© Ismaël Fournier, 2019
Stratégie américaine et guerre hybride au Vietnam: Les succès contre-insurrectionnels américains et le spectre
militaro-hybride qui engendra l'impasse militaire au Vietnam, 1960-1972
Thèse
Ismaël Fournier
Doctorat en histoire
Philosophiæ doctor (Ph. D.)
Québec, Canada
ii
Résumé
La présente thèse porte sur la guerre du Vietnam et les facteurs fondamentaux qui ont
empêché les Forces armées américaines d’enrayer les opérations militaires communistes.
Plusieurs générations d’historiens ont souligné que l’erreur militaire la plus importante des
Américains au Vietnam a été d’adopter un concept d’opération axé sur la guerre
conventionnelle plutôt que de maximiser les opérations de contre-insurrection. Ces mêmes
opérations de contre-insurrection se sont également souvent vues critiquées pour leur
inefficacité à enrayer les opérations de guérilla du Viêt-Cong. Cette thèse va à contre-sens de
ces théories et entend montrer d’une part que les opérations conventionnelles américaines
étaient tout à fait justifiées, voire impératives, au Vietnam. D’autre part, une analyse détaillée
cherchera à démontrer que la contre-insurrection n’a nullement été la cause de l’échec
militaire américain et qu’en fait, elle a été très efficiente et engendra une défaite du Viêt-
Cong. Cette thèse suggère que les insuccès américains à préserver la République
démocratique du Vietnam ont été la résultante du concept d’opération communiste qui
maximisait les bases d’une doctrine offensive de nature hybride. Ce modus operandi hybride
avait pour caractéristique la synergie des opérations d’insurrection du Viêt-Cong avec les
opérations conventionnelles des forces régulières de l’Armée nord-vietnamienne, appuyées
par le réseau logistique complexe des communistes. Par sa synergie, ce concept a provoqué
un effet domino qui frappa en succession les éléments militaires, politiques, économiques,
médiatiques et sociaux des États-Unis. Au combat, l’impuissance des Américains à contrer
ce procédé offensif a été la conséquence de leur inhabilité à briser la synergie du système
hybride communiste, c’est-à-dire l’isolement et la destruction des éléments conventionnels,
insurrectionnels et logistiques de l’effort de guerre communiste.
iii
Table des matières
Résumé ................................................................................................................................... ii
Table des matières ................................................................................................................ iii
Liste des figures ..................................................................................................................... iv
Liste des Annexes .................................................................................................................. vi
Liste des acronymes ............................................................................................................. vii
Avant-Propos .......................................................................................................................... x
INTRODUCTION .................................................................................................................. 1
Chapitre I: L'Art de la guerre insurrectionnelle, contre-insurrectionnelle et hybride ........... 24
Chapitre II: Search and Destroy : Le rouleau compresseur conventionnel américain et ses
impacts opérationnels ........................................................................................................... 92
Chapitre III: Les Combined Action Platoons : L’étau contre-insurrectionnel des Marines sur
le Viêt-Cong ........................................................................................................................ 164
Chapitre IV : Le CORDS, le Programme Phoenix et l’effondrement du Viêt-Cong ......... 227
Chapitre V: Le nerf de la guerre communiste : La Piste Ho Chi Minh .............................. 311
CONCLUSION ................................................................................................................... 377
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................. 396
ANNEXE ............................................................................................................................ 417
iv
Liste des figures
Figure 1 : Schéma représentant la dynamique de la synchronisation des opérations politico-
militaires communistes selon Robert Thompson ................................................................. 31
Figure 2 : Répartition des provinces et quatre Corps de la République du Vietnam .......... 46
Figure 3 : Zones de la RVN contrôlées par les communistes et les forces gouvernementales
en 1965 ................................................................................................................................. 65
Figure 4 : Le mode de fonctionnement du dau tranh de Giap ............................................ 73
Figure 5: La synergie des trois sous-systèmes du mécanisme hybride communiste .......... 75
Figure 6: Les attaques communistes lors de l’offensive du Têt .......................................... 77
Figure 7: La prise de Hue par les forces hybrides du VC et NVA ...................................... 82
Figure 8 : Plan de l’offensive opérationnelle du NVA (et du VC) en 1965 ........................ 97
Figure 9: Carte de l’Iron Triangle et schéma de manœuvre de l’offensive ...................... 108
Figure 10: Schéma de manœuvre de l’Opération JUNCTION CITY ............................... 117
Figure 11: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Bau Bang ............................... 121
Figure 12: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille de Suoi Tre ...................................... 124
Figure 13:Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Gu ........................................... 127
Figure 14: Zone d’opération d’APACHE SNOW ............................................................ 131
Figure 15: Opérations majeures de search and destroy du III MAF, Juin 1967 ............... 152
Figure 16: Structure organisationnelle du processus de pacification (I Corps) ................ 173
Figure 17: Disposition des Combined Action Platoons dans I Corps en 1969 ................. 183
Figure 18: Commandement et contrôle des Combined Action Platoons .......................... 185
Figure 19: Schéma officiel de l’ordre de bataille d’un Combined Action Platoon ........... 187
Figure 20: Schéma de l’embuscade du CAP du lieutenant Ek au pont de Phu Bai .......... 195
Figure 21: Statistiques des opérations offensives des CAP 1966-67 ................................ 200
Figure 22: Structure organisationnelle du CORDS ........................................................... 237
v
Figure 23: L’offensive printanière du NVA dans la RVN ................................................ 304
Figure 24: Les offensives conventionnelles du NVA dans la zone démilitarisée ............. 305
Figure 25: Le réseau logistique communiste : la Piste Ho Chi Minh ................................ 312
Figure 26 : Infiltrations mensuelles des forces communistes en 1966 et 1967 ................. 323
Figure 27: Besoins logistiques quotidiens des forces du VC et du NVA en 1966 ............ 324
Figure 28: Le réseau routier de la Piste Ho Chi Minh au Laos ......................................... 326
Figure 29: Principales bases d’opération communistes au Cambodge .............................. 328
Figure 30: Bases d’opération et zones de responsabilités des opérateurs de SHINING
BRASS/PRAIRIE FIRE ..................................................................................................... 348
Figure 31:Zones de responsabilités du SOG lors de l’opération DANIEL BOONE ........ 353
Figure 32: L’incursion initiale de l’US Army et de l’ARVN au Cambodge ..................... 361
Figure 33: L’offensive généralisée du MACV et de l’ARVN sur les bases communistes du
Cambodge ........................................................................................................................... 364
Figure 34: Total des pertes communistes au Cambodge ................................................... 368
vi
Liste des Annexes
ANNEXE 1 : Ordre de bataille d’un bataillon régulier du Viêt-Cong .............................. 417
ANNEXE 2 : Ordre de bataille d’un régiment et bataillon de l’Armée nord-vietnamienne
............................................................................................................................................ 418
ANNEXE 3 : Vue aérienne d’un hameau stratégique au Vietnam .................................... 419
ANNEXE 4 : Actions civiques de l’USMC dans I Corps ................................................. 420
ANNEXE 5 : Fortifications et installations d’un complexe de Combined Action Platoon
statique ............................................................................................................................... 424
ANNEXE 6 : Patrouilles de Marines et du PF dans le cadre des Combined Action Platoons
............................................................................................................................................ 427
ANNEXE 7 : Des Navy SEAL assurent la surveillance de prisonniers VC ..................... 428
ANNEXE 8 : Opérateurs sud-vietnamiens du PRU .......................................................... 429
ANNEXE 9 : Mission de bombardement de B-52 dans le cadre de l’opération ARC LIGHT
............................................................................................................................................ 430
ANNEXE 10 : Cratères laissés par le bombardement d’un bombardier stratégique B-52 sur
la Piste Ho Chi Minh .......................................................................................................... 431
ANNEXE 11 : Équipes standards d’opérateurs du SOG : trois Américains et neuf Sud-
Vietnamiens ........................................................................................................................ 432
vii
Liste des acronymes
APC Accelerated Pacification Campaign
ARVN Army of the Republic of Vietnam
BDA Bomb Damage Assessment
BRIAM British Advisory Mission
CACO Combined Action Company
CAP Combined Action Platoon
CIA Central Intelligence Agency
CIDG Civilian Irregular Defence Group
CINCPAC Commander in Chief in the Pacific
COIN Contre-insurrection
CORDS Civil Operations and Revolutionary Development Support
COSVN Central Office for South Vietnam
DIA Defense Intelligence Agency
DIOCC District Intelligence and Operations Coordinating Center
DPSA Deputy Province Senior Advisor
FLN Front de Libération nationale
GVN Gouvernement du Vietnam (Vietnam du Sud)
HES Hamlet Evaluation System
ICEX Intelligence Coordination and Exploitation
JSOC Joint Special Operation Command
viii
JUSPAO Joint United States Public Affairs Office
LZ Landing Zone
MAAG Military Assistance Advisory Group
MAF Marine Amphibious Force
MACV Military Assistance Command Vietnam
MACVSOG Military Assistance Command Vietnam Studies and Observations
Group
MAT Mobile Advisory Team
MEDCAP Medical Civic Action Program
MNLA Malayan National Liberation Army
NVA North Vietnamese Army
OCO Office of Civil Operations
OPSEC Operation Security
PCM Parti communiste malaisien
PF Popular Force
PMESI Politique, Militaire, Économique, Social, Information
PROVN Program for Pacification and Long Term Development of South
Vietnam
PRP Peoples Revolutionary Party
PRU Provincial Reconnaissance Unit
PSA Province Senior Advisor
ix
PSDF People’s Self Defence Force
QG Quartier-général
RD Revolutionary Development
RDVN République démocratique du Vietnam du Nord
RF Regional Forces
RVN République du Vietnam (Vietnam du Sud)
SAS Section Administrative Spécialisée
SLAM Seeking Locating Annihilating Monitoring
SOG Studies and Observations Group
TAOC Tactical Area of Coordination
TAOR Tactical Area of Responsibility
TRADOC Training and Doctrine Command
USAF United States Air Force
USAID United States Agency for International Development
USMC United States Marine Corps
VC Viêt-Cong
VCI Viet-Cong Infrastructure
x
Avant-Propos
La décision d’écrire cette thèse de doctorat a été l’aboutissement logique de mes
expériences personnelles en Afghanistan en 2007. En 2000, j’ai joint les Forces armées
canadiennes et intégré les rangs du 3e Bataillon du Royal 22e Régiment. J’ai eu l’opportunité
d’y effectuer trois déploiements outre-mer; un en Bosnie Herzégovine et deux autres en
Afghanistan à Kaboul et à Kandahar avec la Compagnie de parachutistes du 3e Bataillon.
Mon second séjour en Afghanistan dans la Province de Kandahar fut particulièrement violent
alors que nous avons été confrontés à l’insurrection des Talibans dans le district de Panjwai.
Soucieux de ne pas nous affronter ouvertement, les Talibans, mêlés à la population civile,
maximisaient la conduite d’embuscades et exploitaient mortiers et roquettes pour cibler nos
bases d’opération, en plus de truffer les routes de bombes artisanales pour neutraliser nos
véhicules blindés. Après l’explosion de mon blindé sur l’un de ces engins explosifs lors d’une
opération nocturne, j’ai été sévèrement blessé et évacué en Allemagne avec deux de mes
camarades. Nous avons malheureusement perdu deux de nos frères d’armes, Nicolas
Beauchamp et Michel Lévesque, ainsi qu’un interprète afghan lors de cet incident.
Cette expérience m’incita à m’intéresser davantage aux conflits insurrectionnels et à
mieux cibler comment les guérillas opèrent et de quelle manière elles ont été neutralisées par
le passé. Huit chirurgies et des séquelles physiques permanentes m’ont forcé à quitter
l’infanterie pour joindre les rangs du renseignement militaire, domaine où j’appris à analyser
les doctrines militaires classiques. En tant qu’analyste tactique et opérationnel, j’ai pu avec
les années approfondir mes connaissances en matière de tactiques et stratégies militaires. J’ai
eu l’opportunité de mettre en pratique ces connaissances en étant déployé au Koweït dans le
cadre des opérations militaires visant l’État islamique (EI) en Irak. L’analyse des opérations
de l’EI augmenta mon degré de connaissance en matière de guerre insurrectionnelle et de
conflit hybride, ce qui m’a motivé davantage à écrire une thèse sur le sujet. J’ai choisi le
théâtre d’opération de la guerre du Vietnam car ce dernier représente à mes yeux un des cas
les plus complexes en matière de guerre de guérilla et de guerre hybride dans l’histoire. J’ai
pris avantage de mes expériences passées dans l’infanterie et mes connaissances dans le
domaine de l’analyse tactique pour écrire cette thèse qui traite d’une guerre qui, à mon
humble avis, demeure très incomprise par beaucoup d’intéressés, qu’ils soient instruits ou
profanes.
xi
« How horrible is war »1
-Lieutenant Général Thomas « Stonewall » Jackson
1 S.C. Gwynne, Rebel Yell, New York, Scribner, 2014, p. 503.
1
INTRODUCTION
« [The North Vietnamese] approach emphasized
that all forms of warfare occur simultaneously, even as a
particular form is paramount. Debates about Vietnam that
focus on whether U.S. forces should have concentrated on
guerrilla or conventional operations ignore this complexity. In
fact, forces that win a mosaic war are those able to respond to
both types of operations, often simultaneously ».1
-Counterinsurgency Field Manual 3-24
1. Mise en contexte
La guerre du Vietnam, qui opposa les États-Unis à la République démocratique du
Vietnam du Nord (RDVN), est un conflit qui a profondément marqué les sociétés américaine
et vietnamienne. Plus de 58,000 soldats américains et 250,000 soldats sud-vietnamiens ont
été tués lors des combats. Pour leur part, les Forces armées nord-vietnamiennes et la guérilla
du Viêt-Cong (VC) ont déploré la mort de plus d’un million de soldats. Environ deux millions
de civils sud et nord-vietnamiens ont également péri au cours des hostilités.2 Celles-ci se sont
conclues avec la chute de Saigon et la prise de la République du Vietnam (RVN) par les
communistes en 1975. Dès le dénouement de ce violent affrontement de la Guerre froide, de
nombreuses études et analyses ont été publiées dans le but de cibler pourquoi les Forces
armées américaines se sont montrées incapables de vaincre de manière définitive les armées
communistes. L’essentiel de ces études brossa un portrait plutôt négatif des performances
militaires américaines en matière de contre-insurrection (COIN)3 et de tactiques au combat.
Cette thèse de doctorat vise à remettre en question cette soi-disant incapacité américaine à
pratiquer de la COIN avec succès au Vietnam et cherchera parallèlement à expliquer
1 Headquarters, Department of the Army, FM 3-24 Counterinsurgency, Washington, Department of the Army,
2010, p. 1-17. 2 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, The Vietnam War, New York, Alfred A. Knopf, 2017, p. xvii. 3 Le terme « contre-insurrection » est aussi connu sous le terme de « contre-guérilla » ou de « pacification » (ce
dernier est néanmoins plus spécifique à la population civile). Il s’agit d’une doctrine militaire visant à éliminer
une guérilla (ou insurrection). Cette doctrine est fort complexe à exécuter et nécessite des initiatives qui diffèrent
de celles d’une guerre conventionnelle classique comme celles de la Corée ou du Pacifique (voir le chapitre 1).
2
pourquoi les États-Unis ne sont pas entièrement parvenus à enrayer les opérations militaires
communistes lors de la guerre du Vietnam. L’analyse académique de ce conflit a rangé les
historiens au sein de deux écoles de pensée : orthodoxes et révisionnistes4. Pour la plupart
des orthodoxes, la guerre du Vietnam ne pouvait être gagnée par Washington. À leurs yeux,
l’atteinte des objectifs stratégiques américains qui visaient à préserver la chute du Vietnam
du Sud aux mains des communistes ne pouvait se concrétiser par le biais de moyens
militaires. Pour leur part, les révisionnistes tendent plutôt à souligner que la guerre du
Vietnam aurait pu être gagnée. Selon eux, la défaite a été la résultante du leadership douteux
des dirigeants politiques à la Maison-Blanche, d’une stratégie militaire erronée et d’une
couverture médiatique dénuée d’objectivité qui entraîna la perte du soutien populaire
américain à la guerre.5 Il demeure impossible pour les révisionnistes de prouver avec
certitude que les États-Unis auraient gagné la guerre du Vietnam advenant un correctif des
stratégies exploitées lors du conflit.
Néanmoins, cette réalité s’applique également aux orthodoxes qui, à leur tour, ne
peuvent prouver que les Américains auraient inévitablement perdu la guerre malgré l’amorce
d’un changement majeur de stratégie. Toutes ces affirmations, qu’elles soient orthodoxes ou
révisionnistes, demeurent spéculatives et ne peuvent s’avérer définitives. Toutefois,
l’approche révisionniste, bien qu’abondamment critiquée par les orthodoxes (citons en
exemple Marilyn Young6), tend à sortir des sentiers battus. Ceci s’explique grandement par
la déclassification récente de documents Top Secret communistes et américains qui forcent
plusieurs remises en question sur la situation opérationnelle au Vietnam et en Asie du Sud-
Est pendant la Guerre froide. À défaut d’une victoire américaine, certains historiens
révisionnistes, comme Mark Moyar, expliquent que l’acharnement de Washington à
combattre au Vietnam a eu des effets stratégiques très bénéfiques en empêchant la croissance
de l’hégémonie communiste en Asie. À titre d’exemple, l’ancien Ministre de la Défense
4 Quantité d’historiens et autres hauts diplômés se penchant sur la guerre du Vietnam sont rangés au sein des
camps orthodoxe et révisionniste. Du côté orthodoxe, nous retrouvons notamment Lewis Sorley, Russel
Weigley, A.J. Langguth et Stanley Karnow. Du côté révisionniste, citons entre autres Mark Moyar, James S.
Robbins et Gregory Daddis. 5 Gary R. Hess, Vietnam: Explaining America's Lost War, Oxford, Wiley-Blackwell, 2015 (2008), p. 11-12. 6 Dans son étude publiée en 1991 (Vietnam Wars 1945-1990), Marilyn Young critique Washington ainsi que le
gouvernement sud-vietnamien qui, selon elle, se sont montrés ineptes à élaborer une stratégie cohérente au
Vietnam. Ce constat est caractéristique de la vision des historiens orthodoxes.
3
indonésien, Abdul Haris Nasution, affirma que son pays n’aurait jamais été en mesure
d’empêcher son pays de tomber aux mains des communistes sans la détermination américaine
à ne pas abandonner la République du Vietnam pendant toutes ces années (de 1955 à 1975).7
La présente thèse se plongera au cœur du débat révisionniste et se penchera plus
particulièrement sur les aspects hybrides et contre-insurrectionnels de la guerre du Vietnam.
Bien que révisionniste, cette thèse ne suggère pas que la guerre aurait été assurément gagnée
par les États-Unis si les correctifs à certains problèmes militaro-tactiques avaient été
apportés. Elle ne cherche pas, non plus, à minimiser l’excellence au combat des régiments
communistes. S’ils avaient été confrontés à un adversaire moins résilient, les Américains
auraient probablement gagné la guerre, et ce, malgré l’imperfection de leur concept
d’opération. La thèse vise plutôt à analyser la problématique en se penchant sur la gestion de
l’aspect hybride du conflit ainsi que les facteurs tactiques et humains qui ont miné la conduite
des opérations américaines dans un contexte de guerre hybride.
Depuis la conclusion du conflit, plusieurs auteurs ont constamment dépeint
l’ensemble des Forces armées américaines comme inepte à pratiquer une COIN cohérente et
professionnelle au Vietnam. Plusieurs autres ont été plus loin en soulignant la complexité du
contexte militaro-opérationnel du conflit, ce qui les a incités à affirmer qu’aucune COIN
n’aurait été applicable au Vietnam. Cette thèse propose de montrer qu’au contraire, les
préceptes de contre-insurrection américains ont été des plus efficaces et qu’ils sont allés
jusqu’à provoquer une défaite sans équivoque de l’insurrection viêt-cong, tout en gagnant
l’appui de la population civile sud-vietnamienne. Il ne s’agit point de suggérer que les
doctrines contre-insurrectionnelles américaines ont été appliquées à la perfection; à l’image
7 Mark Moyar, Triumph Forsaken: The Vietnam War, 1954-1965, Cambridge, Cambridge University Press,
2006, p. 282. Plusieurs pays d’Asie et d’Océanie redoutaient le spectre de l’expansionnisme communiste dans
la région et, en conséquence, appuyèrent avec vigueur l’effort de guerre américain au Vietnam. Parmi ces pays
nous retrouvions : la Thaïlande, la Malaisie, Taiwan, la Corée du Sud, les Philippines, la Birmanie, l’Australie,
la Nouvelle-Zélande, le Japon et l’Inde. Ces États ont affirmé que la présence américaine au Vietnam était vitale
à leur propre sécurité contre les communistes. En bref, malgré l’éventuelle chute de la République du Vietnam,
la détermination de Washington à combattre au Vietnam a forcé les communistes à concentrer leurs efforts là
où les éléments militaires américains se trouvaient. Cette particularité devait permettre aux pays asiatiques
avoisinant de gagner un temps précieux, ce qui leur permit d’être mieux préparés face à l’expansionnisme
communiste en Asie. Globalement, non seulement la vision révisionniste croit en la possibilité que la guerre
aurait pu être gagnée par les États-Unis, elle cerne en l’apparente défaite américaine des résultats stratégiques
qui, ultimement, ont résulté en l’essoufflement de l’expansionnisme sino-soviétique en Asie.
4
de l’application de leurs doctrines conventionnelles, l’exécution des opérations de COIN a
laissé transparaître maints défauts. Néanmoins, ces derniers ne justifient nullement la critique
des historiens qui blâment la défaite américaine sur l’inexploitation de préceptes contre-
insurrectionnels de qualité. À cet effet, beaucoup d’historiens ont mésinterprété la nature
même du conflit sur le plan tactique et opérationnel. Certains auteurs, notamment Lewis
Sorley, Andrew F. Krepinevich, John Nagl et quantité d’autres, tendent à affirmer que
l’armée s’entêta à transposer un concept d’opération militaire purement conventionnel sur un
théâtre d’opération vietnamien essentiellement insurrectionnel.8 Il convient de mentionner
que le commandant du MACV (Military Assistance Command Vietnam), le général William
Westmoreland, a préféré concentrer les efforts américains sur une stratégie ayant pour base
le principe de guerre d’attrition. Ce faisant, les progrès n’étaient pas évalués en fonction du
terrain géographique gagné mais plutôt sur le nombre d’ennemis éliminés lors des combats.
De ce plan d’action découla la tactique dite de search and destroy qui visait à traquer, fixer
et détruire les bataillons communistes par le biais d’effectifs et d’une puissance de feu
supérieure.
Sorley et Krepinevich soutiennent qu’il aurait fallu limiter les opérations
conventionnelles et maximiser les opérations de pacification qui visaient à détruire
l’infrastructure politique et militaire de la guérilla VC tout en séparant cette dernière de la
population civile. D’autres auteurs comme Gregory Daddis tendent plutôt à défendre la
stratégie américaine en mentionnant à quel point Westmoreland adapta sa stratégie en
maximisant les opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles. Certains, comme
Mark Moyar, vont jusqu’à avancer que la guerre du Vietnam était plus conventionnelle
qu’insurrectionnelle.9 En bref, il existe un schisme entre historiens qui se penchent sur
l’aspect militaire de la guerre du Vietnam. Cette dernière était-elle insurrectionnelle ou
conventionnelle? L’état-major américain était-il justifié de favoriser une doctrine
conventionnelle ou aurait-t-il dû mettre plus d’attention sur ses opérations de pacification
8 Lewis Sorley est reconnu pour avoir notamment écrit Westmoreland The General who Lost Vietnam en
2011. Andrew Krepinevich a pour sa part fait paraître The Army and Vietnam en 1988. John Nagl a de son
côté fait publier Learning to Eat Soup with a Knife: Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam en
2005. 9 Mark Moyar a notamment fait publier Triumph Forsaken en 2006 et Phoenix and the Birds of Prey en 2007.
Gregory Daddis a notamment écrit Westmoreland's War: Reassessing American Strategy in Vietnam en 2013
et Withdrawal: Reassessing America's Final Years in Vietnam en 2017.
5
comme il l’a fait après l’offensive du Têt en 1968? La réponse suggérée à ce questionnement
est très hétérodoxe, car en fait, la guerre du Vietnam nécessitait une exploitation synergique
et synchronisée des deux stratégies : conventionnelle et contre-insurrectionnelle. Cette
situation s’explique par le caractère militaro-hybride propre à la guerre du Vietnam. Notons
que ce type de conflit n’est pas unique au Vietnam; la guerre de Sept Ans, communément
appelée French and Indian war par les habitants des 13 Colonies, constitue un exemple type
de guerre hybride. La guerre d’Indépendance américaine consistait aussi en une guerre à
caractère hybride. Le conflit à l’est de l’Ukraine avec les séparatistes pro-russes en 2014
représente également un exemple probant de confrontation militaire de type hybride. Lors
d’une guerre hybride, une force armée combattra une force hostile qui à la fois, exploitera
tactiques et stratégies conventionnelles et insurrectionnelles. Les forces hybrides auront
comme modus operandi de viser chacun des centres de gravité de la force adverse : politique,
militaire, économique, social et la guerre de l’information (PMESI)10. Du côté
insurrectionnel au Vietnam, les secteurs ruraux sud-vietnamiens étaient infestés d’insurgés
viêt-cong qui infiltraient les villages et la population civile.
Du côté conventionnel, l’US Army et les Marines étaient confrontés à plusieurs
divisions du NVA (North Vietnamese Army)11 qui bénéficiaient d’un équipement de pointe,
en plus d’une compétence au combat rivale de la leur. Or, lorsque confrontés à une menace
hybride, les commandants se doivent de synchroniser leurs opérations conventionnelles et
contre-insurrectionnelles de telle manière que les initiatives politico-militaires de
l’adversaire soient contenues ou avortées. Appliquer un tel concept d’opération nécessite des
moyens et plus particulièrement un savoir-faire qui, bien qu’à la portée des Américains, a été
longtemps ignoré ou mal appliqué par l’état-major au Pentagone. D’une part, les Forces
étatsuniennes se sont démarquées le moment venu d’exécuter des opérations
conventionnelles au Vietnam. Bien que la puissance aérienne de l’United States Air Force
(USAF) ait eu beaucoup à y voir, les grandes confrontations militaires conventionnelles ayant
opposé Américains et armées communistes se sont constamment soldées par une victoire de
l’US Army ou des Marines. D’autre part, maints éléments des Forces militaires des États-
10 Headquarters, Department of the Army, op, cit., p, vi. 11 Pour identifier l’Armée nord vietnamienne, nous utiliserons le terme original utilisé par les Américains
« NVA » (North Vietnamese Army) au lieu de l’ANV (Armée nord-vietnamienne) afin d’éviter toute
confusion avec le l’acronyme ARVN utilisé pour l’Armée de la République du Vietnam.
6
Unis ont montré qu’ils bénéficiaient des compétences requises le moment venu d’implanter
un plan de COIN viable qui réussit à enrayer ou contenir les opérations insurgées. En effet,
l’USMC (United States Marine Corps), la 173rd Airborne Brigade et le programme CORDS
(Civil Operations and Revolutionary Development Support)12 ont initié plusieurs opérations
contre-insurrectionnelles calquées sur celles des Français et des Britanniques lors des guerres
de décolonisation. Malgré de nombreuses limitations opérationnelles, ces opérations ont
gravement endommagé l’infrastructure politico-militaire des Viêt-Cong, exposant de ce fait
la vulnérabilité de ces derniers aux opérations de COIN. Une analyse exhaustive de la gestion
contre-insurrectionnelle du conflit par les Américains tendrait-elle à montrer que ces derniers
surent appliquer d’excellents préceptes de COIN au Vietnam? Une telle analyse briserait-elle
la croyance selon laquelle aucune doctrine de COIN n’ait pu s’appliquer au théâtre
d’opération vietnamien? En quoi le facteur hybride de la guerre, si souvent négligé par
beaucoup d’historiens, a-t-il constitué un facteur dans l’incapacité des États-Unis à
définitivement stabiliser le théâtre d’opération sud-vietnamien? Gérer un conflit aussi
complexe nécessite une gamme d’initiatives tactiques et opérationnelles trop souvent
survolées par les historiens.
2. Problématique
Cette thèse proposera que la réelle problématique militaire rencontrée au Vietnam n’a
pas résulté de la prétendue incapacité américaine à exécuter de la COIN avec succès mais
plutôt de quatre facteurs indissociables. Le premier se résume à l’incapacité des Américains
à uniformiser leur concept d’opération sur le théâtre opérationnel sud-vietnamien. Bien que
les Marines, la 173rd Airborne Brigade et le CORDS exploitaient des doctrines de COIN de
grande qualité, ces principes n’ont pas été appliqués de façon uniforme au sein des districts
sud-vietnamiens pour un long moment. Ce manque d’uniformité des concepts d’opération
doctrinaux mina la capacité des Américains à pacifier rapidement l’ensemble des secteurs
ruraux. Le deuxième facteur : l’incapacité du MACV à synchroniser adéquatement les
opérations militaires conventionnelles et contre-insurrectionnelles dans un conflit de nature
hybride. Si les opérations conventionnelles et de COIN ne sont pas exécutées de façon
12 Le CORDS était une organisation regroupant plusieurs entités civiles et militaires américaines et sud-
vietnamiennes ainsi que la Central Intelligence Agency (CIA). La mission du CORDS visait à exécuter un
programme de pacification rurale dans les campagnes du Vietnam du Sud, détruire l’infrastructure viêt-cong
et rallier les paysans sud-vietnamiens à la cause du gouvernement sud-vietnamien.
7
synchronisée lors d’un conflit hybride, les gains tactiques et opérationnels acquis se voient
systématiquement annulés, et ce, en un court laps de temps. Cette dynamique a perturbé les
efforts américano-sud-vietnamiens sur le théâtre d’opération. Le troisième facteur: l’absence
de dynamisme des commandants militaires sud-vietnamiens et la dépendance de leurs
subordonnés à l’appui du MACV. Le commandement de l’Armée sud-vietnamienne (Army
of the Republic of Vietnam/ARVN) afficha énormément de réticence à émuler de manière
professionnelle les doctrines contre-insurrectionnelles enseignées par les Américains. Bien
qu’il y ait eu une amélioration marquée après l’offensive du Têt, le problème ralentit le
processus de pacification dans certains districts. Enfin, le quatrième facteur se résume à
l’incapacité du MACV à respecter une des lois fondamentales de l’art de la guerre : bloquer
les lignes d’approvisionnement et de communication de la force ennemie, une règle cruciale,
tant lors de conflits conventionnels qu’insurrectionnels et, de facto, hybrides.
Ne pas occuper des points géographiques stratégiques au Laos et au Cambodge pour
bloquer la Piste Ho Chi Minh a définitivement sonné le glas d’une possible victoire
américano-sud-vietnamienne au Vietnam. Ce facteur, bien que fréquemment mentionné, est
malheureusement souvent banalisé par les historiens. Pourtant, le manque de proactivité des
Américains à initier de vastes opérations défensives et d’interdiction au Laos et au Cambodge
constitue un des principaux problèmes derrière leur incapacité à systématiquement conserver
l’initiative tactique et opérationnelle au Vietnam. D’aucuns se contentent d’affirmer que
l’occupation de la piste Ho Chi Minh n’aurait pas changé grand-chose au conflit. À bien des
égards, cette affirmation est fallacieuse, particulièrement si l’on prend en compte à quel point
une simple incursion américaine de quelques semaines au Cambodge a perturbé de façon
majeure les opérations militaires communistes dans la République du Vietnam.
3. État de la question
Quantité d’auteurs se sont penchés sur les causes de la défaite des États-Unis au
Vietnam. Toutefois, peu d’entre eux ont abordé le sujet de façon similaire à ce que nous
proposons. John Nagl est l’auteur d’une thèse doctorale intitulée Learning to Eat Soup with
a Knife: Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam. Dans son ouvrage, l’auteur
effectue un comparatif entre le développement et la pratique des doctrines de COIN
exploitées par les Américains et les Britanniques au sein des théâtres malaisiens et
vietnamiens. Nagl débute son analyse en décrivant les stratégies britanniques, avant de se
8
pencher sur celles du MACV. L’auteur y analyse une série de facteurs : la situation
géostratégique, les origines de l’insurrection, la stratégie des organes politiques et militaires
de l’insurrection, les initiatives contre-insurrectionnelles des Britanniques, l’adaptation et les
innovations tactiques et stratégiques de ces derniers, ainsi que leurs initiatives politiques. Fort
des résultats obtenus, il termine en procédant à l’évaluation de la qualité des stratégies contre-
insurrectionnelles britanniques et détermine à quel point l’Armée britannique s’avéra une
institution capable d’apprendre et de s’adapter aux situations changeantes. Pour donner suite
à cet exercice, il s’attaque au volet américain au Vietnam en analysant les mêmes facteurs.
Nagl conclut son étude analytique avec une évaluation de la qualité des stratégies contre-
insurrectionnelles du MACV. Il en déduit que l’Armée américaine n’était pas une institution
capable d’apprendre et de s’adapter aux situations changeantes13, une conclusion qui diffère
de ce que nous déduirons dans cette thèse.
En 2010, David Strachan-Morris a présenté une thèse de doctorat intitulée Swords
and Ploughshares: an Analysis of the Origins and Implementation of the United States
Marine Corps’ Counterinsurgency Strategy in Vietnam Between March 1965 and November
1968. Strachan-Morris y analyse la stratégie de COIN privilégiée par les Marines au Vietnam
entre 1965 et 1968. L’auteur souligne que la nature politique de la guerre et la réalité à
laquelle se sont vus confrontés les Marines sur le terrain incitèrent les commandants séniors
des Marines à muter leur stratégie de pacification. L’auteur indique que cette mutation avait
pour base les grandes lignes des doctrines privilégiées par les stratèges contre-
insurrectionnels franco-britanniques. Strachan-Morris déduit que les Marines cherchaient à
renforcer la sécurité de leurs secteurs de responsabilité en tentant de gagner l’appui de la
population locale. Il qualifie de déficiente l’unité de mesure exploitée pour mesurer les
progrès effectués sur le terrain. Néanmoins, Strachan-Morris explique qu’une analyse des
archives de l’USMC tend à révéler que les Marines ont conduit une campagne de COIN «
efficace et appropriée » dans les limites imposées par la carence de certaines ressources et
leur inhabilité générale à influencer l’ensemble du champ de bataille dans la RVN.14
13 John Nagl, Learning to Eat Soup with a Knife: Counterinsurgency Lessons from Malaya and Vietnam,
Chicago, University of Chicago Press, 2002, p. xxii-xxiii. 14 David Strachan-Morris, “Swords and Plougshares: An Analysis of the Origins and Implementation of the
United States Marine Corps’ Counterinsurgency Strategy in Vietnam between March 1965 and November
1968”. Thèse de Doctorat, Wolverhampton, Université de Wolverhampton, 2010, p. 329-336.
9
Maints éléments de la présente thèse s’apparentent fortement à celles de Strachan-
Morris. Néanmoins, nous analyserons le problème opérationnel d’une perspective beaucoup
plus étendue avec le CORDS et le facteur hybride. Citons également Gregory Daddis qui a
fait publier Westmoreland’s War: Reassessing American Strategy in Vietnam. Dans cette
étude, Daddis affirme que Westmoreland a été responsable d’un large éventail de manœuvres
opérationnellement productives. Daddis mentionne que Westmoreland accorda beaucoup
d’attention à la formation de l’ARVN et élabora un plan de COIN visant bel et bien à gagner
l’appui de la population rurale au Vietnam. Daddis expose divers facteurs très intéressants
mais n’examine pas en profondeur l’aspect hybride du conflit, en plus de banaliser largement
les Combined Action Platoons (CAP)15 de l’USMC qu’il ne semble pas avoir analysé en
profondeur. Tout comme la nôtre, l’approche de Daddis va à contrecourant des études
généralement rédigées sur Westmoreland qui s’est fait régulièrement pointer du doigt comme
l’un des grands responsables de la défaite américaine au Vietnam. Lewis Sorley, l’un des
détracteurs de Westmoreland, a souligné dans son ouvrage Westmoreland: The General Who
Lost Vietnam, que le général américain s’est retrouvé dans une position de commandement
qui dépassait ses compétences ce qui a causé l’embourbement vietnamien.16
Sorley affirme que le général américain a sous-estimé son adversaire, n’a pu saisir la
complexité du conflit et s’est entêté à exploiter une stratégie conventionnelle sur un théâtre
d’opération insurrectionnel. Citons également une étude écrite en 1988 par Andrew F.
Krepinevich intitulée The Army and Vietnam. L’auteur mentionne notamment qu’il faut
imputer la défaite du MACV au Vietnam à l’exploitation de doctrines erronées, appuyées sur
les modus operandi exploités pendant la Deuxième Guerre mondiale. Krepinevich soulève
aussi que la doctrine insurrectionnelle des communistes au Vietnam a empêché l’application
de doctrines conventionnelles; il aurait plutôt été préférable d’exploiter une doctrine contre-
insurrectionnelle misant sur l’exploitation d’infanterie légère, une puissance de feu minimale
et une résolution des problèmes politiques et sociaux handicapant la qualité de vie de la
population sud-vietnamienne. L’auteur déduit que jusqu’à la toute fin du conflit, les leaders
militaires américains ont refusé de reconnaître cette réalité. La présente thèse cherchera à
15 Les Combined Action Platoons (CAP) consistaient en une initiative contre-insurrectionnelle des Marines
qui visait à assurer la protection de la population rurale contre les insurgés viêt-cong en déployant de manière
permanente une section de Marines auprès des forces paramilitaires sud-vietnamiennes dans les villages. Ce
concept sera analysé en profondeur dans le chapitre 3. 16 Lewis Sorley, Westmoreland The General who Lost Vietnam, Boston, Mariner Books, 2011, p. xix.
10
montrer qu’il n’en fut rien. Citons également une étude récente de Max Boot nommée The
Road Not Taken. Dans ce volume, l’auteur se penche sur le colonel Edward Lansdale, un
spécialiste de la contre-insurrection qui conseillait le Président sud-vietnamien Ngo Dinh
Diem. Boot y souligne notamment que la chute du Président Diem consiste en une des plus
grandes erreurs stratégiques des Américains au Vietnam. Boot affirme que Washington a
sciemment ignoré les recommandations et les conseils de Lansdale qui encouragea la
maximisation des opérations de contre-insurrection au Vietnam.17 De son côté, l’auteur
Edward Miller publia en 2013 Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate
of South Vietnam. Miller y affirme que les visées politiques de Washington et du Président
Diem n’étaient pas aussi aux antipodes que l’ont affirmé d’autres historiens et journalistes
par le passé. Il expose également à quel point la Maison-Blanche et Diem ont sous-estimé la
complexité des opérations générales de pacification au Vietnam.18
Pour sa part, Jeffrey Race est l’auteur d’un volume titré War Comes to Long An. Race
passa environ deux ans avec les Forces armées américaines au Vietnam et concentra ses
études sur le secteur de Long An, situé près de Saigon. Il se penche sur les stratégies
communistes et américaines dans la région et souligne le manque de préparation du MACV
à gérer la situation opérationnelle au Vietnam. Du côté communiste, il expose la capacité
supérieure de ces derniers à comprendre les besoins de la population civile, ce qui fut moins
le cas des dirigeants politiques à Saigon.19 De son côté, l’auteur David Elliot publia The
Vietnamese War: Revolution and Social Change in the Mekong Delta, 1930-1975. L’étude
se penche presque exclusivement sur la perspective communiste de la guerre et les opérations
du Viêt-Cong dans la région du Delta du Mékong entre 1930 et 1975.20 En ce qui a trait aux
auteurs étudiant les opérations clandestines du MACV au Cambodge et au Laos, il convient
de citer Black Ops Vietnam: The Operational History of MACVSOG de Robert Gillespie.
L’étude traite des opérations du MACVSOG (Military Assistance Command Vietnam Studies
and Observations Group), qui chapeauta les opérations clandestines du SOG (Studies and
Observations Group) au Laos et au Cambodge. En exploitant une gamme de documents
17 Max Boot, The Road not Taken, New York, Liveright Publishing Corporation, 2018, p. xxxix. 18 Edward Miller, Misalliance: Ngo Dinh Diem, the United States, and the Fate of South Vietnam, Cambridge,
Harvard University Press, 2013, p. 17. 19 Jeffrey Race, War Comes to Long An, Los Angeles, University of California Press, 1972, p. x-xiv. 20 David Elliott, The Vietnamese War: Revolution and Social Change in the Mekong Delta, 1930-1975, New
York, Routledge, 2006, p. xv.
11
récemment déclassifiés, Gillespie nous trace une des premières études complètes relatant des
opérations clandestines du MACVSOG. L’auteur conclut que les opérations du SOG ont été
tactiquement efficaces mais opérationnellement limitées. Gillespie spécifie qu’ultimement,
l’unité n’a pu parvenir à achever sa mission originale qui consistait à bloquer l’acheminement
d’approvisionnement et de renforts communistes dans la RVN. En ce qui trait au CORDS,
une des études les plus complètes a été publiée tout récemment en 2017. Elle s’intitule The
Theory and Practice of Associative Power. Son auteur, Stephen B. Young, un vétéran, était
un administrateur du programme CORDS. Il relate son expérience tout en faisant une analyse
du programme, pour conclure que ce dernier constituait un succès pour les Américains qui
réussirent à contenir le Viêt-Cong et développer les secteurs ruraux sud-vietnamiens. Son
analyse exhaustive est très révélatrice de l’efficacité opérationnelle du programme. Enfin,
citons Eric Bergerud qui a notamment fait publier en 1993 The Dynamics of Defeat: The
Vietnam War in Hau Nghia Province. Dans cette étude, l’auteur mentionne que certaines
théories militaro-opérationnelles alternatives ont été tentées dans la Province de Hau Nghia
au Vietnam.
Bergerud souligne que l’intervention américaine était vouée à l’échec, compte tenu
du manque de légitimité du gouvernement à Saigon et que le Viêt-Cong offrait une alternative
plus attrayante pour la paysannerie sud-vietnamienne. Bergerud tend à généraliser les
résultats de sa recherche sur la Province de Hau Nghia à l’ensemble du Vietnam du Sud, ce
qui est problématique en termes de représentativité de la situation opérationnelle dans la
RVN. Dans l’ensemble, les auteurs susmentionnés abordent divers facteurs qui toucheront
aux volets théoriques de la présente thèse. Celle-ci se démarque néanmoins par son analyse
à contre-courant des divers volets contre-insurrectionnels (CORDS, le programme Phoenix21
et CAP), jumelée à son analyse des facteurs conventionnels, insurrectionnels logistiques et
hybrides. En bref, il existe peu d’études sur la guerre du Vietnam qui montrent la viabilité
des préceptes de contre-insurrection américains tout en cherchant à cibler comment le facteur
hybride du conflit affecta la conduite des opérations communistes et américaines.
Finalement, en ce qui a trait au programme Phoenix, citons les œuvres de Mark Moyar
21 Le programme Phoenix était une initiative visant à anéantir l’infrastructure politique du Viêt-Cong par le
biais des forces spéciales américano-sud-vietnamiennes, des forces de police sud-vietnamiennes et via
l’assistance d’informateurs et de transfuges communistes. Le programme Phoenix sera analysé en détail dans
le chapitre 4.
12
(Phoenix and the Birds of Prey: Counterinsurgency and Counterterrorism in Vietnam) et de
Dale Andrade (Ashes to Ashes: The Phoenix Program and the Vietnam War). Dans ces
études, les deux auteurs exposent les opérations de Phoenix et vont à l’encontre des
mouvances historiques et populaires qui tendent à dépeindre l’offensive ciblant les cadres
communistes comme un programme d’assassinat.
4. Hypothèse
Un des objectifs de cette thèse vise à montrer que le processus de pacification se
trouvait à la portée des stratèges américains et qu’il a été possible de l’appliquer avec succès
au Vietnam. L’analyse des doctrines contre-insurrectionnelles de l’USMC, de la 173rd
Airborne Brigade et du CORDS nous montrera que leur efficacité contre l’insurrection était
due au fait qu’elles s’inspiraient des préceptes contre-insurrectionnels français en Algérie et
britanniques en Malaisie. Un des aspects théoriques à être exploré sera celui de l’application
au Vietnam des doctrines du stratège et lieutenant-colonel français David Galula. Lors de la
guerre d’Algérie, ce dernier a révolutionné la COIN en développant une doctrine qu’il a
consignée par écrit dans Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice. La doctrine de
Galula a fortement inspiré la rédaction du dernier manuel doctrinal de COIN des Forces
armées américaines : le FM 3-24. Les bases de cette doctrine ont d’ailleurs été exploitées
avec beaucoup de succès en Irak par le général David Petraeus entre 2007 et 2011 et contre
les FARC en Colombie. La justesse de la doctrine du lieutenant-colonel français était telle
aux yeux du général Petraeus que ce dernier a surnommé Galula le « Clausewitz de la contre-
insurrection ».22
Même le général Westmoreland, également impressionné par les doctrines de Galula,
a invité ce dernier aux États-Unis afin qu’il éduque l’armée américaine et les forces spéciales
sur les dynamiques de la COIN.23 De son côté, l’Ambassadeur américain à Saigon, Henry
Cabot Lodge a reconnu l’impasse engendrée par la quasi-exclusivité accordée aux missions
de search and destroy ainsi que la nécessité d’exploiter les doctrines contre-
insurrectionnelles françaises au Vietnam. Dans une lettre au Président Lyndon Johnson,
22 Gregor Matthias, David Galula : Combattant, espion, maître à penser de la guerre contre-révolutionnaire,
Paris, Economica, 2012, p. 1. 23 Ibid., 178-180.
13
Lodge mentionne que les États-Unis gagneraient à exploiter les doctrines du général Jacques
Massu, l’un des architectes de la défaite insurrectionnelle algérienne lors de la bataille
d’Alger, et de David Galula.24 La doctrine de Galula comportait huit grandes étapes. La
première : détruire et expulser les forces insurgées du district visé. Ensuite, déployer
suffisamment de forces statiques pour empêcher le retour des insurgés. En troisième lieu,
assurer un contact et un contrôle serré de la population (pour la séparer des insurgés).
Quatrièmement, détruire l’organisation politique de l’insurrection. La cinquième étape :
organiser des élections locales avant de mettre à l’épreuve les élus afin d’évaluer leur réel
dévouement. La septième étape consistait à organiser un parti politique représentatif de
l’ensemble de la population. Finalement, convertir ou éliminer le résiduel de la guérilla.25
L’analyse des sources montrera que la 173rd Airborne Brigade ainsi que les Marines et leurs
Combined Action Platoons ont su appliquer avec beaucoup de succès la troisième étape du
processus doctrinal de Galula, c’est-à-dire assurer un contact et un contrôle serré de la
population (pour la séparer des insurgés).
Les Marines ont été déployés en permanence dans plusieurs secteurs ruraux de leur
zone d’opération et ont assuré la scission de la population civile et des insurgés. De son côté,
la 173rd Airborne Brigade en fit tout autant au sein des secteurs qu’on lui avait attribués. Pour
leur part, les sources relatives aux opérations du CORDS révèleront que l’organisation réussit
à appliquer les troisièmes et quatrièmes étapes du processus doctrinal de Galula. Nous
montrerons que le succès du CORDS est grandement attribuable à son contact direct avec la
population et à l’initiation d’un des programmes les plus controversés de la guerre du
Vietnam : le programme Phoenix. Ce dernier constitue sans aucun doute l’opération la plus
incomprise et la plus mésinterprétée de la guerre du Vietnam. Il s’agira de démontrer
comment le CORDS et Phoenix, de l’aveu même de commandants communistes, enraya ou
limita sévèrement la capacité à opérer des forces de combat communistes, de même que leur
infrastructure politique. Du côté des doctrines britanniques imitées par les Américains, nous
nous tournerons vers Sir Robert Thompson. Ce dernier, nommé conseiller sur la situation au
Vietnam auprès de Richard Nixon et d’Henry Kissinger, est considéré comme un des plus
24 U.S. State Department, Henry Cabot Lodge, Memorandum: Proposal by H,C, Lodge March 26, 1968,
Washington D.C., 1983. 25 David Galula, Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice, New York, Frederick A, Praeger
Publisher, 1964, p. 78-98.
14
grands spécialistes de la COIN du 20e siècle. Thompson est reconnu comme l’un des
principaux architectes responsables de l’élimination de l’insurrection communiste en
Malaisie au cours des années 1950. Sa doctrine de COIN a été d’une telle efficacité qu’une
délégation de conseillers britanniques dirigée par Thompson a été formée et envoyée au
Vietnam pour conseiller le président sud-vietnamien Ngo Dinh Diem. Cette mission fut
nommée BRIAM (British Advisory Mission). L’application sud-vietnamienne des grandes
lignes des doctrines britanniques sous la direction de Diem entre 1960 et 1963 connut des
succès opérationnels outrageusement sous-estimés par beaucoup d’historiens et de
journalistes. Cette réalité a été exhaustivement exposée par Mark Moyar dans son étude
intitulée Triumph Forsaken et sera également analysée dans le premier chapitre de la présente
thèse. Du côté des Marines, de la 173rd Airborne et du CORDS, l’application des doctrines
de Thompson a eu un impact significatif sur la vie des Sud-Vietnamiens touchés par les
programmes de pacification et sur les insurgés cherchant à infiltrer les secteurs ruraux. La
doctrine de COIN britannique exploitée en Malaisie accordait beaucoup d’importance à la
sécurité et la qualité de vie de la population civile. La doctrine usait extensivement
d’opérations psychologiques.
Ces dernières visent à convaincre la population et les insurgés à pleinement collaborer
avec les forces gouvernementales. Pour la population, il s’agit notamment de la convaincre
que l’insurrection est une cause perdue en l’éliminant et en augmentant la qualité de vie des
civils. Pour les insurgés, il s’agit de leur infliger suffisamment de défaites, à les isoler et à
leur offrir des programmes d’amnistie afin de les convaincre de déposer les armes et faire
défection. L’analyse des sources américaines et communistes indiquera jusqu’à quel point le
MACV et l’ARVN ont, ultimement, réussi à atteindre cet état des choses au Vietnam au cours
des années 1970. Nous montrerons comment la sécurité des civils sud-vietnamiens,
directement touchés par ces programmes de pacification, s’est vue améliorée. Nous
chercherons également à exposer comment ces initiatives ont contribué à détourner les civils
sud-vietnamiens de la cause des insurgés du Viêt-Cong et jusqu’à quel point ces derniers se
sont vus privés du refuge, des caches et de l’approvisionnement préalablement fournis par la
population civile. Néanmoins, les percées américaines en matière de pacification n’auraient
jamais suffi à la tâche. L’aspect hybride du conflit nécessitait des Américains une attention
tout aussi marquée des aspects conventionnels de la guerre. La thèse propose d’exposer à
quel point cet aspect conventionnel, si souvent dénoncé par les historiens, rendait tout à fait
15
justifiable les opérations de search and destroy privilégiées par Westmoreland. Au cours de
la présence américaine au Vietnam, des centaines de milliers de soldats réguliers de l’Armée
nord-vietnamienne ont infiltré le Vietnam du Sud via la Piste Ho Chi Minh longeant le Laos
et le Cambodge. Des divisions entières du NVA se sont déployées au cœur de la République
du Vietnam pour assister le VC et combattre l’ARVN ainsi que les Forces américaines.
L’application quasi exclusive de méthodes de COIN, tel que suggéré par les historiens
susmentionnés, aurait constitué en fait une véritable catastrophe pour les Américains et leurs
alliés sud-vietnamiens. En effet, aussi alerte et compétente soit-elle, aucune force militaire
déployée dans un cadre de mission contre-insurrectionnelle ne posséderait la capacité de
repousser l’assaut de forces conventionnelles adverses composées d’entière divisions,
brigades ou bataillons. Cette étude justifiera en partie le concept d’opération conventionnel
américain tout en ciblant ses failles. Il s’agit d’exposer à quel point ces lacunes ont été la
résultante des facteurs militaro-hybrides intrinsèques au conflit. Au Vietnam, les éléments
communistes ont créé un concept d’opération caractérisé par la synergie des opérations de
ses forces régulières (le NVA) et de ses forces irrégulières (le VC).
Ce processus hybride voyait les divisions régulières du NVA et les plus larges
formations VC attirer les forces américaines loin des secteurs peuplés. Ce procédé facilitait
l’infiltration du VC et de son infrastructure politique à l’intérieur des villages sud-
vietnamiens. Les secteurs ainsi capturés par le VC devenaient des bases d’opérations pour
les plus larges formations VC et pour le NVA. Ceci assura aux communistes des bases
d’approvisionnement, du renseignement, des recrues et l’appui des civils (forcé, volontaire
ou tacite). Lorsque les Forces militaires américaines cherchaient à sécuriser ces bases
d’opérations communistes, ils y déployaient des brigades pour déloger l’adversaire. Une fois
les éléments communistes surclassés, ceux-ci finissaient par quitter la zone d’opération.
Néanmoins, aucune force militaire statique n’était ensuite assignée pour demeurer avec les
villageois en vue de les protéger d’un éventuel retour des Viêt-Cong. Inévitablement, ces
derniers reprenaient rapidement le contrôle du secteur si durement gagné par les Américains;
une des conséquences du manque de synchronisation des opérations conventionnelles et
contre-insurrectionnelles des Américains au Vietnam. Les Français ont confronté exactement
le même problème lors de la guerre d’Indochine; bien que les Forces militaires françaises
détenaient la capacité de vaincre les divisions conventionnelles du Vietminh (le précurseur
du Viêt-Cong), dans la plupart des circonstances, elles se montraient incapables de
16
simultanément contrôler la population vietnamienne.26 Lorsque les Forces américaines
traquaient les éléments conventionnels nord-vietnamiens dans les zones plus isolées, le NVA
engageait le combat pour subséquemment se désengager et trouver refuge au Laos et au
Cambodge, deux pays interdits d’accès aux Américains. Les gouvernements laotien et
cambodgien ont déclaré leur neutralité lors du conflit, ce qui ne les empêcha point de tolérer
tacitement la présence communiste au sein de leur territoire. Washington a préféré respecter
cette prétendue neutralité, ce qui ne l’a point empêché de la violer également en y déployant
des unités de forces d’opérations spéciales. La Maison-Blanche s’obstinait à ne pas déployer
de troupes régulières sur la Piste Ho Chi Minh, ce qui a permis aux unités communistes de
bénéficier d’une zone permanente de repli et d’un renflouement continuel en matière
d’effectifs, d’armes et de munitions. Ceci a facilité l’acheminement des 84,000 soldats
communistes qui ont déclenché l’offensive du Têt en 1968.27
En bref, le système militaro-hybride communiste constituait une entité mécanique
composée essentiellement de trois piliers ou sous-systèmes fonctionnant en parfaite
symbiose: les systèmes conventionnels, insurrectionnels et de réapprovisionnement
logistique. Les effets tactiques engendrés par cette dynamique synergique ont rendu possible
l’offensive du Têt, en plus d’épuiser psychologiquement les éléments politico-militaires
américains. Lors d’un conflit hybride de cette nature, il est impératif de disloquer cette
synergie hybride, faute de quoi, le conflit s’éternisera indéfiniment, en un éternel cycle de
recommencement. Dans le contexte militaire caractéristique du Vietnam, il était essentiel
pour les Américains de synchroniser leurs opérations conventionnelles et contre-
insurrectionnelles tout en isolant et brisant les trois piliers du processus de synchronisation
hybride des communistes. Là se situait, nous le croyons, le réel problème de nature militaro-
tactique pendant la guerre du Vietnam. Cette stratégie généra l’impasse militaire américaine
qui, inévitablement, frappa durement les cibles privilégiées d’une menace à caractère
hybride, c’est-à-dire les éléments politiques, économiques et sociaux de la puissance ou
superpuissance visée. C’est ce qui, ultimement, devait susciter le découragement politique
de Washington à poursuivre la guerre.
26 Williamson Murray et Peter R. Mansoor, Hybrid Warfare, Cambridge, Cambridge University Press, 2012,
p. 9. 27 James S. Robbins, This Time We Win, New York, Encounter Books, 2010, p. 165.
17
Ainsi, cette thèse soumet l’hypothèse suivante : d’une part, la conduite d’opérations
conventionnelles s’est montrée pleinement justifiée au Vietnam considérant le modus
operandi hybride des communistes. D’autre part, la défaite militaire américaine n’est pas le
produit de l’inaptitude des forces militaires du MACV à exécuter leurs opérations de COIN;
de fait, ces dernières s’appliquaient très bien au théâtre d’opération vietnamien et ont
pratiquement éliminé l’insurrection. En fait, l’incapacité des Américains à stabiliser
militairement la situation a plutôt eu comme source leur inaptitude à complètement disloquer
la synergie des éléments conventionnels, insurrectionnels et logistiques propres au concept
d’opération hybride des communistes au Vietnam.
5. Méthodologie et sources
La méthodologie privilégiée se basera sur un principe de déduction et d’inférence.
Nos sources feront d’abord l’objet d’une analyse de contenu. Ensuite, les données extraites
se verront insérées et traitées au sein d’une grille de lecture qui nous permettra d’arriver à
des déductions et d’inférer des conclusions. Ce processus méthodologique permettra, par
exemple, de cibler jusqu’à quel point les opérations du CORDS, des Marines et de la 173rd
Airborne Brigade ont entravé les opérations communistes et gagné l’appui de la population
civile concernée. À titre d’exemple, une analyse effectuée dans un secteur occupé par les
CAP des Marines est susceptible de résulter en une déduction différente de celle d’un secteur
exclusivement ciblé par des opérations de search and destroy. Si ces manœuvres se voyaient
effectuées dans un secteur rural subséquemment occupé par les forces statiques des Marines,
nous pourrions probablement déduire que la dispersion des forces communistes dans les
secteurs habités s’avérerait compliquée, voire impossible.
Advenant de tels résultats à la suite de l’analyse des sources, nous serons à même de
conclure que la synchronisation des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles
s’avérait possible et aurait constitué un succès lorsqu’appliquée. Cette grille déductive
permettra également de cibler comment les trois sous-systèmes du processus de combat
hybride des communistes ont fait obstacle aux Américains pour stabiliser le théâtre
d’opération vietnamien. Par exemple, nous exposerons dans la grille les éléments qui
rendaient essentiels l’accès des forces communistes à la Piste Ho Chi Minh et l’impact
opérationnel de cette dernière sur les opérations de combat communiste au Vietnam. En
exploitant la même grille, nous analyserons les impacts de l’incursion américaine au
18
Cambodge pour neutraliser les sites de réapprovisionnement de la Piste. En analysant les
impacts opérationnels de cette action sur les avantages tactiques apportés par
l’approvisionnement continuel de la piste Ho Chi Minh, il nous sera possible de déduire
jusqu’à quel point le système hybride communiste dépendait de ses lignes de communication
pour faciliter ses opérations militaires. En bref, il s’agit d’arriver à des déductions basées sur
des causes et les effets qui en ont résulté sur le théâtre d’opération. Notre méthodologie
déductive a notamment été exploitée par l’historien Mark Moyar dans ses deux études sur la
guerre du Vietnam : Triumph Forsaken : The Vietnam War, 1954-1965 et Phoenix and the
Birds of Prey : Counterinsurgency and Counterterrorism in Vietnam. Dans Triumph
Forsaken, Moyar indique qu’une des plus grandes erreurs américaines au Vietnam a été
d’avoir abandonné Diem à son sort le 1er novembre 1963 lors de son renversement.28 Pour
cette étude, les multiples sources de Moyar comportent notamment des archives de la CIA,
du MACV et des groupes politiques communistes.
La méthodologie déductive de Moyar l’a amené à déduire que le programme contre-
insurrectionnel de Diem fonctionna très bien dans les secteurs ruraux et que la chute du
programme est allée de pair avec l’assassinat de Diem par ses généraux. Par son analyse,
Moyar montre avec clarté qu’à défaut d’être parfait, le système d’hameaux stratégiques de
Diem et les actions offensives de l’ARVN ont déstabilisé le VC, rendu littéralement à court
de moyens pour contrer les initiatives contre-insurrectionnelles du Président sud-vietnamien
en 1963.29 Dans Phoenix and the Birds of Prey, Moyar exploite la même méthodologie
déductive en analysant l’efficacité du programme Phoenix. Pour cette analyse, Moyar se
penche entre autres sur des archives du CORDS, de la CIA et des communistes. Son examen
des sources l’amène à conclure que le programme Phoenix décapita bel et bien une grande
partie de la structure politique du VC et que, contrairement à la croyance populaire, le
programme a été conduit de manière légale dans le cadre d’un conflit militaire.30 En bref,
Moyar analyse ses sources, fait les corrélations qui s’imposent, établit des faits, puis élabore
sa déduction. Nous nous proposons d’utiliser cette méthodologie pour la présente thèse.
28 Moyar, op. cit., p. 286-287. 29 Ibid. 30 Mark Moyar, Phoenix and the Birds of Prey: Counterinsurgency and Counterterrorism in Vietnam,
Lincoln, University of Nebraska Press, 2007 (1997), p. 392-398.
19
En ce qui a trait aux sources, la présente étude en comportera une très grande variété.
Parmi celles-ci, nous retrouverons plusieurs manifestes doctrinaux contre-insurrectionnels et
les mémoires des stratèges franco-britanniques. Ainsi, du côté français, les écrits de David
Galula seront exploités. En 1964, il publiait son manifeste contre-insurrectionnel
Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice. Galula y traite des stratégies et tactiques
qu’il considère impératives d’adopter si les forces contre-insurrectionnelles veulent contenir,
diminuer et, ultimement, vaincre une insurrection armée. Concrètement, Galula s’attarde sur
les conditions préalables au succès d’une insurrection, la constitution des doctrines
privilégiées par les guérillas, les stratégies et tactiques à employer pour contrer ces dernières
et les huit étapes à suivre pour annihiler une insurrection. Du côté britannique, maints écrits
de Robert Thompson seront exploités. Thompson a fait publier sa doctrine de COIN en 1966,
un manuel titré : Defeating Communist Insurgency: Experiences from Malaya and Vietnam.
Thompson s’attarde entre autres aux concepts régissant la conduite des opérations de
subversions, les insurrections communistes, les principes de base d’une COIN, sa structure
administrative, le renseignement, les hameaux stratégiques et la scission des insurgés avec la
population civile.
Thompson se penche sur deux modèles: la Malaisie et le Vietnam. L’auteur a
également fait publier No Exit From Vietnam. Il y explique pourquoi les Américains n’ont
pu y atteindre leurs objectifs politico-militaires. Une grande quantité de sources proviennent
des archives du War College localisées à Carlisle en Pennsylvanie et du centre d’Archives
nationales à College Park près de Washington D.C. Les sources du War College sont
constituées des rapports de John Paul Vann (un des chefs d’orchestre du CORDS) et de
quantité de rapports officiels issus de divers administrateurs du programme CORDS. Les
Archives nationales de College Park ont permis l’accès aux papiers du général William
Westmoreland, à des milliers de pages des archives du U.S. Marines Corps History and
Museum Division et des General Records of US Forces in South East Asia. Ces annales
décrivent respectivement les opérations des Combined Action Platoons des Marines et du
CORDS. L’essentiel des nombreuses pages d’archives dédiées au programme Phoenix
provient également des Archives nationales qui ont aussi permis l’accès à des centaines de
pages de documents communistes saisis par les forces américaines et sud-vietnamiennes. Ces
sources traduites en anglais seront d’une grande utilité car elles permettent d’analyser la
perception communiste des opérations de pacification américaine et sud-vietnamienne. Nous
20
exploiterons aussi plusieurs milliers de pages d’archives numériques de l’History Vault de
ProQuest qui détient également quantité de documents communistes capturés et beaucoup
d’archives du CORDS et du MACV. ProQuest détient également maints rapports de Robert
Thompson lorsqu’il était un des conseillers de Richard Nixon. Quelques archives numériques
du Texas Tech University font également partie du corpus de sources. Nous y trouvons
d’autres documents du MACV et des opérations clandestines du MACVSOG au Laos et au
Cambodge. Nous consulterons également les archives audios du successeur de
Westmoreland au Vietnam, le général Creighton Abrams. Ces enregistrements ont été
consignés par écrit de la main de Lewis Sorley dans un volume intitulé; The Vietnam War
Chronicles 1968-1972 : The Abrams Tapes. Certaines archives d’Abrams proviennent
également du War College. Des archives de la division historique du Joint Chief of Staff
(l’état-major de la Défense américaine) et de la CIA (Central Intelligence Agency) seront
aussi exploitées. À cet effet, Thomas Ahern, ancien opérateur de l’Agence, constituera une
de nos sources privilégiées.
La CIA mandata Ahern pour qu’il écrive six volumes devant exposer le rôle de la
CIA lors de la guerre du Vietnam. Ces six volumes déclassifiés en 2009 comportent un total
de 1600 pages. Ces sources sont importantes car elles fournissent des détails exhaustifs sur
la conduite des opérations de pacification et les opérations clandestines visant la Piste Ho
Chi Minh au Laos et au Cambodge. L’ensemble des sources susmentionnées comporte
maints avantages car elles permettent d’analyser tous les aspects militaires nécessaires à
l’élaboration de la thèse. La plus grande limitation imposée par ces sources réside sur le plan
de l’accessibilité et de la lisibilité de certains documents ou sections de documents. Bien que
la loi d’accès à l’information ait rendu possible l’accès à une vaste gamme de documents, les
dossiers anciennement classifiés Top Secret comportent de nombreux paragraphes encore
censurés. L’inaccessibilité de quelques documents dans leur intégralité pourrait causer des
problèmes d’analyse si les détails censurés contenaient des éléments cruciaux au
développement de l’hypothèse. Qui plus est, de nombreuses sources sont presque illisibles,
compte tenu de l’encre vieillissante des documents dactylographiés. Nonobstant ces défauts,
la grande majorité de nos sources sont lisibles et non censurées.
21
Plan et structure de la thèse
La présente thèse ne verra pas ses volets présentés de manière chronologique mais
plutôt thématique. Les facteurs analysés ne peuvent être exposés de façon chronologique; les
opérations des CAP, de Phoenix et du CORDS s’exécutaient simultanément au sein des
divers districts sud-vietnamiens. Les dynamiques hybrides caractéristiques au théâtre
d’opération comportent des éléments thématiques (conventionnel, insurrectionnel et
logistique) qui ne peuvent se décrire sur une base chronologique. En conséquence, l’analyse
d’un chapitre pourrait nous amener à exposer des évènements s’étant déroulés quelques
années avant les évènements du chapitre précédent. Pour sa part, le cadre temporel de l’étude
(1960-1972) est représentatif de la période historique principalement analysée. Bien que des
éléments datant des guerres de décolonisation des années 1950 soient brièvement analysés,
le cœur de la thèse débute avec l’application de la doctrine contre-insurrectionnelle
britannique dans la RVN par Diem en 1960 et se termine avec l’offensive printanière du
NVA en 1972. La chute de la République du Vietnam en 1975 et l’introspection militaire
d’après-guerre des Américains ne sont que très brièvement mentionnées en fin de thèse.
L’étude sera subdivisée en cinq chapitres.
Le premier propose d’abord une courte description académique des principes
d’insurrection, de contre-insurrection et de guerre hybride tout en menant une analyse
subséquente de leur application sur trois théâtres d’opération : l’Algérie, la Malaisie et le
Vietnam. Les volets dédiés à l’Algérie et à la Malaisie seront très courts car ils visent à faire
une simple démonstration au lecteur profane des impacts d’une tactique de contre-
insurrection (destinée à être exploitée au Vietnam) dans un théâtre autre que celui de la RVN.
Ce volet de la thèse se penchera notamment sur les pratiques d’insurrection et de COIN
rencontrées au Vietnam sous Ngo Dinh Diem. Le chapitre se terminera avec l’analyse des
principes hybrides du général nord-vietnamien Vo Nguyen Giap et de leurs effets lors de
l’offensive du Têt. À la lecture du premier chapitre, le lecteur bénéficiera d’une bonne mise
en contexte des premières opérations de COIN au Vietnam juste avant l’intervention militaire
américaine. Le lecteur sera également au fait des dynamiques militaires tactiques et
opérationnelles propres à la guerre du Vietnam. La capacité des communistes à maximiser
les principes de guerre hybride ayant été la résultante de l’incapacité américaine à en briser
la synergie, le second chapitre visera à exposer l’absence de convergence entre les opérations
22
conventionnelles et contre-insurrectionnelles des Américains. Nous y exposerons comment
le manque de synchronisme des opérations militaires américaines a facilité le processus de
guerre hybride des communistes. Parallèlement, le lecteur comprendra pourquoi
Westmoreland a été totalement justifié d’initier des opérations agressives de search and
destroy. Le troisième chapitre se penchera sur la COIN d’inspiration franco-britannique de
l’USMC et de la 173rd Airborne Brigade dans leur secteur d’opération respectif. Ce volet
démontrera que la pacification des secteurs ruraux de ces deux unités a permis de sécuriser
la population civile de l’influence du VC qui n’était nullement invulnérable aux stratégies de
COIN. Ce chapitre solidifiera également notre argumentation vis-à-vis de la faisabilité des
opérations de COIN américaines au Vietnam. Cette même argumentation se verra renforcée
davantage dans le chapitre 4 qui traitera de la contre-insurrection du CORDS dans les
secteurs ruraux de la RVN ainsi que du programme Phoenix. L’effet dévastateur du CORDS
et de Phoenix sur le VC à la suite de l’offensive du Têt montrera à quel point le problème
militaire américain n’a rien eu à voir avec l’application de mauvais concepts contre-
insurrectionnels. Parallèlement, nous exposerons comment l’insurrection viêt-cong s’est vue
démantelée pièce par pièce via ces deux programmes de COIN.
Les chapitres 2 à 4 permettront de cibler comment l’incapacité américaine à briser la
synergie des sous-systèmes conventionnels et non conventionnels du système hybride de
Giap a facilité la continuation des opérations communistes au Vietnam. L’ordre des chapitres
2 à 4 se justifie par la nécessité d’expliquer en premier lieu les initiatives militaires
conventionnelles des Américains et leurs impacts sur le théâtre d’opération sud-vietnamien.
Il conviendra ensuite avec le chapitre 3 de se pencher sur l’analyse concrète des opérations
contre-insurrectionnelles plus localisées de l’USMC et des impacts du manque d’opérations
conventionnelles lors de la conduite de COIN par les Marines. Par après, il sera logique au
chapitre 4 de se centrer sur la contre-insurrection généralisée dans l’ensemble de la RVN
avec le CORDS et les impacts bénéfiques d’une campagne contre-insurrectionnelle conduite
de manière synchronisée avec les opérations conventionnelles. Les effets opérationnels et
stratégiques engendrés par l’incapacité d’isoler le troisième sous-système, c’est-à-dire
l’élément logistique et la Piste Ho Chi Minh, seront traités dans le cinquième et dernier
chapitre. La conclusion inclura une rétrospective des éléments analysés, suivie d’un constat.
Ce dernier aboutira sur le fait que l’impasse militaire rencontrée au Vietnam n’était en rien
la conséquence d’une campagne contre-insurrectionnelle inepte des Américains. En réalité,
23
leur défaite a été le résultat de leur incapacité à isoler et neutraliser systématiquement les
trois éléments synergiques clés du concept d’opération hybride des communistes.
24
Chapitre I: L'Art de la guerre insurrectionnelle, contre-
insurrectionnelle et hybride
“Making war upon rebellion was messy and
slow, like eating soup with a knife”31
-T.E. Lawrence
“If we plan for a long haul, we may get quick
results. If we go for quick results, we may at best get a
long haul”32
-Sir Robert Thompson
La guerre du Vietnam s’est grandement démarquée des conflits purement
conventionnels ayant caractérisé le début du 20e siècle marqué par la Première Guerre
mondiale; un conflit basé sur le statisme, l’artillerie et les opérations défensives à grande
échelle. La Deuxième Guerre mondiale a vu l’essor des doctrines militaires tactiques qui
privilégient la guerre conventionnelle de mouvement et les opérations militaires combinées.
Les chars et l’infanterie initiaient assauts frontaux et attaques de flanc de manière
synchronisée tout en bénéficiant de l’appui accru de l’artillerie et de l’aviation. Bien que
divers secteurs d’opérations se soient distingués par leur caractère à saveur insurrectionnelle,
la Seconde Guerre mondiale marqua profondément les doctrines militaires modernes des
armées qui, encore aujourd’hui, exploitent une doctrine conventionnelle basée sur les
préceptes doctrinaux allemands préconisés dans le Truppenführung. Ce dernier a été écrit en
1933 par des généraux et tacticiens allemands et constitue encore aujourd’hui la base de toute
doctrine de guerre conventionnelle moderne exploitée notamment par les armées de l’OTAN
et la Russie. Ces mêmes doctrines conventionnelles ont été exploitées par l’Armée
américaine lors de la guerre de Corée qui a eu un fort impact sur la gestion stratégique de la
guerre du Vietnam par les politiciens américains. Néanmoins, le conflit au Vietnam a brouillé
de nombreuses cartes et a déconcerté maints stratèges et tacticiens militaires aux États-Unis.
Jamais auparavant les Forces militaires américaines n’avaient été confrontées à un conflit où
31 T.E, Lawrence, Seven Pillars of Wisdom. Blacksburg, Wilder Publications, 2011 (1922), p. 91. 32 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April
1963. Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, College Park, Maryland Political Affairs
& Rel. Folder: 016488-002-0192, p. 6.
25
leur adversaire exploitait l’amalgame de préceptes de guerre conventionnelle et non
conventionnelle. En fait, préalablement à la guerre du Vietnam, la dernière implication
militaire américaine dans un conflit de nature hybride se situe lors de la guerre
d’Indépendance contre la Grande-Bretagne. Les forces coloniales américaines ont elles-
mêmes imposé des offensives militaires hybrides aux Britanniques en exploitant leurs forces
régulières continentales de concert avec leurs forces irrégulières composées de milices
coloniales. Avec l’aide de la France, les Américains sont parvenus à décourager la Grande-
Bretagne de continuer la guerre, ce qui aboutit sur la victoire des forces du général
Washington contre les Britanniques. La guerre civile qui stigmatisa le pays le siècle suivant
a pour sa part été un conflit quasi exclusivement conventionnel. La guerre de Sécession a vu
l’émergence de grands généraux éduqués à West Point qui marquent encore aujourd’hui la
culture militaire des États-Unis. Parmi ces généraux, citons Ulysse S. Grant, William
Tecumseh Sherman, Thomas « Stonewall » Jackson, James Longstreet et Robert E. Lee. Ces
leaders militaires ont grandement inspiré la logique de guerre américaine basée sur
l’offensive et l’attrition.
Les deux guerres mondiales et la guerre de Corée ont dramatiquement renforcé cette
conceptualisation américaine de la guerre. Ce facteur explique pourquoi la machine de guerre
américaine moderne a été bâtie et spécifiquement conçue pour exploiter des doctrines
militaires conventionnelles sur le champ de bataille. Les guerres passées et le spectre d’un
troisième conflit mondial contre l’Union soviétique justifia pleinement ce concept doctrinal.
Les aspects militaires relatifs aux insurrections et à la guerre irrégulière n’ont pas constitué
une priorité pour les tacticiens américains. Lors du déploiement des premières forces de
combat américaines au Vietnam, une dure réalité s’imposa rapidement à l’US Army et aux
Marines; le Vietnam n’était pas la Corée, pas plus que le Japon ni l’Allemagne. Cette guerre
allait inévitablement nécessiter l’initiation d’opérations de COIN. Or, la planification et
l’application d’opérations contre-insurrectionnelles nécessita -et nécessitera toujours- une
compréhension complète du concept même d’insurrection. En quoi consiste exactement ce
concept qui a compliqué la conduite des opérations conventionnelles au Vietnam?
26
1.1. Insurrection et guerre irrégulière
Le manuel de doctrine contre-insurrectionnelle américain, le FM 3-24, définit une
insurrection comme un « mouvement organisationnel conçu pour renverser un
gouvernement » en exploitant « subversion et conflits armés ». Le manifeste doctrinal
spécifie qu’une insurrection constitue en fait une entité qui cherchera à « affaiblir le contrôle
et la légitimité » du gouvernement au pouvoir ou de la force d’occupation par le biais
d’actions politico-militaires cinétiques sur une période prolongée (protracted struggle).
Parallèlement, les forces d’insurrection chercheront à « augmenter leur contrôle » politico-
militaire aux dépens du gouvernement visé par les attaques insurgées.33 Bien que communes
à travers l’histoire, les guerres d’insurrection telles que définies par le FM 3-24 ont connu un
regain de popularité au 20e siècle. Les États-Unis réussirent à vaincre une insurrection aux
Philippines en 1902, le nouveau régime bolchevique en Russie a dû s’affairer à combattre
des forces contre-révolutionnaires et T.E. Lawrence exploita des tactiques de guérilla pour
combattre les forces militaires de l’Empire ottoman lors de la Première Guerre mondiale.
L’ère moderne des insurrections débuta après la Deuxième Guerre mondiale avec la montée
des mouvements nationalistes et le déclin des puissances impériales.34
Les guerres insurrectionnelles diffèrent de beaucoup des guerres conventionnelles, un
facteur qui a troublé à de nombreuses reprises les stratèges militaires chargés d’étouffer une
insurrection. À cet effet, David Galula souligne dans son manifeste doctrinal pourquoi il y a
eu tant de confusion lors de la gestion de guerres d’insurrection et si peu le temps venu de
régir des conflits de nature conventionnelle. Galula explique que lors du déclenchement
d’une guerre conventionnelle, la « transition abrupte » du statut de paix à un statut de guerre
et « la nature même de la guerre » clarifie rapidement l’essence du problème pour les
belligérants. L’objectif sans équivoque consiste à anéantir les forces militaires de son
adversaire et à saisir son territoire. Les facteurs de nature politico-économiques sont relégués
au second plan et ont pour fonction d’appuyer les actions de nature militaires.35 Il en va tout
autrement des guerres insurrectionnelles; la transition du statut de paix au statut de guerre
s’opère de manière graduelle, les problèmes opérationnels caractéristiques au conflit ne sont
33 Headquarters Department of the Army, FM 3-24 Counterinsurgency, Washington, 2006, p. 1-1. 34 Ibid., p. 1-3,1-4. 35 Galula, op. cit., p. 62.
27
jamais clairement définis, la population constitue un objectif clé et les actions politiques et
militaires ne peuvent se voir dissociées; l’aspect militaire, bien « qu’essentiel », ne peut
constituer la forme d’action principale lors d’une insurrection.36 Les indicateurs de victoire
diffèrent également lors de ce genre de guerre. La destruction des forces adverses, la capture
de son territoire et la capitulation d’un des belligérants a généralement scellé l’issue des
guerres de nature conventionnelle. Lors d’une insurrection, la destruction des forces
insurgées et de son infrastructure politique ne sont pas des garants de victoire; l’insurrection
peut éventuellement se reconstituer et continuer le combat. Galula souligne que lors d’une
insurrection, une victoire consiste en « l’isolement permanent » des insurgés de la
population.37 Nous le verrons plus loin, c’est précisément ce que les Britanniques réussirent
à accomplir lors de leur campagne de COIN en Malaisie. Tel qu’il sera démontré dans les
prochains chapitres, la sécurité de la population est à la base de tout succès lors d’une COIN.
Les insurrections se caractérisent toutes comme étant des guerres qualifiées
« d’irrégulières ». Une guerre irrégulière constitue un conflit qui opposera des forces
militaires exploitant des tactiques conventionnelles contre un adversaire qui refusera
d’affronter ouvertement les forces régulières. Ces dernières seront visées par des attaques
subversives faites d’embuscades (hit and run) et d’opérations visant des cibles non
combattantes. En termes plus académiques, le Joint Staff des forces militaires américaines
définit la guerre irrégulière comme suit :
A violent struggle among state and non-state actors for legitimacy and
influence over the relevant populations. [Irregular Warfare] favors
indirect and asymmetric approaches, though it may employ the full range
of military and other capabilities, in order to erode an adversary’s power,
influence, and will. What makes [Irregular Warfare] different is the focus
of its operations - a relevant population - and its strategic purpose – to
gain or maintain control or influence over, and support of [the population]
…the focus of [Irregular Warfare] is on the legitimacy of a political
authority to control or influence [the population].38
D’ores et déjà, nous sommes à même de constater que la population civile semble incarner un
élément important de l’effort de guerre des forces irrégulières. Les éléments politiques de
l’insurrection exploiteront un amalgame de techniques d’intimidation, de coercition et de
36 Ibid. 37 Ibid., p. 57. 38 David Jordan, Kiras, D. James, Lonsdale J. David, Ian Speller, Tuck Christopher et C. Dale Walton,
Understanding Modern Warfare, Cambridge, Cambridge University Press, 2008, p. 233.
28
terrorisme afin d’obtenir la coopération des civils réfractaires à l’idée d’appuyer les forces
insurrectionnelles. Les insurgés useront de leur influence pour convaincre la population de
l’inaptitude du gouvernement à les protéger et que l’intérêt des villageois consiste à coopérer
avec les forces irrégulières.39 Ces stratagèmes ont été exploités par une multitude de forces
insurgées que ce soit en Irak avec Al Qaeda, en Afghanistan avec les Talibans, au Vietnam
avec le VC et quantité d’autres. Avec le temps, les forces irrégulières chercheront à ravir
l’initiative offensive à leur adversaire et initieront des offensives plus conventionnelles pour
éventuellement renverser de manière définitive le gouvernement en place.40 Ce concept
général tire ses racines des grandes lignes de la doctrine insurrectionnelle communiste de Mao
Zedong, plus tard exploitée par le chef d’état-major du NVA Vo Nguyen Giap.
1.1.1. La vision des doctrines insurrectionnelles de Mao et leur influence au Vietnam
Lors de la guerre sino-japonaise dans les années 1930, Mao a produit deux manifestes
élaborant ses théories en matière de guerre irrégulière. Un des manifestes s’intitulait On
Guerrilla War, l’autre; On Protracted War. Dans ce dernier, Mao souligne qu’une victoire
rapide contre les forces conventionnelles japonaises est « impossible ». Il affirme que de
maintenir une « ligne de défense tactique » contre les Japonais résultera inévitablement en une
« défaite des forces communistes ». Les Japonais étaient trop bien équipés et entraînés pour
être vaincus par le biais de manœuvres conventionnelles. Mao préconisait donc une méthode
qui plaçait la paysannerie chinoise au cœur du conflit contre les envahisseurs japonais. Les
civils devaient être « éduqués, entraînés et équipés pour combattre ». Les offensives tactiques
de la guérilla devaient se concentrer sur l’assaut des zones occupées par les forces nippones
et de leurs lignes de réapprovisionnement. Les Japonais se verraient alors confrontés à un
dilemme : redéployer leurs troupes d’occupation pour traquer les insurgés (ce qui permettrait
l’infiltration des insurgés auprès de la population) ou redéployer leurs forces pour protéger
leurs lignes de réapprovisionnement.41 En bref, Mao cherche à disperser les forces
conventionnelles, vise leurs maillons faibles et, à moins d’un avantage tactique certain, évite
tout affrontement direct. Mao a construit sa propre analyse des concepteurs doctrinaux
39 Ibid., p. 235-236. 40 Ibid., p. 236. 41 Zedong, Mao, On Protracted War, Honolulu, University Press of the Pacific, 2001 (1966), p. 196-197, 219-
222, 248-250, 255.
29
insurrectionnels qui privilégiaient une approche systématiquement axée sur l’offensive ou la
défensive. Le leader chinois critiquait aussi les deux écoles de pensée et suggéra une approche
plus nuancée des deux concepts.42 Il a préféré calibrer ses initiatives offensives et défensives
en subdivisant sa doctrine en trois phases : la première : une défense stratégique qui voyait
l’implantation progressive des éléments politico-militaires communistes dans les secteurs
ruraux jugés idéaux pour lancer les éventuelles actions militaires. Il s’agissait alors de recruter,
entraîner et organiser les cadres chargés des affaires politiques de l’insurrection; infiltrer les
organisations civiles et gouvernementales clés; développer un réseau de collecte de
renseignement, ramasser des fonds (via la taxation des civils) et développer des relations pour
obtenir des appuis externes. Ultimement, l’objectif consiste à créer les conditions politico-
militaires idéales pour l’initiation de la guérilla.43 La deuxième phase: déclencher un conflit
de guérilla qui entraînera les éléments contre-insurrectionnels et le gouvernement au sein
d’une impasse stratégique. Lors de cette phase, les insurgés s’engagent dans une épreuve de
force contre les forces contre-insurrectionnelles en multipliant les attaques subversives et non
conventionnelles.
Au sein de l’arène politique, les cadres s’affairent à briser le lien de confiance de la
population civile vis-à-vis des instances gouvernementales au pouvoir. L’insurrection cherche
également à étendre sa zone d’influence géographique. Les attaques subversives ayant affaibli
à l’usure les forces gouvernementales et rallié la population civile à la cause des insurgés, il
sera alors possible de passer à la troisième phase: une large contre-offensive stratégique des
insurgés. Ces derniers effectueront la transition tactique susmentionnée qui entraînera
l’abandon des attaques de guérilla au profit d’assauts militaires conventionnels destinés à
faciliter la prise du pouvoir. Il convient de préciser que la doctrine maoïste ne nécessite pas
une exécution « séquentielle » ou une « application complète » des trois phases; l’objectif est
de saisir le pouvoir politique par la force. Si le gouvernement visé chute prématurément, les
trois phases n’auront pas à être exécutées. Parallèlement, si l’insurrection encaisse un revers,
elle peut revenir à la phase précédente.44 C’est précisément ce qui arriva aux forces
communistes en Indochine contre les Français en 1951 et contre les Américains pendant
42 David Jordan, Kiras, D. James, Lonsdale J. David, Ian Speller, Tuck Christopher et C. Dale Walton, op.
cit., p. 255. 43 Headquarters Department of the Army, op. cit., p. 1-6. 44 Ibid., p. 1-7.
30
l’offensive du Têt en 1968. Lors de cette dernière, la défaite encaissée par l’Armée nord-
vietnamienne et le VC fut si catastrophique sur le plan militaire qu’Hanoï n’eut d’autre choix
que de reculer à la phase 2 de sa doctrine d’inspiration maoïste.45 Mao insiste sur la primauté
absolue de l’aspect politique qui, ultimement, atteints ses objectifs grâce au soutien des
opérations de nature militaire. Une des tâches primaires de ces éléments militaires est
d’assurer la protection des cadres chargés de conduire les opérations politiques de
l’insurrection visant à gagner l’appui de la population civile.46 À cet effet, Galula souligne:
If the insurgent manages to dissociate the population from the
counterinsurgent, to control it physically, to get its active support, he will
win the war because, in the final analysis, the exercise of political power
depends on the tacit or explicit agreement of the population or, at worst, on
its submissiveness.47
Mao visualisait ses forces insurgées comme des poissons nageant dans l’eau représentée par
la population civile. Cette dernière est essentielle à la victoire ultime et ne peut être dissociée
des plans stratégiques de la guérilla. Une citation d’un rapport du haut-commandement des
forces communistes dans la République du Vietnam (le COSVN/Central Office for South
Vietnam) démontre également à quel point le leadership communiste vietnamien a insisté
pour que ses subordonnés respectent ce précepte stratégique de la doctrine maoïste :
We must understand the present policy of our Party in order to trigger a
fully developed guerrilla warfare with the participation of the population
in all sectors. This policy aims to coordinate our military attacks with our
political attacks and intensify [our attacks] so as to carry our offensive
capabilities to their zenith for the initiation of the general offensive and
the uprising campaign.48
L’importance de la synergie caractéristique des opérations politico-militaires
insurgées et l’appui de la population civile est également corroborée par Robert Thompson. Il
explique que « l’objectif politique » des insurgés consiste à assurer le contrôle de la population
45 Il est à noter que la nature hybride du conflit rencontré au Vietnam entraîna les forces communistes à
exploiter une version modifiée de la doctrine maoïste. Cette doctrine fut dénommée Dau Trahn et sera décrite
dans le volet hybride du présent chapitre. 46 David Jordan, Kiras, D. James, Lonsdale J. David, Ian Speller, Tuck Christopher et C. Dale Walton, op.
cit., p. 255. 47 Galula, op. cit., p. 6. 48 U.S. Army Military History Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and
Analysis of Significant Viet Cong/North Vietnamese Documents, Carlisle Barracks, Pennsylvania, Folder
003233 -002-0994, p. 16-17.
31
en se concentrant préalablement sur les « zones rurales ». Pour sa part, « l’objectif militaire »
vise à « neutraliser les forces armées du gouvernement » et à les rendre ineptes à garder le
momentum de la situation opérationnelle en leur faveur.49 Pour atteindre de tels objectifs, les
entités politiques et militaires de l’insurrection formeront une organisation conjointe qui
subordonnera les éléments militaires aux éléments politiques. Cette coopération entre les
éléments politico-militaires communistes se résume au schéma suivant :
Figure 1 : Schéma représentant la dynamique de la synchronisation des opérations
politico-militaires communistes selon Robert Thompson50
Sous la direction du Comité de district, l’organisation politique communiste au sein
de la population (A) est responsable, avec l’aide des unités de combat (B et C), d’accroître le
contrôle des insurgés sur la population. L’organisation politique (A) est aussi responsable de
fournir de la nourriture, de l’approvisionnement logistique, des recrues et du renseignement
au comité de district ainsi qu’aux unités de combat. Plus les cellules communistes s’étendent
géographiquement, plus le flot de recrues, d’approvisionnement logistique et d’unités aptes
au combat augmenteront. La réaction en chaîne qui s’ensuit aboutit sur la création
progressive de pelotons qui deviennent des compagnies appelées à évoluer en bataillons de
district (pour avoir la description de l’ordre de bataille d’un bataillon du Viêt-Cong, voir
49 Robert Thompson, Defeating Communist Insurgency, Londres, Chatto & Windus, 1966, p. 29-30. 50 Ibid., p. 30.
Comité de
district Unités régulières
communistes
(compagnies et
bataillons)
Cellules
communistes et
appui populaire
Unités communistes
locales (pelotons et
compagnies) A B
C
32
l’annexe 1). Si l’insurrection parvient à saisir davantage de territoire aux dépens des forces
contre-insurrectionnelles, ces mêmes bataillons sont susceptibles de devenir des régiments
entiers (ce qui, ultimement, facilitera l’initiation d’opérations conventionnelles majeures au
moment opportun).51 Une fois un secteur sécurisé par les communistes, les pelotons
s’installent en permanence dans les villages et continueront d’appuyer les initiatives
politiques de l’insurrection. La zone sécurisée peut même être appelée à voir les unités
régulières de bataillons s’installer aux abords des villages et déployer leurs compagnies en
son sein. À ce stade, Thompson souligne que la guérilla opère librement au sein de la
population qui assure la continuité de l’approvisionnement en nourriture, recrues et
renseignements aux insurgés qui, de leur côté, bénéficient également du camouflage idéal
contre les forces contre-insurrectionnelles.52
À cet effet, les insurgés ne portaient pas d’uniformes, s’habillaient des mêmes
vêtements que les paysans. À moins d’être surpris les armes à la main, les membres de
l’insurrection devenaient indissociables du reste de la population. Thompson précise que
l’erreur classique des forces contre-insurrectionnelles une fois confrontées aux forces
irrégulières est de viser les éléments de combat des forces insurgées (B et C) aux dépens des
éléments politiques (A). Les éléments militaires représentent la cible la plus attrayante pour
une force militaire conventionnelle. Nous verrons dans le volet dédié à la COIN à quel point
ce concept d’opération est infructueux lors d’une campagne contre-insurrectionnelle. Afin de
mettre en valeur l’importance majeure du facteur relatif au recrutement, il convient de
mentionner une autre observation de Thompson. Ce dernier fait valoir qu’il peut être
surprenant de constater à quel point les insurgés peuvent se montrer capables de renflouer
leurs effectifs après avoir encaissé des pertes que l’on peut qualifier de catastrophiques aux
mains des forces contre-insurrectionnelles. Ce phénomène s’explique de la manière
suivante : la taille des forces insurgées est très minime si on la compare à celle de la
population sous son contrôle. À titre d’exemple, en 1964, on estimait les larges formations
militaires viêt-cong, excluant les guérillas des villages, à environ 35,000 soldats. Il a aussi
été évalué que le VC subissait des pertes annuelles de 15,000 à 20,000 soldats en 1962 et
1963. Néanmoins, le bassin de population sous le contrôle du VC avoisinait les cinq millions
51 Ibid., p. 30-31. 52 Ibid., p. 32, 33.
33
de personnes à la fin de 1964.53 Une telle situation démontre à quel point l’élimination
massive et systématique d’insurgés ne constitue pas la clé de la victoire pour les forces
contre-insurrectionnelles. Le VC se fondait dans la masse et bénéficiait d’un bassin de
recrutement presque infini dans les secteurs ruraux. Lors du déploiement des forces de
combat américaines en 1965, l’insurrection VC s’étendait dans presque tous les districts de
la RVN. Pour le contrôle administratif des secteurs géographiques, le commandement
communiste organisa le territoire de la RVN en neuf Régions militaires gérées par une
infrastructure politique subordonnée au COSVN. Chacune de ces Régions possédait son
propre quartier-général (QG) politico-militaire peuplé de 200 à 700 cadres. Les régions
étaient subdivisées en 33 provinces, contrairement aux subdivisions provinciales de Saigon
chiffrées à 44. À leur tour, les Régions militaires se sont vues subdivisées en 230 districts qui
comportaient leur organisation de Parti respectif.
Le QG d’une province pouvait contenir entre 75 et plusieurs centaines de cadres; les
QG de district en comptaient habituellement une cinquantaine. Sous l’échelle de district,
l’infrastructure politique VC incluait des éléments administratifs dans la majorité des 2500
villages et 12,000 hameaux de la RVN. C’est au sein des villages et des hameaux que
l’infrastructure politique a été la plus active dans sa mission primaire : affermir la base
populaire de l’insurrection.54 En bref, les éléments politico-militaires communistes
s’incrustaient dans les zones rurales sud-vietnamiennes, dont la population contrôlée et
influencée pliait sous le joug des cadres de l’infrastructure politique communiste. Pour
contrer un tel modus operandi, les forces militaires régulières n’ont d’autre choix que
d’appliquer une doctrine militaire tactique qui échappe encore à la compréhension de
nombreuses armées au 21e siècle : la contre-insurrection.
1.2. La contre-insurrection
Le FM 3-24 définit la COIN comme une succession « d’actions militaires,
paramilitaires, politiques, économiques, psychologiques et civiques entreprises par un
gouvernement dans le but de vaincre une insurrection ».55 Pour connaître du succès à long
53 Ibid., p. 41. 54 Records of the United States Marine Corps, Background and draft material for U.S. Marines in Vietnam:
The Defining Years, 1968, Headquarters Marine Corps History and Museum Division, RG 127, Entry A-1
(1085), Box #5. 55 Headquarters Department of the Army, op. cit., p. 1-1.
34
terme, une COIN nécessitera le support d’une population prête à appuyer son gouvernement.
Pour ce faire, ce dernier doit « éliminer les causes de l’insurrection ». Les forces contre-
insurrectionnelles (exemple; les forces militaires américaines au Vietnam) auront comme
objectif stratégique d’aider le pays visé à assurer de manière autonome la loi, l’ordre et
rétablir les bases nécessaires à la croissance de l’économie et des services sociaux. Ainsi, la
COIN nécessite une implication directe de ses acteurs au sein des facteurs politique, militaire,
économique, social et de l’information (PMESI).56 La COIN se distingue par la nécessité
pour les soldats déployés d’assumer des responsabilités et des tâches qui dépasseront celles
d’une mission de combat classique, habituellement associées aux guerres conventionnelles.
La COIN exigera des soldats qu’ils initient des actions militaires offensives et défensives
couplées d’actions civiques, de sécurité et de stabilité, avec pour objectif la population civile.
Les commandants militaires auront la responsabilité d’agencer ces opérations et
privilégieront l’attention portée à un ou plusieurs des facteurs susmentionnés selon leur
évaluation de la situation opérationnelle dans leur zone de responsabilité.57 Néanmoins, les
forces contre-insurrectionnelles (étrangères) ne peuvent s’attendre à « vaincre
l’insurrection »; cette tâche doit être accomplie par les forces contre-insurrectionnelles
locales dont le rôle est de rétablir la sécurité civile et leur légitimité aux yeux de la
population.58 À défaut de quoi, l’insurrection reprendra de plus belle, à la suite du départ des
forces étrangères du théâtre d’opération. Dans cette optique, le rôle de mentorat des forces
étrangères sur les forces locales dans leur éducation en matière de COIN est névralgique. Le
volet dédié à l’insurrection a démontré à quel point les éléments relatifs à la population civile
sont centraux lorsqu’on mène une campagne militaire insurrectionnelle. Ce facteur est tout
aussi important lors de la conduite d’une COIN. Généralement, les forces contre-
insurrectionnelles interagiront avec une population rurale composée d’une minorité
d’habitants pro-gouvernementaux ainsi qu’une faction proportionnellement égale d’habitants
pro-insurrection. Pour espérer vaincre l’insurrection, le gouvernement doit chercher à gagner
l’appui de la majorité représentée par la population indécise et les partisans plus passifs des
camps pro et anti-gouvernementaux. Lors d’une COIN, il est généralement insuffisant pour
56 Ibid. 57 Ibid., p. 1-19. 58 Thomas Rid et Keaney, Thomas, Understanding Counterinsurgency, New York, Routledge, 2010, p. 160.
35
les forces gouvernementales de bénéficier de 51% de l’appui populaire; une solide majorité
étant habituellement nécessaire (comme ce fut le cas en Malaisie avec les Britanniques). Une
population considérée passive peut s’avérer suffisante aux succès d’une insurrection.59 Bien
que plusieurs impératifs de la guerre hybride aient échappé à Andrew Krepinevich, il
souligne bien l’importance du rôle de la population civile. À ce sujet, il précise que si les
forces contre-insurrectionnelles « minimisent l’accès des insurgés à la population », la
possibilité de recruter de nouveaux membres, d’obtenir de l’approvisionnement ainsi que du
renseignement se verra très compliquée pour la guérilla. Il rajoute que le problème se voit
aggravé pour les insurgés si la population se sent protégée de leurs représailles. Dans ces
conditions, les villageois auront tendance à divulguer des informations sur les opérations
insurgées aux forces contre-insurrectionnelles. Lorsqu’incapables d’opérer en toute impunité
au sein de la population, les forces insurrectionnelles deviennent très vulnérables.60
Krepinevich conclut avec justesse que, contraints à de telles conditions, les insurgés
se verront « forcés » de combattre à découvert pour regagner la population. En conséquence,
les forces non conventionnelles seront confrontées à la puissance de feu supérieure des forces
contre-insurrectionnelles, forçant ainsi les insurgés à se réfugier dans des zones isolées.61
Comme ce fut le cas en Malaisie, les forces irrégulières perdent à la fois leur capacité de
combattre et leur influence sur une population civile qui, au fil du temps, en vient à percevoir
la guérilla comme une entité déchue et sans importance. Cependant, tel que spécifié
précédemment, Thompson a soulevé à quel point le réflexe premier des forces contre-
insurrectionnelles est de viser les effectifs militaires de l’insurrection, et ce, aux dépens des
éléments relatifs à la structure politique de la guérilla et à la population civile. Lorsqu’elles
se limitent à affronter les forces militaires des insurgés, les troupes contre-insurrectionnelles
initieront de larges opérations de ratissage en se fondant sur du renseignement très
sporadique. Il se trouve que les forces de guérilla sont précisément conçues pour
contrebalancer des offensives du genre. Règle générale, les effectifs insurgés évitent de
concentrer leurs troupes, mais s’assurent plutôt de les disperser à travers la jungle ou d’autres
secteurs géographiques difficiles d’accès. Si les forces insurgées sont surprises, encerclées et
59 Headquarters Department of the Army, op. cit., p. 1-20. 60 Andrew F. Krepinevich, The Army and Vietnam, Baltimore, The Johns Hopkins University Press, 1988
(1986), p. 10-11. 61 Ibid., p. 11.
36
annihilées par les forces de sécurité, les dommages ne seront pas irréversibles; comme ce fut
si souvent le cas pendant la guerre du Vietnam, les insurgés s’infiltreront de nouveau dans la
zone et reconstitueront leurs forces auprès de la population civile à la suite du départ des
forces contre-insurrectionnelles.62 C’est pourquoi il est essentiel d’accorder une place
prépondérante à la sécurité de la population civile lors de l’élaboration d’une campagne de
COIN cohérente. Pour sa part, Galula s’oppose également à un concept d’opération
exploitant des méthodes conventionnelles pour gérer une COIN. L’initiation d’opérations de
ratissage est futile car les insurgés ne chercheront généralement pas à combattre ouvertement
pour conserver leur zone d’occupation. Si la pression des forces de sécurité ayant pour objet
de sécuriser la zone devient trop accablante pour les insurgés, ils quitteront le secteur
temporairement et s’installeront autre part. Il souligne également que l’encerclement des
forces insurgées est compliqué car il demeure très difficile de les localiser. Pour ce faire, il
n’existe qu’une solution pour les forces contre-insurrectionnelles : la collecte de
renseignements. La population civile demeure la principale source de collecte mais ne parlera
point si les insurgés opèrent clandestinement dans les villages.63
C’est pourquoi il est essentiel pour les forces contre-insurrectionnelles d’opérer
au cœur des bassins de population. Dans l’introduction de cette thèse, nous avons vu en
quoi consistaient les huit étapes de la doctrine de Galula, le moment venu d’exécuter une
campagne contre-insurrectionnelle. Il saisissait très bien le fonctionnement du modus
operandi des forces insurrectionnelles communistes. En 1947, lors d’un voyage en Chine,
il a été capturé par les troupes communistes de Mao qui combattaient les forces régulières
de Tchang Kaï-chek. Plutôt traité comme un « invité d’honneur » qu’en prisonnier,
Galula a profité de sa « captivité » pour observer les tactiques, techniques et procédures
au combat des insurgés communistes.64Ses constatations lors de son séjour parmi eux
l’inspira à procéder à une forme « d’ingénierie inversée » qui aboutit en son manifeste
doctrinal Counterinsurgency Warfare Theory and Practice. L’officier français y saisit
notamment l’importance de la population civile et a mis en pratique sa doctrine contre-
insurrectionnelle lors de la guerre d’Algérie. Une courte synthèse des œuvres de Galula
62 Thompson, op. cit., p. 31. 63 Galula, op. cit., p. 53. 64 Ibid., p. 38.
37
en Algérie s’impose car sa philosophie doctrinale a été littéralement « copiée collée » par
les Combined Action Platoons des Marines et la 173rd Airborne Brigade.
1.2.1. L’exécution de la contre-insurrection de Galula en Algérie
Quelques mois après la défaite française en Indochine, un groupe de nationalistes
algériens a initié une insurrection qui visait à éliminer la dominance coloniale de Paris en
Algérie. Le 1er novembre 1954, le Front de Libération Nationale (FLN) et sa branche
armée, l’Armée de Libération Nationale, exécutaient une série d’attaques terroristes dans
la région des montagnes de l’Aurès au sud-est de la capitale Alger. Cette guerre d’une
violence inouïe perdura jusqu’en 1962 avec le retrait de la France d’Algérie et
l’indépendance de cette dernière. Ce conflit a vu l’émergence de nombreux tacticiens
militaires qui se sont démarqués par leur talent en matière de COIN. Parmi ces tacticiens
se trouvaient les généraux Maurice Challe et Jacques Massu, le colonel Roger Trinquier
et le lieutenant-colonel David Galula. Capitaine lors de son déploiement en Algérie,
Galula a été placé à la tête d’une compagnie d’infanterie dans un district de Kabylie.
Lorsqu’il s’affaira à pacifier son secteur d’opération, Galula insistait qu’il était essentiel
de subdiviser ses forces en deux entités distinctes : des troupes mobiles et des troupes
statiques.
Les entités mobiles se centraient uniquement sur les opérations offensives, leurs
tâches étant de traquer et anéantir les insurgés, tactique intrinsèquement liée à la première
étape de la doctrine de Galula. Les troupes statiques avaient pour leur part mission de
mettre à exécution la deuxième étape : le déploiement des forces militaires en permanence
dans les secteurs sécurisés. Dans le district de Galula, ses troupes avaient pour ordre
d’exécuter une variété de tâches afin de s’assurer l’appui continu de la population civile
et, ce faisant, la séparer définitivement des insurgés. Parmi ces occupations : assurer des
recensements, appliquer les règles restreignant la libre circulation de la population, des
biens et des matériaux, initier de la propagande et des opérations psychologiques,
collecter du renseignement et implanter les diverses réformes socio-économiques. En
bref, les troupes statiques ne pouvaient se contenter d’être des soldats; elles devaient
également s’improviser comme « travailleurs sociaux ».65 Pour pourvoir aux besoins des
65 Ibid., p. 65, 69.
38
civils, Galula misait sur l’interaction des troupes de son district avec les membres de la
SAS (Section administrative spécialisée), des sections constituées d’équipes de soldats
français spécialement formés pour interagir avec la population et améliorer leur mode de
vie. Les membres de la SAS vivaient dans les villages et constituaient, à l’image du
CORDS au Vietnam, le fer de lance de la pacification. Ils construisaient des écoles, des
logis, des routes et fournissaient nourriture et soins médicaux aux Algériens. Entre le 1er
et le 25 octobre 1956, un total de 477 civils reçut les soins de la SAS dans le sous-quartier
de Galula. Sept écoles ont aussi été bâties dans son district; 922 enfants algériens les
fréquentaient en 1957. La SAS offrait aussi des opportunités d’emplois; lors de la
construction de forts, d’écoles ou de baraquements, ils employaient des ouvriers
algériens.66 Ces initiatives améliorent la qualité de vie de la population qui finit par
considérer les forces contre-insurrectionnelles et gouvernementales comme un allié
légitime. Qui plus est, ce type d’initiative possède également comme particularité de
mettre au défi les insurgés d’offrir une meilleure alternative à la population civile devenue
quasi inaccessible, compte tenu de la présence permanente des forces statiques.
Les forces statiques de Galula ne pouvaient se contenter d’améliorer la qualité de
vie de la population; cette dernière devait être contrôlée, tel qu’en temps de guerre avec
l’application de la loi martiale. Selon Galula, cette étape consistait d’abord à couper la
rébellion de sa base populaire. Pour ce faire, l’armée doit contrôler la population en
procédant à des recensements ayant comme objectif d’identifier les habitants et repérer
les étrangers dans les villages. Chaque citoyen du district de Galula était enregistré et
détenteur d’une carte d’identité infalsifiable, en plus d’être soumis à la prise de leurs
empreintes digitales. Des livrets de familles étaient aussi établis et le chef familial était
chargé de signaler tout changement. Galula perçut deux avantages à exploiter cette
technique : d’abord, permettre à ses troupes de connaître l’ensemble de la population de
son district. Ensuite, le croisement des données du recensement avec le nom des rebelles
favorisait le repérage des familles et des clans influencés par l’insurrection du FLN. Afin
d’améliorer le contrôle de la population, Galula allait même jusqu’à subdiviser les
villages de son district en secteurs avec une équipe responsable de s’occuper
spécifiquement d’une zone. Ce quadrillage permettait aux soldats de connaître
66 Matthias, op. cit., 54-59.
39
individuellement chaque villageois et de repérer un potentiel intrus du FLN.67 L’armée
contrôlait également les déplacements des habitants de manière telle que l’établissement
de contacts avec de potentiels insurgés devenait quasi impossible. À cet effet, Galula a
souligné :
Personne ne peut quitter le village plus de 24 heures sans un laissez-passer.
Personne ne peut recevoir un étranger dans le village sans autorisation…
Le système paralyse les membres du FLN du village et donne un motif aux
habitants de refuser de travailler comme messager ou pour approvisionner
[l’insurrection].68
En bref, les insurgés ne pouvaient se réfugier au sein des villages ni bénéficier de
l’appui en matière d’approvisionnement, de taxes, de recrues et de renseignement
préalablement fournis par la population civile. Ces restrictions augmentaient de manière
draconienne le niveau de vulnérabilité des insurgés qui, dépourvus d’aide et de refuge,
voyaient leurs lignes de communication constituer des secteurs à très haut risque, ce qui
facilitait le déclenchement d’embuscades par les forces de Galula sur les insurgés. Galula
nous démontre à quel point la COIN comporte des facettes multidimensionnelles qui ne
peuvent se limiter au simple volet militaire. Sécuriser une zone d’opération, traquer les
insurgés et installer des garnisons au sein des villages pour protéger les civils constituent
des opérations qui relèvent des forces armées. Identifier, arrêter, interroger et juger les
insurgés et leurs cadres politiques est la responsabilité des autorités policières et
judiciaires. Assurer un contact avec la population, améliorer sa condition sociale et ses
infrastructures ainsi que la conduite d’élections sont des responsabilités assumées par les
autorités politiques. Galula spécifie que « la défaite finale des insurgés » n’est pas obtenue
par « l’addition » mais plutôt la « multiplication » des facteurs militaires, politiques,
économiques et sociaux susmentionnés. Ces facteurs sont « tous essentiels » et en
négliger un seul fera échouer la campagne de COIN.69 C’est pourquoi la synchronisation
des opérations politico-militaires et socio-économiques est essentielle lors de la conduite
des opérations. Nonobstant cela, les aspects relatifs à la sécurité rurale constituent la base
de tout succès : aussi efficaces et proactives puissent-elles être, les initiatives de nature
67 Ibid., p. 59-61. 68 David Galula, Pacification in Algeria 1956-1958, Santa Monica, RAND Corporation, 2006 (1963), p. 99-
100. 69 Galula, Counterinsurgency Warfare Theory and Practice, op. cit., p. 64.
40
politique, économique, et sociale ne pourront jamais atteindre leur plein potentiel si les
forces militaires n’assurent pas la sécurité des zones d’opérations. C’est précisément ce
que Galula a réussi à accomplir dans son district. La sécurité qu’il est parvenu à établir
en sécurisant sa zone d’opération créa les conditions idéales pour une conduite sécuritaire
des missions de nature politico-économiques et sociales. Globalement, les actions
offensives et l’interaction ultérieures des troupes de Galula avec la population civile ont
engendré des résultats très intéressants : l’insurrection a été coupée de la population et
seulement neuf membres du FLN auraient échappé aux initiatives du capitaine français.
Deux déserteurs ont avoué à Galula que son secteur d’opération était considéré comme
une zone perdue par les chefs du FLN. À moins d’instructions précises, ces derniers
avaient interdit la conduite d’opérations dans ce secteur.70
Les rapports de la SAS sont également élogieux à l’endroit de Galula. La SAS
souligna notamment qu’il « réussit parfaitement dans sa mission en appliquant avec
fermeté des méthodes originales ».71 Les rapports ont aussi indiqué qu’il serait parvenu à
faire passer la majorité des civils de son district d’une position hostile à favorable aux
politiques françaises. Des huit étapes contre-insurrectionnelles de Galula, celle visant à
provoquer la scission des insurgés et de la population civile a constitué un succès
opérationnel qui inspire encore les maîtres à penser contre-insurrectionnels du 21e siècle.
Néanmoins, il n’est nullement suggéré que l’application pratique de sa doctrine revêtait
un caractère parfait, Galula n’ayant jamais été capable de mettre en pratique les huit
étapes de sa doctrine. Comme l’a indiqué David Ucko, un académicien spécialiste de
COIN, la période de Galula en Algérie exposa « les limites des capacités » d’une force
étrangère pour « exercer une influence légitime et faire pression sur la population locale ».
Ukco reconnait également les « difficultés pour les unités civiles et militaires d’accomplir
leurs missions » lorsque les différences sont « trop importantes dans les priorités et les
approches entre autorités civiles et commandement militaire ».72 Il mentionne que les
limites des accomplissements de Galula avaient pour origine « l’insuffisance des effectifs
déployés sur le terrain », les « perceptions divergentes de la presse » ne croyant pas aux
70 Galula, Pacification in Algeria 1956-1958, op. cit., p. 133. 71 Matthias, op. cit., p. 164. 72 Ibid., p. ix.
41
progrès opérationnels contre l’insurrection et « l’échec du passage de relais des autorités
françaises aux autorités locales » du contrôle des opérations de sécurité et de la
« gouvernance locale ».73 Il sera fascinant de constater à quel point les embûches d’une
application sans failles des préceptes de COIN américains au Vietnam ont longtemps été
engendrées exactement par les mêmes problèmes.
1.2.2. L’exécution de la contre-insurrection britannique en Malaisie
Pour sa part, la conduite de la COIN en Malaisie par les Britanniques connut un
succès indéniable sur l’ensemble du théâtre d’opération, compte tenu qu’elle entraîna,
ultimement, une défaite complète de l’insurrection communiste qui s’étendit de 1948 à
1960. Le conflit armé a confronté le Parti communiste malaisien (PCM) à la puissance
coloniale britannique. La branche armée du PCM était le MNLA (Malayan National
Liberation Army). En 1951, le total d’insurgés au sein du MNLA culminait avec 7292
combattants, une organisation civile de masse (le Min Yuen) et un million de
sympathisants. Du côté des forces de sécurité, leur nombre proliféra en 1952 : 40 000
troupes britanniques et du Commonwealth, 67 000 policiers et 250 000 membres de la
Home Guard.74 Le modus operandi contre-insurrectionnel britannique en Malaisie se
distinguait par trois facteurs : en premier lieu, la capacité à contrôler la population.
En second lieu, le pouvoir de gagner l’appui des civils (winning the hearts and
minds) en exploitant un degré de force minimum et en leur accordant des concessions
politiques et sociales. Finalement, la capacité d’assurer aux forces contre-
insurrectionnelles un commandement unifié et un leadership dynamique. Les
Britanniques ont relocalisé des centaines de milliers de civils dans des hameaux
stratégiques désignés « nouveaux villages » qui étaient placés sous le contrôle
administratif du gouvernement. À l’image du CORDS au Vietnam, les entités militaires
et civiles se sont vues localisées et administrées conjointement, ce qui permit de
centraliser le contrôle de l’armée, de la police, de l’administration civile et de la Special
Branch (branche du renseignement attachée à la police). Tout comme Galula l’a fait dans
son district, le cadre structuro-militaire était élaboré de manière à allouer un secteur
73 Ibid. 74 Karl Hack. “Everyone lived in fear: Malaya and the British Way of Counterinsurgency”. Small Wars and
Insurgencies. Vol. 25, No 4-5, (September 2012), p. 671.
42
spécifique de la zone d’opération à une unité qui y resta attachée. La police s’est vu retirer
tout rôle paramilitaire et appuya l’armée en assurant ses tâches de sécurité usuelles.
Finalement, le résiduel des forces armées se faisait assigner pour tâche de traquer les
communistes d’un état à l’autre de la Malaisie.75 Des forces de sécurité assuraient la
protection des civils dans les hameaux stratégiques. Ces derniers ne s’apparentaient pas à
des « camps de concentration » mais prenaient plutôt la forme de centres de communautés
progressistes où les villageois avaient l’opportunité de devenir propriétaires terriens, de
travailler et de s’engager politiquement dans la communauté. Robert Thompson spécifie
que les hameaux stratégiques cumulent trois objectifs. Le premier de ses objectifs vise à
protéger la population des insurgés. Ces villages étaient fortifiés, des troupes y
stationnaient en permanence et les allées et venues de la population se trouvaient soumises
à une étroite surveillance. On y développa également d’importants réseaux de
communication afin d’obtenir du renfort militaire advenant une attaque insurgée de plus
grande envergure.
Le deuxième objectif consiste à « unir la population », éliminer tout esprit
individualiste et assurer une proactivité positive de la communauté avec le gouvernement.
Enfin, le dernier objectif a pour but de favoriser les développements en matière d’affaires
socio-économiques et politiques. Tout comme Galula le prescrit, Thompson souligne
l’importance à ce stade d’initier des projets qui amélioreront le quotidien des habitants,
c’est-à-dire le développement d’écoles, de cliniques, de marchés, des méthodes
d’agriculture, de l’électricité, de la conduite d’un processus électoral, etc.76 En bref, les
hameaux stratégiques permettaient à la population de bénéficier d’une gamme de services
avantageux tout en étant protégée des attaques insurgées. Ceci nécessitait néanmoins des
déplacements de population qui ne se sont pas toujours accomplis avec enthousiasme au
sein des différentes communautés. Toutefois, c’était une des méthodes les plus
productives pour contrer l’accès des insurgés à la population et, à long terme, gagner cette
75 Karl Hack, “The Malayan Emergency as Counter-Insurgency Paradigm”, Journal of Strategic Studies. Vol.
32, No. 3, (June 2009), p. 384, 386, 388. 76 Thompson, op. cit., p. 124-127. Notons que Thompson souligne l’importance relative à la planification du
développement d’un hameau stratégique. Les sites privilégiés doivent être faciles à défendre en cas d’attaque
insurgée. De plus l’accessibilité à l’eau est importante et il fallut éviter les hameaux isolés. Thompson
recommanda également de minimiser le déplacement des civils dans de nouveaux villages en maximisant le
développement d’hameaux stratégiques dans les villages déjà existants.
43
dernière à la cause du gouvernement. D’aucuns s’insurgeront de voir des civils déplacés
contre leur gré pour assurer leur protection. Néanmoins, en temps de guerre, la situation
force parfois la prise de décisions très difficiles. Aucun Londonien n’a éprouvé du plaisir
à aller se réfugier dans les métros de Londres pour se protéger des bombardements de la
Luftwaffe, mais c’était malheureusement nécessaire pour leur sécurité. Dans le cas
d’hameaux stratégiques, il est du devoir des forces contre-insurrectionnelles de s’assurer
qu’ils soient salubres et confortables (ce qui n’était pas toujours le cas avec les hameaux
stratégiques de l’Armée française en Algérie et britannique au Kenya). En Malaisie, les
hameaux stratégiques britanniques étaient très bien aménagés. À la fin du conflit, ces
hameaux constituaient de petites localités florissantes dotées d’infrastructures modernes.
À la fin de l’insurrection, très peu de familles ont choisi de quitter les nouveaux villages.
En 2002, 450 des 480 nouveaux villages existaient encore. En 2007, 1.256
millions de Chinois, Malaisiens et Indiens vivaient encore dans les anciens hameaux
stratégiques.77 78 Quoi qu’il en soit, lors de l’insurrection, ces villages réduisaient
considérablement le risque de dommages collatéraux, cette arme de prédilection de tout
insurgé pour tourner la population contre les forces de sécurité. Les villageois ne
pouvaient sortir dans la jungle qu’à certaines heures et leurs allées et venues étaient
contrôlées par les forces de sécurité. Ainsi, tout groupe de personne non identifié
découvert dans la jungle pouvait être suspecté comme hostile. Les hameaux sécurisés
compliquaient considérablement le processus de recrutement du MNLA en interdisant
l’accès à la population civile et à ses ressources. Le contrôle de la nourriture s’est aussi
avéré une stratégie très efficace pour les Britanniques. Les premières opérations de « déni
de nourriture » (food denial) ont débuté dès 1951. Dans les hameaux, les villageois ne
pouvaient emmagasiner des stocks de nourriture personnels.79 Ces mêmes villageois
77 Hack, Everyone lived in fear, loc. cit., p. 690-691. 78 Dans Counterinsurgency Warfare: Theory and Practice (p. 82) Galula s’oppose à la relocalisation de la
population. Pour lui, cette initiative constitue un dernier recours qui tend à trahir les faiblesses d’un plan de
COIN. Il spécifie que cette stratégie ne doit être employée que s’il est clair que les forces contre-
insurrectionnelles ne pourront déployer suffisamment d’effectifs pour mener à bien une COIN. Il insiste en
affirmant qu’une relocalisation de la population (au sein d’hameaux stratégiques) devrait d’abord être testée et
exploitée de façon limitée afin d’y détecter les problèmes éventuels et d’en tirer les bonnes leçons. Il mentionna
également (à l’image de Thompson) que le processus doit comporter une longue phase de préparation
psychologique et logistique. 79 Nagl, op. cit., p. 98.
44
n’étaient affamés en rien ; du riz cuit et autres denrées étaient disponibles au sein de la
cuisine centrale du village. Le riz cuit présentait l’avantage de ne pouvoir être passé aux
insurgés à l’extérieur du village car il se gâtait très rapidement. Le déni de nourriture aux
insurgés a considérablement diminué le nombre de partisans pouvant fournir des aliments
à la guérilla.80 À l’image des hameaux stratégiques, d’aucuns pourraient s’offusquer de
voir une armée chercher à affamer son adversaire. En agissant de la sorte, les Britanniques
exploitaient un principe classique de COIN : la force minimum (minimum force). Il était
beaucoup plus humain d’empêcher les insurgés d’avoir accès à de la nourriture tout en
leur offrant des programmes d’amnistie pour déposer les armes que de chercher à les
bombarder avec du napalm. Aux opérations de déni de nourriture on combina une vaste
collecte de renseignement humain qui a rapidement permis aux Britanniques d’initier des
embuscades, de traquer les insurgés dans la jungle, de cibler leurs camps et de les
neutraliser.81
La stratégie s’est avérée un tel succès qu’en 1955, environ 2.5 millions de civils
vivaient dans des zones sécurisées, ces dernières étant définitivement libérées de toute
activité insurgée.82 La pénurie de nourriture et les dangers d’embuscades au sein de lignes
de communication des insurgés étaient tels que le MNLA s’enfonça dans la jungle
profonde afin d’y produire sa propre nourriture. Des détenus du MNLA ont avoué que la
baisse drastique d’activités insurgées résultait du manque d’effectifs et de la pénurie de
nourriture engendrés par les stratégies britanniques; trouver de la nourriture consumait
temps et énergie, à un point tel que les insurgés ne disposaient d’aucun temps le moment
venu de planifier des actions offensives. Ils ont également souligné le problème causé par
le manque de renseignements; comme la relocalisation avait coupé les insurgés de la
population, il était devenu très difficile d’obtenir des informations sur les activités des
forces de sécurité. À cela s’ajoute la perte d’un énorme bassin de recrutement pour
l’insurrection. Dans la jungle, les insurgés se sont retrouvés isolés, affamés et
démoralisés.83 Ces stratégies de COIN étaient dirigées successivement par le général
Harold Briggs, le feld-maréchal Gerald Templer et par Robert Thompson. Les succès
80 Ibid., p. 98-99. 81 Ibid. 82 David French, The British Way in Counter-Insurgency 1945-1967, Oxford, Oxford University Press, 2011,
p. 122. 83 Ibid., p. 123-124.
45
militaires relatifs à la sécurité de la population civile ont favorisé l’exécution des actions
civiques qui, à leur tour, renforcissaient la légitimité du gouvernement aux yeux de la
population civile. Templer et Thompson ont assisté à la création d’un parti politique
d’Alliance nationale représentant l’ensemble de la diaspora malaysienne qui regroupait
également de nombreux Chinois et Indiens. Une première élection fédérale tenue en 1955
a résulté en l’acquisition de 51 des 52 sièges par l’Alliance qui a ainsi saisi toute initiative
politique au PCM. Ce dernier n’ayant plus le contrôle de la population perdit
progressivement de son attrait et devint, aux yeux des électeurs, une entité politique
dénuée de toute légitimité.84 Le PCM et MNLA se sont progressivement estompés pour
disparaître en 1960. Les succès britanniques en Malaisie n’ont pas passé inaperçus. Le
succès a été tel que Robert Thompson et une équipe de spécialistes britanniques se sont
rendus au Vietnam en 1960 afin d’y assister le gouvernement sud-vietnamien (GVN) dans
sa lutte contre les insurgés viêt-cong. Le BRIAM s’apprêtait à avoir une influence
majeure sur la conduite de la contre-insurrection sur l’ensemble des quatre zones
d’opérations de la République du Vietnam (I, II, III et IV Corps, voir la figure 2).
84 Ibid., p. 194-195.
46
Figure 2 : Répartition des provinces et quatre Corps de la République du Vietnam85
85 Thomas Ahern, CIA and Rural Pacification in South Vietnam, Langley, CIA History Staff, Center for the
Study of Intelligence Central Intelligence Agency, p. xii.
47
1.2.3. BRIAM : l’application de la contre-insurrection de Thompson au Vietnam
Lorsque Thompson a débarqué au Vietnam en 1960 pour diriger le BRIAM, les
Forces militaires américaines déployées dans la RVN assumaient la tâche d’appuyer le
gouvernement de Ngo Dinh Diem et les forces de sécurité sud-vietnamiennes dans leur
lutte contre l’insurrection VC. À ce stade de la guerre, le conflit était quasi exclusivement
insurrectionnel, non hybride et l’exécution de la mission américaine sous la responsabilité
du précurseur du MACV; le MAAG (Military Assistance Advisory Group) commandé
par le général Lionel C. McGarr. Avant sa nomination à la tête du MAAG en 1960,
McGarr était le commandant du Command and General Staff College à Fort Leavenworth
au Kansas. Il y a joué un rôle important lorsque l’Armée américaine chercha à
redynamiser ses doctrines de contre-insurrection. Ses efforts ont contribué à l’ébauche
des livres de doctrines FM 100-1 et FM 31-15, éventuellement publiés en 1961.1
Lorsque les membres du BRIAM ont reçu leur briefing de bienvenue des
Américains leur exposant un topo de la situation opérationnelle, un des membres de
l’équipe de Thompson a donné une sérieuse leçon à ses collègues de l’U.S. Army. Il a
interrompu le conférencier pour lui-même terminer le résumé de la situation. Incrédules,
les Américains ont demandé aux Britanniques comment ils pouvaient être au fait de ces
détails. À cette question, le membre du BRIAM lui a répondu : « c’est exactement
comment la situation était sous les Français ». Thompson a rapidement constaté que les
Américains qu’il avait côtoyés ne s’étaient pas arrêtés à analyser les archives françaises
de la guerre d’Indochine, ni à lire les doctrines de Mao.2 Néanmoins, ce n’était pas le cas
de tout le personnel du MAAG. Juste avant l’arrivée du BRIAM en 1960, une synthèse
du plan contre-insurrectionnel du MAAG montre à quel point les Américains n'étaient
pas tous des ignares en matière de COIN. Contrairement à ce qui a trop souvent été
véhiculé dans plusieurs études (notamment celles de Krepinevich The Army and Vietnam
1 Andrew J. Brittle, US Army Counterinsurgency and Contingency Operations Doctrine 1942-1976,
Washington D.C., Library of Congress, 2006, p. 313. Le FM 100-1 traite d’éléments liés aux forces militaires
et leurs liens avec le pouvoir national. Le manuel se penche aussi sur les « guerres limitées », l’appui des forces
armées en matière de sécurité, les principes de guerre dans divers contextes, les aspects relatifs à
l’environnement opérationnel et plus encore. Le FM 31-15 traite pour sa part des opérations contre les forces
irrégulières. On y parle de la planification des opérations, l’analyse de l’idéologie et des tactiques des forces
irrégulières, les actions civiques, les opérations policières, les opérations urbaines et plus encore. 2 Robert Thompson, Make for the Hills, Londres, Leo Cooper, 1989, p. 127
48
et Christopher Ives US Special Forces and Counterinsurgency in Vietnam), McGarr et le
MAAG menaient un plan d’action de contre-guérilla très viable et ne cherchaient pas
exclusivement à « tuer les Viêt-Cong ». En fait, McGarr saisissait très bien les concepts
de COIN et s’est efforcé, par le biais de ses subordonnés, de les enseigner aux forces de
sécurité sud-vietnamiennes. L’analyse des papiers de McGarr démontre que le général
américain était très au fait des doctrines de Thompson et cherchait même à les implanter
avant l’arrivée de ce dernier avec le BRIAM. McGarr a noté qu’il était « essentiel que le
GVN développe un plan à l’échelle nationale » afin de coordonner les efforts de contre-
insurrection. Dans ses notes, McGarr précise que l’objectif de ce plan consiste à « séparer
en permanence la population de l’influence du Viêt-Cong », assurer l’isolement de ce
dernier puis son anéantissement, afin de regagner la « loyauté et l’appui » de la population
et rétablir un « haut degré de sécurité interne » à travers la République du Vietnam. Il a
également spécifié qu’un concept et des priorités devaient être établis pour l’éventuel
contrôle opérationnel des initiatives gouvernementales visant à neutraliser politiquement
le VC.3 Pour appliquer ce plan, McGarr établit un concept d’opération destiné à initier
une combinaison d’initiatives politiques, économiques, militaires et psychologiques au
sein de divers secteurs géographiques clés de la RVN. Les phases du plan de McGarr
ressemblent à s’y méprendre aux doctrines que Thompson s’apprêtait à appliquer avec le
BRIAM dans les secteurs ruraux.
Lorsqu’une zone se trouvait désignée pour être sécurisée, le MAAG supervisait
l’enclenchement d’une phase préparatoire visant à collecter du renseignement sur les
sympathisants communistes et les activités du VC. Lors de cette phase, une évaluation du
statut économique du secteur était également menée afin de cibler les éventuelles actions
civiques et économiques à y apporter. Les instances politiques et militaires établissaient
leurs plans pendant que les cadres politiques et les forces militaires appelées à opérer dans
le secteur se voyaient entraînées par les conseillers du MAAG. Une vaste campagne
d’opérations psychologiques était simultanément lancée pour démoraliser le VC et inciter
la population à leur refuser toute forme d’assistance. La deuxième phase prenait une
forme militaire : les forces de l’ARVN procèdent à une offensive conventionnelle pour
3 National Security Files McGarr Information Folder For Rostow, 10/25/61, South Vietnam Information
Folder, MAAG Vietnam, Geographically Phased, National Level Operation Plan for
Counterinsurgency (Short Title NCIP), Boston, John F. Kennedy Library, Folder: 002783 -002-0438, p. 1.
49
sécuriser le secteur des éléments viêt-cong. Une fois la zone sécurisée, les forces
paramilitaires se déployaient dans les secteurs peuplés tandis que l’ARVN continuait de
ratisser les secteurs limitrophes (pour entraver une éventuelle contre-attaque des
formations de bataillon du Viêt-Cong). Les villages une fois sécurisés, les cadres
politiques sud-vietnamiens s’installaient dans les hameaux pour les administrer de façon
à gagner la confiance de la population. Par après, les actions civiques et les programmes
destinés à redynamiser l’économie locale s’enclenchaient. Enfin, à la suite d’opérations
psychologiques déjà renforcées par les initiatives économiques et civiques, McGarr
supputait que la population verrait en le VC une « cause perdue ».4 À la lecture de ce
concept d’opération, il serait très facile de conclure qu’il a été couché sur papier par
Robert Thompson. Néanmoins, ce n’était pas le cas; ce plan d’action a été en fait écrit par
le général McGarr qui, pour mettre son plan en œuvre, a étudié une série de contre-
insurrections. Citons entre autres celles de Birmanie, des Philippines et de la Malaisie5,
trois campagnes qui ont résulté en insurrections neutralisées.
En 1961, McGarr écrit au Commandant en Chef dans le Pacifique (Commander
in Chief in the Pacific/CINCPAC) pour lui transmettre un rapport d’introspection de sa
première année d’activité à la tête du MAAG. Le général américain montre son désir réel
d’éduquer l’Armée sud-vietnamienne en matière de COIN. Il a annoncé la publication
d’un livre de doctrine titré Tactics and Techniques for Counter-Insurgent Operations. Les
préceptes de ce manifeste ont été exploités dans les académies militaires sud-
vietnamiennes pour redynamiser l’entraînement de l’ARVN et des Rangers vietnamiens
en matière de « contre-guérilla ». Pour rédiger son manifeste, McGarr s’inspira des
développements doctrinaux de l’US Army Command and General Staff College, mais,
également de nouveau, des expériences vécues notamment aux Philippines et en Malaisie.
McGarr considérait son livre de doctrine parfaitement tissé pour être appliqué au théâtre
d’opération insurrectionnel du Vietnam.6 Néanmoins, le problème américain en matière
4 Ibid., p. 2-4. 5 National Security Files, McGarr Information Folder For Rostow, 10/25/61. Present GVT System of Control
and Coordination of Counterinsurgency Operations Lacks Completely Clear-Cut Lines of Authority, Boston,
John F. Kennedy Library, Folder: 002783 -002-0438, p. 7-8. 6 National Security Files, McGarr Information Folder For Rostow, 10/25/61. First Twelve Month Report of
Chief MAAG, Vietnam, 1st September 1961, Boston, John F. Kennedy Library, Folder: 002783 -002-0438, p.
7.
50
de pacification lors de l’arrivée du BRIAM a connu une incidence sur les éléments
administratifs et de gestion des opérations civiques de la COIN. Un rapport
d’introspection des performances américaines au Vietnam de 1963 a mis à jour la
confusion régnant au sein du leadership militaire et civil, une fois le moment venu de
conceptualiser leur plan pour pratiquer de la « contre-guérilla ». Ledit rapport indique
qu’un des problèmes centraux originait de la multitude d’agences américaines mandatées
pour assister Saigon dans le renforcement de ses infrastructures et de ses initiatives socio-
économiques. Ces agences fonctionnaient de façon décentralisée et peu de directives
claires leurs étaient fournies le moment venu d’initier des projets. Personne ne semblait
être en charge et les efforts américains en matière d’assistance économique et
d’infrastructure s’avéraient « fragmentés et duplicatifs ». On recommanda d’attribuer la
régie de toutes ces agences à un seul individu capable de comprendre la gestion de la
guerre et les dynamiques relatives à la reconstruction d’un pays souffrant du « chaos
d’une révolution ».7
Dans le chapitre 4, nous verrons comment les Américains devaient rectifier ce
problème avec la création du CORDS. À l’arrivée des Britanniques au Vietnam, le
MAAG et le BRIAM ont connu quelques frictions. Cependant, les deux alliés ne devaient
pas tarder à s’entendre sur la doctrine militaire à privilégier. Bien qu’il ait poursuivi sa
collaboration avec le MAAG, Diem s’affaira à maximiser la mise en pratique du plan
d’action recommandé par Robert Thompson qui lui avait expliqué que la population civile
représentait le nerf de la guerre.8 Cette dernière devait être protégée, contrôlée et gagnée
à la cause de Saigon. Dans cette optique, le BRIAM promulgua un concept d’opération
qui incita les forces contre-insurrectionnelles sud-vietnamiennes à concentrer leurs efforts
sur les secteurs ruraux et la construction d’hameaux stratégiques. Il a également
promulgué l’utilisation de forces statiques pour assurer une présence ainsi qu’une
protection permanente des hameaux (voir l’annexe 3 pour un exemple d’hameau
stratégique au Vietnam). Thompson a expliqué aux Sud-Vietnamiens qu’il s’agissait là
7 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Vietnam, Special Subjects. South Vietnam political
situation in 1963, Hilsman-Forrestal report. Eyes Only Annex: Performance of US Mission, ProQuest Folder
9835024. 8 Notons que l’auteur Peter Busch a vivement dénoncé l’implication britannique au Vietnam. Dans son volume
intitulé All the Way With JFK? Britain, the US and the Vietnam War, Busch dénonce l’appui du gouvernement
britannique aux visées politiques de John F. Kennedy au Vietnam.
51
d’un excellent moyen de collecter du renseignement sur les VC auprès de la population.
Il a recommandé aux forces régulières de l’Armée sud-vietnamienne de concentrer leurs
efforts sur les larges formations VC pour les déstabiliser, ce qui permettrait aux forces
statiques de s’établir et de consolider la structure de sécurité au sein des zones peuplées.
Thompson insistait : si l’ARVN négligeait cette facette des opérations en privilégiant des
opérations purement conventionnelles, le VC ne perdrait jamais la capacité de régénérer
ses forces.9 Thompson a exposé aux Sud-Vietnamiens les principes régissant le mode
d’opération politico-militaire du VC (figure 1) et insistait sur la nécessité d’initier les
réformes socio-économiques nécessaires pour gagner la confiance des paysans sud-
vietnamiens. Il recommanda à l’ARVN de commencer à sécuriser les villages au sein des
provinces autour de la capitale Saigon, vu que ces secteurs étaient les plus infiltrés par le
VC.
À titre d’exemple, le chef de la province de Binh Duong située au nord de Saigon,
a souligné que seulement 10 villages sur 56 constituaient des hameaux stratégiques
contrôlés par le gouvernement. Il recommanda d’étaler les opérations de pacification de
manière progressive vers le sud du pays, près de la frontière cambodgienne pour ensuite
s’étendre vers le nord.10 Thompson usa de prudence, refusant de voir des milliers
d’hameaux stratégiques se bâtir aux dépens des mesures de sécurité nécessaires à la
sauvegarde de ces villages et leur population11. Le frère et conseiller du Président Diem,
Ngo Dinh Nhu, a pris en charge le projet d’hameaux stratégiques proposé par le BRIAM
mais a toutefois fait montre d’un peu trop d’enthousiasme lors de l’initiation du projet. Il
visa la construction de 12,000 hameaux stratégiques en l’espace de 18 mois, provoquant
ainsi une véritable course entre chefs de provinces qui redoublaient désespérément
9 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April
1963. Political Affairs & Rel. BRIAM Report, 3 Jan 1962, p. 2, College Park, National Archives, Folder:
016488-002-0192, p. 2. 10 Ibid., p. 3. 11 Dans Defeating Communist Insurgency, Thompson décrit le système de villages au Vietnam comme suit :
dans les secteurs ruraux, le terme « village » est utilisé pour désigner l’entité administrative que l’on retrouve
sous l’échelle de district. Chaque village est généralement composé de deux à dix hameaux. Au Vietnam, le
village moyen était composé d’environ 5000 personnes toutes réparties dans les différents hameaux.
52
d’efforts à respecter les échéanciers imposés par Nhu.12 Les premiers projets n’ayant pas
connu les résultats escomptés, plusieurs hameaux sont rapidement tombés aux mains du
VC dans I Corps, une conséquence directe des manquements en matière de sécurité.13
Lors de l’application de COIN, il convient de respecter chaque étape dictée par la
doctrine. Nous l’avons précédemment mentionné; lors d’opérations contre-
insurrectionnelles, la sécurité est à la base de tout succès. À la suite de ces incidents,
Thompson a recommandé que la construction des hameaux se fasse à un rythme allouant
la mise en place coordonnée du personnel et des infrastructures de sécurité. Malgré les
avertissements de Thompson, Nhu éprouvait énormément de difficulté à contrôler le
rythme effréné du développement d’hameaux stratégiques, causant ainsi d’autres
problèmes. Lors de la première année du programme, les Viêt-Cong initiaient beaucoup
de propagande en comparant les hameaux à des « camps de concentration ». Leurs
initiatives visaient également à infiltrer ces hameaux avec des agents et des partisans
communistes, à maintenir leurs bases d’opérations et à préserver leurs unités régulières
de combat.
En 1963, les insurgés commençaient à initier d’autres attaques concentrées sur les
hameaux stratégiques construits trop hâtivement et de surcroit, plus vulnérables en
matière de sécurité. Le VC brisait les palissades, détruisait les bâtiments construits par le
gouvernement et forçait les villageois à regagner leurs villages d’origine. À titre
d’exemple, les insurgés ont réussi à s’emparer d’un hameau stratégique dans la province
de Phu Yen qui était défendu par une compagnie de la Garde civile et la milice du village.
Les forces de défenses ont perdu 24 hommes et 35 armes ont été saisies par le VC.14 Afin
de faciliter de telles opérations, les Viêt-Cong s’acharnaient à saboter les routes dans le
but de compliquer l’accès aux lignes de communications terrestres. Ce faisant, ils
isolaient les hameaux qui, de fait, devenaient beaucoup moins susceptibles d’obtenir des
renforts.15 Néanmoins, les autorités gouvernementales initiaient des opérations visant à
12 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April
1963, Political Affairs & Rel. United States Government Memorandum to Governor Harriman, April 6, 1962,
College Park, National Archives, Folder: 016488-002-0192, p. 2. 13 Ibid. 14 Lyndon B. Johnson National Security Files 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,
op. cit. 15 Thompson, Defeating Communist Insurgency, op. cit., p. 137-138.
53
rétablir l’accessibilité aux lignes de communication dans les zones contestées. De plus,
Saigon chercha à minimiser les hameaux stratégiques et les villages trop isolés. À titre
d’exemple, dans la province de Binh Duong, les villages isolés se sont vus relocalisés
dans des secteurs près des réseaux routiers, ce qui facilitait leur accessibilité et leur
défense.16 Thompson note qu’en un peu plus d’un an, le pays a passé de 2559 à 8095
hameaux stratégiques, avec pour conséquence de favoriser une trop grande dispersion des
forces de sécurité.17 Thompson estimait que cette dynamique contre-productive
constituait un problème sérieux dans plusieurs provinces mais ne il ne jugeait pas la
situation « dangereuse » à ce stade du conflit.18 Il observa d’autres problèmes également
reliés à la gestion du programme : l’appui des opérations de l’ARVN à celles des unités
de pacification n’était pas adéquat dans tous les secteurs. Par exemple, un secteur pouvait
être ratissé par l’ARVN qui subséquemment, quittait la zone sans laisser de troupes
statiques pour protéger les villageois.
Ce départ hâtif poussait souvent les forces paramilitaires à contrer par elles-
mêmes la contre-attaque des éléments de bataillons VC.19 Un rapport d’observateurs
américains est arrivé exactement à la même conclusion : trop souvent, après la
sécurisation d’un secteur, l’ARVN quittait la zone sans y stationner de troupes.20 À
maintes reprises Thompson, a insisté sur la question critique de laisser des forces statiques
après avoir sécurisé un secteur. Ceci constituait une des premières phases du principe de
« sécuriser et tenir » lors d’opérations de COIN. En s’entêtant à développer trop
rapidement son programme d’hameaux stratégiques, Nhu forçait la main de l’ARVN pour
qui subsistait comme unique alternative, de redéployer hâtivement ses troupes sur le
théâtre d’opération. Néanmoins, les résultats qui découlaient du programme à plus long
terme causèrent la satisfaction de Thompson qui jugeait que le gouvernement était sur la
« bonne voie ».21
16 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,
op. cit. 17 Thompson, Defeating Communist Insurgency, op. cit., p. 137-138 18 Ibid. 19 Ibid., p. 138. 20 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,
op. cit. 21 Thompson, Defeating Communist Insurgency, op. cit., p. 138.
54
Avec le temps et une série d’ajustements, l’application des doctrines de Thompson
en matière de sécurité et d’appui à la population civile ont rapporté des dividendes
opérationnels très intéressants. En décembre 1962, Saigon contrôlait 951 villages
composés de 51% du total de la population rurale sud-vietnamienne. Ceci représentait un
gain de 92 villages et d’un demi-million de personnes en six mois. De son côté, le VC
contrôlait 445 villages dont les habitants formaient 8% de la population rurale, ce qui
représentait une perte de 9 villages et 231,000 personnes en six mois.22 Le VC se montrait
très actif dans les villages encore sous son contrôle et un mémorandum au Président
Johnson conclut que ces villages constituaient de véritables bases de réapprovisionnement
et de recrues pour les insurgés.23 Cependant, la perte de contrôle progressive de maints
districts commença à avoir des effets néfastes pour le VC mais positifs pour la population
civile. En 1963, Thompson observa que les dispositifs de sécurité étant bien implantés
dans l’ensemble des hameaux stratégiques, des réformes socio-économiques pouvaient
être amorcées sans que plane constamment le spectre d’une attaque viêt-cong.
Les villages sécurisés bénéficiaient de services pharmaceutiques, d’écoles pour
les enfants, de puits, de fertilisants et, dans certains cas, de courant électrique. Plusieurs
routes rurales ont également pu être restaurées. De plus, le contact entre instances
gouvernementales et population civile s’est vu rétabli via l’implantation d’élections pour
l’établissement de conseils municipaux dans les villages. Thompson a également observé
que les paysans semblaient « rejeter le communisme » et se sentaient « protégés, en
confiance et appuyés ». Ils étaient même préparés à combattre les Viêt-Cong avec leurs
propres moyens. Dans les secteurs plus sécuritaires, on ne rencontra aucune difficulté à
recruter des civils pour intégrer les rangs des milices chargées d’assurer la sécurité des
hameaux stratégiques.24 Ceci démontre à quel point la sécurité représente un facteur
important pour le paysan coincé au milieu d’un conflit contre-insurrectionnel. Beaucoup
d’auteurs se sont débattus pour essayer de cibler l’allégeance de la paysannerie sud-
vietnamienne : était-elle communiste ou pro-gouvernementale? La réponse est simple : le
paysan se rangera généralement dans le camp de l’entité pouvant lui offrir sécurité et
22 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,
op. cit. 23 Ibid. 24 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April
1963. Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, op., cit. p. 1.
55
stabilité. C’est pourquoi il est important d’assurer une présence militaire ou policière
permanente dans les principaux villages lors de la conduite d’opérations contre-
insurrectionnelles. En appliquant les doctrines de Thompson, Diem et Nhu réussirent à
stabiliser plusieurs secteurs ruraux sud-vietnamiens. Pour maximiser la sécurité de
villages et permettre à l’ARVN de traquer les grandes formations viêt-cong, Saigon a
ordonné la création de forces paramilitaires entraînées par les forces spéciales
américaines; les Green Berets.25 Le déploiement d’hélicoptères et l’amélioration des
réseaux routiers ont permis à ces forces de maximiser leur mobilité et d’opérer plus
profondément dans la jungle pour combattre les Viêt-Cong. Thompson nota que la
réaction des VC face aux hameaux stratégiques était devenue lente et inefficace. Des 5000
hameaux stratégiques opérationnels, seulement un nombre sporadique est tombé aux
mains des Viêt-Cong. L’essentiel des attaques insurgées contre les hameaux se résumait
à des assauts anémiques à l’arme légère la nuit.26
La sécurité rurale améliorée, Thompson a constaté les énormes progrès en matière
de gestion des chefs de provinces; ces derniers étaient beaucoup plus volubiles et
enthousiastes qu’au cours de l’année précédente alors qu’ils subissaient constamment de
harcèlement du VC. En 1963, les hameaux stratégiques gagnaient en popularité et la
population se montrait de moins en moins réticente à l’idée de s’y établir. Thompson a
observé que de larges portions de la population rurale demandaient elles-mêmes à être
transférées au sein des hameaux stratégiques, et ce, sans requête « d’assistance ou de
compensation ». La sécurité des secteurs ruraux était telle que d’importants projets de
construction, notamment des commerces et des maisons construites avec des matériaux
permanents, ont été initiés dans les villes de district et au cœur des hameaux. Le trafic au
sein des routes considérées dangereuses l’année précédente s’est vu considérablement
décuplé. À l’exception des périodes nocturnes, les civils circulaient en toute liberté sur
25 L’unité américaine désignée Green Berets, (aussi appelée Special Forces) est une des plus anciennes unités
de forces spéciales de l’US Army. Le groupe a été créé au cours des années 1950 et est encore très actif au 21e
siècle. Les opérateurs des Green Berets se spécialisent dans la conduite d’opérations de reconnaissance, de
ciblage, de contre-terrorisme, en plus d’assurer l’entraînement intensif des forces militaires étrangères au
combat. De nos jours, les Green Berets constituent, avec les Rangers, le bassin de recrutement principal de
l’unité antiterroriste américaine du Delta Force. 26 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April
1963. Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, op., cit. p. 2.
56
les chemins ruraux.27 Lorsque mis en présence d’hameaux stratégiques, les Viêt-Cong se
voyaient confrontés à un dilemme : s’ils initiaient des assauts sur les hameaux, ils
attaquaient aussi la population, un enjeu névralgique pour le succès des opérations de
l’insurrection. Parallèlement, s’ils n’attaquaient pas les hameaux, les Viêt-Cong perdaient
leur base populaire et n’avaient plus pour seule alternative que de se réfugier dans la
jungle. Thompson a noté que les opérations de l’ARVN et des forces paramilitaires,
combinées aux effets engendrés par les hameaux stratégiques, ont arraché l’initiative
opérationnelle aux Viêt-Cong. Près d’une trentaine de bataillons réguliers VC déployés
dans les secteurs ruraux semblaient incapables d’initier plus d’une demi-douzaine
d’attaques majeures par mois qui d’ailleurs, n’ont pas connu les succès escomptés pour
les communistes. Les observateurs américains ont noté que le VC bénéficiait de moins de
« liberté de mouvement » comparé à l’année précédente et que les insurgés manquaient
de médicaments ainsi que de nourriture.28
Thompson conclut également que les contre-performances des insurgés
découlaient de la pénurie de nourriture entraînée par l’inaccessibilité des villages et le
danger pour les troupes communistes de circuler sur les routes patrouillées par les forces
de sécurité et surveillées par les unités militaires héliportées.29 À cet effet, Saigon a mis
beaucoup d’efforts sur le développement de ses forces de sécurité qui ont augmenté en
termes de taille et de qualité. Les forces paramilitaires ont élargi leurs rangs avec la Garde
civile qui atteint des effectifs de 75,000 hommes, le Self Defence Corps a vu grimper ses
effectifs jusqu’à 100,000 membres, le CIDG (Civilian Irregular Defense Group) comptait
40,000 éléments et l’ARVN était composée de 215,000 soldats.30 Les forces
gouvernementales traquaient agressivement les VC, leur infligeant plusieurs défaites. Un
colonel conseiller auprès des forces de sécurité qui terminait sa mission de onze mois au
sein du I Corps en 1963 rapporta que les unités du Self Defence Corps défendaient avec
beaucoup plus de confiance que par le passé les villages leur étant attitrés. L’ARVN était
en mesure d’attaquer les bases d’opérations insurgées dans les recoins les plus profonds
27 Ibid., p. 3. 28 Lyndon B. Johnson National Security Files, 1963-1969, Memorandum for the President, 25 January 1963,
op. cit. 29 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April
1963 Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, op. cit., p. 3. 30 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 206.
57
de la jungle (un des refuges sécuritaires pour le VC). Le colonel a également rapporté que
la population civile donnait aux forces de sécurité un plus grand volume de
renseignements sur les activités des forces insurgées. La communication volontaire de
renseignements en provenance de la population constitue un des meilleurs indicateurs du
degré d’efficacité d’une COIN. Cette transmission de renseignements aux forces de
sécurité avait comme impact des pertes importantes pour le VC. Grâce à l’information
fournie par la population, une milice d’hameau et des éléments réguliers de la 25e Division
ont été capables de repousser une attaque à grand déploiement des VC contre une série
d’hameaux stratégiques, provoquant ainsi la mort de centaines d’insurgés.31 Lorsque les
paysans se trouvaient à l’abri du VC, ils devenaient beaucoup plus enclins à parler. La
population rurale vietnamienne a connu le joug de la terreur sous la présence des insurgés
communistes. Un service de sécurité du VC (qui atteignait le nombre de 25,000 membres
en 1970) avait pour mandat d’établir une liste de cibles humaines, en plus d’organiser des
assassinats, l’enlèvement ainsi que la détention de suspects. Plus de 36,000 personnes
auraient été assassinées par le VC entre 1957 et 1972, alors que 58,499 autres auraient été
victimes d’enlèvement pendant la même période.32
Le VC visait notamment les fonctionnaires du gouvernement, les policiers et les
cadres responsables de la pacification. Lors des interrogatoires de prisonniers, on
dénombra maints cas de torture et des prisonniers condamnés à mort se sont fait éventrer
devant les habitants du village, forcés d’assister au carnage. Le VC a également attaqué
des villages, ne faisant aucune discrimination entre les forces de sécurité et les civils;
hommes, femmes et enfants ont été régulièrement et délibérément massacrés par les
insurgés. Plusieurs attaques subséquentes au lance-flamme et à la grenade sur d’autres
villages ont entraîné la mort de centaines de civils aux mains du VC.33 Jusqu’à la fin de
la guerre, ces atrocités ne se sont pas résumées à quelques incidents isolés mais pourtant,
ils n’ont pas fait l’objet d’un intérêt particulier pour les journalistes (ni pour les
manifestants pro-VC aux États-Unis) alors que ces mêmes individus et groupes
n’hésitaient pas à exposer les bévues de l’ARVN et les atrocités commises par des soldats
31 Ibid., p. 206-207. 32 Guenter Lewy, America in Vietnam, Oxford, Oxford University Press, 1978, p. 272. 33 Ibid., p. 273, 276.
58
américains.34 Nous verrons dans le volet dédié à la guerre hybride comment cette guerre
de l’information étayait l’effort de guerre d’Hanoi. Quoi qu’il en soit, confronté à des
circonstances aussi inhumaines, il était tout à fait normal pour un civil de ne pas
transmettre de renseignements aux forces contre-insurrectionnelles s’il ne se sentait pas
en parfaite sécurité. Le renseignement humain est essentiel à toute contre-insurrection;
cette autre particularité explique l’importance de gagner l’appui de la population. Les
hameaux stratégiques contribuaient incontestablement à cet objectif en 1963 au Vietnam.
Il convient cependant de spécifier que les succès engendrés par les hameaux stratégiques
n’ont pas revêtu un caractère uniforme sur l’ensemble du théâtre d’opération. Rufus
Phillips, un agent de terrain de la CIA, était le conseiller en chef américain pour le
programme d’hameaux stratégiques. Phillips était à l’origine un des assistants d’Edward
Lansdale, un colonel de l’USAF opérant au sein de la CIA qui conseillait Diem et
défendait avec vigueur la nécessité d’appliquer des concepts de COIN au Vietnam.35
Phillips remarqua qu’il y avait encore des fonctionnaires sud-vietnamiens qui
développaient trop rapidement leurs hameaux. Ce faisant, les autorités « sacrifiaient la
qualité pour la quantité ». Phillips a exposé la nature chronique du problème dans le
secteur très peuplé du Delta du Mékong, localisé dans le sud du pays (IV Corps).
Cependant, il a souligné qu’en dépit de ces problèmes, le programme d’hameaux
stratégiques prouvait sa valeur dans les secteurs où le système se voyait « bien
exécuté ».36 Il est à noter que les statistiques montrant les progrès engendrés par les
hameaux stratégiques ont fréquemment fait l’objet de critiques de plusieurs qui accusaient
Saigon d’exagérer les chiffres de ses rapports de situation. À cet effet, l’auteur Mark
34 Aux États-Unis, de nombreux groupes de manifestants ont exprimé leur opposition à l’implication américaine
au Vietnam. Une de ces organisations se nommait Students for a Democratic Society, un groupe activiste de
gauche très actif lors des protestations populaires américaines. Plusieurs manifestants sont allés jusqu’à appuyer
le Viêt-Cong en brandissant le drapeau du groupe insurrectionnel communiste. Ces groupes ont vivement
dénoncé la violence engendrée par les opérations militaires américaines sur la population civile au Vietnam.
Néanmoins, les exactions perpétrées par le Viêt-Cong sur le peuple sud-vietnamien ont été, le plus souvent,
complètement ignorées par ces activistes. Cette tendance a été le reflet d’une bonne partie de la couverture
médiatique pendant la guerre. Par exemple, les médias n’ont pas soufflé un mot de la tuerie de Hue, qui vit près
de 6000 civils massacrés et enterrés vivants par le Viêt-Cong lors de l’offensive du Têt en 1968 (le sujet des
médias sera abordé de nouveau plus loin dans la thèse). 35 Rufus Phillips, Why Vietnam Matters, Annapolis, Naval Institute Press, 2008, p. xv. 36 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 207.
59
Moyar précise que Phillips et la majorité des autres conseillers en matière de pacification
n’étudiaient pas exclusivement des statistiques et les rapports sud-vietnamiens pour
évaluer la situation opérationnelle. Dans chaque province, des conseillers civils et
militaires américains inspectaient personnellement de nombreux hameaux et dialoguaient
avec les civils et les employés gouvernementaux avant d’envoyer leurs propres rapports
à Phillips et aux autres agences américaines. De plus, pour évaluer la situation
opérationnelle, les Américains se fiaient beaucoup aux détails recueillis dans les écrits de
documents viêt-cong saisis, ainsi qu’aux rapports verbaux des insurgés qui optaient pour
la défection.37 Globalement, les progrès en matière de pacification, de sécurité et
d’endiguement pour les opérations viêt-cong connaissaient d’excellents progrès dans les
secteurs ruraux. Selon Thompson, le gouvernement était en voie de « gagner la guerre »
et, s’il gardait le cap, pouvait espérer complètement couper l’accès des Viêt-Cong à la
population civile au milieu de 1964, et ce, même dans la zone plus problématique du
Delta du Mékong.38
Néanmoins, Thompson a connu à juste titre certaines préoccupations. La situation
politique très instable à Saigon avait engendré de nombreuses violences de la part des
sectes bouddhistes et des forces de sécurité sud-vietnamiennes sous Diem. Ce dernier
subissait d’énormes pressions des Américains pour qu’il modère ses politiques et ses
actions contre les sectes. Combiné à cela, la situation politico-militaire faisait l’objet
d’une couverture médiatique extrêmement biaisée où plusieurs journalistes diabolisaient
Diem et mésinterprétaient dramatiquement la situation militaro-opérationnelle sud-
vietnamienne. Des journalistes comme David Halberstam et Neil Sheehan adoptaient la
fâcheuse tendance de s’improviser comme de grands spécialistes des stratégies et
tactiques militaires. Dans leurs articles, ils dépeignaient un gouvernement sud-vietnamien
ayant complètement perdu le contrôle de la situation contre les insurgés viêt-cong. Même
le Time Magazine s’est montré très inconfortable avec le manque d’objectivité des
journalistes à Saigon, ce qu’il a déploré dans un article publié le 20 septembre 1963. Le
Times reprochait aux journalistes leur « vision tunnel », leur « distorsion » de
l’information, leur mépris de Diem et leur tendance à qualifier d’hérétique tout rapport
37 Ibid. 38 Ibid.
60
ou opinion ne corroborant pas leur vision de la situation.39 De son côté, Thompson
commençait à sentir la soupe chaude; il comprenait que le programme d’hameaux
stratégiques -également condamné par les journalistes- dépendait trop du leadership et de
l’administration de Diem et de son frère Nhu. À ses yeux, il n’existait aucune alternative
à Diem; sa chute du pouvoir engendrerait des effets « désastreux » pour la pacification et
tout changement au sein des instances gouvernementales risquait de transformer une
victoire en défaite. C’est pourquoi il insistait pour que Saigon s’empresse de bâtir
un « système ministériel » doté d’un « mécanisme administratif » pouvant permettre au
gouvernement de gérer le programme, advenant un changement au sein du leadership
gouvernemental à Saigon.40 Malgré ses recommandations, le système demeurait très
dépendant de Diem et de Nhu et les pires craintes de Thompson se sont concrétisées le
1er novembre 1963. Une junte de généraux de l’ARVN initia un coup d’État avec l’accord
tacite d’une poignée de politiciens américains dont l’Ambassadeur américain à Saigon
Henry Cabot Lodge.
Le putsch entraîna l’assassinat de Ngo Dinh Diem et de son frère Ngo Dinh Nhu.
Le Président Kennedy s’est montré très choqué de l’assassinat de Diem mais plusieurs
acteurs politiques de son administration, plus particulièrement l’Ambassadeur Henry
Cabot Lodge, ont encouragé le coup d’État des généraux de l’ARVN.41 Lorsque ces
derniers ont pris les rênes du pouvoir, le GVN se retrouva dans une position vulnérable
et détériorée. Le programme d’hameaux stratégiques se trouva instantanément mis en
péril à la suite de l’assassinat de ses deux principaux architectes. En dépit de cette
situation précarisée, Thompson estimait que si les généraux putschistes demeuraient unis,
on pouvait envisager de conserver l’optimisme quant à une victoire accélérée contre le
VC. Néanmoins, la situation ne s’est point améliorée; les généraux ont donné l’ordre de
39 National Security Files Vietnam Halberstam Articles9/63, Memorandum for Director of Central
Intelligence, Subject: David Halberstam’s reporting on South Vietnam, Boston, John F. Kennedy Presidential
Library, Box 204, p. 1-2. 40 State Department Government Records National Archives, Pol 7 – R.G.K. Thompson visit to U.S. –April
1963. Memorandum: The Situation in South Vietnam, March 1963, op. cit. p. 3. 41 Pentagon Papers Part IV. B. 5[Part IV. B. 5.], Evolution of the War. Counterinsurgency: The Kennedy
Commitments, 1961-1963, The Overthrow of Ngo Dinh Diem, May-Nov. 1963, College Park, National
Archives, Identifier: 5890497, container ID: 3, p. 59.
61
dissoudre le gouvernement de Diem.42 De fait, le personnel dédié à gérer le programme
d’hameaux stratégiques et plusieurs fonctionnaires considérés comme étant des
« Diemistes » se sont vus limogés et jugés, ce qui devait contribuer à la chute définitive
du programme.43Beaucoup de journalistes ont dénoncé les politiques de Diem de même
que son programme de pacification chapeauté par les Américains et le BRIAM. Pourtant,
l’état de la progression de la campagne de COIN était beaucoup plus positif que le laissait
croire l’évaluation biaisée des journalistes. Des sources communistes ont confirmé que le
gouvernement détenait l’avantage de la situation avant le coup, avantage « perdu
rapidement » à la suite du putsch. Le commandement VC en charge des opérations au sud
du pays a rapporté qu’ils éprouvaient d’importantes difficultés en 1962 et lors des
premiers 10 mois de 1963, mais qu’après le 1er novembre, ils commençaient à
« raffermir » leurs forces dans les zones où ils s’étaient trouvés préalablement affaiblis.
Dans les 16 mois ultérieurs au coup, les communistes ont pu constater avec satisfaction
que 80% des hameaux stratégiques avaient été détruits et que l’essentiel de la population
rurale se trouvait dorénavant dans des secteurs contrôlés par le Viêt-Cong.44
De 1964 à 1965, le nombre de civils sous l’ascendant des communistes a passé de
25,000 à 203,345 dans la Région militaire 6 du VC.45 Dans la région centrale des hauts-
plateaux, le Viêt-Cong réussit pour la première fois à causer de sérieuses pertes aux
hameaux stratégiques; après le coup, 40% de ces derniers ont été détruits par les insurgés
en l’espace de quelques mois. Les provinces de Long An et de Dinh Tuong dont les
hameaux avaient été durement frappés préalablement au renversement de Diem ont
encaissé des pertes encore plus significatives après le coup. Pourtant, des rapports
communistes d’avant le putsch déploraient à quel point la province de Long An était
envahie d’hameaux stratégiques peuplés par nombre de civils y ayant été déplacés. Cette
situation, combinée aux combats contre les forces de Saigon, avait limité le nombre
d’hameaux détruits à 20 sur 273 avant le 1er novembre. Le désastre s’est également
répercuté au sein de la province de Dinh Tuong; après le coup d’État, 100 des 184
42 National Security Files Vietnam Vol. XXIV, Department of State Telegram to Secretary of State. ProQuest
Folder 4532045. 43 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 284. 44 Ibid., p. 284. 45 Ibid., p. 283-284.
62
hameaux ont été détruits.46 À l’annonce de l’assassinat de Diem, le dirigeant nord-
vietnamien Ho Chi Minh déclara qu’il pouvait « difficilement croire que les Américains
puissent avoir été aussi stupides ».47 Le Politburo nord-vietnamien renchérit en ajoutant
que « Diem était un des individus les plus forts » dans la résistance contre le
communisme. Tous les efforts tentés pour « écraser la révolution » l’avaient été, selon le
Politburo, sous l’égide de Diem.48 En bref, l’échec du programme d’hameaux stratégiques
et de l’ensemble du projet de pacification de 1963 à 1965 n’a pas été la résultante des
efforts insurgés mais plutôt de l’insouciance et de l’absence de jugement éclairé des
dirigeants sud-vietnamiens et de certains dirigeants américains. L’application des
doctrines de Thompson et du BRIAM au Vietnam s’est avérée un succès jusqu’au
renversement du régime de Diem. Le programme a connu des ratés en début de parcours,
chose tout à fait normale si on prend en considération la complexité de la mise en pratique
des doctrines de COIN et l’agressivité notoire du VC.
Nonobstant ces problèmes, le programme aboutit aux résultats tactiques
escomptés dans bien des provinces : la population s’est retrouvée séparée de
l’insurrection qui a vu ses lignes de communication constamment menacées. Des unités
VC manquaient de nourriture et ne pouvaient bénéficier du refuge, du renseignement, des
taxes et de l’approvisionnement logistique de la population civile. Comme nous l’avons
vu précédemment, des rapports communistes et des déserteurs VC ont corroboré cet état
de la situation, conclusions n'étant donc pas uniquement basées sur de simples statistiques
de Saigon. Les journalistes susmentionnés se sont constamment acharnés à dénoncer le
programme d’hameaux stratégiques de Diem. Cependant, les doléances de journalistes ne
constituent pas des indicateurs d’échec ou de succès crédibles dans le processus
d’évaluation d’une contre-insurrection. Non seulement les dirigeants du VC ont-ils eux-
mêmes avoué la nature problématique du programme, le commandement communiste a
fait de la destruction des hameaux une priorité pour les forces de combat du VC. Si le
programme d’hameaux stratégiques de Diem et de Nhu était aussi inefficace et contre-
productif que l’ont prétendu Halberstam et Sheehan, pourquoi le VC s’est-il acharné
désespérément à les anéantir avec autant d’opiniâtreté? Pourquoi après un temps, de
46 Ibid., p. 284-285. 47 Ibid., p. 286. 48 Ibid.
63
larges portions de la population civile demandaient-elles volontairement à être déplacées
dans ces hameaux? Si les villageois avaient autant d’engouement pour Ho Chi Minh et
les doctrines communistes, pourquoi se montraient-ils aussi enclins à transmettre du
renseignement sur les activités et les mouvements viêt-cong lorsqu’ils se sentaient à l’abri
de leurs représailles ? Pourquoi, après le coup d’État, le VC accéléra-t-il avec zèle son
effort de guerre pour définitivement anéantir les hameaux stratégiques? Là se trouvent les
véritables indicateurs de succès de l’application d’une COIN. Le fait est qu’un journaliste,
quoi qu’il puisse analyser une situation et se faire une opinion, n’est généralement pas un
tacticien militaire, n’a pas été éduqué dans une académie militaire et ne possède aucune
expérience en matière de leadership au combat. Cela ne signifie pas qu’un militaire est
totalement à l’abri de la mésinterprétation d’une situation en temps de guerre; de
nombreux officiers ont bien mal interprété certaines problématiques au Vietnam.
Néanmoins, l’impact démesuré d’assomptions erronées de journalistes biaisés et profanes
en matière de tactiques et stratégies militaires prit beaucoup trop d’ampleur et devait en
prendre encore davantage en 1968 lors de l’offensive du Têt. Le fait demeure que les
doctrines de Robert Thompson ont affecté les opérations VC de façon critique dans
l’ensemble des provinces sud-vietnamiennes. Une réalité beaucoup trop souvent ignorée
et mésinterprétée.
Le focus médiatique porté sur des défaites militaires de l’ARVN comme celle
d’Ap Bac, sur la condamnation des hameaux stratégiques et sur les violences entre forces
de sécurité sud-vietnamiennes et sectes bouddhistes a littéralement tordu la réalité
militaro-opérationnelle de la RVN en 1963. Parallèlement, les médias ont adopté la
tangente de minimiser les atrocités, les faux pas et les fréquentes défaites du Viêt-Cong.
Bien que spéculatif, il est intéressant de noter que l’auteur Mark Moyar va jusqu’à
affirmer que si le programme avait été de l’avant avec Diem, il est fort probable que les
États-Unis n’auraient jamais eu à déployer des forces de combat au Vietnam.49
Néanmoins, un des principaux défauts relatifs à l’administration du programme
d’hameaux stratégiques a été sa dépendance à la gestion personnalisée de Diem et Nhu,
ce qui, ultimement, a constitué un problème à la suite de leur assassinat. De tels préceptes
et doctrines se doivent d’être institutionnalisés afin que l’ensemble du gouvernement
49 Ibid.
64
puisse en saisir les rouages et le potentiel. Les généraux du putsch n’avaient cure du
programme de COIN de Diem. Du côté politique, plusieurs dirigeants américains ont
dénoncé la dureté de Diem et remettaient en question la capacité de ce dernier à gouverner
la RVN. Parmi ces politiciens, nous retrouvions l’Ambassadeur Henry Cabot Lodge, le
Secrétaire d’État Dean Rusk et l’assistant au Secrétaire d’État pour l’Extrême Orient
Averell Harriman. Bien qu’il ne souhaitait pas l’assassinat du dirigeant sud-vietnamien et
qu’il avait des doutes sur la nécessité d’approuver un coup d’État, le Président John F.
Kennedy s’est également montré inconfortable avec plusieurs aspects de la gouvernance
de Diem. Le Procureur général des États-Unis (et frère du Président), Robert F. Kennedy,
ainsi que Maxwell Taylor (appelé à devenir Ambassadeur américain dans la RVN), et le
directeur de la CIA, John McCone, se sont catégoriquement objectés au renversement de
Diem.50 Nonobstant ces oppositions, la Maison-Blanche et l’Ambassadeur Lodge ont
laissé transparaître de grands signes d’impatience lorsque Diem refusait d’apporter des
modifications à sa façon de gouverner. Les politiciens tendaient à oublier que la RVN
vivait un état de crise tout en étant confrontée à une guérilla communiste déterminée.
Les Américains cherchaient à transposer leurs valeurs démocratiques à un
gouvernement et à une société qui n’avaient absolument rien à voir avec la culture
démocratique américaine. Cette fâcheuse tendance ne s’est pas limitée au Vietnam et a
pu être observée très récemment dans les conflits modernes du 21e siècle avec les résultats
que l’on connaît. Washington semblait souhaiter faire de la République du Vietnam une
« Petite Californie » mais la réalité militaire et socio-culturelle du pays ne se prêtait pas
à de pareilles illusions. Washington devait amèrement regretter d’avoir abandonné Diem
à son sort; sa chute provoqua une cascade d’évènements en domino qui, ultimement,
devaient nécessiter le déploiement de forces de combat américaines au Vietnam. En effet,
une succession de coups d’état subséquents à celui de Diem empira de manière drastique
la situation politico-militaire. En 1965, la situation se fit catastrophique; le Viêt-Cong
dominait les secteurs ruraux et des forces régulières du NVA commençaient à déployer
des forces massives au Sud dans le but de scinder géographiquement en deux la RVN. À
50 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 262-263.
65
ce stade du conflit, le facteur hybride commença à prendre beaucoup plus d’ampleur. La
Figure 2 montre l’étendue des secteurs d’influence des forces communistes en 1965.
Figure 3 : Zones de la RVN contrôlées par les communistes et les forces
gouvernementales en 196551
51 Thomas Ahern, op. cit., p. 173.
66
1.3. La guerre et les menaces de type hybride
Le livre doctrinal de l’US Army dédié à la guerre hybride (le TC 7-100 Hybrid
Threats) définit les menaces de nature hybride comme une « combinaison dynamique de
forces régulières et irrégulières » unifiée pour créer un « effet bénéfique mutuel ». Les
forces conventionnelles sont (en temps normal) « gouvernées par la loi internationale »,
contrairement aux forces irrégulières n’étant pas régulées par cette dernière. En
conséquence, les forces irrégulières bénéficient d’une plus grande liberté d’action dans le
choix de leurs cibles ainsi que dans l’intensité de la violence exploitée pour les frapper.
Le manifeste doctrinal souligne qu’une des particularités propres aux conflits hybrides
est la capacité des forces régulières et irrégulières à exploiter les vulnérabilités adverses
en initiant la transition de leur concept d’opération, c’est-à-dire de guerre conventionnelle
à guerre non conventionnelle.52 L’objectif des menaces hybrides consistera en l’attaque
des éléments politiques, militaires, économiques et sociaux de leurs adversaires tout en
maximisant l’exploitation des médias et de la guerre de l’information (PMESI). Ces
assauts multiples contre les éléments du PMESI constituent pour les acteurs hybrides des
Lignes d’Opérations.
Une série d’attaques sur le plan militaire ne créera pas la complexité
opérationnelle nécessaire pour étirer les ressources, dégrader la volonté de combattre et
réduire la capacité à manœuvrer de l’adversaire des acteurs hybrides. Au lieu de cela, ces
derniers chercheront à infliger suffisamment de pression pour provoquer une instabilité
économique, une perte de confiance de la population envers son gouvernement et
exploiter les réseaux d’information. Chacune des Lignes d’Opérations représentées dans
le PMESI sera attaquée ou exploitée par les acteurs hybrides qui, pour ce faire,
procéderont à des offensives « synchronisées et synergétiques ».53 À titre d’exemple, sur
le champ de bataille vietnamien, deux des principales Lignes d’Opérations ont été la
population civile (politique) et l’attrition des Forces armées américaines (militaire). Les
éléments conventionnels et non conventionnels des acteurs hybrides ont synchronisé leurs
opérations pour frapper ces deux Lignes d’Opérations. La situation risque de devenir
52 Headquarters Department of the Army, TC 7-100 Hybrid Threats, Washington D.C. Department of the
Army, 2010, p. v. 53 Ibid., p. 1-2.
67
suffisamment compliquée pour que les forces de sécurité soient amenées à négliger la
concentration de la force nécessaire pour briser l’influence des acteurs hybrides sur une
ou plusieurs de leurs Lignes d’Opérations. À titre d’exemple, en 1965, les offensives des
forces régulières du NVA devinrent une menace si prépondérante que l’ARVN ne pouvait
participer activement aux opérations de pacification contre le Viêt-Cong, ce qui s’avéra
un élément facilitant la tâche de l’ennemi dans sa repossession des secteurs ruraux. À
l’image d’une insurrection pure et simple, l’objectif des acteurs hybrides ne constitue pas
une victoire militaire mais l’épuisement psychologique de l’adversaire par le biais d’une
guerre de longue durée (protracted war). Voilà ce que stipule le TC 7-100 à ce sujet :
Swift tactical success is not essential to victory. The dimension of time favors
those fighting the United States. An enemy need not win any engagement or
battles; the enemy simply must not lose the war. Wearing down the popular
support for U.S. operations by simply causing a political and military
stalemate can be all that is required to claim victory or to change U.S.
behavior or policy.54
Cette logique de guerre constitue la doctrine fondamentale qui, ultimement, devait
coûter la victoire aux Américains au Vietnam. Encore aujourd’hui, beaucoup de vétérans
vanteront les performances militaires américaines au Vietnam. Aucune défaite majeure
n’a été infligée aux Américains alors que leurs formations militaires étaient confrontées
à de larges formations du NVA ou du VC. Néanmoins, cela ne changea en rien l’issue de
la guerre. En étirant le conflit, les acteurs hybrides ont causé des pertes militaires
continuelles aux Américains. L’absence de progrès sur le plan militaire, l’exploitation des
médias, la pression sociale et économique qui devait s’ensuivre permit aux acteurs
hybrides d’atteindre, ultimement, leur objectif. Pour fonctionner adéquatement, les
acteurs hybrides exploiteront un de deux types d’adaptations : naturelle et dirigée. Dans
le cas des communistes au Vietnam, ils ont exploité les deux, ce qui en faisait un
adversaire encore mieux rodé pour contrer la puissance militaire américaine. Une
adaptation naturelle se produit lorsqu’un acteur hybride « raffinera son habilité » à
exploiter son pouvoir politico-économique, militaire et informationnel. Sur le plan
politique et de l’information, il exploitera des alliances régionales et stratégiques qui
favoriseront l’atteinte de ses objectifs politico-militaires.55Dans le cas des communistes,
54 Ibid. 55 Ibid.
68
Hanoï pouvait compter sur deux puissances nucléaires en l’Union soviétique et la Chine
communiste pour l’appuyer dans sa quête. Du côté économique et matériel, l’acteur
hybride cherchera à acquérir des technologies qui lui permettront de résister aux assauts
de son adversaire.56 En ce qui concerne Hanoï, on a pu se procurer, grâce aux alliés
susmentionnés, le tout dernier modèle de missile antiaérien soviétique (le SA-2) destiné
à abattre des centaines de chasseurs américains dans le ciel nord-vietnamien. L’infanterie
communiste était équipée du dernier modèle de fusil d’assaut AK-47 soviétique
(supérieur en calibre, qualité et fiabilité à la M-16 américaine de 1965) ainsi que de canons
d’artillerie de 122 mm D-74,57 ces derniers ayant une portée de tir supérieure aux canons
d’artillerie américains. Également, en plus des vieux Mig-17, l’aviation nord-
vietnamienne a été équipée d’une flotte d’avions de chasse Mig-21, un des derniers
modèles de chasseurs soviétiques. En termes de capacités, manœuvrabilité et
d’aérodynamique, ce chasseur pouvait sans difficultés se mesurer au chasseur F-4
Phantom américain.58
Enfin, sur le plan militaro-politique, les forces hybrides communistes disposaient
d’une « organisation effective ». En d’autres termes, la machine de guerre communiste
était sous la direction du Parti communiste à Hanoï. Le NVA, composé d’unités
divisionnaires, lui était subordonné et on lui attribua divers secteurs d’opérations dans la
République du Vietnam. Parallèlement, le COSVN opérait clandestinement sous la
gouverne d’Hanoï pour gérer les opérations politico-militaires du Viêt-Cong dans chaque
région, province, district et village de la RVN.59 En bref, Hanoi a pleinement exploité le
mode de transition naturelle propre aux acteurs hybrides. Les dirigeants communistes ont
également tiré parti du mode de transition dirigé. Globalement, ce dernier se réfère à la
capacité d’un acteur hybride d’apprendre de ses erreurs lorsque confronté à son adversaire
et à posséder l’habilité d’adapter son mode d’opération afin d’invalider la suprématie
militaire de ce dernier.60 Un des meilleurs exemples de l’adoption communiste du mode
56 Ibid. 57 J.W. McCoy, Secrets of the Viet-Cong, New York, Hippocrene Books, 1992, p. 34, 328. 58 Marshall L. Michel, Clashes. Air Combat over North Vietnam 1965-1972, Annapolis, Naval Institute Press,
1997, p. 81-84. 59 McCoy, op. cit., p. 27-49. 60 Headquarters Department of the Army, TC 7-100 Hybrid Threats, op. cit., p. 1-2.
69
de transition dirigée tactique au Vietnam a été la conduite des opérations militaires
insurgées qui ont succédé à l’opération STARLITE en août 1965. Des rapports de
renseignements ont indiqué aux Américains qu’une large formation VC s’apprêtait à
attaquer l’enclave de Chu Lai située dans la province de Quang Nam. Cette force
composée du 1er Régiment VC et d’une compagnie du 52e Bataillon a été confrontée à un
assaut héliporté formé de plusieurs bataillons de Marines.61 STARLITE consistait en une
offensive américaine classique qui a vu l’USMC traquer, localiser, fixer et anéantir les
forces communistes par le biais d’effectifs et d’une puissance de feu supérieure. Le VC
affronta ouvertement son adversaire américain et en subit les lourdes conséquences :
STARLITE incarna une défaite cinglante pour le VC qui y a perdu un total de 688 soldats
en plus de 263 blessés. De leur côté, les Américains ont déploré la mort de 46 Marines en
plus de recenser 204 blessés.62 Les généraux américains se sont montrés ravis du résultat
qui cadrait parfaitement avec ce que leur expérience passée leur avait appris au cours des
guerres précédentes. Néanmoins, le VC ne devait pas tarder à ajuster sa stratégie; devant
la puissance de feu des Forces américaines, les insurgés ont adapté leurs tactiques en
attaquant leur adversaire par le biais d’embuscades et d’opérations classiques de guérilla.
À moins d’un avantage certain, les troupes VC se sont désormais abstenues de
jouer le jeu des Américains et ont muté leur schème de bataille, un concept qu’ils ont
gardé jusqu’au Têt en 1968. Nous verrons d’ailleurs dans le chapitre 4 comment Hanoï
devait réajuster sa stratégie après sa défaite militaire lors de l’offensive du Têt. Il est très
intéressant de noter que même l’aviation nord-vietnamienne a exploité le mode de
transition dirigé. Possédant beaucoup moins de chasseurs que leur adversaire américain,
les Nord-Vietnamiens ont adapté leurs tactiques afin de pouvoir rivaliser avec l’USAF et
les chasseurs de l’U.S. Navy. À titre d’exemple, lorsque les chasseurs bombardiers F-105
et leur escortes (les F-4 Phantom) initiaient leur attaque au sol, les Mig nord-vietnamiens
n’intervenaient souvent qu’après la conduite de l’assaut, lorsque les escortes n’avaient
presque plus de carburant. Ils privilégiaient de s’en prendre aux chasseurs bombardiers
F-105 beaucoup moins manœuvrables que le Mig-17 et le Mig-21. Les pilotes nord-
61 Records of the Military Assistance Command Vietnam, Part 1. The War in Vietnam, 1954-1973, MACV,
Carlisle Barracks, Pennsylvania U.S. Army Military History Institute, Historical Office Documentary
Collection, Folder: 003209-048-0098. 62 Ibid.
70
vietnamiens ont également ajusté leurs tactiques lorsqu’ils se sont vus confrontés aux
premiers modèles de chasseurs F-4. Ces derniers, n’ayant pas de canon, comptaient
exclusivement sur leurs missiles pour le combat aérien. Les aviateurs communistes
volaient si près des F-4 qu’ils ne pouvaient utiliser leurs missiles contre les Mig qui ont
abattu plusieurs chasseurs américains.63 De plus, les Nord-Vietnamiens n’ont pas tardé à
réaliser que les missiles air-air américains étaient beaucoup moins efficaces à basse
altitude, ce qui motiva les aviateurs communistes à ajuster leurs tactiques : lors de
combats aériens, les Mig plongeaient à basse altitude afin de minimiser l’avantage
technologique des Américains. Les Mig patrouillaient également à très basse altitude les
couloirs aériens privilégiés par les F-105. Les chasseurs communistes volaient en cercle
et lorsqu’un F-4 cherchait à engager un Mig, le pilote américain et son navigateur se
retrouvaient rapidement avec un autre Mig localisé sur leurs arrières. La proximité du sol
faisait en sorte que les missiles guidés par radar et les missiles infrarouges du F-4
rencontraient énormément de difficulté à cibler et toucher les Mig qui bénéficiaient d’un
canon pour le combat rapproché. Lorsque les F-105 approchaient, les Mig brisaient leur
formation en cercle et fonçaient sur les chasseurs bombardiers surchargés de bombes pour
les forcer à engager un combat aérien inévitablement désavantageux pour les aviateurs
américains.64
C’est par le biais de telles méthodes que les acteurs hybrides, quelques soient leurs
moyens (terrestres et aériens), exploitent le mode de transition dirigé. Nous avons vu
précédemment en quoi consistait la composition et le mode de fonctionnement des forces
non conventionnelles communistes; le Viêt-Cong. Pour sa part, le NVA représentait la
branche armée conventionnelle d’Hanoi. Une telle force armée se compose de forces
militaires régulières appartenant à un État. Ces forces régulières conventionnelles
assument la tâche d’atteindre leurs objectifs en exploitant des tactiques militaires
standardisées centrées sur l’offensive et la défensive. Leurs objectifs principaux : vaincre
les forces adverses sur le champ de bataille, détruire la capacité à combattre de l’ennemi
ainsi que saisir et maintenir le contrôle de territoires clés.65 Le NVA constituait une armée
conventionnelle très bien équipée, durement entraînée, hautement professionnelle et
63 Michel, op. cit., p. 20-21, 105-106. 64 Ibid., p. 89. 65 Headquarters Department of the Army, TC 7-100 Hybrid Threats, op. cit., p. 2-2.
71
dotée d’officiers très compétents. Leur structure organisationnelle s’apparentait à celle de
toute armée conventionnelle moderne (voir l’annexe 2). Sans les éléments d’artillerie de
l’US Army et l’appui aérien soutenu de l’USAF, les armées nord-vietnamiennes auraient
à maintes reprises surclassé leur adversaire américain sur le champ de bataille. Lors de la
collaboration des deux forces (VC et NVA), le Viêt-Cong ne se contenta pas d’appuyer
les opérations des forces régulières nord-vietnamiennes. Il est arrivé plus d’une fois que
les rôles se soient vus inversés avec le NVA qui, pour appuyer le VC, intégrait plusieurs
de ses soldats dans ses bataillons. Ce faisant, les deux forces formaient une parfaite
symbiose qui facilita la conduite des opérations contre les éléments militaires américains
et sud-vietnamiens. L’amalgame des deux forces permit le déclenchement d’attaques
coordonnées entre forces régulières et irrégulières sur quantité de fronts lors de la contre-
offensive communiste de 1969.66 Trois ans plus tôt, la 620e Division d’Infanterie ainsi
que les 3e et 21e régiments du NVA contrôlaient, de concert avec le 1er Régiment VC, la
vallée du Que Son dans I Corps. En mai 1966, la 5e Division du NVA contrôlait 5000
soldats qui faisaient partie des 274e et 275e Régiments VC/NVA, du Bataillon Viêt-Cong
D445, de quatre compagnies de district et de 400 à 600 insurgés locaux.67
Dans la partie consacrée à l’offensive du Têt, nous verrons comment le NVA et
le VC amalgamaient leurs forces régulières et irrégulières au combat. Il ne s’agit là que
de quelques exemples de l’alliage constant des troupes régulières et irrégulières des forces
communistes. Même en plein combat, il était commun de voir les communistes exploiter
un tissage de « moyens réguliers et irréguliers ». Des armes antichars de dernière
génération pouvaient être exploitées de manière simultanée avec des pièges aux concepts
datant de l’Antiquité. Des armes hautement sophistiquées comme des missiles antiaériens
pouvaient être utilisées avec de l’arsenal plus primitif. Il n’était pas rare de voir des
experts venir enseigner aux forces irrégulières comment utiliser des armes modernes.68
Ces procédures ont permis au Viêt-Cong d’opposer une résistance tout aussi farouche aux
Américains que leurs comparses du NVA. À titre d’exemple, lors de STARLITE, les
unités VC se sont vues renforcées de deux batteries de canon d’artillerie de 75 mm et
66 Timothy McCulloh et Richard Johnson, Hybrid Warfare Joint Special Operation University Report 13-4,
Tampa, Joint Special Operations University, 2013, p. 75. 67 McCoy, op. cit., p. 352-353. 68 Ibid.
72
d’une compagnie antiaérienne qui était organique69 aux bataillons insurgés. Ces armes
ont été la cause de plusieurs pertes chez les Marines.70 La coopération des forces
régulières et irrégulières ne s’est pas uniquement faite dans le but d’obtenir des résultats
tactiques. En fait, les deux entités militaires constituaient un multiplicateur de force qui
permit au leadership communiste d’exploiter la doctrine privilégiée par le Ministre de la
Défense nord-vietnamien, No Nguyen Giap, doctrine connue sous le terme dau tranh
(lutte).
Ce concept doctrinal était en fait une version extrapolée des théories de Mao
exposées précédemment. Giap décrit le dau tranh comme un effort visant à atteindre une
position stratégique avantageuse par le biais d’attaques militaires et politiques. Giap
voyait ces deux formes de guerre comme une symbiose en constante évolution avec
l’exploitation progressive de techniques de guerre conventionnelle, tout en conservant les
caractéristiques propres à une guerre insurrectionnelle.71 En terme vietnamien, la doctrine
de Giap consistait du « dau tranh vu trang (lutte armée) et du dau tranh chinh tri (lutte
politique). Il s’agit là d’un amalgame complet des diverses formes de guerre 72 ce qui
inclut les volets conventionnels, non conventionnels, politique et tous les facteurs qu’ils
englobent (PMESI). Ce graphique d’une étude sur la guerre hybride du Joint Special
Operation University résume bien le dau tranh :
69 Dans le langage militaire, le terme « organique » se réfère à une unité de combat (compagnie de char,
d’artillerie, de défense antiaérienne, etc.) qui appartient à une formation en particulier. Par exemple, si la 304e
Division du NVA possède dans son ordre de bataille la 35e Brigade d’artillerie, cette dernière est organique à
la 304e Division. Si la 35e Brigade d’artillerie est déployée et prêtée à la 325e Division du NVA, elle sera
considérée comme une unité non organique (à la 325e Division). 70 McCoy, op. cit., p. 349-350. 71 Timothy McCulloh et Richard Johnson, op. cit., p. 76. 72 Ibid., p. 76-77.
73
Figure 4 : Le mode de fonctionnement du dau tranh de Giap73
La partie supérieure du graphique fait la démonstration du mécanisme combiné
des volets conventionnels et non conventionnels pour la portion « armée » du dau tranh.
Les éléments insurrectionnels et conventionnels unissent et convergent leurs efforts pour
déstabiliser militairement l’adversaire. Parallèlement, la partie inférieure du graphique
fait la démonstration du mécanisme relatif au volet de nature « politique » du dau tranh.
À cet effet, le dich van et les « actions contre l’ennemi » avaient pour but de convaincre
« l’audience américaine » (militaire et civile) qu’une victoire militaire était
« impossible ». Les tactiques militaires hybrides exploitées par Giap ont engendré le
statisme opérationnel qui devait contribuer à l’atteinte de cet objectif politique et socio-
psychologique. Le dan van et les « actions au sein de la population » consistaient en
l’exploitation de la population civile via les éléments politico-militaires des forces
hybrides.74 Par la complexité engendrée, cette Ligne d’Opération permettait également
aux acteurs hybrides d’étirer le conflit, ce qui accentua également la pression politique
73 Ibid., p. 76. 74 Ibid., p. 77-78.
74
exercée sur leur adversaire américain. Pour sa part, le binh van touchait les aspects relatifs
à la logistique militaire. Un nouvel élément qui contribua à renforcer la pression militaire
et de facto politique sur l’armée et l’administration du Président Johnson. Le flot constant
d’approvisionnement et d’effectifs militaires en provenance de la Piste Ho Chi Minh ainsi
que l’appui logistique de la population civile étaient l’essence même du binh van. Enfin,
le centre du graphique montre comment les offensives des deux volets politico-militaires
de Giap coincent la force adverse au centre d’un étau destiné à le décourager de
poursuivre sa campagne militaire. Globalement, nous sommes à même de constater à quel
point la doctrine du dau tranh englobe les trois sous-systèmes du mécanisme hybride
communiste décrit dans l’introduction, c’est-à-dire les éléments insurrectionnels,
conventionnels et logistiques. Ces trois sous-systèmes se focalisaient sur leurs Lignes
d’Opérations tout en maximisant les bases d’une synergie constante et dynamique. Cette
synergie des sous-systèmes permettait de frapper les éléments de PMESI américains et
sud-vietnamiens. En compliquant et en étirant le conflit de la sorte, les communistes
accentuaient les pertes américaines, et ce, tant sur le plan matériel qu’humain. Cette
situation suscita l’impatience de centaines de milliers de citoyens américains qui ont fait
pression sur le Président Johnson pour que les Forces américaines se retirent du Vietnam.
La pression économique suscitée par le conflit constituait également un point
d’influence qui a saboté l’appui des Américains à la guerre : la perte de l’équipement
militaire au combat, l’acheminement de matériel pour les opérations civiques et militaires
et les fonds nécessaires pour entretenir et approvisionner les éléments militaires
américains au Vietnam ont coûté des centaines de milliards de dollars au contribuable.
Ces dépenses astronomiques empêchaient également Johnson de pleinement mettre en
œuvre le projet domestique de réformes sociales qu’il prisait tant (The Great Society). En
bref, cette succession d’offensives stratégiques qui martelaient sans relâche les éléments
de nature sociale et politico-économique américains ont été la conséquence de la doctrine
hybride du dau tranh de Giap. Contrairement à ce qu’ont véhiculé maints historiens, la
contre-insurrection n’était pas la solution principale au problème. Il n’existe qu’une
méthode pour contrer une doctrine aussi complexe que celle du dau tranh; les forces de
sécurité doivent chercher à provoquer la dislocation des trois sous-systèmes synergiques
de la structure hybride. Ce démantèlement entraînera l’isolement successif des éléments
conventionnels, non conventionnels et logistiques des acteurs hybrides. Ce faisant, leurs
75
actions offensives sur leur Lignes d’Opérations se voient compromises, puis entravées,
rendant hors d’atteinte les éléments PMESI visés par le dau tranh. Si les forces de sécurité
parviennent à provoquer ce démembrement, le multiplicateur de force entraîné par la
synergie des éléments du dau tranh sera sévèrement oppressé, puis appelé à disparaître.
En d’autres termes, il s’agit de modifier l’environnement opérationnel de manière à
réduire à l’impuissance les éléments qui constituaient la force des acteurs hybrides.75
Figure 5: La synergie des trois sous-systèmes du mécanisme hybride communiste
Au Vietnam, provoquer la dislocation du sous-système logistique et des zones de
sécurité communistes au Laos et au Cambodge (voir le chapitre 5) aurait gravement
entravé la capacité du NVA et du VC à s’esquiver et à obtenir une importante quantité de
matériel, d’approvisionnement et de renforts dans la RVN. En exécutant une campagne
contre-insurrectionnelle comme celle du CORDS et des Combined Action Platoons (voir
chapitres 3 et 4), une autre phase de la dislocation pouvait s’accomplir : lors de ces
opérations, les insurgés ont perdu plusieurs de leurs bases d’opération dans la RVN, de
même que l’accès à de nombreux villages et aussi, de ce fait, l’appui d’une grande partie
de la population. Dans ces conditions, les acteurs hybrides sont exposés aux offensives
des forces contre-insurrectionnelles. L’inaccessibilité aux sanctuaires du Laos et du
Cambodge, l’absence ou le manque de réapprovisionnement de la Piste Ho Chi Minh et
75 Ibid., p. 105.
76
l’incapacité à opérer dans les villages et les secteurs ruraux rendent l’exécution du dau
tranh extrêmement compliquée. Nous verrons dans les prochains chapitres que les unités
militaires américaines et sud-vietnamiennes ont été impuissantes à provoquer
adéquatement cette dislocation malgré l’excellence de leur COIN à plusieurs niveaux. À
bien des égards, l’offensive du Têt constitue l’exemple le plus probant des impacts du
dau tranh et de la guerre hybride telle qu’elle vient d’être décrite. Tous les éléments
PMESI américains ont été atteints lors de cette offensive qui a eu en grande partie pour
origine l’incapacité américaine à provoquer la fracture des systèmes synergiques du dau
tranh.
1.3.1. La guerre hybride et l’offensive du Têt
L’offensive du Têt a été lancée par les forces communistes en janvier 1968 ; une
offensive majeure où environ 84,000 soldats du NVA et du VC assaillirent simultanément
une multitude de cibles dans la RVN.76 Les forces communistes ont attaqué plus de 66
villes de district, 36 des 44 capitales provinciales et l’ensemble de ses villes principales
(voir la figure 4).77 Le plan de Giap -qui s’opposa au lancement de l’offensive qu’il jugea
trop prématurée- s’est déroulé en de multiples phases qui ont débuté en 1967 avec des
assauts le long des frontières du Cambodge et du Laos. L’objectif de ces attaques initiales
était d’attirer les formations de combat américaines et sud-vietnamiennes loin des centres
urbains. La phase subséquente a été lancée le 30 janvier 1968 ; une offensive globale à
travers la RVN qui visait les cibles militaires américaines et sud-vietnamiennes, les entités
gouvernementales et les villes principales. Une campagne de propagande majeure allait
être lancée afin d’encourager les soldats de l’ARVN à faire défection et joindre les rangs
du Viêt-Cong.78 L’objectif ultime visé était d’annihiler et de causer la désintégration
totale de l’ARVN, provoquer un soulèvement populaire général, renverser le
gouvernement sud-vietnamien et assurer la prise du pouvoir par un gouvernement
révolutionnaire communiste.79 Les communistes visaient à anéantir une « portion
76 Robbins, op. cit., p. 165. 77 William Thomas Allison, The Tet Offensive, New York, Routledge, 2008, p. 1. 78 Allison, op. cit., p. 25-25. 79Central Intelligence Agency, Research Reports CIA Intelligence Information Cable, Subject: Situation
Appraisal: Analysis of Viet Cong Tet Offensive, 12 February 1968, ProQuest Folder: 002716 -007-0389, p. 1.
77
significative » des troupes américaines et de leur équipement afin d’entraver leur capacité
à « poursuivre leurs missions politiques et militaires ». Ce faisant, les communistes
espéraient briser de manière définitive le moral des Américains et les inciter à quitter le
Vietnam.80
Figure 6: Les attaques communistes lors de l’offensive du Têt81
80 Allison, op. cit., p. 24-25. 81 United States Military Academy West Point, « The Tet Offensive ». The Vietnam War, West Point,
https://www.westpoint.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/Vietnam09.gif, Consulté le 11
septembre 2018.
78
Nous exposerons d’abord comment le Têt, d’une perspective militaro-tactique,
incarnait une guerre typiquement hybride avec l’amalgame de combats conventionnels et
irréguliers. Ensuite, nous verrons comment ces combats ont engendré des effets qui se
sont répercutés de manière stratégique sur les éléments PMESI américains. Du côté
militaire, les assauts communistes du Têt ont mis en scène le NVA et le VC qui ont attaqué
leurs cibles indépendamment et/ou de manière coordonnée. L’offensive s’est caractérisée
par certaines attaques qui incluaient exclusivement des unités régulières du NVA ou
irrégulières du VC. Dans d’autres cas, les deux entités militaires communistes joignirent
leurs forces pour ainsi profiter des avantages d’un bénéfice mutuel lors de la conduite de
leurs offensives. Il était parfois possible de voir des unités régulières du VC effectuer des
assauts conventionnels à l’échelle de bataillon. Une des premières attaques de l’offensive
du Têt revêtait un caractère « purement conventionnel ». Il s’agit de l’offensive majeure
lancée par le NVA sur la base des Marines de Khe Sanh, située à l’extrême nord du I
Corps, près de zone démilitarisée (voir Figure 4). Un total de deux divisions du NVA
s’est déployé autour de la base des Marines, pour un total d’environ 20,000 soldats nord-
vietnamiens, confrontés à un total de 6000 Marines. Des unités du NVA ont coupé tout
accès terrestre à la base en positionnant leurs forces le long de la Route 9.82
Advenant l’acheminement de renfort aux Marines à Khe Sanh, l’accès à cette route
était absolument nécessaire. Khe Sanh fut rapidement visé par un barrage constant de
mortier et d’artillerie. Puis, se sont succédé aux barrages des assauts conventionnels
classiques de l’infanterie nord-vietnamienne qui a même bénéficié de l’appui d’une
douzaine de chars d’assaut. Pour empêcher la prise de la base par le NVA, des chasseurs
américains ont été obligés d’effectuer plus de 24,000 sorties d’appui aérien. L’intensité
de l’assaut du NVA a été telle qu’il a fallu également demander l’assistance de
bombardiers B-52 qui ont mené 2700 missions d’appui aérien rapproché.83 Les Forces
nord-vietnamiennes devaient subir d’énormes pertes et le siège de Khe Sanh a pris fin en
avril avec la retraite du NVA. Le 1st Cavalry Division et des troupes aéroportées sud-
vietnamiennes ont sécurisé la Route 9 pour faire jonction avec les Marines à Khe Sanh.
82 Ibid., p. 33-35 83 Ibid., p. 35. Voir aussi Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff. The Joint Chiefs of Staff
and the War in Vietnam, 1960-1968 Part III. Historical Division Joint Secretariat JCS, 1970, p. 48-20-48-21.
79
Les pertes communistes se sont chiffrées entre 10,000 et 15,000 morts.84 La bataille de
Khe Sanh a été sans contredit la confrontation conventionnelle la plus violente de
l’offensive du Têt. Cette bataille constitue un exemple probant de l’importance capitale
du facteur relatif à la guerre conventionnelle lors du conflit vietnamien. Une force de
stabilisation contre-insurrectionnelle confrontée à une offensive adverse aussi massive se
serait vue instantanément annihilée. Confrontés aux assauts répétitifs de deux divisions,
les Marines, appuyés par l’aviation, n’ont eu d’autre alternative que de procéder à des
manœuvres conventionnelles défensives qui n’avaient absolument rien à voir avec de la
contre-insurrection. À bien des égards, la bataille de Khe Sanh incarna la guerre souhaitée
par Westmoreland. L’adversaire a massé ses troupes conventionnellement pour attaquer
un objectif prédéterminé et ce faisant, a perdu sa mobilité, sa furtivité et l’élément de
surprise.85 En procédant ainsi, l’adversaire s’est montré vulnérable et exposé à la
puissance de feu des Forces américaines. Cette situation cadrait parfaitement avec les
facettes de défensive tactique des livres de doctrine de l’Armée américaine. Néanmoins,
dans la capitale sud-vietnamienne, les attaques communistes ont été à l’antithèse des
opérations purement conventionnelles des communistes lancées à Khe Sanh.
Saigon et les districts avoisinant ont été la cible d’un mélange d’opérations
conventionnelles et non conventionnelles. Ces dernières ont alterné, passant d’attaques
commandos à des assauts à l’échelle de bataillon. À Saigon 19 commandos du VC
(sapeurs) ont attaqué l’ambassade américaine dans la capitale. Il a fallu 19 heures aux
Marines et à la police militaire pour déloger les sapeurs de l’ambassade. Douze autres
sapeurs habillés en civils ont attaqué le QG de la marine sud-vietnamienne. Dix des
sapeurs ont, ultimement, été tués et les deux autres capturés. D’autres sapeurs travestis en
policiers ont également attaqué la principale station de radio de la capitale. Quelques
heures plus tard, des troupes aéroportées ont neutralisé les commandos VC barricadés
dans la station.86 À ces attaques commandos se sont ajoutés des assauts beaucoup plus
conventionnels : l’aéroport de Tan Son Nhut et le QG du MACV ont encaissé un
bombardement soutenu de mortiers et de roquettes des forces communistes. Des assauts
84 Ibid., p. 35-37. 85 Robbins, op. cit., p. 221. 86 Series of Combat Histories, The Viet Cong Tet Offensive 1968, 01 July 1969. Texas Tech University, The
Vietnam Center and Archive, Glenn Helm Collection, Folder 06, Box 09, p. 126, 129, 131, 133.
http://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=1070906001
80
ont été lancés par le Viêt-Cong pour détruire des ponts et neutraliser les formations
d’infanterie de l’ARVN. À titre d’exemple, le 17 février, le Bataillon Quyet Thang du
VC s’attaqua au 8e Bataillon aéroporté de l’Armée sud-vietnamienne. Tout comme
l’aurait exécuté une formation de l’armée régulière, le Viêt-Cong a initié la bataille avec
un barrage de mortier succédé d’un assaut des troupes d’infanterie communistes qui ont
attaqué les positions défensives du 8e Bataillon de l’ARVN. Alors que les Sud-
Vietnamiens résistaient aux assauts répétés de leur adversaire, ils n’ont pas tardé à réaliser
que le VC avait en sa possession des batteries d’artillerie qui ont, ultimement, été
anéanties par l’aviation américaine et sud-vietnamienne. L’envoi de renforts blindés a
permis au 8e Bataillon de repousser l’assaut du VC qui devait perdre un total de 78 soldats.
Le 19 février, les 1er et 6e Bataillons du VC ont tenté d’anéantir un bataillon de Rangers
de l’ARVN dans le secteur de Phu Lam. Telle une unité régulière, le 1er bataillon initia
un assaut frontal avec le 6e bataillon en réserve. À l’image de l’attaque du Bataillon Quyet
Thang, l’assaut des VC a été précédé d’un intense tir de barrage de mortiers. Les Rangers
ont néanmoins réussi à repousser l’assaut des VC qui ont encaissé la perte de 40 soldats.87
Des attaques similaires ont été exécutées à de multiples reprises sur l’ensemble du
territoire sud-vietnamien lors du Têt. Ces assauts avaient pour modus operandi l’emploi
de troupes insurgées qui exploitaient à la fois des tactiques irrégulières avec leurs sapeurs
et régulières avec leurs bataillons VC. Des assauts hybrides de plus grande envergure qui
comprenaient VC et NVA ont aussi été initiés par les communistes lors de l’offensive. À
cet effet, la bataille pour la prise de la ville de Hue dans I Corps (voir figure 4) a constitué
un bel exemple de coopération entre forces du NVA et du VC. La bataille de Hue a été
l’un des affrontements les plus meurtriers de la guerre du Vietnam. Lors de l’offensive,
la ville a subi l’attaque de six bataillons VC et cinq régiments du NVA (ce qui représentait
une force combinée d’environ 8000 troupes régulières et irrégulières). Près de 200 cibles
ont été préalablement identifiées par les forces communistes. Cibles qui incluaient toutes
les installations gouvernementales et militaires de la ville. Des agents de renseignement
du NVA avaient également préétabli une liste de cibles humaines parmi lesquelles se
trouvaient des fonctionnaires du gouvernement, des dirigeants militaires, des
intellectuels, des étrangers et toutes personnes ayant appuyé les Américains et dénoncé
87 Ibid., p. 139-143.
81
les communistes. Cet aspect de la bataille de Hue devait résulter en une des pires atrocités
commises pendant la guerre du Vietnam.88Avant le début de l’assaut, des agents insurgés
avaient préalablement infiltré la ville afin d’effectuer une reconnaissance pour les forces
de combat du NVA et du Viêt-Cong. L’exécution de l’opération s’est faite comme suit :
appuyé des agents clandestins déjà infiltrés dans la ville, le 5e Régiment du NVA qui
inclut les Bataillons réguliers K4A et K4B ainsi que le 21e Bataillon de sapeurs VC,
prirent d’assaut la partie sud de la ville. Deux jours avant l’attaque, des commandos du
bataillon de sapeurs avaient subversivement infiltré la ville (dans le but de faire jonction
avec les agents clandestins déjà infiltrés). L’assaut du nord de la ville était sous la
responsabilité du 6e Régiment du NVA, formé des bataillons réguliers K1, K2 et K6 ainsi
que du 12e Bataillon de sapeurs VC. À cela se sont greffées quatre compagnies d’appui
du NVA renforcées par des éléments locaux de guérilla.89 L’offensive a débuté avec un
tir de barrage de mortier et de roquette qui s’est vu succédé d’un assaut combiné des
diverses unités du VC et du NVA. Ces derniers prirent la ville dans un mouvement
conventionnel classique de tenaille (pincer move : voir la figure 7).
Les forces communistes ont rapidement pris le contrôle des bâtiments
gouvernementaux, des stations de police, de la Citadelle, puis ont attaqué la base
d’opération du MACV. Les secteurs de la ville occupés par les unités communistes ont
été témoins de l’érection de comités révolutionnaires destinés à gouverner la cité.90 Des
milliers de suspects ont été arrêtés et subséquemment torturés et assassinés. Pendant
plusieurs jours, les Viêt-Cong se sont impunément déplacés dans les rues de Hue. Alors
que les forces régulières du NVA et les sapeurs viêt-cong continuaient leur offensive dans
les secteurs non sécurisés de la ville, les éléments réactionnaires du VC initiaient des
opérations psychologiques et de recrutement (telles que rencontrées dans les villages et
les secteurs ruraux) auprès de la population. Les communistes ont déclaré avoir réussi à
recruter environ 600 jeunes citoyens de la ville de Hue. La cité était virtuellement
totalement sous contrôle communiste le soir du 30 janvier.91
88 Allison, op. cit., p. 51. 89 Series of Combat Histories, op. cit., p. 285. 90 Allison, op. cit., p. 52-53. 91 Series of Combat Histories, op. cit., p. 248, 251, 273, 291.
82
Figure 7: La prise de Hue par les forces hybrides du VC et NVA92
Bien que leur séjour ait été bref, les forces non conventionnelles ont rapidement
cherché à affermir leur contrôle sur la population. Celle-ci a été rassemblée et « classée
par catégorie ». Les citoyens ont été forcés de créer des organisations civiques avec un
représentant qui prenait ses ordres auprès d’un responsable communiste. Cette initiative
visait à assurer un contrôle serré de la population. Les forces communistes se sont aussi
introduites dans chaque domicile, y confisquant les radios pour ainsi couper la population
du monde extérieur. L’exécution de masse de présumés opposants à la cause communiste
s’est également poursuivie.93 Trois jours après le début de l’offensive, trois compagnies
92 La Guerre du Vietnam, « Opération Hue City – 2 février au 2 mars 1968 », Opérations. La Guerre du
Vietnam. http://www.laguerreduvietnam.com/pages/operations/operation-hue-city-02-fevrier-au-2-mars-
1968.html, Consulté le 10 avril 2018. 93 Series of Combat Histories, op. cit., p. 273-276.
83
d’infanterie de Marines, renforcées par un bataillon de chars de la 1st Division, se sont
déployées près de la base du MACV et ont initié une contre-attaque pour reprendre la
ville de Hue.94 S’ensuivit une violente bataille urbaine entre les Marines et les forces
combinées du NVA et du VC. Jamais les Forces militaires américaines ne devaient être
de nouveau confrontées à un combat urbain aussi violent avant la bataille de Mogadiscio
en 1993. Tout comme dans le cas de Khe Sanh, la bataille pour la reprise de Hue n’avait
absolument rien de contre-insurrectionnel. Bien que des opérations de nature insurgées
aient été combinées aux opérations offensives du NVA pour saisir et sécuriser la ville, la
reconquête de Hue par les forces américaines et l’ARVN a nécessité l’emploi d’une
doctrine de guerre urbaine, incontestablement de nature conventionnelle. Après 26 jours
de combat, Hue, véritable ruine à la suite de la bataille, a finalement été libérée par les
Marines et l’ARVN. 40% de la cité était détruite et plus de 100,000 des 140,000 habitants
étaient désormais sans-abris. Au total, 5,800 habitants ont été tués. De ces 5,800, 3000
sont morts durant les combats, les 2800 restants ont été assassinés par les communistes.95
Lors de l’offensive générale du Têt, il a fallu très peu de temps aux communistes
pour perdre l’effet de surprise engendré par le déclenchement simultané des multiples
assauts. Les Forces américaines et l’ARVN se sont vite ressaisies et n’ont pas tardé à
enrayer l’offensive. Bien qu’ils se soient rapidement retrouvés sur la défensive, les
communistes ont néanmoins fait perdurer les hostilités pendant plusieurs semaines. Au
printemps de 1968, le VC a déclenché deux nouvelles contre-offensives que l’on
surnomma « mini-Têt ».96 Ces contre-offensives demeurées caduques, comme nous le
verrons dans le chapitre 4, ont galvanisé le programme de pacification sud-vietnamien.
Militairement analysé, l’offensive du Têt devait prendre le visage d’une véritable
catastrophe pour les forces du VC et du NVA. Les objectifs susmentionnés n’ont jamais
été atteints par les communistes. Ces derniers ont surestimé leurs capacités militaires, de
même que la volonté de la population sud-vietnamienne de se soulever contre le
gouvernement à Saigon. Plus de la moitié des 84,000 effectifs communistes déployés pour
l’offensive du Têt aurait été neutralisée.97 Néanmoins, un des aspects clés relatif au
94 Ibid., p. 251. 95 Allison, op. cit., p. 55. 96 Ibid., p. 297. 97 Central Intelligence Agency Research Reports, op. cit. p. 1.
84
processus de guerre hybride ne devait pas tarder à faire surface : le spectre de la guerre
de l’information et ses effets psychologiques sur l’adversaire. Cet élément, rappelons-le,
constitue une des Lignes d’Opérations des acteurs hybrides. D’aucuns diront que les
communistes ont fait montre d’opportunisme dans leur défaite et ont simplement tiré
avantage de la mésinterprétation des médias et de ses effets pervers pour maximiser leur
guerre de l’information. Il demeure en effet possible que cela soit le cas. Giap n’a
probablement pas immédiatement anticipé les effets socio-politiques et psychologiques
que l’offensive entraînerait car, à l’origine, il s’est opposé à l’idée d’initier l’opération.
Néanmoins, sa doctrine du dau tranh considérait le facteur socio-psychologique comme
une arme qui incarna le dich van (voir la figure 3). Lorsque la poussière retomba à la suite
de l’offensive, Giap a assurément pu percevoir le potentiel de dommage qu’aurait le dich
van dans sa lutte politique contre les Américains. À cet effet, bien que les assauts
militaires hybrides des communistes lors du Têt se soient soldés par une défaite, ils ont
frappé de manière indirecte les Lignes d’Opérations autres que militaires, c’est-à-dire :
les facteurs socio-politiques.
Les médias qui couvraient l’offensive ont dépeint une armée américaine et sud-
vietnamienne totalement dépassée par les évènements. Ce qui s’est pourtant avéré une
incontestable victoire militaire américaine et sud-vietnamienne s’est rapidement
transformé en un gigantesque fiasco politico-militaire et social. Sans s’en rendre compte,
les médias ont constitué une des Lignes d’Opérations du mécanisme politico-militaire
hybride des communistes. Stephen Young, l’un des administrateurs du CORDS au
Vietnam, a bien analysé la situation. Il a souligné que la plupart des journalistes qui
couvraient la guerre du Vietnam étaient « trop jeunes pour avoir combattu pendant la
Deuxième Guerre mondiale ou la Corée » en plus de n’avoir « aucune expérience
personnelle » en matière de combat. Il souleva qu’au Vietnam, les journalistes vivaient
une petite vie facile sans encombre dans la capitale Saigon et que la plupart d’entre eux
se rendaient sur les champs de bataille seulement après la conclusion des hostilités, « en
visite guidée ».98 Ces qualificatifs ne se prêtaient cependant pas à tous les membres de la
presse. Un des meilleurs exemples est le journaliste Joseph Galloway qui s’est
volontairement rendu en première ligne auprès des soldats américains pour couvrir la
98 Stephen Young, The Theory and Practice of Associative Power, Lanham, Hamilton Books, 2017, p. 108.
85
bataille de la Vallée de Ia Drang en 1965. Citons également Bernard Fall, un journaliste
et politologue français qui a couvert de près la guerre d’Indochine et qui était très ferré
en matière de contre-insurrection. L’étude qu’il publia en 1961, Street Without Joy, a
sévèrement critiqué la performance contre-insurrectionnelle française lors de la guerre
d’Indochine.99 Fall est mort en 1967 lorsqu’il mit pied sur une mine alors qu’il patrouillait
avec un groupe de Marines. Toutefois, Young marqua un point dans sa description de ce
qu’il considérait comme le « journaliste typique » au Vietnam. Il a affirmé que
l’exposition aux vraies horreurs de la guerre lors du Têt a « choqué » beaucoup de ces
journalistes qui, ayant perdu toute foi dans les capacités militaires américaines, ont reflété
leurs états d’âme dans leurs reportages. Beaucoup de mésinterprétations se sont
ensuivies ; lors de la bataille de Hue, le massacre de milliers de civils par les communistes
n’a pas fait la manchette. La bataille a plutôt été dépeinte comme un assaut sans
discrimination des Marines qui détruisaient la ville et ses bâtiments en exploitant sans
retenue leurs armes de haut calibre. Bien que le massacre de Hue passa pratiquement
inaperçu dans les actualités, les médias ont répétitivement montré les images du meurtre
d’un prisonnier VC par le chef de la police sud-vietnamienne, le général Nguyen Ngoc
Loan.
Ce geste, qui fut un crime de guerre, était impardonnable et les médias ont été
pleinement justifiés de diffuser ces images. Néanmoins, la présentation de cette vidéo,
sans pour autant exposer les crimes perpétrés par les éléments communistes, a constitué
le point culminant de la victoire politique de Giap.100 Un journaliste des plus respectés
aux États-Unis, Walter Cronkite de CBS, s’est déplacé au Vietnam après l’offensive du
Têt pour se rendre compte lui-même de la situation. Lors de sa visite, Cronkite a déclaré
au général Frederick Weyand, un des députés de Westmoreland, qu’il (Cronkite) avait
décidé que la « guerre devrait cesser pour les États-Unis ». Cronkite renchérit qu’il y avait
« trop de morts et de destruction et pas suffisamment d’espoir pour un dénouement
positif ». Weyand tenta d’expliquer à Cronkite les succès des Forces militaires
américaines contre les éléments communistes lors du Têt. Bien que Cronkite ait reconnu
99 Bernard Fall, Street Without Joy, Mechanicsburg, Stackpole Books, 1961, p. 6. Notons que Bernard Fall
publia également The Two Vietnams: A Political and Military Analysis (1963), ainsi qu’une étude sur la
bataille de Dien Bien Phu intitulée Hell in a Very Small Place (1966). 100 Young, op. cit., p. 108-109.
86
que le général Weyand lui avait expliqué les gains militaires américains et sud-
vietnamiens, le point de vue du général du MACV n’a pas été rapporté par CBS News.
Cronkite a également été témoin des fosses communes découvertes à Hue et des crimes
perpétrés par les communistes. Confronté à cette réalité, le journaliste conclut qu’il
« ferait tout en son pouvoir pour mettre un terme à la guerre ». À son retour aux États-
Unis, il devait déclarer que la guerre était dans une impasse (stalemate) et que la
négociation constituait la seule solution. Pourtant, Young souligne avec justesse que
l’offensive a eu comme résultat de littéralement « éliminer » l’insurrection viêt-cong de
la guerre du Vietnam.101 L’intervention de Cronkite, qui semblait déjà avoir une idée
définitive de ce qu’il allait révéler comme constat avant même de se rendre au Vietnam,
ne constituait pas du journalisme qui, normalement, se doit d’être un exemple
d’impartialité. Bien que l’objectivité médiatique au Vietnam mérite d’être remise en
question sur bien des plans (particulièrement lors de l’offensive du Têt), il demeure
important de souligner que les journalistes ne portent pas l’entière responsabilité des
déboires politiques américains qui, ultimement, ont débouché sur le retrait progressif des
forces militaires du MACV de la République du Vietnam.
À bien des égards, le Président Lyndon Johnson s’est montré politiquement
amorphe et incertain à la suite de l’offensive du Têt, ce qui ne fit rien pour favoriser
l’appui populaire à la guerre. Cette réalité a été corroborée par le journaliste Peter
Braestrup. Ce dernier a couvert les guerres d’Algérie et du Vietnam pour le New York
Times et est devenu le directeur du Washington Post à Saigon. Braestrup, qui consacra
six ans de sa vie à étudier la performance journalistique lors de l’offensive du Têt, publia
un volume de 632 pages intitulé « The Big Story ».102 Braestrup a été un des plus sévères
critiques de l’absence d’objectivité des médias lors de la campagne offensive
communiste. Néanmoins, il cible également « l’ambivalence » du Président Johnson qui
s’est montré incapable de prendre une « position ferme » face à la crise. L’incohérence et
101 Ibid., p. 109-110. 102 L’œuvre de Peter Braestrup (The Big Story, New York, Presidio Press, 1994 (1977), 632 p.) lui a fait gagner
le Society of Professional Journalist’s Distinguished Service Award en 1977. Néanmoins, tel qu’indiqué par
l’éditorialiste James Robbins, la réaction globale des médias s’est résumée à un mutisme total. Selon Robbins,
les preuves de Braestrup concernant le manque d’objectivté des journalistes au Vietnam dans The Big Story
étaient trop accablantes pour qu’elles soient réfutées par la classe journalistique qui préféra simplement ignorer
l’ouvrage de Braestrup.
87
l’ambiguïté des politiques de Johnson incita, selon Braestrup, les journalistes à se faire
leur propre opinion de la situation opérationnelle au Vietnam.103 En bref, les éléments
politiques américains sont également en grande partie responsables de la confusion
politico-sociale qui suivit l’offensive du Têt. À Hanoï, on a clandestinement qualifié
l’offensive d’échec. Giap considérait le Têt comme une défaite. Il en fut de même pour
les membres de l’état-major de l’Armée nord-vietnamienne et les généraux du NVA; pour
eux, les pertes encaissées étaient catastrophiques. Et pour la première fois, des officiers
hauts gradés du NVA ont capitulé, aucune unité n’est sortie indemne des combats et
certaines compagnies n’existaient plus que sur papier.104 À la défense de Cronkite, il
convient de préciser qu’avant le Têt, la guerre se trouvait bel et bien dans une impasse.
Néanmoins, l’annihilation du VC après l’offensive a complètement renversé la vapeur sur
le plan militaro-tactique. Nous verrons dans le chapitre 4 comment des documents
communistes saisis confirment sans ambiguïtés cette réalité. Nonobstant cela, les médias
se sont montrés incapables de saisir la situation, et pour beaucoup aux États-Unis, le Têt
a été la goutte qui a fait déborder le vase.
Il faut bien avouer que sa tendance à dire que « tout allait bien » et que « la guerre
était en train d’être gagnée par le MACV et l’ARVN »105 n’aida point l’administration du
Président Johnson. Les images du Têt ont fait perdre toute crédibilité aux déclarations du
gouvernement américain et les communistes ont pris avantage de cette situation pour
galvaniser leur effort de guerre politique. Bien que les dirigeants politico-militaires
américains aient été au courant que les communistes préparaient une offensive majeure,
ils le turent au public, chose tout à fait normale car il serait insensé de divulguer des
renseignements militaires de nature secrète à la population civile. Dans le langage
militaire, cette particularité est décrite par le terme OPSEC (Operations Security). Si des
rapports de renseignements révèlent qu’une force militaire adverse se prépare à exécuter
une attaque, il est normal de laisser cette force exécuter son plan et de lui en faire « subir
les conséquences ».106 Bien que les Américains n’aient pu déterminer l’ampleur de
l’offensive, ils se sont montrés préparés sur certains fronts. Des forces militaires
103 Robbins, op. cit., p. 248. 104 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 292. 105 Robbins, op. cit., p. 121. 106 Ibid., p. 121-122.
88
américaines avaient été déployées dans les secteurs limitrophes à la capitale car on
soupçonnait qu’une offensive se préparait pour le Têt. Un des commandants américains
sur place, le lieutenant-colonel Edward C. Peter, a plus tard souligné qu’ils n’ont pas
annoncé « en fanfare » le redéploiement de leurs troupes dans une zone clé et que les
journalistes ne saisissaient simplement pas ce qui se passait.107 Un rapport de
renseignement (classé Top Secret à l’époque) produit quelques jours avant l’offensive a
confirmé : « au cours des derniers jours, il y eut des preuves accablantes » de mouvements
militaires communistes massifs qui laissaient présager une offensive majeure des Nord-
Vietnamiens dans le secteur nord de la RVN. Des troupes semblaient se masser pour se
diriger vers Khe Sanh et une large concentration de troupes avait été repérée au Laos.
D’autres indicateurs ont mis la puce à l’oreille des Américains; le NVA et le VC n’avaient
pas respecté les trêves de Noël et du Jour de l’An et des troupes ainsi que des éléments
logistiques s’étaient concentrés dans les parties sud de la République démocratique du
Vietnam du Nord. Cela suffit pour que le GVN et le MACV décident d’annuler la trêve
du Têt dans certains secteurs d’I Corps.108
D’autres rapports indiquaient le déclenchement probable d’attaques contre la
capitale Saigon et les villes de Pleiku, Kontum, Hue, Quang Tri, Da Nang et d’autres
secteurs pour janvier ou février 1968.109 L’OPSEC proscrit au leadership militaire
américain de dévoiler des renseignements Top Secret comme ceux-ci à la presse ou au
public américain. Aux États-Unis, les gens n’étaient tout simplement pas préparés
psychologiquement aux attaques perpétrées par les communistes, et ce, malgré une
défaite -peu publicisée- du NVA et du VC.110 L’OPSEC est critique à la sécurité et à la
protection des soldats déployés sur le théâtre d’opération. Néanmoins, cela constituait un
couteau à double tranchant avec l’effervescence médiatique qui suivit l’offensive du Têt
et son impact sur la population. Pour beaucoup de citoyens américains, l’effort de guerre
était financièrement « trop coûteux ». Également, la population considérait que le conflit
s’éternisait depuis trop longtemps, demandait « trop de patience » et devenait trop
107 Ibid., p. 122. 108Papers of William C. Westmoreland, #28 History File, 27 Dec 67-31 Jan 68[II], College Park, National
Archives, NND 596596, RG # 319, Entry UD 1143, Box 33. 109 Historical Division Joint Secretariat op. cit., p. 48-8. 110 Ibid., p. 122.
89
« frustrant » en plus d’être trop « complexe ». À cela s’ajouta la violence de la guerre non
censurée par les médias; les images du conflit montrées à la télévision affichaient un
caractère trop « morbide » au goût de la population.111 Dans les mois qui ont suivi
l’offensive du Têt, des sondages Gallup ont montré que pour la première fois, plus de
50% de la population américaine jugeait l’implication militaire américaine comme une
erreur.112 En bref, le peuple américain a décidé que le « Vietnam n’en valait pas la
peine ».113 Bien que Giap se soit initialement opposé à l’offensive et qu’il ait perçu en
cette dernière une défaite militaire incontestable, l’aspect relatif au dich van de sa doctrine
dau tranh a, ultimement, été un réel succès. Le point culminant de cette réussite a été
atteint lors d’une annonce officielle du Président Johnson qui a eu l’effet d’une bombe.
Lors d’une déclaration présidentielle diffusée en direct à la télévision, Johnson annonça
qu’il ne présenterait pas sa candidature pour un second mandat comme Président des
États-Unis. Washington et Hanoï se sont également entendus pour entamer des
négociations afin de tenter de mettre un terme au conflit.114
L’offensive du Têt et ses effets ont fracturé la résilience psychologique du
Président américain et de la population américaine qui voulait rapatrier ses soldats aux
États-Unis. Là fut l’effet de la guerre de l’information sur les instances politico-sociales
aux États-Unis. S’ensuivit le projet de « Vietnamisation de la guerre »115 qui devait voir
l’ARVN prendre progressivement en charge la conduite des opérations militaires. Quatre
ans après l’offensive du Têt, l’ensemble des troupes américaines allait déjà avoir quitté le
Vietnam. Il ne fait nul doute qu’à la suite de l’offensive de 1968, les communistes se sont
montrés très habiles et opportunistes lorsqu’ils ont constaté l’effet médiatique provoqué
par leur défaite sur la scène internationale. Il n’en demeure pas moins que l’impact
politico-stratégique des suites de l’offensive alla de pair avec leur conceptualisation du
111 Romie L. Browlee et William J. Mullen, Changing an Army. An Oral History of General William E.
Depuy, USA Retired, Carlisle, War College United States Military History Institute, p. 125. 112 Mark, Gillespie, « Americans Look Back at Vietnam War », Gallup, Washington.
https://news.gallup.com/poll/2299/americans-look-back-vietnam-war.aspx. Consulté le 6 février 2019. 113 Romie L. Browlee et William J. Mullen, op. cit., p. 125. 114 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 301. 115 La Vietnamisation de la guerre visait à assurer la préparation de l’ARVN qui s’apprêtait à prendre en charge
toutes les opérations militaires dirigées et coordonnées par le MACV. Ce plan a été initié par le Président
Richard Nixon après qu’il ait annoncé le début du retrait progressif des troupes de combat américaines du
Vietnam en 1969.
90
principe de guerre hybride développé pour vaincre une puissance militaire de loin
supérieure à la leur.
1.4. Conclusion
Le présent chapitre a fait la démonstration de la complexité des notions
d’insurrection, de contre-insurrection et de guerre hybride. Bien qu’ils puissent être
complexes lorsqu’analysés en profondeur, les principes doctrinaux conventionnels se
démarquent par leur simplicité et leur symétrie aux modus operandi de l’armée régulière
adverse lorsqu’on les compare aux principes doctrinaux hybrides. Les préceptes relatifs
à l’insurrection nous ont montré à quel point la population civile demeure un élément
essentiel à la bonne marche d’une campagne insurrectionnelle. Les principes de Mao se
résumaient à une conduite de la guerre répartie sur trois phases caractérisées par une
transition progressive des opérations de guérilla vers une campagne militaire de nature
conventionnelle. L’analyse du concept et de la pratique des préceptes contre-
insurrectionnels a démontré que la clé du succès des maîtres à penser de la COIN était
d’assurer la séparation de la population civile des insurgés. Galula et Thompson ont
démontré comment ce concept a privé les insurgés du FLN et du MNLA des ressources
essentielles fournies par la population civile. Ces doctrines de Galula et de Thompson ont
été une parade militaro-tactique aux principes de guérilla de type maoïste. L’application
de ce concept d’opération contre-insurrectionnel a été transposée sur le théâtre
d’opération sud-vietnamien avec le déploiement du BRIAM dans la RVN.
Contrairement à ce qui a été longtemps véhiculé, la mise en pratique des doctrines
de Thompson et de McGarr par Ngo Dinh Diem et son frère Nhu a dramatiquement
entravé la capacité du Viêt-Cong à opérer librement dans les secteurs ruraux. Le
programme d’hameaux stratégiques a coupé l’accès des insurgés à la population civile et
à leurs ressources, tout comme en Malaisie et en Algérie. La priorité numéro un du
commandement VC a été de chercher à anéantir le programme d’hameaux stratégiques
de Diem. La chute du programme alla de pair avec la chute du Président sud-vietnamien
et de son administration. Les succès opérationnels rencontrés par Diem et le BRIAM
représentent un exemple du potentiel de réussite d’une campagne de COIN au Vietnam.
Néanmoins, la situation opérationnelle s’est transfigurée en guerre de nature hybride avec
l’intervention de troupes régulières du NVA aux côtés du Viêt-Cong dans la République
91
du Vietnam. En 1965, l’implication militaire des Américains confronta le MACV à un
adversaire qui maximisait l’exploitation d’une doctrine hybride extrapolée des principes
doctrinaux maoïstes. Le dau tranh conceptualisé par Giap maximisait la synchronisation
et la synergie des entités conventionnelles, non conventionnelles et politiques. Cette
doctrine hybride avait pour objectif de frapper les éléments militaires américains de
manière que le conflit s’éternise indéfiniment. Ceci a accentué de façon progressive la
pression exercée sur les Lignes d’Opérations des éléments PMESI américains.
L’offensive du Têt a constitué le point culminant de cette pression continue; on a pu y
voir les forces régulières et irrégulières communistes combiner leurs efforts militairement
sur le champ de bataille. Bien que l’offensive ait été un désastre militaire pour Hanoï, le
spectre de la guerre de l’information et de la guerre psychologique propre au dich van a
annihilé la volonté des instances politico-sociales américaines à continuer la guerre.
L’incapacité militaire des Américains à prévenir cet état des choses a été la résultante de
leur inhabilité à provoquer la dislocation et l’isolement des éléments du système
synergique dau tranh hybride de Giap. Il s’agit maintenant de cibler comment le concept
d’opération du général Westmoreland encouragea cet état de la situation opérationnelle
au Vietnam.
92
Chapitre II: Search and Destroy : Le rouleau
compresseur conventionnel américain et ses impacts
opérationnels
“This was a type of war that we'd had no
experience with before and we were on the learning
curve. And some of our policies were kind of trial and
error in character…we members of the United States
military moved into an arena that was foreign to us.”1
-Général William Westmoreland
Commandant du MACV
“I’d give anything to have two hundred VC
under my command…They’re the finest, most dedicated
soldiers I’ve ever seen”2
-Colonel Charles Beckwith
Fondateur du Delta Force
(1st SFOD-D)3
Lors du départ des Forces armées françaises d’Indochine en 1954, les Américains
se sont immédiatement affairés à prendre le relais de leur allié français. L’Indochine a été
subdivisée avec le Laos et le Cambodge qui devinrent indépendants et le Vietnam scindé
en deux au 17e parallèle. Les États-Unis ont continuellement investi des fonds et déployé
des conseillers militaires afin d’empêcher la chute de la République du Vietnam aux
mains des communistes et de la République Démocratique du Vietnam du Nord. Un peu
plus de 10 ans après le départ des Français, les Américains ont jugé la situation
opérationnelle suffisamment instable pour initier le déploiement de forces de combat dans
la RVN. À la fin de 1965, le Pentagone avait déployé plus de 180,000 soldats au Vietnam.4
La décision du Président Lyndon Johnson de déployer des forces de combat au Vietnam
a été politiquement facilitée grâce aux pouvoirs qui lui ont été conférés après l’adoption
par le Congrès de la Résolution du Golfe de Tonkin en 1964. Cette dernière, qui donnait
1 Ewin H. Lowe, Transcending the cultural gaps in 21st century strategic analysis and planning: the real
revolution in military affairs, Canberra, Australian National University, 2004, p. 49. 2 Ward et Burns, op. cit., p. 132, 134. 3 1st SFOD-D: 1st Special Forces Operational Detachment-Delta (fondé en 1977 par le Colonel Beckwith). 4 Lewy, op. cit., p. 42.
93
carte blanche au Président pour la gestion des opérations militaires au Vietnam, avait été
adoptée à la suite de deux attaques navales nord-vietnamiennes contre deux navires de
guerre américains (l’USS Maddox et l’USS Turner Joy) dans le Golfe de Tonkin.5 Bien
que la première attaque se soit bel et bien produite, de sérieuses interrogations demeurent
quant à la véracité de la deuxième. Quoi qu’il en soit, cet incident facilita l’adoption de
ladite Résolution du Golfe de Tonkin. En 1965, quatre facteurs ont incité Washington à
autoriser l’affectation d’unités de combat dans la RVN. Le premier était militaro-
stratégique : l’intense campagne aérienne initiée par Washington contre la RDVN,
l’opération ROLLING THUNDER, qui visait à dissuader Hanoi d’appuyer l’effort de
guerre du Viêt-Cong au Sud, n’a pas eu les résultats escomptés. Le deuxième facteur était
politico-domestique: en février 1965, le gouvernement sud-vietnamien se trouvait de
nouveau visé par un coup d’État de généraux de l’ARVN, ce qui devait déstabiliser encore
plus la situation politique de la RVN. Le troisième facteur était de nature militaro-
opérationnel : les forces militaires communistes s’apprêtaient à initier une offensive
majeure qui risquait de couper géographiquement la RVN en deux. Enfin, le quatrième et
dernier facteur était également de nature militaire : l’ARVN ne serait clairement pas en
mesure de repousser les offensives militaires communistes.6
En préalable au rayonnement de forces de combat, le commandant du MACV, le
général Westmoreland, inquiet de la vulnérabilité des installations aériennes américaines,
demanda le déploiement de Marines pour assurer la protection des installations de
Danang, la principale base aérienne exploitée pour initier les bombardements de
ROLLING THUNDER dans la RDVN. En suivi à cette demande de Westmoreland, 3500
Marines ont été expédiés au Vietnam le 8 mars 1965. Cet éventail de Marines n’avait pas
pour mission d’engager le combat avec les forces communistes mais uniquement
« d’occuper et de défendre » des terrains clés afin d’assurer la protection de la base
aérienne de Danang.7 Néanmoins, la mission des multiples bataillons fraîchement
déployés dans la RVN au printemps de 1965 différait quelque peu. Aux yeux du
leadership politico-militaire américain, le conflit présageait d’être de longue durée et ces
5 A. J. Langguth, Our Vietnam, New York, Simon & Schuster, 2002, p. 299-307. 6 Pentagon Papers, Part IV. C. 5[Part IV. C. 5.] Evolution of the War, Direct Action: The Johnson
Commitments, 1964-1968. Phase I in the Build-up of U.S. Forces: March - July 1965, College Park,
National Archives Identifier: 5890504, Container ID : 4, p. 4. 7 Lewy, op. cit., p. 42.
94
bataillons ne devaient être que le prélude d’un déploiement beaucoup plus proéminent
des Forces américaines. Au départ, on débattait couramment quant à la stratégie à
exploiter pour contrer les opérations communistes. L’un des concepts proposés était la
stratégie « d’enclave », un modèle grandement encouragé par l’Ambassadeur américain
Maxwell Taylor. Ce dernier était un ancien général de l’US Army qui, peu de temps avant
sa retraite, a été appointé comme conseiller militaire personnel au Président John F.
Kennedy avec un rang de général cinq étoiles. Taylor agit comme un intermédiaire entre
l’État-Major des Forces militaires américaines et le Président qui trouva ses généraux trop
enclins à privilégier l’utilisation de l’arme nucléaire.8 La stratégie de l’Ambassadeur
Taylor au Vietnam consistait à déployer des forces dans les secteurs peuplés près des
côtes. L’objectif visé : « frustrer le Viêt-Cong » en lui refusant l’accès à des secteurs clés,
tout en appuyant les opérations militaires de l’ARVN.
En théorie, les éléments militaires sud-vietnamiennes devaient conserver la
responsabilité des offensives lancées contre les bataillons communistes. Afin de mettre
ce plan en pratique, un total de 17 bataillons américains s’est fait déployer au sein de cinq
enclaves mais cette stratégie ne perdura point : selon le général Westmoreland, un tel
concept d’opération entraînerait une défaite pour les unités américaines et sud-
vietnamiennes. L’ARVN avait d’ores et déjà fait montre de son inaptitude à vaincre les
forces de combat communistes.9 Une autre facette de la tactique d’enclave déplut
beaucoup à Westmoreland : elle placerait les soldats américains directement en contact
avec la population civile, ce qui ne manquerait pas d’engendrer de « graves difficultés ».10
Clairement, le leadership militaire du MACV ne semblait pas au départ saisir la nécessité
de déployer ses soldats près de la population afin de gérer les facettes contre-
insurrectionnelles de la guerre. Néanmoins, le focus du MACV se cristallisait (avec
raison) sur la conduite des opérations conventionnelles de la guerre. Cette facette s’avérait
essentielle à l’été de 1965 pour préserver l’intégrité de la RVN qui s’apprêtait à
succomber aux offensives communistes.
8 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 135. 9 Pentagon Papers, Part IV. C. 5[Part IV. C. 5.], op. cit., p. 5-6. 10 Ibid.
95
2.1. L’entrée en scène des Forces américaines : le plan d’action du MACV
Au printemps de 1965, des rapports de renseignement ont confirmé la présence de
troupes VC, appuyées par des éléments réguliers du NVA dans les secteurs ruraux sud-
vietnamiens. Les troupes communistes commençaient à s’infiltrer au sein de plusieurs
secteurs clés, mouvement laissant présager une offensive conventionnelle qui mettrait
l’ARVN durement à l’épreuve au courant de l’été de 1965. Déjà en mai, des unités
régimentaires du VC ont attaqué la capitale de la province de Phuoc Long (III Corps) et
deux bataillons de l’ARVN ont également été embusqués avec succès par le VC près de
Quang Ngai dans I Corps. Au terme de cet assaut, les deux bataillons sud-vietnamiens
ont été décimés. À la mi-juin, lors de la bataille de Dong Xoai (toujours dans la province
de Phuoc Long), des bataillons d’élite de l’ARVN ont déserté leur position devant
l’avancée des unités communistes. Les pertes encaissées par l’ARVN dans la deuxième
moitié de juin étaient « sans précédents ».11 Dans I Corps, deux régiments VC ont annihilé
maints bataillons de l’ARVN, incluant un bataillon de Rangers.12
Sa proximité de la zone démilitarisée et de la RDVN rendait I Corps fort vulnérable
aux infiltrations du NVA. De plus, les forces de sécurité peinaient à garder le contrôle des
secteurs peuplés. À ce point, l’USMC allait se voir attribuer le contrôle des opérations
dans I Corps. Étant la plus grande zone géographique de la RVN, II Corps, n’avait pas
suffisamment de forces militaires pour bloquer l’essor des assauts communistes. Plusieurs
villes se trouvaient très vulnérables aux attaques du VC et du NVA. Les pertes de l’ARVN
dans II Corps étaient telles que les bataillons sud-vietnamiens ne parvenaient plus à
renflouer avec suffisamment de célérité leurs effectifs avec de nouvelles recrues prêtes et
entraînées. Des forces militaires de l’US Army et de l’Armée sud-coréenne étaient
destinées à être déployées dans II Corps.13 Les Sud-Coréens ont été déployés dans le
cadre des opérations visant à contenir le communisme en Asie du Sud-Est. La Corée du
Sud était, après les États-Unis, le plus grand contributeur étranger en termes de soldats
11 Ibid. p. 3. 12 Romie L. Browlee et William J. Mullen, op.cit., p. 131. 13 National Security Files, NSC History. Deployment of Major U.S. Forces to Vietnam, July 1965. Text of
Cable to General Westmoreland (COMUSMACV 20055), Monday, June 16, 1965, College Park, National
Archives, folder: 003221 -003-0102, p. 3-4.
96
dans la RVN avec un total de 324,000 militaires déployés pour la totalité du conflit.14 Les
flancs nord et est de III Corps étaient pour leur part très vulnérables et ne disposaient pas
de suffisamment de réserves d’éléments de l’Armée sud-vietnamienne pour repousser les
assauts du VC. Au-delà des pertes majeures de l’ARVN aux mains de régiments VC dans
la province de Phuoc Long, il ne subsistait plus suffisamment de forces de sécurité pour
contrôler III Corps, alors que ce dernier s’apprêtait à devenir le secteur de responsabilité
d’une entière division renforcée de l’US Army et du 1st Australian Task Force. Les
Australiens ont été déployés au Vietnam dans le même cadre stratégique que les Sud-
Coréens, c’est-à-dire appuyer les Américains dans leur quête pour freiner l’essor
communiste dans la région. Environ 6300 soldats australiens étaient déployés dans la
RVN en 1967.15
Pour sa part, IV Corps était la zone la moins touchée par les assauts du Viêt-Cong,
ses rizières et sa surface géographique facilitaient les opérations héliportées, laissant peu
de possibilités de camouflage aux insurgés. Les 7e et 21e Divisions de l’ARVN ayant fait
montre de leur aptitude à y contrôler l’essor des forces communistes,16l’ARVN allait se
voir attribuer IV Corps comme zone de responsabilité. Cela ne constitua toutefois pas un
frein au déploiement éventuel d’éléments de l’US Army. Alors que l’été de 1965
progressait, les régiments communistes commençaient à focaliser leur attention sur les
hauts plateaux des provinces de II Corps. Les succès du VC et du NVA étaient tels que
les Américains craignaient la perte de l’entièreté des hauts plateaux. De peur que la
République du Vietnam soit scindée en deux, Westmoreland a d’urgence demandé le
déploiement de forces supplémentaires et ordonna l’initiation d’opérations majeures pour
entraver l’offensive communiste (voir la figure 8).17
14 Michael H. Liscano, Multinational Force Integration: The ROK Army’s Integration with the US Army in
the Vietnam War, Fort Leavenworth, United States Army Command and General Staff College, 2016, p. 8. 15 Ian McNeil et Ashley Ekins, On the Offensive: The Australian Army in the Vietnam War, January 1967-
June 1968, Crows Nest, Allen & Unwin, 2003, p. 5, 7-8. 16 National Security Files, NSC History, op. cit., p. 5. 17 Pentagon Papers, Part IV. C. 5[Part IV. C. 5.], op. cit., p. 3.
97
Figure 8 : Plan de l’offensive opérationnelle du NVA (et du VC) en 196518
18 United States Military Academy West Point, « NVA Plan for 1965 », The Vietnam War. West Point,
https://www.usma.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/vietnam%20war%20map%2026.jpg,
Consulté le 19 novembre 2017.
98
Confronté à de telles conditions, il était complètement utopique pour les
Américains de penser adopter une stratégie basée sur le concept d’enclaves. La situation
opérationnelle rencontrée au Vietnam à l’été de 1965 nécessitait, tel que Westmoreland
le prescrivait, d’importantes manœuvres et des contre-offensives de nature
conventionnelle. En date du 26 juin, le commandant du MACV a été autorisé à
« commettre des forces américaines » directement dans le but de porter assistance aux
forces de l’ARVN. Une journée plus tard, les Forces militaires américaines initiaient leurs
premières actions offensives majeures de la guerre : Westmoreland a ordonné la conduite
d’une opération de search and destroy aux côtés de l’ARVN et d’unités de l’Armée
australienne contre une base d’opération VC au nord-est de Saigon. Le MACV reçut du
Président Johnson les effectifs demandés; à la fin de 1965, il obtint ses 180,000 soldats.19
Du côté communiste, le renseignement américain estimait la présence dans la RVN à un
total de 215,000 insurgés viêt-cong, incluant 75,000 troupes régulières et régionales,
100,000 insurgés locaux et 40,000 troupes de soutien. Pour ce qui était du NVA, on
supputait que 12 de leurs bataillons infiltraient la RVN à chaque mois, portant ainsi leur
nombre à neuf régiments et à un total de 26,000 soldats à la fin de 1965. Le 304e Régiment
du NVA s’est même déployé avec des mortiers de 120mm, du jamais vu depuis le début
des hostilités.20
Afin de contrer cette menace et maximiser l’emploi de ses troupes, le général
Westmoreland a esquissé un concept d’opération bien précis qui amalgamait opérations
conventionnelles et contre-insurrectionnelles. Un rapport du MACV synthétise les
grandes lignes qui devaient guider l’emploi des Forces militaires américaines au Vietnam.
À la base, la mission de combat américaine consistait à appuyer les troupes militaires sud-
vietnamiennes, tout en faisant de celles-ci une force apte au combat, à vaincre
l’insurrection communiste et à faciliter les efforts des politiciens à gouverner la RVN. Le
rapport du MACV reconnait que le conflit ne revêtait pas uniquement une essence
militaire mais également politique. Le facteur politique découlait de la nécessité d’obtenir
« la loyauté et la coopération » de la population en « créant les conditions » devant leur
19 Lewy, op. cit., p. 42, 49. 20 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1960-1968 Part II, Washington, Historical Division Joint Secretariat JCS, 1st July 1970, p. 23-15-23-16.
99
permettre de vivre une « vie normale ». Il était également spécifié que la domination du
VC sur une grande partie des secteurs ruraux, avait pour conséquence que de nombreux
civils se retrouvaient assujettis par le VC. Il fallait donc « rétablir le contrôle » du
gouvernement sur ces secteurs géographiques et leurs habitants.21 Dans cette optique, le
MACV souligne l’importance de se focaliser sur les opérations visant le Viêt-Cong, tout
en « minimisant » les pertes au sein de la population civile. En bref, le MACV résume sa
mission comme suit:
Thus, the ultimate aim is to pacify the Republic of Vietnam by destroying the
VC, his forces, organization, terrorists, agents, and propagandists while at
the same time reestablishing the government apparatus, strengthening GVN
military forces, rebuilding the administrative machinery, and re-instituting
the services of the Government. During this process security must be
provided to all of the people on a progressive basis.22
Il est intéressant de noter à quel point l’aspect contre-insurrectionnel de la guerre
est explicite dans cette directive. Le commandement américain n’était pas insensible aux
opérations de COIN en 1965; les leaders jugeaient néanmoins que là ne résidait pas la
priorité à court terme. Tel que spécifié dans le chapitre 1, lorsqu’une armée fait de la
contre-insurrection, la sécurité est à la base de tout succès. Pour que cette sécurité ait une
chance de s’établir, il s’avérait nécessaire de procéder en mettant en pratique les
considérations de Galula sur la première étape d’une COIN : sécuriser le terrain pour
expulser les forces insurgées du secteur visé par les forces de sécurité. C’est pourquoi le
plan immédiat de Westmoreland se résuma à trois phases : d’abord, enrayer l’offensive
des forces de combat communistes (qui cherchaient à scinder le pays en deux). Ensuite,
détruire le VC et pacifier les secteurs de « haute priorité ». Enfin; « restaurer
progressivement » le pays pour le remettre sous le contrôle des instances
gouvernementales à Saigon. Les tâches spécifiquement militaires consistaient à :
défendre les bases militaires et les lignes de communication; initier des opérations
offensives contre les bases d’opération du VC; sécuriser militairement les secteurs
appelés à être pacifiés par les éléments de COIN; assurer le déploiement de forces de
21 Papers of William C. Westmoreland, #1 History File 29 Aug – 24 Oct 65. Directive Number 525-4 Tactics
and Techniques for Employment of US Forces in the Republic of Vietnam, College Park, National Archives,
NND 596559, RG# 319, Entry UD 1143, Box 26, p. 1. 22 Ibid., p. 2.
100
sécurité afin de protéger les secteurs sécurisés pour la pacification; d’avoir une force de
réserve capable d’appuyer ou remplacer une unité sous contact de l’adversaire; assurer un
soutien logistique et un appui aérien aux opérations et enfin, conduire des patrouilles de
surveillance navales pour contrer les tentatives d’infiltration des insurgés.23 L’attaque des
zones d’opérations du VC consistait à chasser les insurgés de leurs bases et les forcer à
constamment se déplacer ce qui en théorie, devait leur faire perdre temps et ressources
logistiques. Si elles sont conduites de manière appropriée, ces opérations permettront de
« trouver et détruire » les bases logistiques communistes ce qui inclura les abris (bunker)
les secteurs d’entraînement et les postes de commandement (sans compter l’acquisition
probable d’une mine de renseignements). Le plan d’action du MACV spécifie qu’il est
important d’imposer une pression constante en privant le VC de ses bases d’opérations,
ce qui l’oblige à reconstituer sa réserve logistique, à réarranger son système de liaison et
de communication, reconstruire ses bunkers et ses tunnels, en plus de rétablir ses systèmes
d’alerte de défense et de sécurité. Techniquement, non seulement l’adversaire devait
épuiser « temps et ressources » mais en plus, il se voyait forcé de redéployer ses nouvelles
bases dans des secteurs plus isolés ce qui invariablement, l’éloignerait des zones peuplées.
Selon le MACV, en perdant ses bases d’opérations, le VC deviendrait
déstabilisé et vulnérable aux attaques de l’artillerie (terrestre et navale), des chasseurs
bombardiers, des bombardiers stratégiques B-52 et aux attaques amphibies. Ultimement,
cette succession d’initiatives offensives devait « entraver les opérations » du VC,
« réduire ses forces, détruire son moral » et l’empêcher de « conduire la guerre » de
manière « efficiente ».24 Sur papier, l’essentiel des procédures et objectifs susmentionnés
cadrent avec l’application de concepts de COIN. Néanmoins, le plan du MACV tend à
négliger un aspect très important lorsque vient le moment de sécuriser une base
d’opération. À la suite de la destruction de ladite base, il est nécessaire d’y laisser des
troupes statiques pour empêcher le retour des insurgés ou à tout le moins, y assurer une
surveillance constante. Si le VC choisit spécifiquement cette zone pour établir sa base,
c’est qu’il s’agit d’un terrain clé. Le plan global du MACV parle bel et bien de laisser des
troupes statiques dans les secteurs peuplés pour la phase contre-insurrectionnelle des
opérations mais n’évoque jamais la question de conserver les secteurs géographiques clés
23 Ibid., p. 3. 24 Ibid., p. 4-5.
101
du théâtre d’opération. Dans l’éventualité que ces terrains clés soient habités par des
villageois, il est encore plus important d’y laisser des forces statiques car les insurgés
essaieront à coup sûr de réacquérir le terrain et la population qui y vit. Nous verrons dans
les prochaines pages comment cette problématique encouragea l’endiguement
opérationnel des Forces américaines au Vietnam. Le moment venu de cerner les forces
communistes, le plan de MACV était typique des livres de doctrine de l’armée
américaine. Lorsque les rapports de renseignements ciblaient la localisation d’une base
d’opération communiste, une « opération agressive » devait être exécutée avec des
effectifs et une puissance de feu de loin supérieurs à ceux de l’adversaire. Il fallait
préférablement attaquer le VC avec une combinaison de forces mobiles (pour l’assaut) et
de blocage (pour couper la retraite de l’adversaire), appuyées de forces de reconnaissance
pour couvrir les routes susceptibles d’être exploitées pour une retraite par les forces
communistes en fuite. On encourageait aussi fortement de maximiser l’appui de
l’artillerie et des forces aériennes lors des assauts.25
Afin d’obtenir un maximum de renseignements sur la localisation des bases
d’opération communiste, les directives du MACV soulignent la nécessité de maximiser
les contacts avec les forces paramilitaires chargées d’assurer la protection des civils. Il
fallait donc que les unités américaines élargissent leurs relations et leur coopération avec
les membres du Regional Force (RF) et du Popular Force (PF) au sein des districts et des
villages ruraux. Selon le MACV, lorsqu’une brigade de l’Armée américaine est déployée
dans une province, la « balance du pouvoir militaire » penche invariablement du côté du
gouvernement : cela a donc pour effet de requinquer le moral des forces paramilitaires et
de l’ARVN et, en conséquence, de désavantager le VC. C’est pourquoi le MACV insista
pour que le commandant américain sur place établisse une liaison avec le chef de province
afin d’y établir des plans conjoints.26 Le commandement du MACV semblait vraiment
souhaiter encourager la coopération des Forces sud-vietnamiennes avec celles des
Américains. En pratique, une telle coopération s’avérait très souvent positive. Il est vrai
qu’à plusieurs occasions, les éléments paramilitaires sud-vietnamiennes ont performé
avec beaucoup plus d’enthousiasme et de professionnalisme lorsqu’elles opéraient aux
côtés des soldats américains (cette dynamique sera démontrée dans les chapitres
25 Ibid., p. 5. 26 Ibid., p. 6-7.
102
consacrés aux CAP et au CORDS). Il était également réaliste de la part du MACV de
souligner qu’une coopération entre les unités militaires américaines et paramilitaires sud-
vietnamiennes favoriserait la transmission de renseignements sur les activités du VC.
Toutefois, nous verrons dans le chapitre 4 que la coopération des éléments militaires
américains et des forces de pacification était plutôt rare, voire inexistante, dans maintes
provinces jusqu’à 1968. Dans ces conditions, la collecte de renseignement du MACV s’en
trouva défectueuse à bien des occasions et les Forces américaines et sud-vietnamiennes
ne pouvaient bénéficier de la symbiose suscitée par ce type de coopération. Quoi qu’il en
soit, les grandes lignes de la stratégie de Westmoreland et du MACV se résumaient à un
amalgame d’opérations offensives de nature conventionnelle succédées d’opérations de
pacification pour empêcher le retour des insurgés. Les unités paramilitaires sud-
vietnamiennes assureraient la pacification des secteurs ruraux et les Forces américaines,
assistées par l’ARVN, se chargeraient d’anéantir les larges formations de combat
communiste. Avec le temps, les secteurs sécurisés et pacifiés devaient géographiquement
s’étendre et résulter en la pacification générale de la RVN et la reprise du contrôle de
Saigon sur l’ensemble du territoire.27
Westmoreland subit la critique de plusieurs pour le manque d’attention porté aux
facteurs relatifs à la pacification. L’Ambassadeur Lodge pressait le commandant du
MACV d’accorder plus d’importance aux opérations antiguérilla plutôt que de maximiser
les opérations conventionnelles. Les Marines déployés dans I Corps ont également fait
montre de réserve lorsqu’ils ont été confrontés au concept d’opération du commandant
du MACV. Les Marines du III Marine Amphibious Force (III MAF), les premières forces
de combat déployées au Vietnam, avaient déjà esquissé leur concept d’opération
lorsqu’ils se sont fait assigner la tâche de protéger la base aérienne de Danang. Le
commandant du III MAF, le général Lewis W. Walt, réalisa rapidement que pour protéger
ladite base, il était impératif de contrôler les villages avoisinant qui s’étendaient jusqu’à
la province de Quang Nam. Ces villages dominés par de forte concentrations de forces
VC ne comportaient toutefois pas d’éléments réguliers de l’insurrection (bataillons ou
régiments). C’est pourquoi Walt préféra exploiter un plan d’action limité à des
« opérations de petite unité » (small unit operations) pour chasser les éléments de guérilla
27 Graham. A. Cosmas, MACV The Joint Command in the Years of Escalation 1962-1967, Washington D.C.,
Library of Congress, 2006, p. 398.
103
des villages et étendre de façon graduelle les zones sécurisées de Danang et des bases
avoisinantes à Chu Lai, au sud d’I Corps et à Phu Bai au nord, près de Hue. Ce fut
d’ailleurs lors de ces opérations que les Marines ont initié leur programme de pacification
avec les Combined Action Platoons.28 Cette particularité du plan d’action des Marines ne
signifiait pas que ces derniers refusaient d’exécuter des opérations offensives
conventionnelles ordonnées par Westmoreland; les Marines ont engagé le combat à
maintes reprises contre les grandes formations communistes et ont connu beaucoup de
succès. Cependant, le général Walt, son supérieur qui commandait les Marines dans le
Pacifique, le général Victor Krulak, ainsi que le commandant en chef de l’USMC, le
général Wallace Greene, croyaient tous que la clé du problème se trouvait dans la
pacification et la population civile. Les trois commandants des Marines estimaient qu’en
coupant la population civile des forces régulières du NVA et du VC, l’ennemi serait
confronté à un choix; mourir de faim dans les montagnes ou combattre au sein des plaines
ou l’artillerie du III MAF et l’aviation pourraient les neutraliser.29
Beaucoup de frictions avait cours entre le général Krulak et Westmoreland. Ce
dernier critiquait les Marines, allant jusqu’à dire « qu’ils avaient peur de combattre ».
Lors d’une rencontre entre officiers, le général des Marines louangeait les CAP de
l’USMC, faisant ainsi enrager le commandant du MACV qui rétorquait en vociférant à
Krulak : « Your way will take too long ». Krulak répliqua avec la même ardeur à
Westmoreland : « Your way will take forever ».30 Lorsque comparée à l’approche
privilégiée par Westmoreland, celle des Marines démontre à quel point l’USMC se
montrait plus ouverte aux principes de guerre maximisant les concepts de COIN.
Néanmoins, le contexte hybride de la guerre faisait en sorte que les Marines n’étaient pas
pleinement justifiés de rejeter du revers de la main le concept d’opération du commandant
du MACV. Les bases d’opérations du Laos se trouvaient à portée des unités communistes
dans I Corps; à moins de scinder leurs lignes de communications, il était utopique de
28 Ibid., p. 402. Le général Lewis Walt a été désigné commandant du III MAF en mai 1965. Sa mission
originale consistait à assurer la protection de la base aérienne de Danang au sein d’I Corps. Quelques mois
plus tard, ses responsabilités se sont élargies alors que le III MAF initia des opérations de combat contre le
VC et le NVA. Dès le départ, Walt a fait comprendre au Président Johnson l’importance que revêtait les
opérations de COIN et les actions civiques pour le III MAF au Vietnam. 29 Ibid., p. 402-403. 30 Robert Coram, Brute. The Life of Victor Krulak U.S. Marines, New York, Back Bay Books, 2010, p. 290.
104
croire qu’ils mourraient de faim. Qui plus est, une attaque massive des éléments
communistes sur les bases de pacification des Marines aurait littéralement donné raison
au commandant du MACV et à ses théories. Des forces contre-insurrectionnelles ne sont
pas conçues pour contrer une attaque complexe et structurée d’une force militaire
conventionnelle bien équipée et bien entraînée. Parallèlement, Westmoreland ne pouvait
se permettre de minimiser l’importance des CAP; nous verrons dans le prochain chapitre
à quel point ce concept s’inséra bien dans la mosaïque hybride de la guerre du Vietnam.
Toutefois, considérant le danger engendré par la menace des formations régulières du
NVA et du VC à l’été de 1965, le MACV a eu raison de vouloir maximiser les opérations
conventionnelles. Qui plus est, malgré la gravité de la situation, force nous est de constater
que le commandant du MACV accordait tout de même une place prépondérante à la
pacification des secteurs ruraux dans son plan d’action. Il ne fait aucun doute que
Westmoreland privilégiait la guerre conventionnelle à la COIN. N’empêche qu’on ne
pouvait taxer le commandant du MACV d’ignorance en matière de contre-insurrection.
Vétéran de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Corée, Westmoreland
ne bénéficiait pas d’expérience de combat de nature contre-insurrectionnelle. Mais cette
carence n’empêcha en rien son intérêt envers la COIN. Lorsqu’il occupait la fonction de
directeur de l’Académie militaire de West Point, il a initié un programme d’entraînement
sur les principes d’insurrection et sur la guerre contre-insurrectionnelle destiné aux cadets
de l’Académie. À l’époque où il était commandant en second du MACV, sous le général
Paul Harkins, il a dirigé une mission en Malaisie afin d’étudier les tactiques de contre-
insurrection britanniques décrites au chapitre 1.31 Lors d’un séjour à Hong Kong au début
des années 1960, Westmoreland a fait la connaissance de David Galula. Le général
américain s’est montré fortement impressionné par les théories du lieutenant-colonel
français et, tel que spécifié plus tôt, l’invita à enseigner aux États-Unis.32 En bref, bien
qu’attaché aux principes de guerre classique, le commandant du MACV n’était pas aussi
fermé aux préceptes de COIN que le prétendent moult historiens. Lorsqu’analysé en
termes théoriques, son concept d’opération au Vietnam semble généralement s’accorder
à un plan de contre-insurrection tel que décrit dans le chapitre précédent. Qui plus est, le
31 Gregory A. Daddis, No Sure Victory, Measuring US Army Effectiveness and Progress in the Vietnam War,
New York, Oxford University Press, 2011, p. 69. 32 Mathias, op. cit., p. 173.
105
plan du général américain semble, à première vue, permettre la possibilité de contenir les
éléments réguliers du VC et du NVA : si les forces américaines se montraient bel et bien
capables de surclasser et chasser les forces communistes de leurs bases d’opérations par
le biais d’une puissance de feu et d’effectifs supérieurs, il serait techniquement très
difficile pour le VC et le NVA de rétablir de nouvelles bases en un court laps de temps.
Parallèlement, les villages avoisinant se trouvaient hors de portée car protégés par des
forces paramilitaires. De plus, les lignes de communication étroitement surveillées par les
forces de sécurité rendent toute circulation très hasardeuse pour les unités communistes.
Sur papier, ces théories esquissées par le MACV semblaient très sensées. Néanmoins, ce
ne fut pas aussi simple le moment venu d’appliquer ces préceptes sur le champ de bataille;
les dynamiques de la machine synchronique hybride des communistes ont sévèrement
compliqué l’application du plan américain.
Tel que discuté précédemment, un des problèmes relatifs au concept d’opération
américain était de ne pas accorder d’importance aux gains géographiques remportés à la
suite des combats. Également, l’abandon de terrains géographiques clés constituait un
problème chronique sévèrement compliqué par l’accès continu des bases d’opération
communistes sur la Piste Ho Chi Minh au Laos et au Cambodge. Nullement insensible au
problème engendré par la piste, Westmoreland voulait lui-même déployer des divisions
au Laos pour bloquer l’accès à la Piste aux unités communistes. Néanmoins, Washington,
soucieux de ne pas étendre géographiquement le conflit, a refusé d’acquiescer à la requête
du commandant du MACV (voir le chapitre 5 pour plus de détails). Ce dernier croyait
profondément en la guerre d’attrition et les effets conséquents aux pertes communistes,
une fois ceux-ci confrontés à la puissance de feu américaine. Pour le général américain,
les pertes encaissées à long terme par le VC et le NVA dépasseraient leur capacité à
régénérer leurs effectifs. Cependant, Westmoreland n’osait pas s’avancer sur l’échéancier
nécessaire pour atteindre un tel objectif compte tenu qu’il s’était vu refuser l’accès à la
Piste Ho Chi Minh et aux bases d’opérations communistes du Laos et du Cambodge.33
Cette stratégie d’attrition, très dépendante des opérations de COIN, connut ses limites.
Nous avons vu dans le chapitre 1 que la population civile constituait un bassin de
recrutement intarissable pour les communistes. En ce qui a trait aux renforts en
33 Ibid.
106
provenance de la RDVN, plusieurs études ont démontré à maintes reprises que le facteur
relatif au taux de natalité et l’arrivée à l’âge minimal de jeunes Nord-Vietnamiens aptes
à commencer leur service militaire dépassait de loin les dizaines de milliers de soldats
communistes morts au combat.34 En ce sens, la Piste Ho Chi Minh qui déployait ces
troupes causait un problème supplémentaire à la stratégie d’attrition privilégiée par
Westmoreland. Nonobstant cela, l’analyse des opérations de search and destroy montre
hors de tout doute la nécessité pour le MACV d’initier le type d’opération de combat
recommandé dans ses directives; à défaut d’initier ces opérations, des divisions et des
régiments entiers de forces militaires nord-vietnamiennes auraient submergé les forces
contre-insurrectionnelles dans les secteurs ruraux.
Les prochaines pages consisteront en une analyse de trois opérations militaires de
search and destroy à grand déploiement : CEDAR FALLS qui a eu lieu dans l’Iron
Triangle, JUNCTION CITY qui eut comme champ d’action la War Zone C et APACHE
SNOW, mieux connue sous le nom d’Hamburger Hill, qui s’est déroulé sur le terrain de
l’Hill 937. L’analyse de ces opérations de search and destroy démontrera à quel point la
guerre du Vietnam possédait les caractéristiques d’un conflit militaire qui nécessita des
opérations conventionnelles dignes des guerres de Corée et du Pacifique. La complexité
et la disposition des positions défensives retrouvées dans les bases d’opérations
communistes lors de ces offensives ne présentaient aucune alternative aux tacticiens
américains, mis à part d’exploiter une doctrine conventionnelle. Néanmoins, au-delà du
facteur doctrinal militaire, l’analyse de ces trois opérations et d’une série d’autres
offensives, dépeindra également à quel point le manque de synchronisation entre les
opérations régulières et contre-insurrectionnelles (clear and hold), jumelé à
l’inaccessibilité aux bases d’opérations au Laos et au Cambodge ont sabordé le plan de
Westmoreland. Bien qu’une logique de guerre conventionnelle soit justifiée de la part du
MACV, il était illusoire d’imaginer vaincre les communistes si le terrain qu’on leur
34 Lewy, op. cit., p. 84. Lewy spécifie que la RDVN avait environ 1.8 millions de mâles âgés de 15 à 34 ans; en
1968, 45% de ces mâles étaient au service de l’Armée nord-vietnamienne et approximativement 120,000
nouveaux mâles atteignaient l’âge requis pour le service militaire. Le nombre total de personnes pouvant emplir
les rangs du VC et du NVA s’estimait alors à 2.3 millions de soldats. Il a été calculé que même avec la
continuation des pertes encaissées aux mains des Américains en 1968, il faudrait au moins 13 ans pour venir à
bout des nouveaux effectifs du VC et du NVA. Si les pertes encourues étaient moindres que celles rencontrées
en 1968, on calcula qu’Hanoi aurai pu assurer indéfiniment le renflouement de ses effectifs.
107
arrachait n’était pas sécurisé en permanence et qu’ils conservaient leurs sanctuaires à
l’extérieur de la RVN.
2.1.1. La bataille pour le contrôle de l’Iron Triangle : Opération CEDAR FALLS
En mai 1966, le général Westmoreland a ordonné qu’une offensive majeure soit
initiée au nord de la province de Tay Ninh dans III Corps pour le début de l’année 1967.
L’opération, destinée à être lancée le 8 janvier, serait multi-divisionnaire et inclurait le
parachutage d’éléments aéroportés. Comme l’auteur Guenter Lewy l’a précisé :
Westmoreland considérait que le système logistique des communistes était leur « talon
d’Achille ». Le commandant du MACV jugeait que si les Américains pouvaient
« neutraliser les bases ennemies » tout en « prévenant le réapprovisionnement du matériel
capturé ou détruit », la victoire pouvait être à portée de main.35 C’est dans cette
perspective que le commandant du MACV devait décider de déclencher une offensive
baptisée Opération CEDAR FALLS. L’objectif de cette offensive : sécuriser un secteur
géographique surnommé The Iron Triangle.
Ce triangle était délimité à partir du sud-ouest par la rivière Saigon, à l’est par la
rivière Thi Thin et au nord par le biais d’une ligne provenant de l’ouest qui passait de Ben
Cat jusqu’au village de Ben Suc sur la rivière Saigon (voir la figure 9). En tout et pour
tout, l’Iron Triangle englobait une superficie de 100 kilomètres carrés. Au nord du
triangle se trouvait la réserve forestière de Thanh Dien.36 L’Iron Triangle, localisé à une
vingtaine de kilomètres de Saigon, était une base d’opération lourdement fortifiée abritant
le QG de la Région militaire 4 du Viêt-Cong, QG d’où on dirigeait les opérations politico-
militaires et terroristes du VC dans les régions de Saigon et de Gia Dinh.37 L’accès au
Iron Triangle permettait également aux insurgés de contrôler des lignes de
communication clés pour le déplacement de troupes. Le village de Ben Suc constituait
l’un des principaux camps de base du VC. Il s’agissait d’un QG majeur pour la collecte
35 Lewy, op. cit., p. 65. 36 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, Washington D.C., Department of the Army, 1989, p. 15. 37 Lyndon B. Johnson National Security Files 1963-1969, Vietnam Southeast Asia Analysis Reports 2/67 –
5/67, Austin, Lyndon B. Johnson National Library, ProQuest Archives Folder 002795-026-0437, p. 18.
108
de taxes qui finançaient en partie l’effort de guerre du Viêt-Cong. C’était également un
énorme centre d’entrepôt logistique communiste.38
Figure 9: Carte de l’Iron Triangle et schéma de manœuvre de l’offensive39
38 173rd Airborne Brigade, Iron Triangle Operation Niagara-Cedar Falls 5-25 Jan 67, Washington, D.C.,
U.S. Army Center for Military History, Folder: 003229-005-0236, p. 167. 39 United States Military Academy West Point, « The Iron Triangle », The Vietnam War. West Point,
https://www.usma.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/vietnam%20war%20map%2029.jpg,
Consulté le 15 novembre 2017.
109
Un total de 16,000 soldats américains et 14,000 soldats de l’ARVN seraient impliqués
dans l’Opération CEDAR FALLS.40 Le MACV envisageait d’étendre des bataillons blindés
et mécanisés d’un côté de la rivière Saigon afin de former une force de blocage qui couperait
la retraite aux VC. On a surnommé ladite force « l’enclume » (the anvil). Simultanément,
une autre force héliportée se déploierait de l’autre côté de la rivière pour attaquer et coincer
les insurgés. Cette seconde force, surnommée quant à elle « le marteau » (the hammer), reçut
pour mission de fermer l’étau en attaquant l’adversaire qui se buterait à l’enclume incarnée
par les forces de blocage déployées sur les arrières du VC.41 Afin de cibler avec précision la
localisation de l’Iron Triangle, les analystes américains ont maximisé l’exploitation du
renseignement. CEDAR FALLS a été la première opération à bénéficier du « pattern activity
analysis » du renseignement américain. Cette procédure consistait à marquer les cartes
topographiques des postes de commandements des activités significatives de l’adversaire.
Plus les activités se succédaient, plus il était possible pour les analystes de cibler les habitudes
(patterns) des insurgés.
Pour collecter le renseignement relatif à ces activités, les analystes exploitaient une
gamme d’outils : des photos de reconnaissance aériennes, des capteurs électroniques, des
rapports de patrouilles, des appareils infrarouges, le renseignement humain, les localisations
des assauts des insurgés sur les forces paramilitaires, ainsi que des documents ennemis
capturés. Ces sources fournissaient beaucoup d’informations sur les activités et les intentions
du VC. L’identification des priorités en matière de renseignement de l’ennemi contribuait
également à guider les analystes américains quant aux prochaines cibles des forces
insurgées.42 Ce fut précisément ce type de collecte de renseignement qui servait généralement
aux Américains pour cibler la localisation des bases d’opération communistes dans la RVN.
CEDAR FALLS ne faisait pas exception à cette règle et a permis aux Américains d’esquisser
leur plan d’action et leur schéma de manœuvre. Ces procédures en matière de collecte de
renseignement se sont d’ailleurs montrés très précis pour CEDAR FALLS; des 177 secteurs
clés du VC découverts par les Américains, 156 se trouvaient localisées dans un rayon de 500
40 James Westheider, Fighting in Vietnam: The Experiences of the U.S. Soldier, Mechanicsburg, Stackpole
Books, 2007, p.18. 41 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 16-17. 42 Ibid.., p. 17-18.
110
mètres des localisations préalablement rapportées par le renseignement.43 Le plan soumis à
Westmoreland pour sécuriser la zone se résumait comme suit : les forces militaires
américaines allaient « attaquer l’Iron Triangle et la réserve forestière de Thanh Dien » dans
le but de neutraliser « les forces ennemies » ainsi que leurs « infrastructures, installations »
et le « QG de la Région militaire 4 ». Plusieurs villages étaient également répartis dans le
secteur géographique de l’Iron Triangle. L’assaut américain planifiait une phase qui
nécessiterait l’évacuation de la population civile de ces villages.44 Enfin, le plan prévoyait de
faire de l’Iron Triangle une zone de bombardement sans restriction (free fire zone) afin
d’empêcher un éventuel retour des insurgés dans la zone clé.45 La première phase de
l’opération de combat devait durer du 5 au 7 janvier avec le déploiement et l’assaut (the
hammer and the anvil) des 1st et 25th Infantry Division. La phase 1 prévoyait également le
déploiement de forces de l’ARVN autour de la zone d’opération afin d’empêcher toute
retraite des éléments VC déployés dans l’Iron Triangle.
La deuxième phase de l’opération devait être initiée le 8 janvier avec le déploiement
de forces héliportées ayant pour mission de sécuriser Ben Suc. La troisième phase se mettrait
en branle le 9 janvier pour se concrétiser avec l’initiation, à partir de Ben Cat, d’un assaut
blindé destiné à scinder en deux l’Iron Triangle. Simultanément, un autre assaut héliporté
aurait lieu à l’extrémité nord de la forêt de Thanh Dien afin de compléter l’encerclement des
Viêt-Cong.46 Ces phases subséquentes tomberaient sous la responsabilité de la 173rd Airborne
Brigade et du 11th Armored Cavalry Regiment. Toutes les unités susmentionnées étaient
subordonnées à la 1st Infantry Division commandée par le général William E. Depuy, un des
43 Ibid., p. 18. 44 Ibid., p. 18-19. 45 Westheider, op. cit., p. 19. Westheider spécifie que les secteurs désignés comme free fire zone pouvaient
atteindre des tailles avoisinant les 500 kilomètres carrés. Ces zones pouvaient être continuellement bombardées
par l’aviation et l’artillerie sans au préalable en demander l’autorisation aux échelons de commandement
supérieurs. La population civile localisée dans un secteur désigné comme free fire zone était normalement
déplacée dans un secteur sécuritaire, loin des bombardements. À la suite de l’évacuation, toute personne
localisée dans ce secteur était considérée hostile, ce qui encouragea les Américains à maximiser leur puissance
de feu lors des bombardements. Néanmoins, beaucoup de civils ont fait le choix de demeurer ou de retourner
dans la zone interdite. Dans ces conditions, il était très difficile de discriminer avec précision les personnes
encore présentes dans la zone de tir, ce qui entraîna régulièrement la mort de civils. 46 Lyndon B. Johnson National Security Files 1963-1969, Vietnam Southeast Asia Analysis Reports 2/67 –
5/67, op. cit., p. 18.
111
commandants en second de Westmoreland.47 À maintes reprises, on reprocha aux Américains
la planification et l’exécution d’opérations comme celle décrite ci-haut pendant la guerre.
Pourtant, des méthodes contre-insurrectionnelles n’auraient préparé en rien les Américains à
confronter ce à quoi ils devaient faire face une fois dans l’Iron Triangle. En plus du QG de
la Région militaire 4, la zone abritait le 272e Régiment VC, les 1er et 7e Bataillon de la Région
militaire et environ deux autres bataillons locaux. Le renseignement américain soupçonnait
aussi la présence des 2e, 3e et 8e Bataillon du 165e Régiment VC dans la zone d’opération.48
Avec un tel nombre d’effectifs et d’installations, l’Iron Triangle constituait une base
d’opération puissamment fortifiée défendue par de multiples bataillons réguliers de
l’insurrection VC. La prise d’un complexe de cette envergure justifiait pleinement
l’exécution d’une opération militaire conventionnelle telle que planifiée par le
commandement américain pour CEDAR FALLS. L’opération a été initiée tel que prévu,
entre le 5 et le 7 janvier, avec le déploiement des éléments de blocage. Subséquemment, les
troupes héliportées se sont dirigé vers le village de Ben Suc afin de le sécuriser.
Des hauts parleurs installés sur les hélicoptères transmettaient des instructions aux
villageois pour qu’ils se déplacent vers le centre du village. Après les avoir triés, les soldats
américains ont immédiatement procédé à l’évacuation des hommes âgés entre 15 et 45 ans
dans un centre d’interrogatoire à Phu Cuong. Lorsque les soldats ont terminé la fouille du
village, ses habitants pouvaient regagner leur domicile afin d’y rassembler leurs effets
personnels et leurs animaux de ferme en prévision de leur évacuation deux jours plus tard.
Une fois la partie nord de l’Iron Triangle sécurisée, les hauts parleurs des hélicoptères
intimaient également aux villageois de ne pas s’enfuir et de demeurer dans leur domicile.
Des pamphlets jetés par la voie des airs ont également avisé les villageois de se préparer à
quitter la zone pour être rassemblés dans un camp temporaire dans le secteur de Ben Cat.
Néanmoins, cette phase de l’opération a suscité beaucoup de confusion; des éléments mal
informés du 11thArmored Cavalry Regiment ont immédiatement commencé à évacuer les
villageois et à incendier leurs domiciles, entraînant de ce fait plus de 1000 villageois à se
diriger vers Ben Cat sans leurs possessions. Ils ont donc dû être renvoyés dans leur village
47 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 137. 48 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 19.
112
afin d’y récupérer leurs effets. Tous les villageois, y compris leurs bestiaux, ont finalement
été évacués le 12 janvier à Phu Cuong.49 Dès ses premiers balbutiements, l’offensive a laissé
transparaître des problèmes de communication et de préparation. Bien que l’évacuation des
villageois de Ben Suc se soit effectuée sans réelles embuches, ce qui devait se produire au
nord de l’Iron Triangle trahit un manque de préparation en ce qui a trait aux aspects autres
que ceux de combat. De plus, le centre d’accueil destiné à accueillir la population exilée à
Phu Cuong n’était pas adéquat. Les agences civiles responsables se sont avérées incapables
d’ériger le camp à temps pour accueillir l’ensemble des villageois. Devant cette situation, le
commandement américain n’eut d’autre alternative que de céder une partie de ses troupes
pour terminer la construction du centre de réfugiés temporaire de Phu Cuong qui, une fois
complété, accueillit un total de 6108 personnes.208 Cela étant fait, les militaires ont pu vaquer
à leur tâche de combat. Lors des phases initiales de l’offensive, les Américains ont débuté
une campagne de guerre psychologique en larguant des millions de pamphlets
supplémentaires destinés aux insurgés. Ces tracts offraient des programmes d’amnistie aux
VC désireux de se rendre aux forces de sécurité. Lors de CEDAR FALLS, 471 insurgés ont
fait défection grâce à ces opérations psychologiques.50
Lors de l’offensive sur l’Iron Triangle, quatre bataillons américains ont pris d’assaut
la forêt Thanh Dien. Le VC n’engagea pas le combat, laissant ainsi le champ libre aux
Américains qui ont pu fouiller le secteur sans entraves. En une journée, 28 tonnes de riz, 725
grenades et 14 armes ont été confisqués aux communistes. Dans le secteur du village de Ben
Suc, 262 tonnes de riz et 135 armes ont également été saisies.51 Les unités américaines
déployées à Ben Suc ont été relevées par l’ARVN, ce qui leur a permis de poursuivre leurs
opérations de search and destroy dans les secteurs limitrophes.52 Lors de la progression des
forces d’infanterie, ces dernières ont pu bénéficier d’un appui aérien soutenu; la 7thAir Force
a contribué de manière significative aux opérations en localisant et bombardant plusieurs
camps de base du VC ainsi qu’en appuyant l’infanterie lorsque sous contact avec l’adversaire.
Un total de 10 missions de bombardements de B-52 a également été mené à bien. Ces frappes,
nécessaires pour neutraliser les zones plus fortifiées ont été particulièrement efficientes le
49 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 139. 50 Ibid., p. 140. 51 Ibid, p. 141-142. 52 Ibid.
113
moment venu de détruire les bunkers et les souterrains du VC. Au sol, l’infanterie découvrit
d’elle-même de nombreux autres camps de base, tunnels, caches de riz et armes légères.
Néanmoins, les contacts avec le VC demeuraient sporadiques, ce qui pouvait en partie
s’expliquer par les bombardements de l’aviation et la volonté des insurgés de s’exfiltrer du
secteur. Plus l’opération progressait, plus il semblait clair que les Viêt-Cong s’assureraient
de limiter tout contact contre leur ennemi. Malgré cette situation, les Américains continuaient
de saisir d’importantes quantités d’armes, de munitions et d’approvisionnement logistique au
VC. En date du 12 janvier, un total de 1800 tonnes de riz a été confisqué, de concert avec
plus de 189 armes légères et près de 1000 grenades à fragmentation. Le 14 janvier, un
bataillon américain a localisé un énorme camp de base communiste qui abritait des fusils
d’assaut, des mines, des grenades et des munitions. Une autre unité a même découvert une
usine de fabrication de mines.53 En date du 15 janvier, des éléments ingénieurs ont commencé
à détruire le village de Ben Suc. Le 16, les unités américaines continuaient à sécuriser l’Iron
Triangle sans affrontement majeur contre le VC qui concentrait ses efforts en ayant recours
à des tireurs d’élites pour ralentir les Américains.
En date du 17, les ingénieurs déployés à Ben Suc conclurent la destruction du village
en faisant détonner 5 tonnes d’explosifs qui visaient à neutraliser définitivement le labyrinthe
de couloirs souterrains serpentant sous le village. En date du 26 janvier, CEDAR FALLS
prenait fin avec le départ de l’ensemble des forces d’infanterie de la zone de l’Iron Triangle.
Quelques éléments d’infanterie sont demeurés sur place pour assurer la protection des
ingénieurs qui finissaient leurs travaux de démolition.54 CEDAR FALLS a originalement été
considéré comme un grand succès pour le MACV. L’opération a fait payer aux Américains
un tribut de 72 morts et 337 blessés. L’ARVN comptait pour sa part 11 morts et 8 blessés.
Du côté des Viêt-Cong, on a dénombré 750 morts, 280 prisonniers et plus de 500 soldats qui
ont choisi de faire défection (une première depuis l’intervention américaine au Vietnam). Les
communistes ont perdu 590 armes individuelles et plus de 2800 engins explosifs, incluant
mines, grenades, mortiers et obus d’artillerie. Plus de 60,000 cartouches de munitions
d’armes légères ont également été saisies au VC. Au-dessus de 1000 bunkers, 525 tunnels et
plus de 500 bâtiments ont été détruits. Un total de 3700 tonnes de riz, approvisionnement
53 Ibid., p. 141-142, 145. 54 Ibid., p. 142-144.
114
suffisant pour nourrir 13,000 VC pendant un an, a aussi été saisi.55 De plus, en fouillant les
réseaux souterrains, les Américains ont pu mettre la main sur les archives et les plans de la
Région militaire 4 du VC. Plus de 235,000 pages de documents communistes ont été analysés
par le MACV. Ces pages contenaient notamment l’état des forces des unités VC, les noms
de ses membres, les villes et villages dans lesquels ils opéraient, leurs zones de
rassemblement et des renseignements sur les plans communistes à venir. Enfin, la perte des
villageois priva les insurgés d’une force de labeur avoisinant les 6000 travailleurs.56 La perte
de cette main-d’œuvre a fait très mal au Viêt-Cong qui, dans ses rapports, déplorait les
opérations américaines dans le secteur de l’Iron Triangle. Un document capturé du VC
souligne que ce type d’opération offensive américaine effectuée dans leurs arrières affectait
négativement l’effort des travailleurs civils chargés d’assumer les tâches de soutien
logistique vitales à l’effort de guerre communiste. Le document spécifie que dans certains
secteurs, il devenait impossible d’obtenir du personnel et de l’approvisionnement dans les
villages.57
Du côté des contacts entre Américains et communistes lors de l’offensive, les
régiments et bataillons VC déployés dans l’Iron Triangle ont limité au maximum leurs
contacts et n’ont pas cherché à organiser une défense structurée et organisée de leur base
d’opération. Ils auraient apparemment reçu la directive de ne pas chercher à engager
directement le combat avec les Américains.58 Ceci n’est guère surprenant si on prend en
compte la doctrine des insurgés VC et des forces hybrides décrites au chapitre 1. Soucieux
de ne pas répéter les erreurs commises lors de l’Opération STARLITE, le VC s’en est tenu à
son mode de transition dirigé, ne cherchant aucunement à affronter les Américains lorsqu’il
se trouvait dans une position de vulnérabilité. Néanmoins, les forces chargées d’empêcher la
fuite des insurgés n’ont pas été en mesure d’entraver considérablement la retraite du VC. Le
55 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 74. 56 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 145-146, 167-168. 57 U.S. Army Military History Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and
Analysis of Significant Viet Cong/North Vietnamese Documents: Within a Viet Cong Stronghold:
deliberations of the Supply Council, Chau Thanh District, Binh Duong Province, January 1967, Carlisle
Barracks, War College, ProQuest Archives Folder: 003233 -001-0165. 58 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 74.
115
rapport post-action de l’opération souligne cependant que le terrain caractéristique à la
géographie de l’Iron Triangle compliquait la conduite de l’opération de blocage. Il était très
difficile d’atteindre certains secteurs de l’Iron Triangle, même par la voie des airs. De plus,
peu de routes praticables n’étaient pas piégées ou minées par le VC. Les 100 kilomètres
carrés de jungle touffue de l’Iron Triangle n’ont pu être complètement scellés par les forces
américaines et sud-vietnamiennes, et ce, malgré le déploiement de l’équivalent d’une entière
division.59 L’analyse des rapports post opération des combats nous montre qu’en général, le
MACV a été très satisfait des résultats de l’opération CEDAR FALLS, considérée comme
une des opérations de search and destroy des plus militairement efficaces. Jamais une
opération offensive américaine n’avait causé la neutralisation d’autant de Viêt-Cong (ce qui
inclut morts, blessés, prisonniers de guerre et transfuges). Les pertes matérielles et logistiques
mentionnées précédemment ont également, selon le MACV, fait la démonstration de la
justesse de ce type d’opération pour enrayer la capacité du VC à opérer. À la suite de
l’opération, un des commandants déclara : « a strategic enemy enclave had been decisively
destroyed ».60 Néanmoins, si on l’évalue à moyen et long terme, CEDAR FALLS s’avéra un
échec opérationnel destiné à faire très mal aux Américains et aux Sud-Vietnamiens.
Tel que mentionné précédemment, le plan américain prévoyait de faire de l’Iron
Triangle une zone de bombardement sans restriction afin d’y empêcher un éventuel retour
du VC. Ce plan n’a pas tardé à s’avérer impraticable, les Américains ayant grandement sous-
estimé l’étendue des complexes souterrains du VC dans l’Iron Triangle. Sous les ruines de
Ben Suc, un total de 1700 mètres du réseau souterrain est demeuré intact malgré les efforts
des ingénieurs. À peine deux jours après la conclusion des hostilités, des éléments héliportés
sont parvenus à repérer plusieurs Viêt-Cong qui rôdaient librement dans les secteurs sécurisés
de l’Iron Triangle. La végétation (préalablement détruite par les bombardements et les
ingénieurs) ne tarda pas à foisonner de nouveau. Le VC s’affairait à reconstruire ses bunkers,
une manœuvre rendue possible par la proximité de leurs bases d’opération au Cambodge.
Quelques mois après la conclusion de CEDAR FALLS, l’Iron Triangle avait recouvré son
statut de complexe défensif fortifié destiné à servir de tremplin pour le déploiement des
59 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 167. 60 Nigel Cawthorne, Vietnam: A War Lost and Won, Londres, Sirius, 2017, p. 232.
116
troupes communistes lors de l’offensive du Têt.61 En fait, les attaques les plus dévastatrices
du Têt ayant eu lieu dans la périphérie de Saigon provenaient toutes de l’Iron Triangle.62 Peu
après CEDAR FALLS, les Américains n’ont pas tardé à enclencher une seconde opération
de search and destroy en février 1967. MACV l’a baptisée Opération JUNCTION CITY.
2.1.2. Objectifs COSVN et War Zone C : Opération JUNCTION CITY
L’Opération JUNCTION CITY devait constituer la plus grande opération militaire
des Américains depuis le déploiement de leurs forces de combat en 1965. L’objectif de la
mission visait à effectuer une opération de search and destroy en vue de neutraliser le
COSVN ainsi que les installations et les effectifs de la 9e Division VC et du 101e Régiment
du NVA. La zone d’opération était sise au cœur d’un secteur géographique baptisé War Zone
C. Cette base communiste se nichait dans le III Corps, au nord-ouest de l’Iron Triangle, tout
près de la frontière cambodgienne. Un total de deux divisions américaines comprenant 22
bataillons d’infanterie, 14 bataillons d’artillerie et 4 bataillons de l’ARVN devait être
impliqué dans l’opération qui se verrait également appuyée d’une insertion de troupes
parachutistes, une première depuis la guerre de Corée. Tout comme l’Iron Triangle, la War
Zone C était une véritable base fortifiée qui, depuis plus de 20 ans, constituait un véritable
sanctuaire pour les insurgés communistes.63 L’opération se déroulerait en deux phases : la
première visait à déployer au nord de la War Zone C des forces de blocages disposées en
« fer à cheval » afin de stopper toute tentative de retraite des forces du NVA et du VC au
Cambodge. La 1st Infantry Division se positionnerait sur les secteurs nord et est du fer à
cheval alors que de son côté, la 25th Infantry Division s’affairerait à en bloquer la portion
ouest. En plus d’effectuer des opérations de blocage et d’interdiction, les brigades et
bataillons des 1st et 25th Division initieraient pendant trois semaines des missions de search
and destroy dans leurs secteurs respectifs d’opération. Subséquemment, une nouvelle
offensive de search and destroy devait s’enclencher vers le nord avec d’autres troupes
61 Ibid. 62 Sorley, op. cit., p. 179. 63 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 83.
117
d’assaut de la 25th Division et des éléments de reconnaissance blindés afin de piéger les forces
communistes dans la zone (voir la figure 10).64
Figure 10: Schéma de manœuvre de l’Opération JUNCTION CITY65
La phase 2 de l’opération verrait les unités continuer leurs avancées respectives dans
la War Zone C. À l’image de l’Iron Triangle, le secteur était truffé de fortifications telles que
bunkers, tranchées, tunnels et autres positions défensives. Certains secteurs fortifiés étaient
suffisamment vastes pour contenir des bataillons entiers du VC et du NVA. Également très
renforcés, les bunkers n’étaient pas uniquement de simples sacs de sable empilés les uns sur
les autres : à l’image des secteurs fortifiés japonais pendant la guerre du Pacifique, plusieurs
64 Headquarters 1st Infantry Division, After Action Report –Operation Junction City, 8 May 1967, Washington
D.C. U.S. Army Center for Military History, ProQuest Archives Folder: 003229-002-0760, p. 1-2. 65 Sixteenth Infantry Regiment Association, « Operation JUNCTION CITY 22 February-15 April 1967 »,
Vietnam and Cold War II 1965-1970, Sixteenth Infantry Regiment Association.
http://www.16thinfassn.org/history/regimental-maps/vietnam-cold-war-ii-1965-1990/operation-junction-city-
22-february-15-april-1967/, Consulté le 12 décembre 2017.
118
bunkers communistes de la War Zone C étaient construits de béton. Le renseignement
américain se trouvait très au fait de la disposition des places fortifiées de la zone de bataille.
L’information fournie par des déserteurs, des documents saisis et diverses sources ont
confirmé la nature des fortifications de la zone et les défenses établies pour protéger le
COSVN. Les sources du renseignement américain ont confirmé de surcroit que le NVA et le
VC maximiseraient l’utilisation de mines, de pièges et de manœuvres retardatrices pour
contrer l’avancée des Forces américaines.66 La conduite des opérations a rapidement
démontré que le VC ne se contenterait pas d’effectuer des manœuvres retardatrices; des
assauts dévastateurs des forces communistes s’apprêtaient à frapper les éléments de combat
américains. Tel que planifié, les unités américaines chargées d’assurer le cordon autour de la
zone se sont placées en position pour exécuter la phase 1 de JUNCTION CITY. Une
combinaison de 9 bataillons insérés en parachute et par voie héliportée s’est déployée pour
former le fer à cheval destiné à couper la retraite aux communistes. Les opérations de search
and destroy préliminaires prévues pour cette phase ont également été exécutées par ces unités
mais leurs contacts avec le NVA et le VC devaient prendre un caractère sporadique. Le 23
février, deux escadrons de reconnaissance blindés et celles de la 25th Infantry Division
localisées au sud de la zone ont enclenché leur assaut vers le nord de la War Zone C pour
ratisser l’intérieur du fer à cheval en vue de traquer, puis neutraliser le COSVN ainsi que les
unités VC et du NVA.
Pendant que ces forces d’assaut américaines progressaient vers le nord, les troupes
déployées pour former le gigantesque cordon continuaient à sécuriser leurs secteurs et à
améliorer leurs positions défensives advenant la retraite des unités communistes vers le
Cambodge.67 Lors des premiers jours de l’opération, le NVA et le VC se sont faits très
discrets. Les Forces américaines n’ont pas tardé à découvrir plusieurs camps de base qu’elles
se sont affairées à détruire. Ces bases recelaient d’importantes quantités d’armes, de
munitions, de riz et d’autres éléments logistiques. Dans un de ces camps, on a retrouvé
d’imposants quartiers souterrains et une énorme position défensive fortifiée. On a aussi
déniché à la surface des tunnels maintes cuisines. Dans l’une d’elles, on trouva un calendrier
portant une marque sur le 23 février, date à laquelle les unités américaines entraient dans le
66 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p.21- 22. 67 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 103-105.
119
secteur. De la nourriture était encore en cours de préparation; signe tangible aux yeux des
Américains que les communistes avaient fui leur base sur un mouvement de panique. Lors
de leur progression dans la zone, les Américains ont découvert la section des affaires
militaires du COSVN, un complexe abritant une école et un centre de propagande. 68 Bien
qu’il y ait eu quelques contacts avec le VC et le NVA, il a fallu attendre le 3 mars pour qu’une
violente confrontation oppose Américains et combattants communistes. Une compagnie de
la 173rd Airborne Brigade est tombée sous contact contre un bataillon du 70e Régiment VC
et des éléments de guérilla locaux.69 L’affrontement, quoique bref, a été très violent : les
communistes ont perdu 39 soldats alors que les Américains ont dénombré 20 morts et 29
blessés dans leurs rangs.70 Des éléments de la 1st Division ont pour leur part découvert la base
de transmissions et de communications ainsi que le QG administratif du COSVN.71
De leur côté, les deux escadrons blindés qui ratissaient la zone en progressant vers le
nord, ont fait converger leur axe d’avance vers l’ouest le 6 mars afin de sécuriser un secteur
longeant la frontière cambodgienne. Le 11 mars, des éléments blindés sont tombés sur la
position défensive d’une compagnie Viêt-Cong qui affronta les Américains avec des armes
automatiques et antichars. Déployés dans des positions renforcées et des bunkers fortifiés,
les insurgés bénéficiaient de la protection d’un réseau de tranchées. La position défensive
VC devint la cible d’une succession d’attaques aériennes. Des hélicoptères de combat Huey
gunships patrouillaient continuellement afin de contrer toute tentative de fuite des insurgés
vers le Cambodge.72 Nonobstant ces manœuvres, les VC réussirent tout de même, une fois la
nuit tombée, à se replier de l’autre côté de la frontière. Malgré l’utilisation constante de fusées
éclairantes et le tir régulier de l’artillerie et des mini-gun des hélicoptères gunships, les Viêt-
68 Ibid., p. 106, 109. 69 Department of the Army, Operation Junction City – HQ, 173rd Airborne Brigade, 8 August 1967,
Washington D.C., Army Center for Military History, ProQuest Archives Folder: 003229-003-0353, p. 10. 70 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 109-110. 71 Department of the Army, Operation Junction City – HQ, 173rd Airborne Brigade, 8 August 1967, op. cit., p.
10-11. 72 Department of the Army, Combat After Action Report – Operation Junction City, conducted by 11th
Armored Cavalry Regiment, 15 1967, Washington, D.C , U.S. Army Center for Military History, ProQuest
Archive Folder: 003229-003-0774, p. 33.
120
Cong ont, ultimement, réussi à s’exfiltrer, puis à se replier au Cambodge.73 La position
défensive était construite au-dessus d’un imposant réseau sous-terrain de 15 pieds de
profondeur. Les Américains y ont découvert deux larges presses d’une capacité de tirage de
5000 feuilles l’heure, utilisées par le COSVN pour imprimer leur propagande. Le 17 mars à
minuit, la phase 1 de l’opération JUNCTION CITY était terminée. 835 troupes du NVA et
VC avaient été tuées, 15 autres capturées et une énorme quantité de matériel logistique avait
été saisie.74 Lors de la phase 2 de JUNCTION CITY, trois batailles majeures ont opposé
Américains et communistes. Une fois de plus, ces batailles ont démontré à quel point il est
illusoire de prétendre qu’il a été inadéquat d’exploiter des doctrines militaires
conventionnelles au Vietnam. L’un des trois engagements a été la bataille d’Ap Bau Bang II,
un secteur de la War Zone C qui était truffé d’insurgés.
L’attaque initiée par le VC a été digne des livres de doctrine conventionnelle de toute
armée régulière professionnelle. Une troupe de blindés du 3rd Squadron, 5th Cavalry
Regiment, appuyée par une unité de la 1st Brigade, 9th Infantry, essaima avec 129 soldats, six
chars et 20 blindés M-113. Leur tâche : sécuriser un secteur pour installer une base d’appui
d’artillerie (fire base). Une fois sur place, les Forces américaines ont été la cible de tirs
d’armes automatiques, d’armes antichars et de mortier. Plusieurs blindés M-113 ont été
touchés et mis hors service par les tirs du VC. Bien que deux des chars se soient aussi vus
touchés, ils ont pu continuer le combat. Moins d’une demi-heure après le tir de barrage,
l’infanterie du 273e Régiment VC enclenchait un assaut en provenance du sud et du sud-ouest
des positions américaines. Un deuxième assaut fut lancé du nord, ce qui devait coincer les
Américains dans une position identique à celle décrite dans leur propre doctrine offensive
(hammer and anvil, voir la figure 11).75
73 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 110. 74 Ibid., p. 110-111. 75 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit, p. 129-132.
121
Figure 11: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Bau Bang76
Les troupes du VC ont également bénéficié d’une base de feu qui, dans les doctrines
conventionnelles, vise à fixer sur place les forces adverses par le biais d’un tir nourri et
continu. Lorsque les forces chargées de l’assaut approchent de la position adverse, la base de
feu converge son tir de manière à ne pas toucher les forces amies. Certains M-113 se sont
vus submergés par l’infanterie VC ce qui, en désespoir de cause, a forcé les équipages des
blindés à demander que des tirs d’artillerie soient ouverts en direction de leurs propres
76 Department of the Army. General Donn A. Starry. Mounted Combat in Vietnam. Washington D.C.
Department of the Army, 1978, p. 98.
122
véhicules, et ce, au risque d’être pulvérisés. Lors de leur avance au contact, les VC
maximisaient l’emploi d’armes antichars et ont ainsi neutralisé d’autres M-113. Les assauts
communistes ont été repoussés sur les deux flancs américains à maintes reprises, ce qui
n’empêcha guère le VC d’entreprendre de nouveaux assauts contre les troupes assiégées. Aux
premières lueurs de l’aube, le VC manœuvrait en vue d’initier une attaque finale mais leurs
troupes avaient été repérées par les Américains qui ont alors demandé de l’appui aérien et un
tir soutenu de l’artillerie. Les chasseurs américains ont largué des bombes à fragmentation,
du napalm et des bombes de 500 livres sur le 273e Régiment VC.77 Le résiduel du régiment
viêt-cong devait battre en retraite par suite des bombardements. La bataille d’Ap Bau Bang
II a couté la vie à un minimum de 227 VC (des indices tendent à prouver que plusieurs
cadavres avaient été évacués par les communistes). Une importante quantité d’armes et
d’équipement ont également fait l’objet d’une saisie. Du côté des Américains trois soldats
ont été tués au combat et 63 autres blessés.78 Il a fallu 29 frappes aériennes, 29 tonnes de
bombes et près de 3000 obus d’artillerie pour repousser les assauts du 273e Régiment VC.79
Le deuxième affrontement majeur de la phase 2 a été la bataille de Suoi Trei près du
centre de la War Zone C. Le commandement américain y déploya des hélicoptères afin
d’envoyer des soldats du 3rd Battalion, 22nd Infantry et du 2nd Battalion, 77th Artillery
sécuriser une autre zone devant servir de base pour des canons d’artillerie. Aussitôt au sol,
trois hélicoptères ont été pulvérisés et six autres endommagés par l’explosion de charges
enfouies sous la zone d’atterrissage, tuant 15 soldats et en blessant 28 autres. Toutefois,
contrairement à ce à quoi on aurait pu s’attendre, la détonation n’a pas été suivie d’un assaut
immédiat du VC. Des périmètres de sécurité ont été établis à l’est et à l’ouest de la zone par
les compagnies américaines et on érigea rapidement des positions défensives. Peu de temps
après, une patrouille déployée pour sonder le secteur s’est faite annihilée par une force
massive du VC. Environ 650 obus de mortier ont ensuite été tirés sur le périmètre américain
qui subit l’assaut du VC. L’ennemi encercla les Américains qui se trouvaient également
ciblés par des armes antichars et des mitrailleuses légères (voir la figure 12).80 Constamment
frappés par le tir des armes indirectes du VC, les artilleurs américains ont procédé à un tir de
77 Ibid., p. 132-135. 78 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p. 76. 79 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies.
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p.135. 80 Ibid., p. 135-138.
123
contre-batterie dans une tentative visant à neutraliser le mortier adverse. Plusieurs troupes
d’infanterie étant sur le point d’être submergées par le VC, des artilleurs américains se sont
vus forcés de s’improviser comme soldats d’infanterie pour assister leurs confrères du 3rd
Battalion. Il a fallu une fois de plus recourir à un appui aérien soutenu et à d’intenses barrages
d’artillerie pour ralentir l’avancée des unités communistes. Malgré ces bombardements, les
attaquants ont persisté avec acharnement à essayer de capturer la position américaine. Un des
pelotons d’infanterie s’est vu submergé par une véritable « vague humaine » de Viêt-Cong.
Le secteur nord-est du périmètre de bataille s’est quasi fait noyer par une marée de soldats
communistes.81 L’intensité des assauts VC était tel que les Américains n’ont eu d’autre
alternative que de se repositionner pour créer une deuxième ligne défensive, près des
éléments d’artillerie situés au centre du périmètre de bataille (voir la figure 12). Le VC
encerclait la zone de bataille et, dans certains secteurs, s’est approché jusqu’à quelques
mètres des derniers retranchements défensifs des Américains. Comme s’il s’agissait de
canons de chars, les artilleurs du 2nd Battalion n’ont eu d’autre choix que d’effectuer du tir
direct sur l’infanterie ennemie avec leurs canons d’artillerie.82
81 Ibid., p. 138. 82 Department of the Army Vietnam War Studies, General Donn A. Starry, op. cit., p. 101-102.
124
Figure 12: Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille de Suoi Tre83
Les parties nord, ouest et sud du secteur tenaient encore bon. Toutefois, dans la partie
est, les soldats américains amorcèrent une retraite, tout en continuant désespérément à
repousser l’avancée du VC. Ultimement, des unités d’infanterie et blindés de la 3rd Brigade
américaine ont été dépêchées en renfort pour secourir les troupes américaines sur le point
d’être anéanties. Les premiers renforts ont attaqué l’est du périmètre, une offensive qui
n’empêcha pas les Viêt-Cong de poursuivre leur assaut. Quelques minutes après l’arrivée des
premiers renforcements, des éléments d’infanterie mécanisée et des chars américains
surgirent au sud-ouest du périmètre. Les troupes ont marché sur le VC qui s’est fait
83 Ibid., p. 136.
125
violemment décimer par le tir nourri des canons de 90mm des chars et les tirs soutenus des
mitrailleuses lourdes de l’infanterie mécanisée. Le résiduel du VC n’eut d’autre choix que de
procéder à une manœuvre de repli.84 La bataille de Suoi Trei a coûté la vie à un minimum de
647 Viêt-Cong. Pour leur part, les Américains ont perdu 31 soldats, 109 autres ont été blessés.
Des documents communistes découverts sur place ont dévoilé l’identité des forces en
présence : il s’agissait du 272e Régiment de la 9e Division VC, renforcé par des éléments
d’artillerie. Ce régiment était considéré comme une unité d’élite du Viêt-Cong qui était
d’ailleurs l’une des formations communistes les mieux organisées et équipées.85 Le dernier
affrontement majeur de la phase 2 de JUNCTION CITY a été la bataille d’Ap Gu. Le 26
mars, le 1st Battalion, 26th Infantry s’est fait assigner la mission de diriger un assaut en
profondeur dans la War Zone C tout près de la frontière cambodgienne. Cette unité devait
sécuriser la zone visée afin de permettre le déploiement subséquent et sécuritaire des
éléments du 1st Battalion, 2nd Infantry. Subséquemment, l’ensemble des forces
susmentionnées devait effectuer des opérations de search and destroy dans le périmètre.86
Soupçonnant la présence d’unités VC dans le secteur, le renseignement américain
s’attendait à un contact avec la force ennemie. Les compagnies du 1st Battalion héliportées
dans la zone (Landing Zone (LZ) George) commencèrent le ratissage du secteur. Aucun
contact initial avec le VC n’a eu lieu avant le jour suivant. Le lendemain, un peloton de
reconnaissance est tombé sous contact tout près de la frontière.87 Le lieutenant qui
commandait le peloton a été tué et l’intensité du contact a nécessité un tir soutenu de
l’artillerie.88 La compagnie B du 1st Battalion, dépêchée pour assister le peloton embusqué,
s’est retrouvée elle-même embusquée par ce qui semblait être un bataillon entier de Viêt-
Cong. La compagnie B étant immobilisée par le tir d’armes antichars, de roquettes, de
mortiers et de mitrailleuse, la compagnie A du 1st Battalion a à son tour été déployée pour
assister la compagnie B assiégée. Le commandant du bataillon, le colonel Alexander Haig
(le futur Secrétaire d’État du Président Ronald Reagan), s’est lui-même déployé auprès de
84 Ibid., p. 102, voir aussi Department of the Army, Lieutenant General Williams Rogers, op. cit., p. 138-140. 85 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., 138-140. 86 Ibid., p. 138-140. 87 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p. 10. 88 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 140, 142.
126
ses deux compagnies pour assurer le commandement des opérations. En combinant leurs
forces et en bénéficiant d’un appui aérien et du tir de l’artillerie, les deux compagnies
américaines réussirent à gagner l’avantage sur le VC.89 La plupart des troupes américaines
assiégées ont été en mesure de retraiter à l’arrière mais le VC quitta ses bunkers, cherchant
envers et contre tout à maintenir le contact avec les Américains. Néanmoins, la perspective
de nouveaux bombardements les a fait, ultimement, reculer. Un bataillon américain
supplémentaire, le 1st Battalion, 16th Infantry, a été dépêché en renfort et les deux bataillons
se sont activés à ériger des positions défensives dans le secteur du LZ George et à préparer
des patrouilles de reconnaissance pour la nuit.90
Un peu avant l’aube, un unique obus de mortier tomba près du périmètre. Comprenant
qu’il s’agissait d’un tir de calibrage, le colonel Haig ordonna à ses troupes de se mettre à
l’abri. Quelques instants plus tard, une pluie d’obus de mortier crépitait sur le périmètre
défensif. Les artilleurs américains enclenchèrent des tirs de contre-batterie qui se sont avérés
plus inefficaces qu’à l’habitude. Lorsqu’interrogé par ses supérieurs après la bataille, le
colonel Haig a reconnu que bien qu’il se soit attendu à une attaque du VC après le tir de
barrage, ses expectatives ne se comparaient en rien à ce qui se passa subséquemment.91 La
rafale de tir de mortier d’une quinzaine de minutes a été succédée d’une attaque initiale de
l’infanterie VC sur la partie nord-ouest des positions défensives des deux bataillons
américains (voir la figure 13). Trois bunkers n’ont pas tardé à tomber aux mains des
communistes qui combattaient leurs adversaires au corps à corps. La pression exercée par
l’infanterie VC s’accentua, forçant le déploiement de la réserve et des éléments de
reconnaissance du 1st Battalion, 26 Infantry. Ces derniers ont pris une position de blocage
derrière les compagnies B et C qui luttaient avec acharnement pour rétablir leur périmètre
défensif. Parallèlement, les unités communistes ripostaient en initiant des attaques de
diversion à partir de l’est et l’ouest du périmètre (voir la figure 13).92
89 Ibid., p. 143. 90 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p. 10. 91 Department of the Army, Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies,
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 144. 92 Ibid., p. 145.
127
Figure 13:Assauts du Viêt-Cong lors de la bataille d’Ap Gu93
À toutes les 15 minutes, des chasseurs américains bombardaient la zone de bataille
de bombes à fragmentation, permettant ainsi à l’infanterie de reprendre son souffle par
moments.94 Entretemps, des hélicoptères de combat tapissaient également la zone d’un tir
nourri de mitrailleuses mini-gun et de roquettes. L’intensité du tir et des bombardements
commençait à porter fruits, ralentissant les assauts répétitifs du VC. L’artillerie américaine
intensifia son tir sur le flanc est du périmètre, le secteur où se concentrait l’effort principal
93 Ibid., p. 141. 94 Headquarters 1st Infantry Division, op. cit., p. 14.
128
de l’assaut viêt-cong. Les bombes de l’aviation explosaient à une trentaine de mètres à peine
des troupes américaines, au point qu’il leur était possible d’observer les corps des soldats VC
s’empiler les uns sur les autres tout autour du périmètre défensif. À un point culminant,
l’intensité et la violence des bombardements était telle que les Viêt-Cong s’enfuirent,
plusieurs allant même jusqu’à se délester de leurs armes afin de pouvoir s’extraire au plus
vite de la zone d’abattage.95 Les Américains ont alors enclenché une contre-attaque pour
poursuivre le Viêt-Cong qui tomba dans une nouvelle zone d’abattage de l’artillerie et de
l’aviation américaine qui avait même mis des B-52 à contribution. À 8 heures du matin, le
périmètre défensif était sécurisé. Une fois la bataille terminée, les Américains ont dénombré
un total de 491 morts VC, uniquement au cœur de leur périmètre défensif. Au total, 609
communistes ont été tués au cours de la bataille d’Ap Gu. Les Américains, pour leur part, ont
perdu 17 soldats, 102 autres ont été blessés. Un total de 15,000 obus d’artillerie américaine
a criblé le périmètre. Pour sa part, l’aviation a effectué 103 sorties et a largué plus de 100
tonnes de bombes autour de la zone défensive américaine.96
Ces combats de la phase 2 de JUNCTION CITY ont fait office de prélude à une phase
3 ayant pour objectif de sécuriser ce qui subsistait de la War Zone C, tâche qui a duré environ
trois semaines. Néanmoins, les survivants du VC sont demeurés introuvables. De petites
poches de résistance ont provoqué quelques escarmouches mais rien qui pouvait se comparer
aux violents combats de la phase 2. De nombreux bunkers et structures insurgés ont été
localisés et détruits. À ce stade de l’opération, l’essentiel des pertes américaines a été la
résultante de pièges et de mines posés par les VC. Il semblait que ces derniers avaient
vraisemblablement abandonné la War Zone C. JUNCTION CITY a officiellement prit fin à
minuit le 14 mai 1967. Lors de la bataille, tous les régiments de la 9e Division VC ont été
impliqués dans les combats. Un total de 2728 soldats communistes a péri pendant l’opération.
139 VC ont choisi la défection et 34 autres ont été faits prisonniers. Une centaine d’armes de
haut calibre, 491 armes individuelles ainsi que des milliers de cartouches, grenades et mines
ont été saisies. Plus de 5000 bunkers et structures militaires ont été détruits et 800 tonnes de
riz confisquées. Le renseignement américain put également mettre le grappin sur près d’un
95 Department of the Army. Lieutenant Bernard William Roger, Department of the Army Vietnam Studies.
Cedar Falls-Junction City: A Turning Point, op. cit., p. 145-146. 96 Ibid., p. 146-148.
129
demi-million de pages de documents communistes. Du côté américain, on dénombra un total
de 282 morts et 1576 blessés. Côté matériel, les pertes se chiffraient à trois chars, 21 blindés
M-113, quatre hélicoptères et cinq canons d’artillerie.97 En général, JUNCTION CITY et la
perte de la War Zone C ont fait très mal à l’insurrection VC. Le COSVN s’est vu forcé de
relocaliser sa base d’opération au Cambodge, une complication quant au contrôle des
opérations de guérilla dans la RVN. La perte de nombreux documents a également beaucoup
nui à l’insurrection; les informations qu’ils recelaient étaient très sensibles et révélatrices
d’une manne d’informations classifiées qui sont tombées dans les mains des analystes
américains du renseignement. Ces documents renfermaient notamment des listes d’effectifs,
des ordres de batailles, la localisation de bases d’opérations et autres détails pouvant mieux
cibler les opérations du VC dans le secteur de l’Iron Triangle. L’insurrection a aussi perdu
une grande partie de ses infrastructures de même qu’un imposant réseau de communication
qui leur donnait accès au centre de la RVN dans III Corps et à la région de Saigon. Cette
situation a contraint le commandement VC à conceptualiser de nouveaux plans d’actions qui
ont retardé considérablement la conduite des opérations insurgées dans la campagne sud-
vietnamienne.98
Néanmoins, les Américains ne sont jamais parvenus à détruire le COSVN. Ce dernier
a perdu sa base d’opération mais ses leaders et l’infrastructure politique de l’organisation
sont parvenus à s’enfuir au Cambodge malgré les nombreux cordons de sécurité des Forces
américaines. Un des commandants américains de l’opération, le général John H. Hay, a
souligné que cet échec résultait de plusieurs facteurs. D’abord, la proximité du sanctuaire
personnifié par le Cambodge était très avantageuse pour les leaders du COSVN. Également,
le général Hay a spécifié qu’établir un cordon de sécurité complètement étanche avec
suffisamment de troupes dans une jungle aussi dense constituait une « difficulté extrême ».
De plus, le déploiement initial des troupes américaines qui a précédé l’offensive dans la War
Zone C n’a pas échappé à l’attention du VC. Dans ces conditions, il a été difficile pour les
Américains de bénéficier de l’effet de surprise espéré pour surprendre le COSVN.99
Toutefois, les Américains ont eu la présence d’esprit de ne pas répéter les erreurs commises
dans l’Iron Triangle à la suite de l’opération : bien qu’il n’y ait point de villageois dans le
97 Ibid., p. 149, 151. 98 Ibid., p. 151. 99 Ibid., p. 151-153.
130
secteur, des troupes statiques sont demeurées dans la War Zone C. Côté infrastructure, trois
pistes d’atterrissage pouvant accueillir des C-130 Hercules ont été construites dans la zone;
on bâtit un pont pour faciliter l’accès au secteur et des zones d’atterrissage pour hélicoptères
ont été développées. Côté troupes, on a construit deux bases pour déployer en permanence
des forces spéciales et des forces paramilitaires sud-vietnamiennes. Ces initiatives ont
contribué à dissuader le retour du COSVN dans le secteur. De ne pas initier les mêmes
initiatives dans l’Iron Triangle a pour sa part facilité le retour du VC dans cette zone. Des
documents communistes ainsi que des transfuges VC ont confirmé que JUNCTION CITY a
pris le visage d’un véritable « désastre » pour leurs forces. À la lumière des pertes encaissées,
JUNCTION CITY aurait convaincu le COSVN que persister à baser des forces régulières
aussi près des bassins de population constituait de la folie. À partir de ce moment, les
éléments communistes devaient maximiser l’exploitation de leurs bases d’opérations
localisées au Cambodge, à l’abri des forces terrestres américaines.100
2.1.3. Opération APACHE SNOW : la bataille pour l’Hill 937 (Hamburger Hill)
L’opération offensive qui visait à ravir l’Hill 937 au NVA a fait couler beaucoup
d’encre en plus d’entrer dans l’histoire comme l’une des batailles les plus violentes de la
guerre du Vietnam. Cette opération a reçu l’approbation du successeur de Westmoreland : le
général Creighton Abrams.101 L’Hill 937 était sise au nord d’I Corps dans le secteur de la
Vallée de l’A Shau, à proximité de la frontière laotienne. APACHE SNOW, une opération
multi-régimentaire qui impliquait des unités de la 3rd Marine Division, de la 101st Airborne
Division et de la 1ère Division de l’ARVN, a connu ses prémices en mai 1969, plus d’un an
après l’offensive du Têt. Pour leur part, les Marines ont déployé deux bataillons dans la vallée
du Da Krong au nord-ouest de la vallée de l’A Shau pour mener à bien leur mission : bloquer
les lignes de communication du NVA vers le Laos. De son côté, la 101st Airborne et l’ARVN
100 Ibid., p. 153. 101 Lewis Sorley, Vietnam Chronicles The Abrams Tapes 1968-1972, Lubbock, Texas Tech University Press,
2004, p. xviii. Creighton Abrams était un officier éduqué à West Point qui gradua la même année que
Westmoreland en 1936. Abrams a servi au sein du 4th Armored Division lors de la Deuxième Guerre mondiale.
Le bataillon de char qu’il commandait a souvent constitué l’avant-garde de la 3e Armée du général George S.
Patton. Le char de combat américain M1 Abrams, qui constitue encore le fer de lance des régiments blindés
américains au 21e siècle, a été baptisé en l’honneur du général Creighton Abrams. Nous verrons au chapitre 4
qu’il était un fervent défenseur des principes de contre-insurrection et de guerre hybride.
131
ont respectivement déployé quatre bataillons dans la Vallée de l’A Shau avec pour rôle de
sécuriser l’Hill 937 (voir la figure 14).102
Figure 14: Zone d’opération d’APACHE SNOW103
L’importance militaro-tactique et opérationnelle de l’Hill 937 n’était pas négligeable.
Deux bataillons du NVA dominaient le secteur de l’A Shau, entravant ainsi la capacité des
Forces américaines et sud-vietnamiennes à bloquer les points d’accès de la RVN en
provenance du Laos. Une profusion de renforts du VC et du NVA, ainsi que de
l’approvisionnement logistique passaient par le secteur de l’A Shau, ce qui en faisait un
terrain clé pour les unités communistes.104 De plus, les Américains craignaient qu’en laissant
ce terrain stratégique aux mains du NVA, les éléments communistes fortifieraient leur
102 Richard M. Nixon National Security Files, 1969-1974, Vietnam: Subject Files, Section A. Hamburger Hill
(Hill 937), May 21-June 18, 1969/Memorandum for the President, College Park, Richard M. Nixon
Presidential Materials Project, National Archives, Box 67, p. 1. 103 Ibid. 104 Ibid.
132
présence militaire dans la région, ce qui pouvait potentiellement faciliter la conduite
d’offensives contre les villes de Hue, Quang Tri et d’autres centres urbains disséminés le
long de la côte.105 Dans ces conditions, l’opération initiée par le MACV pour ravir la zone
aux forces régulières de l’Armée nord-vietnamienne possédait, à tout point de vue, un
caractère militairement justifiable. Les bataillons communistes stationnés sur l'Hill 937
faisaient partie du 29e Régiment du NVA, aussi connu sous le nom de « la fierté d’Ho Chi
Minh ». Les bataillons du NVA y avaient érigé des positions défensives complexes formées
de bunkers fortifiés, de tranchées et de réseaux souterrains faisant office de protection pour
les troupes d’infanterie contre les frappes aériennes américaines.106 Le NVA se trouvait très
avantagé par ses positions défensives positionnées en hauteur au cœur de l’Hill 937 et de la
montagne d’Ap Bia sise au sud d’Hamburger Hill. Cette particularité du système défensif
avantageait les soldats nord-vietnamiens d’un atout tactique inestimable contre un adversaire
forcé de gravir la colline dans le but de la sécuriser. Pour capturer Hamburger Hill, les soldats
de la 101st Airborne allaient devoir sécuriser une succession de places fortes disposées en
hauteur, tout en se faisant marteler par le mortier, les roquettes RPG-2 (rocket-propelled
grenade)107 les mitrailleuses lourdes et les armes légères du 29e Régiment du NVA.
L’offensive a débuté le 9 mai avec un violent tir de barrage de l’artillerie américaine,
succédé d’une cascade de frappes aériennes de l’aviation sur les positions nord-
vietnamiennes. Au cours de cette phase initiale, l’artillerie a pilonné l’Hill 937 d’un total de
21,732 obus. Pour leur part, les chasseurs américains ont effectué 272 sorties et ont lâché
plus d’un million de livres de bombes sur la position, incluant du napalm et des bombes de
type bunker buster. Ce type de bombes était conçu pour exploser quelques secondes après la
pénétration de l’engin dans les bunkers et les tunnels du NVA.108 Lorsque l’infanterie de la
101st Airborne enclencha son offensive le 10 mai, elle s’est vue appuyée par un tir constant
de mortiers et des assauts répétitifs des hélicoptères gunship. Ces forces héliportées ont
également utilisé leurs hauts parleurs pour inciter les soldats du NVA à se rendre, une
105 Kelly Owen Carl Boian, Major General Melvin Zais and Hamburger Hill, Fort Leavenworth, School of
Advanced Military Studies, 2012, p. 27. 106 Ibid. 107 Le RPG-2 est un lance-roquette antichar portatif manufacturé en URSS au cours des années 1950. Son
successeur, le RPG-7, a également été utilisé par les communistes au Vietnam et est encore abondamment
exploité par plusieurs armées et groupes terroristes au 21e siècle. 108 Richard M. Nixon National Security Files, op. cit., p. 2.
133
initiative qui est demeurée sans effets sur les soldats ennemis ciblés par cette stratégie. Les
Forces américaines et de l’ARVN entourèrent Hamburger Hill pour l’attaquer sur de
multiples fronts.109 Puis, les éléments américains ont assailli les parties nord, sud et sud-ouest
de la montagne pendant que l’ARVN se ruait à l’assaut des parties sud-est et nord-est.110 De
leur côté, les Nord-Vietnamiens sont parvenus à déployer des renforts en provenance du
Laos, et ce, malgré les opérations d’interdiction des Marines. Lors de leurs assauts, les
Américains et Sud-Vietnamiens se sont vus constamment embusqués par les soldats du NVA
camouflés et tapis dans leurs positions défensives. Les assaillants se faisaient pilonner par
les Ak-47, les grenades et les RPG-2 des forces de défense qui exploitaient également leurs
mortiers. À maintes reprises, il s’est avéré nécessaire de faire appel à de l’appui aérien
supplémentaire venant des hélicoptères et des chasseurs ainsi qu’à des tirs d’artillerie pour
assister l’infanterie américaine et sud-vietnamienne.111
L’escalade était fort difficile pour les Américains forcés de manœuvrer sur le terrain
pentu, embroussaillé d’un fouillis touffu de branches de bambou et d’une végétation
constituée entre autres de hautes pousses d’herbe d’éléphant. Ces obstacles naturels
contribuaient à immobiliser les Américains dont les pertes s’accumulaient rapidement. Au fil
de la bataille, les troupes tentaient de manœuvrer en déployant des ingénieurs chargés de
créer une zone d’atterrissage pour les hélicoptères afin d’évacuer les blessés. Néanmoins,
compte tenu de l’intensité du tir des forces de défense, les ingénieurs devaient subir la perte
d’un équipage lors de leur tentative pour créer cette zone d’atterrissage.112 Lorsque le
momentum et les opportunités s’y prêtaient, les forces du NVA, abandonnant leur statut de
force défensive, entreprenaient d’initier des contre-attaques ayant pour objectif de
déstabiliser les unités américaines. Le matin du 13 mai, une base d’artillerie défendue par
une compagnie d’infanterie américaine s’est faite encerclée par deux bataillons du NVA
109 Ibid., p. 2. 110 Department of the Army Headquarters, XXIV Corps, Combat Operations After Action Report (RCS: MAC
53-32) (KI), 27 August 1969, San Francisco, Department of the Army. 111 Department of the Army Headquarters 2nd Battalion (AM) 501st Airborne Infantry 2nd Brigade 101st
Airborne Division, Combat Operation After Action Report, Operations Apache Snow, 22 June 1969, San
Francisco, Department of the Army, 1969. Voir aussi 22nd Military History Detachment, Narrative of
Operation “Apache Snow” 101st Airborne Division, 1969, p. 4, 6. 112 22nd Military History Detachment, Narrative of Operation “Apache Snow” 101st Airborne Division, 1969,
p. 6-7.
134
appuyés par des tirs de mortier et de RPG-2. À la suite de violents combats, les Américains
sont parvenus à repousser les communistes qui ont encaissé la perte de 40 de leurs soldats.
Pour leur part, les Forces américaines ont perdu 22 soldats et ont dénombré 61 blessés, en
plus d’avoir cinq de leurs canons d’artillerie neutralisés.113Cette initiative offensive du NVA
est typique de ce qu’une force militaire conventionnelle cherchera à exécuter lorsqu’elle se
trouve en position défensive. Le statut de défense se doit d’être temporaire; le but consistera
toujours à chercher à ressaisir l’initiative, puis de passer à l’offensive. De plus, en agissant
de la sorte, le NVA a perturbé (bien que légèrement) la capacité des Américains à bénéficier
de l’appui d’une partie de leur artillerie. Le 14 mai, trois compagnies américaines se sont
approchées du complexe défensif d’Ap Gia, puis y ont exécuté une série de manœuvres de
feu et mouvements, renforcés par l’appui de leur artillerie et de l’aviation. Le NVA riposta,
ne ménageant pas son tir et maximisant l’emploi de ses armes automatiques et RPG-2. À
15h00, une des compagnies a rapporté que deux de ses sections avaient atteint le sommet
d’Ap Gia.
Néanmoins, les pertes américaines étaient telles qu’ils n’ont eu d’autre choix que de
se replier pour évacuer leurs blessés. Le 15 mai, les Forces américaines persistaient dans leur
progression pour s’emparer de l’Hill 937 et Ap Gia. Lors de cette journée, toutes les unités
américaines se sont vues confrontées à de très violents contacts avec les forces défensives du
NVA. Les pertes américaines continuant de s’accumuler, une compagnie a dû se résoudre à
demander l’appui aérien d’hélicoptères de combat. Toutefois, mésinterprétant la situation au
sol, les pilotes ont lancé leurs roquettes sur les troupes américaines plutôt que sur le NVA.114
Dans la confusion des combats, ce type d’incident, surnommé « friendly fire » par les
Américains, se produisait malheureusement de façon régulière. Pendant la bataille
d’Hamburger Hill, les hélicoptères de combat américains ont fait feu à cinq occasions sur
leurs propres troupes.115 Pour ralentir la charge américaine, le NVA avait pré-positionné des
mines Claymore116 et des explosifs (pouvant être détonnés à distance) sur les pentes menant
113 Ibid., p. 8-9. 114 Ibid., p. 9-11. 115 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 391. 116 La Claymore est une mine anti-personnel manufacturée aux États-Unis depuis les années 1960. Lors de la
guerre, les communistes créèrent des copies de la Claymore. Cette dernière, détonnée à distance manuellement,
est de forme rectangulaire et contient plusieurs centaines de billes d’acier pouvant être projetées jusqu’à 100
mètres de distance au cœur d’un arc avoisinant les 60 degrés. Cette mine, très utile lors de la conduite
d’embuscades, est encore abondamment utilisée par diverses forces armées au 21e siècle.
135
à leurs positions défensives. Pour les Américains, force leur a été de constater à quel point le
système défensif du NVA avait été savamment préparé. Les bunkers nord-vietnamiens
disposés en rangées concentriques maximisaient l’avantage offert par le terrain montagneux
de l’Hill 937. Les troupes américaines éprouvaient également énormément de difficulté à
repérer les bunkers minutieusement camouflés par leurs occupants. À de nombreuses
reprises, le combat prit l’allure d’affrontements au corps à corps et les Américains, payant le
tribut de plusieurs morts et blessés, avançaient de bunker en bunker, infligeant eux-mêmes
des pertes sévères au NVA. Les combats des jours subséquents ont ragé tout aussi
violemment et devaient nécessiter, une fois de plus, le tir constant de l’artillerie et de
l’aviation. Ces bombardements ne paraissaient pas causer souci au NVA qui se catapultait
hors de ses bunkers dès l’accalmie des frappes aériennes et du tir de l’artillerie.117 Le 17 mai,
les Américains s’apprêtaient à saisir le sommet de l’Hill 937. Des compagnies américaines
se sont déployées à l’ouest des retranchements défensifs du NVA pour établir une base de
feu avec du tir de mitrailleuses lourdes et des canons de 90mm. L’assaut du complexe
défensif allait être exécuté par trois autres compagnies américaines de la 101st Airborne.
Fidèles à leurs procédures, les Américains ont fait précéder l’assaut d’un violent
barrage d’artillerie sur les positions du NVA. Des chasseurs circulaient au-dessus du
périmètre, prêts à appuyer les troupes au sol. À peine l’assaut des trois compagnies
enclenchée, le NVA riposta et un échange de tir cacophonique s’ensuivit. Les opérateurs
radios peinaient à communiquer entre eux tellement le vacarme des explosions et des tirs
était assourdissant. Ultimement, les Américains ont fait usage d’obus à gaz lacrymogène afin
de forcer les soldats nord-vietnamiens à évacuer leurs bunkers. La tactique a fonctionné et a
exposé les soldats du NVA aux tirs américains. Les combats se sont poursuivis et les
Américains continuaient à sécuriser la succession de bunkers de l’Hill 937 et d’Ap Gia. Les
troupes d’assaut ont mis à jour de nouveaux complexes de bunkers dont plusieurs s’étaient
affaissés par suite des frappes aériennes. Des dizaines de corps de soldats nord-vietnamiens
gisaient dans les ruines des positions défensives communistes.118 Alors qu’ils sécurisaient le
secteur, les Américains ont découvert la présence de différents types de bunkers. Certains
plus petits, d’une dimension de 4 pieds par 4 pieds, renforcés avec du bois et bordés de
tranchées latérales étaient percés de meurtrières pour faciliter le tir. Ils ont également trouvé
117 22nd Military History Detachment, op. cit., p. 12-13. 118 Ibid., p. 15-16, 19.
136
d’autres bunkers plus sophistiqués qui servaient à la fois de complexes défensifs renforcés et
de dortoirs. Le 20 mai, les Forces américaines réussirent à saisir la montagne d’Ap Gia pour
enfin neutraliser ce qui subsistait du 29e Régiment du NVA dans cette zone du périmètre de
bataille. On a recensé un total de 630 corps nord-vietnamiens. La fouille du secteur et les
opérations de poursuite des Américains vers le Laos les ont amenés à découvrir d’autres
bunkers et complexes défensifs qu’ils se sont assurés de détruire. La fouille des secteurs
adjacents a aussi permis de mettre la main sur de larges dépôts d’armes et de munitions.119
Les opérations de search and destroy se sont poursuivies jusqu’au 7 juin, mais, à compter de
ce moment, le NVA paraissait perdre son intérêt dans la poursuite de la bataille et les contacts
sont devenus très sporadiques. Cette même journée, une fois Hamburger Hill sécurisé,
l’Opération APACHE SNOW tira à sa fin.120
Il a fallu un total de 11 jours aux compagnies d’infanterie de la 101st Airborne pour
sécuriser la montagne d’Hamburger Hill, 10 assauts ont été repoussés par le NVA avant que
ses soldats se résignent à abandonner le secteur. Lorsque les Américains ont enfin atteint le
sommet, ils ont trouvé les derniers bunkers désertés; ce qui restait du 29e Régiment du NVA
s’était faufilé à l’arrière de la montagne pour trouver refuge au Laos.121 Plus de 1000 soldats
nord-vietnamiens ont été tués lors de l’opération. Les Américains, pour leur part, ont compté
plus de 500 blessés dans leurs rangs et déploré la mort d’une centaine de soldats. Soixante-
douze de ces soldats ont perdu la vie au moment de la prise d’Hamburger Hill.122 Aussitôt la
montagne sécurisée par les Américains, ces derniers l’ont abandonné et ont redéployé leurs
troupes autre part. Un mois plus tard, sans la moindre interférence, le NVA reprenait
possession d’Hamburger Hill et de ses positions défensives.123
2.1.4. L’introspection des batailles conventionnelles : l’aspect militaro-tactique
L’analyse des opérations CEDAR FALLS, JUNCTION CITY et APACHE SNOW
révèle plusieurs faits tactiques, opérationnels et stratégiques importants. Tout d’abord, ces
opérations ont démontré la nature quasi conventionnelle d’une portion considérable des
opérations militaires communistes au Vietnam. Comme nous en avons fait mention
119 Ibid., p. 23-25. 120 Ibid., p. 27. 121 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 391, 393. 122 Richard M. Nixon National Security Files, op. cit., p. 2. 123 Stanley Karnow, Vietnam A History, New York, Penguin Books, 1985, p. 601.
137
précédemment, une quantité d’historiens ont prétendu que la guerre du Vietnam était un
conflit d’insurrection qui nécessitait avant tout de la « contre-guérilla ». Pourtant, en aucune
façon des opérations de contre-guérilla n’auraient préparé les soldats américains à la violence
des combats qu’ils ont rencontré lors de ces trois opérations. De la COIN n’aurait nullement
permis à l’infanterie américaine de sécuriser une série de places fortes défensives qui, en fait
de structure et de complexité, avaient peu à envier aux positions prises d’assaut par les
Marines lors de la guerre du Pacifique. Enfin, des préceptes contre-insurrectionnels
n’auraient nullement aidé l’US Army à repousser les offensives structurées du VC et du NVA
qui ont maximisé l’emploi de doctrines conventionnelles classiques lors de l’attaque des
positions défensives américaines. D’une perspective militaro-opérationnelle, le
commandement américain aurait fait preuve d’un manque de jugement sans précédent s’il
avait décidé d’ignorer ces bases d’opérations afin de se concentrer à pratiquer uniquement de
la contre-insurrection. Un tel cours d’action aurait outrageusement facilité la capacité et la
liberté d’action des unités communistes dans toute la RVN et résulté, à plus d’une occasion,
en une succession d’offensives similaires à celles du Têt ou du mini-Têt. Dans ces conditions,
le MACV se devait de prendre la responsabilité d’initier ces opérations de nature
conventionnelle.
Avant l’offensive sur l’Iron Triangle, le renseignement américain détenait des
informations qui situaient le 272e Régiment VC, les 1er et 7e Bataillon de la Région militaire
4, de même que des bataillons locaux dans la zone d’opération. Ajoutons à cela la présence
des 2e, 3e et 8e Bataillon du 165e Régiment VC. Bien que ces unités aient décidé, pour la
plupart, de ne pas engager le combat contre les Américains, leur seule présence dans le
secteur nécessita la planification et l’exécution d’un plan d’action en respect des bases d’une
doctrine militaire conventionnelle classique. Lors de JUNCTION CITY, la mission des
Américains consistait à localiser et neutraliser le COSVN, protégé par le 101e Régiment du
NVA et la 9e Division VC qui comptait une unité d’élite du Viêt-Cong; le 272 Régiment VC.
D’une part, s’il a été possible pour le renseignement américain de localiser la base
d’opération du COSVN dans la War Zone C, il s’avérait logique et impératif pour le MACV
d’initier une offensive majeure pour chercher à neutraliser le QG du Viêt-Cong. D’autre part,
considérant les unités communistes déployées dans le secteur pour protéger le COSVN,
l’emploi de multiples bataillons d’infanterie, d’artillerie et blindés américains prit tout son
sens. Les doctrines conventionnelles utilisées par l’US Army visant à sceller la zone et
138
coincer l’adversaire en tenaille (hammer and anvil) constituaient la meilleure option tactique
offerte pour neutraliser la force hostile opérant dans la War Zone C. Lors d’APACHE
SNOW, plusieurs bataillons du NVA étaient déployés au sein de positions défensives
structurées sur les collines de l’Hill 937 et d’Ap Gia; donc, à cette occasion, il a été tout aussi
fondamental d’exploiter un processus offensif basé sur les préceptes d’une guerre
conventionnelle. Globalement, les forces présentes lors de ces trois opérations ne consistaient
aucunement en de petits groupes d’insurgés locaux opérant au sein d’hameaux ou de villages.
Lors de ces affrontements, les effectifs communistes étaient multiples, motivés, très bien
équipés et leurs dispositifs défensifs construits et conçus pour repousser des assauts
conventionnels de troupes d’infanterie. Les Américains, rappelons-le, ont débusqué et détruit
un total d’environ 1000 bunkers et un réseau souterrain de 525 tunnels dans l’Iron Triangle.
En moins de deux semaines, les Forces américaines avaient déjà localisé neuf kilomètres de
tunnels, 200 bunkers et 500 mètres de tranchées dans ce seul secteur. À l’est de la zone, le
503rd Infantry a fait la découverte d’un camp de base triangulaire mesurant 100 mètres de
chaque côté. À l’intérieur du périmètre, les Américains ont découvert la présence de 55
bunkers, tous interconnectés par des tranchées. Comme pendant la guerre du Pacifique, à
plusieurs occasions, les soldats américains ont dû employer des lance-flammes pour
neutraliser les VC des bunkers.124
Toujours dans l’Iron Triangle, l’USAF et l’artillerie ont bombardé un gigantesque
complexe de bunkers subséquemment sécurisé par l’infanterie qui devait y découvrir un
réseau défensif de bunkers en béton construits au-dessus de trois étages de souterrains
interreliant chacun des bunkers. Des pièges, des obstacles, des explosifs, des mines Claymore
et une force VC équipée d’armes automatiques de haut calibre protégeaient le complexe
défensif.125 Au cœur des bunkers et de leurs positions défensives, les communistes avaient
également à leur disposition des armes antichars, incluant des RPG-2 et des canons sans
recul. À ce dispositif élaboré se rajoutait des mines classiques disposées autour de la position
défensive. Le VC et le NVA ont souvent privilégié le développement de positions défensives
renforcées et complexes pour conduire leurs opérations de défense et de protection de la
force. L’Iron Triangle ne faisait pas exception à cette règle avec sa série de fortifications
124 173rd Airborne Brigade, op. cit., p. 10, 24, 166, 187. 125 Ibid., p. 185.
139
sophistiquées construites en béton. Un officier américain qui a participé à l’opération
CEDAR FALLS déclara :
In the Iron Triangle, I have seen reinforced concrete pill boxes with heavy
machineguns mounted on rails. The machinegun could be easily moved on
its tracks to fire from any point along the thirty foot aperture. These
particular positions were also supported by tactical wire and antipersonnel
minefields.126
Cette simple description s’accorde en partie à l’élaboration d’une position défensive
complexe. Plusieurs bunkers fortifiés abritant des mitrailleuses lourdes seront disposés de
manière à immobiliser les attaquants et à les forcer dans une zone d’abattage ou un champ
de mines qui favorisera la neutralisation de l’offensive ennemie. Par sa complexité, sa
disposition et son architecture, le complexe défensif communiste de l’Iron Triangle ne
laissait aucun doute sur le type de combat destiné à y être exploité. Le complexe de l’Hill
937 constituait également un exemple probant de position défensive renforcée conçue pour
de la guerre conventionnelle classique. Nous avons été à même de constater à quel point le
NVA profitait de l’avantage offert par le terrain montagneux d’Hamburger Hill pour ériger
ses positions défensives concentriques. L’Hill 937 et la montagne d’Ap Gia étaient truffés de
bunkers, de places fortes, de tranchées et de réseaux souterrains camouflés qui, par moments,
ont résisté aux frappes aériennes de l’USAF. La disposition du réseau défensif du NVA a
forcé les Américains et Sud-Vietnamiens à effectuer une succession d’assauts frontaux sur
360 degrés autour de la montagne.
Lors de la pratique de guerre conventionnelle, un assaut frontal est une des tactiques
causant le plus de pertes et d’attrition aux forces offensives. Le NVA a maximisé les effets
de cette particularité tactique et conventionnelle par l’élaboration complexe de son système
de défense. Qui plus est, lorsque l’opportunité lui en a été offerte, le NVA n’a pas hésité à
abandonner temporairement son statut de force en défense pour passer à l’offensive dans le
but de neutraliser des pièces d’artillerie américaine. Ces actions de contre-attaque sont
typiques d’une doctrine défensive conventionnelle moderne. À titre comparatif, l’analyse des
confrontations qui ont opposé les Marines aux Japonais dans le Pacifique montre à quel point
la doctrine de défense conventionnelle du NVA et du VC affichait de fortes similitudes avec
celle de l’Armée nipponne. Par exemple, lors de la bataille d’Okinawa, les Marines se sont
126 McCoy, op. cit., p. 189.
140
trouvés confrontés aux positions défensives du général Mitsuru Ushijima dont le complexe
défensif était composé de bunkers et d’un réseau de tranchées savamment positionnés. La
disposition en hauteur du secteur défensif donnait sans conteste l’avantage du terrain aux
Japonais qui ont forcé les Marines à initier des assauts frontaux. Les Japonais avaient pris
soin de poser des mines et des obstacles, rendant ainsi les Marines extrêmement vulnérables
aux tirs de mitrailleuses des bunkers ainsi qu’aux tirs d’artillerie d’Ushijima.127 En bref,
APACHE SNOW et CEDAR FALL ont démontré à quel point les éléments de combat
communistes constituaient une force militaire montrant volonté et capacité d’exploiter les
bases d’une doctrine de défense classique. Cette dernière n’était pas en accord avec des
principes de guérilla mais s’apparentait plutôt à une logique de guerre conventionnelle. Un
constat similaire s’impose lorsque l’on analyse JUNCTION CITY et les opérations de nature
offensive du VC lors de la phase 2 de l’opération. Les batailles d’Ap Bau Bang, de Suoi Trei
et d’Ap Gu ont vu les forces communistes exploiter des doctrines offensives qui ne
s’accordaient en rien aux tactiques d’embuscades et de hit and run caractéristiques d’une
guérilla. Lors d’Ap Bau Bang, le VC a confronté les forces d’infanterie mécanisées
américaines en exploitant du mortier et en les attaquant sur de multiples fronts.
Ce faisant, ils ont imité la doctrine classique des Américains consistant à coincer son
adversaire dans un étau (hammer and anvil). Le VC est même allé jusqu’à établir une base
de feu pour appuyer les troupes d’assaut, une tactique militaire classique encore exploitée
aujourd’hui au sein des armées modernes. Lors de la bataille de Suoi Trei, le VC a fait
précéder son assaut d’un barrage massif de tirs de mortier, succédé d’une brillante manœuvre
d’encerclement visant à attaquer l’adversaire sur tous les fronts. À bien des égards, la
disposition des forces et le type d’assaut offensif des communistes à Suoi Trei s’apparentaient
à une version considérablement miniaturisée de la bataille de Khe Sanh lors de l’offensive
du Têt ou de Dien Bien Phu contre les Français. L’encerclement complet d’une force adverse
dans le but de l’annihiler est également une forme d’offensive conventionnelle classique que
l’on retrouvera dans la majorité des livres de doctrines tactiques. Lors de la bataille d’Ap Gu,
le VC a également fait précéder son assaut sur LZ George d’un tir intense de mortier suivi
d’un enchaînement d’assauts et de manœuvres de diversion pour faciliter l’assaut principal à
l’est de la position. À l’image de la bataille de Khe Sanh, la puissance aérienne de l’USAF a
127 Max Hastings, Nemesis The Battle for Japan, 1944-1945, Londres, Harper Perennial, 2007, p. 409.
141
empêché le périmètre américain d’être submergé par les assauts répétitifs du Viêt-Cong.
Lorsqu’il s’avère nécessaire pour une force en détresse d’avoir recours à la fois à des
hélicoptères de combat, des chasseurs et des B-52 pour éviter l’annihilation, il est difficile de
concevoir qu’il ne s’agit pas d’un conflit conventionnel. Le même parallèle peut être fait
lorsqu’on analyse la bataille de Khe Sanh au cours de l’offensive du Têt. Non seulement les
Nord-Vietnamiens ont encerclé la base tout en la bombardant au mortier et à l’artillerie, mais
en plus, ils ont effectué des manœuvres classiques de feu et mouvement appuyées par des
chars. Toujours lors du Têt, la prise de la ville de Hue par les régiments NVA et VC a été
rendue possible par le biais d’une manœuvre de double enveloppement qui constitue
également une tactique conventionnelle classique. Ces assauts du NVA et du VC, savamment
planifiés, ont montré que les unités communistes possédaient la capacité d’exploiter leur
infanterie à l’échelle régimentaire lors d’opérations offensives complexes, tout en
coordonnant leurs assauts avec l’appui de chars et du tir indirect de leur mortier et de leur
artillerie. Ces doctrines tactiques offensives sont enseignées à l’Académie militaire de West
Point et s’accordent aux préceptes généraux de guerre conventionnelle conceptualisés par les
Allemands avant l’éclosion de la Blitzkrieg pendant la Deuxième Guerre mondiale.128
Tout ce qui a fait défaut aux Nord-Vietnamiens pour miroiter les doctrines
conventionnelles de leur adversaire américain était une aviation capable d’appuyer leurs
troupes au sol et des hélicoptères. L’ensemble des batailles décrites précédemment ne
constitue qu’un fragment de la totalité des affrontements majeurs des Forces militaires
américaines contre le VC et le NVA au Vietnam. Des situations similaires à celles décrites
ci-haut ont été légion. Nous avons pu constater à quel point les unités militaires américaines
se sont montrées dépendantes de leur artillerie et de leur puissance aérienne pour survivre
aux initiatives offensives du VC et du NVA. Les Américains ont rapidement compris que
l’aspect conventionnel de la guerre ne pouvait être négligé. À cet effet, la première
confrontation qui a opposé l’US Army aux troupes régulières de l’Armée nord-vietnamienne
a été la bataille de la Vallée de Ia Drang. Ce premier contact violent avec le NVA devait
rapidement faire comprendre aux leaders du MACV qu’ils se trouvaient confrontés à une
128 Pour de plus amples renseignements sur les préceptes doctrinaux allemands et l’origine des doctrines
conventionnelles modernes combinant feu, mouvement, artillerie, blindés et infanterie, il est recommandé de
lire le Truppenführung.
142
armée conventionnelle professionnelle apte à rivaliser avec leurs unités de combat. La
bataille de la Vallée de Ia Drang qui a eu lieu à la mi-novembre de 1965, opposa un bataillon
de 450 soldats du 7th Cavalry à une force de 3000 soldats réguliers du NVA.129 Malgré de
continuels tirs de barrages d’artillerie, les compagnies du 7th Cavalry n’ont pas tardé à être
encerclées et quasi submergées par l’infanterie du NVA. Harold Moore, le colonel
commandant du bataillon, n’a eu d’autres alternatives que d’ordonner à son opérateur radio
de transmettre le code Broken Arrow » au QG américain. Ce code signifie qu’une unité
américaine est sur le point d’être annihilée et que tous les éléments aériens doivent
abandonner leur mission originale pour porter assistance à l’unité en détresse.130 Le 7th
Cavalry a survécu au NVA grâce aux bombes et au napalm largués sur leurs positions ce
jour-là. La bataille de Ia Drang a clairement démontré dès le départ aux Américains le genre
de combat que s’apprêtait à lui offrir le NVA. Les combats subséquents à ceux de Ia Drang
n’ont différé en rien, ce qui justifie l’adoption du concept d’opération du MACV. Toutefois,
ce concept d’opération a dû s’accomplir en prenant en considération les facteurs militaro-
hybrides de la guerre.
Bien que justifiées, les opérations militaires conventionnelles ne s’accordaient pas
toutes aux opérations de contre-insurrection et d’interdiction. Ces dernières recelaient la
même importance si les Américains espéraient stabiliser la RVN et éliminer l’influence des
communistes dans les secteurs ruraux. Dans le chapitre 1, nous avons pu voir à quel point il
était important pour les forces de sécurité de laisser des troupes statiques au sein des secteurs
sécurisés par les forces mobiles. Il s’agit là des deux premières phases de la doctrine contre-
insurrectionnelle de Galula. Thompson insistait aussi à maintes reprises sur l’importance de
« sécuriser et tenir » le secteur clé pour empêcher le retour des insurgés. Le général McGarr
qui commandait le MAAG s’accorda très bien à la doctrine de Thompson et du BRIAM qu’il
a aidé à appliquer avec les hameaux stratégiques. Westmoreland lui-même comprenait la
nécessité de laisser des troupes statiques pour couper la population des insurgés après qu’un
secteur ait été sécurisé par les forces conventionnelles. Les directives et les phases
opérationnelles du MACV exposées précédemment ne laissent aucun doute sur la vision du
général américain en cette matière. Néanmoins, les Américains semblent avoir expérimenté
129 Matthew S. Muehlbauer et David J Ulbrich, Ways of War, New York, Routledge, 2014, p. 463-464. 130 Harold G. Moore et Joseph L. Galloway, We Were Soldiers Once…And Young, New York, Harper
Perennial, 1992, p. 8.
143
énormément de difficulté à appliquer sur le terrain ce qu’ils préconisaient dans leurs
directives et leur concept d’opération. CEDAR FALL reflète un bon exemple du problème.
L’Iron Triangle était une base d’opération névralgique pour le Viêt-Cong. En plus d’abriter
un complexe défensif pouvant accueillir plusieurs bataillons du VC, le secteur constituait une
base logistique majeure pour les communistes; on y a confisqué des milliers de tonnes de riz
en plus des armes et des munitions saisies par les Américains. Plutôt que de déployer une
garnison permanente avec les villageois préalablement évacués dans l’Iron Triangle, le
MACV a décidé d’abandonner le secteur qui est devenu un tremplin pour l’offensive du Têt.
Les dirigeants militaires américains croyaient que faire de l’Iron Triangle une zone de
bombardement sans restriction (free fire zone) éloignerait le VC du périmètre. Pourtant, les
troupes communistes ne devaient pas tarder à réoccuper leurs positions défensives ainsi que
le village de Ben Suc et ses nombreux tunnels. Malgré une opération militaire de grande
envergure dans l’Iron Triangle, les communistes ont pu continuer à bénéficier de leur base
d’opération, un facteur qui a facilité la continuité des opérations insurgées dans III Corps.
CEDAR FALLS s’est déroulé en 1967; quelques années d’expérience auraient pu
laisser croire que les Américains auraient appris de leurs erreurs le moment venu d’exécuter
les opérations subséquentes aux offensives de search and destroy. Mais il n’en fut rien.
L’Opération APACHE SNOW conduite en 1969 a connu un dénouement identique avec
l’abandon d’un terrain clé par les Forces américaines. En ne laissant ni garnison, ni base
d’opération avancée pour garder le secteur sécurisé, la porte demeurait grande ouverte au
NVA qui, sans difficulté aucune, se repositionna dans son complexe défensif. Aux États-
Unis, on a sévèrement pointé du doigt les dirigeants militaires américains; le Sénateur
démocrate du Massachusetts, Edward Kennedy, ne ménagea pas ses critiques en qualifiant
l’opération de « folie ».131 Néanmoins, le MACV s’est défendu d’avoir ordonné la prise
d’Hamburger Hill. Le commandant de la 101st Airborne, le général Melvin Zais, a précisé
que l’Hill 937 s’insérait dans sa zone d’opération, et qu’il était de son devoir de l’attaquer, là
où l’ennemi se trouvait. Dans un rapport post-opération, le général Zais souligne:
It is true that Hill 937, as a particular piece of terrain, was of no tactical
significance. However, the fact that the enemy force was located there was
of prime significance. While Allied forces were not oriented on terrain and
131 Lewy, op. cit., p. 144-145.
144
had no mission to seize and hold any particular hill…the enemy had to be
engaged where he was found if the mission was to be accomplished.132
Le général Zais rajouta qu’il était insensé de patrouiller la Vallée de l’A Shau et de
simplement ignorer l’Hill 937. À cet effet, le général précise: « If we just sit, they try to
overrun us. They’d kill us. It’s just a myth that we can pull back and be quiet and everything
will settle down ».133 Tactiquement parlé, le général Zais a très bien résumé la situation et a
raisonné les critiques qui ne comprenaient pas encore à quel adversaire les États-Unis étaient
confrontés. Dans les faits, la prise d’une position défensive comme celle de l’Hill 937 aurait
eu le potentiel de causer beaucoup plus de victimes américaines sans l’appui aérien et
d’artillerie apporté par les chasseurs et les artilleurs américains. On ne peut comparer en rien
la prise d’Hamburger Hill aux événements qui se sont passés lors des batailles de Guadalcanal
et d’Iwo Jima dans le Pacifique. Ces affrontements ont respectivement coûté la vie à plus de
7000 et 6800 Marines. Même en termes de proportions (effectifs en place), les pertes
américaines encaissées lors de ces deux batailles surpassent Hamburger Hill. Néanmoins, la
population américaine était saturée des images non censurées montrant l’agonie des soldats
morts et blessés sur l’Hill 937. Quelle aurait été la réaction du public américain s’il avait été
exposé aux images non censurées des batailles de Guadalcanal et d’Iwo Jima?
L’effet médiatique moderne a joué gros sur la pression exercée sur les dirigeants
militaires américains au cours des années 1960. Pour sa part, la Vallée de l’A Shau était un
terrain géographiquement et militairement stratégique. À cet effet, le général Zais se trompait
(ou omit de le souligner) lorsqu’il a prétendu que l’Hill 937 ne représentait aucune valeur
tactique. Par cette déclaration, il est possible que le général américain cherchait à défendre le
redéploiement de ses parachutistes de la 101st Airborne à l’extérieur de la Vallée de l’A Shau
après la bataille. Ce cours d’action a constitué une grossière erreur tactique qui devait entraîner
d’importantes répercussions opérationnelles avec l’inévitable retour du NVA dans la zone. La
raison fondamentale derrière l’enclenchement de l’opération, rappelons-le, était de scinder les
lignes de communication du NVA qui transitait sur l’Hill 937 afin de passer du Laos à la RVN.
De là, les éléments communistes pouvaient projeter leurs forces et leur logistique militaire
dans l’ensemble d’I Corps.
132 Ibid., p. 145. 133 Geoffrey C. Ward et Ken Burns, op. cit., p. 393.
145
Dans cette optique, Hamburger Hill représentait incontestablement un terrain clé, voire
une zone vitale et devait non seulement être sécurisé, mais également occupé en permanence
par les Forces américaines ou sud-vietnamiennes. En abandonnant le secteur, les Américains
ont contribué à leurs propres malheurs et facilité le concept d’opération hybride des
communistes. La prise de terrains clés ou de zones jugées vitales revêt un caractère essentiel
lors d’un conflit militaire, qu’il soit conventionnel ou insurrectionnel. L’un des défauts les
plus criants de la stratégie du MACV a été de ne pas accorder d’importance à ces fameux
terrains clés et zones vitales. Mais le problème n’en restait pas là. L’accès aux sanctuaires du
Cambodge et du Laos ont rendu futiles les victoires américaines d’APACHE SNOW, CEDAR
FALLS et JUNCTION CITY. Les troupes survivantes du NVA localisées au sommet
d’Hamburger Hill ont réussi à déjouer les Marines chargés d’empêcher leur retraite et ont pu
regagner leur havre de sécurité dans la campagne laotienne. Lorsque le MACV a lancé son
offensive sur l’Iron Triangle lors de l’Opération CEDAR FALLS, les VC, minimisant leurs
contacts avec les Forces américaines, se sont repliés dans leurs bases d’opération au
Cambodge. Lors de l’Opération JUNCTION CITY, le COSVN s’est redéployé au Cambodge
pendant que ses régiments viêt-cong retardaient, par le biais d’assauts répétés, la progression
des Américains dans le secteur de la War Zone C.
Cette tendance à fuir la RVN lorsque les communistes rompaient le contact avec les
Américains connut son origine dès la première bataille entre forces régulières :
immédiatement après la fin du premier affrontement entre le NVA et l’US Army dans la
Vallée de Ia Drang, les soldats nord-vietnamiens sont allés se réfugier au Cambodge.134 Nous
avons évoqué dans le chapitre 1 l’incapacité des Américains à provoquer la dislocation de la
structure synergique du système hybride des communistes. Les forces conventionnelles du
NVA ainsi que l’accès aux bases de ravitaillement et de logistique au Laos et au Cambodge
forment deux des trois sous-systèmes. En n’interdisant pas l’accès de leurs bases de
ravitaillement aux communistes, les batailles d’Hamburger Hill, de l’Iron Triangle, de la War
Zone C et de la Vallée de Ia Drang ont constitué des coups d’épée dans l’eau. S’accrocher à
ce concept d’opération a entraîné le MACV dans une spirale continue qui était destinée à
générer une succession de batailles ne menant à rien. Si les bases d’opération localisées à
l’extérieur de la RVN étaient devenues inaccessibles aux forces communistes, des opérations
134 Lewy, op. cit., p. 57.
146
telles que CEDAR FALLS, JUNCTION CITY et APACHE SNOW auraient entraîné des
répercussions catastrophiques pour les forces communistes en leur bloquant toute
échappatoire. En fait, en interdisant les bases d’opération communistes au Laos et au
Cambodge, il est fort probable que les opérations susmentionnées n’auraient jamais été
enclenchées compte tenu que l’accès à la République du Vietnam, au NVA et aux renforts du
VC, serait devenu sévèrement limité. Ainsi coincées, les dizaines de milliers de troupes
communistes déjà déployées dans la RVN se seraient vues acculées et contraintes de
combattre jusqu’à la fin. L’obstruction de la Piste Ho Chi Minh aurait sévèrement entravé le
réseau logistique et le réapprovisionnement des communistes dans la RVN. Les tentatives
américaines pour enrayer ce sous-système seront décrites avec détails au chapitre 5. Nous
pouvons néanmoins d’ores et déjà constater l’effet opérationnel et tactique résultant de l’accès
des unités communistes aux bases de ravitaillement du Laos et du Cambodge. Le NVA et le
VC ont sabordé le concept de search and destroy du MACV. La chimie ininterrompue des
régiments de l’Armée nord-vietnamienne avec ses bases de réapprovisionnement a eu pour
ultime conséquence l’échec des Américains à isoler et neutraliser le sous-système
conventionnel de la machine de guerre hybride communiste.
2.2. L’équilibre et la synchronisation des opérations conventionnelles et contre-
insurrectionnelles
Bien qu’elles soient nécessaires, les manœuvres conventionnelles de search and
destroy ne pouvaient s’effectuer indépendamment des opérations de contre-insurrection,
notamment lorsque le terrain abritait de la population civile. Précédemment, nous avons été
à même de constater que le concept d’opération du général Westmoreland accordait une place
prépondérante aux opérations de pacification. Néanmoins, le MACV a éprouvé énormément
de difficulté à concilier opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles.
L’Opération CEDAR FALLS apporte un bref aperçu du traitement réservé aux civils le
moment venu de sécuriser une base d’opération du Viêt-Cong. La population évacuée du
périmètre était envoyée dans des secteurs de relocalisation n’ayant rien de semblable aux
hameaux stratégiques de 1963. La stratégie visant à évacuer les civils d’une zone hostile
pour, ultimement, en faire une zone de tir sans restriction devait rapidement devenir très
contre-productive. Tout au long du conflit, ce modus operandi a forcé le déplacement de
147
200,000 à 400,000 villageois.135 Plusieurs d’entre eux n’étant pas en mesure de s’installer
dans un camp de relocalisation se sont vus déplacés dans les villes côtières, à l’est du pays.
Ce rapatriement constituait pour le VC un excellent moyen d’infiltrer les villes. De plus,
l’évacuation des civils loin des zones de bombardements faisait office d’une excellente
source d’indication pour le VC qui pouvait prédéterminer au fil des migrations de la
population où et quand les Américains prévoyaient lancer leurs prochaines opérations
offensives.136 Pour espérer contrer à la fois les opérations conventionnelles et
insurrectionnelles des communistes, le MACV devait chercher à trouver un juste équilibre
dans la conduite de ses opérations au sein des quatre Corps. Dans son étude intitulée
Westmoreland’s War, Gregory Daddis, souligne bien cette particularité. Pour que les efforts
de pacification américaine soient un succès, il aurait fallu que le MACV « équilibre son
approche » lors de sa gestion des problèmes politiques (COIN) et militaires (conventionnel).
Le problème devait faire surface dès 1965 alors que l’Ambassade américaine à Saigon
déplorait « l’efficacité limitée des programmes de pacification » à la suite d’opérations
conventionnelles.
Toujours selon le rapport de l’Ambassade, cette contre-productivité constituait une
des « causes majeures » de l’absence de progrès avec la contre-insurrection.137 Il était très
ardu de concilier les deux types d’opérations et même les Marines ont rencontré des
difficultés au début du conflit. Citons l’exemple du village de Cam Ne, un complexe de six
hameaux localisés au sud-ouest de la base de Danang, où une compagnie d’infanterie
renforcée des Marines a été déployée pour exécuter une mission de search and destroy. Ce
secteur se trouvait depuis longtemps sous le contrôle du VC qui avait renforcé la défense du
village avec des tranchées, des réseaux souterrains, des mines et des pièges. Au cours d’une
tentative d’approche, les Marines ont été la cible d’un tir nourri d’armes automatiques en
provenance du village, ce qui a coûté la vie à trois Américains et en blessa quatre autres.138
Après un violent échange de tirs, les insurgés localisés dans les hameaux se sont repliés. Les
Marines ont sécurisé le village dont plusieurs huttes avaient pris feu pendant les hostilités.
Une fois les villageois rassemblés, les Marines ont incendié ou fait exploser les huttes
135 James Westheider, op. cit., p. 235. 136 Ibid. 137 Gregory A. Daddis, Westmoreland’s War, New York, Oxford University Press, 2014, p. 12. 138 Lewy, op. cit., p. 52.
148
rescapées de l’incendie pour bloquer l’accès aux tunnels et aux réseaux souterrains. Dans une
des huttes utilisées comme poste de tir par le VC, les Marines ont découvert le cadavre d’un
enfant de 10 ans. Beaucoup de civils ont également été blessés lors du combat.139 Tel que
spécifié par l’auteur Guenter Lewy dans America in Vietnam, ce type d’opération de search
and destroy revêtait un caractère « typique » et s’est répété à maintes reprises pendant le
conflit. Une fois le VC implanté dans un village, il ne tardait pas à l’ériger en place fortifiée.
En conséquence, lorsque des combats s’ensuivaient, les civils se retrouvaient coincés au beau
milieu des échanges de tirs entre unités américaines et viêt-cong.140 L’incident de Cam Ne
s’est également vu empiré par un reportage de CBS, exemple typique de la désinformation
trop fréquente pratiquée par plusieurs médias au Vietnam. Morley Safer, un journaliste de
CBS sur place, a fait passer à l’antenne les images des Marines brûlant le village sans faire
aucune référence aux combats qui venaient tout juste de s’y dérouler.
Le journaliste n’a pas plus fait mention de l’embuscade du VC, des morts américains
ni du complexe défensif des insurgés niché au cœur du village de Cam Ne. Il rapporta plutôt
à tort que le VC avait quitté le village « depuis longtemps », que les Marines avaient reçu
l’ordre d’incendier le village et qu’ils ont tué un bébé. Il a ensuite fait porter la caméra sur
les femmes et les enfants en pleurs et devait déclarer: « This is what the war in Vietnam is all
about ». Ce reportage a profondément choqué les gens aux États-Unis et des groupes
pacifistes, comme le Students for a Democratic Society, n’ont pas tardé à comparer les
Marines aux Nazis.141 Il est intéressant de noter qu’un journaliste du Daily News de Chicago,
Keyes Beech, un vétéran militaire de la Deuxième Guerre mondiale, également présent lors
de la bataille de Cam Ne, a confirmé que les Marines s’étaient vus embusqués par des tirs
automatiques en provenance du village qui abritait une centaine de Viêt-Cong. CBS News
n’en a fait nulle mention, escamotant le témoignage de Beech.142 Ce type de reportage de
139 Ibid., p. 52-53. 140 Ibid., p. 53. 141 Coram, op. cit., p. 298-299. Safer était un des premiers journalistes à marquer la communauté américaine
avec son controversé reportage. Malgré le témoignage des Marines et d’un autre journaliste également sur place
(Keyes Beech) qui allait complètement à l’encontre des faits rapportés dans le reportage de Safer, CBS endossa
l’histoire de son journaliste. Tout juste avant l’incident de Cam Ne, Safer a été observé à la base de Danang
passant d’une unité à l’autre cherchant spécifiquement à se joindre à un groupe de Marines se préparant à
effectuer une mission de search and destroy. Son reportage a outragé les Marines qui ont participé au raid de
Cam Ne, de même que le Président Johnson à Washington. 142 Ibid., p. 299.
149
CBS donnait aux opérations de search and destroy une image excessivement négative qui
devait devenir un réel apport à la guerre de l’information des dirigeants communistes. Bien
qu’éthiquement très déplorable de Morley Safer, le problème originel résidait dans la
présence du VC dans le village de Cam Ne. Bien qu’ils en aient été chassés par les Marines,
rien ne faisait obstacle à leur éventuel retour au sein des hameaux. Si les directives du MAVC
avaient été appliquées à la lettre, des forces paramilitaires auraient été installées dans le
village pour le garder mais ce ne fut pas le cas. Une fois celui-ci sécurisé, les Marines n’y
ont pas laissé de troupes pour freiner le retour des insurgés, procéder à une reconstruction et
gagner l’appui de la population civile. Lewy a souligné que les évènements de Cam Ne ont
exposé la « réalité de la guerre de contre-insurrection au Vietnam et les difficultés
rencontrées » le moment venu de faire comprendre au public américain la vraie nature de ce
conflit ».143 Pour sa part, le reportage de Safer n’a rien fait pour arranger la situation. Lewy
associe le manque de sécurité dans les secteurs ruraux comme ceux de Cam Ne aux
déploiements des troupes américaines dans les secteurs isolés pour exécuter les opérations
de search and destroy. Il soulève que ces opérations apportaient très peu de bénéfices à la
sécurité des secteurs peuplés.144
Andrew Krepinevich, Max Boot, Lewis Sorley et de nombreux autres auteurs sont
arrivés à la même conclusion. Le constat de ces auteurs ne prend pas en compte toutes les
variables : il est vrai qu’il s’avérait désavantageux de ne pas laisser plus de troupes statiques
demeurer dans les secteurs ruraux pour assurer la pacification des zones peuplées.
Néanmoins, ces auteurs ne prennent pas en compte les capacités militaires conventionnelles
du NVA ni les larges formations du VC. Nous l’avons mentionné précédemment; si les
troupes américaines auraient suivi à la lettre le plan original proposé par les généraux des
Marines désireux de faire exclusivement de la pacification, les secteurs ruraux se seraient
rapidement fait submerger par des divisions entières de forces communistes. Cette
dynamique sera exposée davantage au sein du prochain chapitre avec les Combined Action
Platoons qui excellaient pour les opérations de COIN mais ont fait montre d’une extrême
vulnérabilité lorsqu’ils étaient confrontés à des assauts conventionnels. À cet effet, il a été
démontré à quel point le NVA et le VC ont fait la preuve de leur compétence et de leur
professionnalisme en matière de guerre conventionnelle. Nous avons également pu constater
143 Lewy, op. cit., p. 53. 144 Ibid.
150
l’ampleur des dépôts logistiques à l’intérieur des bases d’opérations communistes. Ces bases
et cet approvisionnement logistique constituaient tout ce dont le NVA et le VC avaient besoin
pour projeter leurs forces régulières à l’intérieur de la RVN. Cette situation, combinée à celle
de Cam Ne et de multiples autres villages, expose l’importance vitale pour les Forces
américaines et sud-vietnamiennes d’exploiter de manière synchronisée les opérations
conventionnelles et contre-insurrectionnelles. L’emploi combiné de forces paramilitaires et
de CAP montrera dans le chapitre 3 à quel point il était possible d’éviter des incidents comme
ceux de Cam Ne. Le degré de sécurité, de reconnaissance et d’appréciation de la population
dans les Combined Action Platoons étaient tels qu’il aurait été très difficile pour un Morley
Safer de pondre une histoire falsifiée comme celle de Cam Ne. Nous constaterons comment
les villageois appréciaient la présence des Marines au sein des CAP. Toutefois, l’ensemble
du théâtre d’opération ne reflétait pas partout les effets bénéfiques générés par les Combined
Action Platoons. Les Américains ne cessaient de sécuriser et de sécuriser à nouveau plusieurs
secteurs, compte tenu qu’ils avaient négligé auparavant de laisser suffisamment de forces
statiques pour empêcher le retour des insurgés.
La province de Binh Dinh dans II Corps constitue un bel exemple du problème. Afin
de déloger le VC d’un secteur particulier, le MACV a initié en 1966 les Opérations MASHER
(plus tard rebaptisée WHITE WING) et THAYER I/IRVING.145 Ces actions offensives ont
joint des unités américaines, sud-coréennes et l’ARVN. Lors de ces combats, le 1st Cavalry
Division a confronté le Viêt-Cong dans une succession d’opérations de search and destroy
d’une durée de six semaines. Comme à Cam Ne, plusieurs villages métamorphosés en
complexes défensifs VC ont été évacués et détruits. Après avoir sécurisé un secteur dans la
Vallée d’An Lao, les Américains ont avisé la population locale qu’aucune force militaire ne
demeurerait sur place pour leur protection. Néanmoins, ils ont offert aux villageois désireux
de quitter la zone de les relocaliser dans un secteur contrôlé par le GVN. Des 8000 habitants
du secteur, 4500 ayant opté pour quitter les lieux se sont vus escortés par les Américains qui
les ont évacués à bord de leurs hélicoptères.146
145 Ibid. 146 Headquarters Department of the Army Office of the Adjutant General/HQ 1st Cavalry Division, Operation
Report Lessons Learned Report 2-66, 11 March 1966 U.S. Armed Forces in Vietnam, Part 3, Vietnam:
Reports of US Army Operations, Washington D.C. U.S. Army Center for Military History, ProQuest Folder:
003229-001-0075, p. 2.
151
Bien qu’il soit bénéfique de vouloir évacuer la population de la zone si aucune force
statique ne devait rester sur place, 3500 personnes sont tout de même demeurées dans le
village. À la suite du départ des Américains, le VC n’aurait aucune difficulté à réoccuper les
villages de la Vallée d’An Lao et d’exploiter la population qui avait fait le choix de demeurer
dans les hameaux. Un rapport post-opération de MASHER/WHITE WING se targue d’avoir
libéré 140,000 paysans sud-vietnamiens qui sont retombés sous le contrôle du Gouvernement
sud-vietnamien. Le rapport rajoute que tout semblait indiquer que le GVN « avait
l’intention de rétablir un gouvernement civil » dans cette région.147 Il est clair que la
coordination des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles faisait cruellement
défaut lors de cette opération. Abandonner près de la moitié de la population d’un secteur à
l’influence du VC après avoir sécurisé une vallée entière était contraire à toute logique
contre-insurrectionnelle. De plus, ne pas assurer le déploiement immédiat de forces statiques
et d’éléments gouvernementaux pour rétablir la sécurité civile dans les secteurs d’opération
de MASHER/WHITE WING pour donner suite aux combats était une pratique des plus
contre-productive.
Ce procédé n’était en aucun point conforme au concept d’opération établi par
Westmoreland en 1965 et tend à expliquer pourquoi les secteurs sécurisés par les Américains
devaient constamment être sécurisés de nouveau. Bien que les opérations aient entrainé
l’élimination de cinq bataillons communistes dans la Province de Binh Dinh, la sûreté rurale
demeura problématique. En 1966, le GVN n’avait ni les forces ni les capacités requises pour
amorcer les opérations de pacification destinées à succéder aux opérations conventionnelles
américaines.148 Pour remédier au problème, on a éventuellement conçu le CORDS mais
l’organisation n’est pas devenue complètement opérationnelle avant 1967. L’Opération
MASHER/WHITE WING n’est qu’un exemple du problème qu’à fait naître le manque de
synchronisation des opérations : les Opérations MALHEUR et MALHEUR II ont également
démontré le manque total d’équilibre et de symbiose entre les initiatives conventionnelles et
contre-insurrectionnelles des Américains. MALHEUR était une autre opération de search
and destroy qui a eu lieu dans le district de Duc Pho (province de Quang Ngai) en mai 1967.
147 Ibid., p. 3 148 Lewy, op. cit., p. 57-58.
152
MALHEUR était en fait l’une de 15 opérations de search and destroy similaires initiées par
le III MAF et l’U.S. Army dans I Corps149 (voir figure 15).
Figure 15: Opérations majeures de search and destroy du III MAF, Juin 1967150
La surabondance d’activités des communistes dans I Corps au printemps de 1967 incita le
MACV à y déployer Task Force Oregon, formé d’un total de neuf bataillons de l’US Army,
pour y assister les Marines normalement responsables de ce Corps. Ceci devait permettre aux
Marines d’effectuer une série d’autres opérations au nord d’I Corps (voir figure 15).151 Lors
de MALHEUR, des éléments appartenant à la 101st Airborne Division, à la 25th Infantry
149 Records of the U.S. Marine Corps in the Vietnam War, Operations of U.S. Marine Forces, Vietnam, June
1967, Jun 01, 1967 - Jun 30, 1967, Washington, D.C., U.S. Marine Corps Historical Center, ProQuest Folder:
003214-003-0599, p. 24-25. 150 Ibid., p. 25. 151 Records of the U.S. Marine Corps in the Vietnam War, Part 1, Fleet Marine Force, Pacific Command
Histories, 1964-1973, Operations of U.S. Marine Forces, Vietnam, May 1967. Washington D.C., U.S. Marine
Corps Historical Center, ProQuest Folder: 003214-003-0523, p. 7.
153
Division et à la 196th Light Infantry Brigade ont initié des opérations de search and destroy
qui bénéficiaient d’un appui accru des forces aériennes et des canons à haut calibre des
navires de l’US Navy. Près de 400 VC ont été tués, 64 autres capturés. De leur côté, les
Américains ont déploré la mort de 51 soldats.152 Initié le mois de juin suivant, MALHEUR
II a été militairement encore plus productif avec la mort de 488 soldats du NVA et du VC
contre 30 morts américains.153 Ces victoires ont été remportées à un prix fort élevé pour la
paysannerie sud-vietnamienne : l’utilisation extensive d’artillerie navale, de bombes et de
napalm ont eu comme résultat de tuer de nombreux civils et ont causé d’importants
dommages aux secteurs ruraux. Pour tenter de séparer la population des insurgés, les
Américains ont initié des opérations psychologiques qui n’ont pas eu les effets escomptés.
Préalablement aux opérations MALHEUR et MALHEUR II, l’aviation américaine a largué
23 millions de tracts aux paysans. Ces feuillets de propagande exposaient aux villageois
« l’hypocrisie » du VC qui prétendait se soucier de leur bien-être tout en n’hésitant point à
installer ses positions défensives au cœur même des villages. Les tracts accusaient
notamment les VC de lâcheté devant leur refus « d’affronter les forces gouvernementales sur
le champ de bataille » de même que leur tendance à préférer « exploiter des femmes et des
enfants comme boucliers humains ».
Les tracts cherchaient également à inciter les villageois à « refuser les demandes du
VC » et à exprimer aux insurgés leur désir qu’ils aillent plutôt combattre à l’extérieur des
villages. Ces initiatives de guerre psychologique ne devaient connaitre aucun succès.154 Là
n’était pas la façon de séparer la population des insurgés ni d’initier des opérations
psychologiques. Le VC était reconnu pour exploiter des techniques de coercition inhumaines
contre les villageois qui refusaient de se plier à leurs exigences. Bien que l’essai n’ait rien
couté, il était très naïf de la part des Américains d’imaginer que le VC allait simplement plier
bagage parce que les villageois le leur demandaient. Cette manœuvre aurait dépourvu
l’infanterie du Viêt-Cong de sa source de survie et de sa protection en plus d’équivaloir à
demander à l’infanterie américaine de combattre sans son artillerie et son aviation. Bien qu’il
s’agisse d’opérations militaires très délicates, il fallait sécuriser les secteurs ruraux et les
152 Ibid., p. 26. 153 Headquarters Department of the Army, MACOI 1967 Wrap-Up A Year of Progress, Washington D.C.,
U.S. Army Military Institute, p. 21. 154 Lewy, op. cit., p. 69-70.
154
villages en minimisant les dommages aux infrastructures civiles, un fait sur lequel Robert
Thompson et David Galula ont insisté à maintes reprises. Pourtant, en 1962, le MAAG
produit un rapport introspectif qui devait résulter sur le développement de procédures très
précises le moment venu de sécuriser un village. Mis à part les Marines dans I Corps, ces
procédures ont rarement été respectées lors des opérations de search and destroy. D’abord,
le rapport soulignait qu’il fallait déployer un cordon et des forces de blocage autour du village
pour empêcher la retraite des insurgés qui y opéraient.155 L’analyse de multiples rapports
post-opération démontrent que le VC parvenait presque toujours à s’éclipser lors de la prise
d’un village, détail qui trahissait un manque d’effectifs pour effectuer les cordons ou un
déploiement inadéquat des unités américaines autour du village. La phase subséquente
consistait à déployer les troupes d’assaut pour sécuriser le village. Le rapport du MAAG
spécifie qu’on devait effectuer cette démarche avec prudence car la population civile se
trouvait dans le village. Les troupes d’assaut devaient approcher préférablement dans un
rayon de 360 degrés ou à tout le moins, via les accès principaux au village. Les équipes
d’assauts avaient pour consigne de sécuriser le village de façon systématique, hutte par hutte.
Tout Viêt-Cong repéré lors de la sécurisation du village devait être éliminé.156
Les opérations décrites précédemment démontrent à quel point les Forces américaines
ont eu recours à l’artillerie et aux bombardements aussitôt qu’ils étaient engagés dans un
contact contre le VC. En installant leurs positions défensives à l’intérieur des villages, les
Viêt-Cong portaient une grande part de responsabilité en lien avec la mort de civils.
Néanmoins, l’emploi d’artillerie et de bombardements par les Américains devait causer
énormément de pertes au sein de la population. Bien qu’extrêmement dangereux, il était du
devoir des unités américaines de sécuriser les villages en minimisant leur puissance de feu et
en maximisant les principes de combat urbain classique. Ces préceptes visent à sécuriser une
zone bâtie en fouillant chaque maison, tout en exploitant des manœuvres de tirs de couverture
d’armes légères couplées de tactiques de feu et mouvement, si confrontés à une force hostile
dans le village. Bien que les bataillons américains aient semblé utiliser des bribes de cette
technique, ils se sont montrés beaucoup trop dépendants de leur aviation et de leur artillerie.
155 Papers of William C. Westmoreland, #1 (History Backup) 30 Mar 62 – Nov 63 [II] Lessons Learned
Number 25, 13 November 1962, College Park, National Archives, NND 596610, RG# 319, Entry UD 1143,
Box 38. 156 Ibid., p. 6.
155
On convient que de telles armes aient épargné la vie de nombreux soldats américains. En
revanche, elles ont causé la mort de nombreux villageois sud-vietnamiens. Une fois le village
sécurisé, les Américains adoptaient la fâcheuse habitude de quitter la zone habitée. Cette
tendance a entraîné les résultats que l’on connaît avec l’inévitable retour du VC et du NVA
dans les secteurs. À la suite des opérations MALHEUR, aucune troupe ne devait demeurer
sur place; les Américains ont évacué 8885 villageois et ont brûlé les villages pour empêcher
l’accès aux tunnels et aux positions défensives. Ce faisant, ils espéraient également
décourager les villageois de regagner leurs villages,157 ce qui, inévitablement, en faisait à
nouveau des instruments du VC. L’ensemble des opérations de search and destroy initiées
dans la RVN a été effectué selon les mêmes doctrines et paramètres. Ce type de modus
operandi a eu comme conséquence de créer une nuée de plusieurs dizaines de milliers de
réfugiés sud-vietnamiens. À titre d’exemple, dans III Corps, le problème des réfugiés est
devenu très problématique pour les Américains et les Sud-Vietnamiens qui ont récolté le fruit
de leur mauvaise coordination des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles.
Certains villageois se sont vus exilés de force par les éléments militaires américains et sud-
vietnamiens. D’autres ont quitté les secteurs sur une base volontaire afin d’échapper aux
bombardements et aux VC.158
Lorsqu’interrogés, les réfugiés ont qualifié l’aide qui leur avait été apportée de « trop
peu trop tard », en plus d’être distribuée de manière « inéquitable ». Généralement, les
villageois se trouvaient déplacés dans des secteurs inadéquats. La plupart des réfugiés ont
déclaré que les secteurs et les conditions dans lesquels ils se retrouvaient étaient pires que
celles auxquels ils étaient soumis dans leur village.159 Ce qui s’est passé dans le hameau de
Suoi Cat II constitue un exemple probant du problème. Suoi Cat II était localisé dans le
district de Long Thanh, au sein de la province de Bien Hoa dans IV Corps. Un total de 506
habitants répartis au sein de 109 familles peuplait le hameau. Parmi les habitants se trouvaient
150 réfugiés originellement évacués du hameau de Ba Ky localisé dans un secteur à haut
risque. Les Forces militaires américaines ont évacué 138 familles du secteur de cette zone
afin de les relocaliser à Suoi Cat II. Néanmoins, sous prétexte qu’ils « ne pouvaient recevoir »
157 Lewy, op. cit., p. 70. 158 John Paul Vann Papers, Memorandum for Mr. Calhoun, Subject: Refugees in Region III, 2 January 1968,
Carlisle, War College Archives, Box 1, 1968 folder, p. 1. 159 Ibid., p. 2.
156
toutes les familles, le gouvernement de district n’accepta que 21 des familles dans le village;
on dit aux paysans s’étant vu refuser l’accès au village de regagner Ba Ky. Les familles qui
sont restées à Suoi Cat II vivaient dans des conditions beaucoup plus difficiles qu’à Ba Ky.160
Ils se sont fait donner un lopin de terre microscopique pour leurs cultures et bien qu’ils
possédaient des rizières et des terres à Ba Ky, ils n’osaient point y retourner dû aux Viêt-
Cong qui y pullulaient. Les familles peinaient à se dénicher du travail, et si elles en trouvaient,
on les rémunérait avec des salaires de famine insuffisants pour subvenir aux besoins de leurs
proches. Une fois interrogées, ces familles ont déclaré que leur plus cher désir était de
retourner dans leur village d’origine et de bénéficier de la protection permanente de forces
paramilitaires dans leur hameau afin d’assurer leur sécurité et les aider à avoir « une meilleure
vie ».161 Toujours dans la province de Bien Hoa, l’impact des opérations de search and
destroy a affecté le hameau de Cay Da, habité par 1468 habitants répartis au sein de 286
familles. 216 de ces familles étaient composées de paysans anticommunistes qui ont quitté
volontairement leur village situé dans une zone de combat. Leurs conditions de vie dans le
hameau de Cay Da s’apparentaient à celles des villageois de Suoi Cat II. À deux reprises, des
obus américains sont tombés sur leur village pourtant situé dans une zone jugée sécurisée.
Ces incidents ont coûté la vie à un total de 4 enfants, en plus de résulter en l’incendie et la
destruction de plusieurs maisons.162
Ce type d’incident fréquent ne faisait rien pour gagner les paysans sud-vietnamiens à
la cause du GVN et des Américains. Globalement analysée, cette situation expose également
le manque de préparation du MACV et des autorités sud-vietnamiennes qui auraient pu éviter
ces déportations et ce type d’incidents en suivant simplement à la lettre les directives établies
par Westmoreland en 1965. Avec du recul, cette situation nous permet de mieux discerner
l’importance des hameaux stratégiques de Diem avant l’implication militaire américaine.
Bien que le CORDS et les CAP (tel que démontré dans les deux prochains chapitres)
constituaient des exemples à suivre en matière de contre-insurrection américaine, les
doctrines appliquées lors de ces programmes n’ont pas, dès le départ, été parfaitement
uniformisées au sein du théâtre d’opération sud-vietnamien. L’ensemble des opérations
160 Ibid., p. 19. 161 Ibid. 162 Ibid., p. 20.
157
offensives décrites précédemment et la conduite des manœuvres de COIN menées
ultérieurement en sont la preuve vivante. Plusieurs unités américaines se sont entêtées à
coordonner de façon très douteuse leurs opérations de search and destroy avec leurs
opérations de COIN en 1968 et 1969. Dans la province de Quang Ngai, les combats entre le
VC et les Forces américaines devaient décimer des villages entiers occupés par les insurgés.
L’un des hameaux a reçu un total de 648,000 livres de bombes et 2000 obus d’artillerie en
deux jours. Afin que le VC ne puisse le réoccuper à nouveau, les ingénieurs américains ont
par après détruit ce qui subsistait du village. Un total de 2452 civils a été blessé, environ la
moitié d’entre eux par les éléments américains, l’autre moitié par le VC. Environ 15,000
personnes ont perdu leur maison ce qui devait porter le nombre de réfugiés dans la région à
plus de 100,000.163 En décembre 1968, le commandant de la 9th Division, le major-général
Julian J. Ewell, a été choisi pour mener l’Opération de search and destroy SPEEDY
EXPRESS, dans le secteur du Delta du Mékong (IV Corps). Ewell ne croyait pas au principe
de pacification et a fait valoir que la seule façon d’éradiquer le contrôle du VC des secteurs
ruraux était par le biais d’une « force brute ». Le général Ewell a fait signifié à ses colonels
que leurs troupes ne seraient pas exfiltrées des secteurs de combat tant et aussi longtemps
qu’ils ne « tueraient pas un nombre acceptable d’ennemis ».164
Le général américain est même allé jusqu’à établir des quotas. Si ses colonels ne
pouvaient respecter ses quotas minimaux de VC tués, ils devenaient susceptibles d’être
« relevés de leur commandement ».165 Afin d’enlever au Viêt-Cong son contrôle des secteurs
ruraux, Ewell a initié une mission appelée Night Hunter. Son modus operandi se résumait à
déployer des hélicoptères Huey escortés par des hélicoptères gunship Cobras qui
patrouillaient côte à côte les secteurs ruraux du Delta du Mékong à la nuit tombée. Les Huey
étaient équipés d’instruments aptes à détecter les mouvements humains au sol et les tireurs
d’élite à leur bord tiraient des balles traçantes vers les secteurs ou du mouvement au sol était
détecté. Ce manège guidait le tir des pilotes de Cobras qui étaient alors en mesure de diriger
le feu de leur mini-gun et de leurs roquettes sur les présumés Viêt-Cong. De fait, les troupes
héliportées n’avaient aucun moyen de savoir si les Vietnamiens ciblés au sol étaient bel et
bien des VC. S’ils apercevaient les Vietnamiens se mettre à courir à la vue de leurs
163 Ward et Burns, op. cit., p. 356. 164 Ibid. 165 Ben Connable, Embracing the Fog of War, Santa Monica, Rand Corporation, 2012, p. 109.
158
hélicoptères, les Américains assumaient qu’il s’agissait d’insurgés. Un commandant de
peloton du Viêt-Cong a plus tard déclaré que Night Hunter a fait beaucoup plus de victimes
civiles que de VC, ceux-ci ayant tendance à tenir leurs positions. Si les civils fuyaient, c’est
tout bonnement qu’ils avaient peur des hélicoptères. Les Huey et les Cobras ayant détruit
plusieurs villages lors de Night Hunter, on comprendra le réflexe de fuite des civils à la vue
des hélicoptères. Ewell s’est vu gratifier du surnom « the Butcher of the Delta », un sobriquet
qui a rendu le général américain empli de fierté. SPEEDY EXPRESS aurait causé la mort de
10,899 VC.166 Cependant, considérant les tactiques exploitées, ce chiffre demeure très
douteux, sans compter que cette stratégie n’a fait qu’empirer la situation des réfugiés sud-
vietnamiens. L’établissement de tels quotas alourdit d’une énorme pression les épaules des
colonels commandants des bataillons d’Ewell, une charge qui encourageait le ciblage aveugle
de villages et d’individus qui, pour la plupart, n’étaient fort probablement pas des Viêt-Cong.
Si l’on considère les règles inhérentes à la conduite de la guerre, qu’elle soit conventionnelle
ou contre-insurrectionnelle, le modus operandi du général Ewell ne respectait aucune forme
d’éthique militaire. Non seulement de tels procédés entravent toute possibilité de gagner
l’appui de la population civile, mais facilitent aussi la tâche des éléments de propagande du
VC, le moment venu de recruter de nouveaux membres pour joindre l’insurrection. Dans leur
ensemble, les opérations susmentionnées ont démontré à quel point les offensives de search
and destroy étaient mal coordonnées avec les opérations de nature contre-insurrectionnelle.
Néanmoins, en dépit de toute son imperfection, la stratégie américaine a causé
énormément de problèmes aux communistes, ternissant l’aura d’invincibilité qu’on leur avait
trop souvent, à tort, attribuée. La nature même des opérations de search and destroy
américaines a créé une impasse non seulement pour les unités du MACV, mais également
pour le Viêt-Cong et l’Armée nord-vietnamienne qui ont été victimes d’une violente attrition.
De nouvelles recherches ont récemment démontré que la situation était critique à un point tel
aux yeux de moult dirigeants à Hanoi, que plusieurs d’entre eux envisageaient d’initier des
pourparlers de paix avec les Américains.167 Nonobstant cela, la non convergence des
opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles a dramatiquement retardé la
pacification des secteurs ruraux et la sécurité des civils de façon uniforme à travers le théâtre
d’opération sud-vietnamien. Si le MACV avait coordonné ses opérations conventionnelles
166 Ward et Burns, op. cit., p. 356-357, 360. 167 Daddis, Westmoreland’s War, op. cit., p. 86.
159
de manière disciplinée, de concert avec les opérations du CORDS, la situation opérationnelle
aurait fort probablement engendré une pression encore plus forte sur les dirigeants
communistes à Hanoi. Divers facteurs tendent à expliquer la dépendance américaine à leur
puissance de feu. Dans son analyse des problèmes militaro-opérationnels relatifs à la guerre
du Vietnam, Robert Thompson explique que la maximisation de la puissance de feu à la
disposition du MACV était tout simplement trop tentante pour ne pas être pleinement
exploitée. De plus, l’utilisation de cette puissance de feu donnait l’impression aux
Américains qu’ils atteindraient plus rapidement leurs objectifs opérationnels et d’attrition de
l’adversaire. D’autre part, cette philosophie guerrière s’accordait avec la doctrine militaire
offensive des Forces armées américaines qui maximisait l’emploi d’armes modernes et de
haut calibre lors d’opérations conventionnelles. D’une perspective stratégique, en exploitant
ces doctrines dans la RVN et en optimisant les effets de la campagne de bombardement
ROLLING THUNDER dans la RDVN, les Américains espéraient décourager Hanoi et
l’inciter à s’asseoir à la table de négociations pour mettre un terme au conflit.168 Il était
néanmoins très contre-productif de la part des Américains de ne pas minimiser leur puissance
de feu dans les secteurs habités et de ne pas initier le déploiement immédiat de troupes
statiques à la suite d’opérations conventionnelles.
Notons que l’exploitation de la puissance de feu américaine lors d’opérations de
search and destroy telles qu’APACHE SNOW ou JUNCTION CITY était militairement
compréhensible, considérant l’absence de villages et d’hameaux dans les secteurs de combat.
Il en alla tout autrement dans les secteurs habités qui auraient nécessité des frappes beaucoup
plus chirurgicales.Thompson affirme que l’optimisation de la puissance de feu américaine et
la minimisation du déploiement de troupes statiques américaines dans les villages s’explique
par ce simple fait : les « Forces américaines n’étaient pas entraînées » pour la conduite
d’opérations « de petites unités » dans les zones peuplées. Le spécialiste britannique indique
qu’à cet effet, les Marines ont été les seuls à démontrer une capacité à opérer de la sorte avec
la population civile. Les Combined Action Platoons de l’USMC se focalisaient sur la
protection de la population à la suite d’une opération de search and destroy, non au
redéploiement des villageois qui devenaient ainsi fatalement des réfugiés.169 Bien que le
MACV se soit montré mal à l’aise le moment venu d’utiliser ses troupes pour des opérations
168 Robert Thompson, No Exit From Vietnam, New York, David McKay Company, Inc. 1969, p. 134-135. 169 Ibid., p. 138.
160
statiques, il aurait été tout indiqué d’exploiter l’ARVN pour ce type d’opération. Par ailleurs,
il s’agissait d’un des plans originaux du MACV en 1965. Néanmoins, le commandement
militaire américain ne parut pas motivé à appliquer son propre plan d’action. À cet effet,
Thompson établit un lien entre l’exploitation de la puissance de feu américaine et
l’implication limitée de l’ARVN dans les opérations militaires américaines. Contrairement
aux troupes sud-coréennes lors de la guerre de Corée, l’ARVN n’était pas sous le
commandement direct des Américains au Vietnam. Cette particularité causa beaucoup de
frustrations aux commandants du MACV et compliqua souvent la conduite des opérations
militaires conventionnelles avec l’Armée sud-vietnamienne.170 Minimiser l’implication de
l’ARVN encouragea les Américains à opérer comme bon le leur semblait au cours de la
conduite des opérations, ce qui, à bien des égards, leur donnait, carte blanche le moment venu
d’appliquer le concept de bataille et la puissance de feu à exploiter. Ne pas maximiser
l’emploi de l’ARVN constituait une erreur car, d’une part, ils personnifiaient d’excellents
candidats pour la phase visant à assurer la protection des secteurs sécurisés. D’autre part, les
directives du MACV décrites en début de chapitre soulignent qu’un des objectifs principaux
des Américains consistait à faire de l’ARVN une force apte à combattre.
Si l’on se penche sur les aspects relatifs à la guerre conventionnelle, la minimisation
de l’utilisation de l’ARVN contrevenait aux directives originales établies par le MACV en
plus d’entraver le développement d’une armée sud-vietnamienne autonome et expérimentée.
Ce manque se ferait cruellement sentir en 1975, lors de la chute de la République du Vietnam
aux mains du NVA. En ce qui a trait aux aspects relatifs à la contre-insurrection, les soldats
de l’ARVN étaient indiscutablement plus familiers avec la culture et la langue de la
population locale que leurs collègues américains. Lors d’une COIN, les éléments relatifs à la
connaissance de la culture de la population sont très importants car ils permettent une
meilleure communication et interaction entre forces contre-insurrectionnelles et civils. En
exploitant l’ARVN à ces fins, le déplacement systématique de villageois vers des camps de
réfugiés, à la suite d’opérations de combat aurait pu être minimisé. À l’image des CAP des
Marines, le déploiement conjoint de quelques pelotons d’infanterie de l’US Army avec les
éléments sud-vietnamiens dans les villages à la suite des opérations de search and destroy
aurait été un élément facilitateur pour la pacification des secteurs, sans pour autant
170 Ibid., p. 135.
161
handicaper les effectifs conventionnels américains. D’une part, les villageois auraient pu
demeurer dans leur village en sécurité avec l’ARVN, les forces paramilitaires sud-
vietnamiennes et les éléments américains pour les protéger. D’autre part, les secteurs auraient
été beaucoup plus prompts à demeurer sécurisés; le VC se voyant interdire l’accès à ses
fortifications et position défensives dans les villages. Cette mise en pratique des opérations
aurait limité de manière draconienne la nécessité de continuellement sécuriser de nouveaux
des secteurs préalablement ratissés par les Américains, tout en réduisant les pertes militaires
et civiles au combat. Cela dénote un manque d’opportunisme flagrant de la part des leaders
militaires du MACV. Ce manque de coordination des opérations conventionnelles et contre-
insurrectionnelles devait avoir un autre effet pervers qui a fait particulièrement mal aux
Forces américaines. Les mines et les pièges ont été responsables de 50% des pertes
américaines (morts et blessés combinés) lors de la guerre du Vietnam.171
Ces pièges, communément appelés booby traps par les Américains, étaient
majoritairement posés par des civils conscrits par le Viêt-Cong. Ne possédant pas de troupes
déployées en permanence dans les villages, à la suite des opérations de search and destroy,
les civils conscrits n’avaient aucune difficulté à déplacer des explosifs et les matériaux
nécessaires à l’installation de pièges dans les secteurs avoisinant les villages. Ces pièges ont
causé de « sévères problèmes psychologiques » chez les soldats américains.172 Ces troupes
se trouvaient très vulnérables lorsqu’elles quittaient leurs bases d’opérations avancées pour
patrouiller les secteurs ruraux. Ce type de perte aurait été sévèrement limité si l’essentiel des
villages s’était vu sécurisé en permanence à la suite des opérations de search and destroy. Le
chapitre 3 réservé aux CAP montrera comment les Marines, ayant gagné la confiance des
civils, recevaient ponctuellement des alertes des villageois lorsqu’un piège était installé dans
le périmètre du village. En négligeant cet aspect des opérations, les Américains s’exposaient
aux tactiques de guérilla du VC qui « constatèrent avec joie » que plus de la moitié de leurs
dispositifs improvisés ont fait mouche en tuant ou blessant un ou plusieurs soldats
américains.173 Le manque de convergence des opérations de pacification et conventionnelles
devait couter cher aux civils sud-vietnamiens et à l’effort de guerre du MACV.
171 McCoy, op. cit., p. 337. 172 Ibid., p. 337-338. 173 Ibid., p. 335.
162
2.3. Conclusion
Le présent chapitre a cherché à démontrer à quel point la guerre du Vietnam n’était
en rien un conflit d’insurrection classique. Nous avons pu démontrer que la situation
opérationnelle caractéristique à ce théâtre d’opération justifiait pleinement l’emploi de
doctrines militaires conventionnelles de la part du général Westmoreland. Quantité
d’historiens ont injustement dénoncé les méthodes du commandant du MACV qui aurait dû,
selon d’aucuns, amenuiser les opérations de search and destroy et décupler les opérations de
pacification. Or, il a été démontré qu’un tel cours d’action n’aurait en rien permis de stabiliser
la RVN. Bien que le commandant du MACV ait accordé beaucoup d’attention sur les
initiatives de pacification lors de l’esquisse de son concept d’opération, il ne lui restait aucune
alternative une fois dans le feu de l’action : lors du déploiement de ses troupes de combat au
printemps de 1965, Westmoreland devait impérativement initier des opérations militaires
conventionnelles grande échelle. Le NVA et le VC, qui surclassaient les troupes de l’ARVN
sur tous les fronts, s’apprêtaient à scinder la RVN en deux. Le déploiement de multiples
régiments d’élite du Viêt-Cong et d’éléments réguliers du NVA dans des bases d’opérations
fortifiées près des frontières du Laos et du Cambodge réclamaient également l’initiation
d’opérations conventionnelles.
La structure défensive de ces bases a nécessité des assauts conventionnels similaires
à ceux initiés par les Marines lors de la guerre du Pacifique et de celle de Corée. Le moment
venu d’amorcer leurs offensives, le NVA et le VC ont appliqué des doctrines militaires
purement conventionnelles, obligeant une réponse tactiquement symétrique des Américains.
Un programme de pacification et de contre-insurrection n’aurait entravé en rien la bonne
marche des opérations communistes, retranchés qu’ils étaient dans ces bases d’opérations.
Ces secteurs abritaient le leadership du COSVN, le QG de la Région militaire 4, d’importants
réseaux logistiques et servaient de tremplin pour projeter les bataillons communistes en
provenance de la piste Ho Chi Minh dans l’ensemble de la RVN. Ne pas attaquer ces
complexes aurait facilité l’initiation systématique d’opérations similaires à celles du Têt et
du mini-Têt sur l’ensemble du théâtre d’opération. Néanmoins, nous avons pu constater que
la conduite des opérations conventionnelles américaines a trahi de profondes lacunes et
défaillances. À cet effet, la sécurisation de terrains clés s’est avérée très problématique pour
les Américains. L’opération CEDAR FALL dans l’Iron Triangle a été conclue sans qu’on
163
laisse de troupes interdire la reprise du secteur par les communistes. Ces derniers, ayant repris
possession du périmètre, ont réexploité l’Iron Triangle pour projeter leurs troupes dans la
République du Vietnam lors de l’offensive du Têt. L’Hill 937 constituait pour sa part un
secteur clé qui servait de relais et de base logistique aux bataillons du NVA lorsqu’ils
déployaient leurs troupes dans le nord de la RVN, via le Laos. À la suite de la bataille
d’Hamburger Hill, les Américains ont abandonné le secteur qui a été récupéré par les
communistes. Les opérations de search destroy ont également fait la preuve du manque
flagrant de coordination entre les opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles
des Américains. Les opérations MASHER/WHITE WING ainsi que les Opérations
MALHEUR ont résulté en une multitude de réfugiés et ont laissé quantités de secteurs et de
villages sécurisés sans troupes statiques pour y empêcher le retour du VC. Des opérations
comme celles de SPEEDY EXPRESS ont également trahi le profond manque de
compréhension et la contre-productivité opérationnelle de certains commandants américains,
le moment venu d’effectuer des opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles.
Ultimement, l’accès continuel des bases d’opérations communistes au Laos et au Cambodge
devait saper le plan de guerre d’attrition de Westmoreland.
En ayant constamment accès à ces bases, les communistes ont pu se redéployer en
toute sécurité hors de portée des troupes terrestres américaines, tout en bénéficiant d’un
ravitaillement logistique et d’un renflouement continu de forces fraîches. Dans de telles
conditions, les opérations de search and destroy équivalaient à éteindre avec acharnement un
incendie sur lequel on n’empêchait cependant personne d’y verser l’huile qui l’alimentait. En
conséquence, malgré une attrition des plus brutales du VC et du NVA, les Américains ont
échoué à isoler et neutraliser le sous-système conventionnel de la machine militaro-hybride
des dirigeants communistes. Quant à la réussite des opérations de pacification, celle-ci ne
dépendait pas uniquement de la protection des forces contre-insurrectionnelles contre les
assauts des larges formations communistes; le succès de la COIN dépendait tout autant des
opérations statiques des forces contre-insurrectionnelles à l’intérieur des secteurs peuplés
sécurisés. Bien que plusieurs éléments de l’US Army s’y soient très mal pris pour combiner
les deux types d’opérations, les Marines se sont promptement démarqués de leurs collègues
de l’Armée. Le III MAF a démontré qu’il était tout à fait possible d’assurer la protection de
la population civile et de gagner son appui après avoir sécurisé un secteur d’opération. C’est
dans cette optique qu’ont été créés les Combined Action Platoons de l’USMC.
164
Chapitre III: Les Combined Action Platoons : L’étau
contre-insurrectionnel des Marines sur le Viêt-Cong
“The…Marines who serve in Combined Action
Platoons are believable to peasant because they are not
the callous professional soldier the peasant learned to
hate and fear when the French Foreign Legion was in
Vietnam. [The] Marines are sincerely idealistic in their
outlook toward the people.”1
-Lieutenant-Colonel William R.
Corson, USMC. Commandant
des Combined Action Groups
“You cannot defeat an idea with a bullet. You
can defeat an idea only with a better idea.”2
-General Victor Brute Krulak
USMC. Commandant des
Marines dans le Pacifique
Lors du déploiement des unités de combat américaines au Vietnam, l’USMC a, dès
le départ, fait connaître sa priorité d’action au général Westmoreland. Les Marines avaient
volonté de minimiser les opérations de search and destroy décrites au chapitre précédent
pour, en contrepartie, maximiser les opérations de contre-insurrection. D’ores et déjà, nous
avons fait mention des frictions existant entre les Marines et le commandement du MACV:
Westmoreland s’est montré profondément irrité que les Marines sacrifient plusieurs de leurs
compagnies pour effectuer des opérations de COIN statiques, en vue de donner suite au
ratissage d’un secteur. L’antipathie du commandant du MACV vis-à-vis des Combined
Action Platoons était telle qu’il a dépêché un lieutenant-colonel à Washington pour se
plaindre de la situation. Cet envoyé avait reçu comme mandat d’exposer au chef d’état-major
des Forces militaires américaines, le général Earle Wheeler, les « déficiences » du Corps des
Marines au Vietnam. De son côté, le général Lewis W. Walt, commandant des Marines dans
I Corps, un officier doté d’une forte personnalité, devait avoir de sévères divergences
d’opinions avec Westmoreland. Walt était un fervent défenseur du principe de pacification
qui visait à gagner l’appui de la population civile. Bien que Westmoreland adhérait au même
1 William R. Corson, The Betrayal, New York, Norton & Company, 1968, p. 190. 2 Coram, op. cit., p. 285.
165
principe, il a justifié sa condamnation du concept d’opération des Marines par le fait qu’il ne
disposait pas de suffisamment de troupes pour appliquer un programme similaire à celui de
l’USMC à l’ensemble de la RVN.3 Dans son évaluation globale de la conduite des opérations
des Marines au général Wheeler, le commandant du MACV exprime ses doutes sur le III
MAF :
As you perhaps appreciate, the military professionalism of the Marines
falls short of the standards that should be demanded by our armed forces.
Indeed, they are brave and proud, but their standards, tactics, and lack of
command supervision throughout their ranks require improvement in the
national interest.4
Le manque de confiance de Westmoreland envers les Marines a atteint son paroxysme
en 1968 alors qu’il devait ordonner le déploiement d’un quartier-général avancé du MACV
à Phu Bai dans I Corps. Pour le commandement des Marines, ce geste était perçu comme une
intrusion du commandement de l’US Army dans ses plates-bandes, ce qui a exacerbé les liens
déjà difficiles entre les deux organisations.5 Les Marines n’étaient pourtant pas insensibles
aux opérations conventionnelles. En fait, l’USMC constituait la force militaire la plus
éclairée le moment venu de comprendre le type de conflit auquel les Américains se trouvaient
confrontés. Le commandant des Marines dans le Pacifique, le général Victor Krulak a
souligné : « You cannot win militarily. You have to win totally, or you are not winning at
all ».6 Il rajouta qu’en interdisant l’accès des insurgés à la population civile, le VC perdrait
sa source de survie. Quant aux opérations conventionnelles, Krulak affirmait qu’advenant
une offensive majeure des larges formations communistes, ses Marines seraient très disposés
à les affronter. Néanmoins, le général des Marines considérait que le nerf de la guerre se
situait dans les villages sud-vietnamiens et non au sein des montagnes de la RVN.7
Contrairement à l’ensemble des forces de l’US Army, les Marines tentaient réellement
d’exécuter les deux types d’opérations (conventionnel et contre-insurrectionnel) dans les
3 Records of the United States Marine Corps/Headquarters Marine Corps History and Museum Division,
Background and Draft Material for U.S. Marines in Vietnam: The Defining Years 1968 The Tragedy of
Marines and Army Schism in Vietnam, College Park, National Archives, RG#127, Entry A-1(1085), Box 23,
p. 1. 4 Ibid., p. 2. 5 Ibid., p. 4-5. 6 Coram, op. cit., p. 304. 7 Ibid.
166
règles de l’art. Toutefois, considérant les effectifs du III MAF, il s’avérait difficile
d’appliquer ce concept hybride à la lettre. La situation opérationnelle a forcé les Marines à
exécuter une grande quantité d’opérations de search and destroy (voir la figure 15 du
précédent chapitre), limitant ainsi l’exécution uniforme d’opérations de contre-insurrection
comme celle des CAP. Krulak a spécifié être prêt à affronter les unités conventionnelles nord-
vietnamiennes même si l’ensemble du III MAF avait été déployé dans un cadre de COIN.
Néanmoins, il est douteux que les Marines auraient eu la capacité de résister longtemps aux
assauts de régiments réguliers du NVA. Nous avons vu dans le précédent chapitre à quel
point les forces conventionnelles communistes se montraient efficientes à effectuer des
assauts qui acculaient des bataillons complets des unités américaines au pied du mur. Des
centaines de soldats américains doivent leur vie aux bombardements incessants de leur
aviation et de leur artillerie. Faute de cet apport, des bataillons entiers de l’US Army et des
Marines auraient été neutralisés par le VC et le NVA. De petites unités de peloton de 30 à 40
soldats dispersées à travers la RVN pour effectuer de la COIN n’auraient tout simplement
jamais été en mesure d’affronter les régiments communistes susmentionnés, et ce, même avec
l’appui soutenu des éléments aériens et de l’artillerie.
Nonobstant cela, les Marines étaient déterminés à exécuter une campagne de COIN
dans I Corps, en dépit des critiques et des complaintes du leadership du MACV. La volonté
ferme des Marines à effectuer de la COIN s’explique en grande partie par leur héritage
historique. Dès le 18e siècle, les Marines, contrairement à l’Armée, ont été déployés dans des
théâtres d’opérations ayant incité leurs dirigeants à développer leurs connaissances en
matière d’insurrection et de contre-insurrection. Ces conflits à « basse intensité » ont été
surnommés « Small Wars » par les Marines, terme utilisé pour désigner le premier manuel
doctrinal de contre-insurrection de l’USMC. L’essentiel des procédures contre-
insurrectionnelles modernes des Marines a été développé à la fin du 19e siècle et au cours des
30 premières années du 20e siècle. Ce développement professionnel a connu sa croissance
aux Philippines et au sein des Caraïbes dans ce qu’on a surnommé « The Banana Wars »,
conflits s’étant déroulés en Haïti, à Cuba, en République dominicaine et au Nicaragua. En
1899, aux Philippines, les Marines s’affairaient à neutraliser une insurrection qui menaçait
deux bases navales américaines. Après avoir capturé la ville de Bogac, les Marines devait
rétablir le gouvernement local avant d’opérer la traque des insurgés philippins dans les
secteurs ruraux. En assurant la protection de la population contre les insurgés et en initiant
167
une succession d’actions civiques, ils sont parvenus à gagner sa confiance.8 Déjà, les rapports
post-opérations des Marines insistaient sur l’importance de la coopération des instances
militaires et civiles et la nécessité de se pencher sur les aspects culturels, politiques, sociaux
et économiques du pays en question. Lors de leurs opérations de COIN à Cuba9 entre 1906
et 1912, les Marines ont appris l’importance de travailler conjointement avec les forces
militaires locales et celles de la police. L’USMC attribuait ses succès cubains à cette
coopération des forces de sécurité qui facilitait la chasse aux insurgés. Ils y ont également
saisi l’importance des règles d’engagement, une série de directives incitant les Marines qui
opéraient au sein de la population à user de discernement le moment venu d’utiliser leurs
armes.
Enfin, Cuba a enseigné aux Marines l’importance de patrouilles couplées
d’embuscades de petites unités. Les Marines ont compris que ces tactiques exerçaient
énormément de pression sur les insurgés et leurs lignes de communication (tactique appelée
à être exploitée avec les CAP). Les Marines ont de nouveau utilisé ces tactiques avec
beaucoup de succès dans les autres théâtres d’opérations des Banana Wars.10 Les opérations
de l’USMC en Haïti devaient aboutir avec la capture du chef rebelle Charlemagne Peralte,
une prise rendue effective par la capacité des Marines à opérer et à interagir directement avec
la population civile haïtienne. En République dominicaine, de 1916 à 1924, les Marines ont
traqué des bandits dans le secteur de Santo Domingo. Parallèlement, ils ont formé la
gendarmerie locale du gouvernement en place.11Au cours des années 1920, le Nicaragua a
été un véritable laboratoire contre-insurrectionnel pour les Marines confrontés à la guérilla
8Leo J. Daugherty, Counterinsurgency and the United Sates Marine Corps, Volume 1, The First
Counterinsurgency Era, 1899-1945, Jefferson, McFarland & Company, Inc., 2015, p. 26-27. 9 Allan McPherson, Encyclopedia of U.S. Military Interventions in Latin America Volume I, Santa Barbara,
ABC-CLIO, 2013, p. 519. À la suite de la guerre hispano-américaine et du départ des troupes espagnoles, les
Marines ont occupé Cuba jusqu’en 1902. Pendant leur séjour, les Américains se sont affairés à réorganiser
l’économie cubaine, et à revigorer les systèmes de santé et d’éducation du pays. L’Amendement Platt (initié
par le Sénateur républicain du Connecticut Orville H. Platt) interdisait notamment à Cuba d’établir de traités
avec un État susceptible de menacer son indépendance, autorisait les États-Unis à intervenir pour sauvegarder
l’indépendance de Cuba et permit aux Américains d’installer une base à Guantanamo. 10 Daugherty, op. cit., p. 40-41. 11 Papers of John F. Kennedy, Memorandum for the Naval Aide to the President. Subject: Marine Corps
experience and capability in the conduct of guerilla and anti-guerilla type operations. Boston, John F.
Kennedy Presidential Library, President's Office Files. Subjects: counter-insurgency, Digital Identifier:
JFKPOF-098-006, p. 1. https://www.jfklibrary.org/Asset-Viewer/Archives/JFKPOF-098-006.aspx.
168
du chef rebelle Augusto César Sandino. Plongés au cœur de ce conflit, l’USMC a développé
ses capacités et connaissances en matière d’opérations de COIN dans un environnement
tropical. Ils ont aussi fortifié leurs opérations de petites unités (conçues lors de la campagne
cubaine) qui n’ont pas tardé à devenir une caractéristique du concept de contre-insurrection
des Marines. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, des officiers des Marines ont été
détachés avec des unités de commandos britanniques, ce qui inspira l’USMC à développer
les Marine Corps Raiders battalions.12 Ce groupe devait être une des premières unités de
forces spéciales des Forces militaires américaines. Dans le Pacifique, en Chine et en Corée,
les Marines ont également continué à effectuer des opérations de petites unités. À la suite de
la Deuxième Guerre mondiale, les unités de reconnaissance des Marines ont persisté à
maximiser l’entraînement de leurs forces en matière d’opérations irrégulières. Parmi celles-
ci; l’infiltration du territoire adverse via l’océan à partir de sous-marins, le déploiement de
forces dans une zone hostile par voie aéroportée la nuit et la conduite d’opérations de
reconnaissance, de pathfinder (reconnaissance avancée), de démolitions et de petites unités
derrière les lignes ennemies.13
Ainsi, avec les années, les Marines ont fortifié leurs capacités offensives de contre-
guérilla, tout en développant leurs connaissances en matière de contact humain lors de la
conduite d’opérations de COIN. Cette expérience acquise par les Marines au fil du temps n’a
pas été remisée pour ensuite tomber dans l’oubli, une fâcheuse tendance que l’on rencontre
encore au 21e siècle au sein de nombreuses armées. Dès le début des années 1930, l’USMC
a publié un manuel doctrinal baptisé Small Wars Manual. Considérant à quel point les guerres
de décolonisation décrites au chapitre 1 constituent l’âge d’or du développement des
principes modernes de COIN, la lecture du Small Wars Manual démontre le degré
d’avancement sur leur temps des doctrines de COIN des Marines. Le manuel de l’USMC
cible l’essentiel des variables propres à la compréhension d’une situation contre-
insurrectionnelle et à la gestion des opérations de COIN. Notamment, on y spécifie
exactement comment la force ennemie procédera dans les secteurs d’opérations des forces
de sécurité. Les insurgés maximiseront les tactiques de guérilla en exécutant des embuscades
au moment opportun et en se fondant au sein de la population civile, évitant de ce fait la
12 Ibid., p. 2. 13 Ibid., p. 2-3.
169
possibilité d’être identifiés. Le manuel cible le problème relatif aux partisans de l’insurrection
qui ne manqueront pas d’informer les formations insurrectionnelles sur les mouvements des
forces de sécurité. On y souligne la complication engendrée par l’amalgame de partisans
hostiles et d’agents insurrectionnels « imbriqués » parmi la population civile victime de
coercition.14 Pour contrer le problème, le manuel spécifie qu’il était essentiel pour les
Marines de « tenir tous les points stratégiques du pays », d’assurer la protection de ses lignes
de communications et de déployer une force suffisamment grande pour repousser les
offensives adverses.15 Le Small Wars Manual va jusqu’à spécifier que les difficultés
rencontrées par les forces contre-insurrectionnelles vont bien au-delà des aspects purement
militaires : les problèmes sont également tangibles au sein des aspects de nature
économiques, politiques et sociaux. En conséquence, le livre de doctrine des Marines précise
qu’appliquer uniquement « des mesures purement militaires » ne sera d’aucune utilité pour
« restaurer la paix et un gouvernement fonctionnel ».16
En bref, selon le Small Wars Manual, les actions militaires peuvent être subordonnées
aux actions de nature politique. Le manuel soulève aussi l’importance des actions politico-
économiques et sociales qui restaureront les conditions de vie de la population. Ces
opérations civiques étant sous la responsabilité d’agences gouvernementales, il s’avérait vital
pour les forces militaires de jouer un rôle prépondérant dans la solution des problèmes socio-
économiques. Il devenait donc capital pour les forces militaires de travailler de concert avec
les organisations civiles.17 Le Small Wars Manual traite également de l’importance de se
familiariser sur la culture de la population locale avec laquelle les Marines interagiront. On
y spécifie aussi que les Marines se doivent de respecter la population civile; s’aliéner l’appui
du peuple ne pouvait que causer du tort aux forces déployées. De plus, on y insiste sur la
nécessité d’identifier les personnes influentes dans les villages afin de faciliter le contrôle
des opérations de contre-guérilla. Enfin, on y accorde beaucoup d’attention à l’importance
de s’acclimater avec les secteurs et districts appelés à être patrouillés par les forces statiques
des Marines.18 Dans son ensemble, le Small Wars Manual offrait aux Marines les
14 U.S. Marine Corps, Small Wars Manual, Washington, Government Printing Office, 1940, p. 14. 15 Ibid., p. 15. 16 Ibid. 17 Ibid., p. 15-16. 18 Ibid., p. 26-28, 41-43.
170
« connaissances de base nécessaires » pour opérer dans un environnement de conflit à basse
intensité. Le manuel et ses directives ont été conçus pour aider les officiers à penser de
manière constructive le moment venu de combattre des insurrections et de stabiliser un pays
en crise, sans s’appuyer de façon exclusive sur les aspects de nature militaire.19 Dès le début
des années 1930, là en était la philosophie doctrinale de contre-insurrection de l’USMC. Tout
au long des conflits subséquents, la continuité du développement des connaissances des
Marines en matière de COIN a renforcé leur détermination à exploiter ce modus operandi
lors de confrontations avec une guérilla. Globalement analysé, le principe même de contre-
insurrection et ses préceptes fondamentaux font partie à part entière de l’ADN des Marines.
Même en 2003, lors de l’invasion américaine de l’Irak, l’USMC a immédiatement cherché à
initier des opérations de COIN identiques aux CAP après leur victoire sur les forces
régulières de l’Armée irakienne. Tout comme au Vietnam, les Marines ont subi de sévères
critiques de la part de leurs homologues de l’US Army lorsqu’ils ont cherché à privilégier ce
concept d’opération.20 Considérant son historique, il n’y avait pourtant rien de surprenant à
ce que l’USMC cherche à mettre en application ses doctrines contre-insurrectionnelles dès le
déploiement initial de ses troupes en Irak. Il en a également été ainsi lors du déploiement du
III MAF dans le secteur de Danang au Vietnam en 1965.
Bien que son historique soit aussi riche que celui de l’USMC, celui de l’US Army
démontre que les soldats de l’Armée américaine ont été beaucoup plus promptement
exploités dans l’exécution de missions nécessitant l’emploi de doctrines conventionnelles
classiques.21 Ceci tend à expliquer l’incompréhension ou le dédain de plusieurs officiers de
l’US Army le moment venu d’exploiter des concepts de COIN. L’Armée n’était cependant
pas complètement hostile aux principes de COIN; nous l’avons constaté précédemment dans
le descriptif du concept d’opération contre-insurrectionnel du général McGarr avec le
MAAG. Le présent chapitre montrera également que des éléments de l’Armée américaine,
notamment la 173rd Airborne Brigade, ont en fait exécuté une COIN qui n’avait rien à envier
à celles des Marines au Vietnam. Néanmoins, le principe même de Combined Action
Platoons tant prisé par l’USMC puise sa source dans la culture et le bagage historique des
19 Daugherty, op. cit., p. 352. 20 Thomas E. Rick, Fiasco: The American Military Adventure in Iraq, 2003 to 2005, New York, The Penguin
Press, 2006, p. 311-317. 21 Ibid., p. 222.
171
Marines. Dès 1965, on a assisté au déploiement des premiers CAP dans les secteurs ruraux
d’I Corps. Il a cependant fallu l’émergence de problèmes reliés à la sécurité lors des
opérations civiques du III MAF pour que son quartier-général se décide à démarrer le
programme de CAP.
3.1. Le prélude des CAP : les actions civiques et la contre-insurrection du III MAF
dans I Corps
Dès le début de leur déploiement au Vietnam, les Marines se sont affairés à initier
une succession d’opérations civiques avec pour objectif de gagner la confiance de la
population sud-vietnamienne. L’essentiel des efforts civiques et de pacification découlait au
départ du III MAF. Néanmoins, à la fin de 1965, plusieurs organisations américaines ont
contribué aux opérations civiques des Marines en leur fournissant le matériel nécessaire à la
réalisation de divers projets de construction. Parmi ces organisations, on retrouvait l’USOM
(United States Operations Mission), le CARE (Cooperation for American Relief
Everywhere), et l’HANDCLASP, un groupe d’aide de l’U.S. Navy.22 D’autres groupes se
sont greffés pour assister les Marines dans leurs efforts civiques. Parmi ceux-ci; citons
l’USAID (United States Agency for International Development), le JUSPAO (Joint United
States Public Affairs Office) et l’Ambassade américaine. Ces organisations travaillaient de
front avec le quartier-général des forces du III MAF (et du MACV dans les autres Corps) et
les autorités politico-militaires sud-vietnamiennes.
Forts de l’appui et de la coopération de toutes ces organisations, les Marines ont établi
cinq objectifs visant à sécuriser I Corps : le premier consistait à assurer la sécurité des
villages. Dans cette optique, il fallait entraîner les forces paramilitaires, organiser les défenses
des villages et y initier des opérations psychologiques destinées à acquérir l’appui de la
population. Le deuxième objectif consistait à rétablir les gouvernements municipaux à
l’intérieur des villages. Pour ce faire, une série de recensements a été initiée, on déployait les
politiciens dans les villages tout en assurant leur sécurité contre les représailles du VC. Le
troisième objectif visait à redynamiser l’économie locale. Pour y arriver, le III MAF a planifié
d’assister les Sud-Vietnamiens, le moment venu d’établir des marchés, de protéger les
récoltes de riz des interventions du VC et d’améliorer les réseaux de communication. Le
22 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic
of South Vietnam April 1966-April 1967, Washington D.C., HQ USMC, 1970, p. 9.
172
quatrième objectif avait comme but d’améliorer la qualité de la santé publique. Dans cette
optique, les Marines ont initié des opérations appelées Medical Civic Action Program
(MEDCAP) et, le moment venu, ont contribué à fournir des denrées alimentaires à la
population rurale. Enfin, le cinquième objectif : l’amélioration du système d’éducation
publique. Le III MAF a mis sur pied des cours de langue anglaise, a bâti de nouvelles écoles
et a donné accès à des classes de métiers aux Vietnamiens.23 Pour rendre ce programme
tangible, les organisations susmentionnées ont joint leurs efforts, de manière que chaque
palier hiérarchique des institutions militaires et gouvernementales puisse contribuer au
processus de pacification (voir la figure 16).
23 Ibid., p. 43-44.
173
Figure 16: Structure organisationnelle du processus de pacification (I Corps)24
24 Ibid., p. 45.
174
Tel que démontré dans le tableau, chaque organisation jouait un rôle, et ce, des
éléments de Corps de l’USMC et de l’ARVN jusqu’aux unités de police nationale et aux
compagnies de Marines et de forces paramilitaires. Les opérations étaient gérées à partir de
tous les paliers administratifs : régions, provinces, districts et villages. Lorsque les troupes
des Marines ont débarqué en mars 1965, les opérations civiques endossaient un caractère plus
modeste. De mars à juillet 1965, les traitements médicaux offerts aux villageois constituaient
la principale forme d’action civique offerte par les Marines aux civils. En juillet 1965,
approximativement 29,000 civils ont reçu des traitements des Marines qui patrouillaient de
village en village pour effectuer leur MEDCAP. Une des principales opérations s’est déroulée
dans le secteur de Le My avec le déploiement d’un MEDCAP régulier, un site médical qui a
attiré de nombreux paysans sud-vietnamiens venant de milles à la ronde. Lors de ces
opérations, les Marines ont fait d’une pierre deux coups : d’une part, ils profitaient des
opérations MEDCAP pour établir des contacts et un réseau pour la collecte de renseignement
auprès de la population. D’autre part, ils formaient des citoyens locaux en soins infirmiers,
ce qui, ultimement, devait permettre aux Sud-Vietnamiens de gérer de manière autonome les
cliniques médicales (voir l’annexe 4 pour des images des opérations civiques des Marines).25
Approximativement 75% des problèmes médicaux traités par les Marines consistaient
en infections cutanées, une résultante d’un manque d’hygiène personnelle chez les paysans.
Pour pallier au problème, les Marines distribuaient d’importantes quantités de savon aux
villageois des secteurs ruraux, initiative fort appréciée par la population civile. De plus, les
unités du III MAF ont distribué une très large quantité de vêtements et de nourriture dans
l’ensemble d’I Corps.26 Le soutien apporté à la population, quoique parfois très simple, s’est
avéré suffisant pour que la communauté sud-vietnamienne en vienne à apprécier la présence
des Marines. À titre d’exemple, le 19 juillet 1965, une compagnie de Marines a acheté un
jeune buffle des rivières pour assister une famille de fermiers dans le besoin au sein du village
d’Hoa Thinh, près de Danang. De son côté, un orphelinat supervisé par des religieuses s’est
vu approvisionné de larges quantités de farine par le GVN. Néanmoins, les nonnes n’ayant
pas de four pour cuisiner le pain, un boulanger malhonnête mettait comme condition pour
25 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March
1966, Washington D.C., Historical Branch G-3 Division HQ USMC, 1968, p. 26-27. 26 Ibid., p. 27.
175
opérer la cuisson de leur pain que les religieuses consentent à lui céder la moitié de leur
farine. Les manigances du boulanger une fois révélées au grand jour, les Marines ont eux-
mêmes fourni des fours aux religieuses qui ne devaient pas tarder à cuire 1000 livres de
pain.27 Le 3rd Battalion, 9th Marines a quant à lui distribué des centaines de livres de savon
liquide, céréales, farine de maïs, huiles de cuisson et autres denrées aux paysans. Ils ont
également fourni aux fermiers vietnamiens de quoi nourrir leur bétail. Quoique simples, de
telles opérations renforcissaient les liens de confiance entre la population civile et les
militaires américains, en plus d’être un incitatif de taille pour la population civile à prévenir
les Marines des dangers les guettant. Le 10 juillet 1965, les paysans du hameau de Le My
rapportaient aux Américains que la Route 545, située près du village, était minée. Deux jours
plus tard, des civils du secteur de Thinh Tay informaient les Américains de la présence d’une
compagnie entière du VC localisée à 1200 mètres du QG de district de Hieu Duc. Le 24 juillet
suivant, dans le secteur de Kinh Than, une femme a confié qu’elle avait pu observer 100
insurgés VC équipés d’armes automatiques et de grenades rodant près de sa propriété.
D’autres informations fournies aux Américains ont également permis de débusquer plusieurs
pièges destinés à tuer des militaires autour du village d’An Trach.
En novembre 1965, le 3rd Battalion a reçu un flot supplémentaire de renseignements
des paysans sur les activités du VC. Ce renseignement a permis au bataillon de Marines
d’embusquer les VC dans le secteur du hameau de Bich Bac, au sud de Danang. À cet effet,
les villageois n’ont pas hésité à dénoncer les insurgés qui opéraient dans le hameau et à porter
à la connaissance des Américains qu’il ne s’agissait là que d’un fragment des Viêt-Cong
opérant dans le secteur. De fait, les insurgés opérant dans le village faisaient partie d’un
groupe plus large de VC qui opérait à l’ouest de Bich Bac. Les villageois ont indiqué aux
Américains la route empruntée par les communistes lorsqu’ils tentaient d’éviter les
patrouilles de l’USMC. Forts de ce renseignement, les Marines ont réussi à piéger les
combattants VC rendus impuissants à tirer ne serait-ce qu’un seul coup de feu. Dix insurgés
ont été capturés grâce au renseignement fourni par la population de Bich Bac.28 Globalement,
toutes ces actions civiques visaient à identifier l’USMC comme un « protecteur bienveillant »
prêt à « travailler main dans la main » avec le GVN pour améliorer le mode de vie des
27 Ibid., p. 31. 28 Ibid., p.32, 49- 51.
176
paysans dans les secteurs ruraux.29 Une fois qu’on réussit avec succès à projeter cette image,
les civils se montraient plus qu’enclins à appuyer les Américains. Cet échange de bons
procédés facilitait la protection des Marines et encourageait les bases d’une bonne relation
entre Américains et Vietnamiens. Si les gestionnaires d’une COIN espèrent avoir du succès,
il est impératif que leurs forces de sécurité atteignent ce statut avec la population civile. À
défaut de quoi, cette dernière tendra à faire montre de neutralité ou à appuyer les forces
d’insurrection. En maximisant la conduite d’opérations civiques, les militaires américains
amplifiaient leur chance de gagner l’appui de la population civile. Un des aspects
fondamentaux des actions civiques qui visait à appuyer la population sud-vietnamienne
prenait la forme de la construction rurale des infrastructures civiles. Afin de redynamiser
l’érection de ces infrastructures, le GVN a mis sur pied, en 1965, le « Programme de
Développement révolutionnaire » (Revolutionary Development Program). Le personnel
désigné pour mettre en application ces programmes dans les secteurs sécurisés était nominé
au rang de Revolutionary Development Cadre (RD Cadres). Ces cadres organisés au sein
d’équipes de 59 opérateurs formaient des Revolutionary Development groups (RD Groups).
L’USMC ne devait pas tarder à cibler l’importance du RD et dès 1966, s’assurait de
coordonner ses actions civiques de manière à s’arrimer avec les cadres du RD. Il en alla de
même au sein des CAP; les Marines pourvoyaient leur soutien aux cadres du RD déployés
dans le village qui leur était attribué.30
Le mois d’août 1965 a vu la synchronisation des opérations civiques des Marines
atteindre un point culminant. Un des premiers secteurs peuplés de la zone de Danang à être
contrôlé en permanence par des troupes du III MAF comportait quatre villages et de multiples
hameaux. Le commandant sur place, le lieutenant-colonel Verle E. Ludwig, a immédiatement
cherché à entrer en contact avec les chefs de villages afin de cibler les principales nécessités
de la population. En retour de l’appui de ses Marines, Ludwig a demandé qu’on lui fournisse
du renseignement sur les activités du VC. La présence permanente des Américains dans les
villages et les opérations de contre-guérilla effectuées dans les secteurs limitrophes ont
convaincu les habitants des hameaux que le III MAF possédait la capacité de les protéger du
VC. Les villageois ont donc demandé à leurs dirigeants si les Marines pouvaient protéger
29 Ibid., p. 32-33. 30 Ibid., p. 9-10, 40.
177
leurs rizières et le fruit de leur culture des taxes du VC. Les Marines ont accepté la requête
des villageois, ce qui devait aboutir sur l’initiation de l’opération GOLDEN FLEECE.31 Cette
manœuvre consistait à déployer des effectifs américains au sein des rizières, une stratégie qui
forçait à l’affrontement et au combat les troupes du VC avides de s’approprier le riz des
villageois. GOLDEN FLEECE arrachait de facto le contrôle de rizières aux VC qui, depuis
la chute de Diem en 1963, y opéraient impunément. GOLDEN FLEECE ne correspondait en
rien à une opération classique de search and destroy. Le III MAF privilégiait plutôt le
déploiement de cordons de sécurité et la conduite de patrouilles et d’embuscades nocturnes
exécutées par de petites sections de Marines qui prenaient ainsi le VC par surprise dans les
rizières.32 GOLDEN FLEECE a incarné un réel succès pour le III MAF : lors de la récolte
du riz à l’automne de 1965, une seule rizière est tombée aux mains du VC. Ces derniers ont
perdu approximativement 90% du riz non affiné qu’ils auraient normalement dû extorquer
aux paysans sud-vietnamiens du secteur de Danang.33 Ce modus operandi de GOLDEN
FLEECE a été de nouveau exploité par le III MAF au cours d’opérations militaires
subséquentes pour protéger les rizières d’I Corps.34 Les Marines ne devaient pas tarder à
enclencher GOLDEN FLEECE II, une version améliorée de son prédécesseur.
Lors de cette opération, non seulement les Américains assuraient le déploiement de
cordons de sécurité et la conduite d’embuscades, mais ils protégeaient et escortaient
également les paysans pendant leurs récoltes. L’opération la plus productive de GOLDEN
FLEECE II a été l’œuvre du 3rd Battalion, 4th Marine dans la région de Phu Bai. Les Marines
de cette unité ont rendu possible la récolte et l’entreposage de 93 tonnes de riz sans qu’aucune
perte ne soit rapportée. Cette quantité de riz aurait permis de nourrir neuf bataillons VC
pendant un mois.35 Par le biais de telles opérations, les Marines permettaient aux villageois
de bénéficier pleinement de la récolte de leur riz, faisant ainsi naître deux bénéfices socio-
économiques majeurs : d’une part, de telles opérations contribuaient à améliorer les
conditions de vie des villageois. D’autre part, elles favorisaient la redynamisation de
31 Ibid., p. 37. 32 History and Museum Division Headquarters, U.S. Marine Corps. The Marines in Vietnam 1954-1973,
Washington D.C., Library of Congress, 1985, p. 57. 33 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March
1966, op. cit., p. 38. 34 History and Museum Division Headquarters, U.S. Marine Corps, op. cit., p. 57. 35 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic
of South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p. 29.
178
l’économie des secteurs ruraux qui devenait moins sujette aux opérations de taxations des
communistes. Sur le plan militaro-tactique, de telles initiatives enlevaient au VC une source
de revenus et de nourriture. Ce type de modus operandi s’avérait beaucoup plus constructif
que de bombarder des villages au napalm et à l’artillerie. La construction rurale continuait à
prendre de l’expansion dans I Corps au cours de l’automne 1965. Les Marines ont initié des
programmes d’infrastructure, mettant de l’avant la construction d’écoles, de puits et
d’hôpitaux au sein de divers secteurs de leurs zones de responsabilité. Néanmoins, certains
problèmes ont commencé à émerger. Le 1er novembre 1965, un effort majeur de
reconstruction ayant été mis en branle dans le district de Hoa Vang, près de Danang, la
protection de l’équipe de réédification était assurée par un déploiement des forces
paramilitaires du 59th Regional Force Battalion et du Popular Force. Pendant ces travaux,
les forces paramilitaires effectuaient dans le village des opérations psychologiques couplées
à un recensement. À la fin de novembre, les recensements étaient complétés et les écoles
prêtes à recevoir de jeunes Vietnamiens. Toutefois, la reconstruction s’est arrêtée net avec
l’assaut régulier de VC sur les forces paramilitaires qui se sont montrées incapables de se
mesurer aux insurgés, une situation qui a forcé les équipes de reconstruction à assurer leur
propre défense.
Un incident similaire s’est produit dans les secteurs avoisinant. Une force
paramilitaire chargée de la protection d’équipes de reconstruction s’est faite attaquer par une
force de 50 à 60 Viêt-Cong, rendant nécessaire le déploiement d’un bataillon de Marines
pour sécuriser les environs du village. L’un de ces villages était Cam Ne (ce qui nous ramène
au reportage falsifié de Morley Safer mentionné au chapitre précédent). Le redéploiement de
ces équipes de reconstruction dans ces secteurs n’a pas été possible avant 1966.36 Considérant
les effectifs américains déployés dans I Corps, il était impossible pour le III MAF de
dépêcher des troupes dans chaque secteur où on s’investissait dans des efforts de
reconstruction. Bien que ces initiatives aient favorisé le succès des opérations de pacification,
l’absence d’effectifs suffisants de l’ARVN pour travailler en coopération avec les Marines
causait de sérieux problèmes à la bonne marche des opérations de reconstruction.37 Malgré
36 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March
1966, op. cit., p. 45-46. 37 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic
of South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p. 32.
179
tous les efforts des Marines en matière d’actions civiques, les paysans sud-vietnamiens ne
pouvaient se commettre à appuyer pleinement le GVN sans obtenir en garantie l’assurance
que leurs familles seraient protégées. Le QG du III MAF a réalisé les deux faits suivants :
d’abord, le paysan devait être « psychologiquement assuré » que le GVN et l’USMC avaient
bel et bien l’intention de s’investir à combattre le VC jusqu’à la fin. Ensuite, les paysans
devaient se voir rassérénés par la présence de forces militaires aptes à les défendre en échange
de leurs divulgations sur les activités des unités communistes. Sans ces deux facteurs, le III
MAF aurait eu bien peu à espérer en matière d’appui de la population civile aux Forces
américaines. Le VC continuerait à dominer les villageois et les projets civiques
n’apporteraient aucune amélioration tangible à la situation opérationnelle d’I Corps.38
Malgré la bonne volonté de plusieurs chefs de villages ou de districts, il demeura très difficile
d’empêcher le VC de dominer les secteurs peuplés sans la présence constante de forces de
sécurité dans les villages. Le QG des Marines a cité un exemple concret du problème : un
bataillon de Marines opérant dans le district de Quang Tri, près de Chu Lai, a exécuté un
programme d’action civique, ses pelotons s’investissant dans l’assistance de la population
civile par le biais de MEDCAP et la distribution d’autres commodités.
Le chef du hameau de Tri Binh, un dénommé Truong, se démarquait par son appui
aux opérations civiques des Marines. Très charismatique, Truong ne cachait pas son hostilité
envers les VC. Son influence et son charisme paraissaient affecter positivement l’ensemble
du district, à un point tel que les Marines voyaient en lui un « potentiel catalyseur » qui
endommagerait sévèrement l’influence du VC dans l’ensemble de Quang Tri.39 Une
patrouille de Marines déployée dans le village de Truong pour effectuer des opérations
MEDCAP a remarqué qu’il avait même été jusqu’à installer des pancartes anti-viêt-cong dans
son village. Les Marines opéraient régulièrement dans le hameau de Truong pour d’autres
MEDCAP et activités civiques. Dans l’ensemble, l’humeur et les conditions de vie de la
population du district paraissaient s’améliorer au contact des Marines et de leurs actions
civiques. Néanmoins, la situation s’est rapidement envenimée : deux insurgés ont embusqué
Truong, puis l’ont abattu de quatre balles, dont une dans la tête. À lui seul, ce meurtre a fait
s’écrouler, tel un château de cartes, tous les efforts d’actions civiques des Marines. La perte
38 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March
1966, op. cit., p. 53-54. 39 Ibid., p. 54.
180
d’un chef d’hameau de l’envergure de Truong a montré aux villageois des secteurs ruraux du
district que les forces de sécurité étaient incapables d’assurer leur protection. Dans de telles
conditions, la population refusait de se commettre à appuyer le GVN, et ce, malgré la
conduite d’actions civiques.40 Le III MAF a rencontré des problèmes similaires dans le
secteur de Danang. Dans le district de Quang Nam, le programme de pacification devait
tourner à la catastrophe. Comme la mission des Marines consistait à rétablir le contrôle du
gouvernement dans les secteurs densément peuplés du sud de Danang, le III MAF y a initié
un important projet de reconstruction rurale. Ce secteur géographique abritait un centre
économique majeur pour le nord de la RVN, en plus d’importantes lignes de communications
qui revêtaient un aspect essentiel pour les Marines. Néanmoins, l’infrastructure politique du
VC s’était également incrustée dans l’ensemble des secteurs d’opération visés par les
Marines. Danang étant à risque, les neuf villages situés au sud de la ville constituaient des
cibles de priorité pour les efforts de pacification et de reconstruction des Marines. Cette
initiative prenait un visage menaçant pour le VC qui craignait pour la survie de son
infrastructure politique advenant le succès des opérations civiques. En conséquence, entraver
les projets d’action civiques et de pacification du III MAF est devenu le but premier du
commandement VC dans le secteur.41
Les Forces américaines et sud-vietnamiennes ont uni leurs efforts pour implanter les
opérations civiques au sein des neuf villages. Les éléments sud-vietnamiens se sont affairés
à construire de nouvelles infrastructures pour les villageois tandis que les Marines se
chargeaient des MEDCAP et de la distribution de vêtements et de nourriture. Il ne fallut que
très peu de temps pour que des problèmes surgissent. En effet, les forces de sécurité étaient
insuffisantes pour assurer la protection des villages pendant la conduite des actions civiques
et des projets de construction. De leur côté, les Marines devaient se concentrer sur leurs
opérations conventionnelles contre les larges formations communistes, ce qui limitait les
forces que le III MAF aurait pu être en mesure de dédier à des opérations de protection dans
les secteurs ruraux. Du 21 au 28 décembre 1965, le VC a sévèrement endommagé le projet
d’action civique américano-sud-vietnamien. Les insurgés ont lancé une succession d’attaques
qui ciblaient spécifiquement les travaux de reconstruction dans les villages. Lors de ces
40 Ibid., p. 54-55. 41 Ibid., p. 55-56.
181
opérations, plusieurs membres des équipes de constructions ont été assassinés par le VC.
Cette stratégie a connu un grand succès, si l’on considère le retard considérable occasionné
sur la conduite des actions civiques dans les neuf villages concernés.42 Une fois de plus,
l’absence de forces de sécurité déployées en permanence au sein des villages a prouvé
l’inutilité d’entreprendre des projets civiques. Ultimement, de tels efforts étaient condamnés
à l’échec tant qu’ils ne seraient pas fusionnés à une force de protection prête à repousser les
éventuels assauts du Viêt-Cong. Un des bataillons déployés dans I Corps était le 2nd
Battalion, 3rd Marines, sous le commandement du lieutenant-colonel David Clement. Ce
dernier a saisi que pour sécuriser la zone de responsabilité de son bataillon et y appliquer ses
actions civiques, il devrait combattre les VC déployés à l’intérieur du village de Le My. La
situation opérationnelle caractéristique de la zone de responsabilité de Clement lui permettait
d’utiliser ses compagnies de manière qu’elles assurent une présence permanente au sein du
complexe de Le My. Les Marines de Clement se sont vus intégrés aux forces paramilitaires
du PF déjà déployées dans le village. Cette combinaison de force en était trop pour le VC qui
n’a pu conserver bien longtemps son contrôle du village du Le My.43 Les opérations statiques
et les actions civiques du bataillon de Clement se sont répercutées jusqu’au village de Hoa
Than avec pour effet de galvaniser la population civile sud-vietnamienne du secteur. Le chef
du village d’Hoa Than a exprimé dans une lettre à quel point la population éprouvait de la
reconnaissance envers les efforts des Marines à pacifier leur région :
We the people of Northwest Hoa Vang District wish to express our feelings
toward the…Marines…We are very pleased with [their] battalion. We
believe in US Marine Corps power. The [Marines]…cleared our zone of
[VC]. Then with [their] power [they] defended and held our zone, keeping
the [VC]from invading us. To present an example of the fighting power
and will of the American Government, the [VC]in [Le My] Village have
all been flushed out…the [VC]have not dared come back to harass us
anymore…Also we are very happy because you helped us rebuild our
bridges in [Le My]…And we are very thankful towards your doctors.44
Des sondages réalisés dans d’autres villages ont démontré que bien que la population
appréciait les efforts civiques, la sécurité constituait leur préoccupation principale. À titre
d’exemple, les citoyens du village de Ky Xuan ont déclaré qu’ils se sentaient en sécurité
42 Ibid., p. 56. 43 Ibid., p. 57. 44 Ibid., p. 58.
182
contre le VC le jour mais que ce n’était pas le cas dès la nuit tombée. Ils ont exprimé leur
désir d’avoir des troupes des Marines déployées « en tout temps » dans leur village.45 La
conduite des opérations dans le village de Le My et la situation rencontrée dans ceux tels
que Ky Xuan a eu beaucoup à voir avec le développement et l’initiation du programme de
Combined Action Platoon. Le III MAF a compris que pour compléter avec succès ses
opérations civiques, il fallait séparer la population du Viêt-Cong, gagner la confiance et
l’appui des civils et, pour ce faire, déployer ses Marines en permanence dans les villages.
À défaut d’adopter ce concept d’opération, les efforts de pacification du III MAF et ses
initiatives visant à gagner l’appui des communautés rurales n’aboutiraient à rien. C’est dans
ce contexte que des stratégies comme celles du lieutenant-colonel Clement devaient
inspirer le III MAF à adopter le programme de Combined Action Group.
3.2. Le développement et le concept des Combined Action Platoons
En juillet 1965, les Marines déployaient leurs premiers CAP dans le secteur de la base
aérienne de Danang. L’objectif officiel : assurer la sécurité des villages et des hameaux en
les protégeant de l’influence et des actes terroristes du Viêt-Cong. Parallèlement, le
programme visait à assister le gouvernement sud-vietnamien dans l’implantation des lois
locales, de gagner l’appui de la population envers les gouvernements locaux et le GVN, en
plus d’améliorer les conditions de vie de la population en général.46 En 1969, le programme
atteint son apogée avec un effectif de 2000 Marines et membres de la Navy ainsi que 3000
forces paramilitaires du Popular Force. Toujours en 1969, 114 CAP étaient opérationnels au
sein des cinq provinces d’I Corps, englobant un total de 350 hameaux habités par un total de
135,000 villageois.47 Mais jamais les CAP ne devaient dépasser le nombre de 114 complexes.
Chaque province d’I Corps disposait d’un Combined Action Group (CAG) subdivisé en
Combined Action Compagnies (CACO), à leurs tours subdivisées en Combined Action
Platoons. Considérant l’étendue du territoire et les millions de Vietnamiens vivant dans les
provinces d’I Corps, nous pouvons d’ores et déjà souligner que le programme n’avait pas
45 Ibid., p. 59. 46 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural
Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, Combined Action Platoon Fact Sheet, 17 November
1969, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry 33104, Box 5. 47 Ibid.
183
l’impact opérationnel majeur souhaité sur l’ensemble de la zone d’opérations des Marines.
Néanmoins, ces derniers cherchaient à concentrer leurs efforts sur les principaux bassins de
population localisés dans les secteurs côtiers d’I Corps (voir la figure 16).
Figure 17: Disposition des Combined Action Platoons dans I Corps en 196948
Afin d’assurer la sécurité des villageois dans ces CAP, les Marines favorisaient un
concept unique qui ne devait pas être exploité avec autant de zèle par l’ensemble de l’US
Army dans ses opérations de COIN. Ce concept consistait à déployer une section d’infanterie
des Marines dans un village, puis de l’intégrer dans un peloton des forces paramilitaires de
la PF. Cette force conjointe était ensuite placée sous le contrôle opérationnel du chef de
district local. Dans cette optique de déploiement, les Marines conseillaient et entraînaient les
membres du PF tout en opérant de concert avec eux, le moment venu d’initier des opérations
offensives contre le VC. En retour, les Marines tiraient bénéfice de leurs contacts quotidiens
48 Ibid.
184
avec les soldats du PF qui étaient des résidents locaux de la zone d’opération des CAP
connaissant très bien le secteur et la population locale. En conséquence, il devenait plus facile
de collecter du renseignement sur les activités communistes et de familiariser leur allié
américain avec le secteur d’opération et sa population.49 Cette parfaite symbiose entre forces
locales et forces étrangères est exactement le genre d’acquis que doivent s’approprier les
forces contre-insurrectionnelles si elles tiennent à stabiliser leurs zones de responsabilité.
Afin d’assurer un bon commandement et un contrôle adéquat de cet amalgame de forces, le
III MAF a instauré dans le parcours de développement du programme une structure
hiérarchique élaborée. Les quartiers-généraux des Combined Action Groups se sont fait
déployer à Danang, Phu Bai et à Chu Lai, avec pour mission d’assurer le commandement,
l’administration et la supervision des opérations des CACO et des CAP qui leur étaient
subordonnés. Les quartiers-généraux des CACO, pour leur part, ont été localisés dans le
quartier-général du district où leurs Combined Action Platoons opéraient. Ces quartiers-
généraux assuraient quant à eux le commandement, l’administration et la supervision des
Combined Action Platoons.
Au sein des QG de districts, les Marines déployaient une Combined Action Team
(CAT) incluant des éléments de l’ARVN. Les CAT endossaient le rôle d’un centre
d’opération voué au chef de district sud-vietnamien, au déploiement des missions des équipes
de pacification (RD) et à la gestion des opérations de sécurité militaire du programme dans
les villages. La coordination des efforts militaires, des opérations d’appui feu, du
déploiement de renforts, des opérations de patrouilles et des évacuations médicales
s’accomplissait au sein des CAT. Cet effort coordonné s’exécutait de façon conjointe entre
les commandants des CACO et de l’Armée sud-vietnamienne, ainsi libres d’appuyer
pleinement les opérations des Combined Action Platoons. L’éventuel commandant de ces
derniers, le lieutenant-colonel William R. Corson, a soulevé que cette structure
organisationnelle « reflète les nécessités uniques » qui découlent des défis relatifs à la
conduite d’opérations militaires conjointes entre deux nations. Le système offrait l’avantage
d’une résolution rapide aux potentiels problèmes de gestion et de partages de responsabilité,
49 Ibid.
185
sans pour autant affecter la décentralisation et la flexibilité des opérations des CAP.50 Les
manœuvres militaires conjointes entre différentes nations ont régulièrement fait naître des
difficultés de commandement et de contrôle. Par le biais de ce système hiérarchique structuré,
la combinaison des opérations des forces de sécurité sud-vietnamiennes et des Marines se
trouvait grandement simplifiée.
Figure 18: Commandement et contrôle des Combined Action Platoons51
Quant aux CAP, leur ordre de bataille était charpenté ainsi: un total de 14 Marines et
un membre de la Navy étaient déployés dans chaque CAP. De son côté, le Popular Force y
déployait 35 soldats répartis dans trois sections de 10 hommes et un QG de cinq soldats.
Globalement, chaque Combined Action Platoon était formé d’une force américano-sud-
50 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division. III MAF. Marine Combined Action
Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, College Park, National Archives, NND 984145, RG#127,
Box 152, p. 11. 51 Ibid., p. 12. Le FWMAF: Free World Military Assistance Forces. Ce terme servait à désigner les Forces
alliées opérant au sein du théâtre d’opération sud-vietnamien, c’est-à-dire : les Forces armées des États-Unis,
de l’Australie, de la Corée du Sud, de la RVN, de la Nouvelle-Zélande, de la Thaïlande et des Philippines.
186
vietnamienne de 50 soldats (voir la figure 19).52 Lors de la conduite de patrouilles et
d’embuscades sur les lignes de communication du VC, une section d’assaut (fire team) de 4
Marines s’amalgamait aux éléments de l'une des sections (fire squad) du PF. L’objectif
ultime des Marines consistait à passer suffisamment de temps auprès des forces paramilitaires
du PF pour qu’elles puissent éventuellement prendre le relais des opérations du CAP, et ce,
sans leur présence. Une fois cet objectif atteint, les Marines pouvaient quitter le village et se
déployer dans un autre CAP pour assurer le mentorat de nouvelles forces paramilitaires.53 Au
sein des villages, la mission des Marines et du PF se résumait en six objectifs. Le premier,
détruire l’infrastructure (politique) viêt-cong du village. Le deuxième, assurer la protection
des habitants et maintenir l’ordre public. Le troisième, protéger les infrastructures du village.
Le quatrième, défendre les bases et les lignes de communication nichées dans le cœur et le
périmètre des villages. Le cinquième, organiser un réseau pour la collecte de renseignement
au sein de la population civile. Enfin, le sixième, participer aux actions civiques et conduire
des opérations psychologiques visant à détourner la population civile du VC.54
Pour défendre les hameaux et les villages, la totalité des forces du PF dans la
République du Vietnam rassemblait 150,000 soldats répartis dans 3000 pelotons et 1700
sections, disséminés dans chacun des 234 districts du pays (à l’exception d’un seul). Leur
mission consistait également à protéger des attaques du VC les infrastructures clés et les
politiciens locaux. Les forces du PF regroupaient uniquement des volontaires recrutés au sein
de leurs propres villages pour protéger les membres de leur famille. Bien qu’elle soit la force
militaire la moins bien payée, le PF causa aux communistes un ratio de pertes deux fois
supérieur à celui de l’ARVN. Lorsque les Marines se déployaient pour former un CAP, son
commandant se devait de toujours demander la permission du chef de district, le moment
venu d’amalgamer ses Marines à un peloton du PF.55 Le manque d’effectifs du PF aptes à
opérer auprès des Marines a été l’un des facteurs expliquant la lente progression du
développement de CAP. Des écoles ont été formées pour stimuler la motivation des soldats
52 Ibid., p. 2-3. 53 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 2nd Combined Action Group,
October-November 1968 to 2nd Combined Action Group, May 1969, College Park, National Archives, NND
29614, RG#127, Entry UD-07D1, Box 211. 54 Corson, op. cit., p. 184. 55 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division. III MAF, Marine Combined Action
Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 4-5.
187
du PF à servir dans les hameaux et pour leur publiciser la nature des CAP (aucun membre du
PF n’était forcé de servir au sein des CAP; l’enrôlement était volontaire). Les soldats du PF
intéressés à servir dans un Combined Action Platoon étaient transférés dans un centre
d’entraînement spécial à Hoa Cam pour suivre un cours de sept semaines en langue anglaise.
Ce faisant, le III MAF montrait sa volonté de faciliter la communication entre les Marines et
le PF sans constamment recourir à des interprètes.56
Figure 19: Schéma officiel de l’ordre de bataille d’un Combined Action Platoon57
56 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic
of South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p.43. 57 Ibid., p. 182.
188
Du côté américain, une fois venu le moment de sélectionner les Marines destinés à
opérer au sein des CAP, l’état-major de l’USMC ordonnait un filtrage très minutieux.
Considérant le haut niveau de responsabilité de chaque membre d’un CAP, chacun des
candidats devait, entre autres, rencontrer les normes suivantes : le Marine intéressé à joindre
le programme devait minimalement détenir le grade de lance-caporal, avoir servi au moins
deux mois au Vietnam s’il s’agissait de sa première mission, être volontaire et motivé à vivre
et travailler avec la communauté vietnamienne, être un Marine mature, motivé et
recommandé par sa chaîne de commandement, n’avoir aucune action disciplinaire à son actif,
exceller en termes de compétences et de bonne conduite et préférablement détenir un diplôme
d’études secondaires. En plus des critères susmentionnés, un sous-officier des Marines
intéressé à être déployé dans un CAP, se devait de cumuler de l’expérience de combat,
d’avoir fait montre de grandes qualités de leadership et enfin, d’être considéré pour une
éventuelle promotion au grade subséquent.58
Ces critères démontrent à quel point le commandement des Marines avait à cœur le
bon fonctionnement des CAP. Ce type d’opération n’est pas à la portée de tous les militaires;
un soldat avec « la baïonnette entre les dents » ne pouvait trouver sa place dans un
programme tel que celui des Combined Action Platoons. Comme souligné par Galula dans
son manifeste doctrinal, dans un contexte contre-insurrectionnel, le soldat se doit d’être « un
propagandiste, un travailleur social, un ingénieur civil, un enseignant, un infirmier et un boy
scout ».59 Les Marines dédiés aux CAP ne devaient pas receler d’haine viscérale envers les
Vietnamiens et se tenir également prêts, non seulement à aider et protéger les villageois, mais
également à vivre avec eux, manger en leur compagnie et partager leur quotidien. En serrant
les mailles du filet de cette façon, le III MAF s’assurait de ne pas recruter ce que les militaires
américains appelaient des « gook haters »60. Même le plus petit incident malencontreux
impliquant un Marine et un villageois sud-vietnamien pouvait amplifier le potentiel de
répercussions désastreuses sur la bonne marche des opérations d’un CAP. Et pour cause. Il
aurait suffi de peu pour que les soldats déployés dans les villages perdent définitivement la
58 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division, Force Order 3121.4B Standard
Operational Procedure for the Combined Action Program, College Park, National Archives, NND 984145,
RG#127, 1953-1993, Box 161, p. 11-12. 59 Galula, Counterinsurgency Warfare, op. cit., p. 65. 60 Le mot “gook” était un terme péjoratif utilisé par les Américains pour désigner leur adversaire japonais
pendant la Guerre du Pacifique. Le terme a également été utilisé en Corée et au Vietnam.
189
confiance de la population civile. C’est pourquoi on devait se montrer très sélectif lors de
l’assignation de Marines pour le programme. En regard de la formation des Combined Action
Platoons, ces derniers se subdivisaient en deux structures: les CAP statiques et les CAP
mobiles. Le modèle statique consistait en un éventail de Marines déployés dans une
installation fixe à l’intérieur même du village destiné à être protégé ; une installation fortifiée
d’une superficie avoisinant les 100 mètres carrés abritant les Marines et les membres du PF.
Ces derniers y érigeaient des bunkers, des postes d’observation et de tir, des dépôts de
munitions, un bunker de commandement et une petite infirmerie. Chacune des places fortes
et bunkers étaient interreliés via un réseau de semi-tranchées. Une tour de guet de 50 à 65
pieds permettait une observation constante du périmètre entourant le complexe statique du
CAP et les secteurs avoisinant le village. La position était de surcroît ceinturée de barbelés,
de mines Claymore, de fusées éclairantes déclenchées par contact (trip flares) et de pièges
(voir l’annexe 5 pour des photos de CAP statiques).61 Chacun des CAP se faisait attribuer un
secteur de responsabilité déjà sous le contrôle des forces chargées des opérations
conventionnelles, secteur dénommé Tactical Area of Coordination (TAOC).
Toutes les patrouilles, embuscades ou autres opérations à l’intérieur du TAOC d’un
CAP se voyaient coordonnées avec le commandant des forces militaires conventionnelles
responsables de leur propre secteur d’opération (Tactical Area of Responsibility/TAOR). À
la nuit tombée, les sections d’assaut des Marines et celles du PF quittaient leur camp de base
afin de conduire des opérations de reconnaissance ou des embuscades sur les lignes de
communication du Viêt-Cong.62 Le deuxième type de CAP était quant à lui mobile. La
mission des CAP mobiles revêtait un caractère identique à celle des CAP statiques, sans
toutefois posséder de base d’opération statique. Au fil de ces opérations constamment
mobiles, les Marines se mouvaient en continuels déplacements, chargés du minimum
d’équipement requis afin d’assister le PF dans la conduite de patrouilles de reconnaissance
et d’embuscades. Ces CAP se voyaient également attribuer un TAOC. Contrairement aux
Marines des CAP statiques, leurs homologues des forces mobiles vivaient dans un camp
quelconque le jour, complétaient leur mission la nuit pour ensuite se redéployer dans un autre
camp. Le commandement des Marines voulait que ces CAP mobiles interagissent avec un
61 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 2nd Combined Action Group,
October-November 1968 to 2nd Combined Action Group, May 1969, op. cit. 62 Ibid.
190
maximum d’hameaux et de villages dans leur TAOC attitré. Pendant la journée, les Marines
des CAP mobiles s’affairaient à préparer leur prochaine mission, à initier des opérations
civiques et médicales pour assister la population civile et à donner de l’instruction aux forces
paramilitaires. À la nuit tombée, ces mêmes Marines quittaient le village pour se déployer au
sein d’un autre site du TAOC.63 Plutôt que d’exploiter des places fortes le moment venu de
protéger les villages, les CAP mobiles déployaient leurs forces dans les secteurs extérieurs
donnant accès au village. Ce faisant, ils formaient un périmètre destiné à devenir une zone
d’embuscade qui piégeait le VC. La localisation de ces points d’embuscades différait d’une
mission à l’autre, contribuant ainsi à confondre l’adversaire.64 Lorsque les Marines
comparaient les deux concepts de CAP, leur préférence allait vers le concept de CAP mobile
qu’ils jugeaient tactiquement plus efficace que le concept de CAP statique. Les secteurs
géographiques du TAOC couverts par les éléments mobiles étaient beaucoup plus larges que
ce qui pouvait être contrôlé par les éléments statiques. De plus, le Viêt-Cong rencontrait
beaucoup plus de difficulté à contrer les Marines et les forces paramilitaires des CAP
mobiles; ces derniers n’utilisaient jamais les mêmes routes et ne privilégiaient aucun secteur
en particulier, une stratégie qui déstabilisait à répétition le VC toujours dans la totale
ignorance du moment où il se ferait embusquer par les Marines.
Avec les CAP statiques, il était plus facile pour les insurgés d’embusquer les Marines
et le PF car, ultimement, les communistes savaient que les Marines regagneraient
éventuellement leur camp de base statique, ce qui n’était pas le modus operandi des CAP
mobiles. Le VC se trouvait incapable d’embusquer les Marines, compte tenu de leurs
déplacements constants en des parcours aléatoires (de la perspective VC) d’une zone à l’autre
de leur secteur d’opération. Via le système de CAP mobile, les Marines ont aussi observé
que les communistes jouissaient de beaucoup moins de liberté de mouvement dans leur zone
d’opération, un facteur qui compliquait souvent la jonction de troupes VC avec celles du
NVA. Les chefs d’hameaux que nous avons vus précédemment vivre dans la peur de
demeurer la nuit dans les villages se montraient beaucoup plus enclins à y rester lorsqu’ils
savaient que des CAP mobiles opéraient dans le secteur. Lorsque les Marines de CAP de ce
63 Ibid. 64 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural
Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, op. cit.
191
type manœuvraient dans un secteur spécifique du TAOC, on observait une chute des attaques
terroristes du VC sur les autorités locales et les forces de police.65 L’effet de surprise
engendré via les embuscades des CAP mobiles vint à dissuader les Viêt-Cong de s’aventurer
trop près des secteurs peuplés, patrouillés par les Marines. Dans plusieurs secteurs, le VC
considérait trop élevé le prix à payer pour s’approcher des villages et, de ce fait, les contacts
avec les Marines ont complètement cessé.66 Concernant les relations avec la population
civile, les Marines des CAP mobiles interagissaient avec plus de villageois, se mêlaient à
eux, assuraient leur protection, apprenaient leurs coutumes et développaient une relation
amicale favorisant les bases d’une confiance mutuelle.67 Il est à noter que les forces statiques
pouvaient accomplir sensiblement les mêmes actions que leurs collègues des forces mobiles.
Toutefois, la surface géographique à la portée du contrôle des CAP statiques était fort limitée,
ce qui explique les succès plus généralisés des CAP mobiles. De plus les infrastructures
défensives des CAP statiques nécessitaient la présence constante de Marines et de membres
de la Popular Force pour assurer la défense du complexe, un facteur qui restreignait les
troupes déployées, désireuses d’initier des embuscades.
Ultimement, le VC a fini par réaliser qu’il pouvait opérer à son gré dans les secteurs
ruraux s’il s’assurait au préalable de ne pas approcher le périmètre d’un village protégé par
un CAP statique. Enfin, compte tenu que le statut de « position défensive » des CAP statiques
les rendait plus vulnérables, le Viêt-Cong pouvait conduire des opérations de reconnaissance
pour cibler les points faibles du complexe défensif du camp statique avant de lancer un assaut
pour s’en saisir. Lors de l’offensive du Têt, le VC est parvenu à détruire plusieurs bases
d’opération de CAP statiques en exploitant cette méthode. Néanmoins, jamais le VC n’a
réussi à anéantir un CAP mobile.68 L’ensemble de ces particularités explique pourquoi les
Marines privilégiaient le concept mobile des Combined Action Platoons. Dans les prochaines
pages, nous verrons comment la destruction de CAP statiques par les communistes lors du
Têt a prouvé l’importance de viser à la fois les unités de guérilla du Viêt-Cong et les forces
65 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 2nd Combined Action Group,
October-November 1968 to 2nd Combined Action Group, May 1969, op. cit. 66 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural
Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, op. cit. 67 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 2nd Combined Action Group,
October-November 1968 to 2nd Combined Action Group, May 1969, op. cit. 68 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural
Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, op. cit.
192
militaires conventionnelles du NVA. Avec une panoplie d’unités régulières communistes
libres de projeter leurs forces dans l’ensemble de la campagne sud-vietnamienne, la chute de
CAP statiques serait vraisemblablement advenue bien plus fréquemment. Nous sommes une
fois encore à même de cibler l’importance que revêt la nécessité de maximiser de manière
synchronisée la conduite d’opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles.
Nonobstant ce détail, le système de CAP respectait les bases fondamentales de la doctrine
contre-insurrectionnelle de David Galula. Les opérations de contre-insurrection menées par
les Marines dès 1965 par le biais de ses CAP ont rapidement causé de sérieux ennuis à
l’insurrection viêt-cong.
3.3. Déploiement du premier Combined Action Platoon et extension du programme
Bien que les secteurs en périphérie de la base de Danang aient été sécurisés lors de
leur arrivée au Vietnam en mars 1965, les Marines ne devaient pas tarder à constater que les
Viêt-Cong contrôlaient l’ensemble des secteurs ruraux. Les communistes avaient su prendre
profit de la dégringolade contre-insurrectionnelle des forces de sécurité sud-vietnamiennes à
la suite de la chute de Diem et des hameaux stratégiques en 1963. À l’arrivée des Marines
dans I Corps, le VC s’était déjà littéralement incrusté en profondeur dans les basses terres et
les secteurs côtiers du nord de la RVN. À l’exception des centres urbains, les seuls moments
propices où l’on pouvait circuler en toute sécurité dans les secteurs étaient pendant la journée.
Dès la nuit tombée, les forces de sécurité sud-vietnamiennes s’éclipsaient dans leurs
retranchements défensifs, laissant ainsi le VC sillonner en toute immunité les secteurs
peuplés d’I Corps.69 Trois villages de Phu Bai, dans le secteur de responsabilité des Marines,
ne faisaient pas exception; à la nuit tombée, ces agglomérations devenaient contrôlées par le
VC et l’ont été pour plusieurs années. Les insurgés y ont positionné des mortiers qu’ils
mettaient à profit pour harceler les positions des Marines près de la base aérienne de Danang.
En date du 21 juin 1965, les Marines ont pour la première fois pénétré dans les villages afin
d’y effectuer une patrouille de présence. Leur mission consistait à initier un contact avec les
dirigeants officiels des villages et d’effectuer une évaluation de la situation. Au cours de la
semaine suivante, des contacts similaires se sont établis entre les chefs de villages et les
69 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March
1966, op. cit., p. 2.
193
Marines. Résultat : les chefs de village ont accepté que les Marines déploient des équipes
médicales pour soigner les villageois. Lentement mais sûrement, la population commençait
à accepter de plein gré l’aide médicale des Marines.70 Chacun des villages comptait un
peloton de 30 membres du PF, destinés à former les premiers CAP auprès des Marines.
Néanmoins, préalablement à la mise sur pied du premier CAP, les forces paramilitaires
n’osaient pas patrouiller les secteurs avoisinant les villages et les dirigeants locaux ne
s’aventuraient pas à passer la nuit dans les hameaux, de crainte d’être assassinés par les
insurgés. Ces derniers continuaient librement de collecter des taxes, d’effectuer des
opérations de propagande et de terroriser les villageois. Les Marines n’arrivaient tout
simplement pas à collecter du renseignement auprès de la population ou du PF, ces derniers
vivant dans la crainte des inévitables représailles des insurgés. Lors d’une rencontre avec les
chefs de villages, les commandants de l’USMC sur place se sont fait dire sans réserve aucune
que leur assistance était grandement « appréciée » des villageois qui vivaient déjà beaucoup
mieux qu’avant l’arrivée des Marines.
Toutefois, les dirigeants soulevaient que le réel problème résidait dans « la sécurité ».
Ils ont expliqué aux Américains que les habitants du village « étaient loyaux envers le
GVN », qu’ils assisteraient les Marines au meilleur de leurs possibilités. Nonobstant cela, le
spectre de représailles était trop énorme et, de plus, les chefs de village ont fait valoir que les
soldats du PF ne faisaient tout simplement pas le poids face aux Viêt-Cong.71Après cette
rencontre, les Marines ont réalisé que leurs efforts de patrouille et d’aide médicale avaient
été vains et qu’ils négligeaient l’aspect névralgique d’une COIN : la sécurité de la population.
C’est à cet instant qu’est arrivée la recommandation de déployer des troupes en permanence
à l’intérieur des villages du secteur de Phu Bai.72 Soucieux de ne pas étendre l’ensemble de
leurs forces dans les villages, le commandement local de l’USMC a développé l’idée
d’amalgamer diverses forces réduites de leurs Marines aux éléments paramilitaires du PF
dans les villages. Le plan une fois soumis au commandant de bataillon des Marines sur place
a reçu sa prompte adhésion mais n’a toutefois pas obtenu l’approbation (ni la désapprobation)
70 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, Records of Units and Other Commands,
1953-1993 MDEC. Amphibious Warfare School. Modification to the III MAF Combined Action Program in
the Republic of Vietnam, 19 December 1968, College Park, National Archives, NND 9841145, RG#127, Box
119, p. C-1-C-3. 71 Ibid., p. C-4-C5. 72 Ibid., p. C-5.
194
de sa chaîne de commandement. Cela a suffi cependant pour initier les premiers déploiements
de Marines dans les villages, en appui au PF. Le 25 juillet 1965, le lieutenant Paul R. Ek s’est
vu assigné en tant qu’interprète au 3rd Battalion, 4th Marines. Sa connaissance de la langue
en faisait le candidat idéal pour travailler au sein d’un CAP, ce qui a incité le commandant
de bataillon des Marines à le mettre en charge du tout premier Combined Action Platoon
(voir annexe 6).73 Une fois déployés dans les trois villages de Phu Bai, Ek et ses Marines se
sont mis immédiatement au travail. Au cours des premières semaines, Ek s’est activé à
entraîner ses Marines à comprendre la culture, la religion, les coutumes et la langue des
Vietnamiens. Il a révisé avec eux les tactiques de base d’opération de petites unités et les
actions offensives sous contact ennemi. L’entraînement a duré quelques semaines et, en août,
les Marines et le PF initiaient leurs premières patrouilles conjointes dans les secteurs
avoisinant les trois villages de Phu Bai. Pour sa part, le chef de province de Thua Tien a
donné le feu vert, approuvant le déploiement des forces du PF auprès des Marines en vue
d’actions offensives. Pour sa part, le général Victor Krulak, informé des progrès de
l’initiative contre-insurrectionnelle des Marines, a donné sa bénédiction pour que le
programme aille de l’avant.74
Ainsi, Ek et ses Marines ont continué à entraîner les membres du PF, patrouillaient
avec eux, les traitant avec le plus grand respect. Les résultats de cette coopération se sont
avérés très positifs. En prenant la peine de connaitre les paysans (membres des familles des
soldats du PF), les Marines ont réalisé qu’il était tout à fait possible de gagner l’appui des
villageois. Sur le plan offensif, la coopération des Marines du lieutenant Ek et du PF a généré
d’excellents résultats contre le VC. Le 29 novembre 1965, le lieutenant Ek a déployé une
partie de son CAP dans le but d’initier une embuscade contre le VC près du pont de Phu Bai.
Deux sections du CAP s’étaient préparées à initier de manière coordonnée l’embuscade qui
devait également bénéficier de l’appui de frappes d’artillerie. Sommairement analysée,
l’embuscade s’est déroulée comme suit : une patrouille nocturne des VC se mouvait vers les
villages du secteur de Phu Bai lorsqu’elle s’est trouvée embusquée de front par une section
de Marines et de PF. Sur son flanc droit, le VC a subi le tir simultané de l’autre section de
CAP, coinçant les insurgés au centre d’un tir croisé. Le chemin de retraite du VC ayant déjà
été préétabli par les Marines, ceux-ci ont veillé à fournir à leur artillerie les coordonnées
73 Ibid. 74 Ibid., p. C-7-C-8.
195
topographiques du secteur de repli anticipé de l’ennemi. Les survivants des VC ont vu leur
retraite coupée par l’artillerie qui effectua un tir de blocage. L’aire de repli du VC s’est
littéralement métamorphosée en une zone d’abattage qui a maximisé les pertes des forces
insurgées (voir la figure 20).75
Figure 20: Schéma de l’embuscade du CAP du lieutenant Ek au pont de Phu Bai76
75 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March
1966, op. cit., p. 3. 76 Ibid., p. 2b.
196
Cette tactique d’embuscade exploitée par le tout premier CAP a constitué une des
méthodes privilégiées des Marines, destinée à devenir pratiquée à répétition par l’ensemble
des autres Combined Action Platoons appelés à voir le jour. Le 25 septembre, le lieutenant
Ek s’est fait remplacer par le capitaine John J. Mullen, l’un des premiers officiers des Marines
à proposer l’idée de déployer des CAP dans I Corps. Il a continué dans la même lancée que
le lieutenant Ek, ordonnant toutefois la mise en place d’ajustements qu’il jugeait importants :
chaque village devait être occupé en permanence par les Marines; les patrouilles de nuit et
les embuscades devaient être maximisées, il fallait assurer une garde à 100% active au sein
des villages à la tombée de la nuit et également intensifier l’entraînement conjoint avec les
membres du PF. Le commandant de bataillon des Marines y est allé aussi de ses propres
directives : sécuriser la population civile en permanence pour la séparer des VC, implanter
et maintenir un programme d’action civique dans les villages, de concert avec les autorités
locales, afin d’améliorer les conditions de vie de la population ; mettre sur pied un réseau
pour la collecte de renseignements et, enfin, entraîner les membres du PF de manière à ce
qu’ils puissent prendre le relais des opérations sans s’appuyer sur la présence des Marines.77
En somme, les règles officielles de la conduite des opérations des CAP mentionnées
précédemment ont été établies dès les premiers balbutiements du programme dans le secteur
de Phu Bai. En adoptant ces méthodes littéralement calquées sur les préceptes doctrinaux de
Galula, les Marines facilitaient la conduite des opérations de COIN dans les villages et les
secteurs avoisinant. Dans les zones du CAP de Phu Bai, on a expérimenté de plus en plus de
contacts avec les VC. Ceux-ci tombaient ponctuellement sous embuscade, un jeu auquel ils
n’étaient pas familiers, compte tenu qu’ils avaient généralement l’habitude d’être eux-mêmes
les instigateurs d’embuscades contre les Américains. Devant les succès des Marines et du
PF, la population civile commençait à ressentir un sentiment de confiance envers les forces
de sécurité chargées d’assurer leur protection. La police nationale déployée dans la région
des villages de Phu Bai, jusque-là inactive, commençait à fournir du renseignement aux
forces des CAP. Il en alla de même pour la population civile qui se risquait également à
donner de son plein gré aux Marines du renseignement sur les activités insurgées. De leur
côté, les dirigeants des villages de Phu Bai qui, préalablement au déploiement des CAP,
77 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, Records of Units and Other Commands,
1953-1993 MDEC Amphibious Warfare School, Modification to the III MAF Combined Action Program in
the Republic of Vietnam, 19 December 1968, op, cit., p. C-9-C-10.
197
refusaient de passer la nuit dans les hameaux, commençaient à s’y sentir en sécurité et
demeuraient dans leur domicile une fois la nuit venue. Le chef de la province de Thua Thien
a été si impressionné par les succès du premier CAP qu’il a ordonné le déplacement d’un
peloton (30 soldats) supplémentaire de forces paramilitaires qu’il a mis à la disposition du
capitaine Mullen. Ce dernier devait découvrir qu’en fait, le chef de la province lui avait
envoyé un de ses pelotons de PF les plus aguerris. Ce constat a incité Mullen à ne déployer
que trois Marines en soutien au peloton qu’on a chargé de cueillir du renseignement sur le
VC pendant le jour et de l’embusquer pendant la nuit.78 À compter de novembre 1965, 75%
des opérations offensives du CAP de Phu Bai s’initiait grâce à la collecte de renseignements.
Dès lors, les activités de propagande ainsi que la collecte de taxe du VC ont complètement
cessé dans les villages de Phu Bai. De plus, les Marines et les habitants des hameaux
s’acceptaient sans réserve les uns les autres. C’est également à partir de novembre 1965 que
les pelotons des CAP ont été subdivisés selon les standards définis à la figure 19.79
À la mi-décembre 1965, le programme a pris de l’expansion dans le secteur de
Danang; trois autres villages sont tombés sous la responsabilité de CAP. De janvier à avril
1966, les opérations contre-insurrectionnelles se sont poursuivies, donnant des résultats tout
aussi constructifs. Les contacts et embuscades contre le VC s’élargissaient incontestablement
à l’avantage des Marines et du PF. Les conditions de vie et les ressources disponibles pour
la population civile continuaient de s’améliorer et prendre de l’ampleur. Les villages une fois
sécurisés, le GVN devenait apte à contribuer de manière beaucoup plus proactive au
développement des infrastructures pour la communauté rurale. Le succès global de ce
premier ensemble de CAP atteint un niveau suffisant pour que le commandant du III MAF,
le général Lewis W. Walt, ordonne au capitaine Mullen de sélectionner un second TAOR
pour le développement d’une toute nouvelle compagnie de plusieurs CAP.80 Avec le temps,
le secteur de responsabilité des Marines commençait à rayonner et aller au-delà des limites
du secteur de Danang. En 1966, le nombre de Marines déployés dans I Corps passa de 9000
à un total de 40,000, ce qui incluait le III MAF, la 3rd Marine Division et le First Marine Air
Wing. D’autres CAP se sont développés au fil des mois, ce qui incitait l’USMC à développer
78 Ibid., p. C-10-C-11. 79 Ibid., C-11. 80 Ibid., p. C-12-C14.
198
de nouvelles techniques pour sécuriser les villages destinés à devenir un TAOC des Marines.
Le moment venu de sécuriser un village, les Marines des CAP exploitaient des tactiques
beaucoup plus subtiles que leurs collègues de l’US Army. En février 1966, la 3rd Marine
Division a testé un concept baptisé COUNTY FAIR. Plutôt que de larguer des tracts à la
population civile et bombarder les secteurs avec du napalm (actions qui non seulement
trahissaient une intervention américaine mais causaient aussi la mort de civils), le concept de
COUNTY FAIR visait à déployer subtilement une unité de Marines tout autour du village
pour former un cordon de sécurité. Ce déploiement s’exécutait dans la plus grande discrétion
afin de ne pas alerter le VC. Ceci fait, des unités de l’ARVN et des cadres politiques entraient
dans le village, regroupaient ses habitants, les interrogeaient, les identifiaient, les
nourrissaient et procédaient à des opérations psychologiques. Parallèlement, les forces de
l’ARVN quadrillaient le village et le sécurisaient de façon systématique afin d’y trouver les
potentiels dépôts logistiques, tunnels et insurgés cachés et camouflés à l’intérieur du
périmètre. Ce procédé, préalable au déploiement d’un CAP, causait de sérieux problèmes aux
VC. L’analyse de documents communistes saisis démontre que le commandement
communiste avait ordonné la mise en pratique de deux plans de contingences pour faire face
aux opérations de type COUNTY FAIR initiées dans un village qui se trouvait sous leur
contrôle.
Le premier plan consistait à cibler une faille dans le cordon de sécurité des Marines
pour tenter de s’infiltrer subversivement à l’extérieur du périmètre. Advenant un cordon trop
serré, le VC devait s’assurer de détenir suffisamment d’eau et de nourriture pour tenir trois à
cinq jours dans les abris souterrains localisés sous le village.81 Dans le cas où les forces de
sécurité s’installaient en permanence, tout de suite après l’opération, pour y former un CAP,
la situation des VC terrés et non localisés par l’ARVN menaçait de devenir très précaire,
faute d’échappatoire vu la présence constante des soldats ennemis. Les concepts de CAP et
de COUNTY FAIR ont connu énormément de succès au cours des mois subséquents au
déploiement original des Marines. Forts de ce modus operandi et des succès du CAP original
de Phu Bai, les Marines devaient maximiser l’exploitation de cette doctrine dans divers
secteurs géographiques d’I Corps. En février 1966, il y avait suffisamment de CAP pour
81 Headquarters U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March
1966, op. cit., p. 75.
199
officiellement désigner le tout premier Combined Action Company opérationnel dans les
secteurs de DaNang et de Chu Lai. Le concept a par la suite été répandu dans le reste des
secteurs côtiers des provinces d’I Corps.82 Néanmoins, l’année 1966 a également coïncidé
avec le déploiement massif d’unités régulières du NVA dans le nord de la zone d’opération
des Marines, ce qui devait aboutir sur la succession d’opérations offensives conventionnelles,
tel que décrit au chapitre précédent. Bien que ces déploiements du NVA aient justifié le
concept de guerre de Westmoreland, les Marines ont souvent déclaré que cette initiative du
général nord-vietnamien Vo Nguyen Giap avait pour origine l’efficacité des Combined
Action Platoons. Le chef d’état-major nord-vietnamien aurait déclaré qu’afin de forcer les
Marines à abandonner leurs opérations de pacification, il aurait ordonné le déploiement d’une
grande partie de ses forces régulières dans le secteur nord d’I Corps.83 Quoi qu’il en soit,
c’est exactement ce qui se produisit : la multitude de régiments réguliers nord-vietnamiens
déployés dans la zone d’opération des Marines devait faire en sorte que ceux-ci n’ont jamais
réussi à développer les 74 CAP qu’ils espéraient instaurer pour la fin de l’année 1966.84
Nonobstant cela, les CAP que le III MAF a réussi à établir ont causé au VC le même
genre d’entrave tactique que le CAP original du lieutenant Ek. De plus, la coopération des
membres du PF avec les Marines avait des impacts extrêmement bénéfiques sur les forces
paramilitaires associées aux CAP. À titre d’exemple, le PF avait comme réputation d’afficher
le plus haut degré de désertions des forces de sécurité sud-vietnamiennes avec un taux quatre
fois plus élevé que celui de l’ARVN. D’août à décembre 1966, près de 40,000 membres du
PF avaient déserté, carrément plus du quart du total de la force paramilitaire sud-
vietnamienne (PF uniquement). Cette situation contrastait grandement avec le nombre de
désertions survenu au sein des CAP : au cours de la même période, aucune désertion n’a été
enregistrée parmi les PF qui opéraient côte à côte avec les Marines.85 Ceci tend à démontrer
le potentiel de succès et de motivation des forces paramilitaires si elles opèrent de concert
avec des éléments compétents et professionnels comme ceux des Marines. Cette particularité
transparaît également lorsqu’on analyse les statistiques au combat du PF et des Marines. En
décembre 1966 et janvier 1967, les 26,000 troupes du PF déployées dans I Corps auraient
82 Ibid. 83 Michael E. Peterson, The Combined Action Platoons, New York, Praeger, 1989, p. 31. 84 Ibid. 85 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, Records of Units and Other Commands,
1953-1993, FMFPAC to II MEF, College Park, National Archives, NND 984145, RG#127, Box 146.
200
neutralisé 499 VC au prix de 157 soldats tués et 231 blessés. Au cours de la même période,
2211 Marines et PF des CAP ont neutralisé 52 VC et capturé 61 insurgés. Aucun membre
des Marines ou du PF des CAP n’a été tué au cours de ces opérations. À partir de janvier
1966, les unités de CAP affichaient un ratio d’ennemis tués de 14 pour 1. Pour leur part, les
membres du PF qui n’opéraient pas au sein des CAP et auprès des Marines cumulaient un
ratio d’ennemis tués de seulement 3 pour 1.86 Les patrouilles et les embuscades des CAP
gagnaient en intensité de 1966 à 1967 et ont été la source de nombreuses embûches pour les
VC dans les secteurs peuplés (voir la figure 21).
Figure 21: Statistiques des opérations offensives des CAP 1966-6787
Ces statistiques illustrent bien que les Marines et les PF des CAP se sont révélés très
actifs le moment venu d’initier des patrouilles et des embuscades contre le VC. Plus les mois
progressaient, plus les membres du PF acquéraient de l’expérience, ouvrant ainsi la porte sur
86 Ibid. 87 Ibid.
201
l’initiation plus fréquente d’embuscades. On menait ces guet-apens préférablement de nuit
moment de prédilection pour les mouvements du VC sur leurs lignes de communication. En
revanche, ces manœuvres nocturnes ne freinaient en rien la conduite d’opérations de
reconnaissance et d’embuscades durant la journée. Lorsque le taux de VC tués est analysé,
nous constatons à quel point les opérations de COIN des CAP n’engendraient pas un nombre
de pertes similaire à une opération conventionnelle. Cette particularité n’a absolument rien
d’anormal, le concept de CAP allant de pair avec ce que les Marines ont décrit dans le Small
Wars Manual comme un conflit à « basse intensité ». Dans le cas des CAP, le but cherché
n’est point d’infliger un maximum de pertes à l’adversaire, mais plutôt de l’empêcher
d’accéder aux secteurs peuplés en lui interdisant l’accès aux villages et à ses lignes de
communication. Dans cette optique, les opérations de reconnaissance et les embuscades
comme celle du lieutenant Ek constituaient le fer de lance des initiatives militaro-tactiques
du programme contre-insurrectionnel des Marines. Il suffit de résumer deux opérations
d’embuscades des CAP pour comprendre le type de contacts auxquels les Marines et le PF
étaient confrontés lorsque le cadre de leurs missions les amenait à affronter le VC.
Le premier cas s’est produit dans un CAP du secteur de responsabilité du 4th CAG.
Ayant été prévenus par un villageois de l’existence d’activités VC dans le secteur du hameau
de Ngai An, les Marines, appuyés du PF, se sont déployés au secteur désigné pour embusquer
un groupe qui s’est avéré être un peloton entier du Viêt-Cong. Par le biais du tir constant
d’une mitrailleuse M-60, d’un lance-grenade M-79 et d’armes légères, l’équipe d’embuscade
a bloqué l’accès au village et a forcé la retraite des communistes. Deux insurgés et un soldat
du PF ont péri pendant l’embuscade. Bien que les pertes encaissées par le VC soient minimes,
l’accès au village et à sa population leur a été prohibé. Le deuxième incident s’est également
produit dans le secteur de responsabilité du 4th CAG : une patrouille de CAP en déplacement
afin d’initier une embuscade a repéré quatre VC musardant dans leur périmètre d’opération.
Le CAP a embusqué les insurgés en utilisant ses armes légères, son M-79 et des obus de
mortier. Un VC est instantanément tombé au combat, les survivants répondant d’abord au tir
avec leurs AK-47, pour finalement briser le contact et chercher à fuir vers le nord-ouest de
la position des Marines. Ces derniers ont par radio demandé le déclenchement d’une mission
202
de tir de l’artillerie qui a largué des obus sur le chemin de repli des insurgés,88 empêchant ces
derniers d’approcher du périmètre du village. En somme, voilà à quoi se résumait l’essentiel
des opérations offensives des CAP au cours de leurs patrouilles des secteurs de villages
placés sous leur responsabilité. L’analyse des rapports post-opération des quatre CAG
démontre que de tels scénarios se sont répétés à des centaines de reprises lors de la conduite
d’opérations de patrouilles et d’embuscades des CAP. Ces interventions, sans être
spectaculaires, étaient fidèles à la marche à suivre pour empêcher l’accès aux villages des
forces insurgées du VC. En 1967, le programme continuait à prendre de l’ampleur. Au cours
de cette même année, les généraux Walt et Krulak ont nommé le lieutenant-colonel William
R. Corson commandant des opérations de l’ensemble des quatre CAG. Corson était un
vétéran de la Deuxième Guerre mondiale et de la guerre de Corée. Son expertise en matière
de COIN au Vietnam devait éventuellement l’amener à travailler conjointement avec des
hauts gradés du Pentagone et de hauts conseillers de la Maison-Blanche. En décembre 1968,
I Corps comptait une centaine de CAP. Néanmoins, l’expansion croissant très vite causait
quelques problèmes au programme. Il fallait recruter plus de Marines au sein des unités
régulières dont les commandants se montraient peu enclins à laisser partir leurs meilleurs
éléments pour les voir ensuite intégrés dans les rangs des CAP.89
Nonobstant cela, le programme n’a pas perdu de son essor, là où les Marines
l’appliquaient. Toutefois, la mission des Marines et du PF allait bien au-delà des opérations
d’embuscades et d’interdiction contre le VC. Les CAP devaient également se démener pour
gagner la confiance et l’appui de la population civile. C’est dans cette visée que les Marines
ont déclenché une succession d’opérations civiques en parallèle aux manœuvres offensives
décrites précédemment. Ces interventions visaient à gagner ce que les Américains appelaient
« the heart and minds of the people ». Bien que ce terme puisse aujourd’hui sembler cliché,
c’est exactement ce que les Marines ont réussi à accomplir, non seulement dans les CAP,
mais aussi dans plusieurs secteurs d’I Corps. Au sein même des villages, les Marines et le
PF s’assuraient d’accomplir les six objectifs globaux des Combined Action Platoons. À cet
effet, le lieutenant-colonel Corson a très bien résumé comment les Marines et le PF ont atteint
88 Records of the U.S. Marines Corps, Command Chronologies, 1965-1979 4nd Combined Action Group,
October 1968 to 4nd Combined Action Group, August 1969, College Park, National Archives, NND 29614,
RG#127, Entry UD-07D1, Box 358. 89 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, Records of Units and Other Commands,
1953-1993 MDEC, Amphibious Warfare School, op. cit., p. B-2.
203
les objectifs susmentionnés. Le premier, détruire l’infrastructure politique du VC dans les
villages, a été rendu possible grâce à trois particularités propres aux doctrines de CAP. Dans
le chapitre 1, nous avons vu comment Robert Thompson a décrit le rôle de l’infrastructure
politique du VC dans les villages. Il était de la responsabilité desdits cadres politiques de
fournir des recrues, de la nourriture, de l’approvisionnement et du renseignement aux forces
de combat de l’insurrection. Les actions des Marines au sein des CAP ont donné une
dimension particulièrement hasardeuse à cette fonction. Leur présence permanente, 24 heures
sur 24 dans les hameaux, sabotait la dynamique interrelationnelle liant les cadres politiques
communistes aux forces de combat qui dépendaient de leur appui. Bien qu’il ne soit pas
impossible pour des cadres politiques d’infiltrer les villages de CAP, il leur était néanmoins
extrêmement difficile d’y effectuer des opérations de recrutement.90 Qui plus est, les Marines
appliquaient les techniques prônées par David Galula dans les villages en assurant un
recensement complet de chaque villageois au sein des hameaux. En septembre 1967, des 75
hameaux occupés par des CAP, 69 ont pu compléter leurs opérations de recensement. Pour
les 6 CAP restants, bien qu’ils opéraient depuis six mois à peine, cela n’a pas empêché leur
programme de recensement d’être à un stade très avancé. Ces opérations ne se limitaient pas
simplement à compter combien de villageois vivaient dans les hameaux. Elles s’étendaient
également à l’élaboration de registres, de documentation, allant jusqu’à la prise des
empreintes digitales des villageois.91
Comme Galula l’a expliqué, cette initiative permettait d’identifier les villageois et de
faciliter le repérage d’intrus. Ce procédé, combiné à la présence permanente des forces de
sécurité, donnait l’opportunité aux Marines de répertorier et connaître chacun des résidents
du village et de cibler de potentiels cadres communistes pouvant chercher à s’infiltrer.
Conséquence : le taux de recrutement du VC a chuté de manière draconienne dans les
secteurs occupés par les CAP. Corson mentionne qu’au sein des 50 CAP originaux, la « perte
inexpliquée » de villageois qu’on attribuait au recrutement VC entre six mois et un an se
situait à moins d’un dixième d’un pour cent par 170 personnes. Corson n’attribue pas toutes
ces disparitions aux tentatives de recrutement communiste. Néanmoins, il souligne que
90 Records of the U.S. Marines Corps History and Museum Division, III MAF. Marine Combined Action
Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 14-15. 91 Corson, op. cit., p. 185.
204
sommairement analysées, ces statistiques démontrent qu’au sein de la base populaire des
CAP qui comptait environ un total de 170,000 personnes, le VC est parvenu à recruter plus
ou moins 170 civils dans ses rangs.92 La présence des Marines empêchait les cadres
communistes d’extorquer, de voler ou d’acheter de la nourriture et d’autres nécessités à la
population civile pour nourrir les forces de combat du VC. Corson affirme que les CAP, en
coopération avec les opérations militaires conventionnelles des Marines (GOLDEN
FLEECE), ont empêché le VC de s’accaparer 75% des quatre dernières récoltes de riz dans
I Corps. De plus, des observateurs disposés au sein des marchés dans les CAP appliquaient
la consigne reçue d’empêcher la vente d’abondantes quantités de riz à de potentiels agents
du VC, une tactique qui complexifiait encore davantage l’acquisition de nourriture pour les
insurgés. Cette initiative a facilité l’arrestation de multiples sympathisants VC par les
Marines. Non seulement cette tactique empêchait le VC d’obtenir du réapprovisionnement
de nourriture, mais elle constituait un excellent moyen de collecter du renseignement auprès
des sympathisants communistes. Des insurgés capturés et des transfuges ont admis que « le
Viêt-Cong était conscient des dangers » générés par les tentatives de collecte
d’approvisionnement et de nourriture dans les hameaux protégés par des CAP. Un cadre VC
a avoué quant à lui que les Marines avaient forcé ses troupes à éviter les CAP pour rediriger
leurs opérations vers d’autres villages.93
La dernière action initiée par des Marines, avec pour résultat de saboter la capacité à
opérer des cadres communistes, a été la conduite d’opérations de reconnaissance et
d’embuscade des CAP décrites précédemment. Les patrouilles du PF et des Marines
empêchaient les troupes de combat du VC d’escorter les cadres politiques communistes
jusqu’au village. L’atteinte des objectifs 2 à 4 (protection de la sécurité publique, de
l’infrastructure du village et des lignes de communication) a également été rendue possible
par la présence permanente des Marines et les opérations offensives exécutées nuitamment
dans le périmètre du village.94 Quand venait le moment d’évaluer le degré d’efficacité des
CAP à assurer la protection de l’infrastructure des villages et de son leadership politique, le
Lieutenant-Colonel Corson s’appuyait sur les faits suivants : dans les hameaux sans CAP,
92 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division, III MAF, Marine Combined Action
Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 15. 93 Ibid., p. 186. 94 Ibid.
205
moins d’un chef d’hameau sur cinq se sentait « suffisamment en sécurité » pour passer la nuit
dans sa maison. Au sein des villages défendus par un CAP, plus de quatre chefs d’hameau
sur cinq se sentaient suffisamment protégés pour demeurer dans leur demeure sur une base
permanente. Seulement 29% des villages sans CAP disposaient d’un conseil politique
d’hameau pour gouverner la communauté. Du côté des villages auxquels on greffa un CAP,
93% disposaient d’un conseil d’hameau fonctionnel.95 Le cinquième objectif, qui visait à
créer un réseau pour la collecte de renseignement, a également connu beaucoup de succès au
sein des CAP. Nous avons mentionné précédemment que la population civile se montrait très
réticente à donner des renseignements sur le VC, par crainte d’inévitables représailles,
souvent meurtrières, des insurgés. Les hameaux stratégiques motivaient largement les
villageois à divulguer de leur plein gré du renseignement aux forces contre-
insurrectionnelles. Sans que ce soit un élément de surprise, les CAP ont créé le même effet.
Préalablement aux déploiements des Marines dans les villages, la population se montrait fort
réticente à parler aux Forces américaines car celles-ci, une fois leur patrouille de présence
terminée, ne demeuraient pas dans les hameaux.
La sécurité offerte par les CAP mettait la population en confiance, tant et si bien que
les Marines n’avaient même pas à investir d’efforts pour recruter des villageois en vue
d’établir un réseau de collecte de renseignement. Les défaites successives infligées aux
insurgés par les Marines lors de leurs embuscades autour des villages ont fortement terni
l’aura d’invincibilité du Viêt-Cong. Les CAP offraient sécurité et stabilité aux civils, ce qui
les motivait à informer les Marines sur les agissements communistes.96 Dans les secteurs
ruraux, les enfants arrivaient constamment à repérer les mouvements et les actions du VC.
Sur une base assidue, les jeunes Vietnamiens informaient les Marines sur les activités
communistes ou sur leurs trouvailles en lien avec des caches d’armes du VC. Les petits
Vietnamiens rapportaient également aux Marines des items dérobés aux insurgés. À titre
d’exemple, au sud de Danang, deux jeunes Vietnamiens ont informé une patrouille de
reconnaissance des Marines à l’effet qu’ils avaient surpris des VC occupés à enfouir
furtivement des munitions dans une fosse à proximité. Les Marines se sont mis en marche et,
95 Records of the U.S. Marines Corps. History and Museum Division, III MAF. Marine Combined Action
Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 16-17. 96 Corson, op. cit., p. 187.
206
une fois parvenus au site désigné, ont découvert deux caisses remplies de munitions
fraîchement huilées.97 Dans la même veine, après qu’une famille se soit portée volontaire
pour être transférée dans les villages du secteur de Phu Bai contrôlés par les Marines, un
enfant dudit groupe les a approchés pour leur offrir de mener leur patrouille à une cave qui
abritait un groupe de sept VC. Le caveau une fois localisé, les Marines l’ont désagrégé à
coups de charges explosives. La manœuvre a permis aux Marines de découvrir deux autres
entrées à cette cave ; ils y ont débusqué, puis tué six des sept VC et ont capturé le survivant.
Sept armes, des munitions et des vêtements ont fait l’objet d’une saisie dans cette cave.98 Un
lien de confiance tacite s’est créé entre les enfants des villages et les Marines. Cette
dynamique relationnelle devait inciter les parents à mieux connaître les Marines déployés
dans leur village, ce qui a favorisé les relations paysans-Américains. Ces liens de confiance
ont enhardi les adultes qui fournissaient de leur propre chef des informations sur les activités
du VC.99 De nombreux autres rapports de civils ont fourni du renseignement semblable aux
Américains, ce qui contribuait à la protection des Marines opérant au sein des CAP.100
Parallèlement, les informations divulguées aux Marines et aux PF cautionnaient
l’élaboration d’embuscades contre le VC, ce qui, ultimement, contribuait à la sécurité du
villageois et à sa qualité de vie. Comme aboutissement logique de cette pratique, les
villageois et les Marines parvenaient à une parfaite symbiose qui facilita l’autoprotection
mutuelle des civils et des militaires. Le sixième et dernier objectif, qui consiste à participer
aux actions civiques et à initier des opérations psychologiques pour gagner l’appui de la
population, a aussi été mené avec beaucoup de succès au sein des CAP. Une particularité
propre aux Marines installés au sein des villages était de ne pas initier de projets d’actions
civiques avant d’avoir fait preuve de leur crédibilité et de leur capacité à protéger les
villageois contre les VC. L’unique action du genre originellement mise en place par les
Marines au commencement des opérations d’un CAP a été une campagne de MEDCAP.
Corson souligne qu’une fois les Marines « adoptés » par les villageois, les possibilités de
projets d’actions civiques se voyaient uniquement « limitées par l’imagination et l’initiative
des Marines dans le peloton ». En combinant leurs efforts, les Marines et le PF se sont activés
97 Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic
of South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p. 32. 98 Ibid., p. 32-33. 99 Corson, op. cit., p. 186. 100 Ibid., p. 32-33.
207
à construire des écoles, des ponts, des enclos pour les bestiaux, à réparer des routes, à
introduire de nouvelles techniques d’agriculture, à améliorer les systèmes d’irrigation et bien
d’autres projets. Considérant le fait que ces plans se bâtissaient de concert avec la population
des villages, les Marines respectaient le rythme de travail des paysans, évitant de faire
pression pour chercher à construire les infrastructures trop rapidement. Faute d’agir ainsi, les
villageois cessaient de travailler pour mieux observer les Marines travailler à une cadence
accélérée.101 Qui plus est, contrairement aux autres agences d’aide et aux forces de l’US
Army, les Marines n’entreprenaient pas d’imposer des projets de construction civiques dans
les CAP, mais plutôt de communiquer avec la population afin de s’enquérir de ce qu’elle
considérait prioritaire pour l’amélioration de son quotidien.102 Le lieutenant-colonel Corson
soulève qu’un des problèmes relatifs aux projets de construction des actions civiques résidait
dans l’acquisition des matériaux nécessaires. Généralement, les Marines finançaient les
projets à même leur propre budget, ce qui dans les circonstances, ne tenait d’aucune logique.
Les matériaux auraient dû être fournis par l’USAID qui opérait au Vietnam dans le cadre de
la restructuration des infrastructures du gouvernement à Saigon. Bien que l’USAID
contribuait aux actions civiques générales des Marines dans I Corps, Corson rapporte que
l’organisation ne se montrait guère coopérative, le moment venu de fournir des fonds pour
les projets de construction des CAP.103
Cette particularité trahit le manque d’unité entre les organisations militaires et civiles
lors de la gestion des aspects civiques de la COIN au Vietnam. À cela s’ajoutait le mépris du
MACV pour les opérations de CAP des Marines. Non seulement les CAP ne figuraient pas
dans la liste de priorité du MACV, mais de plus, les commandants de l’US Army sont allés
jusqu’à menacer les Marines de leur couper les vivres s’ils ne cessaient pas leurs
« sottises ».104 En ce qui a trait aux opérations psychologiques, les CAP ont connu, encore
une fois, beaucoup de succès auprès des villageois qu’ils protégeaient. Le comportement
affable des Marines dans les villages a dénaturé l’image de « bandits impérialistes » dépeinte
par les cadres politiques du VC. Les victoires successives des Marines et du PF contre les
insurgés lors des patrouilles et embuscades autour du village étayaient également la conduite
101 Ibid., p. 188-189. 102Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division, III MAF, Marine Combined Action
Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 20. 103 Corson, op. cit., p. 189. 104 Ibid., p. 178.
208
des opérations psychologiques, car les paysans en venaient à déduire que les Marines étaient
plus forts que les Viêt-Cong. Alors, si on suit cette logique de pensée paysanne, dans ces
conditions, pourquoi supporter le VC? Comme nous l’avons mentionné au chapitre 1, les
paysans sud-vietnamiens ne démontraient pas qu’ils étaient assoiffés de communisme, mais
affichaient plutôt une tendance à appuyer le parti capable de leur prodiguer sécurité et
stabilité. Dans les cas des CAP, bien peu de place était laissée à l’ambiguïté le temps venu
de cibler le parti le plus apte à offrir ces deux commodités aux paysans. Au sein des CAP,
les opérations psychologiques ont encouragé un nombre considérable de VC à faire défection
et à joindre les rangs du GVN. La perte de crédibilité des communistes continua de grimper
aux yeux de la population car les insurgés se montraient incapables de « rétablir le contrôle »
de leurs opérations dans les hameaux occupés par les CAP.105 Si nous excluons les
évènements (qui seront traités plus loin) survenus au sein de plusieurs CAP lors de l’offensive
du Têt, l’affirmation de Corson s’avérait bel et bien véridique : en très grande majorité, les
CAP sont demeurés inaccessibles aux insurgés. Avant même sa nomination à la tête du
programme, Corson a proposé à l’ennemi une trêve assortie d’un défi : il a convié les VC à
un débat philosophique sur le marxisme qui se tiendrait dans un des villages. Les cadres du
Viêt-Cong ont ignoré la proposition du lieutenant-colonel Corson, ce qui n’a contribué en
rien à redorer le blason de la crédibilité du VC aux yeux de la population civile.106 Les liens
de confiance et de camaraderie qui se tissaient entre les Marines des CAP et la population
civile du secteur de Phu Bai placée sous protection a atteint des proportions qui ont dépassé
toutes les espérances des concepteurs du programme. Corson cite le témoignage du sergent
Mac McGahan qui opérait dans un CAP :
I’d say the people are completely pro-American and anti-VC in this
area…Eight out of fourteen [Marines] here have [extended their tour of
duty] for another six months. Now if the VC come in and [tries] to collect
taxes we get an informer here within ten minutes and catch them with a
blocking force…our people are prospering, building houses…and sending
their kids into Danang to school…During Tet, we got twenty or more
invites a day for dinner.107
105Ibid., p. 189-190. 106 Peterson, op. cit., p. 40. 107 Ibid., p. 193-194
209
Dans le CAP de Binh Nghia, les habitants se sont aussi attachés aux Marines, les
invitant constamment à partager leurs repas. Ils étaient impressionnés de voir les Marines
enrayer les opérations du VC qui avait passé des années à traquer et vaincre le PF.108 Ce
même CAP est éventuellement devenu la cible d’une attaque majeure impliquant plus d’une
centaine de VC et des sapeurs. Bien que les communistes aient été repoussés par les Marines
et le PF, cinq Américains et six Sud-Vietnamiens ont trouvé la mort pendant l’affrontement.
Peu de temps après, on a organisé pour les six Sud-Vietnamiens et les cinq Américains
tombés au combat une cérémonie funéraire dans le village. Les villageois ont fait participer
les survivants américains à la cérémonie où les moines ont rendu hommage aux Marines
décédés.109 Dans ses écrits, Corson nous relate également l’épisode du sergent Michael F.
Flynn. Bien qu’exceptionnel, ce récit démontre à quel point la population rurale sud-
vietnamienne recelait le potentiel d’appuyer l’entièreté des efforts américains contre le VC
si l’exemple du sergent Flynn et des CAP s’était multiplié. Lors de sa première mission,
Flynn a passé 21 mois au Vietnam, un séjour presque deux fois plus long que les 12 mois
requis pour la complétion d’une mission. Pendant son séjour, il a profité du temps passé
auprès des Vietnamiens pour apprendre leur langue, en plus de jouer un rôle important dans
la pacification de Le My, l’un des premiers hameaux à être sécurisé par les Marines.
Lorsqu’un CAP s’est organisé dans le hameau de Loc An, Flynn s’est porté volontaire
pour le commander, mais sa requête a été rejetée par sa chaîne de commandement.
Ultimement, cette dernière est revenue sur sa décision quand les villageois de Loc An ont
acheminé une lettre au commandant de bataillon de Flynn, corroborant à quel point le sergent
des Marines était apprécié de la population. En décembre 1966, Flynn a choisi de prolonger
sa mission pour une troisième fois, une demande requérant une fois de plus l’approbation de
sa chaîne de commandement qui a donné son feu vert. Flynn a déclaré à un journaliste que si
sa requête en vue de continuer son engagement pour une troisième année était refusée, il
retournerait aux États-Unis pour parfaire sa langue vietnamienne à l’université, pour ensuite
revenir au Vietnam afin de contribuer à la reconstruction du pays. La nuit suivante, le sergent
Flynn s’est fait tuer par un Viêt-Cong. Profondément choqués, les habitants de Loc An et le
hameau de 2800 personnes ont proclamé un deuil général d’un an pour pleurer la mort du
108 Bing West, The Village, New York, Pocket Books, 2003 (1972), p. 123. 109 Ibid., p. 157, 159.
210
sergent Flynn. De surcroît, les résidents de Loc An se sont enhardis jusqu’à signifier aux VC
qu’ils ne permettraient à aucun de leurs agents d’entrer dans le hameau.110 Bien que le VC
aurait pu user de coercition pour obtenir ce qu’il désirait, les villageois se sentaient protégés
par la proximité d’un CAP déployé auprès d’eux. La réaction des habitants de Loc An en dit
beaucoup sur les dynamiques interactionnelles inhérentes à une bonne COIN. Si les forces
contre-insurrectionnelles interagissent de manière courtoise avec la population locale, si elles
se donnent la peine d’apprendre ses coutumes et sa langue tout en la protégeant et en
améliorant sa qualité de vie, les résultats ne pourront que se révéler positifs. Cette dynamique
relationnelle explique pourquoi le III MAF se montrait si sélectif une fois parvenu à l’étape
de sélectionner les Marines appelés à opérer dans un CAP. Lorsque l’ensemble des Marines
du 3rd Battalion, 4th Marine et les membres du premier CAP opérant dans les villages de Phu
Bai et ses environs ont été redéployés dans d’autres secteurs, un des chefs de village a déclaré
que la population « était triste et avait le cœur brisé ». Le chef soulignait que les villageois
se sont rassemblés sur une étendue de 300 mètres le long de la route empruntée par les
Marines qui quittaient le secteur de Phu Bai. Les Marines ont eux-mêmes remarqué que
plusieurs des habitants ne pouvaient retenir leurs larmes alors qu’ils sillonnaient la route du
départ.111
À la lecture de ces témoignages, il est difficile de figurer que ces évènements se sont
tenus pendant la guerre du Vietnam. Et pour cause, car ce n’est pas l’image que la couverture
journalistique de cette guerre a exposé à la population américaine (et mondiale). Pourtant, tel
fut bel et bien l’effet des CAP sur la population civile sud-vietnamienne. Le peu d’importance
accordé au programme par le MACV ne contribuait en rien à la publicisation des effets plus
que bénéfiques des Combined Action Groups sur la population rurale sud-vietnamienne.
Évalué globalement, le concept des CAP embrassait toutes les bases de la doctrine de COIN
développée par David Galula et Robert Thompson. L’ensemble des CAP répartis au sein des
Combined Action Groups prodiguaient sécurité et stabilité aux civils sud-vietnamiens, en
plus d’entraver la capacité du VC à exercer ses opérations insurrectionnelles dans les zones
rurales. Néanmoins, c’est lors de confrontations face à des opérations conventionnelles à plus
grands déploiements que les CAP ont montré les limites de leurs capacités. L’offensive du
110 Ibid., p. 196-197. 111 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March
1966, op. cit., p. 58.
211
Têt a exposé la vulnérabilité du concept de CAP. Nonobstant cela, ces derniers ont démontré
la valeur du renseignement qu’ils étaient en mesure de recueillir par le biais de leurs bonnes
relations avec la population civile. Ce sont les Combined Action Platoons qui ont fourni les
premiers rapports de renseignement concret sur l’éventuelle offensive majeure du Têt de
1968. Les informations qui découlaient de la collecte de renseignements des CAP recelaient
un caractère suffisamment alarmant pour que le III MAF annule la trêve du Têt dans divers
secteurs d’I Corps.112 Lorsque l’offensive s’est enclenchée, plusieurs CAP se sont fait
attaquer avec beaucoup d’acharnement par le NVA. Les vétérans ayant servi au sein des CAP
se sont montrés convaincus du fait que l’attention portée aux CAP par le NVA lors du Têt a
exposé le degré de nuisance engendré par ce programme pour les forces communistes. Le
quartier-général du III MAF a également confirmé cette affirmation. Dans les faits, de janvier
à octobre 1967, 14% de toutes les attaques ennemies dans I Corps ont été dirigées contre les
CAP; de novembre à la mi-janvier 1968, 47% des attaques ont pris les CAP pour cible.113
Le 2 février, à peine quelques jours après le début de l’offensive du Têt, le CACO de
Cam Lo et le CAP P-1 se sont fait attaquer par un bataillon entier du NVA. Grâce à un
renforcement d’une compagnie d’infanterie, les Marines et le PF ont pu repousser l’assaut
du NVA. Les Nord-Vietnamiens ont perdu 111 soldats tandis que 43 autres se faisaient
capturer. Un scénario similaire s’est produit le 6 février dans les CAP B-3 et B-4 localisés
dans le secteur de Danang. Le 31e Régiment du NVA s’est attaqué au CAP B-3 qui était
renforcé par les éléments d’infanterie et des chars d’un bataillon de Marines réguliers. Pour
sa part, le CAP B-4, aussi appuyé par d’autres Marines, subissait l’attaque de deux
compagnies du NVA et, dans les deux cas, les CAP sont parvenus à en repousser les assauts.
Le 8 février, le CAP E-4, aussi situé dans le secteur de Danang, s’est aussi fait attaquer par
un régiment entier du NVA. S’en est suivi un combat qui a perduré une quinzaine d’heures
au cours duquel les Marines ont bénéficié d’un appui aérien soutenu. Les communistes se
sont fait, ultimement, repousser et un total de 288 soldats du NVA ont perdu la vie pendant
la bataille. Une force de réaction rapide de 15 Marines du CACO E a pour sa part été annihilée
; un seul de ces Marine a survécu à l’assaut. Les Américains devaient en fin de compte
abandonner le CAP E-4.114 Un autre CAP qui venait tout juste d’être activé dans le secteur
112 Peterson, op. cit., p. 56. 113 Ibid., p. 56-57. 114 Ibid., p. 58.
212
de Chu Lai a subi l’attaque d’une compagnie entière du NVA. Les Marines ont réussi à
repousser les communistes et ont tué 10 soldats nord-vietnamiens. Plusieurs CAP n’ont pas
rencontré autant de succès le moment venu de contrer les assauts ennemis. Lors de leur
déplacement vers la ville de Hue, les communistes ont attaqué le CAP situé dans la région
de Phu Bai avec une force combinée du VC et du NVA. Ces derniers ont été capables de
submerger les forces défensives du CAP, ce qui a obligé les Marines à demander, ultimement,
qu’on tire de l’artillerie directement sur leurs propres positions pour repousser les
communistes. En mars, le CAP H-5 a été visé par 200 soldats communistes qui sont parvenus
à saisir la position des Marines; ceux-ci n’ont eu d’autre choix que de recourir aussi à
l’artillerie, aux chasseurs et à un avion Spectre Gunship pour assurer leur survie. Une équipe
de réaction rapide de Marines a finalement réussi à reprendre le CAP H-5.115 Un autre CAP
a été la cible d’une force de 150 à 200 communistes qui bénéficiaient de l’appui de mortiers
et du tir de canons antichars sans recul. Pour faire exploser les défenses des Marines, ils ont
utilisé des torpilles Bangalore similaires à celles utilisées par les Américains pour percer les
défenses allemandes lors du Débarquement de Normandie.
Aussitôt le périmètre défensif troué, les forces d’assaut se sont ruées vers le bunker
de commandement et le dépôt de munition des Marines et du PF. Aucune force de réaction
n’a pu se déplacer avec suffisamment de rapidité pour prêter main forte aux assiégés. Un
total de quatre Marines et 4 PF ont été tués lors de l’assaut, neuf Marines et huit PF blessés
au combat.116 Ce CAP, qui comptait à l’origine une force combinée de 48 Marines et PF, a
encaissé un taux de perte supérieur à 50% au cours de cette offensive d’un total de sept
minutes.117 Les CAP n’étaient tout simplement pas conçus pour repousser des attaques
complexes et sophistiquées de régiments ou bataillons entiers de forces communistes. Le
déploiement de renforts substantiels et un appui aérien soutenu auraient été nécessaires pour
protéger ou reprendre possession des sites de CAP. Ce qui s’est passé avec les Combined
Action Platoons durant le Têt témoigne qu’il était illusoire de penser qu’on pouvait se limiter
à faire exclusivement de la contre-insurrection et des opérations de pacification au Vietnam.
Omniprésent, le spectre conventionnel de la guerre n’a pas été imposé par la logique de
115 Ibid. 116 Records of the U.S. Marines Corps, History and Museum Division, III MAF. Marine Combined Action
Program in Vietnam by Lt Col W.R. Corson USMC, op. cit., p. 23. 117 Ibid.
213
guerre des Américains mais plutôt par les communistes et leur concept d’opération hybride,
qui forçaient ainsi la tenue de combats conventionnels et insurrectionnels. La pression
exercée sur les CAP pendant l’offensive a également fait la démonstration de la nécessité de
combiner les opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles. Ce que maints
Américains se plaisaient à appeler The Other War lorsqu’on parle de contre-insurrection au
Vietnam n’avait tout simplement pas lieu. Sans l’apport des forces conventionnelles des
Marines pendant l’offensive du Têt, l’ensemble des CACO et leurs CAP auraient fort
probablement tous été anéantis par les forces du NVA et du VC. À l’image des hameaux
stratégiques de Diem, les communistes n’auraient pas dédié des régiments et des bataillons
entiers à la destruction de CAP si le programme avait constitué un pétard mouillé à leurs
yeux. Quoi qu’il en soit, le choc causé par le Têt aux multiples CAP incita le commandement
du III MAF à apporter quelques modifications au programme. À cet effet, la prise de plusieurs
complexes défensifs des CAP par les forces communistes est ce a qui incité les Marines à
transformer une quantité d’unités, jusqu’alors statiques, en CAP mobiles. Ce concept
avantageait les Marines, les rendant beaucoup plus furtifs et mobiles lors de leurs opérations.
Tel que spécifié plus tôt, aucun CAP mobile n’a été annihilé par le VC ou le NVA.
Antérieurement au Têt, le programme se déroulait suffisamment bien pour que le III
MAF envisage de redéployer ses Marines dans de nouveaux CAP et de laisser les sites
originaux exclusivement sous la responsabilité du PF. Aux yeux du III MAF, le degré de
sécurité rencontré dans ces CAP, leur viabilité et l’essor de leurs programmes socio-
économiques et politiques étaient assez satisfaisants pour justifier la mise en pratique de ce
type de transition. Néanmoins, l’offensive du Têt a complètement brouillé les cartes en
exhibant les limites du programme. Les CAP ayant subi les plus grandes pertes se sont fait
immédiatement renflouer par de nouvelles forces des Marines et du PF. Une riposte
nécessaire si les Marines souhaitaient conserver la crédibilité des CAP en matière de sécurité
aux yeux de la population civile. Les combats qui ont impliqué les compagnies de Combined
Action Platoons lors de l’offensive du Têt devaient démontrer aux Américains que les forces
paramilitaires, appuyées leurs seules ressources, ne pourraient assurer la survie des CAP.118
La présence américaine s’avérait encore nécessaire pour préserver l’intégrité et la survie des
multiples CAP d’I Corps. Qui plus est, le concept est devenu, à bien des égards, victime de
118 Ibid., p. 24.
214
son propre succès; à la suite de la succession d’opérations conventionnelles déclenchées dans
I Corps, après l’introduction massive de forces du NVA (voir chapitre 2), un flot gigantesque
de réfugiés a spécifiquement cherché à trouver asile au sein des CAP. Leur réputation de
véritables havres de protection pour les paysans a entraîné une surpopulation dans plusieurs
CAP. À titre d’exemple, un des sites passa de 4800 à 7600 habitants, dû à l’afflux de
réfugiés.119 Opportuniste, le VC a su prendre avantage de cette situation en infiltrant les
hameaux protégés par des CAP. Le but de ces intrusions visait à y semer la discorde, une
manœuvre facilitée par la situation ambiante d’une population confrontée aux inévitables
problèmes engendrés par le surpeuplement. Dans l’ensemble, ces facteurs ont incité le III
MAF à retarder le redéploiement de leurs Marines vers d’autres CAP.120 Un rapport
introspectif de l’USMC démontre à quel point le PF demeurait dépendant des Marines malgré
l’entraînement, de même que le mentorat offerts par ces derniers. L’analyse de pertes (morts
et blessés) démontre que les Marines portaient l’essentiel des activités de combat sur leurs
épaules.
En 1968, 1.5 Marines s’est fait tuer au combat pour 1 PF (193 Marines pour 127 PF),
et ce, même si le ratio des forces en présence favorisait les Forces sud-vietnamiennes avec
un ratio de 0.7 Marine pour 1 PF. Lors de la même période, 1.8 Marine a été blessé au combat
pour chaque PF blessé (635 Marines pour 360 PF). Globalement, les pertes de l’USMC
étaient 2.4 fois plus grandes que celles encaissées par le PF. Ceci trahissait un défaut relatif
à la conduite des opérations des CAP : les Marines agissaient davantage comme les acteurs
principaux d’une initiative contre-insurrectionnelle qui, originalement, devait consister en
une mission d’appui et de mentorat aux forces du PF pour les amener à accéder à l’autonomie.
121 Mais cela n’indique pas que le programme ait pris la forme d’un échec en soi. Les analyses
statistiques du CORDS ont démontré qu’entre janvier 1967 et mars 1968, les hameaux dotés
d’un CAP ont gardé un statut de sécurité stable, contrairement aux autres groupes
d’habitations qui ont vu leur statut de sécurité chuter jusqu’à 30% lors de la même période.
119 Ibid. 120 Ibid. 121 Records of the United States Marine Corps Headquarters Marine Corps History and Museum Division,
Background and Draft Materials for “U.S. Marines in Vietnam: The Defining Years: 1968. A Systems
Analysis View of the Vietnam War 1965-1972, College Park, National Archives, NND 014002, RG# 127,
Entry A-1(1085), Box 5, p. 13-14.
215
Il en alla de même pour les statistiques reliées au développement des infrastructures des
hameaux : les chiffres avantagent les villages dotés d’un CAP avec une augmentation de 16%
de leur développement infrastructurel, contrairement aux autres villages qui ont subi des
chutes allant jusqu’à 13%. Également, les secteurs peuplés protégés par un CAP affichaient
un taux de survie supérieur à ceux qui ne bénéficiaient pas de cette protection.122 Le CORDS
et le III MAF rapportent aussi qu’une fois l’ensemble des activités et performances de combat
passées sous la loupe de l’analyse, les CAP ont surpassé en qualité les autres Popular Force,
le RD et, en de multiples occasions, d’autres unités américaines.123 Bien que les éléments
d’insurrection cherchaient à éviter les hameaux sous la protection des CAP, il en fut tout
autrement pour les plus larges formations communistes, et ce, même avant l’offensive du
Têt. L’acharnement de ces importantes formations à vouloir anéantir les CAP constitue un
autre indicateur de l’efficacité du programme. Du 1er novembre 1967 au 31 janvier 1968,
49% des attaques initiées par les communistes dans I Corps prenaient les CAP pour cibles.
En février 1968, lors du Têt, 38% des attaques ont été dirigées contre les CAP.124 Michael
Peterson a cité un vétéran des CAP qui a fait sa propre introspection des succès du
programme :
I think we accomplished a lot…We managed to keep the VC out of all the
hamlets in Phu Thu District…in which six CAPs operated with a force…no
more than 75 Marines…I do not recall any of our CAPs ever calling in
artillery, other than illumination…and no gunships, and no jet air-strikes.
Considering the number of kills, POWs, enemy weapons capture, Chieu
Hoi’s [returnees], and intelligence…I do not see how there could have
been anything more efficient going for us.125
Ce témoignage reflète l’ensemble de ce que beaucoup de vétérans ont exprimé en
procédant à leur propre évaluation des CAP. Si on le soumet à une analyse globale, le concept
de Combined Action Group a révélé ses limites dans le cadre du théâtre d’opération
122 Ibid., p. 14. 123 Ibid. 124 Ibid., p. 36. 125 Peterson, op. cit., p. 86. Le programme Chieu Hoi était la principale initiative d’opérations psychologiques
et d’amnistie du MACV et du GVN pour convaincre les insurgés du VC de joindre les rangs du gouvernement
sud-vietnamien. Si un insurgé du VC déposait les armes via le programme Chieu Hoi, il pouvait être gracié et
servir au sein des rangs des forces militaires sud-vietnamiennes s’il le désirait. Le programme Chieu Hoi
constituait également un excellent moyen d’obtenir du renseignement sur les positions et les opérations
communistes au sein du théâtre d’opération de la RVN.
216
caractéristique à la guerre du Vietnam. Les quelques CAP crées ont été insuffisants pour
générer un impact significatif sur l’ensemble de la conduite des opérations des Marines.
Jamais les CAP n’ont atteint un effectif dépassant les 2500 Marines. Un total de 79,000
Marines était déployé dans les provinces d’I Corps, statistique qui démontre à quel point le
III MAF ne pouvait faire des CAP son effort de guerre principal. L’auteur Michael Peterson
affirme que cette statistique indique que l’effort des Marines en matière de contre-
insurrection a essentiellement pris une forme uniquement symbolique.126 Néanmoins, le QG
du III MAF n’avait pas d’autres alternatives; la présence de multiples régiments de l’Armée
régulière nord-vietnamienne et du VC a forcé l’état-major des Marines à conserver l’intégrité
de l’essentiel de ses forces pour des opérations conventionnelles. I Corps, rappelons-le, était
la zone d’opération située le plus au nord de la RVN, un secteur à proximité de la RDVN et
de la zone démilitarisée, où les combats les plus fréquents et les plus soutenus de la guerre
du Vietnam se sont conduits. Les deux divisions de 20,000 soldats nord-vietnamiens qui, lors
de l’offensive du Têt, ont entouré la base de Khe Sanh, opéraient dans ce secteur. Tel que
spécifié dans le chapitre 2, la violence et la fréquence des combats ont connu une escalade
telle dans I Corps, que le MACV a été obligé de déployer des forces de l’US Army dans le
sud de la zone d’opération pour assister les Marines.
Considérant l’étendue de la surface géographique d’I Corps et le nombre d’effectifs
à la disposition du III MAF, ce dernier se trouvait sévèrement limité dans sa capacité à
déployer plus de troupes pour ses CAP. Il est vrai que dans un scénario idéal, il aurait été
préférable que le III MAF déploie des CAP dans l’ensemble des secteurs ruraux d’I Corps.
Ce faisant, les Marines auraient créé une véritable toile; un réseau opérationnel qui aurait
sévèrement limité l’accès des VC à leurs lignes de communication et à l’ensemble des zones
peuplées de la zone d’opération. Parallèlement, il aurait été impératif pour les Marines
d’initier des opérations de search and destroy pour contrer les formations régulières
communistes. Ne pas procéder ainsi aurait condamné les CAP au sort de nombre d’entre eux
lors de l’offensive du Têt. Toutefois, rien de cela ne devait se produire; le MACV exerçait
énormément de pression sur le commandement du III MAF qui se trouvait handicapé à
étendre son programme, faute d’appui de Westmoreland. À cela s’ajoutait un manque
d’effectifs de soldats de l’ARVN exploités pour la conduite d’opérations militaires
126 Ibid., p. 123.
217
conventionnelles. Nonobstant cela, dans la mesure des moyens mis à leur disposition; les
Marines se sont montrés fidèles aux accomplissements de leurs prédécesseurs en matière de
COIN au cours des conflits militaires passés. Bien qu’insuffisamment répandu pour exercer
une influence majeure sur le théâtre d’opération vietnamien, le programme de CAP a
démontré hors de tout doute une indubitable réalité : d’une part, il était tout à fait possible et
réalisable pour les Américains de gagner l’appui de la population civile sud-vietnamienne,
en échange d’un traitement courtois et de l’assurance d’obtenir protection et sécurité. D’autre
part, le programme a démontré qu’il était tout à fait concevable de séparer la population civile
des insurgés viêt-cong. Forts de leur expérience en la matière, les Marines ont démontré les
effets militairement bénéfiques d’une COIN gérée et appliquée avec tact, professionnalisme
et intelligence. Contrairement au leitmotiv de nombreux historiens orthodoxes, il était tout à
fait faisable d’exécuter des opérations de COIN au sein du théâtre d’opération vietnamien si
les forces de sécurité s’y prenaient comme il le fallait.
Mis à part l’aspect conventionnel propre au conflit, en aucune façon le facteur
insurrectionnel de la guerre du Vietnam et l’insurrection VC ne constituaient des cas
spéciaux; les éléments insurgés se sont montrés extrêmement vulnérables lorsque confrontés
aux doctrines franco-britanniques exploitées par les Marines. Il en est allé de même lors de
l’application de ces doctrines pendant la conduite du programme d’hameaux stratégiques de
Diem. Nous avons vu dans le chapitre 2 comment l’US Army pratiquait sa COIN entre 1965
et 1968. Loin d’émuler le travail constructif de leurs collègues de l’USMC, l’Armée a plutôt
fait sienne la pratique d’évacuer les villages et de recourir au napalm et à l’artillerie pour
anéantir le VC qui s’y agitait. Toutefois, là n’était pas le concept d’opération de toutes les
formations de l’US Army. Une unité de parachutistes s’est particulièrement distinguée des
autres formations de l’Armée dans la conduite de ses opérations de COIN. La 173rd Airborne
Brigade a exécuté une campagne contre-insurrectionnelle littéralement calquée sur le
principe de Combined Action Platoon de l’USMC.
3.3. La contre-insurrection de la 173rd Airborne Brigade
L’opération de COIN de la 173rd Airborne Brigade a été exécutée en 1969 dans la
Province de Binh Dinh sise dans II Corps. Ces déploiements ont eu pour cadre l’opération
WASHINGTON GREEN visant à sécuriser plusieurs secteurs du II Corps. Avec plus d’un
million d’habitants, Binh Dinh, la deuxième plus grande province de la RVN, représentait
218
une priorité pour les plans de pacification du MACV. On a déployé la 173rd Airborne Brigade
dans les quatre districts les plus au nord de la zone d’opération. Le contrôle de ces districts
par les communistes perdurait depuis les 10 à 20 dernières années.127 À l’exemple des
Marines, la Brigade de parachutistes a opté pour déployer ses troupes de manière dispersée
avec de petites unités de combat atteignant parfois une taille aussi minime que celle d’une
section. À l’image des CAP, ces unités réduites étaient déployées conjointement avec de
petites unités des forces paramilitaires sud-vietnamiennes (RF et PF). Le commandement
américain comptait sur l’expertise de ses soldats pour chapeauter le mentorat des unités
paramilitaires sud-vietnamiennes. Des rapports introspectifs de la 173rd Airborne Brigade
soulignent que l’Armée n’a pas suffisamment cherché à appuyer le GVN, le moment venu
de « consolider ses gains » en cherchant à gagner « l’allégeance de la population ». Le
rapport spécifie également que personne n’avait encore « considéré l’effet » de l’appui
américain s’il se concentrait sur les efforts visant à développer les villages et les hameaux
sud-vietnamiens.128 Bien qu’il apparaisse positif que des éléments de l’US Army
questionnent les effets potentiels d’une bonne COIN, il a tout de même fallu attendre 1969
avant une remise en question des tactiques de certaines unités. L’analyse du 173rd Airborne
Brigade va plus loin en spécifiant ce qui suit :
The essential of the entire effort of the brigade…is the philosophy…of the
Commanding General that a number of kills and a number of operations
are not adequate parameters of progress, but rather the objective is to
provide safety to the people and their property in an opportune
environment.129
Dans l’exercice de ses fonctions lors de la pacification, le commandement de l’Armée
assurait une coopération et une coordination de ses opérations, de concert avec le chef de
district. De manière à assurer la protection des hameaux et faciliter les projets de
reconstruction, les forces de la Brigade se sont subdivisées en pelotons, puis se sont fait
attitrer une zone d’opération respective. Chaque peloton renforcerait une unité paramilitaire
127 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division. General Records
204-57: Quang Nam Correspondence 1969 Thru 204-57: Rifle Shot Operations 1969, 173rd Airborne Brigade
Participating in Pacification in Northern Binh Dinh Province, College Park, National Archives, NND
974305, RG# 472, Entry 33104, Box 5, p. 1. 128 Ibid., p. 2-3. 129 Ibid., p. 4.
219
et serait déployé près d’un village afin d’en interdire l’accès aux VC.130 Ce concept
d’opération littéralement « copié collé » sur le principe de CAP des Marines a été pratiqué
pendant plusieurs mois dans les districts attitrés au 173rd Airborne Brigade. Le rapport
d’évaluation du commandant de Brigade, le général John W. Barnes, décrit en détail les
effets positifs engendrés par ces doctrines dans les zones de responsabilités de ses bataillons.
Barnes commence par souligner les raisons pour lesquelles il a autorisé l’entièreté de sa
Brigade de se concentrer sur la pacification sans chercher à initier des opérations
conventionnelles. Les seules grandes formations communistes présentes près des secteurs
nord de la province de Binh Dinh étaient le 2e Régiment VC et le 18e Régiment du NVA.
Ces derniers ne se montraient guère enthousiastes à opérer au sein de la population des
districts du nord de Binh Dinh. Cette situation a donc encouragé Barnes à courir le risque
d’employer 100% des effectifs de sa Brigade de parachutistes à l’exécution des opérations
de pacification dans sa zone d’opération. Bien que la population ne soit pas visée par les
larges formations communistes, il en était tout autrement des éléments d’insurrection du VC.
Plusieurs petites unités de Viêt-Cong opérant dans les montagnes harcelaient les
villageois, leur extorquaient de la nourriture, de l’argent, en plus de recruter des paysans
contre leur gré dans le but de gonfler leurs effectifs. Avant l’arrivée de la 173rd Airborne
Brigade, ces forces insurgées contrôlaient et influençaient la grande majorité de la
population des quatre districts du nord de la Province de Binh Dinh.131 Une fois les Forces
américaines déployées, la première étape était de ceinturer d’un cordon de sécurité et de
forces de blocage les 24 hameaux tombés sous la responsabilité des bataillons de la Brigade.
Ceci fait, les forces paramilitaires pénétraient dans le village pour le sécuriser des VC et des
sympathisants communistes susceptibles de s’y trouver. Par la suite, les forces paramilitaires
escortaient les cadres du RD qui entreprenaient les premières opérations de pacification.132
Les pelotons américains pouvaient par la suite rejoindre les forces paramilitaires dans les
hameaux pour effectuer des opérations militaires et civiques conjointes avec leurs alliés sud-
130 Ibid., p. 6. 131 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division. General Records
204-57: Quang Nam Correspondence 1969 Thru 204-57: Rifle Shot Operations 1969, Pacification Progress
Report 173rd Airborne Brigade Presentation by BG Barnes – 24 June 1969, College Park, National Archives,
NND 974305, RG# 472, Entry 33104, Box 5, p. 1. 132 Ibid., p. 2-3.
220
vietnamiens. Barnes a spécifié qu’à l’exemple des Marines, ses troupes n’enclenchaient
aucun projet civique ou de construction avant d’avoir pu faire voir à la population civile que
l’Armée pouvait bel et bien les protéger des VC. Barnes spécifia à ses colonels que la mission
de ses hommes ne consistait pas en une traque de l’adversaire et en son anéantissement,
comme par le passé (Opération CEDAR FALL), mais plutôt de demeurer auprès de la
population et d’empêcher le retour des insurgés dans les hameaux. Le général a également
spécifié à ses subordonnés que l’essentiel des opérations offensives se limiterait à
l’exécution de patrouilles « agressives » dans les secteurs avoisinant les hameaux.133 Une
des premières initiatives des Américains et des unités paramilitaires a été de convaincre les
chefs de villages et la communauté que les forces de sécurité étaient là pour rester et que
dorénavant, le GVN les protégerait du VC sur une base permanente. Lorsqu’ils ont été
exposés au concept d’opération du déploiement américain dans leurs villages, les paysans
sud-vietnamiens ont affiché une réaction qui a dépassé les espérances du général Barnes. La
population qui habitait le hameau de Qui Thuan, situé dans le district de Tan Quan
(auparavant contrôlé à 90% par le VC), était à prédominance catholique. Quelques années
auparavant, le VC ayant forcé son entrée dans le village, avait terrorisé la population et
détruit son église.
La plupart des habitants ont opté pour la fuite vers les divers camps de réfugiés
dispersés dans la province de Binh Dinh. Lorsque le prêtre de la paroisse a acquis la certitude
que les forces de sécurité avaient bel et bien l’intention de demeurer en permanence au sein
des hameaux, il a approché le chef de district pour lui affirmer que si les forces de sécurité
reconstruisaient l’église, il était certain que la communauté catholique du village (chiffrée à
approximativement 6000 personnes) reviendrait s’installer à Qui Thuan.134 Une fois que la
demande du prêtre a obtenu l’assentiment du chef de district, la nouvelle s’est rapidement
répandue. Déjà, plusieurs exilés se redirigeaient vers leur domicile dans le hameau de Qui
Thuan. Suffisamment d’habitants sont revenus dans le village pour que le chef de district
acquiesce à la demande des villageois de rénover l’école des enfants et de construire d’autres
bâtiments. Bien que les matériaux nécessaires à la construction soient distribués par les
Américains, les villageois ont eux-mêmes fourni la main-d’œuvre nécessaire pour
133 Ibid., p. 1-2. 134 Ibid., p. 3.
221
l’exécution des projets. La seule requête issue de la population a été d’avoir des troupes
gouvernementales déployées avec elle en permanence pour protéger « le fruit de leur
travail ».135 La présence permanente du PF/RF et des éléments du 173rd Airborne Brigade
n’a fait que stimuler la sécurité d’esprit des villageois. Afin d’exprimer leur reconnaissance,
les habitants ont formé une milice volontaire de 130 personnes pour assister les forces
paramilitaires et les soldats américains déployés avec eux.136 Barnes cite un autre exemple
concluant de la réussite des opérations de pacification de sa Brigade. Toujours dans le district
de Tan Quan, on trouvait le hameau de Tien Chan. Localisé près de l’océan, Tien Chan était
un village prospère de pêcheurs jusqu’au jour où le gouvernement s’est vu forcé de contrôler
ce secteur de la province pour empêcher les infiltrations maritimes du VC, de même que son
approvisionnement. Privé de leur moyen de subsistance, les habitants de Tien Chan n’ont eu
d’autre choix que l’exil, ce qui, parallèlement, a entraîné la chute de la moitié de l’économie
du district de Tan Quan. Lorsque les forces combinées de l’US Army et du RF/PF se sont
déployées dans le hameau de Tien Chan, seulement 42 habitants s’y trouvaient. Réalisant
qu’il faudrait plus qu’une garantie de sécurité contre le VC pour inciter les villageois à
revenir dans le hameau, les Américains ont élaboré une stratégie pour relancer l’économie
locale. Dorénavant, les pêcheurs pourraient pêcher le poisson en passant à travers les secteurs
interdits.
Néanmoins, les pêcheurs de chaque bateau devaient être identifiés préalablement à
leur sortie en mer. Lors du passage des pêcheurs en secteurs interdits, un navire américain
les escortait, puis, la journée de pêche terminée, les marins du hameau se représentaient aux
Américains pour être de nouveau escortés à travers la zone de restriction. Il a fallu peu de
temps pour que cette simple initiative et la présence permanente de forces de sécurité incite
plusieurs habitants de Tien Chan à réintégrer leur hameau. En l’espace de deux mois, Tien
Chan passa de 42 à 1459 habitants. Sur une base journalière, une cinquantaine de bateaux et
200 civils s’affairaient à pêcher du poisson. Le hameau adjacent de Cong Thanh a exprimé
son désir de se joindre à la flotte de pêcheurs, ce qui devait ajouter 50 bateaux et 250
personnes aux opérations de pêcherie du secteur de Tien Chan.137 Grâce à cette série
d’initiatives, l’économie du district de Tan Quan a connu un grand essor qui galvanisait la
135 Ibid. 136 Ibid. 137 Ibid.
222
population civile et l’encourageait à accorder sa pleine confiance envers la capacité du GVN
à améliorer sa qualité de vie. Qui plus est, la courtoisie et les initiatives de pacification des
Américains se sont montrées bénéfiques pour la protection de la force : un jour, le chef du
hameau de Tien Chan a reçu un avertissement de villageois à l’effet que des VC, infiltrés
parmi un groupe de pêcheurs, ourdissaient d’installer une mine Claymore destinée à cibler
les Américains, une fois la nuit tombée. Les noms des VC ont été rapportés au chef du
hameau, ce qui s’est soldé par l’arrestation de trois insurgés. 10 jours auparavant, ce même
groupe avait réussi à tuer deux soldats américains à l’aide d’une mine Claymore.138 Citons
un dernier exemple de l’impact de la présence permanente du 173rd Airborne Brigade dans
sa zone d’opération. Dans le district de Noai Nhon, le hameau de My Duc était déserté depuis
des mois, le secteur ayant subi de nombreuses attaques du VC qui en avaient rendu les
bâtiments inhabitables. Le chef du district a fait montre d’un véritable enthousiasme lorsque
les Américains et les forces paramilitaires se sont déployés dans le village. Selon lui, cette
initiative encouragerait le retour des villageois, redynamiserait l’économie et réduirait le
nombre de réfugiés dans la région.
Une fois déployées dans le hameau, les Forces américaines et sud-vietnamiennes
l’ont occupé seules pendant un temps. Lorsque la population a réalisé que les forces de
sécurité avaient bel et bien l’intention de rester en permanence dans le hameau, des paysans
ont commencé à y affluer et à y faire paître leurs bestiaux. Néanmoins, l’accès au hameau
était problématique, compte tenu d’un large cours d’eau dont le pont qui en permettait jadis
la traversée avait été détruit par le VC des mois auparavant. Les Américains ont fourni les
matériaux nécessaires aux paysans qui ont reconstruit le pont. Une fois le pont reliant à
nouveau les deux berges, les Vietnamiens ont commencé à affluer davantage et, appuyés de
l’aide américaine, ils ont rebâti le hameau de My Duc où 150 familles se sont installées. Les
rizières ont pu être exploitées par les fermiers, le chef du hameau s’est réinstallé dans la
localité désormais protégée en permanence par les Forces américaines et sud-
vietnamiennes.139 Pour justifier ce qu’il qualifie de succès dans sa description des opérations
de COIN de ses soldats, Barnes évoque la popularité du programme de défection Chieu Hoi
dans les districts de ses bataillons, ses succès contre l’infrastructure politique du VC qui
138 Ibid. 139 Ibid., p. 4-5.
223
peinait à opérer dans les villages et la popularité du Programme d’information volontaire.
Ce dernier invitait la population à fournir du renseignement aux forces de sécurité ou à leur
ramener des armes et des munitions appartenant au VC, moyennant même un paiement,
dépendant de la nature de l’information ou selon le matériel rapporté. Plus de 1400 citoyens
des villages ont rapporté armes et informations aux troupes du général Barnes. Ce dernier
souligne également qu’il devenait fréquent de voir la population alerter les Américains de la
présence de pièges et engins improvisés installés par le VC autour des hameaux.140 Tout
comme avec les Marines, des histoires comme celles de Qui Thuan, Tien Chan et My Duc
démontrent qu’il était possible pour les forces de l’US Army de gagner la confiance de la
population si elles s’abstenaient d’utiliser du napalm et de l’artillerie pour arriver à leur fin.
D’aucuns ont souvent craint le choc des cultures suscité par le contact serré des Forces
américaines avec la population civile sud-vietnamienne. Nous avons déjà fait le constat que
même Westmoreland a fait montre d’un certain malaise quand on lui a proposé le plan
original d’enclaves; le général américain ne croyait pas que ce soit une bonne idée de
déployer les troupes américaines trop près de la population. Pourtant, là résidait la clé du
problème lorsque l’on parle des opérations de COIN.
En émulant les doctrines des Marines, le 173rd Airborne Brigade a réalisé qu’il était
tout à fait possible de coexister avec la population civile tout en favorisant les bases d’un
appui et d’un respect mutuel entre Américains et Vietnamiens. Nous avons mentionné dans
le chapitre précédent à quel point les pièges et engins explosifs improvisés ont causé des
pertes significatives aux Forces américaines. Le simple fait d’appuyer la population civile,
de la protéger et de la soustraire à l’influence du VC contribuait clairement à sauver des vies
américaines. À maintes reprises au cours de la guerre, les soldats américains ont blâmé la
population rurale sud-vietnamienne de ne pas les avoir prévenus de la présence de pièges ou
de VC dans les secteurs avoisinant. C’est ce genre de situation qui a encouragé l’incident du
massacre du village de My Lai par une compagnie de l’US Army en 1968.141 Plusieurs des
soldats peinaient à réaliser que cette attitude de la population rurale était la résultante de la
140 Ibid., p. 5. 141 En 1968, une compagnie de l’US Army a massacré plusieurs centaines de civils sud-vietnamiens dans le
village de My Lai. L’incident a éventuellement été publicisé et devait susciter énormément d’émoi aux États-
Unis et à travers le monde. Ce massacre a grandement terni l’image de l’Armée américaine au Vietnam et n’a
en rien contribué à gagner l’appui populaire des Sud-Vietnamiens et de la population américaine sur le plan
domestique.
224
liberté d’action du VC et de sa dominance politique et subversive au sein des villages. En
assurant une présence permanente dans les villages et en gagnant la confiance des habitants,
les Américains maximisaient leurs chances d’être avertis par la population, advenant la
possibilité d’une action hostile du VC. Il a fallu plusieurs années à l’US Army pour que
certaines de ses unités se résignent enfin à imiter les doctrines de leurs camarades des
Marines. Les accomplissements de la 173rd Airborne Brigade dans les districts de la province
de Binh Dinh tendent à contredire la théorie de John Nagl qui soutient que l’Armée
américaine, contrairement aux Forces britanniques en Malaisie, était une institution
« incapable d’apprendre » lors de son déploiement au Vietnam.142 Les opérations contre-
insurrectionnelles de la 173rd Airborne Brigade nous démontrent que l’US Army, bien
qu’elle n’ait pas l’historique contre-insurrectionnelle des Marines, recelait le potentiel
d’accomplir des opérations de COIN opérationnellement efficaces au Vietnam.
3.4. Conclusion
Le présent chapitre a démontré que le III MAF et l’ensemble du Corps des Marines
s’est montré beaucoup plus disposé à pratiquer de la contre-insurrection que leurs comparses
de l’US Army. Dès leur déploiement au Vietnam en mars 1965, dans les secteurs d’I Corps,
les Marines se sont affairés à initier une succession d’opérations civiques destinées à
améliorer la qualité de vie des paysans sud-vietnamiens et à gagner leur appui pour combattre
le VC. Les premières opérations se sont résumées à des initiatives MEDCAP et à des
distributions d’aide et de nourriture. Le déploiement d’organisations civiles de
reconstruction a aidé le III MAF et le GVN à démarrer des projets de reconstructions
civiques qui ont mené à la construction d’écoles, d’hôpitaux, de puits et de réseaux
électriques dans certains secteurs. Bien que la population rurale se soit montrée
reconnaissante de ces initiatives des Marines, il lui était difficile de donner ouvertement son
appui à l’USMC et au GVN. Cette particularité s’explique par le fait qu’aucune force de
sécurité statique ne demeurait dans les villages pour assurer la protection des villageois et
des équipes de reconstruction. Le VC, soucieux de conserver sa mainmise sur les villages et
les secteurs ruraux ne rencontrait ainsi aucune difficulté à attaquer les travailleurs et à
militairement surclasser les forces paramilitaires déployées dans les villages.
142Nagl, op. cit., p. xxii.
225
Confronté à cette situation et face à l’insistance des civils, le III MAF a mis sur pied le projet
de Combined Action Group qui cadrait parfaitement avec les traditions historiques de
l’USMC. Cette initiative a permis le développement de 114 CAP qui ont assuré la protection
permanente des villageois, des cadres politiques et des infrastructures. Les Marines et le PF
ont coupé aux cadres et aux insurgés VC l’accès à la population en assurant l’exécution de
patrouilles de reconnaissance et d’embuscades qui avaient souvent pour origine le
renseignement fourni par la population civile reconnaissante du travail des Marines. Le
système de CAP a démontré la faisabilité de séparer les forces insurgées de la population
civile et de gagner cette dernière à la cause des Américains et du GVN. Toutefois, le spectre
hybride de la guerre du Vietnam ne devait guère tarder à faire surface. Bien que les CAP se
soient montrés efficaces dans un contexte de COIN, il en a été tout autrement lors de la
conduite d’opérations conventionnelles communistes. Plusieurs CAP sont tombés lors de
l’offensive du Têt. L’exécution d’assauts complexes de bataillons entiers du NVA et du VC
a nécessité le déploiement urgent de forces conventionnelles pour appuyer les Marines et le
PF des Combined Action Platoons. Les assauts répétés des unités régulières communistes
sur les CAP ont démontré d’une part que le programme faisait figure de véritable embûche
au bon fonctionnement des opérations d’insurrection du VC.
D’autre part, ces assauts ont prouvé hors de tout doute qu’un concept d’opérations
exclusivement basé sur le déploiement de CAP dans les secteurs d’I Corps aurait constitué
une catastrophe pour les Marines. L’omniprésence des éléments réguliers du NVA dans un
secteur sis à une telle proximité de la zone démilitarisée et de la RDVN a obligé le III MAF
à prioriser la conduite d’opérations conventionnelles. Cette particularité, combinée à
l’incapacité du PF à prendre immédiatement en charge de manière autonome les premiers
CAP, ont limité le nombre de villages pouvant être amalgamés au programme. L’application
synchronisée d’opérations conventionnelles suivies d’opérations statiques permanentes ont
démontré leur potentiel d’efficacité dans I Corps. Néanmoins, considérant les effectifs
disponibles et la menace engendrée par le NVA, il a été impossible pour le III MAF d’assurer
une exécution parfaitement équilibrée des opérations conventionnelles et contre-
insurrectionnelles. Le MACV n’aidait en rien la situation, si l’on considère sa répulsion du
programme de CAP. Toutefois, la performance des unités de la 173rd Airborne Brigade a
fait montre que la conduite appropriée d’opérations de COIN se trouvait à la portée de l’US
Army. Pour sa part, le programme de CAP a démontré à quel point les théories de Galula et
226
de Thompson charpentaient la base d’une campagne de contre-insurrection savamment
dirigée et qu’elle s’appliquait au Vietnam. Bien que le programme de CAP soit
géographiquement limité, il en a été tout autrement pour le CORD qui englobait l’ensemble
de la campagne de contre-insurrection du MACV et du GVN dans tous les Corps et toutes
les provinces de la République du Vietnam. Le CORDS et le programme Phoenix qu’on
devait y annexer ont littéralement scié les jambes de l’insurrection viêt-cong en plus
d’engendrer une défaite sans équivoque de l’insurrection communiste.
227
Chapitre IV : Le CORDS, le Programme Phoenix et
l’effondrement du Viêt-Cong
“Apparently, no one considered simply telling
the truth about the Phoenix Program –that this program
was actually winning the war.”1
-Lieutenant-Colonel John L.
Cook, Conseiller du programme
Phoenix
“A remarkable success in the development of
associative power to defeat a powerful insurgency was
achieved [with] the CORDS program…Its success in
defeating the Viet Cong was accomplished in the
Spring of 1972.”2
-Stephen B. Young, Conseiller
du CORDS
Si l’on exclut les efforts de pacification du III MAF dans I Corps, la poussée
américaine visant à implanter un système de contre-insurrection concret n’a vu le jour qu’à
compter de 1967 avec l’élaboration du CORDS. Bien que Westmoreland ait accordé
beaucoup d’attention aux volets relatifs à la COIN dans son concept d’opération original,
nous avons vu qu’il a préféré concentrer ses efforts sur la conduite d’opérations
conventionnelles. Pourtant, lors du déploiement des troupes de combat américaines au
Vietnam, maints discours ont été tenus sur les initiatives d’importance à privilégier pour
gagner l’appui de la population civile et la protéger du VC. En 1966, alors que les unités
conventionnelles américaines réussissaient à prévenir la chute de la RVN aux mains des
communistes, de nouveaux débats étaient soulevés à Washington quant aux tactiques et
stratégies à prioriser par le MACV. Ces débats militaro-tactiques trouvaient leur source dans
deux facteurs centraux : les incessantes requêtes des commandants militaires à vouloir
augmenter le nombre d’effectifs de soldats déployés et leur dessein d’intensifier la campagne
1 John L. Cook, The Advisor: The Phoenix Program in Vietnam, Atglen, Schiffer Publishing Ltd, 1997, p.
227. 2 Young, op. cit., p. 17.
228
aérienne ROLLING THUNDER dans la RDVN. Considérant l’incapacité des généraux à
stabiliser la situation dans la RVN, et ce, en dépit des moyens déjà mis à leur disposition, ces
réclamations ont embrasé l’ire du Secrétaire à la Défense Robert McNamara. Compte tenu
de l’impasse où se trouvait acculé le conflit au Vietnam, McNamara jugeait qu’il était temps
de consacrer davantage d’énergie aux efforts de pacification. Le deuxième facteur central au
cœur des nouveaux débats était lié à l’incapacité du MACV à causer suffisamment de pertes
aux communistes pour qu’Hanoï ne soit plus en mesure de déployer des forces fraîches dans
la RVN.3 À ce stade du conflit, les opérations de pacification n’étaient qu’une stratégie
« corollaire » aux opérations conventionnelles majeures contre les forces du NVA et du VC.
L’un des constituants qui a aussi joué en faveur de la mise en pratique de COIN a été le retour
à Saigon de l’Ambassadeur Henry Cabot Lodge. En dépit de son rôle dans le renversement
du Président Diem, on considérait Lodge comme un fervent partisan de la COIN.4 C’est
d’ailleurs lui qui a proposé au Président Johnson de mouler la stratégie militaire américaine
à celle de David Galula et du général Jacques Massu, un des architectes de la défaite du FLN
lors de la bataille d’Alger. L’Ambassadeur américain montrait beaucoup de détermination
dans sa volonté d’inciter le MACV à maximiser ses opérations de contre-insurrection et de
pacification.
Il a rédigé un rapport exposant ce en quoi consistait sa vision des dix points à
parachever si les Américains souhaitaient assurer une pacification susceptible de stabiliser
les secteurs ruraux. Sans le savoir, par ce rapport, Lodge préétablissait les points destinés à
forger le modus operandi du CORDS pour les années subséquentes. Si on les survole dans
l’ensemble, les dix points se résumaient à ce qui suit : en premier lieu, « saturer » l’esprit de
la population avec une « idéologie attractive » apte à surclasser les concepts communistes.
En second, organiser la gestion politique des villages avec en tête de l’organigramme des
chefs d’hameaux soutenus par un comité protégé et appuyé par les forces constabulaires et
l’armée qui exerceraient des tactiques de sécurité policière. Ces comités devaient inclure des
représentants à tous les échelons, tant militaire, politique, économique que social. Le
troisième et le quatrième point consistaient en l’organisation des recensements, puis
l’attribution de cartes d’identité aux villageois. Le cinquième point reposait sur l’action de
3 Robert Komer Bureaucracy Does its Thing: Institutional Constraints on U.S.-GVN Performance in
Vietnam, Santa Monica, Rand Corporation, 1972, p. 135-136, 139. 4 Ibid., p. 136-137.
229
forcer l’émission de permis, dans le but de contrôler la circulation des biens et de la
population. Le sixième item impliquait l’imposition d’un couvre-feu lorsque jugé nécessaire,
alors que le septième dictait d’appréhender les insurgés dans les villages. Le huitième point
prévoyait l’exécution d’actions civiques, une fois les villages sécurisés pour passer ensuite
au neuvième point : organiser les défenses des hameaux afin de repousser les attaques
mineures du VC. Enfin, venait le dixième point : la tenue d’élections locales, une fois les
neuf étapes précédentes consolidées.5 L’essentiel de ces points s’apparente beaucoup aux
huit étapes clés et aux préceptes doctrinaux contre-insurrectionnels de David Galula. Il tombe
sous le sens que l’Ambassadeur Lodge était un adepte de la philosophie doctrinale du
lieutenant-colonel français. En adoptant ces points doctrinaux, le CORDS s’apprêtait à
prouver à quel point les Américains avaient su saisir la théorie derrière l’application de
bonnes doctrines de COIN et de pacification. La difficulté était d’institutionnaliser et
d’uniformiser ces doctrines au sein de l’ensemble du système militaire américain. De son
côté, en 1966, le Président Johnson lui-même insistait pour que les efforts de guerre
américains se concentrent davantage sur ce qu’il appelait (à tort) the other war.6
Afin d’implanter un programme de pacification viable à travers toute la RVN, la
Maison-Blanche devait ordonner la création d’une véritable « machinerie » bureaucratique
qui permettrait une gestion appropriée de l’ensemble des opérations non conventionnelles.
Pour la première fois depuis l’implication militaire américaine au Vietnam, le processus de
pacification captait véritablement l’attention des hautes sphères politiques à Washington.7 Le
9 mai 1967, Johnson nomma Robert Komer à la tête des opérations de pacification destinées
à faire naître ce qui deviendrait le CORDS.8 Komer, qui par sa forte personnalité s’est vu
affublé du surnom « Blowtorch » par l’Ambassadeur Lodge9, était déjà depuis longtemps un
membre actif de la communauté du renseignement américain. Il s’est fait assigner de
5 Pentagon Papers, Part IV. C. 8[Part IV. C. 8.], Evolution of the War. Direct Action: The Johnson
Commitments, 1964-1968. Re-emphasis on Pacification: 1965-1967, op. cit., p. 12. 6 Ibid., p. iv. 7 Ibid., p. 137. 8 Patrick V. Howell, “Unraveling CORDS: Lessons Learned from a Joint Inter-Agency Task Force (JIATF).”
Mémoire de maîtrise, United States Army Command and General Staff College, Fort Leavenworth, 2009, p.
20-21. 9 Frank Leith Jones, Blowtorch: Robert Komer, Vietnam, and American Cold War Strategy, Annapolis, Naval
Institute Press, 2013, p. 3-4.
230
multiples rôles reliés au renseignement militaire lors de la Guerre froide et a exercé beaucoup
d’influence sur les stratégies et politiques américaines en matière de sécurité nationale. Il
s’est montré particulièrement actif lors des présidences de John F. Kennedy et de Lyndon
Johnson.10 Le Président estimait le temps venu de centraliser complètement la gestion des
opérations de pacification des agences impliquées et il le confirma en confiant les rênes du
pouvoir à un seul dirigeant. Un rapport introspectif des opérations d’appui à la pacification
avait, rappelons-le, abouti sensiblement aux mêmes conclusions en 1963 (voir le chapitre 1).
Le Secrétaire à la Défense Robert McNamara partageait le même avis que le Président.
McNamara considérait que les opérations conventionnelles avaient permis de sauvegarder la
RVN en prévenant sa chute aux mains des communistes qui avaient débordé les forces de
l’ARVN sur tous les fronts. Fort des succès du MACV pour entraver l’offensive
conventionnelle communiste et confronté à la stagnation des opérations contre-
insurrectionnelles, le Secrétaire à la Défense s’est montré d’avis qu’il était temps de passer à
une stratégie alternative avec la pacification. Dans un mémorandum au Président, il résume
ainsi sa perception de l’importance de la pacification au Vietnam:
Central to success…is the pacification program. Past progress in
pacification has been negligible…one of the main reasons for this lack of
progress had been the existence of split responsibility for pacification on
the U.S. side. For the sake of efficiency…this…must be eliminated. [A
pacification…reorganisation [should] result in the establishment of a
Deputy…who would be in command of all pacifications staffs in Saigon
and all pacifications activities in the field.11
Néanmoins, il a fallu plusieurs études, enquêtes et opinions d’experts pour emporter
la décision de la Maison-Blanche d’approuver la création d’un organisme comme celui du
CORDS. Avant sa nomination, Komer insistait sur la nécessité d’assurer la protection des
civils pour que la pacification fonctionne. À cet effet, dans un mémorandum au Président, il
souligne :
Key aspects of pacification deserve highest priority and greater emphasis.
Unless we and the GVN can secure and hold the countryside cleared by
military operations, we either face an ever larger and quasi-permanent
military commitment or risk letting the VC infiltrate again…since the
military are moving ahead faster than the civil side we need to beef up the
10 Ibid. 11 Ibid., p. 91-92.
231
latter to get it in phase. There’s little point in the military clearing areas the
civil side can’t pacify…security is the key to pacification; people won't
cooperate, and the cadre can’t function till an area is secure.12
Komer a ciblé à la lettre la clé du problème; sans une coordination plus serrée entre les
opérations conventionnelles, pacificatrices et privées de troupes statiques pour assurer la
protection rurale, on condamnait les Forces américaines à mener des traques perpétuelles
contre le VC. Dans ces conditions, les secteurs sécurisés et les efforts de pacification
continueraient de stagner. Il a également cerné les raisons expliquant pourquoi la pacification
des secteurs ruraux avait été si peu productive dans la RVN. En premier lieu, il a pointé du
doigt la priorité accordée aux opérations conventionnelles. Komer ne considérait pas cette
dynamique comme un facteur de faute, au contraire. Compte tenu de la situation
opérationnelle, il jugeait rationnel d’accorder plus d’importance aux opérations de search
and destroy. Toutefois, il fallait admettre que cette particularité affectait négativement les
opérations contre-insurrectionnelles. En second lieu, il souligne à quel point les assauts du
VC et du NVA, spécifiquement dirigés contre les efforts de pacification, limitaient
l’expansion des programmes civiques.
Dans un troisième temps, il évoquait l’existence de problèmes inhérents au modus
operandi de la pacification en soi. En quatrième lieu, il attribuait les problèmes de gestion de
la pacification au manque de personnel qualifié en tête des opérations. Enfin, il concluait que
Washington et Saigon n’avaient pas développé de plan, de programme ou de structure
organisationnelle adéquats pour mener à bien une campagne de pacification.13 Afin de
remédier à ces nombreux problèmes, Komer devait proposer une succession de mesures dont
l’une consistait à mettre en place une protection 24 heures sur 24 des villages via le
déploiement de forces de sécurité statiques. Cela aurait pour effet de faciliter le travail des
cadres du RD, sécuriser la population civile et cimenter la crédibilité du GVN. En bout de
ligne, cette mesure revenait à reproduire le concept des CAP dans I Corps. Néanmoins, pour
assister les troupes paramilitaires du RF et du PF, Komer envisageait utiliser l’ARVN plutôt
que l’US Army. Il souhaitait aussi briser la mainmise des cadres VC sur la population (via
l’éventuel programme Phoenix) et maximiser les efforts civiques du RD en vue de se
12 Pentagon Papers, Part IV. C. 8[Part IV. C. 8.] Evolution of the War. Direct Action: The Johnson
Commitments, 1964-1968 Re-emphasis on Pacification: 1965-1967, op. cit., p. 65-66. 13 Ibid., p. 67-68.
232
concilier l’appui populaire.14 L’évaluation de Komer a reçu du renfort par le biais des
résultats d’une autre étude ordonnée par le chef d’état-major de l’Armée de terre à
Washington. Cette étude consacrée aux efforts de pacification au Vietnam a été titrée
Program for Pacification and Long Term Development of South Vietnam (PROVN), un
ouvrage qui devait grandement influencer les dirigeants politico-militaires américains dans
leur démarche de conceptualisation du CORDS. À l’origine, on a réservé rigoureusement à
l’armée l’usage du PROVN; ses concepteurs ont reçu la stricte directive de n’en souffler mot
à quiconque opérant à l’extérieur du Département de la Défense. Le PROVN affirmait que
1966 était une année clé, probablement la dernière chance des Américains « d’assurer un
éventuel succès » au Vietnam.15 Le PROVN stipulait ce qui suit:
Victory can only be achieved through bringing the [rural] Vietnamese to
support willingly the GVN. The critical actions are those that occur at the
village, district, and provincial levels. This is where the war must be fought;
this is where that war and the object which lies beyond it must be won.16
Pour faciliter ces opérations, le PROVN recommandait que les Américains
concentrent leurs manœuvres au sein des provinces, délèguent une série de pouvoirs
administratifs aux dirigeants provinciaux, tout en mettant la construction rurale au cœur de
l’effort principal des opérations conjointes du MACV et du GVN. Le rapport recommandait
aussi une gestion plus serrée et une implication davantage directe des Américains au sein de
la machine administrative sud-vietnamienne chargée de mettre en application les
programmes de pacification. Enfin, l’Ambassadeur américain devait détenir toute l’autorité
nécessaire, une fois le moment venu de gérer les ressources, les activités et l’utilisation des
éléments américains lors des opérations de pacification.17 Tout comme Komer, le PROVN
insistait sur la nécessité d’assurer la sécurité permanente des villages afin de faciliter la
reconstruction rurale et les autres initiatives civiques qu’on se devait d’exécuter en
coordination avec les forces de sécurité américaines, sud-vietnamiennes et le GVN. En ce
sens, le PROVN comptait également beaucoup sur l’ARVN en tant qu’appui pour l’ensemble
des activités civiques.18
14 Ibid., p. 68-69. 15 Ibid., p. 74 16 Ibid., p. 74-75. 17 Ibid., p. 75. 18 Ibid., p. 76.
233
Un autre groupe d’étude baptisé Priority Task Force a été créé, cette fois-ci par
l’Ambassadeur américain à Saigon. À la suite d’un séjour au Vietnam, l’équipe d’analystes
devait parvenir à la même conclusion que le PROVN. Tout d’abord, on considérait totalement
défaillante la sécurité instaurée dans les secteurs ruraux afin d’entraver la liberté d’action du
VC. Ajoutons à cela l’état des gouvernements locaux au sein des villages et les élus fragilisés
par l’instabilité qui en résultait. Autant de facteurs qui faisaient obstacle à la bonne marche
des opérations de pacification. Le groupe à l’origine de l’étude jugeait aussi que les
Américains ne s’impliquaient pas suffisamment auprès des Vietnamiens, le temps venu de
les appuyer au cours des opérations de pacification. On a également conclu que depuis le
programme d’hameaux stratégiques de Diem, on notait l’absence de réel plan de pacification
structuré dans la RVN. Le Priorites Task Force faisait aussi ressortir que le programme
contre-insurrectionnel en place ne captait pas les dynamiques politiques, économiques et
sociales qui auraient dû inciter la population à appuyer activement les programmes de
pacification. De surcroît, le groupe d’étude dénonçait l’attribution des tâches en matière de
gestion et d’exécution des opérations de pacification qu’il n’hésitait pas à qualifier de
brouillonne et d’ambiguë, tant du côté américain que sud-vietnamien.
L’étude affirmait aussi que le personnel chargé des opérations n’avait pas reçu
d’entraînement adéquat et manquait de motivation. Enfin, on a mis en évidence le manque
de cohérence au sein de la structure organisationnelle du programme de pacification en place,
ce qui ne manquait pas de compliquer la conduite des opérations.19 Un dernier groupe d’étude
baptisé Role and Mission Study Group, créé en juillet 1966, s’est vu confier pour exercice
d’établir les rôles et les tâches de chaque organisation militaire au cours des opérations de
pacification. La grande majorité des recommandations du Role and Mission Study ont été
adoptées par ce qui allait devenir le CORDS. Ces consignes encourageaient entre autres de
maximiser les opérations conjointes entre les éléments militaires américains et du GVN (lors
des opérations de pacification), en vue d’améliorer les performances des forces de sécurité
sud-vietnamiennes. On recommandait d’assigner des unités de l’ARVN afin d’assurer la
protection des cadres du RD et on a prescrit que la Police nationale (Special Branch) devait
constituer l’organe principal exploité pour provoquer la destruction de l’infrastructure
politique du VC. Finalement, le groupe insistait sur l’importance de cinq éléments : en
19 Ibid., p. 80-81.
234
premier lieu : le programme de RD et le rôle de ses cadres. En deuxième lieu : la création
d’une organisation clé derrière les « efforts militaires et civils » visant à empêcher la
coercition du VC. En troisième lieu : restaurer la sécurité publique, en plus d’initier les
programmes de développement politico-économiques. En quatrième lieu : affermir l’autorité
du GVN dans les secteurs ruraux. Enfin, gagner l’appui de la population civile.20 Robert
Komer, l’USAID, le JUSPAO et la CIA ont manifesté leur accord avec l’ensemble des
propositions du Role and Mission Study. Du côté du MACV, on semblait prêt à passer de la
théorie à la pratique pour mener les opérations contre-insurrectionnelles. Westmoreland a
concédé que les Forces alliées se trouvaient à l’aube d’une nouvelle phase qui succéderait
aux opérations conventionnelles et les jugeait fructueuses contre les unités communistes. Le
général a conceptualisé un plan mettant en valeur les forces du MACV qui œuvreraient à
maximiser leur appui aux opérations du RD et à la sécurité de la population. En théorie, les
Forces américaines serviraient « d’écran » et faciliteraient les opérations de l’ARVN
mandatée pour protéger la mission de pacification des cadres du RD. Parallèlement, d’autres
forces continueraient de traquer les larges formations communistes.21
Le 23 octobre 1966, lors d’une conférence à Manille, le Président Johnson et son
homologue sud-vietnamien Nguyen Van Thieu ont convenu de focaliser l’attention de leurs
forces sur l’appui aux opérations de pacification. À la suite de la conférence, le MACV et
l’État-Major américain passaient de la parole aux actes en ordonnant la formation d’équipes
d’entraînement mobiles désignées à assurer la formation les éléments militaires concernés,
afin de les aguerrir à opérer auprès de la population et à effectuer des opérations de
pacification.22 On a implanté ces décisions au moment où les Forces américaines mettaient
une conclusion aux Opérations CEDAR FALL et JUNCTION CITY dans III Corps. La
confiscation des bases d’opérations du VC dans ces secteurs aurait dû, en théorie, limiter
l’habilité des insurgés à se cacher et à opérer, encourageant davantage de ce fait le MACV à
se focaliser sur les efforts de pacification.23 Dans le chapitre 2, nous avons été en mesure de
constater que rien de tout cela ne devait se produire; l’Iron Triangle est demeuré une base
d’opération opérationnelle des forces communistes et devait servir de tremplin pour de
20 Ibid., p. 84-85. 21 Ibid., p. 86-87, 89-90. 22 Ibid., p. 116. 23 Ibid., p. 117.
235
nombreuses autres opérations du VC dans les secteurs jouxtant la capitale. De plus, la
coopération entre entités militaires et le RD ne fonctionnait pas aussi rapidement que
l’auraient souhaité les concepteurs du CORDS. Quoi qu’il en soit, l’ensemble des
recommandations exposées précédemment façonna ce qui est devenu le précurseur du
CORDS; l’Office of Civil Operations (OCO) né en novembre 1966. Au départ, l’OCO ne
regroupait pas les éléments militaires mais uniquement les agences civiles et d’opérations
psychologiques mandatées pour assister la population civile et inciter les VC à faire
défection. Ces agences comprenaient l’USAID, le JUSPAO ainsi que le programme
d’opérations psychologiques Chieu Hoi. Le député de l’Ambassadeur américain à Saigon,
William Porter, supervisait l’ensemble des opérations de pacification de ces agences et du
RD.24 Néanmoins, les responsables américains et sud-vietnamiens devaient rapidement
prendre conscience que le programme échouait à rencontrer les résultats espérés. Seulement
400 hameaux supplémentaires ont été sécurisés en une année, portant le nombre total
d’hameaux considérés comme pacifiés à seulement 4400, un nombre représentant à peine le
quart de l’objectif fixé par les dirigeants américano-sud-vietnamiens.25
À cela se sont ajoutés des problèmes de coordination entre les différentes agences et
le manque d’appui des éléments du MACV qui, techniquement, ne comptait pas sous sa
responsabilité les diverses organisations de pacification. Après 4 mois d’activités peu
concluantes de l’OCO, le Président Johnson a ordonné la fusion des organisations civiles et
militaires chargées des opérations de pacification qui basculeraient dorénavant sous la tutelle
du MACV. À la même date, par le Mémorandum d’Action pour la Sécurité nationale 362, le
Président officialisait la création du CORDS.26 Désormais, la structure hiérarchique du
MACV plaçait deux députés sous Westmoreland: un général trois étoiles et un civil (Robert
Komer) à la direction du CORDS. Komer, bien qu’il soit civil, détiendrait dorénavant les
mêmes pouvoirs qu’un général et regrouperait sous son commandement les éléments
militaires attachés au programme de pacification du MACV. Le 28 mai 1967, le CORDS, la
première organisation de pacification hybride des Forces militaires américaines, débutait ses
opérations dans la RVN.27
24 Howell, op. cit., p. 20-21. 25 Ahern, op. cit., p. 241. 26 Ibid., p. 250. 27 Howell, op. cit., p. 21.
236
4.1. Le fonctionnement et la structure organisationnelle du CORDS
Dirigé à partir du QG principal situé à Saigon, le CORDS opérait dans chacun des
quatre Corps et 44 provinces de la RVN. Sous le commandement de Robert Komer, on
retrouvait le Chief of Staff du MACV. Ce dernier avait la responsabilité de superviser les
opérations des éléments d’état-major (J1 à J6) et du CORDS. Le Chief of staff regroupait les
conseillers séniors du CORDS de chacun des quatre Corps. Puis, un cran plus bas, on trouvait
le Chief of Staff des divisions et des brigades, leurs éléments d’état-major (G1 à G6) et ceux
du CORDS. Toujours en dessous du Chief of Staff, on trouvait les Province Senior Advisors
(PSA), dont le rôle était de superviser les opérations du CORDS dans leur province
respective, en plus d’assumer la responsabilité de diriger leurs subordonnés de districts qui
portaient le titre de District Senior Advisors. Chacune des 44 provinces recelait en son sein
un quartier-général du CORDS dirigé par son PSA et comptait un député portant le titre de
Deputy Province Senior Advisor (DPSA). Approximativement 13,000 personnes faisaient
partie du CORDS qui regroupait 1400 civils, 5700 militaires, 6000 Vietnamiens et 300
opérateurs étrangers.28 La figure 22 donne une version graphique de la structure
organisationnelle du CORDS.
28 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group.
General Records US Weekly Returnee Reports 1969 thru Plans/1970/Supplements, Phases Etc. 1970. College
Park, National Archives, NND 45603, RG#472, Box 7.
237
Figure 22: Structure organisationnelle du CORDS29
29 Ibid.
Les éléments d’état-major se définissent comme suit: le J1/G1 est responsable de gérer les effectifs et le
personnel militaire de la division et de la brigade. Le J2/G2 est responsable de tout ce qui est relatif au
renseignement militaire (military intelligence). Le J3/G3 est pour sa part en charge des opérations, ce qui inclut
la coordination des opérations militaires et l’attribution des éléments et tâches spécifiques pour faciliter
l’exécution des opérations. Le J4/G4 se charge de tous les éléments relatifs à l’approvisionnement logistique
des forces militaires déployées. Pour sa part, le J5/G5 est chargé des éléments relatifs à la planification et aux
stratégies appelées à être exploitées par les forces militaires sur le champ de bataille. Enfin, le J5/J6 est
responsable de tout ce qui touche les éléments de communications radios, un élément clé lors de la conduite de
combats. Bien qu’ils ne soient pas sur le graphique du CORDS, il existe également le J7/G7, responsable de
l’éducation et de l’entrainement; le J8/G8 responsable des finances et le J9/G9, responsable des opérations de
coopération militaire et civile. Ce concept est encore pleinement exploité au sein des armées modernes du 21e
siècle et facilite la gestion coordonnée des différents organes militaires responsables de gérer la conduite des
opérations.
238
Si le Province Senior Advisor était militaire (normalement un colonel ou un
lieutenant-colonel), son Deputy Province Senior Advisor devait obligatoirement être un civil
et vice-versa. Le travail des PSA et DPSA revêtait un caractère essentiel au bon
fonctionnement du CORDS. Le PSA supervisait une gamme d’activités militaro-civiles ainsi
que les opérations du RD. Lors de l’établissement des Combined Action Platoons des
Marines, les cadres du RD représentaient le gouvernement sud-vietnamien et leur mandat
était de chapeauter et faciliter les opérations civiques et le bien-être des villageois.
Néanmoins, la création du CORDS devait décupler leurs tâches. Dorénavant, les cadres du
RD endosseraient la responsabilité de fournir l’ensemble des services gouvernementaux
destinés à l’amélioration des conditions de vie de la population rurale, de recruter des
villageois pour gonfler les rangs des milices de défense et faciliter la mise en place
d’initiatives de développements socio-économiques. Pour sa part, l’ARVN recevait pour
mission d’assurer la protection des cadres du RD en déployant des forces dans leur secteur
d’opération, en plus de servir d’écran, d’initier des patrouilles de nuit, des embuscades et de
participer aux actions civiques. Toutefois, les commandants de l’ARVN ne se montraient
guère motivés à l’idée d’exécuter ce type d’opérations.
Le problème relié à l’ARVN est rapidement devenu manifeste. Le général Depuy,
responsable du secteur des opérations du MACV (J3), a révélé que les progrès en matière de
pacification apparaissaient plus probants dans les secteurs de responsabilité des Forces
américaines et sud-coréennes. Le général a aussi souligné que les zones sous la responsabilité
de l’ARVN affichaient des progrès d’appui à la pacification « modestes » ou
« inexistants ».30 Cette improductivité ne facilitait aucunement le travail des PSA
responsables de la supervision des opérations du CORDS.31 Pour atteindre un degré
satisfaisant de sécurité dans les secteurs ruraux, l’organisation misait sur les éléments
paramilitaires du PF et du RF qui, pour arriver à suffire à la tâche, subissaient un entraînement
optimisé et ont vu leurs effectifs considérablement augmentés entre 1967 et 1970. Ces
effectifs allaient devenir éventuellement fortifiés par le programme Phoenix et
l’élargissement d’une autre force paramilitaire, le People’s Self Defence Force (PSDF)
30 Ahern, op. cit., p. 246-247. 31 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records US Weekly Returnee Reports 1969 thru Plans/1970/Supplements, Phases Etc. 1970, op. cit.
239
constitué d’une milice volontaire de villageois chargée d’assister le GVN dans la défense des
hameaux.32 Une autre organisation de taille devait accorder ses services pour renforcer les
opérations de pacification du CORDS : la CIA. Le quartier-général de l’Agence américaine,
basée à Langley en Virginie, a transmis au commandant du MACV à Saigon un communiqué
informant qu’on engagerait des ressources à la disposition du programme. Le chef de station
de la CIA à Saigon, Lou Lapham, devait s’assurer que tous ses agents se commettent avec
« agressivité » à l’appui des opérations du RD et de la pacification.33 Robert Komer a établi
quatre objectifs principaux pour le CORDS. Le premier : attaquer l’infrastructure politique
du VC, une tâche dévolue aux éléments militaires attachés au programme Phoenix. Le
deuxième : assurer l’expansion du programme du RD. En troisième lieu : moderniser les
forces de police. Enfin, la quatrième étape : commencer la planification pour les opérations
de pacification de 1968. Ces manœuvres allaient s’enclencher subséquemment à l’offensive
du Têt, avec le plan de pacification accéléré destiné à faire très mal aux unités résiduelles de
l’insurrection. Komer a aussi montré la volonté d’optimiser les opérations psychologiques
du Chieu Hoi, d’inciter les communistes à faire défection, d’améliorer le traitement des
réfugiés, de maximiser la participation de l’ARVN dans les opérations de pacification et de
se focaliser sur les réformes agraires.34
Lorsque venait le moment d’évaluer le degré de progrès des opérations de
pacification dans les secteurs ruraux, le CORDS médita sur une série de critères qui, une fois
solidement déterminés, permettraient de diagnostiquer jusqu’à quel point un village ou un
secteur se trouvait contrôlé par le GVN ou le VC. Dans le processus d’analyse des données,
il s’agit de se concentrer sur les « manifestations les plus significatives » du degré de
domination des belligérants, c’est-à-dire le degré de contrôle des administrateurs politiques
et des unités de défenses sud-vietnamiennes versus celui de l’infrastructure politique et
militaire du VC. Le CORDS devait établir ce qu’il a désigné comme des « indicateurs de
contrôle » qui lui permettaient d’évaluer quel parti imposait son ascendant sur le secteur en
question.35 Du côté du GVN, l’évaluation était assez simple; on considérait le village
militairement sécuritaire si les forces paramilitaires pouvaient empêcher le VC d’y opérer.
32 Ibid., p. 115-116. 33 Ahern, op. cit., p. 251. 34 Ibid., p. 252. 35 John Paul Vann Papers, Memorandum. Subject: Study of the Situation in the Countryside, 24 January 1970,
Carlisle, War College, Vietnam War Study, Box 1, 1970, (1 Jan-21 Mai) Folder, p. 10-12.
240
Dans ces conditions, la sécurité était classée comme « adéquate » par les Américains. Du
côté politique, le village se trouvait considéré sous le contrôle du GVN si les chefs politiques
du village pouvaient opérer et passer la nuit en toute sécurité dans leur hameau. Le moment
venu d’évaluer le degré de contrôle des éléments VC, les Américains cherchaient à identifier
les points suivants : du côté militaire, on considérait le village sous contrôle VC si les
insurgés du village se montraient « aptes au combat » et si leurs positions défensives étaient
fonctionnelles. Si le village était sujet à des attaques VC de la taille de peloton, dans le secteur
direct ou avoisinant le hameau en question, le secteur était également considéré comme étant
contrôlé par les communistes. Sur le plan politique, on estimait le village sous le contrôle du
VC si son infrastructure politique contrôlait la population ou si elle entravait suffisamment
la capacité de gouverner des dirigeants sud-vietnamiens. Si un village n’affichait qu’un seul
des deux indicateurs pour le contrôle du village par le représentant du GVN et aucun critère
de contrôle VC, il était classé sous influence sud-vietnamienne. Il en allait exactement de
même du côté du degré d’influence VC. Les hameaux dont les deux camps répondaient à un
des deux indicateurs ou à aucun d’entre eux étaient considérés sous le contrôle simultané du
VC et du GVN, et en conséquence, le secteur devenait « contesté ».36
Un système informatique fort complexe nommé Hamlet Evaluation System (HES) par
les Américains et créé par la CIA à la demande du Secrétaire à la Défense Robert McNamara,
servait d’outil d’évaluation pour les quatre indicateurs. Obsédé par les chiffres, les
statistiques et les données quantitatives, McNamara avait émis comme directive qu’on
élabore un système qui lui permettrait d’expertiser les progrès des opérations de
pacification.37 Par le truchement du HES, on évaluait sur une base mensuelle chaque hameau
selon les indicateurs susmentionnés. Un conseiller de district américain, qui s’appuyait en
grande partie sur des sources sud-vietnamiennes pour catégoriser les hameaux, comptabilisait
les données.38 Le moment venu d’évaluer le degré de contrôle d’un hameau, le HES
catégorisait de la lettre A à la lettre E les villages habités. Par exemple, un hameau de
catégorie A incarnait ce que les Américains appelaient un « super hamlet », c’est-à-dire un
hameau ou tout se passait à la perfection sur les plans de la sécurité et du développement. Un
hameau classé B était perçu comme un high grade hamlet, ce qui ce qui se traduisait par une
36 Ibid., p. 12-13. 37 Young, op. cit., p. 144. 38 Ibid., p. 13, 15.
241
classe de hameau doté d’une sécurité effective 24 heures sur 24, affichant un développement
« adéquat », habité par une population avec à sa tête des élus municipaux en fonction, ainsi
que des écoles fonctionnelles, de l’aide médicale (etc.) et, bien sûr, un milieu épuré
d’activités VC.39 Dans un hameau de catégorie C, le contrôle militaire du VC avait été
« brisé » et le secteur se situait à un niveau « relativement sécuritaire », de jour comme de
nuit. Comme la plupart des éléments d’infrastructure politique du VC avaient été identifiés,
on n’assistait point à des opérations ostentatoires de l’insurrection. La taxation du VC pouvait
encore être perçue; les chefs d’hameau demeuraient généralement dans leur domicile pour la
nuit. Les écoles et les programmes de restructuration de l’économie y étaient fonctionnels.
Ces hameaux étaient considérés sous le contrôle du GVN. Dans un hameau de catégorie D,
les activités du VC étaient « réduites » bien qu’il puisse s’y passer des actions terroristes et
de taxation du VC. Les forces de sécurité assuraient une présence dans le hameau et la
population se montrait généralement capable de participer aux opérations de restructuration
initiales du village. Des équipes médicales opéraient périodiquement dans le hameau et les
activités en matière d’éducation et d’actions civiques pouvaient progressivement être initiées.
Bien qu’il existât encore une contestation entre les deux belligérants pour le contrôle du
hameau, on le considérait tout de même sous le contrôle du GVN.40
Les hameaux de catégorie E profitaient d’une « certaine » présence du GVN.
Toutefois, le VC pouvait y pénétrer fréquemment la nuit pour harceler la population et les
chefs de villages et l’infrastructure politique du VC y était « largement intacte ». Les
programmes de pacification du GVN faisaient leurs premiers pas dans ces hameaux
contestés par le VC et les forces gouvernementales. Finalement, il subsistait une dernière
catégorie d’hameaux dénommée VC hamlet par le CORDS, des villages subissant sans
équivoque l’ascendant du VC. Les représentants du GVN et les conseillers américains du
CORDS ne s’y aventuraient pas à moins d’y conduire une opération militaire. L’essentiel de
la population de ce type d’hameau appuyait le VC, de gré, tacitement ou de force.41 D’autres
données passaient par la compilation pour faciliter le processus d’analyse du HES;
ponctuellement, à chaque mois, pour chacun des villages passés au crible de l’évaluation, on
39 Commander United States Military Assistance Command Vietnam. Command History Volume II, 1967, op.
cit., p. 623. http://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=168300010724>. 40 Ibid., p. 624 41 Ibid.
242
devait répondre à quatre questions: la première, à quelle taille estimait-on la plus grande unité
ennemie présente autour du village en question? La deuxième, durant le mois, est-ce qu’on
jugeait la route principale unissant le village à la capitale de province suffisamment
sécuritaire pour y circuler le jour? Troisième question : des forces amies (externes) avaient
elles opéré dans le village pendant le jour? Finalement, la quatrième et dernière question
d’évaluation : est-ce que de l’artillerie alliée ou des frappes aériennes avaient été menées sur
le village ou ses environs pendant le mois d’évaluation? Sur les hameaux, on posait 21 autres
questions, toujours sur une base mensuelle; l’essentiel de ces interrogations visait à identifier
le degré d’activité et de liberté d’action des chefs de villages et des cadres du RD. Les
questions ciblaient également le degré d’activités terroristes du VC, de même que l’efficacité
des éléments paramilitaires et de la Police nationale à respectivement repousser le VC et
entraver les opérations de son infrastructure politique.42 En bref, voilà en quoi consistait le
genre d’informations collectées et exploitées par les opérateurs du CORDS afin de pouvoir
nourrir de leurs données mensuelles la machine informatique du HES.
D’aucuns ont formulé beaucoup de reproches et bien du scepticisme vis-à-vis du HES
et de ses données statistiques. Il est vrai que le plus grand défaut reproché au système reposait
sur son incapacité à mesurer le degré de satisfaction ou d’insatisfaction de la population
civile, de même que son degré d’allégeance envers le GVN. Les données saisies originaient
au départ du jugement des évaluateurs du programme sur le terrain. Bien qu’il n’existe
aucune « base scientifique » pour identifier les erreurs statistiques susceptibles de résulter
des données du HES, John Paul Vann, un des leaders les plus respectés du CORDS, jugeait
le HES tout de même fiable. Selon Vann, les données « dérivaient d’un système d’évaluation
bien établi » qu’il considérait « raisonnablement précis ».43 Stephen Young, un des
administrateurs du CORDS, souligne de son côté que lorsqu’une large quantité de données
devenait disponible, il s’avérait alors possible de cibler les tendances opérationnelles avec
une « certitude considérable ». En 2009, deux académiciens de l’Université Yale ont eux-
mêmes conclu que, vues de « certaines perspectives », les rapports du HES se révélaient
d’une « qualité des plus acceptables ».44 Les témoignages de transfuges et la capture de
42 Young, op. cit., p. 141-143. 43 John Paul Vann Papers, Memorandum. Subject: Study of the Situation in the Countryside, 24 January 1970,
op. cit., p. 15. 44 Young, op. cit., p. 144.
243
documents communistes (dont le contenu sera dévoilé plus loin) composaient également
d’excellents indicateurs, le temps venu d’évaluer le degré d’efficacité des opérations de
pacification sur l’effort de guerre du VC. Au-delà de ces données, les impacts du CORDS
ont heurté le VC de façon dramatique, tout particulièrement après l’offensive du Têt en 1968.
Comme cela a été le cas à l’apogée des hameaux stratégiques de Diem, la destruction des
initiatives de pacification du CORDS est rapidement devenu l’effort de guerre principal du
COSVN.
4.2. La conduite des opérations de pacification du CORDS : les problèmes initiaux
Au cours des premières opérations du CORDS, les choses ne sont pas allées
rondement, ce qui dans les circonstances, était tout à fait normal. Et pour cause. Jamais dans
leur histoire les Forces militaires américaines et sud-vietnamiennes n’avaient appliqué une
stratégie contre-insurrectionnelle aussi élaborée. L’analyse des 15 premiers mois du
programme tend à démontrer qu’on a effectivement été confronté à maintes difficultés, mais
là ne doit pas s’arrêter l’étude. Beaucoup trop d’analyses sur la pacification et les aspects
militaires de la guerre du Vietnam s’interrompent avec le Têt et la fin des années 1960. Si
l’on analyse les impacts du CORDS à long terme jusqu’en 1972, force est de constater que
le programme a littéralement éliminé le Viêt-Cong. Néanmoins, en 1967, la conduite des
éléments du CORDS dans plusieurs districts et provinces n’incitait pas à croire que
l’organisation s’apprêtait à acculer l’insurrection au pied du mur. À titre d’exemple, les
événements qui se sont tramés dans le district de Cu Chi, situé au sein de la province de Hua
Nghia, dans III Corps, ont brossé un portrait représentatif des problèmes rencontrés lors de
l’application des opérations du CORDS.
Compte tenu de l’ample surface géographique du programme, il serait impossible
d’exposer l’ensemble des problèmes rencontrés par les opérateurs du CORDS dans chacun
des districts de la RVN. Cependant, Cu Chi apporte un avant-goût des événements survenus
dans l’essentiel des secteurs sud-vietnamiens au cours des premiers mois du programme. On
avait investi beaucoup d’efforts au sein du district de Cu Chi pour enrayer les opérations du
VC et gagner l’appui de la population civile. Ces efforts ont été fortement stimulés par le
déploiement du 25th Infantry Division de l’US Army dans Cu Chi en janvier 1966.
Préalablement et jusqu’à ce jour, le VC dominait presque l’entièreté du secteur, et ce, en dépit
du fait que cette zone constituait une priorité en matière de pacification pour le MACV. Une
244
large quantité de ces unités communistes avaient été déployées à partir de l’Iron Triangle.
Des documents saisis ont confirmé que le district de Cu Chi comptait le plus grand nombre
d’insurgés du Viêt-Cong, soit un total de 10,769.45 Le 7e Bataillon VC y rayonnait largement,
subdivisé en petites unités ayant pour mission d’exécuter des opérations de guérilla. Les
communistes y avaient établi un quartier-général avancé du COSVN, ce qui facilitait le
commandement et le contrôle ainsi que le réapprovisionnement de leurs forces. Le GVN
éprouvait maints tracas à contrôler Cu Chi; l’accès des forces de sécurité aux routes
principales était ardu et plein de complications. La pression exercée par les insurgés dans le
district revêtait une intensité telle qu’il était monnaie courante pour les hélicoptères de ne pas
pouvoir trouver un secteur sécuritaire pour s’y poser. Avec le déploiement du 25th Infantry
Division, la situation devait s’améliorer de manière draconienne, particulièrement pendant la
première moitié de 1966. Les Américains ont établi une base d’opération au nord de la ville
principale du district de Cu Chi et ont initié une succession d’opérations de search and
destroy, forçant ainsi les larges formations VC à se réfugier dans les secteurs plus isolés du
district. Puis, la Division américaine a commencé à converger ses opérations vers d’autres
secteurs.
Cu Chi était alors jugé suffisamment sécuritaire pour y amorcer des opérations de
pacification. Ce qui subsistait du VC s’est adapté à la présence américaine, apprenant à éviter
tout affrontement ouvert contre la 25th Infantry Division.46 À la suite du redéploiement des
forces de la Division américaine dans d’autres secteurs, les embûches ne devaient pas tarder
à ressurgir. Entre janvier 1967 et mars 1968, le HES enregistrait une baisse majeure de la
sécurité dans Cu Chi. Un total de 10 hameaux sur les 30 évalués ont vu leur cote chuter,
passant de « sécurisés » à « contestés ». Durant la même période, les cinq hameaux
catégorisés B ont vu leur statut dégringoler. De plus, pour cinq des neuf hameaux classés C,
leur statut périclita avant qu’on les considère finalement comme perdus. On a attribué ces
contre-performances à l’incapacité des forces de sécurité de Cu Chi à protéger les zones
peuplées. Les éléments américains portaient comme tâche de neutraliser les larges formations
45 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records 1601-04 USAID/CORD Spring Review PSG 64/70 1970 thru 1601-10A Various Province
Briefs 1970 Evaluation Report A Study of Pacification and Security in Cu Chi District, Hau Nghia Province,
College Park, National Archives, NND 994025, RG#472, Box 8, p. 1-2, 10-11. 46 Ibid.
245
du NVA et du VC, sans pour autant que cela freine l’infiltration clandestine des unités
communistes dans Cu Chi pour l’offensive du Têt. En regard de la population, les lacunes
des forces paramilitaires à la sécuriser en permanence favorisaient la liberté d’action du VC
dans la zone. Règle générale, l’ARVN avait comme mission d’appuyer les forces
paramilitaires en servant d’écran contre les larges formations du VC et du NVA. Toutefois,
aucune force régulière sud-vietnamienne n’était déployée en permanence dans le District de
Cu Chi ; les activités de l’ARVN adoptaient des fréquences « discontinues » et limitées à
quelques sections du district. Cette particularité résultait du manque d’effectifs disponibles
pour assurer le déploiement permanent des forces régulières destinées à appuyer les
opérations de pacification.47 Cette situation facilitait les opérations communistes dont le
leadership reconnaissait pourtant les problèmes engendrés par la présence de Forces
régulières américaines et sud-vietnamiennes dans les secteurs. À cet effet, un rapport
introspectif du 95e Régiment du NVA saisi par les Américains en 1967 a exposé les durs
impacts de la présence d’éléments de combat réguliers sur la synchronisation des opérations
conventionnelles et insurrectionnelles des forces communistes.
À titre d’exemple, le rapport spécifie que les communistes, qui contrôlaient 260,000
civils sur 360,000 dans la région de Phu Yen (III Corps), ne soumettaient plus désormais que
20,000 civils. Le rapport attribue cet état des choses au couplage des opérations de ratissage
des Forces régulières américaines et sud-vietnamiennes, de même qu’aux opérations de
pacification. Le plan d’action suggéré : « écraser le plan de pacification de l’ennemi » et
rapatrier les villageois transférés dans les villages protégés à leurs anciennes résidences. Le
rapport souligne qu’il s’agissait là d’une « tâche stratégique de la Révolution », en plus d’une
« situation de vie ou de mort pour la Révolution ».48 L’introspection du 95e Régiment expose
à quel point les pertes causées par les Forces régulières américaines ont engendré une
succession de problèmes qui ont fortement heurté le potentiel des communistes à coordonner
leurs opérations hybrides. On y rapportait également que la « coordination entre les trois
types de troupes communistes : forces régulières, locales et de guérilla » s’était avérée
dysfonctionnelle et qu’on n’a pas su exploiter la « relation entre guerre de guérilla et guerre
47 Ibid., p. 3-4. 48 U.S. Army Military History Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series Translation and
Analysis of Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents, Problems of a North Vietnamese Regiment,
Carlisle, War College, Folder: 003233-001-0131, p. 26.
246
de mouvement ». Les communistes ne faisaient pas uniquement porter le poids de ces
problèmes aux Américains mais également au manque de leadership des officiers supérieurs
du NVA.49 Le rapport déplorait aussi l’incapacité des troupes de guérilla à convaincre la
population civile de se retourner contre le GVN. À cet effet, l’auteur du document mentionne
qu’au cours des années antérieures, les opérations de prosélytisme visant à gagner l’appui
des paysans fonctionnaient très bien à l’époque où les troupes du 95e Régiment appuyaient
les forces de guérilla en les protégeant des opérations régulières américaines.50 Ceci démontre
l’importance des opérations régulières américaines dans les secteurs de pacification et tend
aussi à expliquer les problèmes rencontrés dans le district de Cu Chi. Si les unités
conventionnelles du NVA et les larges formations du VC se faisaient décimer, les forces de
guérilla s’en trouvaient du même coup sévèrement affectées. Le rapport du 95e régiment
évoque également les problèmes générés par les efforts de pacification enclenchés dans le
secteur de Thon Bac. L’auteur du document y spécifie que si les troupes du Régiment étaient
parvenues à demeurer près de la population en « augmentant les activités subversives » pour
« affaiblir et détruire les forces ennemies », les difficultés occasionnées par les opérations de
pacification auraient pu être contrées.
En conséquence, le rapport recommandait que les forces du 95e Régiment
coordonnent leurs opérations avec les forces de guérilla locales afin de cibler spécifiquement
les initiatives de pacification de la région de Thon Bac.51 En temps normal, les éléments
paramilitaires détenaient la capacité de repousser le résiduel des forces du VC décimées par
les Forces américaines. Dans le district de Cu Chi, il est clair que ce n’était pas le statut de la
situation opérationnelle; les unités du RF y maintenaient essentiellement une posture
défensive, une manœuvre qui laissait le champ libre aux unités VC pour patrouiller les
secteurs avoisinant les villages en toute impunité. Au cœur des villages, les forces de police
et les cadres du RD qui devaient normalement démanteler l’infrastructure politique du VC
ne se montraient pas très proactifs au sein des hameaux de Cu Chi.52 La nature sporadique
49 Ibid., p. 4. 50 Ibid., p. 11. 51 Ibid., p. 14-15 52 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records 1601-04 USAID/CORD Spring Review PSG 64/70 1970 thru 1601-10A Various Province
Briefs 1970, Evaluation Report A Study of Pacification and Security in Cu Chi District, Hau Nghia Province,
op. cit., p. 4.
247
des opérations de l’ARVN combinée à l’absence de troupes américaines dans les secteurs
clés laissait pleine liberté a trop d’éléments du VC d’opérer dans les secteurs du district. Les
forces paramilitaires se sont montrées incapables de se mesurer à tant d’effectifs
communistes, ce qui explique pourquoi les éléments du RF et du PF optaient de demeurer en
sécurité au sein de leurs avant-postes. En conséquence, le VC se retrouvait également en
pouvoir d’opérer au cœur des villages avec suffisamment d’effectifs et d’influence pour
empêcher les forces de police et du RD d’exécuter leurs tâches.53 Lors des élections
municipales, aucun élu n’a été choisi dans Thai My, un village contrôlé par le VC. Bien que
des élections se soient tenues dans le village contesté de Trun Lap, aucun des élus ne se
montrait hardi au point de risquer sa vie en osant passer la nuit dans son hameau. Dans ces
localités, les responsables choisis par le peuple n’ont initié aucun projet pour améliorer le
quotidien de leurs administrés. Dans les trois villages les plus sécurisés du district, tous les
hameaux ont été en mesure de tenir des élections mais l’ensemble des élus n’osait plus passer
la nuit chez soi. Pour sa part, le chef du village de Tan An Hoi s’impliquait avec dévouement
dans son travail; la population appréciait ses efforts à un tel point qu’elle a voté à l’unisson
pour l’amener au pouvoir. Malheureusement, cet élu du peuple s’est fait assassiner par des
agents du VC le matin du 5 mai 1967.
Deux autres politiciens municipaux de la région se sont fait abattre le même matin.
Confronté à ces exécutions sommaires, le chef du hameau de Xom-Hue, pétri d’effroi,
s’enfuit du secteur pour aller vivre à Saigon. Le jour des élections, il n’a même pas osé se
remanifester dans son hameau et aucun des habitants ne s’est risqué à exercer son droit de
vote. Lorsqu’on a nommé un candidat par défaut pour devenir le chef du hameau, l’élu a
éclaté en pleurs, non pour exprimer sa joie mais plutôt son épouvante car il savait que cette
nomination le plaçait sur la liste noire du VC.54 Par contraste, l’état de la situation au sein
des hameaux du village de Tan Phu, une des localités les plus sécurisées de Cu Chi, différait
notablement. À titre d’exemple, dans le hameau de Tan Bac, le RF et le RD sont parvenus à
assurer la sécurité du hameau et de ses secteurs, facilitant ainsi le travail du chef élu par la
communauté. Extrêmement motivé, l’élu s’est trouvé en mesure de travailler sans contrainte
dans son bureau tout en arrimant son travail à celui des forces de sécurité chargées de contrer
53 Ibid. 54 Ibid., p. 12-14.
248
les activités communistes. Seuls les villages et les hameaux de cette localité ont pu se targuer
de posséder une organisation politique municipale fonctionnelle et effective.55 De son côté,
la Police nationale (Special Branch) des secteurs ruraux de Cu Chi ne se montrait pas très
proactive. On a assigné à chaque village un policier chargé de collecter du renseignement
pour faciliter l’identification des sympathisants et membres de l’infrastructure VC de la
localité. Ne disposant de quasi aucun agent, de très peu d’informateurs et de sympathisants,
ces policiers se sont montrés tout simplement inaptes à identifier les éléments d’infrastructure
du VC. N’osant pas s’aventurer dans les villages de nuit, ils n’appuyaient d’aucune façon les
activités de pacification du RD. Plusieurs de ces policiers allaient jusqu’à traiter la population
avec suffisance, en plus de lui voler de la nourriture. Les conseillers américains pour le
CORDS se sont proposés de resserrer la discipline au sein du Special Branch afin de ramener
l’ordre au sein de l’organisation.56 Du côté du RD, trois groupes de cadres se sont fait assigner
au district de Cu Chi en 1967. Néanmoins, maints cas de corruption ont entravé la bonne
marche du programme. À titre d’exemple, dans le village de Tan An Hoi, le cadre en chef du
RD et une partie de son personnel ont siphonné les fonds et les matériaux destinés aux projets
de construction pour leur gain personnel. En dépit du limogeage du cadre en chef, ce
problème endossait un caractère récurrent au sein des divers districts et provinces de la RVN.
Dans l’ensemble du district, les Américains ont observé que le programme du RD
négligeait grandement ses deux tâches les plus prioritaires, c’est-à-dire assurer la sécurité des
villageois (auprès des forces paramilitaires) contre les activités de la guérilla et viser
l’infrastructure politique VC (de concert avec le Special Branch). Ces efforts s’avéraient
impératifs pour que le RD puisse faciliter les opérations des élus municipaux et la conduite
des actions civiques. Lorsque le PSA de la Province d’Hau Nghia a commenté le travail des
cadres du RD dans Cu Chi en 1968, il dénonça leur absence totale d’implication dans les
hameaux, de même que leur fâcheuse tendance à les déserter sans y remettre les pieds. Tout
programme préalablement mis de l’avant au sein du hameau, ayant comme prémices la
présence du RD se voyait subséquemment abandonné.57 Les groupes de cadres assignés aux
secteurs de Xon Hue et de Mui Lon abandonnaient leurs hameaux dès la nuit tombée.
L’infrastructure VC ne sentait en aucune façon quelque pression que ce soit résultant des
55 Ibid., p. 14. 56 Ibid., p. 15-16. 57 Ibid., p. 25-28.
249
opérations du RD. Un document communiste saisi mit en évidence l’inefficacité des
opérations du RD et des forces paramilitaires déployées dans le secteur de Xon Hue. Le
document en faisait état par ces mots:
« Although the hamlet of Xon Hue has been captured by the enemy...we can
still remain [near the village] and recruit new members ... for the party…at
night, we control the hamlet ... In the near future, we will reoccupy this
strategic hamlet and reaffirm our authority».58
À un moment, les cadres du RD ont fait montre de plus de proactivité ; on les jumela
aux forces paramilitaires sud-vietnamiennes. À titre d’exemple, lorsque les cadres du RD
opéraient conjointement avec la 636e Compagnie du RF au sein du hameau de Tan Bac, les
villageois ont rapporté que par suite de cette unification, leur hameau était devenu sécuritaire.
Si le RD et les forces paramilitaires occupaient le village la nuit durant, le VC se retrouvait
très limité dans sa capacité d’infiltrer le hameau. Le CORDS en déduit que l’absence de
sécurité dans les autres hameaux provenait d’un manque de coordination similaire entre le
RD, les unités paramilitaires et les Forces régulières américano-sud-vietnamiennes.59 Ce
concept d’opérations conjointes assurait le meilleur modus operandi comme le démontre un
autre modèle conséquent, issu de la coopération du RD et des forces paramilitaires. Dans le
district de Tieu Can sis dans la Province de Vinh Binh (IV Corps), un bataillon du VC a lancé
un assaut pour se saisir du hameau de Tan Truong Giong, défendu par la milice locale du
PSDF, elle-même supervisée par une équipe de cadres du RD.
À la suite d’un combat de trois heures et l’intervention d’éléments aériens, le VC a
opté pour une manœuvre de retraite. Seuls deux membres des forces de défenses ont été tués
au cours de cet affrontement. Une soixantaine de tombes improvisées renfermant les
dépouilles du corps d’insurgés VC seraient éventuellement mises à jour dans les environs de
Tan Truong Giong. Le lendemain de l’attaque, 20 villageois se portaient volontaires pour
joindre les rangs du PSDF. Comme l’a fait remarquer le vétéran de la CIA Thomas Ahern,
cet épisode « exemplifie l’énergie synergétique » d’une équipe de cadres du RD
« disciplinée, compétente, bien équipée », d’une milice d’hameau correctement déployée
dans ses positions défensives et d’un chef de district prêt à appuyer ses forces paramilitaires.
58 Ibid., p. 28. 59 Ibid., p. 28-29.
250
Environ 3000 villageois ont quitté leur domicile pour rejoindre le hameau de Tan Truong
Giong.60 Bien que positif comme rapport post-incident, le déplacement de 3000 villageois
démontre à quel point il s’avérait difficile d’uniformiser les opérations de COIN sur
l’ensemble du territoire d’IV Corps. Le fait de ne pas maximiser la doctrine exploitée par les
Combined Action Platoons explique pourquoi le CORDS expérimentait, au fil de ses
premiers mois d’opération, des difficultés considérables à mettre en pratique sa stratégie de
pacification. Sans protection adéquate, il était utopique de croire que les cadres du RD
pourraient s’activer à faciliter les opérations du GVN et traquer l’infrastructure politique du
VC dans les villages. Plusieurs complications ont surgi lors de la conduite d’opérations
synchroniques entre forces conventionnelles et paramilitaires. À de fréquentes reprises, les
Forces américaines exécutaient leurs opérations unilatéralement et indépendamment des
manœuvres des unités paramilitaires. À titre d’exemple, les éléments réguliers américains
érigeaient des barrages routiers en vue de contrôler et d’identifier la population rurale qui y
circulait.
Or, on exécutait ces opérations sans la présence de membres du Special Branch ou du
PF/RF. Il en allait de même dans certains villages dont le contrôle des habitants se faisait par
des soldats américains; ceux-ci menaient ces opérations sans la présence des forces
paramilitaires et de police qui détenaient pourtant l’atout d’être familiers avec la population
dudit village.61 À la fin mai 1968, le rapport d’évaluation du CORDS pour le district de Cu
Chi en est venu à la conclusion suivante : il aurait fallu qu’au moins un bataillon américain
demeure en permanence au sein du district pour contrer les éléments réguliers de l’adversaire
et assurer la protection de la population. Ce faisant, les troupes auraient été à même de
connaitre la population, le terrain, l’ennemi, les politiciens locaux du GVN, les conseillers
américains du CORDS et le commandement des forces du PF/RF. Ce mode d’opération aurait
également facilité les manœuvres de nuit des forces de sécurité et favorisé la mise en place
d’un réseau plus efficace de collecte de renseignement, tout en aplanissant les opérations de
60 Thomas Ahern, Vietnam Declassified. The CIA and Counterinsurgency, Lexington, The University Press of
Kentucky, 2010, p. 207-208. 61 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records 1601-04 USAID/CORD Spring Review PSG 64/70 1970 thru 1601-10A Various Province
Briefs 1970, Evaluation Report A Study of Pacification and Security in Cu Chi District, Hau Nghia Province,
op. cit., p. 36-37.
251
pacification. Puis, à mesure que les troupes communistes se verraient progressivement
coincées et expulsées de Cu Chi, la zone d’opération pourrait s’étendre aux secteurs
limitrophes.62 Cette synthèse des principaux avatars survenus dans le district de Cu Chi
caractérise bien l’ensemble des problèmes rencontrés lors des opérations du CORDS dans
plusieurs autres districts. Un an après le lancement du programme, il est devenu clair que le
CORDS peinait à synchroniser ses opérations avec celles des forces conventionnelles et
qu’on était à court d’effectifs pour protéger adéquatement les cadres du RD et les élus
municipaux. De plus, on mettait en cause une discipline et une motivation carencées au sein
des effectifs paramilitaires et des éléments du Special Branch. Néanmoins, l’analyse des
opérations du CORDS ne faisait pas ressortir uniquement du négatif, bien au contraire.
Lorsque les forces en présence se donnaient la peine de coordonner leurs opérations avec
régularité et discipline, le programme révélait son potentiel. Le VC lui-même a reconnu les
dommages subis aux mains du CORDS. Les lignes d’un document qui leur a été saisi relatent
les déboires engendrés, tant par le programme de défection Chieu Hoi que par les actions
civiques et les efforts du GVN pour séparer la population des insurgés.
Ce rapport décrit aussi le système d’élus politiques du village et leur coopération avec
les forces chargées d’assurer la sécurité de la population civile. Les communistes s’y
plaignent également des activités contre-insurrectionnelles du CORDS dans le village de
Xuan Phuong. On y fait état de la coopération entre les forces politico-militaires et celles
chargées des opérations civiques qui ont notamment bâti un marché, une école et un hôpital
dans le village. Les écrits saisis au VC dénoncent la « propagande » engendrée par les
opérations Chieu Hoi, les offres d’amnistie faites aux combattants et cadres politiques
communistes, de même que le problème relatif à l’imposition de règles visant la « restriction
de mouvement » de la population.63 Dans les pages du rapport, les communistes déplorent
avec insistance la capitulation de 68 cadres et membres de la guérilla aux troupes
gouvernementales. Un total de 94 cadres dont 11 membres du Parti communiste ont fait
défection pour joindre les rangs du GVN. Le document relate les impacts négatifs desdites
défections sur la protection de la force des éléments communistes opérant dans le secteur.
62 Ibid., p. 41-42. 63 U.S. Army Military History Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and
Analysis of Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents Files containing pacification and Viet Cong
reaction, January 1968, Carlisle, War College, Folder: 0032330-001-0293, p. 3.
252
Ces transfuges auraient divulgué aux Américains les procédures d’opérations du VC dans
leur zone d’opération ce qui, comme il est consigné dans le rapport, « crée maintes
difficultés » pour « la Révolution ».64 Le document saisi brosse aussi le portrait des
opérations agressives des forces paramilitaires opérant dans le secteur du village de Xuan
Thinh. La compagnie de soldats du RF déployée dans la zone conduisait sans cesse des
opérations offensives et d’autres visant à contrôler les villages avoisinant. Le rapport du VC
reconnaît également le succès de ces mêmes forces paramilitaires qui facilitaient
l’organisation d’une machinerie administrative dans le hameau de Tu Nham. Les
communistes expriment aussi leur amertume face à la perte de contrôle totale du village Song
Cau qui a fait l’objet de multiples opérations des forces de sécurité; le rapport précisait même
qu’il faudrait reprendre à compter du début le processus d’infiltration et de contrôle leur ayant
originalement permis de contrôler le village. Concrètement, cela signifiait relancer une
campagne pour recruter et entraîner de nouveaux agents. Enfin, le rapport capturé soulignait
la situation très précaire des membres de la guérilla dans le secteur de Song Cau. Les
dernières lignes du document consistaient en une requête officielle de l’auteur à ses
supérieurs, faisant appel à leur appui et à leur assistance.65
Ceci ne constitue qu’un exemple du potentiel de problèmes que les opérations de
COIN du CORDS mettaient en scène. Ce type de rapport démontre bien que,
lorsqu’appliquées avec professionnalisme, les doctrines contre-insurrectionnelles inspirées
des Franco-britanniques possédaient le potentiel de faire très mal au VC qui, répétons-le,
n’était ni invulnérable, ni un cas unique si on le compare à d’autres insurrections. Plus loin,
nous verrons que d’autres rapports communistes dévoilent des exemples supplémentaires de
la vulnérabilité du VC lorsqu’il se trouvait confronté à ce modus operandi. Dans l’ensemble,
bien que ces opérations aient comporté certains résultats positifs ainsi que des
développements encourageants, l’impact du CORDS lors de la première année de ses
opérations peut être qualifié de moyen. Cette incidence passable découlait de problèmes
analogues à ceux rencontrés dans le district de Cu Chi. Et pourtant, deux éléments
s’apprêtaient à faire basculer radicalement cette conjoncture militairement décevante; le
développement du programme Phoenix et l’offensive du Têt. Tel que spécifié au chapitre 1,
64 Ibid., p. 4-5. 65 Ibid., p. 5.
253
le Têt neutralisa littéralement les effectifs de combat du VC. À partir de 1969, ce qui
subsistait de l’insurrection allait voir ses effectifs renfloués par le NVA, lui-même confronté
à une redynamisation des opérations contre-insurrectionnelles du CORDS. Bien que certains
autres problèmes persistaient au cours de 1968, le nouveau plan de pacification accéléré du
GVN s’apprêtait à porter un très dur coup à l’insurrection VC.
4.3. Les opérations du CORDS après l’offensive du Têt
Lors de l’offensive du Têt, la défaite militaire du VC a causé énormément de
dommages à la campagne insurrectionnelle communiste dans la RVN. Tel que mentionné
précédemment, environ la moitié des 84,000 effectifs communistes déployés dans le cadre
de l’offensive ont été neutralisés et les opérations du mini-Têt ont infligé de lourdes pertes
au VC. Lors des offensives du mini-Têt de mai à août 1968, environ 1000 communistes ont
fait défection et 5000 insurgés et membres des forces du NVA tombaient au combat sur une
base hebdomadaire. L’attrition occasionnée sur l’infrastructure politique du VC a également
généré la perte de plusieurs centaines de cadres par semaine.66 Assisté par les Américains et
le CORDS, le GVN a initié une série de mesures destinées à prendre avantage de l’extrême
vulnérabilité de l’insurrection VC dans les mois suivant les offensives du Têt et du mini-Têt.
Déjà, en juin 1968, on enclenchait un nouveau programme d’assistance militaire basé sur les
recommandations de l’Ambassadeur américain à Saigon, Ellsworth Bunker.67 Désormais, les
soldats des forces paramilitaires équipés jadis d’armes de la Deuxième Guerre mondiale, se
verraient pourvus du fusil d’assaut M-16 des Américains.68 À l’époque, bien qu’inférieure
au AK-47, la M-16 offrait tout de même une capacité offensive de loin supérieure aux vieilles
mitrailleuses Thompson, armes obsolètes mais tout de même létales dont on réserverait
dorénavant l’usage aux milices de villages comme celles du PSDF. De son côté, Komer a
entrepris une véritable « bataille bureaucratique » pour forcer les planificateurs militaires à
porter plus d’attention aux opérations de sécurité locale des forces du RF/PF. Il insistait pour
66 Ahern, Vietnam Declassified, op. cit., p. 306. 67 Howard B. Schaeffer, Ellsworth Bunker: Global Trouble shooter, Vietnam Hawk, Chapel Hill, University
of North Carolina Press, 2003, p. 229. Nommé Ambassadeur des États-Unis à Saigon en 1967, Bunker a
cherché avec ardeur à mettre en application les directives de la Maison-Blanche au Vietnam. Il s’assurait de
demeurer en communication constante avec le Président sud-vietnamien Nguyen Van Thieu afin de
coordonner avec vigueur les initiatives politico-militaires américaines et sud-vietnamiennes. Il s’appuyait
également de façon constante sur le jugement du général Creighton Abrams. 68 Young, op. cit., p. 128.
254
que les forces conventionnelles synchronisent leurs combats contre les larges formations
communistes de manière à faciliter la tâche des forces paramilitaires dans les villages et les
secteurs avoisinant. De son côté, le Président sud-vietnamien Nguyen Van Thieu a fait part
à l’Ambassadeur Bunker de son intention de « changer la stratégie de pacification rurale »
du GVN. Bien qu’ils bénéficient d’une milice du PSDF, tous les villages ne s’étaient pas fait
assigner des troupes de protection permanentes (comme au sein des CAP). De plus, les cadres
politiques du RD se mouvaient constamment, ne cessant de se déplacer d’un village à l’autre.
Désormais, Thieu réclamait que chaque village dispose de ses cadres et de ses forces de
défense paramilitaires, et ce, sur une base permanente.69 La sélection des villages à sécuriser
en priorité serait fixée en fonction de l’importance stratégique du secteur géographique de la
localité ; en d’autres termes, selon la densité de population, la présence de lignes de
communication principales et le degré d’importance politico-économique du secteur en
question. L’objectif visait à améliorer la situation au sein des hameaux catégorisés D et E
pour les amener à se hisser au niveau d’hameaux de catégorie C pour la fin de 1969.70
À l’instar de Komer, Thieu a ordonné que l’on effectue les opérations
conventionnelles en conjoncture des opérations de COIN. Ce faisant, il souhaitait sécuriser
de manière progressive les secteurs ruraux en exploitant la théorie de la « tache d’huile »,
c’est-à-dire sécuriser systématiquement un secteur et passer au suivant, de manière à étendre
géographiquement la pacification. Gardant cet objectif à l’esprit, Thieu a assigné des officiers
et des cadres politiques séniors dotés de la motivation à appliquer avec professionnalisme la
nouvelle stratégie. Ce plan du Président Thieu allait devenir l’Accelerated Pacification
Campaign (APC), un projet ayant reçu une prompte approbation de Komer, qui, de son côté,
pouvait compter sur l’apport d’un nouveau député : William Colby.71 Ce nouvel élément,
ancien chef de station de la CIA à Saigon, était en 1963 l’un des plus fervents critiques de la
décision d’abandonner le Président Diem à son sort. Colby disposait d’un fort vécu : lors de
la Deuxième Guerre mondiale, il était un opérateur du précurseur de la CIA : l’OSS (Office
69 Ibid., p. 128-129. 70 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural
Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, General Records. 1603-03A: PRU Correspondence
1979 thru 1603-03A: Reports – VC/NVN Propaganda Analysis 1970, Memorandum GVN 1969 Pacification
Development Plan, 21 December 1968. College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Box 12, p.
2. 71 Ibid., p. 128-129.
255
of Strategic Services). En 1944, il a été parachuté clandestinement en France, alors qu’elle
était occupée par les Nazis, afin de préparer la Résistance à appuyer les opérations du
débarquement de Normandie. Il a aussi effectué des opérations de sabotage contre les
Allemands en Norvège.72 Il a joint les rangs de la toute nouvelle CIA après la guerre et était
destiné à devenir le successeur de Komer à la tête du CORDS. Pour ce qui est du général
Westmoreland, on l’a rapatrié aux États-Unis dans les mois suivant l’offensive du Têt. En
juin 1968, le MACV était désormais sous le commandement du général Creighton Abrams.
Ce dernier, un ardent défenseur du principe de pacification et de contre-insurrection, croyait
également en la nécessité de combiner les opérations conventionnelles et contre-
insurrectionnelles.
À cet effet, il n’était plus question d’other war avec le nouveau commandant du
MACV. Lorsqu’il évoquait les opérations régulières et irrégulières, Abrams utilisait, à juste
titre, le terme « One War ». Il insistait aussi sur la conduite d’opérations de search and
destroy qu’il a rebaptisées « clear and hold », autant de notions qui nous ramènent aux deux
premières étapes des stratégies contre-insurrectionnelles prônées par David Galula. Le
nouveau chef du MACV devait mettre en branle un concept d’opération destiné à la mise en
en scène des forces conventionnelles qui traqueraient et élimineraient des troupes
communistes; simultanément, des opérations menées par de petites unités (comme celles des
Marines) s’affaireraient à conduire des patrouilles et initier de multiples embuscades contre
le VC. Abrams considérait ces opérations incontournables pour protéger les populations
villageoises.73 Il voulait aussi que les forces de sécurité se focalisent sur l’infrastructure
politique du VC. Le général américain a démontré qu’il assimilait bien les préceptes
doctrinaux de Robert Thompson. À cet effet, il a mentionné :
72 John Plaster, SOG The Secret Wars of America’s Commandos in Vietnam, New York, Nal Caliber, 1997, p.
2. 73 Sorley, Vietnam Chronicles The Abrams Tapes 1968-1972, op. cit., p. xix. Lewis Sorley expose le débat qui
oppose divers historiens sur les initiatives du général Abrams. Plusieurs académiciens ont indiqué que les
changements opérationnels initiés par Abrams étaient plus « évolutifs » que « révolutionnaires ». Selon eux, cet
état des choses était en grande partie la résultante de l’offensive du Têt et des pertes massives encaissées par
les communistes qui les ont forcé à éventuellement muter leurs stratégies pour revenir à un concept
d’insurrection à plus basse intensité. Néanmoins, Sorley souligne avec raison que ce n’était pas le cas; après le
Têt, les communistes ont initié une succession d’opérations offensives avec le mini-Têt lors de l’été de 1968 et
lors du Têt de 1969. Ce ne fut pas avant l’été de 1969 que le COSVN s’est décidé à limiter les opérations
offensives du VC avec l’adoption de la Résolution 9 (détails à venir dans les prochaines pages).
256
Thus operations should be focused on destruction of the VC infrastructure
and local forces while preventing main forces from reaching the population
centers. The enemy main forces are blind without the VC infrastructure.
They cannot obtain intelligence…food, and they cannot prepare the
battlefield.74
Pour sa part, l’APC a été lancé en novembre 1968 par le GVN. Au même moment,
William Colby remplaçait Robert Komer à la tête du CORDS. Les directives d’opération du
nouveau programme de pacification ont été de nouveau exposées par Thieu qui établit une
série d’objectifs visant à anéantir l’insurrection VC. Ces directives mettent en évidence
l’impact destructeur des opérations conventionnelles alliées sur le VC pendant et après le
Têt. Puis, on y a greffé la redynamisation des opérations de pacification qui commençaient
déjà, en été 1968, à acculer le VC dans des manœuvres défensives. À la suite d’une ultime
offensive communiste lors du Têt de 196975, la situation est devenue désespérée à un point
tel que les dirigeants du COSVN ont ordonné un retour aux opérations subversives (phase 2
de la doctrine de Mao). Dès ce moment, les activités communistes se sont concentrées sur les
aspects politiques (insurrectionnels) plutôt que militaires. Le VC manifestait sa volonté de
revenir à la base en concentrant ses efforts en actions d’influence sur la population civile,
tout en maximisant les opérations de ses cadres politiques et des petites forces de guérilla.76
En opérant ainsi, le VC espérait colmater la brèche creusée par les opérations
conventionnelles et contre-insurrectionnelles alliées, puis, progressivement, reprendre le
contrôle des secteurs ruraux de la RVN. Voilà pourquoi Thieu, désireux de ne laisser aucun
répit aux communistes, jugeait primordial de s’attaquer aux opérations de « coercition et de
contrôle de l’ennemi » sur la population civile.77 Concrètement, l’APC comportait huit
74 Ibid., p. 202. 75 L’offensive du Têt de 1969 s’est produite un an après l’attaque originale de 1968. Lors de cette campagne
(de loin moins ambitieuse que la première), les forces combinées du NVA et du VC ont visé les secteurs de
Danang et de Saigon. L’offensive a été rapidement repoussée par le MACV et l’ARVN qui infligèrent de
lourdes pertes aux communistes. Ce fut l’un des derniers assauts majeurs du VC lors de la guerre du Vietnam.
Il fallut attendre l’offensive printanière de 1972 du NVA avant de voir les communistes tenter une campagne
de combat de grande envergure contre la RVN (voir la fin du présent chapitre). 76 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural
Development Support, MR1, Phuong Hoang Division. General Records 1603-03A: PRU Correspondence 1979
thru 1603-03A: Reports – VC/NVN Propaganda Analysis 1970, Memorandum GVN 1969 Pacification
Development Plan, 21 December 1968, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Box 12, p. 1. 77 Ibid.
257
objectifs. Le premier : utiliser les forces paramilitaires et policières dans les villages afin de
sécuriser 90% de la population. Le second : éliminer 33,000 cadres de l’infrastructure VC
via le programme Phoenix. Le troisième : établir et faire élire des gouvernements locaux dans
chaque village sécurisé. Le quatrième : amener les effectifs des forces de sécurité locales à
2,000 000 de membres. Le cinquième objectif consistait à rallier 20,000 communistes à la
cause du GVN. Le sixième : abaisser le nombre de réfugiés à moins de 1,000 000 et
relocaliser au moins 300,000 civils. Le septième : augmenter le tempo des opérations
psychologiques dans les villages. Enfin, le huitième et dernier objectif impliquait
d’encourager l’essor de l’économie rurale.78 Dans l’ensemble, la liste d’objectifs ciblés par
le général Abrams concordait avec les finalités du Président Thieu. Bien que tous les objectifs
de la liste n’étaient pas destinés à être atteints de manière expéditive, les progrès
opérationnels du GVN allaient s’avérer très positifs. Déjà, à la fin de 1968, l’Ambassadeur
Bunker reconnaissait que la situation opérationnelle en matière de pacification allait en
s’améliorant. Dans un communiqué au Président Johnson, Bunker indiqua qu’il y avait
encore place à l’amélioration vis-à-vis de l’efficience du GVN à gérer le programme.
Pour combler cette lacune, l’Ambassadeur a allégué qu’il fallait poursuivre le
développement des forces paramilitaires et se centrer davantage sur les conditions de vie de
la population rurale. Cependant, Bunker considérait que des progrès « indéniables » avaient
été accomplis dans l’ensemble de ces domaines et que le rythme de progression des
opérations de pacification s’accélérait fortement.79 Bunker a établi qu’en septembre 1968, les
forces paramilitaires du RF/PF disposaient désormais de 385,000 soldats et que les effectifs
de la Police nationale avaient vu leurs rangs gonflés par l’enrôlement de 20,000 constables
pour atteindre un total de 80,000. Les fonds pour les programmes de pacification ont doublé
grâce à un budget dépassant le milliard de dollars américains. Au début de 1969, 1,106,853
Sud-Vietnamiens se trouvaient intégrés au sein des milices du PSDF et 659,701 d’entre eux
entraînés à utiliser des armes à feu. Jamais dans l’histoire de la RVN un nombre aussi élevé
de citoyens n’avait été recruté pour combattre les communistes.80 Les milices du PSDF se
composaient de volontaires, sans qu’aucune conscription n’ait eu lieu, ce qui démontre la
78 Ibid., p. 2-3. 79 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1960-1968 Part III, op. cit., p. 52-51. 80 Young, op. cit., p. 132.
258
volonté de la population rurale de se défendre et de combattre l’insurrection VC. En janvier
1969, les opérations de pacification permettaient au GVN d’assurer une sécurité accrue au
cœur de plus de 1000 hameaux, dont près de la moitié localisés dans le Delta du Mékong. Un
accomplissement qui remplissait l’un des objectifs de base de Saigon. Les civils habitant des
secteurs catégorisés sécuritaires ont augmenté de 1.7 million, pendant que le pourcentage de
la population sous la domination du VC dégringolait à 12.3% pour l’ensemble de la RVN.
Lors des élections de 1969, on a pu installer 544 chefs d’hameaux dans leur localité
respective pour gouverner. Plus de 8600 cadres de l’infrastructure communiste ont rejoint les
rangs du GVN par le biais du programme Chieu Hoi coordonné par le CORDS.81 L’année
1969 a été témoin d’améliorations croissantes de la situation opérationnelle pour le GVN et
le MACV. Stephen Young, un des administrateurs du CORDS, a lui-même soulevé les
impacts du programme sur la progression de l’APC, de même que ses effets sur le VC dans
IV Corps. Young a été déployé dans le district de Chau Thanh situé dans le secteur du Delta
du Mékong. Les villages ayant subi l’envahissement du VC lors de l’offensive du Têt ont vu
les forces de sécurité s’y redéployer, recruter et armer des volontaires pour étendre les rangs
du PSDF.
Le VC s’est éclipsé des villages et des projets civiques se sont enclenchés, dont la
rénovation d’écoles et de ponts préalablement détruits par les insurgés. Young a déclaré qu’il
pouvait rouler sur les routes sans contraintes de sécurité aucunes pour se rendre d’un village
à l’autre. Dès l’aube de 1969, le VC ne représentait plus un obstacle dans le district de Chau
Thanh, ni même dans le village de Long Ho, pourtant jadis le fief d’un dénommé Pham Hung,
un dirigeant sénior du Parti communiste dans la région.82 À l’été de 1969, la sécurité autour
du Delta du Mékong se trouvait améliorée à un point tel qu’il était possible de se déplacer
sans escortes le jour, d’une capitale provinciale à l’autre. Le déploiement permanent de forces
de sécurité, combiné à l’incapacité du VC à bénéficier de l’appui des forces conventionnelles
communistes, entravait sérieusement la fonctionnalité opérationnelle des insurgés dans IV
Corps. Préalablement au Têt, les communistes exerçaient leur domination sur le district de
Tam Binh, situé dans la province de Vinh Long mais, lors de l’offensive, la plupart des VC
opérant dans ce secteur ont été tués. Conséquemment, il n’a guère été difficile pour le
81 Ibid., p. 134. 82 Ibid., p. 159-160.
259
CORDS de recruter la majorité des survivants communistes via le programme Chieu Hoi.
Grâce au déploiement permanent de forces paramilitaires et au recrutement de volontaires
pour élargir les rangs du PSDF lors de l’APC, les accès aux villes de districts jalonnant le
canal de Mang Thit demeuraient désormais ouverts, de jour comme de nuit. Le secteur n’était
plus soumis aux embuscades ou aux engins explosifs du VC. Les habitants des hameaux les
plus peuplés, implantés des deux côtés du canal, ne ployaient plus l’échine sous la pression
des forces de guérilla et des cadres du VC. Comme spécifié dans les directives de l’APC,
chaque hameau profitait dorénavant de la protection d’un peloton de forces paramilitaires
assisté par la milice locale du PSDF.83 Les progrès en matière de pacification ne se limitaient
pas à IV Corps; Young souligne à quel point l’année 1969 s’est avérée tout aussi positive
pour l’ensemble de la RVN. Le contrôle des cadres communistes sur la population rurale est
passé de 12.3% à 3%. Les habitants cultivaient 5.1 millions de tonnes de riz sans que le VC
puisse en tirer parti. Environ 47,000 soldats et cadres communistes ont changé de camp en
se joignant au GVN. En 1968, le NVA et le VC avaient pu lancer un total de 126 offensives
avec des unités de tailles de bataillon ou plus, alors qu’en 1969, ils en ont initié uniquement
un total de 34. De son côté, au cours du même laps de temps, l’ARVN enclenchait près de
7000 opérations de bataillon au sein de toute la RVN.
En 1967, 400,000 Sud-Vietnamiens s’étaient vus forcés de quitter leurs villages,
compte tenu des opérations conventionnelles opposant Américains et communistes. En 1969,
le nombre de réfugiés a chuté à 114,000 pour toute la RVN.84 Bien que les résultats positifs
de l’APC aient été en large partie galvanisés par les pertes catastrophiques du VC lors du Têt
et des offensives subséquentes, la structure organisationnelle du programme et sa gestion
parallèle avec les opérations du CORDS ont eu également beaucoup à y voir. En 1989,
William Colby publiait ses mémoires basés sur son expérience en tant que chef de la CIA et
du CORDS au Vietnam. Par ses écrits, il s’affiche comme un fervent défenseur des qualités
du programme de pacification de l’APC et du CORDS. Dans son autobiographie, Colby
explique comment l’APC a contribué à appuyer le GVN dans l’organisation convenable de
ses stratégies de pacification, incluant la combinaison des opérations militaires et civiles.
Thieu gérait sa campagne de concert avec le CORDS en transposant la structure
83 Ibid., p. 163-164. 84 Ibid., p. 180.
260
organisationnelle de l’organisation à sa propre structure politico-militaire, avec pour résultat
la constitution d’une pyramide hiérarchique : à son sommet, le Président Thieu, puis, en
niveaux d’ordre décroissant ses subalternes, un groupe hiérarchique composé de son Conseil
national, ses Commandants régionaux, ses quatre Conseils régionaux et des 44 Conseils de
Provinces. Des représentants de chaque Ministère en provenance de Saigon assumaient la
coordination de leurs opérations avec les chefs de province, ce qui ouvrit la porte à la
centralisation des opérations au sein de chaque province. Des membres du CORDS
travaillaient côte à côte avec chacune des entités susmentionnées afin de gérer les opérations
de pacification.85 Le Président Thieu et le Premier Ministre s’enquéraient personnellement
de la situation en inspectant les provinces afin de s’assurer qu’on appliquait bel et bien les
directives de l’APC. Colby précise que ces visites allaient bien plus loin qu’une simple
tournée d’usage ; de fait, elles représentaient autant d’occasions pour les leaders politiques
d’inspecter les villages pour vérifier à quel point les statistiques positives du HES
corroboraient les rapports des activités sur le terrain. Les conseillers du CORDS jouaient un
rôle important lors de ce processus. Colby soumettait les rapports de ses subordonnés au
Président sud-vietnamien ou aux membres de son cabinet qui ramenaient à l’ordre les
dirigeants n’appliquant pas le programme selon les directives.
Colby fait mention que les conseillers du CORDS ne se privaient point de critiquer et
d’exposer les dirigeants qui ne mettaient pas en pratique le nouveau concept d’opération du
GVN.86 À cet effet, l’analyse de plusieurs centaines de pages de rapports post-déploiement
de conseillers américains du CORDS prouve à quel point les Américains ne ménageaient pas
leurs critiques lorsque leurs alter egos sud-vietnamiens ne se montraient pas à la hauteur de
leur tâche. Bien que les membres vietnamiens du CORDS concernés par ces dénonciations
aient parfois fait montre d’une profonde irritation face à la sévérité des Américains, cette
surveillance étroite encourageait une application plus disciplinée et rigoureuse du nouveau
plan de pacification. Colby a déclaré que la négligence relevée lors des programmes
précédents était désormais chose du passé; les responsables sud-vietnamiens réalisaient que
Thieu faisait montre d’un très grand sérieux dans sa volonté d’appliquer de manière stricte le
processus de pacification. Désormais, il y aurait des comptes à rendre au Président advenant
85 William Colby, Lost Victory, Chicago, Contemporary Books, 1989, p. 260-261. 86 Ibid., p. 261.
261
un manque de rigueur dans la mise en œuvre du programme. De leur côté, les chefs de village
nouvellement élus ont reçu pour consigne d’assister dorénavant à un cours d’une durée de
six semaines afin de bien comprendre le mode de gouvernance du GVN et la façon de
l’appliquer au sein des secteurs ruraux. Ceci facilitait l’exécution des directives de
pacification au cœur des différents districts. Colby a spécifié qu’il survenait parfois des
problèmes nécessitant des ajustements, ce qui s’explique si on considère l’ampleur du
programme. Néanmoins, ce système semblait réellement provoquer les impacts escomptés
par les Américains et le GVN. En 1969, le CORDS comptait désormais 5000 militaires
américains. Une partie des éléments gérait l’administration des opérations à partir de Saigon
tandis que l’autre voyait ses membres déployés au sein de petites équipes de cinq personnes
appelées Mobile Advisory Teams (MAT), des formations réduites opérant conjointement
avec les forces paramilitaires des villages à travers toute la RVN. Les MAT fournissaient un
appui aux opérations visant à initier des embuscades et empêcher les infiltrations du VC ; ils
entraînaient les milices du PSDF, leur enseignant entre autres comment obtenir de l’appui
aérien. À l’exception du programme Phoenix, il n’était plus question dorénavant de se
focaliser sur le nombre de soldats ennemis neutralisés mais plutôt d’assurer la sécurité des
secteurs ruraux et de maximiser la défection des insurgés.87
Dans ses écrits, Colby poursuivait son témoignage sur les progrès constatés de visu
lors de ses tournées d’inspection au sein des Provinces de la RVN. Par exemple, il a observé
que le chef de la province de Quang Nam prenait les opérations de pacification avec beaucoup
de sérieux. Le leader vietnamien allait jusqu’à inviter chaque nouveau transfuge VC à souper
avec lui afin d’expliquer sa vision et de les rassurer à l’effet qu’on les traiterait très bien.
Ainsi mis en confiance, les transfuges divulguaient au chef de province d’excellents rapports
de renseignement sur les activités communistes. Ils allaient même jusqu’à inciter leurs
anciens camarades, toujours dans les rangs du VC, à joindre ceux du GVN.88 À un certain
moment, un des districts de Quang Nam a été jugé suffisamment sécuritaire pour que Colby
invite le Premier Ministre sud-vietnamien à y passer la nuit. Tout au long de leur parcours
sillonnant les secteurs ruraux du district, ils ont été escortés non pas par des troupes régulières
américaines ou sud-vietnamiennes mais par les forces paramilitaires locales.89 Rappelons
87 Ibid., p. 262, 265, 269-270. 88 Ibid., p. 275. 89 Ibid.
262
qu’il est ici question du chef du CORDS, député du commandant du MACV, et du Premier
Ministre, le numéro deux après le Président Nguyen Van Thieu. Cette anecdote en dit long
sur le statut de sécurité régnant dans maints districts sud-vietnamiens. Afin de publiciser
auprès du public américain les progrès en matière de pacification dans la RVN, Colby
conviait fréquemment des journalistes à se joindre à lui lors de ses tournées d’inspection des
provinces. Afin qu’ils saisissent bien le statut de la situation opérationnelle, Colby invitait
ces journalistes à poser le plus de questions possibles aux conseillers et administrateurs du
programme de pacification (tout en gardant le nom des conseillers américains et sud-
vietnamiens secret pour des raisons de sécurité). Le journaliste Stewart Alsop (frère du
journaliste Joseph Alsop), un vétéran parachutiste de la Résistance française lors de la
Deuxième Guerre mondiale, a passé la journée avec Colby et John Paul Vann à circuler dans
la Province d’An Xuyen. Ils ont effectué des arrêts à de multiples villages au cœur de
plusieurs districts. Ce dont Alsop a été témoin lors de sa tournée l’inspira à titrer son
article ainsi: « They Might Just Make It ». Colby souligne qu’il s’agissait « d’une des
remarques les plus positives » sur la situation rencontrée au Vietnam à paraître dans les pages
d’un média américain de l’époque.90 Un autre journaliste (dont le nom n’est pas mentionné)
ayant fait une tournée des districts avec Colby lui a fait remarquer lors du voyage de retour
en hélicoptère que le calme dont il avait été témoin ne lui permettrait pas de pondre une
« histoire dramatique » pour son article.
Bien que cette déclaration trahisse la recherche de sensationnalisme de nombreux
médias, le journaliste en question est demeuré très réceptif lorsque Colby lui a expliqué la
situation. Le chef du CORDS a informé le reporter qu’il lui suggérait de questionner une
femme âgée d’un village pour comprendre à quel point sa situation s’était vue
« dramatiquement » améliorée depuis l’application des programmes de pacification post-Têt.
L’année précédente, cette femme aurait fort probablement été dans un camp de réfugiés à se
demander où ses fils pouvaient bien être. Colby spécifia qu’aujourd’hui, cette femme était de
retour dans son village, dans une « maison rebâtie par un de ses fils » qui avait accepté l’offre
d’amnistie (Chieu Hoi) du gouvernement. La vieille dame était également « protégée par son
autre fils », dorénavant membre des forces paramilitaires déployées dans le village pour
empêcher le retour du VC. Le journaliste a accepté les explications de Colby, mais les deux
90 Ibid., p. 272-273.
263
hommes ont avoué ne pas savoir comment publiciser l’opération de pacification de manière
qu’on obtienne une véritable attention médiatique envers le programme. Cette triste
dynamique s’exemplifie par la visite d’une journaliste qui tenait coûte que coûte à
accompagner Colby lors d’une tournée. Pendant la journée passée en compagnie du chef du
CORDS, elle n’a pas manifesté le moindre intérêt pour les progrès du programme de
pacification préférant interviewer un membre du Conseil provincial, insistant pour lui
soutirer ses plaintes face à « la dominance de l’armée » au sein « des affaires et de la
hiérarchie de sa province et de la nation ».91 Lorsqu’on consulte la plupart des articles
médiatiques et reportages télévisés du temps, on réalise bien vite que les médias
manifestaient beaucoup plus d’intérêt aux combats conventionnels qu’aux progrès en matière
de pacification. Un des meilleurs exemples en lien avec ce phénomène est illustré par la
bataille d’Hamburger Hill qui devait avoir de fortes répercussions aux États-Unis. Il en est
allé de même lors de crimes commis par les troupes américaines. Le massacre de My Lai a
fait (avec raison) la manchette au sein des médias. Néanmoins, on ne sentait aucun juste
équilibre lors de la transmission de l’information. Tout comme les CAP, les progrès en
matière de pacification et de COIN n’avaient tout simplement pas la cote pour la majorité de
la classe journalistique au Vietnam. L’intérêt de quelques correspondants ne suffisait point à
contrebalancer les effets pervers de la guerre de l’information sur l’effort de guerre américain
au Vietnam.
Il est vrai qu’un conflit à basse intensité offre des histoires beaucoup moins
percutantes qu’une guerre conventionnelle. Nous avons constaté au chapitre 3 à quel point
les opérations offensives des Marines au sein des CAP semblaient banales lorsque comparées
aux opérations majeures de search and destroy décrites au chapitre 2. Si on ajoute à la hausse
du nombre de secteurs sécurisés l’absence d’action, d’explosions et de réfugiés, il apparaît
que cela constitue des indicateurs de qualité lorsque vient le moment d’évaluer les progrès
du programme de pacification du CORDS et du GVN. Malheureusement, ce n’est pas là le
genre d’histoire qui excitait l’intérêt de la plupart des médias. David Galula a rencontré le
même type de difficultés lorsqu’il tentait d’exposer son modus operandi aux gens de la
presse. Quoi qu’il en soit, au fil du temps, le programme de pacification du CORDS s’ajustait
et progressait, s’accordant beaucoup plus à ce que l’on attend d’une opération de COIN,
91 Ibid., p. 273.
264
c’est-à-dire une campagne qui vise à assurer la protection de la population, à la séparer des
insurgés, à augmenter son niveau de vie et à faciliter l’appui des civils au gouvernement
légitime. Un dirigeant sud-vietnamien qui travaillait avec Colby lui a fait part que le nouveau
programme de pacification était l’opération contre-insurrectionnelle la mieux conceptualisée
et la plus structurée depuis le programme d’hameaux stratégiques supervisé par Ngo Dinh
Nhu, le frère de Diem.92 De leur côté, les Forces militaires américaines s’impliquaient
davantage au cœur des opérations de pacification. Malgré les inévitables dérogations (citons
le triste exemple du général Ewell relaté au chapitre 2), les éléments conventionnels du
MACV ajustaient réellement leur concept d’opération aux nouvelles réalités opérationnelles
dans plusieurs districts. Les accomplissements de la 173rd Airborne Brigade dans la province
de Binh Dinh ont été démontrés précédemment. En outre, d’autres constituants de l’US Army
déployés dans le II Corps devaient suivre l’exemple des Marines dans le but d’appuyer les
opérations de pacification du CORDS. À titre d’exemple, des compagnies d’infanterie ont
implanté dans la province de Quang Ngai ce que le MACV intitulait The Infantry Company
Intensive Pacification Program.
La procédure d’exécution de ce programme se déroulait ainsi: une compagnie
d’infanterie subdivisait ses forces de manière à former plusieurs sections appelées à être
déployées aux côtés de formations paramilitaires qui se voyaient assigner un hameau
spécifiquement choisi par le chef de la province de Quang Ngai. Le hameau une fois pacifié
demeurait occupé par les Forces américaines jusqu’à ce que les forces paramilitaires
deviennent aptes à prendre le relais des opérations. Dans ses rapports, l’US Army reconnaît
que l’Infantry Company Intensive Pacification Program s’inspirait du concept de Combined
Action Platoon des Marines.93 Ce programme faisait foi de l’action mise en pratique par un
nombre divers d’unités américaines lorsqu’elles décidaient de passer de la parole aux actes;
dorénavant, les forces conventionnelles s’appliqueraient à faciliter et appuyer les opérations
de pacification du CORDS et de l’APC, tel qu’ordonné par le général Abrams. Ce type de
manœuvre, une fois combiné à la traque des larges formations résiduelles du VC et du NVA,
92 Ibid., p. 270. 93 Records of the United States Forces in Southeast Asia, MACV Office of Civil Operations for Rural
Development Support, MR1, Phuong Hoang Division, General Records 205-57: Neutralization
Correspondence 1969 thru 205-57: Overview Files 1969, Memorandum I Corps Field Overview (RCS-
MACCORDS-32.01) for October 1969, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry:
33104, Box 3, p. 3.
265
a eu comme rapide conséquence d’acculer les communistes dans leurs derniers
retranchements. Mais les revers du VC ne cessaient pas là. Bien que le CORDS et l’APC
facilitaient les opérations de plusieurs unités américaines visant à interdire l’accès des
villages aux forces de guérilla, les cadres communistes parvenaient malgré tout à influencer
la population civile, une ruse leur permettant de continuer à appuyer les éléments de combat
du VC. Mais, le programme Phoenix, spécifiquement conçu pour démanteler l’infrastructure
politique du Viêt-Cong, s’apprêtait à exacerber de manière draconienne la situation déjà
précaire de l’insurrection communiste.
4.4. Le programme Phoenix : structure et mode de fonctionnement
Dans les lignes du chapitre 1, nous avons constaté l’importance des cadres du VC au
sein de la structure organisationnelle de l’insurrection communiste. Robert Thompson a bien
dépeint de quelle façon les cadres politiques facilitaient la confluence entre les forces de
combat de la guérilla et la population civile. N’oublions pas que cette dernière représentait
pour le VC une manne vitale d’assistance, d’approvisionnement logistique, de
renseignements et de nouvelles recrues. Une fois dépourvues desdits cadres, les formations
communistes souffriraient de la perte de cet appui impératif à la bonne marche de leurs
opérations militaires. On a spécifiquement conçu le programme Phoenix pour mettre un
terme à cette association militaire et civile : la cible des opérateurs du programme était
nommée VCI, un acronyme américain pour le terme Viet-Cong Infrastructure. La charpente
de cette infrastructure se composait d’un concept hiérarchique élaboré qui passait des
échelons nationaux jusqu’aux paliers d’hameaux. Elle englobait le Peoples Revolutionary
Party (PRP) qui, à l’échelle nationale, incorporait le COSVN tandis que, parallèlement, le
PRP opérait avec le National Liberation Front (NLF(VC)) au sein des hameaux. On y a
amalgamé The Alliance of National Democratic and Peace Forces, un front « supposément
composé » d’éléments nationalistes prêts à former un gouvernement de coalition avec
Saigon. Le PRP, le COSVN, le VC et l’Alliance recevaient leurs directives politiques du
Parti communiste Lao Dong à Hanoi.94
94 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division. General Records
204-57: Phoenix Committee Target Sub-Committee 1969 thru 204-57: PSYOPS 1969 Operations Phung
Hoang, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33104, Box 4, p. 7-8.
266
À la suite de l’offensive du Têt, Hanoï a ordonné l’élection de « conseils de
libération » communistes au sein des villages de la RVN. Ces conseils, au nombre de 2000,
contrôlés par le PRP, constituaient l’organe politico-administratif communiste appelé VCI
par les Américains. Aux côtés des éléments du VCI, on retrouvait les forces de sécurité
assurant leur protection, les cadres chargés des finances et des taxations ainsi que d’autres
membres dont le mandat consistait à assurer la gestion et le contrôle de la population civile.95
À ce stade, il convient de souligner qu’un membre du PRP ou du COSVN ne se voyait pas
automatiquement catalogué comme membre du VCI; être attaché aux forces de combat du
VC par exemple l’exclurait du groupe cible privilégié par les opérateurs du programme
Phoenix. Toutefois, on pouvait faire de ce type de membre une cible d’opportunité
susceptible d’offrir beaucoup de renseignements aux Forces alliées. Du côté de Phoenix, on
a désigné comme éléments chargés de neutraliser les membres de l’infrastructure les forces
spéciales sud-vietnamiennes du Provincial Reconnaissance Unit (PRU), les cadres du RD,
les forces de police du Special Branch, de même que des Navy SEAL américains (voir les
annexes 7 et 8).
Les forces régulières et paramilitaires pouvaient également être appelées à appuyer
les activités du programme. Une phase expérimentale, nommée Intelligence Coordination
and Exploitation (ICEX), a été créée pour, ultimement, faire place au Programme Phoenix
qu’on a lancé en décembre 1967.96 Techniquement, Phoenix ne constituait pas un organisme
mais plutôt un « programme de coordination » résultant de la synchronisation d’opérations
de comités aux échelons provinciaux, de districts et de villages. On a installé des bureaux
administratifs chargés de gérer la conduite des opérations de Phoenix à chacun de ces trois
paliers administratifs. Un ou plusieurs représentants de chaque entité politico-militaire
opérant au sein du programme se faisait assigner dans chacun de ces bureaux. Le contrôle
opérationnel de Phoenix au sein des districts et des provinces incombait officiellement à leurs
chefs respectifs. Néanmoins, la réelle gestion du programme tombait sous la responsabilité
95 Ibid. 96 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
207-01: Reorganisation 1970 thru 1602-08: GVN INSP. RPTS 1970 MACCORDS Realignment of Phuong
Hoang Management Responsibilities, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205,
Box 5, p. 1.
267
des officiers du renseignement (S2) américains et sud-vietnamiens. Une imputation partagée
par les responsables du District Intelligence and Operations Coordinating Center
(DIOCC).97 La principale fonction du DIOCC impliquait d’effectuer la collecte de
l’information pertinente, susceptible de permettre la planification d’opérations contre les
cadres communistes à l’œuvre dans les villages du district. Le mandat confié au DIOCC
couvrait également l’amélioration de la coordination des activités entre les différentes
agences de renseignement du district. Quant au chef du district, on lui donna la responsabilité
de la conduite des opérations du DIOCC. Il déléguait ses responsabilités au S2 qui, pour sa
part, gérait les opérations auprès des dirigeants des cadres du RD, des forces spéciales sud-
vietnamiennes, des services de police, du Chieu Hoi (programme de défection) et des forces
paramilitaires.98 L’apport américain consistait en un lieutenant et un capitaine désignés
comme Phoenix DIOCC Coordinators afin de superviser les opérations. De concert avec le
DIOCC sud-vietnamien, ils coordonnaient les échanges de données en matière de
renseignements entre les agences de collection de district, des forces paramilitaires, des
unités régulières américaines et des conseillers militaires américains de l’ARVN.
Grâce au renseignement recueilli par les organisations susmentionnées, ces
coordinateurs développaient les plans d’opérations avec pour objectif de capturer une cible
dans un village. Chaque DIOCC était subordonné au Province Intelligence and Operations
Coordinating Center (PIOCC) qui maintenait un centre d’opération tactique pour superviser
les opérations de renseignement de la province. Dans les faits, le PIOCC constituait le centre
d’opération provincial du programme Phoenix et cumulait les tâches suivantes : compléter
des rapports destinés aux autorités gouvernementales, assurer la coordination des opérations
des différents DIOCC, gérer le traitement des prisonniers, fournir les « listes noires » de
cadres ciblés pour les opérations des forces de sécurité et, enfin, assurer la liaison avec les
centres d’opérations Chieu Hoi.99 On déploya également des conseillers américains pour
97 Ibid. 98 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A (G): GVN Agencies 1970 thru 1603-03A (H): VIDCC. The Functions of a DIOCC –US Tactical
Unit relationship, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 11, p. 1. 99 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
268
étayer la conduite des opérations du PIOCC. De plus, plusieurs de ces conseillers étaient
aussi délégués auprès de la plupart des agences responsables de mettre en application les
opérations du programme Phoenix.100 Le 1er juillet 1969, la gestion de Phoenix a
officiellement échu au contrôle du MACV qui a placé le programme sous la responsabilité
du CORDS.101 Contrairement à ce qui a été véhiculé à de trop nombreuses reprises, Phoenix
ne constituait pas un programme d’assassinat créé pour tuer des cadres communistes. Bien
que l’objectif du programme soit bel et bien de neutraliser l’infrastructure politique du VC,
il n’avait pas comme fin en soi de délibérément tuer ses dirigeants. Les leaders du programme
Phoenix cherchaient plutôt à exploiter leurs troupes de sécurité et leurs forces spéciales pour
traquer et capturer les cadres du VC. Comprenons bien que ce cours d’action n’était pas le
fruit d’un élan d’altruisme de la part des concepteurs du programme; dans les faits, un cadre
mort ne se trouvait pas en mesure de divulguer du renseignement sur les activités subversives
de l’infrastructure politique communiste. Voilà pourquoi, lors d’opérations lancées pour
capturer un cadre localisé dans un village, les forces spéciales ou le Special Branch tâchaient
de ramener leur cible vivante au quartier-général.
Néanmoins, les membres de l’infrastructure VC bénéficiaient régulièrement de la
protection de gardes du corps, ce qui provoquait fréquemment des combats entre VC et forces
de sécurité. À maintes reprises, ces affrontements causaient la mort du cadre ciblé par
l’opération. Compte tenu de ce type d’opération, Phoenix devait faire couler beaucoup
d’encre et est devenu sujet de profondes mésinterprétations de la part de beaucoup de
politiciens, journalistes et observateurs civils. Pourtant, nous serons à même de constater que
le programme n’était qu’un chaînon, une initiative supplémentaire de COIN rendue
nécessaire si les Américains voulaient entraver la bonne marche des opérations subversives
des communistes. La destruction de l’infrastructure politique de l’insurrection constitue,
207-01: Reorganisation 1970 thru 1602-08: GVN INSP. RPTS 1970. MACCORDS Realignment of Phuong
Hoang Management Responsibilities, op. cit., p. 2-4 100 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records Phung Hoang 1968 thru Vietnamization/C/S Letter 1969 Phung Hoang 1969 End of Year
Report, College Park, National Archives, NND 003062, RG#472, Entry: PSG, Box 3, p. A-7. 101 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
207-01: Reorganisation 1970 thru 1602-08: GVN INSP. RPTS 1970 MACCORDS Realignment of Phuong
Hoang Management Responsibilities, op. cit., p. 2.
269
rappelons-le, la quatrième étape de la doctrine contre-insurrectionnelle de David Galula.
Malgré son application agressive de cette doctrine dans son district en Algérie, Galula ne
s’est jamais fait accoler l’étiquette de meurtrier ou d’assassin. À bien des égards, le concept
de Phoenix a été le précurseur de ce que le Joint Special Operation Command (JSOC) a
exécuté au Moyen-Orient lorsque les forces spéciales américaines et britanniques ont
démantelé pièce par pièce l’infrastructure de commandement d’Al Qaeda en Irak, à partir de
la moitié des années 2000. Le JSOC, qui regroupait notamment des opérateurs américains du
Delta Force et du DEVGRU (SEAL Team Six) en plus des SAS (Special Air Service) et SBS
(Special Boat Service) britanniques, a traqué les dirigeants et gestionnaires de l’organisation
terroriste. À quelques exceptions près, la mission des opérateurs du JSOC n’a pas été
d’assassiner mais plutôt de capturer leur cible pour en extraire un maximum de
renseignements.102
Tout comme au Vietnam avec les SEAL et le PRU, il advenait fréquemment que les
opérations du JSOC dégénéraient en de violents combats entraînant la mort de la cible visée
par les opérateurs américano-britanniques. Pourtant, ceci ne faisait pas pour autant un
« programme d’assassinat » des opérations du JSOC. En ce qui a trait aux interrogatoires des
communistes capturés par Phoenix, les concepteurs du programme ont insisté sur le fait que
la torture ne constituait pas une méthode efficace pour extraire de l’information d’un cadre
capturé. Plusieurs allégations ont été faites contre le programme Phoenix qui, selon maints
journalistes et observateurs externes, maximisait l’exploitation de la torture pour forcer la
divulgation de renseignement. À cet effet, des conseillers américains qui opéraient au sein de
Phoenix ont affirmé ce qui suit :
Interrogators are well aware that data or confessions extracted by force are
without value, for such reports almost invariably are incorrect or without
any foundation at all. A suspect threatened with force supplies what he
thinks the interrogator wants, not what the true situation is. Only skilled
questioning by trained intelligence operative results in intelligence data that
stands up under analysis and can be usefully exploited.103
La perception de brutalité que d’aucuns croyaient inhérente au programme Phoenix
originait largement des commentaires de prétendus vétérans du programme. Mark Moyar cite
102 Mark Urban, Task Force Black, New York, St. Martin Griffin, 2010, p. 35-40, 70-72. 103 Ibid.
270
dans Phoenix and the Birds of Prey la façon dont ces individus narraient les « crimes
sinistres » de Phoenix aux journalistes, à des membres du Congrès américain, des auteurs et
des étudiants qui n’ont pas tardé à répandre la nouvelle. De minutieuses enquêtes ont été
menées afin d’investiguer ces accusations; chacune d’elles s’est avérée être de nature
falsifiée. Plusieurs de ces prétendus vétérans qui « opéraient » dans les rangs du programme
Phoenix n’ont, dans les faits, jamais servi une seule journée au Vietnam ou au sein des Forces
armées américaines. La majorité des autres n’avaient même pas occupé les fonctions soi-
disant remplies au Vietnam. Comme dans chaque guerre, il est malheureusement survenu des
incidents malencontreux. À titre d’exemple, Moyar souligne qu’il est advenu que les forces
de sécurité sud-vietnamiennes aient exécuté sans procès un cadre du GVN qui se trouvait être
en réalité un cadre du VC démasqué. En temps normal, ce cadre aurait été jugé et passible de
la peine de mort.104 Néanmoins, tout comme le massacre américain du village de My Lai, ces
actions déplorables d’opérateurs de Phoenix ne constituaient en rien la norme ou le modus
operandi de l’ensemble des forces en présence. Citons par exemple le lieutenant-colonel John
L. Cook, un conseiller américain qui a effectivement opéré au sein de Phoenix pendant une
période de 25 mois. Cook n’exécutait pas ses fonctions à Saigon, confortablement installé
dans un bureau pourvu d’air climatisé, mais plutôt au cœur des villages et secteurs ruraux
pour confronter directement l’infrastructure VC.
La profonde incompréhension suscitée par Phoenix l’a incité à publier son
témoignage dans un livre intitulé The Advisor : The Phoenix Program in Vietnam. Cook y
explique à quel point le public américain n’avait tout bonnement pas l’heure juste lorsqu’on
abordait le sujet de Phoenix. L’auteur a également brisé ce qu’il soutient être le « mythe »
d’une organisation viêt-cong « libératrice ». Fort de son vécu et de ce dont il a été témoin,
Cook avait plutôt tendance à coller l’étiquette d’assassins aux membres du VC. Il soutient
que Phoenix ne représentait en rien un « programme d’assassinat » et qu’ironiquement, le
Programme consistait en la meilleure contre-mesure, le moment venu d’empêcher les cadres
du VC de perpétrer des atrocités.105 Dans les faits, presque l’intégralité des cadres du VC qui
ont péri lors d’opérations du programme Phoenix s’est vue neutralisée lorsque l’opération de
capture dégénérait en affrontement entre forces de sécurité et éléments de combat du VC.106
104 Moyar, Phoenix and the Birds of Prey, op. cit., p. 389-390. 105 Cook, op. cit., p. 9-10.
271
Nonobstant cela, la nature même du programme reste encore incomprise par beaucoup
d’observateurs au 21e siècle. Plusieurs références populaires existent toujours quant à la
« nature assassine » du programme. Du côté éducationnel, le problème persiste également. À
titre d’exemple, un documentaire exhaustif diffusé en 2017 à la PBS, The Vietnam War,
quoique très intéressant, tend à dépeindre Phoenix comme un programme de torture et
d’assassinat. L’incompréhension persiste et continuera fort probablement de persister, et ce,
malgré le témoignage à contre-courant de la croyance populaire de vétérans ayant réellement
participé au programme.
4.4.1. L’exécution des opérations du Programme Phoenix
Lors du lancement officiel de Phoenix à la fin de 1967, on comptait 12.3% du peuple
sud-vietnamien vivant dans les hameaux contrôlés par le VC. À cela, ajoutons un autre 11.4%
de la population qui habitait les secteurs contestés où le VC avait la capacité d’infiltrer et
d’influencer la population. Au total, près du quart des habitants de la RVN était à la portée
ou en contact avec l’infrastructure VC et ses cadres. En 1967, selon les évaluations du
MACV, environ 80,000 cadres communistes opéraient dans les secteurs encore sous
influence communiste à cette époque.107 Les concepteurs du programme n’étaient pas dupes;
il serait impossible d’éliminer complètement l’infrastructure politique du VC. L’objectif
avait plutôt pour fin de provoquer l’entrave des opérations politiques de l’insurrection en
neutralisant un maximum de cadres.108 Au cours des 11 premiers mois de 1968, les rapports
américains soutiennent que Phoenix a neutralisé 13,404 cadres. En novembre 1968, 366
cadres ont fait défection, 1563 autres ont été faits prisonniers et 409 autres se sont fait tuer
au cours d’opérations visant à les capturer.109 Afin de traquer ces cadres et d’en faire tomber
un si grand nombre, une gestion très disciplinée des opérations de collecte de renseignement
107 Records of the United States Forces in South East Asia Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Record
Operation Phung Hoang Rooting Out the Communist’s Shadow Government, College Park, National
Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33104, Box 4, p. 2. 108 National Security Council Files Richard M. Nixon Presidential Material Project, Sir Robert Thompson
(1970) Memorandum for Dr. Kissinger, Subject: Sir Robert Thompson’s Publication and Lecture Problem,
College Park, National Archives, Folder: 102564-018-0001, Box 92. 109 Records of the United States Forces in South East Asia Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
Operation Phung Hoang Rooting Out the Communist’s Shadow Government, op. cit., p. 2.
272
d’agents déployés sur le terrain était de rigueur. En ce sens, les agences civiles et militaires
américaines et sud-vietnamiennes échangeaient leurs rapports de renseignements sur une
base régulière. Ces rapports se trouvaient étayés par ceux des dirigeants politiques locaux,
par les cadres du RD et l’ensemble des unités de renseignement des forces régulières et
paramilitaires déployées sur le terrain. On encourageait aussi la population civile à identifier
les cadres communistes. Dans l’ensemble, une grande partie du renseignement récolté
provenait des habitants des secteurs ruraux.110 L’information glanée faisait l’objet d’analyse
d’experts américains et sud-vietnamiens en matière de renseignement militaire. L’expertise
de ces spécialistes assurait à la chaîne de commandement le très haut degré de qualité des
méthodes d’analyses et d’exploitation des données effectuées par les opérateurs vietnamiens.
On prenait toutes les précautions pour valider que l’information transmise sur un potentiel
cadre faisait l’objet d’une double vérification et qu’elle corroborait d’autres données. À titre
d’exemple, la police ne procédait pas à l’arrestation d’un suspect taxé d’être communiste par
un voisin en se fiant uniquement sur cette accusation.
Néanmoins, si de multiples sources rapportaient les mêmes informations, si un
transfuge de l’infrastructure communiste dénonçait le suspect et si on découvrait des
documents compromettants à son domicile, la police procédait alors à son arrestation. Si les
preuves et les témoignages semblaient consistants, le suspect se voyait accusé, puis jugé.
Cette procédure a été rendue possible grâce à la coopération des agences de renseignements
qui coordonnaient leurs opérations et partageaient leurs informations. Selon les concepteurs
de Phoenix, cette dynamique comptait pour l’un des rouages les plus importants à la bonne
marche du programme.111 Lorsque le renseignement collecté se voyait jugé suffisamment
crédible par le DIOCC, on initiait une opération en vue de capturer le cadre communiste dans
le village désigné. Ces opérations pouvaient mettre en œuvre une pratique aussi élémentaire
que d’envoyer un policier à vélo procéder à l’arrestation du cadre dénoncé par des transfuges
du VC. Dans d’autres cas, une opération ayant suffisamment d’envergure forçait le
déploiement de deux ou trois bataillons de troupes, appuyés par des chars, de l’artillerie et
l’aviation. À titre d’exemple, près de 5000 troupes ont été dépêchées à Vinh Loc, sis au sud-
est de Hue, afin de capturer un cadre communiste et les éléments de combat VC qui
110 Ibid., p. 3-4. 111 Ibid., p. 10-11, 14.
273
l’appuyaient. Après 10 jours de recherches et d’interrogatoires, on a estimé que 80% des
communistes du secteur ont été soit tués, capturés ou convaincus de faire défection (le rapport
ne spécifie pas si le cadre ciblé a été capturé).112 Dans la Province de Quang Tri, le
renseignement diffusé à partir du PIOCC devait entraîner un exploit similaire; on a pu
identifier 80 membres du VCI grâce à plusieurs sources de renseignements. Succès amplifié
par le fait qu’une seule section des forces de sécurité a suffi pour infiltrer de nuit le village
abritant les 80 cibles. Au total, 50 des 80 cadres visés ont pu être capturés lors de
l’opération.113 Ces exemples démontrent que les opérations de Phoenix fournissaient
l’opportunité aux forces de sécurité d’effectuer d’importants coups de filet. Lors d’opérations
à plus large déploiement, les troupes conventionnelles de l’ARVN sécurisaient le village en
question, puis escortaient les policiers armés d’une liste noire recelant le nom des suspects
VC. Une fois ceux-ci identifiés, ils ne se voyaient pas « assassinés » mais plutôt interrogés
par les policiers qui réussissaient ainsi à leur soutirer du renseignement précieux, en vue
d’identifier d’autres cadres communistes.114
Pour mener à bien ces opérations, les forces de sécurité exploitaient une tactique de
cordon et fouille qui facilitait la capture des cadres inhabilités à s’échapper du secteur par
cette stratégie. Via le PIOCC, le chef de la province d’un village soumis à une opération de
cordon et fouille procédait à la catégorisation (selon leur importance), puis à l’interrogatoire
des suspects détenus. Le chef de province répondait également du bon traitement de la
population civile au sein du village ciblé.115 Cette gestion était régie de concert avec les
éléments de district du DIOCC. On transmettait immédiatement tout renseignement collecté
aux agences de renseignement opérant de concert avec Phoenix. Tous les villageois
112 Ibid., p. 5. 113 National Security Council Files Richard M. Nixon Presidential Material Project, Sir Robert Thompson
(1970) Memorandum for Dr. Kissinger, Subject: Sir Robert Thompson’s Publication and Lecture Problems,
op. cit. 114 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
Operation Phung Hoang Rooting Out the Communist’s Shadow Government, op. cit., p. 14. 115 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division, General Records
204-57: AIK Funds 1969 thru 204-57: J.P. PSC Minutes – Thua Thien 1969, Cordon and hold Operations.
College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33104, Box 1, p. 3.
274
considérés innocents étaient libres de regagner leur village une fois l’opération terminée.116À
l’image du CORDS, tout n’était pas parfait en regard de l’application du programme Phoenix.
Lors d’opérations de cordon et fouille, bien que les forces de sécurité soient munies d’une
liste de suspects, il advenait que le contenu de cette feuille soit flou et ne permette pas de
viser une cible de grande valeur (high value target). On attribuait cette situation à la carence
de renseignement disponible, une insuffisance attribuée au « manque d’efforts coordonnés »
des éléments des DIOCC et des PIOCC, de même qu’à des sources de renseignement
déficientes. Ce problème résultait également de lacunes au niveau des compétences des
forces de sécurité, le moment venu de traquer, cibler et capturer une cible.117 À cet effet,
l’unité sud-vietnamienne la plus redoutée des communistes a été, sans contredit, celle des
forces spéciales du PRU (voir l’annexe 8). Avant 1967 et l’émergence de Phoenix, le
Provincial Reconnaissance Unit était sous le contrôle de la CIA qui devait conserver la
mainmise sur l’encadrement de l’unité lorsqu’on l’amalgama à ICEX, puis à Phoenix.
Le PRU comptait 5000 opérateurs; des exécutants qui menaient des opérations
spéciales dans l’ensemble des provinces de la RVN. Le PRU cumulait quatre tâches
spécifiques : collecter de l’information sur le VCI, conduire des opérations paramilitaires
visant à neutraliser le VCI, participer aux opérations planifiées par les DIOCC et PIOCC, et
enfin, conduire des opérations de reconnaissance et de ciblage.118 Les hommes recrutés
comme membres de l’unité l’étaient généralement parmi d’anciens soldats de l’ARVN, du
VC ou encore des forces spéciales de l’Armée sud-vietnamienne. Plusieurs membres du PRU
étaient réputés pour leur haine du VCI qui, dans bien des cas, s’était rendu responsable de
massacres perpétrés contre leur communauté. Cette particularité rendait l’unité très
imperméable à l’infiltration des communistes. Les membres du PRU opéraient
clandestinement en petites sections de six hommes, portant souvent les mêmes vêtements que
116 Ibid., p. 3-4. 117 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03(AS): GVN Directives 1969 thru 1603-03(CS): QTR. Review 1969, The Phoenix Program in II Corps,
1 May 1968 College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 3, p. 8-9. 118 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A: PRU Correspondence 1970 thru 1603-03A: Reports – VC/NVN Propaganda Analysis 1970,
Military Intelligence Provincial Reconnaissance Units (C) Short Title: PRU (U), College Park, National
Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33104, Box 12, p. 1-2.
275
le Viêt-Cong et allant parfois jusqu’à utiliser des AK-47 plutôt que les M-16 américaines. Ce
modus operandi compliquait l’identification des opérateurs du PRU pour le VC. Les
membres de cette force spéciale étaient soumis à un entraînement sévère dispensé par leurs
superviseurs de la CIA et des Marines.119 Les forces spéciales du PRU opéraient de manière
suffisamment clandestine pour que l’ensemble des Forces américaines ignore jusqu’à leur
existence. Même les dirigeants du CORDS n’étaient pas au fait de toutes leurs activités.120 Il
arrivait fréquemment que le PRU opère conjointement pendant des périodes pouvant aller
jusqu’à six mois avec des opérateurs américains des Green Berets, Navy SEAL et des troupes
d’élite des Marines (Marine Force Recon). L’ensemble de ces forces spéciales prêtées à la
CIA appuyaient le PRU et s’assuraient également que les rapports post-opérations des agents
sud-vietnamiens comportent une teneur véridique.121 Inévitablement, l’apport prodigué par
ces unités spéciales américaines en matière d’expertise pour la conduite de missions de
reconnaissance et de tactiques au combat a hautement amélioré les capacités du PRU à
capturer et neutraliser leurs cibles. Le PRU possédait la capacité d’opérer dans des secteurs
normalement évités par les forces régulières; ses opérateurs étaient également familiers avec
le terrain et la population civile de leurs zones d’opérations.
Le PRU constituait souvent la source optimale pour se procurer du renseignement sur
les activités de l’infrastructure politique VC. Les membres de l’unité ont développé un réseau
de collecte de renseignement en recrutant des informateurs sélectionnés en fonction de leur
hostilité envers les communistes; ceux-ci une fois investis dans leur rôle d’indicateurs leur
signalaient la localisation de cadres communistes dans les villages. Le PRU exploitait aussi
les rapports de renseignement d’anciens VC et des cadres du programme Chieu Hoi qui
traçaient des cartes révélant les secteurs procommunistes au sein des villages.122 À titre
d’exemple, dans la province de Long An, un ancien chef d’une unité d’action spéciale du VC
a réussi à obtenir la localisation et l’itinéraire de son successeur. En transmettant
l’information aux opérateurs du PRU, ces derniers ont pu élaborer un plan et initier une
embuscade pour surprendre leur cible. Le leader VC étant sous la protection d’un garde du
corps, un échange de tir s’en est suivi qui a résulté en la mort des deux communistes. Ce
119 Andrew Finlayson, Marine Advisors With the Vietnamese Provincial Reconnaissance Units, 1966-1970,
Quantico, United States Marine Corps History Division, 2009, p. 8-11. 120 Moyar, Phoenix and the Birds of Prey, op. cit., p. 170. 121 Ibid., p. 165-166. 122 Finlayson, op. cit., p. 53-54.
276
leader était le septième chef de l’unité d’action spéciale du VC neutralisé par le PRU. En
exploitant le renseignement de ses sources et informateurs, le PRU a découvert que l’unité
spéciale communiste s’apprêtait à initier une attaque dans leur secteur d’opération. À la
lumière du renseignement collecté, les opérateurs ont initié une nouvelle embuscade sur la
route appelée à être utilisée par le VC en cas de retraite. Lors du passage des soldats
communistes, un violent combat s’est engagé, entraînant ainsi la mort du huitième chef de
l’unité d’action spéciale du VC.123
À l’image des opérations des CAP, ces offensives ne revêtaient pas un caractère
particulièrement éclatant. Néanmoins, elles entravaient sérieusement la capacité du
leadership communiste à exercer ses fonctions dans les secteurs ruraux. Le PRU a exploité
ce type de tactique d’une province à l’autre de la RVN. Maints conseillers américains du
PRU ont affirmé que leurs opérateurs avaient capturé ou tué des centaines de communistes en
six mois ou un an sans subir une seule perte dans leurs rangs. Selon les conseillers de la CIA,
les forces du PRU se montraient très proactives au sein de l’ensemble des provinces de la
RVN, exécutant des opérations semblables à celles décrites précédemment plusieurs fois par
mois. Chaque unité capturait ou tuait généralement 10 à 20 cadres communistes
mensuellement. Considérant les effectifs du PRU chiffrés à 5000 soldats subdivisés en
équipes de six opérateurs, ces résultats étaient somme toute très positifs pour le GVN.
Certains conseillers ont également souligné que des opérations du PRU ont résulté en la
capture ou la mort de 100 à 500 communistes en une seule journée. Ces opérations, très
dommageables pour le VC, n’ont pas été publicisées à l’époque; à l’exception de la CIA, peu
de gens en avait eu connaissance.124
Conséquemment aux ravages infligés dans leurs rangs, les communistes ne devaient
pas tarder à redouter les PRU; quantité de rapports capturés font état des problèmes créés par
l’unité spéciale sud-vietnamienne.125 Certains leaders du VC, suffisamment excédés par le
PRU, ont tenté d’initier des contremesures spécifiquement conçues pour entraver la bonne
marche des opérations de l’unité. À titre d’exemple, dans la Province de Quang Tri, les
opérations du PRU ont causé une telle suite de dommages au VCI que les Nord-Vietnamiens
123 Ahern, CIA and Rural Pacification in South Vietnam, op. cit., p. 300-301. 124 Moyar, Phoenix and the Birds of Prey, op. cit., p. 173. 125 Ibid., p. 249.
277
ont formé et déployé une unité spéciale de sapeurs pour détruire la base d’opération des forces
spéciales sud-vietnamiennes.126 Un document du COSVN fait état des dommages importants
que leur a infligé le PRU (sans directement nommer le nom de l’unité). Ce rapport spécifie:
“The situation in liberated rural area has become increasingly insecure
because of many deficiencies which have enabled enemy agents to actively
operate deep in the heart of our areas and help the commandos launch
surprise attack which inflicted many casualties on us…by exploiting the
“Chieu Hoi”, defectors and a number of cadres who had been arrested, the
enemy had been able to attack many of our positions causing serious losses
to us…”127
Ce même rapport souligne que plus de 15 villages, en plus de divers secteurs et
districts, ont été soumis aux attaques des « commandos » (PRU).128 Bien qu’un des plus
grands atouts des PRU soit leur capacité à établir des réseaux d’informateurs pour la
cueillette de renseignement, il arrivait régulièrement que le DIOCC du district ne soit pas
impliqué dans la gestion de la collecte de renseignement du PRU. Des conseillers américains
ont partagé avoir vécu bien des difficultés en fait de coopération avec les membres des
DIOCC. Régulièrement, il advenait que les différentes agences refusent de partager le
renseignement collecté, de crainte de ne pas se voir attribuer le crédit du succès d’une
opération découlant dudit renseignement.129
Cette dynamique contreproductive (encore rencontrée au 21e siècle) ne se bornait pas
aux DIOCC et au PRU; de nombreux problèmes de discipline et de coordination des
opérations entre les divers DIOCC et PIOCC ont été fréquemment rapportés par les
conseillers américains de Phoenix. À titre d’exemple, dans la province de Phu Yen, on a
observé un important degré d’absentéisme du personnel assigné au PIOCC et aux DIOCC.
Plusieurs chefs de district faisaient montre de bien peu de motivation à participer au
programme et les opérations de cordon et fouille étaient très mal exécutées. Les Américains
ont également noté le manque de coopération entre les agences de renseignement, ce qui
126 Finlayson, op. cit., p. 15-16. 127 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of
Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents, A COSVN Directive for Eliminating Contacts With
Puppet Personnel and Other “Complex Problems,” Carlisle, War College, Folder: 003233-001-0731, p. 3. 128 Ibid. 129 Finlayson, op. cit., p. 7-8.
278
entravait le ciblage de membres du VCI.130 Des incidents similaires ont été observés dans la
province de Pleiku; très peu de chefs des DIOCC rendaient visite au PIOCC et la
coordination des agences laissait à désirer. De son côté, un conseiller américain a soulevé
que malgré ses excellents rapports avec son comparse sud-vietnamien, il ne pouvait ignorer
d’occasionnelles divergences d’opinion sur l’interprétation des informations collectées pour
le renseignement. Il souligne également l’entêtement des Sud-Vietnamiens qui refusaient
souvent de suivre les recommandations de leurs conseillers américains. Il advenait même
que les Américains court-circuitent la chaîne de commandement et traitent directement avec
le GVN, tâche qui incombait normalement aux PIOCC et aux DIOCC. L’analyse de
plusieurs dizaines de rapports des coordinateurs américains de Phoenix démontre qu’on a
expérimenté des problèmes analogues dans maints districts et provinces.131
Les administrateurs du programme ont aussi évoqué le manque de coordination des
opérations de Phoenix et des forces régulières; la gravité du problème variant d’un district à
l’autre des provinces de la RVN. Par exemple, au sein du district de Ninh Hoa, dans la
province de Khanh Hoa (II Corps), « peu sinon aucun problème » n’a été rencontré avec les
Forces militaires sud-coréennes qui y étaient déployées. La coopération entre les deux
organisations avait atteint un stade des plus satisfaisants, favorisée en cela par le déploiement
d’un officier de liaison sud-coréen attaché en permanence au DIOCC. Un des conseillers
américains du DIOCC a affirmé que la contribution des Forces sud-coréennes au programme
a « excédé les gains » qu’elles ont elles-mêmes tiré de Phoenix. Néanmoins, au sein des
districts d’An Nhon et de Phu Cat, dans la province de Binh Dinh, les militaires sud-coréens
coopéraient avec Phoenix uniquement lorsque le DIOCC leur fournissait du renseignement.
Jamais, en retour, les spécialistes du renseignement sud-coréens ne partageaient les résultats
de leur collecte avec le DIOCC. Des problèmes équivalents ont été observés dans trois
130 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records,
1603-03(A4-1): Posters 1970 thru 1603-03A (B3): Quarterly Adv. Conf. 1970, Status of Phung Hoang
Program in Phu Yen Province, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box
8, p. 1. 131 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records,
1603-03(A4-1): Posters 1970 thru 1603-03A (B3): Quarterly Adv. Conf. 1970, Briefing Input to Quarterly
Phung Hoang coordinators Center, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry:33205,
Box 8, p. 2.
279
districts de la province de Phu Yen.132 Il arrivait également qu’il surgisse des troubles de
coordination entre les Forces américaines et les gestionnaires de Phoenix. Ce manque de
planification concertée était la résultante d’une collecte de renseignements anémique issue
des éléments sud-vietnamiens. À titre d’exemple, le G2 (commandant du renseignement à
l’échelle de brigade) de la 4th Infantry Division a rapporté qu’à quelques exceptions près, les
PIOCC et les DIOCC ne se sont pas montrés en mesure de « fournir suffisamment
d’informations sur les activités du VCI » et que sa propre cellule de renseignement s’était
avérée la pourvoyeuse d’une base de données beaucoup plus exhaustive de l’infrastructure
communiste. Dans d’autres cas, lors d’opérations offensives, les forces régulières
réclamaient des listes noires afin d’identifier de possibles cadres communistes. Il advenait
ponctuellement que les PIOCC et DIOCC n’acquiescent pas aux demandes des unités
tactiques sous prétexte que les listes n’étaient « pas disponibles », ou encore périmées.133
Dans d’autres secteurs, la coopération entre les forces régulières et Phoenix se
révélait tout simplement inexistante. Dans IV Corps, plusieurs unités de l’ARVN ne
coopéraient pas avec les coordinateurs du programme. Bien que la majorité du temps la 9e
Division de l’ARVN se soit montrée coopérative avec Phoenix, les 7e et 21e Divisions
affichaient plutôt un vif désintérêt pour le programme, allant même jusqu’à entraver le travail
de ses agents. Lors d’opérations offensives, ces unités de l’ARVN sont parfois allées jusqu’à
prendre le contrôle de bureaux de DIOCC et flanquer leur personnel à la porte.134 Même
certains coordinateurs américains ont fait montre de bien peu de motivation, lorsqu’il
s’agissait d’implanter et de mettre en pratique le programme Phoenix dans IV Corps.
132 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General
Records.1603-03(AS): GVN Directives 1969 thru 1603-03(CS): QTR. Review 1969, The Phoenix Program in
II Corps, 1 May 1968, op. cit., p. 14. 133 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A: Neutralization Goals 1969 thru 1603-03(A4): Phuong Hoang Publicity 1969, Memorandum to
Director, Phoenix Staff, Saigon, Subject: Participation of Tactical Units in Phuong Hoang Activities, 25
February 1969, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 2, p. 2. 134 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970 Quarterly
Phoenix Coordinators’ Conference – MACCORDS 25 July 1970 Remarks Presented by IV CTZ Phoenix
Coordinator, College Park, National Archives, NND 974306 RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 16.
280
Pendant un certain temps, les équipes de Navy SEAL ont été les seules unités américaines
du secteur à opérer avec zèle dans le cadre de Phoenix. Ce sont les éléments de cette force
spéciale qui traquaient agressivement les cadres communistes dans les secteurs ruraux. Les
SEAL se voyaient perçus comme éminemment redoutables par les communistes et leurs
opérations ont causé des pertes sévères au VC.135 Toutefois, les opérations des SEAL
trahissaient certaines failles quant à la coordination des opérations; bien que les opérateurs
américains pourchassent les membres de l’infrastructure dans le cadre du programme
Phoenix, leur traque se faisait séquentiellement de manière indépendante. Fréquemment, les
DIOCC n’étaient pas au fait des opérations menées par les SEAL, ces derniers faisant
généralement cavaliers seuls en ne rapportant pas les résultats de leurs opérations aux
DIOCC. Ces manquements ont été signalés aux commandants de l’US Navy afin que des
ajustements soient apportés.136 Toutefois, les relations entre les diverses organisations du
CORDS et de Phoenix n’ont pas toujours endossé une allure aussi perpétuellement
problématique. On a procédé à des ajustements dans l’ensemble des quatre Corps de la RVN
et, avec du temps et de la patience, la situation devait grandement s’améliorer.
En 1970, la coordination des opérations prit du mieux et les effets de Phoenix se sont
fait incontestablement sentir par le VC dans IV Corps. La situation est devenue
suffisamment alarmante pour pousser les chefs de l’infrastructure communiste de toute la
zone du Delta du Mékong à ordonner une étude exhaustive de Phoenix, son organisation,
son personnel et ses techniques.137 Au sein du II Corps, d’autres éléments de la 4th Infantry
Division et de la 173rd Airborne Brigade devaient développer une relation très constructive
avec les membres de Phoenix. Des présentations détaillées sur Phoenix ont été faites par le
G2 du I Field Force Vietnam pour le bénéfice de chacun des bataillons tactiques du II Corps.
À la suite de ces présentations, l’appui de ces bataillons aux opérations de Phoenix a
augmenté progressivement. Le G2 du 4th Infantry Division a mis sur pied une cellule
exclusivement destinée à l’infrastructure VC et des représentants de cette cellule
135 Darryl Young, The Element of Surprise: Navy SEALs in Vietnam, New York, Ballantine Books, 1990, p.
xxiv. 136 Ibid. 137 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970. Phoenix
Conference IV Corps, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 2.
281
s’entretenaient trois fois par semaine avec le coordinateur américain de Phoenix de la
province de Pleiku. Des éléments de la Division apportaient continuellement leur appui aux
opérations de Phoenix au sein des provinces de Kontum, Pleiku et de Darlac. La cellule de
renseignement du 173rd Airborne Brigade a également crée une section exclusivement
destinée à la collecte de renseignements relatifs à l’infrastructure VC. L’officier en tête de
ce détachement a même suivi un cours d’orientation sur les opérations du programme
Phoenix à Vung Tau. De plus, des éléments de Task Force South (localisés dans les secteurs
de Dalat et de Phan Thiet) assuraient la coordination de leurs plans avec les PIOCC et les
DIOCC et appuyaient les opérations de Phoenix.138 Dans l’ensemble du II Corps, les rapports
et la coordination des opérations entre coordinateurs américains et sud-vietnamiens ont
définitivement pris leur essor en 1970 lorsque le général sud-vietnamien Ngo Dzu, un
officier motivé et doté d’un leadership très agressif, y a été nommé commandant des Forces
sud-vietnamiennes.
Dzu insistait sur l’importance de la coordination des opérations américano-sud-
vietnamiennes. En ce sens, il a nommé des députés voués à opérer au sein de chaque
organisme de pacification, puis a désigné le colonel Nguyen Viet Dam comme député
principal du programme Phoenix pour II Corps. Le coordinateur américain de la région a
souligné qu’à la suite de cette nomination, la coordination des opérations entre conseillers
américains et sud-vietnamiens est passée « d’excellente à remarquable ».139 Dans III Corps,
la situation était similaire; le coordinateur américain du programme était le colonel James B.
Egger. À l’été de 1970, il écrivait ce qui suit dans un rapport introspectif : « I consider the
cooperation between the combat units and the Phoenix…program in MR III to be
138 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970, Quarterly
Phoenix Coordinators’ Conference – MACCORDS 25 July 1970 Remarks Presented by IV CTZ Phoenix
Coordinator, op. cit., p. 1-2. 139 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970 Briefing Folder
for Colonel Tart Phoenix Coordinator Military Region 2, College Park, National Archives, NND 974306,
RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 1-3.
282
outstanding ».140 Le colonel américain attribuait ce succès à l’échange systématique du
renseignement collecté par chacune des unités. Lorsque les formations régulières
s’apprêtaient à mener une opération offensive, on suggérait aux commandants d’unité
d’assigner leur officier S2 (renseignement) et S3 (opérations) de bataillon à des rencontres
avec les Province Senior Advisors du CORDS (qui chapeautait Phoenix, rappelons-le). Ces
réunions avaient pour but de faire bénéficier les unités régulières des tout derniers rapports
de renseignement, en plus d’encourager la coopération des agences et des unités tactiques.141
Le colonel Egger a fait valoir que les rapports entre Phoenix et les troupes régulières se
trouvaient suffisamment coordonnés pour enfin troquer le terme « the other war » pour celui
de « this war ». Tout comme dans II Corps, le G2 établit une branche spécifiquement dédiée
à la collecte et l’analyse de renseignements reliés à l’infrastructure VC.142 Dans la province
de Long Khanh, les responsables de Phoenix ont initié l’opération CUTOFF 1, une entreprise
appelée à faire très mal au VC. En se basant sur le renseignement collecté, chaque DIOCC
du III Corps a préparé une liste d’hameaux à cibler.
Via les PIOCC, ces listes étaient ensuite soumises aux chefs de provinces, un
processus qui aboutissait, ultimement, sur la sélection de 38 hameaux. Fidèles aux
procédures de Phoenix, des éléments réguliers de l’ARVN et de l’US Army ont serré le
cordon autour des hameaux pour juguler les tentatives de fuite des cadres communistes. Pour
leur part, les forces spéciales du PRU et de la police sécurisaient le village. Une fois les
suspects identifiés, puis appréhendés, les villageois pouvaient vaquer à leurs occupations.
Lors de CUTOFF 1, on a procédé à l’arrestation de 168 VC responsables de
l’approvisionnement des troupes communistes. Bien qu’ils ne fassent pas partie de
l’infrastructure politique du VC, ces éléments constituaient un atout essentiel à la bonne
140 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970. Remarks of Col.
James B. Egger, MR III Phoenix Coordinator, At Quarterly Phoenix Coordinators’ Conference, 25 July 1970,
College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 14. 141 Ibid., p. 14-15. 142 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970. Remarks of Col.
James B. Egger, MR III Phoenix Coordinator, At Quarterly Phoenix Coordinators’ Conference, 31 October
1970, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 9, p. 15.
283
marche des opérations des forces de combat du Viêt-Cong. Pendant les mois qui ont suivi
CUTOFF 1, le taux de neutralisation de membres de l’infrastructure s’est avéré « le plus
haut jamais enregistré » dans la province de Long Khanh pour une période de trois mois.143
Du côté d’I Corps, sans surprise, les CAP et les Marines se montraient très enclins à
collaborer avec les éléments de Phoenix. À titre d’exemple, le coordinateur américain du
DIOCC du district de Tam Ky a fait valoir la « contribution incommensurable » de six
équipes de CAP mobiles aux opérations de Phoenix. Le renseignement collecté et les
opérations offensives de ces CAP mobiles ont grandement appuyé le DIOCC de Tam Ky.
Chacune des équipes de CAP a présenté une requête en vue d’obtenir les listes noires du
DIOCC, de même que leurs rapports de situation sur les caches d’armes et les activités du
VC dans leur zone d’opération. Le coordinateur du DIOCC a souligné que ces CAP
constituaient les unités les plus proactives et les plus fiables, le moment venu d’initier des
opérations basées sur leur collecte de renseignement. De leur côté, les Marines et les
membres du PF relayaient le renseignement recueilli au DIOCC ou au chef de District.144
La coordination des opérations de Phoenix et des Marines ne se limitait pas seulement
aux CAP. Bien qu’il leur ait fallu un peu de temps pour ce faire, le leadership américano-
vietnamien d’I Corps a déclaré son appui au programme Phoenix et a transmis des directives
claires à ses subordonnés qui ont reçu l’ordre d’apporter leur soutien au programme. À partir
de 1970, les effets bénéfiques de cette coopération commençaient à émerger. Les cellules de
renseignement des Marines et de l’ARVN collaboraient avec leurs cellules sœurs des
DIOCC. Le chef de la Province de Quang Tin a même créé une force de réaction rapide de
216 membres qu’il a mise à la « disposition exclusive » du PIOCC. Les six premières
opérations de cette force ont permis la neutralisation de plus de 70 membres de
l’infrastructure politique VC. Phoenix, qui lors de son lancement en 1967 s’était vu
143 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records Phung Hoang 1968 thru Vietnamization/C/S Letter 1969, Phung Hoang 1969 End of Year
Report, op. cit., p. B-2-5. 144 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
204-57: Quang Nam Correspondence 1969 thru 204-57: Rifle Shot Operations 1969, Memorandum, Subject:
CAP Participation in Phoenix/Phung Hoang Program, College Park, National Archives, NND 974306,
RG#472, Entry: 33104, Box 5.
284
littéralement ignoré par les commandants d’I Corps, faisait dorénavant partie en 1970 des
principales priorités du leadership américain et sud-vietnamien.145 Les nouveaux succès de
Phoenix s’expliquent par l’attention portée à corriger les errements sur les plans de la
discipline et de la coordination évoqués précédemment. Les administrateurs américains ont
entrepris de superviser de plus près la gestion des opérations des coordinateurs de districts
sud-vietnamiens. Diverses rencontres chapeautées par des PIOCC se sont tenues entre les
multiples DIOCC afin de faciliter la coordination des opérations et le partage de
renseignements. Toujours sous l’égide des PIOCC, des inspections régulières des secteurs
d’opérations devaient dorénavant être effectuées par les coordinateurs, assurant ainsi la
bonne marche des opérations. Ce faisant, tout problème rencontré sur le plan de la gestion
des DIOCC était systématiquement rapporté au PIOCC qui veillait à rectifier la situation.
On a également déployé des équipes d’entraînement pour former les opérateurs du
programme et améliorer leurs techniques de ciblage. Des équipes de spécialistes du
renseignement se voyaient aussi détachées aux DIOCC dans le but d’améliorer les
mécanismes de collecte et d’exploitation de renseignement des coordonnateurs sud-
vietnamiens.146
Fort de ces ajustements, Phoenix est devenu une arme redoutable forgée contre
l’infrastructure politique du Viêt-Cong dans l’ensemble de la RVN. À cet effet, l’examen
global des opérations exécutées au sein d’I Corps constitue un exemple probant des succès
du programme Phoenix contre le VCI. Au cours de 1968, 4423 membres de l’infrastructure
politique communiste ont été tués, capturés ou ont fait défection. Sur ce nombre, on comptait
plus de 90% des membres appartenant au PRP ou considérés comme des membres influents
de l’infrastructure. La totalité des pertes communistes représente approximativement 11%
du total du leadership de l’infrastructure VC et environ 16% de l’ensemble du leadership du
PRP d’I Corps.147 Plusieurs indicateurs opérationnels commençaient à esquisser les effets
145 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A (B3): QTRLY. ADV. CONF., SAIGON 1970 thru 1603-03(C): MISC RPTS. 1970 The Phung Hoang
Program in MR-1 is Thriving, College Park, National Archives, NND 974306, RG#472, Entry: 33205, Box 9,
p. 1-2. 146 Ibid., p. 3-5. 147 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division, General Records
285
des offensives de Phoenix sur l’infrastructure VC. Des rapports de renseignement, des
documents communistes saisis et les rapports d’interrogatoires attestaient que dans maints
secteurs, le moral des cadres communistes se trouvait à un niveau « extrêmement bas ». Le
taux de membres de l’infrastructure ayant fait défection via le programme de transfuge Chieu
Hoi a grimpé de 49% au cours de la deuxième moitié de 1968. Les rapports affichaient
également qu’un « nombre significatif de cadres » se trouvaient inhabilité à opérer librement
au sein de leur zone de responsabilité, et ce, même une fois la nuit tombée. Certains cadres
ne parvenaient même plus à pénétrer dans leur zone de responsabilité. De plus, le taux
d’attrition infligé par Phoenix aux membres de l’infrastructure devait forcer les communistes
à déployer de nouveaux jeunes cadres inexpérimentés, totalement dépourvus de l’expertise
de leurs prédécesseurs. Dans plusieurs cas, la situation est devenue si précaire qu’un seul
cadre gérait les responsabilités normalement attribuées à deux ou trois de ses pairs.148 Les
rapports communistes ont également dévoilé que le commandement VC, de plus en plus
tourmenté par les progrès de Phoenix, cherchait désespérément à développer des plans de
contingences pour contrecarrer le programme.
Au nord d’I Corps, les opérations de Phoenix infligeaient suffisamment de
dommages pour que l’infrastructure VC devienne impuissante à contrôler une partie
significative de la population de cette zone. Seules les provinces de Quang Tri et de Thua
Thien ne cumulaient pas de résultats aussi accablants. Les administrateurs américains de
Phoenix attribuaient ce succès aux opérations de cordons et fouille et à la coopération entre
les forces régulières et celles dédiées aux opérations de Phoenix.149 Le commandement du
programme a également constaté que l’impact combiné de Phoenix et des forces régulières
sur l’infrastructure politique du VC a encouragé la population civile à se dissocier de
l’insurrection et à cesser leur collaboration.150 Cette dynamique nous ramène aux notions de
base de Thompson et de Galula; si la population perçoit chez les éléments contre-
insurrectionnels une force supérieure capable d’assurer sa protection et de supplanter les
forces d’insurrection, ces dernières se voyaient vite condamnées à perdre leur assise
204-57: Quang Nam Correspondence 1969 thru 204-57, Phoenix I Corps, College Park, National Archives,
NND 974305, RG# 472, Entry 33104, Box 5. 148 Ibid. 149 Ibid. 150 Ibid.
286
populaire. Une fois de plus, le VC a démontré à quel point il était vulnérable lorsque
confronté à de telles doctrines contre-insurrectionnelles. D’autres documents saisis à
l’ennemi étalaient à quel point le moral des cadres coulait à pic; certains d’entre eux allaient
jusqu’à remettre en doute leur affiliation au système communiste. Des transfuges du VCI ont
avoué la même chose par suite de leur défection via le programme Chieu Hoi.151 À l’automne
de 1968, une nouvelle campagne offensive a été amorcée par le III MAF afin de cibler
spécifiquement l’infrastructure VC. Du 15 octobre au 23 décembre 1968, 3,285 membres de
l’infrastructure ont été annihilés dans I Corps. Les opérations conjointes menées avec les
membres de Phoenix devaient connaître énormément de succès au cours de cette période. À
titre d’exemple, dans les Provinces de Thua Thien et de Quang Nam, plusieurs cadres se sont
vus neutralisés et parallèlement, diverses unités VC ont été militairement battues par les
forces régulières.152 De nombreuses autres opérations de moindre envergure effectuées par
les forces régulières et les éléments de Phoenix se sont tenues dans maints districts. Pour
planifier et exécuter ces opérations, les Marines exploitaient le renseignement et les
ressources fournies par les DIOCC. Ce type d’offensive a abouti sur de « modestes résultats »
si on les compare aux larges campagnes offensives.
Néanmoins, à l’image des CAP, ces missions de petite envergure revêtaient une
« valeur significative » pour les efforts de pacification.153 Le bureau américain de Phoenix
dans I Corps considérait que « l’efficience opérationnelle » de l’infrastructure politique du
VC avait été « sérieusement endommagée ».154 Le rapport introspectif de Phoenix pour la
fin de l’année 1969 jugea les impacts du programme similaires à ceux d’I Corps dans
l’ensemble des Provinces de la RVN. Du 1er janvier au 31 décembre 1969, 19,534 cadres ont
été neutralisés comparativement à 15,776 pour 1968. Le rapport spécifiait que les résultats
de 1969 représentaient « une amélioration significative », considérant que les nouveaux
critères établis pour catégoriser un insurgé comme membre du VCI s’avéraient beaucoup
plus stricts qu’en 1968. Quoiqu’intéressants comme chiffres, ces statistiques n’éveillaient
pas la satisfaction chez les responsables de Phoenix qui, au début de 1969, s’étaient fixés un
151 Ibid. 152 Ibid. 153 Ibid. 154 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 1 Phuong Hoang Division, General Records
204-57: Quang Nam Correspondence 1969 Thru 204-57, Phoenix I Corps, op. cit.
287
objectif de 21,600 cadres neutralisés. Ils attribuaient ce déficit aux six premiers mois moins
productifs de l’année. Nonobstant cela, ces pertes causaient beaucoup de préjudices au VC.
La « qualité des neutralisations » s’est haussée d’un cran aux yeux des leaders du programme
car quantité de cadres capturés ou tués occupaient des positions séniores aux échelons de
districts, de provinces et de régions militaires. Parmi ces cadres de haut niveau, on comptait
21 membres du COSVN. Au total, 21% des cadres neutralisés étaient catégorisés en tant que
leaders et administrateurs séniors, ce qui haussait l’amélioration de 8% comparé à 1968.155
Plusieurs observateurs ont remis en doute les chiffres de Phoenix. L’accumulation de
statistiques pour analyser les progrès de Phoenix s’accordait à ce que le Secrétaire à la
Défense Robert McNamara fixait comme exigences en tant qu’outil d’évaluation pour
l’ensemble du conflit. Toutefois, il était notoire que les forces de sécurité sud-vietnamiennes
prenaient en compte des éléments des forces de combat du VC (et même des civils) afin de
brosser un portrait des statistiques sur les membres neutralisés de l’infrastructure.
Parallèlement, ils ont également catégorisé par erreur des combattants VC qui, dans les faits,
faisaient partie des cadres de l’infrastructure.
Il advenait aussi fréquemment que le VC rapatriait les corps de ses membres pour les
enterrer, une pratique qui empêchait les forces de sécurité de tenir fidèlement à jour leurs
statistiques.156 Tenant compte de telles circonstances, les chiffres ne constituaient pas la
référence la plus exacte, le moment venu d’évaluer les progrès de Phoenix. Néanmoins, bien
que les chiffres ne soient pas exacts à 100%, l’attrition causée par le programme sur
l’infrastructure du VC s’est reflétée par le biais d’une variété d’autres indicateurs déjà
indiqués : le manque de proactivité des cadres dans les secteurs ruraux; leur incapacité à
opérer librement dans leurs zones d’opérations; la nomination de jeunes cadres sans
expérience; l’attribution de tâches à une seule personne, alors qu’en temps normal celles-ci
relevaient de la responsabilité de deux ou trois cadres. Ajoutons à cela le témoignage des
transfuges et les informations très révélatrices de documents communistes commentant les
effets pervers du programme sur l’infrastructure et le moral des troupes. Nous verrons plus
loin comment la Résolution 9 du COSVN, un plan d’action lancé pour contrecarrer les
155 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records Phung Hoang 1968 thru Vietnamization/C/S Letter 1969, Phung Hoang 1969 End of Year
Report, op. cit., p. 7-8. 156 Moyar, Phoenix and the Birds of Prey, op. cit., p. 390.
288
opérations de pacification du CORDS et de Phoenix, accordait beaucoup d’attention à
l’anéantissement du programme. Via Phoenix, les Forces alliées ont désamorcé une large
portion de l’infrastructure politique du VC. Bien que ces répressions aient majoritairement
affecté des cadres d’échelons inférieurs, elles n’en demeuraient pas moins dommageables
pour autant ; les directives des cadres séniors opérant loin des villages ne pouvaient être
exécutées sans la présence des cadres juniors. Mark Moyar cite plusieurs sources
communistes faisant état du très haut degré de dommages à l’infrastructure VC, autant
d’avatars attribués au PRU, aux forces paramilitaires et de police. Ces mêmes sources
communistes rapportent les préjudices engendrés par les opérations des forces
conventionnelles et du RF/PF sur leur gouvernement clandestin. Les communistes peinaient
tellement à remplacer leurs cadres qu’ils se voyaient forcés d’utiliser des Vietnamiens de la
RDVN pour effectuer les tâches jadis dévolues à leur personnel de haut niveau. Or, les Nord-
Vietnamiens n’étant guère familiers avec la population rurale sud-vietnamienne, celle-ci
n’appréciait nullement leur présence dans ses villages, un autre facteur en cause pour
compliquer davantage le travail des nouveaux cadres-substituts.157
La chute drastique des opérations de recrutement au sein des secteurs ruraux de la
RVN s’est révélée un autre indicateur des embûches générées par le programme. Cette
succession d’avaries a entraîné les résultats auxquels on est en droit de s’attendre d’une
campagne de COIN savamment menée selon les règles de l’art ; l’infrastructure politique du
VC échouait à collecter ses taxes, soutirer du renseignement et assurer l’appui logistique
nécessaire à la bonne marche des opérations communistes. Parallèlement, cet état des choses
compliquait la conduite des offensives des unités régulières du NVA qui comptaient
également sur l’appui des cadres communistes.158 Soumis à des interrogatoires, les cadres
ayant choisi la défection ont confirmé les multiples tracas suscités par Phoenix. Le rapport
d’interrogatoire d’un transfuge en novembre 1970 a été particulièrement révélateur. L’ancien
cadre a tout d’abord affirmé qu’il avait été bien traité par les membres de Phoenix qui ont
géré sa défection à travers le programme Chieu Hoi. Le délateur a ensuite précisé que la
situation réelle contrastait grandement, comparé au contenu des lectures de propagande
communiste auxquelles il avait été soumis. Il a renchéri que le VC craignait le programme
157 Ibid., p. 390-391. 158 Ibid., p. 392
289
Phoenix qui s’appliquait à « détruire ses organisations » et entraver l’accès de ses cadres à
la population civile. Conséquemment, l’élimination du programme avait pris beaucoup
d’importance pour le VC. Le transfuge a rapporté qu’en vue d’y arriver, le VC projetait de
cibler les principaux agents du programme et d’isoler les éléments opérant auprès de la
population civile.159 Son témoignage a aussi mis ses interrogateurs au fait que les insurgés,
qui n’avaient pas à traiter avec les villageois, avaient reçu des instructions très précises : les
contacts avec la population leur étaient prohibés car les agents de Phoenix opéraient partout
dans les secteurs ruraux et s’amalgamaient aux civils. L’ancien Viêt-Cong a également
spécifié que les commandants de l’insurrection ont lancé à leurs membres un avertissement
selon lequel Phoenix constituait « une organisation très dangereuse » en lien avec le
programme de pacification.160
La simple instruction formelle d’éviter tout contact avec la population civile
témoigne de l’efficacité du programme Phoenix à entraver la conduite des opérations
insurgées du VC. Rappelons que le leadership de l’insurrection du FLN avait soumis des
instructions similaires à ses troupes qui devaient minimiser leurs opérations dans le district
de Galula en Algérie. D’autres documents saisis soulignent que dans certains cas, les secteurs
d’opérations des cadres étaient tellement dangereux que plusieurs membres de
l’infrastructure ont décidé de se retirer de leur secteur d’opération, préférant exercer leurs
fonctions à distance, dans des secteurs isolés.161D’autres papiers capturés au Cambodge ont
exposé les problèmes engendrés par Phoenix. Dans ces documents, le VC avoue que les
activités du Programme ont été la cause de bien des difficultés et de beaucoup de dommages
encaissés. La situation est devenue telle que le Département de Sécurité du Viêt-Cong a
publié un communiqué classifié « top urgent » qui visait spécifiquement à « ordonner le
159 Records of the United States Forces in South East Asia. Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1602-08: US/GVN Insp. Team Visits, Jul-Dec 1970 thru 1603-03A (A4): Publicity, Preliminary Interrogation
of Hoi-Chanh, College Park, National Archives, NND 974305, RG# 472, Entry 33104, Box 7, p. 2. 160 Ibid. 161 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A: Neutralization Goals 1969 thru 1603-03(A4): Phuong Hoang Publicity 1969, Memorandum for:
Chief of Staff, Subject: Enemy Counteraction to APC, College Park, National Archives, NND 974306,
RG#472, Entry: 33205, Box 2, p. 2.
290
sabotage » de l’organisation de Phoenix.162 Pour parvenir à cette fin, quatre cours d’action
devaient être privilégiés ; d’abord, étudier le mode de fonctionnement du programme
Phoenix et localiser ses agents afin de les assassiner ou de les recruter. Ensuite, chercher à
déployer subversivement des cadres VC au sein de la population afin d’infiltrer les éléments
administratifs de Phoenix qui opéraient dans les centres urbains. Simultanément, ces mêmes
cadres devaient tenter de se glisser insidieusement au sein des milices populaires et des
organisations administratives municipales des villages. Une fois ce résultat atteint ; il fallait
discréditer les administrateurs de Phoenix aux yeux de la population et des organisations
administratives. Enfin, on planifiait d’augmenter les opérations de sécurité de la force
destinées à protéger les cadres contre les agents de Phoenix.163 Un autre rapport communiste
déplorait l’habileté des agents de Phoenix à cibler ses cadres. Le rapport spécifiait aussi que
les membres du personnel de renseignement du Programme incarnaient les « ennemis les
plus dangereux de la Révolution » présents au sein des secteurs ruraux.
Les feuillets communistes renchérissaient, soulignant qu’aucune autre organisation
ne parvenait à leur causer autant de problèmes et de difficultés. Le dirigeant nord-vietnamien
Ho Chi Minh devait lui-même avouer se sentir « bien plus inquiet » des succès américains
contre le VCI que de ceux obtenus contre ses forces régulières.164 1970 prenait un tour
extrêmement précaire pour l’insurrection. De concert avec le CORDS, Phoenix s’affirmait
comme l’un des catalyseurs des déboires opérationnels du VC. Rajoutons à cela l’intrusion
de Forces américaines au Cambodge à l’été de 1970, avec pour mission d’éliminer le réseau
logistique communiste; une initiative qui exacerba davantage les ennuis du VC (voir le
chapitre 5). Il serait difficile de nier l’impact tangible de Phoenix, tout particulièrement si
l’on tient compte des événements lors des négociations de paix entre Hanoï et
Washington. Pendant ces pourparlers à Paris, les représentants communistes ont demandé
162 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
1603-03A: Correspondence – Da Nang City [1 of 3] 1970 thru 1603-03A: Correspondence – Phoenix ICTZ,
Incoming 1970, The VC plot to sabotage the Phung Hoang Plan, College Park, National Archives, NND
974305, RG# 472, Entry 33104, Box 8. 163 Ibid. 164 Finlayson, op. cit., p. 27.
291
aux Américains d’ordonner la cessation de toutes les opérations reliées au programme
Phoenix dans la RVN.165
4.5. La défaite du Viêt-Cong et l’émergence de la guerre conventionnelle du NVA
Le statut d’urgence instauré par la situation opérationnelle et les actions du CORDS
et de Phoenix a incité le COSVN à publier en juillet 1969 la Résolution 9; une liste de
directives à suivre avec pour objectif que les unités insurgées deviennent dorénavant aptes à
contrer les initiatives de pacification du GVN et du MACV. Une copie de la Résolution 9
(classée « secret absolu » par les communistes) a été capturée par les Forces américaines,
permettant ainsi au MACV et au GVN de constater l’effet perturbateur du CORDS et de
l’APC sur les opérations communistes. Dès la lecture des premières lignes de la Résolution
9, il apparait clair que les communistes cherchaient à mettre un bémol sur leurs insuccès. Au
départ, le document ne tarit pas d’éloges envers les régiments communistes alors qu’on y
louange les « glorieux succès » des opérations offensives de la dernière année. On y porte
beaucoup d’attention sur la destruction des Forces américaines afin d’accentuer la pression
domestique des Américains sur Washington.
Mais la poutre maîtresse de la Résolution 9 est sans contredit le programme de
pacification et l’obligation de le contrer par tous les moyens. Une des missions prioritaires
établie par la Résolution consistait en l’initiation d’une offensive majeure visant à vaincre la
stratégie de sécuriser et tenir de l’ennemi, sa politique de pacification et ses positions
défensives.166 La Résolution 9 y allait de cette mention à de multiples reprises au fil des 99
pages du document. Bien que banalisé au début du document, l’APC est spécifiquement ciblé
par les auteurs qui insistent sur la nécessité de le détruire. On y trouve également plusieurs
mentions liées à l’importance de contrecarrer les opérations psychologiques et d’amnistie de
l’adversaire (Chieu Hoi) en plus d’assurer la domination des secteurs ruraux et des lignes de
165 Records of the United States Forces in South East Asia, Military Assistance Command Vietnam (MACV)
Office of Civil Operations for Rural Development Support, MR 2 Phuong Hoang Division, General Records
207-01: Reorganisation 1970 thru 1602-08: GVN INSP. RPTS 1970, Review of the Operational Results and
Recommendation for Reorganizing the Operating System of PH Plan, College Park, National Archives, NND
974306, RG#472, Entry: 33205, Box 5, p. 1. 166 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of
Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents, COSVN Resolution No 9, Carlisle, War College, Folder:
003233-001-0846, p. 1-2, 18.
292
communications contrôlées par l’ennemi.167 À sa façon, le COSVN reconnaît le contrôle
exercé dorénavant par les éléments de sécurité sud-vietnamiennes sur la population civile et
la perte de l’influence des cadres du VC sur cette dernière. Les auteurs de la Résolution 9
spécifient:
“We must annihilate the puppet forces that oppress the people, the cruel
tyrants, the pacification personnel; we must coordinate these activities with
military proselyting activities to break up, bit by bit, the puppet local
forces…”168
Cette simple déclaration démontre que le VC cherchait à revenir aux bases de l’insurrection,
c’est-à-dire gagner l’appui de la population civile et la soustraire à l’influence des forces de
sécurité du gouvernement. Les auteurs insistent également sur la nécessité de coordonner les
opérations insurrectionnelles et conventionnelles qui procuraient tant de succès aux
opérations communistes par le passé :
“The provincial troops, sub-region troops and elements of the main force
must properly apply the principle of troop concentrating and dispersing.
When concentrated, they will wipe out enemy units…when dispersed, they
will support the [revolutionary] movement, motivate the people to rise
up...eradicate pacification agents…disband the civilian self-defence
personnel…seize control of the population…and expand the liberated area.
There should be close coordination between combat and military
proselyting activities.169
L’effort conjugué des unités régulières et contre-insurrectionnelles américaines et
sud-vietnamiennes a suscité la cassure de la synergie tellement nécessaire entre le VC et le
NVA. Cet extrait de la Résolution 9 démontre à quel point il était crucial pour les
communistes de récréer cette synergie. La mention sur les « agents de la pacification » est en
fait une référence aux agents clandestins du programme Phoenix et du RD qui entravaient
sévèrement la liberté d’action et la capacité d’opérer de l’infrastructure politique du VC. À
maintes reprises, les écrits de la Résolution 9 traduisent une volonté primordiale de supprimer
et anéantir les informateurs ennemis, les agents de sécurité et les espions afin de consolider
les zones arrière de l’insurrection.170 Le COSVN déplore le contrôle des forces de sécurité
167 Ibid., p. 27. 168 Ibid., p. 31. 169 Ibid., p. 32. 170 Ibid., p. 62.
293
des secteurs ruraux, des jungles et montagnes avoisinantes. Il prévient également les
membres de l’insurrection que les forces ennemies combineront leurs capacités
conventionnelles et contre-insurrectionnelles en faisant référence aux forces régulières, aux
« commandos » (PRU/Navy SEAL), aux initiatives économiques et aux opérations
psychologiques.171 En bref, la Résolution 9 du COSVN a forcé l’insurrection VC à faire
marche arrière pour revenir à la phase 2 de la doctrine maoïste décrite au chapitre 1, c’est-à-
dire, troquer le plan de campagne offensive générale initié lors du Têt de 1968 pour un statut
de guerre de guérilla et d’opérations subversives. Même le NVA s’est adapté à ce changement
de stratégie; les Américains se sont rendu compte que des bataillons entiers de l’Armée nord-
vietnamienne se voyaient systématiquement subdivisés en petites unités qu’on fusionnait
fréquemment aux unités de guérilla VC. Leur objectif ne tendait plus à affronter les
Américains par le biais d’attaques de divisions mais plutôt d’exécuter des opérations mobiles
de petite envergure qui cibleraient les forces paramilitaires des villages, désormais aux mains
des Forces alliées.172
Bien que le COSVN ait tenté de démontrer son enthousiasme et son esprit positif en
déclamant « la déconfiture des Forces alliées », l’essentiel des directives transmises dans le
document trahissait la situation précaire de l’insurrection VC à l’approche de 1970. Au sein
des rangs communistes, le moral des troupes ne se situait pas non plus à son zénith ; un autre
rapport saisi qui déplorait le nombre croissant de déserteurs au sein des unités VC en 1969
en fait foi. Les dissidents appréhendés ont été expédiés dans des camps de rééducation en
vue de les endoctriner et de les motiver à rejoindre les rangs de l’armée. Néanmoins, le
rapport spécifie que ces efforts se sont avérés inefficaces; la majorité des déserteurs ont refusé
de réintégrer leur unité et ont, ultimement, été renvoyés chez eux. De plus, maints cadres qui
opéraient au sein des pelotons et des compagnies des forces de combat devaient fermement
décliner les ordres de continuer à servir au sein de l’armée, et ce, malgré une succession de
séances d’endoctrinement.
171 Ibid., p. 15. 172 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records Meeting with Gen. LR (JGS) 1969 thru Enemy Incidents 1969 Campaign X and the Mini-
War, College Park, National archive, NND 45603, RG#472, Entry: A1 456, Box 5, p. 3.
294
Les auteurs du rapport attribuent ce phénomène à la pression engendrée par les
combats, la peur de la puissance aérienne et de l’artillerie des Américains ainsi qu’à la
longueur du conflit qui semblait s’éterniser et auquel on ne semblait pas pouvoir prédire de
fin. Ils attribuaient également ces problèmes à la peur qui habitait les soldats à l’idée de
mourir et de ne pas revoir leurs familles.173 Plusieurs soldats, sans pour autant être des
déserteurs, refusaient catégoriquement de joindre les rangs des plus grandes unités de
combat. Des responsables du VC ont cherché à inciter de nouvelles recrues à joindre leurs
rangs en leur offrant de servir dans l’armée pour une période de six mois. Dans certains
secteurs, la moitié des effectifs du VC se sont engagés sous ces termes. Pourtant, cela n’a pas
empêché de nouvelles désertions; une compagnie entière engagée pour six mois a vu avant
peu ses rangs désertés par chacun de ses membres.174 La situation a déclenché maints
problèmes au VC, notamment de plus en plus de difficultés à renouveler les effectifs de ses
régiments.175
Le rapport spécifie également que lors des opérations de search and destroy des
Américains, plusieurs soldats du VC refusaient de combattre, dissimulant leurs armes et se
mêlant à la population civile dans le but de s’échapper. De plus, toujours dans les rapports
capturés, leurs auteurs récriminaient à propos des problèmes de réapprovisionnement du VC;
il y avait pénurie d’armes, de nourriture et de vêtements pour équiper les troupes. On y
trouvait aussi des détails sur la quasi-impossibilité pour les communistes d’acheter quoi que
ce soit dans les marchés ruraux et sur le fait qu’il ne leur restait qu’une infime quantité de
riz. La précarité de le situation atteint un niveau tel que le rapport est allé jusqu’à évoquer le
mot « famine ». On y rapporte que les carences en matière de vêtements et de nourriture
affectaient de façon considérable le moral des troupes. Confrontés à l’incapacité du
leadership VC de leur procurer le minimum vital, une grande quantité de soldats
communistes ont signifié leur volonté de regagner leurs foyers et cultiver leurs terres. Les
chefs communistes évoquaient amèrement l’effet domino engendré par l’attitude négative de
ces soldats qui entraînait quantité de leurs camarades à déserter.176 Les politiciens d’Hanoï
173 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of
Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents It is better to return home and cultivate the land than to
join the Revolutionary Army, Carlisle, War College, Folder: 003233-001-0741, p. 3. 174 Ibid., p. 4. 175 Ibid. 176 Ibid., p. 5.
295
se sont souvent targués de leur ferme disposition à prolonger le conflit aussi longtemps qu’il
le faudrait pour vaincre leur adversaire. Néanmoins, ce n’était pas les leaders communistes
tels Ho Chi Minh, Le Duan et Pham Van Dong qui vivaient l’insoutenable pression
psychologique des combats en première ligne contre les Américains. La longueur du conflit
et l’absence claire de progrès contrastaient grandement avec les grands discours des
politiciens qui haranguaient leurs troupes en leur promettant une victoire finale à portée de
main. Dans ces circonstances, le moral de plusieurs soldats communistes commençait, avec
raison, à flancher. En 1970, les Forces alliées sont parvenues à capturer une copie de la
nouvelle directive du COSVN; la Résolution 14. Tout comme pour la Résolution 9, les
consignes insistaient sur la nécessité de revenir à un concept de guerre de guérilla pour venir
à bout du programme de pacification de l’adversaire. On y stipulait également que les
opérations offensives communistes de l’automne 1969, en plus de manquer d’agressivité,
n’avaient pas été suffisamment soutenues. Le COSVN jetait le blâme sur l’inefficacité,
qualifiée encore plus grande que jadis, de la coordination des opérations entre les forces en
présence (tel que prescrit dans la Résolution 9).
On y déplorait aussi la lenteur des déplacements des forces de guérilla et locales, de
même que le bas niveau de leurs progrès. De plus, la Résolution 14 dénonçait l’échec des
Comités du Parti et des commandants militaires à « vaincre le plan de pacification de
l’ennemi », gagner l’appui de la population civile et d’accentuer la pression des opérations
insurgées dans les secteurs jugés plus vulnérables.177 Les auteurs fustigeaient aussi les cadres
et responsables du Parti qui n’appliquaient pas les directives spécifiquement établies par le
COSVN dans la Résolution 9 pour éliminer le plan de pacification des Alliés. La Résolution
14 évoquait les victoires communistes qualifiées de « limitées » ; malgré maintes difficultés,
l’ennemi avait réussi à atteindre ses objectifs les plus pressants, dont l’instauration du
programme de pacification, tout particulièrement les programmes Phoenix et Chieu Hoi,
ainsi que la formation des forces paramilitaires destinées à protéger les villageois.178 Le
COSVN a confirmé que ces gains leur procuraient beaucoup de difficultés, en plus d’entraver
la bonne marche de leurs opérations. La nouvelle directive réitérait l’importance de la
177 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of
Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents A preliminary report on activities during the 1969
Autumn Campaign, Carlisle, War College, Folder: 003233-001-0741, p. 1. 178 Ibid, p. 1-8-9.
296
destruction du programme de pacification en « renforçant les mouvements de guerre de
guérilla » dans les divers secteurs d’opérations.179 Tout comme pour la Résolution 9, le
COSVN œuvrait à conserver son enthousiasme en établissant le topo de la situation
opérationnelle. Cette stratégie n’a toutefois pas empêché les responsables communistes de
faire porter le blâme à leur personnel pour leur manque de proactivité et leur incapacité à
suivre leurs directives. L’impossibilité pour les forces de guérilla de se déplacer avec aisance
dans les secteurs ruraux, jumelée à leur impuissance de coordonner les opérations de leurs
forces était la résultante des opérations combinées des forces conventionnelles et contre-
insurrectionnelles américaines et sud-vietnamiennes. De 1970 à 1972, les opérations du
CORDS, Phoenix et des Forces régulières alliées continuaient de provoquer l’érosion de ce
qui personnifiait naguère une insurrection communiste des plus dominantes. D’autres
documents saisis démontrent l’ampleur de la perte de contrôle croissante des secteurs ruraux
de la RVN par les communistes. Un membre du Comité de Parti pour la Sous-Région 5 du
VC180 a affirmé que « les forces révolutionnaires » étaient sévèrement éprouvées, une
conséquence de la perte de cadres séniors au sein des districts et des villages, ainsi que du
recrutement anémique de nouvelles recrues.
Le leader VC déplorait également l’incapacité des unités communistes d’obtenir une
victoire majeure. Le Comité de la Sous-Région a admis que leurs forces étaient « pauvres en
qualité et en quantité » et incapables d’établir des contacts avec la population. Le Comité a
également fait état de l’inhabileté des forces de guérilla régulières d’opérer près des secteurs
peuplés et de l’inefficacité des membres locaux de la guérilla à organiser la population de
manière à appuyer les opérations communistes. Le commandement a convenu en ces mots
que les unités armées, les forces locales, les milices et les forces de guérilla communistes
« continuent à subir des pertes » et demeurent « incapables de renouveler leurs effectifs ».
Les groupes politiques visant à endoctriner la population civile ont été étiquetés de
« faibles », de petite envergure et « incompétents ». Le Comité reconnaissait le contrôle
179 Ibid. 180 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of
Significant Viet-Cong/North Vietnamese Documents The Decline of VC Capabilities in Sub-Region 5,
COSVN, in 1969-1970, Carlisle, War College, Folder 003233-001-0741, p. 1-3.
La Sous-Région 5 a été créé en 1967 par le COSVN qui voulait former une « ceinture d’acier » autour de
Saigon en préparation de l’offensive du Têt. Le territoire comprenait des secteurs de la Province de Bien Hoa,
Phuoc Long et de Long Khanh en plus de secteurs localisés dans l’Iron Triangle.
297
exercé par les forces gouvernementales sur la population civile tout en déplorant l’incapacité
des troupes communistes à changer cet état des choses.181 Lorsque le VC a pu initier des
opérations offensives dans la région, le Comité de la Sous-Région les qualifia
d’inconsistantes et les jugea sans impacts. Dans certains secteurs, on estimait « inefficaces »
les contremesures destinées à entraver les initiatives alliées. En revanche, les leaders
communistes considéraient les opérations alliées on ne peut plus efficientes; adoptant une
cadence ininterrompue, elles frappaient constamment les effectifs VC en profondeur, via de
multiples azimuts.182 Le journal personnel d’un commandant du Viêt-Cong datant de la fin
de 1970 expose également les problèmes rencontrés par l’insurrection. Il reconnaît les ennuis
causés par le programme Chieu Hoi qui est parvenu à convaincre des sapeurs VC de joindre
les rangs du GVN. Ces sapeurs ont enseigné leurs tactiques aux Forces alliées qui les
exploitaient contre le VC. Dans son carnet, le commandant VC déplore les difficultés
engendrées par les opérations de ces sapeurs.183
Il y souligne également les effectifs « limités » de ses forces, le fait qu’il ne puisse
obtenir de renforts et les difficultés rencontrées pour contrer les initiatives offensives
américaines. La santé de ses soldats commençait à dépérir; beaucoup sont tombés malades
sans qu’on dispose d’approvisionnement médical pour pallier au problème. De plus, le
commandant a spécifié qu’il ne bénéficiait plus de beaucoup de marge de manœuvre; il
subsistait bien peu de terrain considéré sécuritaire pour permettre à ses troupes de se déplacer
sans risques majeurs. Il témoigne également du peu d’armes à leur disposition alors qu’en
revanche, l’ennemi détenait une puissance de feu « bien supérieure ». Il reconnaît
« l’efficacité » des tactiques adverses mettant ses troupes « en grand danger ». Enfin, le
rapport du commandant expose ses soucis quant à la situation opérationnelle et sa désolation
quant au manque de cadres.184 L’interrogatoire de maints prisonniers de guerre communistes
a révélé sans équivoque à quel point plusieurs soldats du VC et du NVA commençaient à
perdre leurs illusions. Ils ont rapporté que l’incursion américaine au Cambodge (voir le
chapitre 5) a eu un « effet dévastateur »; dès les premières semaines de l’opération, le VC
181 Ibid., 1-2, 6-7. 182 Ibid., p. 3. 183 John Paul Vann Papers, Excerpts from a diary of a VC commander, 17 Dec 1970. Carlisle, War College,
Box 1, Jun-Dec 1970 Folder. 184 Ibid.
298
s’en est trouvé « complètement démoralisé ». Cette pression psychologique ne s’est résorbée
qu’au moment où Washington a annoncé que les opérations militaires américaines au
Cambodge seraient limitées.185 Les prisonniers interrogés ont admis que la destruction des
bases d’opération cambodgiennes a fait très mal à l’insurrection et que si la pression
continuait de s’accentuer, le VC ne serait plus en mesure de poursuivre le combat. Plusieurs
autres ont avoué qu’à ce stade du conflit, si le Viêt-Cong cherchait à lancer une contre-
offensive, l’organisation se verrait « désintégrée ». D’autres sont allés jusqu’à dire que
« l’ARVN avait gagné dans la RVN ».186 Les opérations américaines au Cambodge, lorsque
combinées aux effets de la campagne de pacification du CORDS et du GVN, ont eu comme
conséquence d’entraver encore plus sérieusement la capacité du VC à opérer et à se
réapprovisionner, une réalité qu’on voit dépeinte à maintes reprises lors de l’analyse des
documents communistes. Deux prisonniers du VC ont respectivement déclaré ce qui suit:
“I thought we have come South to take over territory liberated by the [VC]
but now I see nothing but bombing and shelling, death and suffering for the
Army. I can’t see any people in liberated areas”187
“Before being influenced by propaganda, I had the idea the [VC] was
winning everywhere; now with this large-scale operation, I think it over and
I feel I had been misled by propaganda”188
Les exemples susmentionnés ne constituent qu’une fraction des rapports et
témoignages communistes sur les problèmes générés par les opérations contre-
insurrectionnelles américaines et sud-vietnamiennes. Les directives de la Résolution 9 ne
bridaient nullement la capacité des Forces alliées d’augmenter le nombre d’hameaux
sécurisés au sein des secteurs ruraux. Non seulement les initiatives anti-pacification des
communistes n’ont eu aucun effet, mais en plus, leur capacité à opérer et initier des opérations
de guérilla n’a jamais cessé de péricliter. Le CORDS a observé que de 1968 à 1970, les
incidents terroristes reliés au VC n’ont cessé de chuter. Il en est allé de même pour le nombre
185 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records Elections 1971 thru People’s Army 1971. NVA PW’s Taken in Cambodia: May-June 1970
(U), College Park, National archives, NND 45603, RG#472, Entry: A1 456, Box 20, p. i. 186 Ibid., p. 4-5. 187 Ibid., p. 6. 188 Ibid.
299
de victimes civiles tuées, blessées ou enlevées par les insurgés.189 William Colby a expliqué
au nouveau Secrétaire à la Défense, Melvin Laird, que les troupes régulières sont parvenues
à éloigner les larges formations communistes des secteurs ruraux, ce qui représentait un agent
facilitateur en lien avec les progrès continus du programme de pacification. À l’aube de
1970, la plupart des objectifs de pacification visés étaient atteints, ce qui implique 90% de la
population vivant dans des hameaux bénéficiant d’une sécurité acceptable et 50% qui
habitaient des secteurs considérés « complètement sécurisés ».190 Ces progrès ont eu lieu
alors que sous la direction du nouveau Président américain Richard Nixon, les troupes
américaines commençaient à quitter la RVN.191
Le processus de Vietnamisation de la guerre qui verrait l’ARVN prendre le relais des
opérations militaires débutait, ce qui n’a point freiné la continuité des progrès en matière de
pacification. Les Américains attribuaient la poursuite de la montée des succès contre-
insurrectionnels aux efforts des forces paramilitaires et des milices locales chapeautées par
le CORDS. Afin d’assurer la continuité des succès de ces forces de combat, le Secrétaire à la
Défense Laird a approuvé l’adoption d’un budget spécial en soutien à l’augmentation des
effectifs du RF/PF. En 1970, les forces du RF se chiffraient désormais à 253,892 soldats et
celles du PF à 460,437 hommes; les pertes infligées aux forces de guérilla du VC ne cessaient
d’augmenter. De leur côté, les milices locales du PSDF commençaient à causer suffisamment
de problèmes aux VC pour que ces derniers répliquent en faisant de ces forces locales une
cible privilégiée pour l’insurrection.192 En 1970, la conduite des opérations de pacification a
189 Records of the United States Forces in Southeast Asia/Headquarters, Military Assistance Command
Vietnam (MACV) Office of Civil Operations for Rural Development Support Pacification Studies Group,
General Records 1601-10A IV Corps/Phong Dinh/Trip Report 1970 thru 1601-11A Pacification Fact Sheets
1970, Pacification: End-December. College Park, National Archives, NND 994025, RG#472, Box 9, 190 Historical Division joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, Washington, Historical Division Joint Secretariat JCS, 1st July 1970, p. 431-432. 191 Alan Dobson, US Foreign Policy since 1945, Routledge, New York, 2006 (2001), p. 41. Lors de l’élection
de Nixon, celui-ci a concédé que les États-Unis ne pouvaient plus s’ingérer dans tous les conflits internationaux;
le gouvernement souffrait devant les coûts exorbitants de la guerre du Vietnam, de la pression du Congrès et de
l’impatience de la population civile. En 1969, la situation a incité le Président à adopter la « doctrine Nixon »
visant à limiter la projection des Forces militaires américaines dans le globe. Dorénavant, les États-Unis
assureraient la continuation de la dissuasion nucléaire en plus d’honorer leurs engagements en cas de
confrontation non nucléaire. Néanmoins, Washington ne fournirait pas nécessairement les troupes requises pour
repousser une éventuelle agression communiste. 192 Historical Division joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 431-432.
300
suivi les mêmes lignes directrices qu’en 1969. Tous les programmes de COIN ont été
conservés; les Américains et Sud-Vietnamiens travaillaient constamment à les améliorer. En
décembre 1970, 95.1% de la population rurale vivait dans des hameaux avec un degré de
sécurité considéré comme acceptable et 84.6% dans des secteurs « complètement sécurisés ».
Avec le départ des Américains, l’augmentation des effectifs des forces paramilitaires s’est
poursuivie; le PF a atteint le demi-million de soldats et le PSDF comptait près de 4 millions
de membres à la fin de 1971.193 Ces forces, rappelons-le, constituaient la principale ligne de
défense des villageois contre ce qui subsistait du VC. Les rapports communistes
précédemment cités évoquent les problèmes engendrés par les forces paramilitaires sud-
vietnamiennes. Pour leur part, les neutralisations de l’infrastructure politique du VC via le
programme Phoenix allaient grandissantes lors de la deuxième moitié de 1970. Au cours de
cette année, le VC a démontré à quel point il n’exerçait quasi plus de contrôle dans l’ensemble
des secteurs ruraux; on se préparait à tenir de nouvelles élections au sein des hameaux et des
villages de la RVN, dont certains s’apprêtaient à voir leurs habitants voter pour la toute
première fois. Finalement, 2,100 villages et 10,200 hameaux ont pu élire leurs représentants
municipaux, soit 97% des secteurs peuplés de la RVN.194
Jamais le VC n’a été en mesure d’interférer afin d’empêcher la conduite de ces
élections. En juin, des élections provinciales ont également été tenues sans connaître d’heurts
majeurs venant des Viêt-Cong, si ce n’est quelques incidents terroristes sans impacts
concrets.195 En 1971, la situation est devenue suffisamment stabilisée pour que le GVN, dans
le cadre de son plan de sécurité et de développement, désigne les milices locales du PSDF au
rang de principales forces de défense des hameaux et des villages. La population rurale se
trouvait à un stade où elle pouvait se dévouer avec encore plus d’attention à l’amélioration
du quotidien de sa communauté, à devenir une participante active lors des élections et à
contribuer au développement de l’administration publique de ses villages. À cet effet, le
conseiller du CORDS Stephen Young a rapporté que les éléments administratifs des secteurs
ruraux pouvaient désormais, sur tous les plans, s’autogouverner en toute autonomie.196 On
établit également des plans pour augmenter les effectifs de forces de police à 122,000
193 Ibid., p. 441, 444-446. 194 Ibid., p. 448. 195 Ibid. 196 Young, op. cit., p. 222.
301
constables déployables dans les hameaux et les villages. Le plan du GVN, basé sur ses
accomplissements en matière de sécurité rurale, a démontré que Saigon souhaitait dorénavant
porter davantage d’attention aux efforts de nature politique, sociale et économique afin de
consolider son contrôle sur la RVN. Il était aussi de la volonté du gouvernement que l’Armée
sud-vietnamienne se sépare progressivement des opérations de contre-insurrection du
CORDS et du gouvernement pour se concentrer sur la véritable menace qui planait
dorénavant sur la RVN, c’est-à-dire les armées régulières du NVA. En 1971, la liberté
d’action du VC continuait à se voir entravée de manière draconienne; grâce aux opérations
visant l’infrastructure du VCI, les actes de sabotage et terroristes ont périclité de 75% dans
les zones sécurisées et de 50% dans les zones classées moins sécuritaires. Les forces de police
s’apprêtaient à remplacer les troupes paramilitaires des zones sécurisées afin de permettre
leur redéploiement dans les secteurs jugés encore instables.197 Le VC n’avait plus les moyens
de ses ambitions au cœur des secteurs ruraux; les insurgés ne détenaient tout simplement plus
la capacité d’exercer leur coercition du passé pour intimider une population civile qui, de
plus en plus, percevait l’insurrection comme une cause déchue. À ce stade du conflit, le cours
d’eau incarné par la population dans lequel les insurgés frayaient se tarissait de plus en
plus.198
Ainsi confrontée aux opérations contre-insurrectionnelles du CORDS et de Phoenix
sur le long terme, la doctrine insurrectionnelle maoïste s’est effectivement retrouvée échec
et mat. Peu de temps après sa nomination à la Maison-Blanche, le Président Nixon devait
approuver l’embauche de Robert Thompson en tant que son conseiller personnel en matière
de contre-insurrection pour le Vietnam. Alors que l’APC avançait et que les opérations du
CORDS et de Phoenix se trouvaient à la cime de leurs capacités, Thompson s’est montré très
impressionné par les progrès politico-militaires dont il a fait le constat au Vietnam. Lors
d’une visite, il a souligné à quel point le statut en matière de sécurité à Saigon et dans les
secteurs ruraux contrastait comparé à ses séjours précédents. Il a reconnu le contrôle exercé
par le GVN au sein des secteurs ruraux et attribué cette réussite aux opérations de pacification
américano-sud-vietnamiens et à la position très désavantagée dans laquelle s’était retrouvé
le VC. Thompson soutenait qu’une telle situation encouragerait la population civile à appuyer
197 Ibid., p. 222-225. 198 Ibid., p. 193.
302
son gouvernement et les opérations des forces paramilitaires.199 Dans son rapport, Thompson
a confirmé les problèmes rencontrés par le VC, très affligé par ses pertes au combat, la
défection de ses soldats et de ses cadres et par la chute du recrutement. Il a été en mesure
d’observer que dans la Région militaire 5, un secteur où le VC assurait encore un certain
contrôle, le renflouement des effectifs de l’insurrection nécessitait tout de même 20 à 30%
d’éléments du NVA. Dans l’ensemble des autres secteurs de la RVN, l’état des choses prenait
une allure encore plus problématique pour le VC qui devait compter sur un taux d’effectifs
du NVA représentant 70 à 80% des formations insurgées.200 Ceci n’a rien fait pour faciliter
les opérations du VC; les militaires nord-vietnamiens, bien qu’ils soient d’excellents soldats
pour la guerre conventionnelle, se sont montrés très médiocres en termes de troupes de
guérilla. Leur culture différait de celle des Sud-Vietnamiens, ce qui devait créer de nombreux
malaises lorsqu’ils étaient amalgamés au VC sur de longues périodes.
Leur accent différait de celui des sudistes qui s’en moquaient régulièrement. De plus,
contrairement aux VC, les soldats du NVA n’étaient pas familiers avec les secteurs
d’opération. Ils souffraient également du mal du pays et se montraient moins résistants aux
maladies rencontrées au Sud.201 Thompson a lui aussi soulevé les luttes intestines opposant
le NVA et le VC, particularité qu’il attribuait à l’antagonisme entre Vietnamiens nordistes et
sudistes et à la haine éprouvée par la population envers le NVA. Thompson a également
confirmé ces mêmes informations retrouvées au sein de maints documents communistes : le
VC souffrait de problèmes logistiques entravant davantage sa capacité à combattre.202 Malgré
l’assistance du NVA, les Viêt-Cong n’arrivaient pas à renflouer la totalité de leurs effectifs
décimés. Thompson a déclaré que les opérations alliées avaient « presque complètement
éliminé » la menace militaire du Viêt-Cong et que les actions de pacification avaient
« tari leur base de recrutement » au sein de la population civile. Thompson trouvait
remarquable de voir plusieurs unités spécifiques du VC autrefois redoutées, désormais
réduites à des effectifs de moins de 10 hommes. Dans d’autres cas, des unités similaires se
199 Richard M. Nixon. Presidential Material Projects, Sir Robert Thompson (1970) (2of 2) Visit to Vietnam
October28th – November 25th, 1969, College Park, National Archives, Folder 102564-018-0215, p. 1. 200 Ibid., p. 1-2. 201 Murray et Mansoor, op. cit., p. 282. 202 Richard M. Nixon. Presidential Material Projects, Sir Robert Thompson (1970) Visit to Vietnam
October28th – November 25th, 1969, op. cit., p. 2.
303
sont vues simplement dissoutes, cessant complètement d’exister.203 À la demande du
Président Nixon, Thompson est de nouveau parti au Vietnam pour une tournée d’inspection
de plusieurs semaines. Confronté à la réalité de la situation opérationnelle existant au sein de
la RVN en 1971, Thompson a transmis une lettre au Conseiller du Président pour la Sécurité
nationale, Henry Kissinger. Dans cette lettre, Thompson souligne qu’il y avait aux États-Unis
une nette incompréhension de ce qui se passait réellement sur le terrain au Vietnam. À cet
effet, il a mentionné: “There is a great disparity between the situation in South Vietnam and
what many in the U.S. believe it to be. This is no longer a credibility gap but a
“comprehensibility gap””.204 Il est clair qu’en 1971, le VC se trouvait submergé et dominé
par les forces contre-insurrectionnelles américaines et sud-vietnamiennes. Le COSVN n’a eu
d’autres alternatives que de s’appuyer de plus en plus sur le NVA pour être en mesure de
poursuivre son effort de guerre devenu à tout point de vue anémique. Cependant, jamais les
journalistes n’ont exposé cette situation et, comme l’a spécifié Thompson, l’ensemble des
Américains est demeuré dans l’ignorance du statut précaire de l’insurrection VC.
À la fin de 1971, la réelle menace à la survie de la RVN était incontestablement le
NVA. En avril 1972, une offensive majeure a été lancée par les Nord-Vietnamiens dans la
RVN. L’essentiel des troupes de combat américaines ayant quitté le Vietnam, les leaders
militaires communistes ont pris la liberté de conceptualiser un plan d’action strictement
conventionnel. Bien qu’il soit encore présent, le VC, dorénavant majoritairement composé
d’éléments du NVA, n’a joué aucun rôle significatif au cours de cette campagne militaire.
Les divisions du NVA ont attaqué la RVN dans trois secteurs : au nord, via la zone
démilitarisée; dans les plateaux centraux, à partir du Laos et le secteur sud, via le Cambodge
(voir figure la figure 23).205 L’offensive printanière de 1972 a démontré hors de tout doute
que la guerre du Vietnam prenait dorénavant l’allure d’une guerre exclusivement
conventionnelle. Bien que l’envergure de cette offensive ne se compare pas à celle du Têt en
1968, le NVA s’est montré très agressif lors de cette campagne qui s’apparentait davantage
203 Richard M. Nixon, Presidential Material Projects, Sir Robert Thompson (1970) (1 of 2) Report to the
President on South Vietnam, College Park, National Archives, Folder 102564-018-0215, p. 2. 204 Richard M. Nixon, Presidential Material Projects, Sir Robert Thompson (1971) Memorandum for the
President, Subject: Sir Robert Thompson Comments on Vietnam, College Park, National Archives, Folder:
102564-018-0391, p. 1. 205 Young, op. cit., p. 235-236.
304
à une blitzkrieg qu’à une campagne militaire hybride. À partir de la zone démilitarisée, un
total de trois divisions d’infanterie du NVA, appuyées par des régiments blindés équipés de
chars soviétiques T-54 et des régiments d’artillerie armés de canons de 130 millimètres, ont
pris d’assaut les positions de l’ARVN (voir la figure 24).206
Figure 23: L’offensive printanière du NVA dans la RVN207
206 Ibid., p. 236-237. 207 United States Military Academy West Point, « The Spring Offensive ». The Vietnam War, West Point.
https://www.usma.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/vietnam%20war%20map%2033.jpg.
Consulté le 19 novembre 2017.
305
Figure 24: Les offensives conventionnelles du NVA dans la zone démilitarisée208
Du côté sud, trois divisions du NVA, assistées par deux autres divisions
indépendantes, ont respectivement pris d’assaut les provinces de Binh Dinh et d’An Loc,
alors que le reste des forces s’affairait à bloquer tout mouvement des régiments de l’ARVN.
Dans les plateaux centraux, les divisions du NVA ont réussi à prendre le contrôle de trois
districts et tenté, tout comme en 1965, de scinder la RVN en deux. Lors de cette offensive,
Hanoï a déployé les dernières divisions qu’il lui restait.209 L’ARVN a résisté avec
acharnement aux multiples assauts conventionnels du NVA. Ultimement, les Forces sud-
vietnamiennes ont pu tenir leurs positions grâce aux bombardements successifs des B-52 qui
ont annihilé des régiments entiers du NVA. Dans certains secteurs, les B-52 bombardaient
les Nord-Vietnamiens pendant des périodes de 24 heures. Maintes unités du NVA ont pris
panique et se sont enfuies de la zone de bataille. Grâce à l’appui des bombardiers, l’ARVN
208 Ibid. 209 Young, op. cit., p. 238-239.
306
est parvenu à initier plusieurs contre-attaques contre l’Armée nord-vietnamienne qui a vu ses
unités décimées. En juin 1972, les pertes du NVA se chiffraient à 48,000 soldats et 400 chars.
Le général Abrams a déclaré à juste titre que sans l’apport des B-52, il aurait été impossible
d’enrayer l’offensive nord-vietnamienne.210 Afin de neutraliser les unités communistes, les
bombardiers stratégiques américains ont effectué 4759 missions de bombardements dans la
RVN, la RDVN, le Cambodge et le Laos.211 En revanche, Abrams a également souligné que
les B-52 à eux seuls n’auraient pas suffi à la tâche si l’ARVN n’avait pas combattu avec
détermination les divisions du NVA.212 Lors de l’offensive, il a été clair que les efforts de
pacification des dernières années portaient fruit; au cours des combats, l’ensemble des
secteurs ruraux a appuyé le gouvernement. Les forces paramilitaires et les milices de villages
ont tenu tête au NVA qu’ils ont combattu avec beaucoup de succès. L’offensive printanière
d’Hanoi a été remportée par les Sud-Vietnamiens et les Américains. Alors que l’offensive
faisait rage, le MACV retirait 100,000 de ses soldats du Vietnam.
En août 1972, il ne restait plus que 42,000 militaires américains dans la RVN.
L’insurrection communiste était pratiquement vaincue, une invasion conventionnelle multi-
divisionnaire s’était vue repoussée, l’économie sud-vietnamienne se trouvait productive et le
système politique demeurait stable et fonctionnel dans l’ensemble de la RVN.213 Les
hostilités militaires subséquentes à celle de l’offensive printanière n’ont pas impliqué le VC
dont l’impact réel sur le champ de bataille est devenu très sporadique. L’insurrection
communiste, autrefois puissante, ne devait assumer aucun rôle important dans ce qui devait
provoquer la chute de la République du Vietnam. Trois ans ont suffi à Hanoï pour reconstituer
ses forces par suite de la défaite cinglante de 1972. Au printemps de 1975, ce sont les troupes
du NVA, non celles du VC, qui ont de nouveau initié une campagne multi-divisionnaire dans
la RVN. Cette fois, aucun B-52 ne devait porter secours à l’ARVN qui a vu chacun de ses
régiments systématiquement anéantis par les unités conventionnelles communistes. À cet
effet, bien que le Président Gerald Ford ait manifesté la volonté d’ordonner le déploiement
de B-52 pour enrayer l’invasion communiste, le Congrès américain, qui cherchait à
210 Ibid., p. 239. 211 Sorley, Vietnam Chronicles The Abrams Tapes 1968-1972, op. cit., p. 872-873. 212 Young, op. cit., p. 244-245. 213 Ibid., p. 245-246.
307
réaffirmer ses pouvoirs,214 s’opposa à la requête du Président, abandonnant de ce fait la RVN
à son sort.215
4.6. Conclusion
Le présent chapitre a cherché à démontrer qu’à compter de 1966, les dirigeants
politico-militaires américains ont compris la nécessité de converger leur attention sur les
opérations de pacification rurale de la RVN. L’envergure des opérations conventionnelles a
permis d’empêcher la chute de la RVN aux mains des larges formations du VC et du NVA.
Néanmoins, l’incapacité américaine à contrôler les secteurs ruraux et enrayer les opérations
de guérilla de l’insurrection VC a forcé la mise sur pied de nouvelles stratégies qui ont abouti
sur la création du CORDS. Celui-ci regroupait l’ensemble des organisations militaires et
civiles nécessaires à l’application d’opérations de pacification et de contre-insurrection.
Malgré quelques difficultés au début de l’implémentation du programme, les opérations du
CORDS ne devaient pas tarder à porter fruit. La population civile est progressivement
devenue protégée par des forces paramilitaires qui assuraient sa défense et facilitaient la
continuité des opérations civiques et politiques au sein des villages. Quant à l’APC, le
gouvernement à Saigon l’a lancé à la suite de la débâcle du VC lors des offensives du Têt et
du mini-Têt, ce qui a galvanisé la campagne de pacification dans la RVN. Lorsque les troupes
régulières américaines et sud-vietnamiennes ont commencé à opérer de manière synchronisée
avec les forces chargées d’assurer la protection des villages, les opérations du CORDS s’en
sont trouvées renforcées. Les forces régulières, pour leur part, exploitaient le renseignement
collecté par le CORDS et traquaient les larges formations communistes, facilitant ainsi le
214 93rd Congress, H. J. Res. 542. The War Powers Act of 1973-Public Law 93-148 Joint Resolution.
Washington, 1973, p. 555-556. Excédé et frustré de voir ses pouvoirs marginalisés depuis l’adoption de la
Résolution du Golfe de Tonkin en 1964, le Congrès américain vota le War Powers Act en 1973 (aussi appelé
War Powers Resolution). Ce dernier abrogeait la Résolution du Golfe de Tonkin et soulignait que le « jugement
collectif » du Congrès et du Président devrait être appliqué le moment venu d’introduire des éléments militaires
américains dans un secteur hostile. La Résolution indiquait que le pouvoir constitutionnel du Président
d’introduire les Forces armées américaines en terrain hostile nécessiterait trois facteurs : en premier lieu, une
déclaration de guerre. En second lieu, une autorisation spécifique et statutaire (du Congrès) ou une situation
d’urgence nationale engendrée par une attaque contre les États-Unis, ses territoires ou sur ses Forces armées.
Enfin, la Résolution spécifiait que le Président détenait l’autorité de déployer des troupes pour un total de 60
jours. Passé ce délai, si le Congrès n’approuvait point le déploiement, le Président avait l’obligation de rapatrier
ses troupes militaires dans les 30 jours suivants. 215 Robert R. Tomes, US Defense Strategy from Vietnam to Operation Iraqi Freedom, New York, Routledge,
2007, p. 54.
308
travail des forces paramilitaires qui pouvaient combattre les petites forces de guérilla du VC
et traquer les cadres de l’infrastructure politique communiste. À cet effet, le programme
Phoenix a constitué un des plus grands catalyseurs derrière l’éventuelle chute du VC. Les
forces spéciales américaines et du PRU ont infligé des pertes sévères à l’infrastructure
politique communiste qui en est venue à percevoir Phoenix comme la plus grande menace à
sa survie. Le programme infiltrait des agents et des informateurs dans l’ensemble des villages
et secteurs ruraux de la RVN, accentuant la pression sur les cadres communistes
constamment embusqués par les opérateurs de Phoenix. Par leurs efforts combinés aux
opérations du CORDS, Phoenix et l’APC ont ravagé les effectifs de guérilla du VC qui voyait
ses pertes déjà décuplées par suite des offensives du Têt et du mini-Têt. La situation a forcé
le COSVN à publier la Résolution 9 qui ordonnait aux troupes communistes de revenir à un
concept d’opération basé sur un conflit de basse intensité, c’est-à-dire : abandonner les
offensives à grands déploiements et se focaliser sur des opérations subversives destinées à
contrer la principale menace de l’insurrection; le programme de pacification du MACV et du
GVN. De l’aveu même des dirigeants du COSVN, les unités viêt-cong ont fait chou blanc
dans leurs tentatives visant à implanter les directives de la Résolution 9. Les formations de
guérilla se sont avérées incapables de reprendre le contrôle de la population rurale, ont perdu
davantage de territoire aux mains du GVN et se sont retrouvées de plus en plus isolées.
De multiples rapports communistes font état des problèmes engendrés par les
opérations du CORDS, de l’APC et de Phoenix. Ces mêmes documents soulignent
l’incompétence de leaders du VC qui se voyaient forcés de remplacer leurs cadres neutralisés
par des candidats sans expérience. Ces recrues n’osaient pas opérer au sein de leurs zones de
responsabilité et ont fait montre de leur incompétence à fournir l’approvisionnement
nécessaire à leurs troupes. De surcroît, plusieurs de celles-ci refusaient d’opérer en première
ligne, désertant et joignant par milliers les rangs du GVN. Au début des années 1970, le VC,
littéralement vaincu sur le champ de bataille, devait compter sur le NVA pour renouveler ses
effectifs. L’insurrection n’a jamais retrouvé son dynamisme et sa force d’antan ; le NVA a
pris le relais des opérations et l’aspect hybride de la guerre est mort pour faire place à un
conflit strictement conventionnel. L’offensive printanière des communistes a vu le NVA
déployer de multiples divisions qui exploitaient un concept d’opération conventionnel quasi
digne d’une offensive allemande de la Deuxième Guerre mondiale. Le VC, quant à lui, n’a
joué qu’un rôle mineur et s’effaçait de plus en plus. Ultimement, l’insurrection a perdu
309
l’appui de l’ensemble de la population civile qui percevait le Viêt-Cong comme une cause
perdue. Cette même population a montré son appui au GVN en contribuant aux combats
contre les forces conventionnelles du NVA forcées de battre en retraite à la suite des
bombardements successifs des B-52. Les offensives subséquentes et la chute ultime de la
RVN en 1975 devaient de nouveau voir le Viêt-Cong jouer un rôle obscur; le NVA et son
concept d’opération conventionnel ont causé la défaite des Forces sud-vietnamiennes qui,
cette fois, devaient composer sans l’assistance des Américains.
Quoiqu’en disent de nombreux historiens orthodoxes, les Américains et les Sud-
Vietnamiens ont vaincu l’insurrection du Viêt-Cong. En négligeant l’analyse des aspects
micro-tactiques de la guerre présentés au chapitre 2, en limitant l’attention portée aux
opérations de contre-insurrection des CAP et en écartant l’analyse des opérations du CORDS
et de Phoenix à partir de 1969, plusieurs dynamiques hybrides et insurrectionnelles ont
échappé à maints historiens. Maints d’entre eux ont limité la granularité de leur analyse
micro-tactique, se focalisant principalement sur les aspects politico-stratégiques de la guerre,
ce qui les a amenés à déduire à tort que les Américains s’étaient montrés incapables d’enrayer
les opérations insurrectionnelles du Viêt-Cong. Une défaite comme celle encaissée par le VC
ne s’officialise pas à bord d’un cuirassé en présence de généraux et de dignitaires, comme
cela s’est déroulé lors de la défaite japonaise, à la suite de la guerre du Pacifique. D’une part,
jamais le VC n’aurait admis sa défaite. D’autre part, lors de la débandade de l’insurrection,
la guerre s’est poursuivie, mais n’endossait plus les bases d’un conflit hybride, compte tenu
de l’émergence de la guerre conventionnelle du NVA en 1972.
Ainsi, contrairement à ce qui a trop souvent été véhiculé, les Américains se sont
montrés très conscientisés en matière de contre-insurrection pendant la guerre du Vietnam.
Bien qu’il ait été nécessaire de procéder à maints ajustements et que le programme de
pacification ait pris du temps à s’uniformiser sur l’ensemble du théâtre d’opération, les succès
américains en matière de COIN au Vietnam sont indéniables. Avec le CORDS et Phoenix,
ils ont élaboré un concept d’opération contre-insurrectionnel qui embrassait les bases des
doctrines de David Galula et de Robert Thompson. Ce dernier, qui n’avait pourtant aucune
leçon à recevoir de quiconque en matière de COIN, a lui-même reconnu les succès décisifs
des Américains et du gouvernement sud-vietnamien en matière de contre-insurrection, de
même que la neutralisation du Viêt-Cong et de ses capacités à combattre dans l’ensemble de
310
la RVN. Si les Américains ont échoué à provoquer la dislocation des forces conventionnelles
du système militaro-hybride des communistes, il en a été tout autrement de l’insurrection
VC. Cette dernière s’est vue incontestablement disloquée du système hybride de Giap qui en
1972, ne comptait plus que deux éléments pleinement opérationnels; ses forces
conventionnelles et son réseau logistique qui exploitait la Piste Ho Chi Minh.
311
Chapitre V: Le nerf de la guerre communiste : La Piste
Ho Chi Minh
“Amateurs think about tactics, but professionals
think about logistics.”1
-Général Robert H. Barrow,
Commandant de l’USMC, 1979-
1983
“The history of war proves that nine out of ten
times an army has been destroyed because its supply
lines have been cut off…”2
-Général Douglas MacArthur,
US Army, Général de l’Armée
Un des plus grands succès stratégiques des forces communistes du NVA et du VC a
sans contredit été leur sempiternelle habileté à maintenir l’exploitation de leur réseau
logistique terrestre incarné par la Piste Ho Chi Minh. Cette voie assurait l’acheminement de
renforts, d’approvisionnement logistique, d’armes et de munitions infiltrés dans la RVN via
un véritable labyrinthe de pistes longeant le Laos et le Cambodge. Nous avons pu constater
à quel point l’accès aux bases d’opérations communistes localisées au sein de ces deux pays
revêtait un caractère essentiel à la survie de nombreuses formations du VC et du NVA
militairement surclassées par les Américains. Toute la logistique et les ressources médicales
nécessaires à l’emploi de ces troupes transitaient également au moyen de la Piste.
L’approvisionnement de l’ensemble des gigantesques dépôts découverts par les Américains
lors des opérations CEDAR FALL et JUNCTION CITY avait pu se faire grâce au passage
fourni par la Piste. C’est donc dire que cette route constituait le nerf de la guerre pour les
formations communistes; se voir couper l’accès au réseau terrestre rayonnant de la Piste Ho
1 Martin J. Alperen, Foundations of Homeland Security: Law and Policy, Hoboken, Wiley, 2011, p. 447. 2 H.W. Brands, The General vs. the President: MacArthur and Truman at the Brink of Nuclear War, New
York, Anchor, 2017, p. 163.
312
Chi Minh aurait rendu utopique pour le NVA et le VC de conserver son rythme de bataille et
tenir tête aussi longtemps aux Américains.
Figure 25: Le réseau logistique communiste : la Piste Ho Chi Minh3
3 United States Military Academy West Point, « South Vietnam Enemy Situation, Early 1964 », The Vietnam
War, West Point. https://www.westpoint.edu/history/SitePages/Vietnam%20War.aspx, Consulté le 19
novembre 2017.
313
Maints auteurs et analystes, notamment Gregory Banner, John Prados, Tin Bui
(colonel nord-vietnamien à la retraite) et Doan Chuong (directeur de l’Institut des Études
stratégiques à Hanoï), ont postulé dans le sens que bloquer la Piste Ho Chi Minh n’aurait rien
changé à l’issue de la guerre. Pourtant, lorsqu’on analyse le conflit en fonction des
dynamiques exposées dans cette thèse, tout nous amène plutôt à croire qu’un tel cours
d’action aurait provoqué la dislocation du troisième sous-système hybride des communistes,
c’est-à-dire, l’élément d’appui logistique. Pour des raisons obscures, beaucoup
d’observateurs semblent minimiser l’importance du facteur logistique lors de la conduite
d’opérations militaires, particulièrement au Vietnam. Pourtant, sans logistique, le
réapprovisionnement des forces militaires déployées en première ligne est voué à un échec
certain. L’absence de renouvellement de ravitaillement engendre invariablement l’incapacité
de fournir des armes, des munitions, du matériel médical, des rations, des renforts ainsi que
des ressources pétrolifères. Dépourvue de ces éléments essentiels, même la force armée la
mieux entraînée, la mieux équipée et la mieux dirigée se verra sévèrement handicapée et
forcée de limiter ses opérations pour, ultimement, battre en retraite. N’en déplaise à d’aucuns,
cette réalité militaro-stratégique est une règle de base inhérente à l’art de la guerre et les
communistes n’y échappaient pas plus que les autres.
Il suffit de prendre comme exemple l’Afrika Korps du Feld-Maréchal Erwin Rommel
lors de la Deuxième Guerre mondiale. Rommel, bien qu’ayant longtemps disposé d’un
incontestable avantage militaire sur ses adversaires en Afrique du Nord, a perdu une
importante quantité de panzers et de pièces d’artillerie au cours des combats contre les Alliés.
Les systèmes logistiques italiens et allemands ne parvenaient plus à réapprovisionner
adéquatement les forces du Feld-Maréchal; la Royal Navy coulait sans relâche les navires
italiens destinés à réapprovisionner Rommel, via la Méditerranée, en Afrique du Nord. De
son côté, la Luftwaffe rencontrait échec sur échec à dépêcher une quantité suffisante de
pétrole pour les chars qui subsistaient au sein des effectifs de Rommel. Bien qu’il ait reçu
quelques troupes en renfort, ce dernier a été incapable de les équiper ou de leur fournir des
transports, une situation qui originait des opérations d’interdiction des Forces alliées.4 Celles-
ci ont disloqué le système logistique des Forces de l’Axe en Afrique et cela a été suffisant
4 Charles Messenger, Rommel Leadership Lessons from the Desert Fox, New York, Palgrave Macmillan,
2009, p. 128-129.
314
pour acculer Rommel au pied du mur. Cette circonstance a été le prélude d’une retraite
infernale de l’Afrika Korps qui, ultimement, s’est vu contraint d’abandonner le continent
africain. Citons également en exemple la campagne allemande pour envahir l’Union
soviétique dans le cadre de l’opération BARBAROSSA. Lors des premières phases de la
campagne, les forces militaires de la Wehrmacht trônaient, à l’apogée de leur puissance.
Pourtant, l’auteur David Stahel souligne avec justesse que l’aspect logistique a constitué l’un
des principaux « talons d’Achille » des formations allemandes. Les effectifs responsables du
réapprovisionnement de la Wehrmacht se sont avérés insuffisants et peinaient à conserver le
même rythme effréné que les panzers déployés en première ligne. Cette situation, amalgamée
à d’autres facteurs militaro-tactiques, a causé de sérieuses embûches à la bonne marche des
opérations militaires allemandes lors de BARBAROSSA qui, ultimement, s’est soldé par un
échec.5 Dans l’Atlantique, les U-Boat de la Kriegsmarine se sont acharnés pendant des
années à scinder la ligne de réapprovisionnement logistique des Alliés, ne laissant à ces
derniers nulle autre alternative que de développer de savantes contre-mesures en vue de
poursuivre l’acheminement de leurs renforts et leur matériel en Europe. Lors de la guerre de
Corée, les troupes chinoises et nord-coréennes lancées dans des manœuvres de contre-attaque
pour chasser les Américains de la Péninsule se sont montrées militairement moins efficaces,
une fois positionnées à une plus grande distance de la Chine.
Cette particularité trouve également son explication dans un facteur de nature
logistique. Une fois les formations communistes éloignées de la sorte de leurs bases
d’opérations, leur ligne de réapprovisionnement s’étirait dangereusement, perturbant ainsi le
momentum de leurs opérations. Il en a été de même du côté de l’US Army et des Marines.
Préalablement à la retraite américaine du nord de la péninsule, les Chinois et les Nord-
Coréens planifiaient de laisser les Forces alliées s’introduire en profondeur au sein de la
Corée du Nord afin qu’elles élongent leurs lignes de réapprovisionnement et se retrouvent
piégées par la venue de la saison hivernale.6 Cette stratégie a favorisé un changement
draconien du momentum de bataille qui ne devait pas tarder à tourner à l’avantage des unités
communistes. Le général Matthew Ridgway, un des principaux commandants américains lors
5 David Stahel, Operation Barbarossa and Germany’s Defeat in the East, Cambridge, Cambridge University
Press, 2009, p. 127-138. 6 Bruce Cumings, The Korean War: A History, New York, Modern Library, 2010, p. 25.
315
de la guerre de Corée, a souligné à juste titre que « la logistique constitue l’élément clé de
la guerre moderne ».7 À bien des égards, les succès militaires des Américains lors des deux
guerres mondiales, de même que leur habilité à assurer le statu quo pendant la guerre de
Corée, résultent en grande partie de la capacité des États-Unis à exploiter un puit sans fond
de ressources logistiques.8 Au Vietnam, aurait-on pu envisager possible que les Américains
assurent la défense de la RVN si les régiments communistes leur avaient bloqué l’accès à la
majorité des ports et aéroports de l’ensemble du pays? La totalité du dépôt logistique
américain installé au sein de ces sites névralgiques leur permettait de déployer et projeter des
millions de tonnes d’armes, de munitions, de rations, d’éléments pétrolifères, de ressources
médicales, de tentes, de sacs de sable, de vêtements et autres nécessités destinées aux Forces
américaines et sud-vietnamiennes. À cela s’additionnaient les matériaux affectés aux actions
civiques, les chars, les hélicoptères et les pièces d’artillerie, également déployés à partir des
ports et des aéroports de la RVN. Sans oublier les chasseurs de l’USAF basés eux aussi dans
ces aéroports.
Imaginons que les troupes américaines aient été dépourvues d’une large quantité de
ces éléments essentiels à leur effort de guerre; aucune argumentation niant le fait qu’elles
n’auraient jamais été en mesure d’opérer au sein du théâtre d’opération sud-vietnamien ne
saurait tenir. Pourtant, considérons un instant les conclusions de maints journalistes,
analystes et historiens. Si on transpose la réalité militaro-stratégique citée plus haut aux
opérations logistiques de la Piste Ho Chi Minh, il semble qu’étrangement, cette simple
évidence ne s’applique pas aux communistes. Comme si, une fois de plus, d’aucuns semblent
les parer d’une aura d’invincibilité. À l’image de l’élément insurrectionnel, le VC et le NVA
n’affichaient pas plus d’invulnérabilité aux opérations d’interdiction que d’autres armées
soumises aux mêmes types d’offensives sur leurs réseaux logistiques. Bien que la Piste Ho
Chi Minh représentait un couloir de réapprovisionnement fort complexe et savamment
développé, il s’avérait tout de même fort vulnérable. Néanmoins, plusieurs facteurs ont
empêché les Américains de disloquer ce sous-système de la machine de guerre hybride des
formations communistes.
7 Charles R. Shrader, U.S. Military Logistics, 1607-1991: A Research Guide, Westport, Greenwood Press,
1992, p. 3. 8 Ibid.
316
5.1. Le réseau logistique communiste et le fonctionnement de la Piste Ho Chi Minh
Que ce soit contre les Français lors de la guerre d’Indochine ou versus les Américains
au Vietnam, le système logistique des unités communistes a toujours fait figure de priorité
pour eux. En vue de combattre, une énorme quantité d’armes, de munitions, de nourriture et
d’autres nécessités s’avérait indispensable pour permettre aux communistes de tenir tête à
leur adversaire. On enfouissait armes et munitions à l’intérieur de caches tandis que le reste
de l’approvisionnement logistique reposait abondamment sur les taxations imposées à la
population civile. Néanmoins, pour conserver un rythme de bataille capable de soutenir le
tempo des opérations de divisions du NVA contre les Américains, ces deux cours d’action se
sont révélés insuffisants, et ce, même pour des opérations d’intensité moyenne. De telles
campagnes de divisions requéraient des dizaines de milliers de porteurs et autres constituants
logistiques pour s’attacher de près aux pas des forces de combat. En vue de faciliter le
réapprovisionnement de ces forces, les communistes ont déployé un rayonnement de
plusieurs dépôts logistiques majeurs le long des routes exploitées par le NVA et le VC, ainsi
qu’au cœur de bases d’opérations.
La Piste Ho Chi Minh facilitait le déploiement de la logistique qui provenait
habituellement de la RDVN. La préparation d’une offensive des forces du NVA demandait
du temps; il fallait au bas mot de deux à trois mois pour déployer les troupes et les rendre
aptes au combat. Lors des affrontements, ces forces exploitaient de formidables quantités de
munitions et de ressources. La situation dégénérait tant et si bien que les dépôts logistiques
tarissaient à vue d’œil. D’où la nécessité d’acheminer continuellement de nouveaux
ravitaillements pour fournir les troupes en mal de réapprovisionnement.9 En 1954, à la suite
de la guerre d’Indochine, les routes d’infiltrations revêtaient une porosité suffisante pour que
les incursions communistes au sud se fassent directement à partir de la zone démilitarisée.
Le 29 mars 1961, des troupes de l’ARVN ont capturé des documents indiquant que d’octobre
à mars, 1840 communistes ont infiltré la RVN via la zone démilitarisée.10 Au début 1960, il
était également monnaie courante que des unités communistes s’introduisent le plus aisément
du monde dans la RVN via l’océan Pacifique. Le 5 juin 1961, on a capturé sur la plage d’An
9 McCoy, op. cit., p. 51. 10 Michael Lee Lanning et Dan Cragg, Inside the VC and the NVA, New York, Ivy Books, 1992, p. 76.
317
Don cinq cadres communistes en provenance de la RDVN. Un des prisonniers a avoué qu’il
s’agissait de son 17e périple dans la RVN et qu’à chaque passage, il avait convoyé et
acheminé renforts et documents.11 En 1965, alors que les troupes américaines se déployaient
par milliers dans la RVN, la zone démilitarisée devenait plus compliquée à traverser. Les
voies d’accès par la mer, dorénavant patrouillées par les navires et les aéronefs de l’US Navy,
rendaient ce mode d’infiltration beaucoup trop hasardeux. La seule option alors disponible
aux communistes se limitait à la pleine exploitation de la Piste Ho Chi Minh.12 Tant et aussi
longtemps que la Piste demeurerait libre d’accès et dépourvue d’éléments militaires
américains, rien ne freinerait les communistes capables de conserver le momentum nécessaire
pour la continuité des opérations de combat dans la RVN. Bien que le Laos et le Cambodge
soient techniquement des États « neutres » ne prenant pas officiellement le parti d’Hanoï ou
de Saigon, la réalité s’avérait plutôt différente. Le gouvernement du Laos s’est trouvé
confronté au Pathet Lao, un groupe politique et paramilitaire procommuniste qui non
seulement contrôlait une grande partie des secteurs ruraux laotiens, mais bénéficiait aussi de
l’appui et de l’entraînement militaire de la Chine communiste et de la RDVN.13
En août 1960, le gouvernement laotien de droite du général Phoumi a été renversé et
remplacé par un gouvernement « neutraliste » sous la direction de Souvanna Phouma, un
homme d’état pour qui combattre le Pathet Lao ne constituait pas une priorité. Pour tout dire,
Phouma tolérait plutôt les activités de ce groupe à l’intérieur de son territoire. Le général
Phoumi, à qui les États-Unis conservaient leur appui, a éventuellement repris le contrôle du
gouvernement laotien. Ultimement, afin de satisfaire tous les partis en cause, un
gouvernement de coalition « neutre » dirigé par Phouma devait prendre les rênes du
pouvoir.14 Une fois Phouma définitivement installé à la gouvernance, Hanoï s’est senti libre
de continuer à violer le statut de neutralité du Laos; le NVA opérait impunément dans les
campagnes du pays, ce qui facilitait l’exploitation de la Piste Ho Chi Minh localisée à l’est
du territoire. Du côté du Cambodge, le pays se trouvait également dirigé par un gouvernement
« neutraliste » ayant à sa tête le Prince Norodom Sihanouk. À l’époque de Diem, les
11Ibid., p. 76-77. 12 Ibid. 13 Thomas Ahern, Undercover Armies: CIA and Surrogate Warfare in Laos 1961-1973, Washington D.C.,
Central Intelligence Agency, 2006, p. 12-15. 14 Moyar, Triumph Forsaken, op. cit., p. 117.
318
évènements qui se déroulaient au Vietnam sont devenus une source de graves inquiétudes
pour Sihanouk. L’ethnicité différente entre les Khmers cambodgiens, les Thaïlandais et les
Vietnamiens, créait une animosité naturelle parmi ces groupes. L’expansion du conflit
vietnamien, l’implication américaine et l’appui du gouvernement thaïlandais aux États-
Unis15 mettaient Sihanouk mal à l’aise car il craignait de voir le pays « coincé » entre ses
deux ennemis traditionnels : la Thaïlande et le Vietnam.16 Qui plus est, Sihanouk manifestait
un extrême inconfort face à l’assassinat de Diem et soupçonnait les Américains (à raison)
d’avoir trempé dans cette triste affaire. Soucieux de ne pas subir un sort similaire à celui de
Diem, Sihanouk s’est distancé de Washington. Il a limité la présence diplomatique des États-
Unis dans le pays, a annulé tous les programmes d’aide économique de Washington et devait
ordonner le départ de tout le personnel américain y étant associé. Sihanouk ne devait pas
tarder à officiellement annoncer la neutralité de son pays face au conflit vietnamien.
Puis, bien qu’il ait longtemps nié l’avoir fait, Sihanouk a tacitement autorisé les
communistes à opérer au sein du Cambodge. Avec l’initiation de l’opération MARKET
TIME qui a forcé un blocus de la côte sud-vietnamienne par l’US Navy, les communistes ne
pouvaient ravitailler leurs troupes localisées dans les III et IV Corps via l’océan.17 Pour
pallier au problème, Sihanouk a autorisé l’utilisation du port de Sihanoukville afin de faciliter
le déploiement de réapprovisionnement destiné aux communistes qui transitait sur son
territoire. Ce manège devait se poursuivre jusqu’à son renversement en mars 1970.18 Fortes
et enhardies de l’appui non officiel et tacite des gouvernements du Laos et du Cambodge, les
unités communistes ont été capables d’assurer le momentum du réapprovisionnement de leurs
troupes dans la RVN. Afin de préserver cet élan, le NVA et le VC exploitaient les bases d’une
organisation logistique structurée et élaborée. Dans la plupart des cas, le COSVN endossait
15 L’appui de la Thaïlande aux États-Unis s’inscrivait dans le cadre de l’Organisation du traité de l'Asie du Sud-
Est (Southeast Asia Treaty Organization (SEATO) en anglais). Huit pays furent membres de l’Organisation:
les États-Unis, la Grande-Bretagne, la France, l’Australie, le Pakistan, les Philippines, la Nouvelle-Zélande et
la Thaïlande. Il s’agissait globalement d’un pacte de défense, similaire à celui de l’OTAN, qui visait à assurer
la protection de l’Asie du Sud-Est contre toute menace, plus particulièrement celle engendrée par les forces
communistes en Asie. 16 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 212. 17 Ibid., p. 216. 18 Thomas Ahern, CIA’s Estimates of Arms Traffic Through Sihanoukville, Cambodia, During the Vietnam
War, Washington D.C., Center of the Study of Intelligence, 2004, p. xi, 3.
319
la responsabilité de gérer les aspects logistiques de l’effort de guerre du NVA et du VC. Au
total, le COSVN contrôlait trois agences qui régissaient les aspects logistiques : la Section
des aspects financiers et économiques, de même que les Services arrière et la Section
d’approvisionnement des troupes de premières lignes. Les fonctions des trois agences
s’interreliaient et leurs efforts faisaient l’objet d’un contrôle étroit et d’une coordination
constante. La Section des Finances et de l’Économie du COSVN gérait les fonds assurant le
financement de la logistique des opérations militaires.19 Les Services arrière constituaient
une véritable mosaïque d’éléments bureaucratiques baptisés « comités » par les
communistes. Des éléments de ce groupe contrôlaient la logistique d’unités comptant des
effectifs de 300 à 3000 soldats et s’affairaient à appuyer les unités régulières du NVA. Les
Services arrière assuraient la charge des programmes de manufactures, des ateliers de
réparation et des sites médicaux, en plus d’être responsables de l’achat, du transport, de
l’entreposage et de la distribution d’importantes quantités de réapprovisionnement de tout
acabit aux éléments de combat communistes.20
La Section d’approvisionnement pour les troupes de premières lignes avait comme
mission de fournir de nouvelles recrues, des travailleurs civils, de la nourriture, de l’argent
et les installations nécessaires pour la bonne marche des opérations des forces de combat.21
Les travailleurs civils regroupaient des hommes et des femmes conscrits, organisés en
compagnies et en pelotons. Ils convoyaient des munitions et de la nourriture pour les troupes
régulières, évacuaient les soldats blessés, déplaçaient le matériel logistique capturé aux
points de collectes désignés et construisaient dépôts logistiques et positions défensives.22 Les
trois Services de réapprovisionnement logistique du COSVN opéraient à partir de la RDVN,
de la Piste Ho Chi Minh, des bases d’opération de la RVN et des villages des secteurs ruraux
contrôlés par les cadres du VCI. De tous ces secteurs, la Piste était la pièce maîtresse du
système logistique communiste. Originalement appelée « la Route de Truong Son » par les
Nord-Vietnamiens, la Piste Ho Chi Minh a été mise en chantier en avril 1959. Elle était
constitué d’environ 2000 kilomètres de sentiers qui jalonnaient le Laos et le Cambodge pour
19 Ibid., p. 55. 20 Ibid. 21 Ibid., p. 57. 22 Central Intelligence Agency, Memorandum The Vietnamese Communist Will to Persist, Lubbock, Texas
Tech University, Central Intelligence Agency Collection, The Vietnam Center and Archives, Folder 192, Box
14, p. V-10, https://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=04114192001.
320
aboutir dans la RVN. Le Comité central du Parti communiste nord-vietnamien avait alors
pris la décision d’infiltrer clandestinement des milliers de vétérans communistes de la guerre
d’Indochine au sein de la RVN. Dans le but d’introduire un nombre aussi substantiel
d’agents, le Comité central a créé un groupe spécial baptisé « 559e Groupe de Soutien »
ou « Groupe 559 ». De concert avec les services de renseignements nord-vietnamiens, le
Groupe 559 assurait l’entraînement et le déplacement des agents et de leur
approvisionnement logistique à travers ce qui est devenu la Piste Ho Chi Minh.23 Conçu pour
fonctionner malgré le spectre des attaques aériennes américaines, le Groupe 559 constituait
une armée en soi avec des effectifs destinés à atteindre 50,000 troupes subdivisées au sein de
15 unités régimentaires baptisées binh trams (sites de communication et de liaison).24 Chacun
des binh trams se composait d’un régiment commandé par un colonel à qui on attitrait une
zone de responsabilité englobant un tronçon de 24 à 32 kilomètres de la Piste. Leur tâche
consistait à entretenir les sentiers et défendre leur zone de responsabilité des incessants
bombardements de l’USAF et des opérations clandestines des forces spéciales américaines.25
On a mis à la disposition de chacun de ces régiments deux bataillons antiaériens
équipés de canons et de missiles sol-air soviétiques SA-2. L’ordre de bataille des binh trams
comptait également de multiples bataillons d’ingénieurs, de transports, de transmissions, de
sécurité, de soutien médical ainsi qu’une unité chargée des rations.26 La tâche de réparer la
Piste bombardée par les Américains et d’assurer le mouvement continuel des camions et de
l’approvisionnement dépêchés au sud a échu aux ingénieurs des binh trams. Ces derniers se
chargeaient également d’ériger les abris temporaires et les camps de base destinés à abriter
les soldats du NVA qui s’empressaient de gagner le couvert du Laos et du Cambodge à la
suite de leurs combats contre les Américains. À défaut d’être à l’abri des attaques aériennes,
ces bases d’opérations se trouvaient hors de portée des tirs d’artillerie et des unités régulières
américaines.27 Afin de minimiser les pertes encaissées lors des bombardements des B-52, le
NVA camouflait et dispersait ses troupes sur des kilomètres lorsqu’elles bivouaquaient dans
les camps érigés par les binh trams. Cette particularité compliquait le travail des forces
23 John L. Plaster, SOG A Photo History of the Secret Wars, Boulder, Paladin Press, 2000, p. 45-46. 24 Lee et Cragg, op. cit., p. 84. 25 Plaster, op. cit., p. 46. 26 Lee et Cragg, op. cit., p. 84. 27 Ibid., p. 46-47.
321
spéciales américaines dont plusieurs opérateurs ne sont jamais revenus de leur mission au
Laos et au Cambodge, compte tenu que le NVA imbibait littéralement la Piste.28 L’aviation
américaine omniprésente forçait les communistes à effectuer les déplacements des transports
logistiques nuitamment, afin de limiter les chances de détection. Le NVA déployait des
sentinelles à chaque 200 ou 300 mètres tout au long de la route. Avec la complicité des
ténèbres, lorsqu’aucun réacteur de chasseurs bombardiers n’était audible, un coup de feu des
sentinelles annonçait que la route était sécuritaire. Les camions, complètement camouflés par
du feuillage, se déplaçaient généralement par groupes de 100. Sous un ciel dégagé, les
convois se voyaient subdivisés en plus petits groupes. Habituellement, les transports
parcouraient environ une trentaine de kilomètres par nuit. Les chemins empruntés étant
constamment les mêmes, les chauffeurs, une fois familiers avec l’itinéraire, pouvaient
conduire sans même allumer leurs phares.29 Le matériel et les renforts ainsi acheminés par
ces camions permettaient aux unités du NVA et du VC d’initier leurs opérations
divisionnaires ainsi que l’offensive du Têt de 1968.
Les premières infiltrations substantielles ont débuté dès la création de la Piste en 1959
et n’ont cessé de croître au fil des ans. Des documents communistes démontrent qu’à la fin
de 1960, on estimait les forces de combat du VC à 10 bataillons comprenant 5500 soldats qui
allaient renforcir les 30,000 forces locales de guérilla déjà enrôlées dans la RVN. À la fin de
1963, les effectifs réguliers du VC se chiffraient à 35,000 soldats répartis dans 30 bataillons.
Ces forces préalablement localisées dans la RDVN se composaient majoritairement de
vétérans du Vietminh ayant combattu les Français.30 Les documents communistes révèlent
qu’Hanoï a pris la décision de déployer des forces du NVA au sud dès décembre 1963, peu
après la chute du Président Diem. Afin de faciliter le déploiement des troupes régulières, les
ingénieurs du Groupe 559 se sont activés dès 1964 à élargir la Piste Ho Chi Minh. Au mois
d’avril, des unités régulières du NVA préparaient déjà leur déploiement au sud via la Piste,
un fait confirmé par des prisonniers du 95e Régiment du NVA.31 En octobre 1964, les
28 Ibid., p. 47-48. 29 Ibid., p. 49. 30 U.S. Army Military Institute, Vietnam Documents and Research Notes Series, Translation and Analysis of
Significant Viet Cong/North Vietnamese Documents North Vietnam’s Role in the South, Carlisle, War
College, Folder: 003233-001-0499, p. 10. 31 Ibid., p. 12.
322
premières unités tactiques du 95e Régiment quittaient la RDVN, longeaient la Piste pour
infiltrer la RVN. En octobre et décembre 1964, d’autres larges formations du NVA,
notamment les 32e et 101e Régiments, ont emboîté le pas au 95e Régiment. Ces déploiements
ont précédé l’initiation des bombardements américains de la RDVN ayant débuté en février
1965 et le déploiement des premières forces de combat américaines, au mois de mars de la
même année.32 Ce qui précède déconstruit la théorie avancée par tant d’historiens et de
journalistes qui soutient qu’Hanoï avait déployé ses forces régulières du NVA au sud en
réponse au déploiement massif des Forces américaines dans la RVN. Entre novembre 1964
et la fin de 1965, 10 régiments du NVA subdivisés en 30 bataillons infiltraient la RVN par
le truchement de la Piste Ho Chi Minh. À la fin de 1965, le NVA constituait environ 30% du
total des unités communistes opérant dans la RVN; en 1966, au moins 55,000 et possiblement
86,000 troupes nord-vietnamiennes infiltraient la RVN. La figure 26 illustre les pénétrations
mensuelles des soldats communistes dans la RVN pour 1966 et 1967. Les chiffres classés
« accepté » proviennent du renseignement fourni par au moins deux prisonniers de guerre ou
transfuges des unités communistes. Le renseignement peut également provenir de documents
capturés ou d’une combinaison des deux sources d’informations. Les chiffres catégorisés
« possible » proviennent d’autres estimations de la CIA qui ne découlent pas nécessairement
de documents ou de transfuges.
32 Ibid.
323
Figure 26 : : Infiltrations mensuelles des forces communistes en 1966 et 196733
Ces chiffres suffisent à exposer le potentiel stratégique de la Piste Ho Chi Minh en
tant que voie de passage pour acheminer la grande majorité de ces troupes. En 1968, 44,000
troupes du NVA se sont introduites dans la RDV.34 Au cours de cette même année, lors de
l’offensive du Têt, 84,000 membres des unités communistes ont exploité la Piste pour
s’expansionner dans la RVN. En 1969, 100,000 troupes du NVA opéraient au sein de la
RVN.35 En 1970, 48,400 troupes supplémentaires se sont infiltrées au sud, via la Piste. De
1960 à 1970, vu d’une perspective globale, on a estimé le nombre de soldats communistes
déployés dans la RVN à environ 700,000.36 Considérant la taille des effectifs positionnés,
l’approvisionnement de l’ensemble de ces troupes constituait un défi titanesque. La CIA a
catalogué les besoins logistiques communistes en cinq classes. La classe 1 représentait le
ravitaillement en nourriture, la classe 2 les armes, la classe 3 les éléments pétrolifères, la
33 Central Intelligence Agency, Capabilities of the Vietnamese Communists for Fighting in South Vietnam, 13
November 1967, Lubbock, Texas Tech University, Central Intelligence Collection, The Vietnam Center and
Archive, Folder 152, Box 12, p. 7. https://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=04112152001. 34 Robert Gillespie, Black Ops Vietnam, Annapolis, Naval Institute Press, 2011, p. 142. 35 Lee et Cragg, op. cit., p. 77. 36 Sorley, Vietnam Chronicles The Abrams Tapes, op. cit., p. 452-453.
324
classe 4 englobait le réapprovisionnement en vêtements, ressources médicales, transports,
équipements de transmissions et ingénieurs et enfin, la classe 5 classifiait le renouvellement
des munitions.37 La figure 27 illustre les besoins logistiques quotidiens des formations
communistes par classe et sources d’approvisionnement (interne (RVN) et externe (RDVN))
à la mi-1966.
Figure 27: Besoins logistiques quotidiens des forces du VC et du NVA en 196638
37 Central Intelligence Agency, Memorandum The Vietnamese Communist Will to Persist, op. cit., p. V-13. 38 Ibid., p. V-13-V-14.
325
D’une part, le graphique illustre à quel point le volet relatif à la contre-insurrection
revêtait un caractère névralgique au sein de la RVN. Les besoins en termes de nourriture
(classe 1) prenaient des proportions gigantesques avec un total de 118 tonnes courtes
réquisitionnées (236,000 livres). Ces victuailles trouvaient quasi exclusivement leur source
à l’interne, c’est-à-dire dans les secteurs ruraux de la RVN et les villages. Ceci explique
clairement l’impératif primaire de séparer la population civile des insurgés et d’initier des
opérations de déni de nourriture comme celle menée par GOLDEN FLEECE. D’autre part,
le graphique illustre à quel point la grande majorité de l’approvisionnement en armes (classe
2) et en munitions (classe 5) dépendait de sources externes qui tiraient aussi profit de la Piste
Ho Chi Minh pour convoyer leur matériel dans la RVN.
Une quantité significative d’armes soviétiques, du Bloc de l’Est et de la Chine
communiste était infiltrée dans la RVN à partir de la RDVN et de la Piste Ho Chi Minh. Déjà,
en janvier 1966, environ 30% des forces de combat du VC étaient partiellement équipées
avec les versions chinoises d’armes automatiques Kalachnikov. Des mortiers et divers
modèles de canons sont venus gonfler cet arsenal.39 Afin de faire passer l’ensemble de ces
armes à ce qui représentait en 1966 environ 280,000 troupes communistes, il a été nécessaire
d’élargir davantage la Piste Ho Chi Minh en partance du Laos. Bien que les sentiers de la
Piste se rendaient jusqu’au Cambodge, le Laos recelait l’essentiel des routes et sentiers
permettant d’acheminer renforts et réapprovisionnement dans la RVN. Au cours de la saison
sèche de 1965, 6000 tonnes d’éléments de réapprovisionnement ont défilé sur les sentiers du
Laos. Lors de la saison sèche de 1966, 15,100 des 17,000 tonnes d’éléments logistiques ont
également transité par le Laos. La figure 28 met en évidence les nombreuses routes et artères
de la Piste Ho Chi Minh au Laos.40
39 Ibid., p. V-14-V-15. 40 Central Intelligence Agency, Memorandum The Vietnamese Communist Will to Persist, op. cit., p. I-16-I-
17.
326
Figure 28: Le réseau routier de la Piste Ho Chi Minh au Laos41
41 Ibid., p. I-19-I-20.
327
Bien que le Laos constituait un terrain névralgique pour le réapprovisionnement des
éléments communistes, le Cambodge faisait également figure de zone géographique
stratégique pour les opérations logistiques du VC et du NVA. Sous l’approbation du Prince
Norodom Sihanouk, la ville portuaire de Sihanoukville est devenue le point d’entrée principal
du Cambodge pour l’acheminement d’armes et de munitions. En 1969, le général Abrams a
reçu l’information que depuis 1966, on suspectait 34 navires de manœuvres de déchargement
d’approvisionnement au bénéfice des régiments communistes. Les Américains ont obtenu
des renseignements encore plus détaillés sur 12 de ces navires qui transportaient d’énormes
cargaisons de munitions. De novembre 1966 à octobre 1968, ces navires ont débardé 12,000
tonnes de matériaux, un chiffre aisément susceptible de doubler si l’on tient compte du fret
des autres cargos.42 Ces chargements d’armes provenaient de l’Union soviétique et de la
Chine communiste qui, pour justifier leurs actes, alléguaient fournir cet armement au
gouvernement cambodgien. Néanmoins, cette décharge revêtait une nature très improbable;
de fait, la Defense Intelligence Agency (DIA) américaine a supputé que l’usage de munitions
par l’Armée cambodgienne se chiffrait autour de 350 à 450 tonnes par année.43
On se trouvait bien loin du compte, considérant les 14,000 tonnes de munitions
dépêchées par les gouvernements chinois et soviétique. Il aurait fallu beaucoup de candeur
pour croire qu’elles demeuraient entre les seules mains du gouvernement cambodgien. La
DIA a signalé que moult prisonniers de guerre, transfuges et agents ont confirmé qu’un flot
important d’armes a été dépêché dans la RVN via le Cambodge, et ce, avec l’assentiment
tacite de politiciens cambodgiens. Cet approvisionnement quittait Sihanoukville, puis on
l’entreposait au sein des bases d’opérations localisées près de la frontière de la RVN. La part
du lion des armes et munitions utilisées par les communistes au sein des III Corps, IV Corps
et possiblement du II Corps, provenait en grande partie du Cambodge.44 À cet effet, la Piste
demeurait névralgique; les sentiers du Laos convergeaient jusqu’au Cambodge et donnaient
un accès direct aux principales bases d’opérations et à la RVN (voir la figure 29). Nonobstant
cela, la CIA a évalué dans un rapport destiné au Conseiller à la Sécurité nationale Henry
Kissinger, que les routes du Laos endossaient « un rôle beaucoup plus important » pour le
42 Sorley, The Abrams Tape, op. cit., p. 94. 43 Ibid. 44 Ibid., p. 94-95.
328
réapprovisionnement de l’adversaire.45 Dans leur globalité, les secteurs géographiques
laotiens et cambodgiens constituaient des secteurs clés pour les communistes et leur système
de réapprovisionnement.
Figure 29: Principales bases d’opération communistes au Cambodge46
45 Ahern, CIA’s Estimates of Arms Traffic Through Sihanoukville, Cambodia, During the Vietnam War, op.
cit., p. 19-20. 46 Central Intelligence Agency, Capabilities of the Vietnamese Communists for Fighting in South Vietnam, op.
cit., p. 14.
329
5.2. Les contre-mesures américaines pour bloquer la Piste Ho Chi Minh
La principale contre-mesure des Américains afin de couper le flot de renforts et
d’approvisionnement logistique aux unités communistes a pris la forme d’une exploitation
de bombardements aériens soutenus. À l’abri de leur neutralité, le Laos et le Cambodge se
dressaient comme autant de secteurs géographiques prohibés pour les Forces terrestres
américaines, ce qui n’empêchait toutefois d’aucune façon les communistes d’y opérer en
toute impunité. Néanmoins, les Américains violaient également cette prétendue neutralité en
initiant plusieurs opérations militaires clandestines qui demeurent encore aujourd’hui très
classifiées par le Pentagone. Les forces spéciales du Studies Obversation Group (SOG)
opéraient subversivement dans les campagnes du Laos et du Cambodge afin de traquer les
formations communistes et guider les bombardements des chasseurs et des B-52 de l’USAF.
Le SOG se composait essentiellement de Green Berets, de Navy SEAL, de Commandos de
l’USAF, opérant également aux côtés de Montagnards et de forces spéciales sud-
vietnamiennes.47 Mis à part l’incursion des Forces régulières américaines au Cambodge en
1970, les opérateurs du SOG ont été les seules forces militaires terrestres américaines
autorisées (quoique non officiellement) par Washington à opérer au sein des frontières
laotiennes, cambodgiennes et nord-vietnamiennes.
Les opérations du SOG soulevaient suffisamment d’inquiétude chez les dirigeants
communistes pour qu’ils ordonnent le développement d’opérations de contre-espionnage
spécifiquement conçues pour contrer les opérateurs du SOG.48 Toutefois, Washington
comptait beaucoup plus sur son aviation que sur ses forces spéciales pour enrayer l’utilisation
du réseau logistique communiste. Dès décembre 1964, l’aviation américaine initiait
l’opération BARREL ROLL qui consistait à bombarder des routes d’infiltration à l’intérieur
du Laos. Au cours des premiers mois de 1965, le Président Johnson a ordonné que l’on
accentue les bombardements de manière à couper définitivement l’accès des réseaux
d’infiltration laotiens ouvrant l’accès à la RVN.49 Cependant, les Américains ont rapidement
compris que les bombardements n’avaient pas les effets escomptés. Lors de l’esquisse de son
plan d’opération, le général Westmoreland a envisagé de déployer la 1st Cavalry Division en
Thaïlande pour qu’elle positionne ses troupes à travers le réseau logistique au Laos et ainsi
47 Plaster, op. cit., p. 18. 48 Richard Shultz, The Secret War Against Hanoi, New York. Perennial, 2000, p. xvii, 49. 49 Ahern, Undercover Armies: CIA and Surrogate Warfare in Laos 1961-1973, op. cit., p. 213, 216.
330
bloquer l’accès des unités communistes à la Piste Ho Chi Minh. Le général William Depuy
souligne que le MACV a bel et bien initié les préparatifs et la coordination de ce déploiement
de la 1st Cavalry Division. Toutefois, le Département d’État s’est opposé à ce plan.
Westmoreland insistait : il pouvait déployer un corps complet de troupes directement sur la
Piste et forcer ainsi les communistes à livrer combat aux Américains pour préserver l’accès
à leur précieux réseau de réapprovisionnement. Ce plan, qui aurait nécessité plus de troupes,
a également été refusé.50 Dans ses mémoires, le commandant du MACV a confié :
I contemplated moving into Laos to cut and block the infiltration routes of
the Ho Chi Minh Trail, and in 1966 and 1967 my staff prepared detailed
plans for such an operation. I recognized that blocking the trail would
require at least a corps-size force of three divisions, and I would be unable
for a long time to spare that many troops from the critical fight within South
Vietnam.51
Même si Westmoreland avait bénéficié de plus de troupes en 1966 et 1967,
Washington ne se serait pas montré plus enclin à acquiescer à la requête du commandant du
MACV. Un général américain a mentionné avec ironie qu’en 1968, alors que le MACV
disposait de suffisamment de troupes pour initier une telle opération, le « climat politique »
qui sévissait aux États-Unis (pression politico-civile post-Têt) n’aurait pas permis
l’enclenchement d’une telle campagne au Laos.52 Bien que cela ne se soit jamais produit, le
déploiement de troupes conventionnelles américaines au Laos aurait été militairement
avantageux. Malgré qu’aucune analyse militaro-tactique ne soit généralement offerte,
plusieurs observateurs, dont Mark Atwood Lawrence, ont conclu qu’étendre le conflit au
Laos et au Cambodge n’aurait mené à rien. Plus précisément, Atwood Lawrence souligne
qu’aucune initiative américaine n’aurait pu enrayer le flot logistique communiste via la Piste.
Il mentionne que l’essentiel de l’approvisionnement en nourriture provenait de la population
civile sud-vietnamienne, ce qui est corroboré par les statistiques présentées à la figure 27. Il
mentionne également qu’une partie de l’approvisionnement provenait de l’océan et du
Cambodge.53 Néanmoins, Atwood Lawrence néglige de mentionner que les navires et les
aéronefs de l’US Navy patrouillaient activement les secteurs côtiers sud-vietnamiens. Il
50 Brownlee et Mullen, op. cit., p. 133, 162. 51 Combat Studies Institute, Selected Papers of General William E. Depuy, Fort Leavenworth, Training and
Doctrine Command (TRADOC), 1973, p. 350. 52 Ibid. 53 Mark Atwood Lawrence, The Vietnam War: A Concise International History, Oxford, Oxford University
Press, 2010, p. 100.
331
aurait été tout simplement impensable de réapprovisionner les communistes par voie
maritime tout en espérant conserver le même rythme effréné d’opérations offensives. De
plus, l’auteur ne fait nulle mention du plan de Westmoreland (décrit dans les prochaines
pages) qui prévoyait déployer quatre divisions pour bloquer la Piste au Laos. Bien
qu’Atwood Lawrence soit justifié d’affirmer que le Cambodge et le port de Sihanoukville
constituaient des secteurs de réapprovisionnement clés, la Piste Ho Chi Minh au Laos
demeurait le véritable nerf de la guerre communiste avec sa proximité à la RDVN. La Piste
incarnait un véritable oléoduc logistique qui ne pouvait s’interrompre sans avoir de sérieuses
répercussions opérationnelles pour le VC et le NVA. Il aurait été purement utopique de voir
les communistes faire passer leur corridor de réapprovisionnement à travers quatre divisions
ennemies déployées en positions défensives renforcées.54 Celles-ci se seraient vues appuyées
par des chars, des blindés, de l’artillerie, de l’infanterie, des ingénieurs, des chasseurs, des
B-52, des barbelés, des zones d’abatage, des champs de mines, des forces mobiles de contre-
attaque et un terrain géographique fort complexe. Un déploiement d’une telle envergure du
MACV sur la Piste aurait forcé Hanoï à faire de cette zone névralgique son effort de guerre
principal.
Paradoxalement, une fois déployées dans un tel environnement au Laos, les Forces
militaires américaines se seraient retrouvées dans leur élément. La tactique de bloquer les
lignes de communications logistiques d’une armée comme celle du NVA relève de doctrines
classiques de guerres conventionnelles parfaitement maîtrisées par les éléments militaires
américains. Le blocage de la Piste Ho Chi Minh n’aurait pas nécessité de programmes
complexes de contre-insurrection, de pacification ou de contacts constants avec la population
civile pour la séparer des insurgés. Ce qu’exige habituellement en partie la conduite
54 Notons que quatre divisions renforcées, telles qu’elles étaient configurées par l’US Army lors de la guerre du
Vietnam, constituaient une force avoisinant les 100,000 soldats (moins d’un cinquième du total de troupes
américaines déployées au Vietnam en 1968). En termes de guerre conventionnelle, le ratio minimum nécessaire
pour attaquer de front une position défensive est de trois pour un. En conséquence, pour espérer effectuer une
percée, il aurait fallu un minimum de 300,000 soldats communistes pour initier un assaut contre une telle
position, ce qui représente près de la moitié du total des troupes qui ont été déployées dans la RVN via la Piste
Ho Chi Minh entre 1960 et 1970 (tel que mentionné plus haut). Qui plus est, il aurait été impératif pour les
communistes de garder la Piste opérationnelle advenant une percée, mission qui se serait avérée militairement
irréalisable dans de telles circonstances. Rappelons que deux divisions de 20,000 soldats du NVA, appuyées
par de l’artillerie et des chars, ont été incapables de saisir une base isolée et en terrain ouvert de seulement 5000
Marines à Khe Sanh lors de l’offensive du Têt.
332
d’opérations militaires conventionnelles des forces en présence, c’est l’initiation d’opérations
d’interdiction visant à entraver l’accès des forces adverses à leurs ressources logistiques.
Dans cette optique, la requête de Westmoreland de déployer de larges effectifs au Laos pour
effectuer des opérations défensives et de blocage trouvait toute sa justification. En fait, le
commandant du MACV aurait été taxé de négligence s’il n’avait pas cherché à étendre une
portion de ses effectifs au Laos. Dès 1961, on envisageait de déployer une force de
l’Organisation des Nations Unies de cinq divisions le long de la zone démilitarisée et du
Laos. L’idée a perduré jusqu’en 1964, puis mise au rancart, compte tenu de contraintes
politiques et logistiques.55 Westmoreland et son état-major ont échafaudé d’autres plans pour
enrayer l’exploitation de la Piste. Le plan original consistait à déployer la 1st Cavalry Division
au Laos mentionné précédemment. Le deuxième projet conceptualisé en 1968, baptisé EL
PASO I, prévoyait de répandre deux divisions américaines et de l’ARVN à partir de la zone
démilitarisée pour capturer le secteur de Tchepone au Laos, une zone clé pour les
communistes. Simultanément, une quatrième division américaine se serait déployée de la
Thaïlande à l’Ouest pour faire jonction avec les trois autres divisions à Tchepone. C’est à ce
moment que les forces militaires thaïlandaises se seraient étendues à leur tour pour aller
combattre les unités nord-vietnamiennes au sud du Laos. On a baptisé le troisième plan EL
PASO II; une réplique exacte d’EL PASO I mais dotée d’effectifs moindres.56
Un autre plan a été soumis par le général Bruce Palmer de l’US Army: déployer un
total de 5 divisions (deux américaines, deux sud-coréennes et une sud-vietnamienne) le long
de la zone démilitarisée et trois autres divisions le long de la frontière laotienne jusqu’à la
Thaïlande. Palmer prévoyait aussi l’envoi d’une division américaine supplémentaire dans le
but de stabiliser la situation au sein des hauts-plateaux centraux et la région de Saigon. Les
divisions des Marines dans I Corps auraient joué le rôle de réserve stratégique pour la zone
démilitarisée, en plus de poser une menace de débarquement amphibie pour la RDVN,
forçant ainsi le NVA à initier des opérations de défenses côtières.57 Palmer affirmait que ce
concept stratégique aurait permis aux Forces alliées de combattre les communistes sur le
terrain de leur choix et forcé le NVA à confronter directement les Américains, Sud-Coréens
55 William Westmoreland, A Soldier Reports, New York, Garden City, Doubleday, 1976, p. 137, 154. 56 Ibid., p. 330-331. 57 Harry G. Summers, American Strategy in Vietnam: A Critical Analysis, Mineola, Dover Publications Inc.,
2007 (1983), p. 76.
333
et Sud-Vietnamiens pour être à même d’infiltrer leurs forces dans la RVN. Palmer renchérit
en ajoutant que le VC se serait ainsi vu privé d’une grande partie du soutien nécessaire pour
opérer. Sans oublier que le répit opérationnel, ultimement, engendré par ce concept
d’opération aurait invariablement facilité la relance des efforts socio-économiques et
politiques de la RVN.58 De surcroît, si cette stratégie avait été adoptée, la conduite
d’opération de search and destroy se serait trouvée fortement diminuée, restreignant de ce
fait les dommages collatéraux et les pertes américaines dans la RVN. Advenant l’adoption
des concepts d’opération d’EL PASO I et II ou encore de celui du général Palmer, le NVA
n’aurait pas tardé à s’enliser dans une situation très précaire. Dans le chapitre 2, nous avons
constaté que, bien que très résilient, le NVA se révélait inapte, sauf pour une brève période,
à rivaliser avec les Américains à qui une puissance de feu immensément supérieure conférait,
ultimement, l’avantage. Lorsque la pression exercée par les Américains devenait intenable,
le NVA brisait le contact pour se réfugier au Laos ou au Cambodge. Si de tels combats se
seraient produits en plein Laos, on peut prédire que le NVA n’aurait guère été en mesure de
performer différemment contre les Américains; fidèles à leurs habitudes, les unités
communistes auraient combattu avec acharnement mais se seraient en définitive vues forcées
de battre en retraite dans la RDVN.
La doctrine militaire conventionnelle américaine aurait alors dicté aux formations de
combat de l’US Army d’initier la construction de positions défensives renforcées par des
éléments de réserves ou des forces de réaction rapide habilitées à initier des contre-attaques
lors d’une tentative d’assaut des formations communistes sur les positions de défense.
L’épaulement de l’artillerie et un appui aérien qui auraient maximisé l’attrition des éléments
offensifs communistes seraient venus renforcer les troupes défensives. Advenant leur
déploiement dans un contexte de bataille classique tel que celui ci-haut cité, les Forces
militaires américaines auraient alors inévitablement nagé dans leur zone de confort. Quant
aux unités communistes et à leur Piste, la seule voie de contournement possible se serait
trouvée à l’ouest du Laos et à travers la Thaïlande. D’ailleurs, ce scénario d’action n’aurait
pu être envisagé par Hanoï, considérant le niveau de gravité de potentielles répercussions
politiques. Bien que le Laos et le Cambodge toléraient tacitement la présence communiste
sur leur territoire, cette situation aurait endossé un caractère dramatiquement différent
58 Ibid.
334
advenant la pénétration du NVA en Thaïlande, un allié de Washington.59 D’autre part, bien
que la Piste Ho Chi Minh soit camouflée par les jungles très denses de l’est du Laos, il en
aurait été tout autrement à l’ouest du pays ou sur le territoire est de la Thaïlande; des secteurs
dépourvus de couverts naturels, constitués de terrain plats, sans oublier la Rivière du Mékong
qui séparait le Laos de la Thaïlande.60 Dans de telles circonstances, les bombardements des
B-52 auraient causé des pertes catastrophiques aux convois logistiques communistes. Nous
avons vu au chapitre 4 qu’en dépit du flot constant de renforts et de logistique communiste
dans la RVN, l’insurrection VC était destinée à se faire éventuellement neutraliser par les
Américains et les Sud-Vietnamiens. On ne peut qu’imaginer l’impact dramatique d’un
déploiement de divisions américaines au Laos sur les Viêt-Cong dans la RVN. Acculés au
fond de cette impasse, nul doute que les communistes auraient tenté de maximiser
l’exploitation de leur réapprovisionnement via le Cambodge. Dans de telles circonstances,
établir un blocus naval pour interdire l’accès aux ports cambodgiens se serait avéré nécessaire
pour enrayer le flot de réapprovisionnement communiste.
Ce plan, nous le verrons plus loin, a été proposé par le Pentagone au Président Nixon.
Néanmoins, du fait que les navires de réapprovisionnement soient soviétiques et chinois,
Washington, usant de prudence, devait mettre au rancart ce plan de contingence. Ainsi,
malgré les multiples requêtes et protestations de Westmoreland, l’effort principal des
opérations militaires avec pour cible la Piste Ho Chi Minh devrait demeurer l’exploitation
des éléments aériens américains et du SOG. Pour toute sa puissance, l’USAF a peiné à freiner
la chaîne logistique communiste. L’opération ROLLING THUNDER, pendant laquelle
l’aviation américaine a bombardé la RDVN, cumulait pour objectifs de décourager Hanoï
d’appuyer l’effort de guerre des unités communistes dans la RDV et de briser la chaîne
logistique qui s’étendait du nord jusqu’au sud. Après deux ans de bombardements intensifs,
la RDVN a, contre toute attente, réussi à continuer de réapprovisionner les troupes
communistes au sud. Un rapport de la CIA expose que l’appui militaire de l’Union soviétique
et de la Chine a favorisé la résilience des dirigeants nord-vietnamiens.
59 Gregory Banner, The War For The Ho Chi Minh Trail, Fort Leavenworth, US Army Command and
General Staff College, 1993, p. 89. 60 Ibid.
335
Grâce à ses alliés communistes, Hanoï a pu tirer parti de suffisamment de canons
antiaériens, de missiles sol-air SA-2, de Mig et de radars sophistiqués pour compliquer la
conduite des opérations d’interdiction de l’USAF. La CIA a également fait ressortir que la
Corée du Nord commençait à fournir des aviateurs en appui aux Nord-Vietnamiens.61 Dans
ses rapports, la CIA note que les bombardements n’altéraient en aucune façon la volonté
d’Hanoï de prodiguer son appui à l’effort de guerre du VC. En fait, les leaders communistes
qualifiaient de « tolérables » les dommages économiques résultant des bombardements.62
Afin d’optimiser l’effet de ses bombardements, Washington a entrepris d’exploiter une des
armes les plus redoutables de son arsenal militaire: le bombardier stratégique B-52. Dans
cette visée, le Pentagone a initié dès 1965 une mission aérienne de longue durée baptisée
Opération ARC LIGHT (voir l’annexe 9). Cette campagne spécifique aux B-52 impliquait
d’exploiter les bombardiers pour appuyer les opérations militaires du MACV en Asie du Sud-
Est.63
En 1968, une campagne aérienne appelée COMMANDO HUNT mettant en scène des
chasseurs bombardiers de l’USAF a également été lancée pour bombarder des cibles au
Laos.64 Les pilonnages des B-52, en plus de viscéralement terroriser les communistes, ont
été à l’origine de sérieuses séquelles psychologiques chez les soldats du NVA et du VC. Les
Viêt-Cong sillonnaient la Piste, conscients de l’épée de Damoclès perpétuellement suspendue
au-dessus de leur tête. Truong Nhu Tang, un transfuge majeur du Viêt-Cong, a rapporté
qu’aucune difficulté ou privation ne saurait surclasser la terreur psychologique suscitée par
les bombardements des B-52.65 Au fil de leurs opérations aériennes en Asie du Sud-Est, les
Américains ont largué plus du triple de tonnage de bombes (3 millions de tonnes) de ce qui
a été largué sur la totalité des divers théâtres d’opération de la Deuxième Guerre mondiale.66
Tang a précisé que même à un kilomètre de distance, l’onde de choc d’un bombardement de
B-52 suffisait à rendre inconscient et à déchirer littéralement les tympans des soldats
61 Central Intelligence Agency, Research Report Memorandum for the Director, Subject: The War in Vietnam,
Washington, Central Intelligence Agency, 1967, ProQuest Folder: 002734-004-0001, p. 19. 62 Ibid., p. 19-20. 63 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1960-1968 Part III, op. cit., p. 52-19. 64 Gillespie, op. cit., p. 153. 65 Truong Nhu Tang, A Viet Cong Memoir, New York, Vintage Books, 1986, p. 167. 66 Gillespie, op. cit., p. 170.
336
communistes, parmi lesquels plusieurs sont devenus sourds à perpétuité. Une distance d’un
demi kilomètre suffisait pour que s’effondrent les murs d’un bunker renforcé, enterrant
vivants les soldats qui s’y réfugiaient.67 Les cratères des bombes pouvaient atteindre jusqu’à
30 pieds de largeur et frôler les 30 pieds de profondeur. Pendant les pires campagnes
aériennes, les communistes subissaient des bombardements quotidiens, et ce, pendant des
semaines successives. Tang a raconté qu’une délégation soviétique s’est fait surprendre par
un bombardement de B-52 au cours d’une visite. Bien que personne ne se soit fait tuer à cette
occasion, les membres de la délégation en ont littéralement mouillé leurs pantalons et
chevrotaient, agités de « tremblements incontrôlés ». Tang a souligné que le temps et
l’habitude aidant, les vétérans ont appris à subir ces interminables largages avec fatalisme;
les membres du VC et du NVA se sont « résignés » et acceptaient qu’à tout moment, ils
étaient susceptibles d’aller « rejoindre leurs ancêtres ».68 Bien que les bombardements ont
résulté en de nombreux morts et blessés, Tang a mentionné qu’aucun leader militaire ou civil
d’importance n’a été tué entre 1968 et 1970. De fait, il arrivait couramment que les
communistes soient avertis à l’avance des bombardements des B-52.
Lorsque les bombardiers décollaient de leurs bases d’Okinawa et de Guam, les
Soviétiques, à l’affut de leurs déplacements, identifiaient leur azimut, de même que leur
vitesse de croisière. Le renseignement soviétique relayait ensuite les données recueillies au
COSVN qui informait les unités potentiellement ciblées par les bombardements afin qu’elles
se déplacent perpendiculairement à la trajectoire anticipée des B-52. Pour leur part, les
bombardiers décollant de la Thaïlande se faisaient détecter par les radars nord-vietnamiens
qui, en cascade, relayaient les mêmes informations à leurs troupes. Bien que ces
avertissements permettent la fuite de plusieurs unités communistes, leurs bases d’opération
et leurs dépôts logistiques se faisaient parfois complètement anéantir par les B-52. Tang a
témoigné qu’à leur retour, un champ de cratères remplaçait ce qu’ils appelaient jadis « leur
domicile » (voir l’annexe 10).69 Malgré la terreur inspirée par les B-52, les soldats du NVA
et du VC ont fait montre de beaucoup de résilience. À titre d’exemple, un transfuge a relaté
que seulement 40 hommes de son bataillon de 440 soldats ciblés par une attaque de B-52 ont
67 Tang, op. cit., p. 167. 68 Ibid., p. 168, 171. 69 Ibid., p. 168.
337
survécu au bombardement. Malgré le profond choc engendré par cette hécatombe
apocalyptique, les 40 survivants se sont ressaisis avec promptitude, allant jusqu’à initier une
embuscade contre un convoi adverse.70 Bien que les bombardements soient la cause
d’importantes pertes chez le VC et au NVA, ils se sont avérés très insuffisants pour empêcher
le flot de renforts et de logistique au sud. La CIA a estimé que les troupes nord-vietnamiennes
qui circulaient sur la Piste pour infiltrer la RVN via le Laos en 1966 ont perdu 10 à 20% de
leurs effectifs, mais la plupart de ces estimations penchent davantage du côté du 10% que du
20%. Qui plus est, on a attribué 80% de ces pertes à la malaria et aux autres périls risqués
lors d’une traversée aussi périlleuse dans la jungle. En somme, la CIA a évalué à moins de
10% les pertes communistes attribuables aux attaques aériennes. Néanmoins, ces statistiques
ne comptabilisent pas les désertions massives déclenchées par les bombardements
américains.71 Les attaques aériennes obligeaient les communistes à minimiser l’utilisation
des camions, astreignant ainsi leurs troupes à marcher. Comme autres stratégies
d’ajustements pour parer aux bombardements américains, les communistes ont dû maximiser
les déplacements nocturnes afin de restreindre toute détection et éviter de concentrer les
troupes pour prévenir le plus possible des pertes massives. Immanquablement, tous ces
retournements retardaient le déploiement de forces fraîches au sein de la RVN.72
Des documents saisis ont mis à jour la crainte des communistes face aux dommages
potentiels susceptibles d’être infligés à leurs troupes et à leurs installations par les B-52. Le
VC a dû à maintes reprises relocaliser ses bases d’opérations permanentes pour limiter les
dommages attribuables aux bombardements. La pression exercée par les B-52 a été telle que
le VC a considéré infiltrer des éléments de ses quartiers-généraux au sein de secteurs de
population afin de se protéger des attaques incessantes des bombardiers américains.73 Du
côté du MACV, l’année 1967 n’a en rien amélioré la situation. À prime abord, 90,000 soldats
du NVA ont réussi à traverser le Laos pour pénétrer dans la RDV. Puis, au cours de cette
même année, le colonel communiste Dong Sy Nguyen, nommé au commandement du
Groupe 559, devait déployer de nouveaux QG avancés au Laos, près de la Vallée de l’A Shau
où devait se tenir la bataille d’Hamburger Hill deux ans plus tard. Le renseignement
70 Sorley, Vietnam Chronicles, op. cit., p. 401. 71 Central Intelligence Agency, Research Report. Memorandum, Subject: North Vietnamese Infiltration
Losses, Washington, Central Intelligence Agency, 1967, ProQuest Folder: 002734-005-0001. 72 Ibid. 73 Papers of William C. Westmoreland, #1 History File, 29 Aug-24 Oct 65, op. cit. (PQ 003223-005-0663).
338
américain a évalué à 5372 le nombre de camions affairés à transporter la logistique
communiste au Laos. Le Groupe 559 n’a eu de cesse d’améliorer et d’agrandir la piste qui
s’est rapidement transformée en un enchevêtrement encore plus complexe de sentiers de
tailles multiples destinés à s’étendre progressivement sur des centaines de kilomètres. Malgré
les interventions des B-52, le Groupe 559 devait réussir à construire 2959 kilomètres de
sentiers praticables pour les véhicules : 275 kilomètres de routes principales, 822 kilomètres
de chemins de connexion, 576 kilomètres de voies de contournement et 450 routes d’entrées
et secteurs d’entreposage.74 Le Groupe 559 est allé jusqu’à créer une nouvelle route passant
par la zone démilitarisée, permettant ainsi à plusieurs régiments du NVA de s’infiltrer dans
la RVN en utilisant cette voie d’accès.75 Nonobstant ces progressions du côté communiste,
l’USAF estimait qu’elle causait d’importantes pertes à leurs forces et à leurs transports
logistiques. Entre novembre 1967 et janvier 1968, les aviateurs ont localisé 15,441 camions,
en ont attaqué un peu moins de la moitié pour en neutraliser un total de 1646. Le Secrétaire
à la Défense Robert McNamara, plus sceptique, estimait qu’à peine 2% des véhicules avaient
été neutralisés par les bombardements aériens. De bien maigres résultats pour ainsi dire. De
plus, sans que les Américains soupçonnent quoi que ce soit, les communistes ont pu procéder
au déplacement de 81,000 tonnes de réapprovisionnement destinées aux offensives à venir.76
Désireux de maximiser la précision des bombardements, les Américains ont essaimé
des centaines de capteurs au Laos et dans la RDVN; des dispositifs technologiques capables
de détecter les mouvements des véhicules et des troupes communistes et de cibler leurs routes
de prédilection. Lesdits capteurs ont été propagés par la voie des airs ou au sol (via les
opérateurs du SOG). Néanmoins, considérant la taille des secteurs géographiques à couvrir,
un déploiement satisfaisant de capteurs demeurait trop complexe pour que le système soit
adéquatement efficace et exploité à fond par les Américains.77 Pour bloquer les infiltrations
communistes, Robert McNamara a également conçu le dessein de créer une barrière le long
de la zone démilitarisée. Dans cette optique, le Pentagone a initié le programme anti-
74 Gillespie, op. cit., p. 109. 75 Central Intelligence Agency, Research Report A Record of North Vietnamese Infiltration, Washington,
Central Intelligence Agency, 1966, ProQuest Folder: 002734-003-0715, p. 4-5. 76 Gillespie, op. cit., p. 110. 77 Central Intelligence Agency, Research Report Detection of Infiltration During a Cease Fire in Vietnam,
Washington, Central Intelligence Agency, 1968, ProQuest Folder: 002734-006-0428, p. 12-13.
339
infiltration DUEL BLADE par lequel on projetait d’ériger une ligne défensive entrecoupée
de capteurs et de places fortes le long de la frontière avec la RDVN, jusqu’à la côte et l’océan
Pacifique. Bien que le projet soit enclenché, des difficultés devaient surgir à profusion pour
compléter la construction des infrastructures qui se trouvaient constamment sujettes aux tirs
d’artillerie et de mortier des Nord-Vietnamiens. Lorsque le siège de la base des Marines de
Khe Sanh a débuté pendant l’offensive du Têt, on a suspendu cette construction.78 DUMP
TRUCK, un nouveau projet de barrière et de capteurs destinés à guider les attaques aériennes
et détecter les infiltrations en provenance du Laos, a été enclenché dans le secteur de la zone
démilitarisée. Ces capteurs, très utiles le moment venu de détecter le flot des forces du NVA
qui attaquaient la base de Khe Sanh, facilitaient également la détection des mouvements
communistes dans la Valée de l’A Shau. À l’été de 1968, la campagne aérienne au Laos et
dans la RDVN continuait à prendre de l’ampleur; en juillet, les missions aériennes effectuées
contre les communistes se chiffraient à 14,647, un fort contraste avec la moyenne atteinte
lors des mois précédents, soit 9149 missions mensuelles. De juillet à septembre 1968, 38,334
missions aériennes ont été lancées, comparé aux 27,447 frappes des trois mois précédents.
En moyenne, les sentiers de la Piste Ho Chi Minh au Laos se sont fait bombarder 4,596 fois
par mois.79
Malgré ces pilonnages, le NVA a réussi l’infiltration de plus de 30,000 soldats par
mois, de juin à août 1968. En juin, le MACV estimait que les effectifs des formations
communistes présentes dans la RVN se chiffraient à 215,000 soldats, faible contraste en fait
si on compare aux 222,000 hommes qui y opéraient en 1965. La CIA a toutefois observé
qu’en 1965, le NVA formait seulement 26% du total des troupes déployées alors qu’en 1968,
ce chiffre tripla presque avec 70%. La qualité des soldats déployés allait également déclinant,
selon les observations de la CIA.80 Ces tendances statistiques démontrent que l’attrition
causée par les Américains sur le VC et le NVA se révélait tout de même, jusqu’à un certain
point, efficace. Néanmoins, les chiffres exposent aussi on ne peut plus clairement l’incapacité
d’entraver le flot de forces fraîches dans la RVN et la réalité à l’effet que les bombardements
ne suffisaient pas à enrayer le système de réapprovisionnement humain et matériel des
78 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1960-1968 Part III, op. cit., p. 52-16. 79 Ibid., p. 52-17-52-18. 80 Ibid., p. 52-18.
340
communistes. En 1969, on a largué plus de 433,000 tonnes de bombes sur l’est et le sud du
Laos. Sur une base quotidienne, plus de 500 avions de chasse américains ont multiplié les
missions de bombardement dans le ciel laotien.81 En 1970, l’USAF estimait que ses aviateurs
avaient réussi à neutraliser 31,954 des 66,196 tonnes d’approvisionnement logistique
communiste sur la Piste Ho Chi Minh. On a également évalué que 15,226 tonnes de ces
apports logistiques ayant été consommées pendant le déplacement des troupes, seulement
28.6% du total de l’approvisionnement original a atteint sa destination dans la RVN.
Néanmoins, à l’image de McNamara auparavant, les analystes de la CIA et de la DIA se
montraient plutôt sceptiques une fois mis au fait des statistiques de l’USAF qu’ils jugeaient
trop optimistes. Les deux agences de renseignement américaines ont scindé de 75% les
supputations statistiques de l’USAF.82 En ce qui a trait au Cambodge, il a fallu attendre
l’avènement au pouvoir de Richard Nixon pour que les Américains y initient des opérations
de bombardements. Dès le jour de son inauguration, Nixon a demandé qu’on lui soumette
des options pour bloquer l’acheminement de réapprovisionnement logistique adverse en
provenance du Cambodge.
Le commandant du Joint Chief of Staff, le général Earle Wheeler, a immédiatement
proposé le blocus naval des ports pour empêcher l’acheminement de réapprovisionnement
sino-soviétique via le port de Sihanoukville. Wheeler a également conseillé la conduite de
bombardements similaires à ceux effectués au Laos. Ultimement, Nixon a approuvé
l’initiation de missions de bombardements de B-52 pour cibler les bases d’opération du
COSVN le long de la frontière du Cambodge et de la RVN. Fort de l’approbation
présidentielle, on a initié l’opération MENU, nom de code de la mission de bombardement
des B-52 au Cambodge.83 MENU a été subdivisée en cinq phases principales :
BREAKFAST, LUNCH, DINNER, SUPPER et SNACK. BREAKFAST prévoyait un total
de 68 sorties de B-52 contre un secteur géographique cambodgien surnommé « The Fish
Hook », situé dans le secteur de la Base 352, limitrophe aux Provinces de Kien Tuong et Hau
Nghia. La Base 352 était un important dépôt logistique en plus d’une base d’opération
majeure du COSVN et des unités communistes au Cambodge. Avec LUNCH, on prévoyait
81 Gillespie, op. cit., p. 170. 82 Ibid. 83 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 218-220.
341
que les B-52 effectuent 32 sorties dans le secteur tri-frontalier du Cambodge, du Laos et de
la RVN.84 Cette zone abritait la Base 609 qui recélait aussi un autre complexe logistique
majeur. Des éléments du Groupe 559, des agents de renseignement, des officiers de
logistique, le 40e Régiment d’artillerie et 1500 soldats du NVA y opéraient. La Route 110 en
provenance du Laos passait par ce secteur très fréquenté par les transports communistes qui
convoyaient hommes et matériel dans II Corps.85 DINNER projetait en termes d’actions 54
autres sorties au-dessus du Fish Hook.86 Quant à SUPPER, l’opération consistait en un total
de 36 bombardements de la Base 740 située à l’ouest des Provinces de Quang Duc et de
Darlac. Enfin, SNACK réservait à l’ennemi 47 sorties sur la Base 351, située au nord-ouest
de la Province de Phuong Long (voir la figure 29).87 Bien que les rapports des opérateurs du
SOG déployés au Cambodge pour évaluer les dommages de MENU annonçaient que les B-
52 ont infligé des dommages significatifs, ces avaries ne revêtaient pas un caractère
généralisé. Par exemple, un complexe majeur a été frappé lors de BREAKFAST mais sans
que le COSVN soit neutralisé. Toute les bombes ont atteint leur cible; il y a eu de multiples
explosions secondaires, 35 bunkers et 11 huttes ont été détruits lors de BREAKFAST.
Néanmoins, plusieurs tranchées, tunnels et positions antiaériennes sont demeurés intacts.88
Lors d’une des sorties de DINNER, 159 bunkers et 70 structures ont été détruits. Tout comme
lors de BREAKFAST, une quantité d’infrastructures sont demeurées intactes; 83 bunkers, 60
entrées de tunnels, 55 tranchées et 30 positions aériennes restaient opérationnels.89 Lors de
84 Richard M. Nixon National Security Files, Breakfast. Memorandum for the Secretary of Defense, 21 April
1969, Subject: B-52 Strikes Against Targets in Cambodia (TS), College Park, National Archives, Richard M.
Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p. 1. 85 Richard M. Nixon National Security Files, Breakfast. Memorandum for the Secretary of Defense, 11 April
1969, Subject: Authority for B-52 Strikes Against Targets in Cambodia (TS), College Park, National Archives,
Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p. 1. 86 Richard M. Nixon National Security Files, Dinner. Memorandum Operation Dinner, College Park,
National Archives, Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p.
1. 87 Richard M. Nixon National Security Files, Supper, Memorandum for the President, Subject: B-52
Operation in Cambodia, College Park, National Archives, Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject
Files 1969-1974, Section B, Box 3, p.1. 88 Richard M. Nixon National Security Files, Breakfast. Memorandum for the President, 14 August 1969,
Subject: Bomb Damage Assessment From Operation Dessert Alpha and Breakfast Delta (TS), College Park,
National Archives, Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p.
3. 89 Richard M. Nixon National Security Files, Dinner. Memorandum Subject: B-52 Strikes in Cambodia, 26
August 1969, College Park, National Archives, Richard M. Nixon Security Files Vietnam: Subject Files 1969-
1974, Section B, Box 3, p. 2-3.
342
SUPPER, on a rapporté la destruction de quelques bunkers et entrées de tunnels, sans aucun
dommage observé sur le personnel et les véhicules au sol. Pour sa part, SNACK a abouti sur
la destruction de 13 structures, un nombre indéterminé de bunkers, et maintes entrées
souterraines.90 En gros, voilà ce à quoi se résumaient les dommages de l’opération MENU;
les B-52 ont largué un total de 108,823 tonnes de bombes sur les bases d’opérations
communistes. La mission de bombardement a perduré pendant 14 mois supplémentaires où
les bombardiers ont effectué un total de 3875 sorties.91 Bien que l’opération a causé des
dommages, tout comme au Laos, ce n’était nullement suffisant pour enrayer le flot
d’approvisionnement communiste dans la RVN. Malgré la violence des bombardements, il
était courant qu’une partie des forces du NVA demeure opérationnelle à la suite des diverses
phases de MENU, un fait appelé à être démontré plus loin lors de l’analyse des opérations du
SOG au Cambodge. L’absence de troupes régulières terrestres au sol a exposé les limites
imposées par une campagne qui reposait, quasi strictement, sur l’exploitation de bombardiers
stratégiques.
Six ans de bombardements sur les pistes du Laos et du Cambodge n’ont pas suffi à
enrayer le flot d’approvisionnement communiste dans les quatre Corps de la RVN. Alors que
les bombardements s’intensifiaient, les infiltrations du NVA allaient en progressant. Les
régiments communistes se mouvaient au Cambodge malgré l’intensité des attaques
aériennes. Il advenait fréquemment que des troupes régulières américaines déployées le long
de la frontière avec le Cambodge repéraient des convois entiers des unités communistes
cahotant à l’intérieur de secteurs cambodgiens, zones auxquelles leur gouvernement leur
interdisait l’accès.92 Une situation excessivement frustrante pour les militaires américains
contraints d’opérer dans des conditions aussi restrictives. Pourtant mis au fait de l’impasse,
Washington s’obstinait à empêcher toute intervention pour scinder les lignes de
communications logistiques communistes à l’aide de divisions conventionnelles. De leur
côté, les tentatives en vue d’affliger le réseau logistique communiste dans la RDVN ne
90 Richard M. Nixon National Security Files, Supper. Memorandum for the President. Subject: Bomb Damage
Assessment on B-52 Operations in Cambodia, 22 August 1969, Park, National Archives, Richard M. Nixon
Security Files Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p.4-5. 91 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 221. 92 Murray et Mansoor, op. cit., p. 280.
343
connaissaient guère plus de succès qu’en 1965, à l’époque de l’initiation de ROLLING
THUNDER. En 1972, à la suite de frustrantes négociations qui stagnaient avec Hanoï, les
Américains ont mis en marche l’opération LINEBACKER où pour la première fois, les B-
52 ont bombardé des cibles directement dans la RDVN. Entre le 9 mai et le 15 juin 1972, le
Vietnam du Nord a été soumis à 14,621 missions de bombardements aériens et 836 attaques
navales.93 LINEBACKER II devait prendre le relais au mois de décembre suivant avec ce
que l’on a surnommé the Christmas Bombing. À première vue, les résultats généraux de
LINEBACKER ont paru des plus positifs : les lignes de chemins de fer nord-est et nord-ouest
en provenance de la Chine qui assuraient le réapprovisionnement des Nord-Vietnamiens se
sont fait détruire et condamner. De plus, des routes de trafic destinées aux transports
logistiques communistes dans la RDVN ont aussi été ravagées, forçant l’utilisation de routes
alternatives et de traversiers. Enfin, on estime qu’environ 1100 barges servant de transports
logistiques se sont fait neutraliser. Dans l’ensemble ces bombardements ont
considérablement réduit la capacité des troupes communistes à exploiter leurs lignes de
communication pour déplacer leur réapprovisionnement.94 Sans compter que les
bombardements infligeaient de très sévères dommages aux réseaux électriques et aux dépôts
de pétrole nord-vietnamiens. En effet, les réserves de pétrole communistes déclinaient
dramatiquement, chutant de 103,000 à 40,000 tonnes métriques.95
Quant aux centrales électriques de Lang Chi et de Uong Bi qui pourvoyaient plus de
40% des besoins totaux en énergie électrique de la RDVN, elles ont nécessité des réparations
extensives. La majorité des centrales industrielles du pays sont devenues inhabilitées à opérer
à leur pleine capacité. Néanmoins, en dépit de ces dommages substantiels, la RDVN
demeurait tout de même en état de poursuivre ses opérations dans la RDV. La DIA a observé
que le flot de réapprovisionnement logistique destiné aux troupes communistes a, contre
toute attente, réussi à atteindre le sud. Toujours selon des estimations de la même source,
malgré les bombardements, le statut des dépôts logistiques du NVA restait somme toute
positif et tout ce matraquage de bombes n’a pas empêché la mise en place des phases initiales
de l’offensive printanière d’avril 1972. Il a fallu attendre le mois de juin, lors de l’offensive,
93 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1971-1973 Part I, Washington, Historical Division Joint Secretariat JCS, 1st July 1970, p. 414-416. 94 Ibid. 95 Ibid, p. 415-416.
344
pour voir le flot de réapprovisionnement logistique du NVA affecté.96 Le pouvoir d’entraver
le système logistique du NVA pendant l’offensive printanière n’a pas uniquement résulté des
bombardements, mais a aussi été le fruit des opérations terrestres menées par les Forces
régulières de l’ARVN. En améliorant le commandement et le contrôle de leurs opérations,
en assurant une coordination de leurs attaques avec les éléments d’appui-feu, les actions
offensives de l’ARVN ont sévèrement endommagé les lignes de réapprovisionnement et la
logistique du NVA.97 Ceci met en évidence l’importance des troupes terrestres lors de la
conduite d’opérations qui visent les lignes de communication et de réapprovisionnement des
forces adverses. L’aviation, bien que puissante, constitue en fait un complément aux
opérations d’interdiction de l’armée de terre. En dépit de l’importance de son rôle, le moment
venu d’entraver la bonne marche du système logistique communiste, l’USAF a peiné à suffire
à la tâche. C’est dans cette optique qu’on a mis à contribution les forces spéciales du SOG
dans le but d’optimiser l’efficacité des opérations d’interdiction au Laos et au Cambodge.
Bien que perturbateurs pour les formations communistes, les impacts opérationnels des
actions du SOG se sont montrés tout aussi limités que ceux de l’aviation militaire américaine.
5.3. Les opérations clandestines du SOG
Avant même le déploiement de forces militaires de combat au Vietnam, le Président
John F. Kennedy soulignait avec insistance l’importance des guerres irrégulières et du
principe de COIN. À la fin des années 1950, les agents de la CIA étaient déjà très actifs en
Asie du Sud-Est. Lors de la présidence de Dwight D. Eisenhower, la CIA opérait déjà en
Indonésie lors d’opérations visant à enrayer l’influence communiste dans ce pays.98 Au
Vietnam, à l’époque où William Colby occupait le poste de chef de station de la CIA au début
des années 1960, Kennedy avait autorisé l’expansion des opérations de l’Agence dans le Laos
et la RDVN. L’objectif de ces actions clandestines consistait à détecter les infiltrations
communistes au sud et multiplier le réseau d’agents et de saboteurs de la CIA dans la
RDVN.99 En ce sens, le National Security Action Memoranda 52 (NSAM 52) a autorisé la
96 Ibid., p. 416-417. 97 Ibid., p. 417. 98 Andrew Roadnight, United States Policy Towards Indonesia in the Truman and Eisenhower Years, New
York, Palgrave Macmillan, 2002, p. 161-163. 99 John Plaster, SOG The Secret Wars of America’s Commandos in Vietnam, New York, Nal Caliber, 2010
(1997), p. 3.
345
CIA à employer des forces d’opérations spéciales pour entraîner et conseiller les opérateurs
sud-vietnamiens destinés à exécuter les missions subversives de Colby.100 Dans une base
située près de la ville de Nha Trang, les opérateurs américains ont entrainé le South
Vietnamese 1st Observation Group commandos à qui a échu la mission d’initier des
opérations de reconnaissance sur la Piste Ho Chi Minh, une voie de circulation qui ne cessait
de croître et de prendre de l’ampleur. Ce groupe de forces spéciales sud-vietnamiennes a
initié 41 missions de reconnaissance sur les routes d’infiltration au Laos. Néanmoins, ces
équipes d’opérateurs se montraient « trop prudentes » pour collecter un volume satisfaisant
de renseignement sur la Piste. La CIA a également formé des tribus de Montagnards afin de
les déployer pour qu’ils reconnaissent la Piste. Toutefois, leur analphabétisme se dressait en
obstacle, le temps venu de lire les cartes topographiques fournies par la CIA.101
Les efforts de l’Agence sont demeurés infructueux, attisant vite l’impatience
croissante de Kennedy. L’incident de la Baie des Cochons en 1961 a incité le Président à
remettre en doute la capacité de la CIA à exécuter des opérations paramilitaires. Ses insuccès
au Laos et dans la RDVN n’ont fait qu’aiguillonner cette perception de Kennedy vis-à-vis
l’Agence de renseignement. Conséquemment, les NSAM 55, 56 et 57 ont transféré la
responsabilité des opérations subversives en Asie du Sud-Est des mains de la CIA à celles de
l’Armée. C’est dans ce contexte qu’en 1963, le CINCPAC a proposé la mise en marche de
l’OPLAN 34A au Secrétaire à la Défense McNamara.102 L’OPLAN 34A proposait le
déclenchement d’une campagne paramilitaire clandestine impliquant quatre objectifs :
premièrement, collecter du renseignement via des opérations de reconnaissance et de captage
de transmissions. Puis, deuxièmement, procéder à des opérations psychologiques ciblant le
leadership et la population nord-vietnamienne. En troisième lieu, initier des mouvements de
guérilla contre les communistes (au Laos et dans la RDVN). Enfin, le quatrième et dernier
objectif consistait à initier des opérations de sabotage et d’embuscades, en plus de désigner
des cibles logistiques et économiques pour le profit de l’aviation américaine.103 McNamara
100 Papers of John F. Kennedy, Presidential Papers. National Security Files. Meetings and Memoranda
National Security Action Memoranda [NSAM]: NSAM 52, re: Report of the Vietnam Task Force JFKNSF-
330-002, Boston, John F. Kennedy Presidential Library and Museum, https://www.jfklibrary.org/Asset-
Viewer/Archives/JFKNSF-330-002.aspx. 101 Plaster, SOG, op. cit., p. 4. 102 Gillespie, op. cit., p. 6-7. 103 Ibid., p. 8.
346
a approuvé le programme de l’OPLAN 34A qui est devenu opérationnel sous le Joint Chiefs
of Staff en janvier 1965. Le major John Plaster, vétéran du SOG, a spécifié que la mission de
l’OPLAN 34A constituait l’opération militaire clandestine la plus importante des Américains
depuis celle du précurseur de la CIA pendant la Deuxième Guerre mondiale; l’OSS.104 Le
bras de fer de l’OPLAN 34A était formé du SOG, lui-même composé des Green Berets, de
Navy SEAL, de Commandos de l’USAF, de troupes d’élite des Marines et de forces spéciales
sud-vietnamiennes. Les opérateurs du SOG avaient l’autorisation d’opérer dans la RVN, le
Laos, le Cambodge, la RDVN, la Birmanie, dans plusieurs provinces de Chine du Sud et sur
l’Île d’Hainan.105 En mars 1965, l’organisation responsable des opérations du SOG, le
MACVSOG, a donné son aval au lancement des opérations au Laos qui ont débuté le mois
d’octobre suivant. La mission des opérateurs ciblait spécifiquement les routes d’infiltration
communistes du Laos vers la RVN et les phases initiales de l’opération prévoyaient des
missions de reconnaissance et de sabotage. Les forces spéciales ont établi des bases dans la
RVN et au Laos ; les infiltrations et exfiltrations s’exerçaient via les voies terrestres et
aériennes.
Lorsque les opérateurs localisaient des cibles d’opportunité ou de haute valeur, leur
tâche consistait à transmettre les coordonnées des objectifs à l’USAF à qui on assignait la
mission de bombarder le secteur.106 Bien qu’avant l’automne 1965 aucun opérateur américain
ne soit autorisé à opérer à l’extérieur de la RVN, la situation n’a pas tardé à évoluer avec la
mise sur pied d’équipes mixtes d’opérateurs au sein du SOG; les équipes déployées avaient
généralement pour composantes trois Américains et neuf Sud-Vietnamiens opérant
conjointement dans les jungles du Laos (voir l’annexe 11).107 On menait ces actions dans le
cadre de l’opération SHINING BRASS, plus tard rebaptisée PRAIRIE FIRE.108 En 1966, les
forces de SHINING BRASS ont reçu l’autorisation d’augmenter leur ordre de bataille à 20
équipes de reconnaissance désignées comme Spike Teams. Celles-ci ont établi leurs bases à
Phu Bai (FOB-1), Kontum (FOB-2), Khe Sanh (FOB-3) et Danang (FOB 4),109 tandis que le
104 Plaster, SOG, op. cit., p. 6. 105 Ibid., p. 6-7. 106 MACVSOG, Draft MACSOG Documentation Study Appendix D: Cross-Border Operations in Laos,
Lubbock, Texas Tech University, Sedgwick Tourison Collection, The Vietnam Center and Archives, Folder
15, Box 07, p. D-1. http://www.vietnam.ttu.edu/virutalarchive/items.php?item=2860715001. 107 Ibid., p. D-21. 108 Ahern, Undercover Armies, op. cit., p. 217. 109 Gillespie, op. cit., p. 79-81.
347
couloir nord-sud de la Piste Ho Chi Minh au Laos a été le secteur de responsabilité des
opérateurs attachés à SHINING BRASS (voir la figure 30). Lors de la conduite de leurs
missions, les opérateurs du SOG s’assuraient de minimiser leur empreinte et d’opérer de
manière à ne pas se faire repérer. Ces infiltrations duraient normalement un minimum de 5
jours, et ce, une fois par mois pour chacune des équipes. Au moment où un contact
s’établissait entre les communistes et les forces spéciales du SOG, on exfiltrait ces dernières
d’urgence du Laos.110 Ceci s’explique par les ressources minimales dont disposaient les
opérateurs du SOG pour contrer des régiments entiers des unités communistes. Bien que
composées d’opérateurs de haute qualité, les équipes du SOG n’auraient pu se frotter bien
longtemps aux larges formations du NVA ou du VC. Les opérateurs se déployaient le long
des routes d’infiltrations et formaient des roadwatch teams pour coopérer avec des éléments
de reconnaissance aérienne en vue de pointer l’emplacement des convois logistiques
communistes pour le bénéfice des chasseurs et des bombardiers.
Si on les conduisait avec succès, ces opérations s’exécutaient sans trop de fracas. À
titre d’exemple, l’Équipe Echo du SOG a repéré un secteur de concentration de troupes du
NVA dans les jungles du Laos. On a transmis le positionnement des troupes au contrôleur
aérien avancé qui a relayé l’information à des chasseurs bombardiers A-6 et F-105. Ces
derniers ont procédé au bombardement de la cible, entraînant ainsi la mort d’environ 200
soldats du NVA, la destruction de deux canons antiaériens et de deux dépôts de pétrole. Des
frappes aériennes simultanées sur les secteurs adjacents ont abouti sur des dommages
similaires pour les communistes.111 L’information relayée par les roadwatch teams facilitait
non seulement les frappes aériennes mais également la mise à jour de la cartographie de la
Piste Ho Chi Minh soumise à une constante expansion. Néanmoins, on a dédié seulement 10
équipes de SOG aux opérations de reconnaissance spécifiques au développement de la Piste;
bien qu’il ait pu en déployer davantage, le MACVSOG disposait de peu de secteurs adéquats
au Laos pour infiltrer ses forces spéciales. Sans l’envoi possible de plus de troupes au Laos,
il demeurait fort complexe de collecter un volume satisfaisant de renseignement sur la Piste
et les opérations logistiques communistes.112
110 Ibid.., p. 77. 111 Ahern, Undercover Armies, op. cit., p. 253. 112 Ibid., p. 254.
348
Figure 30: Bases d’opération et zones de responsabilités des opérateurs de SHINING
BRASS/PRAIRIE FIRE113
113 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,
September 1968, Lubbock, Texas Tech University, Dale W. Andrade Collection, The Vietnam Center and
Archive, Folder 02, Box 06, p. G-IV-C-1,
https://www.vietnam.ttu.edu/virtualarchive/items.php?item=24990602001.
349
La CIA a fait comprendre au MACVSOG que les forces de sécurité responsables de
la protection de la Piste rendaient toute pénétration des secteurs clés très hasardeuse pour les
roadwatch teams du SOG. Leur incapacité de déployer un volume suffisant d’opérateurs a
entraîné comme conséquence que l’essentiel des cibles majeures de la Piste, qu’elles soient
statiques ou mobiles, échappaient à la détection des Américains. Mis en face des insuccès de
ses opérations clandestines au Laos, Washington persistait tout de même à s’opposer au
déploiement de troupes conventionnelles pour scinder les lignes de communications
communistes. La Maison-Blanche s’en est tenue à son plan initial en laissant la CIA et le
MACVSOG poursuivre ses opérations subversives, de concert avec l’USAF.114 Néanmoins,
bien loin des bureaux de la Maison-Blanche, la situation devenait de plus en plus complexe
sur le terrain; les défenses antiaériennes nord-vietnamiennes devenaient de plus en plus
efficaces sur la Piste et de nombreux appareils de reconnaissance destinés à appuyer les
opérations du SOG ont été abattus au-dessus des jungles du Laos. Le laps de temps nécessaire
pour la transmission des coordonnées de cibles détectées par le SOG aux éléments aériens
responsables des bombardements dans des secteurs isolés pouvait requérir jusqu’à 18 heures.
En 1967, on a développé un transmetteur technologique (dont l’appellation fait encore
l’objet de censure dans les documents de la CIA) permettant de réduire ce délai à quelques
minutes. Au cours d’une opération, un détachement déployé dans la RDVN, équipé de ce
transmetteur, a repéré un convoi de 37 camions dans la Passe de Mu Gia. En l’espace de deux
minutes, un aéronef de commandement et contrôle a relayé l’information à six chasseurs F-
4 qui, cinq minutes plus tard, ont effectué une mission de bombardement. Des explosions
secondaires se sont poursuivies toute la nuit, preuve que le convoi frappé transportait des
munitions et des matières explosives. Trois jours plus tard, la même équipe d’opérateurs a
réussi à accomplir une mission similaire dans les secteurs avoisinant. Toutefois, les Nord-
Vietnamiens ont développé une telle habileté à camoufler leurs convois qu’il s’avérait de
plus en plus difficile pour l’aviation de bombarder les transports en mouvement avec
précision. De plus, seules 12 équipes du SOG ont été munies de ce transmetteur,115 avec pour
conséquence de limiter la capacité des opérateurs à maximiser le ciblage efficace d’éléments
communistes sur la Piste. L’ensemble du renseignement transmis au compte-gouttes par les
forces spéciales du SOG ne suffisait tout simplement pas à la tâche. Pour pallier au problème,
114 Ibid., p. 254-256. 115 Ibid., p. 257-258.
350
le MACV a montré une volonté d’étendre les opérations SHINING BRASS plus en
profondeur, au sein des corridors d’opérations communistes du Laos. Néanmoins, les
hélicoptères n’ont pas obtenu l’autorisation de pénétrer à plus de 12 kilomètres à l’intérieur
des frontières laotiennes. Tout objectif dépassant cette distance devait être atteint à pied par
les forces spéciales; une règle imposée afin d’éviter un esclandre au sujet de l’implication
américaine au Laos.116 De son côté, Westmoreland, qui considérait le Laos comme « une
extension de son champ de bataille tactique au Vietnam », insistait de nouveau pour qu’on
lui donne carte blanche concernant les opérations militaires qui s’y déroulaient.
L’Ambassadeur américain au Laos, William Sullivan, « exprima ses sympathies » à
Westmoreland tout en lui faisant comprendre que lui-seul (Sullivan) et non le MACV
« déterminerait la nature et l’étendue des opérations » au sein des frontières laotiennes.117 À
défaut d’effectuer des missions de reconnaissance plus en profondeur à l’intérieur des
frontières du Laos, le MACVSOG a pu augmenter les effectifs de ses équipes d’opérateurs
en y incorporant de nouvelles recrues sud-vietnamiennes. En 1967, le rythme des opérations
de PRAIRIE FIRE s’est hissé à 37 missions par mois.118
Malgré les restrictions géographiques imposées aux forces spéciales, celles-ci sont
tout de même parvenues à collecter du renseignement de haute valeur qui a facilité le ciblage
d’éléments militaires lucratifs pour l’aviation. PRAIRIE FIRE a également donné lieu à la
destruction de plusieurs caches d’armes et infrastructures communistes attaquées de manière
directe par les forces spéciales au sol. Les opérateurs continuaient à viser les principales
lignes de communication communistes en ciblant notamment les routes 929, 922, 96 et 110
(voir la figure 28).119 Lorsque le SOG a tenté d’opérer dans la région tri-frontalière du Laos,
du Cambodge et de la RDV, la situation s’est corsée. La densité du trafic logistique
communiste dans cette région faisait qu’à chaque nuit, on pouvait détecter des véhicules
nord-vietnamiens le long des routes 96 et 110. Cette artère de la Piste revêtait un aspect à ce
point névralgique pour les communistes qu’ils ont fortifié leur mécanisme de défense dans
ce secteur. Les règles relatives à la limite de distance approuvée pour les incursions s’étaient
116 MACVSOG, op. cit., p. D-28-D-29. 117 Ibid., p. 260. 118 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,
September 1968, op. cit., p. G-IV-1. 119 Ibid., p. G-IV-1-G-IV-2.
351
assouplies avec le temps et ce facteur a facilité la destruction de plusieurs cibles communistes
dans le secteur tri-frontalier.120 Néanmoins, le tronçon incarné par les routes 96 et 110 se
trouvait suffisamment protégé pour que les opérateurs du SOG ne puissent s’y déployer sans
recevoir un volume de tir trop élevé sur leurs zones potentielles d’atterrissage.121 Le MACV
a cherché à redynamiser les opérations du SOG en initiant un concept baptisé SLAM, un
acronyme pour Seeking (chercher), Locating (localiser), Annihilating (annihiler), Monitoring
(surveiller). SLAM visait à prévenir la concentration de forces ennemies sur la Piste et
maximiser les missions des opérateurs au sein des secteurs clés. Les opérateurs ont poursuivi
leurs infiltrations, positionné des mines sur la Piste, désigné leurs cibles pour l’aviation et
ont installé des capteurs acoustiques et sismiques sur les lignes de communication
communistes.122 En dépit du fait que les forces spéciales aient régulièrement réussi à localiser
des cibles d’opportunité plus en profondeur au Laos, les éléments d’état-major et politique
ne devaient pas tarder pas à entraver la bonne marche des opérations du SOG. Si une cible
détectée n’avait pas préalablement fait l’objet d’une présélection au cours de la planification
d’une mission, il fallait transmettre un message au CINCPAC et à l’Ambassadeur américain
au Laos pour obtenir leur feu vert avant de frapper l’objectif.
Parfois, la procédure nécessitait même de relayer la requête au Joint Chiefs of Staff à
Washington. Par exemple, cela se produisait lorsque l’Ambassadeur, refusant de confirmer
ou d’approuver la destruction de la cible dans l’immédiat, voulait quérir auparavant l’opinion
du Département d’État avant de donner son aval à l’opération. Si le Département d’État
approuvait la destruction de la cible, la requête se voyait finalement relayée au Joint Chiefs
of Staff et parfois, jusqu’au Président américain. Ce procédé bureaucratique sans fin pouvait
s’étaler sur une semaine. Lorsque l’autorisation de neutraliser la cible se voyait enfin
transmise aux troupes sur le terrain, il advenait très fréquemment que la cible en question se
soit relocalisée autre part.123 Dans de telles circonstances, on ne peut qu’imaginer à quel point
la manœuvre de maximiser l’effet de leur présence sur la Piste Ho Chi Minh s’avérait difficile
120 120 MACVSOG, Draft MACSOG Documentation Study Appendix D: Cross-Border Operations in Laos, op.
cit., p. D-29. 121 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,
September 1968, op. cit., p. G-IV-2. 122 MACVSOG, Draft MACSOG Documentation Study Appendix D: Cross-Border Operations in Laos, op.
cit., p. D-30. 123 p. D-29-D-30.
352
pour les forces d’opérations spéciales. Bien qu’en terme bureaucratique, un délai d’une
semaine puisse sembler des plus raisonnables, il en va tout autrement pour des troupes de
combat déployées en premières lignes. À Washington, la réalité bureaucratique d’aucuns se
trouvait complètement déconnectée des réalités tactiques et opérationnelles rencontrées au
Vietnam. Plusieurs journalistes ont dépeint les leaders militaires du MACV comme des
geignards lorsqu’ils dénonçaient la micro-gestion des politiciens en lien avec l’esquisse des
concepts d’opérations militaires au Vietnam. Pourtant, des scénarios tels que celui décrit ci-
haut tendent à donner raison aux chefs militaires américains. Un interventionnisme de cette
amplitude rendait très ardu pour les éléments militaires d’accomplir leurs tâches avec
efficience sur le champ de bataille. Même lorsque les opérations de bombardements se
trouvaient possibles et menées à un rythme soutenu, les opérateurs du SOG constataient que
ces actions connaissaient leurs limites. Une des missions des forces spéciales était d’évaluer
le degré de dommages infligés par les bombardements des chasseurs et des B-52. Les
Américains nommaient ces opérations de diagnostic Bombing Damage Assessment (BDA).
Quoiqu’une mission de bombardement d’un B-52 puisse sembler très impressionnante vue
des airs, il n’en allait pas nécessairement de même dans la perspective d’une situation au sol.
À certaines occasions, les observations des équipes de BDA rapportaient le peu de
dommages infligés par suite des bombardements. Dans d’autres cas, on témoignait d’une
dévastation totale; une mer de cratères parsemés de sang et de restes humains jalonnait le
parcours des opérateurs du SOG. Dans d’autres circonstances, des bunkers ont résisté aux
bombardements et le SOG (nous le verrons plus loin) se trouvait confronté à une situation
des plus précaires: un affrontement contre des effectifs lui étant de loin supérieurs en
nombre.124 La situation opérationnelle ne s’avérait pas moins complexe au cœur des
frontières du Cambodge. Afin de cibler le COSVN et les lignes de communication
communistes au sein des frontières cambodgiennes, le MACVSOG a initié le 22 mai 1967
l’opération DANIEL BOONE. Considérant la taille du secteur géographique en question, les
effets opérationnels du SOG ont été encore plus limités au Cambodge. À l’origine, les zones
de responsabilité des opérateurs se limitaient à la région tri-frontalière du Laos, du Cambodge
et de la RVN. Puis, progressivement, elles couvraient les zones Alpha et Bravo le long de la
frontière sud-vietnamienne. On a localisé les bases d’opérations devant servir de tremplin
124 Gillespie, op. cit., p. 179.
353
pour initier ces missions de reconnaissance à Dak To, Duc Co, Banh Me Thout et Song Be
(voir la Figure 31).
Figure 31:Zones de responsabilités du SOG lors de l’opération DANIEL BOONE125
125 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,
September 1968, op. cit., p. G-IV-D1.
354
L’opération DANIEL BOONE comportait toute une nomenclature de restrictions : au
départ, on a limité l’essentiel des opérations au secteur numéro 1, près du Laos (voir figure
31) et les unités de reconnaissance du SOG ne pouvaient dépasser 12 opérateurs pour une
mission, dont trois Américains au maximum. De surcroît, contrairement au Laos, on a
prohibé les frappes aériennes au sein des frontières du Cambodge (avant l’arrivée de Nixon).
La liste stipulait aussi que l’infiltration et l’exfiltration des opérateurs ne pourraient se faire
qu’à pied; qu’aucun hélicoptère ne serait autorisé à se déployer à l’intérieur des frontières
cambodgiennes; que le temps passé au Cambodge par les opérateurs devait être réduit au
strict minimum; que les forces du SOG étaient tenues d’éviter tout contact avec l’armée et la
population cambodgienne; que l’objectif des opérations était de collecter du renseignement;
qu’il ne pouvait y avoir plus de trois équipes de reconnaissance déployées simultanément au
Cambodge et enfin, que le nombre total de missions ne pouvait dépasser le chiffre de 10 au
cours d’une période de 30 jours.126 Ces restrictions, une résultante de la neutralité factice du
Cambodge, entravaient toute possibilité de localiser avec précision les activités logistiques
communistes au sein des secteurs ruraux cambodgiens. L’ensemble de ces restrictions a
engendré des résultats plus qu’anémiques pour le SOG. Et pour cause. Lors des premières
infiltrations en juin 1967, un total de sept équipes de forces spéciales opéraient au Cambodge
avec pour bilan la mort de sept communistes et la capture d’un prisonnier.127
Le MACVSOG s’est montré très contrarié par ces restrictions, soulignant que de
telles limitations mettaient un solide frein au ciblage « d’éléments ennemis critiques ». De
leur côté, les opérateurs du SOG qualifiaient de « ridicule » cette méthode de combattre. Il a
fallu attendre l’automne de 1967 avant de voir certaines restrictions écartées pour la conduite
de DANIEL BOONE. Envers et contre tout, le Pentagone a réussi à convaincre le
Département d’État d’assouplir les restrictions imposées au MACVSOG au Cambodge.128
Dorénavant, on pourrait infiltrer la zone tri-frontalière jusqu’à 20 kilomètres à l’intérieur des
frontières du Cambodge; à la suite d’une requête faite au CINCPAC 48 heures à l’avance, il
devenait dorénavant possible d’effectuer des opérations dans la zone Alpha; la limite imposée
au nombre de missions est passé d’un maximum de 10 à 30 par mois; il n’y avait plus de
126 Fred Lindsey, Secret Green Beret Commandos in Cambodia, Bloomington, Author House, 2012, p. 64-65. 127 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,
September 1968, op. cit., p. G-IV-3. 128 Shultz, op. cit., p. 235, 237.
355
limites imposées le moment venu de déployer des équipes de reconnaissance; cinq incursions
héliportées par mois ne dépassant pas 10 kilomètres de distance avec la RVN ont été
autorisées et enfin, à la suite d’une requête formulée au Joint Chiefs of Staff, 14 jours à
l’avance, il devenait dorénavant possible d’effectuer des missions dans la zone Bravo.
Néanmoins, il demeurait toujours interdit de procéder à des frappes aériennes au
Cambodge.129 Fortes de ces ajustements, les équipes du SOG ont réussi à localiser des forces
substantielles du NVA essaimées tout au long de la Piste Ho Chi Minh qui se prolongeait du
Laos jusqu’au Cambodge. Ils ont également localisé de nombreux bunkers, bases
d’opérations, dépôts logistiques, caches de munitions et des éléments du COSVN.130 Après
six mois d’opérations sous l’égide de ces nouvelles règles, DANIEL BOONE a initié 99
missions dans le secteur tri-frontalier du Cambodge, du Laos et de la RVN. Les opérateurs
de 63 de ces 99 opérations ont réussi à infiltrer le Cambodge pour y procéder. Toutefois, ces
missions se limitaient à des manœuvres de reconnaissance visant à porter à la connaissance
des commandants du MACV les activités des communistes au Cambodge. Au total, 103
communistes ont été tués et deux autres capturés au cours de ces opérations.131
Cependant, de telles actions n’entravaient en rien la capacité du NVA et du VC à
exploiter leurs lignes de communication au Cambodge. Lorsque les opérations aériennes se
sont vues approuvées par Nixon, il arrivait fréquemment que les forces spéciales payent le
prix fort pour apprendre jusqu’à quel point les bombardements accouchaient parfois d’effets
limités. Au cours de l’opération MENU, on a déployé de la province de Tay Ninh une équipe
de BDA du SOG. Sa mission : infiltrer le Cambodge afin d’évaluer les dommages d’un
bombardement de B-52 sur ce que les Américains croyaient être le QG principal du COSVN.
Du haut des airs, les aviateurs ont constaté que 27 explosions secondaires avaient suivi le
largage de leurs bombes sur le site. Aussitôt infiltrées par hélicoptère près dudit site, les
forces spéciales sont tombées sous contact et un violent combat s’en est suivi. La zone,
pourtant massivement bombardée par les B-52, évoquait une véritable fourmilière de soldats
du NVA qui ont déferlé sur la position des opérateurs. Le capitaine Bill Orthman,
129 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,
September 1968, op. cit ., p. G-IV-3-G-IV-4. 130 Shultz, op. cit., 237. 131 MACVSOG, Command History 1967, U.S. MACV Studies and Observation Group (SOG)-Annex G,
September 1968, op. cit ., p. G-IV-4.
356
commandant du détachement, reçut deux balles à l’estomac; le reste de son équipe a été
annihilé avant d’avoir pu trouver refuge dans un des cratères de bombes de B-52. Un des
membres d’équipage des hélicoptères a réussi à traîner Orthman jusqu’à un des Huey qui
décolla et s’exfiltra du secteur.132 C’est alors que le supérieur d’Orthman, le capitaine
Randolph Harrison, a reçu l’ordre de ses chefs de déployer un autre détachement dans le
même secteur. Au terme d’une discussion avec ses sous-officiers, Harrison et ses opérateurs
ont refusé d’obtempérer aux ordres de leur chaîne de commandement, ce qui s’est soldé par
trois arrestations pour insubordination. Néanmoins, on a éventuellement levé ces accusations,
non pas dans un élan de magnanimité mais plutôt par crainte de publiciser les opérations
clandestines du SOG.133 Un incident similaire est survenu le 24 avril alors que deux sections
renforcées d’opérateurs initiaient une mission en vue d’établir un BDA d’un autre
bombardement de B-52 ayant ciblé le COSVN. Aussitôt le bombardement complété, l’unité
s’est déployée dans la zone pour investiguer les dommages.
À peine atterris, les opérateurs se sont trouvés sous le feu d’un violent tir de
suppression soutenu du NVA. Les officiers et sous-officiers américains ont tous été tués ou
blessés lors du contact. Après deux heures de combat, les hélicoptères ont enfin réussi à
s’infiltrer et évacuer une quinzaine de rescapés. Cela a été une des opérations les plus
coûteuses en termes de vies humaines pour le SOG.134 Sur les 25 opérateurs déployés, quatre
ont été portés disparus et cinq autres ont péri au combat. Le bombardement de B-52 a échoué
à mettre les soldats du NVA et la base qui les abritait hors de combat; les rescapés de
l’opération ont rapporté que les Nord-Vietnamiens semblaient « en excellente santé » et
qu’ils combattaient avec « agressivité » au cœur d’un réseau de tranchées et de bunkers qu’on
n’a pu détruire totalement. On a également confirmé le repérage de plusieurs entrées de
réseaux souterrains intacts.135 Les pertes encaissées lors de cette opération de BDA ont
choqué le SOG et le MACV. Lorsque le général Abrams a révisé les pertes encourues par le
SOG au cours des deux premiers mois de 1969, il a constaté qu’elles se chiffraient à 15 morts
132 Ibid. 133 Gillespie, op. cit., p. 179-180. 134 Ibid., p. 181-182. 135 Richard M. Nixon National Security Files, Breakfast. Memorandum for the President Subject: Operation
Breakfast and Lunch, 25 April 1969/Memorandum for the President Subject: Summary of Operation
Breakfast Bravo and Coco and Lunch, College Park, National Archives, Richard M. Nixon Security Files
Vietnam: Subject Files 1969-1974, Section B, Box 3, p. 1.
357
et portés disparus, 68 blessés et 10 hélicoptères abattus. En retour, les pertes infligées par le
SOG aux forces du NVA étaient évaluées à 1400 morts, un chiffre n’incluant pas les pertes
encaissées lors des bombardements. Au total, environ un opérateur du SOG a été tué pour
100 soldats du NVA tombés au combat, ce qui surclassait le ratio de 15 pour 1 des unités
conventionnelles américaines contre celles des communistes dans la RVN.136 Bien que ces
chiffres puissent paraître intéressants, ils ne réglaient en rien le problème engendré par la
fluidité du système logistique communiste. De plus, la farouche opposition rencontrée par
les équipes du SOG déployées pour effectuer des missions de BDA démontre qu’en dépit de
tout le potentiel de dommages qu’ils étaient en mesure d’infliger, les B-52 se sont révélés
inaptes à anéantir complètement les régiments du NVA positionnés dans les bases
d’opération du Cambodge. De plus, bien qu’on rapporte comme détruits maints abris
souterrains et structures, les observateurs du SOG ont signalé que plusieurs autres bunkers et
souterrains étaient demeurés intacts malgré le pilonnage subi pendant une mission de
bombardement de B-52. En clair, l’aviation ne suffisait simplement pas à la tâche de scinder
les lignes de communication communistes et d’anéantir leurs bases d’opérations.
En ce qui a trait aux opérations du SOG, il ne fait aucun doute que leurs missions de
reconnaissance contribuaient, quoique de façon limitée, à l’effort de guerre du MACV. De
plus, l’ardeur de leurs efforts a fort probablement sauvé la vie de maints soldats réguliers
américains en leur évitant d’être confrontés à un nombre décuplé d’éléments du NVA qui
auraient infiltré la RVN, advenant l’absence des opérations clandestines du SOG. Robert
Gillespie spécifie avec justesse, « qu’aucun capteur ou aéronef » ne pouvait fournir un
volume suffisant de « renseignement détaillé » pour mirer avec précision le bombardement
« de cibles spécifiques lors de la campagne d’interdiction ». Il souligne également que seuls
les opérateurs du SOG étaient en mesure de « fournir de l’information » sur l’évolution du
déploiement des forces communistes et leurs intentions.137 Du côté du NVA et du VC, on
prit le SOG très au sérieux; un transfuge, ancien commandant de régiment du VC, a révélé
que les forces spéciales opéraient avec efficacité le moment venu de capturer ses soldats et
qu’ils « perturbaient leurs lignes de réapprovisionnement ». L’ancien commandant VC a
renchéri en rapportant que les opérations du SOG « affaiblissaient » ses forces et
« heurtaient » le moral des troupes car ils n’arrivaient que très rarement à les enrayer. Il a
136 Gillespie, op. cit., p. 182. 137 Ibid., p. 219-220.
358
aussi spécifié que les VC reconnaissaient « les habilités et la bravoure de ces soldats
américains » qui détenaient la capacité d’entraver les opérations d’infiltration en provenance
de la RDVN. Il a aussi témoigné que la Piste Ho Chi Minh constituait « la veine jugulaire
logistique » que les Nord-Vietnamiens « ne pouvaient se permettre de réduire ou d’arrêter ».
Nonobstant tout cela, le transfuge a conclu en affirmant que ni les équipes de reconnaissance
du SOG, ni les missions d’interdictions aériennes agissant en appui « posaient une menace
sérieuse » à la Piste Ho Chi Minh. Ce fait s’avérait d’autant plus fondé après l’offensive
conventionnelle américaine au Cambodge, considérant que tous les éléments logistiques
découverts lors de cette campagne ont été déployés pendant les opérations du SOG et la
campagne aérienne MENU.138 Dans un rapport introspectif, le SOG a lui-même exposé les
limites de ses capacités à opérer. À titre d’exemple, on y dénonce les restrictions de la taille
des équipes d’opérateurs pour certaines missions qui auraient nécessité plus de ressources.
Les unités d’appui au SOG pour les infiltrations (par exemple, les escadrons
d’hélicoptères) ne leur étaient pas entièrement dédiées et ne pouvaient donc suivre le rythme
de leurs opérations. Aucune coordination consistante avec les agences mandatées pour
appuyer le SOG (CIA) n’a été mise en pratique, limitant ainsi l’aide que ces organisations
auraient pu être en mesure d’apporter aux opérateurs. Il aurait mieux valu que l’ARVN
appuie certaines opérations du SOG exigeant la présence de forces conventionnelles, en
complément des forces spéciales. À cet effet, le SOG a recommandé que des opérations
multi-bataillonnaires puissent être initiées lors de PRAIRIE FIRE.139 En somme, les
expériences sur le terrain ont amené le SOG à ce constat : il devenait absolument essentiel
de déployer des forces complémentaires aux leurs si on voulait affecter sévèrement le
système logistique des forces communistes. Même armées de toute leur bravoure, de tout
leur dévouement, les forces spéciales du SOG ne pouvaient tout simplement pas freiner de
leurs propres moyens le mouvement constant d’éléments régimentaires et divisionnaires du
NVA et du VC. Une seule alternative subsistait si Washington nourrissait la volonté de
disloquer une fois pour toutes le sous-système logistique de la machine de guerre militaro-
hybride des communistes : initier des opérations conventionnelles au cœur de l’artère
logistique du NVA et du VC. C’est précisément ce que le Président Nixon a ordonné en avril
138 Ibid., p. 220-221. 139 MACVSOG, Draft MACSOG Documentation Study Appendix D: Cross-Border Operations in Laos, op.
cit., p. D-33-D-35.
359
1970 alors que pour la première fois, des forces régulières de l’US Army s’apprêtaient à
opérer au sein même des frontières du Cambodge.
5.4. L’incursion militaire américaine au Cambodge
Le 18 mars 1970, Norodom Sihanouk a été renversé et le pouvoir est revenu au
Premier Ministre Lon Nol. En préambule à ce renversement, le climat socio-politique était
devenu effervescent au Cambodge. Le 8 mars, on a assisté à de nombreuses manifestations
civiles au sein des provinces côtières où les contestataires exigeaient le départ des forces
communistes du territoire cambodgien. Deux jours plus tard, ces agitations reprenaient de
plus belle. D’autres manifestants ont élu pour cible de leurs revendications l’Ambassade
nord-vietnamienne à Phnom Penh et ont fracassé les fenêtres du bâtiment à coups de pierres.
Pendant qu’explosaient ces déchaînements populaires, Norodom Sihanouk subissait des
traitements médicaux en France. Lon Nol, son Premier Ministre, qui exerçait le pouvoir par
intérim, a alors pris la liberté d’exiger d’Hanoï le retrait de ses forces du Cambodge dans les
72 heures, ce qui mettait le 15 mars comme date butoir. Le 16 mars, de nouvelles
manifestations anticommunistes ont agité le pays. Finalement, le 18 mars, l’Assemblée
nationale cambodgienne a passé une résolution pour relever Norodom Sihanouk de ses
fonctions de chef d’État. La gouvernance du pays a échu à Lon Nol qui devait conserver ses
fonctions de Premier Ministre, pendant que le personnel nord-vietnamien de l’Ambassade
sise à Phnom Penh quittait le Cambodge pour regagner Hanoï.140
Le nouveau régime khmer de Lon Nol a adopté une ligne « farouchement anti-
communiste » en continuant d’exiger du VC et du NVA le retrait de leurs troupes du
Cambodge. Le mois d’avril suivant, de violents combats ont opposé les unités communistes
à celles des Khmers. Le gouvernement de Lon Nol a été jusqu’à formuler une requête aux
Nations Unies pour mettre fin aux infiltrations communistes au sein du Cambodge. De leur
côté, les régiments du NVA et du VC commençaient à diriger des attaques sur l’ancien port
de Sihanoukville (désormais baptisé Kompong Som) et d’autres provinces côtières du
Cambodge.141 La prise du pouvoir cambodgien par un régime pro-occidental a complètement
changé la position de Washington vis-à-vis de ses relations avec le Cambodge. Il n’en fallait
140 Tran Dinh Tho, The Cambodian Incursion, Washington D.C., U.S. Army Center of Military History, 1979,
p. 29-30. 141 Ibid., p. 16-17.
360
pas plus pour que le chef du Joint Chiefs of Staff, le général Wheeler, avise le CINCPAC de
conceptualiser des plans potentiels pour intervenir militairement au Cambodge. Le
CINCPAC a été prompt à proposer des opérations offensives contre les sanctuaires
d’approvisionnement communistes, recommandant également plus d’autonomie pour le
commandement du MACV afin qu’il puisse initier des opérations de poursuite au
Cambodge.142 Après maintes discussions et analyses de la situation, les commandants
américains ont proposé de procéder à une offensive majeure dans le secteur des bases
communistes localisées dans le Fish Hook et dans la zone située au sud : le Parrot’s Beak.
Alors que le MACV s’activait au processus de Vietnamisation de la guerre, le général
Abrams a fait connaître sa volonté, à l’effet que ce soit exclusivement les forces militaires
sud-vietnamiennes qui exécutent l’opération. Néanmoins, Abrams a informé le général
Wheeler de la réticence des commandants de l’ARVN à attaquer la zone du Fish Hook sans
la participation des Américains. Malgré son insistance, Abrams n’a pas réussi à convaincre
son comparse sud-vietnamien, ce qui a obligé le commandant du MACV à soumettre un plan
d’offensive conjointe au Joint Chiefs of Staff. La campagne, originellement baptisée
opération SHOEMAKER, a ensuite été renommée TOAN THANG à la demande du GVN.143
Soumis à la pression populaire, le Président Nixon avait promis le retrait des Forces
américaines du Vietnam, un élément qui a motivé sa décision de n’autoriser à l’Armée
américaine qu’une intrusion de 30 kilomètres à l’intérieur du Cambodge. Compte tenu que
Nixon souhaitait minimiser l’empreinte américaine lors de cette offensive, c’est l’ARVN qui,
à l’origine, devait prendre en charge l’essentiel des opérations. Pour leur part, les Américains
les épauleraient par le biais de conseillers militaires chargés d’assurer la coordination des
opérations. Ces conseillers se sont amalgamés aux unités de l’ARVN qui s’apprêtaient à
entrer au Cambodge à partir des III et IV Corps; les Américains fournissaient également de
l’appui aérien, des équipes d’évacuation médicales, et de l’approvisionnement logistique.
Finalement, des éléments d’infanterie de la 1st Air Cavalry Division et de la 25th Infantry
Division américaines se sont aussi greffés aux unités de l’ARVN.144 Bien que Nixon soit
désireux de minimiser la présence américaine lors de cette offensive, il s’est finalement avéré
142 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 232-233. 143 Ibid., p. 253-254. 144 Ibid., p. 254-256.
361
que la moitié des troupes déployées était américaine. Le 29 avril 1970, une force totalisant
10,000 soldats sud-vietnamiens et américains traversa la frontière de la RVN pour entrer au
Cambodge.145 L’opération initiale impliquait d’attaquer, puis neutraliser les bases
d’opération 352, 353 et 707 localisées dans la zone du Fish Hook ainsi que les bases 367 et
706 enchâssées dans le Parrot’s Beak. Les bases 350, 351 et 354 seraient aussi appelées à
être sous attaque, mais à un stade ultérieur de l’offensive (voir la figure 32 pour suivre la
première description de bataille). Cette offensive a été purement conventionnelle, d’un côté
comme de l’autre et n’impliquait en rien des opérations de contre-insurrection.
Figure 32: L’incursion initiale de l’US Army et de l’ARVN au Cambodge146
145 Ibid., p. 256. 146 United States Military Academy West Point, « Attack into Cambodia », The Vietnam War. West Point,
https://www.usma.edu/history/SiteAssets/SitePages/Vietnam%20War/vietnam%20war%20map%2031.jpg.
Consulté le 19 novembre 2017.
362
Trois bataillons renforcés de l’ARVN ont pénétré au Cambodge à partir du III Corps
et quatre autres formations infiltraient le pays via IV Corps. Dès le premier jour dans le
Parrot’s Beak, l’ARVN a rencontré une forte résistance du NVA qui a perdu 300 soldats par
suite des frappes aériennes et 463 aux mains des soldats sud-vietnamiens. Une quantité
importante d’armes et d’approvisionnements incluant 67 tonnes de riz a été confisquée aux
communistes.147 Le 2 mai, les unités de l’ARVN qui sécurisaient le Parrot’s Beak ont reçu
du renfort de la 9e Division d’Infanterie sud-vietnamienne, de cinq escadrons de blindés et
du 4e Groupe de Rangers. Ces forces ont fait jonction, puis sont passées à la phase
subséquente des opérations : sécuriser la route principale numéro 1. Exploitant sa mobilité et
sa puissance de feu, cette force conjointe de l’ARVN a enveloppé les bases d’opérations
communistes du Parrot’s Beak préalablement pilonnées à souhait par l’artillerie américaine.
Les combats entre l’ARVN et les bataillons communistes ont ragé pendant deux jours. Au
cours de l’affrontement, l’ARVN a découvert une forte quantité de caches d’armes et de
dépôts logistiques. À la conclusion des hostilités, 1010 soldats du NVA avaient trouvé la
mort, 204 avaient été faits prisonniers et 19 avaient opté pour la défection. L’ARVN a pour
sa part perdu 66 soldats et recensé 330 blessés dans ses rangs. Plus de 1000 armes
individuelles ainsi que 60 mortiers et canons sans reculs ont également été saisis. Enfin, les
ingénieurs sud-vietnamiens ont détruit un total de 100 tonnes de munitions.148
Le 5 mai, les Forces sud-vietnamiennes se redéployaient sur la Route numéro 1 et
leurs troupes ont ainsi convergé vers le secteur nord, où une force combinée de l’ARVN et
de l’US Army avait au préalable infiltré le Fish Hook. L’assaut a été précédé de frappes
aériennes de chasseurs et de B-52.149 Suite à ce bombardement, la 1st Air Cavalry Division,
le 11th Armored Cavalry Regiment et une division de parachutistes de l’ARVN ont mis en
marche leur offensive conjointe contre les bases d’opérations du Fish Hook.150 La 25th
Infantry Division et la 1st Air Cavalry Division américaines ont amorcé une série d’assauts
respectifs sur la base d’opération 707 occupée par le COSVN ainsi que sur les bases 352 et
354 (voir la figure 32).
147 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 263. 148 Dinh Tho, op. cit., p. 58-60. 149 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 263. 150 Dinh Tho, op. cit., p. 57-58.
363
Ces opérations ont causé de lourdes pertes aux communistes qui se sont également
fait confisquer une importante quantité d’armes, de munitions et d’approvisionnement
logistique. L’offensive évoluait assez rondement pour que le général Abrams ordonne qu’on
étende l’opération à l’ouest, vers la base 354 ainsi qu’au nord du Fish Hook, incluant l’assaut
des bases d’opérations 350 et 351. Abrams alimentait ainsi sa ferme résolution de saisir
l’initiative et de pousser l’offensive au nord du Fish Hook et du Parrot’s Beak jusqu’à
l’atteinte d’un degré de « destruction optimal » des forces et dépôts logistiques communistes.
Il souhaitait en outre activer d’autres offensives plus au nord en vue de cibler les base 701 et
702 et, encore plus à l’ouest, en lançant l’assaut sur les bases 704 et 709. L’extension des
opérations impliquait le déploiement de plusieurs forces, ce qui dégarnirait certaines zones
sud-vietnamiennes des troupes y étant normalement attachées. Néanmoins, Abrams
considérait qu’à court terme, le risque encouru en valait la peine.151 De plus, si on considère
l’état de décrépitude avancée du VC à cette époque, il s’avérait quasi improbable qu’un tel
cours d’action facilite, à courte échéance, une recrudescence des opérations de l’insurrection.
De fait, Abrams escomptait davantage une potentielle réaction majeure du NVA
provenant de la zone démilitarisée vers I Corps. Cependant, le spectre politico-social et
domestique de la guerre commençait déjà à rattraper les Américains. Sans grande surprise,
la presse et les groupes d’opposition à la guerre se sont rapidement insurgés contre les
opérations américaines au Cambodge, de crainte que les troupes se trouvent indéfiniment
coincées dans les tréfonds des jungles cambodgiennes.152 Le 4 mai 1970, la situation politico-
sociale s’exacerba davantage aux États-Unis lorsque la Garde nationale tua quatre
manifestants, en plus d’en blesser neuf autres, sur le campus de la Kent University en Ohio.153
Confronté à cette pression domestique, le général Wheeler, qui avait préalablement accordé
son assentiment au plan d’Abrams, a incité celui-ci à entamer un processus d’action qui lui
permettrait à la fois d’accomplir sa mission et d’annoncer la fin des opérations américaines
au Cambodge, et ce, dans les plus brefs délais. Le général Abrams ne pouvait cacher sa
déception; ses soldats saisissaient l’initiative au Cambodge et, après des mois d’inactivité au
151 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 268-269. 152 Ibid., p. 269-270. 153 Howard Means, 67 Shots: Kent State and the End of American Innocence, Boston, Da Capo Press, 2016, p.
3-4.
364
sein de la RVN, les Forces alliées retrouvaient leur « esprit offensif ». Après avoir transmis
une requête au Secrétaire à la Défense et au Président, Wheeler est parvenu à obtenir
l’approbation de la Maison-Blanche pour l’expansion des opérations au Cambodge.154 À ce
stade de l’offensive, des combats faisaient rage sur la quasi-entièreté de la frontière
cambodgienne (voir la figure 33).
Figure 33: L’offensive généralisée du MACV et de l’ARVN sur les bases communistes
du Cambodge155
154 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 270, 275. 155 Dinh Tho, op. cit., p. 52
365
Ainsi, les opérations offensives américaines et sud-vietnamiennes s’étendaient en
ampleur avec le déploiement de plusieurs éléments de corps et de divisions qui ont pris
d’assaut une succession de bases d’opérations supplémentaires. Le 5 mai, l’attaque
s’enclenchait sur la base d’opération 702, l’offensive située la plus au nord de la zone de
bataille. L’offensive, précédée de bombardements aériens, a été dirigée par le 4th Infantry
Division américaine et le 40e Régiment de l’ARVN. Lors de ces opérations de search and
destroy, les contacts contre le NVA empruntaient une allure sporadique, ce qui n’a pas
empêché les Forces américano-sud-vietnamiennes de saisir un volume important d’armes,
munitions, ressources médicales et vivres. Le 4th Infantry a poursuivi le ratissage du secteur
jusqu’au 16 mai avant de quitter, alors que l’ARVN y est demeurée neuf jours
supplémentaires afin de sécuriser les derniers recoins de la base 702. Au total, 276 soldats
nord-vietnamiens ont été tués et 18 autres capturés. Du côté allié, 30 soldats américains ont
péri et 16 hommes de l’ARVN sont tombés au combat. Au total, 170 soldats américains et
sud-vietnamiens ont été blessés.156 Le 6 mai, les bases 350, 351 et 354 ont vu venir leur tour
d’être ciblées par l’US Army et l’ARVN.
Fidèles à leurs tactiques, les Américains ont fait précéder l’assaut de la base 354, au
nord du Parrot’s Beak, d’un violent tir de barrage d’artillerie et de frappes aériennes. Par
après, des éléments d’infanterie mécanisée et démontée de la 25th Infantry Division
américaine se déployaient pour saisir, puis sécuriser la base d’opération 354. Lors des
combats, 167 membres des troupes communistes sont tombés au combat et on a découvert
33 tonnes de riz. Un peu plus à l’ouest, les Américains ont mis à jour un autre dépôt logistique
et y ont capturé un assortiment de 200 armes, 3000 livres de riz, 1600 livres de sel et 90
uniformes de VC.157 Le 14 mai suivant, la Brigade s’est redirigée au nord afin d’attaquer la
base d’opération 353, localisée dans le Fish Hook, alors que, parallèlement, la 1st Cavalry
Division s’affairait à sécuriser les bases 350 et 351. Lors de l’assaut de la base 351, les
Américains ont déniché un immense dépôt de munitions et de ressources logistiques. On a
baptisé le secteur « Rock Island East ».158 La quantité d’armes et de munitions découverte
156 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., p. 277. 157 Dinh Tho, op. cit., p. 78-79. 158Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., 277-278.
366
dans cette zone était à ce point colossale qu’il s’est avéré nécessaire d’ordonner la
construction d’une route reliant la base 351 à la Route 14 pour permettre le transport du
réapprovisionnement. Sans cette route, il aurait fallu des jours aux hélicoptères américains
pour être en mesure d’évacuer la totalité des armes et munitions communistes à l’extérieur
de la zone.159 Afin de maximiser l’efficacité des opérations de search and destroy, la 1st
Cavalry Division a enrôlé les services de soldats cambodgiens qui convoyaient jadis le
réapprovisionnement logistique communiste du port de Sihanoukville jusqu’aux bases
d’opérations près de la frontière. Dorénavant, ces mêmes troupes guidaient les unités de
reconnaissance américaines qui s’activaient à localiser les zones précises des bases
logistiques.160 Les opérations de ratissage se sont poursuivies et les troupes exhumaient plus
de caches logistiques qu’il leur aurait été possible de détruire, un état de chose qui a forcé le
commandement du MACV à déployer un bataillon supplémentaire de la 1st Cavalry Division
dans la zone d’opération.
Du côté des Forces sud-vietnamiennes, la 5e Division de l’ARVN, transportée par
hélicoptère, a procédé à l’assaut de la base 350. De très larges dépôts d’armes, de munitions
et de riz ont fait l’objet de saisies par les forces de l’ARVN161 qui y ont également découvert
un hôpital équipé d’équipement chirurgicaux, suffisamment vaste pour prodiguer des soins à
500 soldats.162 Le 9 mai, les troupes américaines et sud-vietnamiennes initiaient une
succession d’assauts terrestres et amphibies contre les bases d’opérations 704 et 709. Au
total, 30 gunboats américains et 60 gunboats de l’ARVN ont fait jonction sur le Delta du
Mékong alors que les troupes de la 9e Division de l’ARVN prenaient d’assaut les bases 704
et 709. Cette attaque a été celle localisée la plus au sud de l’incursion cambodgienne et la
première opération sur le Delta du Mékong au Cambodge. Les Marines de l’ARVN ont
débarqué des gunboats en vue de sécuriser certains points critiques et d’évacuer des réfugiés
de la zone de bataille. Des assauts ont également été menés contre les bases d’opération 701
et 740 alors que l’ARVN sécurisait d’autres secteurs et faisait main basse sur d’autres dépôts
159 Dinh Tho, op. cit., p. 79. 160 Ibid., p. 80. 161 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., 278. 162 Dinh Tho, op. cit., p. 81.
367
d’approvisionnements logistiques communistes. Pendant ce temps, les opérations
américaines contre les bases 352 et 353 localisées au sud de la Route 7 allaient bon train;
l’attaque de ces bases du NVA a été lancée à partir de trois différents azimuts, sous la
conduite des Américains et des Sud-Vietnamiens. Au cours des combats, les Forces
américaines ont repéré un gigantesque complexe logistique qu’ils ont surnommé « The
City ».163 Ce dernier, couvrant une surface de trois kilomètres carrés, était truffé
d’approvisionnements logistiques : 182 dépôts d’armes et de munitions, 18 bâtiments, un
large centre d’entraînement abritant un champ de tir, une ferme, en plus de larges dépôts de
nourriture, de vêtements militaires, de médicaments et d’équipements médicaux. L’ensemble
de cet approvisionnement était à l’état neuf et l’apparence des bâtiments et des abris
souterrains laissait présager qu’on les avait construits environ deux ans et demi au préalable
alors que d’autres dataient d’environ six mois. Voici le détail de ce en quoi consistait la
quantité d’équipements confisqués dans The City : 1282 armes personnelles (fusils d’assaut
AK-47), 202 mortiers, 319,000 munitions de haut calibre, 25,000 munitions antiaériennes,
1,555,900 munitions pour AK-47, 2,110 grenades à fragmentation, 58,000 livres d’explosifs,
400,000 munitions de 30 millimètres, 22 caisses de mines antipersonnel, 30 tonnes de riz, 8
tonnes de maïs et 1100 livres de sel. Les Américains ont également découvert un dépôt
d’équipement de transmission radio et un centre de maintenance pour les transports
logistiques communistes.164
The City constituait sans l’ombre d’un doute un des secteurs clé du réseau logistique
communiste. Sa neutralisation a porté un dur coup au VC dont, rappelons-le, plusieurs de ses
transfuges ont confirmé à quel point cette opération a brisé les reins de l’insurrection déjà
lourdement éprouvée par les opérations de pacification dans la RVN. Les manœuvres de
ratissage se sont poursuivies tout au long du mois de mai, jusqu’à juin, menant à la découverte
de nombreux autres dépôts logistiques, d’armes, de munitions et de riz. Néanmoins, jamais
on n’a pu coincer ou anéantir le quartier-général du COSVN lors de ces offensives.165 Du
côté politique, Nixon a réussi à obtenir l’appui de ses partisans au Congrès pour que
l’opération cambodgienne s’étende sur une période de six semaines. Dans le cadre de ces
163 Historical Division Joint Secretariat Joint Chiefs of Staff, The Joint Chiefs of Staff and the War in Vietnam,
1969-1970, op. cit., 278-280. 164 Dinh Tho, op. cit., p. 76-77. 165 Ibid., p. 280.
368
conditions, il s’avérait impératif pour les Américains de quitter le territoire cambodgien pour
le 30 juin. À la faveur d’une rencontre avec le Président et le général Wheeler, Abrams a reçu
ces instructions : à la suite du départ des Forces américaines du Cambodge, on poursuivrait
une campagne d’interdiction aérienne mais, en aucun cas, on n’y déploierait d’autres troupes.
Abrams a été en mesure d’autoriser la conduite d’appui aérien tactique pour les unités
américaines déployées dans la RVN près des zones restreintes cambodgiennes, mais sans
plus.166 Les opérations militaires se sont poursuivies tout au long du mois de juin au
Cambodge. Progressivement, les troupes américaines et sud-vietnamiennes commençaient à
évacuer la zone pour regagner la RVN. Le 29 juin, les dernières unités américaines quittaient
le Cambodge. De son côté, l’ARVN commençait son redéploiement à l’est vers la RVN le
20 juin. Lors de ce déplacement, l’ARVN est entrée plusieurs fois en contact avec d’autres
éléments du NVA tout en découvrant de nouveaux dépôts logistiques. Le 30 juin, l’essentiel
des troupes sud-vietnamiennes avait regagné la RVN.167 La figure 34 illustre la quantité totale
de matériel logistique détruit ou confisqué aux formations communistes.
Figure 34: Total des pertes communistes au Cambodge168
166 Ibid., p. 287, 293. 167 Dinh Tho, op. cit., p. 81-82. 168 Ibid., p. 193.
369
Entre le 1 mai et le 30 juin, un total de 10 opérations majeures ont été initiées contre
12 bases d’opérations communistes dans les zones du Fish Hook et du Parrot’s Beak. Au
moment où l’opération prenait de l’expansion, étendant ses ramifications à l’ensemble de la
frontière cambodgienne, les éléments américains déployés au Cambodge se chiffraient à
32,000 soldats alors que l’ARVN en comptait 48,000. L’approvisionnement logistique et les
armes et munitions capturés auraient suffi à équiper 74 bataillons d’infanterie du NVA, ce
qui équivaut à une vingtaine de brigades ou 5 à 8 divisions (selon leur configuration). Le total
des ressources saisies aurait aussi permis à ces effectifs d’opérer en toute autonomie pendant
un total de 16 mois dans la RVN.169 Le nombre de mortiers et de canons sans recul suffisait
à lui seul à équiper 33 bataillons; le riz saisi aurait pu nourrir 25,200 soldats pendant un an.
La récolte soustraite aux communistes pendant les quelques semaines passées au Cambodge
comportait un plus grand nombre d’armes que la moisson d’arsenal cueillie au cours de toute
l’année de 1968 et 1969 dans la RVN. De surcroît, on a capturé dans la RVN un nombre bien
plus volumineux de munitions et de riz qu’au cours de n’importe quelle année.170
Lors de l’incursion, malgré la présence importante de plusieurs unités, l’essentiel des
troupes du NVA a refusé de combattre les Américains et l’ARVN, préférant se redéployer à
l’ouest où ils ont ciblé civils et militaires cambodgiens.171 Politiquement, l’incursion
cambodgienne a fortement sapé la crédibilité d’Hanoï qui, pendant des années, avait allégué
n’avoir aucune troupe déployée au Cambodge. Bien qu’il ne leurrait personne par ces
fallacieuses assertions, le régime communiste pouvait désormais difficilement nier la
présence du NVA au Cambodge; l’incursion a forcé l’Armée nord-vietnamienne à « faire
surface » et commettre des « actes flagrants de violence ».172 L’invasion a percuté d’un
impact dévastateur l’effort de guerre communiste en contribuant à l’enlisement, de même
qu’au manque de réapprovisionnement du VC déjà complètement débordé par les opérations
contre-insurrectionnelles américaines et sud-vietnamiennes dans la RVN. Un ancien membre
du Parti communiste a déclaré que la perte des sanctuaires au Cambodge a été « désastreuse »
pour le VC, une réalité dépeinte lors du témoignage de prisonniers de guerre communistes
(voir le chapitre 4). L’ancien communiste a renchéri en révélant que cette opération les a
169 Lindsey, op. cit., p. 588-589. 170 Sorley, Vietnam Chronicles, op. cit., p. 455-456. 171 Lindsey, op. cit., p. 589. 172 Dinh Tho, op. cit.,p. 181-182.
370
privés de leurs installations médicales, de leurs centres d’entraînement, de leur dépôt de
munitions et de leurs réserves de nourriture. Il a aussi indiqué que le Cambodge constituait
leur refuge, un secteur sécuritaire leur permettant de décompresser après un dur séjour au
front. La perte de ces bases d’opération a sevré les unités communistes de leurs sanctuaires,
autant de caches pour s’abriter d’une guerre qu’ils considéraient de plus en plus meurtrière.173
Du côté américain, on a supputé qu’au moins six à neuf mois seraient nécessaires aux
communistes pour réorganiser leurs installations logistiques et les réapprovisionner avec du
nouveau matériel. Un transfuge communiste de haut-rang, le lieutenant-colonel Nguyen
Thanh, a admis que l’incursion cambodgienne « a complètement gâché » les plans du
commandement communiste qui s’apprêtait à déployer les 7e et 9e Divisions du NVA dans
le secteur de Phnom Penh, en vue de saisir la capitale cambodgienne. Une fois ce plan
exécuté, les communistes projetaient de lancer une offensive militaire conventionnelle contre
Saigon, une opération destinée, en termes d’intensité, à se comparer à l’offensive du Têt de
1968. Cette campagne offensive a péri dans l’œuf grâce aux opérations militaires américaines
et sud-vietnamiennes dans les bases d’opérations cambodgiennes.174
Dans la RVN, la perte des bases d’opérations a contraint le VC, déjà victime d’une
violente attrition de Phoenix et du CORDS, à disperser et étendre ses troupes dépourvues de
renforts et de réapprovisionnement. La perte des bases communistes devait également forcer
un redéploiement de leurs forces de combat dans la zone démilitarisée et le Laos, ce qui a
engendré une multitude de lacunes et de difficultés supplémentaires pour le VC et le NVA.
Le moral des troupes communistes a été profondément affecté par cette campagne,
particulièrement dans les III et IV Corps, secteurs qui dépendaient le plus du
réapprovisionnement en provenance du Cambodge.175 Néanmoins, malgré tous les
dommages infligés par cette campagne militaire, le réseau logistique communiste et la
capacité à opérer du NVA ne s’en sont trouvés que temporairement affectés. À l’extérieur
des bases d’opération, 40,000 troupes nord-vietnamiennes opéraient impunément dans le
nord-est du Cambodge. Afin de pallier les pertes catastrophiques engendrées par l’incursion,
les communistes ont réajusté leur processus de réapprovisionnement en maximisant
173 Moyar, op. cit., p. 264-265. 174 Dinh Tho, op. cit., p. 173. 175 Ibid., p. 175.
371
l’exploitation des pistes du Laos. Avec le temps et l’absence de troupes de sécurité statiques,
les communistes pourraient également rétablir leurs bases d’opérations au Cambodge et ainsi
réactiver leurs lignes de communication et de réapprovisionnement dans la RVN.176 Sans
l’appui des Américains, l’Armée cambodgienne s’est trouvée démunie le temps venu de
confronter les troupes aguerries du NVA près de la frontière de la RVN. À ce stade de la
guerre, il était hors de question pour Washington de déployer des troupes au Cambodge en
vue d’assister Lon Nol dans sa lutte contre les communistes qui violaient la souveraineté du
pays. Du côté du GVN, on n’a pas cherché à conceptualiser de plans pour assurer
l’interdiction continuelle des bases d’opérations communiste au Cambodge. En conséquence,
les résultats générés par l’incursion cambodgienne ont été éphémères.177 En 1971, l’ARVN
a cherché à initier une opération similaire à celles de l’incursion cambodgienne au sein des
frontières du Laos. Baptisée LAM SON 719, cette opération devait voir l’Armée sud-
vietnamienne prendre l’entière charge de son exécution. L’apport des Américains s’est limité
à des hélicoptères pour le transport de troupes et des chasseurs pour de l’appui aérien
rapproché. Tout comme au Cambodge, cette opération s’est avérée être de nature purement
conventionnelle et excluait, avec raison, toute notion de contre-insurrection.
Le 8 février, des unités d’infanterie, de Marines et de Rangers sud-vietnamiens
infiltraient le Laos afin de bloquer la Piste Ho Chi Minh. Néanmoins, le NVA, doté d’effectifs
s’élevant à 20,000 soldats, attendait les combattants de l’ARVN de pied ferme. De l’artillerie,
des chars, et des armes antiaériennes appuyaient les troupes nord-vietnamiennes et une
réserve de 16,000 soldats supplémentaires était aussi déployée au sud, prête à coincer les
forces de l’ARVN dans un gigantesque mouvement de tenaille. De plus, contrairement au
contexte ayant sévi lors de l’incursion cambodgienne, les lignes de réapprovisionnement et
de communication nord-vietnamiennes ne se trouvaient pas dispersées sur des centaines de
kilomètres compte tenu de la proximité de la RDVN.178 LAM SON 719 a coûté la vie de
1500 soldats à l’ARVN qui a également dénombré 5400 blessés. Le NVA a pour sa part
perdu16,224 soldats, 75 de ses 110 chars ont été détruits et des tonnes de dépôts logistiques
saisis ou anéantis. Les Américains ont perdu 82 hélicoptères et sept chasseurs, en plus de
176 Ibid., p. 182. 177 Ibid., p. 183. 178 Murray et Mansoor, op. cit., p. 282-283.
372
dénombrer 55 morts, 178 blessés et 34 portés disparus.179 LAM SON 719 a démontré
l’évidence : lors de ses confrontations face au NVA, l’ARVN nourrissait une dépendance
tenace envers l’appui aérien américain. La preuve : les chasseurs de l’USAF et de la Navy
ont dû effectuer 90,000 sorties lors de cette seule offensive.180 Cette réalité s’est également
trouvée esquissée lors de la chute de la RVN aux mains des communistes en 1975; aucun
appui aérien américain n’a épaulé l’ARVN, ce qui devait résulter en son passage à tabac par
le NVA. Les difficultés rencontrées par les Forces sud-vietnamiennes au Laos ont eu en
grande partie pour conséquence l’absence de conseillers et de troupes américaines pour
opérer à leurs côtés. La présence de ces conseillers lors de l’offensive printanière de 1972
avait galvanisé l’ARVN (de concert avec les B-52) dans ses opérations de contre-attaque.181
De plus, ces assistants militaires s’avéraient des experts en matière de coordination des
ressources et d’opérations combinées. En situation de combat, leur expertise leur a permis de
coordonner l’appui des éléments héliportés et aériens ainsi que le commandement et le
contrôle des opérations conventionnelles impliquant chars et infanterie. Il est
malheureusement notoire que les officiers de l’ARVN ne bénéficiaient ni de la même
expertise, ni de la même confiance en leurs moyens que leurs comparses américains.182
LAM SON 719 a longtemps été exposé comme une véritable catastrophe pour les
Forces armées sud-vietnamiennes. Néanmoins, les pertes communistes cumulaient un
nombre immensément plus sévère, sans compter que l’opération a permis à l’ARVN de cibler
les coordonnées des secteurs clés du réseau de réapprovisionnement communiste, opération
impossible à exécuter du haut des airs. Les soldats sud-vietnamiens ont également pu
positionner 15,000 mines sur le réseau de transport communiste qui infiltrait la RVN.
L’opération a forcé Hanoï à redéployer trois à quatre divisions du NVA préalablement
positionnées dans la RVN pour protéger la Piste Ho Chi Minh d’une nouvelle incursion de
l’ARVN au Laos. La manœuvre a causé suffisamment de problèmes pour que l’Armée nord-
vietnamienne ne puisse initier d’attaques majeures dans la République du Vietnam pour le
reste de 1971.183 Bien que les incursions cambodgienne et laotienne aient sévèrement
endommagé le réseau logistique communiste, l’effet ne pouvait qu’être précaire sans la
179 Young, op. cit., p. 214. 180 Ibid., p. 214. 181 James H. Willbanks, A Raid too Far, College Station. Texas A&M University Press, 2014, p. 198. 182 Ibid. 183 Ibid., p. 214, 219.
373
présence de troupes et de positions défensives permanentes au sein des frontières du
Cambodge et du Laos. L’obstination de Washington à empêcher Westmoreland d’exécuter
son plan d’action au Laos en 1965, la réticence à appuyer militairement Lon Nol contre le
NVA au Cambodge et le départ de l’ensemble des Forces armées américaines de la RVN ont
été autant de décisions qui devaient éteindre toute possibilité de provoquer la dislocation du
sous-système logistique de la machine de guerre communiste au Vietnam.
5.5. Conclusion
Le présent chapitre a cherché à montrer que le système logistique communiste
constituait un élément névralgique de l’effort de guerre du NVA et du VC dans la RVN. La
Piste Ho Chi Minh, qui s’initiait à partir de la RDVN, longeait le Laos, puis faisait jonction
avec les sentiers d’approvisionnement du Cambodge. Au cours du conflit, des centaines de
milliers de soldats ainsi que des tonnes d’armes, de munitions et autres approvisionnements
logistiques se sont fait convoyer via ces sentiers pour aller renforcer les éléments
communistes dans la RVN. Dès sa prise du commandement du MACV, Westmoreland a
immédiatement voulu procéder à la dislocation des lignes de communication et de
réapprovisionnement communistes au Laos en y déployant plusieurs divisions. Cette requête,
qui s’accordait à l’élaboration d’un plan d’action conforme aux règles usuelles de guerre
conventionnelle, a constamment été refusée par Washington soucieux de ne pas élargir le
conflit et de respecter la prétendue neutralité du Laos.
Ce déni a facilité l’exploitation de la Piste, constamment réparée et entretenue par le
Groupe 559. Afin d’enrayer le flot d’approvisionnement logistique communiste, la campagne
de bombardement ARC LIGHT et une série d’autres opérations aériennes ont reçu
l’approbation de la Maison-Blanche. Pour faciliter la localisation des bases d’opérations clés
du NVA et du VC, le MACV a déployé des forces d’opérations spéciales du SOG pour
effectuer des missions de reconnaissance, notamment au Laos, au Cambodge et dans la
RDVN. Ces opérateurs assuraient le ciblage des lignes de communication et des zones de
rassemblement communistes ce qui, en principe, aurait dû entraver le réseau logistique du
NVA et du VC. Néanmoins, ces efforts se sont révélés vains ; le SOG, déployé dans un
environnement extrêmement hostile, s’est souvent trouvé confronté à des régiments entiers
du NVA. Sans la présence de troupes conventionnelles alliées pour assister les opérations de
reconnaissance du SOG, leurs missions ne pouvaient suffire à la tâche. De plus, les multiples
374
opérations de Bomb Damage Assessment des opérateurs du SOG ont souligné l’évidence que
les bombardements américains ne pouvaient, à eux-seuls, enrayer le réseau logistique
communiste. De l’aveu même des communistes, ce ne sont ni le SOG ni les bombardements
qui causaient une réelle menace à la Piste mais plutôt l’incursion des Forces régulières
américaines et sud-vietnamiennes au Cambodge. L’opération TOAN THANG a vu des
dizaines de milliers de soldats de l’US Army et de l’ARVN s’infiltrer dans les jungles
cambodgiennes en vue d’anéantir les bases d’opérations du réseau logistique communiste.
La quantité titanesque d’équipement détruite ou confisquée a démontré à quel point l’effort
de guerre d’Hanoï reposait sur sa base logistique. Toutefois, cette opération ne pouvait suffire
à la tâche. D’une part, les Forces américaines et sud-vietnamiennes ne laissaient aucune force
ni positions défensives statiques au sein des bases d’opérations communistes au Cambodge
en vue d’empêcher leur éventuelle réoccupation par le NVA et le VC. D’autre part, le Laos
est demeuré constamment hors de portée des Forces régulières américaines, ce qui a empêché
d’endommager avec autant de sévérité qu’on l’aurait souhaité les bases d’opérations
communistes de ce secteur.
En 1971, l’opération LAM SON 719 a cherché à répéter les succès de TOAN THANG
avec le déploiement de l’ARVN sur la Piste Ho Chi Minh au Laos. Néanmoins, cette initiative
ne devait connaitre que des résultats opérationnels limités vu le retrait des régiments de
l’ARVN du Laos à la suite de l’opération. À l’image de l’offensive printanière qui allait avoir
lieu l’année subséquente, l’Armée sud-vietnamienne a fait montre d’une grande dépendance
à l’appui des Américains une fois confrontée au NVA. Le départ des Forces militaires
américaines de la RVN et l’inoccupation des zones de ravitaillement communistes au
Cambodge et au Laos ont rendu caduque toute possibilité d’enrayer le flot éventuel de
nouvelles forces bien réapprovisionnées du NVA dans la RVN. Le déclenchement de
l’offensive printanière communiste en constituait la preuve patente ; des dizaines de milliers
de troupes conventionnelles du NVA ont attaqué le sud avec chars, infanterie et artillerie qui
ont ciblé l’ARVN sur de multiples fronts via la zone démilitarisée, le Laos et le Cambodge.
Rétrospectivement analysé, il aurait été essentiel pour les Américains de procéder au plan de
Westmoreland et de bloquer sans attendre la Piste Ho Chi Minh au Laos. Sans l’exploitation
de ce plan d’action, aucune victoire n’était possible dans le cadre du conflit hybride de la
guerre du Vietnam. Dans les faits, la guerre, aurait-elle été exclusivement conventionnelle,
cette initiative se serait avérée tout aussi nécessaire pour éradiquer l’effort de guerre
375
communiste dans la RVN. Les Forces américaines déployées dans un contexte défensif tel
que celui-ci, auraient opéré dans leur élément naturel, c’est-à-dire, une guerre de nature
conventionnelle avec l’établissement d’une succession de positions défensives divisionnaires
disposées en profondeur, capables d’initier des opérations de défenses, couplées à de
violentes opérations de contre-attaques et d’appui aérien soutenus. Ces doctrines ont été
spécifiquement conçues pour contrer une offensive majeure de divisions conventionnelles de
l’Armée soviétique, la seule véritable force militaire capable de rivaliser de façon directe
avec les Forces armées américaines. Ces dernières se seraient montrées plus que capables
d’affronter l’équivalent conventionnel de l’Armée nord-vietnamienne dans un contexte
similaire sur la Piste Ho Chi Minh. Ce potentiel scénario a suscité l’inquiétude du leadership
communiste qui, ultimement, n’a jamais vu son réseau logistique menacé de façon critique à
long terme. Nonobstant ces réalités militaro-tactiques et opérationnelles, on a souligné à
maintes reprises que l’occupation de la Piste n’aurait rien changé à l’issue du conflit. Il est
difficile d’acquiescer à ce type de commentaire lorsqu’on analyse l’impact majeur de
l’opération cambodgienne qui s’est étendue sur une durée de quelques semaines seulement.
L’unique raison ayant causé le caractère éphémère des effets de l’incursion à long
terme a été la résultante de la non continuation des opérations d’interdiction au cœur même
du réseau logistique communiste. Sans le blocage continu des lignes de réapprovisionnement
d’une armée, cette dernière pourra pallier ses manques et invariablement, continuer à opérer
et à combattre. Ces règles s’appliquent à l’ensemble des guerres et conflits qui jalonnent
l’histoire, de l’Antiquité au 21e siècle. Que serait-il advenu si la Royal Navy n’avait coulé
qu’un seul des fréquents convois de navires destinés à réapprovisionner Rommel en Afrique
du Nord? Que serait-il arrivé si les Soviétiques n’avaient pas bloqué les lignes de
communication et de réapprovisionnement de la Wehrmacht lorsque la 6e Armée allemande
s’est trouvée coincée à Stalingrad? Que serait-il advenu si les Alliés n’avaient pas cherché à
contrer les opérations d’interdiction des U-Boat dans l’Atlantique? Ces questions peuvent, à
première vue, sembler incohérentes car il apparaît évident que les parties concernées
n’auraient jamais adopté des options militaro-tactiques aussi insensées et contre-productives.
Pourtant, ce non-sens militaro-tactique incarne de manière littérale les options privilégiées
par la Maison-Blanche une fois confrontée au spectre logistique communiste. Le
déploiement de divisions américaines à l’extérieur de la RVN aurait forcé le NVA à
combattre directement son adversaire s’il avait voulu conserver l’atout maître de sa précieuse
376
Piste Ho Chi Minh. Dans la République du Vietnam, le NVA, perpétuellement surclassé à
long terme par son adversaire, s’est trouvé constamment poussé à chercher refuge au Laos et
au Cambodge. Confronté à un tel scénario au Laos, la seule échappatoire du NVA aurait été
de regagner la RDVN. On ne peut qu’imaginer les impacts bénéfiques de ce cours d’action
sur la stabilité et la sécurité des secteurs ruraux de la RVN qui, malgré le flot continu de
renforts communistes, a vu l’insurrection anéantie peu à peu.
Quoi qu’il en soit, rien de cela ne devait se produire ; malgré les résultats positifs de
TOAN THANG et de LAM SON 719, c’était trop peu trop tard. Le cours d’action privilégié
par les Américains pour enrayer le réseau logistique communiste a invalidé les bénéfices
potentiels de ces deux opérations à long terme. Le NVA a été en mesure de retraiter pour
panser ses plaies et ensuite, sans contraintes aucunes, réexploiter la Piste Ho Chi Minh. Cette
voie constituait un élément névralgique dans le déploiement des divisions communistes qui
ont envahi et provoqué la chute de la République du Vietnam en avril 1975. Ainsi, malgré
tous les efforts déployés, les Américains ont échoué à disloquer le sous-système logistique
de la machine militaire communiste. Lorsque les Forces armées américaines ont quitté le
Vietnam en 1972, le seul sous-système incontestablement amputé a été celui de l’insurrection
du Viêt-Cong. Les sous-systèmes de guerre conventionnelle du NVA et du système
logistique communiste demeuraient toujours opérationnels et ont, ultimement, suffi à vaincre
de façon définitive l’ARVN qui, en 1975, ne bénéficiait plus de l’appui militaire direct des
Américains.
377
CONCLUSION
Cette thèse a mis en évidence les facteurs militaires responsables de l’incapacité des
Américains à stabiliser radicalement le théâtre d’opération vietnamien et à empêcher
l’inexorable chute de la République du Vietnam aux mains des communistes. Le chapitre 1
à exposé la complexité des dynamiques d’insurrection, de contre-insurrection et de guerre
hybride. La doctrine privilégiée par Vo Nguyen Giap et les éléments insurgés du VC a en
grande partie été calquée sur les doctrines de Mao Zédong. La survie et le bon
fonctionnement de l’insurrection communiste (et de toute insurrection) dépendent de la
liberté d’action des insurgés à pouvoir se mêler à la population civile et gagner son appui,
qu’il soit volontaire, tacite ou forcé. Les cadres politiques communistes se voyaient imputer
la responsabilité d’assurer la continuation du contrôle exercé sur la population et d’en tirer
les éléments nécessaires à l’effort de guerre du Viêt-Cong : renseignement, nourriture,
approvisionnement logistique, sanctuaires, sans oublier le plein de nouvelles recrues à greffer
aux forces de combat de l’insurrection. Une fois amputée de cet appui soutenu de la
population, l’insurrection perdrait ses moyens et ne serait plus en mesure de continuer à
opérer au sein des secteurs ruraux. Le concept de contre-insurrection vise à faciliter l’atteinte
de cet objectif en maintenant la scission entre insurgés et population civile.
Pour ce faire, les forces contre-insurrectionnelles doivent impérativement sécuriser
les secteurs ruraux et déployer des forces permanentes auprès des civils pour les protéger des
insurgés. Les étapes suivantes du processus à suivre pour les forces contre-insurrectionnelles
consistent à améliorer les conditions socio-économiques de la population, assurer le bon
fonctionnement du processus de gouvernance rurale et maximiser les opérations
psychologiques à l’endroit de la population civile et des insurgés. Au 20e siècle, on a vu ces
doctrines en grande partie conceptualisées et adaptées aux réalités de la guerre moderne par
une succession de stratégistes et de tacticiens. Deux des experts les plus réputés en la matière
étaient sans conteste le lieutenant-colonel David Galula qui a vu ses doctrines copiées par les
Marines au Vietnam ainsi que Sir Robert Thompson. Lors du déploiement de ce dernier avec
le BRIAM pour assister le gouvernement de Ngo Dinh Diem au Vietnam en 1960, il y a
transposé son concept d’opération. De concert avec les conseillers américains du MAAG
commandé par le général McGarr, Thompson a redynamisé les opérations de COIN des
Forces sud-vietnamiennes. Tant et si bien qu’en 1963, elles ont surpassé le Viêt-Cong qui a
378
exposé sa vulnérabilité face aux doctrines qui avaient précédemment entravé les opérations
des insurrections du FLN et du MNLA. Les hameaux stratégiques ont rempli leur mission en
séparant les insurgés de la population rurale vietnamienne ; le VC rencontrait énormément
de difficultés à exploiter ses lignes de communication et perdait progressivement le contrôle
d’une grande partie des secteurs ruraux de la RVN. Malgré les ratés du départ, le GVN se
trouvait en bonne voie de vaincre le VC en 1963, une réalité corroborée par Robert Thompson
et par les communistes. Néanmoins, plusieurs médias ont dessiné un portrait fort différent de
la situation opérationnelle au Vietnam. La presse a fait preuve d’une objectivité plus que
douteuse, ne cachant pas un mépris des plus total pour Diem qui est devenu la proie de
dénonciations constantes. Le programme d’hameaux stratégiques a aussi été dénoncé par
plusieurs médias qui tendaient à troquer leur métier de journaliste pour s’improviser
tacticiens et stratèges militaires. Cette tangente, très frustrante pour les militaires de même
que pour le Président Kennedy, a soulevé un vent d’inconfort parmi d’autres médias,
particulièrement le Time Magazine, qui ne s’accordait en rien au modus operandi
journalistique de l’ensemble de la classe journalistique à Saigon.
Cette dernière, dénuée d’impartialité, n’hésitait pas à jeter le voile sur les défaites et
les atrocités commises par le VC contre la population civile qui refusait d’appuyer
l’insurrection. En revanche, les bourdes et les défaites de l’ARVN et les interventions
policières du GVN contre les violentes manifestations bouddhistes faisaient les choux gras
de la Une des tabloïdes. De plus, maints politiciens américains, dont l’Ambassadeur Henry
Cabot Lodge, exerçaient beaucoup de pression sur Diem afin qu’il modère ses politiques,
notamment contre les opposants bouddhistes. Bénéficiant de l’accord tacite des Américains,
une junte de généraux devait renverser Diem qui a été assassiné avec son frère Ngo Dinh
Nhu ; ce démantèlement du pouvoir en place a entraîné la fin du programme d’hameaux
stratégiques dans la RVN. Le VC a alors fait de la destruction des hameaux son cheval de
bataille prioritaire et il a fallu très peu de temps pour que la grande majorité des secteurs
ruraux retombent aux mains de l’insurrection VC. En 1965, la situation atteignait une
précarité telle que Washington, suivant l’adoption de la Résolution du Golfe de Tonkin, a
autorisé le déploiement de plusieurs divisions américaines au Vietnam. De nombreux mois
avant la dépêche des premières unités de combat américaines, Hanoï initiait le déploiement
des premiers régiments réguliers de l’Armée nord-vietnamienne dans la RVN. Une fois le
NVA jumelé aux forces insurrectionnelles du VC, le conflit vietnamien devait perdre son
379
statut de guerre d’insurrection pour se muter de manière effective en un conflit hybride. Alors
chef d’état-major du NVA, Giap maximisait les bases du concept de guerre hybride en
exploitant la stratégie du dau tranh, une tactique conceptualisée en exploitant la synergie des
éléments de guerre conventionnelle avec le NVA, de guerre non conventionnelle avec le VC
et d’approvisionnement logistique via la Piste Ho Chi Minh. Ce processus synergétique a
entraîné l’attrition subtile et progressive de l’organe militaire américain au Vietnam, ce qui
s’est répercuté invariablement sur les organes politiques, économiques, sociaux et
médiatiques (information) des États-Unis (PMESI). L’offensive du Têt lancée en 1968 a
constitué l’apothéose du concept de guerre hybride communiste avec le déploiement conjoint
de 84,000 soldats du VC et du NVA. Ceux-ci menaient respectivement ou de façon
coordonnée des opérations subversives de petites unités ainsi que des opérations
conventionnelles aux échelles de régiment et de division sur tout l’ensemble du territoire sud-
vietnamien. Bien qu’ayant encaissé une défaite catastrophique aux mains des Forces
américaines et de l’ARVN, les communistes ont été à même d’exploiter le facteur
informationnel et médiatique du concept de guerre hybride. L’incompréhension du statut de
la situation opérationnelle combinée à l’exposition directe aux combats a choqué les
journalistes qui ont brossé le portrait d’une situation précaire et irréversible pour le GVN et
les Américains.
L’impact médiatique a été tel que l’offensive du Têt a donné l’impression au public
américain que les communistes avaient remporté une grande victoire pendant que le GVN et
les États-Unis subissaient une défaite cataclysmique. Le manque de détermination du
Président Johnson n’a fait qu’exacerber la crise politico-sociale rencontrée aux États-Unis à
la suite de l’offensive. Pourtant, les larges formations de combat du VC ont été littéralement
éliminées lors du Têt et des opérations subséquentes du mini-Têt. Le leadership communiste
ainsi que Giap, bien qu’ils ne l’aient pas admis publiquement, ont reconnu que l’offensive
avait abouti sur une défaite. Néanmoins, la pression médiatique exercée sur la Maison-
Blanche qui subissait également celle d’une population civile très mal informée et lasse du
conflit ont incité le Président Johnson à initier des pourparlers de paix avec Hanoï. Bien
qu’ayant subi une défaite militaire, les communistes ont pu clamer une véritable victoire
politique en décourageant la classe politique et sociale américaine de poursuivre la guerre en
Asie du Sud-Est. En clair, chacune des branches et Lignes d’Opérations du PMESI s’est vue
frappée et déstabilisée par Hanoï. Il est à noter que le travail d’une partie de la classe
380
journalistique au Vietnam a eu un impact très négatif sur l’ensemble de l’effort de guerre
américain. À lui seul, cet aspect du conflit pourrait constituer les bases d’une thèse doctorale.
Après la guerre, les médias se sont défendus d’avoir exercé un impact quelconque sur la
perception du public en lien avec cette guerre, alléguant qu’ils n’avaient fait que rapporter
l’information. Pourtant, le style journalistique d’individus comme David Halberstam, Neil
Sheehan, Morley Safer et quantité de journalistes basés à Saigon trahissait une partisannerie
sans équivoque et un manque flagrant d’objectivité. À cela s’amalgamait une
incompréhension de la situation militaro-opérationnelle critiquée par une classe
journalistique très impressionnable une fois confrontée aux horreurs de la guerre.
À cet effet, citons en exemple Walter Cronkite, un journaliste d’expérience qui s’est
montré confus sur bien des aspects quand il s’est trouvé confronté aux dures réalités du
conflit. Sans la censure et le contrôle des médias lors des guerres antérieures à celles du
Vietnam, il est fort probable que bien des journalistes et citoyens américains se seraient aussi
montrés profondément choqués par ce dont ils auraient été témoins. Il est très peu probable
que les images de la Deuxième Guerre mondiale, si on les avait présentées aussi ouvertement
que celles de la guerre du Vietnam, auraient été aussi « galvanisantes » que les vidéos
propagandistes diffusées dans les salles de cinéma en Amérique du Nord. On ne peut
qu’imaginer la réaction de la population américaine si elle avait été témoin des batailles
d’Iwo Jima et de Guadalcanal, véritables boucheries de la guerre du Pacifique. Néanmoins,
il convient de souligner que plusieurs journalistes se sont acquittés avec intégrité de leur
devoir au Vietnam. Parmi ceux-ci, citons Joseph Galloway et Bernard Fall, qui brillèrent par
leur objectivité et leur contact direct sur le champ de bataille.
Dans le second chapitre, il a été démontré que la critique de nombreux historiens qui
dénonçaient sans cesse Westmoreland pour avoir privilégié l’exploitation d’un concept
d’opération conventionnel était dénuée de fondement. Nous avons constaté que lors du
débarquement des troupes américaines au Vietnam, l’ARVN se trouvait surclassée sur tous
les fronts et littéralement submergée par le NVA et le VC qui s’apprêtaient à scinder la RVN
en deux alors qu’ils initiaient une succession d’opérations offensives régimentaires et
divisionnaires. Appliquer un plan de contre-insurrection à ce stade du conflit aurait été futile
et, à coup sûr, n’aurait pas manqué de céder la mainmise d’une très grande partie de la RVN
aux formations communistes. Dans cette optique, les opérations de search and destroy se
381
sont avérées impératives pour le MACV. Bien qu’il privilégiait un concept de guerre
conventionnelle, Westmoreland a accordé beaucoup d’importance aux opérations de COIN
en esquissant son concept d’opération. Néanmoins, les Américains, qui peinaient à appliquer
les plans du commandant du MACV, ont préféré concentrer leurs opérations sur la
destruction des bases d’opérations communistes et les larges formations du VC et du NVA.
Même si les éléments conventionnels américains ont réussi à freiner l’offensive communiste
et ainsi empêcher la chute de la RVN, il a été impossible pour Westmoreland de faire fi de la
présence de ces bases d’opérations. Plusieurs historiens et journalistes ont clamé que
Westmoreland aurait dû « ignorer » ces bases d’opérations et se concentrer sur la campagne
de COIN pour enrayer les opérations de guérilla du VC. Toutefois, ce que d’aucuns peinent
à saisir est qu’il s’agissait d’une guerre hybride ; un cours d’action centré sur la contre-
insurrection se serait avéré une véritable catastrophe pour les Américains, l’ARVN et le
GVN. Ces bases d’opérations communistes n’étaient pas des camps de villégiature ; elles
servaient de bases d’entraînement, de dépôts logistiques et de quartiers-généraux pour le
COSVN qui assumait la coordination et la projection des régiments communistes au sein du
théâtre d’opération sud-vietnamien.
En ignorant ces bases d’opérations et les larges formations du NVA et du VC,
Westmoreland aurait effectivement facilité la conduite d’offensives constantes comme celles
du mini-Têt dans l’ensemble de la RVN. Confrontées à cette réalité, les forces contre-
insurrectionnelles se seraient vues submergées par une succession d’offensives communistes
qui auraient sévèrement entravé la conduite des opérations de pacification. À cet effet, nous
avons été à même de constater ce qu’il est advenu aux Combined Action Platoons des
Marines lors de l’offensive du Têt. Aussi professionnelle soit sa mise en application, une
opération de COIN n’était pas conceptualisée pour que ses forces puissent combattre un
adversaire conventionnel exploitant infanterie, artillerie, de même que des assauts
bataillonnaires et régimentaires. En ce qui a trait aux bases d’opérations communistes, leurs
structures avaient été conçues de manière à assurer une défense classique de guerre purement
conventionnelle ; des principes contre-insurrectionnels n’auraient préparé en rien les
éléments d’infanterie américains aux combats qu’ils ont dû mener contre les communistes au
sein de leurs châteaux forts. La conduite des opérations CEDAR FALLS et APACHE SNOW
ne constituent que quelques exemples des capacités militaires des communistes en termes de
positions défensives ; celles-ci s’accordaient à des doctrines conventionnelles classiques
382
apparentées à celles exploitées par les Japonais lors de la guerre du Pacifique. JUNCTION
CITY a pour sa part démontré les capacités des larges formations du VC et du NVA en
matière d’opérations offensives conventionnelles. Si elles n’avaient pu compter sur leur
puissance aérienne et d’artillerie, de nombreuses unités américaines auraient été submergées
et annihilées par les forces communistes. Les batailles de la Vallée de Ia Drang, d’Ap Bau
Bang, de Suoi Tre et d’Ap Gu en sont la preuve vivante. Bien que le MACV se soit vu tout
à fait justifié d’exploiter des tactiques et doctrines conventionnelles, ces opérations
offensives se sont faites au dépend des opérations de COIN qui auraient été tout aussi
justifiées. À cet effet, nous avons constaté le manque flagrant de coordination entre les
opérations militaires conventionnelles et contre-insurrectionnelles. Les opérations de search
and destroy de l’US Army étaient conduites sans prendre en considération la sécurité des
civils dont des centaines de milliers sont devenus des réfugiés. On a littéralement pilonné les
villages abritant des forces du VC à grands renforts d’artillerie et de napalm, plaçant ainsi la
population civile au centre des hostilités opposant les unités de combat américaines et
communistes. Certains villages étaient d’abord sécurisés puis subséquemment abandonnés
par les forces de sécurité, procédé qui facilitait le retour du VC au sein même de secteurs
catégorisés dorénavant comme « sécuritaires ».
Cet enchaînement de reprise et d’abandon de secteurs forçait les Américains à
procéder à des opérations de ratissage récurrentes au sein de zones préalablement visées par
leurs opérations de search and destroy. En opérant de la sorte et en n’enrayant pas l’accès à
la Piste Ho Chi Minh, les Américains jouaient le jeu de l’insurrection et du NVA, en plus
d’être condamnés à un cycle répétitif de perpétuel recommencement qui enrayait toute
possibilité de consolider une bonne fois pour toutes les secteurs ruraux déjà stabilisés de la
RVN. De plus, l’abandon de secteurs et de terrains militairement clés si durement arrachés
au NVA ne faisait qu’exacerber la situation. Hamburger Hill constitue un des exemples les
plus probants du problème. En conséquence de cette procédure, les Américains ont échoué à
disloquer le sous-système conventionnel de la machine de guerre hybride des communistes.
Du côté des secteurs peuplés, le GVN envisageait bel et bien le déploiement de forces
paramilitaires pour assurer la protection des civils contre les insurgés, par suite des opérations
conventionnelles. Néanmoins, il était très rare qu’on achemine ces forces immédiatement
après le départ des unités conventionnelles américaines et sud-vietnamiennes puisqu’elles
cherchaient à poursuivre la traque des larges formations VC et du NVA, laissant ainsi le
383
champ libre aux unités de guérilla du Viêt-Cong d’opérer dans les secteurs ruraux. En vue de
contrer le concept d’opération hybride des communistes, une seule option était envisageable
: assurer la protection permanente des civils tout en maintenant la continuité des opérations
conventionnelles. C’est dans cette optique qu’est né le concept des Combined Action
Platoons des Marines dans I Corps. Le chapitre 3 a exposé la volonté des Marines d’exploiter
des tactiques contre-insurrectionnelles contre le VC, tendance qui s’explique par la tradition
historique de l’USMC. Lors des premiers déploiements des Marines à Danang, en mars 1965,
on ne devait pas tarder à être témoins des premières opérations civiques de l’USMC via ses
opérations de MEDCAP. Les Marines comprenaient que s’ils voulaient assurer la sécurité de
la base aérienne de Danang, ils devaient impérativement maximiser l’interaction des
militaires avec la population civile et gagner l’appui de cette dernière en améliorant son
quotidien et en la protégeant du VC. Confrontés à une insurrection communiste déterminée,
les Marines n’ont pas tardé à réaliser la nécessité de muter leur stratégie s’ils voulaient
définitivement assurer la scission des insurgés et de la population civile, puis de maximiser
le développement des forces paramilitaires. C’est ainsi que le III MAF a autorisé le
déploiement des premiers CAP, destiné à voir les Marines étendus et positionnés en
permanence au sein des villages localisés à l’est de la zone d’I Corps.
Le concept, littéralement calqué sur les principes contre-insurrectionnels de Galula, a
causé énormément de problèmes aux VC : l’accès aux villages leur était restreint et ils se
voyaient constamment embusqués sur leurs lignes de communication. Le concept de CAP
permettait aux Marines de gagner la confiance de la population civile, tant et si bien que les
locaux n’ont pas tardé à fournir aux Américains du renseignement sur les activités insurgées.
Cette dynamique a donné naissance à une symbiose qui a facilité les bases d’une
autoprotection mutuelle entre les paysans sud-vietnamiens et les Marines. Lorsque la 173rd
Airborne Brigade a exploité le modus operandi de l’USMC dans II Corps, elle a obtenu les
mêmes résultats positifs. Sous ces conditions, les cadres politiques du VC pouvaient très
difficilement opérer à l’intérieur des villages occupés par les Forces américaines. En général,
les insurgés cherchaient plutôt à éviter les villages occupés par des CAP dans I Corps, ce qui
témoigne de la grande efficacité du concept. Cette réalité s’est trouvée dépeinte lors de
l’offensive du Têt lorsque de larges formations communistes ont spécifiquement pris pour
cibles les CAP. À l’image des hameaux stratégiques de Diem, ceci trahissait la profonde
irritation des communistes vis-à-vis des CAP. Toutefois, le principe contre-insurrectionnel
384
des CAP a trahi son incompatibilité au théâtre d’opération vietnamien lorsque l’aspect
conventionnel du conflit a fait surface. Plusieurs CAP sont tombés sous les assauts réplétifs
du NVA et du VC lors de l’offensive du Têt, ce qui démontre l’importance névralgique
d’assurer le synchronisme des opérations contre-insurrectionnelles et conventionnelles lors
d’un conflit de nature hybride. Bien que le III MAF soit bien au fait de cette réalité, la nature
de la menace conventionnelle du NVA s’avérait trop prépondérante pour qu’on puisse
déployer suffisamment de Marines au sein de nouveaux CAP. De plus, le MACV ne cachait
pas son profond désaccord avec le concept d’opération du III MAF et de ses CAP qui ne
bénéficiaient pas du soutien de Westmoreland. Au total, seulement 114 Combined Action
Platoons ont été déployés, ce qui a limité les impacts opérationnels des opérations de COIN
des Marines dans I Corps. Il a fallu attendre 1967 et la création du CORDS avant de voir les
opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles américaines synchroniser leurs
opérations contre le NVA et l’insurrection VC. Le chapitre 4 a exposé qu’en 1966, les leaders
politico-militaires américains ont saisi que l’exploitation de doctrines conventionnelles ne
pouvait à elle-seule rétablir la stabilité des secteur ruraux sud-vietnamiens. Une succession
d’études et d’analyses menées par divers spécialistes ont incité la Maison-Blanche et le
Pentagone à créer une organisation capable de contrôler les divers groupes responsables
d’assurer la conduite des opérations de pacification.
De ce plan devait naître l’OCO qui, à la suite de la réunification de tous les éléments
civiques et militaires responsables de la pacification, est devenu le CORDS en 1967. Dirigé
par Robert Komer, le CORDS avait pour mission d’assurer une conduite uniforme des
opérations de pacification dans l’ensemble des provinces et districts de la RVN. En théorie,
les forces conventionnelles américaines et de l’ARVN devaient synchroniser leurs opérations
de manière à appuyer les opérations de contre-insurrection du RD et des forces paramilitaires
du RF/PF. Cependant, lors des premiers mois suivant l’initiation des opérations du CORDS,
le RF/PF, généralement laissé à lui-même, faisait face à des formations VC beaucoup trop
puissantes pour être en pouvoir de protéger adéquatement les villages des secteurs
ruraux. Les cadres du RD ne se présentaient que sporadiquement au sein de leurs villages
attitrés et aucun projet de construction ne pouvait être accompli, compte tenu du harcèlement
perpétuel des insurgés VC généralement libres d’opérer à leur guise dans les villages. Lors
des élections, les élus n’osaient pas demeurer dans les limites de leur village de peur d’être
ciblés et assassinés par les agents du VC. Sans troupes conventionnelles pour les appuyer, il
385
demeurait très hasardeux pour les forces contre-insurrectionnelles d’opérer dans les secteurs
ruraux. Néanmoins, l’envoi d’éléments réguliers américains dans les zones d’opérations du
CORDS aidant, les forces paramilitaires se montraient beaucoup plus aptes à assurer la
protection des civils et conduire des opérations civiques. À titre d’exemple, nous avons pu
voir que la situation dans le District de Cu Chi est allée s’améliorant lorsqu’on y a déployé
des éléments de la 25th Infantry Division. Résultat : les larges formations VC se sont réfugiées
dans la jungle et les forces paramilitaires ont pu s’opposer aux forces de guérilla qui
subsistaient. Toutefois, la situation s’est compliquée aussitôt que la 25th Infantry Division
s’est vue redéployée sous d’autres cieux. Nous avons vu comment un rapport du 95e
Régiment du NVA a évoqué dans ses lignes les problèmes engendrés par la présence de
troupes conventionnelles américaines dans les zones de pacification des forces paramilitaires.
Dans le secteur de Phu Yen, le contrôle communiste sur la population est passé de 260,000 à
20,000 civils, le résultat direct de la présence combinée des forces régulières et contre-
insurrectionnelles, et ce, de l’aveu même du 95e Régiment du NVA. Cette situation cassait le
synchronisme des opérations hybrides des unités communistes. L’appui du NVA se trouvait
hors de portée du VC pendant que, de son côté, le NVA ne pouvait bénéficier du
renseignement et des bases d’opération que le VC aurait dû lui offrir en temps normal.
Néanmoins, le contexte sévissant à Phu Yen n’était pas représentatif de l’ensemble
de la situation opérationnelle de la RVN. Il aura fallu l’offensive du Têt pour que le CORDS
prenne réellement son élan avec l’appui apporté par l’Accelerated Pacification Plan du
gouvernement sud-vietnamien et la redynamisation des opérations du programme Phoenix.
À travers ces trois programmes, la campagne militaire de contre-insurrection des Américains
et du GVN a éliminé de façon progressive l’insurrection VC, déjà sévèrement affaiblie par
la succession de défaites encaissées lors des offensives du Têt et du mini-Têt. Les Forces
régulières américaines et sud-vietnamiennes maximisaient le synchronisme de leurs
opérations avec celles des forces paramilitaires, en servant d’écran aux forces du RF/PF et
du RD, afin de favoriser leurs opérations psychologiques, civiques et militaires. On assignait
des officiers de liaison des unités de combat américaines au sein des bureaux du CORDS
pour faciliter la collecte et l’échange de renseignements sur les activités communistes. Pour
sa part, le GVN prenait très au sérieux son nouveau plan de pacification et a assuré la
nomination de gestionnaires compétents et motivés pour sa mise en application. Peu à peu,
les villages et les secteurs ruraux de la RVN échappaient au contrôle du VC, rendu impuissant
386
à s’opposer à la fois aux opérations de pacification et aux offensives conventionnelles des
Forces régulières américaines et sud-vietnamiennes. De son côté, le programme Phoenix
causait des pertes sévères à l’infrastructure politique du VC qui expérimentait de plus en plus
de difficulté à opérer au sein des villages pour appuyer les forces de combat du VC qui
subsistaient. Les cadres peinaient à assurer le réapprovisionnement des unités communistes
confrontées au manque de renseignements, de recrues, de vivres et d’autres nécessités
impératives à la bonne marche de leurs opérations. La Résolution 9 du COSVN levait le voile
sur ce problème et insistait sur l’importance cruciale de spécifiquement cibler le programme
de pacification du GVN et des Américains, en plus d’entraver les opérations des « espions »
associés au programme Phoenix. La Résolution 9 soulignait également l’obligation de
maximiser la coordination des opérations conventionnelles et irrégulières, une condition
primordiale si les communistes voulaient retrouver la route du succès. La Résolution 14 qui
a suivi quelques mois plus tard trahissait l’impatience du COSVN. On y lapidait les leaders
militaires du VC jugés ineptes à cibler les opérations de pacification et reprendre le contrôle
des villages et des secteurs ruraux.
L’analyse de plusieurs rapports post-opérations et introspectifs communistes expose
les problèmes criants du VC qui déplorait la perte de milliers de soldats et de cadres. Ces
derniers choisissaient de faire défection via le programme Chieu Hoi, refusaient de continuer
à combattre les Américains et l’ARVN, par suite des souffrances découlant d’une sévère
lacune de réapprovisionnement en nourriture, vêtements et ressources médicales. Le moral
des membres de l’insurrection est devenu profondément affecté par la situation
opérationnelle rencontrée dans la RVN en 1970. Le programme Phoenix continuait ses
ravages au sein des rangs communistes avec les forces spéciales du PRU et les Navy SEAL.
Ces derniers, ainsi que les informateurs du PRU, rendaient la conduite des opérations
insurgées beaucoup trop hasardeuses pour les nouveaux cadres inexpérimentés qui n’osaient
plus opérer au sein de districts jadis normalement attribués à trois ou quatre cadres
supplémentaires. La pression exercée par Phoenix a suffi pour qu’Hanoï demande la
suspension du programme lors des négociations initiées à Paris avec les Américains et le
GVN. En 1970, les secteurs ruraux se trouvaient suffisamment stabilisés pour que des
élections aient lieu sans que le VC puisse intervenir ; 97% des secteurs peuplés de la RVN
ont pu élire de nouveaux représentants municipaux. Impuissant à recruter de nouveaux
volontaires, le VC a été forcé de se tourner vers le NVA qui, dorénavant, pourvoirait au bas
387
mot à pas moins de 70 à 80% de ses effectifs dans l’ensemble des secteurs d’opération. Robert
Thompson a personnellement reconnu le statut on ne peut plus précaire de l’insurrection VC
et a admis qu’elle se trouvait pratiquement vaincue. En 1971, le VC ne représentait plus une
réelle menace à la survie de la RVN, mais le NVA a bel et bien pris le relais. À la suite du
départ progressif des Américains, l’Armée nord-vietnamienne s’est mise en œuvre
d’exploiter un concept de guerre conventionnelle qui s’est concrétisé avec l’offensive multi-
divisionnaire du NVA au printemps de 1972. Exploitant les principes conventionnels propres
aux doctrines de guerre de mouvement, les Forces nord-vietnamiennes ont pris en charge les
opérations offensives qui, contrairement au déroulement des combats du Têt, ont vu le VC
décimé y jouer un rôle très effacé. Le statut de guerre hybride de la guerre du Vietnam a pris
fin avec la dislocation du sous-système insurrectionnel VC du système militaro-hybride
communiste. Bien que les Américains aient échoué à scinder les éléments conventionnels du
système hybride d’Hanoï, il en est allé tout autrement pour le sous-système insurrectionnel
qui s’est fait littéralement amputer du concept d’opération militaire de Giap. Toutefois, tous
les succès des Américains contre le VC n’ont réglé qu’une portion du problème.
Nous avons vu en cours de route à quel point l’inoccupation de forces divisionnaires
de la Piste Ho Chi Minh favorisait l’acheminement continu de renforts et
d’approvisionnement logistique aux soldats communistes dans la RVN. Soucieux de bloquer
cette artère, névralgique à l’effort de guerre d’Hanoï, Westmoreland a sollicité à maintes
reprises la permission de déployer des forces pour interdire l’accès de la Piste aux
communistes. Face au refus de Washington, le CINCPAC et le MACV n’ont eu d’autre
alternative que d’initier une succession de campagnes aériennes qui ont frappé la RDVN, le
Laos et plus tard le Cambodge. Dans cette visée, on a mis en œuvre l’opération ARC LIGHT
avec l’entrée en scène des B-52 et les bombardements des lignes de réapprovisionnement
présumées des communistes. En dépit de ces pilonnages, le Groupe 559, camouflé sous le
couvert des jungles luxuriantes et compactes du Laos, a réussi malgré tout à entretenir la
Piste qu’il s’affairait également à agrandir. De multiples bases d’opérations logistiques ont
été implantées au Laos et au Cambodge via la Piste, facilitant ainsi le déplacement et le
déploiement de centaines de milliers de combattants communistes dans la RVN. L’ordre
formel des autorités qui interdisait aux Forces régulières américaines d’opérer au Laos et au
Cambodge servait les intérêts des régiments du NVA et du VC qui pouvaient bénéficier d’une
zone permanente de territoire où se réfugier lorsqu’ils ne pouvaient confronter les
388
Américains. Les unités communistes tiraient également parti d’un flot constant d’armes, de
munitions, de nourriture et de forces fraîches. En vue de faciliter le ciblage des bases
d’opérations pour l’aviation, le MACVSOG a clandestinement déployé des équipes
d’opérateurs, notamment dans les jungles du Laos, du Cambodge et de la RDVN. Ces forces
conduisaient des opérations de reconnaissance, de capture et de sabotage sur les lignes de
communication communistes. Bien que ces actions se soient avérées perturbatrices et d’un
appui indéniable pour l’aviation, les initiatives du SOG ne suffisaient pas à contrebalancer la
situation opérationnelle sur la Piste Ho Chi Minh. Les restrictions imposées aux forces
spéciales se sont montrées de nature encore plus contraignantes au Cambodge qui, sous
l’administration Nixon, est devenu la cible d’une campagne massive de bombardement de B-
52 sous l’égide de l’opération MENU. Les actions de Bomb Damage Assessment des
opérateurs du SOG ont cependant démontré l’impact limité des bombardements qui ne
pouvaient à eux-seuls enrayer le puissant réseau logistique communiste. La chute de
Norodom Sihanouk et la prise du pouvoir par Lon Nol a encouragé le Président Nixon à
autoriser une opération militaire majeure au Cambodge qui, pour la première fois, a vu des
troupes régulières américaines et sud-vietnamiennes opérer sur son territoire. La somme de
matériel logistique interceptée au sein du Cambodge s’est révélée titanesque, suffisante pour
équiper 74 bataillons d’infanterie communistes.
Cette opération a durement frappé l’insurrection VC, déjà victime de la pression
constante des opérations du CORDS et de Phoenix. Plusieurs transfuges et prisonniers de
guerre communistes ont reconnu que l’incursion cambodgienne avait été perçue comme une
inévitable défaite pour la cause communiste. Néanmoins, aussi dommageable soit-il, l’impact
de l’incursion s’est révélé éphémère; le redéploiement des Forces américaines et sud-
vietnamiennes dans la RVN sans laisser de troupes statiques occuper les anciennes bases
d’opérations des communistes a permis aux multiples têtes de l’hydre communiste de
repousser de plus belle. Fidèle à son modus operandi, le NVA a reconstitué ses forces et
progressivement réoccupé l’ensemble des bases d’opération perdues lors de l’incursion
cambodgienne, ce qui a rendu caduque l’opération, pourtant catégorisée comme un grand
succès. À l’exception de LAM SON 719, opération pendant laquelle l’ARVN a ciblé les
bases d’opérations du Laos en 1971, il n’y a plus eu de tentatives sérieuses des Forces
américaines et sud-vietnamiennes pour bloquer les lignes de réapprovisionnement
communistes. En conséquence, les Américains ont échoué à provoquer la dislocation du
389
sous-système logistique de la machine de guerre hybride des communistes. Le départ de
l’ensemble des unités de combat américaines du Vietnam en 1972 et la reconstitution des
formations régulières du NVA devaient aboutir sur l’invasion finale de la République du
Vietnam au printemps de 1975. Contrairement à l’offensive printanière de 1972, aucun B-52
ou conseiller militaire américain n’a été déployé pour soutenir les divisions de l’ARVN
submergées par le NVA qui a saisi la capitale de Saigon le 30 avril 1975. Paradoxalement,
les Américains ont connu leurs meilleurs succès au Vietnam dans le champ où ils ont été le
plus abondamment critiqués par les historiens, analystes et journalistes, c’est-à-dire, lors de
leur conduite des opérations contre-insurrectionnelles. L’analyse des opérations de COIN
américaines nous amène à constater leur étonnante efficacité à neutraliser une des
insurrections les plus violentes de l’histoire militaire moderne. Bien que l’USMC par son
histoire recelait une prépondérance naturelle aux opérations de COIN, plusieurs unités de
l’US Army se sont montrées très compétentes au moment d’appliquer les doctrines de leurs
confrères des Marines. Pour leur part, le CORDS et Phoenix représentent à eux-seuls de
véritables accomplissements pour les Forces armées américaines qui n’ont jamais exécuté un
programme de COIN d’une telle envergure au cours de leur histoire.
Pris au centre d’une violente insurrection, le fait d’avoir démontré la capacité
d’élaborer, planifier et implanter un concept complexe doté de multiples organisations
militaro-civiles américaines et sud-vietnamiennes constitue un véritable exploit en soi.
Pourtant, beaucoup d’historiens n’accordent que quelques lignes aux opérations du CORDS
dans leur étude et qualifient le programme d’échec. Le CORDS, de concert avec le
programme Phoenix et l’appui synchronisé des forces conventionnelles, a été le catalyseur
de la chute progressive du VC qui s’est échiné dès 1969 à demeurer une force de guérilla
opérationnelle dans la RVN. Sans le CORDS et Phoenix, jamais le VC n’aurait été neutralisé.
Parallèlement, sans l’appui des forces conventionnelles, le CORDS et Phoenix n’auraient pu
enrayer l’insurrection ; le concept de guerre hybride des communistes forçait cet état des
choses. Il s’avérait tout aussi important pour les Américains et les Sud-Vietnamiens d’assurer
la synergie de leurs opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles qu’il le fallait
pour les communistes d’assurer la coordination de leurs opérations régulières et irrégulières.
Les Américains se sont montrés capables de briser une des trois composantes mécaniques du
système militaire hybride communiste en enrayant l’essentiel du Viêt-Cong. Néanmoins, cela
n’a guère suffi guère à dérégler la machinerie hybride d’Hanoï qui a été en mesure de
390
continuer à s’appuyer sur deux de ses trois éléments critiques avec le NVA et son système
logistique. De plus, la guerre de l’information et les contrecoups socio-économiques et
politiques qui englobaient les aspects PMESI ont érodé la volonté des États-Unis de continuer
à combattre, ce qui constitue l’objectif stratégique d’une menace à caractère hybride.
Militairement, l’élimination du VC en 1972 n’a pu être pleinement exploitée par les Forces
armées américaines qui quittaient progressivement la RVN. Pour sa part, l’initiation
d’opérations offensives contre les bases d’opérations de la Piste Ho Chi Minh n’a pas eu les
effets escomptés car on a initié ces campagnes beaucoup trop tard pour générer un impact
opérationnel concret. En ce qui concerne l’offensive du Têt, elle se serait avérée irréaliste si
on avait autorisé Westmoreland à exécuter son plan d’action multi-divisionnaire au Laos pour
bloquer la Piste Ho Chi Minh en 1965 et si les bases d’opération cambodgiennes avaient
immédiatement fait l’objet de cibles pour les Américains. En maximisant les opérations
militaires dans les jungles isolées du Laos et du Cambodge, la RVN aurait été en mesure de
stabiliser ses institutions politiques et de redynamiser ses initiatives socio-économiques, tout
en étant moins sujette aux combats continuels qui entraînaient des pertes humaines,
matérielles, en plus de susciter la formation d’importantes poches de centaines de milliers de
réfugiés.
Même si la RVN est parvenue à atteindre un statut de sécurité des plus positifs après
l’offensive printanière de 1972, le spectre de la Piste Ho Chi Minh a rendu ces succès
éphémères. L’artère logistique communiste constituait la clé du problème rencontré par les
Américains et les Sud-Vietnamiens au Vietnam. Ultimement, la survie de la Piste et l’absence
d’un contingent permanent de plusieurs dizaines de milliers de soldats américains, tel que
celui déployé en Corée du Sud, a favorisé la chute de la RVN. En limitant l’étendue des
opérations militaires américaines en Asie du Sud-Est par peur d’une éventuelle intervention
chinoise et soviétique, le Président Johnson a handicapé l’exécution d’un concept d’opération
capable de neutraliser complètement la machine hybride communiste. Pour sa part, Nixon,
désireux d’évacuer les Forces militaires américaines du Vietnam, a limité ses opérations
terrestres au Cambodge par crainte de la réaction populaire aux États-Unis. Cette situation
n’a fait qu’exacerber davantage la stabilité à long terme de la RVN et la perspective d’une
victoire. Comment peut-il être possible de gagner une guerre si l’on n’opère pas directement
au sein de chaque théâtre d’opérations impliqué ? Lors de la Deuxième Guerre mondiale,
aurait-il été envisageable pour les Alliés de gagner le Front de l’Ouest s’ils n’avaient pas été
391
autorisés à opérer en France et en Italie avec pour mission d’y neutraliser les divisions de la
Wehrmacht ? Parallèlement, aurait-il été possible d’enrayer les opérations de l’Afrika Korps
de Rommel si on avait laissé les Allemands bénéficier de leur réapprovisionnement logistique
via la Méditerranée et empêché les Alliés d’opérer en Égypte et en Lybie ? Aurait-il été
pensable pour l’US Navy de vaincre la flotte japonaise et de maitriser le Pacifique si elle
n’avait pas été autorisée à opérer dans le secteur de Midway ? Aurait-il été concevable pour
les Marines d’acculer l’Armée nipponne au pied du mur s’ils n’avaient pas été autorisés à
débarquer à Guadalcanal, Iwo Jima et Okinawa ? D’aucuns diront que l’on ne peut comparer
ces situations à celle du Vietnam, compte tenu des contextes totalement différents. Qu’à cela
ne tienne : si les scénarios militaro-stratégiques de chaque conflit diffèrent, certaines règles
inhérentes à l’art de la guerre ne sauraient se subordonner aux craintes ou aux réserves de
politiciens qui hésitent à se commettre totalement à un conflit. En d’autres termes, ces règles
de l’art de la guerre ne se dématérialiseront pas parce que la situation politico-stratégique ne
permet pas de les prendre en considération ou de les respecter. Comment pourrait-il être
faisable de vaincre une armée conventionnelle puissamment armée si on ne la prive point de
ses lignes de communication et de réapprovisionnement ? En imposant de telles restrictions
à ses chefs militaires, la Maison-Blanche n’a rien fait d’autre que gagner du temps pour la
RVN. Ce problème a été, à juste raison, maintes fois exposé par plusieurs historiens
révisionnistes.
À la suite de la guerre, les États-Unis devaient procéder à une succession de réformes
de leurs Forces armées, une restructuration qui, au fil des années, a entraîné des modifications
majeures au sein de la gestion des unités et des opérations militaires américaines. Lorsque
l’on analyse les livres de doctrine post-guerre du Vietnam et les programmes d’entraînement
du Training and Doctrine Command (TRADOC) destinés à refaçonner la conduite de la
guerre de l’Armée américaine, une tendance très révélatrice ne cesse de faire surface :
l’attention est portée sur la guerre conventionnelle alors que tous les aspects relatifs à la
COIN sont relégués aux oubliettes. Sans grande surprise, aucune mention n’est faite de la
gestion combinée d’opérations conventionnelles et contre-insurrectionnelles advenant une
confrontation contre une menace hybride. Plutôt que de procéder à la rétroaction des
opérations contre-insurrectionnelles et hybrides du Vietnam, le TRADOC a préféré
redynamiser ses doctrines conventionnelles en s’inspirant des leçons tirées par les Israéliens
392
lors de la guerre du Yom Kippour.184 Le leadership militaire américain, totalement saturé par
la guerre du Vietnam, semblait déterminé à oublier tout ce qu’il a été parfois si durement à
même d’y apprendre en matière d’insurrection et de guerre hybride. Il est intéressant de noter
que cette tendance a frappé d’autres armées au 21e siècle. Lors du rapatriement des Forces
de combat de l’Armée canadienne de l’Afghanistan, le focus de l’entraînement des soldats
s’est presque exclusivement centré sur la guerre conventionnelle ; le savoir durement acquis
en matière de contre-insurrection en Afghanistan a été relégué aux oubliettes et ne constituait
qu’une très maigre portion du syllabus d’entraînement des militaires canadiens. À l’image
des Forces américaines avec les Israéliens et le Yom Kippour, les Forces canadiennes ont
choisi de tirer des leçons de la résurgence du gigantesque potentiel offensif des Forces armées
russes en Europe plutôt que de polir leurs capacités en matière de contre-insurrection. Quoi
qu’il en soit, au long des décennies ultérieures à la guerre du Vietnam, les Forces armées
américaines ont strictement revampé leurs doctrines conventionnelles qui ont
progressivement retrouvé leur tonus d’antan lors des opérations militaires lancées en Grenade
et au Panama au cours des années 1980. Puis, les États-Unis devaient réaffirmer leur
suprématie militaire lors de la Guerre du Golfe en 1991.
L’Armée irakienne, une importante puissance militaire à l’époque, a été littéralement
écrasée par les Forces armées américaines et de la Coalition au prix de pertes négligeables.
Le Président George H.W. Bush, annonçait alors avec fierté que le « syndrome de la guerre
du Vietnam » était terminé.185 Néanmoins, la réalité a rapidement rattrapé les Forces armées
américaines lors de leur déploiement en Afghanistan et en Irak en 2001 et en 2003. À
l’exception de l’USMC, les principes de COIN appris par les Américains au Vietnam, alors
complètement oubliés, les tacticiens et stratégistes militaires n’ont eu d’autre alternative que
de retourner à leur table à dessin pour y esquisser de nouvelles doctrines. Ultimement, il a
fallu l’intervention du général David Petraeus et d’une équipe de colonels pour esquisser une
doctrine (consignée dans le FM 3-24) qui éventuellement, a renversé la situation
opérationnelle en Irak. À partir de 2007, Petraeus et son équipe ont mis en pratique le FM 3-
24 au sein du théâtre d’opération iraquien en mettant en branle ce que les Américains ont
baptisé The Surge dans les secteurs avoisinant Bagdad. En moins de quatre ans, l’insurrection
184 Combat Studies Institute, op. cit., p. 70-71. 185Christopher O’Sullivan, Colin Powell: American Power and Intervention from Vietnam to Iraq, Lanham,
Rowland & Littlefield Publishers Inc., 2009, p. 72.
393
d’Al Qaeda s’est essoufflée pour progressivement voir ses opérations sévèrement restreintes
par cette doctrine qui revêtait un caractère incongru aux yeux de la plupart des généraux de
l’US Army. Avant son application en Irak, ce « nouveau » concept tactique du général
Petraeus a été sévèrement dénoncé et critiqué par ses confrères. Un général du Joint Chiefs
of Staff est allé jusqu’à déclarer que ce « nouveau » concept doctrinal « violait les
fondements » des doctrines tactiques de l’Armée datant de la Deuxième Guerre mondiale.186
Considéré contraire aux principes et traditions des Forces armées américaines, le modus
operandi proposé par Petraeus a, à maintes reprises, fait l’objet de révisions avant d’être
publié. Malgré ces remaniements, le squelette de la doctrine de Petraeus est demeuré intact
avec la publication du FM 3-24. Paradoxalement, cette doctrine, calquée sur les principes de
David Galula et des Britanniques en Malaisie, tirait ses racines américaines des principes de
base exploités par le CORDS et les CAP lors de la guerre du Vietnam. Fasciné par la COIN
et le Vietnam, Petraeus s’est instruit en lisant les écrits de Robert Thompson, David Galula
et Bernard Fall. Il a d’ailleurs rédigé sa thèse doctorale sur la guerre du Vietnam, fortement
influencé par son beau-père, William Knowlton, un ancien membre du CORDS.187
Ces principes contre-insurrectionnels pourtant si durement assimilés au Vietnam
n’ayant pas survécu au temps, on a dû de nouveau les institutionnaliser au sein du système
militaire américain. Il est déplorable de noter qu’advenant un éventuel nouveau conflit
militaire de nature insurrectionnelle pour les Forces canadiennes, le même processus devra
être appliqué, et ce, au prix de la vie de plusieurs soldats. Du côté américain, bien que
l’institution militaire étatsunienne fasse souvent montre d’inflexibilité et qu’elle tende à
oublier certaines leçons du passé, elle se montre tout de même capable, envers et contre tout,
de percer les murailles de « traditions militaires » lorsque la situation exige. Elle en a fait la
démonstration au Vietnam avec le CORDS, concept aux antipodes de la culture militaire
américaine, et par la suite en Irak avec le FM 3-24 et le Surge qui en a résulté. Malgré ses
succès en Irak, Petraeus est devenu la cible de nombreuses critiques d’historiens, tel Douglas
Porch, qui qualifient le FM 3-24 et la « doctrine Petraeus » de mythe sans fondements.188
Galula et d’autres spécialistes réputés de la COIN ont subi des critiques très similaires de
186 Fred Kaplan, The Insurgents, New York, Simon & Schuster Paperbacks, 2013, p. 121. 187 Ibid., p. 17-20, 24, 27. 188 Douglas Porch, Counterinsurgency: Exposing the Myths of the New Way of War, Cambridge, Cambridge
University Press, 2013, p. 300-301.
394
Porch et d’autres sceptiques. Bien que Porch se montre très critique face à la COIN sous
toutes ses formes, il ne propose aucune alternative ni piste de solution à une doctrine qu’il
juge contre-productive. D’aucuns se montrent souvent très mal à l’aise le moment venu
d’admettre les succès d’un concept et modus operandi élaborés de contre-insurrection.
Maints auteurs et analystes dénoncent la violence qu’engendre ce type de conflit sur la
population civile. Pourtant, aucun conflit militaire dans l’histoire n’a été propre ou n’a
épargné la population civile des horreurs de la guerre. Paradoxalement, le Vietnam, qui a vu
les Américains larguer plus de bombes que sur l’Allemagne nazie, le Japon et la Corée, a
constitué un conflit beaucoup moins meurtrier pour la population civile que la Deuxième
Guerre mondiale et la guerre de Corée. Pourtant, ces conflits ont duré beaucoup moins
longtemps que la guerre du Vietnam. Cette réalité est constamment ignorée par plusieurs
historiens, ce qui constitue également le cas des effets de la contre-insurrection américaine
sur le Viêt-Cong.
Cette situation fort déplorable mérite d’être rectifiée. Les succès contre-
insurrectionnels américains au Vietnam ont trop souvent persisté à demeurer dans l’ombre et
nécessitent d’autres études libérées des vieilles mentalités archaïques qui persistent
assidûment à dépeindre la performance américaine au Vietnam comme un véritable fiasco.
Au 21e siècle, un parallèle similaire peut déjà commencer à être tracé avec la conduite des
opérations contre-insurrectionnelles américaines en Irak entre 2007 et 2011. Peu de gens sont
au fait des opérations du JSOC et de la perte de contrôle par les insurgés d’Al Qaeda de
l’ensemble des secteurs ruraux iraquiens lors du Surge. Bien que le sujet soit encore très
récent et l’essentiel des documents pertinents toujours classifiés, il serait intéressant
d’assister à la publication d’une étude semblable à la présente thèse qui se pencherait sur les
succès contre-insurrectionnels des Américains en Irak. Une telle étude contribuerait à briser
le mythe perpétuel d’une Armée américaine incapable de gérer le changement et de diriger
une campagne militaire basée sur les concepts de contre-insurrection.
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ANNEXE 1 : Ordre de bataille d’un bataillon régulier du Viêt-Cong189
189 Image basée sur celle de J.W. McCoy, op. cit., p. 46.
Chaque compagnie possède
des effectifs de 225 soldats
et chaque peloton possède
des effectifs de 39 soldats.
418
ANNEXE 2 : Ordre de bataille d’un régiment et bataillon de l’Armée nord-
vietnamienne190
190 Image basée sur celle de J.W. McCoy, op. cit., p. 37.
419
ANNEXE 3 : Vue aérienne d’un hameau stratégique au Vietnam191
191 George Flanders. « Strategic Hamlet », 73rd Aviation Company.org, 73rd Aviation Company, 2013,
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420
ANNEXE 4 : Actions civiques de l’USMC dans I Corps192
192 Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March
1966, op. cit., p. 30a, 38a, 68a, 72a, et;
Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps, U.S. Marine Corps Civil Affairs in I Corps Republic of
South Vietnam April 1966-April 1967, op. cit., p. ii, 55, 96.
Un lieutenant des Marines accueilli par de jeunes enfants dans un village
de la Province de Quang Nam. Les enfants constituaient une des
principales sources de renseignements contre le VC pour les Marines
(Historical Division Headquarters U.S. Marines Corps. U.S. Marine
Corps Civil Affairs in I Corps Republic of South Vietnam April 1966-
April 1967, op. cit., p. ii).
421
Un Marine donnant des cours de langue anglaise à un jeune Vietnamien. Ces cours
étaient très populaires et ont également attiré des adultes vietnamiens
(Headquarterss U.S. Marines Corps (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S.
Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p.
68a).
Des Marines assurent la protection des paysans sud-vietnamiens lors du transport du
riz dans le cadre de l’Opération GOLDEN FLEECE (Headquarterss U.S. Marines
Corps (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic Action Effort in
Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 38a).
422
Un technicien médical des Marines lors d’une opération MEDCAP dans un village
sud-vietnamien (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic
Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 30a).
Un technicien médical soignant les infections cutanées des jeunes Vietnamiens dans
le cadre d’une opération MEDCAP (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine
Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 72a).
423
Un ingénieur des Marines après la construction d’un nouveau puit (Historical Division
Headquarters U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-
March 1966, op. cit., p. 96).
Distribution de vêtements aux enfants par les Marines (U.S. Marine Corps
Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 69).
424
ANNEXE 5 : Fortifications et installations d’un complexe de Combined Action Platoon
statique193
193 Records of the U.S. Marines Corpsm Command Chronologies, 1965-1979 4nd Combined Action Group,
October 1968 to 4nd Combined Action Group, August 1969, op. cit.
425
426
427
ANNEXE 6 : Patrouilles de Marines et du PF dans le cadre des Combined Action
Platoons194
194 HQ USMC, U.S. Marine Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 2a.
Le lieutenant Ek (premier à partir de la droite) avec des soldats du PF. Le lieutenant
Ek a commandé le premier CAP. (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine
Corps Civic Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 2a).
Des Marines et des soldats du PF en discussion dans le cadre d’une patrouille autour
du CAP de Thuy Tan (Headquarterss U.S. Marines Corps. U.S. Marine Corps Civic
Action Effort in Vietnam March 1965-March 1966, op. cit., p. 2a).
428
ANNEXE 7 : Des Navy SEAL assurent la surveillance de prisonniers VC195
Un prisonnier VC escorté par des Navy SEAL196
195 Eric Micheletti, SEALs in Vietnam, Paris, Histoire & Collection, 1999, p. 64. 196 Ibid., p. 102.
Les SEAL ont été particulièrement efficients le moment venu d’éliminer l’infrastructure VC.
Surnommés « les hommes au visage vert » par le NVA et le VC, les SEAL ont causé des pertes
sévères aux communistes. Bien que seulement neuf pelotons ne dépassant pas 150 SEAL ont été
déployés au Vietnam, ils ont été responsables de la mort confirmée de 580 VC et 300 autres morts
non confirmés. Les rapports de missions cumulent un total d’environ 4000 VC neutralisés et plus de
1000 prisonniers communistes, ce qui n’inclut pas les opérations des SEAL avec le MACVSOG et
leurs opérations conjointes avec le PRU (Young op. cit., p. xxiv et Micheletti, op. cit., p. 14).
429
ANNEXE 8 : Opérateurs sud-vietnamiens du PRU197198
ANNEXE 9
197 U. S. Naval Special Warfare Archives, « Robert (Bob) K. Wagner », Bob Wagner SEAL Team One. Naval
Special Warfare Archives, http://www.navyfrogmen.com/BobWagner.html. Consulté le 11 mars 2018. 198 Finlayson, op. cit., p. 11.
Les Américains qui côtoyaient le PRU ont reconnu leur efficience à neutraliser le VCI. Les statistiques complètes
des pertes communistes engendrées par le PRU demeurent classifiées par la CIA. Les estimations disponibles
parlent de 700 à 1500 VC neutralisés par mois entre 1967 et 1972 (Finlayson, op. cit., p. 52).
430
ANNEXE 9 : Mission de bombardement de B-52 dans le cadre de l’opération ARC
LIGHT199
199 La Guerre du Vietnam, « Arc Light – 18 juin 1965 – décembre 1972 », Les principales opérations
aériennes américaines au Vietnam, La Guerre du Vietnam.
http://www.laguerreduvietnam.com/pages/operations/les-principales-operations-aeriennes-americaines-au-
vietnam.html, Consulté le 13 avril 2018.
Les B-52 constituaient le fer de lance des bombardements américains en Asie du Sud-Est. Des
régiments entiers du NVA ont été anéantis par les B-52 lors de la bataille de Khe Sahn, l’offensive
printanière de 1972 et lors de quantité d’autres opérations qui incluaient également le VC. Le B-52
était une arme qui a engendré des dommages catastrophiques aux communistes qui se sont montrés
psychologiquement affectés par le bombardier stratégique américain. Néanmoins, ce ne fut pas
suffisant pour neutraliser les bases d’opération nord-vietnamiennes et la volonté de combattre du
VC et du NVA. Pour toute sa puissance et les dizaines de milliers de livres de bombes qu’il put
transporter, le B-52 a montré qu’il constituait avant tout une arme d’appui aux opérations terrestres
et qu’il ne pouvait à lui seul gagner une guerre. Bien qu’actuellement surclassé par les bombardiers
B1-B et le B-2, le B-52 a été modernisé et demeure actuellement en service au sein de l’USAF.
431
ANNEXE 10 : Cratères laissés par le bombardement d’un bombardier stratégique B-
52 sur la Piste Ho Chi Minh200
200 Ward et Burns, op. cit., p. 379.
432
ANNEXE 11 : Équipes standards d’opérateurs du SOG : trois Américains et neuf
Sud-Vietnamiens201
201 Frank Greco, Running Recon: A Photo Journey with SOG Special Ops Along the Ho Chi Minh Trail,
Boulder, Paladin Press, 2004, p. 103, 105.
Le SOG est toujours actif aujourd’hui et fait partie d’une branche d’opérations
clandestines de la CIA appelée Special Activities Division (Fred J. Pushies, Special
Ops, St. Paul, MBI Publishing Company, 2003, p. 20).