-
sants avec des « debuff ». D’autres sont spécialisés dans le contrôle des dépla-
cements de l’adversaire et peuvent entraver ses mouvements, voire l’immobili-
ser totalement. On parle alors de crowd control. Ce rôle devient primordial
dans le cadre d’affrontements opposant plusieurs belligérants. Certains per-
sonnages disposent de l’aptitude d’invoquer et de contrôler des alliés qui com-
battront à leurs côtés. Ce sont les pets class. Ces derniers remplaceront, dans
une certaine mesure, les compagnons d’armes manquants.
Quelle que soit la complexité des jeux affichée, la base des combats est
souvent calquée sur un modèle similaire d’un MMOG à un autre. Cette typolo-
gie reposant sur les archétypes de pulleurs, tanks, casters et healers, est à la
fois le fondement classique du jeu de combat dans les MMOGs et la stratégie
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que tout joueur efficace se doit de maîtriser. Elle permet de distinguer les plus
expérimentés des novices. Cependant, ces règles finissent par s’user chez les
joueurs d’expérience, en quête de nouveaux challenges. Le défi des game
designers consiste dans ce cas, à imaginer un gameplay complexe qui révolu-
tionne les canons du genre, tout en restant accessible à tous.
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Le plus grand raid de l’Alliance contre la HordePeu avant le lancement officiel de « Burning Crusade » et pour marquer la fin de la
version originale de World of WarCraft, la plupart des guildes de l’Alliance du serveur
Sargeras a organisé un raid massif contre la Horde.
Le 11 janvier 2007, plus de 480 joueurs se sont rassemblés pour fondre simultanément
sur les différentes capitales de la Horde.
D’abord regroupés en 12 petites formations pour ne pas éveiller l’attention
de l’ennemi, les clans se sont rapidement retrouvés pour former trois raids
de 120 personnes chacun. Simultanément, chacun d’eux s’est attaqué à une capitale
différente : le premier est parti à l’assaut de Thunder Bluff, capitale des Taurens,
le deuxième a investi Tirisfal Glades, repaire des morts-vivants,
et le troisième est monté sur Orgrimmar.
En fin de soirée, une nuée de plus de 500 combattants de l’Alliance s’abattait sur
Orgrimmar, avant que le serveur Sargereas ne rende l’âme sans nous laisser le temps
d’éliminer les chefs des capitales.
WoW n’est malheureusement pas fait pour les grands rassemblements.
Communauté JeuxOnLine
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GriefPlayers : les empêcheurs dejouer en rond
24
Un point de vue ethnométhodologique a été adopté pour enquêter sur la
construction des phénomènes de « déviance » autour des pratiques appelées
« griefplayers » dans les MMORPGs. Ce sont des « empêcheur de jouer en
rond ». Ils manifestent des comportements perturbants, qui affectent l’expé-
rience des autres joueurs. Les définitions disponibles sur ce sujet sont actuelle-
ment ambiguës, changeantes et fort subjectives. Ce qui se joue dans l’identifi-
cation d’un acte de griefplay est autant la recherche d’une punition que la négo-
ciation des règles et des normes de ces univers.
Le griefplay
Le griefplay (GP) est un phénomène caractéristique de la culture des
MMORPGs, que l’on qualifie de « déviance » dans ces sociétés virtuelles. Les
griefers iraient à l’encontre les lois, des codes, des préceptes de conduite et
des normes, ou ignoreraient les règles de vie en communauté. Les études sur
ce phénomène sont encore peu répandues. Les premières décrivent souvent
un comportement antisocial ou un moyen alternatif d’acquérir une gratification
pour les joueurs. La plupart des chercheurs considèrent les actes de griefplay
comme des circonstances objectivables révélant la nature des conflits dans
ces univers. Cette approche permet de mieux comprendre les régimes d’in-
fluences et les motivations de ces derniers. Le phénomène est connu. Les
La construction de la norme et la déviance dans les jeux en ligne
Lin Holin, Chuen-Tsai Sun
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joueurs s’en défient et cherchent parfois à amener les griefers devant la justice.
À titre d’exemple, le site de Microsoft(1) donne dix manières de se défendre
contre les « cyberbullies » – autre terme baptisant les empêcheurs de jouer en
rond – et les griefers, à partir du moment où ces derniers sont identifiés. Des
théoriciens de l’identité sociale (Hogg, Abrams, Otten et Hinkle) ont appré-
hendé ces comportements, à travers la notion de « différenciation collective ».
L’effort collectif permettant de qualifier et distinguer les auteurs de tels com-
portements, va émerger dans la confusion, les conflits, la frustration, et l’ex-
pression de témoignages relatifs à ces perturbations. L’exploration de ce phé-
nomène contribuera à comprendre la manière dont l’ordre et la norme se met-
tent en place à travers ces interactions sociales autour des griefers.
L’ordre prend plusieurs configurations dans les mondes virtuels. Il vient des
règles du jeu, déterminées par le système et sa technologie, qui conduisent à
des sanctions automatiques en cas de violation de ces dernières. Le pouvoir
administratif est brandi par les gamemasters afin d’imposer certaines formes
de régulation. Les normes sociales sont construites et renforcées par la partici-
pation des acteurs aux diverses interactions sociales. Comment les joueurs
négocient-ils collectivement les règles pour résoudre leurs conflits et les frus-
trations qui apparaissent, dans cette nouvelle frontière ? Comment est construite
la notion de griefplay ? Comment les joueurs se réfèrent-ils à ce dernier ? Ce
concept a-t-il des limites claires ? Est-ce que les griefers peuvent être réelle-
ment identifiés ? Si les interprétations de ces déviances ne sont pas évidentes
dans les mondes virtuels, comment les normes communautaires peuvent-elle
être comprises, et l’ordre social se mettre en place ?
Des personnes difficiles à identifier
Des données ont été collectées à partir des deux MMORPGs les plus popu-
laires à Taiwan, Lineage et Ragnarok Online (RO). Une vingtaine d’interviews
individuels et neuf focus groups ont été conduits avec des griefers et des
« non griefers ». 53 personnes ont été interviewées parmi lesquelles 20 femmes.
Les thèmes concernaient la question de l’identification des perturbateurs, la
compréhension du phénomène, et les attitudes à adopter envers ces derniers.
(1) www.microsoft.com/athome/security/children/griefers.mspx
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À partir d’un échantillon libre – en termes de sexe, d’âge, de niveau d’édu-
cation et de métier –, les personnes interrogées – 12 élèves de collège, 8 lycéens,
15 étudiants, 5 étudiants diplômés, 2 journalistes, un travailleur social, et un
enseignant de lycée – avaient entre 11 et 54 ans. Nous avons collecté et ana-
lysé des discussions sur deux des plus grands forums taïwanais, Bahamut,
Gamebas, ainsi que sur Palmarama, consacré au jeu Lineage. D’autres don-
nées ont été rassemblées à travers une observation participante. Des interac-
tions personnelles avec des joueurs nous ont permis de nous familiariser avec
les questions. L’expérience acquise par les auteurs durant 500 heures de
connexion a permis d’avoir une meilleure compréhension de la base du fonc-
tionnement communautaire dans ces univers persistants.
Les griefers sont difficiles à identifier et les chances de poursuite de ces
derniers sont faibles. Néanmoins les plaintes des joueurs et leurs échanges
d’informations sur ce sujet alimentent le support du jeu et le service apporté
aux personnes offensées. Ils amènent à trouver des consensus « sur la bonne
façon de jouer ».
L’idée la plus courante circulant sur les espaces d’échange, suppose que le
fait de punir permettra de rendre le jeu plus sécurisé et agréable. Cependant, le
terme griefplay couvre un spectre large « d’activités dérangeantes ». Elles vont
de la violence verbale au « ninja looting », ou « scamming », sortes de triche et
d’arnaque ; ou au fait d’attaquer les personnages d’autres joueurs. Nos décou-
vertes confirment les observations faites par Foo et Koivisto, à savoir que les
définitions du griefplayer sont ambiguës, changeantes et fortement subjecti-
ves. Et que si quelqu’un désigne et identifie le griefer, il y a toujours au moins
une personne pour affirmer que ce n’en est pas un.
Une autre raison explique la difficulté de définir ce phénomène de griefplay :
un concept « fourre-tout » pour les conflits interpersonnels. Voici l’extrait d’un
message posté sur le forum du jeu Lineage : « Le griefplay concerne la réaction
de chacun aux problèmes qu’il rencontre dans le monde virtuel. Peu importe la
nature du trouble, c’est toujours la faute des griefers ! » Leur perception est for-
tement dépendante du parcours de chaque joueur. Les femmes et les hommes
ont des attitudes différentes, par exemple à l’égard du harcèlement, et la ques-
tion de l’âge est aussi un autre facteur. Nous avons trouvé que les personnes les
plus âgées avaient une vision plus pragmatique et générale des comportements
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déviants. Pour les collégiens : « si quelqu’un te suit intentionnellement », ou « si
quelqu’un insiste à vouloir te parler », peut relever d’un acte de griefplay. Les
lycéens considèrent que seules les actions causant de réels dommages font
partie du griefplay.
Dans la mesure où le griefplay est ambigu, et perçu différemment en fonc-
tion du parcours de chacun, il n’y a pas de consensus sur l’identité des griefers
au sein de chaque communauté. Les griefers ayant été identifiés et jouissant
d’une réputation font figure d’exceptions. En général ils sont aussi fiers de ce
statut et expriment une certaine moquerie à l’égard des règles du jeu, et en
créent ainsi de nouvelles. Un membre d’une alliance de griefers nous en donne
une illustration : « Je pense que nous sommes les seuls à connaître réellement
la nature de Lineage et à savoir comment jouer avec. » Dans ce cas, sont-ils
des déviants ? D’après Howard Becker, le degré avec lequel un acte sera consi-
déré dépend de qui celui qui l’a commis. Les règles s’appliquant plus à certai-
nes personnes qu’à d’autres.
Le fait d’agir à travers un avatar, ne débouche pas sur une relation de per-
sonne à personne. En plus de l’utilisation de pseudonymes dans les jeux en
ligne, ce facteur complexifie la question de l’identité. Il y a de fortes probabilités
qu’un joueur touché ne rencontre plus jamais son « agresseur ». Le comporte-
ment des griefers se distingue de celui des « newbies », débutants, très enclins
à être décrits comme tels. Par ailleurs, les attributs des avatars déviants sont
basés sur des suppositions à propos de leurs identités réelles – par exemple je
suis « un jeune lycéen » ou quelqu’un « avec peu de connaissances ». À partir
des entretiens personnalisés, nous avons appris que l’âge que l’on prête à ces
perturbateurs détermine souvent la manière dont ils sont perçus. Les lycéens
font l’objet de beaucoup d’à priori sur ce sujet qui oppose adultes et adoles-
cents. En accusant les griefers d’être des enfants, les adultes tentent ainsi de
redéfinir l’âge légitime pour jouer.
Le débat sur un tel sujet reflète un processus par lequel la norme émerge
graduellement dans les jeux en ligne. Cela commence avec les joueurs offen-
sés qui décrivent et portent des accusations autour de l’agression dont ils sont
victimes. Ils réfléchissent à une revanche, se font conseiller, intentent différen-
tes formes d’actions. Par exemple, pour obtenir une carte de membre dans un
groupe dédié à la capture de ces offenseurs, à la restauration des biens perdus
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ou au fait de démasquer leur identité, certains vont créer un nouvel avatar et
devenir à leur tour des griefers. Quelques participants menacent souvent de
quitter le jeu. De telles réactions ne reçoivent pas un accueil favorable. Beau-
coup les ignorent et répondent quelque chose comme : « Laissez les griefers
tranquilles, c’est juste un jeu ! » Le plus souvent, ces joueurs frustrés restent et
se plaignent de l’ordre en échangeant des commentaires et des critiques. Par
la suite, une énonciation de la norme va pouvoir être établie. Un joueur a posté
le message suivant : « Quand par hasard je ramasse l’équipement d’un avatar
mort, je le lui rends toujours. Même si je joue un personnage féminin, je ne cher-
che pas à extorquer de l’argent aux autres joueurs. J’ai beau avoir renoncé à
mon précédent serment, j’en respecte toujours les principes. » Des efforts ont
été faits ici pour faire une distinction claire entre le jeu régulier et le griefplay.
Quelques participants auront des attitudes et des perceptions plus élaborées
sur le phénomène. Un autre a posté ce message : « Tout le monde peut avoir
été battu par un griefer et quelques autres le deviendront à leur tour à cause de
cela. » Ou encore : « Je suis content d’avoir résisté à cette tentation. Je n’ai pas
perdu mes valeurs à cause des dommages subis. Beaucoup de joueurs peu-
vent devenir des griefers après de telles expériences, mais pas moi. »
À travers ce processus de négociation, sur ce que sont vraiment ces com-
portements et la manière de s’y adapter, les joueurs établissent un ordre moral
pour légitimer les actions dans ces mondes persistants. En identifiant ces
déviances, les participants essayent d’y définir les règles, exactement comme
ils le font dans le monde physique. Cependant, les caractéristiques de l’inter-
face, comme le fait d’apparaître sous un pseudonyme, rendent les punitions
directes et les sanctions plus difficiles. En débattant, les membres de la com-
munauté clarifient peu à peu les valeurs de la société virtuelle.
Les seuls candidats considérés unanimement comme des griefers sont en
fait les récidivistes. Ces excès continuels constituent le point extrême d’un
spectre de l’ordre moral dans les mondes virtuels que sont les MMORPGs. Au-
delà de cette catégorie explicite, la définition du griefer reste insaisissable,
ambiguë, et multiple. Les notions de norme et de déviance dans les jeux en
ligne ne sont donc pas suffisamment objectivables à ce jour. Elles changent
continuellement le système de valeur, au gré d’affaires quotidiennes, sujettes à
l’interprétation de chacun dans ces mondes en ligne.
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Les funérailles virtuelles d’un joueur vraiment mort
Cela se passe en avril 2006, pendant la période de fête nationale chinoise.
L’histoire raconte qu’une joueuse de la région de Beijing, surnommée Snowly dans
Word of WarCraft, succombe à un arrêt cardiaque. Nous apprendrons plus tard qu’il
s’agissait d’un garçon de 28 ans... La légende urbaine est née.
Peu avant son décès, Snowly déclarait à ses amis qu’elle allait aborder une phase
délicate du jeu, le Black Dragon Prince, et se disait alors fatiguée. Quelques jours
après le drame, sa guilde, composée de joueurs qui, pour la plupart, ne l’avaient jamais
rencontrée, prit l’initiative d’organiser des funérailles dans WoW, au bord d’un lac.
C’est alors que les Serenity-now, une guilde rivale, les attaquèrent par surprise et les
décimèrent jusqu’au dernier. Ayant prémédité leur acte, ils filmèrent la scène et la
diffusèrent sur l’Internet, exprimant un mélange de fierté, d’humour et d’arrogance.
Cette action suscitera un débat parmi les communautés de joueurs du monde entier,
mais aussi chez de nombreux bloggers. Deux grandes tendances apparurent.
Certains considérèrent que la guilde en deuil n’avait pas à organiser un tel événement
sur un serveur de PvP, donc dédié à la guerre.
« Le serveur PvP c’est un serveur de combat 100 % entre joueurs, à tout moment,
partout. Pas d’accord ? » [Pifou, 060706]
Alors que d’autres estiment que cet hommage méritait un certain respect. « […] Je ne comprends pas ceux qui disent que de toute façon c’est virtuel.
Les relations avec un joueur ne sont pas virtuelles. Elles existent, c’est comme
de correspondre par lettres, ça n’a rien de virtuel, on s’adresse à une vraie personne.
Ok, on ne l’a jamais vue. Ça n’empêche pas de pouvoir ressentir du respect et de l’amitié
pour cette personne avec laquelle on a passé des heures et des heures de jeu.
Et d’être touché par sa mort. » [ANDROMALIUS, 150406]
Entre les deux, on trouvera de nombreuses argumentations sur le caractère
transgressif de l’événement. Et des points de vue circonspects : « Plus subjectivement j’avoue que si la situation m’arrivait, bien que mort j’aurais honte
d’une telle mascarade, surtout venant d’inconnus […] » [LAADNA 150406]
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Certains déplorent avec fatalisme ces actions de griefplay : « C’est un acte de griefplaying comme il y en a sur tous les jeux où le système
le permet... On peut râler, s’insurger... oui, c’est dégueulasse. Mais pas parce qu’il y a
des règles tacites à respecter sur MMOG (y’en a pas) mais plutôt parce que
cela démontre d’un mauvais esprit navrant (prendre plaisir à piétiner les sentiments
d’autrui... je n’ai pas de mots pour qualifier assez négativement ce genre
d’attitude...) mais en définitive, vous pouvez hurler autant que vous voulez,
cela ne sert à rien […] » [MOONHEART, 060706]
ou encore : «…Alors, personnellement, ça ne me choque pas plus que ça que des joueurs organisent
un hommage pour un joueur qu’ils connaissaient de près ou de loin. Je veux dire que
ça n’est pas plus choquant que tout une tripotée de choses qui sont admises,
qui sont considérées comme normales par la majorité des gens : klaxonner de 22 h
à 4 h du matin quand la France gagne un match de foot, aduler le pape, la retraite
par répartition… » [EVA / CELIVIANNA, 070706]
Le débat dura plusieurs mois sur le seul site francophone JeuxOnLine.info,
où plusieurs centaines de « posts » seront consacrés à cette affaire peu commune.
Elle illustre bien le fait que des transgressions dans les univers persistants émergent
des questionnements, qui à la fois révèlent une « communauté » en devenir,
mais aussi mettent en regard de ces normes celles de nos sociétés. L’événement
pose en outre une question des plus anciennes, et qui a sans doute de l’avenir :
« Ce qui a vécu dans le virtuel, meurt-il vraiment avec soi ? »
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gouvernance des mondes virtuels
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Selon James Grimmelmann, professeur à l’École de droit de Yale, toutes for-
mes de gestion d’un univers virtuel est politique. Depuis le Léviathan de Tho-
mas Hobbes, puis le Contrat Social de Jean-Jacques Rousseau, il apparaît que
l’homme social vivant en communauté a vocation à organiser la société en défi-
nissant un corpus normatif régulant la vie en collectivité. Malgré une simplifica-
tion évidente des univers persistants, ils réunissent des milliers d’intervenants
qui interagissent et forment, ensemble, de véritables petites sociétés. Sur le
modèle de leurs homologues « réelles », elles reproduisent les mêmes mécanis-
mes politiques. Dès 1995, Howard Rheingold – mais aussi Théodore Newcomb
à propos des associations libres – désignait les communautés virtuelles comme
des « groupements socioculturels qui émergent du réseau lorsqu’un nombre
suffisant d’individus participe [...] avec suffisamment de cœur pour que des
réseaux de relations humaines se tissent au sein du cyberespace ».
L’existence de la communauté est conditionnée par l’émergence d’un senti-
ment d’appartenance au groupe et des interactions entre ses membres qui sont
aujourd’hui à la base du jeu en ligne et au cœur du gameplay des MMOGs. À la
même époque, en 1995, le professeur Pierre Léonard Harvey considérait les
communautés virtuelles comme « des groupes de citoyens ayant des interac-
tions fortes grâce à des systèmes télématiques à l’intérieur de frontières concrè-
tes, symboliques ou imaginaires ». Outre l’usage du qualificatif citoyen pour dési-
gner les membres du groupe – les investissant ainsi d’un rôle actif au sein de la
cité –, Harvey associe ces environnements à la notion d’espaces clairement déli-
mités par des frontières : « Les membres des communautés virtuelles partagent
des codes, des croyances, des valeurs, une culture et des intérêts communs. »
Communautés virtuelles et organisation politique
Aurélien Pfeffer
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Un contrat social s’instaure entre les membres d’une communauté, et s’im-
pose à tous au travers de l’établissement de « mécanismes de régulation qui
assureront la stabilité et le maintien du groupe ». Se fondent ainsi consciemment
ou non des « valeurs et systèmes normatifs », s’appuyant sur des codes formels
ou informels que les joueurs apprennent à connaître et à appliquer dans leurs
activités quotidiennes. Rheingold et Harvey délimitent le pourtour des commu-
nautés virtuelles par les mêmes critères juridiques que ceux définissant une
Nation : des membres liés par un sentiment d’appartenance, une reconnaissance
de la Nation et des frontières explicitement reconnues. Sans pousser trop loin
l’analogie, juridiquement, la Nation est le cœur de la légitimité politique d’un État.
C’est en suivant cette philosophie que John Perry Barlow rédigea sa « décla-
ration d’indépendance du cyberespace » dans laquelle il délimite les contours
comme « une éthique, des codes informels et un contrat social définis entre les
usagers ». Cette déclaration semble parfaitement applicable aux MMORPGs.
Cette analogie et le mimétisme pouvant exister entre les mondes virtuels et la
réalité est sans doute l’une des raisons pour laquelle la politique en tant que
système de gestion de l’univers devient aussi une composante du gameplay
des MMORPGs. Ceux-ci singent cette réalité, revendiquent le statut de socié-
tés. Les game designers organisent, dans une certaine mesure, l’exercice du
pouvoir politique par les utilisateurs, érigés au rang de véritables citoyens du
monde numérique qu’ils font vivre. Certains univers sont dotés de leurs propres
« lois » et « outils juridiques et législatifs » devant permettre la résolution des
conflits. D’autres vont plus loin et conçoivent la notion de « gouvernance » en
confiant le pouvoir aux résidents de ces environnements persistants.
Simulations sociétales et gouvernance
Sur le modèle de l’histoire des idées politiques, les moyens de régulation
des mondes virtuels ont évolué progressivement. S’inspirant des systèmes féo-
daux, de nombreux univers ont d’abord été gouvernés par des « entités supé-
rieures », des avatars dotés de pouvoirs quasi divins que l’on nomme générale-
ment en anglais des « wizards », littéralement des magiciens, depuis les pre-
miers MUD. En référence à Gandalf, le célèbre magicien dans Le Seigneur des
Anneaux de Tolkien, ces wizards étaient censés représenter des modèles de
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sagesse et donc les guides autoproclamés de leurs univers. Plus prosaïque-
ment, selon Julian Dibbell, le pouvoir despotique des créateurs de mondes
résulte de leur maîtrise du code informatique. Dans son ouvrage My Tiny Life
relatant son expérience dans le MUD LambdaMOO, Dibbell écrit : « Et au com-
mencement était le code. Et le code était tourné vers Pavel. » Pavel Curtis étant
créateur et wizard de LambdaMOO. On remarquera l’analogie avec les pre-
miers versets de l’Évangile selon Saint-Jean : « Et au commencement était le
verbe, et le verbe était tourné vers Dieu. » La référence divine est à peine mas-
quée. Véritables monarques despotiques – voire théocraties –, les wizards ont
néanmoins vu leur pouvoir politique évoluer progressivement de la tyrannie
vers une forme de démocratie virtuelle, sous la « pression populaire » des
joueurs acceptant plus ou moins bien le dictat de ces tyrans.
Gouvernance : entre théocratie et tyrannie virtuelle
Les wizards prennent généralement la forme de l’avatar des créateurs ou
des fondateurs de l’univers. Au cœur de Britannia, le monde du MMORPG
Ultima Online, Richard Garriott, le « père fondateur» de cette société fantasti-
que conçue sur le modèle de l’Europe médiévale, apparaît sous les traits du
monarque Lord British. Il est aisément reconnaissable par l’ensemble de la
communauté (ses sujets) grâce à sa couronne d’argent et sa tunique grise frap-
pée du serpent argent. En outre, Lord British se distingue par des attributs
quasi divins symbolisant sa puissance. Il est en effet invulnérable, immortel et
insensible aux attaques des autres joueurs. Malgré cette protection surnatu-
relle, le 18 août 1997 pendant le bêta-test d’Ultima Online, un joueur nommé
Rainz assassinat Lord British (l’avatar) en utilisant une brèche dans le système
de jeu. Peut-être fallait-il voir dans cet acte de lèse-majesté resté dans les
mémoires de cette jeune culture, un comportement œdipien visant à tuer le
« père fondateur » d’une « Terre mère » que les joueurs voulaient déjà s’appro-
prier. Quoi qu’il en soit, rapidement, le contrevenant fut banni du bêta-test
(équivalent à une condamnation à mort du personnage) pour avoir utilisé les
failles techniques du jeu sans les avoir reportées à l’équipe de développement.
Le « pouvoir politique » appartient à cette équipe, qui le revendique et n’entend
pas le partager. Déjà, une justice arbitraire et irrévocable pouvait s’abattre sur le
commun des joueurs mortels.
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Dans le cadre du MMOG The Sims Online – une simulation de société
urbaine contemporaine conçue sur le modèle d’une petite ville américaine –,
Will Wright, l’un des fondateurs du projet, disposait également de son propre
avatar baptisé Alan Greenspan qui lui permettait d’évoluer dans Blazing Falls.
Dans The Sims Online, la gestion de la collectivité était confiée au MOMI (Muni-
cipal Observation and Management Incorporated) et selon la licence d’utilisa-
tion du programme s’imposant à tous les joueurs, se faire passer pour un mem-
bre du MOMI était passible d’une « condamnation à mort » – bannissement du
joueur et destruction du compte de l’utilisateur ayant enfreint les tables de la loi
fondamentale gravées dans la pierre virtuelle. L’arbitraire fait place à la loi, mais
là encore, la sacralisation du régent du monde virtuel est réaffirmée. Quiconque
va à l’encontre du créateur s’expose au « courroux » divin. Malgré cette sacra-
lisation, un vent de révolte souffle régulièrement sur Blazing Falls. Alors qu’il
était à la tête du MOMI, à plusieurs reprises, lors de maintenances, Gordon
Walton (de l’équipe de développement de The Sims Online) dû supprimer cer-
taines évolutions du jeu afin d’assurer la stabilité du logiciel. Suite à cette « apo-
calypse virtuelle », nombre de joueurs s’insurgèrent contre ces pratiques jugées
dictatoriales. Le mécontentement était tel que Gordon Walton prit le nom de
« Tyrant » – littéralement, le tyran, le despote, voire le dictateur – et fit sienne la
maxime latine : oderint dum metuant (laissez-les me haïr, tant qu’ils me crai-
gnent). Le créateur du monde virtuel dispose techniquement de tous les pou-
voirs sur sa création, mais doit malgré tout composer avec les sentiments des
utilisateurs de son programme.
À ce titre, depuis 2003, The Sims Online est le théâtre d’élections visant à
désigner le président de Blazing Falls. D’après Peter Ludlow, professeur de
philosophie et de linguistique à l’université du Michigan et journaliste des mon-
des virtuels pour l’Alphaville Herald, cette simulation électorale fut, en 2004, à
l’origine de nombreux débats et discussions au sein de la communauté. Celle-
ci n’octroyait pourtant aucun pouvoir réel de gestion de l’univers mais jouait
« un rôle social améliorant la qualité du jeu » selon Ludlow.
Le 10 avril 2004, les 7 600 résidents de la capitale Alphaville – la plus impor-
tante des 10 villes du jeu – furent invités à désigner leur président pour la
deuxième fois de leur histoire en départageant les deux candidats encore en
lice. Il y avait d’une part le Mr. President qui était l’avatar d’Arthur Baynes,
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21 ans – déjà élu aux plus hautes fonctions en 2003 – et, d’autre part Ashley
Richardson, l’avatar de la jeune Laura McKnight, 14 ans. Inspirée du système
électoral américain, l’élection donna lieu à des primaires remportées par Ashley
Richardson – face à trois autres candidats militant pour l’ouverture d’écoles
virtuelles ou en faveur d’une réduction des effectifs de la police d’Alphaville.
Durant le mois de mars 2004, les deux prétendants s’affrontèrent dans le cadre
d’une campagne portant notamment sur des thèmes sécuritaires (comme la
lutte contre les scammers, des joueurs assimilés à des escrocs cherchant à
voler leurs pairs). S’appuyant sur le bilan de son premier mandat et malgré un
programme militariste critiqué, Mr. President fut réélu par 469 voix contre seu-
lement 411 pour Ashley Richardson. Cette dernière avait pourtant bénéficié du
soutien de Rachel Sauer, journaliste du bien réel Palm Beach Post, ayant
encouragé ses lecteurs à voter pour la jeune « candidate » californienne. En
dépit de la présence d’une Federal Election Commission chargée de veiller à la
régularité des votes, cette élection fut principalement remarquée pour les sus-
picions de fraudes électorales qui l’accompagnèrent (largement relayées par la
presse de l’époque). Selon Ashley Richardson, les votes de certains de ses
partisans n’auraient pas été comptabilisés alors que Mr. President avait
demandé au controversé JC Soprano de conseiller les joueurs ne parvenant
pas à s’acquitter de leur devoir. Ce dernier était connu dans Alphaville pour être
le chef de la mafia « virtuelle » locale. De son côté, Mr. President estimait
qu’Ashley Richardson avait enfreint la Constitution d’Alphaville en encoura-
geant ses connaissances à s’abonner au jeu le temps de l’élection pour soute-
nir sa candidature. Saisi de la prétendue fraude électorale, Maxis, l’éditeur de
The Sims Online, a admis ne pas pouvoir contrôler précisément l’identité et le
statut des votants, ni pouvoir empêcher les utilisateurs de développer leur pro-
gramme politique en dehors des frontières d’Alphaville. En 2004, Peter Ludlow
avait couvert cette élection pour l’Alphaville Herald afin d’en commenter le
déroulement.
Au-delà des questions de gouvernance – qui peut légitimement revendiquer
une forme d’autorité virtuelle sur les autres joueurs –, la conclusion de Peter
Ludlow tranchait sans doute toutes discussions : « Mr. President a pleinement
assumé son roleplay de politicien corrompu. » Dans The Sims Online, même si
la « politique » pouvait prendre des proportions inattendues – débordant parfois
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sur la réalité –, les enjeux restaient purement ludiques et s’inscrivaient unique-
ment dans un contexte de roleplay, à dimension théâtrale, voire dramatique.
Malgré ce type de simulations de démocratie, l’éditeur conserve tous pou-
voirs sur son univers et ce qui s’y déroule. Même simulés, lorsque les méca-
nismes démocratiques défaillent, les joueurs en appellent à ce dernier, censé
être impartial, afin qu’il tranche souverainement les litiges. Certains mondes
virtuels ont néanmoins fait le pari de la délégation de pouvoirs politiques aux
utilisateurs. Ces expériences (marginales) ont parfois été perçues comme des
laboratoires sociopolitiques virtuels permettant d’expérimenter de nouvelles
utopies.
Un despotisme éclairé
Certaines des expériences politiques les plus significatives furent lancées
dès 1991 dans le cadre du MUD imaginé par Pavel Curtis, LambdaMOO, déjà
cité. Au même titre que Richard Garriott dans Ultima Online, ce créateur et pro-
priétaire du serveur sur lequel LambdaMOO était hébergé, apparaissait comme
une véritable divinité ayant droit de vie ou de mort sur l’existence même de
l’univers qu’il avait créé. Il contrôlait le code et pouvait à tout moment arrêter
son serveur. Mais appartenant à un courant militant pour la liberté du cyberes-
pace – qui débouchera sur la « déclaration d’indépendance du cyberespace »
de John Perry Barlow en 1996 –, Pavel Curtis limita le pouvoir des wizards de
LambdaMOO à un despotisme éclairé. Les quelques wizards, l’auteur et quatre
autres développeurs, avaient pour vocation de gouverner l’univers virtuel, d’être
attentif aux plaisirs de la communauté, d’écouter les requêtes, résoudre les
conflits et punir ceux méritant de l’être. Ils pouvaient user de pouvoirs régaliens
au sens premier du terme. Ce choix apparaissait comme naturel en matière de
gouvernance. Mais peu à peu, face à l’ampleur du phénomène – LambdaMOO
accueillait de plus en plus de résidents –, Pavel Curtis et les autres wizards s’in-
terrogèrent sur leur légitimité à gouverner les autres résidents et sur le fonde-
ment de leur autorité dictatoriale. Les wizards de LambdaMOO, les divinités du
lieu, décidèrent donc unilatéralement de mener un coup d’État et de permettre
au « potentiel utopique de ce monde persistant » de s’exprimer.
Avec le développement technologique, il apparaît que des systèmes politi-
ques de plus en plus élaborés se sont mis en place, jusqu’à faire émerger de
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réels processus démocratiques plus ou moins complexes, dans lesquels les
décisionnaires sont élus par le peuple (les joueurs) pour définir le corpus nor-
matif de l’univers. Les créateurs confient à ce dernier le soin de proposer et
d’adopter les lois qui organiseront leurs relations.
Vers la démocratie... ou presque
Ainsi, le 9 décembre 1992, après avoir régné en maître absolu sur l’univers
de LambdaMOO, Haakon, l’avatar de Pavel Curtis, prononça un discours par
lequel il abdiquait de son rôle de wizard. « Je crois qu’il n’y a plus ici de place
pour les mamans-wizards, gardant le nid et essayant de discipliner les pous-
sins pour leur propre bien. Il est temps pour les wizards de transmettre leur rôle
de mère et de commencer à considérer cette société comme un groupe d’adul-
tes mus par des motivations et des buts indépendants. Ainsi, telle est la der-
nière décision sociale que nous prenons pour vous et qu’en tant qu’adultes
indépendants vous le souhaitiez ou non : les wizards se retirent de toutes for-
mes de gouvernance ; nous remettons ce lourd fardeau et la liberté de ce rôle à
la société dans son ensemble. Les wizards deviendront des techniciens qui tra-
vaillent pour la société. Eux et leurs proches deviendront un simple groupe de
résidents au sein de cette communauté, sans autres pouvoirs ou autorité
morale que n’importe quel autre intervenant. »
Avec cette déclaration Pavel Curtis se dépossédait de son univers pour le
confier à ceux qui le faisaient vivre. Il y inclut également un mécanisme délibé-
ratif (qui existe encore aujourd’hui) permettant la prise de décisions par voie
électorale. LambdaMOO, devient une démocratie directe virtuelle. Chaque rési-
dent a la possibilité de proposer des lois, adoptées ou refusées par l’ensemble
des joueurs afin de poser les principes généraux régissant le quotidien et de
trancher équitablement les litiges opposant les utilisateurs. Les normes qui en
résultent forment la Lambda Law. Comme le développe Jennifer Mnookin dans
son essai Virtual(ly) Law, la Lambda Law est issue des propositions et votes
des résidents qui adoptent ou rejettent, à la majorité, les lois qui gouverneront
leur univers virtuel. Les résidents sont dotés d’un véritable pouvoir décisionnel
susceptible d’influencer leur avenir virtuel. Le système normatif s’est néan-
moins révélé lourd à gérer et peu efficace. D’après Pavel Curtis, il générait plus
de conflits que les lois ne pouvaient en résoudre. Aujourd’hui, il n’est plus direc-
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tement appliqué et les délibérations n’ont plus qu’un rôle purement informatif.
L’avatar de Pavel Curtis a retrouvé ses attributs de wizards. Sans doute avait-il
compris que « le code informatique du monde de LambdaMOO était la loi et la
loi du monde de LambdaMOO était le code ». Malgré diverses tentatives mues
par une certaine idéologie libertaire, force est de constater que la plupart des
univers persistants restent sous le contrôle exclusif de leurs créateurs.
Quand les joueurs prennent le pouvoir
Même si les développeurs d’univers virtuels sont très attachés à leur création,
les joueurs n’en restent pas moins les principaux acteurs de la vie d’un monde
numérique. Et à ce titre, que ce soit sous l’impulsion des créateurs eux-mêmes
dans le cadre du gameplay d’un MMOG, ou après l’avoir conquis, parfois presque
par la force, ils peuvent revendiquer un véritable contrôle politique sur le jeu.
Un gameplay politique
La politique imprègne certains MMOGs à des degrés divers. Anarchy Online,
par exemple, appuie sa trame scénaristique sur un fond de lutte de classes
futuriste où une élite exploite un prolétariat en tous points similaire à celui, réel,
du XIXe siècle. Inspiré de la célèbre licence, Star Wars Galaxies repose égale-
ment sur un affrontement entre l’Empire, tenant de l’ordre, et une faction
rebelle, tout comme moult univers virtuels où ordre et chaos s’affrontent. Au-
delà de ces quelques exemples où une politique purement « cosmétique »
habille un monde, quelques MMOGs commerciaux intègrent dans leur game-
play une ébauche de systèmes politiques octroyant quelques pouvoirs déci-
sionnels aux utilisateurs.
C’est le cas d’Atriarch revendiquant la possibilité pour les joueurs d’influen-
cer l’évolution de l’univers en érigeant leurs propres cités dirigées par un gou-
vernement susceptible de lever l’impôt – chaque faction peut frapper sa propre
monnaie –, voter des lois ou dessiner ses routes commerciales. Dans une moin-
dre mesure, par l’intermédiaire de son système de guildes et d’allégeance, le
MMORPG Shadowbane intègre une gestion politique inspirée de l’Europe
médiévale. Intrigues, complots et assassinats politiques sont mis en avant.
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Peut-être plus complexe, le gameplay du MMORPG coréen Archlord – distribué
en Occident par le Britannique Codemasters depuis août 2006 – repose sur la
conquête du pouvoir politique, économique et militaire, en devenant, pour une
durée d’un mois, l’« Archlord » de l’univers médiéval fantastique de Kantra.
Pour parvenir à ses fins, le candidat devra d’abord réunir une série d’artefacts,
symboles de Kantra. Ce dernier nécessite un imposant groupe de joueurs sou-
dés pour surmonter les épreuves imaginées par les équipes de développement
du MMOG. Ils peuvent par la suite prétendre se faire élire comme Archlord. Le
gameplay d’Archlord repose sur un double processus électif : dans un premier
temps, le candidat devra faire montre d’un charisme et d’un leadership suffi-
sant pour mobiliser sous sa bannière les troupes nécessaires à la conquête et
la défense des symboles de Kantra. Et dans un second temps, il devra réussir à
s’imposer et obtenir les suffrages de l’ensemble des conquérants et prouver à
ses pairs qu’il mérite le statut suprême. Au-delà de l’expérience et des compé-
tences du joueur, le prétendant devra démontrer des qualités humaines aptes à
convaincre le groupe.
Mais sans doute moins démocratiques, certaines alliances de joueurs
détournent aussi parfois le gameplay politique des jeux à des fins moins altruis-
tes. Blizzard, le développeur de World of WarCraft, a par exemple intégré un
mécanisme de conquête de territoires. Une minorité de joueurs parmi les plus
puissants doit entrer dans la légende en surmontant une série d’épreuves épi-
ques dont le résultat sera l’ouverture, pour la totalité des joueurs du serveur,
d’un portail magique menant à de nouvelles régions à explorer. En février 2006,
la guilde Imperial Order a relevé le défi et réussi les missions permettant d’ou-
vrir le portail de Detheroc de World of WarCraft. Mais très pragmatiques, cer-
tains membres de la guilde ne se sont pas contentés de la gloire de l’exploit et
ont exigé, auprès de la population du lieu, le paiement d’un impôt – ou d’une
rançon – de 5 000 pièces d’or pour activer le portail. Auquel cas, celui-ci reste-
rait fermé à tout jamais pour tous.
Cette prise en otage a rapidement été taxée, au mieux d’opportunisme, au
pire de terrorisme virtuel et devant le tollé général, I’Imperial Order a finalement
indiqué qu’il s’agissait d’une blague et que le portail serait ouvert à tous. L’his-
toire peut faire sourire, mais soulève sans doute quelques interrogations quant
à l’usage que les joueurs peuvent faire du pouvoir politique qui leur est confié –
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volontairement ou pas – sur l’univers. Elle oblige aussi à souligner la puissance
démocratique et contestataire de la collectivité face à une élite minoritaire.
Même si le gameplay à base de « gouvernance » et de conquête du pouvoir
par les joueurs reste relativement marginal, rudimentaire dans la plupart des
MMOGs et parfois risqué, il apporte néanmoins une plus-value attractive pour
les game designers. La politique instaure une forme de régulation et de compé-
tition non violente entre les joueurs. Outre le fait qu’un système politique évolu-
tif s’intègre parfaitement dans le gameplay des MMOGs et qu’il donne un cer-
tain dynamisme à l’univers, d’après Matthew Mihaly, concepteur du monde vir-
tuel Achaea et diplômé en sciences politiques à l’université de Cornell, un tel
gameplay permet aussi d’identifier les leaders d’opinion. Ils sont susceptibles
d’endosser un rôle d’ambassadeurs chargés de remonter les doléances des
joueurs auprès du développeur, voire de jouer les médiateurs en cas de conflits
entre les joueurs et l’éditeur. Aujourd’hui, la plupart des studios de développement
de MMORPGs – par exemple EA Mythic pour Dark Age of Camelot – nomment
des représentants des utilisateurs les plus charismatiques ou reconnus par la
collectivité pour porter la voie des « résidents » au même titre qu’un syndicat
dans la société civile ou un député représentant le peuple au Parlement.
Ce sont précisément ces ressorts politiques qui ont servi de base au gameplay
A Tale in the Desert (ATID). Inspiré de l’Égypte antique, l’univers est gouverné
par un pharaon interprété par Andrew Tepper – fondateur du studio de déve-
loppement eGenesis à l’origine d’ATID. Basé sur un concept totalement paci-
fiste, ATID invite à faire émerger une société idéale reposant sur les « Sept dis-
ciplines de l’homme » – diverses activités essentiellement artisanales, symboli-
sant les créations dont est capable la société égyptienne de l’antiquité.
Dans ce contexte de simulation sociétale, le MMOG intègre le statut politi-
que de « demi-pharaon » accessible aux joueurs ayant réussi à se faire élire par
leurs pairs – les élections sont librement initiées par le pharaon, environ une fois
par mois. Ils tiennent une place importante dans la vie politique dans la mesure
où ils disposent d’un véritable pouvoir de régulation, intégrant notamment le
droit de bannir des personnages du MMOG (durant son mandat, chaque demi-
pharaon peut bannir un maximum de sept personnages. Afin de lutter contre
l’arbitraire et de s’assurer que les demi-pharaons agissent dans l’intérêt du
peuple, ils peuvent être destitués par une loi adoptée par n’importe quel joueur.
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ATID intègre en effet un mécanisme législatif ouvert à l’ensemble des joueurs
ayant le statut de « citoyens » permettant d’adopter puis de faire appliquer les
lois qui régiront les grands principes de l’univers. Cela peut concerner le pro-
cessus législatif lui-même : outre la destitution des demi-pharaons, des « lois
organiques » peuvent modifier la procédure législative si les joueurs l’estiment
nécessaire. Très démocratiquement, les citoyens peuvent enregistrer une péti-
tion au sein de l’université d’ATID et militer auprès des autres joueurs pour qu’il
la signe. Dès lors que la pétition obtient une adhésion suffisante, elle est trans-
mise à l’équipe de développement qui pourra en faire une proposition de loi.
Soumise aux suffrages, si la loi est adoptée (sous condition de quorum), les
développeurs s’engagent à l’intégrer durablement. C’est ainsi que le 19 mai
2004, les joueurs d’ATID ont adopté une loi visant à interdire le harcèlement
sexuel. Tout contrevenant peut donc voir son avatar banni du jeu (le joueur est
alors condamné à créer un nouveau personnage).
Même si ce mécanisme démocratique est parfaitement fonctionnel et est
aujourd’hui partie intégrante du gameplay d’ATID, on pourra noter que le pha-
raon Andrew Tepper, magnanime, a amnistié l’ensemble des condamnés lors
du lancement d’ATID 2, puis d’ATID 3, afin d’assurer le meilleur lancement com-
mercial possible à son MMORPG. Cette volonté de confier la gestion de l’uni-
vers au joueur répond aussi aux convictions libertaires d’Andrew Tepper. En
octobre 2004, eGenesis avait organisé une animation au cœur de laquelle un
personnage, le marchand Malaki, devait faire preuve d’une misogynie outran-
cière en refusant de commercer avec les avatars féminins et demande de trai-
ter uniquement avec leur « maître » de sexe masculin. Cette animation a fait
scandale et nombre de joueurs et joueuses avaient appelé au boycott d’un
MMORPG « assimilant la femme à une esclave ». Andrew Tepper avait défendu
son animation en affirmant son attachement à la liberté d’expression et rappe-
lant que les troubles pouvaient être réglés par la loi (même si dans ce monde,
elle s’applique aux joueurs et non à l’équipe d’animation du jeu). Cet exemple
illustre la portée politique du système législatif existant dans certains univers
virtuels, et surtout, la capacité de mobilisation des communautés qui le font
vivre – même hors du jeu. Un MMORPG peut être le vecteur de communication
au sein duquel il convient de défendre la liberté d’expression, faisant par consé-
quent de ce dernier un véritable média, nous y reviendrons.
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MMORPG : entre conquête politique et média militant
Même quand le gameplay des MMORPGs ne le prévoit pas explicitement,
les joueurs peuvent parfois s’arroger une forme de contrôle sur leur univers ou
contester le pouvoir absolu des développeurs. À titre d’exemple, en juin 2004,
d’après le JoongAng Daily, un millier d’utilisateurs coréens du MMORPG,
Lineage II, ont fondé la Online Consumers League, une association visant à lut-
ter contre le coût prohibitif de l’abonnement du jeu, mais surtout contre l’ab-
sence de mesures efficaces émanant de l’éditeur NCsoft pour endiguer la com-
mercialisation d’objets virtuels.
Plus récemment, Blizzard Entertainment a dû faire face à la fronde des
joueurs homosexuels de son MMORPG. Le 12 janvier 2006, Sara Andrews,
joueur transsexuel de WoW, écopait d’un avertissement pour « harcèlement et
orientation sexuelle » après avoir publié – sur un canal de discussion public
interne au jeu – une annonce de recrutement pour sa guilde, GLBT friendly,
ouverte aux gays, lesbiennes, bi et transsexuels. Le contrat de licence de World
of WarCraft sanctionne effectivement les comportements déplacés et les pro-
pos illégaux, injurieux, constitutifs de harcèlement, diffamatoires, vulgaires,
obscènes, haineux, explicitement sexuels ou racistes, etc., incluant selon
l’équipe de Blizzard, à la fois les propos clairement affirmés ou sous-entendus,
faisant référence à tout aspect de sa propre orientation sexuelle ou de celle
d’autres joueurs. En réponse à la demande d’explication de Sara Andrews, le
gamemaster auteur de la sanction explique son acte : « Merci de garder en tête
que nous décidons souverainement et discrétionnairement des propos que
nous acceptons ou non dans le jeu. Bien que certains propos puissent ne pas
sembler agressifs de prime abord, ils peuvent engendrer certaines réponses
d’autres joueurs et initier des discussions qui n’ont pas leur place dans notre
jeu. Aussi, je crains de ne pas pouvoir annuler, réduire ou revenir sur notre pré-
cédente décision » signifiant l’avertissement pour harcèlement. Rapidement et
largement diffusée – le Washington Post consacrera un article à l’événement –,
nombreux sont ceux à ne pas avoir compris qu’on puisse sanctionner un utili-
sateur préventivement en vue d’éventuelles réactions homophobes. Plusieurs
guildes GLBT friendly, réunissant parfois plusieurs centaines de joueurs de
WoW, se sont mobilisées pour contester cette sanction aux côtés de l’associa-
tion américaine Lambda Legal, revendiquant le statut de plus ancienne asso-
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ciation américaine de défense des droits civils des homosexuels. Dans un cour-
rier du 6 février 2006 adressé à Blizzard, Lambda Legal salue la volonté de l’édi-
teur de lutter contre le harcèlement et l’homophobie dans son jeu, mais
conteste les méthodes employées, jurisprudences à l’appui. Les juridictions
californiennes ont en effet estimé, dans une décision nommée la Butler v. Adop-
tion Media, que les mondes virtuels étaient des espaces publics. Or, Lambda
Legal rappelle que les discriminations à l’encontre des homosexuels sont pro-
hibées dans les lieux publics depuis 1951. De même, interdire aux homo-
sexuels de discuter de leur orientation ou identité sexuelle peut constituer une
discrimination, depuis la décision Erdmann v. Tranquility de 2001, dans lequel
un employeur avait été condamné pour avoir exigé de ses salariés qu’ils
cachent leur homosexualité sur leur lieu de travail.
Lambda Legal ne manque pas de le rappeler dans un véritable ultimatum :
« Afin d’éviter d’autres incidents similaires dans le futur, nous souhaitons que
vous informiez l’ensemble de vos animateurs (chez Blizzard) qu’ils n’ont pas à
sanctionner les joueurs faisant état de leur orientation ou identité sexuelle de
façon non insultante. Nous demandons également que Blizzard confirme que
les guildes GLBT friendly sont autorisées à s’exprimer sur leur existence de la
même façon que n’importe quelle autre guilde. Bien sûr, Lambda Legal serait
plus qu’heureux d’offrir tout conseil pouvant aider Blizzard à clarifier les para-
graphes des conditions d’utilisation du jeu traitant de la non-discrimination ou
orienter Blizzard dans sa volonté de lutter contre le harcèlement. Nous atten-
dons une réponse avant trente jours à compter de l’envoi de cette lettre, avant
d’envisager d’autres actions. Par un fax daté du 8 mars 2006, Paul W. Sams,
responsable des opérations chez Blizzard, faisait amende honorable. Non seu-
lement il affirme que l’action du gamemaster était une erreur regrettable, mais
sans grande surprise, il rappelle que tous les joueurs sont les bienvenus dans
son jeu, tout comme leurs discussions, qu’elles portent sur le monde du jeu ou
le monde réel, incluant des caractéristiques personnelles comme leurs orienta-
tions et identités sexuelles s’ils le souhaitent. » Et pour aller plus loin, Paul W.
Sams précise que Blizzard entend mettre en place « une nouvelle formation
pour ses gamemasters, afin de les aider à mieux réagir s’ils sont à nouveau
confrontés à ce type de situations ». Au-delà du cas particulier de Sara
Andrews, l’exemple est significatif.
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Non seulement la mobilisation des joueurs pour une juste cause – lutte
contre l’arbitraire, égalité de tous devant l’autorité, devant la loi du jeu – a fait
plier l’éditeur malgré la toute-puissance dont il dispose sur le code informati-
que de son programme, mais en plus de se poser en contre-pouvoir, les joueurs
ont entrepris de faire évoluer les Contrats de Licence d’Utilisateur Final (CLUF)
et les conditions d’utilisation du MMORPG. Avec un soupçon de malice, on ne
peut dès lors s’empêcher de s’interroger sur l’analogie entre ce contrat de
licence du jeu et une éventuelle constitution régissant l’univers.
Historiquement, le constitutionnalisme né au siècle des Lumières visait pré-
cisément à réunir, dans un texte écrit, les grands principes gouvernant un peu-
ple afin de limiter les risques d’absolutisme et d’arbitraire des pouvoirs monar-
chiques. Sans perdre de vue que le CLUF n’est qu’un contrat régissant les rela-
tions unissant un joueur à un éditeur, à l’échelle du monde virtuel, on pourrait
aisément voir une certaine similitude entre les conditions d’utilisation d’un
MMORPG et une « charte fondamentale » fixant les « règles du jeu » d’une
Nation. Elle pose les bases d’un État de droit dont, toutes proportions gardées,
les principes s’imposent à tous : à la population de l’État, mais aussi aux
tenants du pouvoir politique de ce même État. Ils s’imposent pareillement à
des joueurs et aux gamemasters commettant une « erreur regrettable » en inter-
prétant mal les textes fondamentaux. Les joueurs de MMOGs peuvent sans
doute être aisément assimilés à des citoyens d’un petit univers, même virtuel. Il
s’avère que cette condition peut aussi s’appliquer à la réalité. Depuis quelques
années – en France, notamment depuis la campagne électorale pour les prési-
dentielles de 2002 –, on a pu évaluer la capacité de mobilisation politique et
citoyenne des militants sur l’Internet. Le média internet offre une tribune libre,
ouverte à tous ou presque, où exprimer une opinion, militer et mobiliser l’opi-
nion sur un plan national, voire international. L’exemple le plus significatif est
sans doute celui de la campagne de 2004 aux États-Unis, où les blogs ont réel-
lement fait entrer l’Internet en politique. À titre d’illustration, dans une campa-
gne dominée par les grands médias traditionnels et par des soutiens financiers
colossaux, Howard Dean a bénéficié lors des primaires du parti démocrate,
d’une collecte de 15 millions de dollars, dont les deux tiers directement issus
d’Internet et de blogs de contributions sous forme de microtransactions réali-
sées en ligne.
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À une toute autre échelle, mais surtout bien loin des partis politiques, syndi-
cats ou groupes de presse institutionnels, certaines organisations utilisent le
réseau comme un catalyseur susceptible de donner corps à l’opinion publique
et d’entreprendre des actions de contestation ou de soutiens. Aux États-Unis,
l’association MoveOn – que l’on connaît principalement pour ses positions
contre la politique du gouvernement Bush – représente le fer de lance de cette
« société civile » qui s’approprie les nouvelles technologies à des fins militantes
et citoyennes. Dans ce contexte, ne comptant que sept permanents, MoveOn
revendique aujourd’hui 3,3 millions d’adhérents – à titre de comparaison, en
France, le Parti socialiste en compte 200 000, dont environ la moitié a été recru-
tée en ligne – et se fixe comme objectif de faire remonter les préoccupations de
bon sens des citoyens ordinaires, hors de toute affiliation politique tradition-
nelle, grâce à ses ressources technologiques et humaines. Pour Elie Pariser,
l’un des architectes de MoveOn : « Le pouvoir, c’est le peuple. Si les jeunes
voient qu’ils peuvent directement peser sur les choses politiques avec les lea-
ders de leur choix, ils se mobiliseront. Avec Internet, qui parle leur langue, le
miracle est possible. »
Si Internet peut être considéré comme un média propice au militantisme et à
l’activisme, les jeux vidéo, et notamment les MMORPGs, ne sont manifeste-
ment pas en reste. C’est en tout cas l’approche retenue par le Video Game
Voters Network (VGVN) créé sous l’impulsion de l’Entertainment Software
Association qui réunit les producteurs de logiciels de loisirs aux États-Unis.
Censé représenter le lobby des joueurs américains, ce regroupement rappelle
que « depuis plus de trente ans, des millions d’Américains jouent et que ce
passe-temps fait aujourd’hui partie intégrante de la culture occidentale ». Les
jeux devenant une « cible privilégiée des critiques politiques » nécessitent d’être
défendus sur un terrain tout aussi politique.
Les joueurs forment donc aujourd’hui un lobby structuré aux États-Unis. Et
pour appuyer juridiquement son action, on pourra souligner que cette associa-
tion considère les jeux vidéo non pas comme des « logiciels de loisirs », mais
comme un « média de loisirs ». Aux États-Unis, la distinction est d’importance
puisque les médias bénéficient traditionnellement de la protection du premier
amendement de la constitution américaine, garantissant la libre expression.
D’après le VGVN, le premier amendement doit s’appliquer au contenu des jeux
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au même titre que pour le cinéma ou la musique et l’exonérer ainsi de tout ris-
que de censure arbitraire. C’est notamment dans ce contexte qu’un communi-
qué du VGVN, daté du 27 avril 2006, appelait à la mobilisation de façon tout à
fait symptomatique contre une proposition de loi visant à réguler la vente de
jeux en Oklahoma : « Le principal effet d’une législation régulant les jeux serait
l’étouffement de la créativité, pourtant protégée constitutionnellement, dans le
cadre d’un média à la pointe de l’innovation. C’est pourquoi nous avons besoin
de votre aide. […] Merci de transmettre cette invitation à la mobilisation dans
votre famille, au sein de votre clan, de votre MMORPG, sur les forums de dis-
cussion, etc. » Il n’est sans doute pas anodin de voir les MMORPGs cités
comme relais de communication, supports de lobbies ou vecteurs militants.
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Banquetvirtuel
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Les joueurs vus par les maîtres du jeuJoram
Sur La 4e Prophétie (4P), nous avions un public essentiellement habitué des
jeux de rôles, avec une exigence en terme de roleplay. Dark Age of Camelot
(DAoC) est ouvert à des joueurs de différents horizons, des communautés plus
larges. Le roleplay a diminué. Les joueurs de La 4P qui ont migré sur DAoC
avaient moins leurs repères. J’ai l’impression que sur des jeux comme WoW, le
phénomène a été amplifié, la place laissée au roleplay est encore plus faible au
profit des mécaniques de gameplay. Dès que l’on se retrouve dans un univers
avec une catégorie de joueurs qui n'ont jamais été en ligne auparavant, cela
peut donner des conflits entre les attentes des vétérans, et les jeunes. Il y a
maintenant une variété plus large de la population qui accède aux jeux en ligne
sur abonnement et cette population a ses propres codes de communication et
ses attentes. Le développement des SMS sur mobile, et de chat instantané, via
MSN et autre ICQ, favorise un discours rapide, qui va à l’encontre de ce qu’at-
tendent les anciens du RPG. Pour eux la façon de parler est importante, elle fait
parti du « rôle ». Si quelqu'un parle en SMS alors qu'il est censé jouer un magi-
cien, sa crédibilité en tant que magicien en prend un coup. C’est un peu
La gouvernance vue par les « maîtres du monde »
Uwe Oster, PDG de MDO (Animation de Ryzom, A Tale in the desert, ou Meridian 59)
Joram Epis,responsable Exploitation de Goa
(Dark Age of Camelot)
039-098-Zone2-CU-v6 19/03/08 15:55 Page 92
26comme si au cinéma un acteur censé jouer un Viking avait un accent du sud de
la France. Mon impression sur l’évolution des communautés actuelles est que
les joueurs sont là pour le jeu lui-même, comme si c'était offline, alors qu’initia-
lement les adeptes des RPGs étaient là pour jouer un rôle en ligne, incarner un
avatar. La tendance des RPGs repose sur la course à la puissance. Le joueur
vient plus pour s’opposer à d’autres que pour interpréter un personnage. Ce
qui a changé également, c’est qu’auparavant le produit n'était pas très déve-
loppé en terme de contenu et surtout de graphismes. La 4P utilisait un moteur
en 3D isométrique, le jeu n’était pas très riche en soi, donc pour avoir une meil-
leure immersion il fallait s’investir davantage, se prendre en main, faire vivre
l’univers. Maintenant, on trouve des jeux comme WoW qui sont fantastiques en
terme de prise en main, et de possibilités. Il n’y a plus besoin de s’investir au-
delà de ce que propose le développeur. Au fur et à mesure, ce qui a été perdu,
c’est ce besoin de suppléer à quelque chose du jeu, en étant plus impliqué. La
taille des serveurs affecte aussi la communauté. Sur La 4P, on était à la fois sur
un jeu localisé en français, cela permettait de découvrir un MMOG, sans la bar-
rière de la langue, mais également sur des serveurs moins importants. Les inter-
actions entre joueurs et leur connaissance de l’univers pouvaient s’apparenter à
la différence de qualité de vie que l’on a entre une grosse ville et un village. Les
joueurs se connaissaient presque tous.
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L’humain remplace l’intelligence artificielle
Joram
À mon avis le RvR (Royaume versus Royaume) aura toujours un avantage
par rapport au PvE en terme de préférence des joueurs tout simplement parce
que tu affrontes d’autres personnes et pas une « simple » intelligence artifi-
cielle. Cela ne veut pas dire que le PvE va disparaître pour autant, il y aura tou-
jours des joueurs qui n’apprécient pas la dynamique de compétition que le RvR
impose. L’affrontement avec « quelqu’un qui pense » conserve l’avantage par
rapport à ce que propose l’ordinateur. Le phénomène d’instance, c’est une
réponse qui a été apportée par les développeurs pour répondre à un paradoxe.
Une majorité des joueurs de MMORPGs souhaite être les « héros » du serveur,
avoir une influence sur le monde virtuel, mais dans une communauté tout le
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26monde ne peut pas être LE héros. Donc en les envoyant sur une instance priva-
tive ou en petit groupe, chaque joueur a le sentiment d’être ce héros et de pou-
voir réellement influencer les choses. Mais pour un univers persistant, je pense
que cela biaise le jeu. On perd l’aspect communautaire. C’est un reproche
assez fréquent à l’égard des univers persistants comme WoW. Alors effective-
ment on joue avec ses amis, sa guilde. Mais on ne prend plus de gens au
hasard. On joue uniquement avec des personnes sélectionnées, un planning
serré, tel joueur à telle classe pour être compétitif. Le jeu en tant que plaisir
ludique laisse place petit à petit à la compétition, la victoire à tout prix.
Du ludique au travailJoram
Sur certains jeux, on quitte un peu le domaine ludique, pour rentrer dans un
travail. Sur les plus récents, on est vraiment dans une course aux armements.
Pour maintenir un public sur le produit, on est obligé de lui fournir toujours plus
de contenus au joueur, afin qu’il puisse se différencier ou devenir plus connu,
plus puissant. Le développeur sait que c’est un axe de motivation. Le joueur
veut avoir plus de matériel pour se différencier des autres. Pour qu’un hardcore
ne lui dise pas : « Moi l’épée qui tue le dragon en un coup, je l’ai... »
[Zone 61 : Gameworker]
Une autorégulation plus simple dans les petites communautés
Uwe
En manageant une grande communauté, vous avez souvent à affronter des
« forum troll ». C’est un bon moyen de se cacher, les choses sont plus anony-
mes. D’un autre côté, les jeux massifs ont des instruments d’autorégulation. Si
un troll poste sur un forum, la communauté se charge de le calmer. Alors que
les univers de masse sont plus anonymes, les jeux de niche sont plus familiaux.
Chacun connaît les autres joueurs, les utilisateurs parlent souvent de leurs vies
personnelles, et personne ne se peut cacher. Mais cela signifie aussi que faire
le support et l’animation de ces univers est plus personnel. Le community
manager doit le plus souvent trouver le bon équilibre en engagement profes-
sionnel et personnel.
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ulture d
’Univers
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26La limite à trouver entre
l’amitié et le professionnalismeJoram
C’est une question de politique éditoriale. Soit on décide de communiquer
en étant proche de ses clients, pour essayer d’entrer dans une relation amicale,
une sorte de connivence. Soit on utilise une approche plus classique, où la
communication se fait de manière carrée, précise, sans trop faire d’humour. Le
risque dans ce deuxième cas, c’est que la communication est plus imperson-
nelle, alors que les joueurs aimeraient avoir plus de proximité. La limite entre les
deux, c’est qu’il y a la question du respect du client. Chaque joueur paye pour
un service, et attend que les personnes qui le gèrent le respectent au minimum.
On suit évidemment les différents forums communautaires, y compris ceux de
nos concurrents et j’ai un exemple en tête, celui d’un post de la part d’un com-
munity manager pris a parti par un joueur énervé et qui le renvoie fermement
dans ses buts. Et l’un des messages postés à la suite de cet incident résume
bien le paradoxe : « En tant que spectateur j’ai trouvé amusant le recadrage
musclé du community manager, mais en temps que client de cette société je
trouve que c’est un manque de respect et de professionnalisme évident. »
Uwe
D’un autre côté, si les utilisateurs savent que vous travaillez pour quelqu’un
d’autre – un prestataire externe d’animation –, ils seront plus conciliants. Ils
diront : « Ok, c’est la faute de l’éditeur, pas la vôtre. » Un community manager
travaillant pour le développeur-éditeur n’a pas cet avantage. Les utilisateurs lui
diront : « Monte voir le designer et envoie-le balader. » Pour les joueurs, ce CM
est directement responsable de toutes les choses négatives qui arrivent.
La communication : indispensable pour la gestion des crises
Joram
Les gros cas de crise, ce sont des problèmes de serveurs. Par exemple un
lag massif (décalage dans la connexion), un lancement difficile avec une locali-
sation approximative. Tout cela va concerner l’intégralité des joueurs, et à partir
du moment où la situation se prolonge on entre dans un processus de crise.
I 95 I
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26J’entends par crise le cas où un problème est sérieux et affecte une partie non
négligeable de la communauté. Quelle que soit la cause de la difficulté, si on
n’arrive pas à la résoudre rapidement, la communication devient nécessaire,
parce qu’une bonne partie des joueurs saura le comprendre. Si celle-ci est mal
faite ou inexistante, cela peut aboutir à une guerre. Les clients de MMORPGs
se sont habitués à obtenir de l’information facilement, rapidement, et à la par-
tager. Dès qu’il y a un problème sur un serveur, on peut être certain que même
les gens qui ne jouent pas vont en entendre parler. Les utilisateurs sont plutôt
enclins à la patience s’ils savent ce qu’il se passe. L’une des erreurs de base
c’est de les laisser dans le noir. Une majorité de joueurs sont prêts à s’investir
fortement pour le bien-être de leur communauté et de leur jeu. Il y a quelque
temps nous avons eu des soucis de lag qui étaient reliés à différents gros four-
nisseurs sur le Web. Nous avons fait appel à la bonne volonté des joueurs en
leur demandant des trace-roots (informations sur les connexions), pour voir à
quel endroit cela bloquait, où il y avait des pertes de paquets, etc., et nous
avons eu de nombreux retours visant à aider la qualité de service du produit.
De notre côté, nous avons bien entendu un monitoring de nos serveurs, mais si
quelqu’un a un problème de ping à l’autre bout de la planète, il n’y a que lui qui
peut nous le dire.
Les risques du hackingJoram
Ces univers sont en permanence en évolution. Sur DAoC nous avons une
version qui arrive tous les mois et demi environ, avec de nouveaux systèmes
de jeu qui apparaissent, avec des modules qui se « pluguent », et donc inévita-
blement cela génère de nouveaux bugs. Je sais qu’il y a d’autres sociétés qui
indiquent que si un joueur a reporté une faille critique – le genre qui peut multi-
plier la monnaie par deux et ruiner l’économie d’un serveur –, elles proposent
des abonnements gratuits dans ce cas pour encourager les joueurs à traquer
ce genre de problèmes critiques et à les faire remonter.
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26La frontière entre la tactique et la triche(1)
Joram
La triche dans les MMORPGs cela passe le plus souvent par l’utilisation de
logiciels tiers, du type « speed hack », qui permettent de se déplacer plus vite,
ou par exemple de voler alors que l’on n’est pas censé pouvoir le faire. Ou
encore des radars permettant de connaître la position de ses ennemis. Et puis
nous avons les « bug exploit ». Quand le joueur trouve un bug dans le jeu, il
n’est pas censé l’utiliser à des fins personnelles, mais le reporter pour qu’il
puisse être corrigé. Et là c’est ce qui est un peu difficile en terme de compré-
hension pour le joueur. Il peut alors être amené à utiliser la faille pour tuer le
monstre plus facilement. Mais dans notre tête à nous c’est un « bug exploit »,
et ça devient condamnable. Par exemple en PvE sur certaines créatures évo-
luées la force brute ne marche pas. Il faut trouver des « techniques » de jeu
pour en venir à bout. Et la plupart du temps un joueur a du mal à voir la diffé-
rence entre la bonne technique pour tuer un monstre difficile et l’utilisation d’un
bug du jeu. Si vous le sanctionnez pour abus, il ne comprendra pas.
Le respect des règles morales et de la loiJoram
L’autre problème que l’on peut rencontrer en jouant peut se situer entre un
individu et la communauté. Tout éditeur de contenu doit respecter la loi et inter-
dire tous types de propos xénophobes et, dans une moindre mesure, les mots
insultants qui peuvent choquer. Nous sommes tenus de faire en sorte que les
gens puissent s’épanouir dans le jeu.
... suite du banquet [Zone 43]
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(1) Analysis of the Attacks in online Games, est l’étude réalisée en 2006, par Maria Virginia Aponte, YoussefYhyaoui, Stéphane Natkin, du laboratoire CEDRIC du Cnam, qui établit une classification des différentesformes de triches dans les jeux en réseau, à l’égard du provider, des autres joueurs et de la société virtuelle.Les exemples peuvent être : l’attaque du serveur par déni de service, le fait de vendre des objets hackés, devoler des biens, de pirater des données sur le serveur, d’utiliser des bugs du jeu, etc. Ces formes préfigurent à la fois les pratiques dites de contournement des usages sociaux complexes de l’Internet de demain, maisencore les espaces d’inventivité et de questionnement des règles et des systèmes auxquels ils concourent.
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© Photo : Pauline Bourdon - Femis
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Jeux en réseau, mondes virtuels, le nouvel âge de la société numérique
Ouvrage collectif coordonné par la FING et TELECOM ParisTech
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Collectioninnovation
ISBN 978-2-916571-19-5
26 € TTC(Prix France)
Partagés et fréquentés par des millions de personnes, les jeux massivement multijoueurs, les univers persistants ou les simulateurs de vie, défraient la chronique.
Des économies parallèles inédites apparaissent dans ces mondes virtuels. Elles surprennent par leur ampleur et leur complexité, investissent les jeux vidéo, mais aussi l’Internet et l’ensemble des médias. Des cultures fantaisistes, contemporaines et mixtesprospèrent en faisant jaillir du cyberespace des questions à présent incontournables : que se passe-t-il dans la tête de tous ces joueurs ? Ces univers préfigurent-ils la sociéténumérique du futur ? Et s’ils étaient à l’avant-garde d’une convergence inattendue des médias au XXIe siècle ? Comment renouvellent-ils le rapport entre réel et virtuel ?
Synthétique et prospectif, Culture d’Univers est le premier ouvrage francophone qui décrypte cette nouvelle culture et rend compte de ce qui se pratique et se crée dans ces Nouveaux Mondes.Fruit d’un travail entre une trentaine d’auteurs parmi les meilleurs chercheurs, professionnels, joueurs et spécialistes internationaux, l’ouvrage explore – au moyen d’enquêtes, d’analyses et d’exemples concrets – ces profondes transformations culturelles de l’âge du numérique.
Lire Culture d’Univers, c’est partir à la découverte de ces nouveaux continents et comprendre ce que – joueurs ou non – nous avons déjà tous en partage. Car ce nouvel âge de la sociéténumérique nous concerne tous...
Coordonné par Frank Beau, chercheur et journaliste indépendant, spécialiste de la mutation des médias,
Culture d’Univers est le fruit d’une collaboration entre la FING (Fondation internet nouvelle génération)
et TELECOM ParisTech (Institut TELECOM). Il a reçu le soutien du Centre national de la cinématographie
à travers le réseau Riam.
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Distribution : Pearson Education France
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