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Jean-Jacques Maomra BOGUI
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Communication en Question www.comenquestion.com
Premier semestre, Vol. 1, n1, Janvier / fvrier 2013
TIC ET DEVELOPPEMENT EN AFRIQUE : LES APORIES DUNE ENTREPRISE ILLUSOIRE
Jean-Jacques BOGUI1
Maitre-assistant Universit Flix Houphout-Boigny
1 Jean-Jacques Bogui est titulaire dun doctorat en sciences de linformation et de la communication de lUniversit Michel de Montaigne Bordeaux 3 (France). Il est Matre-assistant lUniversit Flix Houphout-Boigny dAbidjan (Cte dIvoire) et Professeur associ luniversit du Qubec
Montral (Canada). Il est affili a plusieurs groupes et centres de recherche canadiens (GRICIS et GERACII), franais (MICA) et ivoiriens (CERCOM). Ses intrts de recherche portent sur les usages et lappropriation des technologies numriques, linternationalisation des communications, lconomie politique de la communication et lanalyse de la rception des biens culturels.
mailto:[email protected]
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TIC et dveloppement en Afrique: les apories dune entreprise illusoire
Communication en Question, n 1 (1), 2013
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RSUM
La rduction la fracture numrique entre les pays en dveloppement et
les pays industrialiss est au cur de nombreux dbats. La participation
des pays africains la socit de linformation est perue comme un dfi
majeur. Depuis plus dune dcennie, les TIC sont prsentes par de
nombreuses agences de dveloppement comme la nouvelle opportunit
offerte aux pays africains pour sortir du sous-dveloppement. Dans leur
volont de participer cette socit de linformation, de nombreux pays
africains ont fait des efforts considrables pour le dveloppement des
infrastructures en matire de tlcommunications. Cependant, les
discours dveloppementalistes sur la ncessit de combler le foss
numrique ont montr leurs limites ces dernires annes. La rduction
de la fracture numrique apparat comme un projet nolibral. Cet
article sinscrit dans une approche critique du dveloppementalisme,
plus prcisment du dterminisme technologique qui sous-tend la
dmarche de nombreuses organisations intervenant dans laide au
dveloppement.
Mots cls : TIC, dveloppement, fracture, numrique, information.
ABSTRACT
Reducing the digital division between developing countries and
industrialized countries is at the heart of many debates. The
participation of African countries in the information society is seen as a
major challenge. For over a decade, ICTs are presented by many
development agencies as the new opportunity offered to African
countries to come out of underdevelopment. In their will to take part in
the information society, many African countries have made
considerable efforts for the development of infrastructures in
telecommunications. However, the developmentalist speeches on the
need to bridge the digital division have shown their limits in recent
years. Reducing the digital division appears as a neoliberal project. This
article is part of a critical approach to developmentalism, more precisely
to technological determinism that implies the approach of many
organizations involved in development assistance.
Keywords: ICT, development, digital, division, information
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Introduction
epuis laccession de la majorit des tats africains lindpendance
il y a au moins cinq dcennies (1960), atteindre le dveloppement est
lobjectif suprme affich par la majorit des gouvernements qui se sont
succd dans ces pays. La question du dveloppement du continent
africain a t au cur de nombreux sommets africains ou mondiaux ces
cinquante dernires annes avec toujours le mme constat dchec des
politiques en la matire. Les pays africains restent majoritaires dans le
peloton de tte des pays les moins avancs de la plante (PNUD, 2010).
Les raisons de cette situation sont multiples (guerre civile, instabilit
politique, pillage des ressources naturelles, mauvaise rpartition des
richesses, surendettement, mauvaise gouvernance, scheresse, etc.) et les
consquences pour les populations souvent catastrophiques. Mais ces
checs du dveloppement fixent aussi les limites des approches
communicationnelles envisages pour accompagner ces processus. Il
convient donc de les revisiter et de dceler celles qui seraient plus en
adquation avec les volutions technologiques et communicationnelles
actuelles.
La rduction de la fracture numrique entre les pays en dveloppement
et les pays industrialiss est au cur de nombreux dbats en Afrique. La
participation des pays africains la socit de linformation est
prsente comme un dfi majeur pour ce continent. Mettre les
technologies de linformation au service du dveloppement des pays
africains telle est la nouvelle donne selon le PNUD (2001 a). Cest ainsi
que les tlcommunications ont connu un dveloppement important en
Afrique ces dernires annes notamment au niveau des infrastructures
o les investissements ont atteint 8 milliards de dollars en 2005 contre
3,5 milliards en 2000, rvle lUIT1. Un investissement hauteur de 55
milliards de dollars sur cinq ans (2007-2012) dans le secteur des
tlcommunications a t promis par les investisseurs au sommet de
KIGALI en 20072. En 2004, lUIT affirmait dj que lAfrique tait le
march o le mobile connaissait la plus forte croissance au monde3.
Internet connat galement un rel succs dans de trs nombreux pays
africains qui sont tous branchs et la progression des services est la plus
importante quon nait jamais eu loccasion dobserver pour aucune autre
activit conomique en Afrique (Chneau-Loquay, 2000).
Cependant, alors que la fracture numrique est toujours bien relle et
que lintgration des TIC est loin de susciter le dveloppement escompt
(avec la faillite des systmes de sant et dducation, la pauprisation des
populations, laccroissement des ingalits sociales qui sont toujours
dactualit), ces technologies sont dsormais la base de nouveaux maux
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dont souffre le continent savoir : les escroqueries via Internet, la
piraterie numrique notamment celle des uvres de lesprit ou des
mdias satellitaires et le renforcement de lconomie informelle.
Cet article sinscrit dans une approche critique du dveloppementalisme,
plus prcisment du technocentrisme ou dterminisme technologique qui
sous-tend la dmarche de nombreuses organisations intervenant dans
laide au dveloppement. Ces organismes prenant insuffisamment en
compte les ralits locales qui demandent une investigation plus
complexe et approfondie avant toute exprimentation politique des TIC.
Les nouvelles technologies de linformation et de la communication et
plus prcisment la tlphonie mobile et Internet ont fait leur
apparition au dbut des annes 1990 dans la plupart des pays africains.
Elles sont prsentes par bon nombre dorganisations intervenant dans le
domaine du dveloppement comme la nouvelle opportunit offerte aux
pays africains pour sortir du sous-dveloppement. Selon le PNUD (2001
b) : Les TIC fournissent aux pays en dveloppement une occasion sans
prcdent datteindre beaucoup plus efficacement quavant des objectifs
de dveloppement vitaux, par exemple en matire de rduction de la
pauvret, de soin de sant de base ou dducation. En dautres termes, il
devient pertinent de voir dans quelle mesure et quelles conditions, les
TIC en gnral et plus particulirement la tlphonie mobile constituent
un instrument de lutte contre la pauvret. Cest ainsi que la ncessit
pour le continent africain de participer de faon pleine et entire la
socit de linformation est trs souvent mise en vidence. Elle reprsente
pour les pays africains un enjeu la fois social, culturel, conomique et
politique. Pour le NEPAD4,
Les TIC peuvent contribuer de manire significative la valorisation des ressources humaines, au renforcement de la bonne gouvernance et au dveloppement des secteurs conomiques (production, services, et commerce) dans les pays en dveloppement.5
Dans leur volont de participer cette socit de linformation, de
nombreux pays africains ont fait des efforts considrables pour le
dveloppement des infrastructures en matire de tlcommunications.
1. Les limites des discours technocentristes
Malgr la bonne sant de lconomie lie aux technologies de
linformation et de la communication, les nombreuses dsillusions qua
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connues le continent africain depuis des dcennies dans le transfert et
lappropriation de technologies venues de lOccident et prsentes comme
la panace suscitent une certaine prudence. Les discours
dveloppementalistes sur la participation de lAfrique la socit de
linformation, la ncessit de combler le foss numrique ou le
leapfrogging ont montr leurs limites ces dernires annes. Pour
atteindre cet objectif, un investissement considrable dans des
quipements produits par les multinationales originaires de pays
industrialiss simpose. Ce projet est donc en phase avec les intrts de
ces multinationales (Microsoft, Cisco ou encore Google) qui sont les
principales bnficiaires de lusage de ces technologies par un maximum
de personnes. Ainsi, On peut lgitimement craindre que le discours
technocentriste sur la contribution des TIC au dveloppement ne cache
en ralit des intrts commerciaux et gostratgiques.
2. Approches thoriques sur la communication et le dveloppement
Depuis plus de cinq dcennies, de nombreuses approches thoriques
complmentaires ou antagonistes ont t dveloppes sur la relation
entre la communication et le dveloppement. Lintrt de notre propos
nest pas de revenir en profondeur sur toutes ces approches, cependant il
nous semble opportun de rappeler le fondement de certaines des thories
les plus marquantes afin de montrer lvolution de la rflexion dans ce
domaine.
Les thories de la modernisation en grande partie inspires par
lapproche diffusionniste soutenue par Everett Rogers (1972) ont
marqu les annes 1960. Pour les modernistes, il suffisait dinjecter dans
le corps social une petite dose de savoir technologique favorisant la
circulation de linformation (usage de la radio) pour entrainer une
raction positive des populations tiers-mondistes. On se retrouve dans le
cadre dune relation verticale dans laquelle la science et la technologie
sont perues comme invention exclusive de lOccident (Sy, 1995). Pour
Schramm (1964) et ses collgues, la radio aurait la capacit dattnuer
les inconvnients de la culture dite traditionnelle quils prsentaient
comme la principale cause du sous-dveloppement.
Dans les annes 1970, on assiste la rplique des pays du Sud. Devant
linefficacit des modles proposs par les modernistes, une nouvelle
approche thorique dite de la dpendance va merger. Contrairement
aux modernistes pour lesquels la source du sous-dveloppement tait la
pense traditionnelle, pour les tenants de cette nouvelle approche
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limprialisme conomique et ses complices sont les principaux
responsables du sous-dveloppement. Au niveau de lapproche
communicationnelle, on analyse la proprit des moyens de
communication, des canaux de diffusion, des structures internationales
de transmission et de production de linformation, etc. On appelle un
dialogue Nord/Sud en vue de promouvoir un nouvel ordre mondial de
linformation et de la communication (NOMIC). On encourage la
promotion dune presse de type alternatif par opposition aux mdias de
masse (Schiller, 1970, Mattelart, 1976).
Une tendance structuraliste va galement mettre laccent sur limpact des
communications internationales sur le dveloppement national et
linfluence ngative des multinationales dans les pays du Tiers monde
(Sy, 1995). Le caractre oppressif des relations culturelles Nord/Sud qui
rsulterait de la mainmise des organisations mdiatiques du Nord sur
celles du Tiers-monde sera galement trs critiqu. (Mc Bride, 1980).
Cest dans ce contexte, qu linitiative des pays dits non-aligns, un dbat
sur le dsquilibre des flux dinformation au niveau mondial va dbuter
au cours des annes 1970 lUNESCO et conduire la cration d'une
commission dirige par lIrlandais Sean Mc Bride, ancien responsable et
co-fondateur dAmnesty International. Le rapport qui sera produit la
suite des travaux de cette commission mettra en vidence la ncessit de
la mise en place dun nouvel ordre mondial de linformation et de la
communication (NOMIC). la XXIe confrence gnrale de lUNESCO
Belgrade, le rapport est lu, mais pas adopt, les pays occidentaux
refusant son adoption en voquant le principe de libre circulation de
linformation (free flow of information).
3. Le sommet mondial de la socit de linformation et la problmatique du dveloppement.
Deux dcennies plus tard, deux grands sommets mondiaux organiss en
2003 Genve et en 2005 Tunis seront consacrs la question de
lavnement de la socit de linformation (SMSI), mais plus
prcisment concernant lAfrique au problme de la fracture numrique.
Au sens usuel de l'expression, on appelle fracture numrique,
l'ingalit dans l'accs internet. lui seul, l'accs n'est pas suffisant
pour rsoudre le problme. Mais, il s'agit d'une condition qu'il faut
satisfaire si l'on veut surmonter l'ingalit dans une socit dont les
fonctions et les groupes sociaux dominants s'organisent de plus en plus
autour d'internet. On peut distinguer trois dimensions dans les carts
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que la fracture engendre et perptue : l'cart li l'accs d'internet,
l'cart li la technologie, l'cart dans le savoir (Castells, 2002).
Ces sommets ont runi des chefs dtat, des chefs de Secrtariat des
institutions spcialises des Nations unies, des reprsentants du secteur
priv, des organisations non gouvernementales ainsi que des mdias et
des reprsentants de la socit civile. Lorganisation de ce sommet sera
confie lUIT. lissue de ces deux vnements mondiaux, on peut
noter Genve (Suisse) ladoption dune dclaration de principes et dun
plan daction et Tunis (Tunisie) ladoption dun engagement et dun
agenda. Lun des thmes principaux ressortir des objectifs de ces
sommets est la mise en place dun fonds de solidarit numrique. Dans
sa conception gnrale, la solidarit numrique renvoie lmergence
dune socit nouvelle dans laquelle le citoyen pourrait disposer de toutes
les facilits quoffrent les TIC, dans quelque domaine dapplication que
ce soit.
Selon Kiyindou (2009), le bilan de ce sommet est mitig, car plusieurs
freins ont t constats en ce qui concerne la rduction de la fracture
numrique. Il souligne notamment la quasi-absence dengagements
financiers des pays industrialiss et la prise de conscience trs tardive de
la socit civile du Sud concernant la problmatique des TIC au service
du dveloppement. La mise lcart de lUNESCO au profit de lUIT,
une agence caractre foncirement technologique alors que la
problmatique propre du sommet est essentiellement socitale
(Kiyindou, 2009), est galement difficile comprendre. En effet, la
dfinition de lUIT de la fracture numrique inaugure une perspective
exclusivement technique. On observe llaboration de baromtres,
dindicateurs, et de classements concernant les quipements et les
infrastructures et la stigmatisation des retardataires. En somme, on est
dans lexhortation la course lquipement. Dans ce contexte, il nous
semble opportun de nous interroger sur les conditions dintgration et
surtout dappropriation des TIC sur le continent africain.
4. Lappropriation des TIC et le dveloppement en Afrique
Philippe Breton et Serge Proulx considrent quon peut parler
d appropriation lorsque trois conditions sociales sont runies :
Il sagit pour lusager, premirement, de dmontrer un
minimum de matrise technique et cognitive de lobjet
technique. En deuxime lieu, cette matrise devra sintgrer de
manire significative et cratrice aux pratiques quotidiennes
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de lusager. Troisimement, lappropriation ouvre vers des
possibilits de dtournements, de contournements, de
rinventions ou mme de participation directe des usagers la
conception des innovations (Breton et al., 2002).
Lappropriation technologique peut donc se dfinir comme la capacit
que peut avoir lusager personnaliser les usages de lobjet technique
des fins qui lui semblent les plus avantageuses pour lui, bien que non
conforme aux usages auxquels le producteur le destinait.
Lappropriation est donc une opportunit offerte lusager de simmiscer
dans le champ daction du producteur de lobjet technique, en prenant
seulement en compte parmi les codes imposs par ce dernier ceux qui
peuvent lui tre utiles pour latteinte de ses objectifs.
Dans les pays en voie de dveloppement du continent africain pour qui
lintgration des technologies de linformation et de la communication
(TIC) est considre comme un nouvel enjeu, comment sopre cette
appropriation ?
De toutes les technologies, le tlphone mobile est assurment loutil qui
a fait lobjet de lappropriation la plus rapide en Afrique. Comme
laffirmait Do-Nascimento (2005) dans une socit africaine o
lindividu est enserr dans un tissu relationnel extrmement dense, tissu
constitu de deux rseaux rseau familial et rseau amical
lintrieur desquels la communication interindividuelle est
particulirement dense, le tlphone cellulaire constitue une relle
opportunit. Pour Alzouma (2008), ladoption du tlphone mobile en
particulier est lun des phnomnes les plus saillants de ce que certains
mdias prsentent comme une rvolution : dans les villes, et dans une
moindre mesure dans certaines campagnes, beaucoup de jeunes et vieux,
de femmes et dhommes, de riches et de pauvres ont fait leur cet
instrument de communication avec une rapidit qui a tonn tous les
observateurs. En nous rfrant aux statistiques du GSMA (GSM
Association, 2008), on peut relever quau cours de la seule anne 2007
plus de 70 millions de nouveaux utilisateurs de la tlphonie mobile se
sont ajouts ceux qui existaient dj, levant le nombre total
dutilisateurs 282 millions en Afrique. Ainsi donc, en moins dune
dcennie, il y a eu huit fois plus dutilisateurs du tlphone mobile que
du tlphone fixe en Afrique (282 millions contre 35 millions). Selon la
mme source, 550 000 km2 de couverture rseau permettant de joindre 46
millions dAfricains ont t ajouts la couverture existante au cours de
la seule anne 2007. Ce rapport souligne mme que dans des pays comme
lgypte, le Kenya, lOuganda ou le Rwanda, le taux de couverture
atteint dsormais 90 %.
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5. Le tlphone mobile, outil de lutte contre la pauvret
En Cte dIvoire, un pays o, selon une tude ralise en 2008 par
lInstitut national des statistiques (INS), 48,9 % de la population vit en
dessous du seuil de pauvret, c'est--dire avec moins dun euro par jour,
grce tlphone mobile, de nombreux jeunes Ivoiriens, tudiants ou
dscolariss, arrivent joindre les deux bouts malgr la crise
conomique et la rcente crise politico-militaire qui a eu pour corollaire
la pauprisation de la population. Lconomie informelle, qui sest
dveloppe avec lappropriation du mobile, est la base dusages
compltement indits et permet bon nombre de jeunes de garder espoir
en attendant des jours meilleurs. En plus des cabines cellulaires trs
remarquables depuis plusieurs annes dans de nombreuses capitales
africaines, on observe lapparition de ce que nous appellerons la cabine
humaine Abidjan.
la diffrence de la cabine cellulaire qui se prsente le plus souvent
comme un mince tal rudimentaire install sur le trottoir o on vous
prte un tlphone mobile pour communiquer un tarif infrieur
celui que vous paierez avec votre propre appareil (Cheneau-Loquay,
2005), la cabine humaine est ambulante, il sagit de jeunes qui, avec
leur tlphone portable, arpentent les endroits les plus frquents de la
ville en proposant aux passants leur tlphone pour passer des appels.
On les retrouve trs souvent dans le centre-ville dAbidjan au niveau des
tours administratives, mais galement chaque manifestation
susceptible de drainer du monde. Certains grants de cabine nhsitent
pas affirmer quavec cette activit, ils gagnent mieux leur vie que
certains de leurs amis, employs dans des entreprises. Le cellulaire offre
donc aux jeunes ivoiriens une vritable chance de sortir de la pauvret et
ils sont nombreux saisir lopportunit lorsque loccasion leur est
donne. Selon le SYNACOTEL (Syndicat national des commerants de
produits tlcoms), la corporation des grants de cabines cellulaires
regroupe en Cte dIvoire plus de 200 000 travailleurs, dont 68 000, pour
la seule ville dAbidjan (SYNACOTEL, 2009).
Comme le fait si bien remarquer Chneau-Loquay (2008), les TIC sont
ainsi un secteur majeur de la croissance rcente dune nouvelle conomie
informelle dans les villes africaines (2008). En 2007, le secteur de la
tlphonie mobile employait directement ou indirectement plus de 3,5
millions de Subsahariens, mais la plupart de ces emplois ne sont pas
rpertoris. De limportation des produits au commerce ambulant, cest
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toute une srie de nouvelles activits de service qui se cre. Les nouvelles
socits de tlphonie ont sous-trait la distribution des cartes prpayes
des grossistes et semi-grossistes qui ont leurs rseaux de revendeurs. Ils
envoient dans les rues des grandes villes des bataillons de jeunes garons
qui ne sont recenss nulle part et sont trs mal pays. Bamako par
exemple, 98 % des cartes de recharge sont vendues par lconomie
informelle. Des centaines de jeunes trouvent un petit emploi dans la
vente et la rparation de tlphones portables, leur dcodage, la vente des
cartes de recharge, les services de recharge lectrique. Comme on peut le
constater, la tlphonie mobile en Afrique semble promise un bel
avenir. Et lappropriation de cet outil de communication est prsente
par de nombreux experts en dveloppement et chercheurs comme la seule
vritable rvolution en Afrique.
Cependant, comme laffirme Ose Kamga (2006), cette appropriation
atypique des TIC relve avant tout de la dbrouillardise, elle rsulte des
lacunes des structures socioconomiques. En somme, elle nest nullement
le fruit dune politique gouvernementale mrement rflchie en faveur
dun usage du tlphone mobile dans la lutte contre le chmage ou la
pauvret. Le dveloppement de cette industrie nest le fait que de la
dsorganisation sociale du pays. Elle pose mme le problme du
renforcement de lconomie informelle qui peut se dfinir comme
lensemble des activits conomiques qui se ralisent en marge de
lgislation pnale, sociale et fiscale ou qui chappent la Comptabilit
nationale.
Cependant, si malgr le problme de rgulation engendr par cette
activit de nombreux observateurs la considrent comme une aubaine
pour les populations africaines gravement touches par la crise
conomique, on ne peut pas en dire autant pour les autres formes de
dviances engendres par laccs aux TIC dans les pays africains. En
effet, mme si laccs lordinateur et internet en Afrique est parmi les
plus faibles au monde, force est de constater que depuis quelques annes
la majorit des capitales africaines et certaines grandes villes de
province connaissent un accroissement considrable du nombre de
cybercafs.
En labsence dune politique en vue dduquer la population et plus
particulirement les plus jeunes un usage intelligent dinternet (les
politiques gouvernementales en la matire se contentent de fournir
laccs ces technologies aux citoyens) on va assister un certain type
dappropriations aux consquences trs dommageables pour le
dveloppement conomique de certains pays africains.
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6. La situation ivoirienne
Les escroqueries via internet font incontestablement partie des nouveaux
maux dont souffre le continent. Malgr son faible nombre dinternautes
(24 millions, soit 2,6% du total mondial en 2008), lAfrique est devenue
un terrain daction important pour les cybercriminels. Selon Sylvanus
Kla (ancien directeur gnral de lATCI), la dlinquance informatique
est en nette augmentation sur le continent. Les pertes attribues la
cybercriminalit ont t values, en 2007, prs de 200 milliards de
dollars (prs de 158 milliards deuros), une valeur en forte hausse par
rapport aux chiffres de 2003 qui taient d peine 20 milliards deuros6.
La crdibilit des ressortissants de plusieurs pays africains est remise en
cause. La Cte dIvoire, par exemple, a t indexe plusieurs reprises
par les mdias europens et Abidjan est considre comme la plaque
tournante de cette activit en Afrique de lOuest francophone (Bogui,
2009 et 2010).
Selon Perrin Stphanie7 la cybercriminalit se caractrise par trois
aspects :
1. Le nouveau crime consistant pirater, sintroduire ou espionner
les systmes informatiques dautres personnes ou organisations ;
2. Les cas dans lesquels le crime est ancien, mais le systme est
nouveau, comme dans le cas des tentatives descroquerie par
internet. Les arnaques commerciales existent depuis toujours,
les arnaques tlphoniques depuis des dcennies, et nous avons
aujourdhui les arnaques par internet. Il en va de mme pour la
pornographie et le non-respect du copyright ;
3. Lenqute, dans laquelle lordinateur sert de rservoir de
preuves, indispensables pour que les poursuites engages dans le
cadre de nimporte quel crime aboutissent. Ce qui autrefois tait
consign sur le papier toutes les chances dtre aujourdhui
consign sous forme numrique, et peut tre dtruit ou chiffr
distance (Perrin, 2005).
Le second aspect est assurment le plus rpandu en Cte dIvoire au
point de faire lobjet de nombreux articles dans la presse locale et
trangre. Cette dernire nhsite plus envoyer des reporters dans le
pays pour remonter la filire de ces cybercriminels qui, partir
dAbidjan, font normment de victimes travers le monde.
Depuis quelques annes, elles sont de plus en plus nombreuses les
chanes de tlvisions franaises et dautres pays europens diffuser des
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reportages sur les rseaux de cybercriminels en Cte dIvoire. Ils sont
nombreux les Ivoiriens vivant en France ou encore ceux qui, partir
dAbidjan, ont accs aux mdias franais par le biais dantennes
paraboliques ou dinternet sindigner de cette image trs ngative que
ces reportages donnent de leur pays.
Dans le cadre de l`mission 66 minutes , un reportage, diffus sur la
chane de tlvision franaise M6 le lundi 25 fvrier 2008, corne
limage de la Cte dIvoire. Le sujet d`une trentaine de minutes, intitul
Internet : les as de l`escroquerie prsente des Ivoiriens (mais aussi des
ressortissants d`Afrique de l`Ouest) qui se livrent avec une dextrit
dconcertante de l`escroquerie distance, sur des Europens et
principalement des ressortissants franais. Pour enquter sur la
question, des journalistes de la chane de tlvision franaise se sont
rendus Abidjan. Sur place, ceux-ci n`prouvent aucune difficult
obtenir des tmoignages de faussaires, preuves l`appui. Il faut dire que
les reporters de M6 nont fait que remonter la piste des courriels reus
par les victimes franaises. Celle-ci mne directement Abidjan. Le
mode opratoire des cybercriminels est assez simple. Ils contactent, par
courriers lectroniques, des centaines de personnes en leur inventant des
histoires les plus invraisemblables sur fond dargent en esprant que les
personnes les plus naves mordent lhameon. Dans le panorama des
inventions les plus habituelles de ces escrocs du Net, on peut citer :
largent dun hritage bloqu dans une banque, un succs une loterie
laquelle on a jamais particip, une demande damiti dune personne
inconnue en vue dune ventuelle relation amoureuse, une demande
daide dune personne fictive rencontre sur internet, le rglement dun
achat effectu en ligne, etc.
Il ressort des tmoignages des victimes (hommes et femmes) interroges
dans lmission quelles ont t nombreuses stre fait arnaquer aprs
avoir succomb au charme dun correspondant virtuel. Dans lcrasante
majorit des cas, les photos brandies sur Internet ne sont pas celles des
correspondants.
Outre les individus, les religions et les entreprises sont elles aussi
victimes de ce phnomne. En effet, les cybercriminels nhsitent plus
crer des sites internet en se faisant passer pour des associations
religieuses la recherche de financement pour la construction ddifices
religieux tels que les mosques et les glises. Ils prennent le soin
dexpdier aux ventuels donateurs, des photos de vieux difices religieux
dlabrs en demandant une aide financire en vue de leur rhabilitation
ou des photos dglises ou de mosques en construction pour lesquels ils
auraient besoin daide pour lachvement des travaux. Une fois largent
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expdi, ils attendent une priode bien donne, avant dexpdier une
photo qui prsente un autre difice religieux flambant neuf, aux mmes
associations pour prouver leur bonne foi. Dans les entreprises selon
lATCI8 de nombreuses plaintes sont formules contre une nouvelle
catgorie de cybercriminels qui, laide de photos falsifies, tentent
dextorquer de largent de hauts responsables dentreprises en les
menaant de publier des photos pouvant compromettre leur rputation
sur le Web.
Selon M69, ce sont prs de 4000 plaintes qui ont t recenses en 2008 par
les autorits policires franaises contre les cybercriminels bass en Cte
dIvoire. Cependant, pour lATCI, il ny a pas que les Franais tre
victimes de ces escrocs des temps modernes. Les Ivoiriens sont galement
eux-mmes trs nombreux souffrir de ce phnomne. Les plaintes
viennent galement de tous les coins du monde : tats Unis, pays du
golfe, Madagascar, etc.
Daprs lagence de rgulation des tlcommunications en Cte dIvoire,
la majorit de ces arnaqueurs est ge de 12 25 ans, ils sont donc trs
jeunes pour la plupart et bon nombre dentre eux sont lves ou
tudiants. Selon lATCI, les premiers rseaux de cybercriminels sont
arrivs du Nigeria. Ils fuyaient la rpression orchestre dans ce pays
contre cette activit illicite. Cependant, trs vite, on va assister une
contagion des jeunes ivoiriens au point que, de nos jours, la jeunesse
estudiantine et scolaire sadonne de plus en plus cette pratique
criminelle. On peut galement relever que devenir cyber escroc ou
cyber arnaqueur nest pas le seul danger auquel les jeunes usagers du
Net sont confronts dans les cybercafs ivoiriens, laccs des images
pornographiques par les adolescents est galement trs courant, car les
grants de ces espaces nont pour seule proccupation que leur recette
journalire. Ces endroits sont donc devenus des zones sans interdit.
7. Consquences de la cybercriminalit en Cte dIvoire
La cybercriminalit est devenue en Cte dIvoire, en lespace de quelques
annes, un vritable problme de socit. Aprs le dbut de lintgration
de linternet au milieu des annes 1990 dans la socit ivoirienne,
marque, entre autres, par une sorte de fascination surtout au niveau de
la jeunesse et la multiplication des cybercafs, lheure est maintenant au
dsenchantement, voire la crainte. En effet, lusage des TIC encourag
par les autorits politiques au point de crer un ministre spcialement
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ddi au dveloppement des NTIC connat assurment des dviations
dangereuses.
Lampleur de ce phnomne, comme nous lavons relev tantt, a des
consquences extrmement nfastes pour la Cte dIvoire et son
conomie. En effet, selon nous ce phnomne de la cybercriminalit pose
au moins deux grands problmes : le premier concerne limage du pays et
des citoyens ivoiriens lextrieur qui ne cesse de se dgrader ; ce qui est
la consquence du second problme que nous souhaitons aborder,
savoir les difficults dordre conomique ; car les entreprises et les
hommes daffaires ivoiriens victimes de cette triste image prouvent
dnormes difficults profiter des avantages du cyberespace dans leurs
activits avec des partenaires trangers .
8. Cybercriminalit et limage de la Cte dIvoire lextrieur
La Cte dIvoire et les Ivoiriens sont devenus eux aussi des victimes de la
cybercriminalit car de nos jours, avec lamplification de ce phnomne,
limage du pays dj relativement peu reluisante depuis la crise politico-
militaire quil a connue de septembre 2002 avril 201110, est davantage
corne. Les nombreux reportages des mdias trangers sur lampleur de
la cybercriminalit en Cte dIvoire ne sont pas faits pour lamliorer. Il
circule mme sur Internet un guide contre les escroqueries de la Cte
dIvoire 11. Les menaces de certains pays de la sous-rgion ouest-
africaine dinterdire laccs leurs sites aux internautes naviguant
depuis la Cte dIvoire12 confirment, sil en est encore besoin cette image
dvalorisante que ce phnomne donne de ce pays. Les Ivoiriens vivant
ltranger qui dnoncent cette situation sont nombreux souffrir de cette
image si ngative que ce dtournement de lusage dInternet donne de
leur pays et de leurs concitoyens. Cette situation invitablement a des
rpercussions sur la bonne marche de lconomie ivoirienne.
9. Cybercriminalit et lconomie ivoirienne
Les hommes daffaires ivoiriens sont nombreux souffrir des
consquences du dveloppement de la cybercriminalit en Cte dIvoire,
de nombreux tmoignages dans les mdias ivoiriens lattestent. Il devient
quasiment impossible pour eux de faire des affaires avec des oprateurs
conomiques trangers sur le Net. En effet, lvocation de leur lieu de
rsidence leurs correspondants prfrent rompre tout contact, certains
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Jean-Jacques Maomra BOGUI
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ont mme t victimes de propos injurieux13. La Cte dIvoire est
aujourdhui, par la faute des cybercriminels, un pays hauts risques.
Fich par les autorits europennes, ce pays nest plus fiable, et est
inscrit sur la liste rouge des pays ne plus frquenter
lectroniquement . Selon Didier Kla 14, une fatwa15 lchelle
mondiale est mme lance pour interdire des achats en ligne partir de
ce pays. En des termes clairs, ds lors que vous tes repr comme tant
un ressortissant ivoirien, dsireux de faire des achats en Europe partir
de la Cte dIvoire, le vendeur vous ferme automatiquement ses portes. Il
affirme que de nombreuses plaintes sont dposes contre la Cte dIvoire
travers lEurope, et que ce pays risque non seulement une exclusion du
cyberespace dans les prochaines annes, mais galement une exclusion
tout moment du commerce international16. Outre les pays europens, le
gouvernement indien a, lui aussi, mis en garde ses ressortissants contre
les agissements descrocs bass en Afrique de louest et qui arnaquent
les ressortissants indiens. Le bureau dinformation du gouvernement
indien dresse une liste de sept pays ouest-africains, dont la Cte d'Ivoire,
partir desquels agissent ces escrocs17. Selon Abraham DJEKOU18 les
premires entreprises victimes de ce phnomne sont les fournisseurs
daccs Internet (FAI) de Cte dIvoire, car en raison des nombreuses
plaintes, elles sont black listes . Autrement dit lorsque leurs adresses
IP sont reconnues sur certains sites, les transactions sont bloques. Selon
la police nationale scientifique ivoirienne ltat de Cte dIvoire a subit
prs de 14 milliards de francs CFA de perte en 2010 cause de la
cybercriminalit (plus de 21 millions deuros). Comme on peut le
constater, les consquences de la cybercriminalit sur lconomie
ivoirienne sont dsastreuses.
10. La piraterie numrique en Afrique
Mais les escroqueries du Net ne sont pas les seules dviances observes
depuis larrive des TIC en Afrique. Le phnomne de la piraterie
connat galement un essor assez considrable. La piraterie ou le
piratage des uvres de l'esprit (uvres d'art, et uvres des innovations
industrielles et technologiques) est " le fait de reproduire et de
commercialiser une uvre sans payer leur d aux ayants droit "(Tour,
2006).
Selon Kitia Tour (ancien directeur de la compagnie ivoirienne du
Cinma et de laudiovisuel), cest un flau qui tue la cration et
lexploitation des uvres audiovisuelles en Afrique. Avec le numrique
et les NTIC, le pirate, c'est "monsieur tout le monde" : du consommateur
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malin disposant d'un ordinateur avec graveur, qui fait quelques copies,
aux oprateurs avec une machinerie lourde. Les sources
d'approvisionnement sont multiples. Le transfert des films sur VHS est
ralis par numrisation sur un disque dur et la gravure des donnes se
fait sur CD. La qualit n'est pas bonne, mais l'acqureur s'en contente.
Certains oprateurs ont des catalogues de films de tous genres sur VHS
et ils inondent le march. Vient l'enregistrement des films de Canal
Horizons, ou Canal Satellite sur des lecteurs DVD (platines
numriques), ces lecteurs-enregistreurs numriques ont des disques avec
accs FTP (Fonction time shift) qui autorise une interconnexion totale
avec un PC (ordinateur personnel) et permet d'effectuer des changes de
donnes, de graver les films, d'exporter des missions.
Le chiffre d'affaires de la piraterie numrique est difficile valuer,
parce qu'elle est souterraine avec beaucoup de monde. Mais la vue des
quantits de VCD, vendus aux carrefours, on se doute qu'elle rapporte
dix fois plus que celle sur VHS. Les consquences sont diverses et
touchent tous les secteurs conomiques de la chane des uvres de
l'image : exploitants de salles, diffuseurs hertziens et satellitaires, tat...
Les salles de cinma ferment les unes aprs les autres ; Abidjan on ne
compte plus que trois salles de cinma dignes de ce nom. Les salles ne
gnrent plus d'argent et les exploitants paient de lourdes charges et
impts, en plus des frais du personnel et des factures d'lectricit. Les
cassettes, DVD et VCD pirats sont vendus, lous ou projets pendant
que le film est l'affiche. L'exploitation du film en salle est morte
entranant la suppression de millier d'emplois. Les abonnements
Canal Horizons sont en chute libre. On s'abonne ces chanes cause
des films rcents et du sport. Une bonne frange des abonns se tourne
vers la solution du lecteur VCD 30 000 FCFA (45 euros) et des VCD
pirats 1 500 FCFA.
La disparition des salles de cinma a entran un manque gagner pour
l'tat au titre des taxes et des entres fiscales que ne comblent pas les
vidoclubs qui ne paient qu'un impt synthtique ou une simple patente.
Ce sont les taxes sur le cinma qui renflouent les fonds d'aide la
cration audiovisuelle. Le seul fonds de soutien en Cte d'Ivoire, le FIC
(Fonds ivoirien pour le Cinma) n'est pratiquement plus aliment.
Seules les recettes des taxes prleves sur le chiffre d'affaires des
organismes trangers de diffusion (tls et radios hertziennes et
satellitaires) sont plus ou moins verses ; elles sont infimes, puisque ces
organes voient leurs propres revenus chuter. Au Togo par exemple, pas
moins de 700 000 cassettes, CD et VCD pirats ont t saisis en 2008
(Agbogli, 2009).
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Jean-Jacques Maomra BOGUI
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Les raccordements clandestins au bouquet de chanes de tlvision
cryptes CANAL SAT sont galement massifs dans de nombreux pays
dAfrique francophone. Au Sngal, par exemple, o le groupe CANAL +
sest senti oblig de dpcher des experts de sa cellule anti-piratage, on
estime que le nombre de raccordements clandestins est suprieur aux
25 000 abonns lgaux. 450 fraudeurs ont t arrts en 2007 (Josselin,
2008). En effet, dans un pays comme la Cte dIvoire o labonnement
Canal + Horizon cote plus de la moiti du salaire minimum, les
raccordements clandestins sont devenus une solution pour accder un
plus large choix de chanes de tlvision. Lengouement des Africains
pour le bouquet de Canal Sat vient en partie du fait que ce groupe qui
dispose dune puissance financire avre obtient en gnral lexclusivit
des droits de diffusion sur des films trs populaires et des vnements
sportifs importants dont sont friands les Africains. Par exemple, au
cours de la coupe dAfrique de football en 2008 (vnement sportif le
plus populaire en Afrique), les chanes de tlvision nationale de
certains pays dAfrique francophone ne pouvant se permettre de payer
les droits onreux de retransmission, seuls les abonns Canal +
Horizon ont eu le privilge de suivre la comptition dans ces pays.
Une tude que nous avons ralise auprs dtudiants ivoiriens (Bogui et
al., 2009) nous montre tout lintrt que portent ces derniers aux mdias
franais diffuss sur le territoire ivoirien. Cest principalement par le
canal de ces mdias que les jeunes ivoiriens prfrent se tenir informs
de ce qui se passe dans le reste du monde. Nous pouvons imaginer que
laccs ces mdias leur donne le sentiment de faire partie de la socit
mondialise. Christian Agbobli considre justement que le piratage
audiovisuel au Togo a beaucoup de rsonance dans sa dimension
culturelle, c'est--dire quil constitue une tactique permettant aux
Togolais dtre en phase avec le reste du monde (Agbobli, 2009).
11. Lutopie technocentriste
En se fondant sur ces diffrents exemples qui montrent comment une
frange de la population africaine est aujourdhui rduite des pratiques
de dtournements malsains des usages des TIC afin den tirer un
quelconque profit ce qui pose des problmes dordre thique qui ont
des rpercussions sur le dveloppement de ces pays on peut
sinterroger sur la crdibilit des discours technocentristes des
organisations internationales qui, depuis plusieurs annes, laissent
croire quil suffit de mettre les TIC aux mains des Africains pour
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rattraper un suppos retard en matire de dveloppement. La course
lquipement va donc trs rapidement devenir la proccupation
principale dans la lutte contre la fracture numrique et pour permettre
lAfrique de faire son entre dans la socit de linformation. propos
justement de la socit de linformation Annie Chenau-Loquay dit :
Le concept de socit de linformation traduit la vision
dominante dune socit postindustrielle o linformation et le
savoir deviennent les forces motrices de la croissance la
place du travail et du capital. Cette socit devrait accrotre la
qualit de la vie, stimuler la participation politique,
promouvoir la cohsion sociale et lgalit, ce qui exprime la
prennit dune vision linaire du progrs qui continue
faire comme si le rattrapage tait possible, comme si les
nouvelles technologies de linformation et de la
communication(NTIC) taient le ssame pour le bienheureux
dveloppement et la participation la mondialisation. Il
sagit l dun discours port essentiellement par les organismes
internationaux de lONU et qui mane ou est sous influence
des milieux du secteur priv en charge des rseaux
mondiaux. Elle reflte une hgmonie intellectuelle des lites
du Nord par rapport ceux qui doivent apprendre et agir
selon les directives labores pour eux et qui sont avant tout
considrs comme des pauvres (Chenau Loquay, 2004).
La rduction de la fracture numrique apparat donc comme un projet
nolibral. Cet objectif ncessite un recours massif des quipements
produits par les multinationales de llectronique, des
tlcommunications et de linformatique bases dans les pays
industrialiss. Il y va donc de lintrt des multinationales amricaines
(Microsoft, Cisco ou encore Google) de rduire la fracture numrique
et de faire en sorte quun maximum de personnes utilise leurs
technologies ou services. Les desseins commerciaux et gostratgiques
sont vacus bien sr dans largumentaire des discours (Guignard, 2007).
La socit de linformation comme le souligne Sally BURCH19 aura jou
un rle dambassadrice de bonne volont de la globalisation de
lconomie mme si limage publique des technologies de la
communication est davantage associe aux aspects conviviaux de la
globalisation tels quinternet, la tlphonie mobile et internationale, la
tlvision par satellite, etc.
Bernard Mige (2007), propos de la rduction de la fracture
numrique considre que ce projet mobilisateur est un projet illusoire,
invoquant le fait que :
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Jean-Jacques Maomra BOGUI
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Les TIC se rvlent tre des techniques profondment
ingalitaires en phase avec les contextes conomiques,
politiques, organisationnels et culturels, se prsentant comme
ouvertes et potentiellement libratrices, elles ont toutes les
chances de renforcer les dominations avec une efficacit bien
plus suprieure celle des mdias antrieurs. Car leur
ingalit de rpartition, dont on ne voit pas comment elle
pourrait tre rduite, sajoute le fait quelles prsupposent
pour tre utilises de faon performante la mobilisation de
comptences communicationnelles, elles-mmes ingalement
distribues en fonction des dispositions participantes du
capital culturel des usagers (MIGE, 2007)
Ainsi, la question de lappropriation des techniques et de la formation
des usages prend une tout autre dimension.
Il nous semble donc vident que concernant ladoption dune politique
pour mettre les TIC au service du dveloppement, il aurait fallu au
pralable rflchir aux conditions de dveloppement d'usages sociaux de
ces outils au profit de la majorit de la population, en tenant compte du
contexte africain. En effet, plus dune dcennie aprs les premires
exprimentations des TIC en Afrique, on est encore sinterroger sur les
avances notables en terme de dveloppement. Aussi bien dans les
domaines de la sant, de lducation et du pouvoir dachat, les peuples
africains ne semblent pas avoir beaucoup progress.
Conclusion
Au terme de notre rflexion, nous pouvons affirmer en nous fondant sur
les tudes de cas prsentes que le pralable toute exprimentation en
vue de mettre les TIC au service du dveloppement dans les pays
africains ne saurait tre fond sur une course lquipement. Si
aujourdhui en Afrique, les cybercafs pullulent dans les capitales et
grandes villes et que le nombre dinternautes ne cesse de crotre, cela na
en rien pour autant chang le quotidien des populations toujours en
proie aux mmes difficults. Comme le disait si bien Alain Kiyindou
(2009), le Leapfrogging reste encore du domaine du rve. Bien au
contraire, les tats africains se trouvent confronts de nouveaux
problmes dus aux nombreuses dviances dans lappropriation des TIC
qui ont pour consquences daccrotre les difficults dans la lutte pour le
dveloppement. Une vraie rflexion sur lducation lusage des TIC des
populations africaines surtout les plus jeunes et sur les conditions de
dveloppement d'usages sociaux tenant compte du contexte africain dans
la perspective de la rduction de la pauvret, de lamlioration du
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TIC et dveloppement en Afrique: les apories dune entreprise illusoire
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systme de sant et du systme ducatif devrait tre le point central de
toute politique dintgration des TIC en Afrique. Dans le cas contraire,
les espoirs placs dans la contribution des TIC au dveloppement du
continent africain resteront une fois de plus au stade de lutopie.20
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15Avis juridique prononc par un mufti, un oulma ou un faqh dans la religion musulmane. 16 DOUMBIA Y. Opp. Cit. URL: http://www.linter-ci.com/article.php3?id_article=6587?id=1 (Consult le 15 septembre 2009) 17 Ouestafnews, Cybercriminalit : Nigeria, Sngal, Cte dIvoire, Burkina, Ghana, Bnin, Togo fichs par les Indiens , URL : http://www.ouestaf.com/Cybercriminalite-Nigeria,-Senegal,-Cote-d-Ivoire,-Burkina,-Ghana,-Benin,-Togo-fiches-par-les-Indiens_a1920.html (Consult le 15 septembre 2009) 18 Conseiller technique charg des NTIC lATCI 19 Journaliste indpendante dorigine britannique, directrice excutive de la Agencia Latinoamericana de Informacin (ALAI).