1870-71, origines etresponsabilité / Camille
Cocuaud
Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France
Cocuaud, Camille. 1870-71, origines et responsabilité / Camille Cocuaud. 1910.
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i8*70u7iH— Origineset Responsabilités
DU MEME AUTEUR
LES SOUFFRANCES DE L'AIGLON
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LE RETOUR DE L'ILE D'ELBE
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LA TERREUR BLANCHE
INTRODUCTION
"La formulé "«/Pensez-y toujours et n'en parlez jamais ! », mise
'^n^nn^&Pjfar Gambetta au sujet des conséquences doulou-
reuses 'ïïel'Année Terrible,ne s'est jamais appliquée aux origines
et aux causes de la guerre franco-allemande.
Cependant, la magie de cette formule était telle que la majeure
partie de l'opinion, communiant dans l'espoir d'une sainte
revanche, acceptait aussi comme parole d'Evangile l'anathëme
lancé par Gambetta et ses émules quant aux responsabilités
engagées dans la préparation, le développement et la conclusion
du drame sombre.
Aujourd'hui, la fièvre est tomhée : non en ce qui concerne
l'événement désastreux, mais en ce qui a trait à la foi générale
dans une promesse d'éclatante et prochaine réparation,
On s'est aperçu que l'avenir ne se façonnait pas avec des
mots, quelque beaux et sonores qu'ils fussent. Et la confiamce
au prophète s'étant perdue, on s'est demandé si les invectives
aux hommes et aux choses du Passé étaient justes elles-mêmes.
Voilà qui explique pourquoi, durant ces dernières aimées,
tant d'écrivains ont été attirés paT l'histoire de 1870 et de 1871,
et comment l'esprit public se trouve, à cette heure, passionné-
ment sollicité par l'étude des faits qui concoururent à l'élabo-
ration d'un chapitre effroyable et sanglant.
La conscience française voudrait, à la fin, connaître par le
6.' INTRODUCTION
menu ces incidences malheureuses dont l'enchaînement funeste,
lui semble-t-il avec raison, ne saurait être l'oeuvre de la seule
Fatalité.
Des hommes ont joué un rôle !... Quel est-il exactement pour
chacun d'eux ?
Des choses se sont produites!... Que furent-elles positive-
ment?
A cette dualité de questions, nombre d'historiens contem-
porains se sont efforcés de répondre ; mais, ce faisant, tous ont
obéi à des idées préconçues et, pour la plupart, ont succombé
à des préoccupations de parti.
Dans un rapport qu'il présentait au Président de la Répu-
blique, le 9 mars 1907, M. Pichon, ministre des Affaires étran-
gères, faisait cette constatation :
« En France, certaines des personnalités qui ont eu la charge
« du gouvernement dans ces jours de deuil ou qui ont été asso-
« ciées à des titres divers à la défense de notre territoire ont
« publié des récits fragmentaires delà guerre, auxquelsne font
« certainement défaut ni l'art, ni l'intérêt. Des histoires générales
« ont été également écrites, précieuses à bien des égards, mais
« forcément incomplètes et parfois tendancieuses. »
La constatation ministérielle est juste.
Aussi, eut-on compris que le gouvernement, pour pallier aux
erreurs commises, intéressées ou non, prît sur lui, dans un
souci d'impartialité absolue, de faire publier, en s'assurant des
collaborations exclusivement françaises, une histoire véridiqueet complète de la guerre de 1870-71, exposant les causes, les
origines et les responsabilités, aussi bien que les épisodes et les
contingences qui marquèrent la progression et le dénouement
du désastre national.
Au lieu de cela, qu'avons-nous vu?
INTRODUCTION 7
Le gouvernement a fait appel aux collaborations les moins
autorisées pour publier un ouvrage incomplet, dont le titre
môme spécifie l'étroitesse du plan établi.
De là est né l'incident Pichon-Reinach-Ficker qui alimente la
chronique depuis le mois d'août... Pichon, ministre français,
confiant à Reinach. parlementaire métèque, la présidence de
la commission d'élaboration d'une oeuvre sortie des presses de
l'Imprimerie nationale pour porter la firme d'un Ficker, éditeur
allemand.
Singulières garanties de véracité et d"impartialité : on en
conviendra !
Mais, ce n'est pas tout.
La publication gouvernementale porte ce titre : « Les origines
diplomatiques de la guerre de 1870-1871 ».
Que signifie cette restriction ?
La diplomatie n'est pas le seul rouage qui ait joué dans les
causalités de la guerre.
La diplomatie — toute révérence parler — nous savons pour
ce qu'elle compte dans le cours des événements. Elle ne les
prépare pas, elle les subit.
Nous pourrions multiplier les exemples à cet égard. Nous
nous contenterons d'un seul qui, par bien des côtés, rappelle la
période de notre dernier démembrement et aurait pu lui res-
sembler trait pour trait.
En 1815, l'Europe, l'Europe absolutiste ou féodale, mais en
tout cas l'Europe rétrograde, était réunie, dans la personne de
ses ministres plénipotentiaires, au Congrès de Vienne.
Après un quart de siècle de luttes pour la liberté, la France
de la Révolution et de l'Empire avait du subir le gouvernement
de l'étranger qui, par le traité du 30 mai 1S14, avait accédé
joyeusement aux conditions humiliantes des alliés.
5 INTRODUCTION
A Vienne, la diplomatie européenne réglait donc souverai >
nement les derniers détails de la paix des rois contre les peuples,
lorsque le débarquement d'un homme au golfe Juan bouleversa
de la façon la plus complète toutes les dispositions prises par
les augures de Cabinet.
C'est qu'en effet la diplomatie, officielle ou occulte, est, de par
sa fonction, une vieille commère qui parle pour ne rien dire et
surtout pour ne rien faire. Elle attache la plus grande impor-
tance aux faits les plus insignifiants et bâtit nécessairement sur
le sable.
Ses prévisions !... Pourquoi comptent-elles devant les à-coups
de la destinée ?
Pour néant.
De sorte que, publier une histoire qui se borne à rendre
publics des documents diplomatiques, pour la plupart sans
intérêt, c'est travailler, consciemment ou non, à la dénaturation
de l'histoire, de la véritable histoire.
Celle-ci, en effet, met en scène tout ce qui joue un rôle dans
les événements accomplis ; elle n'exclue rien, ni personne.
A qui fera-t-on croire qu'en dehors des chancelleries il ne
s'est rien passé, en France, avant 1870, qui n'ait influé sur la
marche des événements ?
Des expéditions militaires ont eu lieu, qui pesèrent sur
l'ultime guerre.
En France, un Corps Législatif délibéra sur maintes ques-
tions intéressant au plus haut point la défense nationale.
La presse, l'opinion publique ne furent pas davantage sans
action dans notre pays où florissait alors le suffrage universel
intégral.
De tous ces facteurs importants, il semble qu'on ne garde
cure.
INTRODUCTION 9
On commet, ainsi, une erreur monstrueuse qui demande à
être réparée.
Tel est le mobile qui nous détermine à faire paraître sur
1870-71 (Origines et responsabilités) un ouvrage que nous divise-
rons en fascicules pour le mettre à la portée du grand public.
La lumière est trop longtemps restée sous le boisseau. On l'ymaintient en n'éditant que des volumes d'un prix trop élevé
pour les petites bourses. Ces errements, qui cachent peut-être
bien des arrières-pensées, doivent prendre fin.
L'heure a sonné où le peuple, juge suprême, doit se prononcer
en toute connaissance de cause.
CAMILLE COCUAUD.
Le 1eroctobre 1910.
CHAPITRE PREMIER
La question des Nationalités. — Une concession libérale. —
L'expédition du Mexique. — La paix en Europe. — L'Affaire
des Duchés. — Sadowa. — L'unité française. — La réorga-nisation de l'armée.
LA QUESTION DES NATIONALITES
Le « Principe des Nationalités » a dominé toute la politique
européenne, au cours du xixe siècle.
Il n'est pas un peuple, hormis l'Angleterre, qui n'ait eu
depuis cent ans, de par le fait de ce principe, à subir des
luttes intestines ou extérieures, quand ce ne fut point les deux
à la fois.
Et encore la Grande-Bretagne elle-même, enclose dans un
territoire insulaire, ne se trouva-t-elle point à l'abri des résul-
tantes du grand problème continental ; cela pour deux rai-
sons : d'abord, parce que sa politique particulière la poussa
toujours à essayer de tirer profit des dissensions ou des anta-
gonismes de ses voisins ; ensuite, parce que ce pays fut aux
prises avec la question irlandaise, qui n'est pas encore résolue
de nos jours.
Mais, pour l'Angleterre cependant, le problème posé ne
provient pas de la même source que celui qui, plus vaste, agite
"Europe continentale.
12 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
C'est qu'en effet la vie nouvelle de la Grande-Bretagne date
de la révolution de 1649, tandis que la rénovation des autres
peuples a eu pour genèse la grande Révolution Française, à
partir de 1789.Pendant un quart de siècle, c'est-à-dire jusqu'en 1815, les
idées d'affranchissement universel avaient été colportées aux
quatre coins du Vieux-Monde, par les armées victorieuses de
la Révolution, du Consulat et de l'Empire. Il fallut tout
l'effort des puissances rétrogrades pour en retarder la germi-
nation, alors que l'ensemencement était pour ainsi dire para-chevé.
Cet effort colossal se traduisit finalement par le traité de
la Sainte-Alliance qui, pour la France prise en particulier, fut
complété par le honteux traité du 20 novembre 1815.
Or, comme le dit très bien un historien dont nous aurons
à nous occuper plus tard : « En 1815 — au partage des
dépouilles du Titan vaincu par l'or anglais— la Sainte-Alliance
n'avait pris nul souci des aspirations communes des peuplesou de leurs tendances particulières. Pour les coalisés, la carte
de l'Europe était apparue comme un gâteau des rois ; chacun
des monarques de droit divin y avait découpé sa tranche : le
plus gros morceau revenant naturellement à l'appétit le plusrobuste... »
Un partage aussi fantaisiste, où seules les considérations
diplomatiques s'étaient données libre carrière, ne pouvait être
durable.
Tôt ou tard, ici et là, la question des nationalités devait
fatalement se poser : et se poser à rencontre des tyranniesdont la « Légitimité » se trouvait le prétexte, sans que les
gouvernements absolutistes ou féodaux puisassent, dans
cette entité par trop archaïque et définitivement désuète, une
parcelle de force et une garantie de survie.
La conscience des peuples, leur personnalité ethniqueétaient momentanément comprimées et opprimées. L'une et
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l3
l'autre allaient fatalement se libérer, dans un temps plus ou
moins long, suivant les milieux et les circonstances. Mais il
n'était au pouvoir de personne d'affirmer comme définitive
l'oeuvre de recul social accomplie par la Sainte-Alliance.
Un exemple d'affranchissement, des plus notables, fut
d'ailleurs fourni, dès 1830, par les Belges qui, rattachés contre
leur gré à la monarchie des Pays-Bas, s'insurgèrent et pro-clamèrent leur indépendance.
Il avait fallu, chez les négociateurs du Congrès de Vienne,une méconnaissance absolue des besoins et des droits des
Peuples pour faire passer une collectivité de religion catho-
lique et de langue française, comme la Belgique, sous le jougde la Hollande !
Après quinze ans de servitude, les Belges s'étaient donc
révoltés, et eux-mêmes auraient alors apporté une solution
partielle au problème de l'unité française si, précisément, à
cette époque, la France n'eut été la proie d'une oligarchie
parlementaire, à masque monarchique, qui, pour assurer
à l'intérieur la pérennité de son usurpation, n'avait été
prête au dehors à toutes les renonciations et à toutes les
platitudes.La question se posa, alors, d'une incorporation de la Bel-
gique à la France ; mais le gouvernement de Juillet était si
peu un gouvernement national qu'il n'eut pas la force morale
nécessaire, non seulement pour accomplir d'un seul coupcette oeuvre grandiose, mais même pour la préparer dans
l'avenir en donnant un fils de Louis-Philippe aux Belges quile lui demandaient comme roi.
Notre force matérielle était pourtant suffisante, puisquec'est grâce à nos armes qui s'illustrèrent notamment au siège
d'Anvers, que la Belgique conquit à la fin son droit au
soleil et sa place parmi les Peuples.Le même principe des nationalités explique pareillement les
crises diverses qu'eut à traverser l'Italie jusqu'en 1870. Il est
14 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
vrai que là, au contraire, un appui efficace permit aux popu-
lations de la péninsule d'acquérir leur liberté.
Cet appui vint de la France qui avait, elle-même, vaincu sa
propre faiblesse en secouant les entraves du parlemen-
tarisme aux journées de février 1848, et en proclamant enfin
l'exercice intégral du suffrage universel.
Chez nous, presqu'aussitôt, un gouvernement était né alors,
qui, puisant sa virilité aux sources vives du pays, se trouvait
désormais en mesure de tirer parti des circonstances, aussi
bien pour la France elle-même que pour les peuples en
travail de libération.
"Voilà comment — mieux que Louis-Philippe en 1830, pour
la Belgique— Napoléon III, à la tête d'une démocratie orga-
nisée et hiérarchisée, put, dès 1859, collaborer à l'unité ita-
lienne (1) tout en agrandissant notre propre patrimoine,
par l'annexion de trois départements : la Haute-Savoie, la
Savoie et les Alpes-Maritimes qui, pour la majeure partie,
avaient été abandonnés d'un trait de plume par Louis XVIII,
(1) Voici comment PROUDHON, dans son livre la Guerre et la
Paix, appréciait, dès 1861, le rôle de Napoléon III dans la poli-tique européenne : « Le véritable auteur des campagnes de Cri-mée et de Lombardie ce n'est pas l'Empereur, mais la nation. Sila masse n'a pas été consultée, elle a applaudi. Si elle a applaudi,c'est qu'elle a cru voir, dans ces deux campagnes, une guerre àla contre-révolution, à l'aristocratie européenne, aux despotescoalisés, à tout ce qu'elle a appris à détester depuis 1789. Elle l'asi bien cru qu'aujourd'hui le gouvernement impérial se prévautde cette opinion populaire pour présenter sa politique comme une
politique révolutionnaire, émancipatriee, démocratique, je dirais
presque sociale, pendant que les « attardés » du Sénat et du Corpslégislatif s'efforcent de le retenir dans les sentiments de réac-tion... Ce que cherche le Peuple français dans la reconstitutiondes nationalités, c'est la garantie de sa propre Révolution, c'estle complément de cette Révolution. C'est pour cela qu'il appuieen ce moment, à son risque et en dépit de laprudence impériale,le système de l'unité italienne » Cette appréciation de Prou-dhon est-elle assez concluante? (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l5
le 20 novembre 1815, mais dont les populations étaient restées
françaises de coeur, ainsi que le prouvèrent leurs votes quasi-unanimes quand elles acclamèrent, par voie de plébiscite,leur retour définitif dans notre giron national.
« L'expédition italienne avait été profondément populairedans la démocratie française », telle est la constatation qu'afaite M. Camille Pelletan dans son histoire : De 1815 à nos
jours. Et la constatation de M. Camille Pelletan, conforme
d'ailleurs au sentiment général de tous les historiens, prouvesurtout une chose, la suivante : à cette époque, il y avait
absolue communion d'idées entre tous les démocrates sin-
cères, au sujet du rôle qui s'imposait à la France pour
reprendre dans le monde la place que lui avaient fait perdretrente-trois ans de monarchie, soit bourbonienne, soit orléa-
niste. Elle ne pouvait y parvenir qu'en fortifiant son unité, en
s'accroissant même, autant par des acquisitions territoriales
qui lui seraient propres, qu'en aidant les peuples voisins à se
débarrasser des régimes féodaux ou absolutistes toujours
prêts à se liguer contre la France de 1789.Ainsi donc, il est incontestable qu'une question prédo-
minait en Europe, s'imposait à elle, durant le xixe siècle : la
question des nationalités. Telle était la résultante du formi-
dable appareil d'asservissement mis en branle par tous les
monarques de droit divin. A leur tour, les Peuples vou-
laient se libérer de leurs tyrans.Outre les exemples de la Belgique et de l'Italie, on eut
d'ailleurs ceux de l'Espagne qui, en 1823, se souleva contre
l'absolutisme, et vainquit la Légitimité et le droit saliqucen 1833 ; du Portugal, agissant de même à la même époqueet qui, de nos jours encore, reste en fermentation, ainsi que l'a
prouvé, en 1908, la tragique disparition du roi Carlos et quele prouveront encore d'autres événements certainement pro-chains ; de la Pologne, tentant en 1830, par une insurrection
vigoureuse, de ressouder ses tronçons épars ; et de la Grèce
l6 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
même, se proclamant indépendante et ouvrant, il y a quatre-
vingt-dix ans, cette question d'Orient qui, aujourd'hui, appa-raît plus épineuse que jamais, depuis surtout la constitution
de la Roumanie, de la Bulgarie, de la Serbie et du Monténégroen royaumes indépendants.
Ceci montre qu'aux environs de 1860 un gouvernement
démocratique, conscient de ses devoirs et de ses droits, avait
l'obligation stricte, rigoureuse, de rester « fort » tant au pointde vue intérieur qu'au point de vue extérieur, s'il voulait être
à même de parer aux à-coups qui, sur tel ou tel point de
l'Europe, pouvaient surgir inopinément du fait des inconsé-
quences criminelles des royaux tractateurs de 1815.
La tâche était plus particulièrement impérieuse pour le
gouvernement français qui constituait alors, en Europe, l'idéal
des régimes démocratiques, puisque le pouvoir Exécutif
comme le pouvoir Législatif y étaient établis par la volonté
souveraine du Peuple, lequel nommait directement son chef
d'Etat comme il nommait ses députés.C'est ce que d'ailleurs le libertaire P.-J. Proudhon avait
dit sans ambages à l'Elu de la nation française, en lui écri-
vant, le 29 juillet 1852, une lettre retentissante dont le passagesuivant est toujours à méditer : « Vous êtes la Révolution au
« xix° siècle., car vous ne pouvez pas être autre chose. Hors« de là, le 2 Décembre ne serait qu'un accident historique,« sans principe, sans portée... »
Oui, c'était le devoir de Napoléon III, délégué suprême du
Peuple français qui l'avait acclamé par 7 millions et demi de
suffrages, de défendre devant l'Europe ce grand principerévolutionnaire de l'indépendance des peuples, de le défendre
par tous les moyens et pour le plus grand bien de notre
propre indépendance.
Pourquoi, en définitive, le peuple souverain avait-il nommé
Louis-Napoléon, président de la République, au 10 décembre
1848, avec une majorité de plus de cinq millions de voix,
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 17
sinon pour barrer la route à la réaction bourgeoise qui, auxjournées de juin, avait déshonoré la Seconde-République enfusillant plus de 6.000 ouvriers dans les rues de Paris, sous le
proconsulat de M. Cavaignac ?
Pourquoi le peuple, comme l'a dit encore Proudhon —
dans sa «Révolution sociale (1) démontrée parle Coup d'Etatdu 2 Décembre » — avait-il aidé et coopéré au Coup d'Etat
accompli par Louis-Napoléon afin de sauver le suffrage uni-
versel, sinon pour que la France restât en Europe le cham-
pion de l'émancipation des peuples ?
Napoléon III, héritier de la grande Révolution Française àl'instar de Napoléon Ier, se devait à lui-même, comme il ledevait à la Démocratie qui l'avait porté sur le pavois, d'être
l'incarnation vivante et la représentation puissante de la
poussée délibération universelle
En 1860, l'homme national connaissait toute la responsabi-lité de son rôle.
Il venait d'en donner, l'année précédente, une preuve irré-
fragable par sa glorieuse campagne d'Italie où, sur les champsde Magenta et de Solférino, il avait atteint ce triple résultat :
1° affaiblir l'Autriche absolutiste qui rêvait, à ce moment,de reconstituer à son profit le Saint-Empire germanique;2° libérer l'Italie ; 30 augmenter l'unité française.
Il y avait, en conséquence, tout lieu de croire que le gou-vernement de Napoléon III conserverait le puissant organisme
intérieur, l'ossature merveilleuse, la Constitution parfaite quilui avaient déjà permis et lui permettraient encore de faire
face utilement aux événements du dehors, dès que le besoin
s'en ferait sentir.
(1) Pages 69 et 70.
iS 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
UNE CONCESSION LIBERALE
Si parfait que soit un gouvernement, il pèche toujours par
quelque chose : c'est la loi humaine, et nul n'y peut rien !
Le Second Empire — qui fut simplement, en réalité, une
République autoritaire et ne pouvait être que cela — avait un
défaut à sa cuirasse : non, certes, un défaut intrinsèque,
puisque la Constitution républicaine du 14 janvier 1852, régis-sant la France de par le consentement formel de la nation,ressemblait trait pour trait à la constitution des 3-14 septem-bre 1791 qui apparaît, en définitive, fournir l'idéal des cons-
titutions modernes.
Comme celle de 1791, la constitution de 1852 possédaittoutes les qualités du régime représentatif et excluait toutes
les défectuosités inhérentes au régime parlementaire. La
séparation des pouvoirs y était nette : le confusionnisme y
apparaissait impossible entre l'Exécutif et le Législatif; le pre-mier exécutait, le second légiférait ; et tous deux se trouvaient
communément soumis à l'arbitrage du peuple souverain qui,seul, restait le maître et se prononçait en dernier ressort.
On ne connaissait pas, alors, ou du moins on ne connais-
sait plus, tous les vices du parlementarisme qui, soit avec la
monarchie, soit avec la république, met toujours le pays sous
la coupe d'une oligarchie dont la tyrannie est d'autant plus
dangereuse qu'elle est impersonnelle et irresponsable.Fondée sur la responsabilité effective de l'Elu de la nation,
la Constitution de 1852 ne portait en soi aucun principe nocif;
malheureusement, l'homme responsable qui tenait en mains
les rênes du gouvernement avait conservé toutes les illusions
d'un propagandiste de bonne foi, porté par son tempéramentà croire en l'efficacité de la bonne parole et en la sincérité
des conversions obtenues.
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 19
Napoléon III, en 1860, apportait la conviction que l'acte
vigoureux et nécessaire de 1851 avait porté ses fruits, tous
ses fruits.
La Démocratie était assise désormais, et bien assise, selon
lui : nul ne pouvait maintenant porter atteinte aux droits
imprescriptibles du peuple souverain. Tout le monde avait
profité, ou presque, de l'amnistie complète proclamée, pourtous les délits politiques, à la date du 15 août 1859. Personne
ne devait plus, à son sens, nourrir la moindre arrière-penséeà rencontre d'un gouvernement fort, prospère et victorieux,
qui avait placé sur une assise inébranlable les conquêtes
civiques de la Révolution de 1789.L'heure semblait donc venue au cher de l'Etat de détendre
en quelque sorte l'appareil constitutionnel et de laisser plusde jeu, ainsi, aux libres institutions que la France s'était
données.
Napoléon III commettait alors une lourde faute.
Il existe, en effet, une catégorie de gens qui considèrent
toute concession, à eux faite par le pouvoir, comme une abdi-
cation ou un commencement d'abdication: ce sont les hommes
qui mettent quelque chose au-dessus du Droit du peuple et font
résider la suprême puissance en un pouvoir monarchique quise targue effrontément de Droit divin.
Cette caste d'individus, dont les intérêts particuliers sont
en opposition flagrante avec les intérêts du plus grand
nombre, est toujours prête, quoi qu'il arrive, à profiter de
tout pour conquérir ou pour rétablir ses privilèges de tous
ordres.
C'était le cas des royalistes de 1860, légitimistes ou orléa-
nistes peu importe.
Déjà, en 1848, sous la dictature de Cavaignac, ces tardi-
grades étaient parvenus à dévoyer la République et à lui faire
subir l'emprise d'une bourgeoisie parasitaire. Battus à l'élec-
tion présidentielle du 10 décembre, ils avaient pris leur
20 187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
revanche aux élections législatives et étaient arrivés à faire
entrer à la Chambre une majorité à leur image. Cette majoritéavait opéré sans retard, en votant, le 31 mai 1850, la suppres-sion hypocrite du suffrage universel, au moyen d'une loi quienlevait le droit de vote à plus de trois millions d'ouvriers.
Mais le coup d'Etat du 2 Décembre 1851 était venu restituer
au Peuple le suffrage universel intégral. Cependant, le même
jour, les députés royalistes avaient tenté à la mairie du
Xe arrondissement de fomenter un mouvement contre
Louis-Napoléon, défenseur du suffrage universel. Heureuse-
ment, le chef de l'Etat n'avait pas hésité, alors : les ennemis
du peuple avaient été arrêtés provisoirement (1) jusqu'à la
consultation plénière du pays.
Toutefois, Louis-Napoléon avait déjà cédé, en cette occur-
rence, au sentiment qui devait guider sa vie : il se garda bien
d'attenter à la liberté des représentants portant l'étiquette
républicaine, tels que les Jules Favre, les de Flotte, les
Carnot, les Hugo, les Mathieu de la Drômc, les Michel de
Bourges, etc. De là était né le douloureux incident Baudin,
(1) La liste des députés arrêtés est éminemment suggestive.Quelques noms d'entre eux suffiront à édifier le public sur lessentiments de cette Chambre rétrograde. Citons au hasard : MM.le duc de Luynes, d'Andigné, de Kerdrel, de Penhoen, de Beau-mont, de Belvèze, de Bernardy, Berryer, de Berset, Betting de
Lancastel, duc de Broglie, de la Broise, de Bryas, Buffet, de la
Guibourgère, de Castillon, de Charancey, de Chazelles, comtede Coislin, de Corcelles, marquis de Dampierre^ de Sèze,vicomte de Flavigny, de Goulard, de Gouyon, de Grandville,marquis d'Havrincourt, de Kéranflech, de Kératry, de Kermazec,comte Lanjuinais, de Lasteyrie, de Montebello, Alfred Nette-ment, de Montigny, Casimir Périer, de Piogé, comte de Ressé-guier, Henri de Riancey, de la Rochette, de Roquefeuille, desRotours de Chaumaisons, marquis deTalhouet, de Tinguy, comtede Tocqueville, de la Tourette, comte de Tréveneuc, de Vati-
mesnil, baron de Vandoeuvre, Vitet, comte de Vogué, etc., etc..Il y en a comme ça deux cent vingt! (N. de l'A.).
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 21
survenu inopinément comme représaille de l'assassinat d'un
pauvre petit soldat, que fut obligé d'enregistrer Victor Hugolui-même dans son Histoire d'un crime (i).
Au demeurant, le scrupule dont il s'agit pouvait s'expli-
quer : un démocrate, comme Louis-Napoléon, avait pu croire
que des républicains — des démocrates comme lui par consé-
quent — ne tenteraient pas de faire, dans la rue, le jeu de
la réaction royaliste qui ne travaillait que pour la restau-
ration de la monarchie soit bourbonienne, soit orléaniste.
En outre, de sincères républicains (avait dû encore supposerle chef de l'Etat) ne s'efforceraient pas de provoquer de
nouvelles tueries, semblables à celles des journées de juin 1848.
N'importe ! les événements avaient bientôt donné un éclatant
démenti à ces prévisions optimistes... Certes, le sang ne coula
point d'une façon atroce au lendemain du coup d'Etat ;les résultantes du 2 Décembre ne comportèrent point
d'effroyables hécatombes comme la période de la « Terreur
rouge » sous la Révolution, ou comme celle de la « Terreur
blanche » sous Louis XVIII, ou même comme celle de la
dictature Cavaignac au début de la Seconde-République.
Quoi qu'il en soit, l'influence royaliste avait eu quand même
d'assez tristes conséquences pour qu'à tout jamais on ne fût
plus tenté de lâcher la bride à ces hommes de toutes les
régressions, qui ne pouvaient « rien apprendre ni rien
oublier ».
Hélas ! Napoléon III, en 1860, crut que huit années avaient
suffi pour éteindre les passions, refréner les appétits et des-
siller les aveuglements. Telle fut son erreur, la première de
ses erreurs.
Encore une fois, ce fut une lourde faute que celle quecommit l'Empereur, représentant-né de la Révolution libéra-
trice en Europe, en songeant à lénifier, à adoucir une Cons-
(1) Deuxième journée. — Chap. III, page 168.
22 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
titution qui avait déjà fait ses preuves. C'était entrebâiller la
porte au parlementarisme qui s'efforcerait, dès lors, d'ouvrir
cette porte toute grande pour livrer passage aux oligarchies
éternellement en rut.
A ce moment-là même, l'erreur apparaissait si manifeste
que M. Rouher ne cacha pas son sentiment au chef de l'Etat.
« Votre Majesté, lui dit-il, risque de décourager les popula-< tions honnêtes et laborieuses que la prospérité croissante
. « du pays a conquises à l'Empire. Aucune concession ne
«^ramènera la démagogie (1). En lui lâchant la bride, on
« affaiblira les institutions qui, depuis dix ans, fonctionnent
« régulièrement à la satisfaction de la France et l'on pourra« faire éclater la machine. »
Mais l'Empereur qui, jadis, au moment de l'insurrection
de laRomagne avait combattu pour la Liberté; qui, plus tard,
avait été en quelque sorte le drapeau vivant de l'opposition
en France, sous la monarchie de Juillet ; qui, enfin, avait
professé, dans ses Idées napoléoniennes et dans son Extinction
du Paupérisme, que la Liberté est le levier tout-puissant de
l'émancipation morale et matérielle des peuples ; l'Empereur,
disons-nous, ce romantique couronné, avait conservé, en-
gravissant les échelons de la suprême puissance, tout le respect
superstitieux d'autrefois pour la magie d'un grand mot. Il est
vrai qu'en 1860, on ne percevait point encore toutes les causes
de l'échec du retour de l'île d'Elbe : on croyait que Napo-
(1) La démagogie est toujours mise en mouvement par la réac-
tion royaliste. L'historien républicain Henri Martin n'a-t-il pasécrit, dans son HISTOIRE DE FRANCE POPULAIRE (tome V. p. 339)au sujet de la Terreur blanche : « Les plus mauvais jours de la
« Ligue renaissaient par l'alliance de l'aristocratie ultra du Midi
« avec la populace dépravée, paresseuse et sanguinaire qui fer-
« mente sous les pieds du vrai peuple et que les statisticiens« qualifient de classes dangereuses »...? Or l'histoire est uneéternelle rabâcheuse. (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 23
léon Ier avait été vaincu, en 1815, par l'Europe coalisée, aidée
seulement par la trahison des royalistes sur les champs de
bataille. On ne se rendait point compte que le coup fatal avait
été porté, après Waterloo, par les représentants de la bour-
geoisie auxquels une trop grande latitude avait été laissée dans
les conseils du gouvernement et qui s'étaient empressés alors
de transformer la Liberté en licence, sans se soucier de l'in-
térêt supérieur du pays.C'est pourquoi Napoléon III estimait ne courir aucun
risque et n'en point faire courir davantage au pays en tentant
de rallier définitivement les derniers de ses adversaires, parle décret du 24 novembre 1860 et par la promulgation des
sénatus-consulte du 2 février 1861 et du 31 décembre de la
même année.
Le chef de l'Etat exposa d'ailleurs sa manière de voir, en
adressant aux Chambres un discours dont voici les passages
principaux :
« Messieurs les sénateurs,« Messieurs les députés,
« Le discours d'ouverture de chaque session résume, en
peu de mots, les actes passés et les projets à venir. Jusqu'à ce
jour, cette communication, restreinte par sa nature, ne met-
tait pas mon gouvernement en rapport assez intime avec les
grands Corps de l'Etat, et ceux-ci étaient privés de la faculté
de fortifier le gouvernement par leur adhésion publique ou de
l'éclairer par ses conseils.
« J'ai décidé que tous les ans un exposé général de la situa-
tion de l'Empire serait mis sous vos yeux et que les dépêchesles plus importantes de la diplomatie seraient déposées dans
vos bureaux.
« Vous pourrez également, dans une Adresse, manifester
votre sentiment sur les faits qui s'accomplissent, non plus,
24 1870-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
comme autrefois (sous la monarchie), par une simple péri-
phrase du discours du Trône, mais par la libre et loyale
expression de votre opinion.
„ « Cette amélioration initie plus amplement le pays à ses
propres affaires, lui fait mieux connaître ceux qui le gou-
vernent, comme ceux qui siègent dans les Chambres et, mal-
gré son importance, n'altère en rien l'esprit de la Constitu-
tion.
« Autrefois (sous la royauté), vous le savez, le suffrage était
restreint. La Chambre des députés avait, alors, il est vrai,
des prérogatives plus étendues (1), mais le grand nombre de
fonctionnaires publics qui en faisaient partie donnait au gou-vernement (royal) une action directe sur ses résolutions.
« La Chambre des pairs votait aussi les lois, -mais la majo-rité pouvait être à chaque instant déplacée par l'adjonction
facultative de nouveaux membres.
« Enfin, les lois n'étaient pas toujours discutées pour leur
valeur réelle, mais suivant la chance que leur adoption ou leur
rejet pouvait avoir de maintenir ou de renverser le ministère.
De là, peu de sincérité dans les délibérations, peu de stabi-
lité dans la marche du gouvernement, peu de travail utile
accompli.
« Aujourd'hui les lois sont préparées avec soin et maturité
par un conseil d'hommes éclairés qui donnent leur avis sur
toutes les mesures à prendre. Le Sénat, gardien du pacte fon-
damental, et dont le pouvoir conservateur n'use de son ini-
tiative que dans les circonstances graves, examine les lois
sous le seul rapport de leur constitutionnalité, mais, véritable
cour de cassation politique, il est composé d'un nombre de
membres qui ne peut être dépassé.
(1) Les prérogatives nocives du parlementarisme qui met
l'Exécutif sous le joug du Législatif, sans que le pays se prononceen dernier ressort. (N. de l'A.)
I87O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 25
« Le Corps Législatif ne s'immisce pas, il est vrai, dans tous
les détails de l'administration, mais il estnommé directement
par le suffrage universel et ne compte dans son sein aucun
fonctionnaire public. Il discute les lois avec la plus entière
liberté ; si elles sont repoussées, c'est un avertissement dont
le gouvernement tient compte ; mais ce rejet n'ébranle pas le
pouvoir, n'arrête pas la marche des affaires et n'oblige pas le
souverain à prendre pour conseillers des hommes qui n'auraient
pas sa confiance.
« Telles sont les différences principales entre la Cons-
titution actuelle et celle qui a précédé la révolution de
Février.
« Epuisez, Messieurs, pendant le vote de l'Adresse, toutes
les discussions suivant la mesure de leur garantie, pour pou-
voir ensuite vous consacrer entièrement aux affaires du pays,
car, si celles-ci réclament un examen approfondi et conscien-
cieux, les intérêts, à leur tour, sont impatients de solutions
promptes.
« Ma ferme résolution est de n'entrer dans aucun conflit où
la cause de la France ne serait pas basée sur le droit et sur
la justice. Qu'avons-nous à craindre ? Est-ce qu'une nation
unie et compacte, comptant quarante millions d'âmes, peut
redouter soit d'être entraînée dans des luttes dont elle n'ap-
prouverait pas le but, soit d'être provoquée par une menace
quelconque ?
« La première vertu d'un peuple est d'avoir confiance en lui-
même et de ne pas se laisser émouvoir par des alarmes imagi-
naires. Envisageons donc l'avenir avec calme, et, dans la
pleine conscience de notre force comme dans nos loyales
intentions, livrons-nous sans préoccupations exagérées au
développement des germes de prospérité que la Providence
a mis entre nos mains. »
26 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Il iaut le reconnaître, le décret du 24 novembre 1860 pas
plus que les sénatus-consulte promulgués par Napoléon III
ne portaient atteinte à la lettre même de la Constitution de
1852, dont le principe essentiel de la séparation des pouvoirsétait réservé et conservé. Mais, l'opposition pourrait désor-
mais faire parlemenlairement des remontrances à l'Exécutif
sur le gouvernement même de la chose publique. Il était fatal
que, petit à petit, cette opposition prît goût à cette lutte
sourde et de parti-pris, et arrivât à exiger une sanction à ses
remontrances.
Quelle serait alors cette sanction, sinon de permettre aux
parlementaires—quoi qu'en eût dit l'Empereur—« d'ébranler
« le pouvoir et d'arrêter la marche des affaires en obligeant« l'Exécutif à prendre pour conseillers des hommes qui n'au
« raient pas sa confiance », c'est-à-dire d'obtenir la faculté de
renverser les ministères et d'enlever ainsi au chef d'Etat sa
prérogative essentielle qui constitue, somme toute, la grandeet unique supériorité des gouvernements représentatifs sur
les gouvernements parlementaires ?
Oui, cela se produirait tôt ou tard. Tel était le danger latent
de la « modification libérale de la Constitution ».
A vrai dire — et il convient d'y insister — cette modifi-
cation ne comportait en soi aucun péril immédiat et ne déce-
lait, en résumé, que les tendances généreuses de Napoléon III.
Mais, encore une fois, elle ouvrait carrière à des appétits mal-
sains ; car, si, sur le moment, l'opposition de gauche était insi-
gnifiante et ne comprenait que cinq députés : Picard, Jules
Favre, Hénon, Darimon et Emile Ollivier, dont les deux der-
niers devaient au surplus se rallier plus tard à l'Empire ; par
contre, l'opposition de droite était beaucoup plus nombreuse
et nourrissait d'incalculables arrières-pensées.Les royalistes, certes, n'oseraient guère attaquer de front,
puisqu'ils se sentaient impopulaires dans le pays ; mais, n'es-
quisseraient-ils point un mouvement tournant et n'opère-
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 2J
raient-ils pas leur jonction avec de soi-disant républicains
prêts à parer du masque démocratique leurs conceptionsorléanistes ?
Cela apparaissait probable : c'est ce qui avait paru pro-bable à M. Rouher.
En tous cas, un adversaire de l'Empire, diplomate distin-
gué, M. G. Rothan, a écrit dans la Politique française une
phrase qui constitue pour nous la plus saine des constata-
tions, en tous cas la moins dénuée d'artifices. La voici : « Les
libertés que Napoléon III accorda spontanément ne servirent
qu'à fournir des armes aux parti shostiles. »
Et ces armes, les partis hostiles, surent bientôt les utiliser,cela au.moment même où la France fut amenée par l'enchaî-
nement des choses à prendre attitude à l'extérieur, alors queles intentions de Napoléon III étaient formellement paci-
fiques.
L'EXPEDITION DU MEXIQUE
Vers 1860, plusieurs nations européennes avaient à se
plaindre des procédés du gouvernement mexicain.
L'anarchie régnait dans ce pays. Deux chefs de parti
s'y disputaient depuis longtemps le pouvoir : le général
Miramon, esprit modéré et sage, et Juarez qui tirait de
son origine indienne un tempérament fait de duplicité et
d'hypocrisie. Finalement Juarez était parvenu à supplanterdéfinitivement Miramon, qui avait dû prendre la route de
l'exil.
Enivré par son triomphe, Juarez traita les puissances euro-
péennes, elles-mêmes, comme quantité négligeable.C'est ainsi que l'Angleterre, la France et l'Espagne eurent
simultanément à faire valoir des réclamations.
28 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
L'historien Blanchet (1) résume de la sorte, aussi succinc-
tement qu'impartialement, la situation :
« Juarez avait ajouté au criminel héritage de ses prédéces-seurs ses propres iniquités : l'expulsion de l'ambassadeur
espagnol et du nonce du pape, l'emprisonnement des vice-
consuls français, des exactions et des violences à l'égard des
étrangers, leur assujettissement au service militaire. »
Était-il admissible que, devant de pareils attentats contre le
droit des gens, les gouvernements dont les nationaux et
même les représentants officiels avaient été molestés restassent
impassibles ? Évidemment non !
Ce fut l'avis de l'Angleterre et de l'Espagne. Ce devait être
forcément celui de la France, quelle que fût sa forme de gou-
vernement, quelles que fussent également les intentions paci-
fiques de son chef d'Etat.
Il y avait là une question d'honneur — sans parler des
intérêts matériels qui étaient considérables — sur laquelle
personne ne pouvait transiger!...C'est dans ces conditions, continue Blanchet, qu'après de
multiples représentations inutiles «les trois puissances les plus-directement intéressées à infliger au gouvernement mexicain
un châtiment exemplaire signèrent, le 31 octobre 1861,.une convention pour combiner une action commune. Elles
s'engageaient à envoyer des forces de terre et de mer suffi-
santes pour occuper les forteresses et les points militaires du
Mexique; les commandants des forces alliées seraient auto-
risés à exécuter les autres opérations qui seraient jugées sur
les lieux nécessaires pour atteindre le but de l'entreprise, et
spécialement pour assurer la sécurité de nos résidents. Il était
stipulé en outre qu'aucun membre des familles régnantes des.
trois puissances engagées ne pourraient prétendre au trône
du Mexique, et qu'il ne serait fait aucune tentative pour
(1) DÉSIRÉ BLANCHET. — Histoire contemporaine, page 409.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 29
imposer de force un gouvernement au pays... L'Espagne
arriva la première ; grâce à l'avantage que lui donnait la
proximité de sa colonie de la Havane, le général Prim, comte
de Reuss, occupait la Vera-Cruz et Saint-Jean-d'Ulloa dès le
17 décembre 1861. L'amiral français Jurien de la Gravière
•arriva, avec deux mille hommes seulement, en janvier 1862.
L'escadre anglaise surveillait la côte. »
Ainsi, réduite à ces proportions, l'expédition inéludable du
Mexique ne pouvait pas détourner et ne détournait pas
.Napoléon III de sa fonction « d'incarnation vivante et de
représentation puissante des grands principes de 1789 en
Europe ». Notre intervention très limitée dans le Centre-
Amérique ne devait ni ne pouvait diminuer nos forces maté-
rielles : elle ne risquait que d'accroître notre prestige moral ;cela d'autant plus que l'Angleterre et l'Espagne supporteraientcomme nous et avec nous les frais de cette expédition relati-
vement peu coûteuse.
N'importe ! l'Empereur tint à donner au Corps Législatifla nouvelle assurance de ses propensions vers la paix. Il le fit
dans les termes suivants :
« Nous ne serions, dit-il, en lutte avec personne si, au
« Mexique, les procédés d'un gouvernement sans scrupules« ne nous avaient obligés de nous unir à l'Espagne et à l'An-
« gleterre, pour protéger nos nationaux et réprimer des
« attentats contre l'humanité et le droit des gens. »
L'intervention armée des trois puissances alliées au
Mexique se poursuivit vigoureusement.Dès que cette intervention eut mis les belligérants euro-
péens en excellente posture pour traiter, Juarez vint à réci-
piscence; mais l'Angleterre et l'Espagne, ayant obtenu pleine
satisfaction, ne tardèrent pas à trouver exagérées nos propres
prétentions. Sir Charles Dilke, plénipotentiaire britannique,et le général Prim, représentant l'Espagne, le déclarèrent
sans ambages. Ce dernier même signa, le 19 février 1862,
30 187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
avec l'agent diplomatique de Juarez des préliminaires ainsi
conçus :
« Attendu que le gouvernement constitutionnel de la Répu-
blique mexicaine a manifesté aux commissaires des puis-sances alliées qu'il possède les éléments de force et d'opinionnécessaires pour se maintenir contre toute révolte intestine,les alliés entrent tout de suite sur le terrain des traités. Les
négociations s'ouvriront à Orizaba. Pendant les négociations,les forces alliées occuperont Cordova, Orizaba et Tetuacan.
Si malheureusement les négociations venaient à se rompre,les forces alliées abandonneraient ces positions et retourne-
raient dans la direction de Vera-Cruz. »
Sir Charles Dilke accéda immédiatement à ces prélimi-
naires, au nom de la Grande-Bretagne, et le chef du corps
expéditionnaire français, l'amiral Jurien de la Gravière, eut
la faiblesse d'y accéder à son tour, sans l'autorisation expressede son gouvernement. C'est ainsi que fut arrêtée la conven-
tion de la Soledad qui nous liait les mains au sujet de nos
revendications.
Or, nos revendications, comme le fait très bien ressortir
Félix Margarita dans son livre sur la « Souveraineté natio-
nale depuis 1789 » (1) étaient d'une importance plus considé-
rable que celles formulées par l'Angleterre et l'Espagne.Il s'agissait pour nous, tout d'abord, de l'emprisonnement
de c.-is agents diplomatiques au Mexique, tandis que pour
l'Angletcne aucun point de ce genre ne pouvait être soulevé.
En ce qui concerne l'Espagne toutes satisfactions lui étaient
données relativement à son ambassadeur ; mais, pour les
vice-con^i;!:; français, Juarez refusait de leur accorder les
réparations les plus élémentaires, sous prétexte que la plupart,sinon tous, étaient mêlés à des entreprises financières qui ne
(1) Chap. X. — La politique extérieure du Second-Empire.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3l
cadraient pas avec leur situation de représentants de la France.
En signant la convention de la Soledad, l'amiral Jurien de
la Gravière semblait reconnaître officiellement le bien-fondé
de ces récriminations.
Le débat reste ouvert sur cette question, qu'il n'est pas dans
notre rôle de trancher ici, alors que nous nous occuponsseulement des origines et des responsabilités soit lointaines,
soit rapprochées de la catastrophe de 1870.
Peut-être, cependant, eut-il mieux valu s'incliner devant le
fait accompli ; mais il apparut clairement à Paris que la
duplicité native de Juarez était parvenue trop facilement à ses
fins, en divisant les puissances, et en amenant l'Angleterreet l'Espagne à estimer inacceptables nos prétentions.
C'est ce qui incita notre gouvernement à désavouer
l'amiral Jurien de la Gravière.
Là fut la faute !
Mais, il convient de le reconnaître : n'importe quel gouver-nement l'eut commise à la place du Second-Empire, en raison
des renseignements erronés fournis à Napoléon III.
La chose est si peu contestable qu'un républicain comme
Lamartine a pu écrire au sujet de notre intervention au
Mexique : « C'est une idée grandiose ! » et qu'un royalistecomme le prince de Valori (1) a osé déclarer quatorze ans
plus tard, en 1876, que notre expédition était un « éclair de
génie ».
En principe, Lamartine et le prince de Valori ont eu raison
à l'instar de Napoléon III ; en fait, c'est le contraire qui est
vrai. Car, étant donnée notre situation spéciale en Europe,du fait du problème des nationalités qui agitait tout l'Ancien
Continent, nous ne devions pas risquer d'immobiliser une
partie de nos forces militaires dans le Nouveau, et d'y
dépenser peu ou prou de nos ressources financières.
(1) Paris-Journal.
32 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Il est vrai que quatre catégories de faits viennent, dans cet
ordre d'idées, à la décharge de l'Empereur : 1° un nombre
respectable de Mexicains bannis ou simplement réfugiés, à
Paris, assuraient alors que Juarez se targuait à faux de sym-
pathies dans son pays et qu'il ne serait pas difficile d'en venir
à bout ; 2° l'attitude de Juarez restait nettement provocante
à notre endroit; 30 l'article 11 de la Convention du 31 octo-
bre 1861 entre les puissances avait édicté qu'aucune atteinte
ne serait portée au droit de la nation Mexicaine de choisir
librement la forme de son gouvernement : or, Juarez était
l'homme (1) des pronunciamentos ; 4° une armée mexicaine,
sous les ordres du général Marquez, était prête à collaborer
avec nos propres forces au salut de son pays.
Quoi qu'il en soit, on ne contrôla pas assez ces assertions
q ui provenaient, pour la plupart, de gens ayant des intérêts
en gagés dans la maison Jecker, laquelle avait eu à souffrir
des exactions de Juarez, et l'ordre fut donné d'obtenir par la
force ce que nous n'avions pu obtenir autrement : et de
l'obtenir de tout autre gouvernement mexicain que celui de
Juarez, puisqu'il était entendu que le dictateur devait dispa-
raîlre de la scène politique de son pays, où son maintien,
affirmait-on, apparaissait impossible.
Toutefois, l'Empereur se garda d'augmenter notre Corps
(1) En disant que Juarez était l'homme des pronunciamentos,nous entendons établir qu'il n'y a rien de commun entre ces
coups de force américains et ceux que prévoit l'article ^5 de laDéclaration des Droits, qui précède notre Constitution de 1793et qui est ainsi conçu : « Lorsque le gouvernement viole lesdroits du Peuple, l'insurrection est pour le peuple et pourchaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plusindispensable des devoirs. » C'est qu'en effet un pronunciamentone se légitime jamais, tandis qu'un coup de force ou un coupd'Etat peuvent se légitimer et se légitiment-par la consultation
plénière du peuple, comme cela s'est passé pour Brumaire etpourDécembre. (N. de l'A.).
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 33
expéditionnaire, estimant que les 2.000 hommes partis là-bas
étaient suffisants pour mener à bien l'action engagée.
Napoléon III, en effet, entendait re ster maître de l'heure, en
Europe, pour des éventualités certaines, telle que celle de
l'unité allemande.
L'unité allemande devait se faire nécessairement, soit au
profit de l'Autriche, soit au profit de la Prusse. Mais l'Empe-
reur voulait, dans un cas comme dans l'autre, en tirer parti
comme il l'avait fait dans la question italienne.
, Il le voulait, afin d'augmenter encore l'unité nationale
française, et de réparer, si possible, les tractations impar-
donnables de Louis XVIII qui, en 1814 et en 1815, avait trahi
nos intérêts vitaux pour s'assurer la possession d'un trône
grâce aux baïonnettes de l'Envahisseur.
Hélas ! les expéditions lointaines comportent toujours les
mêmes aléas. Un jour, un échec se produit : et il faut envoyer
des renforts ; la simple démonstration initiale se changebientôt en expédition qui, elle, demande des hommes et de
l'argent.
C'est ce qui arriva au Mexique.
L'échec de Puebla, le 5 mai 1862, nécessita un nouvel envoi
de troupes. Et la campagne prit une ampleur qui, certes, fut
glorieuse pour nos armes, puisque nous remportâmes vic-
toire sur victoire; néanmoins, nous fûmes amenés à une trop
longue occupation, qui dura jusqu'à fin décembre 1866.
Le récit en importe peu ; mais, il était nécessaire de signaler
les causes de l'affaire du Mexique, en raison de la répercus-
sion certaine de celle-ci sur notre politique en Europe et, par
conséquent, sur les origines et les responsabilités de la guerre
de 1870.
34 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
LA PAIX EN EUROPE
Pendant que l'expédition du Mexique était encore à son
début, des événements dignes d'attention se produisaient en
France et dans l'Europe entière.
D'abord, les élections législatives de 1863 apportaient, chez
nous, la preuve irréfragable du pacte conclu entre les roya-listes de toutes les écoles et les bourgeois soi-disant républi-cains.
Deux notabilités politiques devaient spécialement en béné-
ficier : M. Thiers, ancien ministre de Louis-Philippe, et
M. Berryer, le champion d'Henri V, autrement dit du comte
de Chambord.
Le terrain d'entente s'était établi, entre les pires réaction-
naires et les prétendus hommes d'avant-garde, sur la haine
commune qu'ils professaient pour un gouvernement démo-
cratique qui barrait la route aux ambitions bourgeoises ;
mais, jusqu'alors, ils n'avaient pas osé avouer publiquementleur coalition d'appétits.
Ils s'y décidèrent, cette année-là, à propos de la candida-
ture de M. Thiers, à Paris, et de celle de M. Bercer, à Mar-
seille.
Pour M. Thiers, un comité qui s'intitulait démocratique fit
paraître, le 20 mai, une proclamation toute pétrie de lieux
communs, comme ceux-ci qu'il convient de citer dans leur
texte incohérent : « Liberté ! c'est le voeu de tous, le cri des
« consciences ! Notre cause est sainte ; le Dieu de la justice« est avec nous. Marchons ! l'inaction, c'est le suicide ; l'ac-
« tion, c'est la liberté ! »
Dès le 21 mai, le ministre de l'intérieur Persigny riposta parune lettre où il disait : « La France n'est devenue prospèreet glorieuse que depuis que M. Thiers et les siens ne sont plusaux affaires... Le suffrage universel n'opposera point au gou-
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 35
vernement qui a tiré le pays de l'abîme ceux qui l'y avaient
laissé tomber. »
Le débat était net.
Mais lorsque le suffrage universel est morcelé, autrement
dit consulté parcellairement, il est inévitable que la popu-lation de certaines circonscriptions laisse surprendre sa
bonne foi. C'est ainsi que Thiers fut élu, à Paris, par la coa-
lition des cléricaux et des hommes d'avant-garde, des aristo-
crates royalistes et des bourgeois républicains.L'élection de Thiers, de Berryer et de quelques autres
n'avait en soi qu'une importance relative, puisque le gouver-nement avait obtenu une majorité formidable dans le pays.
Cependant, étant donnée la modification récente de la Cons-
titution, c'était la dangereuse infiltration du parlementarisme
qui commençait, d'autant plus dangereuse que nombre de
candidats à mentalité orléaniste avaient obtenu d'entrer à la
Chambre en se recommandant avec hypocrisie des idées
napoléoniennes et des principes de la Grande Révolution.
Mais les symptômes d'un dérèglement dans la politiqueintérieure étaient encore trop peu sérieux pour que Napo-léon III leur accordât plus d'importance qu'ils semblaientn'en mériter. Il se contenta d'opérer un remaniement minis-tériel.
Des faits plus graves, dans la politique internationale,étaient survenus qui attiraient davantage et à juste titre
l'attention du chef de l'Etat. Les premiers étaient relatifs àune nouvelle insurrection polonaise, les seconds provenaientde la question des duchés, incorporés au Danemark.
Les Polonais avaient cru à leur autonomie prochaine, quandle nouveau tzar Alexandre II était monté sur le trône et avait,le 19 janvier 1861, édicté l'affranchissement des serfs danstoute l'étendue de l'empire russe. Le 25 février de la même
année, les habitants de Varsovie avaient essayé de célébrerl'anniversaire d'une des batailles de l'insurrection nationale,
3t> 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
en 1831. Des interdictions diverses les en avaient empêchés ;
mais le 7 avril eurent lieu des bagarres sanglantes.La situation étaitjbientôt devenue telle, à Varsovie, que lord
John Russell, ministre des affaires étrangères de la Grande-
Bretagne, put déclarer à Londres, en mai 1861, que tout
faisait présager « un avenir glorieux et libre à une nation qui,
malgré tant de calamités, tant de persécutions, avait su
conserver intact le sentiment de la patrie. »
L'Angleterre, par la voix de son ministre, affirmait ainsi la
caducité des traités de 1815 et proclamait expressément toute
l'excellence du principe des nationalités.
Or, la Pologne avait été partagée par trois Etats : la Russie,
la Prusse et l'Autriche. Aider cette nation asservie à recouvrer
son indépendance, c'était ramener dans leurs justes limites
nationales les trois puissances spoliatrices et les amoindrir
de ce chef.
Napoléon III songea à y parvenir habilement, sans vio-
lence, en évitant par dessus tout, dans notre propre intérêt,
de supporter seul l'hostilité déclarée des pays qui avaient
jadis démembré la Pologne.
Justement, au printemps de 1863, celle-ci s'insurgeait une
fois de plus.Aussitôt notre diplomatie agit avec vigueur. Mais elle fut
mal secondée, hélas ! par celle de l'Angleterre.La question était toujours en suspens, lorsque Napoléon III,
ouvrant le 5 novembre la session législative, déclara dans
son discours d'ouverture :
« Un moyen nous reste, c'est de soumettre la cause polo-naise à un tribunal européen. La Russie l'a déjà déclaré : des
conférences où toutes les autres questions qui agitent l'Eu-
rope seraient débattues ne blesseraient en rien sa dignité...
Que du malaise même de l'Europe, travaillée par tant d'élé-
ments de dissolution, naisse une ère nouvelle... Les traités
de 1815 ont cessé d'exister ! »
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 37
Par cette déclaration sensationnelle, le chef Elu du Peuple
français démontrait que le problème des nationalités pouvaitavoir une solution pacifique. Il proposait en résumé au Monde
l'institution d'une Cour internationale d'arbitrage qui écar-
terait, désormais, toute guerre et tout conflit sanglant.En énonçant à nouveau cette idée, déjà formulée jadis par
Napoléon Ier, Napoléon III prouvait que la Révolution et
l'Empire n'avaient été et n'étaient encore que les championsdu Droit contre la force et n'employaient la force que lors-
qu'ils y étaient contraints pour la défense du Droit.
L'Idée était d'autant plus heureuse à ce moment que, simul-
tanément avec la question polonaise, avait pris corps celle
de l'unité allemande, non dans toute son ampleur, certes,
mais dans un à-côté qui pouvait être gros de conséquences.C'est le Danemark qui, par suite d'une crise intérieure,
amenait cet à-côté à l'état aigu.Son roi Frédéric VII étant mort sans laisser d'héritier
direct, une nouvelle dynastie avait pris le pouvoir en la per-sonne du duc de Glucksberg, qui prit le nom de Christian IX.
Mais un compétiteur venait de surgir pour les deux duchés
du Sleswig et du Holstein : c'était le duc d'Augustenbourg,héritier d'une autre branche.
Or, le nouveau roi, Christian IX, publia à son avènement
un rescrit qui incorporait définitivement le duché de Sleswigau Danemark et dotait le duché de Holstein d'une adminis-
tration danoise. Jusqu'ici, ces deux duchés avaient fait partiede la Confédération germanique. Il était probable, il était
même certain que la diète allemande verrait d'un très mau-
vais oeil ces mesures prises relativement à des pays qu'elleconsidérait comme siens,
Dans cet intervalle, Napoléon III avait adressé, dès le
4 novembre 1863, une lettre aux Puissances pour leur pro-
poser la réunion d'un Congrès de la paix à Paris, en se
basant sur ce que « l'édifice politique de l'Europe, qui repose
38 • 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« sur le fondement des négociations de 1815, s'écroulait de
< toutes parts », et ajoutant que ce Congrès serait destiné« à régler le présent et à assurer l'avenir ».
Cet appel ne pouvait pas ne pas être entendu. Effective-
ment, toute l'Europe continentale se déclarait prête à suivre
le mouvement, lorsque, le changement de règne en Dane-
mark s'étant précisément produit durant ce laps de temps,il arriva que ce fut l'Angleterre - en dépit des solennelles
affirmations de lord Russell, en mai 1861 — qui refusa, le
25 novembre 1863, de participer au Congrès international :
sous le prétexte que les traités de 1815 étaient intangibles.Le 15 décembre suivant, l'Autriche (qui avait déjà donné le
17 novembre son adhésion, sous réserves, au projet de Napo-léon III) reprenait sa parole et refusait à son tour de colla-
borer à l'oeuvre de -solution pacifique des conflits européensen suspens.
Pouvions-nous raisonnablement, alors, au nom de la Paix
du Monde, déclarer la guerre : d'abord à la Russie, à la Prusse
et à l'Autriche, au sujet de la question polonaise ; ensuite à
ces deux dernières puissances, au sujet de la question danoise;
enfin, à l'Angleterre, au sujet de l'oeuvre de la Sainte-Alliance,
oui, à l'Angleterre qui, en invoquant à nouveau les fameux
traités de 1815, entendait maintenir ouvertes les brèches
faites à notre unité nationale avec le consentement et au
profit de Louis XVIII ?
Evidemment non.
En l'occurrence, Napoléon III n'avait qu'un rôle et ne pou-vait en avoir qu'un : celui de demeurer jalousement dans
l'expectative, en se préparant à tirer parti de toutes les cir-
constances favorables qui pourraient, dans l'avenir, nous per-mettre de réaliser la plus grande France d'autrefois, sacrifiée
pour une couronne par les Bourbons de la Légitimité I
C'est ce que fit l'Empereur. Et, lorsque la Prusse et l'Au-
triche engagèrent ensemble une action militaire contre le
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3g
Danemark, sur la question des deux duchés, c'eut été folie
de notre part d'user nos forces dans cette aventure.
Napoléon III ne la commit pas, et il eut raison de ne pasla commettre.
L'AFFAIRE DES DUCHES
La population allemande des deux duchés avait protestécontre les rescrits de Christian IX, incorporant le Slcswig à
la monarchie danoise et plaçant le Holstein sous la direction
du ministère danois.
Le duc d'Augustenbourg en profita pour renouveler ses
prétentions héréditaires sur les duchés.
C'est en se basant sur ces revendications d'un prince alle-
mand que la Confédération germanique put intervenir.
Pourquoi l'Autriche suivit-elle la Prusse dans cette aven-
ture?
Le comte d'Haussonville (i) l'a expliqué lumineusement
en quelques mots.
« L'Autriche, — a-t-il écrit — l'Autriche, vieille puissancehabituée de longue date à représenter en Europe la tradition
et la politique absolutistes, dont les hommes d'Etat sont tous
des élèves de Mettcrnich, se sentait mal à son aise dans la
politique nouvelle où elle s'était embarquée malgré elle. Si
elle suivit la Prusse, c'est qu'elle ne voulut pas lui laisser
prendre la tête du mouvement national et presque révolution-
naire qui poussait la Confédération à intervenir dans les
affaires du Holstein et du Sleswig. Elle aurait craint de
'perdre par son abstention toute son influence en Allemagne. »
Ainsi, l'Autriche prouvait qu'elle ne renonçait pas à son
(i)Z,e Figaro, du 2 septembre 1910.
40 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
ancienne idée de reconstituer l'unité allemande à son profit.Etait-il opportun pour la France de barrer la route par la
force à la Prusse et à l'Autriche alliées, et d'essayer de coopé-rer dans ce but avec l'Angleterre elle-même?
Une note officieuse (1), insérée à l'époque dans le jour-nal l'Europe, répond suffisamment à la question : Il y est dit
ceci :
« Le Times du 7 janvier (1864) publie un article dans lequelil critique avec vivacité l'attitude du Gouvernement françaisen présence du différend de l'Allemagne avec le Danemark.
« Si la France était sincère dans son désir de paix, il lui serait
« bien facile, selon le journal anglais, de le prouver d'une
« manière irréfutable en déclarant aux Cabinets allemands
« qu'elle s'opposera résolument à leurs prétentions contre le
« Danemark et qu'elle soutiendra ce pays par les armes, s'il est
« attaqué. »
« Il est singulier de voir comment des hommes de bon sens
peuvent s'aveugler à ce point sur l'état des choses. N'est-ce
pas, en effet, le contraire de l'assertion que nous relevons
qui serait vrai ? Si la France était guidée par un esprit d'am-
bition et de conquête n'adopterait-elle pas la voie qu'on lui
reproche de ne pas suivre ? En un mot, ne saisirait-elle pas
avec ardeur l'occasion qu'on lui montre de chercher querelleà l'Allemagne avec l'appui de l'Angleterre, sous prétexte de
l'intérêt du Danemark?
« Le Gouvernement français a compris autrement la
situation présente. Son but est de prévenir les conflits dont le
danger a été signalé à l'Europe par une si haute raison, une
prévoyance si éclairée. Il a donc pensé qu'il fallait avant
tout envisager avec calme des événements qu'un langage
semblable à celui qui est suggéré par le Times ne manquerait
(1) Arch. Aff. Etrang. 151 (Danemark, 246) voir page 2^1, tomeIer des « Origines diplomatiques de la guerre 1870-71 ».
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 41
pas d'aggraver encore. Le Gouvernement français, dégagé de
toute vue personnelle, fonde son espoir sur la sagesse des
Puissances; il aime à se persuader qu'un moment viendra où
elles reconnaîtront la nécessité de s'entendre sur les moyens les
plus propres à faciliter un accord. Pour la France, l'objet de
cet accord est indiqué d'avance. Son gouvernement ne peut
avoir d'autre vue que de concilier les intérêts qui sont en
cause, et, dans les efforts qu'il pourra être appelé à faire pour
réaliser cette pensée, il ne prendra conseil que de ses sympa-
thies traditionnelles pour le Danemark, et de son désir de
tenir compte de ce qu'il y a de légitime dans le sentiment na-
tional de l'Allemagne.<' Si cette conduite n'a pas l'approbation du Times, elle
obtiendra, nous n'en doutons pas, l'assentiment de l'opinion
publique en France, et sera appréciée comme elle mérite de
l'être en Europe. »
C'était faire comprendre à l'Angleterre qui s'opposait à tout
remaniement des traités de 1815 à notre profit, à l'Angleterre
qui nous avait cyniquement « lâchés » au Mexique, à l'Angle-terre qui refusait de participer à un Congrès delà Paix, quenous n'étions pas dupes de ses prétendus sentiments enfaveur
du Danemark et que nous n'entendions pas tirer, en la cir-
constance, les marrons du feu à son seul bénéfice.
Au demeurant les sentiments de l'Angleterre en faveur du
Danemark sont mis à nu par sa propre attitude. Elle voulait
pousser la France en avant dans cette affaire ? Que ne s'y
jetait-elle, elle-même ? Elle avait mille raisons pour cela.
Sa famille régnante et la dynastie de Danemark étaient
unies par des alliances de famille ; bien mieux, les ports
anglais étaient en relations quotidiennes avec les portsdanois. Si une initiative devait se produire, elle incombait
incontestablement à la Grande-Bretagne.C'est ce qu'expliquait lumineusement M. Drouyn de Lhuis,
notre ministre des affaires étrangères, au prince de La Tour
42 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
d'Auvergne, notre ambassadeur à Londres, en lui écrivant
le 23 février 1864 :
« Nous avons des obligations comme grande puissance :
« elles consistent surtout à veiller au maintien de l'équilibre« général ; nous ne les déclinerons point ; mais, dans le cas
« présent, elles ne nous paraissent pas aussi étendues que« celles de l'Angleterre qui, indépendamment des mêmes
« raisons d'ordre européen, a encore à tenir compte de toutes
« les considérations d'ordre moral et d'intérêt matériel (quenous avons résumées plus haut)...
« En outre, l'aspect sous lequel se présente pour le gouver-« nement anglais l'éventualité d'un conflit avec l'Allemagne« est celui de démonstrations maritimes. Nous pourrions« nous-mêmes coopérer par mer ; mais il est évident que nos
« efforts devraient principalement porter sur les frontières
« qui nous sont communes avec l'Allemagne. Pendant que« l'Angleterre pourrait aisément, et sans grande compro-« mission pour elle, bloquer les ports allemands et leur
« infliger une rapide et sévère leçon qui laisserait après elle
« le respect et la crainte du nom britannique, nous aurions,« nous, en perspective, une guerre peut-être longue avec une
« nation de quarante-cinq millions d'hommes, et la certitude,« quel qu'en soit le résultat, de créer ou de raviver des haines
« avec lesquelles, durant des années, peut-être, notre poli-« tique aurait ensuite à compter. »
Le gouvernement de Napoléon III avait pris, depuis le
début de la crise, le parti le plus sage, en conseillant au roi
Christian IX de se maintenir sur un terrain propre à faciliter
une solution pacifique du conflit. Malheureusement, d'autres
incitations toutes différentes s'étaient produites
Malgré les conseils de modération et de sagesse que nous
lui donnâmes dans l'intervalle, le Danemark resta sans cesse
provocant à l'égard de la Confédération germanique. Aussi,
dès les premiers jours de février 1864, une armée allemande,
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 43
composée de Saxons et de Hanovriens, avait-elle déjà envahi
les duchés, sans que l'Angleterre — si belliqueuse pour les
autres — s'avisât de secourir efficacement le roi Christian IX.
Le Holstein et le Lauenbourg furent occupés presque sans
coup férir; le Danemark concentrait ses forces sur la défense
du Sleswig.C'est alors que la Prusse et l'Autriche entrèrent de concert
en campagne.Les Prussiens, sous les ordres du feld-maréchal Wrangel,
cl les Autrichiens, commandés par le général von Gablentz,
s'emparèrent successivement de Flensbourg, de Duppel et de
l'île d'Alsen.
Le Danemark, dès lors réduit aux îles de Seeland et de Fio-
nie, fut obligé de signer le traité de paix du 30 octobre 1864,
par lequel il restituait à la Confédération germanique, outre
les deux duchés de Sleswig et d'Holstein, le duché de Lauen-
bourg et l'ile d'Alsen.
C'est au moment de la conclusion de cette paix que la
France aurait pu intervenir utilement auprès de la Prusse et
de l'Autriche, pour réclamer : d'une part, que les partiesdanoises des provinces cédées par Christian IX restassent au
Danemark, et, d'autre part, que par compensation de l'an-
nexion des parties allemandes de ces provinces, la Confédé-
ration germanique nous rétrocédât sur le Rhin des pays d'ori-
gine et de langue françaises, qui seraient ainsi revenus dans
notre domaine national — comme cela s'était passé pour la
Savoie et le Comté de Nice après la guerre d'Italie.
Malheureusement, nous ne pouvions pas espérer, à cet
égard, être plus appuyés qu'auparavant par l'Angleterre ;
et, en second lieu, l'expédition du Mexique qui battait'son
plein à présent nous liait les bras en Europe pour quelque
temps encore.
Il fallait donc continuer à poursuivre notre politique d'at-
tente, sans vouloir rien solutionner prématurément, surtout
44 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
par la force, étant donné que la question de l'unité allemande
venait de faire un grand pas, mais qu'on ne pouvait savoir
encore au profit de quelle puissance, soit de l'Autriche, soit
de la Prusse, se ferait cette unité inéluctable.
D'aucuns craignaient depuis longtemps la solution autri-
chienne, témoin l'assertion qu'avait fournie, chez nous, un
adversaire politique de l'Empire, un royaliste, M. Edouard
Hervé, qui, le 23 août 1863, avait écrit dans le Courrier du
Dimanche :
« La réunion éventuelle des forces de l'Allemagne sous la
direction d'un seul gouvernement serait un des changementsles plus graves que l'on pût apporter dans l'état actuel de
l'Europe. Si notre-siècle doit assister à une semblable révolu-
tion, il vaudrait peut-être mieux qu'elle se fit par les mains de
la Prusse que par celles de l'Autriche ; elle serait plus facile à
accomplir pour l'Allemagne, moins dangereuse pour l'Eu-
rope. La Prusse est plus exclusivement allemande que l'Au-
triche et se trouve être, par conséquent, un centre d'attraction
plus naturel pour les iragments de la nationalité germanique;elle est moins puissante et ne saurait devenir menaçante
pour les puissances étrangères... La réunion de toutes les
forces de l'Aile magne dans la même main ne saurait effrayerla France, tant que celle-ci sera plus soucieuse de conserver
sa propre indépendance que de porter atteinte à celle d'au-
trui. »
Au milieu de tous ces événements, où le gouvernement de
Napoléon III était obligé de s'en tenir aux rapports des chan-
celleries, est-ce que notre diplomatie fut au-dessous de sa
tâche ?
Nullement I
Et la preuve formelle, irréfragable, s'en trouve dans le rap-
port de la commission chargée de réunir et de publier les
documents relatifs à l'histoire diplomatique des incidents de
l'affaire des Deux-Duchés et qui s'enchaînent avec les évé-
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 45
nements de 1870-71. Cette commission officielle, présentantle résultat de ses travaux à M. le ministre des Affaires Etran-
gères (1), a déclare textuellement :
« La diplomatie du Second-Empire a été beaucoup plus<•-attentive, beaucoup plus avisée, beaucoup plus clairvoyante« qu'on ne le suppose à l'ordinaire. Elle s'informait avec
« soin, observait avec intelligence les hommes et les choses.
<•-Plus d'une fois, elle a su pénétrer à temps les desseins, sur-
« prendre les arrières-pensées des hommes d'Etat étrangers.« Elle ne se satisfaisait point de suivre dans leurs évolutions
« les chancelleries et les cours ; les mouvements profonds de
« la nation allemande alors en travail ne lui échappèrent pas;« elle y voyait l'obscur prologue d'un grand drame. Elle a
« fait souvent entendre des avertissements salutaires. »
Cela est si vrai que le gouvernement de Napoléon III savait
alors parfaitement, d'ores et déjà, à quoi s'en tenir sur les
résultantes probables de la guerre des Deux-Duchés : à coupsûr une guerre éclaterait entre les deux puissances spolia-trices du Danemark, entre la Prusse et l'Autriche, désireuses
l'une comme l'autre de se saisir de la proie nouvelle tombée
dans les griffes de la Confédération germanique et pareille-ment décidées à s'assurer, l'une au détriment de l'autre, le
bénéfice de l'unité nationale allemande.
Il n'y avait plus qu'à attendre que les deux futurs antago-
nistes se fussent amoindris eux-mêmes, l'un par l'autre, pour
réclamer au vainqueur — quel qu'il fût, mais nécessairement
épuisé par sa propre victoire — une compensation territo-
riale destinée à compléter l'unité française et à réparer ainsi
l'oeuvre antinationale de 1815.
(1) Rapport à M. Pichon, ministre des Affaires Etrangères (le20 mars 1910).
4*1 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
SADOWA
Le désaccord entre la Prusse et l'Autriche ne tarda pas à
se faire jour, d'une façon positive et brutale.
L'Autriche déclarait vouloir évacuer simplement les duchés,
qui seraient incorporés comme état indépendant à la Confé-
dération germanique et laissés à l'administration du duc
d'Augustenbourg, reconnu comme prince souverain. La
Prusse, au contraire, affirma que son intervention contre
le Danemark méritait salaire et qu'elle entendait annexer à
son propre territoire une partie des conquêtes opérées.Les hostilités furent sur le point d'éclater immédiatement.
Cependant, après de longues négociations, une convention
fut_signée à Gastein, le 14 août 1865, entre les deux grandes
puissances allemandes.
Aux termes de cette convention, leLauenbourg se trouvait
cédé en toute propriété à la Prusse ; Kiel devenait port con-
fédéral ; le Sleswig devait être administré par la Prusse, et
le Holstein par l'Autriche. •
Mais, dès qu'il fallut procéder à l'exécution de la convention
de Gastein, de nouvelles difficultés surgirent, qui ne tardèrent
pas à s'amplifier.Le général von Gablentz, gouverneur autrichien du
Holstein, avait cru devoir convoquer les états provinciaux du
duché : aussitôt la Prusse protesta, se plaignant de ce quecette mesure comportait une atteinte à son droit de co-posses-seur. Et, sans autre avis, elle fît pénétrer des troupes dans le
Holstein.
En présence de cette violation flagrante des clauses de la
convention de Gastein, l'Autriche en appela, le 14 juin 1866,à la Confédération germanique elle-même.
La diète allemande consultée donna raison à l'Autriche et,
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 47
intervenant dans le débat en sa qualité d'organisme confé-déral suprême, entendit donner une sanction tangible à la
décision qu'elle venait de prendre. En conséquence, elle
ordonna l'exécution fédérale contre la Prusse.
Mais celle-ci, par l'organe du comte de Bismarck, ministre
du roi Guillaume Ier, répondit avec hauteur que son pays se
retirait motii proprio de l'ancienne Confédération germaniqueet qu'il considérait d'ailleurs cette Confédération comme dis-
soute.
M. de Bismarck ajoutait — ainsi que le résume très bien
Brissaud — « qu'une reconstitution de l'Allemagne devait
être confiée à un parlement allemand, issu de l'élection directe
et du suffrage universel ; que l'Autriche devait sortir de cette
Allemagne nouvelle, et que la direction des forces militaires
de l'Allemagne du Nord appartiendrait désormais à la
Prusse. »
C'était créer un casus belli d'une façon on ne peut moins
déguisée.Avant de le formuler aussi nettement, la diplomatie du roi
Guillaume s'était évertuée à s'assurer : d'un côté, l'intervention
d'un allié ; d'un autre côté, l'expectative de plusieurs neutra-
lités bienveillantes.
L'Italie, en l'occurrence, ne pouvait que seconder la Prusse
de toutes ses forces. Il lui restait, en effet, la Vénétie à con-
quérir pour débarrasser totalement la péninsule du jougautrichien.
D'autre part, l'Angleterre et la Russie se désintéressaient
évidemment, l'une et l'autre, de la lutte.
Quant à la France : au cours d'une entrevue qu'il avait eue
à Biarritz avec Napoléon III, M. de Bismarck avait su se la
rendre favorable en s'engageant formellement à nous laisser
toute latitude d'effectuer sur le Rhin au moment opportunnotre agrandissement national, notamment par l'annexion du
Luxembourg.
48 187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
C'est dans ces conditions que débuta la guerre entre la
Prusse et l'Autriche.
« Les opérations militaires — raconte Désiré Blanchet (1)— eurent lieu sur trois théâtres principaux : en Italie, dans
l'Allemagne occidentale et dans la Bohême.
« En Italie, les Italiens franchirent le Mincio, sous le com-
mandement du roi et du général La Marmora, pour s'emparerdu quadrilatère : Peschiera, Mantoue, Legnano, Vérone. Ils
furent repoussés à Custozza par l'archiduc Albert. Ils ne
furent pas plus heureux sur mer. Leur flotte sous les ordres
de l'amiral Persano fut vaincue à Lissa par l'escadre de
l'amiral Zegethoi. La diversion des Italiens n'en avait pasmoins retenu loin de l'Allemagne une partie de l'armée
autrichienne.
« Dans l'Allemagne occidentale, les Prussiens, conduits parle général Manteuffel, firent capituler l'armée hanovrienne à
Langensalza et occupèrent le Hanovre, la Saxe et la Hesse-
Cassel.
« Une autre armée prussienne, sous le commandement de
Vogel de Falckenstein, vainquit les Bavarois et les Hessois à
Kissingen et à Aschaffenbourg, et occupa le Nassau et la
Hesse-Darmstadt.
« Mais les coups décisifs furent portés en Bohême.
« Deux armées prussiennes envahirent la Bohême : l'une,celle de Saxe, sous le prince Frédéric-Charles, neveu du roi
Guillaume ; l'autre, celle de Silésie, sous le prince royal de
Prusse. L'armée autrichienne, commandée par le général
Benedeck, ne put empêcher leur jonction, après les combats
de Nachod, de Frautenau et de Mùchengroetz.« Le 3 juillet au matin, l'armée prussienne du prince Fré-
déric-Charles attaqua entre Josephstadt et Koenigroetz, à
Sadowa, sous les yeux du roi Guillaume et du maréchal de
(1) Histoire contemporaine, page ^67.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS ,,49
Moltke, l'armée autrichienne. A trois heures la bataille ''était
encore indécise. Mais, à ce moment, le prince royal se portasur la gauche des Autrichiens et, par un habile mouvement
tournant, menaça de leur couper la retraite. Ce fut alors une
déroute complète. Les Autrichiens se précipitèrent en désor-
dre, pêle-mêle, sur les ponts de l'Elbe, laissant sur le champde bataille dix-neuf mille morts, onze drapeaux et cent soixante
canons. »
La rapidité de la victoire delà Prusse surprit tout le monde,
sauf peut-être Napoléon III.
En tout cas, un des membres les plus connus de la famille
d'Orléans, le prince de Joinville a écrit à ce sujet : « L'évé-
nement a trompé l'attente générale. J'ai été, comme tout le
monde, confondu de la facilité et de la rapidité des succès de
l'armée prussienne. »
Le maréchal Niel déclara lui-même : « Je confesse avoir
été de ceux qui s'attendaient à voir les Autrichiens victorieux
entrer à Berlin. »
Quoi qu'il en soit, la France n'avait pas plus intérêt à voir
se former une Allemagne autrichienne, plutôt qu'une Alle-
magne prussienne, ainsi que trois ans plus jyjfegi'.avait écrit
Edouard Hervé.
C'est pourquoi, jusqu'à ce moment précis de la lutte,
Napoléon III n'avait pas cherché et, bien mieux, n'avait pas
à chercher à intervenir à main armée dans le duel austro-
prussien. Mais il importait que les engagements pris à Biarritz
par M. de Bismarck reçussent maintenant un commencement
d'exécution. C'est ce que, par l'intermédiaire de notre ambas-
sadeur à Berlin, l'Empereur des Français fit comprendre au
ministre du roi de Prusse.
Bismarck, se targuant trop vite de l'invincibilité — à présent
démontrée — des armées prussiennes, essaya de se dérober.
C'est alors que Napoléon III signifia à la Prusse, dont les
troupes avaient envahi la Moravie et marchaient sur Vienne,
50 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
qu'elle n'irait pas plus loin et que l'heure de traiter était
venue.
Cette intervention pacifique du gouvernement français
produisit un effet immédiat, et il ne pouvait en être autrement.
A Londres, le journal la Morning Chronicle constatait, à
l'époque, que : « Quand l'Empereur des Français parle, le
monde entier écoute. Le premier des Césars (Jules César) dont
il a étudié la vie n'a jamais concentré entre ses mains une
pareille puissance. Napoléon III ne s'en sert que pour faire
progresser la France et l'humanité. » La Morning Posl disait
aussi : « Quand nous considérons tout ce qui a été fait par
l'énergie et la sagacité personnelles de l'Empereur, nous ne
pouvons nous empêcher de reconnaître que la France a élu un
grand homme pour son chef. Elle doit être fière de son choix. >
D'ailleurs, Napoléon III, pour ne pas agir dans le vide,
avait demandé au maréchal Canrobert, au lendemain même
de Sadowa, des indications de toute sorte pour la réorgani-
sation de l'armée. Et un républicain notoire, M. Alfred
Mézières (1), a consigné le fait de la façon suivante : « Dès le
28 juillet 1866, il (le maréchal Canrobert) avait eu avec l'Em-
pereur un long entretien à Saint-Cloud, et lui avait démontré
l'insuffisance des effectifs. Il faut rendre eette justice au sou-
verain : si par attachement pour le principe cosmopolite des
nationalités, il avait laissé détruire l'équilibre européen au
profit d'une puissance ambitieuse, que son voisinage, ses tra-
ditions, ses souvenirs rendaient inévitablement notre ennemie,
dont la première pensée devait être de s'agrandir à nos dépens,il ne se faisait aucune illusion sur la nécessité immédiate de
prendre des précautions. Son plus vif désir était de fortifier,de renouveler au besoin notre organisation militaire. Confi-
dent de ses pensées, témoin des luttes qu'il soutenait, le maré-
chal a vu de près les obstacles qui se sont successivement
(1) Etude sur le livre « Le Maréchal Canrobert », de M. Bapst.
I87O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 5l
accumulés contre les idées impériales. Il sait, il établit dansses souvenirs que c'est l'Empereur qui a fait adopter pour nos
fantassins le fusil Chassepot, malgré les objections des
ministres et des comités techniques. Si, en 1870, un certainnombre de régiments en manquaient encore, c'est que le
Corps Législatif avait refusé les crédits nécessaires. Très enavance sur ses conseillers, l'Empereur aurait voulu établir le
service obligatoire. Les militaires lui donnaient raison, mais
les ministres civils, les députés, les préfets, les conseillers
généraux faisaient ressortir l'extrême impopularité de la
mesure. La bourgeoisie surtout jetait les hauts cris. Je me
rappelle encore l'indignation que témoignaient les parents àla pensée que leurs fils, les futurs avocats, les futurs méde-
cins, les futurs magistrats, les futurs industriels seraient con-
fondus à la caserne avec les simples soldats. On aurait dit
qu'il s'agissait de leur imposer la plus humiliante et la plus
dangereuse des promiscuités. »
N'importe ! au lendemain de Sadowa, Napoléon III put
quand même parler en maître.
C'est à son instigation que la paix entre la Prusse et l'Au-
triche fut signée au mois d'août à Prague.
Certes, elle entraînait la dissolution de l'ancienne Confé-
dération germanique et comportait la fondation d'une Confé-
dération de l'Allemagne du Nord, mais il convient de noter
que, de cette Confédération nouvelle et amoindrie, étaient
exclus — en sus de l'Autriche — tous les états de l'Alle-
magne du Sud, tels que la Bavière, le Wurtemberg, le grand-duché de Bade et le grand-duché de Hesse-Darmstadt. En
outre, la Vénétie était cédée par l'Autriche à Napoléon III quila rétrocéda à l'Italie.
Ce n'est pas tout. L'Empereur des Français, qui avait ainsi
évité le double danger d'une Autriche restaurant le Saint-
Empire à son profit et d'une Prusse devenant trop puissante
d'un seul coup, entendit également retirer des avantages
52 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
particuliers de sa neutralité pendant le conflit et obtenir de
la sorte sur le Rhin les accroissements territoriaux qui pou-vaient compléter l'unité nationale française et que M. de Bis-
marck nous avait reconnus comme nôtres, lors de l'entrevue
de Biarritz.
Toutefois l'Empereur, renseigné par notre ambassadeur à
Berlin sur les atermoiements de M. de Bismarck, qui mainte-
nant se faisait « dur d'oreille »quant à nos propres revendica-
tions concernant la dénonciation des traités de 1815, se dit
qu'il fallait être en mesure, le cas échéant, d'avoir des forces
disponibles, de les préparer tout au moins pour les tenir à la
hauteur de notre droit.
Aussitôt, il assembla une Commission chargée spéciale-ment de réorganiser tout notre système militaire.
Pendant ce temps, les négociations se poursuivaient avec
le cabinet de Berlin, auquel notre ambassadeur, M. Benedetti,remettait un projet tendant à céder à la France toute la rive
gauche du Rhin jusqu'à Mayence y compris.Bien que des troupes françaises fussent engagées au
Mexique pour y soutenir la cause de Maximilien qui avait été
proclamé empereur, là-bas M. de Bismarck sentit parfaite-ment qu'il eut été d'ores et déjà trop osé, pour la Prusse
seule, de repousser les revendications de la France : aussi le
ministre du roi Guillaume s'arrangea-t-il pour amener toute
l'Allemagne à s'alarmer de nos prétentions.Comme les négociations étaient et devaient demeurer
secrètes, M. de Bismarck se garda bien délivrer l'affaire à la
publicité par l'intermédiaire des journaux prussiens : c'eut étéen effet, fournir la preuve flagrante de sa perfidie. Aussi,choisit-il, dans la presse française, un organe à étiquette répu-blicaine, mais à la solde de la bourgeoisie orléaniste, et quiappartenait à l'opposition, en un mot — pour ne pas le nom-mer — ! le journal le Siècle pour ébruiter la chose et attaquerl'Empereur sous le prétexte fallacieux que Napoléon III
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 53
rêvait follement de reconstituer l'empire de Gharlemagne et
de Napoléon Ier, même par la force si besoin était.
La note, parue dans le Siècle, lut immédiatement reprise parla Gazette de l'Allemagne du Nord qui eut l'air de regretter
que des faits aussi graves fussent livrés à la publicité, mais
déplora par avance notre accroissement territorial.
A dater de ce jour, Napoléon III comprit qu'à tout prix il
fallait hâter le remaniement de nos forces militaires, afin de
n'être pas pris au dépourvu, à brève ou à longue échéance.
L'avertissement public en fut donné par le journal officiel
d'alors, le Moniteur qui, en date du 12 décembre 1866, annon-
çait que la commission chargée d'étudier la réorganisationde notre armée avait achevé ses travaux et ajoutait ces
détails caractéristiques :
« Ce projet donne à la France 1,200,000 hommes exercés
« et n'augmente que faiblement les charges du budget. Il« discipline la nation entière, en l'organisant bien plus dans« une pensée de défense que dans une pensée d'agression.« Il relève l'esprit militaire sans nuire aux carrières libérales.« // consacre enfin ce grand principe que tous doivent le service« au pays, en temps de guerre, et n'abandonne plus à une
« seule partie du peuple le devoir sacré de défendre la patrie. »
Par ailleurs, Napoléon III donnait l'ordre de se préparerà l'évacuation du Mexique où le gouvernement de Maximi-
lien, qui devait désormais se suffire à lui-même, nous avait
fourni les réparations jadis refusées par Juarez.L'ordre d'évacuation fut transmis le 14janvier 1867.
L'UNITÉ FRANÇAISE
Le projet de réorganisation de notre armée et le rappelsimultané de nos troupes d'occupation au Mexique avaient
une signification très nette : l'empereur Napoléon démontrait
54 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
ainsi que la France ne pouvait plus admettre, dans l'avenir,la moindre tergiversation au sujet de la solution pacifiquedu problème de notre propre unité nationale, déformée,
mutilée par les dispositions scélérates de la Sainte-Alliance,en 1815.
M. de Bismarck était trop clairvoyant pour ne pas saisir
toute la portée de ces deux mesures. Aussi, les ayant prévues
lui-même, s'était-il finalement déclaré prêt au lendemain de
Sadowa, à nous laisser le champ libre du côté du Rhin.
Naturellement, l'adhésion de la Prusse ne suffisait pas en
l'espèce : il convenait en outre, pour éviter un conflit armé,
d'obtenir l'assentiment de quelques puissances de second
ordre.
L'historien E. Maréchal a consigné (1) qu'en 1866, par l'in-
termédiaire de notre ambassadeur à Berlin, Napoléon III fit
présenter à M. de Bismarck un projet de traité par lequel il
« offrait de reconnaître toutes les conquêtes de la Prusse et
« de favoriser l'absorption, par elle, des Etats du Sud de
« l'Allemagne, à condition que le roi Guillaume aiderait
« la France à acquérir le Luxembourg et à s'annexer la Bel-
« gique. »
La question de l'annexion de la Belgique doit être réservée;
car, il pouvait être difficile, en 1866, de réparer d'un trait
de plume la faute impardonnable de Louis-Philippe et de son
gouvernement parlementaire qui avaient repoussé, en 1830,les ouvertures des Belges se libérant de la Hollande.
Mais, en ce qui a trait au Luxembourg, le débat fut nette-
ment ouvert par Napoléon III qui, selon le mot de Proudhon,
voyait à juste titre, dans l'application générale du principedes nationalités, le moyen efficace de parachever l'unité
(1) Voir E. MARÉCHAL, Histoire Contemporaine, tome II,chap. XXXVI, page ni.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS bb
nationale française et de réaliser, en définitive, la plus grandeFrance.
Interrogé catégoriquement sur ce point par notre ambas-
sadeur, M. de Bismarck répondit à M. Benedetti : « Le roi de« Hollande peut disposer du Luxembourg comme il l'entend;« il en est le souverain. Provoquez donc des manifestations
« dans le grand-duché, qui démontreront au roi de Prusse
.« que la population luxembourgeoise ne désire pas rester
« sous la protection de l'armée prussienne, comme il se l'ima-
« gine, et qu'il peut rappeler ses troupes sans manquer à
« aucun de ses devoirs. »
Et, comme le roi de Hollande, souverain du Luxembourg,n'était pas seul intéressé à la question qui pouvait éveiller les
susceptibilités de quelques princes allemands, à cause du
voisinage, M. de Bismarck ajouta : « Compromettez-vous et
« nous vous seconderons sans craindre de nous compromettre« à notre tour. Faites en sorte que la cession du Luxembourg« soit un fait accompli avant la réunion du Reichstag, et je« me chargerai alors de faire avaler la pilule à l'Allemagne. »
Averti de la réponse de M. de Bismarck, l'Empereur
repoussa les moyens tortueux de celui-ci, et donna plus sim-
plement et plus loyalement mission à M. Baudin, notre
représentant à la Haye, de demander au roi des Pays-Basla cession du Luxembourg à la France, moyennant une
indemnité de cinq millions et un traité garantissant l'intégritéde la Hollande.
Après mûre réflexion, le roi des Pays-Bas répondit que la
proposition lui agréait en principe, mais qu'il était obligéd'obtenir au préalable l'assentiment du roi de Prusse quientretenait une armée d'occupation dans le Luxembourg.Pour hâter cependant la conclusion de la chose, le souverain
de la Hollande écrivit lui-même au roi Guillaume pour lui
exposer le projet de Napoléon III. _Au moment où l'affaire allait se terminer favorablement,
56 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
sans heurt de part et d'autre, voici que M. de Bismarck
s'avisa encore, suivant sa propre expression, d'essayer de« mettre des bâtons dans les roues ». Toutefois, il l'a avoué
lui-même, sa besogne était malaisée en raison de la netteté
de la situation et de la tournure prise, bien malgré lui, parles pourparlers internationaux.
Or, à ce moment-là, à point nommé pour ainsi dire, il fut
servi par l'attitude infiniment regrettable des journaux et
des politiciens royalistes ou soi-disant républicains qui, en
France, attaquaient comme par mot d'ordre la « mégalomanie
impériale ».
M. de Bismarck tira prétexte de ce que les journaux prus-siens faisaient chorus avec les organes antipatriotes de la
presse française pour affirmer que l'opinion allemande était
violemment irritée des tendances du pangallicisme.Mais le gouvernement impérial ne se laissa pas prendre au
piège. Comme l'ambassadeur prussien à Paris suppliait notre
ministre des Affaires étrangères de remettre à plus tard le
projet, celui-ci lui répondit : « La question est vidée, l'Em-
pereur ne reculera pas. » Et, Napoléon III, non sans avoir
rappelé ses propensions pacifiques de toujours, lança cet ulti-
matum : « Le roi de Hollande m'a fait une promesse de ces-
sion du Luxembourg. Je ne pourrais y renoncer dans l'in-
térêt de la paix de l'Europe que si les puissances obtenaientde la Prusse l'évacuation de la forteresse. »
Cette façon de poser la question était on ne peut plushabile. Ce n'était plus, en effet, l'expansion de la France qui
apparaissait en jeu aux yeux de l'Europe et pouvait troubler
celle-ci, mais la main-mise de la Prusse et la persistance de
son occupation sur un territoire appartenant en propre au
roi de Hollande.
Poser la question autrement et dans toute son ampleureut été périlleux.
L'Empereur sentait, en effet, que tant que notre armée ne
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 5j
serait pas réorganisée, il n'était point possible de régler loya-
lement et pacifiquement le débat avec la Prusse, dont le
ministre ne s'inclinerait que devant la force qui constituait
pour lui Yullima ratio.
Aussi Napoléon III fit-il envoyer par notre ministre des
Affaires étrangères à M,. Benedetti, notre ambassadeur à
Berlin, une note qui contient ces lignes significatives : « Vous
« avez bien compris notre pensée, qui est de ne céder à
« aucune provocation quelle qu'elle soit, et de rendre impos-« sible au roi (de Prusse), et au parti militaire qui le domine,
« de trouver le prétexte de guerre qu'il semble vouloir
<; chercher. »
Pour gagner du temps et avoir ainsi la faculté matérielle
de préparer notre armée, l'Empereur obtint qu'une confé-
rence internationale se réunirait à Londres pour régler la
question du Luxembourg.
Cette conférence s'ouvrit, d'ailleurs, le 7 mai 1867, dans la
capitale de l'Angleterre.
Gomme l'enregistre Henri Martin (1) : « Tandis qu'on négo-ciait Bismarck faisait de nouveaux efforts pour nous pousser,
par ses mauvais procédés, à quelque éclat imprudent. Notre
ministre (ou plutôt l'Empereur, pour être plus juste) ne donna
pas dans le piège... »
Quatre jours plus tard, la conférence de Londres prenait
une décision entièrement conforme aux desiderata provisoires
de Napoléon III.
En date en effet du il mai, elle déclara que le grand-duché
du Luxembourg restait sous la souveraineté du roi des Pays-
Bas, mais que la Prusse devait évacuer dans le plus brei délai
la forteresse de Luxembourg et en retirer sans retard tout le
matériel de guerre. En outre, le roi de Hollande, en sa qualité
(1) HENRI MARTIN. — Histoire de France, tome VII. page 85.
58 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
de grand-duc, souverain du Luxembourg, était chargé de
démanteler cette place.Une pareille décision constituait pour nous une magni-
fique victoire diplomatique. C'était un premier pas fait vers
notre limite naturelle du Rhin, tandis que la monarchie prus-sienne était obligée de rétrograder.
« Le traité, put déclarer en toute vérité M. de Moustiers à
« la tribune du Corps Législatif, répond pleinement aux vues
« du gouvernement français. Il donne à notre frontière du
« nord la garantie d'un nouvel Etat neutre. Pour la première« fois peut-être, la réunion d'une conférence, au lieu de suivre
« la guerre, a réussi à la prévenir. Il y a là un indice précieux« des tendances nouvelles qui prévalent de plus en plus dans
« le monde et dont les amis des progrès pacifiques et de la
« civilisation doivent se réjouir.
Aussi, dit encore Henri Martin, devant ce résultat « Bis-
marck fit brusquement volte-face. Les journaux officieux
de Prusse eurent ordre de changer de langage ; ils se remi-
rent à couvrir de fleurs Napoléon III, qu'ils insultaient la
veille, et annoncèrent la prochaine visite du roi Guillaume à
notre Exposition universelle. »
La malice était cousue de fil blanc. M. de Bismarck, faisant
contre mauvaise fortune bon coeur, voulait laisser croire queson échec l'avait soudain amené à récipiscence, et que l'im-
périal représentant- de la Révolution de 1789 en Europe ne
serait plus dorénavant contrarié en rien par la Prusse dans
ses desseins relatifs à l'unité nationale française : par con-
séquent, nous n'avions plus motif, semblait-il, à réorganisernos forces militaires, dont le remaniement était désormais
sans objet.
Napoléon III ne se laissa pas prendre à ce machiavélisme.
Son projet de réorganisation de l'armée avait été déposéfin décembre 1866, au Corps Législatif. Il serait discuté et
aboutirait.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 5g
LA REORGANISATION DE L'ARMEE
Malheureusement, l'Empereur avait renouvelé, à ce mo-
ment, la faute de 1860 et de 1861.
Celle-ci n'avait encore, il est vrai, produit aucune consé-
quence sérieuse et personne ne pouvait soupçonner qu'il y eût
faute, au contraire...
En 1860 et en 1861, Napoléon III n'avait en définitive qu'es-
sayé de ramener à lui ses adversaires politiques, en décidant— en particulier par le décret du 24 novembre l8bO — queles parlementaires des deux Chambres, en dehors de leurs
prérogatives de contrôle, pourraient à l'avenir s'immiscer
dans la conduite des affaires : cela en discutant chaque année
une adresse qui, en réponse au discours du trône, serait trans-
mise à l'Exécutif. C'est tout au plus si l'on avait eu à enre-
gistrer quelques discours intempestifs, mais sans portée, de
M. Jules Favre, de M. Thiers ou de M. Berryer. En définitive
l'emprise parlementaire était jusqu'alors demeurée bénigne.
Epris toujours de son concept de Liberté, Napoléon III —
à cette époque où l'attitude louvoyante et fausse de la Prusse,nous obligeait à fortifier la défense nationale —
songea qu'il
pouvait et qu'il devait faire appel au concours de tous, sur-
tout des adversaires de sa politique, pour que l'oeuvre de
réorganisation fut complète et décisive.
Erreur généreuse qui lui faisait croire qu'en présence du
patriotisme se taisent nécessairement les querelles des partiset s'atténuent les appétits des castes privilégiées !
Il oubliait qu'à maintes reprises, depuis trois quarts de
siècle, les royalistes avaient fait, de la trahison, le plus sûr
instrument de règne de la Légitimité.Il oubliait qu'en 1792 les émigrés avaient applaudi au mani-
feste du duc de Brunswick, commandant l'armée prus-
60 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
sienne (1); qu'en 1808 Louis-Philippe se targuait de sa «natio-
nalité anglaise » pour combattre en Espagne contre nous ;
que l'armée de Condé avait lutté sur tous les points de l'Eu-
rope dans les rangs de l'Etranger; qu'en 1814 et en 1815
Louis XVIII n'avait récupéré son trône qu'à l'aide de la
trahison et par la grâce de l'Envahisseur !
Mais, Napoléon III, lors du mouvement libéral de 1866, ne
percevait dans ce mouvement même qu'une tendance répu-
blicaine, c'est-à-dire une simple accentuation de la ten-
dance démocratique à laquelle il avait lui-même donné tant
de gages par ses réformes sur l'assistance judiciaire, le contrat
d'apprentissage, les conseils de prud'hommes, la suppression
de la mort civile, le développement de la mutualité, l'institu-
tion de la Caisse nationale des retraites pour la vieillesse, la
création des crèches et des asiles, l'institution des Chambres
d'agriculture, la réorganisation des bureaux de placement,
l'assainissement des logements insalubres, l'instauration du
droit de grève au profit des ouvriers, etc., etc.
Il ne vit pas que, de plus en plus rejetés par le pays, les
royalistes — les orléanistes surtout — étaient disposés à se
réclamer définitivement eux-mêmes s'il le fallait de l'idée
républicaine, afin de tromper l'opinion et de faire tomber,
si possible, la Démocratie laborieuse dans un nouveau guet-
apens, semblable à celui qu'avait couronné Waterloo un
demi-siècle plus tôt !
Là fut sa faute, sa grande faute, sa seule faute, à laquelle
il donna corps en renforçant son libéralisme constitutionnel.
Le 19 janvier 1867, il écrivait à M. Rouher une lettre qui
parut le lendemain au Moniteur. Il y annonçait que l'heure
(1) Ce manifeste abominable dont l'auteur véritable était un
Français, le marquis de Limon, et dont le duc de Brunswickn'était que le signataire, « menaçait Paris d'une exécution mili-taire et d'une subversion totale, si le roi n'était pas rétabli dans ses
privilèges ?,. — DÉSIRÉ BLANCHET.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS ()I
avait sonné — la réaction monarchiste étant rentrée sous terre— de donner aux institutions révolutionnaires de l'Empiretout le développement démocratique qu'elles comportaient,et aux libertés publiques toute l'extension désirable sous un
régime de souveraineté populaire.Le droit d'interpellation sur toutes les questions, y compris
la politique générale et les actes de l'Exécutif, était accordé
aux députés. De plus, chaque ministre pourrait désormais,
par délégation de l'Empereur, discuter devant les deux
Chambres.
C'était, hélas ! intensifier l'ingérence du Législatif dans le
domaine de l'Exécutif, et laisser surgir l'influence nocive du
parlementarisme.Cette expérience allait-elle être plus heureuse que, pendant
les Cent-Jours, l'avait été celle de Napoléon Ier pour qui— il faut y insister — Waterloo fut beaucoup moins funeste
que l'attitude lamentable de nos lamentables députés?
Napoléon III le croyait, en son âme et conscience, parce
qu'il estimait les temps révolus et supposait n'avoir plus "en
face de lui que des républicains véritables et non des parle-mentaires à mentalité royaliste et à tendances oligarchiques.
La tentative était hasardeuse, malgré tout. Le bonapar-tisme — en commençant à s'évader de la Constitution répu-blicaine de 1852, en quittant l'allure autoritaire mise en
honneur par les Conventionnels de 1791 — faussait, en l'élar-
gissant, son principe fondamental. Mais, encore une fois,l'occasion semblait opportune, puisqu'elle était fournie parla discussion prochaine du projet tendant à la refonte de
notre armée et à la réorganisation de nos forces nationales.
Toutes les bonnes volontés, toutes les collaborations pour-raient s'y produire au grand jour ! C'était un définitif appelà la « réconciliation nationale » dans le domaine le plus sacré
et sur le terrain le plus propre à rallier l'universalité des
citoyens, sans exception aucune.
62 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Personne, évidemment, n'oserait dans des circonstances
pareilles se dérober au devoir patriotique. Personne ne ferait
passer les intérêts mesquins de son parti avant les intérêts
supérieurs du pays tout entier. Personne ne rééditerait les
criminels errements d'une époque douloureuse, où l'aberra-
tion de quelques-uns avait sacrifié la France aux rancunes de
caste. En un mot, personne ne trahirait à cette heure ; car,
suivant la parole du grand républicain Lazare Carnot, « quandil s'agit de la défense du territoire : trahir l'Empereur, c'est
trahir la Révolution et c'est trahir la France. »
Certainement, à l'instar de Lazare Carnot qui, en 1814,avait offert à Napoléon Ier l'aide de son bras sexagénaire,« non comme un secours, avait-il dit, mais comme un
exemple », les républicains sincères d'aujourd'hui se feraient
un devoir de se grouper autour de Napoléon III qui synthéti-sait en Europe la poussée de libération universelle et appa-raissait la vivante incarnation de 1789.
Quant aux aristocrates de la Légitimité, aux bourgeois de
l'orléanisme, aux cléricaux de l'ultramontanisme, on n'avait
pas à s'en inquiéter : ils n'existaient pas, ils n'existaient plus !
Napoléon III était plein de confiance en la claire vision de
tous ceux qui, à un titre ou à un autre, s'intéressaient aux
affaires publiques et qui ne pouvaient hésiter désormais à lui
apporter un concours de tous les instants.
Aussi, pour abolir les querelles de personnes et enlever tout
prétexte de dissentiments qui n'étaient plus de mise à présent,remania-t-il son ministère afin de conquérir l'unanimité des
Chambres par l'arrivée aux affaires de personnages nouveaux
qui n'auraient pas à supporter le poids des rancoeurs du passé.
Puis, il adressa au maréchal Niel, nouveau ministre de la
guerre, le projet militaire complet qu'il avait élaboré lui-même
en parfait technicien.
Le ministre l'étudia avec zèle et fit bientôt parvenir à
l'Empereur la lettre suivante :
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 63
« Sire,
« Je viens de recevoir dix exemplaires de l'important travail
auquel Votre Majesté s'est livrée avec tant de persévérance. Il
nous sera très utile et nous servira de règle pour mieux cons-
tituer nos forces nationales.
« Il est bien rare qu'un souverain ait approfondi, comme
l'a fait Votre Majesté, tous les éléments dont se composaientles armées ; je l'en félicite. Je conserve les exemplaires sous
clef et n'en donnerai qu'aux directeurs généraux du minis-
tère.
«Jesuis, etc. « Maréchal NIEL,« ministre de la guerre. »
La session législative s'ouvrit le 14 février 1867, précisé-ment à l'heure même où la question du Luxembourg était en
plein litige et n'avait pas encore été soumise à l'arbitrage de
la conférence de Londres.
Napoléon III, dans son discours d'ouverture, fit les décla-
rations suivantes :
« Messieurs,
« Depuis votre dernière session de graves événements ont
surgi en Europe...« Nous avons assisté avec impartialité à la lutte qui s'est
engagée de l'autre côté du Rhin. En présence de ce conflit, le
pays avait hautement témoigné son désir d'y rester étranger ;non seulement j'ai déféré à ce voeu, mais j'ai fait tous mes
eftorts pour hâter la conclusion de la paix. Je n'ai pas armé
un soldat de plus, je n'ai pas fait avancer un régiment et
cependant la voix de la France a eu assez d'influence pourarrêter le vainqueur aux portes de Vienne. Notre médiation a
amené entre belligérants un accord qui, laissant à la Prusse
le résultat de ses succès, a conservé à l'Autriche, sauf une
province, l'intégrité de son territoire et par la cession de la
64 - 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Vénétie complété l'indépendance italienne. La France n'a pastiré l'épée parce que son honneur n'était pas engagé et qu'elle
avait promis d'observer une stricte neutralité...
« Messieurs,
« La France est respectée au dehors ; l'armée a montré sa
valeur (en Crimée, en Italie et au Mexique) ; mais, les condi-
tions de la guerre étant changées, elles exigent l'augmentationde nos forces défensives et nous devons nous organiser de
manière à être invulnérables.
« Le projet de loi qui a été étudié avec le plus grand soin
allège le fardeau de la conscription en temps de paix, offre
des ressources considérables en temps de guerre et, répartis-
sant dans une juste mesure les charges entre tous, satisfait au
principe d'égalité ; il a toute l'importance d'une institution
et sera, j'en suis convaincu, accepté avec patriotisme. L'in-
fluence d'une nation dépend du nombre d'hommes qu'elle
peut mettre sous les armes !
« N'oubliez pas que les États voisins s'imposent de pluslourds sacrifices pour la bonne constitution de leur armée, et
ont les yeux fixés sur vous pour juger, par vos résolutions, si
l'influence de la France doit s'accroître ou diminuer dans le
monde...
« J'ai pleine confiance dans le bon sens et le patriotisme du
Peuple et, fort de mon droit que je tiens de lui, fort de ma
conscience qui ne veut que le bien, je vous invite à marcher
avec moi, d'un pas assuré dans les voies de la civilisation ! »
Quel accueil les députés — les parlementaires — feraient-ils
à cet appel de haute sagesse et de clairvoyant patriotisme ?
CHAPITRE II
Dépôt définitif du projet de loi. — Quintuple interpellationsur la politique étrangère. — Le projet de la commission. —
Manoeuvres parlementaires contre le projet, — Un nouveau
projet. — Pour le roi de Prusse. — Le texte remanié. — La
discussion générale aurait-elle lieu, et quand ?
DEPOT DEFINITIF DU PROJET DE LOI
L'Empereur — avons-nous dit — avait ouvert, le 14 février,à une heure de l'après-midi, la session législative de 1867,dans la grande salle du palais du Louvre.
Le discours, par lequel il avait préconisé la réorganisation
urgente de l'armée, avait été plusieurs fois interrompu par des
marques d'approbation unanime et s'était terminé au milieu
des cris répétés de : « Vive l'Empereur ! Vive le Prince
Impérial I ». La constatation en est faite dans les Annales (1)du Sénat et du Corps Législatif.
Dès la séance du 16 février, M. Glais-Bizoin tira néanmoins
prétexte d'une rectification au procès-verbal pour faire, à la
Chambre, une allusion agressive au discours du chef de l'Etat.
Cependant, le projet impérial ne fut apporté définitivement
à la Chambre qu'à la séance du 7 mars. Le président Schneider
l'annonça dans les termes suivants (2) :« M. LE PRÉSIDENTSCHNEIDER. — J'ai reçu de M, le ministre
(1) 1867. Tome I, page 6.
(2) 1867. Ibid, page 167.
66 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
d'Etat ampliation d'un décret ordonnant l'envoi au Corps
Législatif d'un projet de loi relatif à l'armée et à la gardenationale mobile.
« Voix DE DIVERS COTÉS. — La lecture ! La lecture !
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —Je donne, puisqu'on le
demande, lecture des articles du projet de loi (1).
(1) En voici le texte :
TITRE PREMIER
De l'armée active et de la réserve.
ARTICLE PREMIER. — La durée de service dans l'armée activeest de cinq ans, à l'expiration desquels les militaires serventencore pendant quatre ans dans la réserve.
La durée du service des jeunes gens qui n'ont pas été comprisdans l'armée active est de quatre ans dans la réserve et de
cinq ans dans la garde nationale mobile.La loi annuelle de finances divise chaque classe appelée au
tirage au sort en deux parties, dont l'une est incorporée à l'arméeactive et dont l'autre fait partie de la réserve.
ART. 2. — La durée du service dans l'armée active ainsi quedans la réserve compte du Ier juillet de l'année où les appelésont été inscrits sur les registres matricules des corps.
En temps de paix, les militaires qui ont achevé leur temps deservice reçoivent leur congé de libération, le _jo juin de chaqueannée.
Ils ne le reçoivent, en temps de guerre, qu'après l'arrivée au
corps du contingent destiné à les remplacer.ART. }. — Les substitutions de numéros sur la liste cantonale
sont autorisées conformément à la loi du 21 mars 1832.ART. 4. — Les jeunes gens de la réserve ne sont pas admis à
l'exonération. Ils peuvent permuter avec ceux de la garde natio-nale mobile ou se faire remplacer par un homme âgé de moinsde trente-deux ans, satisfaisant aux conditions exigées pour le ser-vice militaire etlibéré detoutesles obligations de la présente loi.
Les militaires sous les drapeaux ne sont pas admis à l'exonéra-
tion, mais ils peuvent se faire substituer par des militaires de lamême arme entrés dans leur cinquième année de service.
ART. 5.— La durée de l'engagement volontaire est de deux
ans au moins.
L'engagement volontaire ne confère les exemptions prononcées
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 67
Cette lecture terminée, le président du Corps Législatifattira l'attention de la Chambre sur un point capital :
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Ce projet de loi a été déli-
béré et adopté par le Conseil d'Etat, dans ses séances des 4,
6, 18 février et 4 mars 1867. (Mouvement 'prolongé en sens
divers.)
par les nos 6 et 7 de l'article 1} de la loi du 21 mars 1832 qu'au-tant qu'il a été contracté pour une durée de neuf ans, conformé-ment à l'article ier ci-dessus.
Le rengagement dans l'armée active est d'une durée de deux à
cinq ans. Il ne peut être contracté que par les militaires et
engagés volontaires de l'armée active qui sont entrés dans leur
cinquième année de service, ou par les militaires de la réserve
qui sont dans leur quatrième année de service.Le rengagement ne dispense, en aucun cas, les militaires du
temps de service qu'ils devaient accomplir dans la réserve, envertu du premier paragraphe de l'article Ier de la présente loi.
TITRE II
De la garde nationale mobile.
ART. 6. — La garde nationale mobile comprend, outre les
jeunes appelés qui ont accompli quatre ans dans la réserve, lesjeunes gens qui ont obtenu l'exonération du service en vertu dela loi du 26 avril 1855 et ceux qui se sont fait remplacer en vertudu § Ier de l'article 4 ci-dessus,
ART. 7. — La durée du service dans la garde nationale mobileest de cinq ans.
ART. 8. — La garde nationale mobile est destinée, commeauxiliaire de l'armée active, à la défense des places fortes, descôtes et des frontières de l'Empire, et au maintien de l'ordre dansl'intérieur.
Elle ne peut être appelée à l'activité que par une loi spécialeou, dans l'intervalle des sessions, par un décret qui devra être
présenté, dans un délai de vingt jours, au Corps Législatif pourêtre converti en loi.
ART. 9. — La garde nationale mobile est organisée, par dépar-tements, en compagnies, bataillons, escadrons et batteries.
Les officiers sont nommés par l'Empereur, et les sous-officiers,caporaux et brigadiers par l'autorité militaire.
Les jeunes gens de la garde nationale mobile sont soumis à des
68 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« Le projet sera imprimé et distribué.
« M. ERNEST PIGARD. — C'est le couronnement de l'édifice !'
.« M. BELMONTET. — C'est la défense du pays ! »
A cette séance du 7 mars 1867, il n'y eut à enregistrer et
d'enregistrées que ces deux interruptions de M. Ernest
Picard et de M. Belmontet, qui se croisèrent à l'instar de
deux balles échangées sans résultat.
L'une et l'autre pourtant étaient déjà symptômatiques. La
revues, à des réunions et à des exercices dont la durée ne peutexcéder quinze jours par année, et qui ont lieu soit au chef-lieu
de département, soit au chef-lieu d'arrondissement, soit auchef-lieu de canton de la résidence ou du domicile.
Peuvent être exemptés de ces exercices ceux qui justifientd'une connaissance suffisante du maniement des armes et de
l'école du soldat.Les jeunes gens qui font partie de la garde nationale mobile à
titre d'exonérés ou de remplacés sont tenus de se procurer à leursfrais l'habillement et le petit équipement.
ART. 10. — Les jeunes gens de la garde nationale mobile peu-vent contracter mariage sans autorisation, à quelque période quece soit de leur service.
ART. 11. •— Les officiers, sous-officiers, caporaux et brigadiersde la garde nationale mobile sont soumis à la discipline et aux
lois militaires. (Le Moniteur note que ce paragraphe fut sou-
ligné par un « mouvement » de l'Assemblée. — N. de l'A.)Les hommes de la garde nationale mobile sont également
soumis à la discipline et aux lois militaires, mais seulement pen-dant la durée des revues, des réunions et des exercices.
ART. 12. — Tout homme de la garde nationale mobile qui,hors les cas d'empêchement légitime, ne s'est pas rendu auxréunions ou exercices fixés par son ordre de convocation, est
puni par les conseils de guerre d'une peine de trois jours à unmois d'emprisonnement.
Est puni de la même peine celui qui s'est absenté d'une réunionsans autorisation.
S'il ne s'est pas rendu à une revue, il est puni d'une peine dis-
ciplinaire.ART. 13. — Hors les cas de réunion, d'exercices ou de revues
de la garde nationale mobile, l'outrage par paroles, gestes ou
menaces, commis par un inférieur envers un supérieur, dans
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 69
première, celle de M. Ernest Picard, avait une allure ironique
qui soulignait le sentiment exprimé... Eh ! quoi, la « milita-
risation » de la France avait lieu? C'était le couronnement de
l'édifice impérial !
La seconde, celle de M. Belmontet, puisait un accent
indigné dans la riposte qu'elle apportait à l'antimilitarisme
aveugle de M. Ernest Picard.
Etait-ce le moment de faire de l'humanitarisme outrancier,alors qu'il s'agissait de la défense du pays?... M. Picard et ses
amis oubliaient donc qu'à cette heure même la question du
Luxembourg était en suspens et que M. de Bismarck —
qu'allait, en mai, désorienter la conférence de Londres —
espérait encore « brouiller les cartes ».
Voyons ! que signifiait cette opposition intempestive qui se
plaignait qu'on n'eût pas, six mois plus tôt, agi militairement
avant ou après Sadowa et qui s'indignait maintenant de ce
que le gouvernement prît les précautions indispensables, non
seulement pour permettre à la France de tenir son rang en
Europe, mais encore pour nous éviter même une agression
étrangère ?
Voilà ce que traduisait en peu de mots M. Belmontet.
Hélas ! M. Picard, en bourgeois égoïste, dont le républica-
l'exercice ou à l'occasion de l'exercice de ses fonctions, est punipar les tribunaux correctionnels des peines prononcées par lesarticles 225 et 226 du code pénal.
L'article 463 du code pénal peut être appliqué.
Dispositions transitoires.
ART. 14. — Les hommes compris dans les contingents actuel-lement sous les drapeaux feront partie de la garde nationale mo-bile pendant les deux ans qui suivront l'accomplissement de septannées de service, soit dans l'armée active, soit dans la réserve.
Il en sera de même des rengagés, des engagés après libération,et des remplaçants administratifs correspondant à ces mêmes
contingents.ART. 15. — Toutes dispositions contraires à la présente loi
sont abrogées.
70 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
nisme cachait mal les propensions de caste, ne pensait ni à
Bismarck, ni à Sadowa, ni à la question du Luxembourg, ni à
l'unité nationale française, ni à la défense de la patrie, mais
uniquement aux privilèges de sa classe que le projet de
loi, dû à l'initiative démocratique de l'Empereur, faisait dispa-raître en grande partie.
La bourgeoisie, en effet, avait, dès le début, sans connaître
même la lettre du projet, fait le plus mauvais accueil au prin-
cipe que l'Empereur entendait mettre en application.Dès qu'avait été mis en circulation le bruit que le chef de
l'Etat, en raison de la situation nouvelle de l'Europe, voulait
mettre la France à l'abri de toutes les aventures, en réorga-nisant nos forces nationales : aussitôt et presque instinctive-
ment, ceux qui échappaient jusqu'ici à l'impôt du sang, de
par l'application de la loi orléaniste de 1832, s'étaient sentis
menacés dans un de leurs derniers privilèges les plus précieuxet les plus abusifs, celui de ne pas servir sous les armes.
L'opposition contre l'Empire avait immédiatement tiré partide cet égnïsme de classe, en menant sans tarder campagnecontre Napoléon III qu'elle accusait de vouloir « encaserner »
la France en demandant que tous les Français sans distinction
aucune fussent appelés, le cas échéant, à remplir le devoir
patriotique.On ignorait encore, en décembre 1866 — puisqu'il ne devait
être définitivement déposé sur le bureau de la Chambre quele 7 mars 1867 — le projet textuel de l'Empereur. N'importe 1
les attaques sourdes se formulaient déjà, quitte à devenir de
plus en plus précises. Les orléanistes menaient le branle;mais les prétendus républicains, trop heureux de l'occasion
offerte, suivaient le mouvement, sous prétexte de pacifisme.Dans les villes, comme dans les campagnes, le Peuple res-
tait froid devant ces excitations. Au contraire, les classes
favorisées leur avaient fait immédiatement le meilleur accueil,et cela se comprend sans peine.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 71
Cependant, en toute sincérité, la bourgeoisie n'était pasfondée à se plaindre. Le service universel et obligatoire ne
lui enlevait pas totalement la faculté de se faire remplacer,en temps de paix, dans les cadres de l'active. Que lui fallait-il
de plus ?
Evidemment, elle aurait à payer ses remplaçants volon-
taires et n'en serait pas moins astreinte à servir, comme tout
le monde, en temps de guerre. La belle affaire !...
Puisqu'elle avait une pareille conception de ses devoirs
patriotiques, n'était-il pas tout naturel qu'elle en soldât les
frais, argent comptant, pendant les périodes pacifiques ?
En tous cas, en raison de notre situation en Europe, en
raison aussi de l'application chez nous des grands principesde 1789 : l'égalité devant l'impôt du sang s'imposait à tous les
citoyens français ; d'ailleurs, une fois les hostilités ouvertes,c'était le seul moyen que nous ayions d'assurer notre sécurité
nationale..., et l'Empereur avait le droit et le devoir d'yveiller et d'y tenir la main.
QUINTUPLE INTERPELLATION
SUR LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE
Les parlementaires n'allaient pas tarder, tous, les uns après
les autres, à faire connaître publiquement leur état d'âme,
en ce qui concernait la réorganisation de l'armée, c'est-à-dire
l'organisation de la Défense Nationale.
Il y avait une semaine, jour pour jour, qu'avait été défini-
tivement déposé le projet de loi du gouvernement, lorsqu'eut
lieu au Corps Législatif une grande interpellation (i) de
(1) Annales du Sénat et du Corps LégislatiJ, 1867. Tome II,
page 148 et suiv. [passim).
72 1870-71 — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
M. Thiers et de quatre de ses collègues « sur les affaires exté-
rieures de la France, spécialement en ce qui concerne la
France et l'Italie ».
C'était, pour eux, l'occasion toute trouvée de déceler déjàleur sentiment préconçu.
M. Thiers ouvrit le feu, à la séance du 14 mars, dans les
conditions suivantes :
« M. LE PRÉSIDENT WALEWSKI. — La parole est à M. Thiers.
{Mouvement d'attention.)« M. THIERS. — Messieurs, l'objet connu des interpella-
tions adressées à MM. les ministres vous indique suffisam-
ment le sujet dont je viens vous entretenir : ce sujet, c'est la
situation de l'Europe, et de la France en particulier par rap-
port à l'Europe. Cette situation est grave ; et si vous pouviezen douter, vous n'auriez qu'à vous reporter au projet qui vous
a été présenté, il y a quelques jours, et dont le but est de
donner à nos armements une proportion qu'ils n'avaient
jamais atteinte.
« Ce n'est pas seulement en France qu'on agit de la sorte,
c'est dans tous les États petits ou grands (1).« En effet, ce ne sont- pas seulement les petits Etats, la
Suisse, la Belgique, la Hollande, le Danemark, la Suède,
que nous voyons entrer dans le système qui consiste à appelersous les armes le plus grand nombre possible des populations;ce sont les grands Etats aussi, bien que le nombre de leurs
sujets puisse les dispenser de recourir à ces moyens extrêmes.
L'Autriche vient d'adopter ce même système, bien qu'elle ait
grand besoin de repos ; l'Italie qui aurait besoin de repos
aussi, et qui devrait en laisser à l'Europe après l'avoir tant
agitée...« QUELQUES MEMBRES. — C'est vrai ! Très .bien !
(1) Et, alors, quand tous les autres peuples s'armaient, la Francedevait rester en arrière, d'après M. Thiers ? (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 73
« M. TIIIERS. — L'Italie a repoussé l'idée de désarmement si
bien approprié à l'état de ses finances ; l'Espagne, si bien
garantie par les Pyrénées, vient de doubler son effectif de
pais; l'Angleterre, mieux défendue encore par sa position
insulaire, cherche les moyens de suppléer à l'insuffisance des
engagements volontaires ; la Russie, si fortement armée
depuis la négociation de la Pologne, vient d'ordonner un
recrutement.
« je ne vous parlerai pas de la Prusse, cause de toutes ces
agitations : tout le monde sait ce qu'elle fait : le gouverne-
ment le sait incontestablement, car, s'il ne le savait pas, il
seraitle seul à l'ignorer (i). »
Sur ce, M. Thiers exposait à sa façon la situation de la poli-
tique internationale en Europe et faisait une charge à fond
contre la question des nationalités qui, selon lui, ne se posait
même pas ; et il continuait en ces termes :
« M. THIERS. — Maintenant, messieurs, quelle conduite
tenir ?
« Oh ! je le reconnais, dans une situation pareille, il n'y a
pas de merveilles à faire.
« Mais quelle est la politique à suivre ?
« Il y en a deux.
« La première, que, pour ma part, je réprouve complète-
ment, parce que je la trouve tout à la fois une iniquité et une
duperie presque certaine pour la France, consiste à se mettre
avec les ambitieux ; je veux parler de cette politique des
grandes agglomérations (la politique des nationalités) que
(1) Il faut croire que le « seul à ignorer » l'état de l'Europeétait M. Thiers, puisque, en décembre 1867 (ainsi qu'on le verraau chap. III du présent livre) il contestera lui-même, en pleineChambre, les armements de toutes les nations qu'il est le pre-mier à signaler pendant cette séance du 14 mars de la même
année. (N. de l'A.)
74 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
j'ai définie tout à l'heure par cette espèce de proverbe : Prenez
de votre côté, moi je prendrai du mien.
« Si la France suivait cette politique, elle se rendrait odieuse
au monde entier, car en agissant ainsi, elle autoriserait les
ambitieux à faire ce qu'ils voudraient, c'est-à-dire que l'unité
allemande s'accomplirait tout entière et que l'Orient serait
envahi (1). Aussitôt que la France aurait donné le signal
d'une telle politique, tout le monde la suivrait, et pendant
que la Prusse et la Russie ne trouveraient pas de difficultés,
vous en trouveriez peut-être de très grandes en vous avan-
çant vers l'Escaut. Par conséquent, cette politique serait à la
fois de notre part, comme je le disais, une iniquité et une
duperie, et après avoir été les plus coupables, nous serions
probablement aussi les plus maltraités. {Marques d'assentiment
sur plusieurs bancs.)« Donc je mets cette première politique de côté.
« J'arrive à la seconde politique, la seule honnête et raison-
nable, selon moi, dans la situation présente.« Cette politique, c'est de se mettre à la tête de tous les inté-
rêts menacés et de dire : Au nom de la liberté de la France,
au nom de sa force que vous ne contestez pas, au nom de ce
qu'elle a été et de ce qu'elle doit rester dans le monde, la
France, au lieu de se prêter à cette dévastation de l'univers (2),
viendra défendre tous les intérêts menacés (3), et les appel-
(1) D'où il ressort que l'unité allemande pouvait se faire ducôté du Danube et non du côté des Vosges, et qu'un gouverne-ment français pouvait la laisser s'accomplir de ce côté-là sansnuire aux intérêts français, et même mieux pouvait demanderune compensation pour les intérêts français. (N. de l'A.)
(2) C'était donc vouloir dévaster l'univers que de ne pasaccepter comme définitives les tractations de 1815? (N. de l'A.)
(3) Défendre les intérêts de la paix européenne : comment etavec quoi ?... Ainsi, l'on repoussait notre réorganisation mili-Uire tant qu'elle pouvait servir à l'unité nationale française ;
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS j5
lera à se ranger derrière elle pour empêcher de nouvelles
iniquités. {Mouvement d'approbation.)« Cette politique peut être celle de la paix. Pour ma part,
je ne veux pas —pardonnez-moi, messieurs, cette expression
individuelle qui ne convient à personne —pour ma part, je
ne veux pas la guerre : la guerre serait une extravagance,passez-moi ce mot ; elle précipiterait les événements qu'ilfaut arrêter. La vraie politique c'est, en admettant ce qui estfait — on aurait pu l'empêcher, on a eu tort de ne pas l'em-
pêcher, mais il n'est plus temps — c'est, en admettant ce quiest fait, de déclarer hautement qu'on ne souffrira pas qu'onaille plus loin. La vraie politique, c'est non pas de vouloir
réagir contre les événements, mais de les arrêter, de les sus-
pendre, de les ralentir tout au moins.
« Voilà la vraie politique !
« Pour cela faut-il la guerre ? Non I mille fois non ! La paix,mais la paix... {Bruit.)
« Messieurs, ne m'interrompez pas : il me semble que cette
question est bien sérieuse et que je m'efforce de la traiter
sérieusement. {Parlez ! Parlez !)« Eh bien! la paix, suffit-elle à cette politique? Je dirai
oui... »
Cette affirmation contient à elle seule la condamnation de
M. Thiers.
Que faisait Napoléon III, en ce moment, sinon « oeuvre
de paix », puisqu'il était en pourparlers en vue de la Con-
férence de Londres au sujet du Luxembourg, comme quelque
temps plus tôt il avait travaillé à un Congrès international
de la Paix, destiné à régler les différends européens, issus
des traités de 1815 ?
mais l'on ne repoussait point l'idée d'un conflit armé où nousaurions à intervenir pour défendre l'oeuvre de la Sainte-Alliance !(N. de l'A.)
76 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Mais, cette paix que nous ne menacions point, d'autres pou-vaient la menacer, la menaçaient même, de l'aveu de M. Thiers.
Et, alors, devions-nous rester militairement inorganisés en
face de ces menaces persistantes ?
M. Thiers se garda bien de répondre à cette objection capi-tale. Il se contenta de déclarer, en se frappant sur la poitrine,
que ses sentiments d'affection bien connus pour la Maison
d'Orléans ne lui faisaient pas oublier ses devoirs patrio-
tiques :
« M. THIERS. — Je ne veux d'autre intérêt que celui de
mon pays — j'en puis faire le serment devant lui ! — je ne
veux que son intérêt et... celui de ma mémoire; car, j'ap-
proche au terme de mon existence. {Mouvement.) Ce que je dis
c'est pour mon pays seul. {Très bien! très bien !)« Je respecte la dynastie que j'ai servie (la lamille d'Or-
léans), mais mon pays est ici mon seul objet, le seul but de
mes actions... »
A la séance du 14 mars, M. Thiers, dissertant toujours sur
la politique étrangère, prise en général, ne donna aucune
conclusion véritablement formelle en ce qui concernait l'ob-
jectif réel du débat, autrement dit sur la question de la réor-
ganisation de l'armée.
Mais, le lendemain, 15 mars, le second interpellateur,M. Garnier-Pagès se chargea d'être explicite pour deux.
Dès que le président Walewski lui eut donné la parole,M. Garnier-Pagès commença ainsi :
« Messieurs,
« En ne répliquant pas immédiatement au remarquablediscours de notre honorable collègue M. Thiers, le gouver-nement a prouvé qu'il voulait, avant de répondre, entendre
toutes les opinions. Je viens donc à mon tour, en me plaçantà d'autres points de vue, lui soumettre quelques questions,lui adresser quelques interpellations...
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 77
« M. GARNIER-PAGÈS (I). — Voici la phrase que je trouve
dans le discours de la Couronne (2) et qui m'inspire des
inquiétudes :
« L'influence d'une nation dépend du nombre d'hommes
« qu'elle peut mettre sous les armes. N'oubliez pas que les
« Etats voisins s'imposent de bien lourds sacrifices pour la
« constitution de leurs armées ; ils ont les yeux fixés sur vous
« pour juger, par vos résolutions, si l'influence de la France
« doit s'accroître ou diminuer dans le monde. »
« Ainsi, vous le voyez, messieurs, c'est clairement exprimé
(par l'Empereur) : « L'influence d'une nation dépend du
« nombre d'hommes qu'elle peut mettre sous les armes. »
« Eh bien ! moi, j'ai une opinion toute contraire : L'in-
fluence d'une nation dépend surtout de ses institutions et de
ses principes. {Approbation à la gauche de l'orateur.)« ... J'ai entendu beaucoup de membres de cette Chambre
faire ce calcul vrai, à savoir : que toutes les fois qu'on crée
un soldat, on enlève un travailleur à sa charrue ou à son ate-
lier. (C'est vrai ! Très bien ! à la gauche de l'orateur.) En calcu-
lant sérieusement ce qui se produit dans le système suivi en
France —je m'adresse aux financiers et aux économistes —
on voit que le chiffre minimum auquel on peut s'arrêter ne
va pas à moins de 250 millions.
«... Mais, messieurs, un exemple qui prouve combien l'in-
fluence que l'on peut exercer par les armes ne mène qu'à de
fâcheux résultats (sic), c'est ce qui s'est passé en Italie... (3).
(1) Annales du Sénat et du Corps Législatif, 1867. Tome II,page 192 et suiv. (passim).
(2) Discours de Napoléon III, le 4 février 1867.
(j) Garnier-Pagès avait déjà oublié, le 15 mars 1867, que notreintervention en faveur de l'Italie, en 1859, nous avait valu trois
départements : la Savoie, la Haute-Savoie et les Alpes-Mari-times ! (N. de l'A.)
78 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« L'Italie en 1848 n'avait voulu rien devoir à la France.
(Exclamations et rires ironiques sur un grand nombre de
bancs.)
« M. EUGÈNE PELLETAN. — Italiafara da se!
« M. GARNIER-PAGÈS. — L'Italie en 1848 avait prononcé ce
mot : « L'Italie veut faire par elle-même ! ». (Nouvelles excla-
mations ironiques sur les mêmes bancs.)«... Disons-le, messieurs, qu'est-ce qui a le plus soulevé,
indigné les Français, soulevé, indigné tous les peuples dans
les traités de 1814 et de 1815 ? Vous l'avez senti vous-mêmes :
c'est de voir, autour d'une table, des diplomates et des
princes réunis disposer des peuples, les couper, les trancher,
les mener comme un troupeau, se les partager et se les divi-
ser, à leur plaisir, à leur caprice. Voilà ce qui indignait tous
les peuples, dans les traités de 1815 ; voilà ce qui m'a tou-
jours révolté moi-même.
« ... Mais, j'arrive au coeur même de la question et j'abordetrès nettement la difficulté. Que se demande-t-on aujour-d'hui? On se demande si l'Allemagne est plus forte et plus
puissante maintenant qu'elle ne l'était du temps de la Confé-
dération germanique ?
« Pour ma part, je l'avoue, je-crois que M. de Bismarck a
entrepris une chose impossible. (Ah! ah!) Il a entrepris une
chose qu'il ne réalisera pas, et qu'il ne peut pas réaliser...
« Or, vous présentez un projet de réorganisation militaire,et vous le présentez au moment où vous parlez de paix, au
moment où vous parlez de votre modération, au moment où
vous protestez de vos intentions bonnes et pacifiques. C'est à
ce moment que vous venez présenter, devant l'Assemblée, un
système qui a pour objet de réclamer une armée de 1.200.000
hommes.
« Eh bien ! n'y a-t-il pas là une contradiction évidente ?
« Vous dites bien que vous ne demandez ces 1.200.000
hommes que pour la défensive.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 79
« Je vous réponds : Non !
« M. GLAIS-BIZOIN. — Très bien ! C'est cela !
« M. GARNIER-PAGÈS. —Je le déclare : ce n'est pas là la
nation armée ; ce n'est pas là la garde nationale défensive.
Ce que vous demandez — et vous le savez bien — c'est un
système agressif; c'est la faculté de porter vos armes à
l'étranger ; c'est la faculté de reconquérir des frontières ;
c'est la faculté de vous emparer de la Belgique...
« Messieurs, permettez moi de terminer et conclure par une
brillante utopie. (Ah ! ah /) Cette utopie, je la trouve en tête
du discours prononcé par l'Empereur à l'ouverture de la
session.
« QUELQUES MEMBRES. — Voyons cette utopie !
« M. GARNIER-PAGÈS. — L'Empereur nous a adressé ces
paroles :
« Napoléon disait à Sainte-Hélène : « Une de mes grandes« pensées a été l'agglomération, la concentration des mêmes
« peuples géographiques qu'ont dissous, morcelés, les révo-
« lutions et la politique... Cette agglomération arrivera, tôt
« ou tard, par la force des choses ; l'impulsion est donnée, et
« je ne pense pas qu'après ma chute et la disparition de mon
« système, il y ait en Europe d'autre grand équilibre possible
« que l'agglomération et la confédération des autres
« peuples. »
« Après cette citation, le discours de la Couronne ajoute :
« Les transformations qui ont eu lieu en Italie et en Allemagne
« préparent la réalisation de ce vaste programme de l'union
« des Etats de l'Europe dans une seule confédération. »
Et M. Garnier-Pagès concluait que, lui aussi, il était bien
partisan de cette union pacifique de la vieille Europe, mais
qu'il ne se souciait pas de fournir, à la France, les moyens
matériels d'y tenir son rang, par l'entretien d'une force
armée.
C'est à cette séance du 15 mars 1867, qu'un des Cinq
So 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
députés républicains, sembla se séparer quelque peu de ses
collègues de même nuance. M. Emile Ollivier, en effet, fit
d'abord cette constatation : « La seule conséquence nécessaire
qui découle de la théorie des nationalités, c'est la règle diplo-
matique de la non-intervention, qui condamne à la fois la
propagande révolutionnaire et la Sainte-Alliance. Dès queles peuples sont maîtres de leurs destinées, nul n'a le droit
de les gêner par une intervention... »; puis, il déclara : « Ce
n'est pas la première fois au surplus que j'approuve la poli-
tique extérieure du gouvernement... » : mais, l'orateur crut
devoir terminer par un souhait en faveur de l'alliance alle-
mande qui faillit provoquer une altercation entre lui et
M. Granier de Cassagnac.Le ib mars, le quatrième interpellateur montait à la tribune.
C'était le comte de la Tour, qui en sa qualité d'ultramontain,
blâmait la politique impériale qu'il ne trouvait pas du tout
conservatrice. Au lieu de soutenir un projet de réorganisationde nos forces militaires, M. le comte de la Tour estimait qu'ildevait suffire à la France de protéger les droits temporels du
pape. Il l'expliquait dans les termes suivants : (1)«M. LE COMTEDE LA TOUR. — ... Messieurs, un dernier
grand intérêt que la France est obligée de protéger en
Europe, c'est le pouvoir temporel et l'indépendance de la
papauté. Si nous manquions jamais, soit par insouciant
aveuglement, soit par triste faiblesse, à cette plus haute obli-
gation morale de noire politique extérieure, il en résulterait cer-
tainement pour notre pays un grave affaiblissement moral à
l'intérieur et une diminution certaine de notre influence dans
le monde.« Je n'ai pas besoin de chercher à développer encore une
fois devant vous cette vérité, parce qu'elle est reconnue en
(1) Annales du Sénat et du Corps Législatif, 1867. Tome II,page 216.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 8l
France de tous les véritables catholiques. Il n'est pas un seul
vrai catholique, en France, qui ne reconnaisse que, si jamaisun gouvernement français quelconque sacrifiait la princi-
pauté temporelle de l'Eglise aux ambitions de l'Italie, ce serait
un désastre moral pour notre pays ; il n'est pas un seul ami
sincère, éclairé, de l'Empire qui puisse jamais conseiller au
gouvernement de l'Empereur d'abandonner à cette Italie quine s'est pas créée elle-même, comme on le disait hier, mais
que nos armes et que notre politique ont créée, l'enclave
romaine, devenue malheureusement trop petite, mais qui,
telle qu'elle est, constitue encore à la fois l'honneur et la sau-
vegarde monarchique de l'Italie elle-même, comme elle forme
toujours le centre et la base de la catholicité.
« M. PLICHON et quelques autres membres. — Très bien !
« M. LE COMTE DE LA TOUR. — Mais cet immense intérêt
moral que notre politique doit soutenir de loin comme de
près, il est évident que nous le sauvegarderions plus aisé-
ment en nous rattachant à l'Autriche, en maintenant l'inté-
gralité de l'empire autrichien, en maintenant l'indépendance
nationale des catholiques de l'Allemagne méridionale, qu'en
restant confinés dans notre isolement.
« Ainsi, à ce dernier point de vue encore, il est nécessaire
pour la France d'adopter la politique conservatrice que je con-
seille et réclame. »
M. le comte de la Tour n'admettait pas que la France
s'armât pour réparer les conséquences de 1815, mais il aurait
très bien compris qu'elle le fît et entrât même en campagne
sans retard pour soutenir l'Autriche et surtout le Saint-
Siège.A la séance du 18 mars, ce fut une autre antienne.
M. Jules Favre monta à la tribune pour déclarer qu'il
regrettait que le gouvernement eût perdu l'occasion de s'allier
à l'Angleterre ce qui lui eût évité (sic) d'avoir besoin de
réorganiser notre armée ; car, au moment des événements de
6
82 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Danemark, l'Angleterre eût suffi à suspendre l'action austro-
prussienne tout entière!!! Tandis que tout était bien inutile
désormais... Et M. Jules Favre continuait en ces termes :
« M. JULES FAVRE. — ... Quoi! c'est après quinze ans de
règne, lorsque la dette publique s'est accrue de 8 milliards
(chuchotements) ; c'est après avoir proclamé que l'Empire,
c'était la paix ; c'est après que nous avons été condamnés aux
guerres que vous savez, qu'on vient décréter que la France
sera tout entière disciplinée, et qu'au lieu d'être un atelier (1)
elle ne sera plus qu'une vaste caserne? (Vives exclamations en
face de l'orateur.)
« M. BELMONTET. — Et l'indépendance du pays ?...
« M. JULES FAVRE. — Ce que nous avons à faire pour nous
opposer à l'Allemagne, ce n'est pas de nous armer, c'est de
montrer notre volonté personnelle (d'appliquer simplement
nos institutions libres) et pour ma part je pose ici, très nette-
ment, la question au gouvernement. Jusqu'ici, il ne s'est
pas expliqué, suivant moi, avec assez de clarté. Si l'on pro-
posait au cabinet des annexions, les repousserait-il ? (Inter-
ruption.) Déclarerait-il que la Belgique ne sera jamais envahie,
que l'Etat du Luxembourg ne sera jamais menacé, et que
nous devons toujours rester dans la limite de nos frontières
(telles qu'elles nous sont dévolues par les traités de 1815)?...
(Bruyante interruption.)
« Voilà les questions et les voilà nettement posées ! (Nom
breuses réclamations et interpellations diverses.)
« M. GRANIER DE CASSAGNAC. — C'est une honte !
« M. HENRI DIDIER. — C'est une infamie! c'est abominable !
« M. BELMONTET (à M. Jules Favre). — Vous n'êtes pas
Français ! »
M. Rouher, ministre d'Etat, allait, certes, répondre ce qu'il
(1) Annales du Sénat et du Corps Législatif, 1867. Tome II,page 244.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 83
convenait aux cinq interpellateurs sur la politique extérieure ;mais la réponse la plus nette et la plus catégorique devait
leur être fournie par les événements.
L'Empire, en effet, demandait si peu la réorganisation de
nos forces dans une pensée d'agression que la conférence
de Londres (il convient de le rappeler une fois de plus) était
précisément sur le point de solutionner pacifiquement la
question du Luxembourg ; mais, l'Empire demandait la réor-
ganisation de l'armée au point de vue défensif, et il avait l'obli-
gation stricte de la demander dans ce but.
N'importe! — alors que le projet lui-même n'était pasencore venu en discussion — déjà l'hostilité parlementaire se
manifestait, tout au moins chez quelques membres de l'As-
semblée, aussi bien à Droite qu'à Gauche.
Cet aveuglement persisterait-il ?
LE PROJET DE LA COMMISSION
L'interpellation sur la politique étrangère du gouvernementn'avait été, de la part de l'opposition orléano-républicaine,
qu'une manoeuvre — une manoeuvre sournoise — contre le
projet égalitaire de l'Empereur.
Depuis décembre, l'inquiétude semée, comme par dilettan-
tisme, dans les rangs de la bourgeoisie, avait porté ses fruits.
Celle-ci avait su tirer parti de tous les leviers qui font d'elle
la classe influente de la nation. Partout où elle avait pu peser,elle l'avait fait : dans le monde du commerce, dans celui de
l'industrie, dans les milieux intellectuels, au barreau, dans
les écoles, partout, partout.Sa propagande s'était, depuis trois mois, poursuivie sous
toutes les formes, par la parole, par le journal, par les bro-
chures, par l'image. Tant et si bien qu'une atmosphère spé-
84 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITES
ciale avait été créée, absolument saturée de pacifisme et d'hu-
manitarisme.
Les discours prononcés à la tribune française, au cours
des séances des 14 et 15 mars 1867, étaient destinés à inten-
sifier cette propagande et à la faire pénétrer, autant que pos-
sible, non seulement dans les ateliers où l'ouvrier est toujourssi facilement impressionnable (même quand son intérêt
propre est foncièrement opposé aux thèses qu'on veut lui
faire accepter), mais encore et surtout dans les masses
rurales, passionnément attachées à l'Empereur et à sa poli-
tique.
La résultante prévue allait nécessairement se produire.Dans cet intervalle, dès la séance du 16 mars, M. le présidentWalewski avait fait la déclaration suivante :
« J'ai reçu, de M. le ministre d'Etat, ampliation d'un décret
chargeant par délégation spéciale M. le maréchal Niel,
ministre de la guerre, de représenter, conjointement avec les
personnes désignées par les articles 33 et 52 du décret du
5 février dernier, le gouvernement devant le Corps Légis-latif pour la discussion du projet de loi sur l'armée et sur la
garde nationale mobile. »
En conséquence, le projet de loi fut soumis à une commis-
sion parlementaire (1) composée de MM. Larrabure, prési-
dent, Mège et Gressier, secrétaires, et de MM. Chesnelong,
marquis de Talhouët, Chevandier de Valdrôme, du Mirai, de '
Montagnac, Bartholoni, le baron David, le duc d'Âlbuféra, le
vicomte Reille, West, Fabre, Louvet, le marquis d'Havrin-
court, Buffet et le baron de Veaucc.
Les travaux de la commission se ressentirent immédia-
tement des sentiments divers qui se faisaient jour de toutes
(1) Le conseiller d'Etat, commissaire du gouvernement, chargéde soutenir la discussion du projet de loi était M. Darricau.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 85
parts, à la suite de la campagne menée contre le projet per-sonnel de l'Empereur.
Si excellents que fussent les parlementaires désignés, ils
n'en étaient pas moins des parlementaires, c'est-à-dire des
hommes plus enclins à subir les suggestions de l'ambiance,
que portés à se libérer des contingences particulières, pourétudier un vaste plan d'intérêt général où se répercutentles plus importants problèmes internationaux.
Les commissaires auxquels était soumis le projet de réor-
ganisation de l'armée cédèrent aux préoccupations qui tenail-
laient la bourgeoisie quant à l'envoi de ses fils, à l'égal de
ceux du Peuple, sous les drapeaux.A leurs yeux, déterminer une bonne fois pour toute le con-
tingent et en fixer définitivement le chiffre, par une loi orga-
nique, ainsi que le demandait l'Empereur, n'était-ce pas en
même temps interdire au législateur de diminuer, dans l'ave-
nir, les crédits afférents à la bonne organisation de l'armée ?
N'était-ce pas porter atteinte à une prérogative de la
Chambre?
Telles furent les objections devant lesquelles s'arrêtèrent
les membres de la commission et que la majeure partie d'entre
eux considéra comme suffisamment sérieuses.
Malgré les avis contraires et pressants du Conseil d'Etat,
malgré les objurgations même du maréchal Niel, ministre de
la guerre, les commissaires maintinrent en majorité leur
façon de voir, de telle sorte que, pendant plus de deux mois,
la question n'avança pas d'un pas.
L'opposition s'efforça d'obtenir la confirmation officielle de
ces tergiversations.Le 16 mai, au Corps Législatif, M. Ernest Picard présentait
l'observation que voici :
« Messieurs, nous désirerions que les différentes commis-
sions chargées de la préparation de projets de loi importantsvoulussent bien nous tenir au courant de l'état de leurs tra-
86 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
vaux ; nous voudrions savoir notamment où en sont les tra-
vaux de la commission chargée de l'examen du projet de loi
sur la réorganisation de l'armée.
« On nous dit de toutes parts que certaines difficultés l'ar-
rêtent; on parle d'un conflit, d'un désaccord entre elle et le
gouvernement. Il serait bon que nous en fussions immédia-
tement informés ; l'opinion de la Chambre sur ces difficultés
aiderait peut-être à la résoudre. » (Cris : Oh ! oh 1)En la circonstance, M. Ernest Picard jouait trop visible-
ment le rôle de la mouche du coche ; aussi, ne pouvait-il
guère être pris au sérieux.
Etait-ce lui qui « aiderait à résoudre » les difficultés
auxquelles il faisait allusion?
Jamais de la vie ! il en était trop heureux, au contraire, espé-rant peut-être que l'Empereur d'une part maintenant son
projet, et la commission d'autre part maintenant ses retouches,un terrain d'entente serait et demeurerait impossible à trouver
et que la réorganisation proposée se verrait ipso facto envoyéeaux calendes.
Le calcul était perfide. Il n'était pas personnel à M. Ernest
Picard : tous les adversaires de la politique impériale —
droitiers et gauchers, en parfait accord — le faisaient avec
lui.
Napoléon III n'était point sans connaître tous ces espoirs
machiavéliques. Aussi, quoiqu'il fût désolé d'avoir été si peu
compris par les membres de la commission, résolut-il d'aban-
donner son propre projet, pourvu que la commission en éla-
borât un autre (un peu plus doux quant à la faculté de rem-
placement pour les carrières libérales et laissant en outre au
Corps Législatif la faculté de fixer lui-même chaque année la
quotité du contingent) à la condition que les bases essentielles
du texte primitif, en ce qui concernait la réorganisation de
nos cadres, fussent conservées.
C'est dans ces conditions que fut trouvé le terrain d'entente,
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 87
contrairement aux secrets désirs et même aux désirs haute-
ment avoués de M. Ernest Picard et de ses amis.
Finalement, le rapport (i) de la commission chargée d'exa-
miner le projet de loi sur l'armée et la garde nationale mobile
fut déposé, à la séance du 8 juin, au Corps Législatif, par
M. Gressier, secrétaire de la commission, rapporteur.
L'exposé général, rédigé par M. Gressier, rappelait les arme-
ments de toutes les puissances européennes et établissait les
constatations suivantes :
« En présence d'un semblable déploiement de forces mili-
taires, qui donc ne renouvellerait le voeu déjà émis par l'Em-
pereur, dans une circonstance solennelle, de voir bientôt un
grand Congrès européen créer sur les bases du droit et de la
justice un nouvel équilibre donnant aux Peuples une paix
longue et prospère ?
« Mais, en attendant que cette grande et généreuse idée
arrive à sa réalisation, chaque nation a le devoir de veiller à
sa propre sécurité, et, si elle veut assurer sa situation, d'aug-menter ses forces quand les forces voisines s'augmentent.
« Cette vérité existe pour la France, non moins que pourles autres puissances. Elle est tellement saisissante et telle-
ment ressentie par tous qu'elle a le caractère de la plus com-
plète évidence.
« Ce n'est plus le moment de rechercher si les événements
qui ont produit ce mouvement général pouvaient être évités
ou atténués.
« Le fait existe ; il faut y pourvoir et assurer de la manière
la plus certaine le maintien de l'indépendance et du rang de
notre pays.
« Votre commission a donc unanimement pensé que la
(i) Annales, 1867. Tome VII, annexes, page 16. (Rapportn° 176.)
88 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
situation nouvelle de l'Europe imposait à la France le devoir
d'augmenter sa force défensive.
« Cette première question résolue, restait à examiner
dans quelle proportion cette augmentation devait avoir lieu
et si la création d'une force défensive plus grande nécessitait,ainsi que le proposait le projet du gouvernement, l'abandon
des principes sur lesquels depuis 1818, et plus spécialement
depuis 1832, repose le recrutement de l'armée française.« Sur le premier point, la haute commission nommée par
l'Empereur pour étudier cette question a émis l'avis, aprèsdes délibérations approfondies, que dans les circonstances
actuelles, les forces militaires de la France devaient être por-tées à 7 ou 800,000 hommes, divisées en deux parts :
« 400,000 hommes sous les drapeaux formant l'armée
active ;« 35° ou 400,000 hommes formant la réserve ;« Et complétées par une garde nationale mobile de 350 à
400,000 hommes, destinée à prendre la place de l'armée dans
les garnisons et les places fortes, de manière à rendre com-
plètement libres les mouvements de celle-ci et à lui permettreau besoin de se porter tout entière à la rencontre de l'en-
nemi.
« Votre commission, après les explications détaillées qui
lui ont été fournies par M. le Maréchal ministre de la guerre,
tout en regrettant vivement les charges nouvelles que cette
augmentation de force, tant qu'il sera indispensable de la
maintenir, fera peser sur la population, tout en espérant que
la sagesse des gouvernements et des peuples permettra bien-
tôt d'apporter une modification à cet état de choses, a dû
cependant reconnaître la justesse de ces appréciations en
présence des conditions dans lesquelles se trouve l'Eu-
rope. »
Ainsi, par la voix de son rapporteur, la commission
avouait, elle-même, « après des délibérations approfondies »,
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 89
que le projet primitif de Napoléon III n'était nullement exa-
géré, quant au chiffre des hommes qu'il fallait appeler sous
les armes.
Cependant — M. Gressier le reconnaissait — le bruit
dont M. Ernest Picard s'était fait un peu trop complaisam-ment l'écho, à la séance du 16 mai, n'en était pas moins
fondé.
Il y avait eu des tiraillements très durs entre le Conseil
d'Etat et la commission du Corps Législatif. Des détails secon-
daires du projet, ou du moins qui peuvent paraître tels si
on les compare à l'idée fondamentale de la sauvegarde du
pays, avaient été la cause de ces tiraillements. La commission
parlementaire estimait en effet que le projet de l'Empereurétait trop « draconien » à l'égard de la bourgeoisie, en ce
qui concernait en particulier la faculté de remplacement.Le rapporteur le constatait en ces termes :
« En présentant ce projet, le gouvernement s'était inspirédu grave sentiment de sa responsabilité ; chargé d'assurer
l'honneur du drapeau et l'indépendance du pays, il avait cru
ne pouvoir trop faire.
« Il avait de plus pensé que lorsque l'intérêt de la patriedemande un plus grand sacrifice, il devient juste de le reportersur tous.
« La loi proposée était donc à ses yeux UNELOI D'ÉGALITÉen
même temps qu'une loi de défense nationale ; elle était de plusune institution assurant, sur des bases certaines et invariables,
la force défensive du pays.« Malgré ces graves raisons, la loi, telle qu'elle était propo-
sée, a cependant causé dans le pays une émotion qui ne sau-
rait être méconnue et dont il était impossible de ne pas tenir
compte. »
Les parlementaires, chargés de la rédaction d'un projet
atténué, s'abritaient ainsi derrière une partie de l'opinion
publique — celle que l'intérêt de classe aveuglait — pour
90 , 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
excuser leur propre aveuglement, à eux, don le devoir con-
sistait précisément à éclairer l'opinion tout entière.
La voilà bien l'éternelle pusillanimité de ces « éducateurs
du Peuple » incapables de braver une impopularité passagère !
C'est dans ces conditions que la commission présentait un
projet nouveau plus favorable à la bourgeoisie au sujet de
l'exonération conditionnelle, et surtout plus ouvert à Vinitiative
parlementaire, puisque— au lieu de fixer définitivement, une
fois pour toutes, le chiffre du contingent— ce projet per-
mettait au Corps Législatif de le faire varier, chaque année,
au moyen d'une loi spéciale (1).
(1) Voici d'ailleurs le texte intégral du projet de la commission
qu'il suffit de comparer au texte du gouvernement, publié au
début de ce chapitre, pages 66, 67, 68 et 69 :
Projet de loi relatif à l'armée et à la garde nationale mobile.
Nouvelle rédaction adoptée par la commission et le Conseil d'Etat (sous laréserve des amendements maintenus par la commission).
TITRE PREMIER
DE L'ARMÉE ACTIVE ET DE LA RESERVE
ARTICLE PREMIER. — L'armée se compose de l'armée active et
de la réserve ; son effectif est porté à 800.000 hommes.« Elle se recrute :« i° Par des engagements volontaires et par des rengagements;« 20 Par l'appel annuel d'un contingent.« ART. 2. — La force du contingent à appeler pour le recrute-
ment de l'armée est déterminée chaque année par le CorpsLégislatif dans une loi spéciale.
« Cette loi divise en outre le contingent en deux portions,dont l'une est incorporée à l'armée active et l'autre laissée dansla réserve.
« ART. 3.— La durée du service pour les jeunes gens incor-
porés à l'armée active est de cinq ans, à l'expiration desquels ilsservent quatre ans dans la réserve.
« La durée du service pour les jeunes gens laissés dans laréserve est de cinq ans.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 0,1
Si M. Gressier et ses collègues de la commission — en
imposant, en définitive, leur façon de voir contre celle de
l'Empereur et en la faisant triompher aux lieu et place de
celle-ci — avaient espéré amener à récipiscence les « adver-
saires de principe » du projet de loi : ils s'étaient trompés du
tout au tout.
Les irréconciliables de Droite et de Gauche ne voulaient
« Les jeunes gens laissés dans la réserve ne peuvent être
appelés à l'activité que par un décret de l'Empereur.« Les militaires qui entrent dans la réserve après cinq années
de service accomplies ne peuvent être rappelés à l'activité que
par décret de l'Empereur, et par classe, en commençant par la
moins ancienne. Ils peuvent se marier sans autorisation dans les
deux dernières années de leur service. Cette faculté est suspendue
par l'effet du décret de rappel à l'activité.« Les hommes mariés de la réserve restent soumis à toutes les
obligations du service militaire.« ART. 4. — La durée du service dans l'armée active et dans la
réserve compte du Ier juillet de l'année du tirage au sort.« En temps de paix, les militaires qui ont achevé leur temps
de service reçoivent leur congé de libération le jjo juin de
chaque année.« Ils ne le reçoivent en temps de guerre qu'après l'arrivée au
corps du contingent destiné à les remplacer.« ART. 5.
— Sont abrogés les titres II, III et V de la loi du
26 avril 1855 relative à la dotation de l'armée, et les lois du
34 juillet 1860 et du 4 juin 1864.« Les substitutions d'hommes sur la liste cantonale et le rem-
placement sont autorisés conformément aux articles 17, 18, 19,
20, 21, 22, 23, 24, 28 et 29 de la loi du 21 mars 1832, lesquelssont remis en vigueur.
« Est également remis en vigueur le titre III de la même loi;
toutefois la durée de l'engagement volontaire est de deux ans au
moins.« L'engagement volontaire ne confère l'exemption prononcée
parle n° 6 de l'article 13 de la loi du 21 mars 1832 qu'autant qu'ila été contracté pour une durée de neuf ans, conformément au
§ Ier de l'article 3 ci-dessus.« ART. 6. — Les causes d'exemption prévues par les nos^, 4,
5, 6 et 7 de l'article 13 de la loi du 21 mars 1832 doivent, pour
92 187O-7I ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
pas plus de leur projet que de celui de l'Empereur : ils ne
voulaient d'aucun projet, quel qu'il fût.
Les concessions de la commission, loin de les apaiser, sem-
blèrent les exciter davantage. Ils y puisèrent même des argu-ments dans la campagne de propagande qu'ils menaient
produire leur effet légal, exister au jour où le conseil de revisionest appelé à statuer.
« Celles qui surviennent entre la décision du conseil de revisionet le Ier juillet, point de départ de la durée du service, ne modi-fient pas la position légale des jeunes gens désignés pour fairedéfinitivement partie du contingent.
« ART. 7. — Les jeunes gens qui n'auront pas accompli leur
temps de service au Ier janvier 1868 pourront, à l'expiration deleur cinquième année, obtenir de passer du service actif dans la
réserve, à la condition de contracter l'engagement d'y servir
quatre ans.
TITRE II
DE LA GARDE NATIONALE MOBILE
SECTION PREMIÈRE
De sa composition, de son objet, de la durée du service.
« ART. 8. — Une garde nationale mobile sera constituée àl'effet de concourir, comme auxiliaire de l'armée active, à ladéfense des places fortes, des côtes et des frontières de l'Empire,et au maintien de l'ordre dans l'intérieur.
« Elle ne peut être appelée à l'activité que par une loi spéciale.« Toutefois, les bataillons qui la composent peuvent être réunis
au chef-lieu ou sur un point quelconque de leur département,par un décret de l'Empereur, dans les vingt jours précédant la
présentation de la loi de mise en activité.« Dans ce cas le ministre de la guerre pourvoit au logement
et à la nourriture des officiers, sous-officiers, caporaux et soldats.
ART. 9. — La garde nationale mobile se compose :i° Des jeunes gens des classes des années 1867 et suivantes
qui n'ont pas été compris dans le contingent, en raison de leurnuméro du tirage ;
20 De ceux des mêmes classes auxquels il a été fait application
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS g3
pour surprendre le sentiment public et essayer de le galva-
niser contre le « casernisme ».
La preuve en est fournie par les multiples tracts et les nom-
breuses brochures publiés alors et répandus à foison. On n'a
que l'embarras du choix.
Une de ces brochures, intitulée : Le cycle de la guerre est
de cas d'exemption prévus par les nos 3,4, 5, 6 et 7 de l'article 13de la loi du 21 mars 1832 ;
5° Des militaires de la seconde portion du contingent qui ont
accompli cinq ans de service dans la réserve.« Peuvent également être admis dans la garde nationale mobile
ceux qui, libérés du service militaire, demandent à en faire partie.« Les conseils de revision exemptent du service de la garde
nationale mobile les jeunes gens compris sous les §§ 1 et 2 del'article 13 de la loi de 1832 ou dans un des cas de dispense prévuspar l'article 14 de la même loi.
« Ils peuvent exempter comme soutiens de famille, et jusqu'àconcurrence de 10 p. ioo, ceux qui auraient été trouvés propresau service et qui auront le plus de titres à l'exemption.
« ART. 10. — La durée du service dans la garde nationalemobile est de cinq ans pour les jeunes gens qui n'ont pas été
compris dans le contingent.« Elle compte du Ier juillet de l'année de leur tirage au sort.« Elle est de quatre ans pour les jeunes gens de la deuxième
partie du contingent, et compte du jour où ils ont accomplicinq années dans la réserve.
« ART. 11. — Les jeunes gens composant la garde nationalemobile peuvent contracter mariage sans autorisation, à quelquepériode que ce soit de leur service.
« Ils peuvent se faire remplacer par un Français âgé de moinsde quarante ans, et remplissant les autres conditions exigées parles articles 19, 20 et 21 de la loi du 21 mars 1832.
« Le remplaçant est reçu par le conseil d'administration dubataillon auquel la garde nationale appartient.
« Le remplacé est, en cas de désertion, responsable de son
remplaçant.« Tout garde national mobile peut être admis comme rempla-
çant, dans l'armée active ou dans la réserve, s'il remplit lesconditions des articles 19, 20 et 21 ci-dessus mentionnés; le rem-
placé sert dans la garde nationale mobile pendant un temps égal
94 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
clos et signée « Un homme de bon sens », contient à cet
égard des passages édifiants. Il y est dit :
« Paix aux hommes de bonne volonté ! Tel est le cri quisort de la conscience universelle, tel est le palladium sacré de
à celui qui était dû par le remplaçant ; il est tenu de s'habiller etde s'équiper à ses frais.
SECTION DEUXIÈME
De l'organisation de la garde nationale mobile, de son instruction,des peines disciplinaires.
« ART. 12. — La garde nationale mobile est organisée pardépartements, en bataillons, compagnies et batteries.
« Les officiers sont nommés par l'Empereur, et les sous-officierset caporaux par l'autorité militaire.
« Ils ne reçoivent de traitement que si la garde nationale mobileest appelée à l'activité.
« Sont seuls exceptés de cette disposition l'officier chargé spé-cialement de l'administration et les officiers et les sous-officiersinstructeurs.
« ART. ijj (1).— Les jeunes gens de la garde nationale mobile
sont soumis :
i° A des exercices qui ont lieu dans le canton de la résidence ;20 A des réunions par compagnie, par demi-bataillon ou par
bataillon, qui ont lieu dans la circonscription de la compagnieou du bataillon.
« La durée des exercices et des réunions ne peut être de plusde deux mois et demi dans les cinq ans, et de plus de 25 joursdans une seule année. Les jours et les époques de ces exercices
(1) Amendement maintenu par la commission :K Art. 13. — Les jeunes gens de la garde nationale mobile sont soumis :« i° A des exercices qui ont lieu dans le canton de la résidence ou du domi-
cile ;« 20 A des réunions par compagnie ou par bataillon.« Chaque exercice ou réunion ne peut donner lieu, pour les jeunes gens qui y
sont appelés, à un déplacement de plus d'une journée.« Ces exercices et réunions ne peuvent se répéter plus de quinze fois par
année.a Sont exemptés des exercices ceux qui justifient d'une connaissance suffisante
du maniement des armes et de l'école du soldat. »
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS g5
l'indépendance des peuples et qui, dans l'avenir, constitueraleur meilleure sauvegarde.
« Pourquoi augmenter l'armement ?
« Le cycle des hostilités guerrières est définitivement clos.
et réunions sont déterminés de manière à gêner le moins possiblele travail.
« Si la durée des exercices ou réunions exige un déplacementde plus de douze heures, le ministre de la guerre pourvoit au
logement et à la nourriture des officiers, sous-officiers, caporauxet soldats.
« Sont exemptés des exercices ceux qui justifient d'une con-naissance suffisante du maniement des armes et de l'école dusoldat.
« ART. 14. — Pendant la durée des exercices et des réunions,la garde nationale mobile est soumise à la discipline réglée parles articles 113, 114 et 116 de la section II du titre V de la loi du13 juin 1851 sur la garde nationale, ainsi que par les articles 5,81 et 83 de la même loi.
« Les peines énoncées à l'article 11^ sont applicables, selonla gravité des cas, aux fautes énumérées aux articles 73, 74 et 76de la section ire du titre IV.
« La privation du grade est encourue dans les cas prévus auxarticles 75 et 79 ; elle est prononcée :
« Pour les officiers, par l'Empereur sur un rapport du ministrede la guerre ;
« Pour les sous-officiers, caporaux ou brigadiers par l'autoritémilitaire.
Les officiers, sous-officiers, caporaux ou brigadiers, emplovés àl'administration ou à l'instruction, sont soumis à la disciplinemilitaire pendant la durée de leurs fonctions.
SECTION TROISIÈME
De la mise en activité.
« ART. 15. — A dater de la promulgation de la loi de mise enactivité de la garde nationale mobile, les officiers, sous-officiers,caporaux et gardes nationaux qui la composent sont soumis à la
discipline et aux lois militaires. Ils supportent les charges et
g6 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Aujourd'hui, ce n'est plus sur les champs de bataille, comme
sous la Première République et sous le Premier Empire,
qu'une nation affirmera sa suprématie : c'est dans les usines
et à l'atelier, c'est-à-dire sur le terrain économique.« Malheur aux gouvernements qui ne le comprennent point !
« ... L'empereur (Napoléon III)) avait jusqu'ici prêché la
paix ; cela ne l'a pas empêché d'être victorieux soit en Crimée,
soit en Italie, soit au Mexique. Pourtant, à ce moment-là, il
n'a pas eu besoin d'armements nouveaux.
« Ce qui, dans ces diverses circonstances, a assuré la vic-
toire à nos armes, provient de ce que nos ressources natu-
relles puisées dans notre commerce, notre industrie, notre
agriculture, étaient plus considérables que celles des anta-
gonistes. Ces ressources économiques constituent encore
notre richesse et surtout notre force, notre vraie force.
« En peuplant les casernes, on dépeuple les usines, les ate-
liers et les campagnes. Au lieu d'augmenter ainsi notre puis-
sance, on la diminue; autrement dit, on produit juste l'effet
contraire au but poursuivi.« Pour accroître notre force militaire, le meilleur moyen
est de laisser ou de rendre le plus de bras possible au com-
merce, à l'industrie et à l'agriculture. De la sorte nous serons
invincibles... »
Une autre brochure du même genre : La caserne, par « Un
petit laboureur », disait :
« Où trouvons-nous, nous autres paysans, notre subsis-
tance ? Dans la culture.
jouissent des avantages attachés à la situation des soldats, capo-raux, sous-officiers et officiers de l'armée. »
NOTA. — Le projet de la commission comportait une section
quatrième, mais dont le texte importe peu, car cette section nevise que les dispositions transitoires à prendre au sujet de l'in-
corporation dans la garde mobile des hommes appartenant auxclasses 1863, 1864, 1865, 1866. (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 97
« De quoi avons-nous besoin? De notre champ.« La culture nous est nécessaire, et
'notre champ nous
suffit.
« En quoi la France serait-elle plus forte, si, par exemple,elle s'augmentait de la Belgique ? Naturellement, elle aurait
un territoire plus grand, mais il faudrait aussi de plus grandesressources pour le faire valoir. Ces ressources seraient
fournies par l'impôt. Mais, l'impôt, c'est nous, paysans, qui le
paierions...« Pour prendre la Belgique, il faut des hommes. Mais, ces
hommes, c'est nous qui les donnerions...
« On nous dit que les Allemands, les Autrichiens, les
Russes, les Italiens peuvent nous envahir comme en 1814 et
en 1815. Ne le croyons point I Les peuples n'envahissent pasles autres, lorsqu'on les laisse tranquilles.
«... Pourquoi l'Empereur aurait-il besoin de tant de mil-
liers d'hommes sous les armes ? Tout le monde soldat : mais
alors, plus de cultivateurs, plus d'ouvriers, plus d'employés,
plus d'avocats, plus de médecins, plus de pharmaciens, plusde vétérinaires pour soigner le bétail, plus personne !...
« L'Empereur s'est si bien trompé en faisant le compte des
hommes qu'il lui fallait pour en faire des soldats, que les
députés qui ont étudié son projet le lui ont fait savoir ; mais,ces députés, parce qu'ils s'adressaient à l'Empereur, n'ont pasosé lui dire toute la vérité, et ils prétendenf à leur tour, afin
de ne pas lui déplaire, qu'il faudrait quand même augmenterl'armée.
« Qu'ils lui disent donc la vérité tout entière : la seule
armée qui importe à un pays, c'est une armée de travailleurs.
Cette armée-là rapporte au lieu de dépenser. »
Ainsi donc, si la commission parlementaire avait cru, en
substituant son projet au projet initial du gouvernementenlever à l'opposition tpd| ipir^fe^te. d'alarmer inutilement,
faussement, le pays : ellèSn'avait paj^attqnt son but.
Q8 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Ses remaniements demeuraient aussi inutiles que ses sus-
ceptibilités avaient été exagérées. Les adversaires irréconci-
liables n'en restaient pas moins des irréconciliables, qui ne
s'inquiétaient guère de la nature des arguments à faire valoir
contre le gouvernement, pourvu qu'ils en fissent valoir : bons
ou mauvais.
MANOEUVRES PARLEMENTAIRES
CONTRE LE PROJET
A la séance du 8 juin, au Corps Législatif, dès qu'eut été
déposé le rapport de M. Gressier, au nom de la commission
chargée d'examiner le projet de loi sur l'armée et la garde
mobile, M. le président Schneider annonça que cet impor-
tant document allait être imprimé et distribué.
Un certain délai était nécessaire pour effectuer ce travail
matériel. Néanmoins ce délai devait être court, comparative-
ment surtout à celui qui serait nécessaire à Messieurs les
députés pour prendre connaissance, chacun en particulier,
et d'une manière approfondie, de ce rapport intéressant au
plus haut point.
N'importe ! certains parlementaires —précisément adver-
saires déclarés du projet quel qu'il fût ! —éprouvèrent le
besoin d'affirmer que l'on tardait beaucoup à le faire venir en
discussion. Singulière sollicitude, on en conviendra, à l'égard
d'un projet que l'on combattait, par avance, de parti-pris.
L'incident se produisit, à la séance du 21 juin 1867, au
moment de la fixation de l'ordre du jour de l'Assemblée.
M. Jules Simon monta à la tribune et parla en ces
termes (1) :
« M. JULES SIMON. —Au début de la session, nous avons été
(1) Annales du Sériât et du Corps Législatif, 1867. Tome VII,pages 257 et suiv.
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saisis d'un certain nombre de projets de lois dont notre hono-
rable président vient de nous rappeler la nomenclature.
« Ces projets de loi sont relatifs : l'un à l'organisation de
l'armée, l'autre au droit de réunion, un autre enfin à la liberté
de la presse ; jamais questions plus graves n'ont été soumises
à un Corps délibérant. A peine le public a-t-il su que, dans
la session actuelle, nous aurions à délibérer sur ces trois
grandes lois que toutes les préoccupations de l'opinion se
sont portées de ce côté. (Interruption.)« ... Nous ne devons assurément ni nous en étonner, ni
nous en plaindre.
« Vous n'ignorez pas non plus— souffrez que je le rap-
pelle— et souvenez-vous d'abord que celui qui le rappelle ne
désire rien dire que de très respectueux pour le Corps légis-
latif (mouvement) — vous ne pouvez ignorer, dis-je, que bien
des inquiétudes se sont manifestées dans le public sur l'ac-
cueil qui serait fait par nous aux trois projets de loi déposés ;
et que, dans cette enceinte et au dehors, des plaintes se sont
élevées sur la lenteur du travail de nos commissions .(Rumeurssur plusieurs bancs. —
Approbation sur quelques autres.)« M. BELMONTET. — C'est une étude sérieuse qui a été
faite.
« M. GRESSIER (rapporteur). — Il ne faut pas faire de telles
lois à la hâte.
« PLUSIEURS MEMBRES. — Ce sont les amendements qui ont
retardé les travaux des commissions.
« M. JULES SIMON. — Si je rappelle ces préoccupations, c'est
pour ajouter en mon nom personnel, n'engageant en ce
point aucune autre responsabilité que la mienne, que je ne
veux pas, en ce moment, m'associer aux reproches dont le
Corps Législatif et ses commissions ont été l'objet. (Mouve-
ment en sens divers.)
« M. GRANIER DE CASSAGNAG. — De la part de qui ?
« M. BELMONTET. — C'était une injustice 1 »
100 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
M, Jules Simon avait une singulière façon, on l'avouera, de
porter remède à « la lenteur des travaux de la Chambre »,
dont il se plaignait bien à tort, tout au moins en ce qui con-
cernait le projet sur la réorganisation de l'armée.
Il est vrai que la tactique des obstructionnistes parle-
mentaires est toujours identique. Au lieu de se cantonner
sur le terrain véritable de la discussion, ils font toujoursdévier le débat; et se lamentent ensuite au sujet du temps
perdu !I!
En l'espèce, à la séance du 21 juin (treize jours seulement
après le dépôt du rapport Gressier qui s'imprimait durant cet
intervalle) M. Jules Simon déplorait déjà que l'on ne discutât
point sur le fond du projet, alors qu'il s'agissait d'une
fixation de l'ordre du jour de la Chambre. Non seulement,
il le déplorait, mais encore il s'engageait lui-même sur le
fond ; tandis que ses collègues, n'ayant pas en mains le rap-
port non encore imprimé, ne possédaient pas les éléments
nécessaires à la discussion utile du projet.Le parlementarisme commençait de la sorte à produire ses
effets ses effets oratoires qui se résument en ceci : « Parler
pour ne rien dire, et surtout pour ne rien faire ».
Voici la suite de cette discussion oiseuse :
« M. JULES SIMON. — Le Corps Législatif est saisi; il a
à décider si, oui ou non, il va maintenir les trois lois dont il
s'agit à son ordre du jour. Tout dépend désormais de lui, et
de lui seul...
« Je n'ai certes pas besoin d'ajouter que, mes amis et moi,nous ne tenons pas le même compte des trois lois dont il
s'agit, et que nous ne les considérons pas toutes les trois sous
le même point de vue. Je dirai même en deux mots notre
opinion sur chacune d'elles, afin que la question soit très
claire, et que l'on sache parfaitement le fond de notre
pensée.« La loi militaire est une loi que nous voudrions n'avoir pas
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 101
vu présenter ; nous regrettons qu'elle l'ait été. Si on laréprenait,
nous serions heureux de la voir disparaître (i).
« M. GARNIER-PAGÈS. — Très bien 1
« M. JULES SIMON. — Ou nous sommes menacés d'une
guerre, ou nous sommes en pleine paix. Si, comme je veux
l'espérer, nous ne sommes pas menacés d'une guerre, il ne
faut pas faire une loi qui pose en principe un armement de
800,000 hommes. {Interruptions.)
« M. GRANIER DE CASSAGNAC. — Nous discuterons cela plus
tard.
« PLUSIEURS VOIX. —Laissez parler !
« M. JULES SIMON. — C'est une observation très courte que
je crois nécessaire, et que vous pouvez d'autant mieux
entendre, que, comme je le disais en commençant, jamais on
n'a exprimé sa pensée avec plus de calme et moins de désir
de provoquer une discussion violente. (C'est vrai! Très bien!)
« Je répète donc que, si on est en pleine paix, il ne faut pas
parler d'un armement de 800,000 hommes ; et que, si on est
menacé d'une guerre, ce qu'on peut faire de plus sensé (2),
c'est d'appliquer et de développer les lois de 1818 et de 1832,
éprouvées par quarante années de succès (sic) au lieu
d'essayer, en quelque sorte sous îe feu de l'ennemi, une orga-
nisation militaire nouvelle.
« Tel est mon sentiment sur la loi proposée. Si, pensant
cela, je puis désirer qu'on la discute et qu'on en finisse de
façon ou d'autre avec elle, c'est uniquement à cause de la
préoccupation légitime et poignante qu'elle a produite dans
le pays. (Mouvements divers.) En général, dans un cas pareil»
(1) Et, alors, pourquoi regretter le retard prétendu que subis-
sait sa discussion ? (N. de l'A.)
(2) M. Jules Simon avait déjà oublié que toutes les nations
augmentaient leurs armements et que les lois militaires de 1818
et de 1832 ne pouvaient plus nous suffire. (N. de l'A.)
Ï02 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
un pays aime mieux savoir à quoi s'en tenir que de rester
longtemps dans la douloureuse hésitation où un ajournement.le retiendrait.
« J'ajoute, sur-le-champ, pour mes amis et pour moi, quenous n'avons ni désiré, ni aimé cette loi, et que, si l'ajourne-ment devait en être indéfini, s'il devait équivaloir à un reirait
absolu, nous serions bien loin de nous en plaindre. »
O logique I... M. Jules Simon se plaignait encore prématu-rément de lîajournement du projet et déclarait néanmoins,
une fois de plus, que plus cet ajournement se prolongerait
plus il en serait satisfait.
. Quoi qu'il en soit, le ministre d'État, M. Rouher, crut
devoir répondre à son paradoxal adversaire. Il le fit de la
sorte :
« M. LE MINISTRE. — L'honorable M. Jules Simon veut intro-
duire une distinction dans notre ordre du jour ; il lui semble
que sur ces trois grandes lois (réorganisation de l'armée,
liberté de la presse, liberté de réunion) que vous êtes appelésà délibérer, l'une pourrait sans péril et avec avantage même
disparaître de votre ordre du jour. Je ne veux pas imiter
l'honorable M. Jules Simon qui vous a dit à l'avance et sans
délibération de la part du Corps Législatif qu'il repoussait•
la loi sur l'armée.
« Aux yeux du gouvernement, cette loi est d'une importance
considérable ; elle n'est pas le prolégomène, l'indice préa-
lable, le signe précurseur de je ne sais quelle pensée de
guerre qui pourrait menacer ce pa3^s. Non ! c'est une loi fon-
damentale, c'est une loi organique de l'armée. »
Immédiatement des protestations s'élèvent, et de quels
bancs? Des bancs où siègent les royalistes, comme M. Ber-
ryer, et de ceux où se trouvent les bourgeois soi-disant répu-
blicains, les amis de M. Jules Simon, tel Garnier-Pagès. Et
les uns et les autres montrent une fois de plus qu'ils sont en
parfait accord, en complète communion d'idées.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS Iû3
Mais M. Rouher n'était pas homme à se laisser démonter
pour si peu, il continua, ainsi qu'il suit :
« M. LE MINISTRE. — L'honorable M. Garnier-Pagès insiste
sur les observations de M. Jules Simon et en même tempsl'honorable M. Berryer m'interrompt pour me dire que ce
n'est pas le moment de discuter.
« Je ne veux pas discuter, mais il me paraît impossible, au
nom du gouvernement, de ne pas protester contre l'appré-ciation faite par l'honorable M. Jules Simon. Je me borne à
dire que le gouvernement est convaincu que cette loi est
acceptée par la nation avec un véritable sentiment de patrio-
tisme, et qu'elle est décidée à faire — à l'intérêt de sa dignité,de sa sécurité et de sa grandeur
— tous les sacrifices néces-
saires. »
En terminant, le ministre d'Etat annonça qu'une session
législative aurait lieu en novembre et demanda que la discus-
sion eût lieu à cette époque, afin que le débat revêtît toute
l'ampleur que comportait une question d'une si haute impor-tance.
La fixation de l'ordre du jour, proposée dans ce sens parle président du Corps Législatif, fut très combattue, et donna
lieu à un scrutin public qui eut les résultats suivants : pou?- le
renvoi à la session de novembre, 209 ; contre, 34 ; abstenus,
15 ; absents, 23.
Naturellement les meneurs de l'extrême-droite et de la
gauche votèrent ensemble (1), avec un accord touchant.
(1) Les _34voix contre sont celles de MM. le marquis d'Ande-larre, Berryer, Bethmont, Brame, Buffet, Carnot, le comte de
Chambrun, Chevandier de Valdrôme, Dorian, Garnier-Pagès,Girod-Pouzol, Glais-Bizoin, le général baron Gorsse, le marquisde Grammont, le comte Hallez-Claparède, Hénon, le baron de
Janzé, Léopold Javal, Lambrecht, Latour du Moulin, Magnin,Malézieux, Marie, le duc de Marinier, Martel, Emile Ollivier,
104 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Cet accord, d'ailleurs, se continua naturellement, comme
par le passé, en dehors de l'enceinte du Corps Législatif.
Pendant les vacances parlementaires, une campagne d'une
nouvelle violence fut menée dans le pays contre la réorga-nisation de l'armée. Royalistes et bourgeois républicains
donnèrent réunion sur réunion, afin d'essayer d'ameuter défi-
nitivement l'opinion contre le service universel obligatoire qui
allait « dépeupler les villes et les campagnes ».
C'est surtout du côté des classes favorisées de la nation,
déjà travaillées depuis des mois dans ce but, que se tendirent
les efforts des parlementaires. Désarmement, paix universelle,
humanitarisme : tel était le trinôme du leit-motiv, chanté de
toutes parts par ces politiciens en quête de popularité facile.
Pendant ce temps, les souverains de l'Europe venaient
nombreux à l'Exposition universelle, ouverte à Paris.
M. de Bismarck y avait accompagné le roi Guillaume de
Prusse. Et il est bien certain que le ministre prussien, qui avait
rentré ses griffes après la Conférence de Londres — donnant
toute satisfaction à la France sur la question du Luxembourg— devait être charmé de rencontrer, dans notre propre pays,des auxiliaires aussi précieux que ces parlementaires fran-
çais combattant le principe même de la réorganisation de
notre armée nationale !
Pelletan, Picard, Pieron-Leroy, Planât, Maurice Richard, JulesSimon, Thiers et de Tillancourt.
MM. Jules Favre, Guillaumin, le marquis de Nesle, le princede Beauvau, le baron Ravinel, le comte Toulongeon, etc., étaient
parmi les absents.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS IO5
POUR LE ROI DE PRUSSE
M. de Bismarck venait en quelque sorte constater par lui-
même si, pour les desseins qu'il nourrissait déjà (i) incontes-
tablement, il trouverait en France un « terrain tout pré-
paré ».
Il put s'en rendre compte de visu et de audihi. L'opposition
parlementaire lui facilitait la tâche, le servait à souhait, tra-
vaillait le mieux du monde « pour le roi de Prusse ».
L'espionnage allemand pouvait battre son plein, dans notre
pays : il ne rendait pas plus de services à l'ennemi éventuel
que les hommes appartenant aux sphères opposantes du pou-voir Législatif, tout disposés au surplus à ne pas fournir au
gouvernement français les crédits suffisants pour paralyserchez nous les efforts des agents secrets de M. de Bismarck.
L'arrière-pensée allemande? Les Thiers, les Berryer,les Jules Simon, les Garnier-Pagès, etc., tous.les royalisteset tous les pseudo-républicains l'avaient niée solennellement
au sein même du Corps Législatif.
Quant à l'espionnage, méthodiquement préparé : l'opposi-tion s'indignait d'autant plus à son évocation qu'il était,
alors, dirigé en France par « l'un des plus sincères et des
plus farouches agitateurs » du mouvement social qui avait
secoué l'Allemagne en 1848, et qui s'appelait Stieber.
(i) Se reporter à la page 78 de ce chapitre, au passage du dis-cours prononcé, le 15 mars 1867, à la tribune du Corps Législatif,par M. Garnier-Pagès, dans lequel celui-ci affirmait textuelle-ment : « Pour ma part, je l'avoue, je crois que M. de Bismarck a« entrepris une chose impossible. 11 a entrepris une chose qu'il« ne réalisera pas, qu'il ne peut pas réaliser... ». Quelle patrio-tique clairvoyance chez M. Garnier-Pagès et chez toute l'oppo-sition ! (N. de l'A.)
106 I87O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« On trouve les premières traces de Stieber, homme public,— raconte Paul Lanoir, dans son livre l'Espionnage alle-
mand en France (1) — au début du mouvement insurrection-
nel de 1848.« Avocat sans clientèle, mais orateur attitré et aimé des
clubs, il servit d'indicateur à la police qui l'employa pour
connaître, puis — conséquence logique—
emprisonner ou
fusiller ceux dont le gouvernement prussien craignait Faction
militante.
« En 1847, alors âgé de vingt-neuf ans, Stieber, se présen-tant comme avocat libéral poursuivi par la haine du gouver-
nement, sut se faire admettre par ruse dans les usines de
MM. Schceffel, de Silésie, d'où le mouvement socialiste sem-
blait devoir partir.« Logé et nourri — ne devrions-nous pas écrire : caché par
pitié —par MM. Schceffel, sur recommandation d'un ami mal
avisé, Stieber, jouant son rôle, profita de l'hospitalité qui lui
était généreusement accordée pour capter le coeur de la fille
d'un des deux directeurs des usines — devenue plus tard
Mme Stieber — en même temps qu'il excitait les ouvriers à la
« lutte des classes », puis qu'il compromettait l'autre direc-
teur de l'usine, l'oncle de sa fiancée, qu'il eût l'audace de
dénoncer ensuite dans ses.rapports journaliers comme encou-
rageant les menées socialistes et poussant les ouvriers à la
révolte contre le gouvernement.« Du fait des dénonciations de Stieber : ce malheureux,
absolument étranger à ce dont il était accusé, fut arrêté,
poursuivi et condamné à une année de forteresse.
« C'est par cet acte que Stieber entra dans la vie publique.« Devenu suspect à tous, excepté à Hedwige — l'amour est
aveugle ! — Stieber quitta les usines Schceffel et se lança
(1) L'Espionnage allemand en France, par Paul Lanoir, page 20et suiv.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS IO7
ensuite dans le mouvement révolutionnaire pour le compteet à la solde de la police.' « Ses discours enflammés en faveur des « revendications
prolétariennes » et de la « révolution sociale » attirèrent à lui
la masse des convaincus, constituée dès lors en parti d'oppo-sition gouvernementale, dont Stieber, évidemment, prit la
tête et dont les libéraux et les démocrates vinrent ensuite
grossir les rangs.« C'est ce farouche ennemi de l'ordre qui, comme avocat,
défendit presque tous les accusés de crimes de haute trahison
et de rébellion pendant la période troublée de 1848, donnant
ainsi un gage aux ouvriers que déjà il entôlait. »
En raison de ses inappréciables services à la cause proléta-
rienne, Stieber avait été admirablement reçu dans certains
milieux à Paris, lorsqu'il était venu s'installer en France, fin
l86ô-commencement 1867, après de multiples avatars à tra-
vers l'Europe, depuis la période troublée de 1848.L'idée lui en était venue après Sadowa, ainsi que le rapporte
encore Paul Lanoir. « C'est à ce moment de sa toute puis-sance (septembre 1866) que Stieber, craint ou respecté de tous,s'ouvrit à Bismarck de son projet d'organisation nouvelle de
l'espionnage en France. Ce service sera assuré, disait Stieber,« sur les bases de celui de Bohême (pendant la guerre austro-
prussienne), mais avec beaucoup plus de méthode, de pru-dence et aussi d'envergure. » Il demandait « deux choses » à son
maître pour être à même de pouvoir lui adresser chaque se-
maine, avant dix-huit-mois, un rapport détaillé sur l'état d'espritdes villes où déjà le service existait et en outre sur chacune de
celles « où devraient passer des armées allemandes, se diri-
geant sur Paris par la trouée" des Vosges, et, de la Belgiqueau même point, par les départements du Nord de la France. »
Les deux choses étaient des subsides suffisants en même
temps que « carte blanche » pour opérer au mieux des inté-
rêts de l'Allemagne.
108 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« 'Stieber prenait l'engagement d'agir complètement en
dehors du service des ambassades, de qui son personneldevrait rester ignoré ou tout au moins complètement inconnu.
« Un mois après, octobre 1866, le budget de 610,000 francs
(160,000 thalers) déjà « destinés à assurer à l'Etat un service
utile d'informations », selon la propre expression de M. de
Puttkamer, était porté à 1.300,000 francs. Et Stieber possédait« carte blanche > pour agir à son gré, au mieux des intérêts
du service dont il venait d'accepter la charge.«... Stieber se rendit en France..., triste avant-garde des
armées qui, moins de quatre années plus tard, devaient à leur
tour envahir notre territoire. »
M. de Bismarck, lors de son voyage en compagnie du roi
Guillaume à l'Exposition Universelle, tint à voir lui-même
Stieber à l'oeuvre, à Paris. Il le fit venir à Berlin pour lui
donner ses instructions et l'amena avec lui, sous un dégui-sement.
Stieber assista, près de M. de Bismarck, aux fêtes du Champ-
de-Mars, au mois de juin 1867, données en l'honneur des sou-
verains et auxquelles assistèrent, entre autres, l'empereur de
Russie et le roi de Prusse, que devaient escorter MM. de
Moltke et de Bismarck.
L'auteur de l'Espionnage allemand en France note à ce pro-
pos les faits suivants :
« Chacun sait le rôle joué en cette circonstance par la chan-
cellerie allemande, qui craignait de voir Napoléon III gagnerle tzar Alexandre II à ses projets d'alliance. De là, les
manoeuvres de M. de Bismarck, qui aboutirent à l'invitation,
non du tzar seul, mais aussi du roi Guillaume, aux grandesfêtes de juin 1867.
« Stieber partit donc de Berlin dans le train royal, le 4 juin.Au sujet de ce séjour simultané de Stieber et de Bismarck à
Paris, une anecdote est à rappeler.« Au passage du train royal à la frontière franco-allemande,
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS IO9
Stieber reçut de son chef d'espionnage, placé à Paris et
demeurant rue des Halles, une dépêche lui demandant de
venir le voir « le sçir même » de son arrivée à Paris. « Il
s'agit, disait la dépêche, d'une affaire grave et de toute
urgence. »
« L'agent avait toute la confiance de son chef; c'était lui
qui, depuis 1866, était chargé d'espionner et de provoquer les
Polonais réfugiés, et dont les réunions se tenaient alors dans
le légendaire petit chalet situé au haut de l'avenue de Clichy,
au fond d'un jardin, à quelques pas des fortifications.
« Le rendez-vous était fixé à Stieber dans l'antique cabaret
borgne du Caveau, tout près des Halles.
« Aussi, dès son arrivée, le 5 juin, à l'ambassade de la rue
de Lille, où il logeait, ainsi que M. de Bismarck, le policier se
travestit en maquignon, et, affublé d'une de ses perruques et
d'une de ses barbes postiches, sortit, héla un fiacre et se ren-
dit au rendez-vous qui lui était fixé.
« Or, c'est dans cet entretien qu'il apprit par son agent que
les Polonais, réunis la veille, 4 juin, avenue de Clichy, avaient
décidé de tuer le tzar (1), lorsqu'il se rendrait, le 6 au matin,
à la grande revue de Longchamp.« Non seulement, dit l'agent, ils ont décidé de tuer le tzar,
mais ils ont tiré au sort pour savoir celui qui devait frapper.
Voici le nom sorti de l'urne, et — disant cela —l'agent ten-
dit à son chef un papier portant « Bolislas Berezowski » ; et,
pendant que Stieber lisait, son agent ajouta : « C'est un jeune
Polonais résolu, un fanatique, on ne pouvait mieux choisir. »
Les Mémoires de Stieber sont infiniment instructifs à cet
égard. Stieber dit à son agent de ne pas perdre de vue Bere-
(1) Coïncidence curieuse : le tzar allait être précisément saluéalors par un avocat républicain, c'est-à-dire par un fils de la bour-
geoisie républicaine, M. Ch. Floquet, d'un retentissant : « Vivela Pologne, Monsieur ! » (N. de l'A.)
110 I87O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
zowski, de le faire surveiller pas à pas, et de revenir prendredes instructions à minuit. Pendant ce temps, Stieber rejoignitsans retard M. de Bismarck.
« —J'ai, lui dit-il, une communication de la plus haute
importance à faire à votre Excellence.
« —Voyons ! de quoi s'agit-il ? demanda le comte (de Bis-
marck), quand ils furent installés (dans la voiture du chance-
lier) et que l'attelage partait au grand trot dans la direction du
Bois.
« — C'est, dit Stieber, en se rapprochant du comte, au sujetd'un projet d'assassinat de l'empereur de Russie, pour
demain, en revenant de la revue de Longchamp... Naturelle-
ment, je me suis bien gardé de faire arrêter l'assassin, mais
j'ai donné l'ordre à un de mes meilleurs agents de le suivre
pas à pas et de ne pas le quitter.« —Très bien ! souligna M. de Bismarck, de cette façon, si
par hasard la police française ne l'arrête pas à temps, il yaura certainement autour de lui, au moment propice, un de
vos agents qui, tout en laissant se produire la détonation, sai-
sira le bras de l'assassin et fera dévier le coup mortel.
« — J'affirme que cela se passera ainsi. »
Et Stieber, dans ses Mémoires, rapporte cette autre obser-
vation de Bismarck:
« — Comme cela le crime sera évité, mais la tentative
subsistera. Avez-vous réfléchi aux conséquences politiquesd'un tel événement, mon cher Stieber? Le tzar Alexandre,
voyant que la police française n'aura pas su le protéger,
quittera la France sous la plus fâcheuse impression... S'il en
est ainsi bien des projets tomberont dans l'eau et le charmeur
(Napoléon III) en sera pour ses frais d'amabilité et ses projetsd'alliance... Et, si l'auteur delà tentative échappait au dernier
châtiment, si un jury de bons bourgeois, « pleurant comme
des veaux » quand l'avocat les apitoiera sur le sort de la
malheureuse Pologne, ne condamnait pas l'assassin à mort :
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS III
il y aurait une terrible émotion à Saint-Pétersbourg, et la
brouille existerait profonde et pour longtemps entre la
France et la Russie... Et, moi, j'aurais un grand souci de
moins en tête. »
Tous les soucis de M. de Bismarck — qui en avait tant
depuis la solution, piteuse pour la Prusse, de l'affaire du
Luxembourg — devaient se dissiper les uns après les autres.
La tentative de Berezowski contre le tzar tourna, de pointen point, comme il l'avait souhaité. Bien mieux, l'attitude des
opposants français, dont il put se rendre compte par lui-
même, autorisait, encourageait tous ses espoirs et lui prépa-rait les voies parallèlement avec les agissements de ses
espions.C'est qu'en effet, la bourgeoisie orléano-républicaine, le
monde des carrières libérales se laissaient de plus en plusentraîner par les sophismes des rhéteurs qui tonitruaient
contre le « casernisme » et le « militarisme ».
Si les masses laborieuses, elles, semblaient rester et res-
taient en réalité impassibles devant ces excitations d'un paci-fisme outrancier ; par contre, les classes dirigeantes ne pou-vaient pas ne pas rester insensibles aux arguments perfidesdes adversaires d'un gouvernement qu'elles n'aimaient pas
elles-mêmes, et pour cause !
UN NOUVEAU PROJET
La campagne menée contre la réorganisation de l'armée
avait donc porté ses fruits.
La bourgeoisie libérale — qui comprenait parfaitementla caserne pour les « fils du peuple », mais tenait à en éviter
les affres à ses propres enfants — montrait un réel mécon-
tentement... Celui-ci provenait aussi, il faut bien le dire,.
112 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
des nouvelles réformes démocratiques et sociales accomplies
par l'Empereur, dont le rêve, on le savait, était, en outre,
d'établir prochainement, sur une base sérieuse et sans danger
pour nos finances, des retraites ouvrières en faveur du prolé-tariat des villes et des campagnes (1).
Quel que fût le mobile qui poussât cette partie de l'opinion
à obéir si facilement aux suggestions des parlementaires
hantés par le désir d'être réélus à bon compte : les sphères
gouvernementales ne pouvaient pas ne pas en tenir compte.
Telle était la résultante des concessions libérales déjà faites
sur le terrain constitutionnel et qui commençait d'imposer à
l'Exécutif la domination, la tyrannie du Législatif.
Napoléon III le constata dans le discours qu'il prononça, le
18 novembre 1867, à une heure de l'après-midi, au Louvre,
pour l'ouverture officielle de la session législative.
Ce discours, prononcé devant les corps constitués, mérite
d'être reproduit presque in-extenso. Le voici :
« Messieurs les sénateurs,
« Messieurs les députés,
« La nécessité de reprendre l'étude interrompue de lois
importantes m'a obligé de vous convoquer plus tôt que de
coutume. D'ailleurs, de récents événements m'ontfait éprouver
le besoin de m'entourer de vos lumières et de votre concours.
« Depuis que vous êtes séparés, de vagues inquiétudes sont
venues affecter l'esprit public en Europe et restreindre partout
le mouvement industriel et les transactions commerciales.
Malgré les déclarations de mon gouvernement, qui n'a jamais
(1) La question des retraites pour la vieillesse était d'autant
plus facile à solutionner, alors, que le budget de 1868 (voirAnnales du Sénat et du Corps Législatif, 1867. Tome I, annexes,page 36) s'élevait exactement à 1.548.775.621 fr., soit un milliardet demi, au lieu de quatre milliards et demi que l'on paie aujour-d'hui. (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS Il3
varié dans son attitude pacifique, on a répandu cette croyance
que toute modification dans le régime intérieur de l'Allemagnedevait être une cause de conflit. Cet état d'incertitude ne
saurait durer plus longtemps. Il faut accepter franchement
les changements survenus de l'autre côté du Rhin, proclamer
que, tant que nos intérêts et notre dignité ne seront pas
menacés, nous ne nous mêlerons pas des transformations qui
s'opèrent par le voeu des populations.« Les inquiétudes qui se sont manifestées s'expliquent
difficilement à une époque où la France a offert au monde le
spectacle le plus imposant de conciliation et de paix.« L'Exposition universelle, où se sont donné rendez-vous
presque tous les souverains de l'Europe, et où se sont ren-
contrés les représentants des classes laborieuses de tous les
pays, a resserré les liens de fraternité entre les nations. Elle
a disparu, mais son empreinte marquera profondément sur
notre époque ; car, si, après s'être élevée majestueusement,
l'Exposition n'a brillé que d'un éclat momentané, elle a détruit
pour toujours un passé de préjugés et d'erreurs. Entraves dutravail et de l'intelligence, barrière entre les différents peuplescomme entre les différentes classes, haines internationales :voilà ce qu'elle a rejeté derrière elle.
« Ces gages incontestables de concorde ne sauraient nous
dispenser d'améliorer les institutions militaires de la France.
C'est un devoir impérieux pour les gouvernements de pour-
suivre, indépendamment des circonstances, le progrès dans
tous les éléments qui font la force du pays, et c'est pour nous
une nécessité de perfectionner notre organisation militaire,comme nos armes et notre marine.
« Le projet de loi présenté au Corps Législatif répartissaitentre tous les citoyens les charges du recrutement. Ce sys-tème a paru trop absolu, des transactions sont venues en
atténuer la portée. Dès lors, j'ai cru devoir soumettre cette
haute question [à de nouvelles études. On ne saurait, en
8
114 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
effet, approfondir avec trop de soin ce difficile problème quitouche à des intérêts si considérables et souvent si opposés.
« Mon gouvernement vous proposera des dispositions nou-
velles qui ne sont que de simples modifications de la loi de
1832, mais qui atteignent le but que j'ai toujours poursuivi :
réduire le service pendant la paix et l'augmenter pendant la
guerre.« Vous les examinerez, ainsi que l'organisation de la garde
nationale mobile, sous l'impression de cette pensée patrio-
tique que plus nous serons forts, plus la paix sera assurée. »
Après avoir passé brièvement en revue la situation inter
nationale et montré que tout était à la paix, l'Empereurcontinuait ainsi :
« La politique étrangère nous permet donc de consacrer
tous nos soins aux améliorations intérieures. Depuis votre
dernière session, le suffrage universel a été appelé à élire un
tiers des membres des conseils généraux. Ces élections, faites
avec calme et indépendance, ont partout démontré le bon
esprit des populations. Le voyage que j'ai fait avec l'Impéra-trice dans l'Est et le Nord de la France a été l'occasion de
manifestations de sympathie qui m'ont profondément touché.
J'ai pu constater une fois de plus que rien n'a pu ébranler la
confiance que le peuple a mise en moi...
« De mon côté, je m'efforce sans cesse d'aller au devant
de ses voeux.
« L'achèvement des chemins vicinaux était réclamé par ces
classes agricoles dont vous êtes les représentants éclairés.
Donner satisfaction à ce besoin était pour nous un acte de
justice, je dirai presque de gratitude. Une vaste enquête en
prépare la solution. Il vous sera facile, de concert avec mon
gouvernement, d'assurer le succès de cette grande mesure.
« La situation n'est sans doute pas exempte de certains
embarras. Le mouvement industriel et commercial s'est
ralenti : ce malaise est général en Europe. Il tient en grande
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS Il5
partie à des appréhensions que la bonne entente qui règneentre les puissances fera disparaître. La récolte n'a pas été
abondante, la cherté était inévitable ; mais le libre commerce
peut seul assurer les approvisionnements et niveler les prix.« Si ces causes diverses empêchent les recettes d'atteindre
complètement les évaluations du budget, les prévisions des
lois de finances ne seront pas modifiées, et il est permis d'en-
trevoir l'époque où des allégements d'impôt pourront être
étudiés.
« Cette session sera principalement employée à l'examen
des lois dont j'ai pris l'initiative au mois de janvier dernier.
Le temps écoulé n'a pas changé mes convictions sur l'utilité
de ces réformes. Sans doute l'exercice de ces libertés nou-
velles expose les esprits à des excitations et à des entraîne-
ments dangereux ; mais je compte à la fois, pour les rendre
impuissants, sur le bon sens du pays,<le progrès des moeurs
publiques, la fermeté de la répression, l'énergie et l'autorité
du pouvoir.« Poursuivons donc l'oeuvre que nous avons entreprise
ensemble. Depuis quinze ans notre pensée a été la même :
maintenir au-dessus des controverses et des passions hostiles
nos lois fondamentales que le suffrage populaire a sanction-
nées, mais en même temps développer nos institutions libé-
rales sans affaiblir le principe d'autorité.
« Ne cessons pas de répandre l'aisance par le prompt achè-
vement de nos voies de communication, de multiplier les
moyens d'instruction, de rendre l'accès de la justice moins
dispendieux par la simplification des procédures, de prendretoutes les mesures qui peuvent rendre prospère le sort du
plus grand nombre.
« Si, comme moi, vous demeurez convaincus que cette voie
est celle du progrès véritable et de la civilisation, continuons
à marcher dans cet accord de vues et de sentiments, qui est
une précieuse garantie du bien public.
Il6 187O-7I— OïtrGINES ET RESPONSABILITÉS
« Vous adopterez, j'en ai l'espoir, les lois qui vous sont
soumises ; elles contribueront à la grandeur et à la richesse
du pays ; de mon côté, soyez en sûrs, je maintiendrai haut
et ferme le pouvoir qui m'a été confié, car les obstacles ou les
résistances injustes n'ébranleront ni mon courage, ni ma foi
dans l'avenir. »
L'appel adressé par l'Empereur aux représentants était
explicite, et les indications fourmes on ne peut plus claires,tant au point de vue de l'intérieur qu'au point de vue du
dehors.
Qu'avait à faire, dans ces conditions, le Corps Législatif,sinon hâter le plus possible le débat sur la réorganisation de
l'armée et sur l'organisation de la garde mobile ?
Or, dès le lendemain, 19 novembre, à la première séance
tenue au Palais-Bourbon, c'est-à-dire à la séance de début
et de simple forme, M. Jules Favre demandait la parole pour
déposer, d'un seul coup, trois interpellations, dont deux spé-cialement pouvaient entraîner des discussions interminables :
l'une sur la politique extérieure du gouvernement, l'autre sur
sa politique intérieure.
C'était marquer qu'on voulait rejeter aux calendes, aux
calendes parlementaires, la réorganisation de nos forces
nationales.
La Chambre se laisserait-elle prendre à cette tactique?
LE TEXTE REMANIE
Le 20 novembre, M. le président Schneider annonçaitheureusement, du haut de la tribune du Corps Législatif,qu'il avait reçu ampliation du décret ordonnant l'envoi endiscussion du projet entièrement refondu sur l'armée et la
garde nationale mobile.
Immédiatement, les amis de M. Jules Favre, changeant
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS II7
brusquement d'attitude et forçant la note dans l'autre sens,
crièrent : « La lecture ! la lecture ! » (i).
« M. GLAIS-BIZOIN. — Oui, la lecture !
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Je donne lecture des dispo-
sitions modificatives, puisque la lecture est demandée » (2).
(1) Annales du Sénat et du Corps Législatif, 1867, 2e session.
Tome I, page n.
(2) Voici le texte de ce troisième projet :
TITRE PREMIER
Du recrutement de l'armée.
ARTICLE PREMIER
« Les articles 30,33 et^6 de la loi du 21 mars 1832 sont modifiésainsi qu'il suit :
« ART. 30. — La durée du service des jeunes soldats appeléssera de neuf ans, qui compteront du ier juillet de l'année du
tirage au sort.« En temps de paix, les jeunes soldats ne pourront pas être
retenus plus de einq ans sous les drapeaux. Les causes d'exemp-tion prévues par les nos 3, 4, 5, 6 et 7 de l'article 13 de la pré-sente loi devront, pour produire leur effet légal, exister au jouroù le conseil de revision sera appelé à statuer. Celles quisurviendront entre la décision du conseil de revision et le-Ier juillet ne modifieront pas la position légale des jeunes gensdésignés pour faire définitivement partie du contingent.
« Le 30 juin de chaque année, en temps de paix, les soldats
qui auront achevé leur temps de service recevront leur congédéfinitif.
« Ils le recevront, en temps de guerre, immédiatement aprèsl'arrivée au corps du contingent destiné à les remplacer.
« Lorsqu'il y aura lieu d'accorder des congés illimités, ils
seront délivrés, dans chaque corps, aux militaires les plus anciensde service effectif sous les drapeaux, et de préférence à ceux
qui les demanderont.« Les hommes laissés ou envoyés en congé pourront être sou-
mis à des revues et à des exercices périodiques qui seront fixés
par le ministre de la guerre.« Les hommes laissés ou envoyés en congé pourront être
Il8 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Le nouveau texte dont le président Schneider venait de
donner lecture constituait le titre premier du projet entièrement
refondu concernant l'armée elle-même, active'et réserve.
Mais le titre second relatif à la « garde nationale mobile » avait
été conservé tel qu'il avait déjà été publié par la commis-
sion (1), au mois de juin précédent. Or, ce titre second était,
en définitive, le plus important puisqu'il avait trait à la pré-
paration et à l'organisation de nos réserves en cas de guerre.
Le président du Corps Législatif n'eut donc pas besoin
soumis à des revues et à des exercices périodiques qui serontfixés par le ministre de la guerre.
« Les hommes laissés ou envoyés en congé pourront se marierdans les deux dernières années du service.
« ART. 33.— La durée de l'engagement volontaire sera de
deux ans au moins.« L'engagement volontaire ne donnera lieu à l'exemption
prononcée par le n° 6 de l'article 13 de la présente loi qu'autantqu'il aura été contracté pour une durée de neuf ans.
« Dans aucun cas, les engagés volontaires ne pourront être
envoyés en congé sans leur consentement.« ART. 36.
— Les engagements ne pourront être reçus quependant le cours de la dernière année de service .sous les dra-
peaux, ou de l'année qui précédera l'époque de la libérationdéfinitive. Après cinq ans de service sous les drapeaux, ils don-neront droit à une haute paye.
ARTICLE 2.
« Les titres II, III et V de la loi du 26 août 1855, relative à ladotation de l'armée, et les lois des 24 juillet 1860 et 4 juin 1864sont abrogés.
a Les substitutions d'hommes sur la liste cantonale et le rem-
placement sont autorisés conformément aux articles 17, 18, 19,20, 21, 22, 25, 24, 28 et 29 de la loi du 21 mars i8jj2, lesquelssont remis en vigueur.
« Est également remis en vigueur le titre III de la même loi,sauf les modifications apportées aux articles 33 et 36 par l'ar-
ticle Ier de la présente loi. »
(1) Se reporter, page 90 et suivantes du présent livre. (N. de
l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS I 19
d'en donner à nouveau lecture. Il fit seulement cette obser-
vation :
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —Je propose de renvoyer le
projet modificatif à la commission qui a été saisie du premier
projet. »
Mais une nouvelle manoeuvre dilatoire se dessina aussitôt
sous la forme suivante :
« M. GLAIS-BIZOIN. — Non ! non ! à une nouvelle commis-
sion. C'est un nouveau projet de loi !... (Réclamations sur un
grand nombre de bancs.)
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —Je ne crois pas qu'on
puisse dire que c'est un nouveau projet de loi. J'ai lieu de
penser, au contraire, que la Chambre sera d'avis que quand
une commission a travaillé si longtemps, si consciencieu-
sement et si laborieusement {oui ! oui I) sur'tin projet de loi,
on ne peut, dans l'intérêt même des travaux, renvoyer à une
autre commission unprojet modificatif. » (C'est vrai! c'est vrai!)
Cette réflexion était aussi sage que juste. N'importe ! les
opposants de droite et de gauche ne reculaient devant aucun
« artifice de procédure » pour éloigner maintenant un projet
dont ils avaient eu l'audace, six mois plus tôt, de réclamer à
cor et à cri la discussion... juste à la veille des vacances par-
lementaires.
Mais ces manoeuvres d'obstruction, quoique habilement
conduites par MM. Ernest Picard, Glais-Bizoin et de Tillan-
court, n'aboutirent pas, en l'occurrence. La Chambre envoya
le texte modificatif à l'ancienne commission, pour que le
projet définitif vînt en discussion le plus tôt possible.
L'ancien rapporteur, M. Gressier, fut chargé du rapport (l)
supplémentaire.
(1) Rapport n° 10, Annales. Tome II (annexes), 2e session de
1867.
120 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Il le déposa sur le bureau du Corps Législatif à la séance
du 12 décembre.
Ce jour-là, M. Gressier achevait, à la tribune, la lecture
des articles du projet, lorsqu'il fut interrompu de la façonsuivante :
« M. JULES FAVRE. — C'est la France encasernée ! (Rumeurs
et bruit.)
Cette réflexion —saugrenue autant qu'inexacte — une fois
lancée, aussitôt les procédés dilatoires reprirent de plus belle.
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —J'appelle maintenant la
Chambre à régler son ordre du jour.« Je lui propose de fixer dès ce moment à son ordre du
jour trois lois dans l'ordre suivant :
1° La loi sur l'armée ;
2° La loi sur la presse ;
3° La loi sur le droit de réunion. {Marques d'assentiment.)« M. ERNEST PICARD. — Je demande l'ordre inverse.
« M. GLAIS-BIZOIN. — Nous demandons qu'on mette d'abord
à l'ordre du jour le projet de loi sur le droit de réunion...
« PLUSIEURS MEMBRES. — Non, non ! La loi sur l'armée
d'abord !
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Messieurs, vous allez voter
tout à l'heure...
« M. LABARRURE. —Je demande la parole.
« Messieurs, je crois que personne ici ne veut ajourner
systématiquement les trois projets de loi qui sont en présenceni aucun d'eux... (Nonl non !) Mais, il y a évidemment un
ordre de priorité à établir pour la discussion de ces projets,
suivant l'urgence des intérêts à régler. Or, la loi du contin-
gent de l'armée n'est pas encore votée pour la classe de 1867et ne peut l'être qu'après la discussion de la loi organisatrice
de l'armée et de la garde nationale mobile. (C'est évident/)« Voilà pourquoi il me semble que le projet de loi le plus
urgent est le projet de loi sur l'organisation militaire. Je
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 121
demande donc qu'on veuille bien lui donner la préférence.
{Oui! oui! très bien. — Aux voix !)« M. JULES FAVRE, de sa place. — La raison qui vient d'être
donnée par l'honorable préopinant me paraîtrait à moi devoir
provoquer de la part de la Chambre une résolution contraire
à ses conclusions. {Mouvements divers.)« En effet, la loi sur le contingent devrait être, si nous res-
tons dans les termes ordinaires, votée à la fin de l'année. Or,
il est impossible que la loi sur l'organisation de l'armée
puisse subir l'épreuve définitive du vote de la Chambre avant
cette époque.« PLUSIEURS MEMBRES. — Si 1 si !
« M. JULES FAVRE. — Nous sommes au milieu de décembre
et assurément la discussion que provoquera un projet de loi
de cette importance demandera à la Chambre plusieurs
semaines. [Dénégations sur un grand nombre de bancs.)« Voix AUTOUR DE L'ORATEUR. — Oui ! oui !
« UN MEMBRE. — Raison de plus pour commencer par là !
« M. JULES FAVRE. — Il me paraîtrait donc tout à fait raison-
nable que nous votassions d'abord la loi sur le contingent,caria loi qui fixe le contingent ne détermine, en définitive, quele nombre d'hommes qui sont appelés sous les drapeaux. Puis,
la Chambre s'occuperait du projet de loi sur l'armée, n'étant
plus ainsi gênée par cette échéance, à laquelle, évidemment,
elle ne pourrait pas autrement faire honneur, car il lui sera im-
possible, dans aucun cas, de pouvoir voter la loi sur l'armée
avant l'expiration de l'année, dont la fin est cependant l'expi-
ration légale du vote de la loi sur le contingent. {Réclama-
tions.)
« PLUSIEURS MEMBRES. — Il n'y a pas de terme légal !
« M. GRESSIER {rapporteur).—
Je demande la parole.« M. JULES FAVRE. — Il me semble qu'une pareille marche
ne peut blesser aucune susceptibilité, car elle réserve tous les
droits ; le gouvernement pourra détacher de la loi militaire la
122 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
loi sur le contingent; qu'il nous l'apporte, et elle sera votéesans discussion. (Interruptions diverses.) La discussion géné-rale de notre organisation militaire viendra ensuite plus libre-ment et plus complètement sur la loi relative à l'armée... »
Décidément M. Jules Favre et ses amis se réfugiaient dansle maquis de la procédure... parlementaire.
La dernière manoeuvre tentée en faveur de l'atermoiementétait habile : la Chambre pouvait s'y laisser prendre ! Oui,elle pouvait être tentée de voter simplement la loi qui, tousles ans, à pareille époque, fixait le contingent militaire, etremettre à plus tard la loi organique que d'autres débats
opportuns repousseraient certainement alors à un terme pluséloigné jusqu'à l'ajournement indéfini.
Aussi le rapporteur, sentant le danger, avait-il demandéla parole.
LA DISCUSSION GENERALE
AURAIT-ELLE LIEU, ET QUAND ?
M. Jules Favre ayant terminé les observations insidieuses
qu'il formulait, de sa place, le président Schneider donna
sur-le-champ la parole à M. Gressier, rapporteur.Celui-ci escalada immédiatement la tribune et mit en
lumière, d'un seul coup, l'inanité des critiques du porte-
parole de l'opposition de droite et de gauche.« M. GRESSIER. —-Je ne prends la parole que pour rectifier
deux erreurs qui viennent d'être commises par notre hono-
rable collègue, M. Jules Favre.« Il a commencé par indiquer qu'il y avait possibilité de
voter d'abord la loi du contingent, sauf à appliquer ensuite laloi nouvelle sur l'organisation militaire.
« Ce serait évidemment, et il est trop jurisconsulte pour ne
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 123
pas s'en apercevoir, donner à la loi nouvelle, quand elle sera
votée, un effet rétroactif. Si le contingent était immédiate-
ment voté, le contingent serait régi par la loi de 1832. (C'est
évident !)
« Il est une seconde erreur commise par l'honorable
M. Jules Favre. Elle consiste à supposer que la loi du contin-
gent doit être nécessairement votée avant le Ier janvier 1868.
« Il n'en est pas ainsi. Il suffit que la loi du contingent soit
votée avant le tirage au sort, ou même avant la revision ; elle
domine ces opérations, elle les règle, elle en est le point de
départ ; mais, du moment qu'elle les précède, peu importe à
•quelle époque elle est votée. (C'est cela ! Très bien !)« Donc la question de savoir si la discussion du projet de
loi dont la Chambre a entendu la lecture durera plus ou moins
longtemps, se terminera ou ne se terminera pas avant le
Ier janvier, est une considération qui évidemment doit être
•écartée, qui ne doit pas être accueillie par vous, lorsqu'il s'agit
de la fixation de votre ordre du jour.
« M. JULES FAVRE. — Donc, il n'y a pas urgence.« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — On vous a entendu tout à
l'heure, veuillez maintenant écouter la réponse.« M. GRESSIER. — C'est en dehors de cette considération
qu'il faut chercher la raison de la mise à l'ordre du jour du
-projet de loi sur l'armée.
« J'avoue que, pour mon compte personnel, je n'ai aucun
parti-pris à cet égard, tout en faisant remarquer cependant
que c'est une loi qui intéresse encore à un plus haut point les
familles que celles de la presse et du droit de réunion, et qu'il
y a un vif intérêt à ne pas les laisser plus longtemps dans
l'inquiétude.
« Quoi qu'il en soit, et tout en désirant autant que qui que
ce soit dans cette Chambre que la loi sur la presse qui a donné
lieu à des suppositions regrettables et toujours inexactes, soit
le plus promptement votée, je déclare que la presse n'a pas à
124 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
se plaindre du régime de transition sous lequel elle vit en ce
moment... {Interruptions diverses) et que, peut-être, lorsque la
loi sera votée, et votée même dans les conditions les plus
douces, elle pourra regretter cette période de transition, où
elle aura usé, et où elle use encore — je ne m'en plains pas
pour mon compte — d'une très, très grande liberté...
« SUR UN GRAND NOMBRE DE BANCS. — Oui ! oui ! — Aux
voix !
« MM. ERNEST PICARD et EUGÈNE PELLETAN se lèvent pour
parler. (Cris : Aux voix ! aux voix ! — La clôture.)« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Je consulte la Chambre
sur la clôture.
« M. ERNEST PICARD. — Je demande la parole contre la clô-
ture.
« M. EUGÈNE PELLETAN. — On n'avait pas demandé la clô-
ture.
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Pardon ! on l'a demandée
de tous côtés. Si vous voulez parler contre la clôture, vous le
pouvez !
« M. EUGÈNE PELLETAN. — Non ! non ! on ne l'a pasdemandée.
« Voix NOMBREUSES. — La clôture ! la clôture !
< M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Vous voyez bien qu'elle est
demandée... Insiste-t-on ? (Oui ! oui\ — Non ! non !)« Je vais consulter la Chambre.
M. EUGÈNE PELLETAN. — Ce n'est pas là présider, c'est
étouffer la discussion. (Murmures.)
M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Ce que je trouve, moi, c'est
qu'on manque à son rôle de député, quand on méconnaît ainsila manifestation que vient de faire la Chambre. (Très bien Itrès bien !)
M. EUGÈNE PELLETAN. — Elle ne s'était pas faite ! (Nouveaux-murmures.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 125
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —Je prie M. Pelletan de se
respecter lui-même en respectant les autres. (Très bien !)« M. EUGÈNE PELLETAN. —
Je respecte tout ce qui est res-
pectable. (Bruit.)
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Eh bien ! dans votre propre
intérêt, je vous le répète, pour vous faire respecter vous-
même, respectez vos collègues. (Nouvelle approbation.)
« M. ERNEST PICARD. —Je demande la parole contre la clô-
ture.
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — M. Picard a la parole contre
la clôture.
« M. ERNEST PICARD. — Messieurs, je vous demande de ne
pas voter la clôture.
« M. le président a cru entendre qu'elle était demandée...
(Oui! ouil)
« Voix NOMBREUSES. •— L'entendez-vous maintenant ?
« M. ERNEST PICARD. — Mais, dans tous les cas, j'aime à
croire que la Chambre ne l'a demandée que parce qu'elle
croyait la discussion épuisée et parce qu'elle pensait qu'au-
cun de ses membres n'avait d'observations à faire. (Bruits
divers.)« ... Je voudrais, si la Chambre le permet, répondre un
mot aux observations de l'honorable M. Gressier, en ce qui
touche la loi du contingent. (Parlez I parlez !)« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — On n'insiste pas pour la
clôture ? (Non ! Non !) En ce cas, je donne la parole à
M. Picard.
« M. ERNEST PICARD. — Messieurs, l'honorable rapporteur
de la loi militaire vient de dire que, de ce côté, une erreur
avait été commise et qu'il était impossible de voter la loi du
contingent et de lui appliquer ensuite la nouvelle loi militaire,
sans donner à cette loi-un effet rétroactif.
« Il dépendra des termes dans lesquels la loi du contingentsera votée — et vous savez qu'il appartient au pouvoir légis-
I2Ô 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
latif de donner à la loi, dans une certaine mesure, un effet
rétroactif... {Interruption.)« La rétroactivité n'est pas constitutionnelle, je le sais. J'ai
toujours combattu moi-même la rétroactivité {mouvements
divers), et notamment quand il s'est agi de' puiser dans la
caisse de la dotation de l'armée ; mais, ici, je ne puis me
laisser arrêter par ce que je considère comme l'apparenced'une objection. Je disque la loi militaire est nécessairement
complétée par la loi du contingent, et qu'il faut, pour avoir
le mot de la loi militaire, que nous connaissions le chiffre du
contingent qui doit être, d'après la constitution, fixé chaque
année par la Chambre. {Interruptions diverses. — Aux voix !
aux voix !)
« NOUS N'IGNORONS PAS QUELS ÉTAIENT, A L'ENDROIT DE LA
FIXATION DU CONTINGENT (i), LES DESSEINS DU GOUVERNEMENT.
ILS ONT TROUVÉ DANS LA COMMISSION UNE RÉSISTANCE DONT NOUS
LA FÉLICITONS. {Mouvements divers.)« Ne possédant pas encore le texte de la loi militaire (2),
je ne sais pas jusqu'à quel point nous pouvons être rassurés
à cet égard ; mais, ce que je sais, c'est que notre mandat de
députés nous impose deux choses avant tout : ne laisser enta-
mer notre droit ni en ce qui touche le vote de l'impôt, ni en
ce qui touche celui du contingent ; ce que je sais, c'est qu'il
faut que la loi du contingent soit détachée, qu'elle vienne ici
isolée, et que le chiffre des hommes appelés chaque année
sous les drapeaux soit sincèrement discuté dans cette
assemblée. Or, je ne vois pas comment la présentation de la
/
(1; Nous avons tenu à signaler particulièrement à l'attentiondu lecteur ce passage du discours de M. Ernest Picard. On verra,plus tard, en effet, au cours des événements, quelle responsabi-lité avait assumée la commission parlementaire, elle-même, enremaniant le projet primitif dû à l'initiative personnelle de
Napoléon III. (N. de l'A.)
(2) Or, ce_texte avait été lu à la Chambre.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 127
loi militaire peut nous empêcher, cette année, de remplir ce
devoir. {Mêmes mouvements.)
« Je demande donc que le gouvernement nous donne le
chiffre du contingent afin que la Chambre puisse délibérer
sur ce point. {Aux voix ! aux voix ! La clôture.)
(La clôture est mise aux voix et prononcée.)
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Il y a sur le règlement de
l'ordre du jour proposé par le président une demande de
scrutin... {Exclamations), signée par MM. Eugène Pelletan,
Marmier, Paul Bethmont, Jules Simon, Ernest Picard, Gar-
nier-Pagès, Girod-Pouzol, Dorian, J. Magnin et Hénon.
« Il va être procédé au scrutin.
(Le scrutin est ouvert et les votes sont recueillis.)
« Le dépouillement donne les résultats suivants :
Nombre de votants : 244
Majorité absolue : 123
Pour : 217
Contre (1) : 29
« Le Corps Législatif a adopté. »
< Ainsi la Chambre n'avait pas obéi à l'incitation que vou-
laient lui faire subir les Eugène Pelletan, les Jules Favre,
les Ernest Picard, les Jules Simon et les Garnier- Pages, et
qui tendait à reporter à une date lointaine et indéterminée la
discussion sur le projet de réorganisation de l'armée.
Par leur demande de scrutin public, les obstructionnistes
avaient cru gêner un certain nombre de leurs collègues, les
intimider peut-être.
Loin d'y avoir réussi, ils n'étaient parvenus qu'à ce résultat :
permettre à la postérité de recueillir, sans erreur possible, les
noms de tous les parlementaires, quelle que fût leur nuance,.
(1) En séance, il n'avait été proclamé primitivement que 27contre; mais, au pointage, 2 bulletins nouveaux furent trouvés,
appartenant l'un et l'autre à l'Extrême-Droite.
128 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
qui, de parti-pris, sans connaître les conditions encore à
débattre, au sein du Parlement, de l'accroissement de nos
forces militaires, sans vouloir même chercher à améliorer
ces conditions par une discussion sérieuse et de bonne foi,les repoussaient par avance, à l'heure même où toute l'Europe
augmentait indistinctement ses forces défensives et offensives.
Ces vingt-neuf intransigeants, forcenés et aveugles, les
voici, tels que les donnent officiellement les Annales du Sénat
et du Corps Législatif :
MM. Bethmont, Carnot, Darimon, Dorian, Jules Favre,
Garnier-Pagès, Girod-Pouzol, Glais-Bizoin, Guéroult, Havin,
Hénon, le baron de Janzé, Léopold Javal, le vicomte Lan-
juinais, Malézieux, Marie, le duc de Marmier, Emile Ollivier,
Pelletan, Ernest Picard, Piéron-Leroy, le marquis de Pire,
de Rosny, Planât, le vicomte de Rambourgt, Maurice Richard,
Riondel, Jules Simon, Thiers.
Ainsi, royalistes et pseudo-républicains marchaient tou-
jours la main dans la main publiquement à la Chambre,
comme au dehors ils le faisaient grâce à la fameuse union
libérale...
Mais, hormis ces 29 opposants, d'autres avaient eu le cou-
rage de... s'abstenir. Parmi ces derniers, il convient de citer :
MM. le marquis d'Andelarre, lecomtedeBarbentane, Berryer,
Buffet, le vicomte de Grouchy, le comte Hallez-Claparèdc,
Lambrecht, le vicomte de Plancy, le duc de Tarente, etc.
N'importe ! malgré cette coalition, la discussion généraledu projet qu'attendait la France entière était désormais pro-chaine. Elle allait commencer, dès la semaine suivante, à la
séance du 19 décembre.
Cette discussion générale mérite d'être connue par le
détail...
Nous la ferons connaître dans le chapitre qui suit.
CHAPITRE III
La discussion générale. — Pour et contre. — Après Jules
Simon, Magnin. — Clôture de la discussion générale. — La
suppression de l'armée!... Intervention de M. Emile Olli-
vier. — Bataille des amendements et vote final. — Le
« libéralisme » en marche...
LA DISCUSSION GENERALE
Le 19 décembre 1867, commençait la discussion géné-rale (I) du projet de loi relatif au recrutement de l'armée et
de la garde nationale mobile.
Siégeaient au banc du gouvernement : MM. Rouher,ministre d'Etat; Vuitry, ministre présidant le Conseil d'Etat;
Niel, ministre de la guerre ; l'amiral Rigault de Genouilly,ministre de la marine ; Baroche, ministre de la justice et des
cultes; de Forcade La Roquette, ministre de l'Agriculture,du Commerce et des Travaux publics ; ainsi que MM. le
général Allard, de Lavenay, présidents de sections au Conseil
d'Etat, et Darricau, conseiller d'Etat.
Le premier député inscrit pour la discussion générale était
M. Jules Simon.
Les débats s'engagèrent aussitôt.
(1) Annales du Sénat et du Corps LégislattJ. — 1868 (2e ses-sion de 1867), tome II, page 16.
(NOTA. — Toutes les citations reproduites dans ce chapitre pro-viennent de ces documents officiels.)
9
l30 187O-71 — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — La parole est à M. JulesSimon pour la discussion générale.
« M. JULES SIMON. — Messieurs, jamais assemblée n'a eu à
discuter une loi plus grave que celle qui est en ce moment
soumise à vos délibérations.
« Je me propose d'examiner quelle est l'étendue des sacri-
fices que cette loi demande au pays ; quelles sont les circons-
tances qui, dans la pensée de ses auteurs, ont rendu ce sacri-
fice nécessaire, et enfin si, en faisant le sacrifice qu'on lui
demande, le pays obtiendra le résultat qu'on veut atteindre.
« Vous savez, messieurs, que le projet de loi que vous avez
maintenant devant vous est un projet transformé : l'année
dernière, quand il a paru pour la première fois, il avait un
aspect tout autre. Il importe de se rappeler le premier projet,
parce que, dans certains cas, il sert d'explication au second.
« Je puis dire que le premier projet (1) avait pour but prin-
cipal de demander une force armée de 1.200.000 hommes,
divisés en trois corps à peu près égaux (2) ; ce qui entraînait
deux conséquences :
« D'abord, on prenait la totalité de la classe ; ce qui fut
caractérisé immédiatement par un mot qui, si je ne me trompe,
est la cause principale de l'abandon du premier projet ; on
dit de tous côtés : « Il n'y aura plus de bons numéros ! » Ce
mot fît le tour de la France.
« Une autre conséquence qui émut surtout le Corps Légis-
latif et toutes les personnes qui ont souci des droits des
grands corps de l'Etat : on y ajouta cette circonstance, que,
pour la première fois depuis longtemps, l'impôt en hommes
ne serait plus voté annuellement par le Corps Législatif.« Ainsi, pour tous les pères de famille cette douleur de
(1) Le projet dû à Napoléon III lui-même. (N. de l'A.)
(2) 400,000 hommes pour l'active, 400,000 hommes pour la
réserve, 400,000 hommes pour la garde mobile.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l3l
n'avoir plus l'espérance dé voir leurs enfants échapper à la
conscription (1), et pour le Corps Législatif la perte de celle
de ses prérogatives à laquelle il doit le plus tenir ; voilà quelétait le premier projet, et j'y insiste, avant de passer outre,,sur l'énormité du chiffre demandé : 1.200.000 hommes, divisésen trois parties à peu près égales, et par conséquent une
armée active, soit sous les drapeaux (400.000 hommes), soit
dans la réserve (400.000 hommes), s'élevant à 800.000 hommes.« Maintenant, après des transformations considérables,
dues à l'opinion publique, au zèle des membres de la Com-
mission, à des concessions faites par le gouvernement, on en
est venu à un projet qui, suivant M. le rapporteur, se rap-
proche de bien près de la loi de 1832.« Il s'en rapproche, et en diffère principalement par les trois
côtés que voici :
« Il établit une séparation légale entre l'armée active et la
réserve ; il porte la durée du service dans la réserve à quatreans ; il crée une garde nationale mobile.
« Voilà les trois points principaux de la différence entre le
projet qui vous est soumis et la loi du 21 mars 1832.« La séparation légale de l'armée active et de la réserve
n'est certainement pas une nouveauté [dans nos lois ; vous
savez, messieurs, qu'elle existait déjà dans la loi de 1818. Il yavait alors un service dans l'armée active qui durait six ans,et un service dans la vétérance qui devait aussi durer six ans,et qui, en fait, ne fut jamais appliqué.
« Ce principe de la division légale entre le service sous les
drapeaux et le service dans la réserve est bon en lui-même.
On a même été jusqu'à dire que, la durée du service actuelle-
ment imposé (par application de la loi de 1832) étant de sept ans,il y avait une diminution de la charge réelle imposée aux
(1) C'est-à-dire échapper au service militaire : grande préoccu-pation de la bourgeoisie.
l32 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
appelés, par cette circonstance que le service dans l'armée
active ne pourrait désormais durer plus de cinq ans. Mais,
messieurs, il faut écarter cette fantasmagorie...« Nous ne pouvons pas prévoir, par le seul énoncé de la loi
que nous discutons, quelle sera la force, soit de l'armée prisedans son ensemble, soit de l'armée sous le drapeau, soit de
l'armée dans la réserve. Le Corps Législatif reste maître de
fixer chaque année le contingent par la loi du contingent, et
d'en faire le classement entre l'armée active et la réserve parla loi de finances. Il peut dans le cadre de la loi que vous
faites, placer une armée active très restreinte et une réserve
immense, ce qui serait, à mes yeux, un grand progrès. Il peutfaire l'inverse, et j'aurais le droit d'affirmer qu'il le fera, si jetenais compte des prévisions énoncées à plusieurs reprises
par le gouvernement...« Suivant M. le rapporteur, « le jeune soldat entré dans la
« réserve, après avoir fait cinq ans sous le drapeau, peut être
« considéré comme libéré. Il est, en quelque sorte, dans la« même situation que s'il avait achevé son service. »
« Je n'admets point cette explication... »
Et, pour essayer de démontrer qu'il a raison de ne point
l'admettre, M. Jules Simon rappelle qu'il fut une époque où
la France n'avait point besoin d'entretenir une armée consi-
dérable et, par conséquent, d'appeler sous les drapeaux tous
les jeunes Français : parce que l'Europe alors était notre
alliée tout entière.
Quand donc avait-on goûté les joies de cet âge d'or ?
En 1815, alors que l'Europe coalisée avait réussi à vaincre
la France de 1789 et à abattre l'homme qui, alors, synthétisaitles idées nouvelles.
Oui, cela se passait en 1815, lorsque Louis XVIII, fidéi-
commis de la Sainte-Alliance parmi nous, avait toute espècede bonnes raisons de croire que l'Europe absolutiste et féo-
dale n'essaierait point de lui créer des embarras extérieurs.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l33
Evidemment, cette année-là et les années qui suivirent, la
monarchie restaurée n'avait nul motif d'entretenir une armée
sérieuse contre ses protecteurs de l'Etranger...« M. JULES SIMON. —
Je ne puis pas m'empêcher de me rap-
peler que sous la Restauration, quand nous sortions des
désastres de 1815, on nous demandait, quoi? Un contingent
de 40.000 hommes ; que cela a duré de 1815 jusqu'à 1824 ; que
le gouvernement de Juillet ne nous a demandé que
80.000 hommes (1); que jamais, dans les complications les
plus menaçantes, il n'a dépassé ce chiffre de 80.000 hommes.
Vous avez inauguré les contingents de 100.000 hommes, et
non seulement vous les avez inaugurés, mais trois fois vous
avez été obligés de demander à la nation des contingents de
140.000 hommes sur 157.000 que nous pouvions fournir en
donnant tout. »
Et pourquoi cet accroissement dans le chiffre d'appel du
contingent? demande l'orateur... Par crainte d'une guerre
possible ?... Erreur, à son avis ! Et il motive de la sorte son
opinion pleine de clairvoyance ainsi que l'avenir allait se
charger de le prouver :
« M. JULES SIMON. — Pour moi, je ne suis pas de ceux qui
croient cette guerre très prochaine; personne, à mon sens,
n'y a intérêt. Je ne vois pas, en effet, que la Prusse ait intérêt
à faire la guerre à la France, parce qu'elle a les yeux sur le
midi de l'Allemagne, et qu'elle a chez elle à lutter et à s'orga-
niser ; et je ne vois pas davantage que vous ayez intérêt à
faire la guerre, parce que VQUS n'arriverez qu'à accélérer ce
que vous voulez éviter.
« Je suis de ceux qui pensent que l'Allemagne complètement
unie sera moins redoutable pour vous que la Confédération
(1) C'était encore beaucoup, étant donnée la platitude cons-tante que montra le gouvernement de Louis-Philippe à l'égarddes grandes puissances. (N. de l'A.)
l34 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
du Nord, soumise à l'hégémonie de la Prusse. Je compte sur
les tendances démocratiques qui ne manquent pas de se faire
jour dans un Parlement vraiment allemand. Je suis convaincu
que, dans l'Allemagne complètement unifiée, vous trouveriez
des sympathies qui, aujourd'hui, vous font défaut. Je ne crois
pas, je le répète, à une guerre probable, je crois seulement
à une guerre possible; mais si, par malheur, vous deviez
entrer en campagne, ce ne serait pas l'espoir d'avoir
65.000 hommes de plus dans six ans, et 210.000 soldats de
plus dans dix ou quinze ans, qui vous donneraient la vic-
toire. ..
« Quant à moi qui ne suis pas militaire...
« M. LE GÉNÉRAL ALLARD, président de section au Conseil
d'Etat, commissaire du gouvernement.— Ça se voit !
« M. JULES SIMON. — Cela se voit, comme le dit très bien
M. le général Allard, et j'espère que je le montrerai de plus
en plus.
« Quant à moi, disais-je, je ne puis m'empêcher de penser
que ce n'est pas seulement le soldat qui fait la force d'un
pays. Je crois que l'étude attentive, la science de la géogra-
phie..., de grands approvisionnements bien faits, des armes
de précision, des finances considérables dans lesquelles on
peut, au moment du besoin, puiser à pleines mains, offrent
de plus fortes ressources qu'une nombreuse armée de
soldats.
« Et, quant au soldat lui-même, si vous ne regardez que
lui, qu'est-ce qui fait le soldat ?
« Nous sommes habitués en France à certaines fanfares
qu'on appelle chauvinisme et qui perdent un peu de terrain
tous les jours ; on dit, sur tous les tons, que le soldat français
est le premier du monde. Je n'en sais rien, mais je veux bien
le croire... {Réclamations et murmures.)« PLUSIEURS MEMBRES. — Comment ! Vous n'en savez rien ?
« D'AUTRES MEMBRES. — Il l'a assez prouvé !
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l35
« M. GRANIER DE CASSAGNAC. — Il n'y a que vous qui l'igno-riez.
« M. JULES SIMON. —Je crois qu'il y a ailleurs que chez
nous de très bons et de très puissants soldats, et je suis per-suadé que ceux qui les ont combattus à la tête de notre armée
leur rendent pleine justice. Pour moi, je me borne à dire quesi nos soldats n'ont pas de supérieurs, ils ont peut-être des
égaux ; mais le moyen de faire de nos soldats les premiers
soldats du monde, si vous ne le savez pas, moi, je le sais.
(Ah! ah! — On rit.) Oui, messieurs, je le sais. {Voyons!
voyons !)« Ce qui fait le soldat indomptable, c'est la cause qu'il
soutient...
« Oui, messieurs, il n'y a qu'une cause qui rende une armée
invincible ; et malheureusement cette cause n'est pas celle
que nous défendons en ce moment ; cette cause, c'est la
liberté. » {Exclamations et murmures sur les bancs en face et à
droite de l'orateur. — Très bien! très bien! à sa gauche.)
Après M. Jules Simon, représentant l'opinion de la bour-
geoisie orlcano-républicaine, la parole fut donnée au baron
Jérôme David qui, au nom des principes même de 1789, réfuta
le précédent orateur, notamment dans le passage suivant où
il montra qu'un mot —quelque prestigieux qu'il fût ! — ne
suffisait pas à assurer, à soi tout seul, le fonctionnement de
la Défense Nationale :
« M. JÉRÔME DAVID. — La tradition populaire s'est égaréedans ses appréciations des efforts prodigieux de la République
Française, auxquels tout à l'heure l'honorable M. Jules Simon
faisait évidemment allusion.
« En 1789, l'armée de la monarchie se composait de
100.000 hommes d'infanterie parfaitement disciplinés ; 25.000hommes de cavalerie ; 8.000 hommes d'artillerie et du génie ;10.000 hommes de la maison du roi ; on avait en outre les
régiments provinciaux, qui donnaient 80.000 hommes de
l36 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
troupes exercées; je laisse de côté les régiments étrangers,
qui fournissaient 20.000 hommes environ.
« Ces troupes, abandonnées par la presque totalité de leurs
officiers (au moment de l'émigration), se reconstituèrent
promptement avec des cadres pour ainsi dire improvisés : le
souffle irrésistible de la Liberté animait tous ces braves coeurs,
qui rejetèrent au delà des frontières une coalition insolente ;
mais il n'en est pas moins vrai que ce furent les vieilles
troupes de la monarchie quisoutinrent les premières épreuvesde la guerre, et sans ces troupes, le pays aurait subi les plus
grands désastres.
« Il suffit pour s'en convaincre de se reporter à nos revers
successifs : à Longwy, au défilé de la Croix-aux-Bois, au
combat de Céret, au camp de Maulde, au camp de Berstheim,tous dus à l'indiscipline et à l'incapacité des volontaires.
« Pardonnez-moi d'insister sur ce point. {Parlez ! Parlez !)« Mais il existe cette idée chez nos populations qu'il suffit
que les citoyens se lèvent en masse pour défendre le payscontre toute agression ; que, le jour où tous les Français
prendraient spontanément les armes, la France serait invin-
cible, et que la constitution d'une forte armée permanenten'est pas absolument utile.
« Ce sont là, messieurs, de fausses théories qu'il est bon de
réfuter. (Oui! Oui! — Très bien!)« Le général Jomini disait, en parlant des volontaires qui
entraient dans la composition de l'armée de Dumouriez :
« Les volontaires nationaux ne contribuaient pas peu à
« augmenter l'esprit de désordre ; des compagnies entières
« partaient pour la Prusse avec armes et bagages ; il eût fallu
« une seconde armée pour les arrêter. »
La péroraison de ce discours fut émouvante. Elle donnait
absolument raison au gouvernement de Napoléon III de
songer, ainsi qu'il le faisait, à l'intérêt supérieur du pays.« M. JÉRÔME DAVID. — Oui, le gouvernement a bien mérité
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 137
de la patrie en s'exposant à une impopularité passagère (très
bien ! très bien !) pour conserver à la France le rang et l'atti-
tude qui lui conviennent dans les affaires de l'Europe, et nous
ferons acte de bons citoyens en lui prêtant un concours
efficace et salutaire. (Nouvelles marques d'approbation.)« Ah ! si nos contradicteurs habituels prêtaient à nos vues,
dans cette circonstance grave, quelque chose de l'éloquence
que nous leur connaissons, nous aurions déjà obtenu un
résultat imposant en montrant aux nations étrangères quenos dissentiments s'effacent devant les exigences du patrio-tisme (très bien ! très bien I) et qu'elles auraient tort de faire,
de nos divisions intérieures, un élément sérieux de leurs pré-tentions et de leurs' espérances. (Nouvelles marques d'appro-
bation.)
« La nature humaine se refuse à l'unanimité d'adhésions
qui serait désirable ; de tout temps, sous tous les régimes,les mesures les plus utiles ont été en suspicion auprès des
adversaires du gouvernement existant. Les efforts de ces
adversaires ont pu égarer un moment l'opinion publique en
cherchant à lui persuader qu'une nation peut être grande,
forte, respectée — dans un milieu européen où toutes les
puissances augmentent leurs armements — sans s'imposer
plus ou moins de sacrifices.
« Un pays intelligent comme le nôtre ne se laisse surprendre
qu'accidentellement par les promesses irréalisables des mino-
rités, qui, n'ayant pas de responsabilité, ne sont pas tenues
d'avoir de la prévoyance. (Très bien! très bien!) Il revient
sûrement en dernier ressort à ceux qui, comme nous, bien
que désireux de conserver la paix, sans laquelle le bonheur
et la prospérité des peuples sont compromis, veulent cepen-
dant se tenir prêts à tout événement, se refusant à l'acheter
au prix de la sécurité du territoire et de la dignité nationale. »
(Très bien! très bien! —Applaudissements répétés sur un grand
nombre de bancs.)
138 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Après M. Jérôme David, M. Latour-du-Moulin monta à la
tribune pour parler encore au nom de l'opposition.
Il se félicita d'abord que la puissance parlementaire eut fait
retirer le projet personnel de l'Empereur, il en félicita aussi
la commission, et formula le souhait que la Chambre com-
pléterait cette besogne en ne votant rien du tout, ajoutant
que tout serait pour le mieux si l'on arrivait aux milices, en
temps de paix, et aux levées en masse, en temps de guerre.
M. Latour-du-Moulin contesta les assertions du baron
Jérôme David, quant à l'infériorité des recrues sous la Révo-
lution et le Premier-Empire, ce qui le conduisit à accoucher
d'un superbe paradoxe dans les conditions que voici :
« M. LATOUR-DU-MOULIN. — Ce que je ne comprends pas,
de la part d'hommes aussi éclairés que vous l'êtes, c'est de
contester que les recrues, sous le premier Empire...
« M. LE GÉNÉRAL DAUTHEVILLE. — Ces jeunes gens étaient
fort braves sans doute ; mais, au combat, ils étaient encadrés
par d'anciens soldats.
« M. LATOUR-DU-MOULIN. — L'honorable général Dauthe-
ville, qui a fait la guerre, et très glorieusement, sous le pre-
mier Empire, me dit que les jeunes soldats étaient encadrés
dans les anciens.
« Eh bien ! qui vous empêche de faire de même, d'encadrer
aussi vos jeunes soldats dans des vieux ? »
L'antimilitariste Latour-du-Moulin ne s'apercevait pas qu'il
préconisait ainsi l'établissement d'une armée de métier et
défendait les « armées prétoriennes » : ce précurseur des
socialistes parlementaires faisait du césarisme à outrance...
tout en combattant César !
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l3g
POUR ET CONTRE
Le 20 décembre, M. de la Tour prononça, dès l'ouverture
de la séance, un grand discours où il persifla avec humour
quelques allégations apportées, la veille, par son quasi-homo-
nyme M. Latour-du-Moulin, et, au contraire de celui-ci, se
prononça en faveur d'une réorganisation véritable de nos
forces nationales.
Il rappela, en passant, qu'autrefois, sous la monarchie, la
noblesse seule avait la charge du service militaire et quecela était juste puisque ce régime donnait à l'aristocratie
honneurs, fortune et privilèges; mais qu'aujourd'hui, sous un
régime démocratique, l'égalité existant, il apparaissait équi-
table, sans conteste possible, que tous les citoyens eussent
indistinctement à remplir les obligations qui découlent du
devoir sacré de la défense de la patrie.M. Maurice Richard, adversaire du projet, lui succéda à la
tribune.
Dès la première parole, le nouvel orateur futtrès catégorique.« M. MAURICE RICHARD. — Messieurs, j'ai demandé la
parole dans la discussion générale de la loi et non pas sur les
articles, parce que, à mon sens, la loi qu'on nous propose ne
peut-pas être modifiée et qu'on doit la repousser absolument.
{Oh ! Oh ! — Très bien l à la gauche de l'orateur.)«... Eh ! quoi, on vient proposer d'augmenter les charges
militaires et enlever encore des bras à l'agriculture. Non !...
il n'est pas possible d'accepter ce que le projet de loi nous
propose.« Mais, enfin, quel est donc le motif de tout cela ? Quel est
le fait considérable qui peut imposer au pays des charges si
lourdes ?
« Oh ! sans doute, s'il y avait un danger pour notre honneur,
140 I87O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITES
un danger pour notre sécurité, je serais prêt à accorder tout
ce qui serait nécessaire et à me joindre àceux qui défendraient
le pays ; mais, s'agit-il de cela?« Non I le grand fait, c'est ce qui s'est passé en 1866 en
Allemagne.« Messieurs, l'Allemagne, est-ce qu'elle nous menace ? En
aucune façon.« Ah ! sans doute, elle est hostile ; mais pourquoi est-elle
hostile? Je ne veux pas incidemment refaire un excellent dis-
cours de mon ami Emile Ollivier (sourires sur quelques bancs),
mais, il vous l'a dit, cela tient à ce que la France n'a pas de
politique ou plutôt qu'elle en a trop.« Nous avons commencé par approuver d'une façon com-
plète ce qui se faisait en Allemagne, mais immédiatement
nous avons demandé des compensations de territoire. Il en
est résulté qu'on se défie beaucoup de nous et que pour arriver
à l'unité allemande, dont on nous considère à tort — mais
l'apparence s'y trouve — comme des adversaires, on se jettedans les bras de la Prusse. On ne croit pas à notre désinté-
ressement; il est réel, mais on n'y croit pas.« L"Allemagne nous craint dans ce moment-ci, et dans
quelles conditions sommes-nous ? Nous avons (sur nos
794.000 hommes) une armée disponible dans les mains du
gouvernement de 280.000 hommes; au lendemain du jour où
la loi aura été v otée, ce ne sera plus 280.000, ce sera 400.000,et bientôt 500.000...
« UN MEMBRE. — Tant mieux !
« M. MAURICE RICHARD. — Messieurs, faut-il donc, pourassurer notre sécurité, arriver à toutes ces fatales consé-
quences ? Non ! à mon sens, il suffit de ceci : il faut avoir une
bonne politique, bien décidée et pacifique... »
A cette définition de la politique du renoncement coûte
que coûte, qui n'a jamais servi aucun des pays qui y ont eu
recours, l'opposition applaudit bruyamment.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS I41
Mais la discussion continuait.
Un jeune député, tout nouveau venu à la Chambre, allait
défendre l'idée de réorganisation de nos forces nationales. Il
s'appelait Stéphen Liégeard. Il s'exprima (i) en ces termes :
« M. STÉPHEN LIÉGEARD. — Messieurs, en abordant pour la
première fois cette tribune et à l'occasion d'une question aussi
grave, je n'ai ni la prétention de faire un discours, ni la témé-
rité de réclamer de vous une bien longue attention. Je crois
qu'en cette enceinte, plus que partout ailleurs, réserve et con-
cision sont les vertus essentielles qui conviennent à la parole
d'un nouveau venu. {Marques d'approbation.)« Aussi, n'est-ce qu'une série de considérations rapides que
je vous demande la permission de formuler...
« Lorsque, tout d'abord, j'entendis parler du projet qui vous
est soumis, je n'avais pas encore l'honneur de siéger parmi
vous, et je confesse qu'à ce moment je ne pus me défendre
de partager, dans une certaine mesure, le sentiment de
défiance que soulevait presque unanimement autour d'elle
l'annonce d'une organisation militaire nouvelle, vague,
inconnue, menaçante.
« S'agissait-il donc, comme plusieurs l'affirmaient, défaire
du peuple français un peuple de soldats ; et les arts de la paix,
qui seuls aux yeux de la postérité rendent la mémoire d'une
nation vraiment grande et vraiment durable, allaient-ils
décidément s'enfuir de leurs temples transformés en casernes ?
« L'hésitation était bien permise au milieu de l'obscurité
qui nous entourait. Vainement les brochures succédaient aux
brochures ; en vain, hommes de plume et hommes d'épée
rivalisaient-ils de zèle à noircir du papier, et à nous donner,
comme prêtes à entrer dans le domaine de l'application, des
(i)Le discours de M. Stéphen Liégeard a été reproduit in-extensodans les Organisateurs de la déjaite, par MM. Yves de Cons-tantin et F. Marty. (N. de l'A.)
142 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
théories qui n'étaient que le reflet de leur imagination ou la
somme de leur expérience. La curiosité pouvait y avoir son
compte ; la confiance publique n'y trouvait pas le sien...
« Le gouvernement le comprit. Sans attendre davantage, à
la date du 9 mars, le Moniteur universel (1), dans un résumé
très succinct, déterminait des catégories, groupait des chiffres,
donnait des assurances...
« Dès ce moment les ombres perdaient de leur intensité...
« Il n'était donc pas question, quoi qu'on en ait dit, de mili-
tariser toute la jeunesse française. Il s'agissait simplementd'amener chaque Français à pouvoir, le moment venu, s'ac-
quitter effectivement de cette obligation, écrite dans la nature
avant qu'on ait songé àla faire passer dans nos codes, à savoir
que : tout homme se doit dans une certaine mesure à la défense
de son pays ; il s'agissait, tout en réduisant la durée du ser-
vice pour le soldat en activité (cinq ans, au lieu de sept) de dis-
traire quelques semaines, que dis-je? quelques jours à peinede la vie de celui que réclament les carrières libérales, et cela,
afin qu'il apprît le maniement des armes, l'école du soldat.
« Ni le commerce, ni l'industrie, ni l'agriculture, n'eussent
été bien venus à mettre en cause une loi qui, en temps de
paix, leur laisse le même nombre de bras que devant, car (le
rapport du 8 juin l'établit avec une lumineuse clarté) les
réserves seules étaient accrues.
« Certes, messieurs, ce n'est pas au lendemain du jour où
tous les souverains de l'Europe se sont donné rendez-vous
au banquet de l'hospitalité parisienne qu'il convient de
réveiller des échos de guerre momentanément assoupis ou
d'admettre de belliqueuses éventualités. Et pourtant, j'en-trevois toujours ce mirage de prévisions sinistres.
(1) Journal officiel publiant concomitamment avec les Annalesdu Sénat et du Corps Législatif, le compte-rendu sténographiquedes séances des Chambres.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS I43
« ... Vers ces parages où la France finit, où commence
l'Allemagne, si grande que soit la bonne volonté de fermer
l'oreille aux bruits qui traversent le grand fi~euve, force est
parfois d'entendre, sans même écouter; et qu'entend-on? Des
exaltés, dans l'enivrement prolongé de victoires inespérées,
ne craindre point de discute?- froidement la possibilité d'une
annexion de la Lorraine ou de l'Alsace à la patrie allemande ;
des gazetiers de Berlin demander, avec une gravité comique
qu'en compensation de l'évacuation si douloureuse pour eux
de la citadelle de Luxembourg, les fortifications de Thion-
ville, de Metz, de Longwy soient démantelées; des soudards,le point sur la hanche, se donner rendez-vous sous les murs
de Paris et promettre à leurs chevaux de les faire désaltérer,
au printemps prochain, dans les eaux de la Seine; et tant
d'autres fanfaronnades, et tant d'autres insupportables jac-tances qui surexcitent le patriotisme de nos braves Mosellans
et les laissent, tout frémissants, à égale distance de l'indigna-tion et de la pitié.
« N'accordons pas, je le veux bien, plus d'importance
qu'elles n'en méritent à ces rumeurs qui montent sur des
nuages de fumée du fond des brasseries germaniques...« Mais enfin, il faut bien en convenir, un fait s'est accompli,
qui domine la situation, et qui, s'il n'a pas rompu l'équilibrede l'Europe, l'a du moins singulièrement ébranlé.
«... En dépit des traités de paix éclos sur les tapis de la
diplomatie européenne, n'avons-nous pas vu, tout à l'entour
de nous, des préparatifs considérables se poursuivre ? Ne
voyons-nous pas peuples et souverains rivaliser de zèle à
augmenter la force de leurs contingents?... Les neutres eux-
mêmes ne s'abstiennent pas...« Eh bien ! lorsque, de toutes parts, l'exemple nous arrive,
quand la vieille Europe, prise d'un soudain vertige, se rue
avec fureur en d'immenses préparatifs guerriers, pouvons-nous résister aux entraînements du courant, sans abdiquer
144 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
quelque chose de ce droit de légitime défense qui est le pre-mier devoir d'une nation? Pour ma part, je ne le pense
pas.« C'est alors qu'apparaît la théorie de la levée en masse...
« Oui, aujourd'hui, comme en 92, aujourd'hui comme à
toutes les périodes critiques ou glorieuses de ses annales, la
France n'aurait qu'à frapper du pied pour que le sol se cou-
vrît de soldats ; oui, tous les enfants de la mère-patrie, répon-dant à son appel, voleraient à la frontière dans un même élan
de filial dévouement; je le crois, mais j'ajoute immédiatement
que c'est là un moyen extrême, que c'est là un expédient
plutôt digne du patriotisme que de la prévoyance d'une
grande nation. Oui, le Languedoc et la Provence viendraient
au secours de la Lorraine et de l'Alsace menacées, ne fut-ce
que pour rejeter une bonne fois de l'autre côté du Rhin, notre
frontière naturelle, d'insatiables ambitions.
« Mais viendraient-ils assez rapidement, ces fils du Rhône et
de la Garonne ?Mais viendront-ils avec des milices suffisam-
ment exercées? Mais cette levée en masse, commandée parla nécessité et réalisée par le patriotisme, offrirait-elle la
garantie d'une continuité d'efforts nécessaire à préparer le
succès et à en assurer les résultats une fois la victoire
obtenue ? Ah ! ici, messieurs, je commence à douter profon-dément. ..
« Les conditions de la guerre s'étant modifiées, ne convient-
il pas de modifier, dans des proportions identiques, et le
chiffre des combattants, et les moyens d'attaque et de défense
usités jusqu'ici ?
«... Je ne crois pas qu'on doive marchander à notre gou-vernement l'accroissement de force qu'il sollicite. Il faut les
lui donner, non dans un but de conquêtes, mais comme
moyen de Défense Nationale.
« En adoptant la loi dont la discussion vient de s'ouvrir, il
n'est nullement question de nous transformer en un peuple
187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 145
de soldats, de nous encaserner, suivant la récente expressiond'un orateur illustre (i).
« Contentons-nous de mettre en pratique l'adage célèbre :Si vis pacem para bellum : c'est-à-dire préparons-nous sérieu-
sement à la guerre, afin d'asseoir sur des bases solides, iné-
branlables, le règne si désiré de la paix... (Très bien!)« ... Prenant pour guide ma conscience seule, je n'hésiterai
point, pas plus que vous n'hésiteriez sans doute vous-mêmes,
messieurs, à donner cette preuve de confiance à l'Empereuret à mon pays. » (Vives et nombreuses marques d'approbation.)
Après M. Stéphen Liégeard, le colonel Réguis fit les cons-
tatations suivantes :
« M. LE COLONELRÉGUIS. — La Prusse qui n'avait pas alors
(en 1815), 15 millions d'habitants, qui en avait 19 l'année der-
nière, en a aujourd'hui, quoique à divers titres, il est vrai,environ 30 millions, et ne tardera pas, probablement, à en
avoir plus de 40 millions.
« Vous savez ce qu'est la Prusse, son souverain vous le dit,c'est un peuple en armes, et vous avez vu avec quelle rapi-dité elle a porté son armée au chiffre de près de 800.000
hommes dans la guerre avec l'Autriche. Aujourd'hui que son
territoire et sa population ont considérablement augmenté,ce n'est plus 800.000 hommes, mais 1 million, 1.200.000, peut-être plus, qu'elle pourrait mettre en ligne contre nous, si
nous étions en guerre avec elle ; et ces masses de troupes ne
seraient pas sur le Rhin, mais sur la Moselle, c'est-à-dire à
moins de cinquante lieues de Paris.
« D'un autre côté, nous avons contribué puissamment à
former sur notre flanc droit, de l'autre côté des Alpes, une
nation de plus de 25 millions d'âmes. L'aurions-nous pouralliée, l'aurions-nous pour adversaire, dans le cas où nous
serions engagés dans une grande guerre ? Je l'ignore et n'ai
(1) M. Jules Favre,
10
I46 iS/O-JI— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
pas à le décider ; mais, si j'en juge d'après ce qui se dit et se
passe dans ce pays, je ne crois pas que la France puisse
compter sur une franche reconnaissance de cette nation, et
j'engagerai toujours mon pays à se mettre en garde, même
de ce côté. » {Mouvements divers.)Sur ce, le colonel Réguis exprima le regret que la com-
mission parlementaire eût substitué un nouveau projet à
celui, infiniment préférable, de l'Empereur lui-même et que
la réorganisation de l'armée s'arrêtât maintenant à un simple
remaniement de la loi de 1832 — qu'il déclarait repousser
sans ambages.
APRES JULES SIMON, MAGNIN
Le colonel Réguis avait été remplacé, à la tribune, par
M. de Beauvcrger. Celui-ci n'apporta, en définitive, qu'uneforme nouvelle au discours du comte de la Tour demandant
que, sous un régime démocratique, l'égalité fût mise en
vigueur dans le domaine de la défense du pays, sous la forme
du service militaire effectif pour tous — ainsi que l'avait pré-
conisé l'Empereur.
N'importe 1 ce dernier discours prolongea encore cette
séance du 20 décembre ; ce qui provoqua un incident autour
du nom de M. Magnin, inscrit pour la discussion générale.« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — M. Magnin a la parole.« QUELQUES MEMBRES. — Il est six heures moins un quart.
A demain !
« AUTRES MEMBRES. — Parlez I parlez !
« M. GARNIER-PAGÈS. — La Chambre a bien ordonné, hier,
le renvoi pour M. de la Tour, et nous l'avons parfaitement
écouté aujourd'hui.« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Si vous voulez parler,
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS I47
monsieur Garnier-Pagès, je vous engage à monter à la tri-
bune.
« Vous voyez que la Chambre paraît disposée à écouter
l'orateur ; personne ne quitte son banc. '[« M. MAGNIN. —
Je suis aux ordres de la Chambre ; malgrél'heure avancée, je suis prêt à prendre la parole. (Parlez!)
« UN MEMBRE. — Nous avons une heure devant nous !
« M. MAGNIN. — Seulement, je dois à l'avance faire observer
à la Chambre que j'en aurai au moins pour une heure.
(Parlez ! parlez ! Nous vous écoutons.)« Messieurs, il n'y a pas eu, depuis longtemps, de projet de
loi qui ait ému aussi profondément, aussi universellement le
pays que celui qui est actuellement en discussion. En effet,il n'en est pas que je sache qui touche d'une manière plusdirecte et plus intime aux intérêts des citoyens, aux intérêts
des familles et à leur liberté d'action. Je vous demande la per-mission de le définir d'un seul mot : ce projet de loi met tous
les Français valides âgés de 20 ans sous les drapeaux, soit à
titre de soldats de l'armée active, soit à titre de soldats de la
réserve, soit à titre de membres de la garde nationale mobile.
« Il a pour conséquence d'élever notre état militaire de
600.000 hommes à 1.221.000.
« Voilà, messieurs, le résultat qu'atteindra ce projet de loi
si vous le sanctionnez de votre vote ; et cependant la com-
mission se garde bien de vous faire entrevoir une perspectiveaussi grave et aussi redoutable, elle nous dit : c'est la loi de
1832 que nous modifions simplement, au double point de vue
de la durée et du mode de service. (Interruption.)« M. GRESSIER, rapporteur.
—Je demande la parole.
« M. MAGNIN. — Ces mots, messieurs, je les lis à la pagedeux du rapport ; il y est dit :
« Vous y avez vu que ce but, votre commission l'avait
« atteint, et que le gouvernement, toujours soucieux de l'opi-« nion publique, avait consenti à abandonner son premier
I48 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« projet, pour revenir à la loi de 1832, à laquelle une seule
« modification sérieuse était apportée, celle relative à la durée
« et au mode de service. »
« Vous voyez qu'en vous énonçant les termes du rapport
de la commission, je me suis servi presque textuellement des
paroles dont l'honorable rapporteur s'était servi lui-même.
« Messieurs, ce projet de loi a subi des phases bien diverses.
Il y a à peu près exactement un an qu'il a été présenté au pays
pour la première fois. Une haute commission militaire avait
été réunie sous la présidence de l'Empereur ; cette commis-
sion avait élaboré un projet et je crois qu'il n'est pas inutile dans
cette discussion générale de présenter en quelques mots l'histo-
rique de ce projet, afin d'indiquer et de bien faire voir les modi-
fications qui y ont été apportées surtout grâce à la pression
de l'opinion publique. [Assentiment à la gauche de l'orateur.)« Le 12 décembre 1866, le Moniteur annonça à la France
qu'une nouvelle organisation allait lui être présentée.« Cette organisation militaire dans ses points principaux
contenait ceci :
« On devait appeler sur la classe qui, tous les ans, est
approximativement de 326.000 hommes , 160.000 hommes
c'est-à-dire la totalité du contingent.« Cette totalité du contingent se divisait ainsi : armée
active comprenant 80.000 hommes ; réserve comprenant80.000 hommes qu'on divisait en deux bans (I), l'une et
l'autre de ces classes devaient donner six ans de service sous
les drapeaux.
(1) De l'aveu même de M. Magnin, il ressort qu'en instituantle service obligatoire le projet même de l'Empereur ne versaitdans le service actif que la moitié de la classe, il ne « dépeu-plait » donc pas la France : ce qui serait au contraire le casaujourd'hui puisque, sous la troisième République, le servicemilitaire actif absorbe, chaque année, la totalité de la classe.(N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS I49
« On créait ensuite une garde nationale dont la durée deservice était de trois ans. Au moyen de cette combinaison on
obtenait un chiffre de 1.223.000 soldats.
« Vous le voyez, tous les hommes valides étaient bien réel-
lement, par le projet de cette époque, mis sous les drapeaux
(400.000 hommes dans l'active, 400.000 dans la réserve,
400.000 dans la mobile) et le Moniteur nous annonçait que son
but était de créer une institution définitive, non une insti-
tution transitoire, et que le but qu'il poursuivait était de disci-
pliner la nation entière...
« Ici, messieurs (à la Chambre), il y eut une opposition très
vive et très ardente faite au projet de loi, opposition à laquellela commission que vous avez chargée d'examiner le projet de
loi s'est associée dans une certaine mesure, ce dont je suis,
pour ma part, heureux de la féliciter.
« Nous avons eu un nouveau projet de loi rédigé par elle :
il revendiquait le vote (annuel) du contingent par la Chambre,mais il inscrivait dans son premier article le chiffre de l'armée
-française, qui était porté à 800.000 hommes (400.000 pourl'active et 400.000 pour la réserve). Il y avait là une contra-
diction certaine, évidente. Enfin, on créait la garde nationale
mobile, et l'effectif comprenait toujours la totalité du contin-
gent.«... Permettez-moi de vous indiquer d'un seul mot, quoi-
qu'on l'ait déjà fait à cette tribune, l'économie du projet de loi,
« La Chambre reste maîtresse de voter annuellement le con-
tingent; puis, ce contingent voté, il sert dans l'armée active
pendant cinq ans. Au sortir de l'armée active, il entre dans
la réserve pendant quatre ans ; tous les hommes qui n'ont
pas fait partie du contingent servent dans la garde nationale
mobile.
« Voilà, messieurs, l'économie du projet au point de vue
de la durée et du mode de service, »
Ces constatations faites, M. Magnin déclare que le projet
150 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
en discussion — bien qu'il ne soit plus le projet primitif de
l'Empereur, lequel établissait une fois pour toutes le contin-
gent annuel ; bien qu'il ne soit pas davantage le projet de la
commission, effaçant cette garantie; bien qu'en définitive, il
ne soit qu'un remaniement de la loi de 1832 sur le recrutement
de l'armée — n'a pas l'heur de lui plaire pour cette raison bien
simple qu'il réorganise l'armée quand même, peu ou prou.Pas de réorganisation : ça coûte de l'argent ! telle est la
thèse que ce financier, ou plutôt ce gros bourgeois de la
finance qu'est M. Magnin, se targuant de républicanisme,soutient le lendemain, à la séance du 21 décembre, où la
suite de son discours avait été renvoyée. Voici, d'ailleurs, les
parties essentielles de la deuxième partie de ce discours :
« M. MAGNIN. — Si je prends — et, dans toute discussion,
je veux toujours prendre les chiffres officiels sur lesquels il
ne peut y avoir de contestations qu'au point de vue, comme
le disait M. le ministre de la guerre, des conséquences qu'onen peut tirer — si je prends les chiffres officiels et si jecommence par le budget de 1867, celui qui dans dix jourssera clos et terminé, je trouve qu'au budget de 1867 vous avez
voté pour l'armée de terre une somme de 398 millions et, pourla marine, une somme de 185 millions. Je suis obligé d'y
ajouter une somme de 158 millions qui, l'année dernière (I), a
été dépensée sans aucun vote préalable de la Chambre, mais
qui a reçu de vous un bill d'indemnité qui l'a inscrit au cha-
pitre des crédits supplémentaires.« Si j'ajoute à ces sommes réellement votées et dépensées,
une quatrième somme qui nécessairement doit figurer au
chapitre de la dépense de l'armée et qui est relative aux inté-
rêts des emprunts faits depuis 1855 et appliqués successive-
ment à la guerre, je trouve de ce chef un chiffre de 110 mil-
lions...
(1) L'année de Sidowa.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l5l
« Il convient encore pour avoir la somme totale que coûteà la France son état militaire d'ajouter la somme que tous
les hommes qui sont sous les drapeaux produiraient au pay<;,tandis que, dans l'état militaire, non seulement ils ne produi-sent rien, mais encore ils consomment sans produire...
« Votre loi a évidemment pour but de constituer sur une
base encore plus large et plus étendue l'armée permanente.« Je ne veux pas discuter devant vous cette grande question
des armées permanentes ; elle le sera en temps et lieu... Jene vous en dirai que quelques mots au point de vue de la
conscription.« Les armées permanentes en théorie sont jugées et con-
damnées. (Rires négatifs.)« Je crois que, dans un avenir prochain, les armées per-
manentes disparaîtront, comme disparaissent tant de choses
que l'on croit immuables et impossibles à remplacer.«... L'Empereur lui-même disait dans son discours de
1864 :
« Les préjugés, les rancunes qui nous divisent n'ont-ils pa:-3« déjà trop duré?
« La rivalité jalouse des grandes puissances empêchera-t-« elle sans cesse les progrès de la civilisation ?
« Entretiendrons-nous toujours de mutuelles défiances par« des armements exagérés ?
« Les ressources les plus précieuses doivent-elles indéfini-
« ment s'épuiser dans une vaine ostentation de nos forces ? »
En faisant cette citation des paroles de Napoléon III —
auquel il rendait ainsi le plus juste hommage au sujet des
propensions pacifiques de l'Elu de la nation française —
M. Magnin ne s'apercevait pas qu'il condamnait soi-même
ses théories personnelles.Est-ce que les préjugés et les rancunes avaient enfin
disparu de l'Europe ?
Est-ce que la rivalité jalouse des grandes puissances avait
ïb2 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
fait place à une entente internationale, comme l'avait pourtant
préconisé l'Empereur ?
Et alors ne fallait-il pas, pour la sauvegarde du pays,
pour l'indépendance de la France de 1789 entourée de
monarchies absolutistes ou féodales, supporter sagement
nous-mêmes le « mal nécessaire »?
Mais, le salut national, M. Magnin, le gros financier Magnin,
n'en avait cure : il préférait faire de l'opposition à tout pro-
pos, et hors de propos, à un régime foncièrement démocra-
tique qui plaçait les intérêts du plus grand nombre au-dessus
des intérêts de quelques parasites dont lui, Magnin, était le
prototype.
CLOTURE DE LA DISCUSSION GENERALE
Le 21 décembre, dès que M. Magnin fut descendu de la
tribune, la parole fut donnée au rapporteur du projet de la
commission.
« M. GRESSIER, rapporteur. — Messieurs, je viens au nom
de la commission essayer de répondre aux principales
attaques dirigées contre la loi. Je le ferai brièvement et sans
aborder les détails, qui seront mieux placés à la discussion
des articles. {Oui ! Oui ! Parlez !)
« Mais, messieurs, je le ferai sans avoir l'espérance de
ramener certains dissidents.
« Ainsi quelques-uns, et spécialement notre honorable col-
lègue M. Magnin, qui vient de quitter cette tribune, ont signéun amendement dans lequel ils demandent la suppression de
l'armée : ils ont la prétention de la remplacer par une garde
nationale qui apprendrait le difficile métier de la guerre en
faisant, le premier et le troisième dimanche de chaque mois,
l'exercice, et en se rendant, une fois tous les six ans, à un1
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 153
camp de manoeuvres qui durerait trois mois. (Rires ironiquessur un grand nombre de bancs,)
« Je sais que les partisans de cette opinion conseillent au
pays de désarmer, et qu'ils lui disent : « Donnons l'exemple,toutes les nations voisines nous imiteront. »
« M. GARNIER-PAGÈS. — C'est positif!« M. LE RAPPORTEUR.— Je me permets de répondre à l'ho-
norable M. Garnier-Pagès, qui me dit « c'est positif », que,de la part d'un autre, je comprendrais ce mot, mais que, desa part, je le comprends moins. Il a eu charge de peuple ; ila été, à une époque, l'un des ministres de ce grand pays ; or,si, par impossible, son « c'est positif» n'était qu'une utopie,et si, par impossible, les nations voisines ne désarmaient pas,que deviendrait la France qui aurait donné l'exemple?...(Très bien ! très bien !)
« Qu'il me permette de lui demander pourquoi, à ces nationsvoisines qu'il a visitées et dont il nous a rapporté à cette tri-
bune les impressions et les sentiments, il ne dirait pas d'abord :
Messieurs les voisins, désarmez les premiers !« ... Depuis longtemps la France n'a pas à sa disposition
les ressources nécessaires pour faire face aux événements
auxquels elle peut être mêlée.« Maintenant, si cette donnée première est exacte pour la
-Chambre, comme elle l'est pour moi, il n'y a plus qu'unechose à rechercher : quel est le meilleur mode pour arriver à
ce résultat ?
« Ici un dissentiment sérieux s'est produit, dès le début,entre le gouvernement et la commission. Le gouvernement
(c'est-à-dire l'Empereur) avait présenté un projet de loi par
lequel il proposait de prendre également tout le monde (bour-
geois et ouvriers), c'est-à-dire défaire de tous les jeunes gensdes soldats...
« Votre commission a trouvé ces propositions excessives ;elle n'a pas cru qu'il fût nécessaire d'armer toute la nation
l54 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
pour arriver à augmenter dans une certaine mesure les res-
sources militaires du pays.« Cette loi avait, à ses yeux, un autre inconvénient : elle
faisait disparaître dans une certaine mesure, complète selon
moi, le droit du Corps Législatif sur le vote si sérieux des
hommes mis à la disposition du gouvernement.« On objectait en vain à la commission que le droit qu'elle
perdait en ne votant plus annuellement le contingent, elle le
retrouverait dans la loi du budget.« ... La commission a demandé que l'on revînt complète-
ment au principe de la loi de 1832.
« De plus, la commission, persévérant dans cette voie,
voulut aussi maintenir intact le principe de la loi de 1851.
« Je suis partisan, autant que qui que ce soit, de l'influence
des assemblées délibérantes ; je crois cette influence bonne ;
je l'ai crue bonne dans le passé ; j'espère que, dans l'avenir,
elle sera bonne...
. « M. THIERS. — Nécessaire I
« M. LE RAPPORTEUR. —Mais, il faut au moins qu'il y ait
une raison pour placer cet argument. Si on n'a cette opinion
que pour dire uniquement qu'il est bon que les Chambres
aient de l'influence...
« M. THIERS. — Elle est nécessaire, cette influence.
« M. LE RAPPORTEUR. — L'honorable M. Thiers dit qu'elle
est nécessaire : j'accepte volontiers la rectification de
M. Thiers, elle est dans mon sentiment.
« M. THIERS. —Je le sais !
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Nous en avons la preuve
tous les jours. On n'a pas besoin de s'arrêter pour cela.
« M. THIERS. — C'était bon à dire, monsieur le président.
(On rit.)
< M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Nous le pratiquons tous
les jours, c'est encore mieux.
« AI. LE RAPPORTEUR. — Tout en reconnaissant qu'il était
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 155
nécessaire que les Chambres eussent de l'influence, je disais
qu'il ne faut pas le dire, bien que ce soit bon à dire, unique-ment pour le plaisir de le dire...
« M. THIERS. — Ce n'est pas pour cela que je l'ai dit.« M. LE RAPPORTEUR. — Il faut qu'il y ait une occasion
sérieuse de le faire ; eh bien ! j'en demande pardon, ici i]
n'y en a pas.« De quoi, avant tout, un Corps Législatif doit-il se préoc-
cuper ? C'est du chiffre de l'armée, parce que le chiffre de
l'armée correspond aux deux grands intérêts du pays : i° àsa dignité et à son rang dans le monde ; 2° aux intérêts dela vie civile, à la prospérité agricole et industrielle...
« Vous êtes les maîtres du chiffre de l'armée, du completde l'armée. Que vous ayez une durée de cinq ans, ou quevous ayez une durée plus longue, vous pouvez faire préva-loir votre volonté, quel que soit le chiffre du contingent, etvous arriverez toujours à ne laisser faire que ce que vous
voulez faire (i). Par conséquent, il faut laisser de côté cette
préoccupation—que je veux bien comprendre à titre de préoc-cupation générale, mais qui ne trouve pas ici sa raison d'êtreet qui aurait l'inconvénient pour quelques-uns de faire dis-
paraître une très bonne mesure militaire, parce qu'on yverrait l'occasion d'une préoccupation d'influence de la
Chambre ; —quant à moi (je parle avec une conviction pro-
fonde) cette préoccupation ne saurait exister...« Sans doute le Corps Législatif n'a plus aujourd'hui le
droit de voter la guerre (2), mais il y a une chose qu'il ne faut
pas oublier, et que nous devons tous respecter, c'est que la
(1) C'est l'affirmation de la prédominance du Législatif et laproclamation de l'usurpation des parlementaires. (N. de l'A.)
(2) Or, en 1870, le Corps Législatif vota la guerre et en assumala responsabilité avec le ministère parlementaire, à l'exclusionde l'Empereur!!!
l56 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
nation par son plébiscite a donné ce pouvoir au chef du
gouvernement, à l'Empereur, et dès lors la seule question
qu'il y ait à se poser est celle-ci : Faut-il, par un esprit de
suspicion, alors que la nation a donné ce pouvoir à l'Em-
pereur, ne pas remettre entre les mains du chef de l'Etat la
force suffisante pour défendre le pays ? Poser ainsi la ques-tion devant la Chambre, devant une Chambre française,
c'est la résoudre {Vive approbation sur un grand nombre de
bancs.)...« M. EMILE OLLIVIER (I) . — Voilà le mot de la loi : c'est la
guerre préparée. (Bruit.)« M. HAENTJENS. — C'est la théorie de la déraison humaine.
« M. LE RAPPORTEUR. — L'honorable M. Ollivier s'adresse
bien mal, car il s'adresse à un des plus grands partisans de
la paix. Et, quoique à mon avis la loi soit utile et même in-
dispensable à la défense des grands intérêts de mon pays,si je croyais qu'elle pût peser d'un poids sérieux dans la
question de la guerre et faire pencher dans ce sens, j'hésite-rais beaucoup à la voter. Mais, j'ai examiné au point de vue
purement philosophique, au point de vue purement histo-
rique, ce qui est arrivé dans le passé et ce qui certainement
arrivera dans l'avenir. Or, tant que les relations des peuplesne seront pas modifiées, tant que ces théories humanitaires,
que je désire voir accepter par tout le monde, ne seront pas
plus acceptées qu'elles ne le sont encore, lorsqu'un grandtrouble éclatera dans l'Europe, sans doute ce sera un im-
mense malheur, mais il n'y a que la guerre qui puisse...« M. GRANIER DE CASSAGNAC— C'est évident !
« M. JULES FAVRE. —Je demande la parole.
« M. LE RAPPORTEUR. — Ce jour-là, que j'éloigne de tous
mes voeux, il faut être prêt.
(1) M. Emile Ollivier appartenait à l'opposition républicaine.(N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l57
« ... Je vous donnerai la preuve de mon désir de ménagervos instants en supprimant toute péroraison et en me résu-
mant en deux mots.
« Je crois, messieurs, la loi nouvelle, appliquée à un même
chiffre d'armée, plus avantageuse à la fois au point de vue
militaire et au point de vue des populations ; je la crois plus
propre que la loi actuelle à assurer au pays des ressources
militaires plus grandes, sans augmenter sensiblement la
charge pour les populations, sans aggraver le budget; je
crois qu'elle permettra ainsi de maintenir à la France son
rang dans le monde, surtout si l'on donne à son armée
l'appui d'une garde nationale mobile dans le s conditions que
j'ai eu l'honneur d'exposer à la Chambre (Très bien! très
bien 1)
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — La parole est à M. Picard.
« M. ERNEST PICARD. — Messieurs, c'est une grande et
salutaire épreuve pour une loi que la discussion publique,et quand un esprit convaincu fait pénétrer la lumière, cette
lumière profite à tout le monde, aux adversaires de la loi
comme à ses défenseurs. Je rends justice à l'honorable rap-
porteur : il a défini avec une loyauté parfaite le travail quiest soumis, sous la forme de projet de loi, à l'assentiment et
à l'approbation de la Chambre, et il m'a, qu'il me permette
de le lui dire, fortifié dans ce sentiment qui depuis long-
temps était le mien, c'est que cette loi, réduite à ces termes,
présentée sous cette forme, pouvait être digne d'un plus
ample informé, d'une instruction nouvelle (i), mais ne pou-
vait pas passer pour une loi d'organisation militaire sou-
mise à vos suffages et sanctionnée par vous. (Murmures sur
plusieurs bancs.)
« Quelle est donc la loi qui nous est proposée et dans
quelles conditions vient-elle ?
(1) Toujours l'ajournement dû projet I!!
158 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« Nous savons tous que c'est au lendemain de la bataille
de Sadowa, qui a trompé bien des prévisions, qu'on a com-
pris la nécessité de modifier notre organisation militaire...« Eh bien ! m essieurs, quelle conséquence devons-nous
tirer? C'est que si nous prenons le premier terme de la pro-
position qui a été développée, ici, par l'honorable rappor-teur de la commission, nous sommes obligés de reconnaître
une chose : c'est qu'au point de vue de la guerre, les prévi-sions vous tromperont toujours, c'est que vous ne pourriez
pas même, à l'aide de l'armée que vous rassembleriez en
vertu de la loi nouvelle, être sûrs de donner toute satisfac-
tion aux exigences du pays.« La guerre?... Est-ce que vous pouvez la mesurer d'a-
vance? Est-ce que si le pays était menacé de toute part, non
seulement par un Etat voisin ayant une population égale à
la sienne, mais par une coalition, est-ce que ce n'est pas le
pays tout entier que vous devriez appeler? Est-ce que ce ne
serait pas le devoir rigoureux de tous les citoyens d'accourir
à sa défense ? (Approbation à la gauche de l'orateur.)« Mais ce système, en vérité inadmissible, qui consiste
à mettre à la disposition du pouvoir exécutif un certain
nombre d'hommes, est un système bâtard... »
O prodige !... Est-ce que M. Ernest Picard, non content
de brûler ce qu'il a adoré, va opérer une volte-face complète
et, pacifiste devenu tout à coup patriote clairvoyant, de-
mander que le projet « incomplet et bâtard » de la commis-
sion soit remplacé parle projet primitif de l'Empereur, qui,lui, préconisait le service militaire obligatoire et égal pourtous?
On le croirait d'autant plus volontiers que M. Ernest
Picard invoque les grands principes :« M. ERNEST PICARD. — Quels sont, en effet, sur ce point
les principes de 1789 ? C'est, il faut le reconnaître, que tout
Français doit le service militaire à l'Etat ; c'est, à moins de
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 15g
nécessité pour l'Etat, nécessité qui se mesure précisément au
temps qui est indispensable pour former un soldat et le
rendre apte à la défense du pays, c'est que l'impôt doit être
supporté également par tous... »
Mais, M. Ernest Picard conclut d'une façon diamétralement
opposée aux prémisses mêmes de son discours, et nous
reporte instantanément à sa première manière ; il demande
la disparition des armées permanentes et leur remplacement
par des milices !!!
Sur ces entrefaites, la Chambre demande la clôture de la
discussion générale.
M. Jules Favre s'y oppose en ces termes :
« M.JULES FAVRE. —Je m'étonne que, dans la discussion
générale, le gouvernement n'ait pas jugé à propos de se
faire entendre (au sujet d'une loi qui a porté l'inquiétude dans
le pays).
« M. ROUHER, ministre d'Etat. — Le gouvernement, en ce
qui le concerne, ne voit aucun inconvénient à la clôture de la
discussion générale. Il aura, à propos de l'article Ier, une
occasion naturelle de répondre aux critiques dirigées contre
sa politique, et il le fera, vous ne pouvez en douter.
« Cependant, l'honorable M. Jules Favre, dans la courte
observation qu'il vient_de présenter, vous a dit que certaines
allégations produites dans cette séance étaient de nature à
porter l'inquiétude dans le pays.« Si l'honorable M. Jules Favre a voulu faire allusion à
l'idée que le projet de loi qui vous est soumis était l'indice
du désir ou la volonté d'une guerre prochaine, dès à présent
je n'hésite pas à protester de la manière la plus énergique
contre une semblable interprétation {Très bien! très bien!)
« Je ne veux pas, à cette heure avancée, me livrer à une
discussion ; mais je puis affirmer que, dans la pensée du
gouvernement, le projet de loi correspond à un intérêt, à
des besoins permanents, et n'est nullement le résultat de
l6û 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
préoccupations politiques. Une considération bien simplesuffira à vous le démontrer : si nous avions eu pour but de
trouver dans la loi qui vous est présentée des forces immé-
diatement disponibles, nous vous aurions demandé une
élévation considérable du contingent comme une nécessité
née de la prévision d'un danger public. (Très bien!)...« Il faut donc discuter cette loi avec toute la sérénité
d'idées qu'elle comporte. Je le répète, il s'agit d'un intérêt
permanent sur lequel nous appelons l'appréciation du Corps
Législatif ; c'est à lui de juger si les questions sur lesquellesil a à se prononcer sont sérieuses et doivent recevoir les
solutions proposées par le projet de loi.
« Mais écartons d'une manière absolue les préoccupations
qui ont été trop longtemps répandues dans le pays et contre
lesquelles le discours du trône a protesté avec vivacité et
énergie. Non ! messieurs, le gouvernement n'est en aucune
façon dirigé par la moindre prévision d'une guerre voisine
ou prochaine. Il a en vue un intérêt considérable, qui est
la somme de tous les intérêts civils, industriels, commer-
ciaux, économiques du pays, et cet intérêt se traduit par ce
mot : La protection de l'indépendance de la patrie. (Trèsbien ! très bien !)
« Voilà tout l'intérêt de la loi. (Vives et nombreuses marques
d'approbation.)« SUR UN TRÈS GRAND NOMBRE DE BANCS. — La clôture !
la clôture!...
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Je mets aux voix la clô-
ture de la discussion générale,
(La clôture est mise aux voix et prononcée.)
« La discussion des articles est remise à lundi. »
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l&l
LA SUPPRESSION DE L'ARMÉE !
INTERVENTION DE M. EMILE OLLIVIER
Le lundi, 23 décembre, la bataille recommençait à proposde la discussion des articles du projet de loi. Contre-projets
et amendements devaient pulluler.
Le premier était radical, il demandait purement et sim-
plement la suppression de l'armée.
Henri Rochefort, qui commençait à l'époque à devenir
célèbre, aurait pu, s'il avait été consulté par ses amis du
Parlement, le résumer ainsi : « Art. Ier. — Tout citoyen
français doit à l'Etat le service militaire ; Art 2. — Tous les
citoyens en sont dispensés. »
Pour être moins humoristique, le contre-projet, déposésur le bureau de la Chambre, n'en était pas moins aussi
explicite, ainsi qu'on peut s'en rendre compte :
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —J'appelle l'attention de la
Chambre sur les divers contre-projets qui doivent précéderla discussion de l'article premier.
« Le premier contre-projet à mettre en délibération est un
amendement, sous le n° 10, qui est sous les yeux de la
Chambre, contre-projet en seize articles (1) signé de
(1) En voici le texte en 17 articles (et non en 16 comme un
lapsus linguoe le faisait annoncer au président du Corps Légis-latif) :
« ARTICLE PREMIER. — Tout citoyen français doit à l'Etatle service militaire.
La force militaire est divisée en trois classes. La premièreclasse comprend tous les citoyens de 20 à 26 ans ; la deuxièmeclasse tous les citoyens de 26 à 34 ans ; la troisième classe tousles citoyens de 34 à 40 ans.
« ART. 2. — Tout citoyen inscrit dans la première classe est
u
IÔ2 1870-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
MM. Jules Simon, Bethmont, Magnin, Hénon, Ernest Picard,
Jules Favre.
« La parole est à M. Jules Simon pour développer ce contre-
projet.<; M. JULES SIMON. — Messieurs, nous avons déposé un
amendement que M. le président qualifie avec raison de
tenu : i° à assister à l'école de recrutement pendant la premièreannée de son service dans cette classe ; 20 à assister chaqueannée aux exercices du tir et à l'école de répétition; 3° à assisterune fois dans le cours des six années à un camp de manoeuvres.
« ART. 3. — La durée de l'école du recrutement est fixée à troismois.
Elle est réduite à un mois pour ceux qui prouveront : i° qu'ilsont reçu une instruction primaire complète ; 20 qu'ils connais-sent le maniement du fusil et la manoeuvre du peloton et dubataillon.
« ART. 4. — Les exercices de tir ont lieu le premier et le troi-sième dimanche de chaque mois : ils sont précédés ou suivisd'une heure de manoeuvres.
« ART. 5. — La durée de l'école de répétition est fixée à dix
jours.« ART. 6. — La durée du camp de manoeuvre est fixée à trois
mois. Les jeunes gens inscrits sur le registre d'inscription del'une des écoles de l'Etat peuvent obtenir de n'assister au campde manoeuvres qu'après l'expiration de leur temps d'études.
« ART. 7. —'Les citoyens inscrits dans la deuxième classeassistent aux exercices du tir et à l'école de répétition, commeceux de la première classe.
Ils assistent une fois pendant leur service dans cette classe àun camp de manoeuvres dont la durée est réduite à un mois.
« ART. 8. — Les citoyens inscrits dans la troisième classe nesont astreints qu'à suivre les exercices de tir.
« ART. 9.— La durée des écoles de toute nature est augmentée
de moitié pour les sous-officiers ; elle est doublée pour les offi-ciers.
« ART. 10. — Les officiers, sous-officiers et soldats reçoiventune solde du Trésor public pendant le temps qu'ils passent sousle drapeau.
Les officiers et sous-officiers chargés d'une façon permanentede l'instruction des corps et des divers services d'intendance
187O-7I•— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l63
contre-projet, parce qu'il contient un système complet, quiest précisément le système le plus opposé à la loi que vous
discutez.
« Le projet soumis à vos délibérations est à nos yeux une
organisation de guerre; l'amendement que nous vous pro-
posons est, selon nous, une organisation de paix.
reçoivent un traitement annuel et ont droit à une pension deretraite.
«ART. 11. — Les corps spéciaux comprenant le génie, l'artil-
lerie, la cavalerie, la gendarmerie, sont formés par des engage-ments.
Ils reçoivent une haute paye.« ART. 12. — Sont dispensés du service .' i° les ministres des
différents cultes ; 20 les fils aînés des veuves ; 30 les jeunes gensqui n'atteignent pas la taille de 1 m. 54; 40 ceux que le con-seil derevisionreconnaîtactuellement impropres auservice. Cette
dispense peut être renouvelée d'année en année ou déclaréedéfinitive.
«ART. 13.— Peuvent être exemptés sur leur demande les
fonctionnaires âgés de 25 ans au moins qui prouveront que lesnécessités présentes de leurs fonctions sont incompatibles avecle service militaire. Cette exception peut être renouvelée d'annéeen année.
« ART. 14. — Dans toutes les écoles de l'Etat de tous les degrés,les jeunes gens de douze à vingt ans sont exercés trois fois parsemaine au maniement des armes et aux manoeuvres militaires.
« ART. 15.— La présente loi sera exécutoire à partir du
Ier juillet 1869.« ART. 16. — Jusqu'à la mise en vigueur de la présente loi, la
loi de 1832 est maintenue.Néanmoins la durée du service actif est réduite à trois ans.« ART. 17.
— La loi de 1855 est abrogée. »
L'idée prédominante de désarmement de la France, contenuedans ce contre-projet, venait bien à son heure, on l'avouera, à la
veille des événements de 1870 et en présence des contingences
menaçantes. N'importe ! il est curieux de constater que les anti-
militaristes de 1868 commettaient, d'autre part, l'erreur commune
aux antimilitaristes de toujours. L'article 11 de leur contre-projetdécrétait la plus parfaite armée prétorienne qui se puisse ima-
giner. (N. de l'A.)
164 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« Cet amendement a été attaqué (1) pendant la discussion
générale avant même d'avoir été développé devant vous.
« On a prétendu nous combattre, en attaquant le systèmedes levées en masse ; on nous a reproché de ne vouloir plusen France qu'une garde nationale fortifiée par trois mois
d'exercice sous les drapeaux ; on a aussi prétendu que nous
voulions désarmer complètement (2) la France en présence
de l'Europe armée.
« J'espère que les très courtes observations que je vais faire
vous démontreront que ce n'est pas là la situation que nous
prenons et qu'aucune des réfutations qui nous ont été pré-sentées ne nous réfute...
« Du reste, j'ai si peu le dessein d'affaiblir la portée de notre
amendement en vous le présentant sous son côté le plus
acceptable, que je le résume dès à présent par les deux pro-
positions suivantes : Supprimer les armées permanentes ;
armer la nation entière. (C'est cela ! Très bien I à la gauche de
l'orateur.)« ... Notre système n'étant qu'un plagiat, j'ai le droit de
commencer par invoquer l'exemple d'une nation voisine,
d'une petite nation à la vérité (la Suisse), mais qui a été
célébrée à toutes les époques de l'histoire par la fermeté et le
courage de ses enfants et chez laquelle on ne peut dire qu'il
n'y ait pas d'armée I
« Il manque pourtant quelque chose à notre armée ainsi
conçue : c'est l'esprit militaire ; je le reconnais tout le pre-mier.
« Cette armée est une armée de citoyens qui se réunissent
(1) Se reporter page 152 (dans le présent chapitre III), oùM. Gressier, rapporteur, fait allusion au contre-projet tendant àla suppression de l'armée.
(2) « Complètement » est joli !... N'était-ce pas assez dedésarmer même partiellement la France, et surtout de la désor-
ganiser militairement, à ce tournant de l'histoire ? (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l65
pour défendre leur pays et pour maintenir Tordre. Ce n'est
à aucun degré une armée de soldats.
« L'esprit militaire est un esprit artificiel formé d'un grandnombre d'éléments très complexes.
« Prendre un homme au milieu de sa famille ; l'éloigner,car on y tient, de son pays natal ; le faire changer fréquem-ment de garnison ; l'obliger à demeurer dans une caserne ;
l'astreindre à la vie commune ; lui faire porter l'uniforme ;lui faire traîner le sabre, même dans la vie ordinaire, au
milieu d'une population à laquelle le port des armes est soi-
gneusement interdit; lui donner des lois qui ne sont pas celles
des autres citoyens ; lui inculquer de certains principes qu'onaurait tort d'inculquer au reste de la nation et qu'on est obligéde lui inculquer à lui ; lui dire, par exemple, que son premierdevoir est d'obéir immédiatement et sans réflexion à ses
chefs —je ne blâme rien, je constate — tout cela résulte du
principe des armées permanentes et tout cela fait l'espritmilitaire (1)...
« Quand je parle des conditions de l'esprit militaire et de
la façon dont vous le formez, je ne vous reproche pas de
vous tromper, mais d'être conséquents avec un système
déplorable et de substituer, chez le soldat, l'esprit militaire à
l'esprit national.
(1) Il convient de se reporter une fois de plus à l'article 11 du
contre-projet soutenu par M. Jules Simon et de constater que cetarticle créait une armée permanente composée de génie, d'artil-
lerie, de cavalerie et de gendarmerie, où « l'esprit militaire »
sévirait fatalement, d'autant plus que ces corps spéciaux forme-raient une armée de métier. L'esprit de métier y régnerait donc
comme dans tous les autres corps de métier et n'aurait plus chancede se diluer dans l'esprit national : ce qui ne peut se produireque si tout le monde, sans distinction, est astreint aux mêmes
obligations militaires. Tous les dangers du prétorianisme subsis-
taient ainsi, tandis qu'en même temps ne disparaissaient queles avantages d'une Défense Nationale sérieusement organisée !
(N. de l'A.)
l66 I87O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« M. EUGÈNE PELLETAN. — C'est l'esprit prétorien ! {Bruit.)« M. JULES SIMON. — Quand je dis que l'armée que nous
voulons faire serait une armée de citoyens et qu'elle n'aurait
à aucun degré l'esprit militaire, ce n'est pas une concession
que je fais, mais une déclaration ; et une déclaration dont jesuis heureux ; car... c'est pour qu'on soit, je ne dirai pas dans
la nécessité d'aimer la paix, mais dans l'impossibilité de l'en-
freindre. C'est pouc cela, précisément, qu'au lieu d'une armée
imbue d'esprit militaire nous voulons avoir une armée de
citoyens invincible chez elle et hors d'état de porter la guerreau dehors. [Applaudissements à la gauche de l'orateur.)
M. GARNIER-PAGÈS. — Le militarisme, c'est la plaie de
l'époque.« M. DE VAST-VIMEUX. — Il n'y a pas d'armée sans esprit
militaire.
« M. JULES SIMON. — Vous me faites l'honneur de me dire
qu'il n'y a pas ,d'armée sans esprit militaire. Je comprends
parfaitement votre interruption. S'il n'y a pas d'armée sans
esprit militaire, je demande que nous ayons une armée quin'en soit pas une !... {Mouvements divers.)
«... Pourquoi avez-vous besoin d'une armée ? Pour l'une
de ces deux choses : ou pour porter la guerre au delà de nos
frontières ou pour maintenir en deçà la volonté de la nation.
« Je puis bien dire apparemment, puisque vous déclarez en
tête de. toutes les lois que vous régnez par la volonté natio-
nale, que vous n'avez pas besoin de prétoriens. Avez-vous
donc besoin d'envahisseurs, vous qui ne cessez d'invoquerla paix ou d'attester vos résolutions pacifiques ?
« Ni prétoriens, ni envahisseurs : que seront donc vos
soldats?...
« Si vous étiez venus dire ici : « Il faut faire la guerre,donnez-nous des hommes ! » eh bien I malgré vos fautes
passées {Rumeurs) nous en aurions peut -être subi les consé-
quences.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 167
« Mais nous demander de ne pas faire la guerre, et nous
demander quand même en hommes et en argent les sacrifices
que la guerre exige I... » Est-ce admissible ? telle est l'inter-
rogation finale que pose l'orateur, qui termine définitivement
en suppliant la Chambre d'adopter le contre-projet tendant
au désarmement de la France.
« Ai. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — La parole est à Monsieur
le ministre de la guerre.« M. LE MARÉCHAL NIEL, ministre de la guerre.
— Messieurs,
ce qu'on vient nous demander, c'est d'armer la nation sans
l'organiser et de supprimer l'armée permanente.•? Plusieurs des orateurs qui ont précédé l'honorable
M. Jules Simon ont déclaré que dans le cas où la France
serait exposée à une agression qui menacerait sa sécurité, on
aurait recours à la levée en masse.
« Cette question de la levée en masse, je crois qu'il est bon
de la traiter; clic a été agitée plusieurs fois, et je ne pense
pas qu'on puisse donner à notre pays un conseil plus fatal
que celui d'assurer un jour sa sécurité par la levée en masse.
{Très bien! sur plusieurs bancs.)« Les principes de 1789 ont fait le tour du monde, on l'a
souvent répété, et ils sont inscrits en tête de notre Consti-
tution ; mais les principes militaires de 91 et de 92 ont aussi
fait leur chemin. En France, en 1791 et 1792, sous le régime
de la levée en masse, les armées permanentes ont été vaincues;
mais, grâce aux dispositions patriotiques dont étaient pro-
fondément animés les volontaires et les gardes nationales,
c'est une époque glorieuse pour nous. Le pays a été sauvé,
il ne faut pas l'oublier; mais n'oublions pas aussi qu'il a été
sauvé malgré la levée en masse.
« Messieurs, beaucoup d'hommes illustres de l'Empire
avaient vécu et servi sous la République ; ils ont conservé de
la levée en masse un sentiment d'effroi : leurs mémoires, leurs
discours à la Chambre des pairs ou à la Chambre des Députés
l68 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
sont partout empreints de cette crainte que le pays eût la
pensée de recourir une fois de plus à la levée en masse. Tousont tenu le même langage. Le maréchal Gouvion Saint-Cyr,
qui, pendant toute sa carrière, n'a cessé de se préoccuper decette pensée, formulait ainsi l'opinion qu'un tel système avait
laissé dans son esprit :
« La levée en masse, disait-il, n'a servi qu'à l'ennemi. Ces
« hommes qu'on nous envoyait, sans aucune organisation,« épuisaient les pays où ils passaient, se jetaient sur notre
« armée et semaient l'indiscipline. »
« Et cet homme éminent se résumait ainsi :« C'est un grand malheur d'avoir besoin de la levée en
« masse ; plus grand est celui de s'en servir. »
« ... Messieurs, laissons de côté les idées de levées en
masse ; considérons ce qu'est cette armée permanente à
laquelle on fait le procès et que l'on voudrait abandonner.« Quoi ! Vous dites que c'est une armée de prétoriens ?« Je déclare qu'à aucune époque l'armée française n'a été
organisée sur une base plus libérale qu'aujourd'hui. {Nom-breuses marques d'assentiment.)
« Jamais, il n'y a eu un roulement plus complet de l'armée
vers la population et de la population vers l'armée. Jamais il
n'y a eu plus parfaite harmonie entre nos troupes et la
nation ! (Nouvelles marques d'assentiment.) Nulle part ne
s'élève un conflit.
« Jamais les populations qui sont dépourvues de garnisonn'en ont demandé avec plus d'insistances. (C'est vrai! c'est
vrai !) Jamais la discipline n'a laissé moins à désirer.« Examinons donc ce qu'est cette armée que l'on critique !« Ecartons tout d'abord de notre esprit la pensée qu'une
armée puisse s'improviser. Une armée vit de ses traditions ;elle vit de sa gloire passée et des devoirs accomplis. {Appro-bation. )
«Notre armée — je dirai pourquoi tout à l'heure — a une
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 169
grande confiance en elle-même ; il faut qu'il en soit ainsi, et
le pays, je le crois, a également confiance en elle...
« Voix NOMBREUSES. — Oui ! oui !
« M. LE MINISTRE. — Ce qui fait la force de notre armée,
dont la constitution repose sur un recrutement né sous la
République, après les levées en masse, et alors qu'après en
avoir reconnu le danger il avait fallu les abandonner ; ce qui
fait, dis-je, la force de notre armée, de cette armée à laquelle
vous n'avez pas craint d'appliquer la qualification aussi
fausse qu'injuste d'armée de prétoriens, c'est précisément
que, depuis le haut de l'échelle jusqu'en bas, vous y trouvez
une chaîne non interrompue ; c'est qu'elle se compose
d'hommes qui sont tous soldats, d'hommes qui— sauf le
grade— sont tous égaux par l'origine. (Oui! c'est cela.)
« ... Aussi, messieurs, suis-je vivement affligé quand j'en-
tends certaines attaques dirigées contre les chefs de l'armée,
qui ont cependant besoin de la considération publique, soit
pour eux, soit pour ceux qu'ils commandent. On voudrait
peut-être désunir l'armée, on ne le pourra pas : l'attaque qui
s'adresse à ceux qui commandent aujourd'hui s'adresse éga-
lement à ceux qui commanderont demain ; vous ne romprez
pas cette chaîne qui lie le simple soldat au maréchal de
France, et le maréchal de France au simple soldat.
« M. GARNIER-PAGÈS. — On n'attaque pas le soldat.
« M. LE MINISTRE. — Mais quand vous attaquez celui qui
commande, vous attaquez le soldat ; seulement vous l'atta-
quez à la fin de sa carrière, au lieu de l'attaquer au commen-
cement : voilà la seule différence. (C'est vrai ! Très bien! très
bien!)
«... Messieurs, lorsque l'Empereur m'a fait l'honneur de
me confier le portefeuille de la guerre, honneur que je n'ai
jamais ambitionné, je me suis consacré à la tâche qui m'était
imposée, j'y ai apporté tous mes soins; suivant les instructions
que j'ai reçues, je me suis efforcé de compléter le mieux pos-
170 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
sible l'organisation de l'armée. Eh bien ! messieurs, en fai-
sant cela, je crois que j'étais un des citoyens qui travaillaient
le plus pour la paix! [C'est vrai! c'est vrai! Très bienl très bien!)« Aujourd'hui, je viens défendre devant vous une organi-
sation de l'armée qui n'est pas une organisation de circons-
tance, mais de longue durée... Je crois encore travailler pourla paix. »
Le ministre parla encore, et de telle façon qu'on pouvait
croire qu'il avait fini par convaincre la Chambre entière,
puisque MM. Jules Simon et Garnier-Pagès s'associèrent à
M. Belmontet qui s'écriait : « Nous aimons tous l'armée! »
Mais, M. Jules Favre monta une fois de plus à la tribune et
déclara :
« M. JULES FAVRE. —Quelques-uns d'entre nous, et je suis
du nombre, pensent que le vote de la loi, loin de maintenir
la paix, sera un instrument de guerre... {Rumeurs. — Allons
donc ! Allons donc !)« L'Empereur, en 1863, dans son discours du trône, s'expli-
quant sur les charges imposées à l'Europe entière par cette
paix armée qui, en effet, n'est ni la paix ni la guerre, et qui a
tous les désavantages de la guerre sans avoir les avantagesde la paix, l'Empereur s'exprimait ainsi :
« Conserverons-nous éternellement un état qui n'est ni la
« paix, avec sa sécurité, ni la guerre avec ses chances heu-
« reuses ? »
L'orateur déclarait alors que, la solution au problème, il
l'avait cherchée lui aussi personnellement, et qu'il était abso-
lument convaincu de l'avoir trouvée. Il l'indiquait, d'ailleurs :
« M. JULES FAVRE. — Quant à moi, reprenant ce que tout à
l'heure disait mon honorable ami M. Jules Simon, je suis
convaincu que la nation la plus puissante est celle qui irait le
plus près du désarmement. »
La France n'a qu'à désarmer : ce n'est pas plus difficile
que ça !
187O-7I •— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 171
Lorsqu'elle n'aura plus un soldat sous les armes ; alors,toutes les autres nations, la Prusse en tête, s'empresseront de
l'imiter...
Evidemment !
M. d'Havrincourt répondit quelques mots à M. Jules Favre
et à M. Jules Simon tout à la fois.
Il parla du contre-projet de désarmement :
« M. D'HAVRINCOURT. — Et vous appelez cela le désarme-
ment! Comment! lorsque le gouvernement a renoncé à cet
appel de toute la classe (i), qui n'était fait cependant que pourune durée maximum de neuf ans : aujourd'hui, c'est jusqu'à
quarante ans (c'est-à-dire pendant vingt ans) que vous voulez
retenir tous les Français sous l'obligation et l'assujettissementdes exercices militaires? Il faut que le pays sache à quels
moyens on veut avoir recours pour arriver à ce prétendudésarmement général! » {Nombreuses marques d'approbation.)
Mais, une intervention sensationnelle va se produire :
c'est le tour de M. Emile Ollivier.'
Au début de son discours, le nouveau comparse ne peut
s'empêcher, malgré ses sentiments d'opposition au régime
représentatif, de rendre hommage à l'Empereur qui avait
cherché, dans son projet primitif, de faire disparaître l'exoné-
ration et d'appliquer intégralement le principe d'égalité en
matière de service militaire.
Hélas ! Cette constatation laudative ne constitue qu'une
habileté oratoire : M. Emile Ollivier estime acquérir ainsi
plus de force pour attaquer avec véhémence le projet nouveau
soumis à présent aux délibérations de la Chambre. Il trouve
notamment que le temps de service est trop long.
N'étant pas spécialiste, il cite ses auteurs.
« M. EMILE OLLIVIER. — Ainsi'a conclu (sur la durée du ser-
(1) Projet primitif de l'Empereur, avec cinq ans dans l'activeet quatre ans dans la réserve. (N. de l'A.)
I72 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
vice militaire) le dernier et le plus admirable de nos écri-
vains militaires, l'auteur de l'Année Française en 1867, l'ho-
norable général Trochu : « Les soldats, comptant deux à
« quatre ans de pratique et d'expérience professionnelle,
« ont dans la guerre le maximum de solidité et de durée qu'ils
« puissent offrir. »
Voilà donc la première fois où il est parlé du fameux plan
de Trochu.
Pour favoriser le maintien de la paix, qu'il souhaite à la
façon des Jules Simon, Garnier-Pagès, Thiers et autres,
M. Emile Ollivier offre aussi une formule spéciale et jusque-là
inédite dans notre pays.« M. EMILE OLLIVIER (I). — Je ne suis pas de ceux qui veu-
lent alléger et rendre facile la guerre. Non ! je veux que la
guerre ne puisse se faire sans entraîner une immense perturba-
tion. Je veux qu'on ne puisse s'y précipiter qu'en imposant des
souffrances à un très grand nombre de citoyens ; je veux que la
majeure partie de la nation soit compromise dans les aven-
tures guerrières, je veux qu'elle en souffre, car je ne connais
pas de moyen plus efficace d'introduire, dans une société que
l'état militaire ruine (sic), l'esprit de conservation et de paix.
En cela, messieurs, je suis la doctrine d'un illustre homme
d'Etat de l'Angleterre, M. Gladstone.
« Ayant à opter, pour constituer les ressources de la guerre,
entre l'impôt et l'emprunt, M. Gladstone préféra l'impôt, parce
que l'impôt frappant durement et immédiatement la nation, elle
était mieux avertie, que par des discours, des sacrifices qu'im-
pose la guerre, et, par suite, de la nécessité de ne s'y résoudre
qu'autant que cela serait exigé par le devoir et par l'honneur.
(Très bien! très bien! sur les bancs à la gauche de l'orateur.)
(1) Annales du Sénat et du Corps Législatif (2e session de 1867— session de 1868), tome II, page 125. — Bibliothèque de lachambre des Députés ; U, 34.
1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 178
« M. EMILE OLLIVIER. — Nous restons en face d'une loi,
dont le principe est celui-ci : les armées de la France — que
j'ai toujours, pour ma part, trouvées trop nombreuses — sont
insuffisantes. Leur effectif doit être augmenté et porté à un
chiffre exorbitant. Mais pourquoi donc ? Qu'on nous le dise ?
Où est la nécessité? Où est le péril ? Qui nous menace? Qui
nous inquiète ? Personne ! {Interruptions.) Non ! personne ne
nous menace ; nulle part il n'y a un péril. (Rumeurs.) Per-
sonne ne veut nous provoquer, nous déclarer la guerre. .>
(Bruit.)
C'est vouloir alarmer l'Europe que de réorganiser nos
forces nationales, voilà ce qu'affirme M. Emile Ollivier qui
déclare qu'il ne votera pas la loi et parle de la menace qui,
d'après lui, en découle :
« M. EMILE OLLIVIER. — Deux seuls moyens existent pour
conjurer cette calamité : de la part du gouvernement, un
retour sur lui-même, une résolution décisive et l'institution
d'un gouvernement constitutionnel et libéral à la place d'un
gouvernement personnel (i). (Interruption prolongée. —Mou-
(1) En s'exprimant ainsi, M. Emile Ollivier commettait sciem-ment une erreur monstrueuse, en matière constitutionnelle.
Sous le régime de la Constitution de 1852, pas plus que souscelui de la Constitution de 1848, nous n'avions de gouvernementpersonnel, mais au contraire un gouvernement repiésentatif, où
l'Exécutif, « représentant » le Peuple dont il était l'élu, demeu-rait toujours soumis au contrôle de la souveraineté nationale.
Mais, comme tous les libéraux d'alors, le républicain EmileOllivier voulait substituer la volonté des Chambres à celle du paysentier et instaurer le parlementarisme avec un chef d'Etat irres-
ponsable et ne gouvernant point : qu'il s'appelât Empereur, Roiou Président, peu importe 1
M. Emile Ollivier se servait d'un euphémisme pour faire
accepter sa conception (conception identique à celle de lamonarchie de 1815 et de I8JJO, et plus tard à celle de la répu-blique issue delà constitution de 1875). Cette conception libérale
devait, d'après lui, suffire à garantir la France contre l'éventualité
174 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
vemenls divers.) De la part du pays, de votre part à vous quile représentez officiellement, l'obligation de repousser une
loi dont l'utilité est au moins douteuse et qui n'est certaine-
ment pas nécessaire. »
Ainsi, M. Emile Ollivier repoussait par avance et définiti-
vement toute idée de réorganisation de l'armée ; et il la
repoussait d'un coeur léger ; comme, plus tard, il irait à la
guerre, d'un coeur léger.
Après une courte intervention du général Lebreton, à la fin
de cette séance du 23 décembre 1807, le contre-projet de
désarmement présenté par MM. Jules Simon, Jules Favre et"plusieurs de leurs collègues fut — malgré l'intervention de
M. Emile Ollivier ou, peut-être, à cause de son intervention
— repoussé à mains levées, et la suite de la discussion sur les
articles du projet de loi renvoyée à la séance du lendemain.
BATAILLE DES AMENDEMENTS ET VOTE FINAL
Combien le projet de loi en discussion était déjà déformé
et amoindri. Ah ! ce n'était plus le projet si démocratique de
Napoléon III, dont les parlementaires de la commission eux-
mêmes n'avaient pas voulu, afin de ne pas effaroucher la
bourgeoisie orléaniste ou ultramontaine. Ce n'était même
plus le projet plus bourgeois de la commission. Il ne s'agis-
sait maintenant que d'une réformation de la loi de 1832.
Cependant, cette simple retouche constituait quand même
un projet de réorganisation de nos forces défensives.
d'une guerre civile et d'une guerre étrangère : le parlementarisme
intégral était la panacée !Et Thiers, Jules Simon, Garnier-Pagès, Jules Favre, Glais-
Bizoin, Pelletan, Buffet, Berryer, etc., qui applaudissaientM. Emile Ollivier pensaient tous comme lui !... (N. de l'A.)
1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 175
Le projet final valait mieux que rien. On pouvait, en défi-
nitive, s'en contenter.
N'importe ! les adversaires devaient essayer de l'étriquer,de le déformer davantage.
La bataille.des amendements dura du 23 décembre 1867 au
14 janvier 1868.
Le 24 décembre, ce fut amendement de M. Glais-Bizoin
réduisant à deux ans la durée du service militaire. D'après
lui, cela devait diminuer « la carte à payer ».
M. Garnier-Pagès en profitait aussitôt pour proposer encore
et toujours la levée en masse.
Le maréchal Niel répondit une fois de plus par cette nou-
velle observation :
« J'ai dit que présenter, à notre époque surtout, la levée en
masse comme un moyen sur lequel on pourrait compter pourse défendre en cas d'agression, c'est donner un conseil dan-
gereux à notre pays. (Très bien ! très bien f)« C'est vouloir l'endormir en temps de paix, en lui persua-
dant qu'il aurait un moyen improvisé de se défendre s'il était
attaqué. Voilà ce qui est le plus dangereux. » (C'est vrai! —
Très bien 1)
Sur cette vigoureuse intervention, l'amendement de
M. Glais-Bizoin fut repoussé. Un second du vicomte Clarysubit le même sort, ainsi qu'un autre du baron de Janzé. Mais,
de ces amendements, il en surgit de tous les côtés : de la
droite, de la gauche et du centre. Inutile d'en continuer
rénumération qui serait oiseuse.
Cependant, à la séance du 26, il faut signaler celui de
MM. Jules Simon, Hippolyte Carnot et Hénon, tendant à la
réduction à un an de la durée du service militaire en faveur
des jeunes gens ayant reçu une instruction, au moins pri-
maire et complète, et connaissant le maniement des armes
et l'école du soldat. Il fut également repoussé.
A la séance du 27, le royaliste Buffet déclara que la meilleure
I76 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
réforme à réaliser à tous points de vue et celle qui offrait le
plus de garanties, même au point de vue militaire, était celle
qui modifierait la Constitution et établir ait un régime parlemen-
taire, avec des ministres responsables devant la Chambre.
C'est la même thèse, sous une autre forme cependant,
que celle présentée par M. Emile Ollivicr, à la séance du
23 décembre.
Royalistes et bourgeois républicains firent le meilleur ac-
cueil à cette évocation du rétablissement de la fiction constitu-
tionnelle des Chartes de 1815 et de 1830. M. Buffet y insista :
« M. BUFFET. — C'est là qu'est la garantie véritable, et
cette garantie, vous me permettrez de dire qu'elle tend, je
crois, à s'établir de plus en plus parmi nous.
« Quand j'ai eu l'honneur, parlant au nom d'un certain
nombre de mes honorables collègues, de demander la pré-
sence des ministres dans la Chambre... (Afy ! Ah ! — Parlez !
Parlez /)« Laissez-moi compléter ma pensée, elle est parfaitement
respectueuse et constitutionnelle ; j'ai le droit de l'émettre,
et je l'émettrai.
« PLUSIEURS MEMBRES. — Parlez !
« M. LE DUC DE MARMIER. — Cette présence ne nous offri-
rait de garanties qu'avec la responsabilité ministérielle.
« M. BUFFET. —Je pensais avec l'honorable ministre d'Etat,
qui me faisait de cette conséquence une objection que je n'ai
point contredite, que la présence des ministres dans cette
Chambre aurait pour résultat d'établir bientôt en fait la véri-
table responsabilité ministérielle. »
Eh ! quoi, de l'aveu de M. Buffet : M. Rouher, ministre
d'Etat, avait pris en quelque sorte des engagements vis-à-vis
des parlementaires de l'opposition orléano-républicaine !!!
Même dans les sphères gouvernementales le « parlementa-
risme » trouvait ainsi des adeptes ou des avocats, peut-être
les deux à la fois? Et l'on suggérerait à l'Empereur l'idée d'y
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 177
accéder, afin de faire de nouvelles concessions à la « pousséelibérale »?Quel vent de folie soufflait donc sur tous ces gens-là ?
Pendant ce temps, la discussion des articles du projet de
loi se poursuivait à la Chambre, de la façon la plus parlemen-
taire, c'est-à-dire la plus futile : tel était le résultat des con-
cessions déjà faites sur le terrain constitutionnel, depuishuit ans déjà.
Les bavards péroraient durant des heures, pour ne rien
dire. Les séances succédaient aux séances, pour ne rien
faire. La monotonie des débats n'était rompue que par des
invectives de M. Eugène Pelletan à l'adresse de ses collèguesou du président même du Corps Législatif.
De ci, de là, à peine quelques réflexions sont-elles à glaner.
Ainsi, M. Jules Simon déclare :
« J'espère qu'on nous rendra cette justice que, toutes les« fois qu'il a été question d'organiser ce qu'on appelle la paix« armée, on nous a trouvé en travers de toutes les mesures« proposées pour arriver à ce but. »
Troisjoursplustard, c'estle pauvre maréchalNiel, ministre
de la guerre, qui affirme, découragé, mais comme mû par la
prescience des événements :
« J'ai la conviction qu'avant peu vous aurez le regret d'avoir« attaqué cette institution (l'armée). »
M. Thiers se démène dans les couloirs, disant à ses collègues
que les électeurs, peu enthousiastes d'aller perdre leur tempsà la caserne, ne rééliraient pas ceux d'entre eux qui vote-
raient pour le projet.M. Jules Favre tient à son mot de « casernisme ». Il le
répète partout :
« Vous voulez faire de la France « une vaste caserne ? »
clame-t-il.
« Prenez garde, monsieur Jules Favre, d'en faire un vaste
cimetière ! » telle est la réponse attribuée au ministre de la
guerre.13
I78 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
A la séance du 31 décembre, M. Thiers remonte à la tri-
bune, pour y prononcer de nouveau un grand discours. Il
nie, malgré la preuve contraire fournie par lui-même dix
mois plus tôt (1), les formidables armements des grandes
puissances de l'Europe ;
« M. THIERS (2). — On vous présentait, l'autre jour, des
chiffres de 1.200, de 1.300, de 1.500.000 hommes comme étant
ceux que les différentes puissances de l'Europe pouvaient
mettre sur pied...« Eh bien ! ces chiffres-là sont parfaitement chimériques.
Il faut se placer dans la réalité des choses. La Russie, selon
M. le ministre d'Etat, nous présenterait 1.500.000 hommes!
la Prusse 1.300.000 ! et l'Italie 900.000 ! Mais, je le demande,
où a-t-on vu ces forces formidables ?
« C'est que, messieurs, il ne faut pas se fier à cette fantas-
magorie de chiffres qui sont étalés dans toute l'Europe. Allons
donc ! ce sont là des fables qui n'ont jamais eu aucune espèce
de réalité. » (Approbation sur plusieurs bancs.)
Et pour étayer ses dires, M. Thiers parle des chiffres
d'hommes mis en présence autrefois sur les champs de
bataille, sous la Révolution et le Premier-Empire. On ne
comptait pas alors par millions, témoin la bataille de Leipsig.
Doit-on compter différemment désormais ? Non ! non !
D'ailleurs, telle qu'elle est notre armée est suffisante, archi-
suffisante. Le cas échéant, pendant qu'elle ferait face à l'en-
nemi on aurait tout le temps de respirer et de s'organiser. On
aurait au moins « deux ou trois mois, c'est-à-dire plus de temps
qu'il n'en faudrait pour organiser la garde mobile » et utiliser
(1) Annales du Sénat et du Corps LégislatiJ, 1868 (2e session
de 1867), tome II, page 296.
(2) Se reporter chap. II, page 73, du présent livre, où, à la
séance du 14 mars 1867, l'on voit M. Thiers, taxer d'aveuglementceux qui ignorent les armements faits par toutes les puissances
européennes, sans distinction.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 179
le zèle des populations. Les volontaires afflueraient. M.Thiers
le sait bien, lui, qui a étudié et écrit l'histoire de la Révolution,du Consulat et de l'Empire. Aussi, lance-t-il ce reproche :
« Vous vous défiez beaucoup trop de votre pays ! »
Après de pareilles interventions et de telles objurgations
oratoires, quoi d'étonnant à ce que, grâce aux amendements
qui entraînent d'autres amendements, le projet que soutient
la commission ne soit plus fait que de pièces et de mor-
ceaux?... Tant et si bien que le rapporteur, M. Gressier, est
obligé de demander un répit pour fournir un nouveau
rapport, amalgamant le tout.
C'est à la séance du 7 janvier 1868 que M. Gressier pré-senta le 3e rapport supplémentaire et en donna lecture.
Celui-ci comprenait de nombreuses additions et de mul-
tiples suppressions.Parmi les additions, il convient d'en signaler une, qui, en
italiques, attirait les yeux à la première lecture — la sui-
vante : « Les premiers numéros sortis au tirage au sort,
déterminé par l'article suivant, formeront le contingent des
troupes de mer. »
Il semblerait, dès lors, que l'opposition systématique contre
le principe de la réorganisation de l'armée devrait prendrefin. Pas du tout !
Chaque jour, à la Chambre, ce ne sont qu'observations
et récriminations sur des points de détail.
Le ministre de la guerre ne sait plus de quel côté faire
face.
Finalement, il déclare :
« Vous me rendez la tâche impossible. Quand j'ai accepté« la mission que l'Empereur m'a confiée de réorganiser« l'armée, comment pouvez-vous me refuser même les choses
« le plus strictement nécessaires? »
Il ne s'agit plus maintenant que d'une loi, qui n'est plus
que l'ombre d'elle-même.
l8o 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Malgré tout, elle contient encore l'idée maîtresse, la con -
sécration d'un principe, qui est celui-ci : « La France ne
peut se désintéresser de sa propre Défense Nationale, en
présence des armements continus de toutes les nations euro-
péennes. »
Tout le monde sera au moins d'accord sur cette question
de principe ?
Nullement !
Nous voici, en effet, à la séance du 14 janvier 1868... On
vote.
M. le président Schneider donne lecture des résultats (1)
(1) Voici les résultats officiels du vote :
« Ont voté pour. — MM. Abbatucci, d'Albuféra, André (de la
Charente), André (du Gard), Andrieu, Arman, d'Ayguesvives,Aymé, Francisque Balay, Barbet, Bartholoni, de Beauchamp,Marc de Beauvau, de Beauverger, Belliard, Belmontet, de
Benoist, Berger,-Bertrand, Bodin, de Boigne, Bois-Viel, Bou-
caumont, Bouchetal-Laroche, comte Boudet, Bourlon, Bournat,Boutelier, baron Buquet, de Bussière, Busson-Billault, Caffarelli,Calvet-Rogniat, de Campaigno, Caruel de Saint-Martin, Cazelles,Chadenet, Chagot, J.-P. de Champagny, N. de Champagny, Char-
lemagne, de Chasot, Chauchard, Chesnelong, Chevandier deValdrôme, Christophle, baron de Coehorn, de Colbert-Chaban-
nais, marquis de Conegliano, Conseil, de Corberon, Corneille,Cornudet, Cosserat, du Couëdic, Coulaux(du Bas-Rhin), Creuzet,Curé, Daguilhon-Pujol, de Dalmas, Dambry, Darblay jeune,Darracq, général Dautheville, Ferdinand David, le baron David,Dechastelus, Dein, Delamarre (de la Creuse), Delavau, Dele-
becque, Deltheil, Laurent Descours, Desmaroux de Gaulmin,Dessaignes, Didier, Camille Dollfus.Douesnel, Du Mirai, Duplan,Paul Dupont, baron Eschasseriaux, Etcheverry, Fabre, Fay de la
Tour-Maubourg, Ans. Fleury, Fouquet, de Fourment, Fremy,Gavini, baron de Geiger, Girod (de l'Ain), Girou de Buza-
reingues, le Gorrec, Granier de Cassagnac, Gressier, Aimé Gros,de Grouchy, Guillaumin, de Guilloutet, de la Guistière, Hamoir,d'Havrincourt, Hébert, colonel Hennocque, Janvier de la Motte,de Jaucourt, Joliot, Jourdain, Ach. Jubinal, Kercado, de Kervé-
guen, baron de Ladoucette, Lafond de Saint-Mûr, Larrabure, de
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l8l
du scrutin sur l'ensemble du projet de loi relatif au recrute-
ment de l'armée et de la garde nationale mobile.
Nombre de votants. . . 260
Majorité absolue 131
Pour l'adoption 200
Contre 60
Le Corps Législatif a adopté, déclare M. lé président
Schneider.
C'est vrai ! le Corps Législatif a finalement adopté ce pro-
jet incomplet, diminué, émasculé, sorti des ratiocinements
Las-Cases, Lasnonier, de la Tour, Laugier de Chàrtrouse, Eug.Le Comte (Yonne), Lédier, Lefébure, comte Le Hon, Le Mélorelde la Haichois, Le Peletier d'Aunay, Leret d'Aubigny, Alfred Le
Roux, Charles Le Roux, Lescuyerd'Attainville, Stéphen Liégeard,Lubonis, général de Luzy-Pellissac, baron de Mackau, Marne,Marey-Monge, Mathieu, Mège, baron Mercier, général Meslin,Millet, Millon, de Montagnac, de Montjoyeux, comte JoachimMurât, marquis de Nesle, Nogent Saint-Laurens, Noualhier,Noubel, Pamard.de Parieu, Paulmier, Em. Péreire, Eug. Péreire,Isaac Péreire, Perras, Perrier, Guillaume Petit, Peyrusse, Pic-
cioni, baron de Pierres, Piette, Pinart, marquis de Pire, Pissard,baron de Plancy, vicomte de Plancy, de la Pouëze, Pouyer-Quer-tier, Quesné, de Quinemont, Gustave Reille, baron de Reinach,de Richemont, de Rochemure, Rolle, de Romeuf, Roques-Salvaza,Roulleaux-Dugage, Roy de Loulay, Royer, de Sainte-Hermine,de Saint-Germain, Segris, Sénéca, Seydoux, Sibuet, JosephSimon, de Soubeyran, Talabot, de Talhouët, duc de Tarente,Terme, de Torcy, de la Tourrette, baron Travot, Vast-Vimeux,baron de Veauce, Welles de la Valette, Werlé, West.
« Ont voté contre. — MM. Ancel, le marquis d'Andelarre, lecomte d'Arjuzon, Barrillon, Berryer, Bethmont, Brame, Buffet,
Hip. Carnot, le comte de Chambrun, Auguste Chevalier, levicomte Clary, Darimon, Dorian, vicomte Drouot, Jules Favre,Edouard Fould, Garnier-Pagès, Gellibert des Seguins, Girot-
Pouzol, Glais-Bizoin, Goerg, baron Gorsse, marquis de Gram-
mont, Guéroult, Haentjens, le comte Hallez-Claparède, Havin,Hénon le baron de Janzé, Léopold Javal, Kolb-Bernard, Lacroix-
l82 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
d'un Parlementarisme en pleine éclosion. Mais 60 députés—
soixante, vous entendez bien — sur 260, ont quand même
voté contre :
Ces soixante — on le supposera plus tard et les écrivains de
l'avenir l'écriront — ne sont sans doute que des « ennemis
de l'ordre », des « adversaires de l'armée », des « antipa-
triotes », des « socialistes rouges », des « jacobins humani-
taires », des « pacifistes outranciers » ?... Erreur ! trois fois
erreur ! Ce sont au contraire des hommes d'ordre ou prétendus
tels ; c'est toute la fine fleur de l'aristocratie, tout le « dessus
du panier » du faubourg Saint-Germain, tous les fils des
gandins de 1815, et... même quelques autres, dont les pères
avaient été des demi-solde au lendemain de l'Invasion. C'est
aussi la bourgeoisie orléaniste, fidèle aux idées de Louis-
Philippe et à la mémoire de Guizot qui disait : « Enrichissez-
vous ». C'est encore la réaction et l'ultramontanisme, alliés
à la conservation au voltairianisme. Et au milieu des
soixante : cinq ou six républicains, bourgeois bourgeoisant,
avec, hélas ! un Carnot, lequel a oublié l'attitude de son
père, jadis, le grand Lazare Carnot qui avait été le meilleur
appui du premier Empereur aux heures douloureuses, et
un Emile Ollivier, appartenant au groupe des Cinq répu-
Saint-Pierre, le comte Frédéric de Lagrange, Lambrecht, levicomte Lanjuinais, Latour-du-Moulin, général Lebreton, Le Clerc
d'Osnonville, le baron Lespérut, Louvet, Magnin, Malézieux,Marie, le duc de Marinier, Martel, Morin, Emile Ollivier, Pelletan,Ernest Picard, Piéron-Leroy, Planât, Plichon, vicomte de Ram-
bourgt, colonel Réguis, Maurice Richard, Riondel, Jules Simon,Thiers, de Tillancourt.
« N''ont pas pris part au note. — MM. le comte de Barbantane,Bérard, de Choiseuil, de Saint-Paul, et Schneider (président).
« Absents par eongé. — MM. Bravay, Brohyer de Littinière,Ed. Dalloz, FÏocard de Mépieu, Adolphe Fould, Garnier, Josseau,Masséna, Pagezy, Sens, Stiévenart-Béthune, Taillefer, Thoinetdela Turmelière, le comte de Toulongeon. »
187O-7I— ORIGNES ET RESPONSABILITÉS l83
blicains et songeant peut-être déjà à servir libéralement
l'Empire...Et l'Empereur ne peut rien, lui qui tient son pouvoir de
plus de 7 millions de suffrages ?
Non ! il ne peut plus rien, puisque le virus parlementaire a
déjà pénétré dans la Constitution démocratique et plébisci-taire qui nous régit.
« LE LIBERALISME > EN MARCHE
L'opinion publique avait été violemment travaillée, depuis
quelque temps, par des publications de toutes sortes, ainsi
que l'avait signalé Stéphen Liégeard, dans son discours du
20 décembre 1867, au Corps Législatif.Le vote des projets de loi édictant la liberté de la presse
et la liberté de réunion permirent, durant l'année i8fc>8,de la
travailler bien davantage. Cependant, rien à vrai dire n'était
susceptible de parvenir à ébranler la confiance du pays dans
son Elu. L'Empereur le sentait si bien qu'ayant pu obtenir,en dépit des lacunes infinies de la nouvelle loi militaire, un
vote de la Chambre conforme à son désir quant au contingentdont elle disposait annuellement, il déclara, dans son discours
du trône, le 18 janvier 1869, que la nation pouvait être tran-
quille à présent puisque « les ressources militaires de la
France étaient, désormais, à la hauteur de ses destinées dans
le monde. »
« Dans cette situation, ajoutait-il, nous pouvons procla-mer sans faiblesse notre désir de paix ! »
Hélas ! trois mois ne devaient pas s'écouler sans que les
parlementaires de droite et de gauche ne lui donnassent,une fois de plus, la mesure de leurs arrière-pensées.
Le 13 avril 1869, MM. Pelletan, Hénon, Bethmont, Jules
184 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Simon, le duc de Marmier, Magnin, Dorian, Garnier-Pagès,
Hippolyte Carnot, Girod-Pouzol, le comte d'Estournel, Glais-
Bizoin, Jules Favre, Guéroult, Piéron-Leroy, déposèrent, parvoie budgétaire, l'amendement suivant : « La garde impérialeest supprimée ; l'effectif entretenu de l'armée est réduit à deux
cent mille hommes... » Et, encore, pourquoi 200,000 hommes ?...
M. Jules Simon n'avait-il pas écrit dans sa Politique radi-
cale : « Inutile au dedans pour la justice, le soldat n'est même
pas nécessaire à la frontière. »
Dans cet intervalle, royalistes et républicains, devaient
prouver une fois de plus, sur le terrain électoral, qu'ils mar-
chaient parfaitement d'accord.
M. Berryer, chef du parti légitimiste et député de Mar-
seille, était mort.
Aussitôt, son comité électoral offrit son siège à M. Gam-
betta, jeune avocat républicain, du barreau de Paris, mis en
vedette par ses violences dans les prétoires.
Naturellement, poussé par les partisans du comte de
Chambord, ce « pur républicain » avait été élu.
Il fit immédiatement figure à la Chambre où les partisallaient s'organiser parlementairement, à la suite des élec-
tions générales de 1869.
Ces élections avaient eu lieu les 23 et 24 mai, et, malgrétoute la violence des polémiques, avaient donné une majorité
superbe au gouvernement impérial. C'est à peine si, dans le
pays entier, l'opposition était arrivée au chiffre de 250,000 suf-
frages, gagnant des voix, certes, sur le scrutin de 1863,
mais destinée encore à n'exercer qu'une influence nulle,
tant que de traîtresses complaisances ne la serviraient pas.
Malheureusement, une grande quantité de membres de la
majorité n'étaient que de faux démocrates, des orléanistes
déguisés, qui n'avaient pris l'étiquette gouvernementale
qu'afin de duper l'électeur.
C'est ce qui explique comment, dès le lendemain des élec-
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS l85
lions, avant même la convocation des Chambres, deux partisse formèrent parmi les constitutionnels.
Les uns, qu'on appelait les Arcadiens parce qu'ils tenaient
leurs assises rue de l'Arcade, demeuraient fidèles aux prin-
cipes de 1789 et étaient résolus à défendre l'Empire, tel qu'ilétait issu de la Constitution de 1852 ; les autres composèrentle tiers-parti, ainsi nommé parce que ses membres se tenaient
à égale distance des Arcadiens et des députés appartenant à
l'opposition irréconciliable.
En présence de cette division déplorable, l'Empereur se
décida à accéder définitivement aux instances d'une partiede son entourage, qui, aveuglée par le libéralisme, lui de-
mandait d'abriter désormais le pouvoir exécutif derrière la
responsabilité ministérielle.
Le 17 juillet 1869, l'Empereur fit promulguer un décret (1)
portant suppression du ministère d'Etat.
Bientôt chaque ministre serait responsable, pour son dé-
partement particulier, devant le parlement ; et les ministres
pourraient être choisis parmi les députés. La Chambre
pourrait faire et défaire les ministres à son gré (2).
(1) Bul. 17.042.
(2) La constitution républicaine du 14 janvier 1852, en vigueurjusqu'alors, pendant la durée du Second-Empire, portait que :
« ARTICLE PREMIER. — La Constitution reconnaît, confirmeet garantit les grands principes proclamés en 1789, et qui sont labase du droit public des Français.
« ART. 5.— Le chef de l'Etat est responsable devant le Peuple
français auquel il a toujours le droit de faire appel.« ART. 13. — Les ministres ne dépendent que du chef de
l'Etat.« ART. ^9. — Le Corps Législatif discute et vote les projets de
loi et l'impôt.« ART. 44. — Les ministres ne peuvent être membres du Corps
Législatif. »
Ainsi, c'était l'absolue séparation des pouvoirs : l'Exécutif
gouvernait avec des collaborateurs de son choix ; le Législatif
l86 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Cette mesure aurait dû calmer les irréconciables. Elle ne
fit que les armer davantage contre le pouvoir.Une campagne ardente de presse commença qui ne devait
plus s'arrêter.
Nombre d'opposants n'hésitèrent plus, d'ores et déjà, à
mettre à nu leur parti-pris et à déclarer que, en dépit des
meilleures réformes, politiques ou autres, la chute de l'Empirene serait pas achetée trop cher au prix d'une « invasion ».
C'était le refrain même qu'avaient chanté, autrefois, avant
1814 et 1815, les hommes de l'émigration s'inquiétant peu du
sort de la France pourvu que le régime cher à leur coeur revînt
dans les fourgons de l'Etranger.
Aussi, plus patriote que ces soi-disant républicains alliés
aux fils des Emigrés, un ardent révolutionnaire qui, lui, avait
fait ses preuves, Armand Barbes, osa-t-il dire avec indigna-tion (1) : « Si ça devait finir par l'invasion, j'aimerais encore
« mieux vingt ans d'Empire. »... Il est vrai que Barbes
n'était pas un bourgeois, mais un sincère et clairvoyant
démocrate, foncièrement et véritablement républicain.Le 29 novembre 1869, les Chambres rentrèrent.
Dès le début, M. Rouher comprit qu'il ne pourrait plus
garder longtemps le pouvoir dans les conditions nouvelles.
Le tiers-parti comprenait, en effet, à lui seul, plus de cent
contrôlait et légiférait. Nous possédions une véritable constitution
représentative.Le sénatus-consulte des 8-10 septembre 1869, qui consacra les
revendications soi-disant libérales, permit l'intrusion parlemen-taire et la confusion des pouvoirs ainsi qu'il suit :
« ART. 2. — Les ministres... sont responsables.« ART. 3. — Les ministres peuvent être membres du Sénat ou
du Corps Législatif. »
(1) Cette protestation d'Armand Barbes est reproduite dans lesAventures de ma vie par Henri Rochefort, sous la plume duquel— étant donné le rôle que celui-ci joua à cette époque — elleconstitue un aveu singulièrement précieux. (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 187
membres qui, en raison du nombre réduit des députésd'alors, étaient les maîtres de la majorité.
L'Empereur, comme un souverain parlementaire qui règneet ne gouverne pas, était maintenant obligé de faire appel auchef de ce groupe parlementaire pour, lui confier la missionde former un cabinet.
Quel était ce chef ?
Il s'appelait Emile Ollivier : celui-là même qui avait fait
partie des « Cinq » jadis et qui, deux ans plus tôt, avait si
ardemment, si violemment combattu la réforme de l'armée (i)et fait montre de la plus parfaite ignorance des choses appar-tenant au domaine extérieur en déclarant que personne en
Europe, personne, pas même M. de Bismarck et la Prusse,ne songeait à faire la guerre à la France !
Nous n'avons aucune animosité personnelle : pas pluscontre M. Emile Ollivier que contre qui que ce soit. Mais, enouvrant cette parenthèse, il nous sera bien permis de dire
que M. Emile Ollivier devait, dans l'avenir, paraître moins
qualifié que quiconque pour porter, sur les événements quivont suivre et qui sont relatifs aux responsabilités de la guerrede 1870-71, un jugement susceptible d'atteindre injustementla mémoire de l'Empereur.
On l'a vu : l'une des causes de nos défaites, et non la
moindre, remonte — en vertu de l'adage : si vis pacem, parabelhim — remonte, disons-nous, aux agissements des politi-ciens qui, dès la fin de 1866 jusqu'en janvier 1868, combatti-
rent avec acharnement l'idée de réorganiser l'armée et lestrois projets successivement présentés dans ce but.
Que Sadowa ait été, en 1866, une défaite morale pour la
France, ou qu'elle ne l'ait pas été si l'on considère que1' « unité allemande » au profit de l'Autriche eût été plus pré-
judiciable encore aux intérêts français que ne le parut la
(1) Se reporter page 170 et suivantes du présent chapitre.
l88 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
solution prussienne : peu importe ! Les débats parlementairesde 1867 et des années qui suivirent démontrent en tous cas
que, chez nous, Napoléon III fit le possible et l'impossible
pour que notre sécurité nationale fut .sauvegardée après'
Sadowa, comme ils prouvent du reste combien fut néfaste
l'intrusion définitive du parlementarisme dans le gouverne-
ment de la chose publique.Il n'est donc pas admissible que l'un des opposants aveugles
de cette époque élève aujourd'hui la voix pour filtrer la vérité
et, en quelque sorte, la dénaturer à son profit.
M. Emile Ollivier, dans sa Philosophie d'une guerre, a
écrit (1) : « La cause initiale de 1870 se trouve dans l'année
1866. »
Cette affirmation est lancée par son auteur dans le but évi-
dent de circonscrire sa responsabilité personnelle et de ne la
faire remonter qu'au 2 janvier 1870, date de l'entrée en fonc-
tions de son ministère. D'où il s'ensuivrait que, si un événe-
ment antérieur à cette date a pesé sur la guerre franco-alle-
mande, cet événement ne saurait en rien incomber aux
hommes du mouvement libéral.
M. Emile Ollivier paraît escompter ainsi l'oubli universel en
ce qui a trait à son inexcusable intervention à la tribune du
Corps Législatif, en décembre i8fc>7,contre la réorganisationde notre défense nationale.
Eh bien ! avant d'aller plus loin dans notre narration des
faits et des contingences qui portèrent M. Emile Ollivier au
ministère, nous avons tenu à montrer que l'oubli en question
ne s'était pas produit.C'est déjà trop que les héritiers de Loriquet aient, en si
grand nombre, falsifié d'un accord unanime ce chapitre
d'histoire qui contient les prolégomènes de 1870.
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, « Introduc-tion », page 4.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 189
Que M. Emile Ollivier se joigne délibérément à eux : cela
passe la mesure !
Quelle singulière façon a cet homme de témoigner sa
reconnaissance à Napoléon III pour la magnanimité dont
celui-ci avait fait preuve en ne tenant pas rigueur de son
aveuglement passé au chef du parti libéral, lorsque les événe-
ments appelèrent M. Emile Ollivier à une collaboration gou-vernementale.
Mais quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse, et quand bien
même on ne le voudrait pas : la chronologie seule suffit à
rappeler qu'entre 1866 et 1870 se placèrent l'année 1867 et les
suivantes.
Or, en 1867, M. Emile Ollivier faillit lourdement, comme
faillirent tant d'autres parlementaires. Il faillit encore en
1868.
Qu'à partir de ce moment-là son ambition personnelle, son
appétence du pouvoir l'aient poussé à essayer de se racheter ?
C'est possible.
Qu'il soit même parvenu à se racheter, en 1869 ?C'est encore
possible. Du moins, admettons-le provisoirement, comme
Napoléon III, toujours bon, toujours sincère, toujours indul-
gent, l'avait admis à l'époque.
N'importe! un fait subsiste, patent, indéniable : à savoir
que de 1866 à 1870 l'Empereur est parvenu à maintenir la
paix en Europe et a pris toutes les mesures de sauvegarde en
son pouvoir pour nous mettre à l'abri d'une surprise et écarter
les conséquences redoutables d'un conflit où nous serions
entrés sans préparation suffisante et à notre corps défen-
dant.
A partir du 2 janvier 1870, la responsabilité gouvernemen-tale appartient tout entière au ministère Emile Ollivier.
Dans le dernier semestre de 1869, en effet, la poussée libé-
rale avait préparé les voies à ce ministère et imposé finale-
ment son accession au pouvoir.
I9O 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Dans son Histoire de la Révolution de 1870-71 (1), Jules
Claretie raconte commentM. Emile Ollivier se rendit auprès
de l'Empereur : '
« Un soir, M. Ollivier, la tête enveloppée d'un cache-nez
pour éviter les indiscrétions des « petits journalistes », se
glissait, guidé par Piétri, jusqu'auprès de l'Empereur, à
Compiègne, et lui exposait le plan de gouvernement qu'il
devait mettre à exécution... »
Le ministère parlementaire Emile Ollivier — ainsi que
nous l'avons déjà dit — fut définitivement constitué le 2 jan-
vier 1870, après publication des documents suivants, dans le
Journal officiel de l'Empire, du 28 décembre 1869 :
« Les ministres (du cabinet Rouher) ont remis leurs
« démissions à l'Empereur qui les a acceptées. Ils restent
« chargés de l'expédition des affaires de leurs départements« respectifs jusqu'à la nomination de leurs successeurs. »
« L'Empereur a adressé à M. Emile Ollivier, député au
Corps Législatif, la lettre suivante :
« Monsieur le député,
« Les ministres m'ayant donné leur démission, je m'adresse
« avec confiance à votre patriotisme pour vous prier de me
« désigner les personnes qui peuvent former avec vous un
« cabinet homogène, représentant fidèlement la majorité du
« Corps Législatif, et résolues à appliquer, dans salettre comme
« dans son esprit, le sénatus-consulte (2) du 8 septembre.« Je compte sur le dévouement du Corps Législatif aux
« grands intérêts du pays, comme sur le vôtre, pour m'aider
« dans la tâche, que j'ai entreprise, de faire fonctionner
« régulièrement le régime constitutionnel.
« Croyez, monsieur, à mes sentiments.
« NAPOLÉON. »
(1) Chap. Ier, page 12.
(2) Qui avait confirmé le décret du 17 juillet 1869. (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABITILÉS IC)I
C'est à la séance du 10 janvier 1870 que le ministère Emile
Ollivier comparut devant le Corps Législatif. M. Emile Olli-vier donna lui-même lecture de la déclaration du gouverne-ment. La voici :
« Messieurs,
« Le nouveau cabinet qui s'est formé pendant votre absence
croit que son premier devoir est de se mettre en communica-
tion directe et immédiate avec vous. ( Très bien !)« Un long discours ne me sera pas nécessaire pour que ce
but soit atteint...
« Aujourd'hui, nous croyons qu'il nous suffit de déclarer
que nous restons au pouvoir ce que nous étions avant d'yarriver ( Très bien ! très bien !) ; que nous n'appliquerons pasdes principes et des pratiques différentes de celles que nous
avons conseillées aux autres. Nous ne supprimerons dans
notre oeuvre ni la part du temps ni celle de l'expérience, mais
nous travaillerons avec persévérance et résolution jusqu'à ce
que nous ayons réalisé dans sa totalité le programme com-
mun qui nous a réunis et qui est notre raison d'être. [Nom-breuses marques d'adhésion.)
« Pour cette oeuvre, messieurs, il est nécessaire que nous
jouissions de la confiance du souverain ; il nous l'a accordée
avec une magnanimité d'âme qui le placera haut dans la
mémoire des hommes. ( Très bien l très bien !)« Il est nécessaire, en outre, messieurs, que votre confiance
vienne également s'ajouter à celle du souverain ; nous vous
la demandons. [Assentiment.) Nous vous la demandons à tous,
et, dans notre pratique journalière, nous aurons des égardsnon seulement pour la majorité qui nous honorera de son
appui, mais même pour l'opposition qui nous honorera de ses
critiques. Nous serons reconnaissants, envers la majorité quinous suivra, de son appui, sans lequel nous ne pouvons rien;nous serons reconnaissants, envers l'opposition, de ses cri-
ig'2 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
tiques qui nous redresseront et nous contiendront, et nous
obligeront à redoubler d'efforts. (Marques générales d'appro-
bation.)« Et le jour où un groupe quelconque de cette Assemblée aura
obtenu la majorité dans le pays, nous serons empressés de déposerentre ses mains, sur quelques bancs qu'il se trouve, la responsa-bilité de diriger les affaires du pays. ( Très bien /)
« Nous faisons donc appel à la bonne volonté de tous ; nous
poursuivrons la conciliation, l'apaisement ; nous nous effor-
cerons par nos actes, par notre conduite, à tous les moments
de notre existence ministérielle, d'établir un courant com-
mun de liberté, de bonne foi, de loyauté qui emporte les
récriminations, les souvenirs amers, les haines, les passions
mauvaises. Nous pourrons ainsi rétablir tous ensemble la plus
belle oeuvre qui puisse être accomplie par des hommes poli-
tiques, nous pourrons réaliser le rêve déçu de tous les grands
esprits : l'établissement durable d'un gouvernement national
s'adaptant avec fermeté et aussi avec souplesse aux nécessités
changeantes des choses, aux transformations incessantes des
idées ; qui, favorisant l'accession des générations nouvelles,
et accueillant leurs espérances, leurs désirs, leurs lumières,
assurera les destinées de notre grande Démocratie française,
et fera triompher le progrès sans la violence, et la liberté sans
la révolution. » (Nombreuses marques d'approbation. — Applau-
dissements.)
Nous verrons dans le chapitre suivant quelle fut la poli-
tique générale du ministère parlementaire de M. Emile Olli-
vier.
CHAPITRE IV
Les débuts du ministère OUivier. — Le plébiscite. — La can-
didature Hohenzollern. — Le parlementarisme contre
l'armée. — Le guêpier hispano-allemand. — La déclara-
tion du 6 juillet. — Napoléon III se joue, une fois de plus,de Bismarck.
LES DEBUTS DU MINISTÈRE OLLIVIER
L'arrivée au pouvoir du nouveau ministère avait une signi-fication que ne méconnurent point les gens qui se trouvaient,
alors, tant soit peu au courant de la politique.
Ainsi, M. Bourbeau, qui avait été ministre de l'Instruction
publique aux côtés de M. Rouher, disait (i), dès le 6 janvier
1870, au sujet des nouveaux ministres : « Ce sont d'honnêtes
gens ; mais, qu'on ne s'y trompe pas ! Il y a là une nuance
orléaniste et de la Galette de France. »
M. Bourbeau voyait juste !
Lorsqu'il avait dit adieu à son intransigeance républicaine,M. Emile OUivier — notoire jadis parmi les Cinq..., parmiles cinq républicains irréconciliables — avait certes évolué ;mais son évolution l'avait porté vers l'orléanisme : ce que
souligna d'ailleurs le choix fait par lui de ses collaborateurs,
parmi lesquels on retrouve les plus marquants des parlemen-taires de Droite et du Centre ayant voté, comme lui, contre
(1) Journal de Fidus. — « La Révolution de Septembre », page12 (chez Albert Savine, éditeur).
13
194 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
le principe même de toute réorganisation de l'armée, dans
le scrutin du 14 janvier 1868.
C'est qu'à la vérité, en préconisant une politique parlemen-
taire, M. Emile Ollivier n'entendait pas autre chose que gou-verner sur le mode de la Charte de 1830. Il se disait et se
croyait peut-être rallié à l'Empire? Il n'était que rallié à la
Monarchie de Juillet, qui en constitue l'antithèse frappante.En définitive il se supposait un Morny rectifié et n'était
qu'un Guizot nouveau-style.
Seule, la balance -parlementaire l'avait porté au pouvoir, à la
place d'un Thiers qui n'en décolérait pas.
L'Empereur n'y était pour rien : Napoléon III n'avait fait
qu'enregistrer officiellement l'avatar prévu du mouvement
libéral.
Aussi, tous les républicains à mentalité orléaniste comme
tous les royalistes alliés aux bourgeois républicains, firent-ils
au nouveau cabinet un favorable accueil, malgré cette
réponse, ou plutôt comme le prouve cette réponse de Gam-
betta à la déclaration ministérielle :
« M. GAMBETTA. — Il n'est pas exact qu'entre nous et le gou-vernement il n'y ait qu'une question de mesure...
« Vous avez invoqué le suffrage universel l... Entre la forme
de gouvernement aujourd'hui dominante et le suffrage uni-
versel, il y a incompatibilité absolue (sic). Cela ne veut pasdire que, ne pouvant encore avoir satisfaction dans cette
enceinte, je chercherai au dehors l'appui de la force. Non I
je crois que c'est à la lumière de cette tribune que se formera
le progrès de l'évidence, la majorité qui vous succédera et quitirera les conclusions indiquées par la logique ; pour nous,
vous n'êtes qu'un pont et, ce pont, nous le passons. »
On ne pouvait dire en un langage plus parlementaire, ou,
si l'on veut, plus diplomatique, que le ministère Ollivier, loin
d'être ce que l'on désirait abattre, n'était au contraire qu'unexcellent instrument pour atteindre au but visé.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS ig5
Ce qu'on voulait abattre ? C'était Napoléon III lui-même.
Et pourquoi ? Parce que non seulement celui-ci invoquaitle suffrage universel, mais encore émanait de ce suffragede tout un peuple consulté plénièrement.
C'est qu'en effet, comme l'a dit Lamartine : « On peut
empoisonner un ruisseau, on ne saurait corrompre un grandfleuve ». Et il apparaissait clairement à l'opposition qu'aussi
longtemps que le suffrage universel serait pratiqué intégrale-
ment, comme il l'était par l'Empire, on ne pourrait lui enlever
sa limpidité, sa sincérité, dans lesquelles se reflétait le nom
de Napoléon.A ce suffrage véritablement universel, l'on en opposait donc
un autre : le faux suffrage universel, morcelé par circons-
criptions où la corruption peut se pratiquer à l'envi.
Car, désormais, le principe de la souveraineté nationale
semblant à peu près intangible, il ne fallait plus songer à
renouveler la tentative de mutilation du suffrage universel
faite par les parlementaires d'antan, qui, par la loi du
31 mai 1850, avaient essayé d'enlever le droit de vote à trois
millions et demi d'ouvriers.
Non! la Démocratie ne permettrait plus un pareil attentat...
Il importait, par conséquent, de ruser avec elle. Et Gambetta
s'y essayait, d'ores et déjà, comptant sur les fautes de poli-
tique intérieure que commettrait nécessairement un ministère
fondé sur la récente rupture avec la tradition autoritaire (mise
en honneur jadispar les Conventionnels), pour ouvrir les voies
à une nouvelle coterie bourgeoise qui succéderait tout natu-
rellement, par le jeu régulier de la nouvelle Constitution, à
la coterie actuellement au pouvoir sous la raison sociale
« Emile Ollivier et Cie ».
Sur l'heure, cependant, un incident d'une certaine gravité
se produisit, qui allait avoir pour résultante inattendue d'alié-
ner, au moins en façade, au cabinet parlementaire, les sym-
pathies de ceux qui, comme M. Gambetta, parmi les répubH-
10,6 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
cains, et tant d'autres, parmi les royalistes, se targuaient de
n'avoir besoin que de recourir aux moyens parlementaires pour
venir à bout du Second-Empire et le remplacer par un gou-vernement oligarchique quelconque.
Cet incident prit naissance dans l'issue tragique d'une
polémique qui durait depuis quelques semaines entre un
prince Bonaparte, vivant à l'écart dans une maison d'Auteuil,
et plusieurs journalistes corses et parisiens.
Cette polémique avait débuté à Bastia, où Pierre Bonaparte,
professant des idées républicaines (1) et s'occupant de poli-
tique locale, avait été injurieusement pris à partie à la fois
(1) Voici le texte de la profession de foi de Pierre Bonaparteadressée aux électeurs de la Corse, en 1848 :
« Citoyens,« Mon père était républicain ; je le suis donc par conviction,
par instinct, par tradition.« La République telle qu'il la comprenait, telle que la com-
prennent les grands citoyens qui viennent de l'inaugurer sinoblement en abolissant la peine de mort en matière politique,la République est la plus belle réalisation des théories quipeuvent inspirer l'amour du prochain, de la gloire et de la
patrie. La sagesse des vues, la pureté des intentions, la modé-ration des mesures, voilà la trinité sainte qui résume la doctrined'un vrai républicain. Le renouvellement des sanglantes satur-
nales, des odieux excès que provoqua jadis l'excès du mal, est,désormais, heureusement impossible. Aux hypocrites alarmistes,aux ennemis patents ou cachés de la République, le peuplehéroïque de Paris, ce peuple invincible dans le combat, si géné-reux dans le triomphe, ce peuple qui avait tant souffert, a fait lameilleure réponse, par son attitude calme, confiante et résolue.Le choix des hommes qu'il a mis à sa tête est une garantie quele drapeau de la République ne sera plus profané ni par de cou-
pables fureurs ni par de honteuses faiblesses. Tel est le radieuxavenir qui se prépare pour la France, tel est l'ordre social queje suis prêt à servir jusqu'à la dernière goutte de mon sang !
« Vive la France ! Vive la République ! Vive la Corse !
« PIERRE-NAPOLÉON BONAPARTE. »
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS ij]
par les royalistes et par de pseudo-démocrates, tel M. Louis
Tommasi, qui faisait suivre la signature de ses articles furi-
bonds, de la prétentieuse mention de « bâtonnier de l'ordre
des avocats à Bastia ».
Immédiatement; un polémiste parisien, le marquis Henri
de Rochefort-Luçay (issu d'une vieille famille royaliste où l'on
vénérait les Bourbons, mais qui, pour mieux lutter contre le
gouvernement démocratique de l'Empereur, avait cru habile
de tomber dans la démagogie pure et de s'illustrer sous le
nom plébéien d'Henri Rochefort, sans la moindre particule),
songea à tirer parti des attaques dirigées contre un Bona-
parte.Du moment qu'il s'agissait d'un « Buonaparte », tout était
bon pour le marquis Henri de Rochefort-Luçay qui, de parti-
pris, les avait toujours traînés dans la boue, d'abord dans sa
Lanterne, puis maintenant dans sa Marseillaise où, par contre,
jamais on ne perdait l'occasion de porter aux nues la famille
d'Orléans.
Condamné, plusieurs mois plus tôt, pour diffamation envers
l'Empereur, Henri Rochefort s'était alors enfui en Belgique :ce qui ne l'avait pas empêché, grâce à un sauf-conduit spécialde Napoléon III, de venir soutenir à Paris sa candidature
législative pendant la période électorale de 1869. Nommé
député, Henri Rochefort avait accentué son attitude première,et la polémique qu'avait en Corse Pierre Bonaparte, lui
parut propre à motiver par répercussion de nouvelles calom-
nies contre le chef élu du peuple français.Connaissant la fougue ombrageuse et, aussi, la dextérité
du prince Pierre, le marquis de Rochefort se garda d'attaquerlui-même le « reclus d'Auteuil ». Il le fit violemment prendreà partie par un des reporters de son journal. Mais, Pierre
Bonaparte n'était pas homme à se laisser abuser. Malgré la
réserve prudente du rédacteur en chef de la Marseillaise,c'était celui-ci, et non le signataire occasionnel, l'unique res-
I98 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
ponsable des attaques odieuses et injustifiées parues dans ce
journal.
Aussi, le prince Pierre adressa-t-il le cartel suivant à
M. Rochefort : « Si, par hasard, vous consentez à tirer les
« verrous protecteurs qui rendent votre honorable personne« deux fois inviolable, vous ne me trouverez ni dans un palais,« ni dans un château. J'habite tout bonnement, 59, rue d'Au-
« teuil, et je vous promets que, si vous vous présentez, on ne
« vous dira pas que je suis sorti. »
Le marquis de Rochefort était demeuré jusque-là introu-
vable pour celui qu'il avait fait bassement insulter. Déjà« inviolable » comme député, le rédacteur en chef de la
Marseillaise entendait-il le demeurer, en sa qualité de journa-liste ? Entendait-il refuser de prendre la responsabilité de ses
actes pour aller, tout au moins, sur le terrain ? Telle était la
question que lui posait nettement le prince Pierre.
Ce cartel rendu public, c'était Rochefort ridiculisé, « fini »
à tout jamais : s'il le laissait sans réponse. Les amis du rédac-
teur en chef de la Marseillaise le lui firent comprendre.Faute de pouvoir s'en tirer par une de ses cabrioles habi-
tuelles, celui-ci céda aux objurgations pressantes de son
entourage et se décida, bien à contre-coeur, à un envoi de
témoins. Il choisit MM. Millière et Arthur Arnould pour le
représenter.Dans cet intervalle, des intimes de Pierre Bonaparte avaient
mis en garde le prince contre un guet-apens possible, de la
part d'individus rendus furieux parce qu'il s'était permisd'émettre une opinion sacrilège sur le compte de leur idole :
Rochefort !
Quel ne fut donc pas l'étonnement du prince Pierre, le
lundi 10 janvier 1870, de voir entrer chez lui deux jeunes
hommes, qui, sur l'interrogation suivante : « Vous venez de
la part de Rochefort? » lui répondirent : « Non I nous venons
de la part de M. Paschal Grousset ».
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS IQg
Ces deux arrivants inattendus s'appelaient Ulrich de Fon-
vielle et Victor Salmon, dit Noir. Ils avaient été effectivement
envoyés par M. Grousset, rédacteur au Rappel et correspon-dant de la Revanche, de Bastia, qui, désireux de se faire un
nom par tous les moyens, leur avait donné mission de
devancer les témoins de Rochefort.
Pierre Bonaparte n'entendait pas se prêter à une comédie
aussi grotesque. Il enjoignit à MM. Ulrich de Fonviellg^gt*Victor Salmon, dit Noir, de quitter immédiatement son logis.Ses interlocuteurs s'y refusèrent.
Bien qu'il fût seul en face de deux hommes dans la pleine
vigueur de la jeunesse, le prince Pierre n'hésita pas à leur
montrer la porte. Mais les amis de M. Paschal Grousset résis-
tèrent. L'altercation dégénéra en voie de faits.
C'était la flagrante violation de domicile (1). Bousculé, le
(1) Voici une lettre qui corrobore de tous points le récit quenous donnons de 1' « Affaire Victor Noir ».
12 décembre1910.
Cher monsieur COCUAUD,
Vous failes appel à nos souvenirs en ce qui concerne lerécit que, bien souvent, notre père nous fit de l'affaireVictor Noir. Voici les détails qui sont restés gravés dansnotre mémoire :
Le prince Pierre Bonaparte attendait, dans sa petite mai-son d'Auteuil, les témoins de Rochefort. Deux visiteurs se
présentent et font passer leur carte. C'étaient MM. Ulrichde FoÈvielle et Victor Salmon, dit Victor Noir. Le princeles fftit introduire dans son salon, s'entretient avec eux,lorsqu'au bout de quelques instants ses interlocuteurs luiavouent qu'ils ne viennent pas de la part de Rochefort, maisau nom de Paschal Grousset.
Le prince se lève alors et les invite à prendre congé. Aussi-tôt MM. de Fonvielle et Noir, oubliant leur double qualité detémoins et d'hôtes, se lèvent à leur tour et insultent le
prince. M. Victor Noir, emporté par sa haine et par l'élan
200 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
prince Pierre riposta d'abord par une gifle à Victor Noir ;
puis, se croyant peut-être en danger, il prit un revolver et tira.
Le coup avait porté. Cependant Victor Noir eut la force de
descendre l'escalier, tandis que son .ami Ulrich de Fonvielle
disparaissait précipitamment, se heurtant dans la rue à
MM. Millière et Arthur Arnould, envoyés par Rochefort et
arrivant comme les carabiniers d'Offenbach.
MM. Millière et Arnould oublièrent du coup leur mission.
Le directeur de la Marseillaise averti par eux du doulou-
reux événement ne songea, sur-le-champ, qu'à tirer parti de ce
drame où sa responsabilité était odieusement engagée, pours'en faire une réclame personnelle en attaquant l'Empire ;
de sa grande jeunesse, s'emporta jusqu'à donner un vigou-reux soufflet au prince Pierre Bonaparte.
Celui-ci vit rouge et, saisissant son revolver, fil feu surson agresseur.
M. Victor Noir porta les mains à sa poitrine, eut la forcede descendre l'escalier, d'ouvrir la porte, puis s'affaissa surle sol mortellement atteint.
Pendant ce temps M. de Fonvielle, terrifié, s'était jeté àquatre pattes et avait gagné la sortie en se glissant sous lesmeubles.
Le prince Pierre Bonaparte, appelant aussitôt un de sesdomestiques, [envoie chercher notre père qui était, commevous le savez, un de ses 'meilleurs amis. Pendant ce tempsFonvielle ameutait les passants autour du corps de VictorNoir. Le domestique du prince selle un cheval et courtporter son message. Dès que notre père fut louché par l'ap-pel du prince, il résolut de se rendre à Auteuil et, pourarriver plus vite, il invita le domestique à lui prêter soncheoal. Quelques minutes après il arrivait à Auteuil. Notrepère faisait remarquer, à ce moment de son récit, que c'étaitla première fois'tet la dernière fois qu'il montait à cheval.En ce temps les\fiacres étaient peu nombreux, les moyens detransport [dans Paris aussi longs que peu pratiques ; quel-que embarras qu'il dut en éprouver à traverser ainsi lesrues, notre père n'hésita pas à s'improviser cavalier.
A l'entrée d'Auteuil, la foule déjà dense, reconnaissant
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 201
et cela bien que, le soir même, le garde des sceaux eût fait
adresser à tous les journaux le communiqué suivant :
« Monsieur le rédacteur,
« Je vous prie de vouloir bien insérer, dans votre numéro
de demain matin, la note suivante : « Aussitôt que le garde« des sceaux a appris le fait qui s'est passé à Auteuil, il a
« ordonné l'arrestation immédiate de M. Pierre Bonaparte.« L'Empereur a approuvé cette décision. L'instruction est
« déjà commencée. »
« Veuillez agréer, etc.
Le chef du cabinet : ADELON.
celui qui arrivait, se liera à des manifestations hostiles dontnotre père n'eut cure. Jouant des coudes et aussi des poings,il entre dans la maison, franchissant le petit jardin qui laprécédait. Il trouve le prince en proie à une émotion aussinaturelle que violente, lorsque s'apercevant que la joue dufils de Lucien était emflammée et PORTAITLA TRACEDESDOIGTSDE VICTORNOIR, il l'interrogea à ce sujet et le prince lui fitla réponse que l'on sait.
Ce témoignage'joint à d'autres, établit devant la HauteCour, où M. Emile OHivier n'hésita pas à laisser traîner lecousin de l Empereur, et la préméditation et l'agression dontle prince avait été victime.
Dans la journée et la nuit qui suivirent, notre père ne
quitta pas le prince, et la police ayant lardé à venir tandis
que des manifestants cherchaient à pénétrer dans la pro-priété, notre père se tint aux côtés du prince à une fenêtrede la maison, tenant en mains un fusil de chasse chargé,grâce auquel il tint en respect les emeutiers.
Voilà, cher monsieur Cocuaucl, un récit qne nous tenonsdirectement de no re père et dont nous garantissons l ab-solue exactitude.
Nos meilleures amitiés et nos sincères compliments pourvotre oeuvre.
Paul et Guy de CASSAGXAC.
202 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Le lendemain matin, Rochefort publiait dans la Marseillaise
un article excitant à la guerre civile et commençant par cette
phrase : « J'ai,eu la faiblesse de croire qu'un Bonaparte pou-
vait être autre chose qu'un assassin. » Dans l'après-midi, à
la séance de la Chambre, le pamphlétaire montait à la tribune
pour évoquer les... Borgia !
Le 12 janvier, jour où allaient avoir lieu les obsèques de
Victor Noir, le marquis de Rochefort, fidèle à sa tactique per-
turbatrice, avait convoqué les troupes de la démagogie pour
la cérémonie qui devait être célébrée à Neuilly.
Mais, quand ceux qu'il avait excités et qui « croyaient en
lui » furent arrivés en masse compacte, et que Gustave Flou-
rens voulut en profiter pour tenter le coup de force pro-
posé par Rochefort lui-même, celui-ci se déroba...
Henri Martin, dans son Histoire de France populaire, se
garde de le constater et de le raconter. Il donne simplement
le récit (1) textuel que voici :
« Les funérailles de la victime eurent lieu le 12 janvier. Des
masses énormes affluèrent à Neuilly, où avait été transporté
le corps de Victor Noir. La foule criait : « Vive la République !
Mort aux Bonaparte! Au Père-Lachaise ! » Si cette multitude
fût rentrée dans Paris, en cortège funèbre, une catastrophe
eût été inévitable... Rochefort, Delescluze et celui des deux
témoins qui avait échappé au revolver de Pierre Bonaparte,Ulrich de Fonvielle, eurent grand'peinc à obtenir qu'on laissât
conduire le corps au cimetière de Neuilly. Plusieurs milliers
d'hommes, toutefois, suivirent Rochefort au retour, en chan-
tant la Marseillaise ; mais, arrivés dans les Champs-Elysées,
ils n'essayèrent pas de résister à la police et à la troupe. »
Voilà comment on écrit l'Histoire... à l'usage du Peuple—
pour l'instruire ? non ! pour le tromper.
(1) HENRI MAETIN. — Histoire de Franee, tome 7, page 131.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 203
Mais Jules Claretie, l'antibonapartiste forcené Claretie, lui-
même, rapporte le fait d'une autre façon (1) :
« Vers une heure cinquante minutes, M. Rochefort entra
dans l'atelier attenant à la chambre mortuaire. Il était fort
ému, jaune, fatigué. Il s'assit, brisé d'émotion... Il demanda
un verre d'eau.
« —Je suis las, disait-il.
« Un Anglais, qui se trouvait là, lui dit :
« — Prenez du rhum.
« — Non, merci, fit Rochefort, je n'en prends jamais.« L'Anglais répondit froidement :
« — Quand on est chef de parti et qu'on défaille, dans une
telle journée, on prend du rhum.
« A ce moment, un homme maigre et roux, l'oeil hagard,
entra, les cheveux hérissés.
« — Rochefort? Où est Rochefort?
« Rochefort se leva. C'était AI. Briosne, l'orateur des réu-
nions publiques.
« — Citoyen, dit-il, à Rochefort, on n'attend que votre
signal. Que décidez-vous? Voulez-vous marcher sur Paris,
oui ou non ?
« — Qui vous donne le droit de me questionner ? demanda
M. Rochefort.
« — Le peuple ! répondit M. Briosne. Vous êtes son repré-
sentant, c'est à vous de le conduire...
« — Je n'ai pas de conseils à recevoir de vous.
« — Tant pis ! répondit Briosne. Songez bien à ce que
vous faites. Vous êtes notre élu, vous devez nous guider.
Vous seul avez assez d'influence pour entraîner cette foule.
Vous ne le voulez pas ? Que la responsabilité de la défaite ou
Ci) JULES CLARETIE. — Histoire de la Révolution de 1870-71,
page _31.
204 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
de la division retombe sur vous. Mais le peuple dira que vous
avez trahi votre mandat. »
Le mot « trahi » fut appliqué au marquis par d'autres
encore. Flourens voulait l'émeute. On le retint.
« — Où allez-vous ?
« — Je vais appeler le peuple aux armes. Je vais combattre.
« — Concertez-vous du moins avec Rochefort.
« — Rochefort est un traître, répond Flourens, dont le
regard est ardent, vague, le visage d'une blancheur de
marbre. »
Les obsèques se déroulèrent, pacifiques ; et comme le note
encore Jules Claretie, Rochefort s'y évanouit.
Ceci n'empêcha point l'agitateur de continuer, dans son
journal, à se donner des allures de « tranche-montagne ».
Et dans les faubourgs, une certaine partie de la population,
ignorant à la fois les faits exacts de la mort de Victor Noir
et l'attitude réelle de Rochefort aux obsèques, mais croyantavec la foi du charbonnier en ce qui était « imprimé » dans le
journal — dans le journal de Rochefort — resta convaincue
que tout Bonaparte était un assassin et M. le marquis de
Rochefort un... brave I
M. Ollivier, pendant ce temps, mettait peu de vigueur à
réprimer l'agitation dans les faubourgs, soigneusement entre-
tenue par l'argent royaliste."
N'avait-il pas dit, du haut de la tribune : « Nous apportons« un sentiment d'humanité dans la répression. Si nous vou-
« lions agir avec brutalité, toute cette agitation ne durerait
« pas cinq minutes. Si elle se prolonge, c'est que nous ne vou-
« Ions pas qu'il y ait d'autre sang versé que celui des défen-
« seursde la loi... »
C'est qu'en effet M. Emile Ollivier se préoccupait simple-ment de ne pas se créer de difficultés parlementaires afin de
prolonger le plus possible l'existence de son ministère, de son
« grand ministère ».
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 205
La même attitude était prise par lui, au surplus, à l'égarddes hommes de la Droite et des grands dignitaires du haut
clergé, qui, à l'instar des Pie de Poitiers, des Dupanloup,d'Orléans, de Berthaut, évêque de Tulle, continuaient de per-sécuter les « petits curés de campagne », les prêtres démo-
crates, parce que ceux-ci aimaient l'Empereur, et l'aimaient
pour la raison que Napoléon III, respectueux de toutes les
croyances, ne traquait ni les catholiques, ni les protestants,ni les israëlites, ni les libres-penseurs, ni personne, per-sonne— ce qui ne faisait le jeu d'aucun cléricalisme, d'aucun
sectarisme quel qu'il fût !
L'affaire de la rue d'Auteuil eut son dénouement devant
la justice.Pierre Bonaparte comparut, le 21 mars, devant la haute-
cour de Tours. Et, s'il fut acquitté par le jury, c'est parce quele jury estima que le prince se trouvait en droit de légitime
défense, ainsi qu'un témoin, le docteur Morel, l'avait mis en
lumière en rapportant au tribunal ce court dialogue entre
Pierre Bonaparte et lui : « Qu'auriez-vous fait à ma place?me dit le prince. » — « Monseigneur, répo ndis-je, je les aurais
tués tous les deux. »
^.N'importe ! l'affaire Victor Noir avait été un mauvais début
pour le ministère Emile Ollivier, et il fallait que le parle-mentarisme — dont ce cabinet était l'émanation — fût déjàbien puissant pour conserver dans de telles conditions les
rênes du gouvernement.
20Ô 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
LE PLEBISCITE
Félix Margarita a eu raison, mille fois raison, d'écrire,
après avoir défini la véritable République : (1)« L'Empire ne peut se réclamer que du « droit national ou
populaire » : l'article Ier du sénatus-consulte du 28 floréal,an XII, le prouve...
« L'Empire absolu, l'Empire de « droit divin ou régalien »,
n'est (d'une part) pas concevable ; car, en 1789, la France
dévêtit l'absolutisme et prit une constitution, qui reconnaît
légitimement au Peuple une capacité politique désormais
indéniable. Aujourd'hui, on ne peut plus repousser un con-
cours et un contrôle venant de la Démocratie.
« D'autre part, l'Empire parlementaire — 1' « Empire
libéral», suivant l'expression de M. Emile OUivier — est, luiT
une sottise. Il est faisable, certes, au même titre que la royauté
parlementaire de Louis XVIII et de Louis-Philippe ; mais,,
stérile comme celle-ci, impuissant comme la République par-lementaire (actuelle), il serait de même le gouvernement
d'une catégorie de citoyens et nous conduirait également à
l'anarchie. D'ailleurs, l'Empire parlementaire n'est pas viable ;la réforme constitutionnelle du 8 septembre 1869 nous le
démontre. L'Empire est mort, en 1870, non de l'invasion,
mais d'avoir répudié son essence (c'est-à-dire sa constitution
représentative), oui de s'être, depuis quelques mois, fait par-lementaire... C'est là, en effet, que l'opposition d'alors a puisésa force, cette force nocive (des oligarchies) qui a mis en
échec le Gouvernement quand celui-ci voulut prendre des
mesures de salut national. »
En attendant qu'elle fût désastreuse dans le domaine de la
(1) FÉLIX MARGARITA. — La Souveraineté Nationale depuis1789, chap. XII, « Le seul régime possible »,passim.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 2O7
défense nationale, la morbidité parlementaire allait être gran-dement nuisible dans le domaine de la politique intérieure.
Non seulement, l'agitation persista à Paris, mais encore elle
s'étendit à la province, où des conflits du travail furent sus-
cités par des agitateurs politiques.
A Lyon, à Marseille, à Bordeaux, à Nantes, à Limoges, au
Creusot — au Creusot surtout — l'on eut à enregistrer des
incidents sérieux. Dans cette dernière ville, la grève éclata,
et d'aucuns affirment que le chef du ministère ne fut pas sans
s'en réjouir, étant donné que le mouvement se produisit dans
les établissements Schneider, dont le patron, président du
Corps Législatif, n'était pas considéré comme un « ami » par
M. Emile Ollivier.
On sait que Napoléon Iïï avait, par la loi (i) du 25 mai 1864,
concédé le droit de grève aux ouvriers, leur permettant ainsi
de se coaliser pour la défense de leurs intérêts sur le terrain
exclusivement économique. La pensée constante de l'Empe-
reur avait été de libérer les travailleurs, et cette loi fait partie
de la série des réformes démocratiques et sociales accomplie
par lui afin d'arracher le prolétariat à la sujétion qui lui était
imposée par une législation réactionnaire.
Avant 1789, le droit de coalition existait ; mais, l'organisation
des corporations, maîtrises et jurandes, en faisait, alors,
bénéficier uniquement le patronat. Les Constituants s'étaient
efforcés, à l'époque, d'assurer le plein exercice de la liberté
individuelle, en détruisant les entraves corporatives ; mais, ne
pouvant prévoir l'essor économique futur, le législateur
de 1791 avait laissé sans défense l'individualisme ouvrier, et
aboli, en conséquence, le droit de coalition aussi bien pour
les salariés que pour les patrons.
La seconde République avait, certes, rétabli ce droit, en
(1) XI, Bull. MCCVI, no 12,323.
208 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
1849, mais en faveur seulement de l'employeur. Heureu-
sement, Napoléon III venait de réparer cette criante injustice,
par la loi du 25 mai 1864. Et l'on pouvait espérer désormais
qu'en se cantonnant sur le terrain économique, le monde
prolétaire trouverait dans cette loi l'instrument approprié
à la défense de ses intérêts.
Ce n'était ni l'épisode d'Aubin, ni les incidents douloureux
de la Ricamarie (16 juin 1869) qui permettaient encore de
supposer le contraire, attendu que seule l'intrusion politiqueavait alors provoqué des conflits sanglants, beaucoup moins
graves à la vérité que ne devaient l'être plus tard (1) d'autres
conflits similaires et bien plus nombreux ! Mais, loin de
s'efforcer d'endiguer les menées politiques dans des événe-
ments de cette nature, selon les intention s formelles de l'Em-
pereur, l'ancien rapporteur de la loi de 1864, M. Emile OUi-
vier, semblait y chercher un appui à ses conceptions quiétaient celles de la bourgeoisie libérale. La grève du Creusot
(fin janvier 1870) et celle de Fourchambault (mi-avril 1870),en sont une preuve. Par bonheur, cette déviation n'eut, en
aucun endroit, d'issue tragique.
Quoi qu'il en soit, l'affaire Victor Noir d'une part, l'agita-tion de Paris et les grèves en province d'autre part, produi-sirent une perturbation dont un esprit aussi averti que Napo-léon III ne pouvait pas ne pas tenir compte. « La France
était, alors — a constaté Jules Claretie lui-même — la France
était surtout avide et littéralement comme affamée de deux
choses la paix et la liberté. » L'Elu du peuple français, quoique
déjà gravement malade, atteint de ce mal quidevait lui être
(1) Sous la troisième République, l'on eut notamment : Four-mies (ministère Constant) ; Chalon, la Martinique (ministèreWaldeck-Millerand) ; Paris, grève de l'alimentation (ministèreCombes) ; Limoges (ministère Rouvier) ; Draveil, Villeneuve-
Saint-Georges (ministère Clemenceau-Briand-Viviani) ; etRaon-l'Etape ; et tant d'autres. (N. de l'A.)
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 2O9
funeste, voulut montrer qu'il était en mesure de remplir sa
mission pacificatrice et libératrice, et prouver aussi que, pourla mener à bien, il possédait toujours la confiance delà nation.
C'est alors qu'il eut l'idée de consulter plénièrement le pays,au moyen d'un nouveau plébiscite, sur les réformes réalisées ;ceux qui approuveraient la politique de Napoléon voteraient
oui, ceux qui les désapprouveraient voteraient non.
La liberté de manifester son opinion, laissée à chacun,était telle que les soldats eux-mêmes furent autorisés à se
rendre dans les clubs et à assister aux réunions publiques.
Aussitôt, les « irréconciliables » de gauche, qui s'affir-
maient républicains, et les royalistes de toute nuance com-
prirent que Napoléon III cherchait à pallier d'un seul couples fautes du nouveau ministère. Ils se mirent donc une fois
de plus d'accord, pour recommander aux électeurs de voter
« non ».
Cette coalition, une fois de plus avouée, produisit un effet
désastreux sur l'opinion publique.Le comité républicain, dit comité démocratique de la rue
de la Sourdière, eut beau multiplier ses appels : la populationresta froide. Aussi M. Ernest Picard, comprenant la mala-
dresse commise, refusa-t-il d'apposer son nom au bas du
principal manifeste, à côté de ceux des Garnier-Pagès, des
Gambetta, des Crémieux, des Jules Ferry, des Grévy, des
Pelletan, des Jules Simon, etc.
U Union libérale, ligue composée indistinctement de tous
les éléments d'opposition à l'Empereur et où les plus enragés
légitimistes et cléricaux ultramontains coudoyaient les Glais-
Bizoin, les Magnin, les Henri Rochefort, ne parvenait pas
davantage de son côté à réaliser l'unité d'action, comme aux
beaux jours des élections de 1869 : témoin un avis publié paravance dans la Marseillaise du 18 avril 1870 et qui déjà préco-nisait l'abstention dans les termes suivants : « S'abstenir,
c'est plus que repousser les propositions de l'Empire, c'est lui
14
210 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
refuser le privilège (sic) qu'il s'arroge de consulter le suffrageuniversel. »
Ainsi, d'après M. Rochefort, l'Empereur, élu directement
par le Peuple, n'avait pas le droit de consulter le Peuple
quand les intérêts vitaux de celui-ci étaient en jeu ? Mais, s'il
ne l'eût pas fait, on aurait à juste titre accusé Napoléon III
d'être un « tyran » et de faire « du gouvernement per-sonnel ».
Quoi qu'il en soit, l'opposition était désorientée par le
coup droit que l'Empereur — plus habile et plus démocrate
que les ministres du parlementarisme —venait de lui porter.Ah ! les « avocats » prétendaient urbi et orbi que le pays en
avait assez des Napoléon? On verrait bien ! Le peuple se pro-noncerait...
Et le chef élu de la nation française reprenait sa formule
du 8 décembre 1851 :
« Pourquoi le Peuple se soulèverait-il contre moi, qui ne
suis que son mandataire.
« Si je ne possède plus votre confiance, si vos idées ont
changé, il n'est pas besoin de faire couler un sang pré-cieux (en recourant à la guerre civile), il suffit de déposerdans l'urne un vote contraire.
« Je respecterai toujours l'arrêt du Peuple ! »
En l'occurrence, seul l'Empereur se conduisait en véritable
républicain : comme, au surplus, il s'étaittoujours conduit en
véritable socialiste, en réalisant l'une après l'autre tant de
réformes dont avait déjà bénéficié la Démocratie.
Devant ces faits indiscutables, les masses laborieuses ne
pouvaient pas se laisser davantage induire en erreur.
Aussi, fut-ce en vain que, faussant systématiquement la
vérité, l'auteur des Propos de Labiénus, M. A. Rogeard, écri-
vit : « Semblable à ces empereurs romains qui envoyaient à
« leurs ennemis l'ordre de s'ouvrir les veines, l'empereur des
« Français invite au suicide le suffrage universel », et que
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 211
le comité de la gauche radicale fit distribuer aux portes de
toutes les casernes l'appel suivant : « Vous êtes citoyens avant
« d'être soldats. Ecoutez notre voix fraternelle... Si vous
« voulez reconquérir votre place au foyer, vos droits à la vie
« sociale — tout en restant à la disposition de la patrie, dans
« le cas où sa sécurité ou son honneur serait menacé, et alors
« toute la démocratie serait à vos côtés... Si vous croyez« que la liberté est le premier des biens ; si vous êtes las de
« servir de rempart et d'instrument à une politique que vous
« combattrez vous-mêmes dès que vous ne serez plus soldats;« si vous ne voulez plus de guerres impies ou stériles, qui« vous coûtent le plus pur de votre sang ; si vous voulez vivre
« en hommes libres, dans une patrie libre, votez hardiment
« non. »
Ce fut également en vain que le même comité (i) déclara
aux électeurs civils : « Aujourd'hui, c'est un bianc-seing« qu'on vous demande, l'aliénation de votre souveraineté
« (sic), l'inféodation du droit populaire aux mains d'un
« homme et d'une famille, la confiscation du droit impres-« criptible des générations futures (2)... Protestez par le vote
« négatif, par le vote à bulletin blanc ou même par l'absten-
« tion : tous les modes de protestation apporteront leur part« à l'actif de la liberté. Quant à nous, nous voterons résolu-
« ment won, et nous vous conseillons de voter non. »
L'avant-dernière phrase de ce dernier manifeste montre,
(i) Ont signé : MM. Emmanuel Arago, D. Bancel, A. Cré-
mieux, Desseaux, Dorian, Esquiros, Jules Ferry, Gagneur, Léon
Gambetta, Garnier-Pagès, Girault, GlaisBizoin, Jules Grévy,J. Magnin, Ordinaire, Eugène Pelletan, Jules Simon; et les délé-
gués suivants de la presse radicale de Paris et de province :Ch. Delescluze, A. Duportal, Louis Jourdan, André Lavertujon,Pierre Lefranc, A. Peyrat, Louis Ulbach et Eugène Véron.
(2) On ne pouvait cependant pas consulter les générationsfutures avant qu'elles fussent venues au monde. (N. de l'A.)
212 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITES
en définitive, combien les « irréconciliables » se méfiaient
du pays ou, tout au moins, combien ils se savaient peud'influence sur l'opinion. Ils se réservaient, en effet, le droit
de s'attribuer non seulement le bénéfice des votes négatifs,mais encore celui des bulletins blancs et même des absten-
tions provenant de gens que la maladie ou les affaires éloi-
gneraient des urnes.
Leur calcul, dans cet ordre d'idées même, fut déjoué par la
formidable réponse du pays entier.
Le 8 mai 1870, le vote eut lieu au scrutin secret. Il donna les
résultats que voici :
RECENSEMENT DEFINITIF DES VOTES
OUI
Vote des 89 départements 7.016.327 voix.Vote de Tannée intérieure 249.464- —
Vote de la marine 23 -759—
Population civile de l'Algérie. . . . 10.719 —
Armée de l'Algérie 36.165 —
Total 7.336.434 voix.
NON
Vote des 89 départements 1.495.144 v°ix-Vote de l'armée intérieure 40.181 —
Vote de la marine 5-874 —
Population eivile de l'Algérie. ... 13.481 —
Armée de l'Algérie 6.029 —
Total 1.560.709 voix.
Neuf millions d'hommes étaient allés aux urnes. L'opposi-tion recueillait péniblement quinze cent mille suffrages etcent mille citoyens à peine avaient déposé, en outre, desbulletins blancs ou nuls.
C'est dire que la claire vision de Napoléon III n'avait pasété trompée : tout le pays était avec lui et pour lui. C'est ce
que l'Empereur constata le 20 mai, au Louvre, en recevant la.
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 2l3
députation du Corps Législatif qui venait lui remettre la
déclaration officielle du recensement général des votes du
8 mai. Il parla en ces termes aux députés :
« Messieurs,
« En recevant de vos mains le recensement des votes émis
le 8 mai, ma première pensée est d'exprimer ma reconnais-
sance à la nation qui , pour la quatrième fois depuis
vingt-deux ans, vient de me donner un témoignage éclatant
de sa confiance.
« Le suffrage universel dont les éléments se renouvellent
sans cesse conserve néanmoins, dans sa mobilité, une
volonté persévérante. Il a pour le guider sa tradition, la
sûreté de ses instincts et la fidélité de ses sympathies...« Aujourd'hui, l'Empire se trouve affermi sur sa base. Il
montrera sa force par sa modération. Mon gouvernementfera exécuter les lois sans partialité, comme sans faiblesse...
Déférent pour tous les droits, il protégera tous les intérêts
sans se souvenir des votes dissidents ou des manoeuvres hos-
tiles. Mais, aussi, il saura faire respecter la volonté nationale,si énergiquement manifestée, et la maintenir désormais
au-dessus de toute controverse.
« Débarrassés des questions constitutionnelles qui divisent
les meilleurs esprits, nous ne devons plus avoir qu'un but ;
rallier, autour de la Constitution que le pays vient de sanc-
tionner, les honnêtes gens de tous les partis ; assurer la sécu-
rité ; amener l'apaisement des passions ; préserver les intérêts
sociaux de la contagion des fausses doctrines ; rechercher,
avec l'aide de toutes les intelligences, les moyens d'augmenterla grandeur et la prospérité de la France.
« Répandre partout l'instruction ; simplifier les rouagesadministratifs ; porter l'activité, du centre où elle surabonde,aux extrémités qu'elle déserte ; introduire dans nos codes,
qui sont .dès monuments, les améliorations justifiées par le
214 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
temps ; multiplier les agents généraux de la production et de
la richesse ; favoriser l'agriculture et le développement des
travaux publics ; consacrer enfin notre labeur à ce problème
toujours résolu, et toujours renaissant : la meilleure réparti-tion des charges qui pèsent sur les contribuables ; tel est notre
programme. C'est en le réalisant que notre nation, par la
libre expansion de ses forces, portera toujours plus haut les
progrès de la civilisation.
« Je vous remercie, messieurs, du concours que vous
m'avez prêté dans cette circonstance solennelle. Les votes
affirmatifs qui ratifient ceux de 1848, de 1851 et de 1852,
raffermissent aussi vos pouvoirs et vous donnent comme à
moi une nouvelle force pour travailler au bien public.« Nous devons aujourd'hui plus que jamais envisager
l'avenir sans crainte. Qui pourrait, en effet, s'opposer à la
marche progressive d'un régime qu'un grand peuple a fondé
au milieu des tourmentes politiques, et qu'il fortifie au sein de
la paix et de la liberté ? »
LA CANDIDATURE HOHENZOLLERN
Qui pourrait s'opposer à la souveraineté nationale libre-
ment exercée ? demandait en résumé l'Empereur.
Qui ? Mais les bourgeois de droite et de gauche, un moment
atterrés par les résultats du plébiscite, et reprenant bientôt le
dessus, ainsi qu'en témoigne le discours prononcé par
Gambetta à Belleville.
Celui-ci, avec la faconde qu'il devait d'ailleurs montrer
plus tard, vers 1878, pour cacher au public ses tractations
avec Bismarck, déclarait, au lendemain du plébiscite de mai
1870:« On a beau dire que sept millions et demi de oui ont tout
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 2l5
tranché ; rien ne réprimera l'insurrection de ma conscience (1),
qui crie : Tout est à refaire.
«... Mais gardons-nous de récriminer contre le suffrage
universel, parce qu'il se trompe. Même dénaturé, n'oublions
pas qu'il est notre principe. Et moi qui suis un homme de
paix, je professe un tel respect pour cette souveraineté légi-
time que je n'hésiterais pas à faire appel à la force, si l'on
voulait y porter la main. »
Et l'homme qui devait précisément, le 4 septembre suivant,
faire juste le contraire et tenir un premier rôle dans le coup
de force contre un gouvernement quatre fois consacré par le
suffrage universel, ajoutait ces paroles audacieuses qu'allaient
également démentir les événements :
« Le suffrage universel est l'accession de chaque conscience,
de chaque raison au gouvernement de la nation : c'est l'ancre
du salut ! Nous avons tout à en attendre et j'affirme qu'avant
longtemps notre attente sera justifiée! »
Toutefois, en dépit de l'audace de leur langage, les oppo-sants de la bourgeoisie, les « avocats », avaient l'intime con-
viction que toutes leurs déclamations seraient inutiles, si une
catastrophe... heureuse n'aidait à la réussite de leur plan.
C'est ce que, plus tard, l'orléaniste Vitet (2), de l'Académie
Française, devait traduire par ces mots infâmes : « Cette
année 1870... j'entrevois un temps où, tout compte fait, tout
bien pesé, nous la bénirons. Et, d'abord, n'a-t-elle pas vu
tomber l'Empire ?» ; et c'est aussi ce que remémorerait
Ernest Picard, dans cette phrase d'un cynisme révoltant :
(1) Gambetta invoquait déjà sa « conscience »!!! C'est aussi sa« conscience » qu'il invoquerait en 1878, auprès de Mme JulietteAdam (voir « Après l'abandon de la revanche »), lorsqu'elle lui
parlerait de Henckel de Donnersmarck et de la Païva qui l'avaientmis en rapports avec Bismarck le faussaire d'Ems, avec le cri-minel auteur du rapt de l'Alsace et de la Lorraine. (N. de l'A.)
(2) Cinquième lettre sur le siège de Paris.
2l6 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« La chute de l'Empire vaut bien la perte de deux provinces. »
Eh ! oui, la guerre, une guerre où nous serions vaincus, la
défaite de nos armes : tel était « le suprême espoir et la
suprême pensée » de ces singuliers patriotes qui escomptaient,eux aussi, les fourgons de l'étranger, à l'instar des féaux sujetsde Louis XVIII en 1814 et 1815.
Mais, l'Empereur travaillait à la paix avec acharnement.
Les résultats du plébiscite du 8 mai auraient suffi à calmer
ses appréhensions, s'il en avait eu jamais au sujet du loyalisme
du pays tout entier à son endroit. Il pouvait, désormais —
comme il venait de le proclamer lui-même — « envisagerl'avenir avec calme ». Et, il le faisait, n'ayant qu'un regret au
coeur, celui 'de n'avoir pu obtenir une réorganisation de
l'armée aussi complète qu'il l'avait souhaitée. L'aveuglement
parlementaire sur ce chapitre avait mis un terme, pour ainsi
dire définitif, à nos revendications sur le Rhin, comme con-
séquence de 1866. Il ne pouvait plus en être question, de
longtemps. Il n'en serait plus question. Telle était la volonté
de l'Empereur, volonté foncièrement pacifique et pacifiste,
qui persistait envers et contre tous à préconiser une armée
forte pour empêcher toute pensée d'agression de se faire jour,
surtout de la part de la Prusse dont les menées décelaient,
d'ores et déjà, des intentions belliqueuses.Les velléités hostiles de la Prusse?... Mais, elles perçaient
nettement dans la candidature d'un prince de Hohenzollern
au trône d'Espagne.Ce trône était vacant depuis 1868. Une révolution avait
renversé Isabelle II, dont la conduite personnelle avait écoeuré
tout le monde.
Avec cette reine, était tombée la branche féminine qui, à la
mort de Ferdinand VII, s'était substituée sur le trône d'Espagneà la branche mâle, en violation du droit salique stipulé par les
traités d'Utrecht.
Le 30 septembre 1868, Isabelle avait eu beau déclarer qu'elle
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 21J
laissait la couronne à son fils Alphonse, qu'elle désigna pourlui succéder sous le nom d'Alphonse XII : les Espagnols
repoussèrent à la fois don Carlos, chef de l'autre branche, et
don Alfonso, fils d'Isabelle, et instituèrent un gouvernement
provisoire. Celui-ci, n'ayant pu faire accepter la république,avait purement et simplement déclaré la vacance du trône,en constituant une régence, confiée au maréchal Serrano,
avec le maréchal Prim comme président du Conseil.
Depuis lors, les Espagnols étaient à la recherche d'un roi.
Napoléon III, consulté parle régent Serrano, avait d'abord
essayé de faire revenir l'Espagne sur son refus de recon-
naître Alphonse; puis, devant l'obstination du maréchal Prim
qui imposa sa façon de voir au gouvernement provisoire, il
avait conseillé à celui-ci de s'entendre avec le roi de Portugal
pour réunir les deux états de la péninsule en un seul, confor-
mément à la théorie des nationalités. Mais, l'Espagne n'avait
pas compris. Elle désirait un roi à elle, rien qu'à elle.
Une grosse difficulté provenait surtout de ce qu'elle-voulaitun roi catholique : et que le droit international exigeait qu'en
Europe un prince appartenant à une famille régnante
n'acceptât pas un trône étranger sans avoir au préalableobtenu le consentement des puissances.
Successivement plusieurs candidatures avaient été écar-
tées, notamment celle du duc de Montpensier appartenantà la famille d'Orléans.
Enfin, un député aux Cortès espagnoles, M. Salazar, avait
mis en avant le nom du prince Léopold de Hohenzollern, de
la branche catholique de la maison de Hohenzollern-Sigma-
ringen, médiatisée, unie à la famille royale de Prusse par des
liens d'une obéissance familiale très étroite et dont les
enfants servaient dans l'armée prussienne.On sut bientôt que M. Salazar n'était, en l'espèce, que le-
porte-parole du comte de Bismarck. Celui-ci, interroge parM. Benedetti, notre ambassadeur à Berlin, en mai i8bQ, avait
2l8 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
fait néanmoins l'étonné, déclarant que cette candidature lui
semblait peu sérieuse, mais en se gardant d'affirmer que le
roi de Prusse l'interdirait.
Pendant quelque temps l'affaire demeura secrète, et les
pourparlers s'engagèrent simplement à titre officieux.
Cependant, M. Salazar la livra à la publicité en octobre 1869.
Immédiatement Napoléon III fit informer la Prusse que l'ac-
cord ne pourrait exister en Europe au sujet de l'assentiment
international à donnera cette candidature, attendu qu'il était
trop visible que l'accession d'un roi prussien à Madrid rom-
prait l'équilibre européen au préjudice de la France.
Les négociations n'en continuèrent pas moins, mais abou-
tirent primitivement à un échec ; car, le candidat éventuel,
sur une habile intervention personnelle de l'Empereur des
Français, se déroba au printemps 1870 : ce qui mit en
grande fureur Bismarck !
Le chancelier prussien s'était dit, en effet, que le moment
était bien choisi pour chercher querelle à la France.
Si Napoléon III continuait de s'opposer à cette candida-
ture, la Prusse aurait une alliée toute trouvée dans l'Espagne
pour la guerre à entreprendre, alors qu'en outre les quatre
autres grandes puissances, susceptibles d'appuyer la poli-
tique française dans un pareil différend, ne le pourraient
pas pour des raisons diverses : d'abord, l'Angleterre se
désintéressait totalement de la.question; ensuite, la Russie
était en froid avec la France, depuis l'attentat de Berezowski,
depuis surtout l'insulte faite au tzar sur les marches du Palais
de Justice, à Paris, par l'avocat républicain Jules Favre ;
d'autre part, l'Autriche se trouvait immobilisée par ses luttes
intestines avec la Hongrie ; enfin, l'Italie semblait absorbée
par la question romaine qu'avait soulevée un ministère dévoué
à la Prusse.
Aussi, quand tant de circonstances semblaient favorables
à sa politique, Bismarck ne décolérait-il pas d'avoir été
187O-7I•— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 21g
« joué » par Napoléon III dont les relations avec la famille
de Hohenzollern-Sigmaringen étaient la seule cause du retrait
de la candidature du prince Léopold.
A quelque temps de là, un incident permit au chancelier de
Prusse d'augurer que le mouvement libéral en France et sur-
tout l'arrivée récente aux affaires d'un ministère parlemen-
taire, tel que le cabinet Emile Ollivier, allaient de nouveau
favoriser ses projets belliqueux.
Notre ambassadeur en Russie, le général Fleury entre-
tenait d'excellentes relations à Saint-Pétersbourg. Notre
ministre des affaires étrangères, le comte Daru, se montrait
enchanté de ces relations propres à faire revenir la Russie
du froissement subi en 1867, d'autant mieux que le gou-vernement de Napoléon III n'y avait été pour rien, et partant
à amener le tzar à faire contre-poids aux ambitions prus-
siennes. Mais, ce n'était pas l'avis de M. Emile Ollivier plus
porté vers la Prusse que vers la Russie.
M. Emile Ollivier se plaignit donc amèrement « d'avoir
les charges et la responsabilité d'un premier minisire sans
jouir du droit de discipline légale attaché partout à ce titre ».
Ce qui signifiait que M. Emile Ollivier entendait que la poli-
tique étrangère de la France fût celle qu'il préconisait, lui, et
pas d'autre ; et qu'en définitive, dans tous les déparlements
ministériels, ce fût son inspiration à lui seul qui devait être
prépondérante. L'attitude du comte Daru ne lui plaisait pas...
Pour imposer sa manière de voir, M. Emile Ollivier osa
confier son sentiment à un journal d'outre-Rhin, la Gazelle
de Cologne (1).
A la suite de ces révélations, une altercation eut lieu à Paris,
au sein du cabinet. Et, par la mise en jeu du parlementa-
risme, il advint qu'à bref délai Napoléon III fut obligé de se
priver des services du comte Daru.
(1) Voir la Gazette de Cologne, du 24 mars 1870.
220 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
M. Emile Ollivier se chargea lui-même de l'intérim des
Affaires étrangères, en attendant qu'il les confiât à un nou-
veau ministre — qui serait son fidèle et obéissant serviteur, le
comte de Gramont, relevé tout exprès de ses fonctions
d'ambassadeur à Vienne.
A dater de ce jour, M. de Bismarck, ainsi que nous l'avons
dit, caressa la secrète pensée d'arriver à ses fins.
Evidemment, il viendrait plus facilement à bout de M. Emile
Ollivier que de Napoléon III ; car ce dernier, dans le domaine
de la politique extérieure, avait jusque là traversé ses plans...Réconforté par cette constatation, le chancelier de Prusse,
loin d'abandonner la candidature Hohenzollern, l'entretint
au contraire, mais sans dévoiler ses projets à quiconque et
prenant les plus minutieuses précautions pour que ses rap-
ports avec Prim, président du Conseil des ministres d'Es-
pagne, restassent inconnus de tous.
Toutefois Napoléon III soupçonna vite quelque chose.
C'est pourquoi l'Empereur préconisa encore et toujours la
mise en état de nos forces militaires, sachant bien qu'unearmée solide serait le meilleur argument à opposer à M. de
Bismarck... en faveur de la paix !
Certes, pour être plus sûr qu'à l'intérieur on ne lui lierait
pas les bras, Napoléon III aurait pu alors se séparer de ses
ministres ; mais, n'aurait-on pas aussitôt prétendu qu'il n'avait
demandé un plébiscite qu'afin de porter une main sacrilègesur les nouvelles libertés constitutionnelles ?
Ces libertés constitutionnelles : mais elles faisaient relever
le ministère des Chambres et non de l'Empereur !
L'Empereur se séparant des ministres sans un vote préa-lable des Chambres : quel toile dans le monde parlemen-taire !... On aurait crié au coup d'Etat et évoqué, une fois
de plus, le 2 Décembre !
Agir ainsi eût été aller à l'encontre du but poursuivi. Cela
eût suscité, en effet, d'inextricables difficultés intérieures en
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 221
ameutant la bourgeoisie orléaniste et l'opposition républi-caine auxquelles, naturellement, M. Emile Ollivier et ses
amis auraient donné leur appui. Les circonstances seraient
devenues instantanément favorables à M. de Bismarck, pour
greffer une guerre étrangère sur nos dissensions intestines.
Cela : il fallait l'éviter par-dessus tout!
L'Empereur, au surplus, dont la maladie s'aggravait de
jour en jour, ne pouvait véritablement s'engager dans une
lutte gouvernementale pareille. Aussi, sans rien brusquer,
s'efforça-t-il plus simplement d'obtenir que le pouvo ir légis-latif se montrât plus
•clairvoyant en matière de défense
nationale.
Les rapports directs ou indirects qu'il eut à ce sujet avec
M. Thiers, son ennemi pourtant, le prouvent sans conteste
possible.
LE PARLEMENTARISME CONTRE L'ARMEE
C'est qu'en effet l'Empereur — ceci n'est pas niable ! — tenait
toujours à son idée d'une sérieuse réorganisation de l'armée.
Le 10 janvier 1870, il l'avait fait observer à M. Emile Ollivier
dans les termes que voici : « Cette nécessité m'est apparue« en Italie. C'est l'insuffisance de notre armée et l'impossi-« bilité d'en avoir une seconde sur le Rhin qui m'ont con-
« traint prématurément à la paix de Villafranca. » Le chef
d'Etat observait, en outre, avec juste raison : « Comment
« rester inerte après les enseignements de la dernière guerre« (entre la Prusse et l'Autriche) ?>
M. Henri Welschinger, lui-même, rapporte à ce propos (1) :
« Le nouveau président du Conseil répondit (à Napo-léon III) qu'il fallait, momentanément au moins, renfermer la
(1) H. WELSCHINGER. — La guerre de 1870. — tom. Ier, page 9,
222 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
réorganisation militaire dans les limites du budget et des
contingents actuels. L'Empereur, peu convaincu, soutint,mais en vain, que le nombre (des combattants) avait à la
guerre une importance décisive. »
Et, pour se « renfermer » dans les limites du budget et des
contingents, M. Emile OUivier, malgré l'avis formel de Napo-léon III, défère alors aux désirs de l'opposition et accepte une
réduction de dix mille hommes sur le contingent de 1870!!!Non seulement il l'accepte, mais il la défend devant le
Corps Législatif, et la fait naturellement voter, puisqu'il est
l'homme du tiers-parti, puisqu'il est la créature du parlemen-tarisme.
La commission a été obligée de lui céder sur ce point, ce
contre quoi s'élève avec véhémence un ancien ultra lui-même
que le sentiment patriotique a ramené à une plus équitable
appréciation de la clairvoyance de l'Empereur.La scène se passe au Corps Législatif, à la séance du
30 juin 1870. Le comte de la Tour a la parole et s'exprime de
cette façon :
« M. LE COMTEDE LA TOUR. — Messieurs, j'ai trouvé dans le
rapport de la commission l'expression de deux sentiments
auxquels je m'associe sincèrement : le premier, c'est le regret
que la réduction accordée par vous pour le contingent de
1870 et proposée par le gouvernement (de M. Emile Ollivier)et acceptée par la commission n'ait pas coïncidé avec une
réduction sérieuse des armements de pays étrangers, de
manière à ce que l'on ait pu accorder à nos finances un dégrè-vement réel et à nos populations un soulagement plus consi-
dérable; le second, c'est la crainte que cette réduction de
10,000 hommes accordée pour un contingent et proposée
pour un autre, ne devienne une cause sérieuse d'affaiblis-
sement pour nos forces militaires, si elle devait se poursuivreles années prochaines, sans qu'il y eût aucune réduction
sérieuse des armements chez les puissances étrangères.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITES 223
« Non seulement je m'associe à ces sentiments, mais jeviens leur demander à cette tribune une forme plus accentuée,en établissant — d'une manière que je considère comme
incontestable, c'est-à-dire sur les chiffres les plus sérieux —
que déjà dans la situation actuelle, même avec des contin-
gents de j 00,000 hommes, nos forces militaires sont inférieures
en nombre à celles de l'Allemagne, et que chaque année parla pratique régulière et normale des institutions militaires
des deux pays, on voit cet écart s'augmenter dans des pro-
portions tellement graves que si la réduction du contingentétait maintenue chez nous à l'avenir sans qu'il y eût modifi-
cation dans les institutions militaires des autres pays, notre
armée serait affaiblie d'une façon très inquiétante. »
Et l'orateur, après avoir établi un parallèle pour appuyerses prévisions sans contradiction possible, émettait le voeu
qu'avant de persister dans cette voie du désarmement uni-
latéral, le gouvernement pressentît les gouvernements étran-
gers « notamment la Prusse » sur un désarmement simultané;ceci fait et faute d'une réponse satisfaisante de la part de nos
voisins, il suffirait sans doute de faire appel au « patriotisme
clairvoyant » de la Chambre pour que — selon le désir de
l'Empereur lui-même — les députés acceptassent de revenir
promptement à une réorganisation complète et véritable de
nos forces militaires.
Mais M. Garnier-Pagès monte à la tribune, pour affirmer,
une fois de plus, que l'Europe vit dans une atmosphère de
paix. D'ailleurs, si l'on veut organiser la Défense Nationale
chez nous, l'on n'a qu'à opérer comme en... Suisse. Et
M. Garnier-Pagès prêche la démililarisation de la France :
c'est le seul moyen d'être bien préparés au cas absolument
improbable d'une tentative d'invasion :
« M. GARNIER-PAGÈS.— Si nous considérons la Suisse, nous
y trouvons une amélioration relativement plus considérable
encore dans l'organisation et les défenses militaires... Vous
224 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
me direz peut-être que la Suisse est une République (1) : je
suis heureux de le constater.
« M. GRANIER DE CASSAGNAC. — Nous vous répondrons sim-
plement que la Suisse est une puissance trop peu importante
pour influer dans une mesure sérieuse sur l'état général de
l'Europe.« M. GLAIS-BIZOIN. — Oh ! oh !
« M. GARNIER-PAGÈS. — La France armée comme la Suisse
aurait une influence plus grande... Qu'attendez-vous donc?
Etudiez ce système ; examinez-le à fond. Cette France si
belliqueuse, si courageuse, qui s'est levée plusieurs fois
comme un seul homme lorsque la patrie était en danger, n'a
pas besoin d'une armée permanente... qui ne produit rien,
qui n'a qu'un résultat : celui de remplir les casernes. »
Après M. Garnier-Pagès, M. Ernest Picard constate que« la France ne peut pas conserver une organisation militaire
« pareille à celle qu'elle a depuis vingt ans, surtout avec
« des contingents aussi élevés que ceux que l'on réclame au
«c pays !!! »
Et M. Jules Favre intervient à son tour dans le même sens.
M. Thiers, rendu plus clairvoyant grâce sans doute à ce
que lui a fait connaître l'Empereur et peut-être aussi par le
désir qu'il nourrit d'être ministre à son tour — puisqu'avecle parlementarisme on peut s'attendre à tout! —
parle en
(1) En invoquant l'exemple de la Suisse, et de la Suisse répu-blicaine, M. Garnier-Pagès ne s'apercevait pas qu'il commettaitdeux fautes : l'une au point de vue ethnographique, l'autre au
point de vue constitutionnel. D'abord, ethnographiquement, laSuisse ne pouvait être comparée à la France pour ce triple fait
qu'elle est pays neutre, nation exiguë et territoire de montagnes.Ensuite, constitutionnellement, quelle erreur d'opposer la répu-blique suisse à l'empire français! La première possédait le reje-rendum, l'Empire le plébiscite, c'est-à-dire le même instrumentde souverainaté populaire sous deux appellations différentes.
(N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 225
faveur d'une armée forte, solide, prête à tous les événe-
ments.
N'importe! la diminution de 10,000 hommes sur le contin-
gent est acceptée.Aussi le général Govone (1) a-t-il pu équitablement résu-
mer l'oeuvre du ministère Emile Ollivier, au point-de vue
militaire, de la façon suivante :
« On procéda en France à la diminution du budget de la
guerre. On fit subir au contingent annuel une diminution de
10,000 hommes. L'Autriche s'engagea, elle aussi (la vaincue
de Sadowa 1) dans la voie des économies militaires et, tout en
continuant à étudier d'accord avec l'état-major français un
plan de campagne éventuel, elle avait averti la France qu'elleaurait besoin de quarante-deux jours (2) pour mobiliser et
que, par conséquent, il faudrait, en cas de besoin, la préve-nir à temps... »
Pour décharger plus tard sa responsabilité, M. Emile Olli-
vier a soutenu (3) que notre ambassadeur' à Berlin, M. Bene-
detti, n'avait pas rempli son devoir en ne tenant pas le gou-vernement français au courant des précautions militaires
prises par la Prusse, et de la mentalité créée et entretenue
dans les populations des divers Etats de l'Allemagne, etc.
Rien n'est moins exact : les rapports du colonel Stoffel,notre attaché militaire près du roi de Prusse, et ceux de M.
Benedetti lui-même en font foi. Mais, bien mieux, l'éclatante
démonstration du contraire est encore fournie par l'attitude
constante de Napoléon III qui, sans relâche, intervint auprèsde M. Emile Ollivier, chef du gouvernement ^parlementaire,
(1) Mémoires, page 357.
(2) Or, entre le premier combat de la guerre de 1870, qui eutlieu à Sarrebrùck le 2 août, et le coup de force du 4 septemb reil n'y eut qu'un intervalle de trente-deux jours !!! (N. de l'A.)
{)) EMILE OLLIVIER.g— L'Empire libéral, tome XIV, passim.
226 187O-/I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
afin que celui-ci fît comprendre au pouvoir législatif, dont
il était l'émanation, les nécessités urgentes de la Défense
Nationale.
En essayant, le 22 avril 1880, dans le journal l'Estafette (en
réponse à des accusations très nettes formulées par le Pays)
de dégager sa responsabilité personnelle, en affirmant qu'il
n'avait pas le titre de « Président du Conseil » en 1870, et,
partant, de rejeter sur l'Empereur mort la faute d'une inertie
coupable, M. Emile Ollivier a commis sciemment une
mauvaise action.
Président du Conseil ? M. Emile Ollivier l'était en fait : car
ce n'est pas le mot qui fait la chose, ni le titre qui fait la
fonction.
Les rênes du pouvoir en mains, M. Emile Ollivier a suivi sa
politique personnelle, rien de plus, rien de moins. Son atti-
tude à la Chambre le prouve, comme l'avait prouvé, au
demeurant, le départ du comte Daru du ministère des Affaires
étrangères.
La prépondérance ministérielle, alors, était telle et s'exer-
çait d'une façon si préjudiciable aux intérêts nationaux que
l'Empereur n'hésita pas à renouer personnellement, en
dehors des ministres — ainsi qu'on l'a su plus tard — des
négociations secrètes avec François-Joseph et Victor-Emma-
nuel, en vue d'une alliance franco-austro-italienne. Napo-léon III n'aurait pas eu à agir de la sorte s'il avait été le
maître qui commande et qu'on obéit.
Eh ! oui, l'Empereur se sentait si peu en confiance avec ses
soi-disant collaborateurs qu'au lendemain de la séance du
30 juin au Corps Législatif, il résolut de s'adresser lui-même
aux députés par une note individuelle que M. Bapst (1) a
publiée.
(1) A. BAPST. — Canrobert, tome IV, page 125.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 227
Il y était dit :
« Le budget de la guerre est toujours en butte aux attaquesde ces esprits à courte vue qui, pour se donner un vernis de
popularité, ne craignent pas de désorganiser notre armée
sans alléger notablement les charges budgétaires.« En 1865, les pouvoirs publics (c'est-à-dire le Sénat et le
Corps Législatif) exercèrent une véritable pression sur les
ministres (représentant alors l'Empereur et l'Empereur seul)afin d'obtenir des réductions.
« La conséquence de ces mesures fut désastreuse. La
France ne put jouer un rôle digne d'elle au milieu des événe-
ments, et notre considération dans le monde s'en ressentit...
« Certes, l'influence de la France fut assez forte pourarrêter le vainqueur aux portes de Vienne (pendant la guerre
austro-prussienne), mais sa voix eût été mieux écoutée si
nous avions été prêts (au point de vue militaire)...« Aussi, le sentiment national comprit bientôt le danger
que notre pays avait couru en négligeant son armée, et une
année s'était à peine écoulée depuis qu'on l'avait réduite
pour économiser 5 ou 6 millions, que la Chambre votait 280
millions pour reformer nos cadres., perfectionner notre
armement et mettre en état nos places fortes.
« Mais les réductions opérées (par la Chambre) désorga-nisèrent nos forces sans procurer d'économies notables. Elles
nous obligèrent, en face de l'Europe armée, à prendre une
autre attitude que celle qui aurait convenu à la France.
« Il est des hommes auxquels l'expérience n'apprendrien !...
« En présence de l'Allemagne qui peut mettre sur pied un
million d'hommes exercés, on parle encore de réduire les
cadres. Nous allons comparer l'armée française à l'armée
de la Confédération du Nord (de l'Allemagne) et en présencede notre infériorité, on renoncera, nous en sommes con-
vaincus, à affaiblir encore notre organisation militaire. »
228 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
L'Empereur donnait alors un tableau suggestif qui mon-
trait clairement, suivant l'expression de M. Bapst, que « la
Confédération du Nord, en dehors de l'Allemagne du Sud,avait 900,000 hommes exercés à sa disposition ».
La note de Napoléon III se terminait ainsi :
« Que l'on compare... et que l'on juge si ceux qui veulent
encore réduire nos forces nationales sont bien éclairés sur
les véritables intérêts du pays ! »
Hélas ! on fit remarquer à l'Empereur que l'envoi de catte
note serait encore « anticonstitutionnel », « antiparlemen-taire », et équivaudrait presque à un coup d'Etat,... et à un
coup d'Etat qui ne saurait se justifier comme le 2 Décembre,
puisque celui-ci n'avait été fait que pour sauver le suffrageuniversel mutilé par les parlenientanes au moyen de la loi
du 31 mai 1850 et n'avait, en définitive, que fait respecter la
Constitution républicaine dont le suffrage universel intégralconstituait la base intangible.
Napoléon III dut céder — et cela juste au moment où l'on
apprit que M. de Bismarck venait de renouer tous les fils de
l'intrigue Hohenzollern.
LE GUEPIER HISPANO-ALLEMAND
Le 2 juillet 1870, la Gazette de France, journal royaliste,
publiait la note suivante : « Le gouvernement espagnol a
envoyé une députation en Allemagne pour offrir la couronne
au prince de Hohenzollern », et le même jour le Journaldes Débats, organe de la bourgeoisie orléaniste, enregistraitla dépêche que voici et que lui avait fait parvenir son corres-
pondant : « Une nouvelle grave nous arrive aujourd'hui de
Madrid. Une députation, envoyée en Prusse par le maréchal
Prim, a offert la couronne d'Espagne au prince de Hohen-
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 22()
zollern qui l'a acceptée. Cette candidature serait proclaméeen dehors des Cor tes. »
Voici ce qui s'était passé : Bismarck, mis en échec par Na-
poléon III, n'avait point perdu courage. Sentant bien,
depuis quelques mois, que le parlementarisme ôterait à
l'Empereur des Français le moyen propre à assurer efficace-
ment la défense du pays, tandis que la Prusse, depuis 1866,
s'était organisée sans désemparer : le chancelier de fer s'était
dit que le moment était venu de faire passer dans la réalité
ces strophes du poète Arndt (1) :
« Ah ! mon Allemagne, libre, unie, en avant I Nous voulons
« leur chanter une petite chanson, et reprendre ce que leur
« maligne fraude nous a enlevé : Metz, Strasbourg et la
« Lorraine 1 Oui, vous rendrez gorge ! Commençons donc
« le combat, au dernier sang. Le cri retentit : Au Rhin ! Au
« Rhin ! Que l'Allemagne tout entière déborde sur la
« France I
« Secoue-toi, patience allemande I Réveille-toi des rivages« du Belt à ceux du Rhin. Nous avons à faire payer de
« vieilles dettes. Allons I France, mets-toi en garde. Nous
« voulons dans le jeu des épées et des lances danser avec
« toi la danse sauvage et sanglante. Le cri retentit : Au Rhin !
« Au Rhin ! Que l'Allemagne tout entière déborde sur la
« France I »
Oh ! Bismarck l'avait attendue, cette heure.
Il avait espéré qu'elle se produirait plus tôt : non certes à
l'époque du Mexique ; car il savait parfaitement, alors, quela Prusse n'était pas prête, tandis que la France possédait,en 1866, un effectif suffisant de 400,000 hommes sans compterles réserves, avec II.000 canonsen bronze et 3,000 canons en
fer, et qu'il savait aussi que l'expédition du Mexique n'avait
immobilisé temporairement que 38 000 hommes et 50 canons.
(1) ARNDT. — Vaterland's lieder.
230 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
C'est pourquoi à la première injonction de Napoléon III, au
lendemain de Sadowa, l'aigle prussienne avait rentré ses
serres et plié ses ailes sans oser planer jusqu'à Vienne.
Mais, le moment lui avait paru favorable plus tard, lorsqu'auxsuccessives demandes de l'Empereur pour la réorganisationde l'armée, les parlementaires français avaient opposé leur
mauvais vouloir irréductible. Bismarck avait eu, à ce moment,la conviction d'arriver bientôt à ses fins, ne cherchant plusdésormais qu'une cause avouable de conflit afin de ne pasameuter l'Europe contre la Prusse par une attitude tropvisiblement agressive : il importait, en effet, que ce fût la
France qui jouât ou semblât jouer le rôle d'assaillante. Et la
candidature Hohenzollern, fin 1869 et commencement de
1870, avait paru propre à fournir ce simulacre.
L'ingérence française dans une affaire « purement espa-
gnole » ne suffirait-elle pas à faire supposer à l'Europe entière
que le « vieux coq gaulois » entendait toujours régenter le
monde et cherchait sans cesse querelle à ses voisins ?
Hélas! songeait Bismarck, cette candidature prussienneavait été retirée! Avec elle, le prétexte rêvé s'était évanoui...
Quand et comment en trouverait-on un autre ?
Après avoir vainement cherché, Bismarck s'était doncraccroché à cette candidature abandonnée ; puis, sournoi-
sement, dans l'ombre et le mystère, il avait tout mis en oeuvre
pour la faire réapparaître de nouveau.
Il y avait réussi, non sans peine ; mais il y avait réussi :
voici comment :
Après avoir remis en confiance le maréchal Prim, il avait
circonvenu le père de Léopold Hohenzollern, le prince
Antoine, et en même temps avait décidé le kronprinz, fils
du roi Guillaume, à déclarer au prince Léopold lui-même
que son refus d'accepter le trône d'Espagne était « contraire
à ses devoirs vis-à-vis de la maison de Hohenzollern ». De
sorte que, fin mai, le prince Léopold avait fini par déclarer aux
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 231
émissaires de Bismarck et à ceux de Prim réunis qu'il lais-sait de côté « les considérations personnelles (c'est-à-dire la« parole donnée à Napoléon III) pour ne plus se laisser« guider que par des nécessités d'ordre supérieur, afin de« rendre un grand service à son pays. »
Pendant tout le mois de juin, les négociations s'étaient pour-suivies dans le plus grand secret. Finalement, elles avaient
abouti. Il était entendu que les Cortès se réuniraient le plustôt possible, sous un prétexte quelconque ; que l'élection
aurait lieu sur-le-champ ; et qu'une délégation partiraitaussitôt de Madrid pour porter au prince Léopold, à Sigma-
ringen, la couronne d'Espagne. Mais, il importait par-dessustout que le secret fût bien gardé jusqu'à la phase définitive.
De deux choses l'une : ou la France indignée déclarerait
aussitôt la guerre et, dans ce cas, elle trouverait en face d'elle
la Prusse et l'Espagne à la fois ; ou elle subirait l'affront sans
protester, et alors elle serait diminuée aux yeux de l'Europe,et son gouvernement ne tarderait pas à être renversé : chose
qui provoquerait des troubles intérieurs, grâce auxquels la
Prusse nous envahirait, nous démembrerait, au profit du roi
Guillaume qu'on proclamerait empereur d'Allemagne.Le secret restait si bien gardé — tandis que la chose était
déjà conclue en principe — que Mercier, ambassadeur
français à Madrid, télégraphiait, le Ier juillet, à M. de Gra-
mont, notre nouveau ministre des affaires étrangères, qui
l'interrogeait sur ce point : « Je n'ai pas entendu dire un mot
de la candidature Hohenzollern. »
Mais, une confidence imprudente faite par un émissaire de
Prim au président des Cortès, Zorrilla, avait mis celui-ci au
courant de l'aventure. Le président des Cortès l'avait confiée,
incontinent, au directeur de la Epoca ; et ce dernier, ignorantles dessous du complot, et ne croyant qu'à une nouvelle
sensationnelle que seraient heureux de connaître ses lecteurs,
écrivait, le Ier juillet au soir : « Nous avons un roi ! »
232 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
C'était trop tôt pour la réalisation du plan de Bismarck.
La nouvelle, en effet, communiquée à Paris par les corres-
pondants des journaux, dut être confirmée, le 2 juillet au soir,
par le maréchal Prim en personne à notre ambassadeur à
Madrid, auquel il tint ce langage : « J'ai à vous parler d'une
affaire qui ne sera pas agréable à l'Empereur, je le crains, et
il faut que vous m'aidiez à éviter qu'il ne la prenne en tropmauvaise part. » Et il lui conta qu'il était impossible au gou-vernement provisoire de l'Espagne de paraître une fois de
plus devant les Cortès sans une solution, et que l'unique solu-
tion était l'élévation du prince Léopold au trône d'Espagne.Ce à quoi notre ambassadeur répondit : « En France, le sen-
timent national y verra une provocation. Et comprenez qu'un
Napoléon ne peut laisser le sentiment national en souffrance. »
Le 3 juillet au matin, notre ambassadeur télégraphiait à
Paris : « L'affaire Hohenzollern paraît fort avancée, sinon
décidée. Le maréchal Prim lui-même me l'a dit. »
Cette confirmation officielle ne tarda pas à percer dans le
public, et l'opinion fut vite en feu. Thiers déclarait : « La
France doit considérer cette candidature comme une offense
à sa dignité. » Doudan affirmait : « Je crois qu'honorablementnous ne pourrions supporter cette insolence d'un colonel prus-sien régnant sur les revers des Pyrénées. » Jules Favre disait
que « c'était là un casus belli ». Jules Simon écrivait : « La
France ne peut, sans compromettre sa dignité et sa sécurité,
tolérer la candidature du prince Léopold. » Gambetta parlaitde « réunir tous les Français dans une guerre nationale ».
Pour calmer les esprits, en attendant de prendre les mesures
que comportait la situation, le gouvernement fit passer, parl'intermédiaire de Robert MitchelL dans son journal officieux
le Constitutionnel (1), la note suivante :
« Il résulte d'informations qui nous paraissent dignes de
(1) Le Constitutionnel, du 5 juillet 1870.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 233
foi que des agents du maréchal Prim se seraient rendus, ces-
jours-ci, en Prusse, auprès du prince de Hohenzollern pour
lui offrir la couronne d'Espagne, que S. A. aurait acceptée.
Nous ne savons encore si le maréchal Prim, en faisant cette
démarche, agissait en son nom personnel, ou s'il avait reçu
des Cortès espagnoles ou du régent un mandat quelconque.
Aussi, attendons-nous de plus amples renseignements pour
apprécier un événement dont la gravité n'échappera à
personne. Si, comme tout porte à le supposer, le maréchal a
agi sans mandat, cet incident se réduit aux proportions d'une
intrigue ; si, au contraire, la nation espagnole sanctionne ou
conseille cette démarche, nous devons avant tout l'envisager
avec le respect de la volonté d'un peuple réglant ses destinées.
Mais, en rendant hommage à la souveraineté du peuple espa-
gnol, seul juge compétent en pareille matière, nous ne pour-
rions réprimer un mouvement de surprise en voyant confier
le sceptre de Charles-Quint à un prince prussien, petit-filsd'une princesse de la famille Murât (i), dont le nom ne se
rattache à l'Espagne que par de douloureux souvenirs. »
Si Napoléon III avait voulu la guerre avec la Prusse — ainsi
que tant d'émulés du Père Loriquet l'ont écrit — il l'eût
déclarée à ce moment-là. Il en avait le prétexte ! Bien mieux,
il pouvait s'y engager sans craindre que l'Espagne entrât
dans la querelle, puisque l'affaire s'était ébruitée trop tôt au
grand dépit de Bismarck : on avait eu le temps, en effet,
ou tout au moins on l'aurait, de donner toutes les assurances
à Madrid en ce qui concernait le respect dû à la souveraineté
du peuple espagnol.
(1) Le prince Antoine-Joachim de Hohenzollern, père de Léo-
pold de Hohenzollern, et qui restera connu sous le nom du
père Antoine (comme disait Cassagnac) était fils du princeCharles-Antoine-Frédéric de Hohenzollern et de la princesseAntoinette-Marie, née Murât. Léopold de Hohenzollern étaitdonc petit-fils d'une princesse de la famille Murât. (N. de l'A.)
234 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Mais, Napoléon III voulait la paix !... Et, pour la garantirenvers et contre tous, il s'efforça lui-même de calmer l'opi-nion française désorbitée, ainsi que le prouve la note offi-
cieuse parue dans le Constitutionnel.
L'opposition de Droite et de Gauche le lui reprocha avec
véhémence.
Le Temps (5 juillet) riposta à la note gouvernementale :
« Si un prince prussien était placé sur le trône d'Espagne,« ce n'est pas jusqu'à Henri IV seulement, c'est jusqu'à« François Ier que nous nous retrouverions ramenés en
« arrière. »
Le National (6 juillet) fut plus agressif : « Que nous impor-« tent — dit-il •— que nous importent dans cette aventure les
« souvenirs de la famille Murât! La chose majeure, c'est qu'on« songe à disposer d'un trône en faveur des Hohenzollern
« dont un membre, Charles-Eitel-Frédéric, est déjà prince de
« Roumanie depuis le 20 avril 1866. »
Edmond About écrivit dans le Soir : « Quoi ! on permet-« trait à la Prusse d'installer un proconsul sur notre frontière
« d'Espagne ? Mais, alors, nous sommes trente-huit millions
« de prisonniers. »
François-Victor Hugo, le propre fils du poète, fulminait :
« Les Hohenzollern en sont venus à ce point d'audace qu'il« ne leur suffit plus d'avoir conquis l'Allemagne, ils aspirent« à dominer l'Europe. Ce sera pour notre époque une cter-
« nelle humiliation que ce projet ait été, nous ne dirons pas« entrepris, mais seulement conçu. »
Le Siècle constatait que : « La France, enlacée sur toutes
« ses frontières par la Prusse ou par les nations soumises à
« son influence, se trouverait réduite à un isolement pareil à
« celui qui motiva les longues luttes de notre ancienne*
« monarchie contre la Maison-d'Autriche. La situation serait
« à beaucoup d'égards plus grave qu'au lendemain des traités
« de 1815. »
1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 235
Le loi le était général. Tout le monde perdait la tête. Le
ministère, entre autres, ne savait plus à quel saint se vouer,
d'autant plus que M. Cochery, député du Loiret, venait, à la
date du 5 juillet, de déposer une demande d'interpellation,au nom du centre-gauche.
M. Emile Ollivier a eu la fatuité d'écrire (1) :
« J'ai toujours mis de la passion dans mes discours et dans
mes actes; mais, ainsi que l'a remarqué Darimon, qui m'a
beaucoup pratiqué et dénigré (sic), je conserve ma lucidité
d'esprit au milieu des circonstances difficiles. Dans le cours
de cette crise — le guet-apens Hohenzollern — je vais tra-
verser bien des angoisses, éprouver bien des tortures morales,
être obligé souvent de prendre des décisions rapides; à aucun
moment, je ne perdrai la possession de moi-même ; j'agiraicomme si j'avais à résoudre un problème de géométrie ou
d'algèbre, inaccessible aux influences, soit de la presse, soit
de l'Empereur ou de l'Impératrice, soit de mes amis ou de
mes ennemis, n'ayant aucun souci de ce qu'on dira ou de ce
qu'on ne dira pas, suivant ma propre initiative, ne me déter-
minant que par des considérations tirées du devoir envers
ma patrie et l'humanité. »'
Ces lignes d'Emile Ollivier méritaient d'être reproduites :
d'abord, parce que les faits eux-mêmes se chargeront de
prouver si, oui ou non, le chef du ministère garda véritable-
ment la maîtrise de soi dont il se targue ; mais, encore et
surtout, parce que nous y trouvons, dépouillé de tout artifice,
l'aveu formel que M. Emile Ollivier était bien le véritable
chef du gouvernement, l'homme responsable, le représentant
avéré du parlementarisme, n'ayant à tenir compte des conseils
et à subir des ordres de personne, pas même de l'Empereur !
Le matin du 6 juillet, il y eut conseil des ministres.
D'abord, on interrogea naturellement le maréchal Le Boeuf
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 39.
236 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
ministre de la guerre, sur la situation militaire. Celui-ci
répondit que, quoi qu'on en eût dit et quoi qu'on en pensât en
haut lieu (l'allusion à l'Empereur était évidente!), l'armée
française pouvait triompher parfaitement de l'armée prus-
sienne, surtout si l'on procédait par une « offensive vigou-reuse ». Le chef du cabinet du maréchal Le Boeuf, M. de
Clermont-Tonnerre, consulté, affirma : « Nous vaincrons ! »
Ensuite, fut envisagée la question des alliances possibles,des appuis probables, et M. Emile Ollivier rapporte (1) que« l'Empereur se leva, marcha vers un bureau, ouvrit un tiroir,
y prit des lettres de l'empereur d'Autriche et du roi d'Italie,
et nous en donna lecture. L'Empereur ne nous expliqua pointce qui avait motivé ces lettres : il les interprétait comme une
promesse éventuelle de secours dans un cas tel que celui où
nous nous trouvions, et il était absolument convaincu quedeux souverains aussi loyaux que François-Joseph et Victor-
Emmanuel tiendraient leurs promesses. Le rapport du
général Lebrun et le plan de l'archiduc Albert qui étaient
alors dans ses mains et dont il ne nous parla pas, contribuaient
certainement à donner à son accent un ton de confiance
communicative... Cette sorte d'alliance existe souvent sans
texte formel; les traités se signent lorsque l'éventualité vague-ment prévue d'une guerre se spécialise dansunfaitimminent;ils sont même la preuve que la guerre va commencer... Le
fait qu'aucun traité d'alliance en règle n'avait été conclu était
la preuve que la guerre nous surprenait et n'avait pas été
préméditée par nous. L'Empereur n'avait pas travaillé à
l'achèvement de l'accord ébauché en 1869, parce que ses
pensées étaient tout à fait pacifiques, mais aussitôt qu'une
agression imprévue lui sembla imminente, il ne douta pas un
instant, et nous le crûmes avec lui, que l'Italie et l'Autriche
convertiraient sans se faire prier les lettres de 1869 en un.
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 70.
187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 237
traité d'alliance offensive et défensive. Notre second point de
départ fut donc que nous pouvions compter sur ces deux
alliées. »
Dès cette question réglée, l'Empereur fit remarquer aux
ministres qu'il ne fallait pas oublier l'objectif principal de la
réunion du Conseil, à savoir le moyen d'assurer la paix tout
en sauvegardant notre honneur et notre dignité. Pour cela
une réponse était nécessaire à l'interpellation déposée parM. Cochery. M. de Gramont donna aussitôt lecture d'un
projet de déclaration au Corps Législatif — déclaration très
ferme dans sa forme, mais laissant toute latitude pour
négocier et amener une détente, grâce au retrait définitif de
a candidature prussienne. Ce projet fut adopté.Pendant que M. Emile Ollivier reprenait mot à mot, à
'écart, la lecture de ce projet et lui ajoutait une phrase finale,
Napoléon III invita M. de Gramont à télégraphier au général
Fleury à Saint-Pétersbourg, pour que le gouvernement du
tzar, prévenu de nos dispositions, intervînt de son côté pourfaire pression sur le gouvernement du roi Guillaume en vue
d'amener celui-ci à résipiscence.Et le Conseil se sépara.
LA DECLARATION DU 6 JUILLET
L'après-midi de ce même jour, M. de Gramont montait
à la tribune du Corps Législatif pour y donner lecture du
document (i) suivant :
« M. DE GRAMONT, minisire des Affaires étrangères. — Jeviens répondre à l'interpellation qui a été déposée, hier, parl'honorable M. Cochery.
(i) Annales du Sénat et du Corps LégislaiiJ, 1870.
238 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« Il est vrai que le maréchal Prirn a offert au prince Léopoldde Hohenzollern la couronne d'Espagne et que ce dernier l'a
acceptée. Mais le peuple espagnol ne s'est point encore pro-noncé, et nous ne connaissons point encore les détails vrais
d'une déclaration qui nous a été cachée. {Mouvement.)« Aussi une discussion ne saurait-elle aboutir maintenant à
aucun résultat pratique; nous vous prions, messieurs, de
l'ajourner.« Nous n'avons cessé de témoigner nos sympathies à la
nation espagnole et d'éviter tout ce qui aurait pu avoir les
apparences d'une immixtion quelconque dans les affaires
intérieures d'une noble et grande nation en plein exercice de
sa souveraineté ; nous ne sommes pas sortis, à l'égard des
divers prétendants au trône, de la plus stricte neutralité, et
nous n'avons jamais témoigné pour aucun d'eux ni préférence,ni éloignement.
« Nous persistons dans cette conduite. Mais nous ne croyons
pas que le respect des droits d'un peuple voisin (l'Espagne)nous oblige à souffrir qu'une puissance étrangère (la Prusse),en plaçant un de ses princes sur le trône de Charles-Quint,
puisse déranger à notre détriment l'équilibre actuel des
forces en Europe (vifs applaudissements), et mettre en périlles intérêts et l'honneur de la France. (Nouveaux applau-
dissements.)« Cette éventualité, nous en avons le ferme espoir, ne se
réalisera pas. Pour l'empêcher nous comptons à la fois sur
la sagesse du peuple allemand et sur l'amitié du peuple
espagnol.« S'il en était autrement, fort de votre appui, messieurs, et
de celui de la nation, nous saurions remplir notre devoir sans
hésitation et sans faiblesse. » {Mouvement général et prolongé.—
Applaudissements répètes.)Ce dernier paragraphe avait été ajouté par M. Emile Ollivier
pour donner plus de ton à la déclaration.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 23g
M. Emile OUivier n'en renie pas la paternité (i). Bien mieux,il a écrit tout récemment (2) : « Cette déclaration est irrépro-« chable, et je la relis après tant d'années, avec satisfaction.
« Sans doute, elle est catégorique et renferme un ultimatum
« pour le cas où l'on n'en tiendrait pas compte. C'était la
« condition même de son efficacité. »
Par cela même M. Emile Ollivier démontre qu'il n'était pas
aussi pacifique que l'Empereur.
M. Emile Ollivier —quoiqu'il ait prétendu le contraire,
ainsi que nous l'avons vu plus haut — avait subi la sugges-
tion de la presse belliqueuse, de l'opposition outrancière qui
affirmait dans ses journaux qu'on « canait devant l'étranger ».
Une préoccupation avait donc prévalu dans l'esprit du
ministre, celle d'assurer l'existence du cabinet en s'assurant
une majorité parlementaire par une « finale » qui la galva-niserait dans ses mains.
D'ailleurs, on ne s'y trompa point, à la séance du 6 juil-
let 1870, au Corps Législatif.
M. de Gramont était à peine descendu de la tribune queM. Glais-Bizoin s'écriait : « Alors, c'est une déclaration de
guerre ? »
Crémieux, Raspail et d'autres encore répétèrent le mot.
Mais qu'on ne s'avise pas de croire aux assertions soit
d'HenriMartin dans son Histoire de France populaire (3), soit de
Jules Claretie dans son livre sur la Révolution de 1870-71 (4),
soit d'autres historiens qui ont pareillement dénaturé l'histoire
et qui laissent supposer que les parlementaires républicains
ou orléanistes protestaient ainsi contre la guerre. Non I les
(1) EMILE OLLIVIER. — L'Empire libéral, tome XIV, pages 107et 108.
(2) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 75.
(3) Histoire de France populaire, page 103.
(4) Histoire de la Réoolution de 1870-71, page 152.
24O 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
extraits des journaux de l'époque que nous avons publiés et
ceux que nous publierons encore prouvent justement le con-
traire. Ces parlementaires-là n'entendaient que rejeter sur
l'Empereur les responsabilités d'événements dont était res-
ponsable tout le monde, sauf lui.
Quoi qu'il en soit, au moment où M. Emmanuel Aragovenait de déclarer que « le ministère avait été imprudent, en
engageant la France malgré elle » et que la spécificationfaite sur une candidature équivalait à « la nomination d'un
roi d'Espagne et à une déclaration de guerre », M. Emile
Ollivier fut obligé, pour s'élever contre cette dénaturation
des faits et ce langage de mauvaise foi, d'en revenir à l'atti-
tude pacifique recommandée par l'Empereur. Et comme M.
Crémieux posait en principe que la guerre était, d'ores et
déjà, déclarée et qu'il fallait en conséquence interrompre la
discussion du budget pour ne songer qu'à la préparation des
hostilités, M. Emile Ollivier combattit cette motion dans les
termes que voici et qu'il donne lui-même :
« M. EMILE OLLIVIER, garde des sceaux, ministre de la Jus-
tice. —Je demande à l'Assemblée de ne pas accepter la pro-
position de l'honorable M. Crémieux et de reprendre la dis-
cussion du budget. Le gouvernement désire la paix !... Il la
désire avec passion, mais avec honneur. Je ne puis admettre
qu'en s'exprimant, à haute voix, sur une situation qui touche à
la sécurité et au prestige de la France, le gouvernement com-
promette la paix du monde. Mon opinion est qu'il emploie le
seul moyen qui reste de la consolider ; car, chaque fois quela France se montre ferme sans exagération, dans la défense
d'un droit légitime, elle est sûre d'obtenir l'appui moral et
l'approbation de l'Europe. Je supplie donc les membres de
cette Assemblée d'être bien persuadés qu'ils n'assistent pasaux préparatifs déguisés d'une action vers laquelle nous
marchons par des sentiers couverts. Nous disons notre pensée•entière : Nous ne voulons pas la guerre ; nous ne sommes
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 241
préoccupés que de notre dignité. Si nous croyions un jour la
guerre inévitable, nous ne Vengagerions qu'après avoir demande
et obtenu votre concours. Une discussion aura lieu alors, et si
vous n'adoptez pas notre opinion, comme nous vivons sous le
régime parlementaire, il ne vous sera pas difficile d'exprimer
la vôtre ; vous n'aurez qu'à nous renverser par un vote et à
confier la conduite des affaires à ceux qui vous paraîtront en
mesure de les mener selon vos idées. Soyez convaincus de
l'absolue sincérité de notre langage ; je l'affirme sur l'hon-
neur, il n'y a aucune arriére-pensée dans l'esprit d'aucun de
nous, quand nous disons que nous désirons la paix, j'ajoute
que nous l'espérons, à une condition : c'est qu'entre nous
disparaissent tous les dissentiments de détail et de parti, et
que la France et cette Assemblée se montrent unanimes dans
leur volonté. »
La déclaration de M. de Gramont et l'intervention de M.
Emile Ollivier furent interprétées diversement par les jour-naux. Cependant le sentiment quasi-unanime était que « si la
Prusse maintenait ses prétentions, il fallait agir vigoureu-sement. »
Le Gaulois fulminait : « Si ce dernier affront avait été
toléré, il n'y aurait plus eu une femme au monde qui eût
accepté le bras d'un Français ! »
Le Correspondant, sous la signature de M. Lavedan,
publiait un article où il était dit : « La Prusse n'a aucun
intérêt avouable dans la Péninsule, et elle ne saurait y inter-
venir sans faire un acte de véritable provocation. Aussi,
sommes-nous de ceux qui applaudissent à la ferme attitude
adoptée par le Gouvernement. Depuis trop longtemps, notre
complaisance était au service des agrandissements d'autrui ;
nous sommes soulagés de nous sentir enfin redevenus
Français ! Toutes les âmes patriotiques ont salué, comme la
Chambre, la déclaration du pouvoir en y retrouvant avec
joie le vieil accent de la fierté nationale. »
16
242 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Le National déclarait : « Est-il besoin de rappeler les évé
nements de 1866 pour montrer que M. de Bismarck, loin de
pratiquer la franchise, met le mensonge en première lignedes vertus diplomatiques? Malgré toute notre bonne volonté,
malgré tout le désir que nous aurions de nous associer aux
espérances pacifiques qu'étalent la plupart de nos confrères,
il nous est difficile de trouver, dans les divers incidents quenous venons de relater, les motifs pour nous ranger à leur
opinion... On nous dit que ce sont questions de familles et
querelles de dynasties qui ne sauraient toucher les peuples 1...
Nous le demandons : Si, sous prétexte que des démêlés de ce
genre n'intéressent pas la population française, celle-ci
laisse les Hohenzollern planter leurs tentes et pointer leurs
canons tout le long des bords du Rhin d'un côté, et de l'autre
aux faîtes des Pyrénées, que dira notre nation quand elle
verra les légions prussiennes massées derrière ces canons,
s'ébranler et se mettre en mouvement pour se faire les exé-
cuteurs des haines amoncelées chez les représentants de
l'absolutisme, contre les idées généreuses dont la France est
la dépositaire et la gardienne ? »
Le Soir, sous la signature de M. Edmond About, affir-
mait : « Le premier devoir pour l'opposition, en France, est
d'être d'accord avec le sentiment populaire. Tout le monde
est pour le cabinet.-»
L'Opinion nationale s'écriait, elle aussi, au nom de l'oppo-sition de gauche : « En restant sur ce terrain, le Gouverne-
ment peut tenir, comme il l'a tenu, un langage haut et
ferme. Il aura toute la France derrière lui. M. de Bismarck
passe toutes les bornes ; s'il veut conserver la paix, qu'ilrecule ; quant à nous, nous ne le pouvons plus. »
Dans l'Univers, Ai. Louis Veuillot faisait chorus, au nom
de l'opposition de droite : « Cette déclaration (de AI. de
Gramont) était,, hier soir,, dans les cercles et dans les lieux
publics l'objet de toutes les conversations : le ferme langage
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 24'3
<lu Gouvernement était unanimement approuvé et même
applaudi. Nos ministres ont été, dans cette circonstance, les
organes contenus (contenus par l'Empereur?), les organescontenus de l'opinion nationale. »
M. Saint-Marc Girardin écrivait dans les Débats : « Exami-
nons la question de savoir s'il ne fallait rien dire, en face :de
la désignation d'un prince prussien, et s'il fallait laisser
l'opinion publique, en France, s'égarer sur les intentions du
gouvernement français?... Quant à nous, nous croyons quele Gouvernement a bien fait de parler; nous nous trompons :
a bien fait de répondre ; car, il ne iaut pas oublier que le
ministre des affaires étrangères a répondu à l'interpellation
déposée par M. Cochery, un des membres du centre-gauche.
Qu'aurait-on dit si le Gouvernement avait gardé un silence
que le public aurait trouvé timide et suspect ? On l'aurait
accusé de baisser une seconde fois la tête devant le canon de
Sadowa. »
Notons aussi qu'en Angleterre, le Tîmes, le Standard, la.
Pall Malt Gazette, etc, etc., s'élevaient contre les prétentionsinadmissibles de la Prusse et qualifiaient de jésuitique le
« distinguo » du roi Guillaume, prétendant être étranger à
l'affaire et avoir donné son autorisation à Ja candidature du
prince Léopold, non en sa qualité de roi, mais en sa simple
qualité de chef de la famille Honenzollern.
Le Daily Telegraph affirmait en outre : « Si.un Hohenzol-
lern s'établissait une fois solidement sur Je trône ^Espagne,
par l'appui de la Pru'sse et en défiance de tous les politiques
français, chaque année augmenterait le pouvoir qu'il .aurait
de jouer une partie meurtrière dans toute lutte qui .s'élève-
rait sur le Rhin. Humiliation immédiate ,et péril futur.: voilà
la double signification qu'aurait pour la France le succès edu
prince prussien. »
En cet état.de l'opinion, serait-ce la paix, serait-ce laigueri'e ?
Dans cette seconde hypothèse, il n'y avait pas à négocier.
244 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITES
Or, quatre sortes de négociations furent instantanément
envisagées par la France :
1° Auprès des diverses puissances européennes pour leur
demander leufs bons offices ;2° Auprès de l'Espagne pour lui montrer dans quel cas
elle plaçait une nation amie comme la France ;
3° Auprès des princes Antoine et Léopold de Hohenzol-
lern, pour amener de nouveau ce dernier à retirer lui-même
sa candidature ;
40 Auprès de la Prusse pour que le roi Guillaume prouvâtson désir de paix en faisant personnellement pression pour le
retrait de cette candidature, cause unique du conflit.
M. de Gramont pria d'abord M. Lyons, ambassadeur de la
Grande-Bretagne à Paris, d'intervenir auprès du cabinet de
Saint-Jamespour que son gouvernement conseillât l'abandon
de la candidature Hohenzollern par le prince Léopold lui-
même, afin de ménager la susceptibilité du roi Guillaume ;
puis télégraphia à M. de La Valette, notre ambassadeur à
Londres, pour qu'il agît dans le même sens. D'autre part,
sur l'invitation de l'Empereur, ainsi que nous l'avons dit
plus haut, il manda au général Fleuty, notre ambassadeur à
Saint-Pétersbourg : « Nous sommes persuadés que le cabinet
russe comprendra l'impossibilité où nous sommes d'accepterune candidature si visiblement dirigée contre la France et
nous serions heureux d'apprendre qu'il veut bien user de
son influence à Berlin pour prévenir les complications qui
pourraient se produire à ce sujet entre l'Empereur et la
Prusse. » Enfin, une démarche similaire fut faite auprès de
l'Autriche et de l'Italie.
Pendant ce temps, M. Mercier, notre ambassadeur à
Madrid, était chargé de voir le régent Serrano et le maréchal
Prim, président du Conseil, bien que ce dernier fût de toute
évidence le complice de Bismarck. M. Mercier reçut, du reste,
ce télégramme de M. de Gramont : « Malgré la circulaire du
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 245
maréchal Prim et la communication que vient de me faireM. Olozaga (ambassadeur d'Espagne à Paris), nous avons
trop de confiance dans les sentiments de la nation espagnole
pour admettre qu'on persiste à Madrid dans la seule solution
qui blesse à la fois nos intérêts et notre dignité. Nous persis-terons donc dans notre conduite amicale et continuerons à
faire observer, sur la frontière espagnole, la vigilance néces-
saire pour en écarter (de la part des carlistes et autres agita-
teurs) tout ce qui serait de nature à fomenter des troubles
dans la péninsule. Nous serons fidèles à nos sympathies jus-
qu'au dernier moment; nous ne serons, certes, pas les premiersà rompre des liens qui nous étaient chers et que nous espé-rons avoir rendus indissolubles. »
En troisième lieu, M. de Gramont eut l'idée de donner
ordre à M. Benedetti « d'aller voir lui-même le prince de
Hohenzollern, afin d'engager celui-ci à se retirer pour con-
jurer les maux que sa candidature rendait inévitables ».
M. Emile Ollivier appuya beaucoup cette idée de son ministre
des Affaires étrangères. Elle lui semblait excellente....
Il ne voyait pas le double péril qu'offrait une négociationentamée sous cette forme et qui nous conduisait à l'une ou
l'autre de ces deux éventualités : ou que le prince refuserait
d'accéder à notre désir, ou qu'il se rangerait à notre avis;
mais7 alors, la France, même dans ce dernier cas, par le fait
de l'intervention de son ambassadeur, donnerait un carac-
tèTe politique à une affaire où le roi Guillaume lui-même ne
voyait qu'une question de famille. De sorte que le roi de
Prusse pouvait traduire comme une véritable provocationcette ingérence officielle dans ses affaires privées. -j
On donnait ainsi tête baissée dans le danger qu'on voulait
éviter. Et cela encore n'était rien comparativement à l'effet
que produirait, dans l'autre alternative, l'échec d'une pareille
négociation : au cas où Léopold de Hohenzollern éconduirait
M. Benedetti.
246 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
C'est ce que mit en lumière Napoléon III, qui fut intran-
sigeant sur ce point et invita ses ministres à ne pas faire
subir cette humiliation à la France. Il leur demanda, s'ils
négociaient de ce côté, de ne le tenter qu'à titre officieux.
Mais M; de Gramont et M. Emile Ollivier se trouvèrent aus-
sitôt à court pour opérer dans ce sens.
-Les deux ministres se rabattirent, sans plus, sur les négo^
dations directes avec la Prusse, dans les conditions mêmes
que rapporte M. Emile Ollivier.
'« Nous n'avions — a écrit celui-ci (1)— nous n'avions pas
davantage à espérer du côté de Bismarck, représenté par
son serviteur Thile (sous-secrétaire d'Etat aux Affaires étran-
gères en Prusse). Gramont voulut constater toutefois com-
bien étaient pitoyables les raisons par lesquelles Thile refu-
sait la conversation. Une dépêche à Lesourd (notre chargé
d'affaires à Berlin en l'absence de Benedetti) indiqua que
nous n'étions pas dupes de ses échappatoires : « On ne
«- fera jamais croire à personne qu'un prince prussien puisse« accepter la couronne d'Espagne sans y avoir été autorisé
« par le Roi. Or, si le Roi l'a autorisé, que devient cette soi-
« disant ignorance officielle du Cabinet de Berlin, derrière
« laquelle M. de Thile s'est retranché ? Le Roi peut, dans le
« cas présent, ou permettre, ou défendre; s'il n'a pas permis,«- qu'il défende. Il y a quelques années, dans une circons-
« tance analogue, l'Empereur (Napoléon III) n'a pas hésité.
« Sa Majesté désavoua hautement et publiquement le prince« Murât, posant sa candidature au trône de Naples. Nous
« regarderions une détermination semblable du roi Guillaume
« comme un excellent procédé à notre égard, et nous y ver-
« rions un puissant gage du désir de .la Prusse de resserrer
« les liens qui nous unissent et d'en assurer la durée. »
Ainsi, il ne fallait pas entrer en pourparlers avec Bismarck,
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 85.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 247
qui villégiaturait à Varzin à ce moment, parce que c'était
absolument inutile, mais se mettre en rapports directs avec le
roi Guillaume, faisant sa cure annuelle à Ems, et que cette
circonstance favorable permettait d'approcher hors de l'in-
fluence néfaste de son chancelier.
Hormis les négociations avec les princes Antoine et Léo-
pold de Hohenzollern, pour lesquelles MM. Emile Ollivier et
de Gramont cherchaient en vain des aboutissants, toutes les
autres furent entamées sans retard.
Du côté des grandes puissances : d'abord, si Gortschakof,
ministre des Affaires étrangères de Russie, opposa des consi-
dérations dilatoires, par contre le tzar n'hésita pas à faire
auprès du roi de Prusse la démarche que lui demandait le
général Fleury. Beust, ministre des Affaires étrangères dAu-
triche, écrivit également à Berlin. L'Italie intervint auprèsde la Prusse et de l'Espagne à la fois. Au contraire, la Grande-
Bretagne conserva une réserve prudente. Mais, en définitive,les résultats obtenus par le cabinet Emile Ollivier, au moyende l'intervention des puissances européennes, restèrent nuls
ou presque.En ce qui concerne l'Espagne, directement mise en cause
par nous, il arriva que les excellentes intentions manifestées
par le régent Serrano, qui admirait beaucoup Napoléon III,
furent officiellement mises en échec par les agissementsoccultes du maréchal Prim.
Restait la Prusse, ou plutôt le roi Guillaume auprès duquelle ministère Emile Ollivier faisait faire, à Ems, d'activés
-démarches par notre ambassadeur.
M. Emile Ollivier avait la plus grande confiance en la
loyauté du roi Guillaume et — chose étrange — l'ancien chef
du cabinet parlementaire de la fin du Second-Empire a con-
servé, de nos jours, ses anciennes illusions sur le premier
Empereur allemand. Et il les a conservées parce que le roi
Guillaume n'éconduisit pas de piano M. Benedetti, malgré
248 I870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
cette lettre du chancelier de Prusse à son souverain : « Je« prie Votre Majesté de ne pas traiter avec Benedetti et, s'il« devient pressant, de lui répondre : « Mon ministre des
« Affaires étrangères est à Varzin. »
Or, le roi Guillaume entra en conversation avec M. Bene-
detti!... Qu'est-ce que cela prouve? Sinon que le roi Guil-
laume, monarque de droit divin, n'entendait pas, aux yeuxde l'Europe, passer pour un simple instrument passif entre les
mains de son chancelier, ministre des Affaires étrangères !
Mais, M. Emile Ollivier a la foi tenace. Il conserve, après
quarante ans, presque de la « gratitude » au roi Guillaume :
sans se rappeler que, suivant les propres expressions de
M. Welschinger (1) « entraîné par une majorité présomp-« tueuse, par une presse imprévoyante et une opinion sur-
« chauffée, le cabinet Ollivier voulait mettre immédiatement
« la Prusse dans son tort et lui infliger devant toute l'Europe« une verte leçon ... », ce à quoi le roi Guillaume lui-même,si flatté qu'il fût des sentiments d'admiration que M. Emile
Ollivier professait pour sa personne, ne pouvait en toute sin-
cérité se prêter bénévolement et autant dire naïvement.
Naïf? Si l'un des deux le fut, et c'est certain : soit du roi
Guillaume, soit de M. Emile Ollivier, il est indiscutable quece dernier seul a droit à cette épithète qui, en définitive, cons-
titue pour lui une circonstance atténuante — dont, moins quetout autre, il a le droit de faire fi.
Eh ! quoi, M. Emile Ollivier— ne subissant aucune influence,
n'acceptant aucune direction, pas même de l'Empereur ! ainsi
qu'il s'en est vanté lui-même — a cru, lorsqu'il était au pou-
voir, et croit encore aujourd'hui qu'il y avait possibilité pourlui, pour lui seul, aux environs du 8 juillet 1870, d'amener le
roi de Prusse à reprendre sa parole..., cette parole que sur les
instances de Bismarck au mois de mai précédent, il avait
(1) HENRI WELSCHINGER. — La guerre de 1870, page
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 249
donnée au prince Léopold de le laisser libre d'accepter la
couronne d'Espagne si les Cortès la lui offraient au nom de
la nation ?
On n'est pas aveugle, ni prétentieux à ce point!
Napoléon III ne s'y trompait nullement.
S'il laissa agir dans cette direction le ministère français,c'est qu'on lui avait affirmé (i) que le roi de Prusse n'avait
pas donné son assentiment à la deuxième candidature
Hohenzollern. Voilà d'ailleurs pourquoi M. de Gramont fut
autorisé à déclarer dans sa lettre officielle à Benedetti, le
7 juillet : « Si le chef de la famille des Hohenzollern a été
jusqu'ici indifférent à cette affaire (2), nous lui demandons
de ne plus l'être, sinon par ses ordres, du moins par ses con-
seils, auprès du prince, et de faire disparaître, avec les projetsfondés par le maréchal Prim sur cette candidature, les inquié-tudes profondes qu'elle a partout suscitées. Nous verrions
surtout, dans l'intervention du roi Guillaume pour mettre
obstacle à la réalisation de ce projet, les services qu'elle ren-
drait à la cause de la paix et le gage de l'affermissement de
nos bons rapports avec la Prusse. Le gouvernement de l'Em-
pereur apprécierait un bon procédé, qui, l'on n'en saurait
douter, recevrait en même temps l'approbation universelle ».
Le roi reçut donc M. Benedetti, à Ems, le 9 juillet. Il lui
déclara textuellement : « C'est à Madrid et non auprès de
moi que vous devriez agir. Vous n'avez qu'à employer votre
influence à décider le gouvernement du régent (Serrano) à
renoncer à son projet; l'honneur de la France n'a été ni ne
saurait être atteint par la résolution du prince de Hohenzol-
lern ; elle a été précédée par des négociations que le Cabinet
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 118.
(2) Ce conditionnelestànoter; car il prouve que Napoléon IIIn'était guère convaincu que le roi Guillaume fût resté étrangerà la deuxième affaire Hohenzollern. (N. de l'A.)
•250 1870-71 — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
de Madrid a librement ouvertes, et auxquelles aucun gouver-nement n'a pris part ; il ne peut donc y avoir un sujet de
dissentiment ni de conflit, et la guerre ne peut sortir d'un
incident dans lequel nulle puissance n'est intervenue. »
L'insuccès était flagrant, et, ce qui mieux est, se produisait
dans des conditions telles que le beau rôle restait au roi
Guillaume, dont l'attitude avait été aimable et la conversation
pas le moins du monde provocatrice.Le 10 juillet, quand il eut connaissance du rapport de
M. Benédetti, rapportant les termes mêmes dont s'était servi
le roi de Prusse, M. Emile Ollivier ne comprit pas.
Non ! il ne comprit pas qu'il n'y avait plus, dès lors, qu'une
solution : la guerre, et cela par sa faute à lui, qui était l'auteur
de la phrase finale de la déclaration apportée et lue, le
6 juillet, au Corps Législatif, — phrase qui, on se le rappelle,
se trouvait ainsi conçue : « S'il en était autrement (c'est-à-
dire : si la candidature Hohenzollern était maintenue), fort de
votre appui, messieurs, et de celui de la nation, nous saurions
remplir notre devoir sans hésitation et sans faiblesse. »
Maintenant, il n'y avait plus qu'à remplir ce devoir sans
hésitation et sans faiblesse, autrement dit à déclarer la guerre,
puisque l'homme loyal (1) qu'était le roi Guillaume n'avait pas
-donné satisfaction au « desideratum » présenté au nom de la
France.
Bismarck, à Varzin, comprit au contraire parfaitement.Il avait fait savoir à son souverain que, si celui-ci revenait
sur la parole donnée au prince Léopold de Hohenzollern, il
aurait à accepter la démission de son chancelier. Or, la
•chose n'était pas advenue, le roi Guillaume n'avait rien retiré
du tout : donc le ministère français serait obligé de conformer
.son attitude à sa déclaration du b juillet ; et ce serait la guerre,mais la guerre provoquée par la France.
(1) Expression de M» Emile Ollivier. (N. de l'A.)
I S7O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 25 I
ïr.l Birmarck se réjouissait d'être de la sorte arrivé quandmême à ses fins, cela malgré toutes les traverses qu'avaient
-esi, pendant des mois et des mois, à subir les plans échafaudés
par lui de longue date.
Oui, il se réjouissait,... tandis que M. Emile Ollivier et ses
-collaborateurs, sans comprendre pourquoi ni comment, se
trouvaient piteusement acculés dans une impasse par leur
propre faute, lorsqu'un coup de théâtre se produisit !
NAPOLEON III SE JOUE, UNE FOIS DE PLUS,
DE BISMARCK
En France, depuis au moins l'arrivée au pouvoir du
ministère du 2 janvier 1870, l'Empereur aurait pu invoquer
plusieurs raisons pour se tenir absolument à l'écart de la
direction des affaires.
D'abord, la constitution « libérale », désormais en vigueur,le mettait à l'abri de foute responsabilité : les ministres gou-vernaient et ne devaient, somme toute, compte de leurs
~ae£es qu'au Parlement seul dont ils étaient issus.
Ensuite, Napoléon III, miné par une maladie qui ne lui
laissait guère de repos, avait le plus pressant besoin de
tranquillité matérielle et morale.
Mais, si l'Empereur, dans l'espoir vain d'opérer une com-
plète réconciliation nationale et de rallier ses adversaires
irréductibles, avait poussé la condescendance et l'abnégation
jusqu'à faire bon marché de ses pouvoirs souverains, cela en
dépit du triomphal plébiscite par lequel lui avait été renou-
velée, à lui, à lui seul, l'inébranlable confiance du peuple
français: par contre, le chef de l'Etat était resté jalousement-attaché aus responsabilités de sa charge, en ce qui avait trait
-à l'honneur national et à la sécurité du pays.
252 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Aussi, de jour et de nuit, sans relâche, minute par minute
pour ainsi dire, agissait-il avec une opiniâtreté, qui n'avait
d'égale que sa clairvoyance, en faveur des intérêts dont il
apparaissait en quelque sorte l'ultime réserve.
Soucieux, dans l'imbroglio Hohenzollern, de ne porteratteinte en aucune façon aux prérogatives constitutionnelles
des ministres parlementaires, il ne s'en était pas moins rendu
compte que ceux-ci n'avaient point grande chance d'aboutir,soit d'un côté, soit de l'autre.
C'est qu'en effet la fourberie bifmarckienne nous avait
jetés dans un carrefour sans issue, dans un véritable laby-rinthe diplomatique.
L'intervention des puissances ? Mais, si bien disposéescelles-ci fussent-elles, qu'elles pouvaient se heurter et se
heurteraient même vraisemblement au non possumus de la
Prusse.
L'Espagne ? Une démarche officielle y serait paralysée —
c'était probable! —par lemaréchalPrim.présidentdu Conseil
des ministres, sans lequel on ne pouvait rien officiellement.
La Prusse ? Si le roi Guillaume avait donné sa parole,autorisant le prince de Hohenzollern à accepter le trône
d'Espagne, il était évidemment contraire à sa dignité de la
retirer.
Pas une porte de sortie n'existait donc, hormis celle quiaurait été offerte par un retrait de candidature effectué par
Léopold de Hohenzollern en personne.
Or, nous l'avons vu plus haut, le ministère français n'avait
hélas! que la voie officielle, c'est-à-dire l'intermédiaire de
M. Benedetti, pour faire pression, peut-être inutilement, de
ce côté-là. Pour la dignité de la France, il n'y fallait pas
songer, ainsi que nous l'avons déjà dit.
C'est alors que Napoléon III, se rendant personnellementun compte exact des nécessités de l'heure, songea à prendresur soi de provoquer une démarche officieuse auprès de ces
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 253
princes de Hohenzollern, père et fils, qui lui devaient beau-
coup et qui déjà, quelques mois auparavant; lors de la
première phase de la candidature, avaient montré, en se
désistant, quel prix ils attachaient à la bienveillance de
l'Empereur.Une difficulté immense provenait de ce qu'une telle
démarche devait demeurer secrète, absolument secrète, de
façon à tout sauvegarder, le cas échéant.
N'importe ! cette difficulté n'était pas insurmontable. Et
Napoléon III le prouva bien, puisqu'il arriva sur-le-champ à
trouver les intermédiaires les mieux appropriés.Il n'ignorait pas la rivalité qui existait entre le régent
d'Espagne, Serrano, et le maréchal Prim, président du
Conseil. Si Prim était favorable à Bismarck, par contre
Serrano était parfaitement dévoué à la personne de l'Empe-reur.
Napoléon III résolut de tirer parti à la fois de cet antago-nisme et des sentiments d'affection dont il était le bénéficiaire
de la part de Serrano.
Il manda près de lui M. Bartholdi qu'avait envoyé à Paris
notre ambassadeur en Espagne, M. Me rcier, et sans que ni
ministre, ni personne ne le sût, il lui donna ordre de repartirimmédiatement pour Madrid, en lui confiant la mission de
voir aussitôt le régent afin de demander à celui-ci, comme
un service personnel au nom de l'Empereur, de tenter, lui,
régent d'Espagne, une démarche suprême auprès du prince
Antoine de Hohenzollern — dans l'espoir que ce dernier
amènerait son fils Léopold à renoncer définitivement à la
candidature d'au delà les Pyrénées.
Serrano, infiniment touché de la confiance que lui témoi-
gnait Napoléon III, s'évertua tout de suite à intervenir direc-
tement. Mais la chose était malaisée, pour ne pas dire
impossible; aussi, tout en cherchant de quelle manière il
pourrait opérer en conformité aux vues de l'Empereur, le
254 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
régent télégraphia-t-il, en attendant, à M. Olozaga, ambassa--
deur d'Espagne à Paris, de se mettre aussitôt à la pleine et
entière disposition de Napoléon pour tout ce que celui-ci
aurait à exiger.
M. Olozaga, qui avait été froissé par certains procédés dis
maréchal Prim à son endroit, ne demanda pas mieux que de
suivre les ordres du régent.Sans retard, l'ambassadeur se rendit à Saint-Cloud.
Dès que M. Olozaga eut été mis par l'Empereur dans ïa-
confidence du service escompté, il déclara : « Sire, j'ai soios
la main l'homme qu'il vous fautl » et il lui désigna M. Strat,.
ministre de Roumanie à Paris, diplomate avisé, en excellentes
relations avec le prince Antoine de Hohenzollern.
Le lendemain à deux heures du matin M. Strat était reçm.
à son tour à Saint-Cloud.
Il accepta non sans peine— mais, au dire même de
Bismarck (1), Napoléon III était un charmeur auquel on résis-
tait difficilement — il accepta donc malgré tout la mission
de voir, à titre purement officieux, les princes de Hohenzoî—
lern et de mettre tout en oeuvre, sans découvrir l'Empereur,,
pour obtenir le retrait de candidature désiré.
C'est le 8 juillet qu'après de multiples détours, pour dépis-
ter toutes les polices politiques, M. Strat arriva à Sigma-
ringen (2) où se trouvait précisément le prince Antoine.
Dès les premières ouvertures, celui-ci s'emporta... Il était
(1) Se reporter au chap. II, page 110 du présent livre. (N. de-
l'A.)
(2) La trace officielle des démarches faites à Sigmaringen parM. Strat se trouve dans la publication des documents diploma-
tiques qu'envoya M. Strat lui-même à son souverain, Charles de
Hohenzollern, alors prince de Roumanie. Cette publication est-faite dans le volume CHARLES Ier, ROI DE ROUMANIE, chronique*actes, documents, par Démètre Sturdza, ancien président duConseil des ministres de Roumanie, édité à Bucarest. (Voirpages 592 et 593.) Bibliothèque nationale : 4-J 456.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 255-
sous le coup de la colère provoquée chez lui par la déclara-
tion du 6 juillet, ou plutôt par le paragraphe final de cette
déclaration.
M. Strat le laissa se calmer, sans le heurter de front, puis,en des rencontres successives, l'amena à discuter.
Le prince Antoine de Hohenzollern lui ayant fait observer
que la candidature de son fils n'était qu'un prétexte, que
l'empereur Napoléon voulait la guerre, que la déclaration
du 6 juillet en était la preuve, que, si ce prétexte faisait
défaut, la France en trouverait un autre et que, par consé-
quent, il n'y avait pas à revenir sur la parole donnée,.M. Strat lui répondit nettement qu'il se trompait ou qu'onl'avait trompé du tout au tout, à preuve que si Napoléonavait jamais voulu la guerre, il l'aurait déclarée au moment
de Sadowa, et que, depuis trois ans, il avait eu* cent occasions-
de la faire, notamment à propos de l'affaire du Luxembourg,alors que Napoléon III, au contraire, avait soumis le litige-en question à la conférence de Londres.
Mais, ces arguments de saine raison portèrent peu, ou.
plutôt ne portèrent pas.
Evidemment, le prince Antoine était flatté dans son
orgueil à la pensée que son fils Léopold régnerait en
Espagne, en même temps que son fils Charles occupait
déjà le trône princier de Roumanie ; et les questions de poli-
tique internationale restaient sans poids en face des con-
sidérations d'ordre familial.
M. Strat joua habilement de cette dernière corde.
Qu'était-il, lui, Strat, sinon le ministre de Roumanierc'est-à-dire le zélé serviteur du prince Charles ?
Telle fut sa nouvelle entrée en matière.
Or, c'était de notoriété publique, une conjuration était,
ourdie, à Paris même, contre le prince de Roumanie. Cette
conjuration, l'empereur Napoléon se trouvait en posture-de la faire avorter, s'il le voulait. Eh bien ! l'empereur ne
256 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
manquerait pas de s'y employer, lorsqu'il saurait que c'était
au père du prince Charles qu'il devait d'être débarrassé des
difficultés résultant de la candidature espagnole.Fallait-il lâcher la proie pour l'ombre ?
La couronne de Roumanie était assurée avec l'appui de
l'Empereur, tandis que la couronne d'Espagne restait encore
bien aléatoire.
Au cas même où les Cortès espagnoles offriraient celle-ci
au prince Léopold— et rien, selon Strat, n'était moins certain,
quoi qu'on en crût ! — cela assoierait-il définitivement le trône
dans un pays profondément divisé, où les factions étaient
sans nombre, où carlistes, isabellistes, alphonsistes, républi-
cains, se trouvaient sans doute aux prises pour le moment
les uns contre les autres, mais seraient vite d'accord sur un
terrain d'opposition, quand il s'agirait de faire pièce à un
roi étranger?...Les complots alors succéderaient aux complots, et les
émeutes aux émeutes ; toute action politique serait bientôt
rendue impossible au pouvoir royal. La vie gouvernementale,dans ces conditions, n'y serait point tenable. L'existence
même du nouveau roi ne tarderait pas à être en danger.Sans que cela parût, les arguments portaient...
CHAPITRE V
Napoléon III réussit. — Bismarck veut démissionner. — On
se réjouit à Paris. — Demande de garanties. — Bismarck
le faussaire. — La colère de Paris. — La déclaration gou-
vernementale. — MM. Thiers et Emile Ollivier.
NAPOLEON III REUSSIT
A la vérité, le choix de M. Strat avait été très heureux.
Voici pourquoi :
La Roumanie, à cette époque, — nous l'avons dit dans le
précédent chapitre — ne constituait encore qu'une simple
principauté, à peine indépendante, où Charles de Hohenzol-
lern (aujourd'hui Charles Ier, roi-de Roumanie), précisémentfils de Charles-Antoine de Hohenzollern et frère du prince
Léopold, candidat au trône d'Espagne, occupait depuis peule pouvoir, exactement depuis le 20 avril 1866.
Charles de Hohenzollern ne devait son élévation en Rou-
manie qu'à Napoléon III, à la suite du désistement de Phi-
lippe de Belgique, second fils de Léopold Ier, qui n'avait pas
accepté de se rendre à Bucarest.
Depuis son avènement en Roumanie, Charles de Hohen-
zollern se trouvait aux prises avec mille difficultés. Un puis-sant parti d'opposition, représenté à Paris par D. Bratianu,se trouvait à Bucarest en position d'imposer à bref délai au
prince Charles une abdication humiliante, surtout si la
France, au lieu de paralyser l'intrigue, la favorisait, afin de
17
258 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
faire payer aux Hohenzollern l'embarras créé par eux dans
la question d'Espagne.M. Strat, agent diplomatique de Roumanie à Paris, était au
courant de toutes ces contingences. Très dévoué au prince
Charles, il devait être prêt à tout tenter pour éviter à son
pays et à son prince les fâcheuses conséquences du complotdont les ramifications s'étendaient jusqu'à Paris. Cela était si
vrai que M. Strat avait déjà fait, chez nous, dans ce but, plu-sieurs démarches officielles auprès de M. de Gramont,
ministre des affaires étrangères. Ses démarches étaient jus-
qu'alors demeurées infructueuses...
Dans ces conditions, il suffirait de dire à M. Strat que le
gouvernement français était prêt à sauver la situation du
prince Charles, en Roumanie — à la condition que son frère
Léopold renonçât au trône d'Espagne! — pour que le diplo-mate roumain se décidât à intervenir dans le sens désiré
auprès du prince Antoine, père des deux princes.A Saint-Cloud, Napoléon ÎII avait tenu à M. Strat le lan-
gage qui convenait, puisque celui-ci était parti sans retard
pour Sigmaringen, résidence du prince Antoine et, dès son
arrivée, avait entamé des pourparlers très pressants avec ce
dernier.
Néanmoins, pendant trois jours, M. Strat sembla revenir
inutilement à la charge.Antoine de Hohenzollern ne se doutait toujours pas qu'il
avait en face de lui un envoyé officieux de Napoléon III. Il
correspondait donc journellement avec le roi Guillaume,
pour lui dire son état d'âme, vacillant de plus en plus ;
mais, naturellement, sans être à même de faire connaître que
les conseils donnés lui venaient d'une autre source que de
son entourage immédiat.
Finalement, à la date du il juillet, il reçut du roi de Prusse
un télégramme lui annonçant que celui-ci n'entendait pas se
départir de son attitude à l'égard de la France, mais que si
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 25g
lui, Antoine de Hohenzollern, invitait son fils à retirer sa
candidature, il n'aurait à supporter aucun blâme de la part du
chef de famille.Ce télégramme ambigu n'aurait certes pas suffi à décider
le prince Antoine à prendre une décision conforme aux
désirs de M. Strat. Non ! Il fallut que, le jour même de la
réception de cette dépêche, la princesse, effrayée par les
conjectures qu'avait fait passer devant ses yeux le ministre
de Roumanie au sujet de la vie de son fils Léopold en
Espagne, suppliât, tout en larmes, son mari d'acquiescer à
cette renonciation.
Le prince Antoine, déjà ébranlé par M. Strat et laissé
perplexe par le télégramme du roi Guillaume, finit par céder
aux instantes prières de sa femme. Il se leva tout à coup et
déclara d'un trait, comme s'il avait déchargé sa poitrine d'un
poids écrasant : « Soit ! Léopold ne sera pas roi d'Espagne ! »
... Mais, tout n'était pas fini. Restait encore à faire accepter
par le prince Léopold la décision paternelle.Ce fut ce dernier qui se chargea de parler à son fils.
Or, près de celui-ci, le prince Antoine se trouva aux prisesavec les mêmes préventions que Strat avait rencontrées chez
le père.Le prince Léopold argua de la parole donnée au comte de
Bismarck et au maréchal Prim : oubliant que, quelques mois
plus tôt, cette même parole avait été engagée en sens con-
traire auprès de l'empereur Napoléon, et que la promesse
primitive avait été violée précisément sous les suggestionsde Prim et de Bismarck !
A vrai dire, l'ambition personnelle, l'orgueil mis en jeu et
le « sentiment prussien » étaient les seuls mobiles qui dic-
taient au jeune prince son attitude...
Le père eut beau reprendre, argument par argument, tout
ce qu'avait dit Strat, rien n'y fit. Le prince Léopold demeura
irréductible.
2Ô0 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Le temps pressait cependant.
Chaque journée de retard pouvait entraîner le conflit
franco-prussien, que s'efforçait d'anéantir dans sa source le
ministre de Roumanie, pour remplir fidèlement la mission
secrète dont l'avait chargé Napoléon III.
Qu'avait fait le ministère parlementaire, en France, durant
ce délai ? Peut-être un à-coup s'était-il produit, soit dans les
diverses négociations officielles entreprises, soit dans quelquedébat au Corps Législatif ?La période critique se prolongeait
trop! Il fallait y mettre un terme... Et, pourtant, comment
faire, puisque le prince Léopold ne cédait pas aux instances
paternelles?M. Strat eut une idée géniale. Il suggéra au prince
Antoine le projet de faire acte d'autorité en renonçant publi-
quement « au nom de son fils » à la candidature en question,et de mettre celui-ci en présence d'un fait accompli qu'il ne
pourrait ni démentir, ni désapprouver, sans porter atteinte à
l'autorité paternelle et sans violer le respect filial.
Le prince Antoine était trop engagé maintenant dans la
voie où l'avait amené Strat, pour ne pas suivre ce conseil
qui résolvait tout. On était au 11 juillet au soir. Il décida
d'envoyer, dès le lendemain, trois télégrammes de renoncia-
tion formelle : l'un au maréchal Prim, président du Conseil
des ministres à Madrid, l'autre à M. Olozaga, ambassadeur
d'Espagne à Paris, le troisième aux journaux officieux de
Berlin.
Ce parti une fois arrêté, le prince Antoine renouvela
l'engagement pris auprès de M. Strat et donna à celui-ci
to ute latitude pour en tirer immédiatement le parti qu'il esti-
merait le plus convenable.
M. Strat ne se fit pas prier. Quelques instants plus tard,il envoyait (le soir même par conséquent) un télégrammechiffré à M. Olozaga, en le priant d'informer sur l'heure Sa
Majesté l'empereur Napoléon du résultat heureux de ses
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 261
négociations secrètes, mais en ajoutant qu'il convenait pardessus tout que Sa Majesté gardât jusqu'à la dernière minute
le silence le plus absolu sur les résultats de cette affaire,dont il importait, d'abord, de laisser toujours-ignorer les des-
sous et qu'il était nécessaire, ensuite, de n'accepter comme
officielle que quand les divers télégrammes, à envoyerle lendemain par le prince Antoine, lui auraient donné ce
caractère — une fois rendus publics.
Il était environ minuit lorsque le télégramme chiffré de M.
Strat parvint à M. Olozaga, à Paris.
L'ambassadeur d'Espagne songea, sur l'instant, à se
rendre à Saint-Cloud pour apporter la bonne nouvelle à
l'Empereur. Il ne le fit pas, empêché au dernier moment.
Comme nous l'avons déjà noté (i), les déplacements de
M. Strat ont laissé une trace officielle qu'on retrouve dans le
livre que M. Demètre A. Sturdza, ancien président du conseil
roumain, a publié à Bucarest, en 1899, et qui a pour titre et
sous-titres : « CHARLES Ier, ROI DE ROUMANIE. —Chronique,
actes, documents... »
Dans le tome Ier de ce livre, qui se réfère à la période
1866-1875, on lit, page 592 :
« 6 juillet 1870 (24 juin du calendrier julien). — Rentré à
son poste à Paris à la fin de juin, Strat insista (auprès de M.
de Gramont) sur l'importance qu'il y aurait, pour la Rouma-
nie, de démontrer au prince Charles par des actes officiels
qu'il peut compter sur la sympathie de l'empereur des Fran-
çais.« Entre temps, la tempête provoquée par la question d'Es-
pagne a tout jeté à terre et le prince Charles est soupçonné
d'avoir comploté avec les ennemis de la France.
< Aussitôt que Strat a entendu ces accusations, il se rend
auprès du duc de Gramont pour lui demander s'il est vrai
(1) Se reporter au chap. IV du présent livre, page 254.
2Ô2 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
que le prince Charles était mis en rapport avec la candida-
ture de son frère? Le duc répondit sincèrement qu'il ne pou-vait le contester et termina par ces mots significatifs : « Du
« moment que le prince Charles conspire contre les intérêts
« français, il n'est que de bonne guerre que nous fassions
« notre possible pour le renverser, et que nous commencions
« même par là dans le cas d'une guerre avec la Prusse, afin
« de donner une certaine satisfaction à l'opinion publique,« qui a maintes fois reproché à l'Empereur d'avoir mis un
« Hohenzollern sur le Danube. »
« C'est en vain que Strat essaya de convaincre le duc de
Gramont que le prince .Charles n'avait absolument pas été
mêlé à la candidature du prince Léopold...« Deux heures plus tard, Strat part pour Sigmaringen, afin
d'instruire le prince Charles-Antoine de l'état de choses. »
Nous avons complété par avance ce document précieux, en
expliquant à quelle haute suggestion M. Strat avait obéi, en
entreprenant son voyage précipité — dont les résultats, prèsdes princes Antoine et Léopold de Hohenzollern, étaient
désormais si complets !
Du reste, dans son livre, Philosophie d'une guerre, M. Emile
OUivier reconnaît que la mission confiée à Strat, par Napo-léon III en personne, était ignorée des ministres français,c'est-à-dire de M. de Gramont comme de M. Emile Ollivier
lui-même.
C'est avouer que tout le mérite de ces négociations paci-
fiques revient à l'Empereur.L'attestation officielle, patente, indéniable, en est encore
donnée par l'ancien président du conseil des ministres de
Roumanie, M. Démètre A. Sturdza, qui, dans son recueil
d'actes et de documents, publie également (page 593) cette
note :
« 12 juillet 1870 (30 juin du calendrier julien). — Strat
télégraphie au prince Charles qu'il a été choisi par le prince
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 2Ô3
(Antoine) de Hohenzollern, pour être porteur du document
original renfermant la renonciation du prince héritier (autrône d'Espagne) et qu'il a remis ce document à Paris. A la
suite de ce fait, la situation, par rapport à la Roumanie, a,tout d'un coup, changé. L'Empereur (Napoléon III) a fait
dire d'écrire au prince Charles que celui-ci pouvait comptersur lui. Sur-le-champ, le gouvernement français a romputoutes relations avec les adversaires du prince et de la cause
roumaine. »
Est-ce assez explicite ?
La voilà bien la démonstration faite, que c'est à Napo-léon III et non au roi de Prusse (1) qu'est dû le retrait de la
candidature Hohenzollern au trône d'Espagne.
BISMARCK VEUT DEMISSIONNER
Le 12 juillet 1870, ainsi qu'il l'avait promis la veille au soir à
M. Strat, le prince Antoine de Hohenzollern fit partir, dans
la matinée, les trois dépêches annonçant officiellement le
retrait de la candidature de son fils Léopold au trône
d'Espagne.La première, à l'adresse du maréchal Prim, président du
Conseil des ministres, à Madrid, était ainsi conçue : « Vu la
(1) L'affirmation de l'erreur monstrueuse— attribuant à la Prusseune intervention pacifique à laquelle se refusa au contraire cettepuissance — avait déjà été produite au lendemain de nosdésastres.
Jules Claretie, en 1872, écrivait textuellement dans son livreHistoire de la Révolution de 1870-71, page 104 : «... La Prusseavait conseillé à Léopold de Hohenzollern de se désister. »
Depuis, cette assertion a été rééditée dans toutes les histoiresad usumpopuli, et par tous les auteurs de manuels soi-disant his-toriques. (N. de l'A.)
264 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« complication que paraît rencontrer la candidature de mon
« fils Léopold au trône d'Espagne, et la situation pénible que« les derniers événements ont créée au peuple espagnol, en le
« mettant dans une alternative où il ne saurait prendre con-
« seil que du sentiment de son indépendance, convaincu
« qu'en pareilles circonstances son suffrage ne saurait avoir
« la sincérité et la spontanéité sur lesquelles mon fils a
« compté en acceptant la candidature, je la retire en son
« nom. »
La deuxième, destinée à M. Olozaga, ambassadeur
d'Espagne à Paris, était ainsi rédigée : « Je crois de mon
« devoir de vous informer, comme représentant d'Espagne« à Paris, que je viens d'expédier à Madrid, au maréchal
« Prim, le télégramme suivant : « Vu la complication que« paraît rencontrer la candidature de mon fils Léopold au
« trône d'Espagne, etc. (1).... je la retire en son nom. »
Enfin, la troisième, sous la jorme d'une circulaire, était
adressée à tous les grands journaux de Berlin, dans la teneur
que voici : « Le prince héritier de Hohenzollern, pour rendre
« à l'Espagne la liberté de son initiative, renonce à la candi-
« dature au trône d'Espagne, fermement résolu à ne pas« laisser sortir une question de guerre d'une question de
« famille, secondaire à ses yeux. — Par ordre du prince, le
« conseiller de la Chambre, Signé : LESSER. »
En outre, par l'intermédiaire du colonel Strantz qui ser-
vait de courrier de cabinet entre le roi Guillaume et lui, le
prince Antoine envoya, le même jour, au roi de Prusse une
lettre exposent les raisons qui lui avaient dicté sa « résolution
spontanée ». Dès la veille, d'ailleurs, le colonel Strantz avait
été autorisé à télégraphier à Ems dans ce sens, mais à une
(1) Naturellement, dans le télégramme envoyé à M. Olozaga,la reproduction de la dépêche expédiée au maréchal Prim était
complète. (N. de l'A.)
1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 26.S
heure trop tardive pour que le roi pût informer M. de Bis-
marck toujours en villégiature à Varzin.
Dans cette dernière ville, le chancelier de Prusse ne vivait
plus, depuis quelques jours. La déclaration, faite le 6 juillet à
Paris, au Corps Législatif, par le ministère Emile Ollivier,lui avait causé une véritable joie. Le paragraphe de la fin sur-tout lui faisait espérer, en effet, la guerre comme inévitable :avec cette circonstance favorable que la France aurait l'air,aux yeux de l'Europe, d'être la provocatrice.
Les conversations qu'il avait eues avec M. de Roon,ministre de la guerre de Prusse, et M. de Moltke, chef d'état-
major del'armée prussienne, permettaient à M. de Bismarck
de croire que des hostilités franco-allemandes couraient de
grandes chances d'être favorables à la monarchie teutonne :non pas tant à cause de la valeur intrinsèque des arméesde la Confédération germanique, particulièrement entraînéeset outillées cependant depuis le duel prussien avec l'Autriche,mais surtout en raison de leur valeur relative, comparée à
celle de l'armée française, par le fait des obstacles sans
nombre qu'avaient accumulés les parlementaires françaiscontre l'oeuvre de réorganisation entreprise par Napoléon III.
Et le comte de Bismarck, croyant ainsi que c'était une
occasion à ne pas manquer, « se rongeait les sangs » à la
pensée que le roi Guillaume, à Ems, dans ses conversations
avec M. Benedetti, ambassadeur français, pouvait condes-
cendre aux désirs de l'ennemi héréditaire et permettre de la
sorte que tout fût remis en question.C'est pourquoi il avait fait pression, autant que cela lui
avait été possible, auprès du roi de Prusse ; et il était heureux
de constater que celui-ci ne s'était pas départi de son « rôle »
et s'obstinait à affirmer à M. Benedetti qu'entant que souve-
rain il ignorait l'autorisation donnée par lui, en qualité de
chef de famille, à la candidature Léopoldde Hohenzollern.
Cette duplicité persistante enchantait, certes, Bismarck qui
266 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
retrouvait en Guillaume un second Louis XIII subissant,sous un nouveau Richelieu, l'emprise complète de son
ministre. Toutefois, les conversations du roi de Prusse avec
M. Benedetti se prolongeaient trop, selon le chancelier. Plusl'on cause, moins l'on agit. Et, à son avis, le moment était
venu d'agir.
Aussi, M. de Bismarck s'était-il résolu, le 10 juillet 1870, à
voir lui-même le roi, à Ems, pour que prissent fin tous ces
pourparlers diplomatiques qui lui apparaissaient désormais
sans objet, ou plutôt qui lui semblaient maintenant dan-
gereux, étant donné le but à atteindre. Il demanda donc
audience au roi Guillaume.
Son souverain lui fit savoir, le 11, qu'il l'autorisait à venir
le rejoindre à Ems.
Le 12 juillet, d'assez bon matin, Bismarck quittait Varzin en
voiture, bien décidé, au dire de ses intimes, à exiger du roi la
convocation immédiate du Reichstag, afin de pouvoir pro-céder à la mobilisation.
Il arriva entre cinq heures et cinq heures et demie de
l'après-midi, à Berlin, et comptait pouvoir, trois heures plustard, prendre le train pour Ems.
Dans les allées Unter den Linden, il croisa et salua M. de
Gortschakoff, ministre des affaires étrangères de Russie, quise trouvait de passage dans la capitale prussienne,... peut-être pour y intervenir comme le général Fleury l'avait
demandé au tzar?
A peine Bismarck eut-il quitté M. Gortschakoff, qu'il eutl'idée d'acheter un journal du soir.
Quelle ne fut pas sa stupeur d'y lire la note circulaire
envoyée, le matin même, à la presse, sur l'ordre du princeAntoine de Hohenzollern, par M. Lesser, conseiller de la
chambre du prince, et annonçant la renonciation du prince
Léopold au trône d'Espagne !
Un instant interloque, le comte de Bismarck se ressaisit
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 267
bien vite, à la pensée que c'était là vraisemblablement une
fausse nouvelle, et que le journal qui l'avait reproduite avait
été victime d'une colossale mystification.
Voyons ! le roi de Prusse n'avait certainement pas donné
l'ordre à ses parents Hohenzollern de retirer cette candida-
ture : par conséquent, ni le prince Antoine, ni le prince
Léopold n'avait pris sur soi de la faire disparaître.Plus M. de Bismarck raisonnait, plus il était convaincu de
l'impossibilité de ce retrait.
II en était là de ses dissertations intérieures, lorsqu'il arriva
à son hôtel, où on lui remit aussitôt plusieurs dépêches offi-
cielles.
L'une, provenant de Paris, annonçait, elle aussi, la renon-
ciation !...
Cette fois, Bismarck fut absolument suffoqué. Une colère
le prit dont il ne resta pas le maître. A présent, une nou-
velle hypothèse lui paraissait seule plausible : un pareil évé-
nement ne pouvait s'être produit que parce que le roi l'avait
voulu. Lui, chancelier, ne possédait donc plus la confiance de
son souverain ?
Comment! celui-ci, malgré lui, Bismarck, et par consé-
quent contre lui, sans l'avertir, s'était décidé à faire retirer
la candidature Hohenzollern? Une conclusion en découlait
naturellement : il donnerait sa démission !
Et Bismarck rapporte lui-même le fait dans ses Souvenirs (i).
Voici sa propre narration :
« Ma première pensée fut de donner ma démission. Après
toutes les provocations (sic) qui s'étaient déjà produites, je
voyais dans ce recul auquel on nous forçait une humiliation
pour l'Allemagne, et je ne voulais pas en prendre la respon-
sabilité officielle. L'impression de l'honneur national blessé
par cette retraite imposée me dominait tellement que j'éta:s
(1) Souvenirs de M. de Bismarck,
268 187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
décidé à envoyer ma démission à Ems.... J'estimai que la
France escompterait le renoncement du prince comme une
satisfaction qui lui était accordée. J'étais très abattu. Ce mal
envahissant qu'une politique timide me faisait redouter pournotre situation nationale ne se pouvait guérir, selon moi,
qu'en nous engageant dans une lutte quelconque, au besoin
en la provoquant. Car, désormais, je considérais la guerrecomme .une nécessité devant laquelle nous ne pouvions plusnous dérober avec honneur. Je télégraphiai à ma famille, à
Varzin, de ne pas faire les malles, de ne pas partir ; car jeserais de retour dans quelques jours auprès des miens....
J'abandonnai donc mon voyage d'Ems et priai le comte
Eulenbourg de s'y rendre à ma place pour exposer mon
point de vue. »
Et comment se résumait, en définitive, ce point de vue? En
ceci : Bismarck considérait la guerre comme nécessaire, et
si elle n'avait pas lieu, si le roi ne la déclarait pas — en dépitde la renonciation — lui, Bismarck, regagnerait immédia-
tement Varzin et se retirerait des affaires publiques.Non content d'avoir envoyé le comte d'Eulenbourg porter
son message au roi Guillaume, le chancelier de fer télégraphiaà Ems, le soir même — aussitôt après le départ de ce courrier
de cabinet — afin d'y annoncer sa résolution sans plus tarder.
Que se passa-t-il dans l'esprit du roi de Prusse, au reçu de
l'annonce des velléités de son ministre ?... Il serait difficile de
le dire au juste. Cependant, un fait permet d'induire queGuillaume tenait énormément à conserver la collaboration de
M. de Bismarck, puisque dans la matinée du 13 juillet, parordre du roi, un délégué des Affaires étrangères à Ems,M. Abeken, télégraphia au chancelier pour l'informer d'une
nouvelle démarche de M. Benedetti.
A cette nouvelle, le comte de Bismarck répondit à Ems, par
dépêche : « Si le roi reçoit encore une fois M. Benedetti, jedonne ma démission. »
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 269
C'est donc que, dans l'intervalle, le roi de Prusse avait faitsavoir d'une manière quelconque à son ministre qu'il comptait
toujours sur son concours ?
Et, ce concours, M. de Bismarck savait si bien qu'on ytenait, qu'il télégraphia encore, deux heures plus tard, avec
insistance : « Si Sa Majesté reçoit l'ambassadeur (de France)une autre fois, je considérerai ce fait comme équivalent à
l'acceptation de ma démission. »
M. de Bismarck voulait, en effet, la rupture avec la France,et la rupture à tout prix. Comme il l'a. écrit lui-même, il con-sidérait la guerre connue une nécessité.
Il ne gardait cure maintenant de sauver, oui ou non, les
apparences. Puisque, par la renonciation du prince de
Hohenzollern, la déclaration du ministère Ollivier, en date du
6 juillet, se trouvait périmée et que la France n'avait plus à
endosser la provocation : peu importait que la Prusse « pro-
voquât » elle-même, pourvu que la guerre eût lieu!... ou,
alors, lui, Bismarck, se retirerait de la scène politique, son
rôle désormais n'y pouvant qu'être ridicule en raison de
l'effondrement subit de la machination qu'il avait si patiem-
ment, si obstinément ourdie.
Au fait, de qui venait le coup, puisque le roi Guillaume
disait n'être pour rien dans cette renonciation?
Evidemment, le prince Antoine avait subi la suggestion de
quelqu'un !...
Mais de qui ?
Et, dans son cerveau, Bismarck passait en revue tous les
personnages politiques de l'Europe susceptibles d'avoir fait
pression de ce côté, et surtout d'avoir réussi à anéantir un
plan aussi machiavélique.Plus il y réfléchissait, plus le cercle d'investigation deve-
nait étroit : ce n'était ni d'Autriche, ni d'Italie, ni d'Espagne,ni d'Angleterre, ni de Russie qu'était partie la contre-mine,
mais de France.
27O 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Or, en France — c'était l'évidence même — les Gramont,les Ollivier, et tutti quanti n'avaient ni l'envergure, ni le sens
politique qu'exigeaient une action aussi bien combinée et
aussi promptement conduite.
Seul un homme, un véritable homme d'Etat, était capablede l'avoir joué, lui, Bismarck! A coup sûr, c'était le « char-
meur », c'était Napoléon III, qu'il connaissait bien depuis la
fameuse entrevue de Biarritz, depuis aussi l'affaire du
Luxembourg, depuis enfin l'avortement de la première ten-
tative d'hostilité prussienne, greffée, un an plus tôt, sur
la même affaire Hohenzollern !
Oui, celui-là, uniquement celui-là, devait être et pouvaitêtre l'auteur du piteux insuccès de la seconde tentative.
Oh ! la chose avait été magistralement menée...
Quelle chute pour le gonfalonier de l'hégémonie prus-sienne I
Aussi, M. de Bismarck était-il bien décidé, si le roi Guil-
laume ne déclarait pas la guerre quand même — fusse-t-elle
« maladroitement engagée » (1) au point de vue diplomatique,
n'importe ! — était-il bien décidé à prendre sa retraite, à se
retirer à Varzin.
Si « l'aventure se perdait dans les sables », sa situation, en
effet, n'était plus tenable, n'était plus possible...En attendant, il lutterait jusqu'au bout I
A présent, c'était affaire entre Guillaume et lui. Il s'efforce-
rait, coûte que coûte, de forcer la main au roi de Prusse, si la
nécessité l'y contraignait... et silamoindre occasion favorable
lui était à brei délai fournie par les événements.
Il n'avait plus, en effet, que cette ressource .pour sauver
personnellement la face ! Et cet homme était de taille à
sacrifier des milliers de vies humaines pour une simple satis-
faction d'amour-propre...
(1) Souvenirs de M. de Bismarck.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 27I
ON SE REJOUIT A PARIS
Pendant que Bismarck, à Berlin, épanchait sa bile par le
télégraphe, la renonciation du prince de Hohenzollern autrône d'Espagne produisait, ailleurs, un effet diamétralement
opposé.
Le 12 juillet au matin, Napoléon III était venu à Paris pourassister au Conseil des ministres qui devait se tenir aux Tui-
leries dans la matinée.
Dès son arrivée, la séance fut ouverte ; et les ministres,,comme à leur ordinaire, se mirent à discutailler sur des pointsde détail, à ratiociner sur des formules oiseuses.
Le grand débat ouvert était le suivant :
Puisque le roi de Prusse a fait déclarer à M. Benedetti, à.
Ems, qu'il ne peut faire pression sur ses parents Hohenzollern,en sa qualité de souverain, dans une affaire qu'il considère
comme une simple affaire de famille : faut-il, oui ou non*considérer cette réponse comme une manoeuvre dilatoire
et en déduire que le roi Guillaume veut se donner un délai
suffisant pour procéder à la mobilisation de son armée ? Dans
ce cas, ne conviendrait-il point de devancer la Prusse et de
prendre de notre côté des mesures militaires ?• Ainsi, depuis cinq jours, le cabinet Emile Ollivier avait,,
par sa déclaration comminatoire du 6 juillet, affirmé que,.S'il n'obtenait pas des engagements formels de la Prusse, ce
serait la guerre ; et, n'ayant pas obtenu ces engagements, il
en était encore k disserter sur l'opportunité des mesures de
défense nationale ?...
Par bonheur, durant cet intervalle, l'Empereur avait vu le
maréchal Le Boeuf, ministre de la guerre, et n'avait pas hésité
à commettre cette « incorrection constitutionnelle » de lui
272 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
ordonner de se tenir prêt. Et, comme le reconnaît d'ailleurs
M. Emile Ollivier, le maréchal avait dit à l'Empereur : « Nous
sommes plus forts que les Prussiens, sur le pied de paix et
sur le pied de guerre. »
Cependant, les débats du Conseil ne se prolongèrent passur ce point ; car M. de Gramont donna bientôt lecture de
deux télégrammes qui venaient de lui parvenir.M. Emile Ollivier (1) raconte :
« Ces deux télégrammes modifièrent notre manière de voir.
Dans l'un, Benedetti racontait que le Roi (de Prusse) l'ayantrencontré la veille, à la fin de sa promenade, l'avait abordé,
lui avait dit qu'il n'avait aucune réponse du prince (Antoinede Hohenzollern), et, sur sa prière, lui avait accordé une nou-
velle audience. Dans un second télégramme M. Benedetti
disait : « Vous me permettrez d'ajouter qu'à mon sens la
guerre deviendrait inévitable si nous commencions osten-
siblement des préparatifs militaires. »
Aussi, pour ne pas commencer ostensiblement des prépa-ratifs militaires, les ministres autorisèrent-ils à grand'peinela création des quatrièmes bataillons et le rappel des soldats
permissionnaires. Et il fallut que l'amiral Rigault, ministre
de la marine, indigné par cette attitude des « avocats » et des
« bavards » du parlementarisme, menaçât de donner sa démis-
sion à grand fracas, pour que ses collègues, qui avaient
d'abord refusé, consentissent à lui accorder l'autorisation de
rappeler six mille marins.
D'après MM. de Gramont et Emile Ollivier, cette convo-
cation de six mille hommes seulement était beaucoup plus
grave que la menace formelle adressée, au vu et au su de
l'Europe entière, dans le dernier paragraphe de la décla-
ration ministérielle lue, le 6 juillet, à la tribune du Corps
Législatif!!!
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 132.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 278
Les ministres en étaient là de leurs discussions et de leurs
algarades, lorsqu'un chambellan pénétra dans la salle du
Conseil et vint dire quelques mots à voix basse à l'oreille de
l'Empereur.
Napoléon se leva immédiatement et sortit.
C'était M. Olozaga qui l'avait fait mander, sans vouloir
naturellement qu'on l'annonçât.L'ambassadeur d'Espagne eut tôt fait de mettre l'Empereur
au courant de l'heureuse issue des négociations de Sigma-
ringen. Il lui montra le télégramme chiffré de Strat, arrivé
la nuit et annonçant les dépêches en clair qu'allait envoyerdans la matinée le prince Antoine — dépêches qui seraient
certainement connues et rendues publiques dans l'après-midi,ou au plus tard dans la soirée.
Il va sans dire que M. Olozaga rappela respectueusementà Napoléon III les conventions arrêtées entre eux : il yavait un intérêt public à ce que cette affaire, quant à ses
résultats, ne fût connue de personne, de personne, tant quela confirmation officielle ne serait pas survenue ; et il y avait
aussi un intérêt privé à ce qu'elle demeurât absolument
secrète, quant aux intermédiaires employés.M. Olozaga avait raison de faire fond sur l'Empereur.
Napoléon — si heureux qu'il fût d'être arrivé à son but,c'est-à-dire d'avoir réussi à assurer la paix tout en infligeantà M. de Bismarck un échec diplomatique dont la réputationde celui-ci ne se relèverait pas, et qui obligerait peut-être ce
« perturbateur international » à se retirer pour toujours de
la scène politique— se garda bien de souffler mot, aux minis-
tres parlementaires, de la conversation qu'il venait d'avoir
à titre officieux.
Il lui était loisible désormais de laisser ces coupeurs de che-
veu en quatre faire du « pacifisme de cabinet », puisque la paixétait assurée et l'honneur national sauf.
Quand la chose deviendrait publique, alors on pourrait18
274 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
même en attribuer le mérite à qui l'on voudrait : cela lui
était bien égal !
On chanterait les louanges de n'importe qui; on raconte-
rait que c'était à l'intervention du roi de Prusse, ami de la
paix, qu'était due la résolution prise par les princes de
Hohenzollern ; ou bien, l'on colporterait que M. de Gramont
était le plus fin diplomate du siècle ; ou encore, l'on affirme-
rait que le « cabinet libéral » avait, par sa fermeté, imposéle respect de la France à l'ennemi héréditaire. On dirait tout
ce qu'on voudrait... Lui ne dirait rien !
N'avait-il pas, en effet, en partage la plus haute récompense
que puisse ambitionner le représentant élu de tout un Peuple r
la muette approbation de sa conscience, l'intime satisfaction
du devoir accompli, et accompli dans quelles conditions et
avec quel succès ?
Cependant, l'heureuse nouvelle fut rendue publique, le
12 juillet, vers deux heures et demie de l'après-midi.Fidèle à la parole donnée, l'Empereur n'était pour quoi
que ce soit dans cette révélation. Mais le télégramme officiel,
envoyé en clair par le prince Antoine de Hohenzollern à
M. Olozaga, ambassadeur d'Espagne, n'avait pas tardé à
transpirer.Comme devait le prouver deux ans plus tard M. Jules Cla-
retie (1), nul ne soupçonna à qui était dû cette solution heu-
reuse.
Dans le public, on parlait d'une grande victoire diploma-
tique : c'était tout !
« Ainsi donc, c'était la paix — écrivit M. Jules Claretie, en
1872 — c'était la paix. L'empire venait de remporter une
victoire diplomatique dont le prix était évident. Sur un gestede la France, la Prusse (sic) avait conseillé à Léopold de
(1) JULES CLARETIE. — Histoire de la Révolution de 1870-71,page 104 (éditée en 1872}.
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 275
Hohenzollern de se désister, et on pouvait réellement voir
là une preuve de notre influence... »
Voilà comment on écrit l'histoire! Aussi, comment l'opinion
pourrait-elle juger?Notre propre ministre des Affaires étrangères, M. de Gra-
mont, ne s'inquiéta pas d'où tombait cette aubaine.
Dès qu'il en eut connaissance, une heure avant les milieux
soi-disant bien informés, il ne songea, sans plus tarder, qu'àmanoeuvrer comme si le résultat produit était la conséquencede la déclaration comminatoire du 6 juillet.
Sans chercher l'avis de personne, puisqu'au Conseil des
ministres, tenu le matin même, nul encore parmi les membres
du gouvernement parlementaire ne soupçonnait le coup de
théâtre alors sur le point de se produire, M. de Gramont
télégraphia, le 12 juillet, à I heure 40 de l'après-midi, à
M. Benedetti, à Ems, en lui disant (1) : « Employez votre
habileté, je dirai même votre adresse, à constater que la renon-
ciation du prince nous est annoncée, communiquée ou
transmise par le roi de Prusse ou son gouvernement. C'est
pour nous de la plus haute importance ; la participation du
roi doit être à tout prix consentie par lui ou résulter des faits
d'une manière saisissable. »
Il fallait une belle audace à M. de Gramont pour agir de la
sorte, alors qu'il savait pertinemment, par les télégrammes
précédents de M. Benedetti, que le roi Guillaume s'était cons-
tamment refusé à faire pression sur les princes de Hohenzol-
lern et qu'en conséquence la renonciation ne pouvait avoir
été inspirée de ce côté.
Mais, M. de Gramont voulait posséder le m oy en d'affirmer au
Corps- Législatif : «Vous voyez, c'est le roi de Prusse qui a cédé,
et qui a cédé à cause de notre Déclaration si ferme. Applau-
dissez, en ma personne, le plus grand diplomate de l'Europe. »
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 172.
276 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Une phrase aussi redondante assurerait certainement une
belle longévité au cabinet : longévité qui tenait à coeur à
M. de Gramont comme à M. Emile Ollivier et qui, seule,
explique comment, à quarante ans de distance, M. Emile
Ollivier trouve encore cette dépêche admirable et se solida-
rise entièrement sur ce point avec Al. de Gramont.
Evidemment l'opinion était trop surexcitée en France, en
raison des tendances belliqueuses des journaux de toutes
opinions, pour qu'à Paris notamment, tout en se réjouissant
de la « grande victoire diplomatique », on ne vît pas à contre-
coeur différer la guerre ! Evidemment encore, on se montre-
rait généralement furieux, si l'expectative pacifique ne com-
portait point une « humiliation de la Prusse ». Il fallait châtier
celle-ci, au moins moralement, de l'audace qu'elle avait eue de
nous provoquer si longtemps. Tel était le sentiment général !
Mais, en face de cet emballement instinctif et sentimental
de la foule, tout autre chose était de donner au public une
satisfaction morale que de l'obtenir du roi Guillaume lui-
même.
Un ministre intelligent pouvait fort bien laisser entendre
ou plutôt laisser supposer que c'était l'intervention du roi de
Prusse qui avait décidé le retrait de la candidature Hohen-
zollern. Mais, exiger de ce roi, comme voulait y parvenirM. de Gramont, qu'il avouât avoir cédé à nos menaces?
Exiger par conséquent qu'il s'humiliât lui-même? Rien n'était
plus inopportun, rien n'était plus maladroit !
Napoléon III sentit parfaitement qu'il était nécessaire de
satisfaire l'opinion et de l'amener de la sorte à accepter fina-
lement la solution pacifique— sans toutefois demander au roi
Guillaume de prendre une attitude contraire à sa dignité, et
contraire aussi à la ligne de conduite suivie par lui : puisquece n'était pas au roi de Prusse qu'était due la renonciation
du prince Léopold.
Ignorant le télégramme absurde envoyé de sa propre
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 277
autorité, par M. de Gramont, à i h. 40 de l'après-midi, l'Em-
pereur fit parvenir, vers 2 heures et demie, à M. Emile Olli-
vier un billet dont celui-ci a publié le texte et qui était
ainsi conçu : « Mon cher monsieur Emile Ollivier, je vou-
« drais pouvoir causer quelques instants avec vous avant
« de rentrer à Saint-Cloud. Vous connaissez la dépêche« du prince de Hohenzollern au maréchal Prim. Si on
« annonce la nouvelle à la Chambre, il faut au moins en
« tirer le meilleur parti et faire sentir que c'est sur l'injonction« du roi de Prusse que la candidature a été retirée. Je n'ai
« pas encore vu Gramont... Le pays sera, désappointé. Mais
« qu'y faire ? Croyez à ma sincère amitié. »
M. Emile Ollivier ne se trompa point sur les sentiments de
l'Empereur. Aussi, avoue-t-il (1) :
« Je devinai le désir qui se cachait sous le si on annonce.
Evidemment l'Empereur eût voulu que je montasse à la tri-
bune pour y lire la dépêche (du prince Antoine au maréchal
Prim), insinuer que le résultat était dû à l'intervention impé-rative du Roi et que l'incident était clos. »
Le premier ministre se rendit à l'appel de l'Empereur,mais pour lui dire au contraire qu'il ne consentait pas à tenir
à la Chambre le rôle que Napoléon III lui demandait déjouer,surtout lorsque celui-ci — sans lui faire cependant connaître
comment et pourquoi M. Olozaga, ambassadeur d'Espagne,avait agi et fait agir à Sigmaringen — lui apprit que c'était au
diplomate e spagnol qu'on devait l'heureux événement obtenu.
De sorte que rien, au Corps Législatif, ne fut fait dans le
sens demandé. Et, pendant ce temps, M. Benedetti recevait
en Allemagne le télégramme impératif de M. de Gramont!...
Or,.à cet instant précis, Napoléon III avait, aux Tuileries,la visite de M. Nigra, ambassadeur d'Italie à Paris.
Une conversation eut lieu entre l'Empereur et celui-ci.
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 167.
278 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Elle est fort suggestive!... M. Emile Ollivier lui-même la
rapporte, dans les termes suivants :
« Nigra félicita vivement le souverain. « C'est une grandevictoire morale pour la France, lui dit-il, d'autant plus pré-cieuse qu'elle est gagnée sans avoir répandu le sang humain,et j'espère que l'Empereur s'en contente et qu'il m'a fait
appeler, ici, pour m'annoncer la paix. » — « Oui, c'est la
paix! répondit l'Empereur, et je vous ai fait venir pour quevous le télégraphiez à votre gouvernement. Je n'ai pas eu le
temps d'écrire au Roi. Je sais bien que l'opinion publique en
France, dans l'excitation où elle est, aurait préféré une autre
solution, la guerre ; mais je reconnais que la renonciation est
une solution satisfaisante, et qu'elle ôte tout prétexte de
guerre, du moins pour le moment. »
A cette heure de la journée, comme le public ne connais-
sait encore que le fait brutal du retrait de la candidature
Hohenzollern, sans savoir si la Prusse y était, oui ou non, pour
quelque chose ; et comme, en outre, on ne pouvait pas sup-
poser raisonnablement que le roi Guillaume ne fût pour rien
dans cette renonciation : Paris, ainsi que nous l'avons dit
plus haut, se donna tout à la joie causée par la grande victoire
morale remportée.On l'avait « matée » une fois de plus, cette Prusse orgueil-
leuse, qui avait cherché à nous humilier !... Et tout le monde
se félicitait du résultat obtenu.
Si, pendant cet après-midi du 12 juillet 1870, M. EmileOllivier était monté à la tribune pour y tenir un langage
permettant d'induire et de supposer qu'effectivement « la
Prusse ne pouvait pas être étrangère à cette heureuse solu-
tion et qu'il convenait de féliciter le roi Guillaume et son
gouvernement de leur clairvoyance et de leur amour pour la
paix », l'opinion française n'aurait pas demandé davantage,aurait accepté l'issue pacifique, sans que le roi de Prusse,couvert de fleurs, eût pu protester : cela dans la crainte de
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 279
s'aliéner toute l'Europe qui, dans une protestation de sa part,aurait vu un parti-pris de guerre, absolument inacceptable.
Hélas ! nous le répétons, M. Emile Ollivier ne prit pas cette
attitude clairvoyante, que lui avait conseillée Napoléon III.
De sorte que, sans tarder, le public soupçonna et fut encore
plus vite convaincu que la Prusse n'était pour rien dans l'heu-
reux événement réalisé, et qu'il importait toujours de se
méfier d'elle, tant qu'on n'aurait pas obtenu des garanties
explicites.
Une saute de vent se produisit, que traduit parfaitement le
langage des journaux.
Le National écrivit :
« C'est une paix sinistre que celle dont on parle depuis
vingt-quatre heures. »
Paris-Journal affirma :
« La candidature espagnole était pour le gouvernement
français une occasion excellente, et qui ne se retrouvera plus,de rappeler à la Prusse qu'il existe une France frémissante
depuis Sadowa. »
En vain, le Constitutionnel, journal officieux, essaya, par la
plume de M. Robert Mitchell, de paralyser l'entraînement uni-
versel par la publication de cette note :
« Le prince de Hohenzollern ne régnera pas en Espagne.Nous n'en demandons pas davantage, et c'est avec orgueil que
nous accueillons cette solution pacifique. C'est une grandevictoire qui ne coûte pas une larme, pas une goutte de sang. »
La Presse riposta aussitôt :
« Cette victoire, dont parle le Constitutionnel, qui n'a coûté
ni une larme, ni une goutte de sang, serait pour nous la piredes humiliations et le dernier des périls. Que la Chambre
intervienne donc. Nous n'avons plus de choix qu'entre l'au-
dace et la honte. Quel est l'orateur, à la tribune, ou l'écri-
vain, dans un journal, qui conseillerait d'hésiter ? »
L'appréciation était identique chez les bourgeois de gauche
280 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
et chez les bourgeois de droite, ainsi que le prouve Robert
Mitchell qui écrivait, il y a quelques années, dans le Gau-
lois (1) :
« Gambetta s'indignait contre les pacifistes, qui considé-
raient la renonciation personnelle du prince Léopold de
Hohenzollern au trône d'Espagne comme une satisfaction
suffisante pour notre diplomatie.« J'étais de ceux-là, et nettement j'écrivis dans le Constitu-
tionnel, dont j'étais le rédacteur en chef, que nous étions
satisfaits.« Le lendemain, je vis Gambetta au Palais-Bourbon ; il
s'avança vers moi et d'un ton presque menaçant :
« — Vous êtes satisfait ? me cria-t-il. Vous êtes satisfait?« C'est une expression scélérate. »
Le journal des Hugo, le Soir, traduisit, dans son numéro
du 13 juillet 1870, par écrit, ce que Gambetta expectorait en
paroles :
« S'il y a une déclaration aujourd'hui — affirmait-il — le
Corps Législatif croulera sous les applaudissements. Si la
déclaration n'arrive pas, ce sera plus qu'une déception, ce
sera un immense éclat de rire, et le cabinet sera noyé dans
son silence. »
Mais, la droite ne le cédait pas à la gauche. Le Gaulois
d'alors tenait le langage que voici :
« La France donnera aujourd'hui le spectacle d'une grande
nation plongée dans la stupeur par une nouvelle qu'on salue
ordinairement avec des cris de joie. Les coeurs sont serrés.
On est triste et sombre. C'est que les masses, dix fois plus
intelligentes que nos gouvernants, comprennent, avec leur
instinct profond, que cette victoire pacifique coûtera, par
ses conséquences fatales, plus de sang à la France que des
batailles rangées. »
(i)Le Gaulois, 24 avril 1905.
1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 281
DEMANDE DE GARANTIES
Napoléon III ne s'était pas trompé lorsque, la questionHohenzollern étant écartée, il avait pressenti que la renon-
ciation ne suffirait pas à calmer l'opinion, s'il demeuraitavéré pour celle-ci que la Prusse n'était pour rien dans cet
aboutissant pacifique.
Oui, l'Empereur avait vu juste lorsqu'il avait demandé à
M. Emile Ollivier de parer, par avance, à une volte-face du
sentiment public en « laissant entendre » devant le CorpsLégislatif que le roi Guillaume n'était pas étranger à unesolution aussi favorable, sans toutefois s'avancer au point denous attirer un démenti de la part du cabinet de Berlin.
Mais, M. Emile Ollivier n'avait pas voulu céder à l'heureuse
inspiration de Napoléon III ; et, comme une mer démontée,
l'opinion française, après le flux de satisfaction causé par le
retrait de la candidature Hohenzollern, connaissait déjà lereflux de la colère, en constatant que la Prusse provocatricen'avait aucune part dans ce résultat.
Gomme le disait le Gaulois, le public avait la conviction
que cette solution, dès lors, était précaire et [que « cette
victoire pacifique coûterait plus à la France que des batailles
rangées ».
Il importait donc, maintenant — puisque M. Emile Ollivier
s'était refusé à sauvegarder le présent — il importait, disons-
nous, de garantir l'avenir,... et de le garantir afin qu'il ne
coûtât point à notre pays, « par ses conséquences fatales,
plus de sang que les hostilités transitoirement reculées pour.l'instant ».
De quelle façon garantir l'avenir, dans cet ordre d'idées ?
Cela dépendait de la Prusse seule et de son gouvernement
qui restaient maîtres de déclarer la guerre quand bon leur
282 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
semblerait — si telles restaient, quoique plus ou moins
avouées, les intentions véritables du cabinet de Berlin !
Pour être fixé à cet égard, il fallait nécessairement le
demander sans ambages à ceux qui, outre-Rhin, tenaient
suspendue sur notre tête Fépée de Damoclès.
A la vérité, cette démarche était beaucoup moins pénible
désormais, beaucoup moins aléatoire, beaucoup moins péril-
leuse, que toutes celles qui avaient dû être faites précédem-
ment, c'est-à-dire depuis leô juillet et qui auraient pu atteindre
dans son vif Pamour-propre de la Prusse. Cet amour-propre,
en effet, n'était plus en jeu, puisque la mesure prise par les
princes de Hohenzollern écartait tout conflit possible entre
les intérêts français et les intérêts prussiens dans la pénin-sule ibérique.
Pourquoi le roi Guillaume irait-il maintenant déclarer à la
face du monde que le présent, certes, était réglé, mais quel'avenir demeurait aléatoire de par la volonté delà Prusse ?...
C'eût été avouer, lui-même, une arrière-pensée qu'il était
parfaitement impolitique de laisser percer. C'eût été recon-
naître que les affaires d'Espagne avaient été un prétexte habi-
lement préparé, un casus belli soigneusement échafaudé ;
mais qu'à leur défaut toute autre occasion d'hostilités serait
saisie avec empressement parla monarchie prussienne.
Aussi, contrairement à l'appréciation de M. Welschinger (1),estimons-nous ici que M. de Gramont, le 12 juillet dans le
courant de l'après-midi, put plausiblement exposer une telle
façon de voir à M. Werther, ambassadeur de Prusse à Paris.
Assurément, notre ministre des affaires étrangères eut le
tort immense d'engager cette conversation sans avoir, au
préalable, prévenu de quoi que ce soit l'Empereur ; comme
de son côté, M. Emile OUivier eut le tort de prendre part à
(1) HENRI WELSCHINGER. — La guerre de 1870, pages 76 etsuiv. (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 283
cet entretien sans adoucir les angles, et d'appuyer son col-
lègue dans les mêmes conditions de toute-puissance minis-
térielle.
Mais, en définitive, ceci n'était rien comparativement à
l'envoi de la dépêche à M. Benedetti, le même jour, à i h. 40
après midi, et qui avait enjoint à ce dernier de faire le pos-sible et l'impossible pour que le roi Guillaume parût s'humilier
« en déclarant avoir participé à une renonciation au trône
d'Espagne » dans laquelle il n'était pour rien.
Quelle fut, en effet, la note soumise à M. Werther, vers la
fin de l'après-midi ? La suivante :
« Le roi de Prusse n'aurait qu'à signer ce document : « En
« renonçant spontanément à la candidature du trône d'Es-
« pagne qui lui avait été offerte, mon cousin le prince de
« Hohenzollern a mis fin à un incident dont on a mal inter-
« prêté l'origine et exagéré les conséquences. J'attache trop« de prix aux relations de l'Allemagne du Nord et de la
« France, pour ne pas me féliciter d'une solution qui est de
« nature à les sauvegarder. »
Non I un pareil communiqué n'est pas aussi grave que le
télégramme impérieux, comminatoire, expédié à 1 h. 40 et dû
à l'initiative personnelle de M. de Gramont. Et la preuve :
c'est que M. Werther accepta de le transmettre. Si la chose,
en effet, avait été véritablement contraire à la dignité de la
Prusse, l'ambassadeur de cette puissance à Paris se serait
refusé à la communiquer à son souverain.
Cette note d'ailleurs, si on pouvait la faire avaliser par le
roi Guillaume, calmerait certainement les esprits en France
et clorait dans les meilleures conditions l'interpellation
déposée par M. Clément Duvernois et quelques-uns de ses
collègues, et conçue dans les termes suivants : « Nous deman-
dons à interpeller le cabinet sur les garanties qu'il a stipuléesou qu'il compte stipuler pour éviter un retour de complica-tions avec la Prusse. » En résumé, le brusque revirement des
284 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITES
esprits peut expliquer la note remise à M. Werther, tandis-
que rien ne justifie la dépêche envoyée précipitamment à
I h. 40, quand rien n'avait encore percé dans le public.
Mais, encore une fois, n'aurait-il pas été préférable que M.
Emile Ollivier, durant ce même après-midi, liquidât d'un
mot l'interpellation Clément Duvernois et arrêtât d'avance
par contre-coup l'emportement des journaux de toute nuance,,
en obéissant aux conseils de l'Empereur qui — on ne saurait
le nier ! — lui avait fourni le meilleur moyen de calmer
l'opinion sans faire appel à de nouvelles négociations, néces-
sairement délicates, sinon dangereuses, avec la Prusse ?
Quand toutes les manigances ministérielles, parlemen-
taires, diplomatiques, journalistiques se furent ainsi donné
libre cours, il fallut bien, sur le soir, prendre contact avec
Napoléon III.
M. de Gramont s'y résigna.
M. Emile Ollivier assure qu'il n'assista pas à l'entrevue (1)...Cela ne saurait en rien atténuer sa responsabilité !
Trois faits décisifs s'étaient, en effet, produits dans l'inter-
v aile : i° La dépêche de M. de Gramont à Benedetti, expé-diée à I h. 40 ; 2° le refus de M. Emile Ollivier de parler à la
Chambre dans le sens demandé par l'Empereur ; 30 la con-
versation entre MM. Emile Ollivier et de Gramont, d'une
part, et M. Werther, ambassadeur de Prusse à Paris, d'autre
part.
Or, ce sont ces trois faits seulement qui, le 12 juillet au
soir, modifièrent en définitive la situation internationale
favorable, créée par la renonciation du prince de Hohen-
zollern.
Que pouvait faire l'Empereur, ce soir-là, lorsque M. de-
Gramont l'eut mis enfin au courant de ce qui s'était passé,.
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 18^.
187O-7I•— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 285
avec M. Werther, en même temps que de la surexcitation de
l'esprit public ?
Napoléon III pouvait-il désavouer ses ministres ? Non !
Ceux-ci relevaient du Parlement, qui aurait à se prononcer.Il n'était désormais loisible à l'Empereur, en présence du
déchaînement nouveau de l'opinion et de l'attitude déjà priseofficiellement par 'e cabinet Emile Ollivier, que de seconder
lui-même les vues générales tout en évitant d'alarmer pourcela la susceptibilité de la Prusse.
« Il (Napoléon) engagea— nous dit M. Welschinger (i) —
il engagea le duc de Gramont à envoyer à Ems une dépêche
qui expliquait pourquoi, à la suite de la réception par l'entre-
mise de l'ambassadeur d'Espagne de la renonciation du
prince de Hohenzollern, le gouvernement pensait qu'il était
nécessaire que le roi de Prusse s'y associât et donnât l'assu-
rance qu'il n'autoriserait pas de nouveau cette candidature, v
A son retour de Saint-Gloud, vers sept heures du soir, M.
de Gramont télégraphia donc de nouveau à M. Benedetti,
mais en forçant la note, suivant le procédé déjà employé parson cher ami Ollivier, lors de la rédaction de la Déclaration
du 6 juillet.
M. de Gramont s'exprimait ainsi dans sa dépêche de septheures du soir : « Nous avons reçu des mains de l'ambassa-
« deur d'Espagne la renonciation du prince Antoine, au
« nom de son fils Léopold, à sa candidature au trône d'Es-
« pagne. Pour que cette renonciation du prince Antoine
« produise tout son effet, il paraît nécessaire que le
« roi de Prusse s'y associe et nous donne l'assurance qu'il« n'autoriserait pas de nouveau cette candidature. Veuillez
« vous rendre immédiatement auprès du roi pour lui
« demander cette déclaration qu'il ne saurait refuser, s'il
« n'est véritablement animé d'aucune arrière-pensée. Malgré
(1) HENRI WELSCHINGER. — La guerre de 1870, pages 81 et 82,
286 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« la renonciation qui est maintenant connue, l'animation des
« esprits est telle que nous ne savons pas si nous parvien-
« drons à la dominer. Faites de ce télégramme une para-« phrase que vous pourrez communiquer au roi. Répondez
« le plus promptement possible. »
Il suffît de lire ce texte pour voir qu'il ne contient, en soi,
malgré la « note forcée par M. de Gramont », qu'une reven-
dication très raisonnable en somme. Eu tous cas, si M.
Benedetti avait reçu cette dépêche seule, il aurait parfaite-
ment compris qu'il s'agissait, en l'espèce, d'une instance
sérieuse à faire prévaloir ; mais, il ne se serait pas cru obligé
de la faire triompher à tout prix, coûte que coûte.
Mais, loin d'annuler le premier télégramme, comme le pré-
tend M. Ollivier, le second, quelque atténuation qu'il con-
tînt dans la forme et dans le fond, n'en était pas moins la
confirmation de l'autre. C'est dire que le premier subsistait
en son entier, et s'en trouvait en quelque sorte renforcé —
alors que l'Empereur en ignorait jusqu'à l'existence !
Qu'on se rappelle, en effet, la première dépêche, celle de
1 heure 40. Elle était ainsi conçue (1) :
« M. de Gramont à M. Benedetti. —Employez votre habi-
« leté, je dirai même votre adresse, à constater que la renon-
« dation du prince nous est annoncée, communiquée ou
« transmise par le roi de Prusse ou par son gouvernement.« C'est pour nous de la plus haute importance ; la participa-
is, tion du roi doit être A TOUT PRIX consentie par lui ou résulter
« des faits d'une manière sensible. »
M. Benedetti ne pouvait qu'obéir à des ordres aussi for-
mels.
C'est ce qu'il se mit en mesure de faire, à Ems, le 13 juillet
1870, au matin.
Le mercredi 13 juillet, il se rendit donc à la résidence
(1) Se reporter page275, dans ce même chapitre. (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 287
royale et rencontra l'aide-de-camp Radziwill, alors que le roi
Guillaume était déjà sorti. M. Benedetti formula aussitôt une
demande d'audience et allait se retirer, lorsque le roi, de
retour à ce moment, vint à lui et entama le premier la con-
versation, en lui disant qu'il avait appris officieusement la
renonciation du prince de Hohenzollern, et qu'il en attendait
la confirmation officielle. « Allons, ajouta-t-il aimablement,
voilà la fin des soucis et des peines. »
M. Benedetti, voyant le monarque si bien disposé, en pro-
fita pour remplir sa mission et lui demander de « permettre
à l'ambassadeur de France d'annoncer à M. de Gramont que
le roi de Prusse ne tolérerait pas que le prince Léopold pûtde nouveau, dans l'avenir, poser encore une fois sa candi-
dature au trône d'Espagne. »
Le roi Guillaume se contenta de lui répondre : « J'ignore« encore officiellement la détermination du prince Léopold.« J'attends à tout moment le message qui doit m'en instruire.
« Je ne puis donc vous donner aucun éclaircissement, ni vous
« autoriser à transmettre à votre Gouvernement la déclaration
« que vous me demandez. »
Malgré les plus vives sollicitations, M. Benedetti ne parvint
pas à savoir autre chose du souverain, qui, au dire de l'histo-
rien allemand Sybel, froissé de l'insistance déplacée de M.
Benedetti, résolut de ne plus le recevoir sans que cette rup-
ture toute personne-Ile, avec un homme qui était arrivé à
déplaire (i), atteignît en quoi que ce soit la France, ni même
M. Benedetti, en sa qualité d'ambassadeur d'un pays ami.
Le roi de Prusse était ainsi très monté, lorsqu'il eut com-
munication de la note remise, la veille après midi, à M.
(1) Il est clair que M. Benedetti n'aurait pas, de gaieté de
coeur, sacrifié ses relations personnelles jusqu'ici très amicalesavec le roi Guillaume, si M. de Gramont ne lui avait pas télé-
graphié ces trois mots : A tout prix ! (N. de l'A.)
288 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Werther, par MM. de Gramont et Emile Ollivier. C'est ce qui
explique pourquoi il la reçut avec une mauvaise humeur
qu'il n'aurait pas eue, vraisemblablement, si le premier inci-
dent ne s'était point produit.A sa lecture, il laissa percer une vive irritation dont on
trouve la trace dans une lettre (1) qu'il écrivit le jour même
à sa femme, la reine Augusta, et où il est dit : « A-t-on déjà« vu une telle insolence ?... (2) Il faut que je paraisse à la face
« du monde entier comme un pécheur faisant sa contrition (3),
« dans une affaire que je n'ai pas lancée 1 » Et. plus loin :
« Malheureusement, Werther n'a pas quitté sur-le-champ le
« cabinet (des Affaires Etrangères à Paris) et prié ses interlo-
« cuteurs (MM. de Gramont et Emile Ollivier) de s'adresser
« au ministre Bismarck, quand ils en sont arrivés à lui dire
« qu'ils chargeraient Benedetti de cette affaire. Hélas ! il faut
« déduire qu'ils ont résolu coûte que coûte de nous provoquer« et que l'Empereur (Napoléon III) est débordé (4) par ces
« FAISEURS INEXPÉRIMENTÉS. » Et par ailleurs : «Benedetti est
« venu à la Promenade, et au lieu de se montrer satisfait par« la renonciation du prince (de Hohenzollern), il m'a demandé
« de déclarer qu'à tout jamais je refuserais de donner mon
« assentiment à cette candidature, si elle venait à se renou-
« vêler. Naturellement, je m'y refusai énergiquement et
« comme il devenait plus pressant et presque impertinent je« finis par riposter : Supposons que votre Empereur accepte un
« jour lui-même cette candidature; par l'effet de la promesse« qu'on exige de moi, je me trouverais alors en opposition avec
« lui ? »
(1) Lettre du 13 juillet. — Unser Helden Kaiser, de W. Oncken.
(2) Hai-man jeeine solehe Insolenz gesehen? (Texte allemand.)
(3) Also reuiger Sûnder. (Texte allemand.)
(4) Uberfiûgelt. (Texte allemand.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 289
D'autre part, le roi passa les quelques lignes suivantes à M.
Abeken, qui était à Ems, auprès de lui, en qualité de délégué
prussien des Affaires Etrangères : « Il importe d'informer en
chiffres Werther que je suis indigné de l'exigence des
ministres français et que je fais toutes réserves. »
Cependant, dans l'après-midi, le roi se calma. Il venait de
recevoir, à une heure, du prince Antoine de Hohenzollern, la
lettre qu'il en attendait et qui annonçait officiellement le retrait
de la candidature du prince Léopold.A deux heures, il prit le parti d'en faire informer l'ambas-
sadeur de France par son aide de camp M. Radziwill : ce qui
signifiait que le souverain, ayant recours à un intermédiaire
pour une communication de ce genre, n'entendait accorder
nulle audience nouvelle à M. Benedetti.
Durant l'intervalle, ce dernier avait reçu de Paris un nou-
veau télégramme expédié par M. de Gramont à i h. 45 du
matin et qui était arrivé à Ems dans les environs de
10 heures et demie. Cette dépêche lui rappelait qu'il était
indispensable d'obtenir du roi Guillaume l'assurance deman-
dée, mais ajoutait : « Dites bien au roi que nous n'avons
« aucune arrière-pensée, que nous ne cherchons pas un pré-« texte de guerre et que nous ne demandons qu'à sortir hono-
« rablement d'une difficulté que nous n'avons pas créée nous-
« mêmes. »
MM. de Gramont et Ollivier avaient mis du temps à tra-
duire enfin la pensée de Napoléon III!... N'importe! le fait
était acquis, et M. Benedetti comptait pouvoir, dans la nou-
velle audience qu'il avait sollicitée, faire ressortir ce point
capital.C'est alors qu'il reçut la visite de M. Radziwill, aide de
camp du roi Guillaume, qui lui transmit la communication de
son souverain.
M. Benedetti insista encore pour être reçu.M. Radziwill retourna aussitôt auprès du .roi et revint chez
19
29O 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
M. Benedetti à trois heures, pour donner l'assurance à
l'ambassadeur de France que Sa Majesté prussienne avait
approuvé le désistement du prince de Hohenzollern dans la
même idée qu'Elle lui avait donné, jadis, son autorisation,
c'est-à-dire en qualité de chef de famille et non en qualité de
souverain, et que par conséquent l'affaire était terminée,
bien terminée.
Mais M. Benedetti, pour qui le nouveau télégramme lui-
même de M. de Gramont faisait une obligation de voir
malgré tout le roi, demanda une fois de plus une audience.
Entêté, le monarque n'acquiesça pas davantage à cette
nouvelle sollicitation et remit par écrit à M. Abeken cette
note officielle (1) :
« Le comte Benedetti m'agrippa à la promenade pour
m'amener, avec une insistance extrême, à l'autoriser à télé-
graphier sans retard que je ne donnerais jamais, en aucun
cas, mon consentement, si les Hohenzollern ressortaient
leur candidature. Je lui déclarai de nouveau assez sérieuse-
ment qu'on ne pouvait prendre encore un engagement à tout
jamais. Naturellement, je lui dis que je n'avais encore rien
reçu (d'officiel du prince de Hohenzollern) et que, puisqu'il
avait été prévenu plus tôt que moi par Paris et Madrid, il
avait la preuve que mon gouvernement n'était pas en jeu. »
Une telle note démontre qu'éloigné de l'influence de Bis-
(1) « Graf Benedetti fing mich auf der Promenade ab, um aufzuletz sehr zudringliche Art von mir zu verlangen, ich sollteihn autoriziren sofort zu telegraphiren dass ich fur aile Zukunftmich verpflichte niemals wieder meine Zustimmung zu geben,wenn die Hohenzollern auf ihre Kandidatur zurùckkommensollten. Ich wies ihn zuletzt etwas ernst zurùck, dass man « àtout jamais » (fur immer) dergleichen Engagements nichtnehmen dûrfe noch kônne. Natûrlich sagte ich ihm dass ichnoch nichts erhalten hâtte, und da uber Paris und Madrid frûher
benachrichtigt sei als ich, er wohl einsâhe dass mein Gouverne-ment wiederum ausser Spiel sei. ». — Texte allemand.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 291
marck, le roi Guillaume, quoiqu'il eût été désobligé parl'assaut que lui avait donné notre ambassadeur, d'après les
instructions formelles de M. de Gramont, entendait, à l'instar
de Napoléon III lui-même, laisser mourir de sa belle mort, le
13 juillet, l'affaire Hohenzollern.
Evidemment, il laissait pour l'instant l'avenir en suspens ;
mais n'avait-il pas dit, pour expliquer ce point, qu'il conve-
nait de ne point créer par avance une opposition possibleentre la France et la Prusse, au cas où l'Empereur des Fran-
çais reviendrait un jour de son antipathie, en ce moment
justifiée, relative à la candidature Hohenzollern au trône
d'Espagne ?
Dans ces conditions, évidemment, l'incident pouvait être
vidé facilement désormais : il suffirait de faire connaître à
Paris l'hypothèse derrière laquelle s'abritait le roi pour se
dérober à un engagement à tout jamais. Les garanties à
terme, qui en découlaient, pouvaient paraître satisfaisantes.
Et il ne semblait pas qu'il y eût besoin d'une nouvelle
audience en vue de les confirmer.
Oui, l'incident était clos, malgré les derniers froissements
passagers qu'on aurait pu éviter, et qui laissèrent si peud'acrimonie dans l'esprit du roi Guillaume qu'à son départd'Ems celui-ci tendit très amicalement la main à M. Bene-
detti, en prenant congé de lui à la gare.
BISMARCK LE FAUSSAIRE
Pendant ce temps, Bismarck — nous l'avons vu — « bouil-
lait d'impatience >, à Berlin, où il était arrivé le 12 au soir,comme cela a été dit précédemment.
Il y avait vu M. de Roon, ministre de la guerre de Prusse,et espérait y voir aussi M. de Moltke, chef d'état-major de
2tJ2 I87O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Fermée prussienne. Le premier était là depuis le 10 juillet ;
le second s'y était précisément rendu le 12.
Bismarck les invita à dîner pour le 13 juillet au soir, c'est-
à-dire pour le jour même où M. Benedetti demandait au roi,
àEms, audience sur audience.
Rappelons que, le 13 au matin, M. Abeken avait déjà télé-
graphié à M. de Bismarck que l'ambassadeur de France ten-
tait une démarche pressante auprès du roi Guillaume, et queM» de Bismarck avait répondu aussitôt : « Si le roi reçoitencore une fois M. Benedetti, je donne ma démission. »
Ainsi que le prouvent de telles intentions, le chancelier ne
se possédait plus. Il était bien décidé à jouer son va-lout,disant comme don Salluste :
... Oui mon règne est passé,Gudiel ! renvoyé, disgracié, chassé.Ah ! tout perdre en un jour !...
Car, il le sentait — cette renonciation Hohenzollern sur-
venue — il était perdu de réputation en Europe, à moins quela guerre n'éclatât, déclarée par n'importe qui, mais se gref-fant sur n'importe quoi, et n'importe comment : quel que fût
îe provocateur 1 Oui, il ne lui restait que ce moyen pour* sauver la face ».
A midi, Bismarck ne savait toujours rien, du côté du roi...
Le souverain était donc décidé à sacrifier son collabora-
teur ? Ainsi, les pourparlers se poursuivaient toujours direc-
ement, sans passer par l'intermédiaire du chancelier ?...
D'après celui-ci, la Prusse tergiversait, cédait, reculait...
Jamais occasion pareille ne se représenterait désormais de
ejeter les torts sur la France aux yeux du monde ! Il impor-tait d'aviser.
Les heures s'écoulaient donc avec une extrême lenteur
pour le chancelier de fer. De temps à autre, une nouvelle lui
arrivait de Paris : tel par exemple le duplicata de la note
feansmise par Werther au roi.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 293
Bismarck, soit dit entre parenthèses, loin de prendre cette
note au sérieux comme l'avait fait Guillaume, l'appréciacomme une niaiserie maladroite de l'ambassadeur de Prusse
à Paris, à preuve qu'il télégraphia (i) à ce dernier : « Le
« comte de Bismarck est convaincu que M. de Werther a mai« interprété les ouvertures verbales du ministère français;« des ouvertures de ce genre lui paraissent absolument
« impossibles; quoi qu'il en soit, il se refuse, en sa qualité de
« ministre responsable, de soumettre ce rapport à Sa Majesté« (le roi Guillaume) pour une négociation officielle. Si le
« gouvernement français a des communications de cette
« espèce à faire, il doit les rédiger lui-même et les transmettre
« par l'ambassadeur de France à Berlin. »
Décidément, Bismarck — essayant, une dernière fois, de
jouer à l'influence —"'sentait la partie perdue et songeait qu'ilne lui restait plus qu'à disparaître de la scène publique.,
puisque tout le monde à l'instar de son roi affectait de se
passer de ses bons offices.
Aussi, le soir, vers 6 heures, à Berlin, au commencement dm
repas qu'il offrait à MM. de Roon et de Moltke, le chancelier
de fer semblait-il accablé et ne prenait-il aucun soin de dis-
simuler sa tristesse et sa déception.
Le roi Guillaume, on se le rappelle, avait fait tenir à
M. Abeken un communiqué officiel relatif aux instances de
M. Benedetti, durant cette journée du 13. Ce communiqué
indiquait que l'incident Hohenzollern était absolument vidé
aux yeux du roi de Prusse qui avait bientôt donné l'ordre à
M. Abeken de faire connaître ce document à son chancelier.
Ceci fut fait exactement à 3 h. 45 de l'après-midi.
C'est à peu près vers 6 heures et demie du soir qu'om
apporta à M. de Bismarck le communiqué en question.
(i) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 2^4.
294 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
envoyé par le télégraphe et arrivé à Berlin à 6 h. 10, et queM. Abeken avait transmis dans les termes suivants :
« D'Abeken au comte de Bismarck. — D'Ems, le 13 juillet (1) :
« Sa Majesté le roi m'écrit :
« Le comte Benedetti m'agrippa à la promenade pour« m'amener, avec une insistance extrême, à l'autoriser à
« télégraphier sans retard que je ne donnerais jamais, en
« aucun cas, mon consentement si les Hohenzollern ressor-
« taient leur candidature. Je lui déclarai de nouveau assez
« sérieusement qu'on ne pouvait prendre ainsi un engage-« ment à tout jamais. Naturellement, je lui dis que je n'avais
« encore rien reçu et que, puisqu'il avait été prévenu plus« tôt que moi par Paris et Madrid, il avait la preuve que mon
« gouvernement n'était pas en jeu. »
« Sa Majesté a reçu depuis une lettre du prince (de Hohen-
zollern). C'est pourquoi Sa Majesté, qui avait dit au comte
Benedetti qu'on attendait la nouvelle du prince lui-même, a
bien voulu, sur l'intervention du comte d'Eulenbourg et de
(i) « Seine Majestât der Kônig schreibt mir : « GraJ Bene-detti fing mieh auf der Promenade ab... Natûrlieh sagie ieh ihmdass ieh noeh niehts erhalten h'àtte, und da ùber Paris und Ma-drid frûher benaehriehtigt sei als ieh, er wohl einsàhe dass meinGouvernement wiederum ausser Spiel sei. »
« Seine Maj estât hat seitdera ein Schreiben des Fûrsten (vonHohenzollern) bekommen. Da Seine Majestâtdem Grafen Bene-detti gesagt dass er Nachricht von Fûrsten erwarte, hat Aller-
hôchstderselbe, mit Rucksicht auf die obige Zumutung, auf desGrafen Eulenburg und meinen Vortrag, beschlossen, den Gra-fen Benedetti nichfcmehrzu empfangen, sondernihm nur durcheinen Adjudenten sagen zu lassen : dass Seine Majestât jelztvon Fûrsten (von Hohenzollern) die Bestâtigung der Nachricht
erhalten, die Benedetti aus Paris schôn gehabt, und den Bots-chafter niehts weiterzu sagen habe.
« Seine Majestât stellt Eurer Excellenz anheim, ob nicht dieneue Forderung Benedetti's und ihre Zurûckweisung sogleichsowohl unseren Gefandten als in der Presse mitgetheilt werdensollte. (Texte allemand).
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 295
moi, déclarer qu'étant donnée l'exigence précitée il n'yavait plus lieu de recevoir le comte Benedetti, mais seulement
de faire savoir à celui-ci par un aide de camp que : Sa
Majesté, ayant reçu confirmation de la nouvelle par le prince
(de Hohenzollern) conforme à celle que M. Benedetti connais-
sait déjà par Paris, ilne lui restait rien à dire à l'ambassadeur.
« Sa Majesté s'en remet à Votre Excellence du soin de
décider si la nouvelle insistance de Benedetti et la nouvelle
fin de non-recevoir du roi ne doivent point être notifiées à
nos chancelleries et à la presse. »
Il y avait si peu « d'insulteur et d'insulté à Ems », et le
cauchemar de la guerre était si bien dissipé, en dépit des
démarches aussi pressantes que maladroites recommandées
par M. de Gramont à Benedetti, que l'effet produit sur
Bismarck à la lecture du télégramme que venait de lui envoyerM. Abeken fut prodigieux. Celui-ci apparut au chancelier de
Prusse comme le suprême constat d'effondrement de toute sa
politique.
Il l'a raconté plus tard lui-même, et les révélations qu'il fit,
alors, à ce sujet, dans le numéro du 20 novembre 1892 de la
Nouvelle Presse Libre (1) de Vienne, ne laissent aucun doute
à cet égard :
« Quand j'eus donné, déclara Bismarck, lecture de cette
dépêche (d'Abeken), Roon et de Moltke laissèrent tomber d'un
même mouvement couteau et fourchette sur la table et recu-
lèrent leur chaise.
« Nous étions tous profondément abattus I... Nous avions
le sentiment que l'affaire se perdait dans les sables. »
En effet, le roi faisait savoir à M. de Bismarck que si une
nouvelle audience n'avait pas été accordée à M. Benedetti,
(1) Neue Frère Presse. — Cet aveu a déjà été enregistré parquelques historiens, tels que Cuneo d'Ornano (la République de
Napoléon, page 417), Félix Margarita (La Souveraineté Natio-nale. — Chap. X, page 271), etc.
296 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
ce n'était point parce que lui, Bismarck, avait menacé de
donner sa démission de chancelier, non ! mais simplement
parce qu' «étantdonnée l'exigence précitée » de M. Benedetti,
il n'y avait pas lieu de s'entretenir de nouveau avec celui-ci
dans un moment inopportun.Le roi Guillaume, au surplus, prenait si peu au sérieux l'in-
transigeance de son ministre que, loin de faire allusion à sa
démission en instance, il lui laissait le soin d'aviser lui-même
la presse et les agents diplomatiques de la Prusse, à l'étranger,
de la conclusion d'une affaire considérée comme terminée
dans l'état présent des choses.
Il est certain que Bismarck goûta peu cette raillerie trop
visible et qu'il était d'ailleurs trop intelligent pour ne pas
comprendre du premier coup.
Ainsi, les ministres français avaient commis « bêtise sur
bêtise » ; bien plus, au moment où le retrait de candidature
au trône d'Espagne devait pour eux rendre nette la situation,
ils s'étaient laissés entraîner à engager une nouvelle conver-
sation, qui pouvait être périlleuse, avec le roi de Prusse ; et ce
dernier incident lui-même n'avait, en résumé, entraîné
aucune complication fâcheuse, de par la volonté du roi Guil-
laume ? Cela passait la mesure !
On prenait donc le chancelier de fer pour un « chancelier
de roseau » ? Et l'on se figurait qu'il s'inclinerait toujours
au gré du vent ?
Maintenant on poussait la dérision jusqu'à lui confier la
mission d'aviser les chancelleries et les journaux !!!
Mais, qui l'empêchait de se venger ? Qui l'empêchait, par
exemple, de rédiger un communiqué à sa fantaisie?...
Immédiatement Bismarck vit tout le parti à tirer de cette
idée. Et il le raconte, encore, dans la Nouvelle Presse Libre (1)de Vienne :
(1) Neue Freie Presse, den 20 november 1892.
1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 297
« Je m'adressai, dit-il, à de Moltke et lui posai cette ques-tion :
« — Notre armée est-elle réellement assez bonne pour quenous puissions commencer la guerre avec la plus grande
probabilité de succès ? »
« Moltke avait une confiance inébranlable comme un roc.
« — Eh bien ! alors, continuez à manger tranquillement,
dis-je à mes convives. »
« Je m'assis à une petite table ronde qui était placée à côté
de la table où l'on mangeait. Je relus attentivement la
dépêche, je pris mon crayon et rayai délibérément tout le
passage où il était dit que Benedetti avait demandé une nou-
velle audience. Je ne laissai subsister que la tête et la queue.Maintenant la dépêche avait un tout autre air. Je la lus à
Moltke et à Roon, dans la nouvelle rédaction que je lui avais
donnée. Ils s'écrièrent tous deux : « Magnifique ! Cela produirason effet! »... Nous continuâmes dès lors à manger avec le
meilleur appétit. »
M. de Bismarck, malgré tout son cynisme, est modeste
lorsqu'il raconte désinvoltement qu'il se contenta de laisser
subsister la tête et la queue de la dépêche transmise parM. Abeken.
A dire vrai cette dépêche fut maquillée complètement,ainsi que le prouve le texte auquel s'arrêta le chancelier de
Prusse et que voici (i) :
(1) « Nachdem die Nachrichten von der Eutsagung der Erb-
prinzen von Hohenzollern der Kaiserlich franzôsischen Regie-rung von der Kôniglisch spanischenAmtlich mitgetheilt worden
sind, hat der franzôsische Boschafter in Ems an Seine Majestâtden Kônig von Preussen nach die Forderung gestellt ihn zu autoriziren dass er nach Paris telegraphiere : dass Seine Majestàtder Kônig sien fur aile Zukunft verpflichte niemals wieder seine
Zustimmung zu geben, wenn die Hohenzollern auf ihre Kandi-datur wieder zurùckkommen sollten. Seine Majestât der Kônighat es darauf abgelehnt den franzôsischen Botschafter nochmals
20.8 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« Après que les nouvelles de la renonciation du prince« héritier de Hohenzollern eurent été notifiées au gouverne-« ment impérial français par la légation royale espagnole,« l'ambassadeur de France eut l'audace à Ems de demander
« à Sa Majesté (le roi de Prusse) de l'autoriser à télégraphier à
« Paris que : Sa Majesté le roi ne donnerait jamais, en aucun
« cas, son consentement si les Hohenzollern ressortaient leur
« candidature. Sa Majesté le roi a décidé que désormais il
« s'abstiendrait de recevoir l'ambassadeur et a fait dire par« l'aide de camp de service qu'il n'avait plus rien à notifier
« à l'ambassadeur. »
Il suffit de se rapporter au texte intégral de la dépêche
d'Ems, précédemment donné, pour voir à quelle trituration
s'était livré Bismarck.
L'amalgame savant de la note personnelle du roi Guillaume
et des commentaires de M. Abeken formait, indéniablement,un résumé « magnifique ». Cela disait tout simplement quele roi de Prusse avait fait jeter la porte au nez de l'ambassa-
deur de France et qu'il rompait tous rapports avec celui-ci,en sa qualité de représentant dHine nation voisine (1) !
A la fin du dîner, une fois le café bu et le cigare fumé,
zu empfangen, und demselben durch den Adjudenten vonDienst sagen lassen : dass Seine Majestât dem Botschafter nichtsweiter mitzutheilen habe. » {Texte allemand.)
(1) Un socialiste allemand, M. Liebknecht, au lendemain dela guerre de 1870-71, soupçonnait déjà la vérité, au sujet dufaux commis par Bismarck. Il publia donc, dans le journal leVolkstaat, sous le titre : UN CRIME SANS NOM, un article dans
lequel il accusait formellement le chancelier d'avoir falsifié la
dépêche d'Ems pour obliger la France à déclarer la guerre.Comme le note spirituellement Félix Margarita : « M. de Bis-marck n'était pas encore entré dans la voie des aveux ». AussiM. Liebknecht fut-il alors condamné à _j66 marks d'amende, ainsi
que le rappela le Vorwoertz, en 1892, quand furent connues lesrévélations publiées dans la Nouvelle Presse Libre, de Vienne.(N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 299
M. de Bismarck alla joyeusement donner l'ordre de commu-
niquer à toutes les chancelleries son chef-d'oeuvre...Un historien, qui, adversaire trop partial de l'Empire,
cherche souvent à équivoquer, M. Pierre de la Gorce, est
obligé néanmoins de constater que « par cette adaptation
scélérate, Bismarck revêtit de l'aspect d'un appel aux armes
ce qui n'était qu'une information diplomatique ».
Le même historien relate l'espoir que, dès la soirée du
13 juillet 1870, à Berlin, Bismarck tirait de son acte abomi-
nable. Celui-ci déclarait :
« Non seulement par ce qu'il dit, mais par la façon dont il
« aura été répandu, ce texte produira là-bas, sur le taureau
« gaulois, l'effet d'un drap rouge. » Telles sont les propres
expressions de Bismarck !
Aussi, en novembre 1892, vingt-deux ans plus tard, quand
l'opinion universelle fut renseignée par Bismarck lui-même,
sur ces criminelles tractations, un journal anglais le Daily
News put-il déclarer : « Le prince de Bismarck avoue main-
tenant qu'il a altéré ou du moins arrangé la dépêche, de
manière à provoquer et à rendre inévitable un conflit pour
lequel l'Allemagne était mieux préparée que la France. Ce
fait a une grande importance. Rien n'a tant contribué à isoler
la France que la croyance généra le qu'elle avait déclaré la
guerre pour des raisons futiles. C ette déclaration de guerrea fait l'effet d'un coup de foudre dans un ciel serein, car il n'y
avait plus aucun nuage à l'horizon. On a cru que les Français,
dans leur incorrigible vanité, voulaientse battre à tout hasard,
et que, bien que par le retrait de la candidature Hohenzollern
on leur eût présenté une joue, ils exigeaient qu'on leur pré-
sentât l'autre. Il est lamentable de penser que la responsabilité
DU PLUS GRAND CRIME DE L'HISTOIRE ait été si longtemps
déplacée. »
Entre cent autres, un journal allemand, la Germania, pro-
testa pareillement dans un article intitulé : « Pauvre Aile-
300"
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
magne ! » et où on lit notamment : « Les bons Allemands
sont allés se battre animés de la conviction qu'il s'agissaitd'une guerre sainte de défense patriotique contre une attaquefrivole et injustifiée des Français, et qu'ils défendaient l'hon-
neur du roi Guillaume grossièrement insulté par la France.
Et tous ces bons Allemands n'étaient que des marionnettes
entre les mains de Bismarck, entre les mains de l'homme de
fer et de sang dont la politique n'admet aucun frein moral ! »
N'importe ! n'oublions pas que, pour l'instant, nous sommes
toujours à la date du 13 juillet 1870, et que ce soir-là personneau monde ne soupçonnait ce qui venait de se passer entre
Bismarck et ses deux complices, de Roon et de Moltke.
A l'heure où nous nous trouvons encore, le silence d'ailleurs
sera bien gardé, et longtemps. Le roi Guillaume ignoreralui-même la vérité, au point qu'il pourra, le 17 juillet 1870,deux jours après la déclaration de guerre, écrire à sa femme,
la reine Augusta : « L'anecdote que l'on essaie de répandre« d'une circulaire prussienne qui aurait provoqué la décla-
« ration de guerre est impayable, attendu qu'une circulaire
« de ce genre n'a jamais existé ! »
Au surplus, ainsi que nous l'avons narré plus haut, le
roi de Prusse venait de quitter Ems, le 14 juillet, sur les
instances de son ministère pour se rendre à Berlin ; mais à la
gare d'Ems, il avait vu M. Benedetti, lui avait causé d'un ton
aimable et ne l'avait quitté qu'en lui serrant amicalement la
main.
Un télégramme de M. Benedetti à M. de Gramont en fait
foi. Le voici : „
« Ems, 14 juillet 1870, 3 h. 45 du soir.
« Je viens de voir le roi à la gare, il s'est borné à me dire
qu'il n'a plus rien à me communiquer et que les négociations
qui pourraient être encore poursuivies seraient continuées
par son gouvernement. »
Eh bien ! l'on en conviendra : ce n'est pas ainsi qu'on
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3oi
traite quelqu'un que l'on a brutalement jeté à la porte et
qu'on ne veut plus revoir.
La vérité est que le souverain estimait les garantiesdonnées par lui comme présentement satisfaisantes et n'in-
terdisait pas, au contraire, de reprendre officiellement les
pourparlers avec son gouvernement pour fixer et réglerl'avenir dans un esprit pacifique.
Hélas ! à cette heure même, la note circulaire, machiavéli-
quement façonnée par Bismarck, commençait déjà à pro-duire son effet et n'allait pas tarder à rendre les hostilités
inévitables.
LA COLERE DE PARIS
Le 14 juillet, vers midi et demi, Napoléon III arrivait de
Saint-Cloud pour assister au Conseil des ministres, qui devaitse tenir à Paris, aux Tuileries.
Sur son passage, l'Empereur avait croisé, dans les rues, de
nombreux groupes qui, le reconnaissant, criaient : « Vive la
guerre ! A Berlin ! A Berlin ! »
C'est qu'en effet venait déjà de percer dans le public la nou-
velle que notre ambassadeur en Prusse, M. Benedetti, avait été
mis à la porte, la veille, par le roi Guillaume, ainsi que, dès
le 13 au soir, l'avait fait publier Bismarck en un communiqué
gouvernemental publié dans tous les journaux officieux de
Berlin, notamment dans la Gazette de l'Allemagne du Nord.Dès l'ouverture de la séance du Conseil, M. de Gramont
confirma cette nouvelle et déclara que cette publication
injurieuse avait un caractère officiel indubitable. On délibéra
longtemps sur ce point, mais l'on eut beau retourner dans
tous les sens la note visée, l'on n'arriva pas à lui faire dire
autre chose que ce qu'elle disait et qui était assez explicite :
«.Sa Majesté le roi (de Prusse) a décidé que désormais il
302 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
s'abstiendrait de recevoir l'ambassadeur (de France) et a fait
dire par l'aide de camp de service qu'il n'avait plus rien ànotifier à l'ambassadeur. »
C'était donc la rupture — la rupture voulue, décidée,
perpétrée par la Prusse.
On ne pouvait décemment répondre à cette insolente pro-vocation que par une déclaration de guerre.
L'Empereur était navré. Certes, il savait bien que M. de
Bismarck désirait coûte que coûte un conflit sanglant, maisil avait espéré éviter celui-ci et était encore certain, la veille,
d'y avoir réussi, parle retrait pur et simple de la candidature
Hohenzollern au trône d'Espagne.Il avait cru jusqu'alors — et ne croyait pas s'être trompé —
aux intentions sincèrement pacifiques du roi Guillaume,
opposé sur ce point aux velléités belliqueuses de son chance-
lier ; mais, à présent, il fallait bien se rendre à l'évidence, la
note parue dans la Gazette de l'Allemagne du Nord le prou-vait : le roi de Prusse lui-même cherchait la guerre, puis-
qu'alors que tout semblait arrangé, le monarque avait usé
d'un procédé inqualifiable à l'égard de notre représentant
auprès de lui.
Au surplus, les nouvelles arrivaient d'heure en heure, de
source sûre, et montraient que toute la population berlinoise,surexcitée à son tour, manifestait bruyamment en faveur des
hostilités.
Aussi, Napoléon III n'eut-il aucun argument à faire valoir,
lorsque les ministres parlementaires lui parlèrent de convo-
quer immédiatement les réserves.
Si l'on ne prenait pas cette mesure urgente, tout Paris
frémissant se soulèverait et l'indignation déferlerait sur la
France entière. Les journaux ameuteraient à coup sûr l'opi-nion qui, même, n'aurait pas besoin de cet appel unanime
pour vouer aux gémonies un gouvernement assez lâche pourne pas répondre au soufflet retentissant qu'il avait reçu.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3o3
A quatre heures de l'après-midi, le rappel était décrété ;le maréchal Le Boeuf, que M. Emile Ollivier avait choisi pourcollaborateur en qualité de ministre de la guerre, ne parta-geait d'ailleurs pas le sentiment de l'Empereur au sujet denotre armée : le maréchal était convaincu que celle-ci était
prête et qu'il ne lui manquait même pas « un bouton de
guêtre ».
A quatre heures quarante, M. Le Boeuf se rendait à son
ministère pour donner les ordres que comportait la situation.Le Conseil n'en continua pas moins à délibérer.
Il importait, en effet, d'arrêter les termes de la déclaration
gouvernementale qui serait lue, le lendemain, 15 juillet, à la
séance du Corps Législatif, lequel aurait, lui, à voter sur le
point de savoir si, oui ou non, il fallait déclarer la guerre,
puisque la nouvelle Constitution donnait la prépondéranceà l'Assemblée parlementaire.
Tous les ministres furent unanimes à affirmer que si la
déclaration n'était pas vigoureuse et explicite, l'Assemblée,
répondant au sentiment général, balaierait un cabinet pusil-lanime, pour lui en substituer un autre plus apte à défendre
l'honneur et les intérêts du pays.Ce fait n'était pas douteux ! Cependant l'idée fut émise par
M. Louvet, ministre du commerce et de l'agriculture, qu'un
Congrès européen convoqué d'urgence pourrait peut-êtresolutionner la question, donner tort à la Prusse et éviter
ainsi une effusion de sang...
Napoléon III saisit la balle au bond et évoqua aussitôt
l'affaire du Luxembourg. Il rappela comment la conférence
de Londres avait, alors, résolu le problème à notre bénéfice,en obligeant la Prusse à évacuer la forteresse du grandduché. A son avis, en l'occurrence présente, les puissances,une fois nos doléances soumises et nos griefs exposés, ne
pourraient pas ne pas donner tort à la Prusse. Et ce serait la
paix : la paix préférable à tout le reste, la paix avec l'honneur
304 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
national sauf, avec la juste punition infligée par l'univers
entier à notre trop arrogante voisine.
Aussitôt, l'Empereur donna l'ordre formel à M. Emile
'Ollivier d'écrire immédiatement un projet dans ce sens et de
se rendre sur l'heure, lui, au Corps Législatif, et un de ses
collègues, au Sénat, pour y déclarer que le retrait de la can-
didature Hohenzollern nous ayant, d'une part, donné satis-
faction et que, d'autre part, un fait nouveau s'étant produit
par suite de l'attitude inadmissible de la Prusse, il convenait
de rendre l'Europe juge de procédés mettant en danger la
paix universelle.
« L'Empereur — raconte M. Emile Ollivier (1) — l'Empe-reur eût voulu que nous lussions immédiatement ce projetaux Chambres ; mais, il était trop tard : ni le Sénat, ni le
Corps Législatif ne devaient plus être en séance ; de plus,nous étions épuisés, hors d'état d'affronter le déchaînement
qui nous eût accueillis. Nous remîmes notre communication
au lendemain (2). Néanmoins, avant de quitter les Tuileries,
l'Empereur écrivit à Le Boeuf un billet qui, sans contenir
l'ordre de ne pas rappeler les réserves, laissait percer quelquesdoutes sur l'urgence de cette mesure. »
Le Conseil des ministres prit fin là-dessus.
Il est certain que si, à ce moment là, l'opinion publique, à
Paris, n'avait pas vu « rouge » ; si la presse n'avait pas con-
tribué à la mettre en ébullition ; si le ministère avait conservé
un sang-froid égal à celui de l'Empereur ; si les députéssurtout n'avaient pas cédé au mouvement de surenchère quecrée nécessairement le parlementarisme, par suite de son
irresponsabilité individuelle : l'idée pacifique de l'Empereureût de nouveau triomphé, comme elle avait déjà triomphé,
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 266.
(2) Quel singulier empressement de la part du singulier paci-fiste qu'était M. Emile Ollivier. (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3o5
les années précédentes, dans tant d'éventualités tout au
moins aussi redoutables !
Et, alors, qui sait?... Aux assises d'un Congrès européen,
peut-être l'évocation complète de l'affaire en suspens aurait-
elle permis, par l'étude approfondie de tous les documents
diplomatiques, de mettre en lumière le crime de faux commis
par Bismarck, dans des conditions telles que la carrière de
celui-ci eût été sur le champ terminée.
Mais, Bismarck avait compté, avec raison, sur tous les
facteurs qui immobiliseraient toute action dilatoire de Napo-léon III, précipiteraient les événements et rendraient la
guerre inévitable.
Le fait est que, le 14 juillet au soir, tout Paris fut secoué
par une colère indescriptible. En cet anniversaire de la prisedelà Bastille, toute la capitale, depuis les boulevards jusqu'aux
faubourgs, clamait la Marseillaise :
Aux armes, citoyens. Formez vos bataillons!
Marchons 1 Marchons !
Qu'un sang impur abreuve nos sillons !
Aussi, combien apparaît petite, mesquine, basse, cette
affirmation mensongère apportée en 1872 par Claretie (1) :
« La police impériale, d'ordinaire si vigilante et si impla-
cable, laissait des émeutes belliqueuses envahir les rues,
rouler leur flot hurlant sur les boulevards, promener des
drapeaux escortés par les blouses blanches et crier : « Vive
la guerre !» et « A Berlin I » jusque sous les fenêtres de
l'ambassade prussienne. »
Et, celle-ci, encore, d'Henri Martin (2) :
« Il y avait eu, le soir, grande agitation dans Paris. Des
(1) JULES CLARETIE. — Histoire de la Révolution de 1870-71,
page 106.
(2) HENRI MARTIN. — Histoire de Franeepopulaire, tome VII,page 158.
20
3o6 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
bandes couraient les boulevards en criant : « A Berlin ! » Ce
n'était pas les républicains qui les avaient suscitées. La partie
de la population qui est toujours disposée au bruit, suivait
les instigateurs, et ceux-ci venaient, selon toute appa-rence {sic), d'où étaient venues les blouses blanches. »
Ainsi, d'après MM. Jules Claretie et Henri Martin, ce ne
fut pas M. de Bismarck le provocateur de la guerre, mais
l'Empire, autant dire l'Empereur ???
Ah I combien l'on a raison de dire que Napoléon III a été
et demeure le grand Calomnié !
Non ! tout Paris au contraire se souleva à l'annonce de
l'injure irrémissible que nous faisait la Prusse, ou plutôt quesemblait nous faire la Prusse, puisque Bismarck avait eu
l'infernale habileté de lancer à travers le monde, aux endroits
voulus, une dépêche permettant d'induire que notre ambas-
sadeur avait été éconduit dans des conditions inadmissibles
chez les peuples civilisés.
Tout Paris se souleva, d'abord, parce que cela fut ; ensuite,
parce que l'idée de patrie commande que chacun des citoyensrelève l'insulte faite à la collectivité à laquelle ,il appartient ;
et que Paris, enfin, fut toujours patriote !
Au demeurant, la Liberté écrivait, le lendemain :
« Paris a fait, hier soir, sa déclaration de guerre à la
Prusse. Paris a répondu par la Marseillaise au nouveau défi
de M. de Bismarck. »
Un organe d'extrême-gauche, l'Opinion Nationale, s'expri-mait ainsi :
« Nous, républicains, démocrates, socialistes, citoyens de
la patrie idéale, rentrons dans la patrie réelle, et soutenons-la
dans sa lutte, sans nous inquiéter des hommes et des choses
qui nous divisent. Trêve, pour le moment, à nos luttes intes-
tines ! >
UUnivers affirmait le surlendemain :
« La guerre où nous entrons n'est pour la France ni
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 30J
l'oeuvre d'un parti, ni l'aventure imposée par le souverain.
La nation s'y donne de bon coeur.
« Ce n'est pas l'empereur Napoléon III qui, de son chef,déclare la guerre actuelle. C'est nous qui lui avons forcé la
main. »
L'organe royaliste, la Gazelle de France, surenchérissait :
« La France possède une armée admirable de bravoure et
de discipline. Elle a prouvé sa supériorité en trop de circons-
tances pour que l'on n'ait pas, dans l'issue de la campagne,la plus grande confiance. »
A son retour à Saint-Cloud, l'Empereur trouva tout le
monde d'accord contre son « pacifisme outrancier ». L'Im-
pératrice (1) elle-même, au courant des manifestations de la
(1) L'expression « C'est ma guerre ! » attribuée à l'Impératriceest absolument fausse. L'Impératrice, pas plus que l'Empereur,n'avait intérêt à nous lancer dans une aventure hasardeuse. Le
plébiscite du 8 mai 1870 avait été plus que suffisant, en effet,pour consolider le régime de Souveraineté Nationale.
La guerre ? L^Empire avait tout à y perdre et rien à y gagner.Du reste, le docteur Evans (dans ses Mémoires, page 148) donne
la primeur de ce Mémorandum écrit de la main même de l'Im-
pératrice, au lendemain du 4 septembre 1870 :« On dit — écrivait à cette époque l'impératrice Eugénie —
on dit que la guerre a été désirée et faite dans un intérêt dynas-tique. Il ne faut que du sens commun pour prouver le contraire.Le plébiscite avait donné une grande force à l'Empereur ; la
guerre ne pouvait rien ajouter ; heureuse, elle eût donné de la
gloire sans doute, mais malheureuse, elle pouvait renverser la
dynastie. Quel homme sensé jouerait ainsi l'existence de son
pays et la sienne propre à pile ou face i Non, la guerre n'a éténi désirée, ni cherchée par l'Empereur, elle a été subie. Aprèsles réformes du 2 janvier (1870), les partis avaient acquis enFrance une force nouvelle ; ils ont poussé à la guerre, par des
manifestations et par la presse, depuis 1866. L'opposition n'a
jamais cessé de dire à la France qu'elle était humiliée ; alors,l'influence personnelle de l'Empereur put seule éviter le conflit.
Mais, il fut débordé en 1870, n'ayant plus dans ses mains le
pouvoir. »
308 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
rue et des déclarations des journaux, fut obligée à son tour
de convenir qu'il était impossible de remonter le courant :
l'injure apparaissait telle qu'une réparation prompte et écla-
tante s'imposait.
L'Empereur parvint, malgré tout, à contenir tout le monde
à un point tel qu'au nouveau Conseil des ministres qui se
tint dans la soirée, jusqu'à une heure avancée de la nuit, à
Saint-Cloud, on ne prit aucune décision définitive.
LA DECLARATION
Un nouveau Conseil des ministres eut lieu, le 15 juillet, à
neuf heures du matin, à Saint-Cloud.
Là, M. de Gramont donna lecture d'un projet de déclara-
tion, à présenter au Sénat et au Corps Législatif.Personne n'y fit d'opposition, parce qu'on ne pouvait rai-
sonnablement en faire et que cette déclaration ne constituait
en définitive qu'une réponse énergique à la provocation de
la Prusse.
Néanmoins, après le Conseil, à l'heure où les ministres se
rendaient au Corps Législatif, Napoléon III, fidèle à la
tactique qui lui avait si bien réussi avec MM. Olozaga et Strat
auprès du prince Antoine de Hohenzollern, s'efforça de
trouver un intermédiaire pour nous assurer une paix hono-
rable et déjouer les machinations de nos ennemis.
M. Emile Ollivier est encore obligé d'enregistrer ce fait.
« Tandis que nous nous rendions au Corps Législatif —
écrit-il (1)— l'Empereur recevait Witzhum, le ministre au-
trichien à Bruxelles, en route vers Vienne, et lui demandait
d'obtenir de son souverain qu'il prît l'initiative d'un Congrès,afin d'éviter la guerre. »
(1) EMILE OLLIVIER. — Philosophie d'une guerre, page 281.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3oO,
Mais, hélas I il fallait maintenant compter avec les parle-mentaires...
La Chambre des députés était au grand complet. Les tri-
bunes diplomatiques, de la presse et du public se trouvaient
archicombles. M. Schneider occupait le fauteuil de la prési-
dence, et un grand silence se fit lorsque, dès l'ouverture de
la séance, il donna la parole à M. Emile Ollivier.
« M. SCHNEIDER, président (1). — La parole est au gardedes sceaux. (Mouvement général d'attention.)
« M. OLLIVIER, garde des sceaux, ministre de la justice. —
Messieurs, mon honorable collègue et ami,. M. le duc de
Gramont, étant retenu au Sénat, je vais avoir l'honneur
de donner connaissance à la Chambre de l'exposé qui a été
délibéré par le conseil des ministres. (Profond silence.)« Messieurs, la mavière dont vous avez accueilli notre
déclaration du 6 juillet, nous ayant donné la certitude quevous approuviez notre politique et que nous pouvions
compter sur votre appui, nous avons aussitôt commencé des
négociations avec les puissances étrangères pour obtenir
leurs bons offices ; avec la Prusse, afin qu'elle reconnût la
légitimité de nos griefs.« Dans ces négociations, nous n'avons rien demandé à
l'Espagne, dont nous ne voulions ni éveiller les suscep-
tibilités, ni froisser l'indépendance ; nous n'avons pas agi
auprès du prince de Hohenzollern (2) que nous considérons
comme couvert par le roi ; nous avons également refusé de
mêler à notre discussion aucune récrimination ou de la faire
sortir de l'objet même dans lequel nous l'avions renfermée
dès le début.
(ij Compte-rendu sténographique officiel.
(2) Voici l'aveu que les ministres ignoraient le fin mot des négo-ciations personnelles, si heureuses, qu'avait fait aboutir Napo-léon III par l'intermédiaire de M. Strat. (N. de l'A.)
310 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« La plupart des puissances étrangères ont été pleines
d'empressement à nous répondre, et elles ont, avec plus ou
moins de chaleur, admis la justice de notre réclamation.
« Le ministre des affaires étrangères prussien nous a
opposé une fin de non-recevoir en prétendant qu'il ignoraitl'affaire et que le cabinet de Berlin y était resté étranger.
{Rumeurs sur divers bancs. — Silence 1silence !)« Nous avons dû alors nous adresser au roi lui-même et
nous avons donné à notre ambassadeur l'ordre de se rendre
à Ems, auprès de Sa Majesté. Tout en reconnaissant qu'ilavait autorisé le prince de Hohenzollern à accepter la candi-
dature qui lui avait été offerte, le roi de Prusse a soutenu
qu'il était resté étranger aux négociations poursuivies entre
le gouvernement espagnol et le prince de Hohenzollern ;
qu'il n'y était intervenu que comme chef de famille et nulle-
ment comme souverain, et qu'il n'avait ni réuni, ni consulté
le conseil de ses ministres. Sa Majesté a reconnu cependant
qu'elle avait informé le comte de Bismarck de ces divers
incidents.
« Nous ne pouvions considérer ces réponses comme satis-
faisantes; nous n'avons pu admettre cette distinction subtile
entre le souverain et le chef de famille et nous avons insisté
pour que le roi conseillât et imposât au besoin au prince
Léopold une renonciation à sa candidature. Pendant quenous discutions avec la Prusse, le désistement du prince
Léopold nous vint du côté d'où nous ne l'attendions pas, et
nous fut remis, le 12 juillet, par l'ambassadeur d'Espagne.« Le roi ayant voulu y rester étranger, nous lui deman-
dâmes de s'y associer et de déclarer que si, par un de ces
revirements toujours possibles dans un pays sortant d'une
révolution, la couronne était de nouveau offerte par l'Es-
pagne au prince Léopold, il ne l'autoriserait plus à l'accepterafin que le débat pût être considéré comme définitivement
clos.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3ll
« Notre demande était modérée, les termes dans lesquelsnous l'exprimions ne l'étaient pas moins : « Dites bien au roi,écrivions-nous au comte Benedetti, le 12 juillet, à minuit,
que nous n'avons aucune arrière-pensée, que nous ne cher-
chons pas un prétexte de guerre, et que nous ne demandons
qu'à résoudre honorablement une difficulté que nous n'avons
pas créée nous-mêmes. »
« Le roi consentit à approuver la renonciation du prince
Léopôld, mais il refusa de déclarer qu'il n'autoriserait plus à
l'avenir le renouvellement de cette candidature.« J'ai demandé au roi, nous écrivait M. Benedetti, le
« 13 juillet, à minuit, de vouloir bien me permettre de vous« annoncer, en son nom, que si le prince de Hohenzollern
« revenait à son projet, Sa Majesté interposerait son autorité« et y mettrait obstacle. Le roi a absolument refusé de« m'autoriser à vous transmettre une semblable déclaration.« J'ai vivement insisté, mais sans réussir à modifier les dispo-« sitions de Sa Majesté. Le roi a terminé notre entretien en« disant qu'il ne pouvait, ni ne voulait prendre un pareil« engagement, et qu'il devait, pour cette éventualité, comme« pour toute autre, se réserver la faculté de consulter les« circonstances. »
« Quoique ce refus nous parût injustifiable, notre désir de
conserver à l'Europe les bienfaits de la paix était tel, quenous ne rompions pas nos négociations et que, malgré notre
impatience légitime, craignant qu'une discussion ne les
entravât, nous vous avons demandé d'ajourner nos expli-cations.
« Aussi, notre surprise a-t-elle été profonde, lorsque, hier,nous avons appris que le roi de Prusse avait notifié par unaide de camp à notre ambassadeur qu'il ne le recevrait pluset que pour donner à ce refus un caractère non équivoque,son gouvernement l'avait communiqué officiellement auxcabinets d'Europe. (Mouvement.) Nous apprenions en même
3l2 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
temps que M. le baron de Werther avait reçu l'ordre de
prendre un congé, et que les armements s'opéraient en
Prusse.
« Dans ces circonstances, tenter davantage pour la conci-
liation, eut été un oubli de dignité et une imprudence ; nous
n'avons rien négligé pour éviter une guerre ; nous allons
nous préparer à celle qu'on nous offre, en laissant à chacun
la part de responsabilité qui lui revient. (Très bien ! — Bravo!
bravo ! — Applaudissements répétés. — Vive l'Empereur ! —
Vive la France !)« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Dès hier, nous avons rap-
pelé nos réserves, et avec votre concours nous allons prendre
immédiatement les mesures nécessaires pour sauvegarder les
intérêts, la sécurité et l'honneur de la France. (Nouveaux
bravos et applaudissements prolongés.) A raison des circons-
tances politiques, l'administration de la guerre devant être
en mesure de faire face à toute éventualité, nous demandons
un crédit de 50 millions (1) et nous demandons l'urgence.
( Très bien ! très bien ! — Aux voix ! aux voix l — Agitation.)« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —
Je consulte la Chambre
sur l'urgence.« M. ERNEST PICARD. — Je demande la parole. (L'agitation
se continue. M. Picard se rassied.)« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —Je consulte la Chambre sur
l'urgence.« Que ceux qui sont d'avis de voter l'urgence veuillent
bien se lever.
(Toute la Chambre, à l'exception d'un certain nombre de
membres à gauche, se lève.)« UN GRAND NOMBRE DE MEMBRES AU CENTRE ET A DROITE
(1) Le crédit de 50 millions demandé, —insuffisant, cela vasans dire, pour une pareille guerre, — était simplement spécifiépour le principe, afin de connaître le sentiment de la Chambre.
(N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3l3
s'adressant à la gauche : Levez-vous donc ! levez-vous donc !
(Protestations à gauche ! — De vives interpellations s'échangententre les membres siégeant aux extrémités de l'assemblée.)
« M. GIRAULT. — Nous serons les premiers à nous lever
pour une guerre nationale défendant la patrie ; nous ne vou-
lons pas nous lever pour une guerre dynastique (1) et agres-sive. (Bruit et rumeurs.)
« M. THIERS se lève pour parler.« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Que ceux qui sont d'un
avis contraire...
« M. THIERS. — Je demande la parole.« M. DUGUÉ DE LA FAUCONNERIE. — Je demande qu'on fasse
la contre-épreuve d'abord. (Oui! oui!)« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —
Je fais la contre-épreuve.
Que ceux qui sont d'un avis contraire veuillent bien se lever.
( Une partie de la gauche se lève. — Vives protestations au
centre et à droite. — De nouvelles interpellations sont adressées
par les membres de la majorité aux membres de la gauche quisont debout.)
« M. DUGUÉ DE LA FAUCONNERIE. — Ils sont seize !
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —L'urgence est déclarée.
(Mouvement prolongé.)« Maintenant, je demande à la Chambre de s'inspirer dans
la discussion de la gravité des circonstances au milieu des-
quelles nous nous trouvons. (Très bien !) Je ne connais pas,
quant à moi, de meilleur moyen de montrer sa force, son
caractère, de montrer la puissance du pays, que de conserver
le calme dans des conjonctures comme celles où nous sommes
(Marques nombreuses d'assentiment.)« La parole est à M. Thiers. (Mouvements divers.)« M. THIERS se lève pour parler.« Voix NOMBREUSES. — A la tribune ! à la tribune !
Cl) Textuel!!!
314 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Que la Chambre me per-
mette de lui redemander de nouveau de se maintenir par sa
modération à la hauteur de la situation présente. (Mouvements
divers.) Que chacun de nous se rappelle que le Corps Légis-
latif représente la France, et que notre pays est assez fort
pour envisager les conditions actuelles sans agitation, sans
émotion et avec le calme de la force. [Nouvelles et nombreuses
marques d'approbation.)« M. ERNEST PICARD. — Il faut délibérer avant de se pro-
noncer.
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — La parole est à M. Thiers.
« PLUSIEURS MEMBRES. — A la tribune ! à la tribune !
MM. THIERS ET EMILE OLLIVIER
« M. THIERS, de sa place. — Je remercie M. le Président
d'avoir rappelé à la Chambre la gravité des circonstances et
le calme qu'elles exigent.« Quant à moi, devant la manifestation qui vient d'être
faite, je veux dire pourquoi je ne me suis pas levé avec la
majorité de la Chambre. {Rumeurs. — Interruptions diverses).« Je crois aimer mon pays... (Rumeurs sur quelques bancs.
— Laissez parler !)« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Permettez-moi de vous le
dire encore, messieurs, nous sommes dans une de ces cir-
constances où l'on doit souhaiter que le pays soit unanime ;on nous regarde aujourd'hui de l'autre côté de la frontière et
ce n'est pas le moment d'avoir entre nous des dissidences de
•détail. ( Très bien ! très bien ! — Ecoutez l)« M. THIERS. — S'il y a eu un jour, une heure, où l'on
puisse dire sans exagération que l'histoire nous regarde : c'est
cette heure et cette journée, et il me semble que tout le
monde devrait y penser sérieusement.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3l5
« Quand la guerre sera déclarée, il n'y aura personne de
plus zélé, de plus empressé que moi à donner au Gouverne-
ment les moyens dont il aura besoin pour la rendre victo-
rieuse. {Très bien ! très bien ! à gauche.)« Ce n'est donc pas assaut de patriotisme que nous faisons
ici.
« Je soutiens que mon patriotisme est, non pas supérieur,mais égal à celui de tous ceux qui sont ici. {Approbation à
gauche.)
« De quoi s'agit-il ? De donner ou de refuser au Gouver-
nement les moyens qu'il demande ? Non, je proteste contre
cette pensée.« De quoi s'agit-il ? d'une déclaration de guerre faite à cette
tribune par le ministère et je m'exprime constitutionnelle-
ment, on le reconnaîtra. Eh bien, est-ce au MINISTÈRE, à lui
seul, de déclarer la guerre ? Ne devons-nous pas, nous aussi,
avoir la parole ? et avant de la prendre, ne nous faut-il pasun instant de réflexion ?... [Interruptions à droite.)
« M. JULES FAVRE. — Avant de mettre l'Europe en feu, on
ne réfléchit pas, nous l'avons bien vu. {Exclamations.)« M. THIERS. — Je vous ai dit que l'histoire nous regardait,
j'ajoute que la France aussi et le monde nous regardent. On
ne peut pas exagérer la gravité des circonstances, sachez quede la décision que vous allez émettre peut résulter la mort de
milliers d'hommes. {Exclamations au centre et à droite. — Très
bien ! à gauche. — Le bruit couvre la voix de l'orateur.)« M. GRANIER DE CASSAGNAC, — Nous le savons bien, nous
y avons nos enfants. {Mouvements divers.)« M. DE TILLANCOURT. — N'interrompez pas. Vous répon-
drez.
« M. THIERS. — Et si je vous demande un instant de
réflexion, c'est qu'en ce moment un souvenir assiège mon
esprit!... Avant de prendre une résolution aussi grave, une
résolution de laquelle dépendra, je le répète, le sort du pays
3l6 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
et de l'Europe, messieurs, rappelez-vous le 6 mai 1866. Vous
m'avez refusé la parole, alors que je vous signalais les dan-
gers qui se préparaient. (Approbation à gauche. — Exclama-
tions à droite.)
« Quand je vous montrais ce qui se préparait, vous m'avez
écouté un jour ; le lendemain, au jour décisif, vous avez
refusé de m'écouter. Il me semble que ce souvenir seul, ce
souvenir devrait vous arrêter un moment, et vous inspirer le
désir de m'écouter une minute sans m'interrompre. (Très
bien I à gauche. — Parlez l)« Laissez-moi vous dire une chose : Vous allez vous récrier,
mais je suis fort décidé à écouter vos murmures et, s'il le faut,
à les braver. (Oui l Très bien ! à gauche.)« Vous êtes comme vous étiez en 1866.
« A GAUCHE. — Oui ! oui ! c'est cela !
« M. THIERS. — Eh bien ! vous ne m'avez pas écouté alors,
et rappelez-vous ce qu'il en a coûté à la France !... (Rumeurs
au centre et à droite.)< M. LE MARQUIS DE PIRE. — Tâchez de ne pas être comme
vous avez été en 1848.
« M. LE COMTE DE LA TOUR. — En 1866, vous demandiez seu-
lement la neutralité, monsieur Thiers ; vous ne demandiez
pas autre chose.
« M. THIERS. — Cela est inexact... Mais aujourd'hui, la
demande principale qu'on adressait à la Prusse, celle qui
devait être la principale et que le ministère nous a assuré être
la seule, cette demande a reçu une réponse favorable. (Dénéga-
tions sur un grand nombre de bancs.)Vous ne me lasserez pas.« PLUSIEURS VOIX. — On vous écoute.
« M. LE COMTE DE KÉRATRY. —Je demande la parole.
« M. THIERS. —J'ai la certitude, la conscience au fond de
moi-même, de remplir un devoir difficile, celui de résister
à des passions patriotiques, si l'on veut, mais imprudentes.
(Allons donc!)
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3 17
« A GAUCHE. — Oui ! oui ! Très bien ! très bien !
M. THIERS. —Soyez convaincus que quand on a vécu qua-
rante ans... (interruptions) au milieu des agitations et des
vicissitudes politiques et qu'on remplit son devoir et qu'on
a la certitude de le remplir rien ne peut vous ébranler, rien,
pas même les outrages.« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —J'ai demandé tout à l'heure
à la majorité à la fois le calme et le silence, de façon à ce
qu'on entende. Je demande instamment que de ce côté (à
gauche) on n'interrompe pas l'orateur.
« A GAUCHE. — On applaudit, on n'interrompt pas.« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Vos applaudissements
empêchent l'orateur d'être entendu.
« M. GLAIS-BIZOIN. — Nous répondons aux murmures et
aux interruptions de là-bas.
M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —Je demande encore une fois
le plus complet silence, pour que notre discussion conserve
sa dignité. (Très bien! très bien !)
« M. THIERS. — Il me semble que, sur un sujet si grave, n'y
eût-il qu'un seul individu, le dernier dans le pays, s'il avait
un doute, vous devriez l'écouter; oui, n'y en eût-il qu'un,
mais je ne suis pas seul.
« M. LE MARQUIS DE PIRE. —Rappelez-vous donc, monsieur
Thiers, la noblesse énergique avec laquelle vous avez flétri les
défections législatives de 1815 et ne les imitez pas !
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — M. de Pire, veuillez ne pas
interrompre !
« M. THIERS. —Je serais seul... (interruptions) je serais
seul, que, pour la gravité du sujet, vous devriez m'entendre.
(Parlez!parlez !)
« M. COSSERAT. — Nous n'entendons pas ! Que l'orateur
veuille bien monter à la tribune ! (Oui ! oui !)« M. THIERS. — Eh! bien, messieurs, est-il vrai, oui ou non,
que sur le fond, c'est-à-dire sur la candidature du prince de
3l8 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Hohenzollern, votre réclamation a été écoutée, et qu'il y a
été fait droit? Est-il vrai que vous rompez sur une questionde susceptibilité très honorable, je le veux bien, mais vous
rompez sur une question de susceptibilité ? (Mouvement.)« Eh bien, messieurs, voulez-vous qu'on dise, voulez-vous
que l'Europe tout entière dise que le fond était accordé et
que pour une question de forme, vous vous êtes décidés à
verser des torrents de sang ! (Réclamations bruyantes à droite
et au centre. — Approbation à gauche.)« M. LE MARQUIS DE PIRE. — C'est tout le contraire !
« M. THIERS. — Prenez-en la responsabilité !...
« M. LE MARQUIS DE PIRE. — Oui ! oui!
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Monsieur de Pire, cessez,
je vous prie ; n'interrompez-pas avec cette animation. (Trèsbien I)
« M. THIERS. — Ici, messieurs, chacun de nous doit prendrela responsabilité qu'il croit pouvoir porter. »
Ce mot dit, tout le monde comprit que M. Thiers venait de
se poser comme successeur éventuel de M. Emile Ollivier au
ministère.
La discussion continua plus âpre :
« M. THIERS. — Quant à moi, soucieux de ma mémoire...
« M. BIROTTEAU. — Nous aussi I
« M. THIERS. — ... je ne voudrais pas qu'on puisse dire...
(interruptions) que j'ai pris la responsabilité d'une guerrefondée sur de tels motifs!...
« Le fond était accordé, et c'est pour un détail de forme quevous rompez. (Non ! non l —Si l si l)
« Vous me répondrez.« Je demande donc à la face du pays qu'on nous donne
connaissance des dépêches d'après lesquelles on a pris la
résolution qui vient de nous être annoncée; car il ne faut pasnous le dissimuler, c'est une déclaration de guerre. (Certaine-ment. — Mouvement prolongé.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3l9
« M. GRANIER DE CASSAGNAC. —Je le crois bien I
« M. THIERS. — Messieurs, je connais ce dont les hommes
sont capables sous l'empire de vives émotions. Pour moi, si
j'avais eu l'honneur de diriger, dans cette circonstance, les
destinées de mon pays... (nouvelles interruptions...) vous-
savez bien, par ma présence sur ces bancs, que ce n'est pas-un regret que j'exprime ; mais, je le répète, si j'avais été placé
dans cette circonstance douloureuse mais grande, j'aurais-
voulu ménager à mon pays quelques instants de réflexion
avant de prendre pour lui une résolution aussi grave.« M. BIROTTEAU. — Quand on est insulté, on n'a pas besoin
de réfléchir. (Très bien !)
M. THIERS. — Quant à moi, laissez-moi vous dire en deux
mots, pour vous expliquer et ma conduite et mon langage,laissez-moi vous dire que je regarde cette guerre comme
souverainement imprudente. Cette déclaration vous blesse,,
mais j'ai bien le droit d'avoir une opinion sur une question
pareille ; j'ai été affecté plus douloureusement que per-sonne des événements de 1866., plus que personne j'en désire
la réparation ; mais dans ma profonde conviction, et si j'osele dire, dans mon expérience, l'occasion est mal choisie.
(Interruption.)« QUELQUES MEMBRES A GAUCHE. — Oui !
« M. THIERS. — Sans aucun doute, la Prusse s'était mise
gravement dans son tort, très gravement. Depuis longtemps,en effet, elle nous disait qu'elle ne s'occupait que des affaires
de l'Allemagne, de la destinée de la patrie allemande, et nous
l'avons trouvée, tout à coup, sur les Pyrénées, préparant une
candidature que la France devait ou pouvait regarder comme
une offense à sa dignité et une entreprise contre ses intérêts^
(Très bien! très bien! au centre et à droite.)< Vous vous êtes adressés à l'Europe ; l'Europe, avec un
empressement qui l'honore elle-même, a voulu qu'il nous fût
fait droit sur le point essentiel, sur ce point en effet vous avez.
320 1870-71 — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
eu satisfaction ; la candidature du prince de Hohenzollern a
été retirée ...»
Sauf cette erreur de fait, attribuant à l'Europe ce qued'autres attribuaient à la Prusse et dont tout le mérite reve-
nait à Napoléon III, nous devons déclarer que M. Thiers
tenait de la sorte un langage de saine raison; car— ainsi quel'estimait lui-même l'Empereur — il importait de ne pas se
précipiter impulsivement, tête baissée, dans une aussi formi-
dable aventure.
Etait-il possible que la Prusse nous eût fait une aussi san-
glante injure que le croyaient le ministère, le parlement, la
presse, l'opinion ?... C'était à voir!
Eh ! oui, c'était à voir, comme le souhaitait l'empereur en
préconisant une conférence d'arbitrage.Voilà pourquoi, par souci d'impartialité absolue, nous qui
ne défendons, ici, que la Vérité, et qui l'avons prouvé en
critiquant M. Thiers (1) à propos de ses multiples interven-
tions contre la réorganisation de l'armée, en l8b7 : nous
tenons à dire que le même homme fut un des seuls à montrer
une attitude clairvoyante, à la séance du 15 juillet 1870, au
Corps Législatif.D'aucuns ont cru y trouver la preuve que M. Thiers — à la
suite d'indiscutables rapprochements avec Napoléon III — ne
fit, ce jour-là, que « donner des gages » en vue d'une succes-sion ministérielle possible.
L'appétence du pouvoir parlementaire n'est pas douteuse.
Mais, n'importe ! Quel que fût le mobile, M. Thiers agissaitainsi en patriote éclairé...
Serait-ce le cas du cabinet Emile Ollivier et de la Chambretoute entière ?
Nous le verrons plus loin !
(1) Se reporter au chap. II, page 72 et suiv., et au chap. III,page 178, du présent livre. (N. de l'A.)
CHAPITRE VI
L'homme au « coeur léger ». — Sauvons d'abord le minis-
tère ! — La Chambre vote les hostilités. — Les belligé-rants. — L'Empereur part pour l'armée. — Les héritiers
de Fouché et de Marmont. — L'encerclement de Sedan.
L'HOMME AU « COEUR LEGER »
A cette séance du 15 juillet 1870, la droite orléaniste de la
Chambre — qui voulait la guerre pour tomber l'Empire —
oublia que M. Thiers avait été son favori. Elle ne décoléra pasde le voir faire inconsciemment obstacle à ses projets.
Elle l'invectiva sans relâche,l'interrompit sans discontinuer,alors que celui-ci combattait l'urgence d'une déclaration de
guerre, en demandant en résumé, du haut de la tribune,'com-munication des documents diplomatiques sur lesquels basait
son opinion belliqueuse le ministère Emile Ollivier.
Néanmoins, M. Thiers put terminer son discours de la
façon suivante :
« M. THIERS. — Offensez-moi I Insultez-moi I... Je suis prêtà tout subir pour défendre le sang de mes concitoyens quevous êtes prêts à verser si imprudemment I
« M. LE GARDE DES SCEAUX.— Non ! Non 1
« M. THIERS. — Je souffre, croyez-le, d'avoir à parler ainsi.
21
322 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« M. LE MARQUIS DE PIRE. — C'est nous qui souffrons de
vous entendre ! (Exclamations diverses.)« M. THIERS. — Dans ma conviction, je vous le répète en
deux mots, car si je voulais vous le démontrer vous ne
m'écouteriez pas, vous choisissez mal l'occasion de la répa
ration que vous désirez et que je désire comme vous.
« M. GAMBETTA. —%-Très bien !
« M. THIERS. — Plein de ce sentiment, lorsque je vois que,
cédant à vos passions, vous ne voulez pas prendre un instant
de réflexion, que vous ne voulez pas demander la connais-
sance des dépêches sur lesquelles votre jugement pourrait
s'appuyer, je dis, messieurs, permettez-moi cette expression,
que vous ne remplissez pas dans toute leur étendue les devoirs
qui vous sont imposés.« M. LE BARON JÉRÔME DAVID. — Gardez vos leçons ; nous
les récusons.
« M. THIERS. — Dites ce que vous voudrez, mais il est bien
imprudent à vous de laisser soupçonner au pays que c'est
une résolution de parti que vous prenez aujourd'hui. (Vives
et nombreuses réclamations.)
« Je suis prêt à voter au Gouvernement tous les moyens
nécessaires quand la guerre sera définitivement déclarée,
mais je désire connaître les dépêches sur lesquelles on fonde
cette déclaration de guerre. La Chambre fera ce qu'elle vou-
dra; je m'attends à ce qu'elle va faire, mais je décline, quant
à moi, la responsabilité d'une guerre aussi peu justifiée.
(Vive approbation et applaudissements sur plusieurs bancs.)
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — La parole est à M. le Garde
des Sceaux.
M. EMILE OLLIVIER, garde des sceaux, minisire de la justice et
des cultes. — Messieurs, plus un courant d'opinions est una-
nime et violent, plus il y a de grandeur d'âme, quand on le
croit erroné, à se mettre en sa présence et tenter de l'arrêter
en disant ce qu'on croit la vérité. (Assentiment.)
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 323
« Aussi, après avoir écouté respectueusement l'honorable
M. Thiers selon mon habitude, n'aurais-je pas demandé la
parole pour lui répondre, si dans son discours il n'y avait des
appréciations que je ne puis accepter.« Nous aussi, messieurs, nous avons le sentiment de notre
devoir; nous aussi, nous savons que cette journée est grave,et que chacun de ceux qui ont contribué dans une mesure
quelconque à la décision qui va être adoptée contractent
devant leur pays et devant l'histoire une grave responsabilité.« M. EMMANUEL ARAGO. —
Je demande la parole. {Exclama-
tions.)« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Nous aussi pendant les huit
heures de délibération que nous avons eues hier, nous avons
constamment pensé à ce qu'il y avait d'amer, de douloureux,
à donner dans notre siècle, dans notre temps, le signal d'une
rencontre sanglante entre deux grands Etats civilisés.
« Nous aussi, nous déclarons coupables ceux qui obéissent
à des passions de partis, à des mouvements irréfléchis, enga-
geant leur pays dans des aventures.
« Nous aussi, nous croyons queles guerres mutiles sont des
guerres criminelles, et si, l'âme désolée, nous nous décidons
à cette guerre, à laquelle la Prusse nous appelle, c'est qu'il
n'en fut jamais de plus nécessaire. {Vives et nombreuses
marques d'approbation.)
« M. JULES FAVRE. — Je demande la parole.
« M. GLAIS-BIZOIN. — Elle n'est pas nécessaire ! {Laissez
donc parler !)
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Nous le déclarons ici solen-
nellement : aucun des membres du ministère n'a cherché une
occasion de faire la guerre. Nous n'avons pas délibéré pour
savoir si le moment était opportun ou inopportun pour
assaillir la Prusse, nous ne voulions assaillir ni l'Allemagne,
ni la Prusse ; nous nous sommes trouvés en présence d'un
affront que nous ne pouvions pas supporter, en présence
324 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
d'une menace qui, si nous l'avions laissée se réaliser, nous
eût fait descendre au dernier rang des Etats. (Très bien ! très
bien! C'est vrai /) Nous avons relevé l'affront et nous avons
pris nos précautions contre la menace. (Très bien ! très bien !— Bravos et applaudissements.)
« Dans la négociation, nous avons été au début décisifs et
rapides, parce que si nous avions perdu une minute, nous
nous fussions trouvés en présence d'un fait accompli, et,
qu'étant obligés de faire la guerre, nous eussions eu à nos
pieds le boulet qu'on voulait y mettre, l'Espagne prussienne.« Ce premier moment passé, nous avons été modérés,
patients, conciliants, équitables. Si on nous avait accordé
une satisfaction réelle, nous eussions accueilli cette satisfac-
tion avec joie ; mais cette satisfaction nous a été refusée.
« Le roi de Prusse, il faut que l'histoire ne l'oublie pas, a
constamment refusé d'intervenir pour amener ou faciliter la
renonciation du prince de Hohenzollern. Quand elle a été
obtenue, il a affecté de s'y considérer comme étranger : et
quand enfin, voulant obtenir des assurances pour l'avenir,nous lui avons dit dans les formes les plus respectueuses :
« Déclarez-nous que cette renonciation est définitive », com-
ment s'est conduit le roi de Prusse ?
« Il nous a refusé.
« Est-ce nous qui nous sommes montrés susceptibles ?
Est-ce nous qui nous sommes emportés en face d'une
réponse négative ? Non, non.
« Nous sommes venus ici et malgré les impatiences du
dedans et les impatiences du dehors, et quoiqu'on com-
mençât de dire que nous étions le ministère de la lâcheté et
de la honte, nous avons continué à négocier, et l'honorable
M. Thiers a tort de l'oublier ; au milieu de ces négociations,nous avons appris que, dans toute l'Europe, les représentants
prussiens annonçaient ou faisaient annoncer dans les jour-
naux, que le roi de Prusse avait envoyé un aide de camp à
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 325
notre ambassadeur pour lui déclarer qu'il refusait de le
recevoir. (Bravos et applaudissements au centre et à droite. —
Interruptions à gauche.)
« M. JULES FAVRE. —Communiquez-nous la dépêche.
« M. LE MARQUIS D'ANDELARRE. — Il faut qu'on nous com-
munique la dépêche pour que nous puissions nous prononcer
en connaissance de cause. (Exclamations.)« M. LE GARDE DES SCEAUX. — L'honorable M. Thiers a
appelé ce sentiment de la susceptibilité. Je n'ai pas reconnu
dans cette expression la justesse ordinaire de son langage.
Ce n'est pas de la susceptibilité qu'il fallait dire, c'est de
l'honneur, et, en France, la sauvegarde de l'honneur est le
premier des intérêts. (Vive approbation au centre et à droite.)
« On nous demande des communications de dépêches ;
ces communications sont faites...
« Nous les avons mises dans notre exposé... (Interruptions.)« M. JULES FAVRE. — C'est exactement comme pour le
Mexique ; on disait cela aussi et on nous a indignement
trompés. (Vives réclamations. — Très bien ! s'ur quelques bancs
à gauche.)
« M. LE MARQUIS DE PIRE. — Vous êtes bien mal inspirés.
Vous ne pourrez plus rien reprocher aux émigrés.« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Nous n'avons reçu que des
dépêches confidentielles que les usages diplomatiques ne
permettent pas de communiquer. Nous en avons extrait tout
ce qui était utile à communiquer ; nous ne communiquerons
rien de plus... {Vivesréclamations à gauche.)
« M.JULES FAVRE. —C'est le gouvernement personnel de
Louis XIV ; il n'y a plus de pouvoir parlementaire.
« M. LE COMTE DE CHOISEUL, s''adressant à M. Emile Ollivier,
— Vous froissez la Chambre. (Bruit.) Nous protestons I
« M. GAMBETTA. — Monsieur le ministre, voulez-vous me
permettre une observation?
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Je vous écoute.
32Ô 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — M. Gambetta a la paroleavec l'autorisation de l'orateur.
« M. GAMBETTA. — Je vous demande pardon de vous inter-
rompre, mais il me semble que les paroles que vous venez de
prononcer à savoir que vous avez, dans le mémorandum dont
vous avez donné lecture à la tribune, exposé tout ce qu'il était
nécessaire à la Chambre de connaître, contiennent à la fois
un manque de véracité politique et une atteinte aux droits de
l'assemblée : ce que je demande à démontrer d'un mot. ( Très
bien ! à gauche.)« Vous dites,—et je n'entre pas dans lefond du débat,—vous
dites : Nous ne vous communiquerons rien de plus ; or, vous
faites reposer toute cette grave, cette effroyable question,
dont vous ne vous êtes pas dissimulé pendant huit jours les
conséquences redoutables pour l'ELirope et pour votre propre
responsabilité, vous la faites reposer sur une dépêche notifiée,
à votre insu, à tous les cabinets de l'Europe, par laquelle on
aurait mis votre ambassadeur hors des portes de la Prusse.
Eh bien, je dis que ce n'est pas par extraits, par allusions,
mais par une communication directe, authentique que vous
devez en saisir la Chambre; c'est une question d'honneur,
dites-vous, et il faut que nous sachions dans quels termes on
a osé parler à la France. (Vive approbation et applaudisse-ments sur quelques bancs de la gauche?)
« M. LE GARDE DES SCEAUX. —Je réponds à l'honorable
M. Gambetta. Il faut d'abord que je rectifie son assertion. Je
n'ai pas dit, et personne n'a dit, que l'ambassadeur de France
avait été chassé de la Prusse...
« M. GAMBETTA. —Je ne me suis pas servi de ces mots; je
parle une langue correcte. J'ai dit qu'on lui avait refusé les
portes du roi de Prusse.
« UN MEMBRE. — Voici vos propres paroles. Vous avez dit :
« Notre ambassadeur aurait été mis hors des portes de la
« Prusse. » (Oui! ouiI C'est vrai.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 327
« M. LE GARDE DES SCEAUX. —j'ai dit, — car en pareille
matière, il faut toujours énoncer la vérité mathématiquement— j'ai dit que le roi de Prusse avait refusé de recevoir notre
ambassadeur et que, pour que cette décision ne parût pas, ce
qu'elle aurait pu être en effet, un acte sans conséquence, pour
que son caractère ne fût pas équivoque, son gouvernementavait officiellement communiqué cette décision aux cabinets
de l'Europe : ce qu'il ne fait pas, assurément, pour toutes les
audiences qu'il refuse aux ambassadeurs.
« J'ai entre les mains les dépêches de deux de nos agents,dont je ne puis citer les noms, car, le lendemain, ils seraient
obligés de quitter les cours auprès desquelles ils sont accré-
dités. Ces deux dépêches nous apprennent le langage queM. de Bismarck tient auprès de tous les cabinets de l'Europe.
« Voici la première : « On m'a communiqué ce matin un« télégramme du comte de Bismarck annonçant le refus du« roi Guillaume de s'engager comme roi de Prusse à ne plus« jamais donner son consentement à la candidature du prince« de Hohenzollern, s'il en était de nouveau question, et le« refus également du roi, suite de cette demande, de recevoir« notre ambassadeur. » (Mouvement.)
« La Chambre doit savoir qu'aucun de ceux qui sont assissur ces bancs ministériels n'a jamais affirmé sciemment un
fait qui ne fût pas vrai. [Oui ! oui I Très bien l)« Je lis une autre dépêche :
« Je crois devoir vous transmettre la copie à peu près tex-« tuelle de la dépêche télégraphiée par M. Bismarck : « Après€ que la renonciation du prince Hohenzollern a été commu-« niquée officiellement au gouvernement français par le gou-« vernement espagnol, l'ambassadeur de France a demandé à« S. M. le roi, à Ems, de l'autoriser de télégraphier à Paris« que Sa Majesté s'engageait à refuser à tout jamais son con-« sentement, si les princes de Hohenzollern revenaient sur« leur détermination. Sa Majesté a refusé de recevoir de nou-
328 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« veau l'ambassadeur et lui a fait dire par un aide de camp« qu'elle n'avait pas de communication ultérieure à lui faire. »
(Mouvement prolongé.)« Cette nouvelle du refus de recevoir notre ambassadeur
n'a pas été dite à l'oreille des ministres : on l'a répandue dans
l'Allemagne entière, les journaux officieux l'ont reproduite
dans des suppléments. Les ministres prussiens, partout, l'ont
annoncée à leurs collègues : c'est le bruit de l'Europe. En
même temps, le baron de Werther (ambassadeur de Prusse à
Paris) recevait un congé. Dans la nuit du 13 au 14 les mesures
commençaient en Prusse. Est-ce que nous devions supportertout cela? Est-ce qu'à de tels actes nous devions répondre par
l'abstention et le silence ? Je ne comprends pas ainsi le devoir
d'un gouvernement. (Très bien! très bien !)
« M. LE BARON DE BENOIST. — Vous auriez dû commencer
plus tôt !
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Eh ! messieurs, il s'est passéun mouvement qui explique cette propagation d'une nou-
velle blessante pour la France. Le roi de Prusse a trop de
bon sens pour ne pas comprendre que la demande de la
France tendant à empêcher un prince prussien de monter sur
le trône d'Espagne était pleinement justifiée. Seulement, il
était troublé et retenu par la crainte de froisser le sentiment
de son entourage militaire.
« M. JULES FAVRE. — Je demande la parole.« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Et son langage a toujours été
le même : « Je ne veux pas intervenir, je neveux pas insister
auprès du prince de Hohenzollern. Qu'il refuse s'il veut, jene m'y opposerai pas; mais je ne l'engagerai pas à lefaire. »
« Quand cette renonciation du prince Hohenzollern a été
connue en Prusse, elle a occasionné un mouvement très vif
de mécontentement dans le parti féodal; et c'est pour con-
jurer et apaiser ce mouvement de mécontentement qu'au lieu
de terminer heureusement une négociation...
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 32G>
« M. TIIIERS. —Je demande la parole.
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — ... une négociation dont rien
de notre part ne gênait l'issue heureuse, on a eu recours à ce
coup de théâtre que, pour notre part, nous n'acceptons
pas...
« UN MEMBRE A DROITE. — Et vous avez raison !
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Oui, de ce jour, commence
pour les ministres, mes collègues et pour moi, une grande
responsabilité... Nous L'ACCEPTONS, LE COEURLÉGER !...»
SAUVONS D'ABORD LE MINISTERE !
M. Emile Ollivier, garde des sceaux, n'eut pas plutôt lancé,
au nom du cabinet parlementaire dont il était le chef, cette
phrase demeurée historique : « Le coeur léger ! » qu'un hour-
vari indescriptible éclata sur tous les bancs de la Chambre.
Dans une circonstance aussi tragique, il osait avoir le
« coeur léger », l'homme qui, deux ans et demi plus tôt —
alors que l'empereur Napoléon III demandait la réorganisa-
tion de l'armée — avait le cynisme de s'y opposer, en s'expri-
mant ainsi (1) : « Je ne suis pas de ceux qui veulent alléger et
« rendre facile la guerre (en réorganisant l'armée). Non ! je
« veux que la guerre ne puisse se faire sans entraîner une
« immense perturbation. Je veux qu'on ne puisse s'y préci-
se piter qu'en imposant des souffrances à un très grand
« nombre de citoyens ; je veux que la majeure partie de la
« nation soit compromise dans les aventures guerrières, je
« veux qu'elle en souffre, car je ne connais pas de moyen plus
(1) Se reporter au chapitre III, page 172, du présent livre.
(N. de l'A.)
330 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« efficace d'introduire, dans une société que l'état militaire
« ruine, l'esprit de conservation et de paix. » ?
Au tournant où la France en était arrivée à cette heure,
si M. Emile Ollivier n'avait dû compter que sur l'évocation de
ce souvenir récent pour se permettre d'affirmer la légèreté de
son coeur en face des responsabilités qui se préparaient, certai-
nement la majorité tout entière n'aurait pas suivi.
C'est qu'en effet l'application d'une pareille homéopa-thie pacifiste ne pouvait obtenir d'approbation complète
que dans le tiers-parti, c'est-à-dire chez les parlementairesliés aveuglément à la fortune et à la politique du cabinet.
Par malheur, le communiqué officiel envoyé aux chancelle-
ries par les soins de Bismarck — dans des conditions encore
insoupçonnables et insoupçonnées — mêlait fâcheusement le
froissement injustifié de notre amour-propre national à une
simple question d'incapacité ministérielle évidente.
Nous ne pouvions, à la vérité, laisser passer sans la relever
la_ provocation issue de l'inqualifiable injure faite à notre
ambassadeur et qui résultait des documents publiés par le
ministère prussien lui-même.
C'est pourquoi M. Emile Ollivier avait encore beau jeu
pour expliquer, séance tenante, son expression « le coeur
léger » et pour galvaniser non seulement la majorité, mais
bien plus la quasi-unanimité du Parlement françaisLa conséquence immédiate des criminelles tractations de
Bismarck fut donc, en cette circonstance, de permettre au
cabinet Ollivier, aux abois, d'établir une confusion scélérate
entre notre honneur national et la confiance qu'il réclamait
personnellement pour son maintien au pouvoir.Voilà comment toute la Chambre, ou presque, fut forcée
de s'engager dans la voie où le ministère lui demandait de le
suivre.
Dès que M. Emile Ollivier fut descendu de la tribune, le
maréchal Le Bceuf, ministre de la guerre, présentait deux pro-
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 331
jets de loi (i), le premier rappelant à l'activité la garde natio-
nale, le second relatif aux enrôlements volontaires, en
demandant pouf tous les deux le bénéfice de l'urgence.
(1) Voici les textes de ces deux projets :
Premier projet de loi
ARTICLE UNIQUE. — La garde nationale mobile est appelée àl'activité.
*
Deuxième projet de loi
EXPOSÉ DES MOTIFS. — La loi du 21 mars 18^32 avait fixé en
principe à sept ans la durée des engagements volontaires ; maiselle avait admis qu'en temps de guerre ces engagements pou-vaient être de deux ans seulement. La loi du Ier février 1868 n'apas reproduit cette disposition particulière, attendu qu'elleautorise en tout temps des engagements de deux à neuf ans.
En réduisant, pour le temps de guerre, la durée des engage-ments, le législateur avait compris que, dans un pays comme laFrance, où au moindre bruit de guerre le sentiment belliqueuxfait explosion, un nombre considérable de jeunes gens, qui nevoudraient pas servir en temps ordinaire, n'hésitent pas à courirsous les drapeaux lorsqu'il s'agit de faire campagne pour la
patrie. (Très bien ! très bien I)Mais si un engagement de deux ans n'a pas paru trop long, lors
delaloidu 21 mars 1832, il n'en est plus de même aujourd'huique le sort d'une campagne se décide avec plus de rapidité ; eton pense, dès lors, qu'il conviendrait de limiter la durée de
l'engagement à la durée de la guerre. Il importe, en effet, queles jeunes jens ne soient pas arrêtés dans leur élan par l'idéede rester sous les drapeaux après la paix, au lieu de rentrerdans leurs foyers et d'y reprendre leurs travaux.
Les engagements dont il s'agit seraient, d'ailleurs, soumis auxautres conditions déterminées par la loi organique sur le recru-tement.
Aussitôt après la paix, les hommes ainsi enrôlés seraient libé-rés en vertu d'un décret impérial, à moins qu'ils ne deman-dassent à rester sous les drapeaux en se liant au service confor-mément à la loi modifiée du 21 mars 1832.
ARTICLE PREMIER. — Les engagements volontaires serontreçus en temps de guerre pour la durée de la guerre.
ARTICLE 2. — Les engagements seront soumis aux conditions
332 187O 71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Celle-ci, mise aux voix aussitôt, fut votée sans retard.
C'est alors que M. Jules Simon —antiréorganisateur de
l'armée en 1867, comme M. Emile Ollivier—demanda laparole.
Le président de l'Assemblée la lui accorda sans désemparer.
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Vous avez la parole.« M. JULES SIMON. —
Je veux expliquer à la Chambre, et en
même temps au pays, l'attitude que nous avons prise de ce
côté {la gauche), et qui a été tout à l'heure mal interprétée par
nos collègues ; je crois qu'ils seront tous d'avis que l'obser-
vation que je fais en ce moment est nécessaire, et qu'il est de
leur justice de l'entendre. {Parlez ! parlez 1)« Nous sommes ici un certain nombre de personnes qui
désirions passionnément la paix, et qui avons une opinion
arrêtée que nous développerons, plus tard, sur la responsa-
bilité qui incombe au cabinet... {Mouvements divers). Lorsque
des mesures ayant pour but d'organiser la guerre ont été
inopinément présentées, après les déclarations du ministre,
nous nous sommes abstenus de voter l'urgence, à ce moment-
là, parce que nous voulions une discussion à laquelle nous
avons droit. Mais, maintenant, nous tenons à déclarer que si
jamais la France est en armes devant l'ennemi, il y aura de
notre côté autant d'énergie que partout ailleurs pour donner
à nos soldats tous les mo3rens (1) de faire la guerre avec
succès. » {Assentiment à gauche.)
générales déterminées par la loi organique sur le recrutementde l'armée.
ARTICLE J;.— Aussitôt après la paix, les engagés volontaires
admis conformément à l'article premier ci-dessus seront libérés
en vertu d'un décret impérial, à moins qu'ils ne demandent àrester sous les drapeaux en se liant au service conformément à
la loi modifiée du 21 mars 1832.
(1) Il était bien temps, en vérité, le 15 juillet 1870, d'affirmer
qu'on se trouvait maintenant tout disposé à fournir à nos soldats
les moyens de combattre avec succès I... C'est deux ans et demi
plus tôt que M. Jules Simon et ses amis auraient dû s'en aviser.
(N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 333
A trois heures, il y eut une suspension de séance ; mais, à
trois heures et demie, dès la reprise des débats, M. Emile
Ollivier, qu'obsédait le souci de faire approuver sa politiqueet triompher son cabinet, remonta à la tribune pour s'expli-
quer encore, de la façon suivante :
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — La parole est à M. le Garde
des Sceaux, qui l'a réclamée.
« M. EMILE OLLIVIER, garde des sceaux, minisire de la justiceet des cultes. — Messieurs, le Gouvernement dans cette
affaire a surtout le désir d'exposer absolument toute la vérité,
il n'a rien à dissimuler. Et lorsque, à des demandes de com-
munication de dépêches, il répond qu'il n'a rien à commu-
niquer, c'est qu'il n'y a pas eu, dans le sens du vrai mot, de
dépêches échangées, il n'y a eu que des communications
verbales, recueillies dans des rapports qui, d'après les usages
diplomatiques, ne sont pas communiqués.
« Est-il nécessaire que j'explique de nouveau le fait qui a
amené la rupture. Il l'a été suffisamment dans l'exposé que
j'ai eu l'honneur de vous lire : je tiens à le bien préciser, de
façon que vous soyez en mesure d'avoir une opinion aussi
éclairée que la nôtre. '
« Il peut arriver qu'un roi refuse de recevoir un ambassa-
deur ; ce qui est blessant, c'est le refus intentionnel, divulgué
dans des suppléments de journaux, dans des télégrammes
adressés à toutes les cours d'Europe. {Mouvements en sens
divers.)
« Et ce fait nous a paru d'autant plus significatif que l'aide
de camp qui a annoncé à M. Benedettile refus d'audience n'a
manqué à aucune des formes de la courtoisie... {Interruptions
à gauche.)« Voix NOMBREUSES. — Ecoutez donc.
« M. THIERS. — Je demande la parole. {Murmures à droite.)« M. HORACE DE CHOISEUL. — On ne peut pas parler, on
murmure !
334 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — ... de telle sorte que notre
ambassadeur n'a pas tout d'abord soupçonné la signification
qu'on attacherait à un refus qui, accompli de certaine manière,
eût pu être désagréable sans devenir offensant. L'offense
résulte d'une publication intentionnelle.
« Ce n'est qu'après l'avoir connu que notre ambassadeur a
été touché, comme nous, d'un acte... {Interruptions diverses. —
Laisse^ parler /)... qu'au premier moment, il nous avait
signalé purement et simplement sans le caractériser.
« Voulez-vous connaître ces télégrammes ? Il n'y a aucun
inconvénient à vous les communiquer, le premier est de
quatre heures vingt-cinq du soir, le 13 ; l'autre est de quatre
heures trois quarts.
« Le roi a reçu la réponse du prince de Hohenzollern ;
« elle est du prince Antoine et elle annonce à Sa Majesté que« le prince Léopold, son fils, s'est désisté de sa candidature
« à la couronne d'Espagne. Le roi m'autorise à faire savoir
« au gouvernement de l'Empereur qu'il approuve cette réso-
« lution. Le roi a chargé un de ses aides de camp de me
« faire cette communication, et j'en reproduis exactement les
« termes. Sa Majesté ne m'ayant rien fait annoncer au sujet« de l'assurance que nous réclamons pour l'avenir, je solli-
« cite une dernière audience, pour lui soumettre de nou-
« veau et développer les observations que j'ai présentées ce
« matin... »
« M. THIERS. —Je prie monsieur le ministre de bien vou-
loir relire la phrase précédente.
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Quelle phrase ?
« M. GLAIS-BIZOIN. — Celle qui commence par : « Le roi
« m'autorise... » et ce qui suit.
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — « Le roi m'autorise à faire
« savoir au gouvernement de l'Empereur qu'il approuve cette
« résolution. Le roi a chargé un de ses aides de camp de me
« faire cette communication et j'en reproduis exactement les
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 335
« termes. Sa Majesté ne m'ayant rien fait annoncer au sujet« de l'assurance que nous réclamons pour l'avenir, je solli-
« cite une deuxième audience pour lui soumettre de nou-
« veau et développer les observations que j'ai présentées ce
« matin... {Mouvements divers.) A la demande d'une nou-
« velle audience, le roi m'a fait répondre qu'il ne saurait
« reprendre avec moi la discussion relativement aux assu-
« rances qui devaient, à notre avis, nous être données pour« l'avenir. Sa Majesté m'a fait déclarer qu'il s'en référait, à
« cet égard, aux considérations qu'il m'avait exposées le
« matin et dont je vous ai fait connaître la substance dans
« mon dernier télégramme. »
« M. THIERS. — Que tout le monde juge !
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Maintenant, s'il vous convient
de déclarer que nous devons accepter cette situation, s'il vous
convient de déclarer qu'après avoir suscité en Europe l'émo-
tion dont vous êtes les témoins. {Rumeurs.)« M. EMMANUEL ARAGO. — C'est vous qui l'avez créée cette
émotion. {Nombreuses réclamations.)« M. LE GARDE DES SCEAUX. — S'il vous convient de déclarer
que nous devons -reculer, il ne nous convient pas à nous
d'avoir cette résignation peu patriotique.« Quand donc, dans notre histoire, s'est-on permis de cons-
pirer contre nous, comme on l'a fait, en préparant dans
l'ombre l'élévation d'an prince prussien sur le trône d'Es-
pagne? [Rumeurs à gauche. — Ecoutez donc !)« ... Il y a quelques semaines, l'Europe était paisible et heu-
reuse ; partout régnait la tranquillité et la confiance. L'espritle plus chagrin n'aurait pu découvrir nulle part une cause
raisonnable de conflit ; aucun de nous qui ne fût assuré pour
l'Europe d'une longue paix. Qui donc, tout à coup, a fait
surgir au milieu de cette situation paisible une difficulté
grosse de tempêtes? Est-ce nous ou bien ceux que vous
défendez ? {Réclamations à gauche.)
336 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« M. JULES FAVRE. — Nous défendons la France que vous
compromettez par votre impéritie.« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Je neveux blesser personne
et je retire le mot.
« M. JULES FAVRE. — Parlez et je retire le mien.
« Voix NOMBREUSES. — Continuez ! continuez !
« M. LE GARDE DES SCEAUX.—Est-ce nous qui avons préparé
des éléments de trouble ? Est-ce nous qui avons inquiété une
susceptibilité quelconque? Est-ce nous qui avons méconnu
un des droits de cette grande et noble Allemagne, dont nous
ne sommes pas les ennemis? Est-ce nous qui avons réveillé
des souvenirs que nous voudrions à jamais ensevelis dans le
passé ? Est-ce nous qui avons eu la coupable fantaisie d'ap-
procher la flamme d'un foyer de poudre et puis de nous
étonner qu'une explosion ait lieu? Est-ce nous qui avons
quelque chose à nous reprocher ?
« Nous avons soumis à la Chambre tous les éléments de la
question ; ne pouvant plus rien ajouter, il ne nous reste qu'à
attendre sa décision. Si nous nous étions trompés, si nous
avions été trop susceptibles... [Non! non!)
a M. GLAIS-BIZOIN. — Voilà le mot, très bien ! (Non ! non !)
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — ... si nous avons été des gar-
diens trop susceptibles... (Non ! non ! Si! si!)
« A DROITE ET AU CENTRE. —Nous vous l'avons montré tout à
l'heure.
« M. LE GARDE DES SCEAUX. — Si nous avions été des gardiens
trop susceptibles du dépôt de l'honneur national qui nous est
confié, vous n'auriez pas accueilli nos paroles par votre appro-
bation et vos applaudissements. (Très bien ! très bien! Mouve-
ment prolongé ! — Applaudissements !)
« M. PICARD et M. THIERS se lèvent pour parler.
« M. ERNEST DRÉOLLE. — Dans les bureaux, dans les
bureaux ! L'urgence a été déclarée. »
Sur ce, au milieu d'un tohu-bohu qui dure une demi-heure,
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 337
M. Clément Duvernois arrive à placer quelques mots à la
tribune, d'où il ressort qu'il retire l'interpellation qu'il avait
déposée sur l'attitude du cabinet.
Il en découle, sans plus, que l'existence du ministère est
sauve.
Désormais, seule la vie de la France est enjeu !
LA CHAMBRE VOTE LES HOSTILITÉS
C'est en vain, maintenant, que M. Thiers va vouloir faire
entendre un angage de froide raison. Ses meilleurs amis
eux-mêmes, tels Buffet et de Kératry, ne le suivront pas, ou
le suivront mal.
« M. LE PRÉSIDENT SGHNEIDER. — Un ministre vient d'être
entendu à la tribune, un orateur a le droit de lui répondre.
Je donne la parole à M. Thiers.
« M. THIERS. — Messieurs, je ne retiendrai pas longtempsla Chambre. En montant à cette tribune, je pourrais faire
croire que je veux parler longuement, mais telle n'est pasmon intention, et si j'y monte, c'est simplement pour défé-
rer au voeu de quelques-uns de nos collègues et pour être
entendu plus facilement. (Parlez ! parlez !)« Je vous supplie de croire que si j'avais sur la question
qui s'agite une conviction profonde, je n'insisterais pasautant que je le fais.
« Mais, lorsque le sujet a cette gravité et lorsque quelques-uns de nos collègues sont convaincus au point où ils le sont
et où je le suis moi-même, j'espère que vous aurez l'indul-
gence de les écouter quelques instants de plus.« M. le Garde des Sceaux vient d'essayer de justifier ses
actes, et rnoi., qui n'ai aucun sentiment de malveillance contreMM. les ministres, fe suis désolé de dire que nous avons la
guerre pour une faute de cabinet. ( Vives dénégations. —
Approbation sur quelques bancs.)22
338 187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« M. JULES FAVRE. — C'est la seule raison.
« M. THIERS. — Je vous supplie de croire... {Bruit),., que
c'est avec une peine de coeur véritable... {Exclamations ironi-
ques à droite et au centre.)« M. HORACE DE CHOISEUL. — Cela vaut mieux que le coeur
léger !
« M. JULES FAVRE. — Il caractérise cette politique.« M. THIERS. —
Je plains ceux qui, dans une discussion de
ce genre et dans mon langage, ne savent pas reconnaître une
véritable conviction ; mais peu m'importe. J-e ne tiens qu'àune chose, le jugement du pays et du monde civilisé. (5n«'l.)
« Oui, je le dis avec douleur, c'est à une faute du cabinet
que nous devons la guerre. {Dénégations à droite et au centre.— Approbation à gauche.)
« Al. LE BARON ZORN DE BULACH (i). — C'est votre manière
de voir !
« M. THIERS. — Il est bien entendu que ce n'est pas la
vôtre, monsieur, c'est la mienne, le Garde des Sceaux a fait
dévier la discussion : à une question, il en a substitué uncautre.
« Il nous a dit tout à l'heure que nous ne pouvions passouffrir ce que la Prusse avait entrepris en Espagne. Il a cent
fois raison. Si la question était là, je ne laisserais à personnele soin de venir défendre ici la politique séculaire de la
France. Sans prétendre gêner la liberté des Espagnols, nous
ne pouvons pas souffrir qu'au-delà des Pyrénées on nous
prépare une hostilité ouverte ou cachée ; non, nous ne le
pouvons pas.« La Prusse a fait une faute grave en voulant avoir elle-
même un candidat au trône d'Espagne. Avant ce dernier
événement, elle voulait la paix et c'était habileté de sa part,
(1) Père de ce Zorn de Bulach qui est, aujourd'hui, gouverneurd'Alsace-Lorraine et représentant officiel de l'empereur Guil-laume dans les provinces annexées. (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 33g
parce qu'elle sent très bien que le danger sérieux pour elle
commencera le jour où elle fera de nouvelles entreprises. Ce
jour-là, elle soulèverait contre elle de nombreuses et
sérieuses hostilités, et nous, qui avons déploré Sadowa, nous
qui avons toujours désiré qu'il fût réparé, nous avons tou-
jours dit et répété qu'il y aurait un jour difficile pour la
Prusse et que ce serait celui où elle voudrait mettre la main
sur les Etats de l'Allemagne, restés indépendants. C'est ce
jour-là, avons-nous dit, sans cesse, c'est ce jour-là qu'il faut
savoir attendre. Ce jour-là, elle aura contre elle une grande
partie de l'Allemagne, l'Autriche notamment et presque toute
l'Europe.
«... Je dis donc que, dans cette occasion, la Prusse a
commis une faute très grande en voulant avoir un candidat
au trône d'Espagne, oui, mais cette faute, elle l'a payée parun échec, elle la payera par la guerre ; malheureusement,
elle ne sera pas seule à la payer, le monde la payera avec
elle et nous en même temps.« Mais, messieurs, si nous en étions à obtenir l'abandon de
la candidature du prince de Hohenzollern, je serais avec
vous de toutes mes forces, ma voix fatiguée se joindrait à la
vôtre, pour que justice fût faite à la France, pour que ses
intérêts fussent sauvegardés ; mais, ce qui me désole, c'est
que j'ai la certitude que le fond était obtenu. (Non ! Non !)« Il était obtenu, personne ne peut le contester. (Non ! non !
non ! — Très bien I)« Messieurs, je m'adresse à tous les gens de bonne foi, je
demande s'il était croyable que, lorsque la Prusse venait d'être
obligée à la face du monde de retirer une candidature (i)
(1) C'est une erreur de fait que renouvelait M. Thiers et quechacun pouvait commettre à l'époque, puisque tout le monde
ignorait, alors, comment avait été obtenu le retrait de la candida-
ture Hohen7ollern. (N. de ]'A/>
3"40 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
qui, évidemment, avait été présentée par elle... [Interruptions
diverses.)
« Maintenant, je continue mon raisonnement. On aura
beau le couper par des interruptions, je soutiendrai jusqu'au
bout, jusqu'à ce que j'aie pu le faire parvenir au jugementde la Chambre et du pays. Je m'adresse, je le répète, à l'évi-
dence et je demande s'il peut entrer dans la pensée d'un
homme de hon sens que la Prusse, après la campagne
qu'elle venait de faire et qui lui avait valu le retrait de sa can-
didature du prince de Hohenzollern, retrait qui était cer-
tainement peu brillant pour elle, que la Prusse, dis-je,
voulût reproduire cette candidature ?
« M. MATHIEU. — Non, personne ne croira qu'elle se serait
arrêtée...
« M. THIERS. — Vous ne croyez pas, monsieur Mathieu !
Eh bien ! moi, je crois, je suis convaincu.
« M. MATHIEU. — Moi, je ne crois pas et je suis convaincu
du contraire.
« Al. TIIIERS. — Il faudrait supposer que la Prusse fût
folle... {Bruit.)
« M. BELMONTET. — Elle est ambitieuse.
« M. THIERS. —'Après s'être exposée à un échec comme
celui-là, oui, elle serait folle de renouveler la candidature du
prince de Hohenzollern.
« S. Exe. M. LEDUC DE GRAMONT, ministre des affaires étran-
gères. —Pourquoi n'a-t-elle pas répondu à cet égard ? Pour-
quoi a-t-elle refusé de le promettre. (Très bien 1 très bien ! —
Voilà la question.)« M. EMMANUEL ARAGO. — Parce que vous avez commencé
par les menaces à la tribune. {Bruit et exclamations.)« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Monsieur Arago, vous
n'avez pas la parole.« M. THIERS. —
Puisque vous m'y obligez, monsieur le
ministre, je vais vous le dire. Elle l'a refusé parce que vous
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 341
avez mal commencé et mal fini. ..(Vives réclamations sur un,
grand nombre de bancs. —Approbation à gauche!)
« UN MEMBRE A DROITE. — C'est un langage humiliant.
« Voix DIVERSES. —Assez ! Assez! Aux bureaux !
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —M. Thiers, à Iatribune, a
le droit d'exprimer son opinion telle qu'il la ressent. »
Malgré l'objurgation présidentielle, le tumulte se déchaîne,une fois de plus. De part et d'autre, ce ne sont plus qu'invec-tives qui hachent le discours de l'orateur. Celui - ci peutterminer, cependant, par un souhait qui — coïncidence
curieuse ! — est le même que celui exprimé, la veille, par
Napoléon III en personne, en faveur d'un Congrès européenà réunir dans un but de paix.
« M. THIERS. — On me demandera : la faute commise —
je l'appelle la faute parce que c'est le seul nom à lui donner— la faute commise, que fallait-il faire ?
« Il fallait, puisque l'Europe était de si bonne volonté, dans
ce moment-là, lui donner le temps d'intervenir de nouveau.
{Bruyantes exclamations sur un grand nombre de bancs!)« M. GRANIER DE CASSAGNAC. — C'est cela ! Il fallait laisser
la Prusse commencer la guerre tout à son aise.
« M. LE COMTE DE LEUSSE. — Il fallait donner aux Prussiens
le temps d'arriver à Paris.
« M. LE MARQUIS DE PIRE. — Notre ambassadeur a été inso-
lemment éconduit ! Il fallait attendre qu'il fût assassiné:
comme nos plénipotentiaires à Rastadt. {Bruit confus. —
N'interrompez pas ! N'interrompez pas !)« M. THIERS. — Il fallait donner à l'Europe le temps d'in-
tervenir, ce qui n'empêchait pas que vos armements conti-
nuassent et il ne fallait pas se hâter de venir ici apporter,dans le moment où la susceptibilité française devait être la
plus exigeante, des faits qui devaient causer une irritation
dangereuse.« Ainsi, je le répète, ce n'est pas pour l'intérêt essentiel de
342 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
la France, c'est par la faute du cabinet que nous avons la
guerre. {Réclamations sur un grand nombre de bancs.)
« A GAUCHE. — Très bien ! très bien !
« S. Exe. M. LE DUC DE GRAMONT, ministre des affaires étran-
gères.—
Je demande la parole.
« M. GRANIER DE CASSAGNAC. — Si le ministre parle, nous
aurons encore un discours de l'opposition et nous n'irons
pas aujourd'hui dans les bureaux.
« Voix DIVERSES. — Parlez ! — Non ! la clôture ! Aux
bureaux ! Aux bureaux I
« M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. —Je prie la
Chambre de nous laisser dire deux mots seulement.
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — La parole est à M. le
ministre des affaires étrangères.
« M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. — Si nOUS
avions attendu plus longtemps pour demander aux puis-
sances étrangères d'intervenir, nous aurions donné à la
Prusse le temps de préparer ses armements pour nous atta-
quer avec plus d'avantages.
« Voix NOMBREUSES. — C'est évident, c'est évident!
« M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. — Au Surplus,
messieurs, après tout ce que vous venez d'entendre, il suffit
de ce fait que le gouvernement prussien a informé tous les
cabinets d'Europe qu'il avait refusé de recevoir notre ambas-
sadeur et de continuer de discuter avec lui. {Marques nom-
breuses d'assentiment.) Cela est un affront pour l'Empereur et
pour la France. {Dénégations à gauche.)
« SUR UN GRAND NOMBRE DE BANCS. — Oui ! Oui !
« M. LE MINISTRE DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES. — Et Si, par
impossible, il se trouvait dans mon pays une Chambre pour
le supporter ou pour le souffrir, je ne resterais pas cinq
minutes de plus ministre des affaires étrangères. » [Bravos
et applaudissements prolongés.— M. le ministre, en des-
cendant de la tribune, reçoit de vives félicitations.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 343
Dans la Tour de Babel parlementaire, c'est désormais la
confusion des langues. Et — après une courte intervention
de M. Jules Favre — M. de Kératry, l'antibonapartiste
Kératry, se charge bien de le faire voir en emboîtant le pasaux membres du ministère Ollivier et en soutenant à fond la
thèse de la guerre, lui qui, quelques semaines plus tôt (i),récriminait encore, en bon orléaniste, contre le contingent.
« M. LE COMTE DE KÉRATRY. —Je regrette absolument de
me séparer de mes amis politiques sur la question qui est
soumise à la Chambre, mais je crois devoir le dire hautement.
(Très bien!)« La question se borne à ceci : la France a-t-elle subi un
outrage, oui ou non ?
« QUELQUES VOIX. — C'est évident!
« M. LE COMTE DE KÉRATRY. — Eh bien ! je mets en fait
qu'après la déclaration du cabinet, à laquelle j'ai applauditout le premier, qui a été faite ici le 6 juillet, vous n'avez
obtenu aucune espèce de satisfaction de la Prusse. (Très bien!
très bien !)« M. GLAIS-BIZOIN. — Et le retrait de la candidature ?
« M. LE COMTE DE KÉRATRY. — Comment la candidature
a-t-elle été conçue, par qui a-t-elle été préparée ?
« Elle a été préparée par la Prusse, conçue par elle, parM. de Bismarck et par le roi qui n'ont voulu donner aucune
dénégation, aucune satisfaction. (Marques d'adhésion au
centre et à droite.)
«... L'honorable M. Thiers est venu dire : Il est important
d'avoir à côté de soi des témoins qui vous soient favorables.
Si la France avait écouté ce langage, que serait-il arrivé en
(i) Si, quelques semaines plus tôt, M. de Kératry montrait unetelle imprévoyance, ça ne l'empêchera pas, quelques semaines
plus tard, exactement le 9 août 1870, de proposer à la Chambre— devinez quoi ! — la déchéance de l'Empereur I! ! (N.de l'A.)
344 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
face de la coalition? Au lieu de se battre, elle aurait suc-
combé honteusement. Mieux vaut avoir une guerre comme
celle que vous allez avoir que de demeurer sur le pied de paix
armée, comme nous y sommes forcés depuis 1866. {Très bien!
Très bien!)« Dernièrement, l'honorable M. Thiers nous engageait à
voter un contingent militaire que je repoussais. Pourquoi
demander un fort contingent militaire si ce n'était afin d'être
prêts en cas de guerre? La guerre se présente aujourd'hui, il
n'y a non pas un prétexte, mais un motif pour la faire. Quand
la Convention de 1793 appelait les citoyens aux armes, elle
ne discutait pas si longtemps ; elle décidait que le vote aurait
lieu dans les bureaux. Je demande que la Chambre fasse de
même et qu'elle passe à l'ordre du jour sur la proposition qui
vient d'être faite. » {Nombreuses marques d'approbation. —
Bravo! Bravo! —Applaudissements. —La clôture! La clô-
ture !)
Désormais, c'est le triomphe du cabinet ; car la clôture est
prononcée malgré une demande de scrutin public à la tribune
formulée par un certain nombre de députés parmi lesquels le
duc de Marmier et Barthélémy Saint-Hilaire voisinent avec
Garnier-Pagès, Jules Favre et Jules Simon !!!
Au surplus, cette nouvelle tentative de prolongation indé-
finie du débat en cours était foncièrement inadmissible en un
pareil moment. Il fallait le clore à tout prix, dans un sens ou
dans l'autre, mais le clore. Elle fut repoussée par 159 voix
contre 54, sur 243 votants (1).
(1) Voici la liste des 54 députés partisans de "pérorer à
outrance ". On remarquera que les plus purs royalistes ont, unefois de plus, joint leurs bulletins de vote à ceux des pseudo-républicains. Ce sont MM. le marquis d'Andelarre, Arago,Baboin, baron de Barante, Barthélemy-Saint-Hilaire, Bastid,prince de Beauvau, Bethmont, Boduin, comte de Boigne, Bour-
beau, Braun, Buffet, Buisson, Calmette, Cané-Kensouet, Ches-
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 345
N'importe ! en joignant son bulletin à ceux de ces parti-
sans forcenés du « bavardage stérile », M. Thiers perdit tout
le terrain qu'il avait gagné jusque-là en montrant au con-
traire la nécessité de suspendre un débat parlementaire quine pouvait qu'être préjudiciable à des négociations pacifiques
encore possibles.
Car, il importe de le rappeler, au début de la séance du
15 juillet 1870, la situation s'était présentée ainsi :
Il fallait ou : r° décider le Parlement à ne pas se pronon-
cer d'une façon définitive et l'empêcher de s'engager dans
une discussion périlleuse d'où pouvait sortir instantanément
la guerre : c'était la façon de voir de M. Thiers; ou : 2° entraî-
ner la Chambre à se solidariser avec le ministère et par con-
séquent à voter sur le champ les hostilités : c'était la thèse de
M. Emile Ollivier.
Une intervention déplorable d'e M'. Buffet, après le discours
de M. de Kératry, venait d'aboutir à quoi? Simplement à
décider 54 députés à n'adopter ni l'une ni l'autre de ces deux
manières de voir et à réclamer qu'on se cantonnât dans une
expectative b3-zantinc permettant la prolongation indéfinie
de débats sans signification ni sanction.
La majorité n'avait pas suivi. Ce fut dans ces conditions
nelong, comte de Choiseul, Cochery, Crémieux, comte Daru,Dessaigne, Desseaux-, Darian, Durand, comtedeDurfortdeCivrac,
Esquiros, Jules Favre,.JuLes Ferry, Gagneur, Gambetta, Garnier-
Pagès, Germain, Girault, Glais-Bizoin, Goerg, marquis de' Gra-
mont, Grévy, Guîraud, Guyot-Montpayroux, Haentjens, comte
d'Hesecques, Houssard, Léopold Javal, Johnston, Josseau,de Jouvencel, Keller, Bernard Kolb, Augustin Lacroix, Lar-
rieu, Latour du Moulin, Le Cesne, Lefébure, Lefèvre-Pontalis,comte Le Hon, baron Lespérut, Magis, Malézieux, Mangini,Marion, duc de Marmier, Martel, delà Monneraye, Morin, Ordi-
naire, Eugène Pelletan, Ernest Picard, Précioni, Planât,Rampon, Raspail, Riondel, des Rotours, Jules Simon, de Sou
beyran, Steenackers, marquis de Talhouët, Tassin, Thiers,de Tillancourt, Viellard-Migeon, Wilson, baron d'Yvoire.
346 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
que devait nécessairement l'emporter le point de vue de
M. Emile Ollivier.
En attendant, la séance fut suspendue à 5 h. 40 de l'après-
midi, pour être reprise à 9 heures et demie du soir.
Durant cet intervalle, les bureaux se réunirent et ce qui,
dès lors, était fatal, arriva, étant donnée la surexcitation des
esprits qui ne pouvait que croître de minute en minute : au
cours de sa séance de nuit, la Chambre vota les hostilités à la
quasi-unanimité de ses membres, après lecture du rapport
suivant de la Commission :
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — M. de Talhouët, rapporteurde la commission nommée par les bureaux, a la parole.
{Profond silence. )
« M. LE MARQUIS DE TALHOUËT, rapporteur. — Messieurs,
vous avez renvoyé à l'examen d'une même commission
quatre projets de loi ayant pour objet :
« i° D'accorder au ministre de la guerre un supplément de
crédit de 50 millions sur le budget extraordinaire de 1870 ;
« 2° D'accorder au ministre de la marine, sur l'exercice de
1870, au delà des crédits ouverts par la loi de finances du
8 mai 1869, des crédits montant à la somme de 16 millions ;
« 3° D'appeler à l'activité la garde nationale mobile ;« 40 D'effectuer les engagements volontaires en temps de
guerre.
« Chacun des membres de la commission nous ayant
exposé les différentes opinions émises dans leurs bureaux
respectifs, et la majorité de nos collègues ayant été invités à
demander au gouvernement communication des pièces
diplomatiques, votre commission a entendu successivement
M. le Garde des Sceaux, M. le Maréchal, ministre de la guerre
et M. le ministre des Affaires Etrangères. {Très bien! Très
bien !)
« M. le ministre de la guerre nous a justifié en peu de mots
l'urgence des crédits demandés et ses explications catégo-
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 347
riques, en même temps qu'elles nous conduisaient à l'appro-bation des projets de loi, nous montraient qu'inspirées parune sage prévoyance les deux administrations de la guerreet de la marine se trouvaient en état de faire face avec une
promptitude remarquable aux nécessités de la situation.
{Bravo ! Bravo I)« Votre commission a entendu ensuite M. le garde des
sceaux et M. le ministre des Affaires étrangères.« Des pièces diplomatiques nous ont été communiquées, et
sur ces textes, des explications très complètes et très nettesnous ont été fournies.
« Nous savions répondre au voeu de la Chambre en nous
enquérant avec soin de tous les incidents diplomatiques.Nous avons la satisfaction de vous dire, messieurs, que le
gouvernement, dès le début de l'incident et depuis la pre-mière phase des négociations jusqu'à la dernière, a poursuivi
loyalement le même but. (Très bien ! Bravo ! Bravo.')« Ainsi, la première dépêche adressée à notre ambassadeur,
arrivé à Ems pour entretenir le roi de Prusse, se termine parcette phrase qui indique que le gouvernement a nettement
formulé sa légitime prétention.« Pour que cette renonciation, écrivait M. le duc de Gra-
« mont à M. Benedetti, produise son effet, il est nécessaire
« que le roi de Prusse s'y associe et nous donne l'assurance
« qu'il n'autorisera pas de nouveau cette candidature.
« Veuillez vous rendre immédiatement auprès du roi pour« lui demander cette déclaration. »
« Ainsi, ce qui est le point litigieux de ce grand débat a été
posé dès la première heure, et vous ne méconnaîtrez pas l'im-
portance de ce fait resté ignoré, il faut bien le dire, de l'opi-nion publique.
« Mais, de même que S. M. le roi de Prusse s'était déjàrefusé à donner la satisfaction légitime réclamée par le gou-vernement français qui avait tout attendu d'abord de la cour-
348 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
toisie officieuse de l'ambassadeur de Prusse, parti de Paris
pour aplanir le différend, l'ambassadeur de France, intervenu
directement auprès du roi Guillaume, n'a recueilli que la con-
firmation d'un fait qui ne donnait aucune garantie peur
l'avenir. (Mouvements.)
« Malgré ces faits déjà trop graves, votre commission a
voulu prendre et a reçu communication de dépêches éma-
nant de plusieurs de nos agents diplomatiques, dont les
termes sont uniformes et confirment, comme il a été déclaré
au Corps législatif et au Sénat, que M. de Bismarck a fait
connaître officiellement aux cabinets d'Europe que S. M. le
roi de Prusse avait refusé de recevoir de nouveau l'ambas-
sadeur de France et lui avait fait dire par un aide de camp
qu'elle n'avait aucune communication ultérieure à lui adresser.
(Longs murmures.)
« UN MEMBRE. — C'est une suprême insulte.
« M. LE RAPPORTEUR. — En même temps, nous avons acquisla preuve que, dès le J4 juillet au matin, pendant que les
négociations se poursuivaient, des mouvements de troupes
importants étaient ordonnés de l'autre côté du Rhin.
« De plus, des pièces chiffrées ont été mises sous nos jeux,
et comme tous vos bureaux Font bien compris, le secret de
ces communications télégraphiques doit être conservé par
votre commission, qui, en rendant compte de ses impres-
sions, a conscience de son devoir vis-à-vis de vous-mêmes
comme vis-à-vis du pays. (Très bien/ très bien /)
« Le sentiment profond produit par l'examen de ces docu-
ments est que la France ne pouvait tolérer l'offense faite à la
nation, que notre diplomatie a rempli son devoir en circons-
crivant ses légitimes prétentions sur un terrain où la Prusse
ne pouvait se dérober comme elle en avait l'intention et l'es-
pérance. (Très bienl très bien !)
« M. MOUY. — A la bonne heure, c'est du bon français.
« M. LE RAPPORTEUR. — En conséquence, messieurs, votre
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 349
commission est unanime pour vous demander de voter les
projets de loi que vous présente le gouvernement.
. « Nous vous le répétons : à nos sentiments personnels se
sont ajoutées de nouvelles convictions, fondées sur les expli-
cations que nous avons reçues et c'est avec l'accent de la con-
fiance dans la justice de notre cause et animés de l'ardeur
patriotique que nous savons régner dans cette Chambre que
nous vous demandons, messieurs, de voter ces lois parce
qu'elles sont prudentes comme instruments de défense et
sages comme expression du voeu national. (Bravos et applau-
dissements prolongés.)« Au CENTRE ET A .DROITE. — AUX VOix ! AllX Voix !
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. — Le premier projet soumis
à la Chambre demande un crédit de 30 millions au budget
extraordinaire de 1870 pour le ministère de la guerre.
« je donne la parole à M. Guyot Montpayroux. (Exclama-
tions et bruit. — Parlez ! Parlez !)
« M. GUYOT-MONTPAYROUX. — Ce n'est assurément ni le jour,
ni l'heure des discours. (Interruptions.)
« UNE VOIX. — Eh bien, alors !
« M. GUYOT-MONTPAYROUX. — Alors, messieurs, si je suis
monté à cette tribune, c'est parce que, dans cette circons-
tance solennelle, ne me trouvant pas d'accord avec la presque
unanimité des honorables collègues à côté desquels j'ai l'hon-
neur de siéger... (Mouvements divers. — Parlez ! Parlez.') je
demande à la Chambre la permission de motiver mon vote
parce que je ne me reconnais pas le droit, comme mon inten-
tion est de voter et les soldats et l'argent que le gouverne-
ment peut avoir à demander, de le faire avant d'avoir indiqué
les raisons qui me dictent cette décision. (Mouvements divers.)
« M. STEENACKERS.— Si nous en faisions chacun autant,
nous n'en aurions jamais fini.
« M. LE PRÉSIDENT SCHNEIDER. —J'ai donné la parole à
M. Guyot-Montpayroux, je demande qu'il soit entendu.
250 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« M. GUYOT-MONTPAYROUX. —J'ai promis à la Chambre que
je serais court, je tiendrai ma promesse et je lui demande
l'attention. {Parlez 1 Parlez !)« Si je pensais, messieurs, que la guerre avec la Prusse pût
être évitée d'une façon honorable, si je pensais que la paix
que nous signerions aujourd'hui avec le roi Guillaume et
M. le comte de Bismarck pût être féconde et durable, nul
plus que moi ne ferait tous ses efforts pour apaiser les senti-
ments belliqueux, car nul plus que moi n'a horreur de la
guerre, nul plus que moi...
« Voix NOMBREUSES. — Nous avons tous le même sentiment.
« M. GUYOT-MONTPAYROUX. —Je pense que la paix que nous
pourrions signer aujourd'hui, à supposer qu'elle pût être
signée, serait une paix boiteuse, mal assise et qui ne pour-rait durer. Voilà pourquoi je suis exceptionnellement partisan
de la guerre. (Approbations.)« Je pense qu'enivrée par le succès de Sadowa la Prusse,
qui a la prétention d'être l'Allemagne, tandis que, en défini-
tive,sonseul but est devouloir opprimer cettegrandenation...<' Voix NOMBREUSES. — C'est vrai ! Très bien I Très bien !
« M. GUYOT-MONTPAYROUX. — ... Je pense que la Prusse a
oublié ce que c'est que la France d'Iéna et qu'il faut le lui
rappeler. (Vives approbations sur un grand nombre de bancs.)« Je pense qu'il est temps que la patrie de la Révolution et
des idées modernes fasse sentir sa suprématie sur la Prusse,
dernier rempart du moyen-âge et de la féodalité. »
Cette intervention passionnée d'un membre de la gauche,
en faveur de la guerre, acheva de désorbiter la Chambre.
Gambetta essaya de ratiociner, mais en vain, sur la com-
munication des pièces diplomatiques à la commission parle-
mentaire. Il fut pris à partie avec violence par tous les mem-
bres de cette commission, notamment par M. de Kératry,
devenu subitement chauvin enragé et ministériel outrancier.
Finalement, le crédit initial de 50 millions peur l'armée fut
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 351
voté par 245 voix contre 10, sur 255 votants. Bien mieux, le
crédit de 16 millions pour la marine n'eut contre lui qu'uneseule voix d'opposant. Enfin le projet sur le rappel à l'acti-
vité de la garde nationale mobile et celui sur les enrôlements
volontaires donnèrent lieu également aux deux scrutins sui-
vants, identiques dans leurs résultats : votants 244, pour l'a-
doption 243, contre 1.
Le Parlement — suivant le mot de Gambetta — assumait
ainsi pour son compte l'entière responsabilité de la déclara-
tion de guerre à la Prusse, dont, à notre avis, le cabinet
conservait néanmoins une lourde part.
LES BELLIGERANTS
Après une séance pareille, il saute aux yeux que devenait
sans objet la démarche demandée par Napoléon III lui-même
à M. Witzhum, ministre d'Autriche à Bruxelles, alors de pas-
sage à Paris et se rendant à Vienne : démarche qu'avait pro-
mise ce diplomate et qui tendait à obtenir de l'empereur
François-Joseph que la monarchie austro-hongroise prît
l'initiative d'un Congrès européen où seraient étudiés les
moyens d'obvier à toute action belliqueuse entre la France
et la Prusse.
NonI la paix n'était plus possible, maintenant!... Ainsi
l'avait demandé M. Emile Ollivier ; ainsi venait d'en décider
le Parlement.
L'inqualifiable procédé de M. de Bismarck avait porté ses
fruits !
Sur la nouvelle mensongère et insidieusement répandue
d'une injure sanglante faite à notre ambassadeur par le roi
Guillaume, « le taureau gaulois avait vu rouge »... et deux
peuples allaient se trouver aux prises par l'effet de la publi-
352 187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
cation d'un document faux et apocryphe, criminellement
fabriqué par l'abominable chancelier de fer..
La mobilisation commença aussitôt et, le 19 juillet, sur les
ordres de M. de Gramont, la note (1) suivante était remise à
une heure et demie de l'après-midi au cabinet de Berlin, par
l'intermédiaire de notre chargé d'affaires, M. Le Sourd :
« Le soussigné, charge d'affaires de France, se conformant
aux ordres de son gouvernement, a l'honneur de porter la
communication suivante à la connaissance de Son Excellence
M. le ministre des Affaires étrangères de Sa Majesté le roi de
Prusse :
« Le gouvernement de Sa Majesté l'Empereur des Français,« ne pouvant considérer le plan d'élever sur le trône d'Es-
« pagne un prince prussien que comme une entreprise
« dirigée contre la sûreté territoriale de la France, s'est vu
« placé dans la nécessité de demander à Sa Majesté le roi de
« Prusse l'assurance qu'une pareille combinaison ne pourrait
« pas se réaliser de son consentement.
« Comme .Sa Majesté le roi de Prusse a refusé de donner
« cette assurance, et que, au contraire, il a déclaré à l'am-
« bassadeur de Sa Majesté l'empereur des Français que,
« pour cette éventualité, comme pour toute autre, il entendait
« se réserver la possibilité de consulter les circonstances, le
« gouvernement impérial a dû voir dans cette déclaration du
« roi une arrière-pensée, menaçant la France ainsi que l'équi-« libre européen. Cette déclaration s'est aggravée encore par« la notification faite aux cabinets du refus de recevoir l'am-
« bassadeur de l'Empereur et d'entrer avec lui dans de nou-
« velles explications.
« En conséquence, le gouvernement français a jugé qu'il« avait le devoir de pourvoir sans retard à la défense de sa
(1) Archives diplomatiques.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 353
« dignité et de ses intérêts lésés ; et, décidé à prendre dans ce
« but toutes les mesures commandées par la situation qui lui
« est créée, il se considère, dès à présent, comme en état de
« guerre avec la Prusse. »
Aussitôt, le roi Guillaume — soit qu'il continuât d'ignorerla falsification à laquelle s'était livré Bismarck, ce qui semble
bien étrange; soit qu'il eût joué double l'eu en ayant l'air de
se laisser forcer la main par les événements —prononça le
discours ci-après au Reichstag de la Confédération de l'Alle-
magne du Nord, convoque spécialement dans ce but :
« Le jour où, lors de votre dernière réunion, je vous ai
souhaité ici la bienvenue au nom des gouvernements confé-
dérés, j'ai pu, avec une gratitude mêlée de joie, affirmer
qu'avec l'aide de Dieu, le succès n'avait pas manqué aux
efforts faits par moi en vue de répondre aux voeux des
peuples et aux besoins de la civilisation en prévenant toute
perturbation de la paix.« Si, néanmoins, des menaces de guerre et un danger de
guerre ont imposé aux gouvernements confédérés le devoir
de vous convoquer en une session extraordinaire : en vous-
mêmes, comme en nous, demeurera vivante la conviction quela Confédération de l'Allemagne du Nord s'est appliquée à
utiliser la poussée populaire de l'Allemagne non pour com-
promettre la paix générale, mais pour lui donner le plus puis-sant appui et que si, à cette heure, nous faisons appel à cette
force populaire pour défendre notre indépendance, nous ne
faisons qu'obéir à la voix de l'honneur et du devoir.
« La candidature d'un prince allemand — candidature à la
présentation et à l'abandon de laquelle les gouvernements
confédérés sont restés étrangers, et qui, pour la Confédéra-
tion de l'Allemagne du Nord, n'avait d'autre intérêt que celui
de voiries représentants d'une nation amie (l'Espagne) réaliser
l'espoir de donner enfin à ce pays longtemps éprouvé les
garanties d'un gouvernement régulier et pacifique— a fourni
23
354 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
au gouvernement de l'empire français le prétexte d'un casus
belli, cela d'une façon périmée de longue date dans les usages
diplomatiques, et, ce prétexte disparu, de s'en tenir encore à
ce casus belli avec un mépris du droit qu'ont les peuples de
jouir de la paix, mépris renouvelé de l'histoire des précé-dents gouvernants monarchiques de la France.
« Si, dans les siècles antérieurs, l'Allemagne a supporté en
silence les atteintes contre son droit et son honneur, elle ne
les a supportées que parce que, dans son morcellement, elle
ignorait sa force.
« Aujourd'hui que le lien moral et confédéral — lien noué
primitivement par les guerres de l'indépendance — unit
ensemble sous une même loi les membres de la famille alle-
mande, dans une affinité qui sera d'autant plus étroite qu'elledurera plus longtemps ; aujourd'hui que les armements de
l'Allemagne tout entière ne laissent plus de porte ouverte à
l'ennemi, l'Allemagne possède à la fois et la volonté et la
force de résister aux nouvelles mises en demeure françaises.« L'outrecuidance ne me dicte pas ces paroles. Les gouver-
nements confédérés, ainsi que moi - même, agissent dans
l'absolue conscience que la victoire et la défaite sont entre les
mains du Dieu des combats.
« D'un regard tranquille et clair (1), nous avons mesuré la
responsabilité qui, devant le jugement de Dieu et des hommes,
incombe à celui qui pousse à des guerres dévastatrices deux
grands et pacifiques peuples habitant au coeur de l'Europe.
« Le peuple allemand et le peuple français — ces deux
peuples qui jouissent au même degré des bienfaits de la civi-
lisation chrétienne et d'une prospérité croissante, et qui
aspirent à continuer d'en bénéficier — étaient appelés à une
lutte plus salutaire que la lutte sanglante des armes. Mais les
(1) Le roi Guillaume avait, lui aussi, le coeur léger. (N. de l'A }
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 355
hommes qui dirigent la France (1) ont su, par une suggestion
calculée, exploiter, pour leurs intérêts personnels et leurs pas-sions particulières, l'amour-propre légitime mais trop facile-
ment irritable du grand peuple (français) qui est notre voisin.
« Plus les gouvernements confédérés (2) ont conscience
d'avoir tenté tout ce que leur honneur et leur dignité leur
permettaient, afin de conserver à l'Europe les bienfaits de
la paix, plus il apparaît évident aux yeux du monde que l'on
nous a mis l'épée à la main et plus grande aussi est la con-
fiance avec laquelle — nous appuyant sur le sentiment unanime
des gouvernements allemands du Sud comme du Nord — nous
faisons appel au patriotisme et à l'abnégation du peupleallemand tout entier, pour le convier à la défense de son
honneur et de son indépendance.« Comme nos pères, nous combattrons pour notre liberté
et notre droit contre l'agression étrangère ; et, dans cette
lutte où nous n'aurons pour but que d'assurer à l'Europe une
paix durable, Dieu sera avec nous comme il a été, jadis, avec
nos pères ! »
La phraséologie teutonne décèle à la fois, quoique sous
une forme dissimulée, la joie ressentie de l'occasion qui s'offre
et la préoccupation d'entraîner les états du Sud, tels que la
Bavière, la Saxe et le Wurtemberg, à la remorque de la
Prusse belliqueuse.
Le cabinet de Berlin avait encore, en effet, la crainte que
ces Etats, entrés seulement dans le Zollverein et simplement
liés par des conventions douanières, ne voulussent pas
s'engager plus avant et prêter à la monarchie prussienne
un concours armé auquel rien ne les contraignait.
(1) Certes, la responsabilité de M. Emile Ollivier et de ses col-
laborateurs est grande en soi ; mais elle reste minime si on la
compare à celle de M. de Bismarck. (N. de l'A.)
(2) Sauf la Prusse ! ! ! (N. de l'A.)
356 187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Aussi le souverain de Prusse faisait-il une évocation per-
fide du temps passé et rappelait-il, en termes suffisamment
explicites, la guerre du Palatinat sous Louis XIV et les sou-
venirs douloureux qui s'y rattachaient.
En jouant ainsi de la corde sensible, le roi Guillaume prou-
vait qu'il était merveilleusement informé des projets français,
en cas de conflagration internationale. Le service d'espion-
nage organisé par les agents de M. de Bismarck (1) avait
fonctionné, chez nous, d'une façon admirable, depuis 1867,
et avait pu pénétrer jusque dans les sphères dirigeantes, où
l'on n'ignorait pas qu'en cas de guerre avec la Prusse le plan
de Napoléon III devait être de s'assurer la neutralité bien-
veillante des états de l'Allemagne du Sud, en leur prouvant
diplomatiquement et militairement que le seul ennemi était
le gouvernement de Berlin.
Le roi Guillaume s'efforçait donc de parer d'avance à cette
éventualité, et c'est pourquoi il affirmait que l'Allemagne
tout entière, sans distinction aucune, était menacée par nos
entreprises guerrières.Cette manoeuvre réussit pleinement, puisque les peuples du
Sud, malgré leurs sympathies françaises, ne tardèrent pas à
se solidariser avec la Prusse : ce qui rendit vaines les précau-tions que l'on prit, de notre côté, d'éviter, au début, une
pénétration par le grand duché de Bade pour ne pas s'aliéner
les neutralités possibles et paralysa, en définitive, nos opé-rations militaires qui auraient dû, dès la première heure,
être menées vivement.
C'est dans cet ordre d'idées surtout qu'il faut déplorer l'iso-
lement dans lesquelles se trouvèrent alors les armes fran-
çaises.Cet isolement aurait eu une importance beaucoup moindre
si, en dépit de l'aveuglement montré depuis trois ans et plus
(1) Se reporter chap. II, pages 105 et suiv. du présent ouvrage.
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 357
par les parlementaires français au sujet de notre réorganisa-tion militaire, nos troupes, au lieu d'avoir à subir le choc
des armées de tous les pays allemands, se fussent trouvées
aux prises avec les seules forces de la Prusse.
Mais, quelle erreur de croire que' nous eussions pu trouver
une compensation dans l'assistance de l'Autriche ou de l'Italie,ou encore de ces deux puissances réunies.
Ceux qui le prétendent ignorent tout des réalités...
Avant eux, Napoléon III s'était préoccupé de la ques-tion I
On se rappelle (i) qu'en pleine crise Hohenzollern, l'Empe-reur — selon le témoignage de M. Emile Ollivier lui-même —
avait montré au Conseil des ministres des lettres de l'empe-reur d'Autriche et du roi Victor-Emmanuel qui pouvaient se
traduire, en somme, comme des promesses de secours.
Or, nous l'avons vu, Napoléon III, tout en continuant ses
négociations relatives à la conclusion d'une alliance austro-
italo-française, s'était rendu compte que la meilleure manière
de garantir la paix européenne était encore, pour l'instant,de faire disparaître toute cause de conflit franco-prussien
par le retrait de la candidature Hohenzollern.
Quel fond, en effet, pouvait-on faire sur cette triple alliance
en perspective ?
M. de Gramont l'indiqua par cet aveu, formulé au lende-
main de la guerre : « Si nous avions tenu campagne quelques
jours de plus sans être battus, le traité d'alliance à trois eût
été signé 1... Mais cela n'eût pas changé grand'chose à la
situation. »
Pourquoi ?
Parce que ni l'Autriche, ni l'Italie ne se trouvaient en posi-tion de nous apporter rapidement un concours efficace.
(i) Se reporter chap. IV, page 2^6 du présent livre. (N. del'A.)
358 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITES
C'est qu'en effet les ultramontains qui, d'une part, affirment
que l'Empereur subit, en 1870, le châtiment de l'abandon de
Rome, comme les anticléricaux forcenés qui, d'autre part,affirment juste le contraire et prétendent que nos désastres
proviennent de ce que nous avons protégé trop longtemps
le Saint-Siège contre les entreprises de la maison de Savoie,
parlent les uns et les autres à côté de la question.Celle-ci se pose seulement de la sorte : « Pouvions-nous,
oui ou non, dans la deuxième quinzaine de juillet 1870, tabler
sur un secours sérieux du gouvernement pontifical ou sur un
secours immédiat du gouvernement italien ? »
Du côté du pape, la question ne se pose même pas. Celui-ci
avait en effet besoin d'être lui-même protégé.Du côté de Victor-Emmanuel, la situation apparaît très peu
différente : nous le verrons tout à l'heure I
Mais alors, et l'aide de l'Autriche ?
Cette dernière puissance était aussi mal en point que la ] eune
monarchie italienne...
Rien ne le montre mieux que certains propos de M. de Beust,
son ministre des affaires étrangères, à notre ambassadeur à
Vienne, dès qu'il eut connaissance de la Déclaration ministé-
rielle du 6 juillet, de cette fameuse Déclaration grâce à
laquelle MM. de Gramont et Emile Ollivier auraient pudéchaîner les hostilités dix jours plus tôt.
M. de Beust avait dit à notre représentant : « Si la France
voulait une action commune, elle aurait dû nous prévenir ! »
Qu'on n'oublie pas, à la vérité, qu'il fallait à l'Autriche six
semaines au bas mot pour effectuer sa mobilisation.
Aussi, M. Henri Welschinger (1) a-t-il pu affirmer, sans
contestation possible, au sujet de l'hypothétique alliance
franco-austro-italienne :
« Si l'Autriche n'avait ni les ressources financières, ni les
(1) HENRI WELSCHINGER. — La guerre de 1870,.
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 35g
effectifs suffisants pour entrer immédiatement en campagne,
que dire de l'Italie? L'effectif de l'armée italienne avait été
réduit à cent trente mille hommes. Il lui fallait (à elle aussi)au moins six semaines pour se préparer à une action quel-
conque. >
Donc, pour l'instant, pas plus que sur l'Autriche, on ne
devait faire fond sur l'Italie. Seules, les négociations poursui-vies directement par le prince Napoléon avec le roi Victor-
Emmanuel auraient pu décider son intervention, une fois la
question de Rome solutionnée tout au moins en principe.Pour cela le délai prévu nous reportait jusqu'à la mi-sep-tembre.... C'est dire que, lorsque se produisit le 4 septembre,du coup nous perdîmes tout espoir de ce côté-là.
Et hâtons-nous de bien appuyer sur un point, au sujet de
l'Autriche :
Il a mieux valu que cette dernière ne pût, de son côté, nous
apporter le secours de sa faiblesse ; car, si elle s'était pro-noncée en notre faveur, la Russie — au lieu de garder la neu-
tralité — aurait sur-le-champ appuyé la Prusse avec la
plus grande énergie. Et nous eussions été, dès lors, 'seuls
pour ainsi dire à supporter l'effort de l'Allemagne tout entière
et de la Russie réunies.
Tandis que, par son abstention, l'Autriche ne nous aliénait
pas définitivement la Russie ; nous pouvions encore compter,à un moment déterminé, sur une intervention bienveillante
de la Russie : intervention qui certainement se serait produite,si le 4 septembre ne nous avait fait perdre, d'un seul coup,des causes diverses, les sympathies à peine renaissantes pourdu cabinet de Saint-Pétersbourg.
Reste l'Angleterre !
Une action britannique aurait, certes, 'pu s'exercer dès le
début de la guerre.Mais encore, ne faut-il pas s'exagérer l'importance ni l'effi-
cacité de cette action.
3Ô0 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Son champ aurait été fort limité. L'Angleterre avait la pos-sibilité d'opérer le blocus des ports allemands, dans la mer
du Nord et dans la Baltique ; mais, quelles troupes de débar-
quement pouvait-elle fournir pour amener une diversion utile
de ce côté-là?...
Quoi qu'il en soit, le cabinet de Saint-James fut heureux de
trouver un prétexte de neutralité dans les procédés maladroits
de M. de Gramont qui, par sa raideur, annihila en cette
période critique tous les effets des rapports cordiaux noués
antérieurement par Napoléon III avec le gouvernement de la
reine Victoria.
Un seul point reste à élucider : c'est celui d'une interven-
tion danoise.
C'est avoir la clairvoyance d'un aveugle que d'oser préten-dre : le concours du Danemarck nous eût donné la victoire, en
1870, si l'affaire des Duchés n'avait pris, en 1864, la tournure
que l'on sait (1).
Supposons, par impossible, le Danemarck victorieux en
1864!... Il aurait été épuisé par sa propre victoire et se serait
trouvé pareillement dans l'impossibilité de nous apporter un
appui sérieux, pour la raison bien simple que ce petit paysne saurait constituer un auxiliaire d'un poids irrésistible. Au
demeurant, ses récentes défaites et son démembrement ne
l'avaient que trop prouvé...
D'ailleurs, le salut de la France pouvait-il raisonnablement
dépendre de l'attitude d'une puissance de troisième ou de
quatrième ordre ?
Non ! La France devait et doit toujours porter en soi le
principe de sa force, surtout en face d'éventualités aussi
redoutables que celles en présence desquelles elle se trouvait
alors.
(1) Se reporter au chap. Ier, page ^9 et suivantes, du présentlirre.
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 36l
C'est ce principe vital qu'avait cherché à sauvegarder
Napoléon III, depuis la Crimée et l'Italie; c'est lui dont il
avait demandé la consécration, dès la fin de 186b, par son
projet sur la réorganisation de notre armée ; c'est lui
que les députés avaient foulé aux pieds avec une incon-
cevable légèreté, pour ne pas dire plus !
Et, comme l'Empereur, en présence de cette obstination
criminelle, s'était efforcé de maintenir une politique inter-
nationale pacifique, malgré les perpétuels traquenards de
M. de Bismarck : une oligarchie parlementaire à la tête de
laquelle brillait M. Emile Ollivier avait su s'emparer des
rênes du gouvernement, sans doute pour faire payer cher à
Napoléon III les réformes sociales accomplies par lui en
faveur de la Démocratie et auxquelles les parasites de tous
ordres entendaient mettre un terme par n'importe quel
moyen.
L'EMPEREUR PART POUR L'ARMEE
Dès que la Chambre eut précipité les hostilités, Napoléon III
comprit que, dans une période aussi critique, une seule res-
source lui restait : celle de galvaniser le pays, en ne lui dis-
simulant pas ses appréhensions, et d'encourager l'armée, en
partageant ses fatigues et ses dangers.
Cependant, il aurait pu s'abstenir de ce dernier risque.
Malade, en effet, l'ancien capitaine d'artillerie (i) de l'Elite
(1) C'est en 1834 que Louis-Napoléon (futur Napoléon III),vivant alors en Suisse où l'exil l'obligeait à résider, avait éténommé capitaine d'artillerie dans l'Elite de Berne. L'année pré-cédente, il avait publié une étude technique très remarquable,intitulée « Considérations politiques et militaires sur la Suisse »,dont le succès avait été considérable chez les gens de guerre etdans les milieux diplomatiques. (N. de l'A.)
362 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
de Berne avait suffisamment donné de preuves de sa réelle
valeur technique et de sa belle vaillance sur les champs de
bataille d'Italie - — d'où, comme son oncle, à soixante ans de
distance, il était revenu victorieux ! — pour que personnedésormais n'eût à suspecter ni l'une ni l'autre.
Mais, Napoléon III, précisément à cause des circonstances
qui avaient précédé la guerre avec la Prusse, tenait à
accomplir son devoir, tout son devoir, plus que son devoir.
Et ce devoir consistait à payer de sa personne, afin que,
stimulée par un haut exemple, l'armée trouvât, dans une force
morale accrue, la compensation nécessaire à la déperditionde force matérielle, provoquée par l'aveuglement des députés.
Pourtant, l'éloignement de Paris du chef élu du peuple
français n'était pas sans inconvénients graves.Par bonheur, la session parlementaire était close. De ce
fait, la confusion des pouvoirs exécutif et législatif allait dis-
paraître. Le gouvernement exercé par une régence, qu"avait
prévue la constitution, ne permettrait plus le renouvellement
d'un byzantinisme qui, par exemple, nous avait été si funeste,en 1815, en rendant irréparable l'échec, peu important en soi,subi à Waterloo (1). Ainsi seraient rendues irréalisables les
honteuses spéculations de certains adversaires politiques,traduites par cette phrase qu'affirme avoir entendue Albert
Duruy : « Nous souhaitons un nouveau Waterloo ! »
Car, on ne saurait le contester, au moment où l'Empereurse préparait à partir pour le Rhin, à cette heure angoissanteoù la patrie en danger aurait eu besoin du concours de tous
ses enfants, les calculs les plus infâmes étaient faits par de
singuliers patriotes...La Gazelle d'Italie, fort au courant des vues secrètes des
adversaires de Napoléon III, a pu dire après nos premiers
(1) Voir CAMILLE COCUAUD. — Le Retour de l'Ile d'Elbe ( IIIe
partie <:Waterloo », de la page 2S7 à la page 517).
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 363
revers : « Jusqu'à la catastrophe de Sedan, les bourgeois soi-
disant républicains de Paris attendaient avec anxiété les nou-
velles du théâtre de la guerre, tremblant d'apprendre quelque
grande victoire de l'Empereur, alors que toutes leurs espé-rances reposaient sur sa défaite, comme ne l'a que trop
prouvé l'événement. »
Dans le Réveil du 14 juillet 1870, M. Delescluze n'a-t-il pasécrit: « Si les Prussiens sont battus, si le chassepot l'emporte,le gouvernement personnel deviendra plus exigeant que
jamais et la liberté sera refoulée dans les limbes. »
De son côté, le Standard enregistrait cette constata-
tion : « Les républicains français flairaient dans les désastres
de leur patrie les seuls moyens qui leur restaient de satisfaire
leurs vengeances et d'assouvir leur ambition. »
Cela, c'était la mentalité de la bourgeoisie.
Mais, le peuple, lui, pensait autrement; car, les quelquesouvriers qui affichaient des opinions républicaines, par espritde fronde seulement, savaient parfaitement qu'au point de vue
démocratique ils pouvaient davantage compter sur le socialiste
Napoléon III que sur les bourgeois arrivistes, se servant de
l'idée démocratique uniquement pour assurer leur prédomi-nance de caste.
Le prolétariat, en effet, avait conservé le souvenir d'un mot
d'Armand Barbes, en 1854, au moment de la guerre de
Crimée !
Quelques-uns des prétendus amis politiques de ce répu-
blicain sincère craignaient, alors, que la victoire « réconfortât
l'Empire > et faisaient en conséquence les voeux les plusardents pour notre défaite. Indigné, Barbes leur avait écrit :
« Hélas ! il ne nous manquait plus que de perdre le sens moral
après avoir perdu tant d'autres choses. »
Et, ce mot, Barbes avait eu l'occasion, plus tard (1), de lui
-(1) Se reporter chap. III, page 186, du présent livre.
3Ô4 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
donner une forme plus précise et aussi plus appropriée aux
événements encore en gestation, puisqu'en plein guet-apensHohenzollern il avait déclaré : « Si ça devait finir par l'inva-
sion, j'aimerais encore mieux vingt ans d'Empire. »
Du côté du prolétariat, il n'y avait donc rien à craindre, et
c'est ce qui réconfortait Napoléon III et compensait en
quelque sorte dans son esprit toutes les appréhensions qu'yavaient fait naître les agissements de toute sorte de la bour-
geoisie de Droite et de Gauche.
C'est dans ces conditions qu'aux premiers jours de la mobi-
lisation l'Empereur adressa la proclamation suivante au
peuple français :
« Français,
« Il y a dans la vie des peuples des moments solennels où
l'honneur national, violemment excité, s'impose comme une
force irrésistible, domine tous les intérêts et prend seul en
main la direction des destinées de la patrie. Une de ces heures
décisives vient de sonner pour la France.
« La Prusse, à qui nous avons témoigné pendant et depuisla guerre de 1866 les dispositions les plus conciliantes, n'a
tenu aucun compte de notre bon vouloir et de notre longa-nimité. Lancée dans une voie d'envahissement, elle a éveillé
toutes les défiances, nécessité partout des armements exagéréset fait de l'Europe un camp où régnent l'incertitude et la
crainte du lendemain.
« Un dernier incident est venu nous révéler l'instabilité des
rapports internationaux et montrer toute la gravité de la
situation. En présence des nouvelles prétentions de la Prusse,nos réclamations se sont fait entendre. Elles ont été éludées
et suivies de procédés dédaigneux. Notre pays en a ressenti
une profonde irritation, et aussitôt un cri de guerre a retenti
d'un bout de la France à l'autre. Il ne nous reste plus qu'àconfier nos destinées au sort des armes.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 365
« Nous ne faisons pas la guerre à l'Allemagne, dont nous
respectons l'indépendance. Nous faisons des voeux pour que
les peuples qui composent la grande nationalité germanique
disposent librement de leurs destinées.
« Quant à nous, nous réclamons l'établissement d'un état
de choses qui garantisse notre sécurité et assure l'avenir. Nous
voulons conquérir une paix durable, basée sur les vrais
intérêts des peuples, et faire cesser cet état précaire où toutes
les nations emploient leurs ressources à s'armerlesunes contre
les autres.
« Le glorieux drapeau que nous déployons encore une fois
devant ceux qui nous provoquent est le même qui porta à
travers l'Europe les idées civilisatrices de notre grande Révolu-
lion. Il représente les mêmes p rincipes ; il inspirera les mêmes
dévouements.
« Français,
« Je vais me mettre à la tête de cette vaillante armée
qu'anime l'amour du devoir et de la patrie. Elle sait ce qu'elle
vaut, car elle a vu dans les quatre parties du monde la vic--
toire s'attacher à ses pas.
« J'emmène mon fils avec moi, malgré son jeune âge. Il
sait quels sont les devoirs que son nom lui impose, et il est
fier de prendre sa part dans les dangers de ceux qui com-
battent pour la patrie.
« Dieu bénisse nos efforts. Un grand peuple qui défend une
cause juste est invincible !
« NAPOLÉON. »
L'Empereur, en dépit donc de la maladie dont il souffrait,
ne tarda pas à quitter Saint-Cloud à destination de la
frontière, afin de décupler par sa présence le couragede nos soldats répartis en huit corps d'armée : le i«
sous les ordres de Mac-Mahon, à Strasbourg; le 2e, du
366 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
général Frossard, à Sai.nt-Avold ; le 3e, du maréchal Bazaine,à Metz ; le 4e, du général de Ladmirault, à Thionville ;le 5e, du général de Failly, à Bitche ; le 6e, du maré-
chal Canrobert, à Châlons ; le 7e, du général Félix Douay,à Belfort ; enfin, le 8e, composé de la garde impé-riale et placé sous le commandement du général Bourbaki.
Deux jours avant son départ, Napoléon III avait aussi
adressé cette lettre au commandant supérieur de la gardenationale :
« Sainl-Cloud, le 26 juillet 1870,
« Mon cher général,
« Je vous prie d'exprimer'de ma part à la garde nationale
de Paris combien je compte sur son patriotisme et sur son
dévouement.
« Au moment de partir pour l'armée, je tiens à lui témoignerla confiance que j'ai en elle pour maintenir l'ordre dans
Paris et pour veiller à la sûrelé de l'impératrice.« Il faut aujourd'hui que chacun, dans la mesure de ses
forces, veille au salut de la patrie.« Croyez, mon cher général, à mes sentiments d'amitié.
« NAPOLÉON. »
Parti le 28 de Saint-Cloud, le chef de l'Etat arrivait bientôtà Metz, où il fut reçu, sur son ordre, aux accents de la Mar-seillaise qui avait salué, depuis deux semaines, à Paris, le
départ de tous les régiments envoyés chaque jour vers le Rhin.
C'est de Metz que l'Empereur adressa cette proclamation à
l'armée, où l'on trouve une nouvelle preuve du sentimentexact que le chef de l'Etat avait de la situation et des diffi-ficultés considérables auxquelles il faudrait faire face :
« Soldats,« Je viens me mettre à votre tête pour défendre l'honneur
et le sol de la patrie.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3Ô7
« Vous allez combattre une des meilleures armées de l'Europe;
mais, d'autres, qui valaient autant qu'elle, n'ont pu résister à
votre bravoure. Il en sera de même aujourd'hui.
« La guerre qui commence sera longue et pénible, car elle
aura pour théâtre des lieux hérissés d'obstacles et de forte-
resses ; mais, rien n'est au-dessus des efforts persévérants des
soldats d'Afrique, de Crimée, de Chine, d'Italie et du
Mexique. Vous prouverez une fois de plus ce que peut une
armée française animée du sentiment du devoir, maintenue
par la discipline, enflammée par l'amour de la patrie.
« Quel que soit le chemin que nous prenions hors de nos
frontières, nous y trouverons les traces glorieuses de nos
pères. Nous nous montrerons dignes d'eux.
« La France entière vous suit de ses voeux ardents, et l'uni-
vers a les yeux sur vous. De nos succès dépend le sort de la
Liberté et de la Civilisation.
« Soldats, que chacun fasse son devoir, et le Dieu des
armées sera avec nous.
« NAPOLÉON. »
LES HERITIERS DE FOUCHE ET DE MARMONT
L'Empereur, en préconisant l'offensive, proposait la seule
tactique qui correspond à notre tempérament national, la
seule susceptible en tous cas d'annihiler d'un seul coup, dans
cette guerre, tous les plans d'invasion soigneusement prépa-
rés depuis trois ans par le maréchal de Moltke, grâce aux
renseignements fournis par les innombrables espions de
M. de Bismarck en France.
Le premier combat livré — et livré sur territoire allemand
368 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
— fut une victoire ! (1) Il eut lieu dans la matinée du 2 août à
Sarrebrûck, et on le connut, à Paris, par la dépêche sui-
vante :
« Metz, 2 août, 4 h. 30 soir.
« Aujourd'hui, 2 août, à onze heures du matin, les troupes
françaises ont eu un sérieux engagement avec les troupes
prussiennes.« Notre armée a pris l'offensive, franchi la frontière et
envahi le territoire de la Prusse.
« Malgré la force et la position ennemie, quelques-uns de
nos bataillons ont suffi pour enlever les hauteurs de Sarre-
brûck, et notre artillerie n'a pas tardé à chasser l'ennemi de
la ville.
« L'élan de nos troupes a été si grand que nos pertes ont
été légères.« L'engagement, commencé à onze heures, était terminé à
une heure.
« L'Empereur assistait aux opérations, et le prince impé-
rial, qui l'accompagnait partout, a reçu, sur le premier
champ de bataille de la campagne, le baptême du feu.
« Sa présence d'esprit, son sang-froid ont été dignes du
nom qu'il porte. L'Empereur est rentré à Metz à quatreheures. »
Le succès de Sarrebrûck était de bon augure... Malheureu-
sement — tandis que la présence de Napoléon III décidait du
triomphe, sur la Sarre, de la portion avancée du 2e corps —
l'impéritie du commandement dans le Ier corps d'armée pré-
parait l'échec de Wissembourg.
(1) « Il (ce succès) avait en outre un véritable avantage straté-gique ; il nous livrait des hauteurs qui pouvaient former, dansle cas d'un prochain combat, des positions superbes et entreautres ce champ de manoeuvres* qui dominait et d'où l'artilleriepouvait commander la ville et l'horizon boisé de Sarrebrûck. »—JULES CLARETIE. (Histoire de la Révolution de 1870-71, p. 127.)
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3bQ
Le 4 août, le général Abel Douay, qui commandait une
division sous les ordres de Mac-Mahon, était surpris dans
cette ville par des forces huit fois supérieures en nombre, et,
malgré des prodiges de valeur, subissait une défaite au cours
de laquelle, d'ailleurs, il trouvait une mort glorieuse.Plus de soixante kilomètres séparaient la division Douay
du gros de l'armée de Mac-Mahon dont le quartier généralétait à Strasbourg. C'est dire qu'une jonction apparaissaitdifficile dans une seule journée. Le maréchal ne l'esquissa
que le jour même du combat de Wissembourg.C'était trop tard ! L'écrasement avait eu lieu...
Le 2e corps dut aussitôt obliquer à gauche, au lieu de con-
tinuer sa marche vers le nord-est, tandis que les Allemands,
précédemment massés dans le triangle Landau-Philipsbourg-
Carlsruhe, pénétraient en France par la route de Mayence à
Strasbourg, devenue libre.
Le 6 août, Mac-Mahon en personne se trouvait dans la
nécessité d'accepter la bataille à Frceschwiller (Woerth), en
deçà de Wissembourg.
Stratège médiocre, le maréchal de Mac-Mahon était par
contre un soldat valeureux. En présence des troupes alle-
mandes quatre fois plus nombreuses que les siennes, il se
battit comme un lion,... pour se faire battre ! Et les charges
légendaires qu'à Reischshoffen exécuta, ce jour-là, la cavale-
rie française n'enrayèrent pas le désastre. On s'empressa
d'ailleurs d'attribuer celui-ci au général de Failly qui, à
Bitche, avait reçu trop tard les ordres de son commandant
de corps.Le même jour, le 2e corps d'armée, sous les ordres du
général Frossard, reperdait, à Forbach, le terrain gagné
à Sarrebrùck par l'Empereur. Il est vrai que la faute ne
saurait en incomber au seul commandant du 2e corps. La
responsabilité en remonte, pour une grande part, au maré-
chal Bazaine, commandant le 3e corps d'armée, qui aurait
24
3/0 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
dit, (1) à cette occasion : « Que Frossard gagne tout seul son
bâton de maréchal ! » — parole odieuse qui explique pour^
quoi Metz n'appuya point Saint-Avold, dès le début de la
campagne, et qui décèle déjà le mobile de la persistanteinertie future de Bazaine.
Quoi qu'il en soit, en dehors du succès personnel de
l'Empereur à Sarrebruck, la campagne s'ouvrait maintenant,
d'une façon définitive, sous les plus fâcheux auspices.
N'importe ! à Paris, les bourgeois parasitaires et les spécu-lateurs financiers entendaient tirer parti et profit des événe-
ments, quels qu'ils fussent. Le 6 août, c'est-à-dire à la date
même où survenaient les désastres de Froeschwiller et de
Forbach, un bruit circula tout à coup, à la Bourse. On y
parlait ouvertement d'une nouvelle victoire de nos armes,
complétant la première victoire de Sarrebruck I!! Les haus-
siers firent naturellement des affaires d'or, et la fièvre du
triomphe déferla dans l'après-midi à travers la capitale, à tel
point que, dans les théâtres, les acteurs durent couper la
représentation de matinée pour laisser chanter des refrains
patriotiques. Cela devenait du délire !
Hélas ! dès le soir même, à cinq heures, la sombre vérité
commençait à percer. Elle provoqua une telle colère que le
cabinet Ollivier dut essayer de calmer l'effervescence popu»laire en faisant placarder cette affiche, dès le lendemain ;
« Le Conseil des Ministres
aux habitants de Paris« Habitants de Paris,« Vous avez été justement émus par une odieuse manoeuvre.
« Le coupable a été saisi, la justice informe.
« Le gouvernement prend les mesures les plus énergiques
pour qu'une telle infamie ne puisse se renouveler.
1) JULES CLARETIE. — Histoire de la Révolution de 1870-7i%page i_j5.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3jl
« Au nom de la patrie, au nom de notre armée héroïque,nous vous demandons d'être calmes, patients et de mainte-
nir l'ordre.
« Le désordre à Paris, ce serait une victoire pour les Prus-
siens.
« Aussitôt qu'une nouvelle certaine arrivera de quelque
nature qu'elle soit, elle vous sera immédiatement commu-
niquée.« Soyons unis, et n'ayons en ce moment qu'une pensée,
qu'un voeu, qu'un sentiment : le triomphe de nos armes. »
« EMILE OLLIVIER ; duc de GRAMONT ; CHEVANDIER
de VALDROME ; SEGRIS ; général DEJEAN ; amiral
RIGAULT DE GENOUILLY ; PLICHON ; LOUVET ;
Maurice RICHARD ; de PARIEU. »
Mais, en présence des dépêches contradictoires qui se suc-
cédaient , l'exaltation de Paris monta bientôt à son
paroxysme.
Dans ces conditions, M. Emile Ollivier ne tarda pas à
perdre complètement le sentiment de son devoir et de ses
responsabilités.
Au lieu de dominer les événements, il se laissa dominer
par eux. Loin de protéger, de toute son autorité, le pouvoir
de la Régente, il le mit à la merci d'un incident parlemen-
taire ou d'un mouvement de la rue, en convoquant immédia-
tement les Chambres.
C'était commettre la suprême folie!... Dans l'antique Rome,
où la pratique républicaine laissait au peuple le maximum de
souveraineté, jamais, en présence d'un danger extérieur,
l'exercice du gouvernement ne restait à la discrétion du
Sénat ou du forum. Un homme seul en prenait la charge,
quitte à justifier de ses actes une fois la paix revenue.
Malheureusement, M. Ollivier n'avait pas une âme de
372 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
romain ! Expert à compliquer la situation la plus simple,
puis à la rendre bientôt inextricable : il s'évanouissait dès
que la confusion des esprits avait atteint son point culmi-
nant.
C'est ainsi qu'il agit au lendemain de Froeschwiller et de
Forbach.
L'ancien gonfalonier des « Cinq républicains » n'eut alors
de cesse jusqu'au moment où il put tirer sa révérence et
passer à d'autres le souci qu'occasionnait en ce moment la
gestion des affaires publiques.
Nouveau Ponce-Pilate, l'homme du libéralisme entendait
se laver constitutionnellement les mains de tout ce qui était
advenu depuis son accession au pouvoir et de tout ce qui
pouvait survenir par la suite.
C'est ainsi que les Chambres furent convoquées, à la date
du 9 août.
Ce jour-là, au Palais-Bourbon, dès le début de la
séance, le déchaînement des passions byzantines se donna
libre cours. Tous les avocats, tous les rhéteurs péro-rèrent avec abondance, non pour préconiser qu'on se
groupât autour de l'Empereur en vue du salut de la Patrie,mais au contraire pour essayer de tirer un bénéfice politiquede nos premières défaites.
Aussi, quand M. Emile Ollivier eut liquidé sa propre situa-
tion, M. Jules Favre osa-t-il prononcer ces paroles quidevaient décider bientôt du choix de Bazaine comme géné-ralissime.
« M. JULES FAVRE (1). — On vous a dit que l'heure des dis-
cours était passée. Oui, mais elle est passée aussi l'heure des
ménagements qui perdent les assemblées et les Empires.« La vérité est que le sort de la patrie est compromis, et
que c'est là le résultat des fautes de ceux qui dirigent les
(1) Annales du Sénat et du Corps LégislatiJ. — 1870.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 2>j"h
opérations militaires et du commandement en chef. Nous
sommes en face d'événements qui exigent non seulement
tous nos efforts, mais aussi toute notre sagesse. // faut donc
que toutes nos forces militaires soient concentrées dans les
mains d'un seul homme, mais que cet homme ne soit pas l'Empe-reur. »
Sur-le-champ, le tumulte fut à son comble. De toutes parts,on s'invectivait ; et, dans un hourvari impossible à traduire,on entendit ce cri : « Déchéance ! déchéance ! »
C'est M. de Kératry (1), l'orléaniste de Kératry, qui venait
de le lancer.
Les débats reprirent :
« M. de KÉRATRY. — Je demande l'urgence pour la propo-sition de M. Jules Favre. •
« M. GRANIER DE CASSAGNAC. — Je ne veux pas faire un dis-
cours dans les circonstances présentes, mais je cède à l'impé-rieux commandement de ma conscience en apportant contre
une telle proposition la protestation du citoyen et du député.« Cet acte est un commencement de révolution tendant la
main à un commencement d'invasion. Les Prussiens vous
attendaient !... {Bruit.) Lorsque Bourmont (2), d'odieuse
mémoire, vendit son pays, il ne fit rien de pire. Il était au
moins soldat, tandis que vous, abrités derrière vos privilèges,vous proposez de détruire le gouvernement de l'Empereur,alors qu'il est face à l'ennemi.
« M. ARAGO. — La patrie est en danger !
« M. GRANIER DE CASSAGNAC. — Nous sommes tous venus ici
sous la condition du serment qui constitue notre caractère,
notre inviolabilité. Celui qui déchire son serment cesse d'être
(1) Aussi, M. de Kératry fut-il nommé préfet de police, le4 septembre 1870. (N. de l'A.)
(2) Voir CAMILLE COCUAUD. — Le Retour de l'Ile d'Elbe,pages 2^2 et suiv.
374 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
inviolable, et si j'avais l'honneur de siéger sur les bancs du
gouvernement, vous seriez tous, ce soir, livrés aux conseils
de guerre ! >
, Mais, les byzantins se rient de la menace... Ne sont-ils pasles maîtres, puisque le parlementarisme seul peut imposersa direction et ses volontés ?
Aussi M. de Kératry ne tardait-il pas à déclarer de nouveau
que Napoléon III devait « céder sa place au patriotisme de
l'Assemblée II! »
Seule l'évocation du plébiscite populaire qui avait conféré
ses pouvoirs constitutionnels à l'Empereur arrêta la meute.
Celle-ci se borna à satisfaire le secret désir de M. Emile Olli-
vier, en mettant son ministère en minorité.
Le lendemain, un nouveau cabinet parlementaire parais-sait devant les Chambres. Il était ainsi composé :
« Ministre de la Guerre (président du conseil) : comte de
Palikao, général de division, sénateur;« Ministre de l'Intérieur : Henri Chevreau, sénateur, préfet
de la Seine ;« Ministre des Finances : Magne, sénateur ;« Garde des Sceaux, ministre de la Justice : Grandperret,
conseiller d'Etat, procureur général près la Cour de Paris ;« Ministre des Affaires Étrangères : Le prince de la Tour
d'Auvergne, sénateur, ambassadeur en Autriche ;« Ministre de la Marine et des colonies : Amiral Rigault de
Genouilly, sénateur ;« Ministre de l'Instruction Publique : Jules Brame, député ;« Ministre des Travaux Publics : baron Jérôme David, vice-
président du Corps Législatif;« Ministre de l'Agriculture et du Commerce : Clément
Duvernois, député ;« Ministre présidant le Conseil d'Etat : Busson-Billault,
vice-président du Corps Législatif. >
Trois jours plus tard, satisfaction complète était donnée à
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3y5
MM. Jules Favre et Ernest Picard au sujet du généralissime.Au cours de la séance du 13 août, en effet, le général de
Palikao, ministre de la guerre, se vit dansTobligation d'expli-quer lui-même la portée d'un décret relatif au maréchalBazaine. Il fournit ainsi à la gauche l'occasion d'acclamer son
protégé.« Plusieurs d'entre vous, déclara le comte de Palikao, ont
paru émus d'une insertion qui a figuré ce matin à YOfficiel.Le décret nommant le maréchal Bazaine est daté du 9, tandis
que la démission du maréchal Le Boeuf est du 12. C'est danscet intervalle de trois jours que le maréchal Bazaine a été
investi du commandement en chef, ce qui n'implique aucun
commandement en dehors du sien (1).— « Aucun commandement supérieur non plus ? » s'écriè-
rent M. Guyot-Montpayroux et plusieurs de ses collègues.— « Aucun commandement, ni au-dessus, ni à côté >,
répondit le général de Palikao.— « De tous les corps d'armée ? » s'empressa-t-on d'ajouter.— « De tous les corps d'armée, » répondit encore le mi-
nistre.
La gauche se déclara enfin satisfaite ; et l'un de ses mem-
bres, M. Barthélemy-Saint-Hilaire, affirma en son nom :« Cela rassurera le pays ! >
Evidemment, le généralissimat de M. Bazaine devait ras-
surer tout le monde,... hormis ceux peut-être qui étaient au
courant des dessous de son rappel du Mexique. Car les titres
de cet officier général se résumaient, en définitive, dans la
mesure de disgrâce prise contre lui au lendemain de cette
expédition.Loin de protéger, là-bas, le gouvernement dont la défense
(1) En quittant le ministère de la Guerre, le maréchal Le Boeuffut nommé major-général. Mais cela porta ombrage au généra-lissime Bazaine qui exigea la disparition de cet emploi.
376•
187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
lui incombait, il avait essayé de se substituer à lui, en affi-
chant de singulières visées de dictature.
Depuis lors, Napoléon III avait tenu Bazaine à l'écart ; et
cette mise à l'index de la part de l'Empereur motivait seule la
confiance que les adversaires du gouvernement témoignaientau maréchal, et que le journal le Siècle traduisait d'un seul
mot en qualifiant Bazaine de « Sauveur » !
Donc celui-ci, maintenant, était « commandant supérieur
de tous les corps d'armée, sans qu'il existât aucun comman-
dement ni au dessus, ni à côté du sien. »
Cela faisait par avance joliment compensation à l'échec de
la tentative de la Villette, au cours de laquelle le révolution-
naire Eudes et un certain nombre d'agitateurs allaient se
porter, mais en vain, le 12 août, sur l'Hôtel de Ville, dans
l'espoir de s'en emparer, d'y proclamer la déchéance de
l'Empereur et d'instaurer un nouveau gouvernement.
Eudes, d'ailleurs, ne jouissait d'aucune sympathie parmiles bourgeois parlementaires, si républicains qu'ils se préten-dissent.
Aussi, préférèrent-ils —parallèlement à l'élévation de
Bazaine — voir le général Trochu nommé gouverneur de
Paris. Avec celui-ci l'entente serait facile, à l'occasion : plusfacile ert tous cas qu'avec un intransigeant de l'espèced'Eudes dont la haine politique avait pour base, non la pro-
pension de l'arrivisme, mais la déviation d'un patriotisme
exaspéré.
L'ENCERCLEMENT DE SEDAN
Le généralissimat de Bazaine, à l'armée du Rhin, n'eut
pas les effets heureux et brillants qu'en escomptaient ceux qui
proclamaient celui-ci le « Sauveur ».
Au moment où le maréchal fut investi de son commande-
ment suprême, quelle était la situation exacte de l'armée ?
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 877
Jules Claretie en personne (i) nous l'indique en quelques
mots :
« Tandis que Mac-Mahon et de Failly battaient en retraite
sur Châlons, les autres corps d'armée se retiraient assez rapi-
dement sous les canons de Metz. A l'exception du corps de
Frossard, ils étaient tous intacts... »
Dans ces conditions, on en conviendra, la victoire était
encore possible, non seulement possible, mais probable
même, sous une impulsion loyalement donnée et une offensive
vigoureusement reprise.
Voici ce qu'au surplus, au lendemain de la guerre, un écri-
vain militaire qui fait autorité, M. J. de Wickede, publiait
dans la Galette de Cologne :
« Si le maréchal Bazaine, après avoir laissé seulement
50,000 hommes dans Metz, eût fait sa jonction avec Mac-
Mahon, et opéré en toute hâte la concentration des troupes
qui se trouvaient encore à Châlons, à Paris et dans le nord de
la France — et les Français avaient pour cela à leur service
un très bon réseau de chemins de fer — l'empereur Napoléon
aurait pu réunir de nouveau, dans les jours qui se sont écou-
lés du 12 au 18 août, une armée de 320,000 à 350,000 hommes
de bonnes troupes, dans une excellente position, entre Metz
et Verdun, et offrir là à l'armée allemande la bataille déci-
sive de la guerre.
« Il aurait été difficile à cette date au général de Moltke
de conduire au combat une armée de force numériquement
égale (2). Les 50.000 hommes de Metz auraient exigé la dislo-
cation de 80,000 hommes pour bloquer la place, et des déta-
chements considérables étaient, d'autre part, immobilisés
par la nécessité de cerner les forteresses de Strasbourg,
(1) JULES CLARETIE. — Histoire de la Révolution de 1810-71.
(2) Or, nous n'avions combattu jusqu'ici que un contre quatreou cinq, et quelquefois contre dix ! (N. de l'A.)
378 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Schelestadt, Brisach, Phalsbourg et Toul, afin d'empêcherdes sorties de leurs garnisons : on n'aurait donc jamais pu,
dans la seconde moitié du mois d'août, concentrer 350.000 à
450.000 Allemands entre Metz et Verdun, n'y eût-il eu d'autre
impossibilité que celle des approvisionnements nécessaires.
Si, en même temps, les troupes qui se trouvaient encore à
Besançon et à Lyon, ainsi qu'à Marseille, Toulon et Gre-
noble, avaient reçu l'ordre d'une rapide concentration et
avaient été dirigées immédiatement sur Belfort, un corps de
30.000 à 40.000 hommes aurait été ainsi formé sur ce point
stratégique important.« Ce corps aurait pu tenter de faire lever le siège de Stras-
bourg, détruire toutes les étapes de l'armée allemande en
Alsace, peut-être même opérer une diversion— momentanée
cela va sans dire — dans le grand duché de Bade, où il ne se
trouvait plus de troupes allemandes. »
Au lieu de cela, on sait ce qui se passa grâce au maréchal
Bazaine, dont tous les actes, depuis le 10 août, semblent
avoir eu pour mobile le même sentiment qui avait guidé cet
homme au Mexique. Là-bas, il avait rêvé du premier rôle ; il
en rêva pareillement en France, en 1870. C'est ce qui le per-
dit, et nous perdit.Pendant que le 2° corps (général Frossard), le 4e (de Lad-
mirault), le 6e (Canrobert), le 7e (Félix Douay), et la garde,venaient avec le 3e corps s'immobiliser sous Metz, le Ier
(Mac-Mahon) et le 5e (de Failly) battaient en retraite sur Chà-
lons, quitte à essayer un peu plus tard de revenir encore
vers Metz pour y opérer leur jonction avec Bazaine. Mais à
ce moment-là, celui-ci ne ferait rien pour faciliter la tenta-
tive de Mac-Mahon, et n'esquisserait pas la moindre opéra-tion de secours pour lui éviter de se faire encercler. Comment
qualifier, d'ores et déjà, une aussi coupable inertie ?
Dès le 12 août, l'Empereur, déchargé en définitive de toute
responsabilité quant aux opérations militaires, aurait pu
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 379
regagner Paris et quitter le théâtre de la guerre. Son départn'aurait motivé aucune critique véritablement impartiale;car cet homme, qui n'était pour rien dans les hostilités et ne
faisait que les subir, se trouvait dans un état de santé où la
moindre fatigue lui occasionnait d'intolérables souffrances.
Mais le rêveur socialiste était doublé d'un véritable stoï-
cien. Napoléon III, devinant bien que sa présence seule suffi-
sait à relever le moral des troupes, préféra endurer les pirestortures et risquer aussi chaque jour la mort sur le champ de
bataille plutôt que d'abandonner ses soldats.
Le 14 août, on eut la preuve tangible qu'il voyait juste et
que son sacrifice n'était pas inutile. Sa présence au combat
de Borny, dans la voiture où la maladie le clouait, impres-sionna l'armée en retraite à un point tel qu'elle trouva
moyen de suspendre son mouvement (qui devait lui per-mettre de trouver abri sur la rive gauche de la Moselle, prèsde Longeville) pour résister à une attaque des Prussiens, sur-
venus en force inopinément, et de leur infliger un sanglantéchec.
Hélas ! l'Empereur ne pouvait plus maintenant que donner
des avis, non des ordres. Aussi, d'une part, les tiraillements
qui se firent de plus en plus sentir entre Bazaine, comman-
dant en chef de l'armée du Rhin, et Mac-Mahon, comman-
dant en chef de l'armée de Châlons, et d'autre part les enga-
gements par petits paquets du maréchal Bazaine, sous Metz,allaient-ils précipiter les événements de la façon la plusdésastreuse.
C'est ainsi qu'on eut, d'un côté, à enregistrer les revers de
Vionville (16 août) et de Gravelotte (18 août), tandis que, de
l'autre côté, Mac-Mahon, esquissant avec une extrême len-
teur une marche qui aurait dû être foudroyante, de Reims à
Montmédy, se laissait arrêter par l'armée du prince de Saxe.
Après les combats partiels des 25, 26 et 27 août, à Grandpréet à Buzancy, Mac-Mahon obliqua vers le Nord : ceci au
380 1870-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
moment où le corps d'armée de son lieutenant, le général de
Failly, culbuté à Beaumont, se trouvait obligé lui aussi de se
replier sur Sedan.
Aussitôt, les deux armées allemandes poursuivantes se
rejoignirent, rejetant les deux corps français vers la
même place-forte —trop éloignée de notre première ligne de
défense pour être aussi bien approvisionnée que Metz ou
Strasbourg par exemple.Encore une fois, Mac-Mahon, mauvais tacticien autant que
soldat courageux, se battait comme un lion. Mais, c'était bien
inutilement ; car, les fautes découlant de sa lenteur propreet aussi l'écrasement du général de Failly à Beaumont
(30 août) étaient difficilement réparables.C'est dans ces conditions qu'allait s'engager la bataille de
Sedan, où sous le commandement en chef du maréchal Mac-
Mahon, la totalité de l'armée de Châlons — acculée dans la val-
lée de la Meuse entre l'Argonne et les Ardennes ; coupée, du
côté de l'Est et du Sud, de toute communication avec Metz ;
arrêtée au Nord par la frontière belge — chercherait vaine-
ment à prendre du large vers l'Ouest, dans la direction de
Mézières-Charleville.
Napoléon III, sans jamais exercer la moindre pression sur
le haut commandement — ainsi, d'ailleurs, que l'a très loya-lement reconnu Mac-Mahon lui-même — se trouvait encore
et toujours au milieu de cette armée en péril.
Aussi, convient-il peut-être de reproduire une partie de la
relation (1) qu'il a personnellement donnée à cet égard et
qu'aucun historien digne de ce nom n'a pu infirmer en ce
qui concerne le moindre détail.
Ce récit, du reste, complète les indications générales
précédemment fournies. En voici un extrait :
« Le 30 (août) à quatre heures du soir, l'Empereur et le duc
(1) Le livre de l'Empereur, par le comte de la Chapelle.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 381
de Magenta (Mac-Mahon) se trouvaient sur les hauteurs de
Mouzon, où le 12e corps était en position. Ils avaient tous
les deux mis pied à terre. On entendait dans le lointain le
canon du corps du général de Failly, et le général Pajol, quiavait été en reconnaissance pour juger de l'état des choses,avait rapporté la nouvelle que le 5e corps se retirait sur Mou-
zon. Le Maréchal (Mac-Mahon) dit alors à l'Empereur quebientôt toute l'armée aurait passé sur la rive droite de la
Meuse, que lui-même ne voulait pas quitter Mouzon avant
que l'opération fût achevée, mais que, tout allant bien, il enga-
geait l'Empereur à se rendre à Carignan, où le Ier corpsdevait être arrivé et où serait le quartier général.
« Napoléon III partit donc, plein de confiance sur le résul-
tat delà journée; mais, une heure à peine après son arrivée à
Carignan, le général Ducrot vint lui communiquer les nou-
velles les plus alarmantes ; le 5e corps avait été rejeté en
désordre sur Mouzon, la brigade envoyée à son secours avait
été entraînée dans la fuite. Le Maréchal faisait dire à l'Empe-reur de se rendre le plus tôt possible à Sedan, où l'armée se
retirait. Celui-ci ne pouvait croire que la scène eût changési complètement en quelques heures ; il voulait néanmoins
rester avec le Ier corps ; mais, sur les instances du général
Ducrot, il se décida à prendre le chemin de fer, et arriva à
onze heures du soir à Sedan. On lui proposa de continuer sa
route sur Mézières, et de profiter du chemin de fer, qui était
encore libre. Il pouvait y rallier le corps de Vinoy et établir un
nouveau centre de résistance dans une place forte du Nord,
mais il pensa qu'on l'accuserait de mettre sa personne à cou-
vert et préféra partager le sort de l'armée, quel qu'il fût. Les
équipages et l'escorte étant restés à Carignan, l'Empereurentra seul, à pied, suivi de ses aides de camp, au milieu du
silence de la nuit, dans cette ville de Sedan qui allait être le
théâtre de si terribles événements.
« Sedan, classé comme place forte, est situé sur la rive
382 I87O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
droite de la Meuse ; seul le faubourg de Torcy est sur la rive
gauche, couvert par un ouvrage avancé qui forme une vaste
tête de pont. La ville, qui, grâce à la faible portée des
anciennes bouches à feu, était protégée par les collines qui
l'environnent, se trouvait aujourd'hui en prise à l'artillerie
ennemie placée sur les hauteurs qui s'élèvent sur les deux
rives de la Meuse ; elle était d'ailleurs incomplètement armée,mal approvisionnée, et ne possédait aucun ouvrage exté-
rieur...
« Si l'on voulait se retirer sur Mézières, il eût fallu occuperfortement le défilé très étroit qui s'étend de Floing dans la
direction de Vrigne-aux-Bois, et, abandonnant la place à
elle-même, appuyer la gauche de la ligne sur les hauteurs
d'Illy et de Givonne.
« Le général Ducrot, il faut le reconnaître, avait bien jugéla position, et c'est au calvaire d'Illy qu'il voulait établir le
centre de la résistance; cependant, le 31 août, les troupesfurent établies autour de la ville ; elles occupaient une demi-
circonférence, qui, de Sedan comme centre, avait environ
trois mille mètres de rayon, et dont les extrémités aboutis-
saient aux villages de Bazeilles et de Floing.« De cette position semi-circulaire il résultait forcément
que la ligne de retraite se trouvait au centre, et que, si les
troupes étaient repoussées, elles devaient, par un instinct
naturel, se précipiter vers la ville, qui devenait alors un
entonnoir où elles devaient s'engloutir. Au-dessus et au nord
de Sedan, se trouvent les restes d'un retranchement aban-
donné, appelé le vieux camp, qui domine les ravins environ-
nants, et tout le terrain qui s'étend au sud de ce camp est
couvert, ainsi que le dit le général Ducrot, « de murs de
« clôture, de jardins, de haies, d'un certain nombre de mai-
« sons qui se relient à celles du fond de Givonne et font de
« cet endroit un véritable dédale. Défendu par quelques< troupes solides, il serait très difficile de s'en rendre maître ;
187O-71 — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 383
« mais, au contraire si des corps repoussés et en désordre« viennent y chercher un abri, il devient impossible de les« rallier et de les reformer. »
« C'est sur ce terrain accidenté que commença la bataille
du Ier septembre. »
Avant d'aller plus loin, il importe de bien définir les res-
ponsabilités qui se réfèrent aux marches et contremarches
contradictoires effectuées depuis quinze jours, par l'armée de
Châlons, et qui avaient abouti à ce résultat : mettre 60 à
70.000 hommes de nos troupes à la merci de 230 à 240.000Allemands.
Il paraît inadmissible, en effet, que Napoléon III, dont les
connaissances stratégiques étaient indiscutables, ainsi que le
prouvent ses écrits militaires, son ancienne situation à l'Elite
d'artillerie de la milice de Berne et surtout la campagne
d'Italie, n'ait pas donné — non des ordres militaires, puisquele Parlement usurpateur ne le lui permettait plus — tout au
moins des conseils à Mac-Mahon.
Il paraît, en outre, singulier que — quel que fût son parti-
pris de vouloir malgré tout relever par sa présence le moral
du soldat — l'Empereur se fût résigné à suivre l'armée de
Mac-Mahon, si celui-ci, exerçant le commandement suprême,avait affiché tout à la fois une incapacité manifeste et, malgré
cela, le plus complet dédain pour les avis de tous gens com-
pétents, surtout du chef de l'Etat.
C'est qu'à la vérité la présence de l'Empereur à l'armée de
Châlons et sa persistance à en partager la bonne comme la
mauvaise fortune n'implique nullement un aveuglement de
sa part, ni une inexpérience totale de Mac-Mahon dans les
choses de la guerre. Non ! le duc de Magenta (1) se perdit
(1) Qu'on médite ces paroles du maréchal Mac-Mahon :« Je dois vous dire ici (devant le conseil d'enquête), car il
faut rendre justice à tous, que, dans le cours des opérations
384 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
par son irrésolution. Il ne commit sottise sur sottise qu'enobéissant à la suggestion diamétralement opposée qui lui
venait tour à tour de Paris, c'est-à-dire du ministère, et de
Metz, c'est-à-dire du maréchal Bazaine. Au lieu de cela, il
aurait dû adopter une fois poux toutes un plan défini et s'y
tenir. Il en avait le pouvoir, puisqu'il était commandant en
chef!...
N'importe. Sans être brillante, la situation de l'armée de
Châlons, jusqu'au 31 août, n'apparut jamais irrémédiable-
ment perdue.
C'eut été, au contraire, la rendre telle, à cette date, qu'a-
bandonner l'armée dans la nouvelle phase où l'on allait
entrer!...
Se mettre à l'abri, alors que l'armée aurait à soutenir un
choc qu'on prévoyait terrible? Cela, l'Empereur ne le voulut
pas !... Les périls de toute sorte entrevus et les dangers sans
nombre en perspective, loin de modifier sa résolution, l'eurent
vite rendue inébranlable.
Faut-il le blâmer de cette abnégation et de ce sacrifice ?
Mais, ce point est déjàhorsde discussion..,
Ce qu'il importe de connaître : c'est l'attitude de Napoléon
III sur le champ de bataille de Sedan et le rôle qu'il assuma
à la fin de cette terrible journée.
jamais l'Empereur ne s'est opposé aux mouvements par moiordonnés et que ces opérations ont toujours été commandées
par moi, et non par lui. »« A Reims, au Chêne-Populeux, l'Empereur était d'avis de
reporter l'armée sur Paris : c'est moi seul qui lui ai prescrit lemouvement dans la direction de Metz. » {Déposition du maréchalMae-Mahon. — Tome Ier de l'Enquête sur les responsabilités de
Sedan, page 29.)
CHAPITRE VII
Le défi à la mort. — Capitulation de Sedan. — Le 4 Sep-
tembre. — La « Défense Nationale » et la trahison de
Bazaine. — Coup d'oeil rétrospectif et conclusion.
LE DEFI A LA MORT
M. Gabriel Hanotaux, ancien ministre des Affaires Etran-
gères, a résumé incidemment un épisode, à ne pas négliger,de la bataille de Sedan.
« On sait — a-t-il écrit — qu'au cours de la campagne de
1870 Napoléon III (malade) avait dû renoncer à suivre les
opérations militaires autrement qu'en voiture. A Sedan, il
avait voulu rester en selle toute la journée, malgré les souf-
frances que lui faisaient endurer les mouvements de sa mon-
ture. >
Emile Zola, qui se piquait de donner dans ses romans une
peinture exacte de la réalité, a rapporté, dans la Débâcle (1),des détails qui méritent eux aussi d'être transcrits, tout au
moins pour qu'on les rapproche des faits consignés par les
historiens dignes de foi.
Dans sa narration de la bataille, il a tracé cette scène en
pleine tuerie :
« N'était-ce point l'Empereur, avec tout son état major ?...
« C'était bien Napoléon III, qui apparaissait plus grand, à
cheval, et les moustaches si fortement cirées, les joues si
colorées, qu'on le jugea tout de suite rajeuni, fardé comme
un acteur. Sûrement il s'était fait peindre, pour ne pas pro-
mener, parmi son armée, l'effroi de son masque blême,
(1) EMILE ZOLA. — La Débâcle, page 220.
«5
386 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
décomposé par la souffrance, au nez aminci, aux yeuxtroubles. Et, averti dès cinq heures qu'on se battait à Bazeilles,
il était venu...
« Une briqueterie était là, offrant un refuge. De l'autre
côté, une pluie de balles en criblait les murs, et des obus, à
chaque seconde, s'abattaient sur la route. Toute l'escorte
s'était arrêtée.
« — Sire, murmura une voix, il y a vraiment danger.
« Mais l'Empereur se tourna, commanda du geste à son
état-major de se ranger dans l'étroite ruelle qui longeait la
briqueterie. Là, hommes et bêtes seraient cachés complète-
ment.
« — En vérité, Sire, c'est de la folie !... Sire, nous vous en
supplions !
« Il répéta simplement son geste, comme pour dire que
l'apparition d'un groupe d'uniformes, sur cette route nue,
attirerait certainement l'attention des batteries de la rive
gauche. Et, tout seul, il s'avança au milieu des balles et des
obus...
« Sans doute, il entendait derrière lui la voix implacable
qui le jetait en avant, la voix criant de Paris : « Marche !
marche ! meurs en héros, frappe le monde entier d'une
admiration émue !... »
c II marchait, il poussait son cheval à petits pas. Pendant
une centaine de mètres, il marcha encore. Puis, il s'arrêta,
attendant la fin qu'il était venu chercher. Les balles sifflaient
comme un vent d'équinoxe, un obus avait éclaté, en le cou-
vrant de terre. Il continua d'attendre. Les crins de son cheval
se hérissaient, toute sa peau tremblait, dans un instinctif
recul, devant la mort qui, à chaque seconde, passait, sans
vouloir de la bête, ni de l'homme. Alors, après cette attente
infinie, l'Empereur, avec son fatalisme (l) résigné, compre-
(I) Ordinairement, cela s'appelle de l'héroïsme. (N. dé l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 387
nant que son destin n'était pas là, revint tranquillement,comme s'il n'avait désiré que reconnaître l'exacte positiondes batteries allemandes.
« — Sire, que de courage !... De grâce, ne vous exposez
plus !
« Mais d'un geste encore, il invita son état-major à le
suivre, sans l'épargner cette fois, pas plus qu'il ne s'épar-
gnait lui-même ; et il monta vers la Moncelle, à travers
champs, par les terrains nus de la Rapaille... Un capitainefut tué, deux chevaux s'abattirent. »
La Débâcle n'est qu'un roman et qu'un roman conçu dans
un esprit qui, on le sait, est loin d'être favorable à Napo-léon III. Aussi, la seule page d'histoire qui s'y trouve, et quiest précisément celle que nous venons de reproduire, n'en
a-t-elle que plus de prix !
Le passage relatif au faciès qu'avait dû se composer Napo-léon III pour cavalcader sous les balles et les obus n'est lui-
même pas inutile : on le verra plus loin !
Pour l'instant, bornons-nous à constater qu'il y a corréla-
tion parfaite entre le récit d'Emile Zola et les témoignagesles plus probants.
Au lendemain, en effet, de la bataille de Sedan, M. Jean-nerod (i), correspondant du Temps, écrivait :
« L'Empereur a voulu mourir. Le fait est maintenant
avéré. La mort a passé près de lui comme près de Ney sur le
plateau de Mont-Saint-Jean, quand les boulets qu'il appelaits'obstinaient à l'épargner. »
Le Times dit :
« L'Empereur a fait preuve du plus grand courage ; il a
(1) M. Jeannerod, républicain éprouvé, fut plus tard nommé
préfet par Gambetta. (N. de l'A.J
388 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
en vain cherché la mort. Un obus est venu tomber sous les
pieds de son cheval. »
D'ailleurs, le général Pajol, qui ne quitta pas Napoléon III
une minute pendant la bataille, a fourni la relation suivante :
« C'est à cinq heures du matin qu'eut lieu la première
attaque du côté de Bazeilles.
« Sous les feux de l'ennemi, l'Empereur arriva au milieu
de cette belle division d'infanterie de marine, commandée
par le général de Vassoigne ; le combat était vif, car la garde
royale prussienne et un corps bavarois s'acharnaient à
l'attaque du village. Après être resté une demi-heure au
milieu de cette troupe, l'Empereur, vo}rant que les obus et
les balles arrivaient de tous les côtés à la lois, ordonna au
groupe d'officiers qui l'accompagnait de rester auprès d'un
bataillon de chasseurs à pied, qui, abrité, derrière un mur,
attendait le moment d'entrer en ligne.« L'Empereur, délivré de son escorte et voulant voir par
lui-même les positions, s'avança encore plus avant, accom-
pagné seulement de son aide de camp, qui était moi, de
l'officier d'ordonnance, capitaine d'Hendecourt, qui fut tué,
du premier écuyer, Davilliers, et du docteur Corvisart. Puis,
il se dirigea sur un point culminant où étaient les batteries
du commandant Saint-Aulaire, et y demeura pendant prèsd'une heure au milieu d'une grêle de projectiles. »
Voilà qui ne permet nulle ambiguïté, ni ne laisse planeraucun doute.
Mais, nos ennemis eux-mêmes furent obligés de rendre
hommage à la vérité.
Le Journal officiel prussien (1) constatait :
« D'après des témoignages oculaires, à la bataille de
Sedan l'empereur Napoléon s'est exposé à un tel point que
son intention de se faire tuer était évidente. »
(1) En date du 8 septembre 1870.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 389
Notons, enfin, entre cent autres, une lettre communiquéeau Journal de Genève et qu'avait adressée à un de ses amis un
officier supérieur blessé à Sedan, lettre qui n'était, certes,on va le voir, inspirée par aucune tendresse bonapartiste.
« Je n'aime pas l'Empereur —y est-il déclaré — mais
j'aime encore moins la calomnie. Il s'est bien montré et, s'il
n'a pas été tué, ce n'est pas l'envie qui lui en a manqué.« Nos chefs ont été des maladroits, nos soldats des fous et
des indisciplinés ; mais personne n'a été lâche. Je le dis très
haut pour l'honneur de la France. On ne sert pas une cause
en mentant. SEDAN EST UNE FAUTE, UN GRANDMALHEUR ; MAIS
UNE HONTE ? JAMAIS ! »
Et qu'on ne vienne pas — la bravoure ou plutôt l'héroïsme
de Napoléon III étant démontré — en induire que l'une ou
l'autre n'était qu'une bravoure de fatalisme oriental ou qu'unhéroïsme de désespérance résignée, c'est-à-dire une forme
de suicide. Non! car l'hypothèse en question, odieusement
formulée par des adversaires politiques au lendemain même
du désastre, fut en son temps refutée par le grand journal
anglais le Standard, de la façon que voici :
«... L'opposition a déclaré que la capitulation de Sedan
avait été un acte de lâcheté de l'Empereur, et ce mensonge,
accepté sans examen, fut une des bases de la Républiquenouvelle. Cependant, personne ne l'ignore aujourd'hui, le
courage froid de l'Empereur ne l'a pas abandonné dans cette
terrible journée où croulait toute sa puissance. Pendant
plusieurs heures, il s'est exposé au feu le plus violent,s'oflrant ainsi à la mort. Il n'a pas voulu le suicide : c'est le
refuge facile des orgueilleux et des égoïstes. Mais, quand il
a dit : « Je n'ai pu me faire tuer à la tête de mes soldats », il
a dit simplement une chose vraie. »
Mais, le détail le plus typique à cet égard est encore celui
qu'a donné Emile Zola et que nous avons cité plus haut :« Sûrement l'Empereur s'était fait peindre, pour ne pas pro-
3gO 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
mener, parmi son armée, l'effroi de son masque blême
décomposé par la souffrance. »
Ce détail est d'une exactitude rigoureuse...
Quand l'armée de Châlons eut été acculée vers Sedan,
autant par les fautes stratégiques de Mac-Mahon(iJ — fautes
qui, selon d'aucuns, étaient la résultante d'un odieux calcul
politique—
que par l'immobilité criminelle de Bazaine, Napo-léon III, qui aurait pu se soustraire personnellement au
danger créé par cet encerclement, avait tenu à rester au
milieu des troupes, afin d'exciter chez elles par sa présenceune telle stimulation d'intrépidité que la fortune des armes
pût, d'aventure, en être transformée complètement.
Hélas ! la veille de la grande bataille, l'Empereur, que la
maladie implacable tenaillait, s'était trouvé en proie à une
crise suraiguë, provoquée par toutes les fatigues qu'il s'était
imposées depuis le début de la campagne.Il avait passé une nuit atroce, sans pouvoir fermer l'oeil
un seul instant. De sorte que, dès l'aurore, au moment où
l'action s'engageait, sa pauvre figure pâle et tirée faisait
peine à voir.
Sur le champ, cet homme — qui fut, entre tous, l'homme
admirable de l'Année terrible — songea que, pour relever le
moral du soldat, ce n'était pas le spectacle d'un moribond
traîné dans une voiture qu'il fallait donner aux combattants,
mais celui d'un chef viril sur qui rien n'a de prise, aussi bien
au point de vue physique qu'au point de vue moral.
Aussi, pour entraîner l'armée grâce à la fascination d'un
grand exemple, commit-il cette supercherie sublime, lui que
blêmissait la souffrance, de se cramoisir les joues pour
paraître dispos et allègre aux yeux de tous.
(1) N'oublions pas que Mac-Mahon fut'porté à la présidencede la Républque par ceux-là même qui avaient déclaré « ne pasacheter trop cher la chute de l'Empire par la perte de deux
provinces» !.... A ce été la récompense ? (N. de l'A.)
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3gi
Puis, valétudinaire qui aurait dû éviter le moindre mouve-
ment et le plus petit exercice, il fit seller son cheval de
bataille et l'enfourcha, la cigarette aux lèvres, pour une
randonnée d'une durée de cinq heures sous la mitraille —
défiant la mort pour tâcher de ramener la victoire, comme
jadis, en 1815, Napoléon Ier l'avait tenté pour sauver les
principes de 1789 et les conquêtes de la Révolution sur le
funeste plateau de Mont-Saint-Jean !
Au demeurant, l'attitude magnifique de Napoléon III, à
Sedan, ne fut pas un sacrifice inutile !... Ragaillardies, les
troupes françaises tinrent tête longtemps, et d'une façon
admirable, aux hordes teutonnes ; et, si de multiples et
déplorables incidents n'étaient survenus, l'armée allemande
(quoique infiniment plus disproportionnée en nombre queles Anglais de Wellington, à Waterloo) se serait vue dans
l'impossibilité d'empêcher les nôtres de trouver, à Mézières,
une base nouvelle et plus solide en vue des opérations futures.
CAPITULATION DE SEDAN
Malheureusement, il était écrit que le Second-Empire,comme le Premier, tomberait : et tomberait parce qu'il repré-sentait les idées nouvelles contre les idées rétrogrades.
Pour lui, en effet, se peuvent rééditer, avec une simplevariante de dates et de lieux, ces paroles de Victor-Hugo
(première manière) :
« Sedan, si l'on se place au point de vue culminant de la
question, est intentionnellement une victoire contre-révolu-
tionnaire. C'est l'Allemagne féodale contre la France libérée ;
c'est Berlin contre Paris ; c'est le « statu quo » contre l'ini-
tiative ; c'est le 14 juillet 1789 attaqué à travers le 10 décem-
bre 1848 et le 2 décembre 1851 ; c'est le branle-bas des oli-
garchies contre l'indomptable émeute française. Eteindre
392 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
enfin ce vaste peuple en ébullition depuis quatre-vingt-onze
ans, tel était le rêve !... Sedan porte en croupe le droit divin! »
C'est ce qu'Adolphe Ponet traduisait, il y a trente ans, de
la façon suivante :
« Napoléon III avait accompli trop de réformes en faveur
de la Démocratie ouvrière et rurale pour que la bourgeoisie
parasitaire, du dedans comme du dehors, ne dressât pas
contre lui tous les pièges et ne lui tendît point tous les guet-
apens.« Pour remettre le peuple en servage, il fallait abattre son
protecteur : voilà ce que permit Sedan ! »
Cette bataille de Sedan qui marque la fin du Second-
Empire eût des phases multiples, qu'il convient tout au moins
de résumer, en rappelant tout d'abord que— par un singulier
effet de l'omnipotence parlementaire chez nous — les deux
généraux qui tenaient, en définitive, dans leurs mains les
destinées de la patrie et de son gouvernement se trouvaient
être deux adversaires du régime : le maréchal de Mac-Mahon,
commandant en chef l'armée de Châlons, orléaniste avéré,
et le maréchal Bazaine, commandant en chef l'armée du
Rhin, laissé-pour-compte des pronunciamentos du Mexique.
Qui, de ces deux créatures du parlementarisme, devien-
drait l'arbitre de la situation ?
La jalousie que nourrissait Bazaine à l'égard de Mac-Mahon
s'était manifestée de telle sorte que ce dernier, le Ier sep-tembre 1870, n'avait plus la possibilité de marcher sur Mont-
médy pour esquisser le mouvement vers Metz, grâce auquelune jonction se serait faite et aurait vraisemblablement per-mis de rejeter l'envahisseur au delà du Rhin.
Non ! les routes de l'est et du sud étaient coupées, Mac-
Mahon n'avait plus qu'à se hâter dans la direction de l'ouest,
vers Mézières, afin d'éviter d'être enfermé dans Sedan où il
ne lui était pas loisible de soutenir un siège de quelque durée.
Ce mouvement vers Mézières-Charleville, Mac-Mahon en
187O 71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3g3
avait enfin compris la nécessité absolue, après n'avoir tenuaucun compte des conseils donnés pendant dix jours par l'Em-
pereur !!!
« L'indispensable condition — a noté Henri Martin (1) —
l'indispensable condition pour reprendre ce mouvement si
fatalement contremandé trois jours auparavant, c'était de
couper, au dessus et au dessous de Sedan, les ponts de Ba-
zeilles et de Donchery, qui permettaient à l'ennemi de
déboucher sur notre flanc. Les ordres furent donnés, mais
trop tard.
« Mac-Mahon flottait dans ses indécisions accoutumées...
L'ennemi, lui, n'hésitait pas et ne perdait pas une heure. Il
manoeuvrait, avec 220,000 hommes et plus de 800 canons,
pour nous prendre au piège dans cette espèce de cirque queforme un double cercle de hauteurs autour de Sedan. Mac-
Mahon avait commis la faute de nous établir sur l'hémicycleintérieur de droite et non sur les collines extérieures, où l'on
n'eût pu nous tourner.
« L'attaque fut engagée, le Ier septembre, dès le point du
jour. Les Bavarois avaient passé par le pont de Bazeilles sur
la rive droite de la Meuse. Ils espéraient nous surprendre à
la faveur d'un épais brouillard,.. »
Mais, nous l'avons vu plus haut, si nombreux que fût l'en-
nemi, il n'arriva pas à tirer parti aussi vite qu'il l'espérait des
circonstances, toutes en sa faveur : avantages du nombre,des positions, du temps et de l'état moral des troupes.
Dès l'aube du Ier septembre, en effet, les diverses divisions
françaises, galvanisées par la splendide attitude de l'Empe-reur que la maladie n'avait pu dompter, tenaient tête sur tous
les points à l'armée allemande et l'empêchaient de poursuivreson mouvement enveloppant.
(1) HENRI MARTIN. Histoire de France populaire, t. VII, pages207 et 208.
3g4 187O 71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Hélas! la fatalité vint rendre inextricable cette situation
déjà périlleuse. Tandis que le général Ducrot essayait, trop
tard, d'occuper les plateaux qui dominent la rive droite de la
Givonne : d'un autre côté, sur les hauteurs de la Moncelle,
Mac-Mahon tombait sous son cheval que venait d'abattre un
éclat d'obus.
Le maréchal, à la suite de cet accident, se trouvait ou se
prétendit dans l'incapacité physique absolue de conserver
le commandement en chef...
Aussitôt, se produisit un flottement dans la direction géné-
rale des opérations. Il fallut y parer sur l'heure. C'est ce que
s'empressa de faire le général Ducrot, commandant du pre-
mier corps d'armée, auquel Mac-Mahon venait de transmettre
ses pouvoirs.Ducrot accéléra avec raison la marche sur Mézières, pas
assez vite cependant pour que nous ne nous heurtions point,en tête, à deux corps d'armée ennemis, tandis que d'autres
forces allemandes continuaient de nous assaillir, en queue,
du côté de Bazeilles et de Givonne. Cependant, tout n'était
pas encore perdu...Les péripéties de la journée ne devaient point, malheureu-
sement , s'arrêter là ! Le général Ducrot exerçait depuis
deux heures le commandement suprême et commençait de
faire remonter nos premier et septième corps sur le plateau
d'Illy, afin d'aller prendre, à Saint-Menges, la route de
Mézières, lorsqu'un général, qui désapprouvait cette unique
tentative possible et proposait une folle retraite sur Carignan,
non seulement refusa d'obéir aux ordres de Ducrot, mais
encore exhiba une lettre de Paris, en provenance du minis-
tère parlementaire, qui « l'investissait du commandement en
chef au cas où il arriverait malheur à Mac-Mahon ». Ce
général n'était autre que le général de Wimpffen, en prove-
nance d'Algérie, arrivé de la veille seulement à l'armée de
Châlons et se trouvant donc dans les plus mauvaises condi-
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3$5
tions pour bien connaître et notre situation particulière et
celle de l'ennemi.
Cette contestation inopinée autour du commandement en
chef, sur le champ de bataille, produisit l'effet le plus désas-
treux.
Henri Martin est lui-même obligé d'avouer :
« Ce commandement passant, en quelques heures, dans les
mains de trois généraux en chef, ces mouvements et contre-
mouvements ne pouvaient qu'accélérer la catastrophe et
désorganiser la résistance de notre malheureuse armée.
« Wimpffen avait prescrit aux troupes de réoccuper les posi-tions qu'elles venaient d'abandonner par ordre de Ducrot. Cela
n'était plus possible ! L'ennemi avait profité de notre mou-
vement rétrograde pour emporter enfin Bazeilles, embrasé
et croulant, et gagner du terrain dans la vallée de la Givonne. »
D'ailleurs, les forces humaines ont des limites. Nos soldats
se battaient comme des lions, mais n'en pouvaient plus. L'Em-
pereur, après l'effort héroïque rapporté plus haut (1), avait
été obligé, quant à lui, de rentrer à Sedan que l'ennemi bom-
bardait sans discontinuer. Les contre-ordres du général de
Wimpffen rendaient désormais le désastre inévitable , en
nous coupant toute issue. Et les charges diverses qu'entreune heure et deux heures de l'après-midi tentèrent succes-
sivement Margueritte et Gallifet sur le plateau d'Illy ne
devaient et ne pouvaient changer la fortune de nos armes...
Quand, par son esprit d'orgueil et de contradiction, M. de
Wimpffen nous eut ainsi acculés à la défaite irrémédiable :
alors, il se livra à une manoeuvre infâme qui pèsera toujourssur sa mémoire.
Il savait qu'à cette heure, à l'est comme à l'ouest, sur Cari-
(1) Henri Martin ne peut faire autrement que d'enregistrercette bravoure de Napoléon III. Il écrit : « Le courage passif nelui manquait pasl!!» ... Pourquoipassij seulement? (N. de l'A.)
3g6 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
gnan comme sur Mézières, la trouée n'était plus possible ;il savait qu'on ne pouvait même la tenter qu'en sacrifiant
inutilement des milliers et des milliers de vies humaines ;
qu'en outre, après son intrépide randonnée du matin sous
la mitraille, l'Empereur se trouvait dans l'incapacité absolue
de monter à cheval. N'importe! le général de Wimpffen, ne
songeant plus qu'à esquiver pour sa part les responsabilités
(alors que le matin, quand la partie était encore belle à jouer,il avait revendiqué tous les honneurs) le général de Wim-
pffen, disons-nous, eut l'audace d'adresser ce billet en double
expédition à Napoléon III :
« Sire,
« Je me décide à forcer la ligne qui se trouve devant le
général Lebrun et le général Ducrot plutôt que d'être prison-nier dans la place de Sedan.
« Que Votre Majesté vienne se mettre au milieu de ses
troupes ; elles tiendront à honneur de lui ouvrir un passage.
« DE WIMPFFEN. »
Au milieu de quelles troupes aurait pu se placer l'Empe-
reur, puisque l'écrasement avait eu lieu partout, en raison
même des mouvements contradictoires exécutés sur les ordres
formels du général de Wimpffen ?
Ainsi qu'il est rapporté dans la brochure du comte de la
Chapelle, où le sentiment personnel de Napoléon III perce à
chaque ligne :
« 80,000 hommes semblaient réduits à mourir sans pouvoircombattre. (A ce moment) l'Empereur se rappela qu'il avait
charge d'âmes et qu'il ne devait pas laisser massacrer sous
ses yeux des hommes qui, plus tard, pouvaient encore servir
la patrie.« Napoléon III envoya un de ses aides de camp au haut de
la citadelle'pour s'assurer de l'état des choses; celui-ci eût
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3g7
toutes les peines du monde à y pénétrer, les rues de la cita-
delle même étaient remplies de soldats qui s'y étaient réfugiés.Le rapport de l'aide de camp confirma les paroles des géné-raux (Lebrun, Douay et Ducrot, qui étaient venus déclarer à
l'Empereur que toute résistance était impossible). En consé-
quence, l'Empereur envoya le général Lebrun au général de
Wimpffen, avec le conseil de demander une suspensiond'armes qui donnerait le temps, si elle était accordée, de
relever les blessés et de considérer ce qu'il y avait à faire.
« Le général Lebrun ne revenant pas et le nombre des
blessés augmentant sans cesse, l'Empereur prit sur lui de
faire arborer le drapeau parlementaire. »
L'érection du drapeau parlementaire, tel est le seul acte où
soit engagée la responsabilité propre de Napoléon III à
Sedan et, il faut le reconnaître, cette mesure est toute en
faveur des sentiments de profonde humanité de l'Empereur
puisqu'elle nous évita l'horreur d'une boucherie inutile.
C'est qu'à la vérité, M. Granier de Cassagnac a eu incontesta-
blement raison d'écrire dans ses Souvenirs du Second-Empire :
« A Sedan, l'Empereur a partagé les périls de toute l'armée ;
il a pris seulement l'initiative d'une suspension d'armes, pour
épargner le sang des soldats quand il était inutilement versé ;
mais la capitulation de l'armée de Sedan n'est pas signée
Napoléon, elle est signée Wimpffen.
«... Les conditions de la capitulation furent discutées au
quartier général prussien, le lendemain de la bataille, et
l'Empereur n'y était pas ! »
Au surplus, le cas du général de Wimpffen a été jugé,
publiquement jugé aux assises de la Seine, le 23 février 1875,
et Paul de Cassagnac (1) — qu'acquitta le jury— put jeter
(1) Le procès de Sedan, brochure de 64 pages, à la librairie dela « Société des Publications littéraires », 24, rue Pierre-Char-
ron, Paris (prix : 50 cent.).
398 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
en plein palais de justice ces anathèmes au général félon :
« Je ne suis pas un stratégiste et je n'ai pas la prétentionde vous faire, ici, un cours d'art militaire. D'ailleurs, les
généraux que vous avez entendus, suffisent pleinement.pouréclairer vos consciences. Tout ce que je puis faire c'est de
vous établir un résumé succinct des faits que vous connaissez.
« C'est à sept heures un quart que le général de Wimpffenfut informé de la blessure du maréchal.
« Ce n'est qu'à neuf heures qu'il prit le commandement.
« Pourquoi ce retard ? Je le dirai tout à l'heure.
« Le général de Wimpffen avait dans sa poche une lettre de
commandement; illatint secrète et cachée. Quelle singulièreconduite ! Ne devait-il pas, en effet, avertir l'Empereur,avertir le maréchal de cette disposition importante ? De cette
façon, le maréchal aurait pu lui communiquer ses plans et
lui dire ce qu'il avait l'intention de faire. Étant tué ou venant
à disparaître, le maréchal était sûr alors d'avoir un fidèle
continuateur de son oeuvre. Mais non, le général de Wimpffenne dit rien, et alors vous voyez à quoi il en est réduit. Depuisdeux jours, il demande à tous les officiers cites devant vous
quel était le plan du maréchal de Mac-Mahon ; s'il le lui avait
demandé à lui-même, il l'eût su.
« Et puis, comment se fait-il que M. de Wimpffen ose se
targuer de la bienveillance et de la confiance du général de
Palikao ?
« Si on le croyait, il serait parti pour l'armée comme un
remède souverain en cas de malheur, comme une parade à
tout insuccès prévu. Cela est faux. M. le général de Palikao,et j'en ai la preuve, signée de lui, n'a donné le commande-
ment éventuel au général de Wimpffen que par obéissance
au règlement et parce qu'il allait être le plus ancien généraldans de l'armée de Châlons.
« Ce n'était donc pas un certificat de génie qu'il portait
là-bas, mais un simple certificat de vieillesse (rires).
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 3gg
« Et le général de Palikao, dans une autre pièce que j'ai là
sous la main, interrogé par moi pour dire s'il approuve la
conduite du général de Wimpffen, me répond textuellement :
« J'avais donné le commandement au général de Wimpffen,« le croyant dévoué à la personne de l'Empereur, et j'ai été
« péniblement affecté de sa conduite depuis les événements. »
< Vous voyez, messieurs, c'est clair, et la vieille loyauté du
comte de Palikao donne une sévère leçon à mon adversaire.
« Donc, le général prend le commandement. La veille, il l'a
dit, il jugeait la situation désespérée, et c'est pour cela qu'ils'était tenu coi, prudemment.
« Mais le Ier, au matin, il constate un succès relatif sur
Bazeilles, et alors, croyant que le succès arrive, il ne veut
pas le laisser à un autre, et, s'imaginant qu'il n'a qu'à se
baisser pour le ramasser, il sort de sa réserve et montre sa
lettre de commandement.
« Alors, il écrit à Ducrot, à Douay, à Lebrunles billets quel'on sait, et dans lesquels il décrète la victoire, et, rencontrant
l'Empereur, il lui crie : « — Plus ils seront, tant mieux!
Nousles f... dans la Meuse I »
« Et c'est alors que le général de Castelnau, se tournant
vers le général Pajol, ajouta :
« —' Pourvu que ce ne soit pa,s nous qui y soyons ! »
« Et, en effet, c'est ce qui arriva.
« Puis, le général de Wimpffen, avec un entêtement
aveugle, arrête le mouvement savamment combiné par le
général Ducrot, et dit aux chefs de corps de se battre là où
ils sont.
« Tout 'son plan a été là, il n'y en a pas eu d'autre ; et
avez-vous remarqué qu'aucun témoin n'a pu dire qu'il avait
eu un plan et n'a pu l'indiquer ?
« Ce n'est que plus tard, dans l'après-midi, que, voyant la
perte de l'armée certaine, il s'avise de songer à cette retraite,
à laquelle le général Ducrot, lui, pensait depuis l'avant-veille.
400 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
« Seulement, au lieu de la faire avec toutes nos forces fraîches
et encore intactes-, il la tentait avec des forces épuisées...« C'est le moment de parler de la fameuse trouée sur Cari-
gnan et du billet que le général de Wimpffen a adressé à
l'Empereur.« Ce billet, vous l'avez vu, n'est arrivé qu'à deux heures et
demie, trois heures moins un quart. Le général de Wimpffen
y disait à l'Empereur « De venir se placer au milieu de ses
« troupes, qui se feraient un honneur de lui ouvrir un
« passage. » Or, vous avez vu, messieurs, par les dépositions
entendues, ce qui restait de l'armée à cette heure-là. Le
général Ducrot vous a dit que le Ier corps n'existait plus et
qu'il était seul dans les fossés, presque sans escorte. Le général
Douay vous a dit que son corps d'armée avait disparu, com-
plètement effondré. Quant au général Lebrun, c'est plus fort
encore. C'était le général Lebrun, en effet, qui devait servir
de tête de colonne à la trouée sur Bazeilles et Carignan. Or,
le général Lebrun vous l'a dit, il vous l'a dit bien haut : le
général de Wimpffen avait tout simplement oublié de le pré-
venir, et le général Lebrun a ajouté d'une façon pittoresque :
« Comme on a oublié l'armée de l'Est dans les neiges I »
« Ces dépositions détruisent la possibilité de la trouée sur
Carignan ; car, au moment où M. de Wimpffen écrivait à
l'Empereur de « venir se placer au milieu de ses troupes, qui« se feraient un honneur de lui ouvrir un passage », tout
était perdu sans retour.
« L'Empereur n'avait donc pas à se placer au milieu de
troupes qui n'existaient plus, et c'est alors qu'il a décidé
d'arrêter le massacre inutile de ses soldats.
« Il a fait hisser le drapeau blanc (1), c'est vrai ; et cet acte,
(1) Voici un extrait de l'un des deux articles de Paul de Cas-
sagnac, dans le journal le Pays, qui avaient motivé la citationdirecte du général de Wimpffen :
« Et il vous sied bien de venir faire le délicat et de reprocher
IS7O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 4OI
qu'on lui jette au visage comme une injure, est l'acte le plus
beau, le plus grand, le plus héroïque de sa vie. (Mouve-
ment.)
« L'Empereur, ainsi que vous l'a dit un des témoins, avait
jugé qu'il y avait suffisamment de sang versé et qu'il était
temps pour lui de s'immoler.
«... Ah ! général, vous reprochez à l'Empereur de n'être pas
mort à Sedan ?
« Mais qui donc, de nous tous, de nous simples soldats qui
y étions, de vous, général, a le droit de reprocher à quelqu'un
de n'être pas tombé là-bas, quand nous sommes encore
debout ?
« Vous êtes bien vivant, vous !
« Ceux-là seuls ont le droit de nous reprocher de n'être pas
morts, qui sont couchés là-bas, sous l'herbe, dans les fonds
de Givonne ou sur le plateau de la Moncelle.
« Et vous n'en êtes pas, vous ! (Mouvement prolongé.)« D'ailleurs, n'est-il pas inouï d'en être réduit à défendre,
ici, le courage de l'Empereur?
« Moi, qui vous parle, je l'ai suivi pendant deux heures, le
fusil au dos ; il cherchait la mort et ne la trouvait pas.
« Epuisé, malade, l'Empereur, je l'ai vu, a été obligé, à
plusieurs reprises, de descendre de cheval, et embrassait les
arbres pour résister au mal qui le minait.
à l'Empereur d'avoir hissé le drapeau blanc! « A l'heure où le
drapeau blanc a été hissé, de l'avis de tous les généraux et devotre propre avis, il n'y avait plus de bataille possible, et le seuldevoir qui s'imposât à un honnête homme, à un bon Français,était de sauver les débris de l'armée, de les soustraire à la
lutte, qui n'était plus qu'une boucherie inutile.
« Entre vous, qui avez sacrifié dix mille hommes à votre inca-
pacité, à votre orgueil, et l'Empereur, qui en a sauvé cinquantemille à ses dépens, l'histoire n'hésitera pas, vous pouvez être
tranquille.PAUL DE CASSAGNAC.»
26
402 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITES
« J'ai là, dans la main, une lettre du colonel d'artillerie de
Saint-Aulaire : il raconte comment il vit l'Empereur s'avancer,
calme et impassible, avec sa bravoure froide, au milieu des
projectiles qui éclataient, et venir se placer au milieu de ses
batteries.
« Soudain, un obus éclate à trois pas de l'Empereur, et
les canonniers, électrisés par son intrépidité, poussè-
rent alors, et ce fut la dernière fois que ce cri fut poussé, le
cri de : « Vive l'Empereur ! »
« D'ailleurs, Napoléon III n'est pas le seul dans l'histoire,
qui n'ait pas pu mourir quand il le voulut.
« Napoléon Ier chercha en vain la mort à Waterloo, et,
après Arcis-sur-Aube, il disait avec tristesse :
« Je n'ai pas pu me faire tuer ; je suis un homme condamné
« à vivre ! »
Eh ! oui, à Sedan, Napoléon III fut, lui aussi, l'homme con-
damné à vivre, afin de s'offrir en holocauste pour le salut de
tous!
L'innocent devait avoir le courage de payer pour les cou-
pables,... courage d'autant plus grand qu'une fois ses folies
commises le général de Wimpffen entendait se démettre de
son commandement en chef. Mais, l'Empereur lui fit savoir
que, puisqu'il avait réduit l'armée à cette situation déplorable,
c'était à. lui, Wimpffen, responsable de ce qui était advenu,de traiter de la capitulation.
Ceci réglé, Napoléon III, dans le but de lui arracher les
meilleures conditions en faveur des troupes prisonnières,
écrivit cette lettre au roi Guillaume :
« Monsieur mon frère,
« N'ayant pu mourir au milieu de mes troupes, il ne me
reste qu'à remettre mon épée entre les mains de Votre
Majesté. »
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 403
Le roi de Prusse répondit :
« En regrettant les circonstances dans lesquelles nous nous
rencontrons, j'accepte l'épée de Votre Majesté et je la prie de
vouloir bien nommer un de vos officiers, muni de vos pleins
pouvoirs, pour traiter de la capitulation de l'armée qui s'est
si bravement battue sous vos ordres. »
Le lendemain, 2 septembre, dès l'aube, l'Empereur sortait
de Sedan pour se rendre auprès du roi Guillaume, afin
d'obtenir de lui le plus de concessions possibles.Il ne put joindre que Bismarck.
A la même heure, M. de Wimpffen réunissait en conseil de
guerre tous les chefs de corps et généraux de division. Le
conseil reconnut « qu'en présence de l'impuissance maté-
« rielle (1) de prolonger la lutte, nous étions forcés d'accepter* les conditions qui nous étaient imposées (les suivantes :
« l'armée tout entière serait prisonnière, avec armes et
« bagages). »
En conséquence le général de Wimpffen, commandant en
chef, condescendit, lui personnellement, à toutes les exigencesdu vainqueur et signa la capitulation (2).
(1) « Non seulement nous étions totalement enveloppés pardes forces qui, maintenant, étaient triples (220.000 hommescontre 80.000 et même moins) mais nous n'avions de vivres quepour un jour! ». — HENRI MARTIN.
(2) Voici un extrait suggestif du procès-verbal de la séance (du4 janvier 1871) du conseil d'enquête des capitulations. Le procès-verbal en question est signé par Baraguey d'Hilliers :
« Il est de son devoir (du devoir du conseil) de dire que le
projet du général Ducrot — conseillé par l'Empereur — était le
plus rationnel, car, en admettant que la concentration sur la
gauche pût réussir, ce qui était difficile, il est vrai, et qu'aprèsun vigoureux effort, l'on pût s'ouvrir la route de Mézières, on
pouvait, tout au moins, concevoir l'espoir de sauver une bonne
partie de l'armée en se jetant sur le territoire belge. »
404 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
LE 4 vSEPTEMBRE
Napoléon III, ayant bu le calice jusqu'à la lie et acceptéce rôle atroce de victime expiatoire en des circonstances
pareilles : deux expectatives s'ouvraient, soit la paix, soit la
lutte à outrance.
La paix était possible. Et la preuve, c'est que la questionfut abordée, le 2 septembre après midi, par le roi Guillaume
lui-même dans l'entretien qu'il eut enfin avec l'Empereur.Le kronprinz Frédéric rapporte (1) le fait en ces termes :
« Le roi commença en disant que, puisque le sort de la
guerre avait tourné contre l'Empereur et que celui-ci lui
remettait son épée, il était venu lui demander quelles étaient
à présent ses intentions. Napoléon dit qu'il se mettait à la
disposition de Sa Majesté. Celui-ci répliqua qu'il voyait avec
un sentiment de réelle compassion son adversaire dans une
telle situation, d'autant plus qu'il savait qu'il n'avait pas été
facile à l'Empereur de se résoudre à la guerre. Cette asser-
tion fit visiblement du bien à Napoléon. Il assura qu'il avait
été obligé de céder à la pression de l'opinion, lorsque la
guerre avait été déclarée. Sur quoi le roi répliqua que,
puisque l'opinion avait eu cette tendance, bien coupablesavaient été ceux qui l'avaient excitée. Allant ensuite au but
immédiat de la visite, le roi demanda si Napoléon désirait
engager quelques négociations pour traiter. L'Empereur
répondit négativement. Il fit remarquer que, comme prison-nier, il n'avait plus actuellement aucune action sur le gou-vernement. Et comme le roi demandait où se tenait le gou-vernement, il répondit : « A Paris ! »
(1) Journal du prince héritier (futur Frédéric III).
I87O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 405
Oui, la paix était possible. Mais, loin d'entamer immédia-
tement des pourparlers qui auraient eu trop l'air d'être cir-
conscrits à son intérêt propre, l'Empereur préféra que la
question fut laissée entière au gouvernement de Paris.
Celui-ci, par l'intermédiaire de notre diplomatie, pouvait
agir avec une base d'appréciation plus sûre au mieux des
intérêts généraux du pays.Ne lit-on pas dans la Diplomatie du Second Empire, d'Eu-
gène Poujade : « L'empereur Alexandre, en apprenant la
« catastrophe de Sedan, avait conseillé au gouvernement« français, par l'intermédiaire du général Fleuiy, son am-
« bassadeur à Pétersbourg, de demander la paix, en promel-« tant son appui pour empêcher tout démembrement de la
« France... » ?
Ainsi, à ce moment-là, c'était la clôture des hostilités, sans
cession d'une seule parcelle de territoire, avec paiementd'une simple indemnité de guerre qui n'aurait pu s'élever à
plus de deux milliards.
Au gouvernement de Paris de décider si la paix sur ces
bases était acceptable, ou s'il ne valait pas mieux entamer la
lutte à outrance pour nous débarrasser par la force de l'en-
vahisseur !...
En résumé, la partie était loin d'être perdue ; l'armée-de
Châlons se trouvait prisonnière, c'est vrai ; mais l'armée du
Rhin, sous le commandement de Bazaine, n'avait que peu
souffert. Bien commandée, celle-ci pouvait encore garantir
notre ligne frontière et, qui sait ? tandis que nous nous orga-
niserions sous Paris, se trouvait en mesure de nous per-
mettre, à un moment donné, de fermer les portes de la
France sur les troupes allemandes déjà campées sur notre
territoire, et que nous aurions alors la faculté de prendre
entre deux feux.
La guerre, elle aussi, était donc possible et l'impératrice-
régente s'en rendait parfaitement compte puisqu'elle télé-
406 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
graphiait (1) à sa mère, la comtesse de Montijo, à Madrid :
« Le général Wimpffen qui avait pris le commandement
après la blessure de Mac-Mahon a capitulé, et l'Empereur a
été fait prisonnier ! Seul, sans commandement, il a subi ce
qu'il ne pouvait empêcher. Toute la journée, il a été au feu.
Du courage, chère mère ! Si la France veut se défendre, elle
le peut. Je ferai mon devoir. Ta malheureuse fille.
« EUGÉNIE. >
Cependant, pour que la lutte à outrance eût quelquechance d'être favorable au pays, il importait par-dessus tout
que, faisant trêve aux luttes intestines, tout le monde se
groupât autour du gouvernement.L'heure était trop poignante pour que chacun ne fit point,
il semble, sur l'autel de la patrie, le piètre sacrifice de
ses rancunes politiques ou de ses antipathies personnelles !...
La France avait connu des heures aussi douloureuses et
traversé des crises autrement graves. Toujours, elle s'était
relevée, parce qu'en ces périodes critiques, presque mortelles
parfois, tous ses fils avaient rempli le devoir patriotique en
apportant aux princes et aux gouvernements, quels qu'ils
fussent, la collaboration la plus loyale, la plus désintéressée
et la plus complète.
Sans parler de Louis IX, prisonnier à la Mansourah, ou de
Jean II, capturé à Poitiers ; sans évoquer le souvenir des
désastres subis sous Louis XIV ou de ceux, plus récents, quiavaient mis la première République à deux doigts de sa.
perte : n'existait-il pas, dans notre histoire nationale, un
douloureux épisode d'une analogie frappante ou plutôtd'une similitude parfaite avec l'événement qu'il nous fallait
déplorer, le 2 septembre 1870 ?
François Ier avait été, en février 1525, fait prisonnier sur
le champ de bataille de Pavie. Pendant plus d'un an le roi
(1) Papiers de la famille impériale, t. I, page 424.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 407
de France était resté, à Madrid, entre les mains jde Charles-
Quint. Or, non seulement François Ier n'eut jamais à sup-
porter devantlesgénérations qui suivirent unetare quelconqueau sujet de cette date funeste, mais bien mieux, de son tempset en son absence, toutes les forces du pays convergèrent vers
sa libération et tendirent à la glorification de sa bravoure.
Eh bien ! à Pavie, François Ier avait été moins brave et
moins chevaleresque qu'à Sedan venait de l'être Napoléon III.
C'est dire qu'en 1870, quand arriva à Paris la' nouvelle de la
reddition de l'armée de Châlons, -m mouvement général
aurait dû se produire, dans la capitale, en faveur de l'Homme
qui s'était sacrifié, en faveur de l'Empereur prisonnier.
O douleur et ô honte ! ce fut le contraire qui eut lieu...
Les bourgeois parlementaires virent, en effet, tout de suite,
le parti et le profit à tirer de l'événement. Il s'agissait de
faire « payer cher » à PEmpereur des ouvriers et des pay-
sans toutes les réformes démocratiques et sociales accom-
plies ; il s'agissait de prendre une revanche de caste pour
une réédition probable de la Terreur blanche..., qui devait
se produire, du reste, avec les massacres de la Commune :
oh ! alors, ces bons bourgeois n'hésitèrent point.
Le ministère avait fait placarder cette proclamation :
« Au PEUPLE FRANÇAIS,
« Français,
« Un grand malheur frappe la patrie.« Après trois jours de luttes héroïques soutenues par
l'armée du maréchal Mac-Mahon contre 300,000 ennemis :
60,000 hommes (1) ont été faits prisonniers.« Le général Wimpffen, qui avait pris le commandement
(1) Dans un grand nombre d'affiches officielles, on lisait« 40.000 hommes » par suite d'une erreur typographique. (N. de
l'A.)
408 187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
de l'armée, en remplacement du maréchal Mac-Mahon griè-vement blessé, a signé une capitulation.
« Ce cruel revers n'ébranle pas notre courage.« Paris est aujourd'hui en état de défense.
« Les forces militaires du pays s'organisent.« Avant peu de jours, une armée nouvelle sera sous les
murs de Paris ; une autre armée se forme sur les rives de la
Loire.
« Votre patriotisme, votre union, votre énergie sauveront
la France.
« L'Empereur a été fait prisonnier dans la lutte.
« Le gouvernement, d'accord avec les pouvoirs publics,
prend toutes les mesures que comporte la gravité des événe-
ments..« Le Conseil des Ministres :
« Comte de PALIKAO ; Henri CHEVREAU ; amiral
RIGAULT DE GENOUILLY ; Jules BRAME ; prince
de LA TOUR D'AUVERGNE ; GRANDPERRET ; Clé-
ment DUVERNOIS ; BUSSON-BILLAULT ; Jérôme
DAVID. »
Cet appel, qui aurait dû, sinon rassurer les esprits, tout au
moins arracher tout le monde aux arrière-pensées d'appétits
personnels, pour que l'unité morale de l'opinion s'opérât sous
la suggestion du devoir patriotique : cet appel demeura sans
écho.
A Paris, dans la nuit du 3 au 4 septembre, une efferves-
cence inaccoutumée régna sur les grands boulevards, notam-
ment vers la rue Royale et la place de la Concoide. Des
émissaires portaient des convocations chez les affiliés de cer-
tains clubs ; les légitimistes, eux, se trouvaient parfaitement
désorientés, car, en matière politique, ils n'avaient « rien
appris et tout oublié » ; mais, de pseudo-républicains allaient
quémander des subsides aux caisses orléanistes....
Que se préparait-il t On n'aurait pu le dire.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 4O9
Le 4 septembre arriva. Il y avait séance au Palais-Bourbon
depuis la veille au soir. M. Thiers, cela se devine, était là;mais dans une disposition d'esprit essentiellement différente
de celle où il se trouvait le 15 juillet précédent. Il n'avait plus,en effet, à cette heure, à espérer de Napoléon III l'octroi
d'un portefeuille ou la présidence d'un cabinet parlemen-taire...
Au moment même où le ministre de la guerre demandait,à la tribune, la nomination d'un Conseil de gouvernementdestiné à suppléer, provisoirement, l'Empereur : M. Jules
Favre, un peu pressé, mit, comme on dit vulgairement, les
pieds dans le plat: « Non 1 clama-t-il, il nous faut la
déchéance ! »
Le mot était trop brutal. M. Thiers sentit que la Chambre
renâclerait. Il -'rédigea une motion astucieuse, aux termes
ambigus et où l'expression « déchéance » ne se trouvait
pas.
L'Assemblée se retira dans ses bureaux pour étudier la
question.
Pendant ces discussions interminables, qui ressemblent
trait pour trait à celles auxquelles s'adonnait la Chambre
des Cent-Jours au lendemain de Waterloo, le temps s'écou-
lait. On se trouva bientôt aux premières heures de l'après-
midi. Soudain, le moment parut opportun : des inté-
ressés allèrent ouvrir la grille du Palais à une centaine d'in-
dividus...
Une bagarre se produisit. Un avocat, entouré d'un certain
nombre d'amis, referma la porte et s'adressant aux gardes
nationaux, s'écria : « Quand la Prusse apprendra ce qui se
« passe, elle s'en réjouira comme d'une victoire. Ce que« vous faites là est abominable, et la France le paisra bien
« cher. Vous criez : La déchéance ! Ce serait le moment ou
« jamais de crier : Vive l'Empereur \... Un empereur captif
« est sacré. »
410 I87O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITES
Ce fait est rapporté par un spectateur (I) qui narre, ainsi
qu'il suit, la fin de la scène :
« Un petit nombre continua les vociférations. La masse
paraissait perplexe, indifférente, et stationnait machinale-
ment. Mais bientôt, par l'intervention officieuse d'un député,
qu'un électeur irrité avait vivement interpellé du dehors, et
désireux, paraît-il, de se purger du reproche d'avoir trempé
dans le plébiscite, la grille s'ouvrit. L'avocat à la cour susdit,
qui avait eu la douleur de reconnaître l'un de ses confrères
dans le député complaisant, courut avertir le questeur du
palais, général Lebreton, lequel déplora l'inaction forcée où
le réduisaient les circonstances. »
Dans cet intervalle, la Chambre rentrait en séance ; mais
bientôt la salle était envahie, ainsi que le ministre de la
guerre de l'époque l'a rapporté en ces termes : « J'ai vu, de
« mes yeux vu, je l'affirme et je l'atteste, M. Gambetta faire
« un signe aux hommes qui avaient envahi les tribunes. Ils
« se mirent à descendre, alors, le long des colonnes. » Les
débats furent interrompus et, suivant un mot d'ordre, tout
le monde sortit pour se diriger vers l'Hôtel de Ville.
Là, par un Coup de force abominable, on proclama la
déchéance de l'Empire.
Ce Coup de force, exécuté en présence de l'ennemi et pourainsi dire grâce à l'ennemi, était destiné à profiter à
l'ennemi.
LA « DÉFENSE NATIONALE »
ET LA TRAHISON DE BAZAINE
Un écrivain, que nous avons déjà cité à plusieurs reprisesau cours de cet ouvrage, a écrit :
« Ce n'est point le peuple qui a fait le 4 septembre.
(1) Voir la brochure de Georges Seigneur « Le 4 Septembre »,éditée en 1871, chez Amyot, libraire, 8, rue de la Paix.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 41 I
« Le peuple—
peut-on le nier? — se compose de la tota-
lité ou, tout au moins, de la majorité des électeurs. Le peuple,
c'est la masse de la Nation, et non douze ou quinze cents
individus formant une coterie dont la domination ne peuts'établir qu'illégitimement et par surprise.
« Aussi, les conséquences du 4 septembre ont-elles été
imposées au peuple et nullement acceptées par lui. »
Et la preuve que la nation française n'aurait point ratifié
cet inqualifiable bouleversement de choses : c'est que ceux
qui y procédèrent n'osèrent pas demander l'assentiment du
pays par la voie du référendum (1).
Le véritable responsable du 4 Septembre 1870 n'est autre
que le général Trochu, l'ami de M. Emile Ollivier, qui avait
été nommé « gouverneur de Paris » à la suite de la fameuse
séance du 9 août.
Trochu avait dit cependant à l'impératrice-régente :
« Madame, vous pouvez compter sur moi ; je vous donne ma
parole de breton, de catholique et de soldat. »
Qu'avait-il fait?
Le docteur Evans le raconte dans ses Mémoires (2), de la
façon suivante :
« Dans le conseil de cabinet qui fut tenu dans la matinée
du 4 Septembre, le général Trochu avait été averti par l'Im-
pératrice que, suivant toutes les probabilités, il se produirait
un mouvement insurrectionnel. A une heure et demie de
l'après-midi, il fut informé par M. Vallette, secrétaire général
de la présidence du Corps Législatif que M. Schneider crai-
gnait qu'il n'y eut une émeute. Vers deux heures, le général
(1) Coïncidence curieuse! Quand il s'agit, en 1871, de nommer
l'Assemblée nationale, Gambetta poussa le mépris du suffrageuniversel jusqu'à interdire, par son décret de Bordeaux, les can-
didatures bonapartistes. Voilà comment nous eûmes jusqu'en
1876 une assemblée en majorité royaliste. (N. de l'A.)
(2) Mémoires du D* Thomas W. Evans, page 224 et suiv.
412 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Lebreton, questeur de l'Assemblée, très inquiet de l'attitude
des gardes nationaux et de l'excitation inusitée que manifes-
tait la rue, se rendit en personne auprès du gouverneur de
Paris pour l'informer de la gravité de la situation.
« Quand le général Lebreton arriva au Louvre, on lui dit
d'abord que le gouverneur ne pouvait pas le recevoir parce
qu'il était très occupé. M. Lebreton insista et fut finalement
introduit en sa présence. Il dit au général Trochu que la popu-
lace entourait le Palais-Bourbon et que quelques-uns des
meneurs y étaient déjà. Il le supplia de se rendre immédia-
tement dans cet endroit dangereux, sa présence y étant néces-
saire, et lui seul étant capable, grâce à son immense popu-
larité, de maintenir l'ordre et de protéger les représentantsde la nation. Le général Trochu répondit qu'il ne pourrait y
réussir, alléguant que, depuis plusieurs jours, sa popularitédiminuait et qu'il était complètement éclipsé par le général
Palikao, ministre de la guerre.« A présent il est trop tard, dit-il, je ne puis plus rien! » A
quoi M. Lebreton répliqua : « Non, il n'est pas trop tard, mais
« il n'y a pas un moment à perdre », car il était tout à fait
persuadé que la présence du gouverneur serait suffisante
pour empêcher tout désordre (1).« A la fin le général Trochu consentit à y aller. Quand le
questeur le vit partir, il ne douta pas qu'il n'allât au Palais-
Bourbon pour délivrer les députés du danger qui les menaçait.« Mais que fit le général Trochu ? Il se dirigea, accompagné
de deux officiers, vers le Corps Législatif. Il traversa la cour
des Tuileries, arriva sur la place du Carrousel, et de là gagna
le quai, qu'il suivit jusqu'au pont de Solférino ; puis il s'arrêta
et attendit parce que, d'après ce qu'il dit plus tard, « la foule
était trop compacte en cet endroit pour que l'on pût passer. »
M. Lebreton, qui avait quitté le Louvre en même temps que lui,
(1) Enquête parlementaire, op. cit., t. II, page 149.
187O-7I — ORIGINES ET RESPONSABILITÉS ^l3
traversa sans peine cette foule, et rentra au Palais-Bourbon.
« Vers la même heure, M. Jules Favre et plusieurs autres
députés purent aussi se frayer un chemin à travers la foule,
et réussirent à aller du Palais-Bourbon au Louvre.
« Peu après que la populace eut pénétré dans la salle des
séances du Corps Législatif, Jules Favre, Jules Ferry, de
Kératry et plusieurs autres députés violemment hostiles au
gouvernement impérial décidèrent d'aller à l'Hôtel de Ville,
pour y proclamer la République et s'emparer du pouvoir.
M. de Kératry dit à Jules Favre qu'il était certain de rencontrer
sur le chemin de l'Hôtel de Ville le général Trochu, dont le con-
cours était nécessaire. Nous ne savons pas comment M. de
Kératry était sûr de le rencontrer ; mais le fait est que lui et
ses compagnons rencontrèrent bien le général, qui attendait.
« Nous rencontrâmes, dit-il, sur le quai des Tuileries, en
« face le conseil d'Etat, le général Trochu à cheval, entouré
« de son état-major; il était évident qu'il attendait là que les
<r événements s'accentuassent (1) ».
:>M. Jules Favre l'aborda en lui disant : « Général, il n'y« a plus de Corps Législatif, le Corps Législatif est complè-« tement dissous ; nous allons à l'Hôtel de Ville ; veuillez
« aller au Louvre, nous aurons l'honneur de vous y faire pré-« venir. »
« Sur ce, le gouverneur de Paris retourna tranquillement
au Louvre. Pour y aller, il dut naturellement passer devant
les Tuileries, où était la souveraine (2) à laquelle il avait juré,
(1) Déposition de M. Kératry. — Enquête parlementaire, t. I,
page 650.
(2) Vingt-six ans plus tard, l'impératrice Eugénie — sur unesollicitation du docteur Evans auquel elle devait beaucoup —
faisait parvenir à celui-ci la lettre suivante :
« Farnborough, 22 octobre 1896.
« Mon cher docteur,
« Je suis profondément touchée de votre lettre. Je sais quels
414 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
le matin, qu'il lui ferait un rempart de son corps et qu'on ne
pourrait arriver à elle qu'en marchant sur son cadavre. »
C'est ainsi que le général Trochu laissa faire par des com-
plices un Coup de force qui se mua bien vite en un Coup
d'Etat. Et l'on peut dire, en définitive, que celui-ci fut accompli
par Trochu lui-même à son profit particulier, puisque, le
même jour, fut proclaméà l'Hôtel de Villeun gouvernement de
« Défense Nationale » dont Trochu fut nommé le chef par une
camarilla composée d'une douzaine de rhéteurs qu'avait
acclamés douze ou quinze cents braillards à la solde des
orléanistes.
Qu'on médite, en effet, sur ces passages du Journal deFidus,
à la date du 4 Septembre :
« La journée, cette affreuse journée de dimanche, devait
ajouter aux pertes que nous venions de faire et au désastre
de l'armée : l'ignominie, la bassesse de la plus vile des révo-
lutions, le triomphe de la canaille, le renversement du gou-
vernement vaincu et, indignité que Joseph de Maistre disait
ne s'être jamais vue, la trahison devant l'ennemi! Oui, ils
attendaient, ils espéraient cette défaite, les envieux, les inca-
pables, les impuissants, qui rêvent toutes les jouissances... Ils
avaient tout préparé de longue main : depuis trois semaines,
ils essayaient leurs forces par leurs propositions, par leurs
journaux, par leurs sicaires...
sont vos sentiments et ce qu'ils ont toujours été pour les miens.« J'apprécie les motifs qui vous ont fait agir en détachant,
comme vous le dites, un extrait de vos mémoires au sujet du
bruit qui se fait aujourd'hui autour du nom du général Trochu.Vous comprendrez aussi, j'espère, le parti que j'ai pris de ne
point répondre et de ne rien démentir, si douloureux que cela
puisse être pour moi. Une guerre de récrimination ou de justi-fication me répugne ; j'ai foi que, pour l'Empereur d'abord et
pour moi, peut-être ? le temps fera justice.« Croyez, mon cher docteur, à mes sentiments affectueux.
« EUGÉNIE ».
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 4l5
« Cette révolution du ruisseau était déjà la pire ; elle deve-
nait la plus détestable : la révolution devant l'ennemi !
« Il en portera la peine dans la postérité, ce général Trochu,amateur de popularité, ce général écrivassier, flatteur de la
foule, dont le nom retentissait, que l'on disait devoir tout
sauver, être plus capable que tout autre, quoiqu'il n'eût jamaiscommandé un corps, dirigé une armée, gagné une bataille! »
Quoiqu'il en soit, sous la présidence du général Trochu, le
gouvernement de la prétendue Défense Nationale se forma et
se composa ainsi : Emmanuel Arago, Crémieux, Jules Favre,
Jules Ferry, Gambetta, Garnier-Pagès, Glais-Bizoin, EugènePelletan, Ernest Picard, Henri Rochefort et Jules Simon.
En même temps, on procéda à la répartition que voici des
portefeuilles ministériels : Affaires étrangères, Jules Favre ;
Intérieur, Gambetta; Guerre, général Le Flô ; Marine, amiral
Fourichon ; Justice, Crémieux; Finances, Ernest Picard; Ins-
truction publique, Jules Simon; Travaux publics, Dorian;
Agriculture et Commerce, Magnin.
Quant à la préfecture de police à Paris, elle fut dévolue au
royaliste de Kératry, député du Finistère.
Mais, parmi ces diverses individualités qui, en définitive,
émergeaient tout à coup de l'ombre, trois surtout devaient
être appelées par les circonstances à tenir des emplois de
premier plan : Trochu, Gambetta et Jules Favre.
Pour échapper sans doute à la critique qui, d'ores et déjà,
prenait naissance : à savoir que le gouvernement insurrec-
tionnel n'avait surgi qu'au profit du roi de Prusse, la Défense
Nationale décréta la « guerre à outrance » sans se demander
si nos moyens militaires ne se trouvaient pas singulièrementdiminués par le fait de notre révolution intérieure et si, dans
les conditions nouvelles où était placée la France, la paixn'était plus l'unique solution à envisager.
Mais les pygmées du 4 Septembre se crurent les égaux des
géants de 1792.
416 r 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Le ministre des Affaires Etrangères improvisé affirma avec
jactance : « Nous ne céderons ni un pouce de territoire, ni
une pierre de nos forteresses ! »
M. Jules Favre croyait sans doute que la promesse faite au
gouvernement de Napoléon III par le Tsar serait tenue
envers n'importe qui, même envers les premiers aventuriers
venus ?... Quelle aberration !
Voici ce que dit, à ce sujet, Eugène Poujade, toujours dans
sa Diplomatie du Second Empire : « Le ministre Jules Favre
« qui succédait au Prince de la Tour d'Auvergne trouva, au
« palais du quai d'Orsay, la dépêche du général Fleury, que« le télégraphe venait de porter. Il crut que le gouvernement« du 4 Septembre pourrait faire fond sur les promesses du
« Tsar (1). Et il prononça, plein de confiance, sa fameuse
« formule !... »
(1) Si le 4 Septembre n'avait pas eu lieu, la Russie n'aurait paspermis que fût soulevée la question de l'intégrité de notre terri-toire.
Entre vingt documents diplomatiques, qu'on lise celui-ciadressé par notre ambassadeur en Russie à notre ministre desAffaires étrangères (ministère du 9 août).
« Le général Fleury au prince de La Tour d'Auvergne,
« Saint-Pétersbourg, 24 août 1870.
« (Pour vous seul). —• J'ai revu le prince Gortschakoff. Ildésire que je vous renouvelle l'expression de sa vive satisfactionde vous voir au ministère (succédant à M. de Gramont), en vuedes éventualités et des négociations futures.
« Le chancelier m'a informé de l'adhésion de la Russie à la
ligue des neutres, mais il a parfaitement compris, n'imitant pasen cela l'Angleterre, que le moment était bien loin d'être venud'intervenir II m'a confirmé les bonnes intentions de l'empereurAlexandre gui ne se prêtera pas à une médiation qui pourraitparaître infliger une humiliation à la France ou impliquerait lamoindre diminution de son territoire.
« Pour avoir l'opinion tout entière du prince Gortschakoff, jelui ai déclaré, conformément à vos instructions, que la Francene traiterait jamais de la paix, après avoir épuisé tous les moyens
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 417
Mais, Alexandre de Russie estima (l'empire français déchu)
qu'il ne lui était plus possible de faire quoi que ce soit en
notre faveur.
Quelle confiance, en effet, son gouvernement pouvait-il
avoir en des hommes qui, en présence de l'envahisseur,
venaient d'agir si criminellement envers le gouvernement
légitime de leur propre patrie ?...
de défense, que sous la condition de l'intégrité de son territoireet du maintien de la dynastie.
« Le chancelier m'a répondu que, selon lui, la dynastie n'était
pas en causé et qu'il n'était pas opportun de soulever cette ques-tion tout intérieure dans laquelle les puissances n'avaient pas às'immiscer. lia ajouté qu'il étaitbien persuadé qu'un changementde gouvernement en France amènerait la République, d'abord,et serait une calamité pour l'Europe entière. Ce n'est donc paspour éviter de s'engager sur ce terrain, a-t-il dit en terminant,qu'il m'exprimait cette opinion, car, depuis de longues années,on le savait, ses sympathies personnelles étaient acquises à l'em-
pereur Napoléon et à sa famille.
« La réponse du chancelier m'a suggéré cette réflexion que jeme permets de vous soumettre : c'est que dans les déclarationsfaites aux représentants, il serait peut-être plus prudent de ne
pas parler de la dynastie... Son maintien est une questiond'honneur, cette question est inséparable pour nous de ladéfense et de la délivrance du pays.
« D'ailleurs, l'armée est dévouée à l'Empereur, qu'ils soientvictorieux ou vaincus, nos soldats et nos généraux resterontfidèles à l'Empereur et à son fils. Après ses victoires ou sesdéfaites héroïques, l'armée sera placée si haut, elle aura tantmérité de la patrie qu'elle imposera sa volonté...
« Je crois qu'une campagne de presse dans ce sens, faiteavec réserve mais graduellement accentuée, aurait des ré-sultats favorables. L'espèce de manifeste du général Trochu
(récemment nommé gouverneur de Paris) a causé ici un grandétonnement. Je trouve cette politique personnelle (de Trochu)bien regrettable, car elle déplace complètement l'autorité.
« Le prince Orloff est parti pour Paris et doit revenir bientôt.« Peut-être jugerez vous bon de donner connaissance à l'Em-
pereur et à Sa Majesté la régente de cette dépêche toute confi-dentielle. »
27
418 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Aussi, M. Jules Favre n'obtint-il rien de lui, ni rien d'une
puissance quelconque de l'Europe, soit directement, soit, plus
tard, par l'intermédiaire de M. Thiers (1) qui reçut l'accueil
le plus froid dans toutes les capitales.
(1) M. Dugué de la Fauconnerie a très justement écrit :
Est-il vrai, oui ou non, qu'après la capitulation (de Sedan) les
hommes qui avaient pris le pouvoir, au lieu de faire ce qu'a fait
la Russie après Sébastopol, le Danemark après Dùppel et l'Au-
triche après Sadowa, ont continué la guerre tout en sachant, parune dépêche de l'empereur de Russie au ministère des Affaires
étrangères, que nous pouvions avoir la paix sans aucune cession
de territoire et en conservant nos frontières?...
Est-il vrai, oui ou non, que quinze jours après le 20 septembre
1870. à Ferrières, M. de Bismarck proposait à Jules Favre de
faire la paix moyennant la cession de Strasbourg et de sa ban-
lieue (Journal officiel, 17 juin 1874) et que le 'gouvernement de
la Défense nationale a continué la guerre parce que l'Allemagnene voulait traiter qu'avec des représentants légaux du pays, et
non avec la bande d'émeutiers qui avait profité de l'envahisse-
ment du territoire pour escalader le pouvoir?...Est-il vrai, oui ou non, que, le 30 octobre suivant. M. Thiers,
rentrant de son voyage en Europe, a fait à M. Trochu et à
M. Jules Favre la déclaration suivante : « Si j'ai un conseil à vous« donner, acceptez l'armistice,pmême sans ravitaillement, afin de« pouvoir convoquer une assemblée dans le plus bref délai
« possible, et arriver, à l'aide de cette assemblée, à la conclu-« sion de la paix. Je ne crois pas que la situation du pays et des
« armées soit telle que la continuation de la lutte puisse avoir« un bon résultat. Aujourd'hui, la paix vous coûtera l'Alsace et« deux milliards ; plus tard, indépendamment des maux et des<--souffrances de la guerre, la paix vous coûtera l'Alsace, la« Lorraine et cinq milliards ! » {Enquête parlementaire, rapportDaru, page 271).
Est-il vrai, oui ou non, que les hommes du 4 Septembre n'ont
tenu aucun compte de ce terrible avertissement et ont continué
la guerre, estimant probablement que, comme l'avait dit l'un
d'entre eux, la chute de l'Empire valait bien la perte de deux
provinces ?
Est-il vrai, oui ou non, que ce fut seulement trois mois après— le 28 janvier 1871
— que M. Jules Favre repartit pour Ver-
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 419
En raison de la situation déplorable qui nous était faite au
point de vue extérieur, il aurait donc fallu que, dans le
domaine intérieur, nous eussions alors un homme susceptible
d'inspirer la plus grande confiance au pays entier, un homme
capable d'être un second Lazare Carnot et un nouvel orga-nisateur de la victoire.
Gambetta n'était pas et ne pouvait être cet homme.
Voici pourquoi :
Ennemi personnel de Napoléon III, le tribun, 'd'origineitalienne, quelle que fût sa faconde, devait nécessairement
demeurer quelque peu suspect aux 7 millions et demi d'élec-
teurs français qui, quelques mois auparavant, avaient solennel-
lement affirmé leur confiance absolue dans l'Empereur, lors du
plébiscite triomphal du 8 mai 1870.
Certes, Gambetta venait d'être acclamé à l'Hôtel de Ville...
mais, par les bandes recrutées et stipendiées depuis longtemps
pour le «coup à faire» avec l'argent orléaniste! ! ! Or, sa noto-
riété avait sans doute franchi les murs d'enceinte de la capi-tale ; sa popularité, non ! Et, quoi qu'il en crût ou que d'autres
en aient dit, l'orateur de Belleville n'était pas à même de
galvaniser la nation, surtout au point de lui faire renouveler
les miracles de l'épopée révolutionnaire.
Aussi, malgré le dévouement universel qu'inspira et quesuscita l'horreur tragique de la fatalité nous accablant de ses
coups, notre patriotisme exaspéré ne connut-il que des résul-
tats négatifs par le fait de l'insuffisance de cet avocat brouillon
qui, dix ans plus tard, par le simple jeu de son ambition per-
sailles, afin de demander l'armistice et que, cette fois, ce ne futplus seulement un milliard, comme au lendemain de Sedan ; niStrasbourg et sa banlieue, comme au 10 septembre ; ni l'Alsaceet deux milliards, comme au 30 octobre, après le voyage deM. Thiers; mais l'Alsace, la Lorraine et cinq milliards d'indem-nité qu'exigea l'Allemagne ?
420 187O-7I'— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
sonnelle, devait se mettre dans les mains de Bismarck (1) et
abandonner l'idée de revanche.
Mais, le troisième « grand rôle » du gouvernement de la
Défense Nationale, le général Trochu lui-même, allait être
inférieur à la tâche assumée dans les conditions que nous
avons dites et stigmatisées plus haut.
Trochu, bénéficiaire immédiat du coup d'Etat du 4 Septem-
bre, avait la charge d'organiser le salut de la capitale. Dans ce
but, il avait élaboré un plan qui, du reste, est demeuré légen-daire. Il travaillait, paraît-il, sans relâche à ce fameux plan,mais ne l'exécuta jamais, ou plutôt l'exécuta si bien que Paris
tombait sans tarder à la merci des Allemands.
Pendant ce temps, Bazaine, le fidéi-commis des parlemen-
taires, Bazaine, le Sauveur, opérait à Metz : ce qui est une
façon de parler, .puisqu'après avoir laissé écraser l'armée de
Châlons sans lui porter le moindre secours, afin de rester le
seul arbitre de nos destinées, le commandant en chef de
l'armée du Rhin s'ingéniait à immobiliser ses troupes, tant et
si bien qu'il ne tarda pas à être enfermé avec 160.000 hommes
et 1.665 canons dans la ville imprenable.
Une seule chose préoccupait Bazaine : le rôle politique à
jouer...Être maître de la France, après n'avoir pu réussir à jouer
les dictateurs au Mexique : quel rêve !
(1) Voir JULIETTE ADAM. Après l'abandon de la Revanche,passim. (Une citation ne messied point. Voici, entre autres, les
propres paroles adressées, un jour, à Gambetta par Mme Adam :« Maintenant... je vous combattrai. J'essaierai de vous barrer le« chemin chaque fois que vous vous approcherez de Bismarck.« Je n'ai cessé d'être l'ennemie de votre protégé Waddington,« choisi par vous, non dans l'intérêt strict de notre France, mais« pour complaire à l'homme de Varzin (Bismarck). Dieu veuille« que notre république qui déjà m'inquiète, protégée qu'elle est« par notre plus cruel ennemi, n'aille pas en s'abaissant au lieu« de s'élever ! » — Après l'abandon de la Revanche, page 127).
187O-71— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 42I
Ce rêve, Bazaine le caressa pendant six semaines ; et rien
ne le montre mieux que les pourparlers engagés par lui avec
Bismarck, grâce à l'intermédiaire d'un personnage des plus
louches que, pour sa défense personnelle, le traître de Metz
essaya, par la suite, de faire passer pour un agent bonapar-
tiste.
Voici, d'ailleurs, ce que Bazaine a raconté dans ses mé-
moires (1) :
« Dans la soirée du 23 septembre (1870), un homme portant
les insignes de la société de Genève se présenta aux avant-
postes de la ire division du 4e corps, à Moulins-lez-Metz ; il
demandait à être conduit à mon quartier général...« Une fois seul avec moi, ce personnage déclara se nommer
Régnier, être autorisé par M. de Bismarck à la démarche qu'il
faisait, et venir, « au nom de l'Impératrice » demander à M. le
maréchal Ganrobert ou à M. le général Bourbaki de se rendre
auprès d'elle, en Angleterre. Il n'avait pas de preuve écrite de
sa mission, me montrant pour toute créance une photographiede Hastings, où se trouvait l'Impératrice, disait-il, et au dos
de laquelle le prince impérial avait apposé sa signature. »
Sans plus, il apparaît'déjà singulier que le commandant en
chef de l'armée du Rhin se soit contenté,, comme lettre de
créance, d'une photographie de ville quelconque et portant la
signature, vraie ou fausse, d'un enfant de treize à quatorze
ans —photographie, du reste, qui avait pu être dérobée ou
perdue !
Mais,n'importe ! Passons à l'essentiel... Quelle conversation
Bazaine eut-il avec l'agent Régnier?Il serait peut-être difficile de le dire au juste.
Cependant, de déduction en déduction, on en arrive à la
conclusion suivante : cette conversation ne dut pas rouler
(1) L'Armée du Rhin, par le maréchal Bazaine, page 124 etsuiv.
ip.1 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
sur les rapports à nouer avec l'Impératrice, alors en Angle-
terre, puisque Régnier ne passa point le détroit, mais au con-
traire sur les pourparlers à engager avec Bismarck.
La preuve en est simple.
Le vaillant général Bourbaki, informé de cette singulière
démarche, se décida, en effet, à quitter Metz à destination de
Chislehurst, en se faisant passer pour médecin.
« Deux ou trois jours plus tard, note le docteur Evans (1),
le général Bourbaki arrivait à Camden-Placc. Ayant appris
en route quel était le nouvel état de choses amené par la
révolution (du 4 septembre) et songeant que le mandat dont
il était chargé n'avait pas de caractère officiel, il commençait
à se sentir embarrassé. On peut imaginer ses sentiments
lorsque, introduit en la présence de l'Impératrice, celle-ci lui
exprima son étonnement de le voir en Angleterre et lui dit
qu'elle ne l'avait pas fait prier de quitter Metz, qu'elle igno-
rait absolument les plans de Régnier et qu'elle ne se rappe-
lait même pas avoir jamais entendu prononcer ce nom.
« La scène qui suivit fut des plus pénibles. L'Impératrice
ne put 'cacher l'indignation qu'elle ressentit en apprenant
qu'on lui avait fait jouer à son insu le rôle principal dans une
misérable intrigue. Le général Bourbaki, en découvrant qu'on
l'avait grossièrement trompé, fut si irrité et si mortifié qu'il
en était hors de lui. Tout ce qu'il put dire pendant quelques
minutes, c'est : « Je veux repartir. Pourquoi m'a-t-on envoyé
ici? »
Pourquoi, brave général Bourbaki?... Pourquoi?... Parce
que vous étiez gênant pour le félon, qui le 29 septembre
recevait du général Stiehl (2), chef d'état-major du prince
Frédéric-Charles, la dépêche suivante :
(1) Mémoires du docteur Evans, page 360.
(2) Voir L'Armée du Rhin, par le maréchal Bazaine, page 132.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 423
<cFer-rières, 28 septembre 1870.
« Le maréchal Bazaine acceptera-t-il, pour la reddition de
« l'armée qui se trouve dans Metz,- les conditions que stipu-« lera M. Régnier, restant dans les instructions de M. le
« maréchal. »
Régnier était simplement, en effet, un agent prussien ; etc'est
pour les conditions à débattre entre Bismarck et le comman-
dantenchefde l'armée du Rhin, etpources conditions seules,
que se produisit son intervention par ailleurs inexplicable.
Bazaine fut-il trop exigeant, ou encore Bismarck eut-il le
machiavélisme d'immobiliser l'adversaire de Metz jusqu'à
épuisement complet, au moyen de promesses illusoires? Qu'on
choisisse entre les deux hypothèses ! Le but poursuivi n'en
fut pas moins atteint : l'inertie de Bazaine eut pour aboutis-
sant la plus effroyable catastrophe. Le 27 octobre la capitula-tion de Metz était signée, et signée dans quelles conditions ?
L'ennemi avait offert les honneurs de la guerre ; Bazaine
les refusa. Le commandant de l'armée assiégeante croyait
que nous avions tout au plus 80.000 hommes. « Son étonne-
ment, dit Henri Martin, fut extrême quand il apprit que nous
en comptions le double : 122.000 soldats dans les camps, sans
la garnison de Metz (23.000 hommes), et les malades et les
blessés des ambulances ; plus de 160.000 hommes en tout !
160.000 qu'on rendaità 200.000(1)!... On livrait aussi un im-
mense matériel, 1.605 canons tant de siège que de campagne,
124.000 chassepots, des projectiles et des munitions de guerre,des accessoires de tout genre en nombre prodigieux. »
Sur-le-champ, une comparaison s'impose à tous les esprits :
quelle différence entre Sedan et Metz !
(1) Sedan, au contraire, n'avait entraîné la reddition que de60.000 hommes, et encore hors de combat, contre 220.000 Alle-mands. (N. de l'A.)
424 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
Pour Sedan, l'incapacité de Mac-Mahon et la fatuité de
Wimpffen sont évidemment en cause, mais c'est tout ; tandis
qu'à Metz, hélas ! c'est la trahison qui s'affirme dans toute sa
bassesse, et la honte dans toute son horreur.
Désormais, le crime était irrémissible. Il entraînait des
conséquences irréparables...
Tous les discours de Gambetta n'y pourraient rien, et le
plan de Trochu, lui-même, allait être inapte à sauver Paris.
Après Metz, il y eut, certes, autour de la capitale, dans
l'Est aussi, et sur la Loire même, des combats héroïques ;
mais, le sort en était jeté :
« La chute de l'Empire valait bien la perte de deux pro-
vinces ! »
Bazaine avait réédité Marmont avec un degré de plus dans
l'ignominie.
La France était, de nouveau, sous la botte du Barbare. Il
lui falWi subir la loi de l'envahisseur
Les préliminaires de la paix furent signés le 26 février 1871 :
ils avaient pour base la cession de l'Alsace et de la Lorraine,
et le paiement d'une indemnité de 5 milliards.
A la séance du 28 février de l'Assemblée nationale à Bor-
deaux, lorsque M. Thiers eut fait connaître ces résultats de
l'intrusion et de l'omnipotence parlementaires, un bourgeois
orléaniste, AI. Bamberger, osa quand même pousser le
cynisme jusqu'à déclarer à la tribune :
« Ce traité, un seul homme aurait dû le signer : Napo-
léon III!.. »
Mais la riposte arriva, cinglante.
M. Bamberger fut interrompu aveevéhémence par Galloni
d'Istria qui jeta à la majorité monarchiste et aux faux répu-blicains cette réponse désormais historique :
« Napoléon III, lui, n'aurait jamais signé un traité hon-
teux ! »
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 425
COUP D'OEIL RÉTROSPECTIF ET CONCLUSION
Cinq milliards d'indemnité et la perte de deux provinces,
pour jeter à bas un régime de souveraineté populaire ? Quel
marché et quelle rançon 1
Aussi, Adolphe Ponet put-il en toute sincérité, par la suite,
anathématiser les hommes et stigmatiser les choses de cette
période tragique, ainsi qu'il suit :
« Ce que les émigrés de l'intérieur voulaient abattre avec le
Second-Empire, et ce qu'ils ont réussi à abattre, grâce à la
complicité des faux démocrates et surtout, hélas ! au concours
de l'Etranger : c'est le droit du Peuple, la souveraineté de la
Nation, la Révolution de 1789 (1) à nouveau cristallisée par
un homme et incarnée en lui.
« Le progrès social marchait trop vite, il importait de l'ar-
rêter à tout prix, au besoin en le jugulant sous un faux pré-
texte de liberté : comme si la liberté pouvait s'apparenter et
se confondre avec la licence !
« Pour juguler le progrès, on sauta à la gorge de Napo-
léon III qui en portait le lumineux flambeau. Et, quand on
eut éteint cette flamme incandescente, on piétina dans l'ombre
sur le porteur abattu, en invoquant à grands cris la vérité et
la justice comme le larron qui crie le premier : au voleur !
pour donner le change et éviter d'être pris. »
Cette agression avait été préparée de longue main. On peut
dire qu'elle fut en germe dans l'esprit des réacteurs à compter
du jour où Louis-Napoléon exécuta le 2 décembre 1851,
(1) Qu'on se rappelle cette parole déjà citée du libertaire
Proudhon, au futur Napoléon III : « Vous êies la Révolution au
xixe siècle, car vous ne pouvez pas être autre cho^e. Hors de là,le 2 décembre ne serait qu'un accident historique, sans principe,sans portée... » (P.-J. PROUDHON. — Lettre à Louis-Napoléon,
président de la République.— Le 29 juillet 1852.î
426 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
afin d'empêcher la mutilation du suffrage universel préparée
par la loi du 31 mai 1850, et où il barra ainsi la route à une
restauration de la royauté.
Depuis cette date, pas une occasion ne fut perdue par les
aristocrates de tout ordre et les bourgeois parasitaires de
tout acabit, en vue de préparer leur revanche: cela aussi bien
dans le domaine de la politique intérieure qu'en se servant
du moindre prétexte qu'offrent inévitablement les complexeset multiples contingences de la politique extérieure, même
contre les gouvernements les plus sages et les plus prévoyants.C'est pourquoi, avant même de commencer la publication
du présent ouvrage, nous étions nous fait fort, par ailleurs, de
montrer les origines réelles et d'établir les responsabilités
véritables des douloureux événements de 1870-71.
Nous disions dans un journal (1) qui existe depuis 30 ans :
« Comment ! on ose se permettre d'affirmer que les ori-
gines, même les plus lointaines, de la guerre de 1870 ne remon-
tent qu'à 1864 et se greffent uniquement sur la tournure des
hostilités prusso-danoises?... Que fait-on alors de tous les
événements nationaux et internationaux survenus depuis
1815, c'est-à-dire depuis le dépeçage de l'Europe par la Sainte-
Alliance des rois ?
« Et les responsabilités de l'Année Terrible ?
« Ces responsabilités — qu'on le sache ! — se partagententre :
« 1° Les orléano-républicains qui, dès la fin de 1866, s'oppo-sèrent par tous les moyens à la réorganisation de l'armée,
voulue par Napoléon III et demandée, en son nom, par le
maréchal Nicl au Corps Législatif ;« 2° L'opposition tout entière, parlementaires et journalistes
qui menèrent, en 1869, une campagne abominable de désar-
(1) Voir deux articles parus dans le journal l'Appel au Peuple,de Paris : nos des jjo juillet et 20 août 1910.
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 427
mement, tout en poussant à la guerre à propos de la candi-
dature Hohenzollern au trône d'Espagne ;
« 30 Bismarck, qui falsifia la fameuse dépêche d'Ems, ainsi
qu'il devait plus tard l'avouer lui-même en une interview
parue dans le numéro du 20 novembre 1892 de la Nouvelle
Presse Libre, de Vienne ;
« 40 Les parlementaires soi-disant républicains qui impo-
sèrent, le 9 août 1870, au ministère Palikao, le choix de
Bazaine comme généralissime— sans qu'il existât un com-
mandement au-dessus ni à côté du sien ;
« 50 Les hommes du 4 Septembre qui opérèrent une insur-
rection en présence de l'ennemi, grâce à l'ennemi, en faveur
de l'ennemi. »
Tous ces points, nous avons conscience de les avoir traités
avec l'ampleur qu'ils méritaient et élucidés avec l'impar-
tialité sans laquelle l'Histoire reste un mot vide de sens.
Suivant la vieille parole, nous avons rendu à César ce qui
appartient à César..., pour mettre fin à cette légende odieuse
autant que ridicule du « capitulard de Sedan ».
Quand un homme a eu toutes les bontés et toutes les abné-
gations, cet homme-là eût-il été le chef élu de l'immense majo-rité des citoyens qui composent la nation française, cet
homme-là a droit à la justice devant le tribunal équitable de
la postérité.
D'autant plus que si quelqu'un, en 1870, voulut la guerre :
ce ne fut pas Napoléon III.
M. Joseph Reinach en personne a été obligé de le procla-
mer; et il l'a fait en ces termes (1) :
« Il est certain pour moi que l'Empereur lui-même souhai-
tait la paix.
« Alors que le duc de Gramont et M. Emile Ollivier se pro-
(1) Voir l'Echo de Paris, du 8 novembre 1910.
-42S 1870-^1— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
nonçaîent déjà formellement pour la guerre : api es la dépêche
d'Eros, il se raccrocha encore n l'idée d'arbitrage ! *
Ces quelques lignes suffisent à résumer la part de responsa-bilité qui peut incomber à l'Empereur dans la marche des évé-
nements.
L'évocation de M. Emile OIHvier est, en effet, symptoma-
tiepie ; îo nom de ce personnage synthétise tout un pro-
giraEimi'e, celui du libéralisme bourgeois, autrement dit du
parieinieTiiitarisHtte.
C'est le propre du parlementarisme — d'origine anglaise et
d'essence oligarchique — d'être aux antipodes du tempéra-maent ei des intérêts français.
AYCC ii royauté bourbonienne, sous la Restauration, il
avait déjà été iaiîninicût néfaste chez nous. Sous la monar-
eMe de JuiHiet, il aboutît à la révolution du mépris.
AÙVC"jrd'huT, eu EO-JS somines en république, quels résultats
de ane-ï-ïll ?... Les aièrres eue ceux qu'il avait précédemmentfcarais. «su îemdeimam de 1S15 et de 1830!
OukiiHiJ le parïeir.tpliiiriisiîïe sévit, il n'y a plus, dans l'ossa-
ture gO'-verrx-meaita.!?. ai têt;, ni assise : d'une part, soit que1= ~<c:rè^n.: et me gyuverae pas. scit que la présidence de la
3Sëp'inïJuL|]'L''ene coaistiiue qu'urne foDCtion absolument inutile;
dl'.aumtrrejf artP soit que Lj cens sévisse en matière électorale,5mt j^itL- L siniMirage coïversel devienne la chose d'un millier
de poM".nic,iiï!S.
11 pDevuiitj Centex, ea France, en aller différemment lors-
que fiuii emi «gnneur Sa icoînsututires républicainede 1852 ; niais,il amuiratiiîlfcJUra, alors se ticiair â celle-ci et ne point tomber de
mrAmsr&Ju w.ui5 l'empirs»? parlemseatshe.
Avjivrtï. 1!'i^iïîiop-, dd.i'SlleiUins. quie cette constitution reprèsen-lialtiM. fiaceiimiêê' %-KMSe raiiodêfe de celle de 1791, avait subsisté
isfaiies.mm liirBiBS'g-ralliité; Je dérefoppemeHi des principes de 1789s rtufifiinmai et ste cQojmîiiiingmaidams, noire paj'^.
Aoîi-dkxiltauîiiS©DnurawfflSim dldr?©», tout marchait â souhait ;
187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS 429
notre prestige national ne faisait que grandir et notre déve-
loppement économique que croître.
Sous prétexte illusoire d'émancipation politique, les réac-
teurs tendirentbientôt leurs efforts vers un relâchement cons-
titutionnel.
La faute de Napoléon lîî, sa seule faute, fut de croire en la
sincérité de ces ennemis éternels quoiqu'inavoués de l'esprit
démocratique.
Petit à petit, de 1860 à 1869, grâce aux concessions orga-
niques imprudemment consenties, les prétendus libéraux
inoculèrent le virus parlementaire a-i système gouverne-
mental basé sur l'Idée napoléonienne el la Tradition révolu-
tionnaire. Bien vite, trop vite, le ma! .irriva à s'accroître.
En 1869, un seul remède pouvait 3 pallier : rééditer un
2 décembre et réduire de la sorte à l'impuissance les castes
qui relevaient la tête...
Napoléon III, défenseur-né du Peuple contre les parasitaires,,
songca-t-il à recourir de nouveau à ce procédé vigoureux,
légitimé par l'article 35 de la Déclaration des Droits de
l'Homme qui précède la Constitution de 1793 ?
Ceci est à présumer, puisque l'Impérai.» îcc — et c'est là son
seul tort, à elle, et son unique responsabilité dans les événe-
ments encore en gestation— crut devoir écrire (1) du Caire
à Napoléon, le 27 octobre 1869, au cours du voyage qu'elle
faisait à l'isthme de Suez :
« Quand on voit les autres peuples, on juge et l'on apprécie
bien plus l'injustice du nôtre. Je pense malgré tout qu'il ne
faut pas se décourager et marcher dans la voie que tu as
inaugurée... Je suis persuadée qu'on ne fait pas deux fois des
coups d'Etat... »
Hélas, dans son affirmation, l'impératrice Eugénie se trom-
(1) Papiers de la Jamille impériale, t. I, page 220.
430 187O-7I— ORIGINES ET RESPONSABILITÉS
pait, et cela tant au point de vue de la persistance à mar-
cher dans une voie qui accède fatalement à l'impasse parle-
mentaire, qu'au point de vue d'une seconde application du
principe salvateur : salus populi suprema lex ! Elle se trom-
pait, parce qu'elle s'illusionnait sur M. Emile Ollivier et ses
pareils, comme Napoléon 1& s'était illusionné sur Fouché et
sur tant d'autres.
Fin 1869 et commencement de 1870, tout eût mieux valu quel'arrivée au pouvoir d'un ministère libéral.
Cela nous eût évité la pleine floraison du parlementarismeet nous eût permis de réparer les folies antimilitaristes des
opposants de 1867.
L'Empereur aurait pu, dès Jors, compléter la série de ses
réformes sociales. Car, Bismarck-le-faussaire n'aurait pointtrouvé en France des politiciens complices pour tirer parti et
profit de son abominable guet-apens.
FIN
INDEX ALPHABETIQUEDES PERSONNAGES CITÉS DANS LE PRÉSENT OUVRAGE
(N.-B. — Leschiffres,à la suiie dechaquenom, indiquentles pagesoù se reporter.)
A
ABBATTUCCI. — 180.
ABEKEN. — 268, 289, 292, 293,
294, 295, 297,298.
ABOUT (Edmond). — 234, 242.
ADAM (Mme Juliette). — 215,
420.
ADELON. — 201.
ALBERT (archiduc).— 48, 23G.
ALBUFÉRA (duc d').— 84, 180.
ALPHONSE XII (d'Espagne).—
217.
ALEXANDRE II (de Russie). — 35,
108, 110, 405, 416, 417.
ALLARD (général). — 129, 134.
ANCEL. — 181.
ÀNDELARRE (marquis d'). — 103,
128, 181, 325, 344.
ANDIGNÉ (comte d').— 20.
ANDRÉ (de la Charente). — 180.
ANDRÉ (du Gard).— 180.
ANDRIEU. — 180.
ARAGO (Emmanuel). —211, 240,
323, 335, 340, 344, 373, 415.
ARJUZON (comte d').— 181.
ARMAN. — 180.
ARNDT. — 229.
ARNOULD (Arthur).— 198, 200.
AUGUSTA DE PRUSSE (reine). —
288, 300.
AUGUSTENBOURG (duc d'). — 37,39.
AYGUESVIVES (d'). —180.
AYMÉ. — 180.
B
BABOIN. — 344.
BALAY (Francisque). — 180.
BAMBERGER. — 424.
BANCEL(D.). —211.
BAPST (A.).— 50, 226, 228.
BARAGUEY D'HILLIERS (maré-
chal). — 403.
BARANTE (baron de).— 344.
BARBENTANE (comte de). — 128,182.
BARBES (Armand). — 186, 363.
BARBET. — 180.
BAROCIIE. — 129.
BARRILLON. — 181.
4 32 INDEX ALPHABETIQUE
BARTHÉLEMY-SAINT-HILAIRE. —
344, 375.
BARTHOLDI. — 253.
BARTHOLONI. — 84, 180.
BASTID. — 344.
BAUDIN (député).— 20.
BAUDIN (agent diplomatique).—
55.
BAZAINE (maréchal). —366, 369, -
370, 372, 375, 376, 377, 378,
379, 384, 385, 390, 392, 405,
410, 420, 421, 422, 423, 424.
BEAUCHAMP (de).— 180.
BEAUMONT (de).— 20.
BEAUVAU (prince Marc de). —
104, 180, 344.
BEAUVERGER (de).— 146, 180.
BELLIARD. — 180.
BELMONTET. — 68, 69, 82, 99,
170, 180, 340. •
BELVÈZE (de).— 20.
BENEDECK (général).— 48.
BENEDETTI. — 52, 55, 57, 217,
225, 245, 246, 247, 248, 249,
250, 252, 265, 266, 268, 271,
272, 275, 277, 283,N284, 285,
286, 287, 288, 289, 290, 291,
292, 293, 294, 295, 296, 300,
301, 311, 333, 347.
BENOIST (baron de).— 180, 328.
BÉRARD. — 182.
BEREZOWSKI (Bolislas).— 109,
111, 218.
BERGER. — 180.
BERNARDY (de). — 20.
BERRYER. — 20, 34, 35, 59, 103,105, 128, 174, 181, 184.
BERSET (de). — 20.
BERTHAUT (Mgr.). — 205.
BERTRAND. — 180.
BETHMONT. — 103, 127, 128,162,
181, 183, 344.
BETTING DE LANCASTEL. — 20.
BEUST (comte de).— 247, 358.
BISMARCK (chancelier de).— 47,
49, 52, 54, 55, 56, 57, 58, 69,
70,78, 104, 105, 107, 108, 109,
111, 187, 214, 215, 217, 218,
220, 221, 227, 228, 229, 230,
231, 232, 233, 242, 244, 246,
248, 250, 251, 252, 253, 254,
257, 259, 263, 265, 266, 267,
268, 269, 270, 271, 273, 288,
291, 292, 293, 294, 295, 296,
297, 298, 299, 300, 301, 302,
305, 306, 310, 327, 330, 343,
348, 350, 351, 353, 355, 356,
361, 367, 403, 418, 420, 421,
422, 423, 427, 430.
BIROTTEAU.— 318, 319.
BLANCHET (Désiré).— 28, 48, 60.
BODIN. — 180.
BODUIN. — 344.
BoiGNE(de). —180, 344.
BOIS-VIEL. — 180.
BONAPARTE (prince Louis-Napo-
léon).'— Voir : Napoléon III.
BONAPARTE (prince Lucien). —
201.
BONAPARTE (Pierre). — 196, 197,
198, 199, 200, 201, 202, 205.
BORGIA. — 202.
BOUGAUMONT. — 180.
BOUGHETAL-LAROCHE. — 180.
BOUDET (comte).— 180.
BOURBAKI (général).— 366, 421,
422.
BOURBEAU. — 193, 344.
BOURLON. — 180.
INDEX ALPHABETIQUE 433
BOUKMONT (lieutenant-général
de). — 373.
BOURNAT. — 180.
BOUTELIER. — 180.
BRAME (Jules).- 103, 181, 374,
408.
BRATIANU(D.). — 257.
BRAUN. — 344.
BRAVAY. —182.
BRIAND (Aristide). — 208.
BRIOSNE. — 203.
BRISSAUD. — 47.
BROGLIE (duc de).— 20.
BROIIIER DE LITTINIÈRE. — 182.
BROISE (de la). — 20.
BRUNSWICK (duc de). — 59.
BRYAS (de). — 20.
BUFFET. — 20, 84, 103, 128, 174,
175, 176, 181, 337, 344, 345.
BUISSON. — 344.
BUQUET (baron).— 180.
BUSSIÈRE (de). — 180.
BUSSON-BILLAULT. — 180, 374.
C
CAFFARELLI (comte). — 180.
CALMETTE (député).— 344.
CALVET-ROGNIAT. — 180.
CAMPAIGNO (de). — 180.
CANÉ-KENSOUET. — 344.
CANROBERT (maréchal).— 50,
226, 366, 378, 421.
CARLOS (don, d'Espagne). — 217.
CARLOS (dom, de Portugal). —
15.
CARNOT fHippolyte).— 20, 103,
128, 175, 181, 182, 184.
CARNOT (Lazare).— 62, 182, 419.
CARUELDE SAINT-MARTIN. —180.
CASSAGNAG (Granier de). — 80,
82, 99, 101, 135, 156, 180,224,
315, 319, 341, 342, 373, 397.
CASSAGNAc(Paulde).- 397,400,401.
CASSAGNAG (Paul-J. et Guy de).— 201.
CASTELNAU (général de) — 399.
CASTILLON (de). — 20.
CAVAIGNAC (général).— 17, 19.
CAZELLES. — 180.
CÉSAR (Jules). — 50.
CHADENET. —180.
CHAGOT. — 180.
CHAMBORD (comte de). — 34,184.
CHAMBRUN (comte de). — 103,181.
CHAMPAGNY (J.-P. de).— 180.
CHAMPAGNY (N. de). — 180.
CHAPELLE (comte de la). — 380,396.
CHARANCEY. — 20.
CIIARLEMAGNE (député).— 180.
CIIARLEMAGNE (empereur).— 53.
CIIARLES-QUINT (empereur). —
233, 238, 407.
CHAUCHARD (député). — 180.
CHAZELLES (de). — 20.
CIIAZOT (de).— 180.
CHESNELONG. — 84, 180, 344.
CHEVALIER (Auguste). — 181.
CHEVANDIER DE VALDRÔME. —
84, 103, 180, 371.
CHEVREAU (Henri). — 374, 408»
CHOISEUL (comte de, député). —
182, 325, 333, 338, 345.
CHRISTIAN IX (de Danemark).— 37, 39, 42, 43.
20
434 INDEX ALPHABETIQUE
CHRISTOPIILE (député).— 180.
CLARETIE (Jules).— 190, 203,
204, 208, 239, 263, 274, 305,
306, 368, 370, 377.
CLARY (vicomte).— 175, 181.
CLEMENCEAU (Georges).— 208.
CLERMONT-TONNERRE (de) . —
236.
COCHERY. — 235, 237, 243, 345.
COEHORN (baron de).— 180.
COISLIN (comte de). — 20.
COLBERT-CHABANNAIS (de).—
180.
COMBES (Emile). — 208.
CONDÉ (prince de)— 60.
CONEGLIANO(marquis de). - 180.
CONSEIL. — 180.
CONSTANS. — 208.
CONSTANTIN (Y. de). — 141.
CORBERON (de).— 180.
CORGELLES (de). — 20.
CORNEILLE (député). — 180.
CORNUDET (comte). —180.
CORVISART (docteur). — 388.
COSSERAT. — 180, 317.
COUÉDIC (de).— 180.
COULAUX (du Bas-Rhin).— 180.
CRÉMIEUX (A.).— 209, 211, 239,
240, 345, 415.
CREUZET. — 180.
CUNEO D'ORNANO (Gustave). —
295.
CURÉ (député).— 180.
D
DAGUILIION-PUJOL. — 180.
DALLOZ (Ed.).— 182.
DALMAS (de). — 180.
DAMBRY. — 180,
DAMPIERRE (marquis de). — 20.
DARBLAY (jeune).— 180.
DARIMON. — 26,128, 181, 235.
DARRAGQ (député).— 180.
DARRICAU. —84, 129.
DARU (comte). — 219, 226, 345,418.
DAUTHEVILLE (général). — 138,.180.
DAVID (Ferdinand).—• 180.
DAVID (baron Jérôme),— 84,
135, 136, 138, 180, 322, 374.
DAVILLIERS. — 388.
DECHASTELUS. — 180.
DEIN. — 180.
DEJEAN (général). — 371
DELAMARRE (de laCreuse). —180-
DELAVAU. — 180.
DELEBECQUE. — 180.
DELESCLUZE (Ch.). — 202, 211,363.
DELTIIEIL. — 180.
DÉMÉTRIUS A. STURDZA. — Voir :
Sturdza.
DESCOURS (Laurent).— 180.
DESMAROUX DE GAULMIN. — 180.
DESSAIGNES. — 180, 345.
DESSEAUX. — 211, 345.
DIDIER (Henri).— 82, 180.
DILKE (sir Charles). — 29, 30.
DOLLFUS (Camille).— 180.
DONNERSMARCK (Henckelde).—215.
DORIAN. — 103, 127, 128, 181,
184,211, 345, 415.
DOUAY (général Abel).— 369.
DOUAY (général Félix). — 366,
378, 397, 399, 400.
DOUDAN. — 232.
DOUESNEL. — 180.
INDEX ALPHABETIQUE 435
DRÉOLLE (Ernest). — 336.
DROUOT (vicomte).— 181.
DROUYN DE LHUIS. — 41.
DUCROT (général). — 381, 382,
394, 395, 396, 397, 399, 400,403.
DUGUÉ DE LA FAUCONNERIE. —
313, 418.
Du MIRAL. — 180.
DUPANLOUP (Mgr).— 205.
DUPLAN. —180.
DUPONT (Paul).— 180.
DUPORTAL (A).— 211.
DURAND (député). — 345.
DURFORT DE CIVRAC (comte de).— 345.
DURUY (Albert).— 362.
DUVERNOIS (Clément).— 283,
284, 337, 374, 408.
E
ESCHASSERIAUX (baron). — 180.
ESTOURNEL (comte d'). — 184.
ESQUIROS. — 211, 345.
ETCHEVERRY. — 180.
EUDES. — 376.
EUGÉNIE (impératrice).— 307,
405, 406, 413, 414, 421, 422,429.
EULENBOURG (comte d'). — 268,294.
EVANS (docteur Thomas-W.).—
307, 411, 413, 422.
F
FABRE. — 84, 180.
FALCKENSTEIN. — Voir: VogeideFalekenstein.
FAILLY (général de).—
366, 369,
377, 378, 380, 381.
FAVRE (Jules). — 20, 26, 59, 81,
82, 104,116,120,121,122,123,
127, 128, 145, 156, 159, 162,
170, 171, 174, 177, 181, 184,
218, 22J, 232, 315, 323, 325,
328, 336, 338, 343, 314, 345,
372, 373, 375, 409, 413, 415,
416, 418.
FAY DE LA TOUR MAUBOURG. —
180.
FERDINAND VII (d'Espagne).—
216.
FERRY (Jules). — 209, 211, 345,
413, 415.
FICKER. -7.
FLAVIGNY (vicomte de). — 20.
FLEURY(Ans.).— 180.
FLEURY (général). — 219, 237,
244, 247, 266, 405, 416.
FLOCARD DE MÉPIEU. — 182.
FLOQUET (Charles). — 109.
FLOTTE (de).— 20.
FLOURENS (Gustave). —202, 204.
FONVIELLE (Ulrich de). — 199,
200, 202.
FORCADE LA ROQUETTE (de). —
129.
FOUCHÉ. — 367, 430.
FOULD (Adolphe).— 182.
FOULD (Edouard). — 181.
FOUQUET (député).— 180.
FOURICI-ION (amiral).— 415.
FOURMENT (de). — 180.
FRANÇOIS Ier (de France).— 234,
406, 407.
FRANÇOIS-JOSEPH II (d'Autriche).— 226, 236, 351. . I
FRÉDÉRIC III (de Prusse).— 404.
436 INDEX ALPHABETIQUE
FRÉDÉRIC VII (de Danemark).— 37.
FRÉDÉRIC-CHARLES (prince).—
48, 422.
FRÉMY. - 180.
FROSSARD (général).— 360, 369,
370, 378.
G
GABLENTZ (général von).— 46.
GAGNEUR. — 211, 345.
GALLIFET (général, marquis de).— 395.
GALLONI D'ISTRIA. — 424. •
GAMBETTA (Léon).— 5,184, 194,
195, 209, 211, 214, 215, 232,
280, 322, 325, 326, 345, 350,
351, 410, 411, 415, 419, 420.
GARNIER. — 182.
GARNIER-PAGÈS. — 76, 77, 78,
79, 101,102,103,105,127,128,
146, 147, 153, 166, 169, 170,
172, 174, 175, 181, 184, 209,
211, 223, 224, 344, 345, 415.
GAVINI. — 180.
GEIGER (baron de). — 180.
GELLIBERT DES SEGUINS. — 181,
GERMAIN. — 345.
GIRAULT. — 211, 313, 345.
GIROD (de l'Ain).— 180.
GIROD-POUZOL. — 103, 127, 128,
181, 184.
GIROU DE BUZAPEINGUES. — 180.
GLADSTONE. — 172.
GLAIS-BIZOIN. — 65, 79, 103,
117, 119, 120, 128, 174, 175,
181, 184, 209, 211, 224, 239,
317, 323, 334, 336, 343, 345,415.
GLUCKSBERG (duc dej. - 37.
GOERG. - 181, 345.
GORCE (Pierre de la). 299.
GORREC (le). — 180.
GORSSE (général baron).— 103,
181.
GoRTsciiAKGFF(de). — 247, 206,
416.
GOULARD (de).- 20.
GOUVION-SAINT-CYR (maréchal),— 168.
GOUYON (de). — 20.
GOVONE (général).- 2v5.
GRAMM'ONT (marquis de). — 103,
181, 345.
GRAMONT (duc de).s- 220, 231,
237, 239, 241, 242, 244, 245,
246, 247, 249, 258, 261, 262,
270, 272, 274, 275, 276, 277,
282, 284, 285, 286, 2X7, 288,
289, 290, 291, 295, 300, 301,
308, 309, 340, 342, 347, 352,
357, 358, 360, 371, 416, 427.
GRANDPERRET. — 374, 468.
GRANDVILLE (de).— 20.
GRANIER DE CASSAGNAC. — Voir :
Cassagnae.GRESSIER. - 84, 87, 89, 91, 98,
99, 100, 119, 120, 121, 122,
123, 125, 147, 152, 164, 179,
180.
GRÉVY (Jules).— 209, 211, 34r>.
GROS (Aimé).— 180.
GROUCHY (vicomte de). — 128,
180.
GROUSSET (Paschal).— 198,199.
GUÉROULT. — 128, 181, 184.
GUIBOURGÈRE (de la).-- 20.
GUILLAUME I«r (roi de Prusse).—•
47, 48, 52,54, 55,58, 104, 108,
INDEX ALPHABÉTIQUE 487
230, 231, 237, 243, 244, 245,
247, 248, 249, 250, 252, 258,
259, 264, 266, 268, 269, 270,
271, 272, 274, 275, 276, 278,
281, 282, 283, 286,-287, 289,
291, 292, 293, 296, 298, 300,
301, 302, 310, 311, 327, 347,
348, 350, 351, 352. 353, 354,
356, 402. 403, 404.
GUILLAUME II (empereur d'Al-
lemagne).— 338.
GUILLAUMIN (député).— 104,
180.
GUILLOUTET (de).— 180.
GUIRAUD (député).— 345.
GUISTIÉRE (de la). — 180.
GUIZOT. — 182, 194.
GLJYOT-MONTPAYROUX. -~- 345,
349, 350, 375.
H
HAENTJENS. — 156, 181, 345.
HALLEZ-CLAPARÈDE (comte).—
103, 128, 181.
HAMOIR. - 180.
HANOTAUX (Gabriel).— 385.
HAUSSONVILLE (comte d'). — 39.
HAVIN. — 128, 181.
HAVRINCOURT (marquis d'). —
20, 84, 171, 180.
HÉBERT (député).— 180.
HENCKEL. — Voir : Donners-
marek.
HENDÉCOURT (capitaine d'). —
388.
HENNOCQUE. — 180.
HÉNON. — 26, 103, 127, 128,
162, 175, 181, 183.
HENRI IV. - 234.
HENRI V. — Voir : Chambord
(comte de).HERVÉ (Edouard).
— 44, 49.
HESECQUES (comte d').— 345.
HOHENZOLLERN (prince Antoine
de).—230, 233,211, 217, 219,
253, 254, 255, 257, 258, 259,
260, 261, 262, 263, 231, 266,
267, 269, 272, 273, 271, 277,
285, 289, 290, 294, 205, 308,
334.
HOHENZOLLERN (prince Charles
de) alias : CHARLES Ier (de
Roumanie).— 234, 251, 255,
256, 257, 258, 201, 262, 263.
HOHENZOLLERN (prince Léopold
de). —214, 216,217, 219, 228,
229, 230, 231, 232, 233, 238,
243, 244, 245, 247, 249, 250,
252, 253, 255, 256, 257, 259,
260, 262, 263, 264, 265, 266,
267, 269, 271, 274, 276, 279,
280, 283, 285, 287, 289, 290,
294, 302, 304, 309, 310, 311,
317, 318, 324, 327, 328, 334,
339, 357, 427.
HOUSSARD. — 345.
HUGO (François).— 234, 280.
HUGO (Victor).— 20, 21, 391.
I
ISABELLE II (d'Espagne).— 216,
— 217.
J
JANVIER DE LA MOTTE. — 180.
JANZÉ (baron de). — 103, 128,
175, 181.
JAUCOURT (de).— 180.
438 INDEX ALPHABETIQUE
JAVAL (Léopold). — 103,128,181,345.
JEAN II (de France). — 406.
JEANNEROD. — 387.
JECKER. •— 32.
JOIINSTON. — 345.
JOINVILLE (prince de).— 49.
JOLIOT. — 180.
JOSSEAU. — 182, 345.
JOURDAIN. — 180.
JOURDAN (Louis). — 211.
JOUVENCEL (de).— 345.
JUAREZ. — 27, 28, 29, 30, 32, 53.
JUBINAL (Ach.). — 180.
JURIEN DE LA GRAVIÈRE (amiral).— 29, 30, 31.
K
KELLER. — 345.
KÉRATRY (de).- 20, 316, 337,
343, 345, 350, 373, 374, 413.
KÉRAUFLECH (de). — 20.
KERCADO. — 180.
KERDREL. — 20.
KERMAZEC. — 20.
KERVÉGUEN (de). — 180.
KOLB (Bernard). — 181, 345.
LABARRURE. — 84, 120, 180.
LACROIX (Augustin).— 345.
LACROIX-SAINT-PIERRE. — 181.
LADMIRAULT (général).— 366,
378.
LADOUCETTE (baron de).— 180.
LAFOND DE SAINT-MUR. — 180.
LAGRANGE (comte Frédéric de).- 182.
LA HAICHOIS (de). — 181.
LAMARTINE. — 31, 195.
LAMBRECHT. — 103, 128,182.
LANJUINAIS (vicomte de). — 20,
128,182.
LANOiR(Paul).— 106, 107.
LARRIEU. — 345.
LAS CASES (de) (député). — 181.
LASNONIER. — 181.
LASTEYRIE (de).- 20.
LA TouRD'AuvERGNE(princede).— 41, 374, 408, 416.
LATOUR DU MOULIN. — 103, 138,
139, 182, 345.
LAUGIER DE CHARTROUSE. — 181.
LA VALETTE (de). — 244.
LAVEDAN. - 241.
LAVENAY (de).— 129.
LAVERTUJON (André).- 211.
LE BOEUF (maréchal).— 235, 236,
271, 303, 304,330,375.
LEBRETON (général).— 182, 412.
LEBRUN (général).— 236, 396,
397, 399, 400.
LE CESNE. 345.
LE CLERC D'OSNONVILLE.—182.
LE COMTE (Eug., de 1 Yonne).—
181.
LÉDIER. — 181.
LEFÉBURE. — 181,345.LEFEVRE-PONTALIS. — 345.
LE FLÔ (général).— 415.
LEFRANC (Pierre).— 211.
LE HON (comte).- 181, 345.
LE MÉLOREL. — 181.
LÉOPOLD Ier (de Belgique). —
257.
LE PELETIER D'AUNAY. — 181.
LERET D'AUBIGNY. — 181
IE ROUX (Alfred). - 181.
INDEX ALPHABÉTIQUE 43g
LE Roux (Charles). — 181.
LESCUYERD'ATTAINVILLE. —181.
LESOURD (OU LE SOURD).— 246,
352.
LESPÉRUT (baron). —182, 345.
LESSER (conseiller).—
2G4, 266.
LEUSSE (comte de). — 311.
LlEBKNECHT. — 298.
LIÉGEARD (Stéphen). — 141, 145,
181, 183.
LIMON (marquis de). — 60.
LORIQUET (Rév. Père). — 188,233.
Louis IX (de France).— 406.
Louis XIII. - 266.
Louis XIV. — 325> 356, 406.
Louis XVIII. — 14, 21, 33, 38,
60, 132, 206, 216.
Louis-PHILIPPE Ier. — 13, 14,
34, 54. 60, 133, 182, 206.
LOUVET. - 84, 182, 203, 371.
LUBONIS. — 181.
LUYNES (duc de). — 20.
LUZY-PELLISSAC (général de). —
181.
LYONS. — 244.
M
MACKAU (baron de). — 181.
MAC-MAIION (maréchal de).—
305, 309, 377, 378, 379, 380,
381, 383, 384, 390, 392, 393,
391, 398, 407, 408, 424.
MAGIS. — 315.
MAGNE. — 374.
MAGNIN. 103, 127, 129, 146,
147, 148, 119, 150, 151, 152,
102, 182, 184, 209, 211.415.
MAISTRE (Joseph de).— 414.
MALÉZIEUX. — 103, 128, 182,345.
MAME (député). — 181.
MANGIJSII. — 345.
MANTEUFFEL (général).— 48
MARÉCHAL (E.). — 54.
MAREY-MONGE. — 181.
MARGARITA (Félix).— 30, 206,
295, 298.
MARGUERITTE (général).— 395.
MARIE. — 103, 128, 182.
MARION. — 345.
MARMIER (duc de). — 103, 127,
128, 176, 182, 184, 344, 345.
MARMONT. — 367, 424.
MARQUEZ (général).— 32.
MARTEL. — 103, 182, 345.
MARTIN (Henri).— 22, 57, 58,
202, 239, 305, 306, 393, 395,
403, 423.
MARTY (F.).— 111.
MASSÉNA (député). — 182.
MATHIEU. — 181, 340.
MATHIEU (de la Drôme).— 20.
MAXIMILIEN (empereur).— 52,
53.
MÈGE. — 84, 181.
MERCIER (ambassa leur). — 231,
244, 253.
MERCIER (baron). — 181.
MESLIN (général).— 181.
METTERNICH. — 39.
MÉZIÈRES (Alfred). 50.
MICHEL (de Bourges).— 20.
MILLERAND (A'phonse).— 208.
MILLET (député).— 181.
MILLIERS. - 198, 200.
MILLON. — 181.
MIRAL (de).— 84.
MlRAMON. — 27.
44° INDEX ALPHABÉTIQUE
MITCHELL (Robert).— 232, 279,
280.
MOLTKE (feld-maréchal de). —
49, 108, 265, 291, 293, 295,
297, 300, 367, 377.
MONNERAYE (de la).— 345.
MONTAGNAC (de).— 84, 181.
MONTAUBAN (général Cousin de).— Voir : Palikao.
MONTEBELLO (de).— 20.
MONTIGNY (de).— 20.
MONTIJO (Eugénie de).— Voir :
Eugénie [impératrice).MONTIJO (comtesse douairière
de). —406.
MONTJOYEUX (de).— 181.
MONTPENSIER (duc de).— 217.
MOREL (docteur).— 205.
MORIN. — 182, 345.
MORNY (duc de).— 104.
MOUSTIERS (de).— 58.
MOUY. — 348.
MURÂT (comte Joachim). — 181.
MURÂT (prince).— 246.
MURÂT (roi).— 233, 231.
NAPOLÉON I^. — 17, 23, 37, 61,
62, 79, 391, 402, 430.
NAPOLÉON III. — 14, 16, 17, 19,
20, 21, 23, 26, 27, 29, 31, 33,
35, 36, 37, 38, 39, 42, 44, 45,
47, 49, 50, 51, 52, 53, 54, 55,
56, 57, 58, 59, 60, 61, 62, 63,
70, 75, 77, 86, 89, 96, 110,
112,126,130,136,151,174,188,
189, 190, 195, 207, 208, 209,
210, 212, 217, 218, 219, 220,
221, 222, 225, 226, 228, 229,
230, 231, 233, 234, 237, 246,
247, 249, 251, 252, 253, 254,
255, 257, 258, 260, 262, 263,
265, 270, 271, 273, 270, 277,
279, 281, 284, 285, 288, 289,
291, 301, 302, 303, 305, 306,
307, 308, 309, 320, 329, 341,
351, 350, 357, 360, 301, 302,
363, 364, 305, 300, 307, 368,
370, 374, 370, 377, 379, 380,
381, 383, 384, 385, 387, 388,
389, 390, 391', 392, 395, 396,
397, 402, 404, 407, 409, 110,
417, 419, 424, 425, 426, 427,
429, 430.
NAPOLÉON (prince J.). — 359.
NAPOLÉON-BONAPARTE (Louis).— Voir : Napoléon III.
NESLE (marquis de).— 104, 181.
NETTEMENT (Alfred).— 20.
NEY (maréchal).— 387.
NIEL (maréchal).— 49, 02, 03,
84, 85, 129, 167,168,169, 175,
177, 426.
NIGRA. — 277,278.
NOGENT-SAINT-LAURENS. —181.
NOIR (Victor SALMON, dit). —
199, 200, 201, 202, 204, 205,
208.
NOUALHIER. — 181.
NOUBEL. — 181.
©
OFFENBACII. — 200.
OLLIVIER (Emile).— 26, 80,
103, 128, 129, 140, 156, 161,
171, 172, 173, 174, 176, 182,
187, 188, 189, 190, 191, 192,
193, 194, 195, 201, 204, 205,
INDEX ALPHABETIQUE 441
206, 207, 208, 219, 220, 221,
222, 225, 220, 235, 230, 237,
238, 239, 240, 241, 245, 246,
247, 248, 249, 250, 251, 257,
262, 265, 209, 270, 271, 272,
273, 275, 276, 277, 278, 279,
281, 282, 284, 285, 286, 288,
289, 293, 303, 304, 308, 309,
314, 318, 320, 321, 322, 325,
326, 327, 328, 329, 330, 332,
333, 334, 335, 330, 345, 346,
351, 355, 357, 358, 361, 370,
371, 372, 374, 411, 427, 428,
430.
OLOZAGA. — 245, 254, 260, 261,
264, 273, 274, 277, 308.
ONCKEN (W.).— 288.
ORDINAIRE. — 211, 345.
ORLOFF (prince).— 417.
P
PAGEZY. — 182.
PAÏVA (la).— 215.
PAJOL (général).—
381, 388,
399.
PALIKAO (général Cousin de
Montauban, comte de). — 374,
375, 398, 399, 408, 427.
PAMARD. — 181.
PARIEU (de). — 181, 371.
PAULMIER. — 181.
PELLETAN (Camille).— 15.
PELLETAN (Eugène). — 78, 104,
124, 125, 127, 128, 166, 174,
177, 182, 183, 209, 211, 345,415.
PENHOEN (de).— 20.
PÉREIRE (Em.).— 181.
PÉREIRE (Eugène).— 181.
PÉREIRE (Isaac). — 181.
1JERIER (Casimir). •— 20.
PERRAS. — 181.
PERRIER. - 181.
PERSIGNY (Fialin, duc de).— 31.
PETIT (Guillaume). — 181.
PEYRAT (A.).— 211.
PEYRUSSE. — 181.
PHILIPPE DE BELGIQUE (prince).— 257.
PICARD (Ernest). — 26, 68, 69,
85, 80, 87, 89, 104, 119, 120,
124. 125, 120, 127, 128, 157,
158. 159, 162, 182, 209, 215,
224, 312, 311, 336, 315, 375,
415.
PICCIONI. — 181.
PICHON (Stephen).— 6, 7, 45.
PIE (cardinal).— 203.
PIÉROX-LEROY. - 104, 128,182,
184.
PIERRES (baron de). —181.
PIÉTRI. — 190.
PIETTE. — 181.
PINART. — 181.
PIOGÉ (de). —20.
PIRE (de).— 128, 181, 316, 317,
318, 322, 341.
PlSSARD. — 181.
PLANÂT. — 104, 128, 182, 345.
PLANCY (baron de).— 181.
PLANCY (vicomte de). — 128,
181.
PLICHON. - 81, 182, 371.
PONET (Adolphe).— 392, 425.
POUEZE (de la).— 181.
POUJADE (Eugène).— 405.
POUYER-QUERTIER. — 181.
PRÉCIONI. -- 345.
PRIM (maréchal). — 29, 217,
442 INDEX ALPHABETIQUE
220, 228, 230, 231, 232, 233,238, 244, 247, 249, 252, 253,259, 263, 264, 277.
PROODHON (P.-J.). — 14, 16, 17,54, 425.
PuTTMAKER (de). — 108.
Q
QUESNÉ. — 181.
QUINEMONT (de). — 181.
K
RADZIWILL. — 287, 289.
RA.MBOURGT (vicomte de) . —
128, 182.
RAMPON. — 345.
RASPAIL. — 239, 345.
RAVINEL (baron). — 104.
RÉGNIER. — 421, 422, 423.
RÉGUIS (colonel). — 145, 146,182.
REILLE (vicomte). — 84.
REINACII (baron de).— 181.
REINACII (Joseph).— 7, 427.
RESSÉGUIER (comte de).— 20.
REUSS (comte de).— 29.
RIANCEY (Henri de). — 20.
RICHARD (Maurice). — 104, 128,
139, 140,182, 371.
RICHELIEU (cardinal de). — 266.
RK IIEMONT (de). — 181.
RIGAULT DE GENOUILLY (amiral).— 129, 272, 371, 374,408.
RIONDEL.— 128, 182, 345.
ROCHEFORT (Henri).— 161, 186,
197, 198, 199, 200, 202, 203,
204, 209, 210, 115.
ROCIIEMURE (de).— 181.
ROCIIETTE (de la).— 20.
ROGEARD (A.).— 210.
ROLLE. — 181.
ROMEUF (de), — 181.
ROON (de). — 205, 291, 293, 295,
297, 300.
ROQUEFEUILLE (de).— 20.
ROQUES-SALVAZA. — 181.
RosNY(de).— 128.
ROTHAN (G.). — 27.
ROTOURS DE CIIAUAIAISONS (des).— 20, 315.
ROUIIHR. — 22, 27, 00, 102, 103.
129, 159, 176, 186, 190, 193.
ROULLEAUX-DUGAGE. — 181.
ROUVILR. — 208.
ROY DE LOULAY. — 181
ROYER. — 181.
RUSSELL (John). — 36, 38.
SAINT- AULAIRE ( commandant).—
588,402.SAINTE-HERMINE (de).
— 181.
SAINT-GERMAIN (de).— 181.
SAINT-MARC-GIRARDIN. —• 243.
SAINT-PAUL (de).— 182.
SALAZAR. — 217,218.SAVINE (Albert).
— 193.
SAXE (prince de).— 379.
SCHNEIDER (président).— 65, 66,
67,98, 116, 117, 119, 120, 123,
124, 125, 127, 130, 146, 154,
157, 160, 161, 167, 180, 182,
207, 309, 312, 313, 314, 317,
318, 322, 326, 332, 333, 337,
310, 341, 342, 346, 349, 411.
INDEX ALPHABETIQUE 443
SCHOEFFEL. — 106.
SEGRIS. —181, 371.
SEIGNEUR (Georges).— 410.
SÉNÉCA. — 181.
SENS. — 182.
SERRANO (maréchal).— 217,244,
247, 249, 253.
SEYDOUX. — 181.
SÈZE (de).— 20.
SIBUET. — 181.
SIMON (Joseph).— 181.
SIMON (Jules).—98, 99, 100, 101,
102, 103, 104, 105, 127, 128,
129, 130, 132, 133, 134, 135,
140, 162, 165, 166, 170, 171,
172, 174, 175, 177, 182, 184,
209, 211, 232, 332, 344, 345,
415.
SOUBEYRAN (de).— 181, 345.
STEENACKERS (député).— 345,
349.
STIEBER. — 105, 106, 107, 108,
109, 110.
SÏIEIIL (général).— 422.
STIÉVENART-BÉTIIUNE. — 182.
STOFFEL (colonel).— 225.
STRANTZ (colonel).— 264.
STRAT. — 254, 255, 256, 257, 258,
250, 260, 201, 262, 263, 273,
308, 309.
STURDZA (Démèlre A.). — 251,
261, 262.
SYBEL. — 287.
T
TAILLEFER. — 182.
TALABOT. —181.
TALIIOUET (marquis de). —20,
84, 181, 345, 316, 348.
TARENTE (duc de).- 128, 181.
TASSIN. — 345.
TERME. — 181.
THIERS (Adolphe). —34, 35, 59,
72, 73, 75, 76, 104, 105, 128,
154, 155, 172, 174, 177, 178,
179, 182, 221, 224, 232, 257,
313, 314, 315, 316, 317, 318,
319, 320, 321, 322, 323, 324,
325, 329, 333, 334, 335, 336,
337, 338, 339, 340, 341, 343,
344, 345, 409, 418, 419, 424.
THILE. — 246.
THOINET DE LA TURMELIÈRE. —
182.
TILLANCOURT (de).—
104, 119,
182, 315, 345.
TINGUY (de). — 20.
TOCQUEVILLE (comte de). — 20
TOMMASI (Louis).— 197.
TORCY (de).— 181.
TOULONGEON (comte).— 104,
182.
TOUR (comte de la).— 80, 81,
139, 146, 222, 316.
TOURETTE (de la).-
20, 181.
TRAVOT (baron).- 181.
TRÉVENEUC (comte de). — 20.
TROCIIU (général).— 172, 376,
411, 412, 413, 414, 415, 417,
418, 420, 424.
ULBACII (Louis).— 211.
V
VALLETTE. — 411.
VALORI (prince de).— 31.
VANDOEUVKE (baron de). — 20.
VASSOIGNE (général de). — 388.
444 INDEX ALPHABETIQUE
VAST-VIMEUX (de).—
166, 181.
VATIMESNIL (de).— 20.
VEAUCE (baron de). — 81, 181.
VÉRON (Eugène).— 211.
VEUILLOT (Louis).— 212.
VIELLARD-MIGEON. — 345.
VINOY (général). — 381.
VICTOR-E.YLMANUEL II (d'Italie).— 226, 230, 357, 358, 359.
VICTORIA (reine, d'Angleterre).•—300.
VITET. — 20, 215.
VIVIANI. — 208.
VOGEL DE FALCKENSTEIN (géné-
ral).— 48.
VOGUÉ (comte de).— 20.
VUITRY. — 129.
W
WADDINGTON. — 420.
WALDECK-ROUSSEAU. — 208.
WALEWSKI (président).—
72,
76, 84.
WELLE s DE LA VALETTE. — 181.
WELSCIIINGER (Henri).— 221,
248, 282, 285, 358.
WERLÉ. — 181.
WERTHER (baron de).—
282,
283, 28 i, 285, 288, 289, 292,
293, 312, 328.
WEST. — 84, 181.
WICKEDE (J. de).- 377.
WI.MPFFEN (général de).— 394,
395, 390, 397, 398, 399, 400,
402, l'J3, 406, 407, 424.
WITZIIUM. —308, 351.
Y
YVOIRE (baron d').— 345. .
ZEGETIIOF. — 48.
ZOLA (Emile).— 385, 387, 389.
ZoR.X DE BULACH. — 338.
ZORRILLA. — 231.
TABLE DES MATIERES
Pages
INTRODUCTION 5
CHAPITRE 1er
La question des Nationalités 11
Une concession libérale 18
L'expédition du Mexique 27
La pais en Europe 34
L'Affaire des Duchés 39
Sadowa 46
L'unité française 53
La réorganisation de l'armée 59
CHAPITRE II
Dépôt définitif du projet de loi 65
Quintuple interpellation sur la politique étrangère 71
Le projet de la commission (pour réorganiser l'armée). ... 83
Manoeuvres parlementaires contre le projet 98
Pour le roi de Prusse 105
Un nouveau projet 111
Le texte remanié 116
La discussion générale aurait-elle lieu, et quand ? 122
CHAPITRE III
La discussion général? 129
Pour et contre 139
446 TABLE DES MATIÈRES
Pages
Après Jules Simon, Magnin 146
Clôture de la discussion générale 152La suppression de l'armée!... Intervention de M. Emile ,
Ollivier 161
Bataille des amendements et vote final 174
Le « libéralisme » en marche 183
CHAPITRE IV
Les débuts du ministère Ollivier 193
Le plébiscite 206
La candidature Hohenzollern 214
Le parlementarisme contre l'armée 221
Le guêpier hispano-alleman,d 228
La déclaration du 6 juillet 1870 237
Napoléon III se joue, une fois de plus, de Bismarck 251
CHAPITRE V
Napoléon III réussit 257
Bismarck veut démissionner 263
On se réjouit à Paris 271
Demande de garanties 281
Bismarck le faussaire 291
La colère de Paris • • 301
La déclaration gouvernementale 308
MM. Thiers et Emile Ollivier 314
CHAPITRE VI
L'homme au « coeur léger » 321
Sauvons d'abord le ministère ! 329
La Chambre vote les hostilités 337
Les belligérants 351
L'Empereur part pour l'armée 361
Les héritiers de Fouché et de Marmont 367
L'encerclement de Sedan 376
TABLE DES MATIERES 447
CHAPITRE VIIPages
^e défi à la mort 385
Capitulation de Sedan 391
Le 4 Septembre 404
La « Défense Nationale » et la trahison de Bazaine 410
Coup d'oeil rétrospectif et conclusion 425
INDEX ALPHABÉTIQUE des personnages eités. 431
iivreux. — A. Cbauvicourt, imp.
Evreux. — A. Chauricourt, imprimeur.
INDEX ALPHABETIQUE DES PERSONNAGES CITES DANS LE PRESENT OUVRAGE (N.-B. - Les chiffres, à la suite de chaque nom, indiquent les pages où se reporter.)A
ABBATTUCCI. - ABEKEN. - ABOUT (Edmond). - ADAM (Mme Juliette). - ADELON. - ALBERT (archiduc). - ALBUFERA (duc d'). - ALPHONSE XII (d'Espagne). - ALEXANDRE II (de Russie). - ALLARD (général). - ANCEL. - ANDELARRE (marquis d'). - ANDIGNE (comte d'). - ANDRE (de la Charente). - ANDRE (du Gard). - ANDRIEU. - ARAGO (Emmanuel). - ARJUZON (comte d'). - ARMAN. - ARNDT. - ARNOULD (Arthur). - AUGUSTA DE PRUSSE (reine). - AUGUSTENBOURG (duc d'). - AYGUESVIVES (d'). - AYME. -
BBABOIN. - BALAY (Francisque). - BAMBERGER. - BANCEL (D.). - BAPST (A.). - BARAGUEY D'HILLIERS (maréchal). - BARANTE (baron de). - BARBENTANE (comte de). - BARBES (Armand). - BARBET. - BAROCHE. - BARRILLON. - BARTHELEMY-SAINT-HILAIRE. - BARTHOLDI. - BARTHOLONI. - BASTID. - BAUDIN (député). - BAUDIN (agent diplomatique). - BAZAINE (maréchal). - BEAUCHAMP (de). - BEAUMONT (de). - BEAUVAU (prince Marc de). - BEAUVERGER (de). - BELLIARD. - BELMONTET. - BELVEZE (de). - BENEDECK (général). - BENEDETTI. - BENOIST (baron de). - BERARD. - BEREZOWSKI (Bolislas). - BERGER. - BERNARDY (de). - BERRYER. - BERSET (de). - BERTHAUT (Mgr.). - BERTRAND. - BETHMONT. - BETTING DE LANCASTEL. - BEUST (comte de). - BISMARCK (chancelier de). - BIROTTEAU. - BLANCHET (Désiré). - BODIN. - BODUIN. - BOIGNE (de). - BOIS-VIEL. - BONAPARTE (prince Louis-Napoléon). - Voir: Napoléon III.BONAPARTE (prince Lucien). - BONAPARTE (Pierre). - BORGIA. - BOUCAUMONT. - BOUCHETAL-LAROCHE. - BOUDET (comte). - BOURBAKI (général). - BOURBEAU. - BOURLON. - BOURMONT (lieutenant-général de). - BOURNAT. - BOUTELIER. - BRAME (Jules). - BRATIANU (D.). - BRAUN. - BRAVAY. - BRIAND (Aristide). - BRIOSNE. - BRISSAUD. - BROGLIE (duc de). - BROHIER DE LITTINIERE. - BROISE (de la). - BRUNSWICK (duc de). - BRYAS (de). - BUFFET. - BUISSON. - BUQUET (baron). -
BUSSIERE (de). - BUSSON-BILLAULT. -
CCAFFARELLI (comte). - CALMETTE (député). - CALVET-ROGNIAT. - CAMPAIGNO (de). - CANE-KENSOUET. - CANROBERT (maréchal). - CARLOS (don, d'Espagne). - CARLOS (dom, de Portugal). - CARNOT (Hippolyte). - CARNOT (Lazare). - CARUEL DE SAINT-MARTIN. - CASSAGNAC (Granier de). - CASSAGNAC (Paul de). - CASSAGNAC (Paul-J. et Guy de). - CASTELNAU (général de) - CASTILLON (de). - CAVAIGNAC (général). - CAZELLES. - CESAR (Jules). - CHADENET. - CHAGOT. - CHAMBORD (comte de). - CHAMBRUN (comte de). - CHAMPAGNY (J.-P. de). - CHAMPAGNY (N. de). - CHAPELLE (comte de la). - CHARANCEY. - CHARLEMAGNE (député). - CHARLEMAGNE (empereur). - CHARLES-QUINT (empereur). - CHAUCHARD (député). - CHAZELLES (de). - CHAZOT (de). - CHESNELONG. - CHEVALIER (Auguste). - CHEVANDIER DE VALDROME. - CHEVREAU (Henri). - CHOISEUL (comte de, député). - CHRISTIAN IX (de Danemark). - CHRISTOPHLE (deputé). - CLARETIE (Jules). - CLARY (vicomte). - CLEMENCEAU (Georges). - CLERMONT-TONNERRE (de). - COCHERY. - COEHORN (baron de). - COISLIN (comte de). - COLBERT-CHABANNAIS (de). - COMBES (Emile). - CONDE (prince de) - CONEGLIANO (marquis de). - CONSEIL. - CONSTANS. - CONSTANTIN (Y. de). - CORBERON (de). - CORCELLES (de). - CORNEILLE (député). - CORNUDET (comte). - CORVISART (docteur). - COSSERAT. - COUEDIC (de). - COULAUX (du Bas-Rhin). - CREMIEUX (A.). - CREUZET. - CUNEO D'ORNANO (Gustave). - CURE (député). -
DDAGUILHON-PUJOL. - DALLOZ (Ed.). - DALMAS (de). - DAMBRY. - DAMPIERRE (marquis de). - DARBLAY (jeune). - DARIMON. - DARRACQ (député). - DARRICAU. - DARU (comte). - DAUTHEVILLE (général). - DAVID (Ferdinand). - DAVID (baron Jérôme), - DAVILLIERS. - DECHASTELUS. - DEIN. - DEJEAN (général). - DELAMARRE (de la Creuse). - DELAVAU. - DELEBECQUE. - DELESCLUZE (Ch.). - DELTHEIL. - DEMETRIUS A. STURDZA. - Voir: Sturdza.DESCOURS (Laurent). - DESMAROUX DE GAULMIN. - DESSAIGNES. - DESSEAUX. - DIDIER (Henri). - DILKE (sir Charles). - DOLLFUS (Camille). - DONNERSMARCK (Henckel de). - DORIAN. - DOUAY (général Abel). -
DOUAY (général Félix). - DOUDAN. - DOUESNEL. - DREOLLE (Ernest). - DROUOT (vicomte). - DROUYN DE LHUIS. - DUCROT (général). - DUGUE DE LA FAUCONNERIE. - DU MIRAL. - DUPANLOUP (Mgr). - DUPLAN. - DUPONT (Paul). - DUPORTAL (A). - DURAND (député). - DURFORT DE CIVRAC (comte de). - DURUY (Albert). - DUVERNOIS (Clément). -
EESCHASSERIAUX (baron). - ESTOURNEL (comte d'). - ESQUIROS. - ETCHEVERRY. - EUDES. - EUGENIE (impératrice). - EULENBOURG (comte d'). - EVANS (docteur Thomas-W.). -
FFABRE. - FALCKENSTEIN. - Voir: Vogel de Falckenstein.FAILLY (général de). - FAVRE (Jules). - FAY DE LA TOUR MAUBOURG. - FERDINAND VII (d'Espagne). - FERRY (Jules). - FICKER. - FLAVIGNY (vicomte de). - FLEURY (Ans.). - FLEURY (général). - FLOCARD DE MEPIEU. - FLOQUET (Charles). - FLOTTE (de). - FLOURENS (Gustave). - FONVIELLE (Ulrich de). - FORCADE LA ROQUETTE (de). - FOUCHE. - FOULD (Adolphe). - FOULD (Edouard). - FOUQUET (député). - FOURICHON (amiral). - FOURMENT (de). - FRANCOIS Ier (de France). - FRANCOIS-JOSEPH II (d'Autriche). - FREDERIC III (de Prusse). - FREDERIC VII (de Danemark). - FREDERIC-CHARLES (prince). - FREMY. - FROSSARD (général). -
GGABLENTZ (général von). - GAGNEUR. - GALLIFET (général, marquis de). - GALLONI D'ISTRIA. - GAMBETTA (Léon). - GARNIER. - GARNIER-PAGES. - GAVINI. - GEIGER (baron de). - GELLIBERT DES SEGUINS. - GERMAIN. - GIRAULT. - GIROD (de l'Ain). - GIROD-POUZOL. - GIROU DE BUZAPEINGUES. - GLADSTONE. - GLAIS-BIZOIN. - GLUCKSSBERG (duc de). - GOERG. - GORCE (Pierre de la).GORREC (le). - GORSSE (général baron). - GORTSCHAKOFF (de). - GOULARD (de). - GOUVION-SAINT-CYR (maréchal), - GOUYON (de). - GOVONE (général). - GRAMMONT (marquis de). - GRAMONT (duc de). - GRANDPERRET. - GRANDVILLE (de). - GRANIER DE CASSAGNAC. - Voir: Cassagnac.GRESSIER. - GREVY (Jules). - GROS (Aimé). - GROUCHY (vicomte de). - GROUSSET (Paschal). - GUEROULT. - GUIBOURGERE (de la). - GUILLAUME Ier (roi de Prusse). - GUILLAUME II (empereur d'Allemagne). - GUILLAUMIN (député). - GUILLOUTET (de). - GUIRAUD (député). - GUISTIERE (de la). -
GUIZOT. - GUYOT-MONTPAYROUX. -
HHAENTJENS. - HALLEZ-CLAPAREDE (comte). - HAMOIR. - HANOTAUX (Gabriel). - HAUSSONVILLE (comte d'). - HAVIN. - HAVRINCOURT (marquis d'). - HEBERT (député). - HENCKEL. - Voir: Donnersmarck.HENDECOURT (capitaine d'). - HENNOCQUE. - HENON. - HENRI IV. - HENRI V. - Voir: Chambord (comte de).HERVE (Edouard). - HESECQUES (comte d'). - HOHENZOLLERN (prince Antoine de). - HOHENZOLLERN (prince Charles de) alias: CHARLES Ier (de Roumanie). - HOHENZOLLERN (prince Léopold de). - HOUSSARD. - HUGO (François). - HUGO (Victor). -
IISABELLE II (d'Espagne). -
JJANVIER DE LA MOTTE. - JANZE (baron de). - JAUCOURT (de). - JAVAL (Léopold). - JEAN II (de France). - JEANNEROD. - JECKER. - JOHNSTON. - JOINVILLE (prince de). - JOLIOT. - JOSSEAU. - JOURDAIN. - JOURDAN (Louis). - JOUVENCEL (de). - JUAREZ. - JUBINAL (Ach.). - JURIEN DE LA GRAVIERE (amiral). -
KKELLER. - KERATRY (de). - KERAUFLECH (de). - KERCADO. - KERDREL. - KERMAZEC. - KERVEGUEN (de). - KOLB (Bernard). -
LLABARRURE. - LACROIX (Augustin). - LACROIX-SAINT-PIERRE. - LADMIRAULT (général). - LADOUCETTE (baron de). - LAFOND DE SAINT-MUR. - LAGRANGE (comte Frédéric de). - LA HAICHOIS (de). - LAMARTINE. - LAMBRECHT. - LANJUINAIS (vicomte de). - LANOIR (Paul). - LARRIEU. - LAS CASES (de) (député). - LASNONIER. - LASTEYRIE (de). - LA TOUR D'AUVERGNE (prince de). - LATOUR DU MOULIN. - LAUGIER DE CHARTROUSE. - LA VALETTE (de). - LAVEDAN. - LAVENAY (de). - LAVERTUJON (André). - LE BOEUF (maréchal). - LEBRETON (général). - LEBRUN (général). - LE CESNE.LE CLERC D'OSNONVILLE. - LE COMTE (Eug., de 1 Yonne). - LEDIER. - LEFEBURE. - LEFEVRE-PONTALIS. - LE FLO (général). - LEFRANC (Pierre). - LE HON (comte). - LE MELOREL. - LEOPOLD Ier (de Belgique). - LE PELETIER D'AUNAY. - LERET D'AUBIGNY. - LE ROUX (Alfred). - LE ROUX (Charles). - LESCUYER D'ATTAINVILLE. - LESOURD (ou LE SOURD). - LESPERUT (baron). - LESSER (conseiller). - LEUSSE (comte de). - LIEBKNECHT. - LIEGEARD (Stéphen). -
LIMON (marquis de). - LORIQUET (Rév. Père). - LOUIS IX (de France). - LOUIS XIII. - LOUIS XIV. - LOUIS XVIII. - LOUIS-PHILIPPE Ier. - LOUVET. - LUBONIS. - LUYNES (duc de). - LUZY-PELLISSAC (général de). - LYONS. -
MMACKAU (baron de). - MAC-MAHON (maréchal de). - MAGIS. - MAGNE. - MAGNIN.MAISTRE (Joseph de). - MALEZIEUX. - MAME (député). - MANGINI. - MANTEUFFEL (général). - MARECHAL (E.). - MAREY-MONGE. - MARGARITA (Félix). - MARGUERITTE (général). - MARIE. - MARION. - MARMIER (duc de). - MARMONT. - MARQUEZ (général). - MARTEL. - MARTIN (Henri). - MARTY (F.). - MASSENA (député). - MATHIEU. - MATHIEU (de la Drôme). - MAXIMILIEN (empereur). - MEGE. - MERCIER (ambassadeur). - MERCIER (baron). - MESLIN (général). - METTERNICH. - MEZIERES (Alfred).MICHEL (de Bourges). - MILLERAND (Alphonse). - MILLET (député). - MILLIERE. - MILLON. - MIRAL (de). - MIRAMON. - MITCHELL (Robert). - MOLTKE (feld-maréchall de). - MONNERAYE (de la). - MONTAGNAC (de). - MONTAUBAN (général Cousin de). - Voir: Palikao.MONTEBELLO (de). - MONTIGNY (de). - MONTIJO (Eugénie de). - Voir: Eugénie (impératrice).MONTIJO (comtesse douairière de). - MONTJOYEUX (de). - MONTPENSIER (duc de). - MOREL (docteur). - MORIN. - MORNY (duc de). - MOUSTIERS (de). - MOUY. - MURAT (comte Joachim). - MURAT (prince). - MURAT (roi). -
NNAPOLEON Ier. - NAPOLEON III. - NAPOLEON (prince J.). - NAPOLEON-BONAPARTE (Louis). - Voir: Napoléon III.NESLE (marquis de). - NETTEMENT (Alfred). - NEY (maréchal). - NIEL (maréchal). - NIGRA. - NOGENT-SAINT-LAURENS. - NOIR (Victor SALMON, dit). - NOUALHIER. - NOUBEL. -
OOFFENBACH. - OLLIVIER (Emile). - OLOZAGA. - ONCKEN (W.). - ORDINAIRE. - ORLOFF (prince). -
PPAGEZY. - PAIVA (la). - PAJOL (général). - PALIKAO (général Cousin de Montauban, comte de). - PAMARD. - PARIEU (de). - PAULMIER. - PELLETAN (Camille). - PELLETAN (Eugène). - PENHOEN (de). -
PEREIRE (Em.). - PEREIRE (Eugène). - PEREIRE (Isaac). - PERIER (Casimir). - PERRAS. - PERRIER. - PERSIGNY (Fialin, duc de). - PETIT (Guillaume). - PEYRAT (A.). - PEYRUSSE. - PHILIPPE DE BELGIQUE (prince). - PICARD (Ernest). - PICCIONI. - PICHON (Stephen). - PIE (cardinal). - PIERON-LEROY. - PIERRES (baron de). - PIETRI. - PIETTE. - PINART. - PIOGE (de). - PIRE (de). - PISSARD. - PLANAT. - PLANCY (baron de). - PLANCY (vicomte de). - PLICHON. - PONET (Adolphe). - POUEZE (de la). - POUJADE (Eugène). - POUYER-QUERTIER. - PRECIONI. - PRIM (maréchal). - PROUDHON (P.-J.). - PUTTMAKER (de). -
QQUESNE. - QUINEMONT (de). -
RRADZIWILL. - RAMBOURGT (vicomte de). - RAMPON. - RASPAIL. - RAVINEL (baron). - REGNIER. - REGUIS (colonel). - REILLE (vicomte). - REINACH (baron de). - REINACH (Joseph). - RESSEGUIER (comte de). - REUSS (comte de). - RIANCEY (Henri de). - RICHARD (Maurice). - RICHELIEU (cardinal de). - RICHEMONT (de). - RIGAULT DE GENOUILLY (amiral). - RIONDEL. - ROCHEFORT (Henri). - ROCHEMURE (de). - ROCHETTE (de la). - ROGEARD (A.). - ROLLE. - ROMEUF (de), - ROON (de). - ROQUEFEUILLE (de). - ROQUES-SALVAZA. - ROSNY (de). - ROTHAN (G.). - ROTOURS DE CHAUMAISONS (des). - ROUHER. - ROULLEAUX-DUGAGE. - ROUVIER. - ROY DE LOULAY. - ROYER. - RUSSELL (John). -
SSAINT-AULAIRE (commandant). - SAINTE-HERMINE (de). - SAINT-GERMAIN (de). - SAINT-MARC-GIRARDIN. - SAINT-PAUL (de). - SALAZAR. - SAVINE (Albert). - SAXE (prince de). - SCHNEIDER (président). - SCHOEFFEL. - SEGRIS. - SEIGNEUR (Georges). - SENECA. - SENS. - SERRANO (maréchal). - SEYDOUX. - SEZE (de). - SIBUET. - SIMON (Joseph). - SIMON (Jules). - SOUBEYRAN (de). - STEENACKERS (député). - STIEBER. - STIEHL (général). - STIEVENART-BETHUNE. - STOFFEL (colonel). - STRANTZ (colonel). -
STRAT. - STURDZA (Démètre A.). - SYBEL. -
TTAILLEFER. - TALABOT. - TALHOUET (marquis de). - TARENTE (duc de). - TASSIN. - TERME. - THIERS (Adolphe). - THILE. - THOINET DE LA TURMELIERE. - TILLANCOURT (de). - TINGUY (de). - TOCQUEVILLE (comte de). - TOMMASI (Louis). - TORCY (de). - TOULONGEON (comte). - TOUR (comte de la). - TOURETTE (de la). - TRAVOT (baron).TREVENEUC (comte de). - TROCHU (général). -
UULBACH (Louis). -
VVALLETTE. - VALORI (prince de). - VANDOEUVRE (baron de). - VASSOIGNE (général de). - VAST-VIMEUX (de). - VATIMESNIL (de). - VEAUCE (baron de). - VERON (Eugène). - VEUILLOT (Louis). - VIELLARD-MIGEON. - VINOY (général). - VICTOR-EMMANUEL II (d'Italie). - VICTORIA (reine, d'Angleterre). - VITET. - VIVIANI. - VOGEL DE FALCKENSTEIN (général). - VOGUE (comte de). - VUITRY. -
WWADDINGTON. - WALDECK-ROUSSEAU. - WALEWSKI (président). - WELLES DE LA VALETTE. - WELSCHINGER (Henri). - WERLE. - WERTHER (baron de). - WEST. - WICKEDE (J. de). - WIMPFFEN (général de). - WITZHUM. -
YYVOIRE (baron d'). -
ZZEGETHOF. - ZOLA (Emile). - ZORN DE BULACH. - ZORRILLA. -
TABLE DES MATIERESINTRODUCTION
CHAPITRE Ier
La question des NationalitésUne concession libéraleL'expédition du MexiqueLa paix en EuropeL'Affaire des DuchésSadowaL'unité françaiseLa réorganisation de l'armée
CHAPITRE IIDépôt définitif du projet de loiQuintuple interpellation sur la politique étrangèreLe projet de la commission (pour réorganiser l'armée)Manoeuvres parlementaires contre le projetPour le roi de PrusseUn nouveau projetLe texte remaniéLa discussion générale aurait-elle lieu, et quand?
CHAPITRE IIILa discussion généralePour et contreAprès Jules Simon, MagninClôture de la discussion généraleLa suppression de l'armée!... Intervention de M. Emile OllivierBataille des amendements et vote finalLe "libéralisme" en marche
CHAPITRE IVLes débuts du ministère OllivierLe plébisciteLa candidature HohenzollernLe parlementarisme contre l'arméeLe guêpier hispano-allemandLa déclaration du 6 juillet 1870Napoléon III se joue, une fois de plus, de Bismarck
CHAPITRE VNapoléon III réussitBismarck veut démissionner
On se réjouit à ParisDemande de garantiesBismarck le faussaireLa colère de ParisLa déclaration gouvernementaleMM. Thiers et Emile Ollivier
CHAPITRE VIL'homme au "coeur léger"Sauvons d'abord le ministère!La Chambre vote les hostilitésLes belligérantsL'Empereur part pour l'arméeLes héritiers de Fouché et de MarmontL'encerclement de Sedan
CHAPITRE VIILe défi à la mortCapitulation de SedanLe 4 SeptembreLa "Défense Nationale" et la trahison de BazaineCoup d'oeil rétrospectif et conclusionINDEX ALPHABETIQUE des personnages cités