NathalieMARIE
Unmonded’ombres
Nolan&TouzaniTome2
MixEditions
Avertissementdel'auteur:Cettehistoireestunefiction,sespersonnagesfictifs.Ellenesebaseenaucuncassurdesconnaissancesprécises et avérées sur la police. Elle trouve son inspiration dans des informations relayées par les médias et dans l’imaginaire qu’ellessuscitent.
Touteressemblanceavecdespersonnesexistantesouayantexistéseraitfortuite.Cettehistoireetsespersonnagesm’appartiennent.
ÀMixEditionspouravoiracceptécemanuscritetàtoutel’équipepourletravailquiaétéréalisésurUnmonded’ombres.
ÀJeannine,toujoursfidèleauposte.Mercipourtesrelectures.
Auxlecteursquipermettentàcelivred’existeretàceux,fidèles,quisontunsoutienpermanent.
LejournaldeLouisa
UnjourdesoleilLavieestbelle,superbe.Aujourd’hui,j’aipassémajournéeàregarderlesgens.Ilfaisaitbeau,ils
sepromenaient.J’aieudroitàdenombreuxsourires.J’avaismapetiterobeàfleurs,cellequej’aimetant,quimeparledechaleuretduprintemps.J’étaisheureuse.Alors,j’enaiprofité;jesaisqueçanedurejamais.LesoleilesttoujourslàQuatrejourssanscoupdeblues!Jenesuispascomplètementstupide.Cen’estpasqu’àcausede
cecielbleuresplendissant.Mesparentssontabsents,ilssontpartisvoirlafamilledemonpère.Jenepouvais pas m’y rendre avec eux, je passe le bac dans une semaine et je dois réviser. Sans leurprésence, jepeuxlefaire, installéedanslejardin.Jemesuismisedansuncoinsansvis-à-visetenmaillotdebain.Mapeauadéjàcommencéàbrunir.C’estsijoliuncorpsbronzé.J’aiintérêtàavoirmon bac avecmention, sinon je n’ai pas fini d’en entendre parler.Mon pèrem’a promis quelquesbellesbaffes si cen’était pas le cas.Le regardnoirdemamèrem’a suffi pour savoirqu’ellen’enpensaitpasmoins.Ellenemefrapperapas,ellesaitpouvoircomptersursonmari.Ceciétant,jenem’inquiètepastrop,j’aitoujoursétéexcellente.Jen’aijamaiseulechoix.J’espéraispouvoirpartiretm’éloigner pourmes études.Ce ne sera pas le cas.Mes parents ont refusé deme payer une vieétudiante. Je suis condamnée à rester ici. J’ai froidmaintenant. Ils ne sont pas là et, pourtant, ilsgâchentmajournée.
UndimancheàpleurerUnleverauxaurores,commetouslesdimanches,etdutempsdeperdupourressembleràunepetite
fillemodèle.Jedétestecesrobesblanchesetimmaculéesquejedoisporterpouralleràlamesse.Jedétesteallerdanscelieuglacialetjoueràl’enfantparfaitependantlesdeuxheuresquel’onpasseàl’église.Ilyal’avant,oùonsesalue.L’heureoùilmefautécouterleprêtreavecattentionou,toutdumoins,endonnerl’impression.Etl’après,oùmesparentsrestentuneheureàdiscuteraveclesunsetlesautres,alorsquejemaintiensunsouriredefaçadequiaobligationd’êtreconvaincant.Puis,c’estlerepasdominical,silencieuxpourmoi.Jen’aipasgrand-choseàdireetparlerdesactionsbénévolesquejesuiscontraintedefairemesapelemoral.L’obligationlesrendpesantes.Qu’ellesaientpourseulrôlededonnerunebonneimagedemoilesrendperfides.Après,jepeuxm’enfermerdansmachambre.Souscouvertd’étudier,jelisdeslivresinterdits,ceux
quiparlentd’amouret,accessoirement,desexe.Simesparentsvenaientàledécouvrir, jenedonnepascherdemapeau.
IndifférenceJ’aieumonbacavecmention trèsbien.Jen’aieu ledroitàaucunmotde félicitations, justecet
échangedesouriresentremesparentsetleurhochementdetêtedesatisfaction.Jenesuisrienpoureux,justeunfaire-valoirquel’illusiondeperfectionhabille.Jemesuisenferméedansmachambreetj’ai sortimonpetitmiroir. Il estbeauet futile. J’aimequ’il soit lesdeux. Jemesuis regardée, j’aiscrutémonregard.Mesyeuxsontbleufoncé.Jelesaisondés,ilsnem’ontriendit.Jenesaispasquijesuis,j’aiétéfaçonnéeparmesparents.
PleurerseraittroptendreVacanceschezmesgrands-parentsmaternels,avecmesparents:unennuimortel,desjeuxderôle
incessantsetdeshurlementsquejeretenais.Jemesuisscarifiéepourlapremièrefois.Ilfallaitquecette douleur s’efface, qu’elle trouveunpoint d’ancrageque je puisse comprendre.C’est bon cettedouleurphysique,admissibleetsaisissable.C’estbeaucesangquicouleetquicolorelapeau.Ilvafalloirquejetrouveunautreendroitquemespoignets.
RespirerJ’aiintégréuneécoleprestigieuseaucœurdelaville.J’étudielagestionetlacommunication.Je
doistoutdonnerpourespérergagnerlaliberté.Jen’aipasd’autrechoixsijeveuxmonautonomie.Lemariagepourraitêtreuneautresolutionpourm’évader,maismesparentsmedestinentàuneallianceavecunhommequ’ilsaurontchoisi,undeleurcongrégation,unquisoitcommeeux.Plutôtmourir.Les journées sont longueset jem’enréjouis.Loindechezmoi, jepeuxrespirer.Je suisavecdes
jeunes de mon âge qui vivent normalement. Je ne peux pas accepter leurs invitations à sortir.Pourtant, c’est un second souffle, loin de ces années où mes parents pouvaient tout contrôler.L’institutiondanslaquellejevivaismasecondevieétaitsansmystèrepoureux.Ilssontamisavecledirecteur de l’école primaire, celui du collège et, bien évidemment, celui du lycée. Dans cetétablissement, ilsn’ontaucunemainmise. J’ai failli continuerdanscette lancéeet fairemesétudessupérieuresdansleprivé.Machanceaétéd’êtreacceptéedanscetteécoleàlaréputationsansfaille,illustre.M’eninterdirel’accèsauraitétéstupide.Ilspeuventsegausserdevantleursconnaissances,amisetfamille,delaréussitedeleurfillesiparfaite.J’aienviedevomir,maisjepréfèremegorgerdecetoxygènenonvicié.J’arriveàêtreuntantsoitpeumoi-même,jemedécouvre.Jem’épuiseaussiàpasserd’unepersonnalitéàuneautre,d’unehumeuràuneautre.La journée, j’aienviederire.Lesoir,j’aienviedemourir.Lanuit,jenedorsqued’unœil,l’espritdiviséparlesdeux.
CHAPITRE1Laruelleétaitsombre,étroiteetinquiétante.Lesbâtimentshautscachaientlalumièredujouretl’odeur
putridequiyrégnaitdonnaitenviedeseboucherlenez.Celledefuirn’étaitpasabsente.MartinNolanfitquelquespaset regardaautourde lui.Troisvoituresdepoliceétaientgaréesà l’entréeetprotégeaientl’accès. Les gyrophares émettaient des lumières bleutées qui amplifiaient le malaise causé par cetteatmosphèremalfaisante.Soncœurbattaitàunrythmesoutenu.Ilsavaitquecequ’ilallaitdécouvrirseraitau-delàdetoutceàquoiilavaitdéjàdûfaireface,s’ilexceptaitladécouverteducorpssansviedesamère.Ilavançaencore,puisobservalesquelquesflicsdéjàsurplace,et leDocaccroupi.Lesvisagesblêmesdesescollèguesetlapostureraidedumédecinconfortèrentsespremièresimpressions.Ilvoulutrespirer à seule fin de décrisper sesmuscles et d’alléger sa cage thoracique. Il en fut pour ses frais.L’odeurdemortluivrillaleventre.Iln’avaitplusqu’unpasàfaire,iln’avaitpaslechoix:illefit.—Qu’est-cequ’ona?LeDoctournalatêteetNolanseretrouvafaceàunvisagefermé,auregardimpénétrable.Ilétaiten
modeprofessionnel,encoreplusqued’habitude,etill’étaitdéjàsacrémententempsnormal.Cen’étaitpasbonsigne.—C’estvousquiallezvousoccuperdecetteaffaire?—Y’adeschances.LeDocpoussaunsoupiretsereleva.—Cen’est pasvotre jour de chance,Martin.Une femme, jeune, violée et assassinéed’un coupde
couteaudanslecœur.Sonsacétaitàcôtéd’elleetelleaencoresesbijoux.Levoln’estpaslemotif.Unfouetpeut-êtreunsadique.—Unsadique?—Iln’apasfaitpreuvedebeaucoupdepitiéetilluiarasélatête.MartinNolanhaussaunsourciletbaissalesyeux.Ilavaitpriscesquelquesminutespourseblinder,
ellesnefurentpassuffisantes.S’ilparvintàcontenirsesémotionsdansl’expressiondesonvisage,froidet figé, iln’enfutpasdemêmeavecsesmains.Elles tremblèrent, il lesglissadans lespochesdesonjean.La victime était une jeune femme d’à peine vingt ans, encore habillée. Seule sa jupe était relevée,
révélant ainsi son intimité brutalisée. Elle avait un visage de poupée que sonmanque de cheveux nedénaturaitpas.Unvisaged’angebouleverséparunefrayeursansnom.Pasdesang,sicen’étaitlatacherougesursonchemisierbleupâle,etpasdetracedecoupsapparentsnonplus.LeDocrepritlaparole.—Saposturen’estpasnaturelle.Letueurl’amiseenscène.LeregarddeNolandescenditetilcherchaàvoiràtraversceluidumédecin.Cedernieravaitraison.
Lecorpsmincereposaitsurlebitume,dansunepositiondesplussagesquirendaitl’expositiondesonintimitéplusdéplacéeencore.L’innocenceetl’obscènesemêlaientdansunentrelacementhorriblementsurprenant. La vue de l’inspecteurNolan se troubla et il ferma les yeux.Unmeurtre aussi ignoble neserait pas facile à résoudre.Dans son for intérieur, il sut qu’il y en aurait d’autres, sauf si la chances’invitaitdansladanseetqu’iltrouvaitcedétraquérapidement.
—Lesphotosontétéprisesetj’aifaitdesrelevés.Ilvamefalloirunpeudetempspourchercherettrouvercequipourravousaider.—Faitescequ’ilfaut,Doc.Demoncôté,jevaisfaireletourdeslieux.—Jel’emmèneavecmoietMarcvaresteravecvous.Vouspouvezcomptersurluipourvousassister
danslarécupérationd’indices.Nolanleremerciad’unsignedetêteetsalual’hommequiluiavaitétédésigné.Ilsseconnaissaient,il
était l’un des adjoints dumédecin. Ensemble, ils rejoignirent le groupe de flics déjà sur place et seconcertèrentquelquesminutes.Pendantplusdedeuxheures,ilsratissèrentleslieux,nenégligeantrienetscellant toutcequi leur tombaitsouslesyeux.Nolanacquituneconviction:cette jeunefemmen’avaitpasététuéeici.
Sonretouraucommissariatsefitdansunetensiondontiln’arrivaitpasàselibérer.Unpoidsterrible
luipesaitsurl’estomac.Ilavaitrésoluplusieursaffairesdemeurtreaucoursdesacarrière,avaitassistéàdesenquêtessordidesetobservéuncertainnombredemorts.Celui-ciétaitdifférent,leplusimmondedetous.IlpassaparlebureaudeBricksetluirelatalepeuqu’ilsavait.Laminesoucieusedesonpatronleconfortadanssesimpressions.Iln’étaitpasauboutdesespeines.Puis,Nolan renditvisiteauDoc, récupéra les informationsqu’il trouvadans le sacde lavictimeet
regagnasespénates.Ilréalisaquelquesrecherchessimplespourl’identifieretenconnaîtreunpeuplussur elle. Le peu d’éléments qu’il trouva l’amena à confier cette mission à Jordan, l’informaticien.L’enquêtepréliminaireavaitdémarré,mêmesisans lerapportdulégiste, ilnepouvaitse jeterdans lamêlée.Sonderl’espritdutueuretchercheràentrerdanssatêteallaientêtreunenécessité.Nolann’étaitpasprofileretilferaitappelauspécialistecomportementalpourl’aiderdanscetteerranceaucœurd’unesprit détraqué, mais sans s’y coller un tant soit peu, il ne pourrait pas aller loin. Martin prévoyaitquelquesbellesinsomnies.Ilenfaisaitmoinsdepuisqu’ilétaitavecIsmaëlet ilsesentaitplusserein.Même ses ombres s’étaient calfeutrées. Elles n’étaient plus une lutte quotidienne contre lesquelles ildevaitbataillerpourpouvoiravancer.Faceàcettenouvelleenquête,ilyavaitpourtantdeforteschancespourquesesnuitssoientperturbées.Ilsesurpritàespérerquel’âmeerrantedelavictimeneviennepastournoyerautourdelui.Cevœupieuxneluisemblapasirréalisable.MartinNolanavaitchangéetsavieétait bienmoins sombre. Il ferma les yeuxquelques secondes et sonda son environnement.Rien, il neperçutrien.Sonsouffleselibéra,ilétaitsoulagé.Ilavaitenvied’ycroire.
Endébutd’après-midi, IsmaëlTouzani fit sonentréedans sonbureau, levisagegraveet inquiet. Ils
évitaientlepluspossibledeseparlerautravailendehorsdesenquêtesquilesoccupaient.Ilsauraientfait de même si tout le commissariat avait été au courant de leur relation, mais ils y mettaient del’opiniâtretéparcequecen’étaitpas lecas,etqu’Ismaëln’avaitencoreriendécidéàcesujet.Martins’enbattaitlescouilles.Saviepersonnelleavaittoujoursétéprivée,iln’avaitpasbesoinquesonamants’afficheetlesrévèle.Ilyavaitleboulot,ilyavaitleurintimité,etilnesouhaitaitpasparticulièrementdepointderencontreentrelesdeux.—J’aiapprispourlemeurtredonttuvast’occuper.—Ouais,unsacrémerdier,situveuxmonavis.—Tusaisquiestlavictime?—Unnomsurunecarted’identitéetunpermisdeconduire,uneadresseetunvisagequin’apasfini
demehanter.Jordanestdessus,jen’airientrouvédesérieuxavecunerecherchebasique.—Quivatravailleravectoisurl’affaire?—Jenesaispasencore.Bricksn’arienditàcesujet.
—Jepeuxmemettresurlesrangs?—Sionesttouslesdeuxsurcetteenquête,nossoiréesvontêtremorbides.—Onn’auraqu’àlalaisserauxportesduboulot.MartinoffritunregardsuspicieuxàIsmaël.Illetrouvaittoujoursaussibeau,d’unebeautéqu’ilaurait
puqualifierdemignonneoud’attendrissante. Ilaimaitdeplusenplussonvisageaux traits finset soncorps délicatement musclé. Ses boucles noires étaient son paradis, ses yeux sombres, sa perte. Il nedésirait pas qu’Ismaël participe à cette enquête et qu’elle s’immisce dans la relation qu’ils étaient entraindeconstruire.Elleallaitlemalmeneretl’étirerdanstouslessens.Ilauraitvouluquesonamants’enéloigneetluipermette,parlamêmeoccasion,des’endistancier.Pourlapremièrefoisdepuisqu’ilsseconnaissaient,Martins’imaginaavecunIsmaëlquin’auraitpasétéflic.—Onnepourrapass’encoupersifacilement.C’esttoujourslecas,maislà,ceserapire,crois-moi.
Jepréféreraisque tun’ysoispasmêlé,mais jecomprendsque tuenaiesenvie.C’estuneopportunitéprofessionnelleet,danscetteoptique,elleadequoisouleverl’intérêt.—J’aitoutautantenvied’arrêterl’assassinquetoi,Martin.—Jen’endoutepasuneseuleseconde.Jenet’empêcheraipasd’enfairelademandeàBricks, tout
commejen’émettraipasunrefuss’ilmedemandemonavis.Mesréticencessontd’ordrepersonnel.Ismaël observaMartin quelques secondes. Il aimait ce type comme un dingue, à en perdre la tête
parfoisetsurtoutlorsquesoncorpsétaitfichédanslesien,ouinversement.Ilauraitaiméluifaireplaisir,maissonboulotavaitsonimportanceetilvoulaitêtreàégalitéaveclui,quecesoitavecMartinouavecl’inspecteurNolan.Cetteenquêtel’intéressaitetparticiperàl’arrestationd’untarépesaitsonpoidsdanslabalance.Ilrefusaitd’êtremissurlatouchepourlaseuleraisonqu’ilpartageaitlelitdecethommeàl’espritprotecteur.Réussiràluicachersasensibilité,sipeuexposée,n’avaitpasétépossibleenétantsiproche.Ilpartageaitsavie,mêmes’ilsnevivaientpasensemble.Martinétaitunhommerenfermé,avecuncœurplusgrosquelui,uneâmesensibleetgénéreuse.Ismaëlquémandaittoutcela,toutautantquesaforceetsonintransigeance.Sileurrelationavaitétémiseenpérildufaitqu’ilspartagentlemêmeboulot,il se serait peut-être arrêté pour y réfléchir et trouver une alternative. Ce n’était pas le cas. Martinn’exigerait jamais un tel renoncement de sa part et seul l’avenir leur dirait si cette spécificité posaitproblèmeounon.Enattendant, ilespérait travailleravecMartinNolansur lemeurtrehorribledontcedernieravaitécopé.—JevaisdecepassolliciterBricks.—Tuastoutesteschances.Çavaêtreuneenquêtelongueetdifficileetsiçanes’arrêtepasàceseul
meurtre,lesmédiasvontnouscollerauxbasques.Devraiessangsues,ceschasseursdefaitsdiversetdesensationnel.Peudoiventavoirenviedeprendrelerisquedes’ycoller.—Tucroisqu’ilvayenavoird’autres?—C’estuneéventualitéquiafaitplusquem’effleurerl’esprit.Cequej’aivuetlepeuqu’apumedire
leDoctendentversunerécidive.Ilyaquelquesindicesquilaissentàpenserqu’onaaffaireàuncinglé,deceuxquideviennentdestueursensérie.—Merde!Onvaêtresurlepontplussouventqu’ànotretour.— C’est exactement ça. Je ne crois pas qu’il soit possible de vivre normalement et de dormir
tranquillequandoncourtaprèsuntelmec.—Jeveuxtoutdemêmeenêtre!Martinluioffritunfugacesourire,nédel’enthousiasmeetdeladéterminationqu’affichaitsonamant.
Ismaëlnesavaitpasdansquoiilmettaitlespieds,etluipasbeaucoupplus,maisilrépondaitàl’appel.Ilétaittoutautantdisposéàdonnerdesheurespourfaireenfermercedangereuxcriminel.Dèsqu’ilauraitvu lesphotos, ilperdrait sagaieté spontanée.SiMartinn’étaitpaspresséd’assister à sadéconvenue,
Nolanétait impatientde se jeterdans labataille.Plus le tempspasseraitetplus ils rencontreraientdedifficultés.IsmaëlquittalebureausousleregardsoucieuxdeMartin.Ilsallaientseretrouverpotentiellementen
danger et cette pulsion protectrice qu’il ressentait envers Ismaël n’avait pas fini de lemalmener. Sonregard s’assombrit, ses paupières s’abaissèrent et il se frotta les yeux. Il venait de vivre quelquessemainespaisibles,unedizainepourêtreprécis,cellesquiséparaientNoëldece jourfuneste. Ilavaitbien fait deprofiter de cettenouveauté, le calmenepouvait apparemmentpasperdurerdèsqu’il étaitconcerné.Cinqminutesplustard,Ismaëlétaitderetour,laminesatisfaite.—Lepatronestd’accord.Oncommenceparquoi?Nolanrouvritlesyeuxetseperditunbrefinstantdanslavisiond’unIsmaëlàcroquer.Sonjeandélavé
épousaitidéalementsescuissesetsachemiseluiconféraitunsérieuxquiluiallaitbien.Dedos,ilsavaitqu’ilétaittoutaussiappétissant.Iladoraitsesfessesidéalementproportionnéesetlégèrementbombées.Ilchassasespenséeslibidineuses.Avecunpeudechance,ilpourraitlesmettreenpratiquecesoir.—OnvarendrevisiteauDoc.Iladûavancer,neserait-cequ’unpeu.NousverronsJordanaprès.Ensemble,ilsserendirentdanscetantrequeNolanabhorraitetquilemettaittrèsmalàl’aise.Lesdés
étaientjetés,labataillecommençait.
LejournaldeLouisa
JoietendancieuseLesmois filentetc’est formidable.Plusvite j’aurai finices troisannéesquimeséparentdemon
diplômeetplusvitejepourraim’affranchirdecetteviepesante.Mesparentsnechangentpasetnechangerontjamais.Ilssontaussiétroitsd’espritquelespenséesquileshabitent.Ilsontunmalfouàaccepterquejeleuréchappependantleslonguesheuresquim’éloignentdeleuremprise.Jecacheleschangementsquisesontopérésenmoi,cetteouverturesurlemondequem’offrecette
vie étudiante. Je m’éloigne d’eux bien plus qu’ils ne le perçoivent. Cela ne les empêche pas derecherchertoutetraced’évolutiondansmafaçond’êtreetdefouillermesaffairespourêtresûrsqueje ne mène pas une vie dépravée. J’aimerais être une rebelle au cœur libre et faire toutes cessaloperies dont ils ne peuventm’accuser. Ils se rendentmalades à les imaginer, la peur au ventrequ’elles puissent devenir réalité. J’affiche une gaieté surfaite pour les rendre unpeu plus dingues.C’estunplaisirpervers,presqueaussiagréablequemeslecturessexy.J’ensuisarrivéeàuneréalitéincontournable:jedétestemesparentsetcetteperfectionqu’ilsont
marquée au fer rouge surma peau et dansmon être. Ils ont fait demoi une personne fragile, auxémotionsexacerbéesetprisonnièred’uncarcandontjenesaiscommentmedéfaire.Ilsneregardentquecequ’ilsveulentbienvoiretnientcequileurcrèvelesyeux.Jesuisanorexiquedepuisl’âgedequinzeansetjebrutalisemapeaudepuisplusieursmois.Mevoirjoueraveclanourriturefaithurlermonpère.Cespetitsboutsd’alimentsquejedécoupeconsciencieusementdansmonassiettelerendentdingueetfontnaîtreleméprisdemamère.J’aireçuquelquesgiflespourcemanquementauxcivilitésdebase.Jen’arrivepasàm’endéfaire.Quandmonpèremeforceàmanger,jevomisdanslestoilettescedonnourricierqu’ilsmefont.Leurdésirdeperfectionestdevenumasecondenature,masecondeâme.Jememaudisdemeretrouverainsiàsuivreleurspasetàrépondreàcetteexigence.Jelesdéteste,jemedéteste.TentationJe suisdéchiréeet j’ai enviede tout casser.Plusque tout, je fantasme surunevalisepleineque
j’auraisrempliedemesmains,demapoignesolidepourlasouleveretdelaported’entréeclaquantderrièremondos.Ilestsimignon.Mieuxquecela,ilestbeau.Emmanuel.Unprénomdoux,joli,quimefaitdubien.
Dessemainesqu’ilmeregardeetquejelesensm’épier.Desjoursetdesjoursàmedemandersijedoisl’encourageroulefuircommelapeste.Saloperiedeparents!Ilssontlà,toujourslà,commeuneautrepartiedemoi,àmeparlerdansmatête,àmemenacer,àmemettreengardeetàm’obligeràlesprendreencompte.J’aidix-neufanset,parmoment,jemedemandesij’enaidixoucent.Emmanuel suit lemême cursus quemoi : gestion et communication.Nous sommes dans lamême
classe.Jeluiplais,jel’aicompris,etilmeplaît,c’estévident.Jenesaispasquoifaire.Ilm’attire
terriblement. Il est l’interdit, l’envie de sensations nouvelles et un besoin d’être aimée. C’estdangereux.Ilm’estimpossibledesavoirsic’estluioucequ’ilreprésente.Ilestunefenêtreouvertesurdesdécouvertesetlareprésentationdecettepeurviscéralequirendmesparentssicons.Perdremavirginitéavantlemariage,avecuninconnuquineressemblepasàcequ’ilsontprévu,nepourraitquelesrendrefous.C’estsitentant,autantquel’estEmmanuel.
DivisionJe me suis laissée faire, j’ai laissé Emmanuel m’embrasser. Il est doux, gentil et attentionné.
Commentrésister?Depuis,jesuisperdue.Ilyaceregardqu’ilposesurmoi,celuiquefontpesermesparents,etlemien,indéchiffrable,mêmepourmoi.Meshumeursonttoujoursjouéauyoyo.Ellessontmontées dans un grand huit. J’ai peur que ce soit inscrit sur mon visage et que mes parents metombentdessus.J’aipeurqu’Emmanuelserendecomptequejenesuispascequ’onpourraitappelerune jeune femme équilibrée. J’ai peur que mes deux mondes se percutent et qu’on me prive dudeuxième.J’aimalàl’intérieurdemoi,c’estdevenuinsupportable.Jepréfèreladouleurphysique,jedoisabsolumentfairecoulermonsang.
PerversionSesmainsm’ontcaressée,ellesontexplorémapeau,cajolémesseins.C’étaitagréable,maisjene
voulais pasme laisser emporter. C’est cette retenue absurde qui porte le visage demes parents etparle d’imperfection. Emmanuel m’a touchée, il a poursuivi cette souillure que ses baisers ontentamée.Jesaisquecesontdesréflexionsstupides,maisjesuisincapabledelesrefouler.Toujourscettealtérationquimepoursuitpartoutetquidéformetoutcequejevis:ledonquejefaisdemesheuresdelibreenaidantlesautres,leplaisirquejeprendsàmemaltraiter,lepeudenourriturequej’avale,lesbaisersd’Emmanuelquej’aimeetquim’avilissent.
PartirJe pourrais mourir que ça n’aurait que peu d’importance. Qui se souviendrait de moi avec un
sourireattendrietpeinépourmonabsence?Qui?Mesparentsnelaremarqueraientpeut-êtremêmepas.Emmanuel?C’estbienpossible.Noussommesensembledepuisplusieurssemaineset,malgrésondésirquejeperçoisnettement,ilsemontrepatient.Iln’apasl’airdevouloirmeforceràquoiquecesoitet,parfois,sonregarddébordedetendresse.Jenesaispastropcequ’ilvoitenmoi.Ilmetrouvebelle,charmanteetintelligente.Est-cesuffisant?J’aimeraislecroire.Jesaisdéjàquelesactesontplusd’importancequelesmots.Sijedécidaisdefuir,est-cequ’ilmesuivrait?
CHAPITRE2
Lapièceétaitfroide,blancheetaseptisée.LecorpssansviedePascalinePasquierreposaitsurlatabledure devant laquelle avait officié le Doc. Elle était une petite chose fragile, pâle et attristante.L’économiedemouvements’imposaitdanscelieu, toutautantquelesilence.Pourtant,NolanetIsmaëlétaientvenuschercherdesréponses.—Elleestmorted’uncoupdecouteaudanslecœuretaétévioléepeudetempsavant.Ellen’apasété
brutalisée,pasdans lesenscommundu terme.Pasdecoups, justedesecchymoses,desbleusdusà lacontraintepourlamaîtriser.Parcontre,ilaapposésamarquesurelle.Martinsechargeadel’échangesousleregardattentifd’Ismaël.—Quellemarque?Où?—Danslanuque.Unmot:pureté.LeDocretournadélicatementlecorpsetexposalesstigmatesquimeurtrissaientlapeau.—Ilautiliséuncouteau.Peut-êtreceluidontils’estservipourlatuer.—Desempreintes?Del’ADN?—Non,ildevaitporterdesgants.Jen’airienretrouvésoussesonglesetseulementquelquesfibresde
textile d’une couleur différente des vêtements qu’elle portait. Pas de quoi en tirer grand-chose. Ellesn’ont rien de particulier. Pas de cheveux, pas de peau, pas d’empreintes et il a utilisé un préservatif.Aucunrésidu,aucunpoilpubien.Unmonstreméthodiqueetprudent.—Selonmoi,ilnel’apasagresséeetvioléedanslaruelle.—Jenepensepasnonplus.LepeuquevousaveztrouvéetqueMarcaétudién’ariendonné.C’est
choublanc.—Nousnesommespasauboutdenospeines.Unmaladesepromènedanslavilleetnousn’avons
riensurlui,absolumentrien.—Lavictimevousapprendrapeut-êtrequelquechose.—Ilfautl’espérer,sinonjenevoispastropcequenousallonspouvoirfaire.LeurdiscussionavecJordannefutpasbeaucoupplusrévélatrice.PascalinePasquierétaitorphelineet
avait grandi dansunorphelinat. Ses parents étaient décédés alors qu’elle n’avait que six ans et aucunmembredesa famillene l’avait réclamée.Laseulepersonnequiauraitpus’enchargerétait sagrand-mère.Depuis, elle étaitmorte elle aussi.Cette jeune femme avait à peine dix-neuf ans et occupait unstudiodansunerésidenceprocheducentre-ville.Elletravaillaitdansunsalondecoiffure,pastrèsloindechezelle.Ellevivaitseules’ilss’enréféraientàsadéclarationd’impôts.Sontravailetsonlieudevieétantlesseulesdonnéesqu’ilsavaientsouslamain,ilsserendirentàl’un
et à l’autre. Son appartement était d’une grande simplicité, propre et rangé, chaleureux. Avec peu demoyens, elle avait réussi à se créerunenvironnement agréablequ’elle entretenait. Ils firent le tourdupetitespace,fouillèrentsesaffairesetjetèrentunœilsursespapiers.Ilsnetrouvèrentpasgrand-chose,si ce n’est quelques photographies la représentant seule ou avec des amis de son âge.Deux ou trois,toujours lesmêmes.Quelques-unesavaientpourdécor le salondans lequelelle travaillait.C’étaitunebelle jeune fille, au sourire jovial et avec un reste de timidité qui la rendait plus que charmante. Ilsressortirentetgagnèrentlecentre-ville,plusmorosesqu’ilsnel’étaientdéjà.
Leurvisite au salonde coiffure lesplombaunpeuplus.C’était un commerce à échelle familiale etPascaline y avait fait son apprentissage avant d’y être embauchée. La patronne, une femme d’unecinquantained’années,s’étaitattachéeàelleetsacollègueétaitsameilleureamie.Lesalonfutfermédèsquelesdeuxclientsprésentseurentquittél’endroit.Lasouffrancemarquaitleurstraitsetilétaitdifficilederesterstoïquedevantcesvisagesruisselantsdelarmes.Ladiscussionquisuivitleurapportaquelquesélémentsd’importance.Pascalineavaittravaillélaveilleetsicesdernièresn’avaientpasréagiavantlapolice,c’étaitparcequ’elleétaitencongéscejour-là.Letueurl’avaitagressée,violéeettuéedansunemêmefoulée.Ilnel’avaitpasgardéeavecluipendantplusieursjours,pasmêmequelquesheures.Elleavait quitté son travail vers dix-neuf heures trente, comme à l’accoutumée.D’après leDoc, elle étaitmorteauxalentoursdevingt-et-uneheures.Ilsapprirentquec’étaitunejeunefillesanshistoire,sortantpeu et seulement entourée de rares amis proches.Tous avaient un lien avec le salon de coiffure.Ellen’avaitgardéaucuncontactavecl’orphelinatniavecceuxquiyavaientvécuenmêmetempsqu’elle.Ellen’avaitpasdepetitami.Ilsquittèrentleslieuxpassablementtroublés.Ismaëlfutlepremieràprendrelaparole.—Ellen’ariend’unefillequiauraitprovoquéunesituationàrisque.—Pas de prime abord, en tout cas. Sa vie sociale n’ouvre aucune porte.Nous allons enquêter sur
l’orphelinatetyfaireuntour.Elleapeut-êtrelaissédanssonsillageunamoureuxtransiqu’ellearejeté.—Tucroisquecemeurtrepourraitêtrelavengeanced’unamantéconduit?—Franchement,non.Çam’étonneraitmêmebeaucoup,maisnousn’avonsrienànousmettresousla
dent.Autant nenégliger aucunepiste.L’orphelinat est à plusde cent kilomètres, nousnousy rendronsdemain.IlspassèrentlesheuressuivantesàanalyserlesphotosqueleDocleuravaittransmises,maisrienne
leursautaauxyeux.Ilsfirentunnouveautourdanslaruelleetpassèrentuneheureàsebaladerdanslesenvirons.Leurinstinctnelesalertapasplus.Dépités, ilsseretrouvèrentchezIsmaëlàdiscuteretàsecreuserlatête.Ilnefallutqu’unedemi-heureàMartinpourqu’ilymetteunterme.Ilsétaiententraindefaireexactementcequ’ilvoulaitéviter.—Stop!Sinousnevoulonspasdevenirdinguesetsaperlesmomentsquenouspassonsensemble,il
va falloir fairequelquesefforts. Jen’ycroispasparticulièrement,mais sic’estdéjàcommeçadès lepremierjour,c’estfoutud’avance.—Merde!Tum’asprévenu,maisc’esttellementnaturel.—Lepiègeest là.Cen’estpasquelquechosedenégatifd’échanger sur leboulot,mais si nousne
faisonspasattention,nousneferonsplusqueça.L’enquêtevas’intensifier,secompliqueretnousenvahirpetitàpetit.Pluselledureraetplusellenousminera.Sinousnepréservonspasunespacepoursouffler,nousallonsylaisserdesplumes.—Tuasraison…Jevaisinstaurerunrituel.—Unrituel?—Ouais,un trucquimediraque je suisà lamaisonetqu’ilme fautpasseràautrechose.Unacte
symboliquequimepermettrad’opérercettecassure.—Tun’enfaispasunpeutrop,là?—Jecommenceseulementàmesurercequesignifieêtreprisdanslesfiletsdesonboulot.Jeneveux
pasperdrelesmomentsquejepasseavecMartinaubénéficedeNolan.J’ytienstrop.Amusé,Martinluifitunsourireetcrochetasanuque.Ill’attiraàluietl’emmenadansunbaisertrès
excitant.—C’estunmoyentrèsparlant.Mefairebanderpeutavoircepouvoir.—Ilalabonneidéed’êtreréciproque.
—Tantmieux…Jevaisallerprendreunedouche.C’estunactesymboliquequipourraitm’aider.Nuetsentantbonlepropre,jedevraisêtreàmêmededevenirtonrituel.—Unebonnebièrefraîche,çapourraitlefaireaussi.—Tuesunchieur,Martin,sansaucuneoncederomantisme.—Vateritualisersymboliquement.Jeteprometsd’êtretonsacrilège.—Ilvatefalloirfairedegroseffortssituveuxréussiràémouvoirmoncœur.Tuesnulaveclesmots
etlessentiments.—Est-cequejeréussisàémouvoircequisecachedanstonpantalon?—Tuesdeplusenplusmauvais,Martin.—Onpariequedansuneheuretuchangerasd’avis?—Nan,jenejouepasàcesjeuxinfantiles.—Froussard!Lerireauborddeslèvres,IsmaëltournaledosàMartinetgagnasasalledebains.Entrentesecondes,
ilétaitnu.Dixdeplusetilseglissaitsousl’eauchaudeenpoussantunsoupird’aise.Ilsavaientréussiàplaisanter sur le sujet, tout en cherchant des procédés pour se distancier de leur boulot si prenant.L’intelligencedeMartinetsacapacitéàregarderleschosesavecobjectivité,ainsiquesamaturité,leurpermettaient d’agir en conséquence. Prendre une douche dès qu’il rentrerait chez lui, sans attendre,pouvaitêtreunesolutionàpartirdumomentoùilledécidait.Fairel’amour,toutdesuiteaprès,étaitlemeilleurmoyenderemporterlavictoire.Pourcela,ilfallaitqueMartinnelelâcheplusd’unesemelle,cequin’étaitpasgagné.Un corps puissant se glissa contre le sien et une érection ferme lui cajola les reins. Ismaël se cala
contrece torsemuscléets’enveloppadans lesbrasdeMartin.Unedoucheetdusexeenmêmetemps,c’était la réponse idéale. Il l’avait souhaité, espéré, et Martin répondait présent. Son amant était siférocement fiable. C’était un trait de sa personnalité qui le rassurait. Il avait cru que l’amour de sesparents,desafamille,étaitunevaleurstable.Engrandissant,etendécouvrantsonhomosexualité,ilenavaitétémoinssûr.Puis,ilavaitcomprisquesesdoutesavaientungoûtdecertitude.C’étaituneperteénormederéaliserquel’amourparentaln’étaitpasinconditionneletpasplusfortquelescroyances,lesopinionsou les réputations.AvecMartin, Ismaëln’avaitpasces indécisions.Peut-êtrequ’un jour, soncompagnondécouvriraitquecertainsaspectsdesapersonnalitéétaientincompatiblesaveclessiensetildécideraitdemettreuntermeàleurrelation,maiscelan’auraitrienàvoiravecdespréjugés,desrejetsstéréotypés ou un manque de bienveillance. Cette solidité qu’il lui offrait était devenue une ancre àlaquelle ilaimaitêtre raccordé. Il lavoyaitcommeunparfaitopposéà lavindictequesesparents luiavaientopposée.Ismaëls’ennourrissaitetserenforçaitgrâceàelle.Ses pensées se noyèrent dans la brumedès queMartin commença à le toucher. Ses réactions furent
promptesetilseretrouvaàleréclameravecuneenviequ’ilétaitincapabledecontrôler.MartinNolanétaitsonaddictionets’iln’avaitpassadosejournalière,ilétaitenmanque.Ilsefrottacontrelui,alorsque la main de son homme l’enserrait dans son poing. Il malmenait son sexe pour le seul plaisir del’entendregémiretlesupplierdeleposséder.Martinaimaitquesondésirdeluisoitexprimé.Ismaëllecomprenaitcommeunbesoinetn’avaitaucunmalàyrépondre.Illevoulaitsiintensémentqueledireetl’avouern’étaitrien.Martinabandonnasonsexe,attrapaseshanchesetl’obligeaàsecambrerverslui.Ismaël s’assouplit sous ses paumes, un sourire impatient sur les lèvres. Il s’adapta à ses caressespréparatoires,toutensavourantlesbaisersqu’ilsemaitsursondos.Quandillepénétra,sonsoulagementfutintense.Ileutlasensationd’êtreentier,queplusrienneluimanquaitetqu’ilétaitàsaplace.Martinluifitl’amourlentement,n’autorisantleplaisirqu’àmontergraduellement.Cenefutquequandsesrâlesparlèrentdejouissanceprochequ’ilcédaàl’urgencedesondésir.Ilrévélalafaimqu’ilavaitdeluien
lemartelantdeva-et-vientrapidesetpuissants.Ismaëlrévéraitcettefaçonqu’ilavaitdeprocéder.Illesaimaittoutes,sansrestriction,maiscelle-ciavaitlacapacitéimpitoyabledelefairegrimperauxrideaux.Àchaque fois, il n’avaitpasd’autrechoixquede jouirdansuncri rauque, le corpscrispéet lapeaucrépitant comme des étincelles sur un morceau d’amadou. Il se resserra autour du sexe palpitant deMartinetl’entendithaleter.Sarespiration,devenuelaborieusesousl’effort,sefitplussaccadée.Ismaëladorait le sentir perdre pied et s’oublier lors de leurs rencontres amoureuses. Il savait alors qu’il luioffraitexactementcequ’ilavaittoujoursrecherchédanslesexe,sansjamaisl’avoirtrouvé.Ildevenaitsonessentiel,toutcommeMartinétaitlesien.Soncorpsselibéra,cequiluiprocuraunedeuxièmeondedeplaisir:ilétaitlajouissancedeMartin.—Tupensesàquoi?—Àrien.—Missionaccomplie.Jevaispouvoirboiremabièrefraîche.Ismaëléclataderire,sedégageadel’emprisedeMartinetseretourna.Ilsetenditpourl’embrasser.—Situestoujoursaussiintense,jen’auraipasbesoindejolismots.—Parfait!Jesuisfaitpourdialogueravecdesactes.Depuisquelquetemps,l’humourdeMartinserévélait.C’étaitparticulièrementexplicitepourIsmaël.
Plusquesesprouessessexuelles,illuiparlaitdeconfiance,debien-êtreetdepossibles.Deplusenplussouvent,Ismaëlsepermettaitd’ycroireetsaconvictions’affirmaitdejourenjour.Ilsétaientfaitsl’unpour l’autre et avaient tous les atouts enmain. Le reste, tout le reste, ne dépendait que d’eux. Ismaëlrestaitsursalignedeconduite:nepasgâcherseschances.
LejournaldeLouisaMouvanceMavieestentraindechanger.Jelesens,jelesais.Ilm’aurafalluunpeudetempspourm’adapter
àmesheuresdelibertéetunnouvelétépasséchezmesgrands-parents.J’airéussimapremièreannéeetentaméladeuxième.Àlarentrée,Emmanuelétaitdistant.Nousnousétionspourtantquittésenbonstermes.Jen’osais
pasluidemanderdesexplications,depeurd’apprendredeschosesquim’auraientdéplu.Jen’aipasnonplusl’habitudedememanifesterpourqu’onmerendedescomptes.Ledialoguen’estpasquelquechosequejemaîtrise.C’estluiquiafinipars’ouvriràmoi.Emmanuelm’aavouésessentiments.Ilditm’aimer et souffrir de ne pas voir cemême amour dansmes yeux. J’ai eu un choc. Emmanuelm’aime,quelqu’unm’aimeetestcapabledemeledire.J’aiunmalfouàycroire.Cesrévélationsmeportent vers l’allégresse et le calme.Enmême temps, dans lemême espace, sans barrière pour lescloisonner,ilyacequejesuisetcetteangoissepermanentequimepousseversladouleur.Rienn’estjamaissimpleavecmoi.Depuisplusieurs jours, j’observemesparents.Je le faisdiscrètement,aveccuriosité. J’essaie de voir, et de comprendre, ce qui les a rapprochés et amenésà semarier. Jemedemandeaussipourquoiilsontvouluunenfant.Leurcomportementnedémontreaucuneaffection,pasde celle dont on parle dans les livres ou qu’Emmanuel semble ressentir pour moi. Il y a uneconnivence,unealliance.Ilsn’ontpasdedifficultésparticulièresàdiscuterensemble,maislessujetsontàvoiravecleursactivités,cellesqu’ilsmènentdeconcert.Pourlapremièrefois, je trouvecelaétrange.
EnferL’enferaplusieursdéfinitions.Ellenedoitpasêtrelamêmepourtoutlemonde.Évidemment,jene
parlepasdecellequiestdonnéedanslaBibleoulesdescriptionsquiensont faitesdansles livresliturgiques.J’avaisdéjàmaproprefaçondelepercevoir.Ilaprisd’autresteintesdegrisfoncé,plussombresencorequelesombresdelanuitoucellesquipeuplentmonâme.J’auraivingtansdansdeuxsemaines.Unbelâge,sij’encroismeslecturesetcequ’endisentmesamis.Pourmesparents,ilestidéalpoursemarier.Depuisunmois,ilsinvitenttouslesdimanchesunjeunehommedenotreparoisseàassisteràlamesseànoscôtésetàdéjeuneravecnous.C’estungarçoncharmantetgentil,maisiln’aaucunechancedemeplaire:ilaétéchoisiparmesparents.Jemesenscommeunlionencageetattachéà lagrillede saprison. Jen’aiplusd’alternative, jedois faireunchoix. Je suis surun fild’équilibristeet,quelquesoitlecôtéoùjetomberai,carjenepeuxquechuter,jenepourraiparlerdeliberté.
Préparatifs
Jepenseàfuir.Endeuxmois,toutestallétrèsvite.Paulademandémamainàmonpèrequilaluiaaccordée. J’attends toujours qu’ils viennentme demandermon avis. La cérémonie est prévue pourjuilletprochain,danssixmois.Jenepeuxpasm’yrésoudre.Pendantquemamèrepréparecetteunion,jepréparema fuite, enespérantenêtrecapable. Je suisobligéed’inventerdes stratagèmesquimeprennentbeaucoupd’énergie.Jem’inquiètepourmesétudes,ilmeresterauneannéepourl’obtentiondemondiplôme.Jepartiraidèslafindemadeuxièmeannée,quelquesjoursavantlemariage.RébellionJ’aicommisl’impensable,l’actequimeséparedéfinitivementdemafamilleetdeleursprojetspour
moi.Jemesuislaisséeséduire.C’étaitleseulmoyenpourrompredéfinitivementettrouverlecouragedepartir. Ilme fallaitunepeurplus fortequecellequime lieàmesparents,unactede rébellion.Emmanuel s’estmontrédouxet tendre,amoureux.Jen’aipas tellementapprécié,maiscen’estpastrèsimportant.Laraisonquim’apousséedanssesbras,cettevolontéd’instiguercequej’appellemaperte,était tropprésentepourqu’il ensoitautrement. Il yaurad’autres fois, elles serontpeut-êtredifférentes. Je commence à mieux appréhender ce qui se passe dans mon cœur. Chaque pas quim’éloignedemesparentsm’aideàmieuxmeconnaître.
CHAPITRE3MartinetIsmaëlprirentlarouteaprèsuneheurepasséeaucommissariat.Ilsavaientvoulurefaireun
pointavecleDoc,puisavecJordan.Ilsn’enavaientrientirédenouveau.Ledirecteurdel’orphelinatlesattendait pour neuf heures, ils ne devaient plus traîner. Dans la voiture, ils ne firent pas d’effort deconversation. L’enquête démarrait au ralenti, il n’y avait pas grand-chose à en dire, et ils passaientsuffisamment de moments ensemble pour se sentir à l’aise l’un avec l’autre, même dans le silence.Arrivés sur place, ils s’accordèrent quelquesminutes pour observer les lieux.C’était un endroit sansmarqueparticulièrequisefondaitdansl’espaceenvironnant,ungrandbâtimentavecunjardinattenantdebellesproportions.Ledirecteurlesreçutetlesguidajusqu’àsonbureau.Ilspassèrentunepetiteheureàdiscuteraveclui.
Làencore,ilsn’apprirentriend’intéressant.Pascalineavaitgrandiici,desixàdix-huitans,etétaitpartiedèssamajorité.C’étaituneenfantdiscrèteetellel’étaitrestéeàl’adolescence.PendantlapréparationdesonCAPdecoiffure,ellepassaitlasemainechezsapatronnequiavaitproposédel’héberger,etrevenaitlesweek-ends.Elleavaitquelquescamaradesetpasd’amis.Ilnel’avaitjamaisvueavecunpetitami,pasplusqu’iln’avaitremarquéunecourassiduedelapartd’undesesorphelins.Depuisqu’elleavaitquittél’orphelinat,ellen’yavaitjamaisremislespieds.Ilgardaitunbonsouvenirdecetteenfant,etdecette jeunefille,quine luiavaitcauséaucunsouci.L’annoncedesondécèsetdescirconstancesdesamortsemblèrentl’attristerprofondément.Aufinal,ilsnetirèrentpasgrand-chosedecetéchange.Dèsqu’ilsfurentdenouveaudanslavoiture,Ismaëlouvritladiscussion.—C’estcomplètementdingue,cevidequientourecemeurtre!—Lesquestionsnemanquentpas,c’estsûr.—Lesquelles?—Cettefilleétaitdiscrèteetpeuentourée.Ellen’avaitpasdefamilleettrèspeud’amis.Est-ceune
donnéeàprendreencompte?Unchoixvolontaire?Quesignifielemotpureté?Personnenel’ajamaisvueavecunpetitcopain.Était-elleviergeavantleviol?Sioui,pourquoilavioleretinscrirecemotsursapeau?Sinon,croyait-illapurifierparcetacteouvoulait-illapunirdenepasêtrerestéepure?—Ilvanousfalloirnousimaginerdanslatêtedecedétraqué,cequinevapasêtresimple.—Pasvraiment,non.StanMorleyvanousyaider.—Ilestdéjàsurlecoup?—Jenepensepas.Iln’yaeuqu’unmeurtre…Jevaistoutdemêmeluirendrevisiteouluidemander
devenir.—Ilvaacceptersansordresupérieur?—Questionpertinente…Unediscussionautourd’unebonnebièreferapeut-êtrel’affaire.—Tuleconnais?—Unpeu.—Martin?Cederniermitdelonguesminutesavantderépondre.Depuislaveille,iln’arrivaitpasàsedéfairede
l’imagede samère.Elleétait là,présente, sansqu’ilnevoitde lienavec l’affaireencours.Pourtant,cetteobsessions’étaitinstalléedèsl’instantoùils’étaitretrouvédanscetteruellesombre.
—J’aipriscontactavec lui, ilyadeuxoutroisans…Jepensaisqu’ilpourraitpeut-êtrem’aideràcomprendremamère.Ismaëlnesutquerépondre.C’étaitunsujetqu’ilsn’avaientplusabordéaprèsqueMartineutcraqué.Il
choisitdesemontrerleplusneutrepossible.—Et?— J’avais trop peu d’informations à lui donner. C’était une demande personnelle, il n’a pas voulu
m’embarquerdansdessupputations.—Lemieuxplacépourt’apporterdesréponses,c’esttonpère,Martin.—Jesais.Ismaëln’insistapasetlaconversationenrestalà.Ilenfutdemêmeavecl’affaireencours.Ellestagna,
sansrienpourlesaideràprogresser.RencontrerStan,lespécialistecomportemental,neleurpermitpasdetrouverdespistes.Ilfitl’ébauched’unprofilpsychologique,sansaucunegarantie,toutenrestantdansdesgénéralités. Ils travaillèrent à la résolutiond’autresdélits, sanspourautant abandonnerououbliercellequiréveillaitMartinlanuit.Ilsenreparlaientrégulièrement,maisnefaisaientquetournerenrond.
Les choses changèrent avec le deuxièmemeurtre. Il eut lieu à trois semainesd’intervalle, jour pour
jour, à un horaire identique. La jeune fille fut retrouvée dans une venelle, à l’opposé de la première.Mêmeâge,mêmevisagedepoupée,mêmephysiqueagréable,mêmeposture,mêmemort,mêmescheveuxrasés.CommeavecPascaline,sonsacétaitposéàcôtéd’elleetriennesemblaitavoirétévolé.Ismaëlfut profondément choqué par cette découverte. Muet, il ne pouvait détacher son regard effaré etdouloureuxdececorpssansvie,misenscènedefaçonsichoquante.Martins’enrenditcompte,maisilavaitpeud’alternativespourl’aider.Ilétaitl’inspecteurNolan,l’amantn’avaitpasdroitdecité.Cefutpourtantluiquiluioffrituneéchappée,volontairement,consciemment.— Laissons le Doc faire son boulot. Les environs nous apporteront peut-être quelques éléments
d’importance.Ismaëllesuivit,lecerveaugrillé,etfitsonboulotparautomatisme.Àsonretouraucommissariat,il
s’installaprèsdeJordan.Del’informatique,unordinateur,delaconcentrationsurdesdonnéesterre-à-terre,étaientcedontilavaitbesoin.MartinNolanfitunautrechoix.Ilpritsoncourageàdeuxmainsetrejoignit le Doc. Il passa toute la matinée avec lui. Ce ne fut qu’en début d’après-midi qu’ils seretrouvèrentdanslebureaudeNolan.—Qu’as-tutrouvé,Ismaël?—Tonintuitionsembleêtrelabonnequantauchoixdesvictimes.—C’est-à-dire?—UrielleMorin,vingtans,célibataireetvendeusedansuneboutiquedefringues.Ellen’aplusses
parents,samèreestmortelorsqu’elleavaitdixansetsonpèreestdécédéd’uncancerl’annéedernière.Pasdegrands-parentsnonplus.Desonclesetdestantes,cousinsetcousines,maisilsviventàplusdecinqcentskilomètres.ElleoccupeunappartementpastrèsloindeceluidePascalinePasquier.—C’estuntraqueur.—Commentça?—Ildoitlesrepéreretlessuivrependantquelquetempspourenapprendrelepluspossiblesurelle.Il
a peut-être, aussi, des connaissances en informatique qui lui permettent d’entrer dans des sitesconfidentiels…Oualors,ilpénètrechezellesetilfouille.—C’estpossible.Ilfaudraitpasserleursappartementsaupeignefin.—Lapolicescientifiquevas’encharger.Onirayfaireuntouraprès.—Etdetoncôté?
—PareilquepourPascaline.Viol,meurtred’uncoupdecouteauenpleincœur,descheveuxenmoinsetlemotpuretégravésursanuque.—Iln’alaisséaucunetrace?—Peut-êtrequesi, leDocva travaillerdessus.Une lentilledecontactest tombéedesesvêtements
lorsqu’ill’adéshabillée.Resteàsavoirsielleestàluiouàelle.—Sic’estcelledutueur,ceseraunepiste.—Ouietelleseralongueàcreuser,maiselleenvaudralapeine.—C’estbizarre,toutdemême.Ill’auraitperduesanss’enrendrecompte?—J’aiposélamêmequestionauDoc.Ilditquec’estfaisableetquec’estdéjàarrivéàsafemme.Elle
aurait mis une ou deux minutes avant de comprendre ce qui clochait et, surtout, elle ne l’a jamaisretrouvée.Sionprésupposequ’ilétaitpressé,çadevientcrédible.—Y’aplusqu’àespérerquecesoitlasienne.Ceseratoujoursçadepris.Ils se fixèrent quelques secondes. Si le regard d’Ismaël était toujours hanté, celui de Martin était
déterminé.Ilnelâcheraitjamais.LavoixtonitruanteetcoléreusedeBrickslesfitsursauter.—Nolan!Touzani!Dansmonbureau!Ilssejetèrentunderniercoupd’œiletselevèrent.Lepatronn’étaitpasàprendreavecdespincettes.—Installez-vousetdites-moitoutcequevoussavez.—Tum’asl’airplusqu’énervé.Y’aunproblème?—Y’enaplusd’un,Martin.Leplussérieuxestqu’unmeurtriercourtdanslanatureetqu’ilal’airde
prendregoûtàcequ’ilfait.Quemontéléphonesonnesansarrêtenestundeuxième.J’ailePréfetsurledosetdesjournalistesquimecassentlescouillesdepuisdesheures.—Tuesdouépourlesrelationspubliques.BricklançaunregardnoiràNolan.Cederniernerelevapas,cen’étaitpas lemomentderireoute
titillerlechef.—Dès que la presse saura que l’affaire t’a été confiée, tu seras un peumoins disposé à faire des
remarquesàlacon.—Riennet’obligeàleleurdire.—Benvoyons!Jenetesavaispassinaïf,Martin.Un éclat d’amusement naquit dans les prunelles sombres de Bricks alors qu’il lorgnait du côté
d’Ismaël.—Tuteramollis,Nolan.Martinarquaunsourcil,Ismaëldétournalatête.—Tut’intéressesàmavieprivée,maintenant?—Nan,maisterabattrelecaquetalorsquetum’emmerdesenmecherchantdespouxmerendvicieux.Martinhaussasondeuxièmesourciletaffichaunemimiquenarquoise,unbrinsournoise.—Vicieux,tudis?—Fermetagrandegueule,Nolan!Parle-moiplutôtdecesecondmeurtre!Les postures changèrent, elles se firent plus raides et le sérieuxmarqua leurs traits. Ils prirent leur
temps,chacunintervenantselonlapartiequ’ilsrelataient.Bricksaboyadefrustration.—Ilfauttrouverceconnard!—Jenetelefaispasdire.Après cette réponse sans prise de risque de la part de Nolan, le commissaire se tourna vers son
deuxièmeinspecteur.
—Ismaël,tutienslecoup?Cederniersetenditetserralespoings.Ilsavaitqu’ilavaitlevisagepâleetquesesyeuxreflétaientla
désolationqu’avaitfaitnaîtrelavisiondecettejeunefillemaltraitée.Ilnevoulaitpourtantpasquel’onpuissepenserqu’iln’étaitpasàlahauteur.Ilferaitfacejusqu’aubout.—Jenedispasquec’estfacile,maisjen’aipasl’intentiondemeretirerdel’affaire.—Jene te ledemandepas. Jeveux justeque tusachesquesi,àunmomentdonné, tuneveuxplus
continuer,iltesuffirademeledire.—Ceneserapaslecas,commissaireBricks.—Bien.Ilnemeresteplusqu’àaffronterlacohortedepique-assiettesquifaitlepieddegruedevant
nosportes.Montrez-vousdiscrets,touslesdeux.Ilsnereculentdevantrien,cesabrutis.Ilsnevontpasvouslâcher.—Jemerépète,maistun’espasobligédeciternosnoms.—Jen’enaipasl’intention,Martin,maisc’estunsecretdepolichinelle.Ilsréussissenttoujoursàtout
savoir.—Jeleurdéconseilledemepisterjusquechezmoi.Bricksluiréponditparunhaussementd’épaulesetilssequittèrentsurcesderniersmots.Cesoir-là,IsmaëlvintretrouverMartinchezlui.Ilfrappaetentra.Aprèslajournéequ’ilsvenaientde
vivre,ilétaitincapablederesterseul.Ilauraitpupasserlasoiréeavecsonmeilleurami,maisc’étaitdesbrassolidesdeMartindontilavaitbesoin.Cedernierl’accueillitavecunsourireetluioffritsonantrerassurant.Ismaëls’yglissasansattendre.—Pizza,çateva?Cuisinerestau-delàdemesforces.Jenesuismêmepassûrd’avoirfaim.—Jesuissûrdenepasavoirfaim.Pizza,c’esttrèsbien.—Tuveuxprendreunedouchependantquejecommande?—Jel’aiprisechezmoi.Martinvoyaitbienqu’Ismaëlavaitdumalàsedéfairedesheuresprécédentes.Illeserraunpeuplus
fortcontrelui,luicaressalescheveuxetembrassasatempe.Ismaëlrelevalatêteetcherchaseslèvres.Leursbaisersrestèrenttendres,ilsn’avaientnil’unnil’autreenviedefairel’amour.L’ambiancen’étaitpaslabonne.Ilsnefirentpashonneuraurepasets’illusionnèrentdevantunfilm.Unefoiscouchés,ilseurentautantdemall’unquel’autreàtrouverlesommeil.Ismaëlsombralepremierpourseréveilleraucœurdelanuit,lecœuralarméparlecauchemarqu’ilétaitentraindefaire.Urielle,samort,l’imagedesamort,avaitenvahisanuit.—Ismaël?—Uncauchemar,unputaindecauchemar!Martinleramenaàluietlenoyadecaressestendres.Lalibidod’Ismaëls’invitadanscetéchangecâlin
etl’urgencelesaisitauxtripes.—Baise-moi,Martin,s’ilteplaît.—Quoi?!—Baise-moi!Avecamour,situveux,maisbaise-moi!—Merde,c’esttoiquiesnulaveclesmots!Jedétestet’entendreparlerdenouscommeça!Latensionétaitpalpable.IsmaëlnesedéfaisaitpasdesoncauchemaretMartinfulminait.Sademande
ne l’étonnait pas. Il s’était douté, et l’avait exprimé, que d’unemanière ou d’une autre, cette enquêteauraitdesretombéessurleurrelation.Pourtant,ilnepouvaitpasaccepterqu’elless’exprimentdecettefaçon.Ismaël,lui,nevoyaitqu’unimpératif,celuidesortirdel’horreurquiluivrillaitlecerveau.Ilinsista.
—Choisisceuxquetuveux,maisagis!Martincherchaàlimiterlesdégâtsetpritsurlui.Ilcomprenaitlarequêtedesonamant,toutautantque
lebesoinqu’ellesous-entendait.Pourtant,dèsledébutdeleurrelation,ilavaitétéclair:ilnevoulaitpasbaiseravecIsmaëletc’étaitpourluiuneexigence.Ilpouvaitrépondreàsonattente,sansaucundoute,etc’étaitbiend’amourdont ilétaitquestion.Ilallaitfairecequ’ilfallaitpourl’aideràseredresseretàavancerlecœurmoinsmeurtri,maispasaveccesmotsplanantau-dessusdeleurstêtes.Ilsoufflaungrandcoupetfitcequ’ilputpourtraduireàsaconvenancecequ’Ismaëlavaitvoulului
exprimer.Ilrévélasoninterprétationàhautevoix.—Fais-moil’amoursauvagement,Martin.Fais-moiperdreleNordetleSud,ettoutoublier.—Jeretirecequejet’aidit,tuestrèsdouéaveclesmots.Maintenant,prouve-le!LemalaisedeMartins’allégea,cequiluipermitdepasseràl’action.Ilsemontradirectetefficace.Il
lemalmenaavecsesmainsetsabouche,fitjouersalangueetladextéritédesesdoigts.Illemenaàunepremièrejouissanceets’enfonçaprofondémentenlui,alorsquesonorgasmelefaisaitencoretrembler.Ismaël cria et adapta sa position pour que Martin puisse le posséder avec encore plus d’ardeur. Ilcontemplasapuissancemusculairequiondulaitsousl’effort.Enappuisursesbras,sesbicepssemblaientaussi durs que du marbre et le tatouage qu’il arborait prenait de l’ampleur sur sa peau luisante. Ill’observaquelquessecondes,letempsdeplusieursrâlesdeplaisir:unfilbarbelé,àl’imagedeceuxqueportent les tôlards. Il était adouci par trois petits boutons de rose rouge. Ismaël se doutait qu’ilsymbolisait samère,cettemèrequiavaitvécudansuneprisonetqui luiavait imposédesombresquiétaientdevenueslessiennes.Uncoupdereinplusintenseencore,etparfaitementciblé,luifitfermerlesyeux.Iloublialetatouage,
il oubliaUrielle, il oublia tout.Son corps s’arqua, il s’agrippa audrap.Le lit tangua et grinça.Leursgémissements rauques incendièrent leurs sens. Ismaël sentitmonter en lui une deuxième jouissance, ils’accrochaauxbrasdeMartin.Avecunedextéritéquilelaissapantois,cederniersortitdesoncorpsetle retourna comme une crêpe. Il n’eut pas le temps de protester qu’il était de nouveau envahi par lavirilitédesonamant.Ilfaillithurlerdecontentement.Cethommel’écoutait,l’entendaitetlecomprenait.Ilnelejugeaitjamaisets’efforçaitderépondreprésent.Illuidonnaitcedontilavaitbesoin,attentionnéjusqu’à toujourssavoircequ’ilattendaitde lui.Sessentimentss’épanouirentet firentpulsersonpoulserratique.Sonsangbouillonnaetilluicriasonamourquandsonplaisirselibéra.Martincédadansunemêmeviolenceetilss’écroulèrentcommeunemasseuniqueetcompacte.Ennage,lemoindremouvementfaisaitunbruitdesuccionsur leurspeauxmoites.Lesyeuxd’Ismaëlpapillonnèrent.Ilétaitdivinementépuisé.—Tupèsestonpoids,Martin.—Unechancepourtoi.Cequetuexigesdemoidemandepasmald’énergieetdeforce.—Jetel’aidéjàdit:tuesparfaitpourmoi.—Tuvasréussiràdormir?—Jedorsdéjà.—Laisse-toialler,jeveille.Martins’écartaetlelibéradesonpoids.Ismaëlsombra,unsourireauxlèvres.Illeretrouvalelendemainmatindanslacuisine,unetassedecaféentrelesmainsetlaminesoucieuse.
Ilseplantaderrièreluietl’enlaça.—Tuesdeboutdepuislongtemps?—Unpetitmoment.Jenemesuispasrendormi.—Tuesdevanttatassedecafédepuistoutcetemps?
—Non,jesuisallécouriretj’aiprisunedouche.—Jemedisaisaussi.Tusensbon.Martintournalatêteetposaseslèvresàlacommissureducouded’Ismaël.Ilembrassasapeau.—C’estl’affairequitemineouc’estpluspersonnel?—Jevaisappelermonpère.—Tupeuxrépéter?—Jevaisappelermonpère.—Faistonmalinsituveux,maisréponds-moiunpeumieux.—JedoisluiparlerdeLisa.—Tuesentraindemeperdre,Martin.—Lisaavingtans,bientôtvingt-et-un,elleestbelle,pastrèsgrandeetmenue.Monpèren’habitepas
trèsloinduquartieroùrésidaientPascalineetUrielle.—Tudivagues,Martin.Lisaasesdeuxparentsetungrandfrère.Elleesttoujoursétudianteetnevit
passeule.Elleestbelle,c’estvrai,maisellen’apascevisagedepoupéedeporcelaine.Ilyatropdecaractèredanssonregardetsursestraits.Jenesaisriendesaviesociale,nidesasexualité,maisellenemefaitabsolumentpaspenserànosdeuxvictimes.—Jesaistoutça,maisiln’empêche.Ilvautmieuxêtretropprudentquepasassez.Ilpourraitaussi
changerdecible.—Faiscommetulesens.Sic’étaitmasœur,jeferaiscertainementpareil.—Jevaislefaireaujourd’hui.Tuseraslàcesoir?—Cheztoietavectoi,tuveuxdire?—Oui.—Jeserailà.Avantdeprendreunedoucheetdeprofiterd’uncafé,Ismaëls’approprialesgenouxdeMartin.Ilse
lovadanssesbrasetsemontratrèscâlin.LatensiondeMartinserelâchaetladécisionqu’ilavaitprisefutentérinée.Lesdoutesqu’il ressentait faceàcettepremièreapprochequ’ilallait faireverssonpères’atténuèrent.Ismaëlavaitcepouvoir,celuid’amoindrirsesombresetdelesrameneràdesimplesvoileséthérés.Iln’avaitpasdeprisesurl’aveniretnepouvaitsepermettrequedessouhaits.Danscettevieenperpétuel mouvement, où les aléas ne manquaient pas, il se surprenait à espérer qu’Ismaël soit laconstantedesonexistence.
LejournaldeLouisaPrécipitationJe fais semblant, tout le temps. Mes sourires à ma mère pendant l’essayage de ma robe, mes
hochements de tête que je teinte de satisfaction lorsqu’on regarde les possibles menus, monenthousiasme feint face aux décorations.Mes discussions avec mon pseudo futur époux, ce baiserchastequ’ildéposesurmeslèvrespourmedirebonjouretaurevoir,cettebaguedefiançaillesqu’ilm’aofferteetquejeretiredèsquejequittelamaison.Jenemesuisjamaisautantscarifiéeetjen’aijamais vomi autant de nourriture, à en avoirmal à la gorge. Ilm’arrive de planer à cause de cesmanquesquejem’impose.Lavieestparfoisétrange.Ellevousoffredescadeauxauxquelsvousn’aviezpaspensé.Ilnepeut
pasyavoirderetourenarrière.J’aipartagéd’autresmomentsintimesavecEmmanuel.Sapatienceestcelled’unange.Petitàpetit,
leplaisirafaitsonapparition.Jemesuisautoriséeàmesentirbien,rassuréeetplusforteentresesbras. J’ai accepté qu’il puisse être mon salut, tout en lui portant des sentiments amoureux. J’aicompris que les deux n’étaient pas incompatibles. Je lui ai raconté quelle était ma vie et à quoiressemblaient mes parents. Il a été décidé que je passerai l’été avec lui, dans un camping où iltravaille pendant les deuxmois de vacances. Ilm’amême trouvé un petit job quime permettra degagner un peu d’argent. J’ai fait d’autres démarches pour pouvoir m’en sortir et j’ai quelquesdossiersadministratifs à remplir.Emmanuelm’aproposédem’installer dans son studiopournotretroisièmeannée.Ilaunefamillequiluipermetcetteliberté.Jel’envie.J’aiaccepté,maisjenecroispasqueceserapossible.Mesparentsviendrontmedébusqueràl’école.Jesaisaufonddemoiquejen’aipasd’autrechoixquedefinirmesétudesailleurs.J’aicommencéàpostulerdansd’autresvilles.Quoiqu’ilensoit,Emmanueliraauboutdesoncursusicietmerejoindraaprès.IlcomptepoursuivreversunMaster.J’aibienpeurdenepaspouvoirfairedemême.L’acquisitiondemonindépendanceestdevenueunepriorité.Jedoistravaillerleplusrapidementpossible.J’aiétésérieusementmaladecesderniersjours.J’aipensépendantuntempsquec’étaitdûàtous
ces changements que nous étions en train demettre en place. Puis, quelque chosem’a alertée. Jeseraisbien incapabled’expliquerquoi.Jemesuisrenduedansunepharmaciede l’autrecôtéde laville et j’aiachetéun testdegrossesse.Lavieest vraiment insolite. Je suis enceinte.Quoideplusradicalpourmefairepartirencourantdechezmesparents?Detoutefaçon,ilsmejetteraientàlarue s’ils savaient.Enfin, jem’en ficheplus qu’unpeu. Il y a enmoi, au chaud, unpetit être qui abesoindemoietprèsduquel jenevoudrai jamaisqu’ilss’approchent.Emmanuelaétéstupéfait. Ilm’aime,maisde làà se retrouveravecune familleà vingt etunans, il ya toutunmonde. Il s’estmontré lointainetpeudisponiblependantunesemaine. Ilétait là,maissonespritétaitailleurs.Auboutdecelapsdetemps,ilm’afaitungrandsourireetm’aaffirméqueçaallaitaller,qu’onallaits’ensortir.J’aidécidédeluifaireconfiance.
DépartMa peur est omniprésente. Je tremble sans arrêt, je parle en bafouillant. Je ne mange rien et
l’intérieurdemescuissesn’ajamaisétéautantmartyrisé.Jeparsdanstroisjours,pendantquemesparentsserontoccupésàl’église.C’estangoissantetconfus,toutenétantexactementcequejeveux.J’aipeurdenepasréussiretque,quoiquejefasse,cenesoit jamaisassez.Jenesuispluslafilleparfaitedemesparents,maisjeveuxtoujoursl’êtrevis-à-visdemoi-même.Jenesaispasoùrésidecetteperfection.
CHAPITRE4Martin appela son père deux heures plus tard, dès qu’il fut installé derrière son bureau. La
conversation fut courte et rendez-vous fut pris pour le soirmême. Il ne laissa pas la possibilité à cedernierdes’étonnerplusquenécessaire,etraccrocha,pensif.Unevéritableinquiétudeavaitmarquésavoix.IlstoppasesréflexionsetpensaàIsmaël.Leurnuitallaitencoreêtrepasmaloccupée.Unsourirefitsonapparitionsursonvisage.Ilsétaienttouslesdeuxsexuellementtrèsactifsetcetteméthodefaisaitsespreuvespourlesdétendre.Leurjournéepassavite.IlscommencèrentparlaboutiquedanslaquelletravaillaitUrielle.Lanouvelle
avaitdéjàfaitletour,cefutmoinspesantquepourPascaline.Lesrelationsquecettedernièreentretenaitavec ses collègues et son patron étaient distantes et seulement professionnelles. Aucune corrélationn’étaitpossibleentrelesdeux.Iln’yavaitpasderéellesconclusionsàentirer,sicen’étaitqueletueurneparaissaitpasavoirdonnébeaucoupd’importanceàleurtravailetàcequis’ypassait.Leseullienqu’ilssupputèrentn’avaitàvoirqu’avecl’emplacementdumagasin.Cinqcentsmètresleséparaientdusalondecoiffure.Cepouvaitêtreunehistoiredecirconstancesouunevolontéclairementétablie.Ilétaitdifficile de répondre à cette question. La proximité de leurs résidences n’était pas plus un argumentferme.Ilsserendirentàl’appartementd’Urielleetytrouvèrentlapolicetechnique.Ilavaitétépasséaucrible
etrienn’avaitétéoublié.LaréquisitiondeMartinavaiteuuneffetrapide.— Nous avons trouvé plusieurs empreintes digitales et nous avons fait quelques relevés pour des
recherchesADN.Endehorsdeça,iln’yapasgrand-chose.Cettefillen’arienàcacher,oualors,c’estenfermédansuncoffre-fort.—Nouspensonsqueletueurestpeut-êtrevenuici.—Sic’estlecas,ilestquelquepartdansnossachets.Ilsparlementèrentunpetitmomentetlesregardèrentpartir.Ilsn’avaientpastropfoutulebazar,cequi
lesarrangeait. Ils trouvèrentdenombreusesphotos,des lettresetdescartespostales,dessouvenirsdesesannéesscolaires,dontlesplusanciensremontaientàl’écoleprimaire:touteunecourtevieenferméedans une boîte à chaussures. Ils cherchèrent, à travers ce qu’ils voyaient, à se faire une idée de lapersonnalitédelavictime.Sonfrigidaireétaitquasimentvideetdenombreuxfruitsétaientrangésdansunsaladier, sur leplande travail de lapetite cuisine.Aucunevaissellene traînait.Sa chambre était toutaussinetteetsagarde-robebienpourvue.Lasalledebainsleurdémontraqu’Urielles’occupaitavecsoindesonintérieuretd’elle-même.Ellepossédaitdenombreuxproduitsdebeautéettoutlenécessaireenmaquillage.Martinressortitetscrutalesalonàlarecherched’unephoto.Plusieursétaientposéessurunpetitmeubledanslequelellerangeaitsespapiers.—C’estétrange.Surtoutessesphotos,elleestparfaitementmaquillée.C’estdiscret,maisinratable.
Regardesesyeux,saboucheetlerosédesesjoues.—Qu’est-cequiestbizarre?—Elleneportaitpasungrammedemaquillagelorsqu’onl’aretrouvéemorte.Çanecollepas.—Tuasraison.Tucroisquelemeurtrierl’alavée?—Ilsemblerait…Jen’aipasfaitattentionpourPascaline.Onvaretournerchezelle.Ilfautvérifier.
—Unmaniaque?—Aucuneidée,maisçasemariebienaveclemotpureté.—Etlescheveux?—Unsouvenir?—Possibleou…—Distoutcequitepasseparlatête,Ismaël.Danscegenred’affaires,ilnefautpasavoirpeurdedire
desconneries.—JepensaisàlaLibérationetàcesfemmesquiavaientcouchéavecdesAllemands,etquisesont
retrouvéestonduesetexposéesàlavindictepopulaire.—Ceseraitunepunition,alors.—Illessouilleetlespunitdecettesouillure.— C’est complètement tordu. Je ne vois pas le lien… Imaginons qu’il poursuit des jeunes filles
innocentes…Non, ça ne colle pas. Si ce qu’il veut, c’est la pureté, il n’abîmerait pas ce qu’il pensel’être…Etsic’étaitdesfillesqu’ilcroyaitviergesetqu’iladécouvertqu’ellesnel’étaientpas?—Çavoudraitdirequ’illesconnaissait.—Quelsacdenœuds!Desfillesqu’ilconnaît,jeunesetbelles,etqu’ilvoitcommedesinnocentes…
Attends…Ellesseressemblenttouteslesdeux.Blondes,lesyeuxbleus,unteintclair,mincesetpastrèsgrandes.—Ilcherchedesfillesquiressemblentàquelqu’unqu’ilconnaît,ouqu’ilaconnu,etils’ensertpour
punircequelqu’un.—C’estsuffisammenttordupourêtrepossible,toutenmettantenlumièreunecertainecohérence.S’il
yaunlienaveclaCollaboration,ilnedoitpasêtretoutjeune.—Là,tutelimites,Martin.Certainsenfants,voirepetits-enfants,portentlepoidsdeleursparentsou
grands-parents.Ceuxquin’ontpasréussiàsedéfairedeleurhainelatransmettentetlavéhiculent.—Jenepeuxpasnierunetellevérité.—Désolé.—Nelesoispas.L’importantestd’avancer.Cenesontquedesthéories,maisl’uned’ellesferapeut-
êtremouche.—J’yaipenséparcequ’ilaraséUriellesansaucuneprécaution.Unemèchedecheveux,çapourrait
êtreuntrophéeouunsouvenir,maistouslescheveux,enmettantsoncrâneànu…—AllonsvérifierchezPascaline.JeprendraicontactavecStandèsqu’onserarentréaucommissariat.Si le maquillage était moins présent chez cette dernière, il faisait tout de même partie de ses
accessoires.Danssonmétier,l’apparenceavaitsonimportance.Lesphotosleurdonnèrentraison.NolanetIsmaëlexposèrent leurdécouverteauDocquis’empressad’allervérifier.Defait, lesdeux
victimes ne portaient aucune trace demaquillage. Excité par ce nouvel élément, il les abandonna. Ilslaissèrent le scientifique à ses recherches et passèrent à la deuxième partie de leur programme. Stanproposade lesretrouver le lendemainaucommissariat. Il leurdemandadepréparercetterencontreenrecentranttoutcequ’ilspossédaientdansunlieuquiseraitconsacréàcetteenquête.Ilvoulaitaussiqueles deux policiersmettent au clair tout ce qu’ils avaient pu trouver ou imaginer. Le bureau deNolandevintunantredestourments.Ilspassèrentplusieursheuresàceteffet.Desphotosfurentaccrochéessurun mur, tant celles des victimes, mortes ou de leur vivant, que celles des lieux, des ruelles et desrésidences.Ilspunaisèrentunecartesurlaquelleilsmarquèrentl’emplacementdesboutiques,desvenellesetdesappartements.Ilsfirentdesfiches,unepourPascaline,uneautrepourUrielleetunetroisièmepourletueur.Ilsnotèrentlepeud’indicesqu’ilsavaienttrouvésetleshypothèsesquileurétaientpasséesparla tête. À unmoment donné, Bricks les rejoignit et ils testèrent sur lui la clarté de leurs propos. Ce
dernierparutsatisfaitdeleursinitiatives.Ilsrespirèrentunpeumieux.Quandilsquittèrentleurboulot,lanuitn’étaitpasloin.Ilsseséparèrentsurleparking.Lajournéede
Martinn’étaitpasfinie.Unedemi-heureplustôt,ilavaitenvoyéunSMSàsonpèrepourluiindiqueroùleretrouver.Ill’avaitprévenu,ilnepouvaitpasluidonnerd’horaireprécisàl’avance.Ladernièrefoisqu’ill’avaitvuremontaitàtroissemainesetLisas’étaitjointeàeux.Ellelefaisaitdetempsentemps,cequi permettait à Martin d’être moins sur ses gardes. La connivence qu’il y avait entre eux deux ledéstabilisaittoujoursunpeu.Ellerenforçaitsonincompréhensionfaceàladésertiondesonpèrependantsonenfanceetsonadolescence.Ilneressemblaitpasbeaucoupàl’hommequ’ilretrouvadansunebrasseriequ’ilconnaissaitbien.La
plusévidenteétaitlacouleurdeleurscheveux.Ilsétaientaussibrunsl’unquel’autre.Martintenaitsesyeux bleu foncé de sa mère, ainsi que la finesse de ses traits. Pour le reste, sa mâchoire carrée etmasculine, sa taille et sa stature, son nez, il ne savait pas où chercher pour trouver une quelconqueanalogie.Sonpèrelesaluaets’installafaceàlui.Ilsn’avaientl’habituded’aucunemarqued’affectionetilsnesetouchaientjamais.Sonpèreavaitessayé,Martins’étaitbraqué,iln’avaitpasinsisté.—Quepuis-jefairepourtoi,Martin?Tonappelm’ainquiété.—C’estàproposdeLisa.—Lisa?Elleaunproblème?—Non, aucunàmaconnaissance.C’est cette affairedemeurtre sur laquelle je travaille.Uncinglé
rôdedanslavilleets’enprendàdesjeunesfemmes.— J’ai lu ça dans le journal. Un deuxièmemeurtre a eu lieu hier. C’est toi qui t’occupes de cette
enquête?—Oui,jesuisl’heureuxélu.—QuevientfaireLisadanscettehistoire?—Rien.Elleneressemblepasauxdeuxvictimes,maisilvautmieuxêtreprudent.Jenevoudraispas
qu’illuiarrivequelquechose.—Martin,chercherais-tuàmefairepeur?—Biensûrquenon!JenemesuisjamaisservideLisacontretoi.Jevauxmieuxqueça!Onnesait
rien sur ce type et je ne peux pasm’empêcher d’être anxieux. J’ai besoin de savoir que Lisa est ensécurité.SonpèreobservaMartinavecattention.Sasincéritémarquaitsestraits.Sapropensionàprotégerceux
qu’ilaimait se révélaitdans toutesasplendeur. Iln’avait rienpourétayercetteangoisse.Elleétait là,simplement là, et lui prenait une bonne dose d’énergie. L’omniprésence de sa mère était un ajoutsupplémentaire.Sonpèrehochalatête.Ilsemblacomprendre.—Queproposes-tu?Lisaestplutôtindépendante.Ellerésidecheznous,maisellevitsavie.— Je sais… Je vais lui parler et l’encourager à semontrer prudente. Pendant quelque temps, elle
pourraitsuivremesrègles.—Lesquelles?—Eh bien, l’obliger à ce qu’on l’emmène à la fac et qu’on aille la chercher, et qu’elle reste à la
maisonjusqu’àlarésolutiondel’enquête.Uneflammes’allumadansleregarddesonpèreetsesyeuxpétillèrent.Unsourirespontanénaquitsur
seslèvres.—Tun’yvaspasdemainmorteettuvasavoirdroitàunerébellion.—Jesuisflic,jesaurailacontraindre.—Matraqueetbombelacrymogène?—S’illefaut!
UnetendresseinsupportablepourMartins’affichasurlevisagedesonpère.Ilauraitvoululanieroul’ignorer.Pourtant,elleétaitlà,incontournableetdéstabilisante.Ellelemeurtrissait,toutenluicaressantlecœur.Ilétaitfigédansl’instant.—Jesuisadmiratifdel’amourquetuportesàLisaetdel’hommequetuesdevenu,Martin.Tuesplus
solidequ’unroc.Martinseraclalagorgeetsesmainstremblèrent.Ilétaitterriblementmalàl’aise.—Cen’estpassisûr.—Biensûrquesi!Onatousdesblessuresetdesfragilités.Parfois,ellesdétruisent.Toi,ellest’ont
construit.—Çan’apasétésansmalnisansunpeud’aide.—C’estsûrementvrai,maisçan’enlèverienàtaforcedecaractère.J’aimerais…Martinlecoupanet.Iln’étaitpasprêtpouruneconversationplusintime.TantqueçaconcernaitLisa,il
sesentaitàlahauteur.Sinon,iln’étaitpassûrd’enêtrecapable.—PourLisa,tuenpensesquoi?Sonpèrelefixaquelquesbrèvessecondesetsonregards’assombrit.Iléchouaitunenouvellefoisface
àlarésistancedeMartin.Ilenressentitdelatristesse.Sonfilsétaitsonseuléchec.Cequ’ilavaitvécuavecsamèreétaitdifférent,ilnelepercevaitpasdelamêmemanière.Avecelle,ilavaitabandonné.Lesannéesqu’ilavaitpasséeséloignédesonfilspesaientsursaconscience.Ellesétaientuneerreurqu’iln’arrivaitpasàréparer.Martinleluirefusait.Pourtant,mêmesic’étaitsouscouvertdeLisa,ilsétaientfaceàface,àlademandedecedernier.Ilnepouvaitpasnierlalueurd’espoirquibrillaitdanscettenuitsombrequ’était la relationqu’ilsentretenaient.Pourparlerdecequi le turlupinait, ilauraitpuchoisird’autresoptions.Letéléphoneétaitunmoyenquiauraitpusuffire.—Jesuisplusqued’accordpourtesoutenir.Onneserapastropdedeuxpourlaconvaincre.—Jevaisl’inviteràdînerdemainetjeluienparlerai.—Tupourraisvenirdîneràlamaison,onenparleraittousensemble.Jevaisdevoirendiscuteravec
samère.Martinavaitdesfourmisdanslesjambes.Iln’étaitpasstupideetavaitparfaitementconsciencequ’il
s’étaitlui-mêmemisdansdesalesdraps.Lesquestionsquiletitillaientdepuisplusieursmoisl’avaientamené à ce choix de discussion en direct.C’était, en quelque sorte, une première étape. Pourtant, sesdoutes persistaient. Il n’était pas encore prêt à entendre les réponses, encore moins à accepter unerelationplussaineavecsonpère.Sienplus,celadébouchaitsurl’idéedefamille,ilallaitpéteruncâble.—Cen’estpasnécessaire.Jeluiexplique,jelametsaupieddumurettuenrajoutesunecoucheàson
retour.—C’estuneoption,maisnousauronsplusdepoidsensemble.Tasœurpourraitêtreaffaiblieparta
présencedansnotremaison.Tun’yaspasremislespiedsdepuissesquatorzeans.—Tuveuxjouersurlessentiments?—Jeveuxprotégermafille!Situmedisqu’ellecourtunrisque,jetecrois.Quetuleveuillesounon,
j’ai confianceen toi,Martin.Sigrâceàça, jepeux t’ameneràmeprendreencompteet à franchirdenouveauleseuildemamaison,jenegâcheraipascettechance.Martinrestasursalignedeconduiteetsefocalisasurlaraisondesaprésence:Lisa.—Jenesaispassiellecourtunrisque.Sic’estlecas,c’estaussiceluidetouteslesjeunesfillesde
sonâge.Sijepeuxlerameneràuntauxzéro,jenevaispasm’enpriver.—Alors,viensàlamaison.C’estlasolutionlaplusefficace.Martintergiversaetsetrituralecerveau.Ilétaittiraillé.Ilfitlesquestionsetlesréponses,fitparler
sonange,posésursonépauledroite,puissondiable,assissursonépaulegauche.Ilsoupirad’agacement,
ilsemontraitimmature.—Jeviendraidemainsoir,maisjeneresteraipasdîner.—Tuaccepterastoutdemêmeunebièrefraîche?—Prévois-endeux,lesjournéessontlonguesetdifficiles.Cellededemainnedevraitpasycouper.—Deuxbières.Ceserafait.Prendsgardetoutdemême,ilseraitridiculequecesoittoiquel’onsoit
obligéderaccompagner.Martin résista à son envie de rire, surpris de la sentir si proche de sa bouche. Ismaël avait une
influence néfaste sur lui. Bricks avait raison, il se ramollissait. Son père ne manqua pas la lueurd’amusementquibrilladanssesyeux,sisemblablesàceuxdesamère.Ilnelemontrapas,celaauraitétéuneerreur,maiselleluifitdubien.Sonfilssemblaitplussereinetplusapteàcéderàlagaieté.IlsavaitparLisaqu’ilavaitrencontréquelqu’un,unhommeplusjeuneavecquiiltravaillait.Safilleneluidisaitpas toutsurMartin,maisparfois,parcequ’ellesavaitquecela lui faisaitplaisir,elle lâchaitquelquesbribes d’information.Elles faisaient toujours partie des aspects positifs de sa vie.Cet homme rentraitdanscettecase.Ilsuffisaitdel’observeretdeleconnaîtreunpeupours’enrendrecompte.Ilconnaissaitsonfils,mieuxquecederniernepouvaitlecroire.—Cenesontpasdeuxbièresquivontmemettresurlesrotules.—Jen’endoutepas.—Jevaistelaisser.Ilsefaittard,mespénatesm’appellent.Martinselevaetsortitdesapocheleprixdeleursconsommations.Ilétaittenduetnesouhaitaitqu’une
seulechose :sortird’ici. Ilposa l’argentsur la table,saluasonpère,quis’était levéàson tour,etseretournapourpartir.Unemainluiattrapalebras.Ilsefigea,plusquesurpris.—Martin,acceptes-tuderéfléchiràunediscussionfrancheetpersonnelleentrenous?—Queveux-tudire?—Ilesttempsdebriserlesilencequinouséloignel’undel’autre.Jelesouhaitedepuislongtemps,
maistun’étaispasprêt.Tuastrenteans,tun’esplusungamin.Jevoudraisunerelationpluséquilibréeavectoi.Martinrenâclaetrésista.—Qu’est-cequiteditquejesuisprêtmaintenant?—Cerendez-vousettoncomportementpendantl’heurequ’onvientdepasserensemble.—Jenesuispassûrquecesoitunebonneidée.Jesuistoujoursencolère.C’estvraiquejemesens
mieuxcesdernierstemps,maisenquoicequetuasàmedirepourraitm’aideràeffacerlepassé?—Lepassénes’efface jamais…Jesuisàmêmed’apportercertaines réponsesà tes interrogations.
Ellesneserontpas trèsagréablesàentendre,maisellesseront lavérité.C’est toujoursmieuxquedesvides.—Sais-tupourquoimamères’esttuée?Pourquoiellel’afaitdecettefaçon?—J’enaiunepetiteidée,mêmesijen’aijamaisétédanssatête.—As-tuuneexplicationacceptablepourm’avoirignorépendantseizeans?—Cetteaffirmationsousformedequestionn’estpas toutàfait juste,maisoui, j’aiuneexplication.
Ellen’estpastrèsreluisanteettuenresteraspeut-êtreàtesrésolutions,maisaumoins,elleauraleméritederemplirlesvides.Ilseraplusfacilepourtoidetenirsurtesdeuxjambes.Agacéplusqu’autrechose,sarépartiefusa.—J’ysuisdéjàbiencampé!—Tuleserasencoreplus.Martins’obligeaàrespirerpluslentement,àseulefindemaîtrisersonhumeur.Ilsavaitqu’ilétaitlà
aussi pour cela, pour ces explications que son cerveau recherchait depuis des années, mais qu’il
rechignaitàentendre.Ilétaitdivisé,toutensachantqu’ilallaitaccepter.Labalancepenchaitdececôtédepuisunpetitmoment.Reculerauraitétéstupide.—Jevaisyréfléchir.Ilentenditlemercidesonpèrealorsqu’ilreprenaitsamarcheverslasortie.Ilnes’arrêtaplus.IlretrouvaIsmaëlconfortablementinstallédanssoncanapé,devant la télé.Ilétaitnuetparfaitement
détendu. Si Martin savait répondre aux attentes de son amant, la réciproque était tout aussi vraie.Pourtant,sonenviedesexeétaitmoinsvirulentequ’àl’accoutumée.Cebesoinqu’ilavaitcalmédanslesbackroomss’apparentaitàdelaculpabilité.Ellen’étaitplussiprésente.Cedontilavaitenvie,c’étaitducorpsd’Ismaëletdefairel’amouraveclui.Iln’étaitplusquestiond’avilissementoudeperte.Ilsprirentle tempsdemanger, tout endiscutant.Plus les jourspassaient etmoins il faisaitde rétentiondans seséchangesavecsonamant.Cederniereutmêmedroitàquelquesdétails.Lesexenes’invitaqu’unefoisqu’ilsfurentcouchésetilfutsavoureux.Ilneparlaquedeplaisir.
LejournaldeLouisaFuiteJ’aifui,j’airéussi.J’avaislecœurquibattaitàcentàl’heureetlesmainsmoites.J’avaistellement
peurqu’ilssurgissentàl’improviste.Emmanuelm’attendait,noussommestoutdesuitepartispourlecampingoùonvapasserlesdeuxprochainsmois.Pourlasuitedemesétudes,j’aipufairetransférermondossierdansuneantennedélocaliséedel’écoleoùjesuis.C’estàplusdetroiscentskilomètres.Simes parents le veulent, ils pourrontme retrouver et jem’en inquiète un peu. J’espère les avoirdétournésdecettepossibilitéenleurannonçantquej’étaisenceinte.S’ilssonttelsquejepensequ’ilssont,ilsvonttoutfairepournoyerlepoissonetm’oublier.Jen’endemandepasplus.
BribesdebonheurJ’aimecetteviequiestlamienne.Jen’aijamaispassédevacancescommecelles-ci,dansunespace
ouvertetenlogeantsousunetente.J’aimeaussitravaillerdanscelieu.C’estvivantetgai.Jemesenssereine.Sansleregarddemesparentsm’épiantsanscesse,jemesenspresquelibre.AvecEmmanuel,celan’ajamaisétéaussibien.Iln’yaplusquel’amourentreluietmoi.Mêmes’ilyacetenfant,ilresteuneidéeabstraite.Sonmeilleurami,Louis,nousarejoints.Jenel’avaispasencorerencontré.Ilesttrèssympathique.
Ilsseconnaissentdepuisl’enfance.Jesuisfascinéeparleuramitié,jen’enaijamaisconnudetelle.Jedécouvrelavraievie.EffortsIlfautquejeréussisseàmangerplus.Jenemesuispasscarifiéedepuisquejesuispartie,maisme
nourrirrestedifficile.Lemédecinaétéclair,monenfantenabesoin.J’aidenouveaudesangoisses.Je réalise seulement qu’en résidant loin d’Emmanuel, je vais être seule pour vivre ma grossesse.Emmanuelm’apromisdemerejoindresouventetjesaisqu’illefera.J’auraispourtantaiméqu’ilmesuive.Plusquedeuxsemainesetjedevraifairefaceàcetteréalité.
JesuisunetêtedelinotteJevaisaccoucheraumilieudemonannéescolaireet jen’yaimêmepaspensé.Jesuisvraiment
stupide. Je ne sais pas comment je vaism’en sortir. Financièrement, j’ai des aides et Emmanuel atrouvéunpetitboulot. Ilm’envoie tout l’argentqu’ilgagne.Ilestadorable.Sonamimerendvisitequandluinepeutpas.Ilfaitdescoursesetsemontreattentionné.Ilestcommeunfrèrequiprendraitsoindesapetitesœur.Jecachedumieuxpossiblemesfailles.Ladateapprocheunpeutropviteàmongoût.Auquotidien,ilm’afallusubirleregarddesautres,élèvesetenseignants.Cen’étaitpasfacile.
Depuis,ilss’ysontfaits.Je vis dans une petite chambre avec un espace cuisine et une salle de bains. Je me demande
commentjevaisfaireaveclebébé.Nousnesavonspassiceseraunefilleouungarçon.Jenevoulaispassavoir.Jepréféreraisquecesoitungarçon,c’estplusfacileunevied’homme.Noushésitonssurlesprénoms.Les parents d’Emmanuel sont au courant, je ne les connais pas. Il n’est pas nécessaire que je
réfléchisse longtempspourme convaincrequ’ils ne veulent pasme rencontrer et qu’ils n’acceptentpascettesituation.Emmanuelditqu’ilnousfautnousmontrerpatientsetqu’ilsfinirontparchangerd’avis.Jen’ycroispasvraiment,maisjelelaissedanssesespoirs.Nousverronsbiencequel’avenirnousdira.Jenesouhaitequ’uneseulechose:qu’Emmanuelsoitlàetqu’ilresteavecmoiquelquesjours.Je
nesaispassijesuiscapabledefairefaceàlasolitudefaceàlavenueprochainedubébé.AngoisseCen’estplusqu’unequestiondejours.Jesuisénorme,bienplusquejenelevoudrais.Ilparaîtque
jemefaisdesidées,cequiestbienpossible.Jenecroispasquejemevoistellequejesuis.Monbébébougedansmonventresansarrêt,ilesttrèsdynamiqueetenpleineforme.Ilestimpatientdenaître.Quelleidéesaugrenue!Ilestàl’abrilàoùilestetilneleserajamaisautantquedansmonventre.J’aimecetenfant.Ilestenmoietàmoi.Jenesaispassijeréussiraiautrechosedansmavie,maislui,c’estunacquis:ilestuneréussite.J’attends Emmanuel. Je tourne en rond, de peur et de frustration. J’en veux à mes parents de
m’avoirobligéeàquittermaville.Sanseux,j’yseraisencoreetjeseraisprèsdupèredemonenfant.Toutescesangoissesquimehantentauraientmoinslieud’être.N’ai-jequevingt-et-unans?
AttenteIl est prêt à naître. Chaque poussée que je sens dans mon ventre me le dit. Je lui parle et lui
demanded’attendre,qu’ilfautquesonpèresoitlà.Jenesaispass’ilm’entend,s’ilmecomprend.Ilbougeausondemavoix,ilcommuniqueavecmoi.Maispourmedirequoi?Lefaitestqu’ilal’airdem’écouter.
CHAPITRE5L’inspecteurNolanfaisaitpeserlepoidsdesonregardsurJordan.Deuxtéléphonesétaientposéssurle
bureau de ce dernier, reliés à son PC, ainsi qu’un ordinateur portable. Il espérait beaucoup de cesderniers.Ismaëlpatientaitàleurscôtés,toutaussifébrile,maisbienplusdiscret.LatensionquiraidissaitlesépaulesdeNolanetqui,parextension,rejaillissaitsurcellesdel’informaticienétaitbiensuffisante.—Alors?—CeluidePascalinenedonnepasgrand-chose.Peudenumérosdetéléphonesetd’échanges.Ellea
effacé une partie des données, je vais essayer de les retrouver. Celui d’Urielle possède davantaged’informations. Elle a plus d’amis et elles gardaient ses SMS. Je vais les lire et je vous en ferai uncompte-rendu. Son ordi ne lui servait apparemment que pour aller sur internet. Elle a un compteFacebooksurlequelilm’aétéfaciledemerendre.Sasessionestactive.LeregarddeMartinchatoyaetilserapprocha.Ismaëlsepencha.—Ellenel’alimentaitpasbeaucoup,elleamispeudestatuts,maiselledialoguaitpasmal.Desamis
etdesconversationsbanales.Parcontre,elleaviréunami,ilyapeu.Jevaisfouiller.—Quand?—Maintenant.C’estmonplanningpourlesheuresàvenir.—Tu…—Oui,Nolan!Dèsquej’aiquelquechose,jetefaissigne.Martinhochalatête,Ismaëlretintunsourire.Sil’inspecteurNolanparaissaitplusdétenducesderniers
temps,iln’enrestaitpasmoinsqu’ilétaittoujourslemême:exigeant,peusoucieuxdesopinionssursapersonne,secretetcasse-couillessansqu’ilyaitnécessitéqu’ils’exprime.Ilneperdaitjamaisdetemps,voulaitdesréponsestoutdesuiteetquetoutlemondeagisseaumêmerythme.Unevoixdétestées’élevadansleurdosetnefitrienpourdétendrel’atmosphère.—Hé,Nolan,tut’éclatesaveclesmédias?MartinNolanseretournaetfitfaceàleurcollègue,BernardTraptin.—Quoi?Ismaël s’était crispé. Depuis son altercation avec lui, il n’était plus capable de se relâcher en sa
présence.Ilgardaitdelarancuneenverscethommequ’entoutehonnêteté,ilnepouvaitplussupporter.Cederniernedevaitpasenpensermoins,mais il restaitsursesgardes.Nolanétaitungardeducorpsaveclequelilnefallaitpastropjouer.S’iln’avaitaucuneidéedelarelationqu’ilsentretenaient,ilsavaitpertinemmentqueNolanavaitprisTouzanisoussonaile.—C’estquoicessalades?—Tufaislaune,Nolan.—Merde!Putaindemerde!—Lejournallocalamêmedégotéunephotodetoi.Les prunelles de Nolan s’enflammèrent quelques brèves secondes avant de refroidir à une vitesse
vertigineuse.Toutesaposturechangea.L’ancieninspecteurNolanétaitderetour.—S’ilsfoutentlamerdedansmonenquête,jenedonnepascherduconnardquis’yserarisqué.—Ilsfontleurboulot.
—Pourquoinesuis-jepasétonnéquetusoisdeleurcôté?Nerépondspas,c’estinutile.Sansendireplus,illuitournaledosetgagnasonbureau.Ismaëllesuivit,sansmanquerpourautantle
regardassassinqueBernardplantadanssondos.Ileutdroitaudeuxième,bienplusfranc.Ismaëlcompritquedèsqu’ilenauraitl’occasion,cetabrutiluirentreraitdedans.Iln’avaitpasdigérél’humiliationqu’illuiavaitimposée.Ismaëlluioffritunrictusdeconnivence.C’étaitquandilvoulait.Nolan se brancha sur le net et lut l’article sur son écran. Il était succinct et sans informations
importantes. Il retraçait la découverte des deux victimes et citait son nom comme étant celui del’inspecteurchargédel’enquête.Ilyavaitbienunephotooùonlevoyaitsortirdesavoituredefonction.Ilpoussaunsoupirdesoulagement,l’encartn’avaitriendetapageur.Ismaël,quil’avaitlupar-dessussonépaule,enfuttoutautantapaisé.Cettedonnéelemettaitsurdescharbonsardents.SiMartindevenaitunpointdemire,ilenseraitunaussi.Ilneseraitpastrèscompliquéd’interpréterletempsqu’ilspassaientensemble.Deuxcollèguesdeboulotquipartageaientdessoiréeschezl’unouchezl’autren’étaientpassuspects.Qu’ilsn’enressortentquelelendemainmatinleserait.Rassuré et son attention déjà ailleurs, Martin ne remarqua pas l’inquiétude d’Ismaël. Il passa
rapidementàd’autrespréoccupations,bienpluspertinentesselonlui.—NousavonsdeuxbonnesheuresdevantnousavantqueStannedébarque.Occupons-lesenallantàla
boutiqueoùtravaillaitUrielle.Jecroisquec’estd’ellequenousenapprendronsleplus.Ismaëlreléguasesinquiétudesdansuncoindesoncerveauetsuivitlemouvement.Toutd’abord,ils
questionnèrentdenouveaulegérantdumagasin.Lorsdeleurpremierpassage,ilneleuravaitrienapprisd’utile et ce fut,malheureusement, tout autant le cascette fois-ci. Iln’était riendeplusqu’unétrangerdans la vie d’Urielle, un patron qui ne s’intéressait pas lemoins dumonde à ses employés. Sa seulepréoccupation était qu’ils fassent leur travail. Puis, ils interrogèrent deux vendeurs, les seuls qu’ilsn’avaientpasencorerencontrésenraisondeleurabsenceaucoursdeleurprécédentevisite.Lepremiersemontratoutaussisuperflu.Ilavaitcependantuneexcuse: ilnefaisaitpartiedel’équipequedepuisdeuxsemaines.Ledeuxièmeleurapportaunpeuplusd’éléments.Collèguesdepuisunan,ilsavaienteul’occasiond’échangerplussouvent.Celarestaitsuperficiel,maislejeunehommeétaitdugenrecurieuxet attentif. S’il ne savait rien de la vie privée et des fréquentations d’Urielle, il putmalgré tout leurapprendreque,depuisquatreoucinqsemaines,unjeunehommevenaitrégulièrementl’attendreàlasortiedutravail.Leurseffusionsétaientdiscrètes,cequinel’arrêtapaspourlesinterpréter.Pourlui, ilétaitsonpetitami.Avantlui,ilnel’avaitjamaisvueavecquelqu’und’autre.Sansvouloirtirerdesplanssurlacomète,cettedonnéeallaitdanslesensdesréflexionsquelesdeuxinspecteursavaientmenées.Ilsavaientencoreunpeudetemps,ilsserendirentunenouvellefoisausalondecoiffure.Cedernier
tournaitauralentietl’ambianceétaitlourdedetristesse.Lapeineselisaitsurlesvisagesdelapatronneet de sa meilleure amie, Bérangère. Cette dernière, très pâle, avait les yeux rouges. Elle semblaittotalement défaite par la perte de Pascaline, autant qu’au premier jour.Nolan se focalisa là-dessus etl’invitaàdiscuterenprivé.Danslespremièresminutes,illuidemandadeluiparlerdelajeunefille,desoncaractère,desesgoûtsetdesesoccupations.Pluselleparlaitetpluselles’échauffait.Ellesemblaittrèsadmirativedesonamieetfaisaitmontred’unegrandepossessivité.Ellefinitparfondreenlarmes,dessanglotsdéchirantsluiraclantlagorge.Sadouleurétaittropintense,tropvirulentepouruneamitié.IlsluilaissèrentletempsdesecalmeravantqueMartinnesepolarisesurl’aveuqu’ilsouhaitait.Elle
n’atermoya pas longtemps, soulagée de pouvoir parler de Pascaline, sa petite amie, avec plus desincérité. Elles formaient un couple depuis trois mois, après une amitié solide qui leur avait permisd’approfondirleurssentiments.LespleursdeBérangèreresurgirentdeplusbelle.Faceàsasouffrance,lavolontédeNolanetd’Ismaëls’affermit:ilsauraientcetype,quelqu’ensoitleprixàpayer.Dansleurstripes,undésirdevindictebrutalebataillaitavecleurgoûtpourlajustice.
InstallésdanslebureaudeNolan,ilsétaientplusieursàs’intéresseràl’enquête:cedernier,Ismaël,le
Doc,JordanetStan.Dessandwichsavaientétécommandés,ainsiquedesboissonsfraîches.Ilsn’avaientpasfaim,seulelacafetièrepleinerisquaitdenepasfairelongfeu.L’unaprèsl’autre,ilsexposèrentlesdonnéesqu’ilsavaientenleurpossession.LeDocleuroffritdeuxnouveautés:lapeaudesjeunesfillesavaitétésoigneusementnettoyéeavecunlaitdémaquillantdemarque.Lalentilletrouvéemettaitenavantundéfautdevisionsévère,unemyopieimportante,etellen’appartenaitpasàUrielle.Ismaëlavaitposélaquestionà l’undes techniciensdelapolicequiavaitexplorésonappartement.Iln’avaitrientrouvépouvantmettreenavantl’inverse:pasdelentillesderechange,pasdeproduitnettoyant,nidepairedelunettes.Ilsnepouvaientêtrecertainsqu’elleappartenaitautueur,maisc’étaitunepossibilitésérieuse.Martincreusacettepiste.—Onvapouvoirentirerquoi?—Jel’aienvoyéeàunexpert,aulabodeLyon.Ilvanoustrouverlacorrectionprécise.Cen’estpas
uneempreintedigitale,encoremoinsunADN,maiscepeutêtrepourvousunepistederecherche.S’ilenestlepropriétaire,ceseraaussiunepreuvequiétayeravotredossier.—Pourquandleretour?—Dèsqu’ilaurafaitlenécessaire,Martin.Nolansoupira.Iltravaillaitavecdespros,lesavaitetlesrespectait,maisc’étaitplusfortquelui.Il
voulaitdesrésultatsetenclencherleturbo.LeDoclesquitta,ilavaitfaitsapartetn’étaitpascompétentpour l’enquête de terrain. À chacun son travail et son domaine d’expertise. C’était le moyen le plusefficacepouravancersanssemarcherdessusetcommettredesbourdes.Jordanpritlerelais.—Jen’airiensurPascaline.Sonportablenecacheriendeparticulier.Cettefilleétaitsolitaire.Pour
Urielle,c’estunpeudifférent.Ellesnesontpasauxantipodes,soncercleestassezrestreint,maiselleétaitplusdansl’échange.Letypequ’elleavirén’arienàvoiravecunrejet.Ilafermécecompteetenarouvertunsousunautrepseudo.Ilssontredevenusamislelendemain.Aucundoutesurleurrelation,ilétaitsonpetitami.Jevousaidénichésonnometsonadresse.UnfaiblesourirenaquitsurleslèvresdeNolan.Ilsétaientencoreloind’aboutiràlarésolutiondeleur
enquête,maisminederien,despiècesdepuzzlessemettaientenplaceetellesavaientleurimportance.S’iln’avaitpasété si inquietdedécouvrirunenouvellevictime, il enaurait été satisfait.Lespenséesd’Ismaëltournaientdansunemêmesphère.IlsremercièrentJordanet,commeleDoc,ilpritcongé.Dèsquelaportefutrefermée,Stanselevaets’approchadesphotos.—Expliquez-moicequ’ilenest.Jeneveuxquedesfaits.Leursexplicationsleurprirentunedemi-heure.Ilssemontrèrentprécisetneutres.—Nousavonsdoncdeuxvictimesd’àpeinevingtansquiseressemblentphysiquement,avecdestraits
de caractère communs et vivants dans un isolement familial total. Nous avons deux ruelles, deuxboutiquesetdeuxappartements.Deuxmeurtres,unmêmejouretàunhorairesimilaire.Illeurraselatêteetlesmarque.Illestued’unseulcoupdecouteau,directementdanslecœur.Nolan et Ismaël restèrent silencieux.Le cerveau deMorley ne leur était pas accessible. Il devait y
avoiruneraisonpourqu’ilénonceainsicequ’ilssavaientdéjàsiparfaitement.—Pureté…L’expert comportemental traça cemot sur lepaperboard, en lettres capitales. Il l’observa quelques
secondes.—Cemotdoitêtrelaclé.—Nouslepensonsaussi.
—Cetypenedoitpasêtretrèsvieux,sansêtrejeune.Laquarantaine,jedirais.—Pourquoi?— Il a de la force physique.Elles sont peumarquées, il les amaîtrisées facilement.Le rapport de
toxicologieestlimpide:pasdedrogue.Ilconnaîtlasymboliqued’uncrânedefemmerasé.Lesjeunesd’aujourd’hui,globalement,nes’intéressentpastropàtoutça.—IsmaëlapenséàlaCollaboration.—C’estuneremarquepertinente,mêmesielleestunpeutropciblée.—S’ilacetâge,pourquoisemet-ilàtuermaintenant?—Jepourraisvousdonnerdes tonnesde réponsesacceptables.Laplussérieuseestque lecerveau
humain est complexe et celui d’une personne atteinte de troubles psychiatriques plus encore. Sesméandrespossèdentdesconnexionsquipeuventlaisserperplexe.Lenon-renouvellementd’untraitementreste la plus simple.Un élément déclencheur en est un autre.La perte d’une personne importante, unehumiliationdetrop, ladégénérescenced’ungènemaladequi l’auraitfaitbasculer…Vousavezfaitdesrecherchespoursavoirsidesmeurtressimilairesavaienteulieuailleurs?—Oui,etçan’ariendonné.StanMorleypassalamaindanssescheveuxetsemitàarpenterlapièce.Àlagrandesatisfactionde
sesdeuxinterlocuteurs,ilcontinuaàréfléchirtouthaut.—C’estunmaniaquedelapropreté.Lesphotosnousmontrentdescorpsdefemmesimpeccables,sice
n’estlatachequimarquelecoupportépourlestuer.Leslieuxsontsombresetparlentd’angoissemais,autourd’elles,toutestnet.Pasdesaleté,pasdedésordre.—Ilnelesapastuéeslà.—C’estunecertitude…Lamiseenscèneestparticulièreaussi.Onretrouvelamêmeopposition.Elles
sont belles et portent l’innocence sur elles. Pourtant, il expose leur intimité dans ce qu’elle a de pluschoquant,enmontrantcequ’illeurafait.Leurcrâneraséalamêmedichotomie.L’absencedecheveuxmetenévidencelapuretédeleurstraits.Symboliquement,lescheveuxraséssontunsignedesoumissionetdeperted’identité.Danslemêmetableau,onretrouvelaviolencedesesintentions.—Quellessont-elles?—Lespuniretlesrévéler.Ilexposeaumondeuneambivalence,celled’unepuretéaffichée,maisqu’il
considèrecommefausse.Cetypeseveutlerévélateurd’unevéritéqu’ilsecroitseulàconnaître:leurvéritableidentité.Ils’estdonnépourmissiondelamontrer.Ilsaitcequ’ilfait.Illestueconsciemmentetprécisément.—Etlamarquedansleurnuque?—Cequ’ellesnepossèdentpas,ouplus,etcepourquoiilleurenveut.—Pourquoielles?—Difficileàdire…Àmonavis,illestraque.Ilaclairementbasculédanslafolieetill’alimente.Il
estméthodique.Leuridentitéestpeut-êtreunhasard,maispasseschoix…Untypequisebaladedanslesruesetquicherchecequipourraitcolleràsesdélires.Illesépie,lesobserveet,dèsqu’ilatrouvé,ilsemetenaction.Sivousnel’arrêtezpas,ilcontinuera,saufs’ilestsuivietsoignable.Toutpourraitrentrerdansl’ordre,dansuncertainordre…Ceciétant,jenelepensepas.Ilaimecequ’ilfait.—Nousn’avonsriendesuffisammenttangiblepourletrouver.—Non,maisdespistessérieuses.Dansl’immédiat,jenepeuxriendeplus.Tenez-moiaucourant.NolanetIsmaëlleregardèrentpartir,frustrésmalgrélesprogrèsqu’ilsfaisaient.Letempsfilaitbien
plusvitequ’ilsnel’auraientsouhaité.Ilsavaientlasensationdevivreunecoursecontrelamontre,saufqu’ilsneconnaissaientpasladated’arrivée.Ilspouvaientspéculer,partirduprincipequelemeurtrieravaitchoisilesjeudisetqu’ilaffectionnaitlatombéedelanuit.Celarestaitdeshypothèses.
CefutlemomentquechoisitBrickspourdébarquerdansleurantreavecdesinjonctionsquifirentplusquelesagacer.—LePréfetexigedesrésultats!Vousenêtesoù?—Ilcroitquoi,cecon?Qu’onalemeurtrierdansnotremanche?—Nolan!—Onfaitcequ’onpeutetsicen’estpassuffisant,tantpispourlui.Onad’autresprioritésquecelles
desatisfaireunbureaucrate.—Jesuisd’accord,maisc’estmoiqu’iltanne.—Pendantcetemps-là,onfaitnotreboulot!Onassemblelesmorceauxetonessaiedesefaireune
idéedumeurtrier.Concrètement,onn’apasgrand-chose,sicen’estcettelentillequeleDocatrouvée.DèsqueLyonauradégotéquelquechose,ilsnousleferontsavoir.—Vousavezvul’encartdanslerégional?—Ouais.—Soyezdiscretstouslesdeux.Encherchantàsuivrel’affaire,ilspourraientdécouvrirdestrucsqui
nelesregardentpas.S’ilssontprofessionnels,ilsn’entiendrontpascompte.Leproblème,c’estqu’ilyadesconnardspartoutetpasquenotrecanardrégionalquis’intéresseàl’affaire.Untueurensérieréveillelepaysetdépasselesfrontièresparfois.Ceseralecass’iln’estpasarrêtérapidementetqu’ilcommetd’autresmeurtres.—C’estdenotrevieprivéedonttuparles?—Oui,etjevoisàsaposturequ’Ismaëladéjàcogitélà-dessus.Jevouslaissebosser.Nefaitespasde
vagues.MartinNolanfulminaitetcen’étaitriendeledire.Ilnepouvaitpassupporterqu’onmettelenezdans
ses affairespersonnelles et cen’était pasprèsde changer. Il jetaun coupd’œil à Ismaël et croisaunregard noir et profond. Bricks avait raison : Ismaël était tendu comme un arc et il ne pouvait plusl’ignorer. Ses appréhensions embaumaient la pièce. Si Nolan se fichait des qu’en-dira-t-on, ou qu’onsache lavérité, cen’étaitpas lecasd’Ismaël. Ilpoussaun lourd soupiret sacolère retomba. Il allaitdevoirprendreencomptelesinquiétudesdesonamant.
LejournaldeLouisaMartinNotrefilsestné.Ilestsibeau,sidouxetsigentil.Unepetitemerveille.Martin,nousl’avonsappelé
Martin.J’adoreceprénom,sanssavoirpourquoi.Iln’estliéàaucunsouvenir.C’estparfait.MonstudioesttropétroitpournousdeuxetquandEmmanuelestlà,c’estbienpire.Pourtant,jene
reviendraipourrienaumondeenarrière.J’ysuismillefoismieuxquechezmesparents.Emmanueladécidédenousrejoindredèslafindesonannée.Nouschercheronsunappartementplusgrand.JedoisconfierMartinà lacrèchepouraller,moiaussi,auboutdemonannéeetobtenirmondiplôme.Jen’aimepasdutoutça.Jenepoursuivraipasmesétudes.Jevaischercherunemploi.Jeferaitoutcequ’ilfautpourmefaireuneplacedanslemondeprofessionnel.JeveuxqueMartinnemanquederienetjeveuxtoutautantréussirunecarrière.C’estlameilleurefaçond’êtreàl’abridubesoin.
Projets
Emmanuel me manque. Pourtant, je n’ai pas le temps de penser ni de rêvasser. Mon bébé est
adorable. Il pleure peu et je réussis à m’occuper de lui assez naturellement. C’est rassurant.Emmanueltravaillebeaucouppourobtenirsondiplôme,toutcommemoi.Jesuisfatiguée,mesnuitssont trop courtes. J’attends les vacances avec impatience. Nous retournons au même endroit quel’annéedernière,danslesmêmesconditions.L’argentgagnénouspermettradenousrelâcherunpeu.J’ai commencé à chercher du travail et j’ai décroché deux rendez-vous. Demain, je vais faire lesboutiques.Malgrémonpeudemoyens,ilestindispensablequejemetrouveuntailleur.Depuisquejesuispartiedechezmoi,jeneportequedesjeans.Jenem’enlasseraijamais.Ilssontlerefletdemanouvellevie.Jecroisaussiquejen’aipasfinidedétesterleblanc.Lesdeuxpostesquejeconvoitenesontpastoutàfaitcequej’espérais.Simplesecrétairen’estpas
dansmesambitions,maisjesauraifairemaplace.Jesuisencorejeune.JesuisheureuseNosvacancessepassentidéalement.J’adorevivreencoupleavecEmmanueletformerunefamille
avecnotrefils.Ilfaitbeauetnousavonsletempsdeprofiterdemomentsdecalme.Martinestheureuxicietmoiaussi.Dèsseptembre,j’occuperaimonpremieremploi.Jesuisunpeustressée,cequiseressentdansmes
mauvaiseshabitudes.Elless’étaientunpeucalfeutrées,mêmesijenemangeraijamaisnormalement.Jepinailledefaçonvisiblesurlanourritureetj’aitendanceàm’écorcheravecmesongles.Emmanuelnem’a jamais faitde reproches, il saitpourtant.Seules les tracesdemesmutilations ledérangent.Pourmoi,ilaimeraitquejeréussisseàcesser.J’essaie,j’essaievraiment.
Impatience
Emmanuelestrepartipourrécupérersesaffaires.D’icitroisjours,nousnousinstalleronsensemble,
puis nous chercherons un nouvel appartement. Il s’est inscrit à la fac pour son master et j’aicommencéàtravailler.Jenem’ensorspastropmal.Jememontresérieuseetrigoureuse.Jeneveuxpas qu’on ait quoi que ce soit à me reprocher. J’espère aussi gravir les échelons. À mon grandétonnement,mavieavecmesparentsmesertàquelquechose.Jememontretrèsdouéepourcachermesdoutesetmesinquiétudes,etpouragiravecuneconfianceaffichéequiplaîtàmonpatron.Maviesemblesedessinermieuxquejenel’avaisespéré.Ilsepourraitbienquejeréussisse.
PleurerdeslarmesdesangLavieestunesaloperie.Lamienne,ungouffresansfonddanslaquellejenepeuxquemeperdreet
échouer.J’avaislalamederasoirdanslamainetjeregardaismonbébé.Ilavaitlesyeuxgrandsouvertset
mesouriaitd’unairinnocent.Ilnesaitriendeladouleur,desdésirsdefin,desombresquipeuplentlejouretcachentlesoleil.Jeleregardais,ilmesouriaittoujoursetsetortillaitpourquejeleprennedansmesbras.J’ailâchélalameenpensantqueceseraitpouruneautrefois,unautrejour.JedétesteLouisettoutcequ’ilreprésente,lamortqu’ilévoque.Ilestlemessageretjeledéteste
d’être cela. C’est lui qui est venu m’annoncer le décès d’Emmanuel, sur la route, en venant merejoindre,nousrejoindre.Sonvisagedéfait,seslarmesetsadouleurn’ychangentrien.Ilestceluiquim’a dit que je ne reverrai plusEmmanuel et que son fils ne le connaîtrait pas. Il est celui qui estarrivé jusqu’àmoivivant,alorsqu’Emmanuelestmort. J’auraisvoulu,de toutes les forcesdemondésespoir,quecesoitl’inverse.Emmanuelestmort.
CHAPITRE6Martinavaittantdepenséesentêtequ’ilnesavaitpasverslesquellessetourner.Sonappartementlui
semblait trop étroit pour toutes les contenir.Celles qui occupaient le devant de la scène concernaientl’enquête.Cellesjusteaprèsavaientàvoiravecsonpèreetsonpassagechezlui,dansàpeineuneheure.Les dernières étaient pour le beau marocain qui occupait sa vie, cet homme qui avait pris tantd’importanceetqu’ilnevoulaitpasnégliger.C’étaituntourbillondanssoncerveau.Installésdanslecanapé,ilssetenaientenlacés,latêted’Ismaëlposéesurl’épauledeMartin.—Çava,Ismaël?—Oui,pourquoi?—Tuétaistrèstendutoutàl’heure.Tuaspeurdelapresse,non?—Jenelenieraipas.Silesjournalistessemontrenttropcurieux,ilspourraientfoutrelamerde.—C’estunepossibilitéqu’ondoitenvisager,maisjeferaitoutpourqueçan’arrivepas.Jesaisquetu
n’espasprêtàterévéler.—Jesuisdésolé.—Tun’aspasàl’être.Jem’enficheetçaneregardequetoi.—Tuesconcernéaussi.— Peut-être, mais faire ton coming out n’est pas nécessaire pour qu’on soit ensemble, pas pour
l’instant,entoutcas.Martin déposa un baiser sur la tempe d’Ismaël. Il voulait semontrer rassurant. Ce dernier savoura
quelquessecondeslachaleurprotectriceducorpsdesonamant,puischangeadesujet.Ilsesentaitpeuenclinàseprendrelatêteettropfatiguépours’yrésoudre.—Jetevoiscesoir?—Jenepensepas.—Tuvasrestersitardcheztonpère?—Cen’estpascequej’aiprévu,maissiLisafaitsatêtedepioche,jen’auraipaslechoix.—Tupeuxmerejoindreàl’heurequetuveux.—Jelesaisbien…Latentatived’Ismaëlpourdétournerlaconversations’avéraunéchec.Ellerevintàsonpointdedépart
etilblêmitsoussonteinthâlé.—Si tuveuxqu’onpréservenotrevieprivéeetque lapressen’aitpasventdenotrerelation, ilva
falloir semontrer très prudents. Lemieux est qu’on se voit moins souvent et qu’on ne passe plus laplupartdenosnuitsensemble.Ismaëlyavaitpensé,bienavantMartin,ets’enétaitdéfendu.Cettesolutionneluisouriaitpas.Ilrêvait
devivreavecMartin,del’avoirchaquesoiretchaquematinàsescôtés,etdevivresesheuresdelibreavec lui. Il aurait aimé connaître unmonde où cette liberté n’aurait pas été une lutte,mais un acquisnaturel. Il voulait une autre solution, une où le corps chaud deMartin pourrait rester le plus souventpossiblecolléausien.Ils’envoulaitd’êtreceluiquilesobligeaitàyréfléchir.—Ildoitbienyavoiruneautresolution.—Laquelle?Àpartvivredansuneautregalaxie,jenevoispas!
—C’estuneaffairecriminelle,toutdemême!Tun’espasunpeople!Martinétaitdivisé.Ilhésitaitentrerireetgémirdefrustration.Àunmomentdonné,Ismaëlallaitdevoir
faireunchoix.Ilseraitdifficile,sileurrelationperdurait,delacloisonnersansarrêtetsansaucunrisqued’êtredécouverts.S’ilvoulaitunevieaveclui,réussiràsecacherneseraitpaséternel.—Non, je ne suis pas un people et si les journalistes restent professionnels, ils s’en tiendront aux
déclarationsdeBricks.Ceci étant, onnepeut pas tabler là-dessus…Jevais te laisser, il faut que j’yaille.—Martin…—Jesaisquecen’estpasfacile,Ismaël.Tuaschoisid’êtreavecmoiettuaschoisidesuivrecette
enquête.Jeneferairienquipourraittedévoiler,maisjenepeuxpastegarantirlesecret.J’aimeraisbien,mais c’est impossible. Je ne souhaite pas non plus que tu temartyrises avec ça.Nous trouverons desmoyenspournousvoir,net’inquiètepasinutilement.—Jet’aime,Martin.—Jen’endoutepasetlaréciproqueesttoutaussivraie.Jen’aipasplusenviequetoid’êtreunpoint
demire. La différence se situe dans le fait que jem’en tape.Ce n’est pas un reproche, jem’en fousvraimentquetuveuillesrestercaché.Jeveuxjustequetutesentesbiendanstespompes.Sinotrerelationvenaitàsesavoirmaintenant,ceneseraitpaslecas.Cen’estpaspluscompliquéqueça.MartinattiraIsmaëlàluietl’embrassa.C’étaitunbaiserconfiantqu’ilvoulaitréconfortant.Ilsavaient
largement de quoi cogiter et, en ce qui les concernait, il n’était pas urgent de se faire du souci à cepropos.Ismaëln’avaitpasenviedelequitteretilleluiconfiaàsamanière,sansobtenirlaréponsequ’ilaurait
souhaitée.—Tuvasmemanquercesoir.—Toiaussi,tuvasmemanquer.Profites-enpourvoirtesamisetteviderlatête.Ismaël rendit sonbaiser àMartin et partit le cœur lourd. Il se sentait unpeupaumé. Il tenait à son
amant, terriblement. Pourtant, ses réticences à afficher son homosexualité ne s’effaçaient pas. Sa plusgrande angoisse avait à voir avec son travail. Il n’était pas sûr de pouvoir faire face aux regardsmoqueurs ouméchants. Il avait peur de perdre la confiance de ses collègues et d’être mis à l’écart.Certainsavaientdéjàtantdemalavecsesoriginesmarocaines.Êtrearaben’avaitjamaisétésimple.Parlestempsquicouraientettoutcequisepassaitdanslemondeàcausedel’islamismeintégriste,c’étaitdevenuuneuphémisme.Ilsupportaitplusderegardsdetraversqu’iln’enavaitjamaiscroisés:danslarue,ausupermarchéoudansl’enceinteducommissariat,partoutoùilserendait.Morose,ilregagnasonappartementetpassasasoiréeàseprendrelatête.Dormirluifutpresqueimpossible.
Martinsortitdechezluiunquartd’heureaprèsIsmaëletserenditchezsonpèreàpied.Lasoiréeétait
douceetilavaitbesoinderespirer.Àchaquepas,satensiongrimpait.Iln’avaitpasrevusabelle-mèredepuis des lustres et lui avait toujours battu froid. Sa politesse de surface n’avait jamais dépassé cestade.Dans ses souvenirs, leurmaison restait inhospitalière. Il se trompait sûrement, enpartie tout dumoins.Lavéritéétaitqu’iln’avait jamaisvoulus’ysentiràsaplace. Ilmarcha lentement,cherchantàretarderl’instant.PenseràLisal’aidaàfairelespasnécessaires.Cefutsonpèrequi luiouvrit laporte. Ilétaitencoredans l’entrée, tenduetmalà l’aise, lorsquesa
sœurdébarquaetluisautadanslesbras.Illaréceptionnasansmaletlafittournoyer.Satensionreflua.Sabelle-mèrefitsonapparition.Ellerestaenretrait, toutenlesobservant,unsouriretimideauxcoinsdeslèvres.Martinenfutsurpris,iln’avaitjamaisfaitattentionàcetteréserve.Sonpèrepritlaparole,dansunetentativeévidented’allégerl’atmosphère.
—Tabièreestaufrais.Tupourraslaboiredèsquetasangsuedesœurtelaisserarespirer.—Ellevalefaireparcequej’enaibesoin.Lisas’écartaetexaminasonfrère.—Çanevapas?—Jevaisbien,maislajournéeaétélongue.Jesuisjusteunpeufatigué.Lisaluiattrapalamainetleconduisitausalon.Ilcédaàsonentrainetilsprirentplacedanslecanapé.
Saboissonpréférée fit sonapparitiondans la foulée. Il la savouraquelques secondes,dans le silenceambiant.Ilfutrompuparsasœur.—Papaditquetuveuxmeparleretquec’estsérieux.—C’estvrai.Martin se redressa et caressa la joue de sa sœur avec tendresse. Les paupières de cette dernière
papillonnèrentetelleblêmit.—C’estgrave?—Jen’aiplusledroitdetemontrermonaffectionsansquetut’affoles?—Si…Martinnelafitpaslanguirpluslongtempsetluiparladesraisonsdesaprésence,sansentrerdansles
détails.—J’enaientenduparler.Çafaitpeur,maisjenepeuxpasresterenferméeàlamaison!— Je ne te demande pas de rester enfermée,mais de ne jamais sortir seule,même pour faire cent
mètres.—Jevaisdevenirdingue!—Maisnon!Tonpèreoutamèreteconduirontàlafac,oumoi,quandilsnelepourrontpas,eton
viendratechercher.Sidesamispeuventlefaire,c’estvalableaussi.Ismaëlpeuts’ycoller,ilnedirapasnon.Pourlessorties,pasdeproblème,maistoujoursengroupe.—Tuassipeurqueça?—Ouietnon.Tunecorrespondspasàladescriptiondecesdeuxfilles,Lisa,maisonnesaitpasce
queletueuradanslatête.Cen’estpasunedonnéeinfaillible.—Sijerefuse,tuvast’arracherlescheveux?—J’aiassezd’inquiétudescommeça.Tum’aideraisenacceptantcequejetedemande.—Tumecontraindrais?—Jecomptesurtonintelligenceettasagesse.Tuaslachanced’êtreprévenue,nelagâchepas.Lisa se lovadans lesbrasde son frère ety restaunbonmoment. Ilsoublièrentqu’ilsn’étaientpas
seuls.—Jeneveuxpasfairepartiedetesinquiétudes,Martin.Cedernierluicaressalescheveuxetdéposaunbaisersursatempe.—Jet’aime,mapuce.—Jet’aimeaussi.Uncalmesereins’invitadanslesalon.Lesparents,silencieux,n’étaientpasintervenus.L’unetl’autre
avaienttoujoursétéfascinésparcetamourquiliaitMartinetLisa.Ilsnelecomprenaientpastrèsbien.Quand l’adolescent de seize ans était arrivé chez eux, il était unmur qu’ils n’avaient jamais réussi àfranchir.Ilss’étaient inquiétéspourleurfilleetavaienteupeurqueMartinlaprenneàrebrousse-poil.C’étaitl’inversequis’étaitproduit.Lisas’étaittoutdesuiteattachéeàluietcedernieravaitacceptésonaffectionenlaluirendantenretour.C’étaitunpetitmiracleinexplicable.Lisan’avaitpasenviequesonfrèreparteettentasachance.—Tuveuxbienresterdîneravecnous?
—Désolé,maisnon.—S’ilteplaît,Martin.—Non,Lisa,pascesoir.Jesuisvraimentéreintéetjen’aspirequ’àunebonnedoucheetàunlitbien
frais.—Tunevaspasmanger?—Si,untrucvitefait.—Ismaëlt’attend?—Non,chacunchezsoipourunefois.Lisasefittaquineetsonregardbrillad’espièglerie.—Ohoh,tuasassouplitesrègles?—Quellesrègles?—CellesdenepasallertropviteetdeneresteravecIsmaëlquependantvosjoursdecongé.Martinarquasessourcilsetunsourirenaquitsurseslèvres.—Jeluiaidonnémaclé,c’étaitperdud’avance!Lisaéclataderire,Martinseleva.Ilétaitrestésuffisammentlongtempsetilvoulaitpartir.Ilsedirigea
verslaporteettrouvalafemmedesonpèrel’attendantdansl’entrée.Elleluitenditunsac.—Tiens,ilfautquetumangescorrectementsituveuxpouvoirtenirlecoup.Interloqué,Martincontemplalesacquelquessecondes,avantdes’ensaisiretdemurmurerunmerci.Il
allaitdesurpriseensurpriseou,peut-être,était-ilentraind’ouvrirlesyeux.Ilnesavaitplusquoipenser.Ilquitta les lieux troisminutesplus tard,sonpèredanssonsillage,etse retintdesoupirer. Ilaurait
aimémettreuntermeàcettesoirée,rapidement,maiscedernierenavaitdécidéautrement.—As-tuprisletempsderéfléchir,Martin?Martins’interditdefaireceluiquinecomprenaitpas.Ilvalaitmieuxquecela,mêmes’ilnes’attendait
pasàcequesonpèrerelancesivitecetteconversation.—Non,pasvraiment.Unedéception sincèremarqua les traits de sonpère.Elle le déstabilisa.Martin plongea son regard
danslesienetlefixauntempsquiluiparutinfini.Sonpèrenefitrienpourcachercequ’ilressentait:ilsouffraitdeladistancedouloureusequ’ilyavaitentreeux.Cefutunerévélationpercutantequilepoussaàbaissersesbarrières.—Jet’appelledèsquej’aiunmomentdelibre.Son père hocha la tête et ses épaules se relâchèrent. Martin en éprouva de la satisfaction, une
satisfactionquiledéconcerta.Iln’avaitdécidémentpluslecontrôledesesémotions.Lelendemainmatin,MartinNolanselevatrèstôt.Ilavaitbiendormietsesentaitenpleineforme.Ilfit
son footing, se doucha et passa par une boulangerie pour acheter des viennoiseries.D’unpas leste, ilgagnal’appartementd’Ismaël.Cen’étaitpasdevainsmotsqu’illuiavaitoffertslaveille.Àcetteheure,ilyavaitpeudechancequ’ilcroisequiquecesoitet,luiaussi,possédaitlaclédechezsonamant.Ill’introduisitdanslaserrureetentraencatimini.IlvoulaitfaireunesurpriseàIsmaël.Ilposasesachatssurlatableetmitlacafetièreenmarche.Ilsedésapaetjetasesfringuessurlecanapé.Nucommeunver,ilseglissadanslelitd’Ismaël.Cedernierronronna.—Jefantasme?—Çadépend.Ilaquelletête,tonfantasme?—Ilestsuperbe,brunauxyeuxbleufoncé,avecuncorpsderêve.—Toutmoi,ça.—Ondiraitbien.Ilestquelleheure?
—Suffisammenttôtpourrattrapernotrenuitsanssexe.—Quellebonneidée!Ils se turent et Ismaël se tourna plus franchement vers Martin. Il avait les yeux cernés suite à sa
mauvaise nuit.Martin l’embrassa, son amant répondit sans temps de pause. Leurs caresses mutuellesdémarrèrentlentementetsepoursuivirentsurunmêmerythme.L’ardeurn’étaitpasaurendez-vous,ellel’étaitrarementquandc’étaitMartinquis’offraitàIsmaël.Ladouceuretlatendresseétaientcequiluiavait le plus manqué. Elles s’invitaient dans ces moments de partage, quand l’exigence passionnelled’Ismaël semaintenait en sourdine. Faire l’amour en prenant leur temps était ce qu’ils préféraient lematin.C’étaitunréveilcommeilslesaimaient,douxetdélicat.Ilssoupiraient,semurmuraientleurdésiretémettaientdesdemandesd’unevoixbasse.Lescaressessemultiplièrent,jusqu’àcequeleurbesoindepossessionprennelepouvoir.Enlacés,lescorpsimbriqués,Ismaëls’invitadansl’antreprivédeMartin.Leursrâlesdeplaisirserejoignirentetunedansefaitedelangueurdébuta.Àchaquefoisquel’und’euxse sentait proche de la jouissance, il stoppait l’autre et ils partaient dans une séance de baisersgourmands,leursmainsvoyageantsurleurscorpsmoites.Ilss’yrisquèrentplusieursfois,unsouriresurleslèvresetlesyeuxbrillants.C’étaitàquicéderaitlepremier,toutenfaisanttoutcequiétaitenleurpouvoirpourqueleurunionperdurelepluslongtempspossible.Commesouvent,àlagrandesatisfactiondeMartin,cefutIsmaëlquimontralespremierssignesdelâcher-prise.Martinattendaitcemoment,celuioùsonamants’égaraitdanslamontéeduplaisiretoùilperdait toutcontrôle.Ilsecambraetaccéléralégèrementlacadence.Ismaëlluilançaunregarddereproche,Martinretintsonrire.Ill’aimaitdeplusenplus,às’enrepaîtreetàlevouloirencoreplusintensément.Leursregardssesoudèrent,leurslèvresselièrentetMartinaccueillitlerâledejouissanced’Ismaëldanssabouche.Cederniersevengeaden’avoirpassurésisterpluslongtempsàl’intensitédesonamantenhâtantlemouvementdesamainsursonsexedur.Martinfermalesyeuxetselaissaemporter,n’offrantplusaucunerésistanceàsoncorpsdélassé.Sonorgasmefutvif,commeàchaquefoisqu’ilseretenait trop longtempsouque lessentimentsqu’ilavaitpourIsmaëlserévélaientdansleurscorpsàcorps.Merveilleusementbien,ilslaissèrentpasserunpeudetempsavantderevenirdanslaréalitédumonde.—Çasentbonlecafé.—Jesuismultitâche.—Tuasfaitdescroissants?—Nan,j’enaiacheté.—Tuesunhommeenor,Martin.—Nan,toutenmuscles.Ismaël éclata de rire. La surprise deMartin effaçait samauvaise nuit et les pensées polluantes qui
l’avaientpeuplée.Sonhommeétait solide et unepersonne surqui il pouvait compter. Il ne se laissaitjamaisvaincreparlesobstacles,lesmursoulesbifurcations.Dessolutionsexistaient,illescherchaitetles trouvait. Son entêtement démontrait un esprit borné auquel il était difficile de tenir tête. Sonobstinationétaitunevaleur sûreet sacapacitéàdonner trèsétendue. Ismaëlnepouvaitque se réjouird’avoir su dépasser les apparences et laisser ses ressentis le guider. S’il avait écouté leur entourageprofessionnelettoutcequiseracontaitsurlefroidetintransigeantNolan,ilseraitpasséàcôtédelaplusbelledesesrencontres.Qu’ilssoientamantsétaitunplusinfernal,maismêmesonamitiéousimplementsonrespectauraientvalulapeine.Lesrésistancesd’Ismaëlfaiblissaient,ainsiqueseshésitations.Ilavaitaffirméqu’ilétaitprêtàbeaucouppouravoirunechanced’êtreavecMartin,allantjusqu’àenvisagerdechangerdeserviceoudecommissariat.Pourtant,lasimplerévélationdesonhomosexualitéluiparaissaitinsurmontable.Ilnesemontraitpastrèscohérentdanssesactes.Troublé,ilrecherchalaforcedeMartinetse lovacontre lui. Ilétait tempsqu’il fassece travaild’acceptationvis-à-visdeceuxquiavaient le
pouvoirdelemalmener.
LejournaldeLouisaEmmanuelJe n’arrive pas à y croire. Il n’y a rien à faire. Je suis léthargique et les jours passent. Je vais
travailler, je m’occupe de Martin et j’ignore le reste. J’ai revêtu une armure au boulot. Il seraitdifficileàquiquecesoitdesavoirquelleestmavie.Jenesympathiseavecpersonne.Jemedoutequec’estuncapàpassermais,moietlescaps,cen’estjamaisgagnéd’avance.Je n’ai pas pu aller à l’enterrement d’Emmanuel, ou plutôt, je n’ai pas voulu. Je ne veux pas
connaîtresafamille.Ellenevoulaitpasdemoi,jeneveuxpasd’elle.Lesjourspassent…LouisLouisestparti,puisrevenu.Ilaassistéauxobsèquesd’Emmanuel,mitsesaffairesenordreetprit
unechambred’hôtelpastrèsloindechezmoi.Ilvienttouslesjours.Iladécidéd’arrêtersesétudesetilchercheuntravail.Ilneveutpasmelâcher,ilneveutpaslâcherMartin.Jesupportesaprésencedansl’indifférence.Martinl’adore.IlfautdirequeLouisfaittoutpour.Ilaimenotrefils,celuidesonmeilleurami. Ilessaiedeconsolider le liend’amitiéquiestnéentrenousalorsqu’Emmanuelétaitencore là.Jen’arrivepasàm’ôterde la têtequ’ilestceluiquim’aannoncé lamauvaisenouvelle.Rienneseraplusjamaispareil.
Louis,encoreLouisatrouvéuntravail.Iln’arienàvoiravecsesrêves,maisilditquecen’estpasimportant,
qu’ilyadesprioritésdanslavieetquenousensommesune.J’aidumalàlecomprendre.Ilnemedoitrien.Emmanuelétaitpeut-êtrecommeunfrèrepourlui,maismoi,jesuisuneétrangère.CedoitêtreMartin.Ilsesentresponsabledecetenfantet,parextension,demoi.Iladécidédeprendreenchargenotrebien-être.Jen’enaipasenvie,maisc’esttellementplusfaciledenepassesentirseulepourassumerlequotidien.Letempsqu’ilpasseavecMartinmepermetdem’isoler,depleureretdechercheruneautredouleurquecellequimemartyriselecœur.
Ledouten’estpluspermisJ’aidemandéàLouisdem’emmenersurlatombed’Emmanuel.Nousavonsfaitl’aller-retourenun
week-end.Jesuisobligéed’ycroiremaintenant.Elleétaitlà,devantmoi,avecsonnometunephotodelui,desfleurs.Jedétestelescimetières, jelesdétesteraijusqu’àlafindemavie.Quandceseramontour,jeneveuxpasqu’onmemettesousterre,avectouteslesbestiolesquiypullulent.Jeveuxqu’onbrûlemoncorpsetqu’onlejetteauxquatrevents.Jeveuxqu’ildisparaisseleplusrapidement
possibleetqu’onl’oublie.ChangementdevieLouisatrouvéunappartementplusgrand,unquatrepièces,danslequelnousavonsemménagé.Je
ne suis pas sûre que ce soit une bonne idée. Je préférerais rester seule avec Martin. Je n’ai pasl’impressiond’avoirlechoix.Monsalairen’estpasmirobolantetMartinabesoindeplusd’espace.Ici,ilaunechambreàluietmoiaussi.J’aicédéàlafacilité.Depuis, nous nous sommes installés dans une routine et vivons bizarrement. Nous sommes une
famille,maispasuncoupleavecunenfant.LouissecomportecommeunpèreavecMartinetc’estcequ’ilestentraindedevenir.J’aienviedehurler,maisjen’enaipaslaforce,alorsjelaissefaire.Jem’occupedemonfilsdu
mieuxquejepeuxetjemetstoutcequ’ilmerested’énergiepourgravirleséchelonsdansl’entrepriseoùjetravaille.Jegardeaufonddemoicedésird’autonomiequeseull’argentpeutapporter.Louismepoussedansmesretranchements.Emmanueln’apasreconnuMartin.Nousdevionslefaire
ensemble,c’estcequenousavionsprévudèsquenousaurionsétéinstallés.Onvoyaitcetactecommeuneallianceavantd’avoirlesmoyensdenousmarier.Nousaurionspulefaire,àlamairie,maisjegardais enmoi cet impératif de vouloir faire les choses correctement.Toujours cetteperfectionquiguidemeschoixetquimefaitcommettredeserreurs.Sijen’avaispasvoulupasserparl’église,avoirunebellerobe,mêmesiellen’avaitpasétéblanche,debellesfleursetunsoleilprintanier,jeseraisveuveaujourd’huietMartinseraitorphelindepère.Jesuisunefille-mèreetMartinn’apasdepère.Cesontdeséchecs.LouisveutrattrapercelaetprotégerMartin.Ilm’aproposédelereconnaîtrecommesonfils,delui
donnersonnometdecontinueràsubveniràsesbesoins.Danssalancée,ilm’aproposélemariage.Jenecomprendsvraimentrienàcethomme.Jenesaispasquoifaire.
ChoixJ’aifiniparaccepter,pourMartin.Jeneveuxpasqu’ilsoitstigmatisécommeunenfantconçuhors
mariage par une mère volage et inconséquente. Je sais que ce n’est pas ce que je suis. J’aimaisEmmanuel et il m’aimait. Nous avions des projets et ces légalisations en faisaient partie. Nousn’avons pas eu de chance. C’est la seule raison à ma situation. Il n’est pas nécessaire que cettemalchance retombe sur notre fils. Par contre, ce sera la mairie et rien que la mairie, entre deuxtémoinsetsanspersonned’autre.C’estunemascaradequejeneveuxpasrépandre.Jeferail’effortd’unsourire,pourlesdeuxamisqueLouisachoisispourêtreànoscôtés.J’auraisunetenuesimple,mais adéquate. Je mettrai les formes et ferai en sorte que ça semble aussi vrai que possible. Àl’intérieur,jeseraimorte.L’imaged’Emmanuelnemequitterapas.
DésopilantJem’appelleLouisaNolandepuishieretmonfils,MartinNolan.Cenomluivabien,jenepeuxpas
dire lecontraire.Cen’estpasmalnonpluspourmoi,mais les intentionsdeLouisrestentopaques.Nousvivonscommedesfrèresetsœurs,dansuneproximitétouterelative.Ladistancequejecréeentrenousestunmurinfranchissable.J’observesouventcethommequejenecomprendstoujourspas.Ilestbeau,trèsbeaumême,peut-êtremêmeplusquenel’étaitEmmanuel.Iladesqualitésindéniableset
l’affectionqu’ilapourMartinestremarquable.Pourtant,ilnemefaitaucuneffet.Jenepensequ’àEmmanuel.Sonimageseperdparfois,alorsquej’aidéjàoubliésavoix,etçamerendmalheureuse.Alors,jem’enfermedansmachambreetjesorstouteslesphotosquej’aidelui,denous.Jegravesonvisagedansmatête,jeleredessinedemesdoigts.Ilmemanqueplusquejenesauraisledire.J’aireprismesscarifications.Jenesuispasunefemme,maisunepauvrepetitefilleégaréedansun
mondedegrands.
CHAPITRE7Depuisdeuxsemaines,NolanetIsmaëlneseménageaientpas.Ilspassaientuntempsfouenfermésdans
cebureaudevenulequartierdutueuraprèslequelilscourraient.Ilsavaienteuunretoursurlalentilleets’échinaient à retrouver l’opticienqui l’avait fait faire.C’était une aiguille dansunebottede foin. Ilsavaientfaitletourdetousceuxdeleurville,sanssuccès,etrefilécettepisteàunedeleurcollègue.Elleétaitarrivéeàunecirconférencedeplusdecinquantekilomètresetn’avaitencoreriendéniché.LeDocavaittravaillésurlecouteauetleuravaittransmissesconclusions.Ilétaitlarge,lalamepeuépaisseetplutôtcourte.Ilsrelisaientsanscesselesnotesqu’ilsavaientprises,tantcellesquiémanaientd’euxquela retranscription des éléments fournis par Morley. Ils scrutaient les photos, passaient des minutesentièresdevant lacartedelavilleetsebaladaientdesheuresdanslesrues,à larecherchedevisagescorrespondantàceuxque le tueursemblait idolâtrerpourmieux lesabîmer. Ilsn’enpouvaientplusduvidequ’ilsavaientdevanteux.Leurmoralétaitauplusbas.Leur intimité ne valait guère mieux. Toute l’énergie qu’ils dépensaient dans leur travail ne leur
permettaitpasdesemontrerinventifspoursevoirsansrisque.Leurenquêteavaitunimpacttangiblesurleurrelation.S’ilsréussissaientàlamaintenirsansheurts–l’inverseauraitétédéplorableaveclepeudetempsqu’ilspassaientseulsensemble–iln’enétaitpasdemêmefaceàlafrustrationqu’ilsressentaient.Pourtant, malgré ce peu, ils avaient de plus en plus de mal à laisser leur boulot aux portes ducommissariat.Leurtensionétaitsous-jacenteetellelesfragilisait.BricksavaitprotégéNolanautantqu’ill’avaitpu,semettantenavantpourl’épargner,maislemanque
derésultatsavait faitdébarquer lePréfetdans leursmurs. Ilsengardaientun trèsmauvaissouvenir. Ilavaitexigéquelecommissairefasseunedéclarationàlapresseenprésencedel’inspecteurNolanetquecedernierrassurelapopulation,etdémontresadéterminationàtoutfairepourarrêtercemalade.Nolannedécolérait pasd’avoir été contraint de cette façon.Sa rage était froide et elle couvait en lui. Il luiarrivaitd’imaginersonpoingbienplacédanslafacedecebureaucratequin’étaitcapablequededonnerdesordres,avantderejoindretranquillementsespénates.Cetteallocutiondevantlesmédiasl’avaitmissouslesfeuxdelarampe.Ilbiaisaitpournepasseretrouversurleurchemin,maisc’étaitunedémarcheardue.Ilnepensaitpasqu’ilsiraientjusqu’àlesuivrechezlui,pasencore,pasceuxquisepréoccupaientexclusivement de l’enquête. Le problème était que les journaux sérieux n’étaient pas les seuls às’intéresserà l’affaire.Quelquesfeuillesdechouavaient fait leurapparitionet,poursonmalheur,sonphysique alléchant avait attiré l’œil d’une journalistequin’avait pas froid auxyeux.L’intérêt de cettedernières’étaitdéplacé.Cequ’ellevoulait,c’étaitunpapiersurcethommeaucharismeimposantetàlabeautéténébreuse.Ellevoulaitenfaireunhérosquiferaitfantasmerlesfemmeset,pourquoipas,certainshommes.Martinlaretrouvaitrégulièrementsursonpassage.Elleétaitpirequ’unesangsue.De son côté, Ismaël fulminait. Il aurait aimé remettre cette bonne femme à sa place et l’envoyer
valdinguer sur une autre planète, à desmilliers de kilomètres d’eux. Sa fatiguemorale et physique lerendaitmorose,etsonsourireétaitdevenurare.Lessoiréesetlesnuitsqu’ilpassaitsansMartinétaienttropfréquentesetlefaisaientsouffrir.Aveccettepétassequinelâchaitpassonhomme,ilsn’avaientpasle choix. La discrétion était plus que de mise, elle était vitale. Ismaël avait compris et décidé qu’ilvoulaitêtreceluiquiferaitsoncomingout,luietpersonned’autre,etqu’ilchoisiraitsonmoment.Martin
avaitraison.C’étaitleseulmoyenpourqu’illevivebien.Enattendant,Ismaëlétaitrenfrogné,etMartincoléreux.CefutIsmaëlquicraqualepremier.—J’enairas-le-bol!—Etmoidonc!—Martin,ilfauttrouverunesolution.Cederniersetournaverssonamantetlefixadroitdanslesyeux.—Pour?—J’aienviedetoietsitunefaisrienpourcalmercemanque,jevaisdevenirdingue!Encoreuneou
deuxnuitsetjeseraibonàramasseràlapetitecuillère.—Jenevauxguèremieux,maisnoussommescoincés.Tantquecetteaffaireneserapasrésolue,et
derrièrenous,nousauronslesmainsliées.—Ilyaforcémentunmoyen…Ildoitbienexisterunendroitoùnouscacher.Martin aurait aimé s’amuser de l’envie urgente qui faisait trembler la voix d’Ismaël. Il en était
incapable.Leveloutébrundesesirisavaitperdusalumière,cequiluivrillaitl’estomac.Ilavaitbesoindelajoiespontanéeetdelalégèretédesonhomme.Ellesavaientdisparuaumilieudumerdierquilesentourait. L’éloignement qu’ils s’étaient imposés ne lui permettait pas de rebondir et d’attaquer sesjournées avec une vivacité constructive. Ils étaient, l’un et l’autre, dans de perpétuels efforts et ilss’épuisaient.—Jevaisyréfléchir,promis.—…Onpourraitprendreunechambred’hôtelàquelqueskilomètres?—C’estunesolution.Sijen’entrouvepasdemeilleure,nousferonscommeça.J’aiunejournéede
congéaprès-demain,jevaisdemanderàBricksdetelibérercemêmejour.Ildevracomprendrequec’estunequestiondesurvie.Ils se firent un sourire,malgré le poids qui pesait sur leurs épaules. Ce n’était pas des conditions
idéales,ilslesavaienttouslesdeux,maisc’étaituneéclairciequ’ilauraitétéstupidedenégliger.Ce soir-là,Martin cogita un longmoment. Il avait une idée en tête, une solution qui lui paraissait
parfaite,maisqui exigeait de lui une résilience. Il fit quelques alléesvenuesdans son salon,gagna lasalledebainsetpritunedouchefraîche.Ismaëlluimanquait,soncorpsnucontrelesienluimanquait.Ilrâlaetpoussauncridelibération,ungros«putaindemerde!»sonorequirésonnadanslacabinededouche,etquiluipermitderelâcherlapression.Ilpouvaitlefaire,pourIsmaël,pourlui,poureux.Cen’étaitpassicompliquénidifficile.Sonpèrenediraitpasnon.Ilyavaitmêmedeforteschancespourqu’ilensoittrèscontent.Martinneluiavaitjamaisriendemandéetl’envisagerétaitbienunepremière.Danssoncerveauquifonctionnaitàmerveille,ilvisualisaitavecprécisiontouslesavantagesquecetteidéeoffrait.Ilpoussauntrèslourdsoupir.Onn’avaitriensansrienetlesmeilleurscadeauxétaientceuxquiexigeaientundondesoi.Unefoisdouché,Martinattrapasontéléphoneetcomposalenumérodesonpère.Laconversationdura
quelquesminutesetsonaboutissementfutsansmystère.Cederniersouhaitaitêtreprésentdanssavie,illeluidémontraitdepuissesseizeans–mêmesiMartinavaitpréférél’ignorer–etmaintenantqu’illuilaissaitquelquesespaces,illuiprouvaitquecen’étaitpasdesmotsenl’air.LesquestionsdeMartinsemultipliaientetsonincompréhensionétaitdeplusenplusvive.Ilyavaitdessecretsdontilnesavaitrien,cequeluiavaitconfirmésonpère.Martinadmettaitpar-deversluiqu’ilnesupportaitpluslesmystèresquientouraientsonenfance.
Lelendemainneleurapportaaucunenouveauté.AugranddésarroideNolanetd’Ismaël–undésarroiteintédeculpabilité–ilsserendaientcomptequesanslaparticipationdutueur,ilsn’arriveraientàrienavant longtemps. Ils avaientbesoindeplusd’élémentsàconfronteret àcroiser.Uneerreurde sapartseraitlabienvenue.Toutcequ’ilsavaientpuanalyseràpartirdesdeuxvictimesavaitétéexploité,leslieuxdescrimesne leuravaientpasapprisgrand-choseetMorley jouait laprudencedanssespropos.Depuis le début de cette enquête, ils naviguaient en terrain inconnu et dans une nuit profonde. Ilsdésespéraientdevoirapparaîtreunelueurdanscettenoirceur.
Cematin-là,IsmaëlavaitreçuuntextodeMartinluidemandantdepréparerunsacavecdesvêtements
de rechange.Le jeunehomme jubilait.Unechambred’hôtel lui faisaitde l’œil.Son seul impératif, ungrandlitdanslequelilspourraients’ébattreentoutelibertéetrattraperletempsperdu.Ilétaitenmanque,unmanqueviscéralquileportaitversl’abattement.SeulMartinpouvaitluiredonnerl’énergienécessairepourpouvoirpoursuivreleurenquêtesansylaissertropdeplumes.Enfindejournée,cedernierénonçaunepartiedesonplan.—Jevaisallerrécupérermavoiturepersonnelle.Sortonschacundenotrecôtéetattends-moidevant
l’église.Jeterécupèredansvingtminutes.Un sourire éclatant transforma le visage d’Ismaël. Il fit frissonnerMartin. Il y avait bien longtemps
qu’il n’en avait pas admiré un comme celui-là. Il se félicita intérieurement d’avoir su prendre soncourageàdeuxmains.Celavalaitlapeine,touteslespeinesdumonde.Nolansortitsanstropd’encombres.Lesmédiassemontraientplusdiscrets.Bricksavaitfiniparmettre
sonveto.Soitilsleslaissaientfaireleurboulotetillestenaitinformésdesavancées,soitilscontinuaientde leurcasser lescouilleset il se feraitmuet.Lapressesavaitquequoiqu’ilensoit, ilsnesauraientjamaistoutavantlafin.Cependant,peuétaittoujoursmieuxquerien.Ilobservarapidementlesenvirons,il y avait encore cette femme journaliste dont il devait se méfier, et se précipita vers sa voiture defonction. Ce ne fut que quand il eut démarré qu’il se relâcha. Il fit l’échange rapidement et retrouvaIsmaël là où il lui avait donné rendez-vous. Ils semirent immédiatement en route, sans un regard enarrière.—Onvaoù?—C’estunesurprise.—Elleestlointasurprise?—Deuxheuresderoute.Ismaël n’insista pas, il était trop heureux et adorait les surprises. Celles de Martin avaient sa
préférence. Il se cala un peumieux dans son siège, posa sa main sur celle de son compagnon, aveclégèreté pour ne pas l’handicaper dans le passage des vitesses, et ferma les yeux. Il vivait un de cesmomentsquilefaisaitrêver,unesensationdenormalitéévidentequiluiallaitdroitaucœur.Ilselaissaporterets’assoupit.Ilfutréveilléparuneodeurd’embruns.Martinavaitouvertlesvitresetceparfumagréableluichatouillaitlesnarines.—Onestauborddelamer?—Oui.—L’hôtelestencoreloin?—Cen’estpasunhôteletonestpresquearrivé.Ismaël contempla le paysage. Une sérénité comme il n’en avait plus connue depuis des semaines
s’invitadanssatêteetdanssoncorps.—Jesensquejevaisadorercequetumeréserves.Martintournalatêteetluifitunsourire.Ilauraitaimél’admirerquelquessecondesdeplus.Sesyeux
brillaientd’unéclatdejoieetsonteintavaitpresqueretrouvéunecouleurnormale.Seslèvrespulpeuseslesoumettaientàlatentation.Ilsegaradevantunebellemaisondetaillemoyenne.Touslesvoletsétaientfermésetuncalmeextraordinairel’entourait.Lebruitdesvaguesvenaitjusqu’àeuxetl’airpurfaillitlesfairechanceler.—Onestoù?—Danslamaisondevacancesdemonpère.— Oh, la vache ! Elle est super bien située. J’espère qu’il n’y vient pas souvent et qu’on aura
l’occasiond’yrevenir.—Dansuneannée,ilyalargementdequoifaire.—Tuesgénial,Martin.—Ilm’arrivedelepenseraussi.Terriblementamusé,Ismaëlluisautadessuset l’embrassaàpleinebouche.Ilssedégustèrentcomme
desgourmetsgourmands.—Bonjourladiscrétion!—Jem’enfiche,jesuistropheureux.IlsfirentletourdelamaisonetMartinproposaunebaladesurlaplagequisesituaitàhuitcentsmètres
delà.Ilsyrestèrentunebonneheure,àcontemplerl’océanetàéchangerpeudemots.Ilssedonnèrentcetempspourse réapproprier laconnivencequiexistaitentreeuxetécarter leurspréoccupations.À leurretour, ils échouèrent dans le canapé, ils n’avaient pas la patience de poursuivre plus loin. Ils seretrouvèrentnusplusvitequ’iln’étaitpossibledel’imagineretfondirentl’unsurl’autreavecunappétitvorace.Martinfitd’Ismaëlcequ’ilvoulutetcedernierenréclamaplusencore.Leurenviel’undel’autrebouillonnait et les rendait maladroits. De nombreux éclats de rire ponctuèrent leur avancée vers lajouissance. Leur fougue apaisée, ils reprirent tout depuis le début et Martin se laissa guider par ladouceurd’Ismaël.Longtempsplus tard, alors que la nuit était tombéedepuis unmoment, leur estomac cria famine. Ils
durentfaireaveclesmoyensdubord.Unedoucheachevadelesmettredanslesmeilleuresdispositionspossible.Parcequ’ilnesavaitpastropquellechambreprendrepourdormir,Martinsedirigeaverscellequ’il occupait, lorsqu’adolescent, il venait avec la famille de son père. Une tension inexplicable lerattrapa. Samain était très crispée lorsqu’il la posa sur la poignée. La porte ouverte, il enclencha lalumière.Dansunemême seconde, lepoidsquipesait sur son cœur s’allégea et la stupeurmarqua sestraits.Cettechambreétaitrestéelasienne,àl’identiquedecellequ’ilavaitconnue.Quelquesanciennesaffairespersonnellesétaienttoujoursàleurplace.—Tonpèret’aime,Martin.—Ondiraitbien.—Quellessonttesintentions?—Tefairel’amourdansmonlitd’adolescentenvacances.—Jesuispartant,maiscen’estpascequejetedemandais.Martinseretournaetpritlevisaged’Ismaëlentresesdeuxpaumes.Ill’embrassaavecunetendresse
folle,leregardhumided’uneémotionbouleversante.—Jevaistefairel’amourjusqu’àcequetut’endormesépuiséetnousallonsprofiteraumaximumde
cesheuresquinoussontoffertes.Dèsquej’auraiunnouveaumomentdelibre,j’appelleraimonpèreetjeluiréclameraicetteconversationqu’ildésiretantavoir.—TuvasdevenirunSage,Martin.—C’estça,etlespoulesnousmontrerontleursdentsennousfaisantdejolissourires.Couche-toidans
celitettais-toi.Jeneveuxentendrequedesgémissementsdeplaisir.
—Àtesordres,Chef!Toutcequetuveux!—Humm…jeveuxtout.—Prendstout.Il n’en fallut pas plus pour que leurs corps se rejoignent et que les déclarations d’amour se fassent
murmures.Leurnuitfuttrèscourte,aussicourtequ’ilsl’avaientvoulu.
LejournaldeLouisaQuelquesriresMartinessaiedemarcheretilesttropdrôle.Ils’agrippeàmonpantalon,seredresseetretombesur
sesfesses.Monrirelesurprendàchaquefoisetsesyeuxs’écarquillent.Ilmeregardeetmefaitungrand sourire, avant de retenter sa chance. Il fait des tentatives avec Louis aussi. Ce dernierl’encourage,lepousse,duplaisirdansleregard.Martinadoreça.Quandilréussitàtenirquelquessecondes sur ses jambes, son visage rayonne de contentement et de fierté. Ce sont des momentssimplesquimemontrentquejesaisrire.Oùmagaietés’est-elleperdue?Hier,ilatestélatexturedelapurée.MonDieu!Ilyenavaitpartout!Ilriait,libreetheureux.J’en
avais les larmesaux yeux.Est-ceque j’étais pareille à sonâge? J’avais enviedepasser l’épongederrièrelui,surchaquepetit jetdepommedeterre.Jemesuisretenuedetoutesmesforces, luttantcontrecettepulsion.JeneveuxpasqueMartinsoitcommemoi,auxaguetsdelamoindretache,delamoindresouillure,delapluspetiteimperfection.J’airéussiàm’amuseraveclui.Cen’estqu’unefoisqu’ilaétécouchéquej’aitoutbriqué,dusolauplafond.
UntunnelC’estdeplusenplusdifficile.LaprésencedeLouism’oppresse.Ilesttoutletempslà.Ilestchez
lui.Jenemesenspaschezmoi.Jeneleregardejamaiscommemonmari.Cequinouslien’estqu’unboutdepapier,unelégitimitéquej’aibêtementacceptée.Toutessestentativesversmoinereçoiventquede la froideur.Cen’estpasunevie,nipour luinipourmoi.Jenepensepasqu’il ressente lesmêmes sentiments que ceux que me portait Emmanuel, ou alors, il est dingue. Il a essayé dem’expliqueretjen’airiencompris.Ilavoulunousprotéger,jepeuxl’entendre.Maintenantquenoussommesmariésetquenousnousconnaissonsdepuisplusd’unan,ilvoudraitqu’onréussisseàvivrecommen’importequelcouple.Ilditqu’ondoitpouvoiryarriver,endiscutant,encréantuneamitiéetque, peut-être, elle débouchera sur autre chose. Je ne lui ai jamais fait de promesses. Ce n’étaitqu’unealliancedesurfaceetjenel’aijamaisvueautrement.Jerepensesouventàmesparents.Leurcoupleavaitfiniparmedéstabiliseretj’aifaitpirequ’eux.RiennenouslieavecLouis.Jenecherchemêmepasàsavoirsidesconnexionssontpossibles.Enfait,jenesaisabsolumentriendelui.
MauvaisrêvesJ’airêvéd’Emmanuel.C’étaitplusuncauchemar.Ilm’appelait,jeluimanquaisetilsesentaitseul.
J’ai voulu le rejoindre et j’ai couru vers lui. Plus j’accéléraismon allure et plus il s’éloignait. Jecriaissonnom,jehurlaisdetoutesmesforces,maisc’étaitvain,sivain.Jemesuisréveilléeennageetenpleurs.Monfilsm’aentendue,Louism’aentendue.L’uns’estmisàpleurer,l’autreaaccouru.Il
atentédemeréconforteretdemerassurer.Ilavoulumeprendredanssesbrasetjemesuismiseàtremblerdetousmesmembres.Jenevoulaispasqu’ilmetouche,pasalorsquelaperted’Emmanuelcoulaitdansmesveines.Çaauraitétécommeunedeuxièmemort.Jeluiaivociférédesortir,demelaissertranquille,demefoutrelapaix.Jeneveuxpasdelui.
JeledétesteC’estdepireenpire.Aprèsm’avoirannoncé lamortd’Emmanuel,voilàqu’ilmeprendmon fils.
Martinl’adore,littéralement.Jeneressensplusd’empathiefaceàlatendressequ’illuidonne.C’estcommes’ilmevolaitdenouveauquelqu’unquim’appartient.Jebridelaragequ’ilyaenmoi.Cettecolèrecontrelaviequimeprendtout,contrecetteviequim’atantpris.Jemetscettevindictedansmon travailenneménageantaucuneffortpourdevenir indispensable.J’enrécolte les fruitspetitàpetit.Monsalaireaaugmentéetmonpatronmeconfiedeplusenplusderesponsabilités.J’ylaissedes forces, mais je tiens férocement à occuper la meilleure position possible. C’est une ambitionétrange et je ne sais pas à quoi elle tient ni à quoi elle est rattachée. Je ne cherche pas lescompliments.Jeveuxjustemesentirensécuritéetirréprochable.Pourtant,çacouveenmoi.Jesuisdevenueincapabled’adresserlaparoleàLouisetjemecrispede
toutmonlongdèsqu’ilestavecMartin.Jevaisencorecéderàmespulsions,etleregretter,sansentenircompte.
MartinadeuxansMartinadeuxansetilesttoujoursaussibeauetadorable.Jenesavaispasqu’unenfantpouvait
êtreaussisage.Ilpoussebienetestenexcellentesanté.Ilestgaietsonregardadéjàuneprofondeurétrangequiparledesérieuxetdedétermination.Ilamarchétrèsvite, ilest trèsobstiné.Ilest trèsgâtéaussi.Jene leprivederienetLouisnonplus.Ilyauncertainéquilibredans laviequenousmenons,maisellenepourrapasdurerainsi.Ilm’arrivederéussiràprendredureculetdepenseràLouisen tantquepersonneeten tantqu’homme. Ilavingt-quatreans. Il sedépossèdedesavieenrestant avec nous. Il n’aura jamais de moi autre chose que ce qu’il a aujourd’hui. Le seul pluspourrait êtreunevéritableamitiémais,pourcela, il faudraitque jeparvienneàvoirplus loinquemontravailetmonfils.Jem’ensensincapable.Nousn’aurionspasdûnousmarieretnousn’aurionspasdûnous installerensemble. Ilauraitvécusavie,moi lamienne,etseraitvenuvoirmon filsdetempsentemps.Celaauraitétésuffisant.DonnersonnomàMartinétaitdéjàbeaucoup.
CrispationJ’aicequejevoulais:unposteplusintéressantetplusenviablefinancièrement.Unepartiedemoi
enestheureuse,cellequemesparentsontformatée.Aufonddemoi,toutaufond,ilyaunepetitefillefantasquequisesentmalheureuse.Jel’imagineparfoisquimeparle.Ellemeditquejemetrompesurquijesuisréellement.
CHAPITRE8Si leur retour au commissariat se fit d’un pas plus léger, leur sérénité ne dura pas longtemps, car
pénétrer dans le bureau de Nolan était devenu source de trop de tensions. C’était un jeudi et troissemainesavaientpassédepuislederniermeurtre.Ilsavaientdécidé,enaccordavecBricks,denerienlaisserauhasard.Àpartirdedix-huitheures,ilsfurentplusieursflicsàarpenterlesruesdelavilleetàscruterchaquepersonnequ’ilscroisaient,ciblantlaruecommerçanteetlesruellesquipullulaientdanslacité.NolanetTouzaniétaientdeceux-là.Pluslesminutespassaientetpluslapressionmontait.Rien,ilsnevoyaientriendesuspectquiauraitpulessatisfaire.Ilsgardaientaufondd’euxl’espoirqueletueursejouaitd’euxetqu’aucunevictimeneseraitretrouvéecesoir-là.Pourtant,ilsn’arrivaientpasàycroire.Leur sixième sens était en éveil et les malmenait sans pitié. Aux environs de vingt-deux heures, lanouvelle tomba : une autre victime et quelques minutes de décalage pour une confrontation avecl’assassin.CettedernièreinformationleurfutconfirméeparleDoc.Lespoliciersquiavaienttrouvélecorpsavaientratédepeuletueur.Uneragesansnoms’emparadel’inspecteurNolan.Illamasquaparlaforcedel’habitude,maiselledemeuralogéedanssesentrailles.Cetroisièmecorps,exposédelamêmefaçon,d’unefilleauxcaractéristiquessimilairesauxprécédentes,lerenditinabordablependanttoutelajournéedulendemain.SeulIsmaëlrestaàsescôtés,sanspipermot.Aprèsunevisiteàlamorguequineleur apprit rien, unpassagepar lebureaude Jordanqui leurdemandaunpeude temps, et de longuesminutesavecBricksdontlacolèreétaitvirulente,ilss’enfermèrentdansl’antredudiable.Nolanselâchadèsquelaportefutrefermée.— Putain, ce connard ne va pas nous casser les couilles plus longtemps ! On ne ressort d’ici que
lorsqu’onauratrouvéquelquechose.Il accrocha laphotodeRoxaneBerlanet l’observa leplusprofessionnellementpossible.Encoreun
visagede poupée et un corps à la jeunesse éclatante. Il fit une croix sur la carte accrochée aumur, àl’emplacementdelaruelle,etuneautresurceluidurestaurantdanslequelelletravaillait.—Ilyaforcémentunelogique,unecohérencedugenredecellesqueseulslesmaniaquespossèdent.Du
peuqu’onensait,iln’estpascapabled’agirauhasard.Ilestméthodique.Réfléchissons,merde!Ismaëlattrapaunfeutreetseplantadevantlepaperboard.— Donne-moi les noms des ruelles et celles des commerces dans lesquels elles travaillaient.
Commenceparlapremière.Il écrivit chaque mot consciencieusement, puis Nolan le rejoignit, et ils contemplèrent quelques
secondescequ’ilsavaientsouslesyeux.—Putain,onestvraimenttropcons!—Maisnon!—D’oùt’estvenuecetteidée?—Quandtuasdit«méthodique»,çaatiltédansmatête.Lesmots,placéslesunssouslesautres,étaientsansmystère.Pascaline:RuelleduParvis,salondecoiffureParadise.Urielle:RuelledesUrsulines,boutiqueChezUgo.Roxane:RuelleduRéservoir,restaurantLaRigolette.
Nolanénonçatouthautcequibourdonnaitdanssatête.—Desinitialesetdesvisages,lesdeuxliésaumotpureté.Seschoixauraientjusteàvoiravecça?—C’estbienpossible.Mêmes’ilyaautrechose,ilnedérogepasàcetterègle.Saprochainevictime
aura un prénom qui commence par E et sera déposée dans une ruelle ayant un nom portant la mêmeinitiale.—Elleserablonde,auxcheveuxlongs,jolie,avecunvisagedepoupéedeporcelaine.Elleauradix-
neufouvingtanset,àcequ’ilsemblerait,unemploidansuncommercedontl’enseignecommencera,elleaussi,parlalettreE.Ils se regardèrent : ils tenaient enfin quelque chose de solide et unmoyen de prévenir le prochain
meurtre.Ilsn’avaientpasenviedeseréjouirtropvite,maiscetteavancéelesdélestadupoidsquipesaitsurleurspoumons.Ilsrespirèrentunpeumieux.Nolanpritunerègleetunstylo.Ilfitunetentativepourrelierchaquepointtracésurlacarte,afindevoirsicelaleurapportaituneindicationsupplémentaire.Illeursemblaquenon.Peuenclinàfairedansladentelle,l’ordredeNolanfusa.— Rien ne doit sortir de cette pièce ! La moindre indiscrétion et le tueur sera en alerte. Je vais
m’occuperdefaireunerecherchevialenetsurtouteslesruellespouvantcorrespondre.—On peut aussi en faire une sur les filles dans cette tranche d’âge et portant un prénom enE. Le
recensementàlamairiedevraitnousyaider.—NousallonsavoirbesoindeJordan.—Nouspouvonsluifaireconfiance.—Cen’estpasleproblème,maissonbureauestexposé.—Tunecrois toutdemêmepasquel’undesnôtrespourrait faire labourdedes’acoquineravecla
presse?—Jenecroisrien,maisjememontreprudent.Bernardnousdétesteetilestassezstupidepournous
foutredesbâtonsdanslesroues.—Pasenjouantlaviedejeunesfillesinnocentes!—Jenepensepas,maislahainet’amèneparfoisàdevenirplusconquelamoyenne.—Ilrêvedemecasserlagueuleetdesalirtaréputation,pasdesalopernotreenquête.—Ouais,iltedémonteraitbienleportrait.Lemienaussi,ceciétantdit,maisilsaitqu’iln’aaucune
chance.—Avecmoi,si?—Non,mais ilse laisse influencerpar tastaturemoins imposante.Je te le répète,c’estunconnard
imbudelui-mêmequineregardepasplusloinquelesapparences.—Jenecracheraispassurunebonnebastonaveclui!—Tu auras peut-être ta chance. Sa fierté estmalmenée depuis desmois, il va craquer et faire une
connerie.—Mercidenepast’inquiéterpourmoi.Jen’auraispasappréciéquetumetraitescommeunepetite
chosefragileparcequejefaisquinzekilosdemoinsquetoi.—Tun’espasunepetitechosefragile.Leuréchanges’arrêta làetNolanappelaBrickspour lui fairepartde leursdécouvertes.Cedernier
montrasasatisfactiondefaçonmodérée.Cetroisièmecrimeavaitrameutélahordedejournalistesetilssquattaientdevant lesportesducommissariat.Lepréfet l’avaitdéjà appelé trois foisdepuis laveille.Biensûr,ilfélicitaNolanetTouzani,maisn’enperditpaspourautantsaminerenfrognée.Jordanfutlesuivantetacceptasansrechignerd’occuperlespénatesdeNolanpourcetravaildiscret.Il
comprenaitparfaitementetapprécialeurconfiance.
Uneheureplustard,Bricksfitunedéclarationsommaireàlapresse:ildéploraitcetroisièmemeurtreetluietsonéquipeferaienttoutpourqu’iln’yenaitpasunquatrième.L’enquêteprogressaitetilespéraitdesconclusionsrapides.Morleyfutcontacté,ilapportasacontribution.Selonlui,faireletourdespsychiatresetdeshôpitaux
psychiatriquesducoinneseraitpasvain.Ceseraitpeut-êtreuncoupd’épéedansl’eau,maisçavalaitlapeined’essayer.Laseuleénigmepourlaquelleilsseretrouvaientsanspriseétaitcelledulieuoùillestuait.Àlatombéedelanuit,quandilssedécidèrentàpartir,Nolanemportaavecluiplusieursphotocopies
duplandelaville.Ilétaitconvaincuquelasolutionétaitsousleursyeuxetqu’illeurfallaitjustetrouverlesbonstracés.Ismaëlproposades’ycolleraussietleursoiréedémarraàl’identique,chacunchezsoi.
Installé dans son canapé, Nolan se prenait la tête. Quelle connerie de devoir cogiter seul alors
qu’Ismaëlfaisaitlamêmechoseàunkilomètredelà!Ilregardal’heure,ilétaitunpeuplusdevingtetuneheures.Lesjournalistesétaientcommetoutlemonde,ilsdevaientavoirunefamilleetdormirlanuit.Ilseleva,attrapasesplansetpritlasortie.Cefutenmarchantqu’ilparcourutladistancequileséparaitdesonamant.Ilappréciaitcesbaladesquiluipermettaientdeserelaxerenrespirantàpleinspoumons.N’ayantpasprévenuIsmaël,ilfrappaàlaporte.L’étonnementplaisantdecedernierlefitsourire.—Pasdeprojetsoùnoscorpsseraientliés.Jevienspourbosseravectoi.—Çanechangerien,jesuiscontentdetevoir.—J’étaisavectoiy’amoinsdetroisheures.—Ce n’est pas pareil.UnNolan dansmon appart, c’est unNolan plus proche deMartin. Tu peux
bosseràmoitiénu,jesaisquetuaimesbien.—Lesfringuesentraventlesmouvements.—Toutàfait.UnInspecteurNolannepeutpasbosseràpoil,maisunMartinNolan,si.Martinsemitàl’aise,maisgardasonboxernoiretsontee-shirt.Ilétaitvraimentvenupourbosseret
sanudité totale luiaurait semblédéplacée. Ilsétalèrent lescartesàmême lesolet Ismaëldéposaunebièrefraîchedevantsonamant.Ilsfirentplusieursessais,chacundeleurcôté.Ilsauraientpuentendreunemouchevoler.Uneheurepassa,puislamoitiéd’uneautre,avantqu’IsmaëlnesetourneversMartin.—Tuarrivesàquelquechose?—J’aiessayéplusieurscombinaisonsetjen’airienquisauteauxyeux.Ettoi?—Riend’évidentnonplus.—Donne-moilestiensetprendlesmiens.LesilencerepritsesdroitspendantplusieursminutesetfutdenouveaucoupéparIsmaël.—Noussommesarrivésauxmêmesrésultats.—Àpeuprès.Regarde,tuasunpointderencontrelàetmoij’enaitrouvéunlà.—Lecimetière?—Ondiraitbien.Ilnetombepaspile-poilàcetendroit,maisonpeutleprendreencompte.Vuses
impératifs,ils’estunpeuprislatêtepourqueçanepassepastroploin.—C’estunepossibilité…Lecimetière…Unlieuenlienaveclamortd’unproche,commel’asuggéré
Morley?—Aucuneidée,Ismaël.C’estpeut-êtreuneattirancemalsainepourlamort.Nousironsyfaireuntour
demain.—Mestracésm’ontconduitàl’église.—J’aivu.Sic’estencoreuntaréquijoueaveclesLoisdivines,jepiqueunecrise!—Cetteprobabilitéétaitplusquetentantedèsledépart.C’estd’uncommunaffligeant,maisrienque
lemotpuretéétaitunindice.—Ouais,jesais.S’ilveuts’attaqueràtouteslesfemmesquin’arriventpasviergesdevantMonsieurle
Curépourleurmariage,ilvadevoirentuerunedizaineparjouretypassertoutesavie!—Ellessontjeunesetbelles…Jen’arriveraijamaisàmemettreàsaplaceetàentrerdanssatête.—Heureusement!Fairel’amouravecundétraquénemetentepas.—Çanousaiderait,pourtant.—LaisseçaàMorley,c’estsonjob!Lenôtre,c’estdel’arrêter.Àchacunsapartie.Martinserelevaetsemitàmarcherenlong,enlargeetentraversdanslesalon.Ilétaiténervéetavait
besoindesedéfouler. Ismaël lesuivaitdesyeuxsansbroncher.L’atmosphèreétaitpesanteetplombaitl’ambiance.— Putain,mais quelmerdier ! Troismeurtres, trois ! Et on avance à pas de fourmis ! J’en aima
claque!—L’importantc’estd’avancer,non?—Cen’estpassuffisant,bordel!—Martin…—QUOI?!Faceàsontonpleindevindicte,Ismaëlfitlechoixdel’ignoreretneréponditpas.Ilsavaientfaitla
connerie de ramener du boulot chez eux,mettant ainsi en avant ce qui les occupait déjà la plupart dutemps.Ilssevoyaientpeu,travaillaientbeaucoupetilsétaiententraindesaperl’undesseulsmomentsqu’ilspassaientensemble.Martinl’avaitprévenudecetteéventualité,maisilsemblait l’avoiroubliée.Pire encore, il ne faisait plus d’efforts pour la contrecarrer.Agacé et attristé, Ismaël se fit discret. Ilauraitaiméinverser lavapeur,maisnevoyaitpascommentfaire.Ils’emparadesplans, lespliaet lesposasurlatablebasse.Puis,tranquillement,ilgagnasasalledebains.Il s’observa dans lemiroir, il avait les traits tirés par la fatigue et le regard brillant pour lamême
raison.Martincontinuaitàfulminer,Ismaëll’entendaitàtraverslesmurs.Ilsepassalevisagesousl’eaufroideetselavalesdents.Quandilsefutrincélabouche,ilpritconsciencedusilencequil’entourait.Inquiet,ilsortit,convaincuqueMartinavaitquittéleslieux.Ilsetrompait.Cedernieravaitatterridanslecanapé, la tête entre lesmains et essayait de réguler sa respirationpour se calmer.Dès qu’il entenditIsmaël,illareleva.—Jesuisdésolé.Jemecomportecommeunabruti.—Jenediraispasça,maistumefichesleblues.Et,crois-moi,jen’aipasbesoindetonaidepourça.—Jesuissurlesnerfsetmesneuronessesontfaitlamalle.—Tunetesenspluscapabledepréservernotreespaceprivé?—Si!J’aidérapé,c’esttout.Argh!Jesavaisqueçaallaitêtrecompliqué!Ismaëlpoussaunsoupir.Cettesoiréeétaitmalbarrée,ilvalaitpeut-êtremieuxqueMartins’enaille.Il
nelesouhaitaitpourtantpas,mêmes’ilétaitdésagréable.—Martin…Cederniernelelaissapaspoursuivre.Illuitenditlesbrasetl’invitaàlerejoindre.—Vienslà.Ismaëlhésita.Ilencrevaitd’envie,maisnevoyaitpastrèsbienoùçapouvaitlesmener.—S’ilteplaît.IlcédaetvintprendreplacesurlesgenouxdeMartin.—Excuse-moi.Sesdeuxgrandesbellesmainsencadrèrentsonvisageetsaboucheseposasurlasienne.Salanguelui
caressa les lèvres et Ismaël s’amollit entre ses bras. Leur baiser s’approfondit et les ombres
s’estompèrent, pour finir par disparaître. Ismaël changea d’avis, il n’était, tout compte fait, plus utilequ’ilparte.—Tuvasrentrercheztoiouresteravecmoi?—Jenesuispasprèsd’acquérirunegrandesagesse.Situesd’accord,jevaisrester.—Çadépend.Tut’esvraimentcalmé?—Oui,c’estpassé.—Alors,reste.LeregarddeMartindevintaussiacéréqueceluid’unaigle.Ismaëlsetortillasursescuisses.—Tun’aspluspeurd’êtredémasqué?—C’estlasoirée«jefaistoutpourtecasserlemoral»ouquoi?—C’estunequestionpertinente,Ismaël.Ilyaunrisqueettulesais.—J’aiencorepeur.Jen’aiaucuneenviedesubirmoncomingout.Jepréféreraischoisirlemomentet
enêtrel’instigateur.—Tuypenses?—Souvent.—Tusais,cen’estpasimportantpourmoi.—Jesais.Tuaimesgardertessecretsettudétestesl’ingérencedanstavieprivée.—Cesontdes raisonsquimeconcernent.Si je regardede toncôté,ceque jeveux,c’estque tu te
senteslibre.Jecrois,dis-moisijemetrompe,quetuaimeraisvivreaugrandjour,tanttonhomosexualitéquetavieavecmoi.—C’estvrai,j’adoreraiça.Messeulesréticencesontàvoiravecleboulot.—Ettafamille.—Non,pasmafamille.Ellesaitetellen’apasaccepté. Iln’ya riendeplusàendire.Jevis loin
d’eux.Ceque jefais icine lesatteindrapas.Onnepeutpasrevenirenarrièreet jen’aimeraispas lefaire.Jen’aiaucunregret.—Tuleferasaumomentopportun,quandtulesentiras.Etsic’estjamais,ehbien,ceserajamais.—Jeveuxvivreavectoi,Martin.Sijenemerévèlepas,ceneserapaspossible.Les doigts deMartin se perdirent dans les boucles soyeuses d’Ismaël. Ses lèvres atterrirent sur les
siennespourunbaisertendreetdélicat.—Quandnousenseronslà,tuprendrastadécision.—Jevoudraisdéjàyêtre.—Cetteconversationestunpeuprématurée.—Tun’enaspasenvie?—Unesimpleréponseparunouiouunnonseraittrèslimitative.Unepartiedemoienaenvie,l’autre
préfèrenepasmettrelacharrueavantlesbœufs.Jen’aipasréglétousmesproblèmespersonnelsettun’aspasnonplusréglélestiens.Jepréféreraisdesbasesplussolidespourdémarrerunevieensemble.—Nossentimentssontsolides.—Cen’estpassuffisantpourseprojeterdans l’avenir.Àvingtans,ça l’estpeut-être,aucune idée,
maisàmonâge,j’aibesoindeplus.—Àt’entendre,oncroiraitquetuascinquanteans!—Jesuisincapabledevivred’amouretd’eaufraîche.Ilmefautduplusconsistant.Jevaisrésoudre
lesmystèresquientourentmanaissanceetmonenfance.De toncôté, tuvasprendreunedécision.Si tuveux que notre relation reste dans l’ombre, nous serons obligés de nous éloigner de notre ville et duboulot. Si c’est l’inverse, nous pourrons rester ici.Dans les deux cas, ce sera la concrétisation d’unedécision.Jeneferaipasleschosesàmoitié.
—C’est-à-dire?—Jenemecontenteraipasd’undéménagement rapidechez l’unouchez l’autre,oudechercherun
appartementvitefaitàtrentekilomètresd’ici.Nousachèteronsunemaisonquenousprendronsletempsdechoisir.—Tuasbesoindemonavisoutut’entapes?Martin lui fit un sourire au charme ravageur. Son regard s’illumina. Ismaël fondit comme neige au
soleil.—Tuenpensesquoi?—Qu’êtreaussibeaunedevraitpasêtrepermis.—Sic’étaitpourmedireçaquetuasposétaquestion,çan’apasbeaucoupd’intérêt.—Quetucrois!Unemaisonavectoi,choisieparnous,j’enrêveàtouteheuredujouretdelanuit.—MonDieu!Tuesvraimentcompliquéparmoment!Tunepouvaispaslediredèsledépart,plutôt
quedemefairepasserpourundictateurégoïste?—C’estplusdrôlecommeça.Martins’étira.Lapaumed’Ismaëlvoyageasursontorsemuscléetsursesabdominaux.Lecanapésur
lequelilsétaientétendusnesemblapasappropriéàcedernierpourcequ’ilavaitentête.IlseredressaetplantasonregarddansceluideMartin.—Lelitseraitmieux,non?—Jesuiscassé.Tuasraison,allonsdormir.—Quedormir?—Siçanetedérangepasd’octroyerunreposméritéauguerrierépuisé.—S’ilseréveilletôt,commeàsonhabitude,etqu’ilestenpleineforme,c’estbonpourmoi.—Ceseralecas.Ilsnerésistèrentpasausommeilet,aumatin,MartinNolantintsespromesses,commetoujours.Ilsnevirentpaspasserlestroisjourssuivants.Trèsoccupésàanticiperlaprochaineactiondutueur,
ilsneménagèrentpas leurpeine. Ilseurentplusieurs réunionsde travail,avec leDoc,avecJordanouavecMorley.RoxaneavaitunevietoutaussisimplequecellesdePascalineoud’Urielle.Lepetitamidela deuxième victime ne leur apprit rien de plus, ni celui de la troisième. Il en fut demême avec sonappartement, son téléphone, son ordi ou son lieu de travail. Le cimetière ne leur offrit pas ce qu’ilsespéraient. Il fut ratissé : ce n’était pas à cet endroit qu’il violait et tuait ses victimes. Leur seulepossibilité d’avancer résidait dans leur capacité à dénouer les arcanes du cerveau dumeurtrier et des’appuyersurlesplansqu’ilsavaientélaboréspourledevancer.
Lequatrièmemeurtresuivitlemêmeschéma.Malgréleursprécautions,ilsneréussirentpasàl’éviter.
Ilsfurentpourtantàdeuxdoigtsdeluimettrelamaindessus.Lapoliceauxaguetssurveillaitcesoir-làtouteslesruellesayantunnomcommençantparlalettreE.MartinetIsmaëlseretrouvèrentaucœurdel’action. Une voiture passa et s’arrêta dans la venelle qui était sous leur responsabilité. Ils s’enapprochèrent précautionneusement, arme au poing, alors que la portière côté passager s’ouvrait.Impatientsd’intervenirpournepaslaissertropdemargeàcetteprésencesuspecte,ilsseprécipitèrent.Devenulepointdemiredetousleshabitantsdelavilleetdesforcesdel’ordre,lemeurtriersemontraplus prudent et plus rapide qu’ils ne l’auraient souhaité. Ils n’étaient plus qu’à cinqmètres lorsqu’ilsentendirentunpoidschuter.Ilavaitjetélajeunefemmesurlebitume.Lesdeuxpoliciersaccélérèrentlepas,lavoituredémarrasurleschapeauxderoues.Nolanvisaunpneu,lemanquaettouchalajante.Lavoituredéviadesatrajectoire,maisn’enpoursuivitpasmoinssacourse.Ilsemitàcouriraprès,duplus
vitequ’illepouvait,Ismaëldanssonsillage.Unedeuxièmeballefitvolerlavitrearrièreettraversalepare-brise,lefaisantvolerenéclats.Cenefutpassuffisantpourlastopperetilsfinirentparlaperdredevue.Essoufflésetencolère,ilsfirentdemi-tourtoutenappelantdesrenforts.S’iln’avaitpaspupositionnersavictimecommeilenavaitl’habitude,ellecorrespondaitcependant
aux précédentes. Plus tard, ils apprirent que cette quatrième jeune fille portait le prénom d’Eugénie,qu’elle avait vingt ans et qu’elle travaillait dans unepetitelibrairie,«L’Enthousiasmedesmots».Quelquesdifférencesfurentcependantnotées:uneblondeuretunefinessedanslestraitsmoinsévidentes.Malgrélenombredepolicierssurlepont,letueurréussitàleuréchapper.Ildevaitconnaîtrelaville
comme sa poche. Son véhicule, repéré et signalé, fut retrouvé deux heures plus tard, complètementcarbonisé, dans un champ à trois kilomètres de la ville. Les plaques d’immatriculation avaient étéretirées.Tantqu’ilsnesauraientpasoùlemeurtrieremmenaitlesvictimespourcommettresesforfaits,ils seraient pieds et poings liés. Cette nouvellemort pesait lourd dans la balance. Ce qu’ils savaientn’avait pas suffi et, pourtant, ce n’était pas sans importance. Cependant, un élément essentiel leurmanquait.Êtrepasséssiprèsdelecoffrerlesfitpliersouslepoidsdelaculpabilitéetduressentiment.Àcausedecetéchec,uneautrejeunefemmesetrouvaitendanger.Faceàcetteréalitéetaucorpssansvied’Eugénie,NolanetIsmaëlseretrouvèrentcomplètementdéfaits.Ilssesentaientcoupablesdecettedéconfiture.
LejournaldeLouisaUnprécipiceJ’enaimarre,vraimentmarre.Chaquesoir,ilestlà.Chaquematin,ilestlà.Touslesweek-ends,il
estlà.Ilmefaittournerenbourrique.Ilnetenteplusdem’approcheretchercheàpeineàmeparler.Jenem’enplainspas.Martinaeutroisans,celaatropduré.Jenesupportepasqu’ill’appellepapa.Cemotmedéchirelesoreilles.IlappartientàEmmanuel,pasàcetusurpateur.Pourtant, ilest troptard,bientroptardpourfairemachinearrière.Touslespapiersleprouvent:Louisestsonpère.S’ilrestelà,sousmonregardoudansmonsillage, jevaiscommettreunestupidité.Emmanuelest
danstoutesmesnuits,jerêvedeluietilmerappelleàsonsouvenir.Jemeréveilleavecuneseuleidéeentête:Louisaprissaplaceetcen’estpascequejeveux.LouisaetLouis,quellerigolade!Quellestupidecoïncidence!C’estàenpleurerdedépit.Il fautque jemetteun termeà toutcela.Quevais-jebienpouvoir inventerpour le fairepartir?
SansMartinceseraitfacilemais,avecMartin,c’estpresquesansissue.
Auxgrandsmaux,lesgrandsremèdesJ’aicommiscetteâneriequimefaisaitdel’œil.J’aipréparésesvalisesetjelesaimisesdevantla
ported’entrée.Quandilestrentré,ils’eststatufiésurplace,sesyeuxallantdesmiensàsesbagages.Jeneluiaipasdonnélechoix.Soitilpartaitsansfaired’histoires,soitjefaisaisdesdémarchespourprouverqueMartinn’étaitpassonfilsetqu’ilneleseraitjamais.Jel’aimenacédecelaetdebiend’autreschosesencore.Deporterplaintepourviolencesconjugales,pourviols’illefallait,defairecourircesbruitspourqu’ilperdesontravail,denoircirsaréputationaupointdelepousseràquittercetteville.J’aiétéau-delàdecedontjemecroyaiscapable,j’aiétéinfectecommejamaisjen’auraispul’envisager,mêmedansmespirescauchemars.Jel’airegardésedésintégreretsenoyersousmesyeuxfroidsetimpitoyables.Jeluiaireprismonfils,jel’airenduàEmmanuel,sonpèrebiologique.Ilaplaidésacause,m’ademandédenepaslecouperdesonfils.JeluiaihurléqueMartinn’était
pas son fils, mais le mien, que le mien, maintenant qu’Emmanuel n’était plus là. J’ai réitéré mesmenaces.J’aijurésurtouslesDieuxettouslesdiablesquejeleferai.Je voyais bien qu’il ne comprenait rien et qu’il ne voyait pas ce qu’il avait pu faire pour se
retrouverdansunetellesituation,faceuneviragoqu’ilneconnaissaitpas.Jevoulais justequ’ilparteetqu’ilme laisse seuleavecmon fils, celuid’Emmanuel,pas le sien.
Louissemetentrenous.Ilmefaitperdrelaressemblanceévidentequ’ilyaentreluietMartin.S’ilamesyeux,toutlereste,illetientdesonpère,desonvéritablepère,pasdeceluiquiaprissaplace.Ilafiniparlefaire,partir,avecunevalisedanschaquemain.Sadouleurétaitévidente.Jelaporte
en moi tel un bloc de glace. Je n’oublierai jamais ce que je lui ai fait et j’en assumerai lesconséquences.C’étaitluioumoi.Laporterefermée,j’aivomitripesetboyauxdanslacuvettedestoilettes.Jemesuisscarifiéeplus
fortquejenel’avaisjamaisfaitetj’airegardélesangcouler.Ilmefallaitmelibérerdecettenoirceur
nouvellequiétaitdevenueunepartiedemoi.Jen’airienmangépendantplusieursjours.Jemesuispuniedecequej’avaisfait,decequejesuis,decettehorreurquej’aicommise.Jen’aiaucunregret.Lerésultatest là: jesuisseuleavecMartin.Jesaispourtantque j’aiétéabjecte.Je lereferais,sic’étaitnécessaire,etjemepunisdel’avoirfaitetd’êtresisûredepouvoirrecommencer.
PersévéranceLouisaattenduquelques jours,puis ilestrevenu.IlvoulaitvoirMartin, justecela,et l’emmener
faireuntour.Monfilsestgrognondepuissondépartet il leréclamesanscesse.Jesuissi fatiguée.Moncorpsnesuitpas.J’aiaccepté,j’étaiséreintée.J’aiprofitédecesdeuxheurespourm’enfermerdansma chambre et rêvasser sur les bonsmoments que j’ai connus avecEmmanuel. Plus le tempspasseetplusmessouvenirslerendentparfait.Jesaisquejel’idéaliseetquej’enfaisunereliqueàlaperfectiondangereuse.Celamefaitsourire;j’aimequecesoitainsi.
Louis,toujourslui,vienttouslesdeuxjoursetpassedutempsavecMartin.Leurententemebrise.Monfilsestadorableavecmoi.Ilm’aimeetmeledit.Jel’adore.Ilestcâlin,doux,magnifique.À
l’école,ilsemontresociable,attentifetattiréparlesdécouvertes.Sapremièrerentrées’estfaitesanssouci,ilestchaquejourpresséd’yaller.
J’ai faitunedemandededivorce, jeneveuxplusm’appelerNolan. J’aimeraispouvoir retirer ce
nomàMartin,maisjenesuispaségoïsteàcepoint,pasquandçaleconcerne.J’enaifaitunenfantavecunpèrevivantetjenevaispasleluiretirersurlepapierpourenfaireunorphelin.C’esttroptardpourça,bientroptard.Lorsquejemeposeetquej’acceptederegarderleschosesenface,jemedisquemavieneserapastrèslongue.L’inverseseraitétonnant.Moncorpsfiniraparlâcher,oumatêteoumoncœur.Tantquejeseraicapabledem’occuperdemonfils,jetiendrailecoup,maissiçavenaitàchanger?Louisresteraitcequ’ilyademieuxpourlui.Pourtant,jevoudraisqu’ilarrêtedevenirsanscesse.Jeneveuxplus,jenepeuxplusleregarder.Ilestdevenuledévidoirdemeshainesetdemescolèresquejegardeenchaînées.Il doit bien y avoir une solution pour qu’il s’éloigne, tout en gardant la possibilité qu’il reste
attachéàMartin,aucasoù.
CHAPITRE9Lachanceserappelad’euxtroisjoursaprèscequatrièmecrimeatroce.Lapolicièrequitravaillaitsur
lalentilledevuetrouvaunepistequiamenaNolanetIsmaëldansunevilleàsoixantekilomètresdelà.L’opticienàquiilseurentaffaireleurconfirmaqu’ilavaitunclientayantcettecorrectionoculaire,mêmesisadernièrevisiteremontaitàplusd’unan.Ilneserappelaitpasdeluietauraitétébienincapabledele décrire,mais il put leur fournir tous les renseignements qu’il avait en sa possession - un nom, unprénom,unedatedenaissanceetuneadresse-quifiguraientsursaficheclient.IlputaussileurindiquersonnumérodeSécuritéSocialeetlamutuelleàlaquelleiladhérait.Lafébrilitélesgagna.Sicethommeétaitleurassassin,ilspossédaienttouslesélémentsnécessairespourleretrouver.Avantdese lancer, ilsprirentcertainesprécautions.Si le tueurnedérogeaitpasàseshabitudes, ils
avaientdevanteuxquelquesjourspournepascommettred’erreurs.IlsconfièrentàJordanunerechercheapprofondie sur cet homme et les deux inspecteurs firent une promenade de reconnaissance dans lequartieroùilétaitcensérésider.Ilsseretrouvèrentdevantunemaisondatantdesannéessoixante-dixquine semblait pas avoir été entretenue depuis plusieurs semaines. Un panneau « à vendre » se dressaitfièrement devant le portail en bois défraîchi. Ils en firent le tour. Le jardin attenant, pas très grand,confirmaleursimpressions.Ellenesemblaitpashabitée.Ilsdurentrésisteràleurenviedepénétrerdansleslieuxetdelesvisiter.Lapatiencepouvaitsemontrerpayante.À leur retour, ils firent un débriefing avec l’informaticien. La maison avait appartenu pendant une
quarantained’annéesàunecertainemadameScheidormetelleavaitétéléguéeàuncertainFabricedumêmenom,identitédupossesseurdelalentille.Cettefemmeétaitlamèredecedernieretétaitdécédéehuitmoisplustôtd’uncancer.Sonextraitdenaissanceportaitlamention«pèreinconnu».Ilssemirentenlienaveclecentred’assurancemaladie,munisdesautorisationslégales,etenapprirentsuffisammentpourdresserunprofilcompletdutueur.Ilsfirentlepoint,tranquillementinstallésdanslebureaudeNolan.Âgédequarante-deuxans,FabriceScheidormavaittoujourshabitéavecsamèreàl’adressefigurant
danssondossierd’assurancemaladie.Elleétaitidentiqueàcelleindiquéeparl’opticien.Sesdépensesde santé étaient conséquentes. Il se rendait depuis une dizaine d’années dans un centre médico-psychologique de la ville. Traité pour des problèmes de schizophrénie, il était suivi depuis sonadolescence.Ilavaittravaillépendantdeuxanscommemanutentionnaire,àtempspartiel,devingt-et-unansàvingt-trois ans.C’était la seulepériodequigardait traced’une situationprofessionnelle.Morleyavait eude l’intuitionen soulevant cettepossibilité. Ilsprirent rendez-vouspour le lendemainavec ledirecteurducentre.Ilsnefurentquemoyennementsurprisquandcedernierleurindiquaqu’ilnes’étaitpasprésentédepuis
unmoisetdemi.Nolanfutprisd’agacement.Lesmédiasavaientsuffisammentrelayél’affairepourqu’unprofessionnel s’alerte de l’absenced’unde ses pensionnaires et s’en soucie.Qu’il soit très occupé etqu’ilait tentéplusieursfoisdele joindrepar téléphonenepouvaitsatisfaire larigueurd’uninspecteurNolan.Ilsemontrafroidetdur,directetsansconcession:silesuspects’avéraitêtreletueurdepoupéesdeporcelaine,ledirecteurauraitsapartderesponsabilité.Sacolèresous-jacentes’exprimadanssontonetdans l’ambianceplusqueglacialequ’il répandit.Ledirecteurmonta sur sesgrandschevaux.Est-cequ’ilsserendaientcomptedumétierdifficilequ’ilexerçait?Est-cequ’ilsavaientuneseulepetiteidée
desmoyensqui luiétaientdonnéspours’occuperdesesrésidents?Dumanquedepersonnelauquel ildevait faire face ? Nolan ne lâcha rien, l’attitude d’Ismaël était tout aussi explicite, même si elle setraduisaitautrement.Pluscalme,ilregardaitcethomme,levisagesombreetréprobateur.LediscoursdeNolan fut très clair. Personne ne l’avait obligé à embrasser cette profession et à prendre de tellesresponsabilités.Ilétaitsuffisammentbienplacépoursavoirquel’équilibredecethommeétaitfragileetil le connaissait depuis assez longtemps pour être capable de repérer des changements dans soncomportementoudenouvellesfêlures.Selonsesdires,iln’avaitjamaisposédeproblèmerelevantd’undésirdeviolenceincontrôlable.Sontraitementfonctionnaitparfaitement.—Ilnevousestpasvenuàl’idéeques’ilnevenaitplus,c’étaitpeut-êtreparceque,justement,ilne
prenaitplussontraitement?Vousdevezêtreaucourantquesamèreestdécédéedepuishuitmois,toutdemême!N’était-cepasellequileprenaitenchargedepuistoujours?—Si,biensûr,jesuisaucourant.Nousavonsdûmettreenplaceunsuivisuiteauxréactionsquece
décèsaprovoquées.—Bordel,maisc’estdepireenpire!Quelsuivi?—Psychologiqueetmédicamenteux.Ilarencontréplusieursfoisundeuxièmepsychiatreetiladûlui
prescriredescalmants.—Vousêtesirresponsable,Monsieur.Vousauriezdûlesignalerauxservicesdepoliceaprèsquelques
joursd’absence.Lescrimesquionteulieucesderniersmoisdansnotrevilleauraientdûvousalerter.—Écoutez, jen’avaisaucuneraisonde lefaireet jen’aipasd’obligationsencesens! Iln’estpas
hospitalisé.Ilestlibredeveniricietdesesactes.Deplus,àaucunmomentiln’adonnédesignesallantdanslesensd’unedériveaussigrave.Nousavonscherchéàlejoindre,sanssuccès,c’estvrai,maisnousavonsfaitnotreboulot.—Pasd’obligation?C’estdudélire!— Je suis désolé de vous l’apprendre, Inspecteur,mais c’est ainsi que ça fonctionne. Fabrice était
suividepuisdesannéesetilsetenaitbien.Nousn’avionsaucuneréelleraisondenousinquiéter.Furieux,Nolancoupacourtetl’informaqu’unexpertencomportementallaitsemettreenlienavecles
psychiatresquisuivaientFabriceScheidorm.L’auraquisuivitlesdeuxinspecteurs,alorsqu’ilsquittaientleslieux,avaitunparfumdesoufre.
Ilsobtinrentsansaucunedifficultél’autorisationd’unmagistratpourperquisitionnerlamaison.Ilss’y
rendirent le lendemainmatinencompagniededeux techniciensde lapolice réquisitionnésparBricks.Lesodeursqui les assaillirentdès laporteouverte les statufièrent surplace. Ils se jetèrentdes coupsd’œil, lestraitsmarquésd’unintensesérieux.Ilssavaienttousqu’ilyavaitdefortesprobabilitéspourqu’ilssoientsurleslieuxdescrimescommis.Nolanentralepremier,passal’entréeetpénétradanslapremièrepièce.Ilcherchalalumière,ellefusaetilseretrouvafaceàunbazarinnommable.Lesoldusalon,puisqu’ilfallaitl’appelerainsi,étaitjonchédecanettesdebièresetdesoda.Desboîtesdepizzacachaientlatotalitédelatablebasseet,parterre,s’amoncelaienttoutessortesd’emballagesdeplatstoutprêts.Desrestesmoisisempestaientl’endroit.Desvêtementsétaientéparpillésunpeupartout,lecanapéservait de bac à linge sale. La cuisine leur offrit un même capharnaüm. Leur surprise fut de taillelorsqu’ilsdécouvrirentunesalledebainsrutilante.Lapremièrechambresentaitlerenfermé,ellen’avaitpasétéoccupéedepuisunbonmoment.C’étaitcelled’unefemme,lamèresansaucundoute.Toutyétaitàsaplace,rienn’avaitétédérangéet,àpremièrevue,rienn’yavaitétéenlevé.Ladeuxièmechambreleurfournitcequ’ilscherchaient.Elleétaitenordre,seullelitétaitdéfait,etavaitservirécemment.Ledésordredesdrapsetlestachesdesangquilesmaculaientlesmirentmalàl’aise.C’étaitunescènedecrime.NolanetIsmaëllaissèrentfairelesexpertsetsortirent.Ilsfirentundeuxièmetour,sanséchanger
un mot, observant avec attention cet environnement inhospitalier. L’image de la chambre de FabriceScheidormrestaitgravéedansleurmémoire.CefutIsmaël,unefoisdeplus,quisedécidaàparler.—Nousl’avonstrouvé.—Nousenseronssûrsdèsquelesanalysesaurontétéfaitesetconfirmerontnossoupçons,maisoui,il
sembleraitbien.Ilnousresteàmettrelamaindessus.—Tucroisqu’ilnevientplusici?—C’estcequejepense…Allonsinterrogerlesvoisins.Ilstoquèrentchezplusieursd’entreeuxetreçurentdesinformationssimilaires.Ilsn’avaientpasvuleur
voisindepuisplusd’unesemaine,et trèspeudepuis ledécèsde samère. Il futdécrit commeétantunhommebizarre,pas trèsnet,maisnefaisantpasd’histoires. Ilavait toujoursvécusous lacoupedesamère,unefemmequitenaitlesrênesdelamaisonavecunemaindefer.Elleavaiteusonfilssurletardet,malgré son cancer, elle était âgée à samort. C’était des gens discrets qui ne semêlaient pas desaffairesdes autres etnecherchaientpas à lier connaissanceavecquiquece soit. Ilsvivaient envaseclos.Forceleurfutdeconstaterqu’aucunnefaisaitvéritablementattentionàeux.
Tard ce soir-là, ils se retrouvèrent chez Martin, impatients d’avoir les résultats des analyses
scientifiques. Ils étaient trop fébriles pour ne serait-ce qu’envisager d’aller se coucher. L’adrénalinecoulaitdansleursveines.Unefoisdeplus,l’enquêtes’invitaitdansleurespaceprivéet,cettefois,ilsenavaientparfaitementconscience.Ismaëlconfiasesinquiétudesàsonamant.—Ledénichernevapasêtrefacile.—J’enaibienpeur.Lepireseraitqu’ilaitquittélaville.—Jen’ycroispastrop.Ilétaitdépendantdesamèreetilatoujoursvécuici.Cesontsesseulspoints
derepère.—Lapaniquepeutnousameneràagirdefaçoncomplètementinhabituelle.—C’estsûr…—C’estétrangequ’ilaitmislamaisonenvente.Iln’yapasdenomd’agence.Iladûlui-mêmeplanter
lepanneau.—Ilvoulaitpeut-êtrefairecroirequ’elleétaitinhabitée.—Lesvoisinsprétendentqu’ilsnel’ontpasvudutoutdepuisunesemaine,pasplus.Nousaurionsdû
leurdemanderdepuiscombiendetempscettepancarteétaitlà.—Çan’auraitpaschangégrand-chose.—Non…Ilfautqu’onletrouverapidement.Ildoitsedouterqu’ilvaêtretraqué,ilpourraitpéterles
plombsetchangersesméthodes.Ismaëlne réponditpas,cetteconclusion luiétait suffisante.Lemoment, selon lui,étaitpropicepour
passeràautrechoseetnepasselaisserenvahir.IlselovacontreMartinetcedernierl’enlaça.Unbaisertendre échoua sur sa tempe. Il releva la tête et chercha sa bouche. Leurs lèvres se joignirent et ilss’embrassèrentamoureusement.—Etsionmettaittoutçadecôtéetqu’onallaitsecoucher?Onn’estpasobligédedormir.—Jevoisquetuastoujoursdebonnesidées.—Çam’arrive.Maindanslamain,ilsgagnèrentlachambre.Ilsfirentl’amourtendrement,commesiletempsn’existait
plus ou qu’il fallait l’occuper, se donnant lesmoyens de penser à autre chose et d’exprimer ce qu’ilsressentaientl’unpourl’autre.Petitàpetit,lesombresreculèrent,puissedissipèrent,etilnerestaplusqueleurscorpsavidesdesedéclarer.
Aupetitmatin,ilsseretrouvèrentdanslacuisinepourpartagerleurcafé,lesvisagesmarquésparlafatigue.Martinsemitàjoueravecsonportable.—Tuattendsunappel?—Non…Monpèrem’alaisséunmessagehier.Jel’aiécoutépendantquetuprenaistadouche.—Et?—Ilsemontreimpatientdediscuteravecmoi.C’estétrange.Ilatoujoursétéconstantdanssesefforts
àmaintenirunlien,maisiln’ajamaisfaitpreuved’autantd’insistance.—Maintenantquetuasdécidédel’écouter,attendreestpeut-êtredevenudifficilepourlui.—Commeunpoidsdontilvoudraitsesoulageretquisefaitpluspesantfaceàl’imminence?—Oui.—Cen’estpaslebonmoment.—Quandlevois-tucebonmoment?—Jamais.—Autantt’endébarrasser.—Etsic’étaitpirepourmoi,après?—Cen’estpasàexclure,maistuesunepersonnefranchequin’aimepaslesfaux-semblants.Quoique
soitcequ’ilatedire,ceseramieuxquelessilences.—J’aiapprisàfaireavec.—Ceseramieuxsans.—Jenesuispasconvaincu.J’aiuneangoissedanslecreuxduventre.Jefaisconfianceàmoninstinct.—Nousn’auronspasde jourdecongéavantd’avoirdébusquénotrecinglé.Ça te laisseunpeude
répit.Martinbutsoncafé,toutensongeantàcepèrequilemalmenaitdepuisdesannées.Ilnelefaisaitpas
volontairement, mais c’était une vérité indéniable. Il avait l’impression de reculer pour échapper auprécipice, tout en sentant que derrière lui un même gouffre l’attendait. Quelle chute serait la moinsterrible?Lalâchetén’étaitpasundesesdéfauts.Regarderdevantluietobserverledangerluiétaientplusfacile,malgrécetteanxiétéquinelequittaitpas.—Jevaisl’appeler,ilesttempsdemettrelepasséderrièremoi.—Tusaisquetupeuxcomptersurmoi,hein,Martin?—Oui.Leurjournéedetravailfutrécompenséepardescertitudes.Lesangretrouvésurlesdrapsétaitcelui
d’Eugénie.Ilsdevaienturgemmentretrouvercemaladeetcetteobligationfaisaitcirculerbienplusvitelesangdansleursveines.Arpenternuitetjourlavilleétaitunesolution.Ilsconnaissaientsonvisagegrâceàdesphotosfigurantdansdesdossiers,maisaussiàcellestrouvéeschezlui.Réfléchiretsemettreàsaplaceenétaituneautre.Lesdeuxcombinéslesaideraientsûrementàallerplusvite.Fortdecetteavancéebrutaledansleurenquête,MartinNolanretrouvauncertainoptimiste.Ilpoussa
sachanceetsollicitasonpèrepourunerencontre.Cederniersautasurl’occasionetiln’eutàattendrequequelquesheures.Sasoirées’annonçaitparticulièreetl’appréhensionluiserraitlestripes.Desvoilesseraientlevés,cequil’obligeraitàacceptertouteslesvéritésetàsemontreraussifrancquelesouhaitaitsonpère.Martin roulait au ralenti, à une cadence d’escargot. Il n’était pas pressé, vraiment pas. La tension
contractaitsesmusclesetilétaitsicrispéque,malgrélui,ilfaillitfairedemi-touraumoinstroisfois.Ilsegaradevantlamaisonetrestacinqbonnesminutesdansl’habitacle,larespirationcourteetsonpoulsmartelantses tempes.Lavisiondesonpère, l’attendantderrièresonportail, lepoussaàsortirpour le
rejoindre.Ils se saluèrent du bout des lèvres, aussi tendus l’un que l’autre. Martin souffla un grand coup et
observa son père.Ce dernier l’invita à entrer,mais ils restèrent à l’extérieur. Il lui en sut gré, car ilpréférait l’espace de son jardin, à l’air libre, plutôt qu’être enfermé entre quatre murs avec Lisa àproximité. Les secondes s’étirèrent dans un silence lourd de signification. Ils étaient capables de separler, ils l’avaient déjà fait,mais leurs discussions suivaient toujours unmêmemode, sur un terrainneutre.Lorsquesonpèreouvritlabouche,ilseraiditunpeuplus.—Cequej’aiàtediren’estpasfacile,Martin.Cequim’aiderait,c’estquequoiquetuéprouves,tu
melaissesfinir.—Çadémarrefort.—Jerépondraiàtoutestesquestions,dumieuxquejepourrai,maisaprès.Martinfermalesyeuxetsoufflalentement.Lamortviolentedesamère,ladésertiondesonpèreetla
méconnaissancequ’il avait des deuxn’étaient, apparemment, que les faces visibles de l’iceberg. Il seconcentrasursacapacitéànerienmontrerdesesémotionsetàlesblinder,etlesrouvritpourlesplanterdansceuxdesonpère.—Jet’écoute.Sonpèreexpiraungrandcoupetselança.— J’ai rencontré tamère alors qu’elle n’avait qu’une vingtaine d’années. Elle était proche demon
meilleur ami, Emmanuel. Nous nous connaissions depuis qu’on était gamins. Nous étions comme desfrères. À cette époque, ta mère était déjà une jeune femme à part. Elle suivait les mêmes étudesqu’Emmanuel,c’estcommeçaqu’ilssesontrencontrés.Elleétaitbelle,trèsbellemême,ettrèsdistante.Ceque j’ensaisdecetteépoque, je le tiensdemonami.Elleétait timideetsecrète.C’étaitaussiunepersonnetriste.Pourtant,quandlerirelaprenait,elleilluminaitlesenvirons.Emmanuelafiniparsavoiretcomprendrequederrièrecettetristessesecachaitunêtretorturé.Sesparentsetl’éducationqu’ilsluiavaientdonnéeontfaitd’ellecequ’elleétait.Martin se taisait. Pour l’instant, ce n’était pas trop difficile. Ce qu’il lui racontait l’intéressait. Il
mettaitenlumièrelaraisonpourlaquelleiln’avaitpasconnusesgrands-parentsmaternels.—Quandelleestpartiedechezeux,elles’estjuréedenejamaislesrevoir.Elleatenuparole.Elle
lesdétestait,ellelesafuis.Sonpèreseraclalagorge.LeregarddeMartindébordaitdequestions.Pourquoietcommentavait-elle
fuiétaientlesplusflagrantes.—Tamèreesttombéeenceintealorsquesesparentsétaiententraind’organisersonmariageavecun
hommequ’ilsavaientchoisipourelle.C’étaitdescatholiquesferventsquelareligionrendaitsévèresetintransigeants.Ilsétaienttrèsfermésetontétouffétamère.Martinvoulutparler,ilseretintàtemps.Sonpèreatermoyait.— Emmanuel… Emmanuel était le père de cet enfant. Ils étaient ensemble depuis près d’un an et
avaient des projets. Cet enfant, ils ne l’avaient pas programmé,mais ils ont accueilli la nouvelle endécidantdetoutfairepourformerunefamilleetqu’ilsoitheureux.Martinentrevitunevéritéquilefittrembler.Unesueurfroiderecouvritsapeau.Ilpritsurluipourne
passe leverets’arracher lescheveux,nes’autorisantpasà ressentirunedouleurphysiquecapablederecouvrircellequipointaitleboutdesonnezdanssoncœuretdanssatête.Toutsonfacièssefigeaetilauraitétéimpossibleàquiconquedesavoircequ’ilressentaitexactement.Lavoixdesonpèrechevrotaalorsqu’ilreprenaitsonmonologue.—Emmanuelestmortdansunaccidentdevoiturequelquessemainesaprèslanaissance.Tamèreétait
dans une situation précaire, due à leur jeune âge et aux arrangements qu’ils avaient mis en place enattendantdepouvoirêtreensemble.Lechocaétépourelleincommensurable.Martincédaàlapressionquienserraitsoncrâne.Iln’enpouvaitplusderesterstoïque.Illâchacemot
qu’ilavaitpourtantsisouventévité,avouantdanslemêmetempssonimportance.—Papa?Cedernierclignadespaupières,soncorpsdevintaussiraidequ’unbâtondebois,puisillâchatoutà
trac,sansprendreletempsderespirer,unevéritéquifitfrémirMartin.—Emmanuelétaittonpèrebiologique,jesuistonpèredevantlaloietdansmoncœur.La tête lui tournaetunenausée lui remontadans lagorge.MartinNolanétaitsonné. Il regardaitson
père,cethommeinconnu,sanslevoirvraiment.Toutétaitflouautourdelui.Ilvoulaitquetoutreprennesa place, celle qu’il connaissait et à laquelle il s’était adapté. Il préférait un père qu’il s’acharnait àrejeter,maisquiétaitlesien,plutôtqu’unpèredesubstitutionquiavaitfiniparl’abandonner.Ilnesavaitplusoùilenétait,oùétaientposéssespieds,nioùsavies’enallait.—Martin,tuesmonfils.Jet’aichoisietjet’aivoulucommetel.Riennem’yobligeait.—Pourquoi,alors,m’as-tuabandonnépendantseizeans?!— Je ne t’ai pas abandonné pendant seize ans. Je me suis occupé de toi, tant que ta mère m’y a
autorisé. Jeme suismarié avec elle, pour toi. J’ai essayé de faire de nous une famille, pour toi. J’aiéchoué.Ellem’envoulaittropetjesuisdevenuceluisurlequelellefaisaitporterlepoidsdesahaine.—Quellehaine?—Elleenavaitplusieurs.Contresesparents,contrelaviequiluiavaitprisEmmanuel,contremoiqui
luiavaisannoncélamauvaisenouvelle.Ellem’envoulaitaussidel’attachementqu’ilyavaitentrenous.Audébut,ça l’attendrissaitmais, trèsvite,elles’estsentiedépossédéeàcausede l’affectionquinousliait.Ellelevoyaitcommeunvol.Jeluienlevaisunautreamour.—Maistun’yétaispourriensi…soncompagnonétaitmort?—Non, pour rien. J’ai souffertmoi aussi de la perte de celui que je considérais comme un frère.
Louisanefonctionnaitpascommetoutlemonde.Elleétaittrèscomplexe.Parcequej’étaisceluiquiétaitvenuàsaporteluiannoncerlamortd’Emmanuel,j’étaisceluiquiétaitresponsabledesasouffrance.—C’esttordu.—Louisa avait besoin de défouloir. Le trop-plein lamettait en danger. Elle se débarrassait de ses
tensionsetdesesdouleurscommeellelepouvait.Toutlepositifquiétaitenelle,elleteledonnait.Martin entendait ce que lui disait son père, et pourtant, seule cette révélation qu’il n’avait jamais
envisagéeavaitsavéritableattention.—Tun’espasmonpère…—Si,Martin,jesuistonpère.—Lisan’estpasmasœur,mêmepasmademi-sœur…Unedouleursansnomluibrûlalesyeux.Ceconstat,bouleversant,l’acheva.Lisa,saLisa,n’étaitpas
sasœur.
LejournaldeLouisaQuestionJ’aienfineulapromotionrêvée.Attachéededirection.C’estunposteimportantquimemetàl’abri
dubesoin,ainsiquemonfils.J’aiprisdeshabitudesquimemaintiennentàdistancedesautres.Jelefaisdepuisledébutetj’aieubienraison.Mesnouvellesresponsabilités,sij’avaisététropprochedecertains,auraientétéplusdifficilesàassumersanslevoiled’autoritéquimerecouvre.C’estépuisant,maisc’estmieuxainsi.Louisestdifférentdepuisquelquetemps.Iltramequelquechose.IlvientvoirMartintoujoursaussi
souvent,depuisdeuxans,maisilmeregardedefaçonbizarre.Quepeut-ilavoirentête?RéponseJ’aieulefinmotdel’histoire.Louiss’enva!Onluiaproposéuntravailbienplusintéressantque
celuiqu’ila.Pourenprofiter,ildoitpartirunanàl’étranger.Jevaisêtredébarrasséedelui.Enunan,douzemois,j’ailargementlapossibilitédetrouverunmoyendeneplusjamaislerevoir.Martinseraàmoi, rien qu’àmoi.Encore une raisonde le détester ! Si je veux partir et qu’il perde notretrace,jevaisdevoirchangerdevilleetdetravail.Toutescesannéespourréussiretrecommenceràzéro.C’estencoredesafaute!
NouvellefuiteIl n’y a pas trente-sixmoyensde s’échapper. Il faut le faire vite, sans se retourner et aller droit
devantsoi.Lesseuls impératifs :un travail,un toitet faireprofilbas.Jesuisdouéepourcela.Maseule inquiétude : Martin s’appelle Nolan et je ne suis pas prête à le déposséder de ce nom sichèrementacquis.J’enassumerailesconséquences,encore,s’ils’avéraitqu’ilnousportepréjudice.Quelfoutoir!Ilm’arrived’envouloiràEmmanuelquin’yestpourtantpourrien.Iln’apaschoisidemourir.Jenedoispasmetromperdecible.
NouveaudépartUnnouvel emploi, aumême niveau de compétence que le premier, un nouvel appartement et une
nouvellevie.Toulouseestunevilleassezgrandepourqu’onm’yperde,sanspourautantêtreimmense.C’estaussiunebellecité.Jem’ysensbien.Martinaeuunpeudemalavecsanouvelleécole,maiscelan’apasdurélongtemps.Ils’adaptefacilement.Audébut,ilmeparlaitbeaucoupdeLouis.Aufildes mois, ses demandes et ses questions ont disparu. Il aura bientôt six ans, c’est un beau petitbonhomme.
QuelquesmoisdeplusUnanapassé,Louisadûrentrer.Monanxiétéafaitsaréapparition.C’estunhommedéterminéqui
donnedelavaleurauxresponsabilitésqu’ilpensedevoirassumer.Ilmepaieunepensionalimentairedepuisquejel’aimisdehors.Unechosedeplusàlaquelleiln’étaitpasobligé.Seschèquesdoivents’amonceler dans la boîte aux lettres. J’ai utilisé mon deuxième prénom pour tous les servicesadministratifsquil’ontbienvoulu.Pourlesautres,j’aiexigéqu’ilsnemettentquel’initiale.JesuisEstherouL.Esther.C’estunmaigrecamouflagepourunhommerésoluàtout,unpèresurtout.Rienn’yferajamais,jel’ailudanssesyeux:ilconsidèreMartincommesonfils.
CeladevaitarriverIl luiaura fallupresquedeuxans, c’est sipeu.Sipeupour se sentir enpaixet tranquille. Jene
regrette vraiment pasmesmenaces.Elles le tiennent à distance efficacement.Martin est encore unenfant.Peut-êtrequ’un jour, ilme tournera ledospourallervers lui. Je saisqueLouisattend sonheure.Pourl’instant,Martinestavecmoi,rienqu’avecmoi.Ilressembledeplusenplusàsonpère.Je l’ai surpris plusd’une fois à l’observerde loin et les chèques se sont remisà tomber chaque
débutdemois.Jenelesutilisepas,jen’enaipasbesoin.JelesdéposesuruncompteépargnepourMartin,pourplustard.Onnepeutpassavoircequelavienousréserve.Ilpourraitavoirbesoindecetargentunjour.Ilm’arrived’avoirenviedecéder,delelaisserl’approcher,maiscelanedurepaslongtemps.Jeme
souviensàquelpointjenelesupportaisplus,àquelpointjemesentaismaldelevoirtoutletempsavecnous.J’aipeurdecettejalousiequimedévoraitetdevoirrevenircesreprochessivirulentsliésàlamortd’Emmanuel.J’aipeurdenepasréussiràmemaintenirdanscesemblantdesérénitéquej’aiapprivoisédepuisdeuxans.Je sais, je le sais avec une clairvoyance effrayante :madésespérance est la cause demes actes
mutilants.Jenepeuxpluslesmettresurlecompted’uneadolescencetortueuse.Jesuisuneadulteetunemère.
MonfilsMartinpoussecommeunchampignon.Ilseraplusgrandqu’Emmanuels’ilnes’arrêtepas.Ilest
solide,sérieuxetpersévérant.C’estunenfantintelligentquiréussitbienàl’école.Ilmeparlepeudesesamis,etdemoinsenmoins.Ilestvraiquepersonnenevientcheznous,jel’aivouluainsi.Ilaunesensibilité fine.Parfois, je sens son regard peser surmoi, ilm’observe. Il a cette intensité dans leregardqu’ilavaitdèslanaissance.Iln’avaitpasuneheurequej’avaisdéjàenviedeluidired’arrêterderéfléchir,qu’ilauraitbienletempspourcela.Danscesmoments-là,monsourireestmonarme.Jeleluioffresansréticenceetjeleprendsdansmesbras.J’aimenoscâlins.Monfilsesttrèsaffectueux.
CHAPITRE10Martinétaitabasourdi.Ilsemitdebout,fitdeuxpas,chancelaetsefigea.Illevalatête.Lanuitétait
tombée,ilsefaisaittard,etdanslecielnoirbrillaientdesmilliersd’étoiles.C’étaitdepetitesétincellesdevie,bellesetapaisantes.Illesobservaquelquessecondes,puistournasonregardverslaprésenceàsescôtés.Sonpèrel’avaitrejointetl’observaitavecuneintensitéprochedelacolère.—Lisaesttasœuretjet’interdisd’affirmerlecontraire!Ellel’estdepuissanaissanceetlarelation
quevousavezleprouve.Martinneréponditpas.Danssoncœur,c’étaitunevéritéqu’ilnepouvaitpasnier.Seulsoncerveause
démenaitaveccetteidée.—Ettoi,oùtutesituesdanstoutcemerdier?—Moi,jesuistonpère!Jeveuxbienendiscuteravectoi,tupeuxmerejeter,sic’estcequetuveux,
maisencequimeconcerne,jeresteraitonpèrejusqu’àmamort.—Oùsontcesseizeannéesoùjenet’aipasvu?!— Ta mémoire a oublié tes souvenirs d’enfant, Martin. Je suis resté physiquement proche de toi
jusqu’àtescinqans.—Etaprès?—Après,j’aipasséuntempsfouàterechercher,puisàtefairerechercher.—Jenecomprendspas.—Lorsquej’aidécidédeteprendreencharge,ainsiquetamère,jen’avaisquevingt-et-unans.J’ai
arrêtémesétudesetj’aicherchéuntravailpoursubveniràvosbesoins.J’étaisunsimpleouvrierdanslebâtiment.Quand tu as eu cinq ans, uneopportunité professionnellem’a été donnéemais, pour cela, jedevais partir un an sur un chantier à l’étranger. J’ai pensé que je devais saisirma chance.Avec unemeilleuresituation,jedevenaisplusàmêmed’êtreàlahauteur.Jevoulaiscequ’ilyademieuxpourtoi,je voulais avoir lesmoyens de te l’offrir.Cela a été difficile de partir,mais je pensais vraiment quej’agissaispourlemieux.Jen’auraisjamaisimaginéquetamèremettraitlesvoiles.—Elleestpartieavecmoisanstedireoùelleallait?—Oui.Ellenerépondaitpasàmeslettres,cequinem’étonnaitpas,ettuétaistroppetitpourlefaire.
Àsademande,nousavionsdivorcéetelleavaitreprissonnomdejeunefille.Tuportaistoujourslemien,maisquandonestunepersonneordinaire,sansrelations,ilesttrèsdifficilederetrouverquelqu’unquinelesouhaitepasetquifaittoutpoureffacersestraces.Martinfaisaittoutcequ’ilpouvaitpourtrierlesinformationsqu’ilrecevaitenpleineface.Illuiétait
difficilederesterobjectifetrationnelalorsquesesémotionslemalmenaientdetoutesparts.—Tuasfiniparnousretrouver.—Oui,danscettevillequi étaitdevenue la sienne.Seul, jen’yarrivaispas. J’ai appelé jene sais
combiend’écoles,villeaprèsville,pourteretrouver.Jemesuisheurtéàdesmurs.J’étaisrentrédepuisunanquandjemesuisdécidéàengagerundétectiveprivé.—Quoi?— Je cherchais mon fils,Martin, et j’étais déterminé à te retrouver. Il a mis trois mois… J’ai dû
prendremilleprécautionspournepaslafairefuirdenouveau.J’aicherchéunnouveautravail,jemesuis
installé là où tuvivais et je t’ai observéde loin…Tuavais grandi et j’avais raté ces années. J’en aitellementvouluàtamère...Dèsquemasituationmel’apermis,jesuisallélavoir.J’étaisrésoluàfairetairesespeurs, jemesuismontrétrèsconciliant.Ellenevoulaitpasdemoidansvosvies,c’était trèscompliqué.J’aiprismonmalenpatience,jepréféraiattendrequetugrandissesetquetupuissesfairetespropreschoix,plutôtquedeteperdredenouveau.Jenesauraijamaissij’aieutortouraison.—Puis,Mamanestmorte…J’avaisseizeans,tuauraispum’approcheravant.— J’aurais pu, mais tu étais proche de ta majorité. Je ne voulais pas tout gâcher… Tamère était
émotionnellementtrèsfragile.Unrienpouvaitlafairebasculer.—As-tupenséunseulinstantquej’avaispeut-êtrebesoind’êtreprotégéd’elle?!—Évidemment!Ellet’aimaitplusquetout,ellenet’auraitjamaisfaitdemal.—Ellem’enafait !Jen’avaisquedouzeans lorsqu’elles’estcomplètementcoupéedumonde,des
autres,demoi.J’aipasséquatreannéesàavoirpeurdecequiafinipararriver!—J’en suisdésolé,Martin.Plusque tune le sauras jamais. J’ai faitdenombreuses tentativespour
l’assouplir,rienn’yafait.Martinsentitsacolèremonter.Cen’étaitquedesmots,desmotsvidesdesens.Ilessayavainementde
semettreàsaplace,toutenimaginantsamèreenface.L’échecfutcuisant.—Situétaismonpère,tuavaisdesdroits!—Desdroitsquetamèreétaitprêteàm’enlever!Sonpèreétaitàdeuxdoigtsdes’énerver,toutcommelui.Illelisaitdanssesyeuxets’ensatisfaisait.
Martinavaitbesoind’unexutoireàsessentimentssivirulents.Ilnesavaitpluss’ilétaitunhommefait,unenfantperduouunadolescentenpleinerébellion.—Onneretirepassesdroitsàunpèreaussifacilement!—Jenevoulaispasprendrelerisque.Emmanueln’avaitpaseuletempsdetereconnaître.Elleétait
contentequetuportesmonnomàlaplaced’unvideàlamention«père»,maisellenevoulaitpasquejesoisplusqueça.Ellem’amenacédespireschoses.Jet’auraisperdupourdebon.—Quelleschoses?!Sonpèrereculaetsefrottalesyeux.Samains’égaradanssescheveux.—Jen’aijamaisvoulutediredumaldetamèreetjen’enaipasplusenvieaujourd’hui…Lorsque
j’aividésonappartement,j’aitouttriéetj’aigardéquelquesobjetspersonnels.Jemesuisditqu’unjour,peut-être,tuseraisheureuxdelesavoir.Tamèretenaitunjournalintime.Toutoupresqueestdedans.Jecrois que le mieux est que tu le lises. Après, tu pourras me juger si le cœur t’en dit. Je n’ai qu’unargumentpourmadéfense : j’ai faitcequimesemblait lemieuxparceque je t’aimeetque jevoulaisgarderunechancedeconstruireunevraierelationavecmonfils,avectoi.—Unjournal,elletenaitunjournal?Jenel’aijamaisvueécrire.—Jevaisallertelechercher.Martinregardasonpères’éloigner.Ilétaittrèsconfus.Lepasséétaitsiprésent,avecsesombresetses
noirceurs,sespeinesetsesdouleurs.Ilavaitl’impressiond’êtrerevenuenarrière,àcetteépoquepassilointaineoùilneconnaissaitpasIsmaël.C’étaittrèsdéstabilisant.—Tiens,ilestàtoi.Martinpritlecahier,sisemblableàceuxqu’ilavaitlui-mêmecouvertsdemots.C’étaitunlienquile
perturbaitunpeuplus.—Unconseil,cependant.Lis-ledansunmomentdecalme,pasdansundeceuxoùtuessouspression.—C’estàcepoint-là?—Tamèreavaitdesfêluresprofondes.—Tul’aslu?
—Oui.J’avaismoiaussibesoindecomprendre.J’aiunevisionplus justedeschoses,maisde lààcomprendre…Martin se retourna, prêt à partir. Il en savait suffisamment pour perdre le sommeil pendant de
nombreusesnuits.Commesisonenquêten’étaitdéjàpassuffisante!—J’attendsquetum’appelles,Martin.Sacolère refit surface.Ellebalaya tout sur sonpassage. Il fit denouveau faceà sonpère, lesyeux
brillantsderage.—Tun’enaspasmarredepassertavieàattendre?!—Si,àm’enrendremaladeetàmefaireundeuxièmeulcère.J’espèrequeceseramadernièreattente,
Martin,etqueceseratoiquiymettrasfin.—Queveux-tudemoi?—Jeveuxretrouvermonfils,celuiquim’acomblépendantlescinqpremièresannéesdesavie.Bien
sûr,tuesunhommemaintenant,alorspourlesLego,c’estfoutu.Jeveuxfairepartiedetavie,Martin,quetu viennes déjeuner à la maison, que tu passes de temps en temps pour discuter avec moi. Je veuxrencontrertoncompagnon,vousavoirànotretableàNoël,pouvoirtesouhaiterunbonanniversairesansavoirpeurquetum’envoiesbalader.Jeveuxmonfils!Martinétaitbouleversé.Dans les tréfondsde sonâme, làoù sesdésirs avaientungoûtdepuretéet
d’innocence, il souhaitait lamêmechose.Cepèrequi le réclamait, qui levoulait telun filsnormal etaimant,lechamboulaitplusquederaison.Soncœurbattaitdanssapoitrine,sesmainsétaientmoitesetsesyeuxhumides.Iltremblaitlégèrement.—Jevaislirelejournaldemamère.Je…jenetelaisseraipassansnouvelles.Avecl’enquêteque
j’aisurlesbras,jesuispasmaloccupéetstressé.Avecunpeudechance,nousallonsbientôtenvoirlebout.Elleestmapriorité,maisjetemetsenseconddansmonplanningderéjouissances.—Jen’enattendaispasmoinsdetoi.Occupe-toid’arrêtercesalaudetfaisensortequ’iln’yaitpas
d’autrevictime.Jesaispouvoirtefaireconfiance.Tuesunedemesfiertés,Martin,autantquel’estLisa.Martincrutuninstantqu’iln’allaitpasréussiràretenirseslarmes.Ilenfutsuffisammentmortifiépour
lesmainteniràl’orée.Ilfitunsigned’aurevoiràsonpèreetgagnasavoiture.Illaregardadixbrèvessecondesets’enécarta.Ilpartitàpied,ilavaitbesoinderespireretdesedéfouler.Ilsemitàcourir,d’abordàunealluremodérée,puisunpeuplusvite.Iltrouvaunecadencequisoulageasoncorpstendu.Sespoumonsselibérèrent,sonsangpulsad’unemanièrebienplussupportable.Ilserelâcha.
Ismaël faisait les cent pas dans son appartement. Le temps lui semblait long, bien trop long. Ils ne
s’étaientpaspromisdesevoir,maisc’étaituneconstantequandl’und’euxvivaitunmomentdifficile.LarencontredeMartinavecsonpèrenepouvaitserangerquedanscetteboîte,quoiquecedernieraitàluidire.Cesujetétaittropsensiblepoursonamant,ilétaitimpossiblequ’ilenfûtautrement.Ilregardasonportable, aucun message. Il grinça des dents. Martin pouvait se montrer si têtu et vindicatif. Si lesrévélationsquiluiavaientétéfaitesétaienttroppourlui,ilpouvaitavoirdécidédes’enfermerdanssatourd’ivoire. Ismaëlne le supporteraitpas.Toutcequ’ilspartageaient, toutcequ’il savait sur lui,nepouvaitlesameneràfairedespasderecul.Ilserralespoings.SiMartinNolanavaitbesoindecoupsdepiedauxfesses,illeferait.Ilpréféraitlargements’enoccuperd’uneautrefaçon,maissic’étaitlaseulesolution,ils’ycollerait.Despasrésonnèrentdanslecouloirquimenaitàsonappartement.Ilsefigeasurplaceet lesécouta
prendredel’ampleuràmesurequ’ilss’approchaient.Ilretintsonsouffle.SiMartinvenaitàluicesoir,savisiondel’avenirenseraitagrandie.Ilpourraitlâcherlabrideàsesespoirsetenfairedesprojets.Lesmartèlementsdesonpoulsenvahirentsestempes.Ilfermalesyeux,troischocsrapidessursaporte
lesluifirentrouvrir.Legrincementdesgondsluidonnaunsecondsouffle.Ce fut un Martin brillant de sueur qui entra dans son salon. Sa peau luisait et des auréoles de
transpirationmarquaientsontee-shirtgrisclair.Ilrespiraitparsaccades.—Tuasfaitunmarathon?—Nan,unedizainedekilomètres.—Dixkilomètres!Putain,jecomprendsmieuxl’heurequ’ilest!Tuétaissiénervé?—Nan,justeentraindedérailler.Martin s’approcha d’Ismaël, lui fit face et crocheta sa nuque. Son regard flamboyait d’une passion
sauvage.Elleserépercutadanslebaiserfarouchequ’illuiimposa.Ils’accaparasabouchesanssubtilité,sel’appropriaetmélangealeurslanguesavecenthousiasme.Ismaëlsecollaàlui,l’encercladesesbrasetrespirasonodeurmâle.QuandMartinmitfinàcebaiserravageur,Ismaëlavaitperdulaplupartdesesrepères.—Fais-moipenseràremerciertonpère.Tuasréussiàmefairegrimperauxrideauxsansmetoucher.—Désolé,maisj’espèreneplusjamaisavoirunetellediscussion.—C’étaitsiterrible?Martinreculaetselaissatombercommeunpoidsmortdanslecanapé.Ilpoussaunprofondsoupir.Il
n’étaitpassûrdevouloirenparlerdèsmaintenantet,pourtant,cettepesanteurqu’ilavaitsurlapoitrineluifaisaitmal.Ilregardasonhomme,admirasastatureéléganteetplongeadanssonregardvelouté.—Vienslà.Ismaëlseruadanssesbrasetposasatêtesursapoitrine,àl’endroitexactdesoncœur.Ilbattaitviteet
fort.LamaindeMartinseperditdanssesboucles,ilronronnadeplaisir.—Tuespluslangoureuxqu’unchat.Tasensualitémerendfou.—Humm…Plussexyquetoi,çan’existepas.—Onfaitlapaire.—Unebellepaire…Martin,tuvasmeraconter?—J’enaibienpeur.—Tuveuxmefairefuir?—Nan,tunefuiraspas.Cequejet’airacontésurmamèreestbienpire…Merdealors!C’estaussi
vraiquepossible!Lepoidss’allégeadanssapoitrine.Cettevéritétombaitaubonmoment.Ilnepouvaitpasvivrepire
que cemoment où il l’avait découverte baignant dans son sang.D’autres douleurs aussi intenses, oui,maispascettehorreurquilehanteraitjusqu’àlafindesesjours.—Monpèren’estpasmonpère.Ismaëlseredressavivement,cognantdanslamanœuvresonfrontàlamâchoiredeMartin.—Hein?Quoi?—Inutiledem’assommer,jelesuisdéjà.—Martin!—Monpère,celuiquej’aitoujoursprispourtel,n’estpasmonpèrebiologique.—Cen’estpastonvraipère?—Ehbien,pasdanslesensoùtul’entends…Ohputain!C’estlebordeldansmatête!Martin raconta à Ismaël tout ce que son père lui avait dit. En le faisant, il se retrouva à trier et à
analyserlesfaits.L’émotionnelreflua.—Il temanquedesdonnées,mais il sembleévidentqu’il teconsidèrecommeson filsetqu’ilveut
toujoursquetulesois.—Ondiraitbien…maistoutdemême,onn’apaslemêmesang.
—Lesliensdesangsontimportants,maiscenesontpaslesseuls…Siunjourj’aiunenfant,ilyadefortes chances pour qu’il ne soit pas de moi. Est-ce que ça veut dire que je l’aimerais moins ?Certainementpas!—Dequoituparles,là?—Depaternité.—Tuveuxdesenfants?!—Pourquoipas?Jesuishomo,cequineveutpasdirequejesuisinapteàêtreunbonpère!—Ne raconte pas de conneries, Ismaël. Bien sûr que tu peux être un bon père. Ce n’était pas la
question.—C’étaitquoilaquestion?—Tuasréponduàlapremière.Tuveuxdesenfants.—Etladeuxième?—Avecqui?Ismaël partit dans un fou rire incoercible. Des larmes lui montèrent aux yeux. Toute la tension
provoquéepar cette conversation et queMartin avait amenée avec lui se libéra dans ce rire impulsif.Martinneputretenirunsouriredevantlevisageruisselantdesonamantetsesyeuxétincelantsdegaieté.—Maquestionestpertinente!—Oh,ellel’est,c’estsûr…Jen’aipasréfléchiplusloin,Martin.Jesaisjustequesic’estpossible,
j’aimeraisbien,unjour.Avecqui?Aucuneidée.Desparentsquiaurontlabonnefortunedemefairecedon?—Ismaël!Sonrirerepartit.Engénéral,c’étaitplutôtluiquirappelaitainsiMartinàl’ordre.—Avectoi,ceseraitparfait,idéal.—Desenfantsavecmoi?T’esdingue!—Martin,jet’aime.Avecquivoudrais-tuquejeveuillevivreunetelleexpérience?Martinrestamuetunelongueminute,elles’étiradansletemps.—Onparlaitdemonpèreetdemoi.Legamin,c’estmoi!—Difficileàimaginerlorsquejeteregarde.Jepasseraispourunpervers.—Abruti!Jevaismedoucher,çameferadubien.Enattendant,reprendsplacedanslaréalité,s’ilte
plaît.Ilselevaetpritladirectiondelasalledebains.Ilfutstoppénetparlaquestiond’Ismaël.—Tuvasfairequoi,Martin?—Réfléchirleplusobjectivementpossible.Jevaiscommencerparlirelejournaldemamère.—Tuvaslaisserunechanceàtonpère?—Monpère…Cequ’ilveutavecmoiafaitéchoàcequejecachedepuisdesannées.Sitoutcequ’il
m’aditestvrai,alorsilestceluiquiaétéetestmonpère.Sanscettecolèrequej’aienmoi,sanscesombresquimebouffentlavie,jeseraispeut-êtrecapabledelevoirpourcequ’ilest.—Jesuisheureux,Martin.—Heureux?—Tumefaisconfiance,aupointdenerienmecacherdecequetues,decequiestentoi.Jecrois
pouvoiraffirmerquejesuisleseulàquitumontrestesdoutes,tespeursettesfragilités.—Tuesleseul.Ismaël inclina la tête et lui offrit un sourire d’une grande tendresse. Ses irismiroitaient de l’amour
qu’ilavaitpourMartin.Cedernierluirenditunregardàl’expressionsimilaireavantdeluitournerledosetdepoursuivresonchemin.Ismaëlquittalecanapéetserenditdanssachambreoùilsedéshabilla.Ilse
couchadans lesdrapsfraisetattenditsonamant.Unepartiede luin’enrevenaitpas,vraimentpas,ducouplequ’ilformaitavecMartinNolan.Cettemêmeparts’étonnaitdelarichesseplurielledecethomme.Sessecretscachaientunegénérositésanslimites,francheetloyale,quilelaissaitpantois.Cen’étaitpaslapremièrefoisqu’ilsesentaitétourdiparcettechancequiétaitlasienne,celled’avoirsu,ilnesavaitcomment,capturerlecœurd’untelhomme.
LejournaldeLouisaChangementsMartingrandit,Louisestuneombreetjecroulesouslepoidsdemavie.Jesuissilasse.J’aiopérédeschangementsàmontravail.Jememontraisrigide,jelesuisencoreplus.Cequeje
m’imposemetueàpetitfeu.Monpatronm’afaitdesavances.J’aicruquej’allaisvomiràsespieds.Lanauséem’estremontéedanslagorgeetjenesaispascommentj’aifaitpourresterdemarbre,etnerienmontrerdemondégoût.Cen’estpasl’hommeentantquetel,iln’arienderepoussant,maiscetteidéed’autresmainsquecellesd’Emmanuelposéessurmoi.J’aifaitceteffort,dontjesuissifière,deluirépondreun«non»simpleet froid, sans récrimination,niparaître choquée.Depuis, je suisuneemployéeplusparfaiteque jene l’étaisdéjàet j’airéglémes journéesde façondrastique.J’arrivetouslesjoursàhuitheurespile,pasuneminutedeplus,pasuneminutedemoins.Jefaisunpeuplusdehuitheuresdetravail,celamesemblenormalparrapportàmonposte,enfaireunpeuplusquelesautres, que j’entrecoupe d’une demi-heure de pause. Je la passe à rêvasser, enfermée dans monbureau.Jeparsàdix-septheurestrente,niunpeuavantniunpeuaprès.Mamiseatoujoursétédesplussobresetdespluscorrectes.Jegardeenpermanencemescheveuxattachésenunchignonserréquimefilemalaucrâne.Monmaquillageestléger,trèsléger,jenepeuxpassupportercepoidssurmapeau.Cesderniers temps, jeme regarde souventdans laglace. Jen’aiplus rienàvoiravec lagamineenrobeblanchequiserendaitchaquedimancheàlamesseavecsesparents.Pourtant,jelaretrouve dans ces costumes quime servent d’armure. Cette analogieme fait les détester. J’en suisarrivéeàunpointoùjenepeuxlestolérerqu’entrelesquatremursdel’entreprise.
CHAPITRE11NolanetIsmaëlfixaientleplandelaville.Deuxnouveauxpointsavaientrejointlesautres,celuidela
ruelleEspéranceoùilsavaienttrouvéEugénie,etceluidelamaisondeFabriceScheidorm.Nolanposasondoigtsurl’unedesmarques.—Ilrestedansunpérimètrequientourelecimetière.Ilestassezlargemais,regarde,ilenestpresque
lecentre.—C’estuneévidencequ’ilestdevenudifficiledemanquer…Tucroisqu’ilsquatteundestombeaux?— Il y en a quelques-uns qui pourraient lui rendre ce service… Un peu glauque comme lieu de
résidence.—Jepassemontour…L’églisen’estpastrèsloin.—Aussi.JevaisvoiravecBrickspourquelecimetièresoitrefouilléetquedespatrouillespassent
régulièrement.Planquerseraitunebonneoption,maisnousn’avonspasassezd’hommes.—Onpourraits’ycollerensoirée.—Lesheuresqu’ilchoisitpourtuersesvictimesetlesdéposerdansuneruellepourraientvouloirdire
qu’il n’est pas un couche-tard.Si samère était dugenre cheftaine de scouts, elle a dû lui imposer unrythme de vie avec des horaires réguliers. C’est le genre de type qui a besoin de cadres et de lesrespecteràlalettre.Ilaperduunepartiedesesrepères,ildoits’accrocheràceuxquiluirestent.—L’égliseadeshorairesdefermeture?—Aucuneidée.Pourquoi?— Je ne sais pas si tu as remarquémais, dans la chambre de samère, il y avait un crucifix plutôt
imposantaccrochéau-dessusdesonlit.Ilyavaitaussiunebiblesursatabledenuit.C’étaitunecroyantefervente,apparemment.Sonfilsadûybaigner.—J’aivu.Çaneveutpasforcémentdiregrand-chose,maistuasraison,rendrevisiteaucurépourrait
nousapporterquelquesdonnéessupplémentaires.—Peut-être.Lescurés,c’estpirequelesmédecinsoulesflics,leurslèvressontscellées.Lesecretde
laconfessionaplusd’importancequelesvictimes.—Tuesdur,là!Oncroiraitquec’estmoiquiparle!—Tamauvaiseinfluence,certainement.—Benvoyons!Ilssefirentunsourireetseretrouvèrentdansundecesmomentsoùlesgestesintimesontuneterrible
enviedes’exprimer.Lesreteniretleschasserdeleurespritétaientdeplusenplusdifficile.Celan’auraitétéqu’unecaressesurlajoueouunbaiserdanslescheveux.Pourtant,ilsnepouvaientselepermettre.Leursregardsseconfièrent,Ismaëlclignadespaupièresetfrissonna.LesouriredeMartins’élargitetilluifitunclind’œil.—Temoquerdemoin’estpastrèssympa,Martin.—Jemeferaipardonnercesoir.—Tuasplusqu’intérêtàmedonnerlemeilleurdetoi-même.Tut’amusesunpeutropavecmoientre
sesmurs.—Jen’ysuispourrien,turéagistoujoursauquartdetour.
—Tunefaispreuved’aucunecompassion.Regarde-toi!Tuesdusexesurpattes.—Maisnon,c’esttoiquinepensesqu’àça!Ismaëlgrognapourlaforme.Martinnedisaitquelavérité.Dèsqu’il l’avaitenfacedeluietqu’ils
étaientunpeutropproches,danssonesprit,sesvêtementss’envolaientcommeparmiracleetsalibidogrimpaitenflèche.Ilnepouvaitrienyfaire,MartinNolanluifaisaittoujoursceteffet.—Allonsvoirceprêtre.Çanousaideraàrefroidirnosardeurs.Devantlecommissariat,quelquesjournalistesfaisaientlepieddegrue.Martinsoupira.Putain!Bricks
avaitfaituneconférencedepresselaveille,ilsauraientdûêtretranquilles.Jusqu’àcejour,ilsavaientréussi à les éviter en faisant preuve d’un peu d’imagination. Ils ne s’attendaient pas à les voir là, lelendemaind’unerencontreaveclePréfetetlecommissaire.—InspecteurNolan,oùenestvotreenquête?—Elleavance.—Cen’estpasuneréponse!Soyezplusexplicite,s’ilvousplaît.—LecommissaireBricksetMonsieurlePréfetvousontdéjàdittoutcequ’ilyavaitàsavoir.Jen’ai
rienàajouter.Lafemmejournalistequileurdonnaitdesboutonss’approchad’eux,unsourirevoracesurleslèvres.
Nolans’obligeaànepasgrimacerdedégoût,Ismaëlserralespoings.—Allez,InspecteurNolan,faitesuneffort.Unbeausourireceseraitbienaussi.Nolanvitrouge,satensionmonta.Ils’ensortaitplutôtbienavectoutcequifourmillaitdanssatête,
maisl’équilibredesamaîtrisedesévènementsrestaitfragile.Iln’avaitpasbesoinqu’onvienne,enplus,lui casser les couilles. Il se rappela in extremis qu’il était censé être un être froid, avec un contrôleparfaitdesesémotions.—Jen’aipastrèsenviedesourireencemoment,Madame.Quantàfairedeseffortspourlapresse,je
n’envoispasl’utilité.Jen’aiaucuneintentiondegaspillermonénergie.Lajournalisteneseformalisapasdecetteremiseàsaplaceetluifitunsourirecenséêtrecharmeur.
ToutlecorpsdeNolanseraiditetsesterminaisonsnerveuseslechatouillèrentdésagréablement.— Ne jouez pas les durs avec moi, Inspecteur Nolan. Nous voulons juste quelques informations
supplémentairesvenantdevous.Sivousenajoutezquelques-unesdepluspersonnelles,ceseraencoremieux.Nolanreculad’unpasalorsquesonregardviraitaugrisorage.Lajournalistefit,elleaussi,unpasen
arrière.Ellepâlit sous sonmaquillage élaboré. Ismaël sentit levent tourner.La ragedeMartinNolanétaitàuneencablured’exploser.Ilfitcequiluisemblaleplusjuste:ilposasamainsursonavant-brasetlaresserraautour.—Allons-y,Martin.Cedernier respira ungrand coup, tout enobservant ces doigts longs et fins qui savaient si bien lui
donner du plaisir. Il se concentra quelques secondes dessus et releva la tête. Il fixa la journalistefroidement.—Jevaismemontrerclairunebonnefoispourtoutes.Sivousavezdesquestionsausujetdel’enquête
quenousmenons,c’estaucommissaireBricksquevousdevezvousadresserouauPréfet.Vouspouvezaussiessayeraveclemagistratquienalacharge.Encequiconcernemavieprivée,c’estencoreplussimple : allez vous faire voir ailleurs,Madame ! Oh ! Une dernière chose : cessez votre numéro decharmeavecmoi.C’estunegrandepertedetemps,ilnemefaitaucuneffet.MartinNolantournalestalonssousleregardahuridelajournaliste.Elletournalatêteàdroite,puisà
gauche.Sescollèguesprésentsl’observaient,unsourirediscretsurleslèvres.Ilsnelaconsidéraientpascomme faisant partie des leurs.Le journal pour lequel elle travaillait n’avait pas bonne réputation et,
commepartout,lesguerresdeclansnemanquaientpasdanscemilieu.Ellesedépêchadeplierbagage,delarancœurauborddeslèvres.Sefairehumilierdelasorten’étaitpasdanssesplansdecarrière.Elleferma les yeux deux brèves secondes et tripota le pendentif qu’elle avait autour du cou. Elle avaitfantasmé surunMartinNolandansun lit, nuet sur elle, en elle.Elledevait revoir ses ambitions à labaisse.Ceciétant,ellen’avaitpasditsonderniermot.Ellen’allaitpasselaisserinsultersansréagir.Illaprenaitpourqui?!Lesdeux inspecteursmarchaientd’unbonpas.L’étatd’énervementdeNolanneseprêtaitpasàune
baladeenvoiture.—Tuyasétéunpeufort,Martin.—Ellemecassaitlescouilles.Sielleétaitrestéeprofessionnelle,j’auraisfaitlemêmeeffort.—Ellevatefairechier,j’enmettraismamainàcouper.SilePréfetenavent,turisquesdesennuis.—Qu’ilseramènecelui-là,tiens!Jeluidiraisesquatrevérités.—Àluiaussi,tuvasluidired’allersefairefoutre?!—Tantquecen’estpasavecmoi,ilpeutbienfairecequ’ilveut!—Martin,calme-toi,bordel!Nolanstoppanetetdonnauncoupdepieddansun tasdecaillouxquiavait lamauvaise idéedese
trouversursonchemin.—Putain !Mavieestdéjàassezcompliquéecommeça !Jen’aipasbesoinquequiquecesoiten
rajouteouvienneyfourrersonnez.—Tueslemeilleurpourjouerlesindifférents,Martin.Restesurcettelignedeconduite.—Jesuisauborddel’explosion,tuveuxdire!—Rangetahargnedansuncoinjusqu’àcesoir.Ontrouverabienunmoyendet’enlibérer.Martinneréussitpasàsourireàcetteboutade,maiselleeutl’effetescompté.Ilrespiramieux.Ildevait
se reprendre et cloisonner lesmorceaux épars qui constituaient sa vie depuis quelque temps. Il se ledevait,toutautantqu’illedevaitauxvictimes,àsafamilleetàIsmaël.Soncœursecrispa.Unefamille.Cemotluiétaitvenusifacilementàl’esprit.Ilréalisaqu’ungrandtravailsouterrainétaitàl’œuvredanslesprofondeursdesonêtre.Unenouvellerévolutionétaitentraindesemettreenplace.
L’Église,commetoutesleséglises,étaitfroide.Ilseurentlachairdepouleenyentrant.Lesoleilqui
pénétraitleslieuxàtraverslesvitrauxcolorésnelaréchauffaitpas.Pourtant,ill’illuminaitd’uneclartéparticulièrequi,conjuguéeaucalmequiyrégnait,soulageaNolan.Iln’étaitpascroyantetnefréquentaitpascesendroits,maislepeudefoisoùilyavaitmislespieds,cemêmeapaisementl’avaitsurpris.Pourlui,cen’étaitqu’unequestiond’atmosphère.Quelques fidèles étaient agenouillés sur des prie-Dieu, ils étaient peu nombreux. Le prêtre se
promenait, saluait certains, discutait avec d’autres. Ils l’observèrent deux, trois minutes, à l’écart etcachésderrièreunlourdpilierenpierre.Ilspénétrèrentplusavant,illesrepéradixsecondesplustardetvintàleurrencontre.Ilssesaluèrentàvoixbasse,commel’imposaitcelieudeculte.—Jesuisl’inspecteurNolanetmoncollègueestl’agentTouzani.Noussommesdelapolicecriminelle.
Noussouhaiterionsvousparler,sipossible,dansunendroitplusdiscret.—Biensûr.Suivez-moi,allonsdanslasacristie.Ils s’installèrent autourd’une table enbois,massive et sans fioritures.Les chaises avaient lamême
soliditésimple.Nolanluiexposalesraisonsdeleurvisite.Leprêtreétaitbienévidemmentaucourantdescrimesquibouleversaientleurville.—Enquoipuis-jevousêtreutile?— Nous avons un suspect et nous le recherchons. Nous pensons que sa mère était une de vos
paroissiennes.Leprêtretiquaetpassasesdoigtssurlecolromaindesasoutane.—Quelleparoissienne?—MadameScheidorm,IngridScheidorm.—Eneffet,ellefréquentaitmonéglisetrèsrégulièrement.Ellevenaittouslesdimanchespourlamesse
etuneoudeuxfoisparsemaine.Ellenemanquaitjamaislaconfession.—Etsonfils?—Ill’accompagnaitledimanche,maispaslesautresjours.—Vient-iltoujours?—Jenel’aipasvudepuisplusieursmois.Aprèsledécèsdesamère,ilestvenupendantuntemps.Un
oudeuxmois,jedirais.Puis,ilacessé.—Quelgenred’hommeest-il?—Jenepeuxpasvousdiregrand-chose.Ilparlaitpeuetnerépondaitqu’auxquestionsdirectesdesa
mère.Jen’aijamaisréussiàdialogueraveclui.—Allait-ilàlaconfession,luiaussi?—Oui.— Je sais que vous ne pouvez pas, ou ne voudrez pas, nous révéler des secrets,mais nous avons
vraimentbesoindel’attraperavantqu’ilnecommetteunnouveaucrime.Touteaideseraitlabienvenue.—Vousavezditqu’iln’étaitqu’unsuspect.—Unsuspect,avecd’importantsindicesquipointentsaculpabilité.— Je peux sansmal vous en révéler un peu, sans rien trahir. Il se comportait comme un enfant. Il
commençaitenrépétantlesmotsquesamèreluiavaitappris,commeunerécitation,puisenchaînaitdelamême façon. Une leçon d’écolier, avec des aveux de mensonge, de gourmandise, que des péchés degosses.—Quelleimpressionvousfaisait-il?—Difficileàdire…Ilestévidentquecen’estpasunadultenormal.L’hommed’Églisesignacemotavecdesguillemetsquesesdoigtsdessinèrentdansl’air.—Samèreavaitlepouvoirsurluietjesaisparellequ’ilaunemaladiepsychiatriquepourlaquelleil
est suivi. Il semblait assez inoffensif, discret,muet…Je serais à peine capable de vous le décrire et,pourtant,jel’aivupendantdesannées.—Parsamère,vousensavezsûrementplus.—Là,ceseraitentrerdanslesecretdelaconfessionetjenepeuxm’yrésoudre.Ceciétant,ellene
m’ajamaisrienavouéquipourraitlaisseràsupposerquesonfilsestunassassin.Elles’inquiétaitpourlui,unefoisqu’elleneseraitpluslà,maisnem’enajamaisditplus.J’aicrupourtantcomprendrequ’elleavaittoutprévuetqu’ilrésideraitdansunemaisonspécialiséeaprèssamort.—Ilaprislapoudred’escampetteetneserendplusdanssoncentremédico-psychologique.—Jesuistoutdemêmeétonné.Jesuissûrqu’ellem’aditqu’ilneresteraitpasseulaprèssamort.—Iln’étaitpasunrésidentducentredanslequelilserendait.Ilpouvaityallerquandilvoulait.S’il
étaitcenséentrerdansunerésidencepsychiatrique,çan’apasétéfait.—Iln’estpastrèséquilibré,jevousl’accorde,maisdelààcommettredescrimessiatroces,j’aidu
malàycroire.—C’estsouventlecas,monPère.Leprêtresetutetentraenréflexion.Ilslecomprirentàsapostureetàsonregardflou.Ilspatientèrent.
Peut-être était-il en pleine conversation avec sa conscience ? Ce temps de pause dura plus de cinqminutes,puisilrepritlaparole.
—Samèreétaitunefemmeautoritairequienavubeaucoupdanssavie.Elleétaittrèsdureavecsonfils.Sonmaril’aquittéealorsqu’elleétaitenceinte.Elleavaitdéjàuncertainâge.Ilestpartiavecunejeunefemmedevingtansplusjeunequelui.Ellegardaitenelleunehaineféroceenverscethommeetcettefille.Jeneseraispassurprisqu’elleaitabreuvésonfilsdesesrancœurs.Celan’excuseenriensesactes,sic’estluilecoupabledecesviolsetdecesmeurtres,maisceladonneunéclairagesurcequiapulemotiver.Jenepeuxpasvousendireplus.Nolan et Ismaël le comprirent sans mal. Le prêtre s’était montré conciliant, même si ce qu’il leur
révélaitavaitplusàvoiravecdesaspectsdelaviedecettefemmequ’avecdesaveuxconfiésdanslesecretduconfessionnal.Ilsprirentcongéaprèsl’avoirremercié.Lalumièrevivedusoleil lesfitclignerdesyeuxet lamouvancedelavillelespritparsurprise.Ils
marchèrent en silence, reprenant pieddans lemonde réel à chaquepas effectué. Ismaël, commeà sonhabitude,rompitlesilence.—Leszonesd’ombres’éclaircissent.—Ondiraitbien…J’iraisbienfouillerlamaison,onnesaitjamais.Touslesrelevésontétéfaits,on
peutselepermettresansprendretropdeprécautions.—C’estunebonneidée.Labaraquen’avait riengagnéniperdupendant cesderniers jours.C’était toujours lemême foutoir,
auquel s’ajoutait l’évidence du passage des experts de la police. Ils se dirigèrent directement vers lachambredelamère.Elleavaitelleaussifaitlesfraisdeleurscollèguesscientifiques.Ilstrouvèrentdesphotosetdeslettressortisdutiroirdelatabledenuitetqui,maintenant,s’étalaientsurlecouvre-lit.Surcertaines, madame Scheidorm se tenait avec un enfant, imposante et raide, le regard dur et fier. Surd’autres,l’enfantétaitseul.Lescourriersnevenaientqued’uneseulepersonne,deséchangesépistolairesavecuneamiedelonguedate.Laviedecettedernièreseracontaitenlong,enlargeetentravers.Augrédecesnarrations,celled’IngridScheidormparcheminaitletout.Sonamierelayaitsesproposhaineux,sacolèreetsesrécriminations.Leshommesn’étaientpasépargnés,pasplusque les jeunesfilleset leursvisagesinnocentsquicachaientuneperversiondevoleusesdemaris.Ilsnedénichèrentpasdanscefatrasdephotos représentant la jeune femmeà l’originedecettevindictevive,maisn’en furentpas frustrés.Desvisages innocents avaient à leurs yeux lamêmevaleur, tout comme la description à grands traitsqu’ilsdécouvrirentenprenantlapeinedelirechaquelettreavecattention.Blonde,petiteetmenue,desyeux bleus et une peau pâle.Qu’elle fut décrite comme un suppôt de Satan, faite pour ensorceler leshommesetlesdétournerdudroitchemin,nelesétonnapasplusquecela.Leprêtreavaitraison:IngridScheidormavaitgardéunehainefaroucheprécieusementrangéedanssoncœurdefemmetrahie.Dans lachambredu fils, ilsdégotèrentunenouvellepreuve :unalbumdephotographiesdécoupées
dansdesmagazinesoudescatalogues.Quedesvisagesdejeunesfillesdumêmetypequelesvictimesetcorrespondant à lamaîtresse de son père. Sur chacune d’entre elles, il avait recouvert leurs cheveuxblondsdefeutrenoir.Ismaëlrâla.— Les collègues auraient pu le prendre et nous le transmettre, tout de même ! C’est une preuve
incriminante.—Ilsétaientlàpourlesempreintesetl’ADN.Tusaisbienqu’onnemélangepaslesgenres.C’estla
seulefaçondenepassemarchersurlespieds.Chacunsapartie.Ilsn’étaientpaslàpourenquêter.—Çamemettoutdemêmeenrogne!Etsionn’étaitpasrevenu?— Nous aurions commis une erreur, pas eux. Nous aurions dû revenir plus tôt d’ailleurs. On va
ramenertoutçaaucommissariatetjevaisdemanderàAlexisetBricedevenirfouillerleslieuxdefondencomble.Ilesttempsdemettreunestratégieenplacepourledébusqueretlecoffrer.Nousensavons
suffisamment.Ils avaient à peine franchi le pas de la porte que le portable de Nolan sonnait. Il décrocha sans
chercheràsavoirquiétaitsoncorrespondant.LavoixdeBricksrésonnadansl’appareil,mêmeIsmaëlneputlamanquer.Lepatronétaitencolère.—Ducalme,commissaire.Jenecomprendsrienàtesvociférations.—Putain,Nolan!Qu’est-cequit’asprisd’envoyerboulercettejournaliste?—Quoi?C’estçaqui t’irriteàcepoint?Merde ! J’aiautrechoseà foutrequedemepréoccuper
d’elle!—Tufaisvraimentchier,Nolan!Tucroyaisqueçaallaitretombersurqui?—Surpersonne!Elleestjusteplusconnequejelepensais.—Ça,pourêtreconne,ellel’est!Tuteretrouvesavecunesangsuecolléeàtesbasques.—Ellel’étaitdéjà,j’espéraisqu’elleneleseraitplus.—Tuparles!Tul’asmouchéeetlesautresjournalistessesontfaitunplaisirderelayerl’info.D’ici
que tu te retrouves dès demainmatin en première page de son canard fouille-merde, il n’y a pas deskilomètres.—Tuplaisantes?!—Nan,pasuneseuleseconde.C’estlegenreàsevengerdecettefaçon.Siellebavesurtoncompte,
ellebavesurlecommissariat!Vousenêtesoù,là?—Onadenouvellespreuves.FabriceScheidormest,sansaucundoute,lemeurtrier.—Trouvez-leetembarquez-le!—C’estcequiestprévu,Patron.—Allezau-delàdesprévisionsetfaites-enunfait!Ilfallutbeaucoupderetenueàl’inspecteurNolanpournepashonorerBricksd’unemêmerépliqueà
l’emporte-piècequecellequ’il avait si gentimentofferte à la journaliste. Il ne trouva riendemieuxàfairequedetendresontéléphoneàIsmaëletdesepincerleslèvresfurieusement.Malgrétoussesefforts,Nolann’allaitpasréussiràrésisterpluslongtempsàlacolèresourdequimartelaitsestempes.—Ons’enoccupe,Commissaire.—Touzani?OùestpasséNolan?—Pasloin.Ilfaitpreuved’intelligenceenselafermant.—Nan,maisquelconnardquandils’ymet!—Commissaire?—Quoi?!—Jenevoudraispasmemontrerimpoliavecvous,maiscelafaitdessemainesqu’onbossecomme
desmaladessurcetteenquête.Onnecomptepasnosheuresetonestfatigués.C’estnousquiavonsfaitface aux cadavres de ces filles, nous qui nous efforçons de rentrer dans la tête de ce dingue pour ledébusquer,nousquicavalonspartoutpourmettrelamaindessus.Ceseraitsympadenepasnousprendrelatêteaveccettejournalistedemerdequin’aqu’uneseuleidéeentête,mettreMartindanssonlit.—Touzani?—Ouais?—Tudevrais fairegaffeànepas trop te laisser influencer.Tuesen traindedeveniraussiconque
Nolan.Tuprendsdesrisquesinconsidérésenmedisantcequejedoisfaireetenmelistantavectantdeprécisioncepourquoivousêtespayés.—Jesauraim’ensouvenirlorsquejeferaimafiched’heuressupplémentaires.—Putain!Jen’avaispasbesoind’undeuxièmeabrutidel’acabitdeNolan!—VautmieuxdeuxNolanquedeuxTraptin.
—Jeveuxvousvoirtouslesdeuxdansmonbureaudèsvotrearrivéeaucommissariat.QueMartinleveuilleounon,ilvadevoirfaireuneffortaveclapresse.—Cen’estpasgagné.Ladernièrephrased’Ismaëlrésonnadanslevide.Lecommissaireluiavaitraccrochéaunez.Ilnes’en
formalisapas,ilavaitd’autreschatsàfouetter.AffronterBricksviendraitbienasseztôt.IlsetournaversMartinet se retrouvahappéparun regard intenseetgorgédedésir.Stupéfait, il n’eut aucune réactionquandcedernierletiraàl’écart,surlecôtédelamaison,àl’abridesregards,etleplaquacontrelemur.Sabouchevintseposersurlasienne.S’ilnes’attendaitpasàuntelacte,ils’attendaitencoremoinsàladouceurdubaiserqueluioffritsonamant.Seslèvresbougèrentamoureusementcontrelessiennes,illesentrouvrit et leurs langues s’enroulèrent l’une autour de l’autre délicatement. Elles jouèrent un longmoment.Sonsexepalpitaetsedressa.Safaimseréveilla.IsmaëlaccrochaleshanchesdeMartinetlerepoussa.—Martin, arrête ! Tume rends dingue ! Je ne vais pas réussir à débander avant notre arrivée au
commissariat.—Allonscheztoiunepetiteheure,cen’estpastrèsloin.—Quoi?—LaissonsunpeudetempsàBrickspoursecalmeretfaisonsdemêmeànotrefaçon.—Tuperdslaboule,Martin.Ontravaille!—Etonvafaireencoredesheuressupaujourd’hui,commetul’assibiendit.—Cen’estpaslemoment,paslebonmoment.MartinfixaquelquessecondesIsmaël,soncorpsserelâchaetsonregardseternit.Illuitournaledoset
semitenmarcheavecempressement.—Martin,tun’étaispassérieux?—Si,jel’étais!—Qu’est-cequ’ilt’arrive?Tunefaisjamaispassertesdésirsavanttonboulot,surtoutavantcelui-ci.—C’estvraimais,pourunefois,jemeseraisbienlaissétenter.—Martin…—J’aibesoindedécompresser!C’est lefoutoirdansmatête. IngridScheidormétaitpresqueaussi
dinguequesonfils,mêmesicen’étaitpasdelamêmemanière.Mamèren’étaitpasvraimentéquilibrée.Parmoment, j’ai l’impressiond’être foumoiaussi.Cesputainsd’ombressont revenuesetellesnemelâchentpas.L’urgence,c’estd’arrêtercetypeetonmefaitchieravecdesconneries.Ettoi,toi,tueslà,àmedéfendreetàprendremonpartisansmêmeteposeruneseulequestion.Tueslàdepuislapremièresecondeoùtuasposétesyeuxsurmoi.Tufaisfuirmesombres,encoreplussûrementqueLisa.Alorsoui,pourunefois,j’aipenséàmoi.Lesangd’Ismaëlnefitqu’untourdanssesveinesetsoncœurpartitenbalade.—Jet’aime,Martin…Sic’esttoujourscequetuveux,monappartn’apasbougédeplace.MartinNolan stoppa samarche rageuse et fit face à Ismaël. Ce dernier se cogna contre son corps
robuste. Il le retint d’une main et posa l’autre sur sa joue. Il lui offrit une caresse d’une tendresseravageuse.Ismaëlseliquéfia.— Ça va aller. Te dire ce que j’avais sur le cœur m’a fait du bien. T’entendre me redire que tu
m’aimesaeulemêmeeffetquesinousavionsétéensueurdanstesdraps.Savoirquetuétaisprêtàmesuivreatuémacolère.Jet’aimeaussi.Ismaël se retrouva au bord d’un gouffre. Il avait le vertige. Ses yeux s’humidifièrent et son axe de
rotationsemodifialégèrement.MartinNolandevintl’astreautourduquelsavietournait.
LejournaldeLouisaPassé,présent,quelleimportanceJ’aiapprisledécèsdemonpère.Crisecardiaque.Iln’avaitpasencoreatteintlasoixantaine.Jeme
tiens peu informée de ce qui se passe dans mon ancienne ville, dans celle de mon enfance mais,parfois,jecèdeàlacuriosité.Jelislejournaldelarégion.Jesuistombéesurlebonparhasard.Surceluioùilapparaissaitdanslachroniquedesdécès,àcôtédecellesdesnaissancesetdesmariages.J’aidumalàycroireetjenesaispastropcequejeressens.Jen’aijamaiseuenviedelerevoir,nimamère.Pourtant,ilyacetteblessurecontrelaquellejenepeuxrien.Ilsnem’ontjamaisrecherchéeetn’ontpasessayédesavoircequejedevenais,pasplusqu’ilsnesesontintéressésàl’enfantquejeportais lorsque j’ai fui. Les souvenirs sont remontés à la surface, tous les souvenirs. Ce sont desenclumes dansmon estomac, ilsme remplissent plus sûrement que la nourriture.C’est peut-être laraisonpourlaquellecelafaitdesannéesquejeneréussispasàmanger.Ilsprennenttoutelaplace.J’observelavie,assisederrièremafenêtre.Ellenem’attirepas,ouplus.Jeregardecemondequi
est censé être le mien, je n’y suis pas à ma place. J’ai failli la trouver avec Emmanuel. Il m’aabandonnée.Martinestlà,etilmelerappelledeplusenplussouvent,deplusenplusintensément.L’hommequ’étaitmonpèreestmort.Ilnepourraplusjamaisdevenircepèrequ’ilauraitdûêtre.Il
étaitdéjàtroptard,c’estdevenuimpossible.Emmanuelestmort,iln’apaspuêtremonmarinilepèredeMartin.Cen’estpasplusrattrapable.IlyaMartin,Martinquigranditetquisemontredeplusenplusautonome.Ilmequitteraunjour.Il
m’aura donné plus que les autres, l’amour et la tendresse d’un fils. Pourtant, lui aussim’abandonnera.
CHAPITRE12Bricks était furieux.Sa colère concernait peu sesdeux inspecteurs et avait beaucoupàvoir avec le
Préfetet,parricochet,lapresse.Malgrélesproposqu’illeuravaittenus,ilétaitdeleurcôtéettoutaussiremonté qu’on puisse leur casser les pieds ainsi. Ses échanges obligés avec lesmédias et les pontesn’étaientpascequ’ilpréféraitdanssonboulot.IlestimaitMartinNolanàsajustevaleuret larelationqu’ils avaient, même si elle n’était que professionnelle, était basée sur la confiance. Quant à IsmaëlTouzani,ilcommençaitàsérieusementl’apprécier.Depuisqu’iltravaillaitavecNolan,ilserévélaitetdémontraitqu’ilavaitdescouilles.Bricksn’aimaitpasqu’ondéfiesonautorité,cequinesignifiaitpasqu’ilattendaitdeseshommesqu’ilssoientsanscaractèreets’écrasentdevantlui.L’essentielétaitqu’ilsnebafouentpaslerespectqu’ilsluidevaient.— Martin, je crois que tu vas devoir, une nouvelle fois, accepter d’apparaître avec moi à une
conférencedepresse.—Quoi?Maispourquoi?Cen’estpasmonjob!—Ilfautleurdonnerdugrainàmoudre.—Tul’asfaithier.—Peut-être,maiscettenanaafoutulefeuauxpoudres.Mêmes’ilsnel’admettrontjamais,ilssonttous
devenuscurieux—Jemedemandebienpourquoi.Ilsontlargementdequoifaire.—Tapersonnalitéal’airdesouleverl’intérêt.—Toutçaàcaused’unepauvrefille.Dis-luiquejesuishomoetpassonsàautrechose!—Tuvasmefairechierjusqu’aubout,hein?—Cen’estpasdansmesprojets,maisadmetsquec’estdugrandn’importequoi.—Jel’admets,mais j’aidéjàeudeuxfois lePréfetenlignedepuis tarépartiecinglante.Jemesuis
engagéàréparercettebourde.—Cen’étaitpasunebourde,justel’expressiondufonddemapensée.Brickspassalamaindanssonpeudecheveuxetsoupira.Iln’étaitpastrèsheureuxd’emmerderMartin
Nolan sur ce point. Même s’il y avait eu quatre victimes et qu’ils avaient pas mal pataugé dans lamélasse,NolanetTouzaniavaientfaitdubonboulot.Prendreenchasseuntueurensérien’étaitjamaisfacile.Ilnepouvaitpasexigerd’euxplusqu’iln’étaithumainementpossible.—Mettonsçadecôté,onverrapourplustard.Dites-moiplutôtoùvousenêtes.Ensemble, ils se relayèrent pour transmettre àBricks tout ce qu’ils avaient découvert pendant cette
journéedéjàlongueetpasencorefinie.Lesconclusionsdecedernierfurentunbonrésumé.—Nousavonstouteslespreuvesdontnousavonsbesoin.Unefoisqu’ilauraétéarrêté,ceneseraplus
qu’une affaire de justice. Le labo a son ADN, il suffira de comparer pour que son implication soittotalementprouvée.—Resteàletrouver.—Desidées?—Nouspensonsqu’ildoit se rendre régulièrementaucimetière.Soitpouraller sur la tombede sa
mère,soitpouryoccuperunsquat.
—Jevaisdenouveaufairefouillerleslieuxetmettreenplaceunesurveillance.Vingt-quatreheuressurvingt-quatre,çavaêtrecompliqué,maisjevaisessayer.—Onveutbiens’ycoller,sic’estnécessaire.—Etvousdormezquand?—Après.Onapenséqu’onpourraits’yplanquerensoirée,devingtheuresàminuit.—Jevaisyréfléchir.Vousavezbesoindetoutesvosforcesetdetousvosneurones.Sanspause,vous
allezylaissertropdeplumes.D’autresidées?—L’église.—L’église?NolanfitunsigneàIsmaël,c’étaitluiquiyavaitpensé.—Ilneluiresteplusbeaucoupderepères.L’égliseenestun.Ils’yrendaittouslesdimanchesavecsa
mère.Mêmes’iln’ajamaisvraimentdiscutéavecleprêtre,c’estunvisageconnuquipeutlerassurer.Ils’ycachepeut-êtrelanuit.—Pourquoipas…Sinon?—Onnecroitpasqu’ilsoitsusceptibledefaireletourdeshôtels.Ceciétant,çanecoûteriendetous
lesappeler,aucasoù.Iln’aplusdevoiture.S’iln’apasquittélaville,ildoitsedébrouilleràpiedouentransportsencommun.Ilestpossiblequ’ilsesenteacculé,cequilerendencoreplusdangereux.—Soyeztrèsprudents.Riennenousditqu’iln’estpasarmé.—Ilutiliseuncouteau.Ilfaudraituncorpsàcorpspourqu’ilblessel’und’entrenous.—Neprends pas le risque d’être trop confiant,Martin. Il a choisi une armeblanche pour tuer ces
filles,maiscen’estpaspourautantqu’ilnepossèderiend’autre.Ontrouvedesarmesàfeufacilementdenosjours.S’ilsesentendanger,ilserapeut-êtreprêtàtout.Nolan hocha la tête et son regard partit vers la fenêtre.La fatigue pesait sur ses épaules.Elle était
physique et émotionnelle. Ils n’avaient eu aucun jour de congé depuis bientôt deux semaines et ilscomptabilisaientbienplusd’heuresquotidiennesquecellesautoriséesparlaréglementationenvigueur.—Vousallezrentrerchezvousetvousreposer.Aujourd’hui,c’estfinipourvous.—Mais…—Iln’yapasdemais,Nolan!Vousêtesépuisés.J’aibesoindevousenforme.Occupezvotrefinde
journée et votre soirée comme vous l’entendez, mais effacez-moi ces cernes qui vous défigurent. Jeprendslerelaisets’ilsepassequelquechose,onvousappelle.C’était une occasion à ne pas manquer et, pourtant, ils rechignaient. Il leur serait insupportable
d’apprendre que la fin s’était faite sans eux.Bien sûr, l’essentiel restait que ce type soit interpellé etécroué,maisilsavaientdépenséénormémentd’énergiepourêtreceuxquimettraientunpointfinalàcetteaffaire.Cen’étaitpasunequestiond’orgueiloudefiertémalplacée,maisunbesoininhérentàleurnaturedeflicetàleurcaractère:allerauboutdecequ’ilsavaientcommencé.Ilsn’avaientcependantpaslechoix.Bricksenavaitdécidéainsi,ilétaitlechef,iln’yavaitrienàyredire.Ils quittèrent le commissariat sans plaisir, ignorèrent les quelques journalistes qui continuaient à
occuperleslieuxetgagnèrentleurvoiturerespective.—Cheztoiouchezmoi,Martin?—Chezmoi,siçanetedérangepas.—Jeterejoins.Jevaisallerrelevermoncourrieretprendrequelquesaffairespropres.Ilssequittèrentsanssigneapparentdeconnivence.Ilsn’avaientpasoublié lanécessitédeprudence
quirégissaitleurrelation.QuandIsmaëlretrouvaMartinchezlui, ilétaitentraindefairedespompesdanssonsalon.Sontee-
shirtétaittrempédesueuretsesmusclessaillaientsousl’effort.—Tum’asl’airenpleineforme.—Pastantqueça,non,maisçafaitdesjoursquejen’aipasfréquentélasalledesports.Moncorps
réclamequelquesefforts.Ismaëlpassadevantluiets’installadanslecanapé.Ilfermalesyeux.Maintenantqu’ilavaitaccepté
l’idéequ’ilfaisaitrelâche,soncorpsletrahissait.—Vatecouchersituenasbesoin.—Iln’estmêmepasdix-neufheures.—Ons’entape,Ismaël!Onvitcommedestarésdepuisdessemaines,l’heureàlaquelletutecouches
n’apastantd’importance.—Tun’aspastort,maisj’aifaimaussi.—Vaprendreunedouche,jevaisnousprépareruntrucvitefait.Ismaëlsedoucha,enfilaunsimpleboxeretrejoignitMartindanslacuisine.Latableétaitmise, tout
étaitprêt,etiln’avaitplusqu’àglisserlespiedsdessous.Ileutunsouriredechatsatisfait.Martinétaitautéléphone,ilécoutasanssemontrertropindiscret.—Maisnon,mapuce,net’affolepascommeça.Çanechangerienpournous.—…—Lisa,s’ilteplaît,arrêtedepleurer.As-tusipeuconfianceenmoi?—…—Voilà, c’est mieux. Je te promets que dès que mon enquête est bouclée, je passe un week-end
completavectoi.Jet’emmèneraidansuncoinsuperetonpourradiscuterautantquetuvoudras.—…—Moiaussi,jet’aime,mapuce.N’endoutejamais.Riennepourrachangerça.—…—Jet’embrasseaussi.Àbientôt.Promis.Martinraccrochalecœurlourd.SonpèreavaitparléàLisaetilnecomprenaitpaspourquoi.Ildevait
biensedouterquesasœurréagiraitdecettefaçonetqu’elleensouffrirait.Enfait,cen’étaitpastoutàfaitjuste.ElleavaitpeurqueMartins’éloigned’elle,cequ’ilneferaitjamais.—C’étaitLisa?—Oui,Lisa,mapetitesœur.Ismaëlluioffritunsourireépanoui.Iln’avaiteuaucundoute,Martinnepouvaitpasfaireautrementque
considérerLisacommesasœur,maisqu’illeproclamehautetfortétaitàretenir.—Sansaucundoute.—Tutesensmieux?—Une fois que j’aurai mangé et dormi quelques heures, je devrais réussir à retrouver ma nature
d’hommenormal.Ilsdînèrentensilence,puisMartinpartitsedoucheràsontouretilsseglissèrentdanslelitquileur
tendaitlesbras.Ilsnetournèrentpasenrond,s’offrirentunsimplebaiseret,IsmaëlcalédanslesbrasdeMartin,ilss’endormirentsansmêmes’enrendrecompte.Ilsseréveillèrentdixheuresplustard,reposésetenpleine forme,engrande forme.Martin fut lepremier. Il fitunaller-retour rapide,etdiscret, à lasalledebainsetserecoucha.IlregardaIsmaëldormir.Sonvisagepaisiblereposaitsurl’oreilleretlamatitédesonteintressortaitsurletissublanc.Ellen’étaitplusaussilumineusequetroismoisplustôtetilsepromitdel’emmenerquelquesjoursausoleilafinqu’ilretrouvesescouleurs.Sespaupièrescloseslaissaientun libre accès à la longueur indécentede ses cilsnoirsqui reposaient sur sapeau fine.Sescheveuxnoirs,sesbouclessouples,luifaisaienttoujourspenseràunange.Ilpréféraitcetteimageàcelle
d’unchérubinblondàlapeaurosée.Labeautéd’Ismaëlluicaressalecœuretfitfourmillersesmains.Ilvoulaitenvoirplus.Délicatement,ildescenditledrap.Sesépaulesserévélèrent,iladmirasonossaturefine.Unlégerfrissonparcourutsoncorpsetunfaiblegrognements’échappadeseslèvres.IlseretournaetoffritsondosàlavisiondeMartin.Cederniersouritdeplaisiretletissufutrepoussé
unpeuplusbas.Ilcontemplalacambruredesesreinsetfitunegrimacechagrinedevantleboxernoirquicachait ses fesses. Il posa ses lèvres sur sa nuque, puis son index effleura la ligne de sa colonnevertébrale.Unsoupir,procheduronronnement, lui répondit.Sabouchesuivitce tracé, lentement,pouratterrirdanscecreuxsiattirant,làoùlesous-vêtementdevenaitunebarrièredesplusmalvenue.Ismaëlse cambra légèrement,Martin ledébarrassade cequi legênait.Sesmains se firentvagabondes, ellesredécouvraientcethomme.Ismaëlrestasurleventreet,desespieds,acheval’entreprisedeMartin;iléjectaledrap.Cederniers’allongeasurlui,ilsetortillaetsoncorpsépousalesien.Ilssavourèrentcemomentsimpleetcecontactquilesreliaitpourenfaireuneseuleentité.CefutIsmaëlquidonnalefeuvertàune rencontreplusentreprenante.Sonbassinbougeaet ses fessescherchèrent lemembredurdeMartin.Ilfutretournéetunebouchelangoureuserecouvritlasienne.SonsexebandérencontraceluideMartin. Il gémit. Cet effleurement déclencha une autre urgence. Agacé, il n’avait pourtant pas d’autrechoixquedes’ysoumettre.IlrepoussaMartin,selevad’unbond,luidonnal’ordredenepasbouger,etcourutàlasalledebains.Uneminuteplustard,ilétaitderetouretdécouvraitunMartinmagnifique,enattente,leregardbrillant.Illuisautadessus.Sonamantleréceptionnantenrigolantavantdecalmersesardeurs. Il avait d’autres projets que celui d’une rencontre rapide. Il était six heures du matin et ilsavaientunpeudetempsdevanteux.Ladégustationcommença,MartinimposasonrythmeetIsmaëls’yplia.Sesgémissementspaisiblesprirentdeplusenplusdevolume,sondésirsefitimpérieux,sacapacitéàrésisterfutmalmenée.QuandMartinsedécidaàleposséder,ilcrutquesoncœurallaitsedécrocher.L’attenteavaitmissesterminaisonsnerveusesàl’agonie.Leplaisirselogeadanssesreinsetsonsexeperla d’envie. Il harponna les hanches deMartin et plongea son regard dans le sien, un regard noyé,envoûtant, auquel sonamantneput résister.Sescoupsde reins se firent sauvages,une jambe s’arrimaautourdesataille,lescorpsdevinrentmoites.Ismaëls’affola.C’étaitd’uneintensitéincroyableetilnemaîtrisaitplusrien.Martinl’embrassa,unemainglissasoussesfessesetlesouleva.L’anglechangea,ilsecrispa,etunrâlerauquerésonnadanslapièce.Ismaëlfutprisdevertigeets’accrochaauxépaulesdeMartinavecforce.Ilsesentaitcommeunnaufragéquin’avaitplusd’autrechoixqueceluideselaissercouler.D’unevoixcassée,ilsupplia.—Martin…Unmêmeregardfoudedésir luirépondit.L’exigencedeMartins’imposaalorsqu’il l’exprimaitpar
lesmots.—Perds-toiavecmoi,abandonne-toi.Ismaëlfermalesyeux,sonpoulsfaisaitéchodanssatête,soncorpstremblait.Sapriseserelâcha,sa
paumeremontalelongdesflancsdeMartinetatterritsursanuque.Ill’attiraàlui,quémandasaboucheetmêlaleurslangues.Laquiétudedecebaiserintensifial’ardeurdelapossession.—Situmequittesunjour,jet’arrachelecœur.—Tumel’asdéjàpris,Ismaël.Cetaveu,sisimpleetsisincère,libéralepoidsquipesaitsursapoitrine.Ilfermadenouveaulesyeux
etprofitadelamontéesauvagedesonplaisir.Ilserépanditpartout,voyageasurchaqueparcelledepeau,colonisasonventre,accéléralesbattementsdesoncœuretélectrisasacolonnevertébrale.Unpremiercris’envolaversleplafondalorsqu’ilseresserraitautourdeMartin.Sonsexeluifitmal,illepritdanssamainetlecaressadurement.Martinsuivitcegesteetsonregardsefocalisadessusalorsqu’ilallaitetvenaitdeplusenplusvite
danslecorpsdesonamant.SiIsmaëlsevoyaitcommeunnoyéperdudansletumultedel’océan,Martinétaitunalpinistearrivéausommetdumurleplusélevéetsurlepointdetoutlâcherpourredescendresansêtreassuré.Ilsétaienttouslesdeuxdanslaperte,celleducontrôleetdelamaîtrise,tantdeleursressentisphysiquesquedeleursémotions.Ilsétaientaussidanslegain,celuidudonetdelaconfiance.Martinvoyaittoutceladerrièrelesbrumesduplaisir.C’étaitinscritsurlevisaged’Ismaël,ill’avaitvudanssonregardalarmé,il lesentaitdanschaqueatomedeviequileconstituait.Uneportes’ouvrit,unéclatdelumièreirradiasavisionetsoncœurrataunbattement.Ilnerésistaplusauxsuppliquesdesoncorpsniàcellesdesonâme.Ilcéda.Ilcédaàl’instantmêmeoùIsmaëlfaisaitdemême.Lajouissancelescueillitdanslamêmesecondeetserépanditcommeunraz-de-marée.Elleemportatout:lesdoutesetlespeurs, les questions et les réticences.Ellene leur laissaque la conscience aiguëde l’autre, de saprésence et de son importance.Elle effaça cemonded’ombres dans lequel ils naviguaient depuis dessemaines.Elleleuroffritunsentimentd’absoluquileslaissapantelantsetébahis.Illeurfallutdelonguesminutespourreprendrepied,seregarderetsesourire.Martincaressalajoue
d’Ismaëletsesdoigtss’égarèrentdanssesboucleshumides.Ilcajolaseslèvresd’undouxbaiser.Unelueurcanailles’allumadanslesprunellesd’Ismaël.—Siaprèsça,tunemeproposespasdevivreavectoi,jet’arrachelesc…Amusé,Martinlecoupanetavantqu’ilnefinisse.—Nefaispasquelquechosequetunepourraisqueregretter.—Pasfaux.Martin…Le sérieux chassa la taquinerie. Il les enveloppa et la gravité recouvrit les traits de leurs visages.
Martin bougea, se décala et s’installa sur le côté, sa tête reposant sur unemain. Ismaël prit lamêmeposition.Ledrapretrouvasaplacesurleurscorps,commeparmiracle,àl’initiativedeMartin.—Ils’estpasséuntrucpascroyable,là,non?—Çam’enatoutl’air.—Martin?Unepaumecaressanteseposasurcelled’Ismaël,elleremontalelongdesonbras,suivitlacourbede
sonépauleetselogeasursajoue.Ismaëls’ylova.—Onvaclôturercetteaffaire,jevaisrésoudremesproblèmesavecmonpèreettireruntraitsurle
passé.Dèsqueceserafait,jeteproposeraidechercherunemaisonoùnouspourronsvivreensemble.Ismaëltournalatêteetembrassal’intérieurdupoignetdeMartin.Unelarmes’échappadesesyeuxet
glissajusqu’àseslèvressèches.Sonamantlaluivola,leregardattendri.—Jeseraitafamille,Ismaël.Unedeuxièmelarmecoula,puisunetroisième.Ilfutenlacéettrouvauncorpssolidecontrelequelil
putseblottir.QuandMartinparladenouveau,illuifutreconnaissantdelemainteniravecforce.—Avecunpeudechance,jepourrait’enoffriruneplusgrande.Masœurpeutdéjàdevenirlatienne.
Ellet’adoreetellepréfèrelargementquandc’esttoiquiladéposeàlafacouquivalarechercher,plutôtquesonpèreousamère.—Pffff!Elleracontequejesuissonmec!Martinéclataderire.—Jesais.Enfait,elleracontequ’elleenadeux.Ilparaîtquesesamiesbaventd’envieetquelques-
unsdesescopainsaussi.—Elleestinfernale!—Unepetitesœurinfernale,çatedit?—Oui.Etunemaisonavecl’hommeleplussexydelaterre.—C’estdansmescordes.
—Teslimitessonttrèsétendues.C’estunpeuflippant.—Pourquoi?—Êtreàlahauteurn’estpasfacile.—Nedispasn’importequoi!Jesuisunmecpasfacile,froidetcasse-couilles.Tutemontresplus
qu’àlahauteurpourmesupporter.—Cesontdesconneries.Leboulot,c’estleboulot.Dèsquetun’yesplus,tun’asrienàvoiravecle
mecquetudécris.Tuestoutl’inverse.—Situlerépètesàquiquecesoit,c’estmoiquit’arrachelecœuretlescouilles.—Nememenacepasdequelquechosequetunepourraisqueregretter.Leur éclat de rire fut commun, il les emporta et les allégea plus qu’ils ne l’auraient cru possible.
L’avenirnepouvaitqu’êtremystère,sesturpitudesinconnues,etsesjoies,dessurprises.Pourtant,ilsedressaitdevanteuxsansqueleursinquiétudesneviennentl’assombrir.Sidemainétaitunautrejour,cematinétaitdeceuxqu’ilsnesouhaitaientpasoublier.Ilsnepurentleprolongerpluslongtemps,maislegardèrentprécieusement,teluntrésorchèrementacquis.
LejournaldeLouisaQuefaire?Je réfléchisbeaucoupcesderniers temps. Jen’aiplusde force,plusd’envie.Riennememotive.
Seuleslaforcedel’habitudeetcettevolontédenepasêtrepriseenfautememaintiennent.Lesregretsontfaitleurapparition.Martinchange.Ilestplusrenfermé,plussombre.C’estunpeucommes’ilnevoulaitpasfairedebruitparpeurdemedéranger.C’estétrange.Oualors,ilacommencéàfairecespasquivontl’éloignerdemoi.Iladouzeans.N’est-cepasunpeutroptôt?Louiscontinueàrevenirà lacharge, il le faitrégulièrement, tous lesdeux troismois.Jedois lui
reconnaîtrequ’ilfaittoutpournepasmebrusquer.Voit-ilenmoiquelquechosedepireencorequecequejesuis?Pourtant,jecachenombredemesfêlures.S’ilapuserendrecomptedemesproblèmesavec lanourriture, il nepeutpas savoirque jeme scarifie, sauf siEmmanuel s’est confiéà lui.Etc’étaitilyasilongtemps.Jecroisqu’ilapeurpourmoietquec’estcettepeurquiletientàdistance,bienplusquelesmenacesquej’aipuluifaire.Jesaisqu’ilaprisrendez-vousavecledirecteurlorsde son entréeau collège.Cedernierm’aappeléepourm’en informer. Sondossier d’inscriptionnecomportepaslenomdesonpère.Jenel’aidonné,avecunnumérodetéléphone,qu’encasdegrosproblèmeetseulementsij’étaisinjoignable.Jeluiaiditquetantqu’ilnecherchaitpasàvoirMartin,il pouvait demander ce qu’il voulait. Le directeur m’a clairement fait comprendre que s’il luiprésentait des documents légaux quant à son autorité parentale, il ne pourrait pas s’y opposer. Jem’endoutaisunpeu.Àcemoment-là,j’aipresqueespéréqu’illefasse.Jen’auraispluseulechoixetj’auraisétéobligéedesuivrelemouvement.J’enauraisétémalade,maisilyaunmomentdéjàquemesmenaces ne sont plus que cela, desmenaces que je nemettrai pas en pratique. Apparemment,Louis n’en a aucune idée. Il a juste demandé à avoir un suivi régulier de la scolarité de son fils.Depuisdeuxans,ilreçoitencopietoutcequiconcerneMartinetlecollège.Ce positionnement a dénoué quelque chose en moi. Louis ne lâche pas Martin. Il est là, dans
l’ombre.Unjour, ilensortira.J’ai lasensationd’attendreunévènementquiserapprocheàgrandspas,sanstoutàfaitsavoircequ’ilest.Ilm’estdeplusenplusdifficiledefaireface.Sijemesensplusalertedansmatête,commesidespollutionsavaientétééradiquées,jesensquemoncorpsnesuitpas.Jen’yarriveplus.Lorsquejesorsduboulot,jen’aiqu’uneidéeentête:enlevercesvêtementsquim’entravent,défairecechignonquimefilelamigraineetplongersousl’eauchaudepourmedéfairedetoutecettepuanteurquimecolleàlapeau.Celledelasueur,dustress,deseffortsquejefaispourmaintenirmasérénitédesurfaceetmontreruneforcequejenepossèdepas.Aprèsladouche,j’aiunregain d’énergie. Je le donne àMartin, de la seule façon que je peux. Je lui prépare son dîner etj’essaie de lui parler, mais ce n’est pas facile. La profondeur de son regard me déstabilise. C’estcommes’illisaitenmoietqu’ilvoyaittoutemanoirceur.C’estsiangoissant.Alors,jeluimontremonintérêtàmamanière,enluipréparantàmanger,unrepassolidepourunjeuneadolescentenpleinecroissance. C’est un réel effort, la nourriture me dégoûte. Je lis avec attention son carnet decorrespondanceetjesignetoutcequ’ilyaàsigner.Jem’occupedesesvêtementspourqu’ilenaittoujoursàdispositionetqu’ilsoitimpeccable.Jeluilaissedel’argentpourqu’ilnemanquederien.
Parfois, j’ouvre laboucheet je tentecedialogue.Jemeheurte toujoursàcemêmeregard, intense,profond et intelligent. À cesmêmes prunelles qui ressemblent tant auxmiennes. Je le regarde et jeretrouveEmmanuel.Illuiressembledeplusenplus,mêmes’ilestencoreplusbeau.Ilestpartipourêtregrandetavoirdelastature.Lafinessedesestraitsestlamienne.Pourlereste,c’estsonpère.IlyaaussideLouisenlui.Pasdanssonphysique,sicen’estsescheveuxbrunfoncé.C’estplusdanssafaçond’être,danscesérieuxengagéqu’ilmetdanscequ’ilfait.Ilsn’ontétéprochesquecinqannéeset,pourtant,ellessontlà.Ilyalesliensdesang,incontournables,etilyalesliensdeproximitéetdesentiments. Louis l’aime, l’a toujours aimé, et ce lien existe,même si sept ans ont passé depuis ladernière fois où ils se sont vus et queMartin ne s’en rappelle plus. Samémoire lui fait peut-êtredéfaut,maissavies’ensouvient.Louiss’estremariéetaeuunepetitefille,Lisa.Ilm’enaparlédèsledébut.Celaaétéplusfortque
moi,j’aivouluvoirunephoto.Elleestsijolie.LessouvenirsdeMartinbébésontencoretrèsprésents.Celam’a fragiliséeunpeuplus.Jemepose tantdequestions.Est-cequeMartinseraitmieuxavecLouis,aucœurd’unefamille,desafamille?Cequejeluidonneest-ilsuffisant?Sûrementquenon,paspourunadolescentquisaitsipeudesamèreetquinepeutpassavoirquecepeuquej’ensuisvenueàpouvoirluidonnersont,chaquejour,mesdernierssoufflesd’énergie.Sijecédaisàcetappelquim’empêchededormirlanuit,àcesrêvesquinesontqu’illusion,quemeresterait-il?Rien.Ilnemeresteraitrienàquoimerattacher.LorsquejequitteMartinpourgagnermachambre,c’estunsanctuairequejeretrouve.Ilestpeuplé
demessouvenirs,d’Emmanueletdecetteviequejem’étaissurpriseàrêveretquim’aétévolée.J’aitoujoursunelamederasoircachéedansmatabledenuit.CesontlesfaiblesbruitsquefaitMartinquimepermettentdeseulementlaregarderoudenemefairequequelquescoupuressansimportance,justepourleplaisirdecepincementdedouleurquimepermetd’oubliercellesquimebrisentlecœur.SiMartinn’étaitpaslà,jeseraisdéjàmorte.
CHAPITRE13Devantleurgobeletdecafé,NolanetTouzanicogitaient.Ilnes’étaitrienpassélaveilleetlecimetière
seraitdenouveaufouilléaujourd’hui.Lafébrilitémarquaitleregarddel’inspecteurNolan.Ilsentaitlafinvenir,soninstinctleluicriait.—Martin,çafaitunmomentqu’onnes’estpasquestionnésurlamarquequ’illaissedansleurnuque.
SelonMorley,c’estunedonnéeessentielle.—Nousl’avonstoujourspensé,nousaussi…Ellen’arienàvoiraveclavirginité.—Non,cen’estpasunebonnedirection. Ilpunit lamaîtressedesonpèreà traversces fillesqu’il
violeettue.Pureté…Qu’est-ceçavientfairedansl’histoire?—Ilcroitlespurifiereninscrivantcemotsurleurpeau,maiscomment?Parquelprocessus?—SelonleDoc,ilyadefortesprobabilitéspourquecesoitlemêmecouteauquilesmarqueetles
tue.Ilpourraitêtrelaclé,non?—Bonnequestion…J’aivuqu’iltiquaitlà-dessusavecEugénie.Ilétaithésitantetn’arienvoulume
dire.Ilapeut-êtreavancé.—Ilnousl’auraitdit.—Jelepenseaussi…Attends!Sisonchoixd’armearéellementunsensetqu’ilestenlienavecle
motpureté,ilpourraitêtreunobjetreligieux.Unereliquequ’ilconsidèrecommesacréeetpure.—Uncouteauqu’ilauraitvoléàl’église?—C’estuneidée…Ellemeplaîtbien.Elleaunebonnerésonnance.—AllonsvoirleDoc.Ilnousdirasic’estpossible.—Onvayaller.Pourlescheveux,onrestesurnotreidéepremière,cellequeMorleynousasoufflée?—Elleestplutôtbienvue,non?— Il les punit, les soumet et les dépossède de leur personnalité.On a donc un tueur qui repère ses
victimespourleurapparenceetquileschoisitenfonctiondel’initialedeleurprénometdulieuoùellestravaillent.Lesruellesoùillesdéposesuiventcettemêmelignedeconduite.Illesviolepoursevenger,lestuepourleplaisiretlesmarquepourlespurifier.Illeslavepourcettedernièreraison.Illesexposeaveccetteidéedefaireressortircequilesaamenéeslà, leurcapacitéàpervertir leshommesgrâceàleurbeauté,leurjeunesseetlesexe,etilleurrendleurinnocence.—Ilnelestuepasquepourleplaisir,àmonavis.—Quelestlefonddetapensée?—Illespoignardedirectementdanslecœur,d’uneseulepoussée,directeetfranche,aveccecouteau
siimportant.Çanepeutpasêtrequepourleplaisirdetuer.—Ilpurifieleurcœurgrâceaucouteau,enessayantdetoucherleurâme.— Dis, Martin, est-ce qu’on est aussi tordus que lui pour être capable de déployer autant
d’imagination?—Nan,justedouésetintelligents!—Tumerassures,là.—Tuesunmecsain,Ismaël.—Ouais…
La porte s’ouvrit brutalement et ils sursautèrent de concert. LeDoc fit une entrée fracassante et laclaquaderrièrelui.Ilétaitsurexcité.—J’aidunouveau!—Onesttoutouïe,maisqueçanevousempêchepasdevousasseoir,Doc.—Plustard.Lecouteau!Lecouteauestparticulier!Un sourire de vainqueur s’afficha sur le visage deMartin alors qu’Ismaël retenait le sien. Il aimait
bien,detempsentemps,quecesoitMartinquiparaisseleplusimmaturedesdeux.Ledocnevitrien,ilétaitcomplètementperdudanssontruc.— Je savais déjà que c’était un couteau court, à la lame large et fine, très aiguisée aussi,mais je
n’arrivaispasàme le représenter.Une tracesur ladernièrevictimem’amis lapuceà l’oreille. Il l’aenfoncéunpeuplusbrutalementquepour lesprécédentesetuneempreinte,unhématome,amarquésapeau.J’aiprisdesphotos,j’aidessinélaplaieetj’enaifaitunmoulage.J’aienvoyéletoutàLyon.Jeviensd’avoirleretour.Très fier de lui, il brandit sous leurs yeux impatients un croquis élaboré de l’arme. Il concordait
parfaitementaveccequ’ilsavaientimaginéquelquesminutesplustôt.—Unereliquereligieuse!Regardezl’extrémitédumanche.C’estunecroixàlacoupecarrée.—Félicitations,Doc!Grâceàvous,nousavonsuneimagepourcollerànosélucubrations.—Quoi?Vousenétiezarrivésàcesconclusions?—Y’aunequinzainedeminutes.—Moiquiespéraisvoussurprendreetapporterdel’eauàvotremoulin…Jevousaimebien,Martin,
maisjemerendscomptequevoscollèguesontraison:vousêtesunchieur!—Eh,Doc,pasvous!Cedernierposaunemainsurl’épauledeNolanetilséchangèrentunsouriredeconnivence.— Non, pas moi. Je n’ai jamais douté de votre intelligence ni de votre obstination. Si les autres
pensentquevousêtesunchieur,jepensequevousêtesunexcellentflic.Ismaëlestsurlabonnevoiepourvousrejoindre.Vousformezunebonneéquipe.—Merci,Doc.Vousenfaitespartie.—Etc’estunplaisir.LeregardduDocvoyageadel’unàl’autreetunsourireunpeutordunaquitsurseslèvres.— J’ai appris pour votre homosexualité,Martin. Je n’ai pas eu l’occasion de vous en parler,mais
sachezqueçanechangerienpourmoi.L’undemesfilsacemêmetravers.Jeluiaiprésentéjenesaiscombiendefilles,maisrienàfaire,ilcontinueàdirequ’ilpréfèreleshommes.Pfff!Heureusementquej’enaideuxautrespourmefairedespetits-enfants.LerireduDocrésonnadanslebureau.Ils’amusaitàvoirlatêtedesdeuxinspecteurset,surtout,celle
dustoïqueMartinNolan.—Jevais remerciermonfilsdesonhomosexualité.Voirvotre tête,Martin,vaut tous lessacrifices,
mêmeceluid’unoudeuxsalesmômesenmoinsdansmespattes.—Vousvousêtesmisàladroguerécemment,Doc?—Nan, jen’enaipasbesoin.J’aimelavie,voyez-vous,et j’aimemesenfants. Ilest très important
pourmoique chacund’eux soit heureux. Je trouve tellement idiot dedevoir se cacherparcequ’onnecorrespondpas auxnormesde la société.Quandmon filsm’a annoncé timidementqu’il était gay, j’aisentisapeurd’êtrerejeté,parmoi,sonpère.J’enaiétéeffaré.Cejour-là,jeluiaidonnésaplusgrandeleçon : ne jamais avoir honte de ce qu’il est et le revendiquer fièrement.Mon fils est un bongarçon,honnête et gentil. D’ici deux ou trois ans, il sera médecin et, si tout se passe bien, il réalisera sonambition: travaillerdansunservicepédiatriqueavecdesenfantsgravementmalades.Qu’ilsoithomo,
ces gamins s’en moqueront éperdument, tout comme moi. Je vois chaque jour ce que la haine et laméchanceté ont de plus terrible. Je m’y confronte chaque matin quand je rentre dans mon labo…Dommagequevoussoyezpris,Martin,vousauriezfaitunexcellentgendre.Martin Nolan faillit s’en décrocher lamâchoire. Il bailla, inélégamment, comme un poisson rouge.
Ismaëlprittrentesecondespoursavoircommentréagir,puissonrireexplosadanslapièce.LeDocluifitunclind’œil.—J’aipeut-êtreratémonentrée,maisjevaisréussirmasortie.Unedernièrechose…IsmaëlTouzani,
soyezfierdevousetdecequevousêtes.Aprèstout,c’estvousquiavezréussil’exploitdemevolerlegendreidéal.Lerired’Ismaëlstoppanet.Sonregardpapillonnaquelquessecondesetunerougeurmarquasesjoues.—Ce soir, je bois une coupe de champagne avecmon fils. Quelle sortie ! Je ne suis pas prêt de
l’oublier.Le Doc partit sur cette dernière envolée, laissant derrière lui deux flics complètement scotchés. Il
regrettait seulementdenepas avoir pu filmer la scène, il se la serait repassée enboucle les soirsdedéprime.—J’airêvé?C’estvraimentleDoc,lemecquivientdenousenmettrepleinlavue?MartintournalatêteversIsmaël,pastoutàfaitsûrd’êtrecapablederépondre.Ilneconnaissaitpas
cet aspect de la personnalité du Doc et il avait du mal à se frayer un chemin vers son cerveau. Laconnexionsefitenfinetilaboyaderire.—Ohputain!Etc’estmoilechieur?Merdealors,jesuisundébutantdanscejeu!—C’esttoutcequetutrouvesàdire?—J’aitoujoursappréciéleDocetj’aibeaucoupd’estimepourlui.Ellevientpourtantdegrimperen
flèche.—Toutçaparcequ’ilt’aditquetuferaisungendreidéal!—Eh,c’estunbeaucompliment!Ilt’afélicitépourtonexploit,sijenem’abuse.—Ouais,ben,c’estencoretoiquirécoltesleslauriers,pourlecoup.—Tuesjaloux?—Nan…Ilaraison,j’aifaitfort!J’airéussiàrendrelefroidNolanaussichaudquedelabraise…
Siluiacompris,tucroisquec’estlecaspourd’autres?—Jenepensepas.Ilyestplussensiblegrâceàsonfils.—Peut-être…—Tuflippes?—Pastantquejem’yseraisattendu.—Toutvabien, alors.Allez,ne t’inquiètepasplus.On reparlerade tout ça ce soir, si tuveux.En
attendant,unenouvellevisiteaucurés’impose.Quandleprêtrevitledessinducouteau,ilblêmitetsesmainstremblèrent.Sansprononcerunmot,il
entradanslasacristieetsortitd’untiroiruneboîteenmétal.Ill’ouvritetpoussaunsoupirdedésespoir.Son corps ploya sous le poids de son chagrin. Ces filles avaient été tuées avec un objet sacré qu’ilconservaitprécieusement.Ilétaitbouleversé.Ilsrestèrentunepetitedemi-heureaveclui,àdiscuteretàtenterdelesoulager.Cefutpeineperdue.
Sontourments’intensifialorsqueNolanluidemandadevérifiersisontrousseaudeclésétaitcomplet.Ill’était,maisundoubledelaportearrièreavaitdisparudutiroirdanslequelillesrangeait.Elleouvraitlapetiteporteenbois,à l’arrièrede l’église,cellequidonnait sur l’entréecommuneavec lepresbytère.MartinNolanlerassura.D’iciuneheure,unpolicierseraitenpermanenceensurveillancesurlaplace
pavéequisetrouvaitdevant.À leur retour au commissariat, une fois qu’ils eurent atteint la salle commune, là où Ismaël avait
toujourssonbureau,ilsprirentconsciencequequelquechosen’allaitpas.L’ambianceétaitàcouperaucouteau.Danssonbureau,Bricksfaisaitdesalléesetvenuesquin’auguraientriendebon.Lescollèguestravaillaient tête baissée et aucun ne la releva à leur arrivée.Martin et Ismaël se jetèrent un regardinquiet.Lamortd’Eugénieétaitbientroprécentepourunnouveaumeurtreetilsfaisaienttoutcequiétaiten leurpouvoirpourqu’ellesoit ladernièrevictime.Uneangoissesourde leurvrilla l’estomac. Ils sedirigèrentversl’antredupatron.—Commissaire?Cedernierseretourna,sesyeuxflamboyaientdecolère.Ismaëlnel’avaitjamaisvudansuntelétatet
Nolan,rarement.Àleurgrandétonnement,ilnebraillapaslorsqu’illeurparla.—J’aideuxmauvaisesnouvelles.—Lesquelles?—LecimetièreaétépasséaupeignefinetlatracedeFabriceScheidormaétérepérée.Jenepense
pasqu’ilyréside,maisildoityvenirsouventetbienplusdepuispeu.—Oùestleproblème?—LEPROBLÈME?!CecondeTraptinafoutulapagaille!—Quoi?!—Aulieudelaissertoutenétatdansl’espoirqu’onpuisselepiéger,cetabrutiavoulufaireduzèleet
atoutretourné.Siletueursepointe,ilcomprendraendeuxsecondesqu’onl’arepéréetilfileracommeunrat.Enplus,Traptinn’apasfaitdansladiscrétion.S’ilpassedutempsàproximité,iln’apuquelesvoir,luietlecollèguequ’ilaembarquédanscetteconnerie.LacolèredeNolanrejoignitcelledeBricks.Celled’Ismaëlseteintad’unedéceptionacide.Bernard
Traptin,cemecqu’ildétestait, leurfaisaitperdreuneopportunitéenord’arrêtersans tropdecasse letueur.—Putain!Ilalatêtedansleculouquoi?Ilestoùcefouille-merdeincompétent?—Chezlui!Jel’aimisàpied!Sijel’avaislaissétraînerdanslecommissariat,c’estmoiquiaurais
finientaule!—J’espèrepourluiquec’estàl’églisequ’ilsquatte,sinonjenedonnepascherdesapeau.Déjàque
çamedémangedeluifoutreunebranlée,là,jenemeretiendraiplus.—Commentçal’église?Vousavezdunouveau?Nolanluirelatalesderniersévènements.BricksdécrochasontéléphoneetenvoyaAlexissurplace.—Aveclui,onestsûrqu’iln’yaurapasdeconneriesregrettables.—Onprendralarelèvedèsdix-huitheures.—Vousêtessuffisammentenforme?—Oui,pasdeproblème…Ladeuxièmemauvaisenouvelle?Briksgagnasonbureau,attrapaunjournaletletenditàNolan.Cedernierseraiditd’appréhension.—Pagedix.Deuxphotos luisautèrentauvisage.Sur lapremière, ilarrivaitaupasdecoursedevant l’immeuble
d’Ismaël.Ilétaitprisdefaceetlestracesquesonfootingavaitlaisséesétaientplusqu’apparentes.Surladeuxième,ilétaitdedos,danslarueprochedudomiciledususpect.Ilfaisaitfaceàunepersonnequesacarrurecamouflait.C’étaitàcemomentoùilavaitposésamainsurlajoued’Ismaëletoùilavaitchangéd’avis quant à gagner son appartement. Ce geste n’était pas visible,mais sa posture et son bras levépouvaientêtre interprétésdeplusieursfaçons,dont lavéritable.Legros titreannonçait :«Portraitde
MartinNolan,l’inspecteurchargédel’enquêtesurletueurensériequisévitdansnotreville.»—C’estuneblague?—Malheureusementpas.—Jen’aipastrèsenviedelelire.—Jetecomprends.Àl’inverse,Ismaëlavaittrèsenvied’yjeteruncoupd’œil,maisiln’osaitriendire.Depuislaveille,
ilsesentaitpluslibreaveclessentimentsqu’ilavaitpourMartin.L’attitudeetlesproposassénésparleDocavaientrenforcécettesensation.Ilavaitmoinspeurd’êtredécouvertetsesentaitbienpluscapabledefaireface.Ceciétant,ildésiraittoujoursêtrel’instigateurdesoncomingout.—Elleditquoi,engros?—Elle fait une présentation rapide de l’enquête, explique que tu en es chargé et que ton principal
coéquipierestIsmaëlTouzani.Elledévieprogressivementsurtapersonnalité,tedécritcommeunhommesolide,froidetcompétentquiatoutemaconfiance,pourarriveràquelquesinformationssurtavieprivée.Quetuesunsportifaccompliquicourtplusieurskilomètreschaquejour,quetuaimest’arrêterdansunesalledesportpourentretenirtamusculature,maisquetun’enaspaseutropletempsdepuisledébutdel’affaire…—Hein?Maiscommentsait-elletoutça?—Elle a dû te suivre quelques fois, faire des déductions et poser quelques questions à droite et à
gauche.—C’estabsurde!Endehorsdel’enquête,jen’aiaucunintérêt.—Jenesuispascettefemmeetentrerdanssoncerveaumeseraittropardu.Sonjournalaimemélanger
lepublicetleprivé.C’estleurmarquedefabrique.Siunepersonnalitélesinterpelle,ilslamettentenavantetfontmousserlesnouvellesquitournentautour.—Merde!Jesuisunsimpleflic!—Ouais,ben,apparemment,elletrouvequetuasunphysiqued’Apollonetellecomptelà-dessuspour
boosterlesventes.—Jevaisporterplaintepourintrusiondanslavieprivéesansautorisation.—Jet’yencourage…Ellerévèleaussiquetueshomosexuel.—Jevaisvomir.—Oh,ellelefaittrèssubtilement.BricksarrachalejournaldesmainsdeNolanetenlutunpassagetouthaut.«Ilestbiendommagepourlagentfémininequecebeauspécimenportesesgoûtssurleshommes.
Eh oui,Mesdames, l’inspecteurMartin Nolan est homosexuel. Il n’en reste pasmoins qu’il est unpolicier expérimenté et compétent. Et c’est bien ce qu’on lui demande : résoudre rapidement cetteenquêteetarrêtercetueurquisèmelaterreurdansnotreville.Manaturedefemmeesttoutdemêmecurieuse.Quiestl’hommequialachancedepartagersavie?»—Lasalope!—Jenediraipaslecontraire,maislemieuxestqueturestescalmeetquetufasseslenécessairedans
l’indifférencelaplustotale.—Quiluiadit?—Aucuneidée,maisnefaisrienquipourraitteporterpréjudice.—Jevaisporterplainte,ceseraleplussimple.Ellenes’ensortirapasaussifacilement,tupeuxme
croire.Etceluiquil’arencardée,pasplus,parcequejesauraiquic’est.Cen’estpaslemoment,maisilviendra…Peux-tumerendreunservice?—Lequel?
—Faisensortequ’ellen’enrévèlepasplus.Ilestclairqu’elleal’intention,sionnel’arrêtepas,desavoirquijemetsdansmonlit.Tuasdesrelations,ceseraitsympadem’enfairebénéficier.—Jevaism’enoccuper.J’auraisdûlefaireavant,mais jenepensaispasqu’elle iraitsi loinnide
cette façon. J’avais plus imaginé qu’elle essaierait de te discréditer et comme je suis sûr que tu vasréussiràbouclerl’affaire,jenem’enfaisaispastrop.S’attaqueràlapressedemandetoujoursunpeuderéflexion.—Laissetomber,cequ’elledit,jem’entape.Cequimefoutenrogne,c’estqu’elleaitosés’incruster
dansmavieprivée.Sinon,jeveuxjusteprotégerIsmaëletqu’ellen’aillepasplusloin.—Ellen’enaurapasl’occasion.Jepeuxdéjàt’affirmerqu’elleetsonjournaln’aurontpasaccèsàla
conférencesurlarésolutiondel’enquête.—Tuesbienconfiantavecl’affaire.—Jelesuistoujours,c’estlaseulefaçondetenirlecoupdanscemétier.MartinNolanhochalatête,ilnepouvaitpascontrediresonchef.Ilfonctionnaitpareil.—Jedéposemaplainteauprèsd’uncollègueetonfileàl’église.Avecunpeudechance,ceseranotre
dernièrenuitànousrendremaladesaveccefumier.Cettedémarcheeffectuée,Nolanse retrouvasatisfaitet sacolèrebaissad’uncran. Ilpouvaitmettre
cettedébilitéderrièreluipourlesheuresàvenir.Parcontre,sonressentimentpourTraptinn’avaitrienperdudesonintensité,mêmes’illagérait,etilluirestaitunedernièrechoseàprendreencompteavantdepasserenmodecentpourcentflic.—Çava,Ismaël?—Impeccable.—Tun’aspasditunmotdepuisqu’onestentrédanslebureaudeBricks.—Jen’aipasgrand-choseàdire,sicen’estquej’aitrèsenviedecasserlagueuleàTraptin.—Onestdeux.—J’aitoutautantenviedefoutredeuxbaffesàcettepétasse.— Ça ne me déplairait pas non plus, même si je suis fermement opposé à la violence envers les
femmes.Luifaireperdresonboulot,ça,parcontre…— Idée ingénieuse. Quant à l’article en lui-même, je suis désolé pour toi. Je sais à quel point tu
détestesêtreunpointdemireetcombientupréservestavieprivée.—Sic’estleseularticlesurmoi,çavasetasser.—Jel’espère.—Etvis-à-visdetoi?Jelasoupçonnededéjàsavoirpournous.Sielleapriscettephoto,elleavule
reste.—Jesais…C’estsansimportance.Sicetarticledébouchesurmoncomingout,j’enseraiterriblement
déçu.Jen’auraispasl’impressionqu’ilestunepreuvedecouragedemapartouunactevolontairequej’auraisdécidé.C’estlaseuleraison.Jemesenspresqueprêtàlefaire.—Quetemanque-t-il?—Unmomentplus serein, sans le stresset lapressiondecetteenquête. Jevoudraisqueçane soit
qu’enpensantàmoietànous.—Jenepeuxqu’êtred’accordavectoi…Noussommesentrainderévolutionnernosvies.—J’aimeassez.—Jenem’enplainspas.C’estuntourbillonet,parfois,çam’emmerde,mais…Jenesaispastrop.Je
sensquec’estpourdumieux,dumeilleur.—Jeressenslamêmechose.Unefoisdeplus,leurconnexionserévélaitentoutesimplicité,sansfioriturenimasquepourcamoufler
ce qu’ils ressentaient. Si ce n’était pas un gage de réussite, c’était malgré tout une bonne base pourconstruirelarelationqu’ilsdésiraientaveclamêmeintensité.
LejournaldeLouisaIlyatoujoursunefinJ’aiplongédansunbassinfermé,cloisonnéetétriqué.Jemesuislaisséehapperàtelpointqueje
n’étaispluscapabled’ensortir.Est-cequej’enavaisconscience?Oui,jepeuxaffirmerqueoui.Jenesuis pas folle, mais simplement fragile, trop fragile. Maintenant que la fin approche, je suis pluslucideencore.Jem’endoutaisetc’estconfirmé.C’estmoncorpsquimelâche.Jenemesentaisvraimentpasbien
cesdernierstemps,jusqu’àm’eninquiéter.Desdouleurséparsesdanslesos.Jen’aiquetrente-septansetj’avaisl’impressiond’êtreperclusecommeunepetitevieille.Jesuisalléechezlemédecinpourlapremièrefoisendixans.J’aisubinombred’examensetlecouperetesttombé:scléroseenplaques.Unemaladiemystérieusedontjeneconnaissaisquelenom.J’ensaisunpeuplusmaintenant.Je vais devenir un poids, souffrir et me diriger droit vers le handicap.Ma fragilité physique et
émotionnelleestunterraind’aviditépourcettemaladie.Tousceuxquiensouffrentnesontpaslogésàlamêmeenseigne.Pourmoi,çavavite.Enquoipourrais-jeenêtreétonnée?Martin,monMartin,àl’anxiétésiprégnante,sedoutedequelquechose.J’aitentémaintssourires
pourlerassurer,maisilsnedevaientpasatteindremesyeux.Ilsn’ontquepeueul’effetescompté.Etmaintenant ? Cela fait un an que je sais et l’une demes jambes a de plus en plus demal à
supporter mon poids plume. Bientôt, il me faudra une canne. Selon le médecin, j’ai cette maladiedepuisuncertaintemps.Ilditquej’ainégligélessignes.Ilasûrementraison.J’airangé l’appartementde fondencomble.Dieu,queçam’acoûté.J’ai triémespapiersetmis
toutauclairpourMartinetLouis.Ilserafaciledefairelevide.Jepenseàmonfils,àcefilsquej’aimetantetquej’aisimalaimé.Ilestmagnifique,solide,poséet
réfléchi.Quellepartmedoit-il?Querestera-t-ildemoienluilorsquejeseraipartie?Jepourraislutter,essayerdetenirencoreunpeu,maispourquelrésultat?Jen’aipaschoisima
vie, je veux choisir ma mort. Emmanuel n’a pas vu venir la sienne, mon père non plus. Ce seradifférentpourmoi.JeneveuxpasêtreunpoidspourMartin,jeneveuxpasl’êtreplusquejenelesuisdéjà.Lesdéssontjetés.J’aitrahimoncorpspendantdesannées,ilmerendlamonnaiedelapièce.Je sais déjà comment je vaism’y prendre.Ce ne peut être que par le sang. Il bouillonne enmoi
depuissilongtempsetjelemaintiensenlaissedepuisautantdetemps.Machambre,monsanctuaire.Celitsolitairequin’ajamaisconnulaprésenced’Emmanuel,leseulhommequej’aieu,leseulquejevoulais.Jeluisuisrestéefidèleetj’ensuisfière,plusqu’ilnedevraitêtreautorisédel’être.J’aitoutprévu.JeleferaibienavantqueMartinnerentreàlamaison.Jevaislaisserunmessageà
Louispourqu’ilaillelechercheraucollège,enluidisantdel’éloignerpendantunmoment.Ilrisquedes’enétonneretdeneriencomprendre,maisilserasicontentqu’iln’enferasûrementpastoutunfoin.Detoutefaçon,jeseraiinjoignable,alorsilleferaetiltrouverabienunmoyendeleconvaincre.J’appellerai lespompiers justeavant. IlesthorsdequestionquecesoitMartinquime trouve.J’aipenséàmespoignets.Enlestranchantviteetvivement,cedevraitêtrerapide.J’aipeurdemerateret
de devoir recommencer. J’ai cette envie au fond demoi, violente. Ce désir vivace d’une libérationtotaledemonsang.Enaurais-jelecourage?Ilnefautpasquejepenseàceuxquimetrouveront.Ilsontdûenvoird’autres…Cettepulsionmevrillelestempes.Elleestlà,impérative.Jeneveuxpasluicéder,etpourtant...
J’aiécritunelettreàmonfils,monMartin.Jel’aiglisséedansl’albumdephotosquejeconstitue
depuisqu’ilestné.Ilretracetoutesavie.J’ailaisséunmessageàLouis.Ilm’afalluplusieursessais,jusqu’àcemomentoùilacessédedécrocher.Ilnemeresteplusqu’àappelerlespompiers…
CHAPITRE14NolanetIsmaëlretrouvèrentAlexissurlaplaceàl’arrièredel’église,planquéderrièrelastatued’une
sainte.Iln’étaitpasloindedix-neufheures,ilslelibérèrentmalgrésapropositionderesteraveceux.Ilsavaientpeurqu’àplusdedeux,ilssefassentplusfacilementrepérer.LeportabledeMartin,toutcommeceluid’Ismaël,étaientsurunedesfréquencesdelaPolice.Ilsn’avaientqu’àappuyersurunetouchepourdéclencher l’alerte. Ils projetaient beaucoup d’espoir sur cette nuit. Ils étaient peut-être un peu tropoptimistes,maissic’étaitbienlàqu’ilvenaitseréfugier,pourquoicesoiraurait-ilfaitdéfaut?Auboutducompte, le ratagedeTraptinpouvaitavoirdubon.Enpensantque laPolices’était focaliséesur lecimetièreetavaitcruytrouversonpointdechute,ilbaisseraitsagarde.Nolanl’imaginas’amusantdeleurdéconvenue.Uneheurepassa,puisunedeuxième.Ilscommencèrentàavoirdesfourmisdanslesjambes.Ilsnese
parlaientpasetscrutaientlesalentours.Lanuittombaitlentement.Ilssavaientque,sanselle,ilsdevraientencoreattendre.Deuxnouvellesheuress’écoulèrent.Puis,unmouvementfurtifleurfitouvrirplusgrandlesyeux.Ils’accompagnad’unsontoutaussidiscret,celuidepasprudents.Martinsedéplaçaenrampantdans l’herbe. Ismaëlaurait aimé le reteniret lui enjoindre laprudence. Ilnepouvaitpas le faire.Uneangoissecommeiln’enavaitjamaisconnueluivrillal’estomac.Ilsortitsonarme.Nolanprogressaittrèslentement, attentif à ne pas faire de bruit. Une ombre se révéla dans la lumière du vieux lampadaireproche du presbytère.Le raclement d’une clé qu’on introduisait dans une vieille serrure résonna dansl’obscurité.L’inspecteurNolanseredressa,fittroisgrandesenjambéesrapidesetbraquasonarmesurlesuspect.Ismaël,auxaguets,commençaàs’approcherenlevisantdelamêmefaçon.Ilétaitbientroploinàsongoût.—Police!Nebougezplus!L’hommesefigea.—Retournez-vouscalmementetpasd’entourloupe.Vousavezunearmebraquéesurvotredos.L’hommefitcequ’onluidemandait,maisaumomentdefairefaceàNolan,sonbrasselevavivement.
Unpremiertirpartitdroitdevantlui,undeuxièmesuivit.Nolanyréponditavantdes’écrouleralorsqu’unquatrièmeretentissaitdanslamêmeseconde.Ilentenditlechocd’unechutebrutale,puissonprénom,criésauvagement,luiassourditlesoreilles.—MARTIN!Putain !Ça faisait unmal de chien !À quoi servaient les gilets pare-balles si c’était pour souffrir
autant?—Martin!—Çava,riendegrave.Vireauloinl’armedececonetappellelessecours.—C’estdéjàfait,toutdumoinspourladeuxièmepartie.Oùes-tublessé?—Ismaël!Désarmecetype!Ismaëlseretenaitde toutessesforcespournepashurleretcouvrir lavoixdeMartin.Ceciétant, il
n’aurait pas eu trop demal, elle était bien faible, trop pour donner des ordres. Il était au bord de lapanique, bien plus qu’il ne l’aurait souhaité.Martin Nolan avait raison. Il devait se reprendre. Il sereleva,marchaverslecorpsinerteallongéàtroismètresetdonnauncoupdepieddanssonpistolet.Il
glissaquatrebonsmètresplusloin.Ilpritsonpouls,n’ensentitpasets’endésintéressaimmédiatement.Ilrevintprestementverssonamant.—Oùes-tublessé?Dessirèneshurlèrentauloin,ellesserapprochaientàgrandevitesse.—Uneballedanslehautdubras.—Etl’autre?—Dansleventre.—Merde!Putain!Merde!—Ismaël,j’aimongilet.Jel’aijustesentiepasser.Jevaissûrementavoirunmagnifiquehématome,
maiscen’estpasmortel.Monbras,parcontre,çavaêtreplussérieux.Çafaitmal,putain!Ismaël se pencha sur lui et tenta de se faire une idée de sa blessure. Il arracha unemanche de sa
chemiseetluifitungarrot.—Ilsnepeuventpasmettredeslampadairesquivaillentlapeinedanscettesaloperiedeville!Martinvoulutsemarrer,ilneleput.Unegrimaceluidéformalabouche.Lessecoursétaientproche,il
selaissaalleretfermalesyeux.—Martin?!—Justefatigué.Jecroisquejevaisfaireunesieste.—Cen’estpaslemoment,bordel!—Jecroisquejen’enaipasconnudemeilleurdepuislongtemps.—Resteavecmoi,Martin!—Ismaël?—Quoi?—Arrêtetoncirque,jenesuispasencoreauxportesdel’enfer.—T’esunmarrant,toi,etunemmerdeur,maisça,tulesaisdéjà.Sic’étaitmoiallongésurlebitume,
hein?—Tun’yseraisplusdepuislongtemps.—Ahoui?Tupeuxm’expliquer?—Jet’auraisportédansmesbrasmusclésetjet’auraisemmenéaupasdecoursejusqu’àl’hôpital.Ismaëleutenviederire,ilsecontentad’unsourireattendri.—Aprèslegendreidéal,voilàquetut’improviseshéros.—Appelle-moiSuperMan…Ilssontoùlessecours?Ilsnesontpastrèsrapides.—Çanefaitquecinqminutes,Martin.—Ce sont de longuesminutes, alors.Elles doivent avoir le double du tempshabituel. Pourquoi ce
n’estpascommeçaaveclesexe?—Cequiestbonpassetoujourstropvite.Tuasmal?—Nan,jefaissemblant.—Tudeviensgrognon.—Tupeuxrejouerlesaffolés?C’étaitmieux,toutcomptefait.Les sirènes leur vrillèrent les oreilles, les gyrophares bleus illuminèrent l’endroit. Ismaël ne s’en
souciapas.Ils’inclinaversMartineteffleuraseslèvressèches.— Je t’aime, j’ai le droit dem’affoler. J’ai aussi le droit d’essayer de te distraire, tout comme tu
essaiesdelefaireavecmoi.Jecommenceàtrèsbienteconnaître.Quelques flics envahirent leur espace,un secouriste sepencha surNolanet commençaà le soigner,
alorsqu’unautres’occupaitdutueur.Unevoixtonitruantedéchiralanuit.—Nolan!Touzani!
Martin Nolan tourna la tête et demanda à ce qu’on l’aide à s’asseoir. Ismaël se mit debout, bienimplantésursesjambes.—Quelleestlacasse?—Unassassinquinedevraitplusavoirl’occasiondetuerquiquecesoitetunNolanavecuneballe
danslebras.Ilaaussiprisunchocdansleventre,celuid’unedeuxièmeballe.—Heureusement qu’il écoute celui-là parmoment.Alors, inspecteurNolan, on ne regrette pas son
giletpare-balles?—Nan,Chef,onneregrettepas.—Lequeldesdeuxaneutraliséletueur?—Aucuneidée.Lesdeux.Nostirssontpartisenmêmetemps.—Labalistique nous dira lequel a faitmouche… Il va rester avec sesmystères, ce qui est un peu
chiant.—Ouais,ilrestedesvides,maisonenarempliquelques-unstoutdemême.Le deuxième secouriste vint les rejoindre, accompagné de deux collègues flics, et leur confirma ce
qu’ilssavaientdéjà:l’unedesballesavaitunpeutropsûrementatteintsonbut.—Touzani,accompagneNolanàl’hôpital.Pourlasuite,jem’enoccupeavecceuxquisontlà.Venez
fairevotrerapportdèsqu’ilserasurpied.—Etsiçaprenddessemainespourquejelesois?—Tuespèresuncongésabbatique?—C’esttentant.—Cen’estqu’uneballedanslebras.Ramènetonculdèsquetusorsdel’hôpital!—Elleyestencorefichée.—Onvatelaretirer,çaneprendrapastroisplombes.—Tacompassionmefaitchaudaucœur.—Tuveuxquejetetraitecommeuneprincesseendétresse?—Nan,pasvraiment.—Alors,arrêtedechicaneretdégagedemespattes!—C’esttoiquiesdanslesmiennes.Bricksse tournaversIsmaëlet lesoignant.Ilarboraitunsouriresur les lèvres.Savoirqu’undeses
hommesétaitsurlecarreau,sansenconnaîtreplus,etapercevoirNolancouchésurlespavés,avaitfaits’emballersonpalpitant.Cedernieravaitlestraitstirés,descernesprofondsmarquaientsesyeuxetsonteintétaitpâle,maisiln’avaitaucuneblessuresérieuse.Rassuré-Nolanrestaitlui-même-illeurtournaledos:ilpouvaitpasseràautrechose.—MARTIN!Merde,MARTIN!Bricksfitvolte-face,sasatisfactionn’étantplusqu’unsouvenir.IsmaëlétaitaccroupiprèsdeNolan.—QUOI?Qu’est-cequ’ilsepasse?—J’ensaisrien!Ilesttombédanslesvapes!Lecommissairen’eutpasletempsd’aboyerunordre.LessecouristesavaientdéjàrepousséIsmaëlet
s’activaientauprèsdesoninspecteur.—Onl’emmène!Blême,Ismaëlétaitl’ombredelui-même.Martinluiavaitassuréquesongiletl’avaitprotégé,maiss’il
s’étaittrompé?Sapeausecouvritdechairdepouleetiltrembla.—Dites-moicequ’ila?!—Onnepeutrienvousdirepourl’instant.Ilaperdupasmaldesangetlaballeesttoujoursdansson
bras.
—Ilaététouchéauventre.—Onvavérifiertoutçadèsqu’ilseradanslecamion.—Jeviensavecvous.Lesecouristeluilançaunregardtorveavantdesemontrerclair.—Sivousvoulez,maisvousrestezdansuncoinetvousnouslaisserfairenotreboulot.—Évidemment!Ismaëltintsapromesseets’installaàlaplacequ’onluidésignait.Sonregardétaitvrillésurlevisage
exsangue deMartin.De temps à autre, il observait les gestes des soignants, ce qui faisaitmonter sonangoisse.Ildétestalemasqueàoxygène,toutautantquelesilencequirégnaitdansl’habitacle.L’arrivéeà l’hôpital fut rapide et il n’eut aucune information rassurante pour l’aider à patienter dans la salled’attente.Fairelescentpasfutlaseulesolutionqu’il trouvapourmaintenirlacraintequiluiserrait lecœur.
Inconfortablementinstallédansunfauteuil,IsmaëlattendaitqueMartinseréveille.Ilsesentaitvaseux
etépuisé.La tension liéeà l’enquêtecommençaità retomberet lapeurqui l’avait saisiquand ilavaitentendu les premiers tirs et vu Martin tomber avait du mal à le quitter. Pire encore, il le revoyaits’écroulersurl’asphalteetperdreconscience.Illuttaitcontredeuxretombéesopposées:l’harassementetlapousséed’adrénalinequifaisaittoujourspulsersonsangdanssesveines.Martinavaitétéopérédèssonarrivée,laballeavaitétéretiréeetunbandageencerclaitsonbiceps.Aucuneautrelésionn’avaitétéconstatée,maisIsmaëlavaitattenduplusdedeuxheuresavantdelesavoiretiln’arrivaitpasàvaincretotalementsafrayeur.Iln’avaitpaseul’opportunitéd’admirerlebeaubleuquidevaitdécorersonventre,maisvulafaçondontils’étaitpliéendeuxsouslechoc,ildevaitvaloirsonpesantd’or.Ismaëlselevaetgagnalafenêtre.Ilsurplombaitunepartiedelavilleetlesoleilétaitdéjàhautdansleciel.Ilsesentaitpatraque,auborddelanausée.Sonangoisseétaitnichéedanssestripesetsafatiguel’intensifiait.Perdudanssespensées,letempsfilaetlorsqu’ilseretourna,cefutpourcroiserunregardbleufoncé,ceregardsiintensequi,pourunefois,l’étaitunpeumoins.Ils’approcha.—Commenttesens-tu?—Pastropmal.C’estjustedouloureux.—Tonventre?—Humm…Ilvafalloirquetutemontrestrèsdouxavecmoi.—C’estundemesdons.—C’estvrai…—Merde,tum’asfichulesj’tons,Martin!Leregardd’Ismaëlétaittoujourshanté.Martinlevasonbrasvalideet,duboutdesdoigts,luicaressa
lajoue.—Jevaisbien,Ismaël.—Benvoyons!Tuescouchédansunlitd’hôpitalavecunecicatriceenplussurlecorps.—Vois-lacommeuntrophéedûàmonhéroïsme.—Tudéconnes?!—Nan,rappelle-toi,jesuisSuperMan.Unsemblantdesourireeffleuraleslèvresd’Ismaël.IlavaitfaceàluilesolideMartinNolan,celuiqui
serefusaitdepliersouslepoidsdesdifficultés.Ilétaitsonroc.Ilcédaàsatentativedelégèreté.—SuperMan!Vafalloirleprouverdèsqu’onseretrouveradanslemêmelit.—Puisquetuenparles,tupeuxfairelenécessairepourmesortirdelà?
—Tudevraisattendreunpeu.—Cen’estpasdansmesprojets.Jeveuxrentrerchezmoi,dormirquelquesheuresetalleraubureau.—Cen’estpasàunjourprès.—Jeveuxmedoucheretmebrosserlesdentspourpouvoirt’embrasseràpleinebouche.—Ça,c’estunpeuplusurgent.—Rentrons,Ismaël.Tuasautantbesoinquemoidetereposer.Tuasunemineàfairepeur.Deuxheuresplustard,ilsquittaientleslieuxetgagnaiententaxil’appartementdeMartin.Ilseurentà
peineletempsdesedoucherqu’ontambourinaitàlaporte.Ilsgrimacèrentdeconcert,lelitlesappelaitavecinsistance.Martins’affaladanslecanapé,Ismaëlallaouvrir.IlseretrouvafaceàuneLisablêmed’angoisseetàunhommeauteinttoutaussiexsanguequ’ilneconnaissaitpas.—OùestMartin?—Ducalme,Lisa.Ilvabien.Ilestdanslesalon.Illesfitentrersansprendrelapeinedeseprésenter.L’urgenceétaitailleurs.LafamilledeMartinavait
besoind’êtrerassurée.Lisafilacommeuneflècheetsejetaauxpiedsdesonfrère.Elleposalatêtesursescuisses,illuicaressalescheveux,ellesemitàpleurer.—Lisa,machérie,netemetspasdansuntelétat.Jen’airiendegrave.—Jesais,maisj’aieusipeur.—Jem’endoute,maismaintenantquetuvoisquejevaisbien,tupeuxtedétendre.Elleseredressaets’installaprèsdelui,duboncôté.Ill’enlaçadesonbrasvalide.—Martin…Lavoixdesonpèrerésonnadanslapiècedevenuesilencieuse.Martinaffrontasonregardanxieux.Ily
avait tant d’inquiétude sur son visage crispé qu’il ne put y lire que l’affection réelle qu’il lui portait.Toutessesbarrièresétaienttombéessouslepoidsdel’épuisement.Ilnerestaitplusquecettevéritésansfard.—Jevaisbien,papa.Dèsquej’auraidormitoutmonsoûl,ceneseraplusqu’unpetitdésagrément.Lesépaulesdesonpèreserelâchèrentetlatensionsous-jacentequimarquaitsestraitssedissipa.—Onnevapasresterlongtemps,maisonnepouvaitpasattendrepourprendredetesnouvelles.—Vousavezbienfaitdepasser.Jevousproposeraisbienuntrucàboire,maisàpartgagnermonlit,je
nemesenspascapabledefaireautrechose.—Nousn’avonsbesoinderien.Martinn’avaitpaslaforcedefairelaconversation,Lisanevoulaitriendeplusquesonfrèrevivantà
côté d’elle, Louis Nolan ne savait pas quoi dire et Ismaël observait la scène sans savoir quoi faire.C’était surréaliste, un arrêt sur image sur un moment particulier où la place de chacun n’était pasclairementdéfinie.CefutlepèredeMartinquimitrapidementfinàcettesituationsingulière.Ildonnalesignedudépart et dut forcer unpeu les chosespourqueLisa le suive.Avantdepartir, il s’adressa àIsmaël.—J’espèrevousrevoirbientôtetquenousauronsl’opportunitédeprésentationsdanslesrègles.—Jel’espèreaussi.IlsétaientàlaportelorsqueMartininterpellasonpère.—Papa,j’aitoujourslesclésdetamaisondevacances.Jepeuxypassermaconvalescence?—Tupeuxyallerquandtuveux,Martin.C’estaussitamaison.Ce dernier hocha la tête, puis ses yeux se fermèrent. Il n’en pouvait plus. Il entendit la porte se
refermer,sentitunemainattraperl’unedessiennespourl’inviteràselever.Ilsuivitlemouvement,lesyeux mis clos, et se glissa avec délice dans son lit. Des doigts frais passèrent sur son ventre, sesabdominauxsecontractèrent. Ilpoussaunsoupirets’endormit.Avantdefairedemême, Ismaëlprit le
tempsdebadigeonnersonhématomedecrèmeàl’arnica.Ilétaitvraimentimpressionnant.Ilsfirentleurrapportlelendemain,justeavantladéclarationdepresse.Lesmédias,ainsiquetoutela
ville,lepaysmême,avaientétéinformésofficiellementdelafindel’enquêtesurletueurdepoupéesdeporcelaine,maisBricks n’avait rien précipité pour les explications plus sérieuses. Il avait imposé cetempsdereculetsel’étaitoctroyépourclôturercequirevenaitàsonservice.Lasuiteétaitdansd’autresmains,ilpouvaitrespirer.Malgrésaréticence,ildemandaàsesdeuxinspecteursdeseteniràsescôtés.LePréfetseraitlàaussi,poursegausseretsouriredecesuccès.Ils’engageaàcequ’ilsneprennentlaparolequesic’étaitnécessaire.Le Préfet fit le point sur l’affaire, Bricks apporta les précisions liées à son déroulement et qu’ils
avaient consciencieusement gardées secrètes, puis il reconnut leur ignorance sur certains aspects.L’attentionfinitparsefocalisersurMartinNolan.Ils’yétaitpréparé.Sonvisageétaitneutre,sespenséesillisibles.— Inspecteur Nolan, avez-vous une petite idée sur ce qu’il a bien pu faire des cheveux de ses
victimes?—Non,jen’enaiaucune.Nousensommesarrivésàlaconclusionqu’illesrasaitpourlespunir,les
soumettreetlesdéposséderdeleuridentité,maisnousn’enavonspasretrouvétrace.Seull’actedevaitavoirsonimportance.Ilapulesjeteroulesbrûler.Jen’ensaisvraimentrien.—Commentexpliquez-vousqu’unteldéséquilibréaitputraînerdanslesrues?—Jenel’expliquepas.FabriceScheidormétaitmaladeetétaitmédicalementsuivi.Tantqueçaaété
lecas,ilétaitsouscontrôle.Lamortdesamèreetl’arrêtdesontraitementontétélesdéclencheurs.Cethomme aurait dû être pris en charge dès qu’il s’est retrouvé seul. Ça n’a pas été le cas et il étaitsuffisammentintelligentpoursefondredanslamasse.Notresociétéaquelqueslacunesdanslapriseencompteetlagestiondespersonnesatteintesdetroublespsychiatriques.Jen’aipasdecompétencesdanscedomaine.—Vousavezétéblessélorsdeson…arrestation.Est-cevousquil’aveztué?—Peut-être,cen’estpasencoreavéré.J’aiété touché, j’ai tiréetmoncollègueafaitdemême.Ce
sontlestechniciensdelaPolicequinousapporterontlaréponse.—Vousêtesenarrêtmaladie.Qu’allez-vousfairedecesquelquesjours?—Jenesuispaslàpourrépondreàdesquestionspersonnelles.Sivousvoulezmemettreencolèreet
m’ameneràneplusjamaisparleràlapresse,vousvousyprenezparfaitementbien.—Cen’étaitqu’unequestionsimple.Ellen’avaitriendetendancieux.—Jemefichedesavoircequisecachederrièrecegenredequestion.Si jeramèneparfoismavie
professionnelledansmavieprivée,à l’inverse,cen’est jamais lecas.Le torchonqui s’estpermisdeparlerdemoiendehorsdececadreauneplaintesurledos.Devantvous,jesuisunflic,riend’autre.Puisquelesquestionssurl’enquêtesemblentêtreépuisées,jevaisvouslaisser.MartinNolanseleva,IsmaëlTouzanifitdemême,soulagéquepersonnenesesoitadresséàlui.Le
Préfetlançaunregardnoiràl’inspecteurNolan.Cedernierleluirenditfarouchement.—Jevouslaissefinir,MonsieurlePréfet.Commel’asibienprécisécejournaliste, jesuisenarrêt
maladie.Sondépartfutremarqué,maispersonnenepipamot.Ismaëlsursestalons,ilgagnalasortieetrespira
àpleinspoumonsdèsqu’ilfutàl’extérieur.Ilsedétendit,l’espacedetroissecondes.—InspecteurNolan!Il ferma les yeux, serra les poings avec force, et fit volte-face. Ismaël était déjà prêt à l’attaque. Il
attendaitcetteescarmoucheavecimpatience.
—Quemevoulez-vous?—Àcausedevous,j’aiétéévincéedecequisepasseàl’intérieur.Vouspouvezbienmedirequelques
motssurl’affaire?—Vousbriguez l’Oscarde lafemmelaplusstupidedumondeouvous l’êtes tellementquevousne
vousenrendezpascompte?—Jenevouspermetspas…—Etmoi,jenevouspermetspasdevenirmefairechier!Occupez-vousplutôtdeschiensécraséset
delaplaintequevousavezsurledos.Sij’étaisvous,jeneperdraispasmontempsàmetournerautour,amadouervotrepatronseraitplusintelligent.Tantquevousserezemployéedanscejournal,jeferaitoutcequiestenmonpouvoirpourqu’iln’aitplusaccèsàaucuneinformationsurlesenquêtesquiontcoursdanscecommissariat.—Vousnepouvezpasfaireça!—C’estdéjàfait.Vousêtesdehors,alorsquetousvoscollèguessontàl’intérieur.Aucunreprésentant
devotrejournalnes’ytrouve.Nevousmettezplusentraversdemoncheminetn’écrivezplusjamaisuneseulelignesurmoi.Sinon,jepeuxvousgarantirquecen’estpasseulementvotrefeuilledechouquinevoudraplusdevous,maistouslesjournauxdesvillesenvironnantes.—Vousêtes,vousêtes…—Unconnardetunemmerdeur.Oui,Madame.Etcroyez-moi,vousn’avezencorerienvu.Nolanluitournaledosetsemitenmarche.Ismaëlnerésistapas.Luiaussi,ilvoulaitluiclouerlebec.
Iljetaunrapidecoupd’œilautourdelui,ilyavaitpeudemondeetpersonnenefaisaitattentionàeux.Ilse colla à Martin et posa une main sur ses fesses. Il se retourna et fit un clin d’œil moqueur à lajournaliste.Elleledéfiaduregard.Celuid’Ismaëls’assombritdanslasecondeetsefitagressif.Ilneputlemaintenirqueletempsd’unsouffle.IlfutcoupénetparlerireexplosifdeMartinquinetrouvariendemieuxàfairequed’attrapercettemainvolageetdel’envelopperdelasienne.Puisilplantaunbaisersurseslèvres.Lerired’Ismaëlfusaaveclamêmeintensité.Ilsavaitqu’ilyavaitpeudechancepourquequiconqueaitchoppécemoment,sicen’étaitcellepourquiilavaitétéinstigué.Iln’empêchaitquecetinstantdelibertélerenditheureux.Après, ileut toutdemêmeunegrimacededépit :c’étaitencorecechieurdeMartinNolan,sonamant,quiavaiteulederniermot.Underniermotpleindepanache.
LalettredeLouisaMartin,Jenesaispasparquoicommencer.Peut-êtreparl’essentiel:jet’aime.Jesais,celanejustifiepastout.Ilyaseizeans,tuasfaittonapparitiontelleunebouledejoiedans
unciel constellédepromessesd’éclaircies. Ila vite faitde s’assombrir. Jenem’apitoieraipas surmon sort. Bien des personnes ont vécu pire que moi et s’en sont très bien sorties. Je suis seuleresponsabledemonincapacitéàvaincremesfaiblessesetmesfragilités.J’aidéjàracontécesaspectssombresdemaviedansmonjournal.Peut-êtreunjourauras-tul’occasiondelelire,l’envieaussi,jenetel’interdispas.Jenel’aipasécritpourtoi,maistuytrouverassûrementdesréponses,àsupposerquetuaiesdesquestions.JemesuisdenombreusesfoisdemandéesitedonnerLouispourpèreavaitétéunebonneidée.Je
n’ai jamais trouvé de réelle réponse, mais je crois que oui. C’est un homme intègre, loyal etpersévérant. Il t’aime, il prendra soin de toi. J’espère que tu l’y autoriseras. Je me suis aussidemandéesilesilencesurtonhistoire,celuiquejet’aiimposéetqueLouisarelayé,étaitjuste.Là,jecroisquej’aicommisunegraveerreur.Iln’yariendepirequelessilencesetlesnon-ditsautourd’unenfant.Quandjem’ensuisrenducompte,j’aiestiméqu’ilétaittroptard.Aufond,j’aisurtoutmanquédecourage.Jesaisquec’estunlourdfardeaulaperted’unemère.Monsuicidelarendrasûrementpire.Jenete
feraipasl’affrontdetefairecroirequejen’yaipaspensé.Admettonsquejememontreégoïste.Jen’aipasnonplusl’intentiondemejustifier,jen’aiaucunejustificationsijepenseàtoi.Jet’aime.Grâceàtoi,j’aivécuseizeansdeplusquejenel’auraisdû.Cenesontpasdesannées
inutiles.Malgrémonmaldevivreetmes tendancesautodestructrices, j’aiaimétevoirgrandir, j’aiaiméchaquemomentpasséavectoi,mêmelesderniers,faitsdesilencesetd’angoisses.Tuesdevenuunjeunehommemagnifiqueetsolide.Tuesmafierté,laseulequejepossède,laseulequ’ilmereste.Il serait certainement audacieux et culotté dema part de te demander d’essayer, un peu, deme
comprendre et denepasm’en vouloir.Pourtant, je le fais. Je suis une femme triste qui n’a jamaisréussiàsurmontersesdouleurs.Mes joies, jene lesdoisqu’à toietellesontéténombreuses,n’endoutepas.C’estpourquoij’aibesoindecroirequetuserascapabledefairecepasversmoi,mêmesijeneseraiphysiquementpluslà.C’estencoreunacteégoïste.Qu’espère-t-onpoursonfils,pourlapersonnelaplusimportantequ’onaitdanssavie?Qu’ilsoit
heureux,biensûr,mêmesi jene saispascequecemot signifie. J’aimeraisque tu trouves taplacedans ce monde, une qui te convienne et qui soit en adéquation avec ta personnalité et qui tu es.J’aimeraisquetutrouvestaplacedanslafamillequ’aconstruitetonpère.J’aimeraisquetuaiesàtescôtésunepersonnequit’aimetelquetuesetquetupuissesaimeraveclamêmeforce.J’aimeraisqueleriresoitlecentredetavieetqu’ilembaumedesonparfumtonquotidien.Plusquetout,j’aimeraisquetusoisunhommelibre.Unjour,tuauraspeut-êtreledésirdedéposersurmatombequelquesjoliesfleursensouvenirde
cettemèreimparfaitequiétaitlatienneetquetuaimaispourtant.Simesvœuxontétérespectés,iln’y
aurapasdetombe.Ilexisteunendroitparfaitsicedésirsefaisaitressentir.Ilestauborddelamer,làoùj’aipassélesdeuxplusbeauxétésdemavie.Lepremier,avecEmmanuel.Ledeuxième,avectoietEmmanuel.EnhautduRécifdelaPagne,ilyaunarbred’oùonaimaitcontemplerl’océanens’yadossant,enlacés.C’esticiquej’auraisaiméreposer.Jepensaisqu’ilyavaitunefinàtout,qu’ellearrivait toujours,avecousansnotreaccord.Jeme
suis encore trompée. Jenecesserai jamaisde t’aimer,quelque soit l’endroitoù jem’envais.Monamourpourtoiestau-delàdesloisterrestres.
CHAPITRE15Lesoleilbrillaitdanslecielsansnuageetlabrisemarineapportaitcebrindesoufflequirendaitla
chaleuragréable.Martinsedétendaitdanslejardin,allongésurunechaiselongue.Ismaël,pastrèsloin,leurpréparaitdesboissons fraîches. Il lesposasurunepetite tablebassed’extérieurquise trouvaitàproximité de leurs sièges. Ils étaient là depuis cinq jours et les traces de fatigue s’étaient grandementestompées.LapeaudeMartinavaitbruni,celled’Ismaëlavaitretrouvésondorépaind’épice.Lematinmême,Martinavaitretirésonbandage,illuirestaitunpansementimposant.Lamarqueblanchequifaisaitletourdesonbicepsattiraitirrémédiablementleregardverssontatouage.—Tuesbiensilencieuxaujourd’hui.Tuvasbien?—Oui,çava.—Jesaisquetuasdésertélelitunepartiedelanuit.Tuaslulejournaldetamère?—Oui.Ismaëlattendit. Ilne segênait jamais troppouramenerMartinà seconfier à lui. Il se lepermettait
parcequ’ilsavaitquesisonamantnevoulait rien luidire, il le luiasséneraitsans fioriture.Danscescirconstances,ilsavaitquelemomentétaitimportantetqu’ilseraitindélicatdesapartdenepaslaisseràMartinlechoixdurythmequ’ilvoulaitluidonner.—Heureusementquemonpères’estsouvenuqu’unalbumphotol’accompagnaitetqu’ilmel’adonné
avantqu’onparte.C’étaitplusfacileavec.—Tuasobtenulesréponsesquetucherchais?—Onpeutdireça…Mamèren’étaitpasfolle.Elleétaitterriblementfragileetcomplètementperdue.
Elles’estaccrochéeàsonpremieramourcommeunenaufragéeàunmorceaudeboisflottantdansl’eaumouvante. Ce premier amour, le seul, était mon père biologique. Avec lui, elle aurait peut-être eul’opportunitédeseconstruireuneviemeilleure.S’ilétaitmortplustard,elleauraitpeut-êtreeuletempsdeserenforceretdefairefaceautrement…Onnepeutpasrefairel’histoire.Elles’estlaisséecouleraufildesannées.—Ellet’aimait,non?—Oui,ellem’aimait.Toutafiniparsemélangerdanssatête.Elleaconnul’amourtroppeudetemps
et pas suffisamment pour en percevoir les forces. Elle ne le voyait que comme quelque chose qui nepouvait que périr et finir par l’abandon. Elle m’aimait trop et mal… Je ressemble physiquement àEmmanuel,sionexceptemesyeux.—Tusaispourquoielle…Ismaël hésita quelques secondes à poursuivre.Martin n’eut pas besoin de plus pour comprendre ce
qu’ilvoulaitsavoir.—Elle avait la sclérose enplaques.C’est l’élémentdéclencheurdupassageà l’acte.Ceci étant, il
planaitau-dessusdesatêtedepuisdesannées,depuislamortd’Emmanuel,si j’ai toutcompris.Elleatenuseizeansàcauseougrâceàmoi.—Grâceàtoi,Martin.—Passûr.Ellen’aimaitpassavie.—Ellet’aimaittoi.
—Cen’étaitpassuffisant.—Apparemment,si.Un silence paisible s’installa. Il était étonnant. Le chant des oiseaux apportait de la gaieté, le
bruissementdelabrisedanslesarbresétaitundouxmurmure.Ismaëls’étaitinquiété.IlavaiteupeurquecettelecturerendeMartinplussombreouréveillesacolère.Cecalmequ’ilarboraitétaitsaisissant.Safacilitéàenparlerl’étaittoutautant.—Ellenevoulaitpasquecesoitmoiquilatrouve.Elleavaitfaitcequ’ilfallaitpour.Quelquechose
acapoté,maisjenesaispasquoi.—Qu’avait-elleprévu?— Que ce soit les pompiers qui s’en chargent. Elle comptait sur mon père pour m’éloigner de
l’appartement.Iln’yaqueluiquipeutmedirepourquoiçanes’estpaspasséainsi.Messouvenirssontenpartieflous.L’imagequejegarded’elleapristoutelaplace.—Tuasl’airsi…calme.—Jelesuis.Jenesuisplusencolère,justeprofondémenttristepourcettefemmequiétaitmamère.Je
lesuisd’autantplusquesi jen’avaispasétési jeune,siellen’avaitpaseucettefaiblessedese tairedevantcequiluifaisaitpeurouqu’ellenecomprenaitpas,leschosesauraientpuêtredifférentes.Martinse tutquelquesminutes. Ilseperditdans l’observationducieletsonregardsevoila. Ilétait
ailleurs,dansunautreespace,undeceuxoùlesrêvescohabitentaveclescauchemars,lessongesetlesfantasmes.— Elle était si belle. J’ai vu une photo d’elle où elle devait avoir dix-huit ou dix-neuf ans. Si tu
l’observesbien, tuaperçoisunelueurdegaietéetdefraîcheurdanslefonddesonregardoudanssonsouriretimide.Uneimages’estimposéeàmoi,unpeucommeunevision.Jel’aivuepetitefille…Jesuisconvaincuqu’elleétaituneenfant joyeuseet sensible.Si elleavait eu lesparentsadéquats, elle seraitdevenueunepersonnelumineuse,peut-êtreuneartiste.Ilsonttuédansl’œufsapersonnalité,etêtreuneautrel’adétruite.C’estàcetteconclusionquejesuisarrivé.C’estémotif, intuitif,maisc’estmamère.Alors,j’aibienledroitdel’auréolercommejeveux.—Tuaseffectivementcedroit.C’estunebellevision…Tellequetuladécris,j’aimebientamère.Je
suistristepourelle,moiaussi.—C’estcettetristessequimedomine,ellemedonneenviedepleurer,pourelle,avecelle.Ismaël rapprochasachaisedeMartinet lacollaà lasienne.Cen’étaitpas trèsconfortable,mais il
l’attiraàluietl’enlaça.Satêtevintseposerdanslecreuxdesonépaule.C’étaitrarecetéchange,danscesens.—Pleureunboncoupavecelle et, après, rend lui sagaieté.Tunepeuxpas lui fairedeplusbeau
cadeau.Martin entoura de ses bras la taille d’Ismaël et se lova un peumieux contre lui. Quelques larmes
glissèrent sur ses joues et tracèrent un chemin jusqu’à ses lèvres. Elles furent silencieuses, sans sepermettreplusquecequ’ellesétaient:l’expressiond’unchagrinetd’unepeinesincères.—Ehbien,jenesuispasfandecegenredefaiblesse,maisçafaitdubien.—Pleurern’estpasunefaiblesse,pastoujours,passystématiquement.—Tuasparfaitementraison.Ilm’arrivedediredesconneries.Ismaël résistaà la tentationdes’engouffrerdanscetteboutadepourune jouteverbale tellequ’il les
aimait avecMartin.Elles finissaient immanquablementdans le rire.Cependant, la conversationn’étaitpasfinie.—Etpourtonpère?—Mon père… Je vais te dire un truc que j’ai décidé de ne pas lui dire. J’ai compris qu’il avait
souffertetj’aicomprisaussiquejenevoulaispasqu’ilsouffreplus.—Vas-y.Tumerendscurieux.—Jepensequ’iln’apasfaitlesbonschoix.Jecroisquecequiluifaisaitlepluspeur,c’étaitquema
mèrefasseuneconnerieetqu’ilensoitresponsable.Elleluiafaitdesmenacesetellesétaientinfectes.—Ahbon?Lesquelles?Martinlesluidonna,lesénumérantcommedesfaits.Samères’étaitmontréehorribleenfaisantcelaet
cen’étaitpasl’imagequ’ilvoulaitgarderd’elle.—Ellelesauraitpeut-êtreappliquées,maisfaceàuntribunal,çan’auraitpastenularoute.Àvingt-
cinq ans, il pouvait se laisser berner,mais à trente… Il ne lui aurait pas été tropdifficile deprouverqu’ellementait.—Onnepeutpassemettreàsaplace.—Nonetjen’essaieraipas.Jenesuispasnonplusd’accordaveclefaitqu’ilaitmistantdetempsà
medonnerlejournaldemamère,sonalbumphotoetlalettrequ’ellem’avaitécrite.Jemesuismontrébutéetj’airefusépendantdesannéesdeluiparlerau-delàdunécessaire.Jenelenieraipas.Iln’enrestepasmoinsque cesdocumentsm’auraient aidé à voir les choses autrement.Ouais,monpère a fait deschoixquinemeconviennentpas.—Maistunevaspasleluidire.—Nan.Jevaisluifairececadeau.Jelefaistournerenbourriquedepuisdesannées.Ilaassezpayéce
qui,audépart,estuneattitudehonorableetrare.Ilm’aimevraimentetmeconsidèrecommesonfils,àégalité avec Lisa. Ça vaut bien quelques sacrifices. Je trouverai un autre moyen d’expulser lesressentimentsquimerestent.—Tuesdevenuungrandgarçon,MartinNolan!Quelmoyen?—Situtefousdemagueule,jenevaispastefaireplaisirenterépondant.—Jememoquesigentiment,tunepeuxpasm’envouloir.—C’estça!Jenesaispasencore…UnepetitebranléeàBernardmedéfouleraitassez,jecrois.—Ahnon!Celui-là,ilestàmoi!C’estàmoiqu’ilveutcasserlagueule,pasàtoi.Ilm’estréservé.—Merde!Ilfautquejetrouveautrechose.—J’enaibienpeur.Tuasuneautreidée?—C’estbienpossible.—Jepeuxt’ensuggérerquelques-unes,situveux.—Ahoui?—Oui!Lamaind’IsmaëlseposasansdélicatessesurlesexeaureposdeMartinetsemitàlecajoler.—J’aimebienlesshorts,labarrièreestplusfine.—J’aimeassezaussi,maistuvasdevoirt’arrêteretattendrecesoir.—Pourquoi?—Onaquelquescoursesàfaireetjedoismerendredanslecentre-ville.—Descourses?—Ah,jenet’aipasdit?Demain,mafamilledébarque.Présentationsofficiellesàbeau-papa.—Tuplaisantes!—Nan.T’inquiète,onferaunbarbecue.C’estsanscompli-cations.Lespositionss’inversèrentetIsmaëlseretrouvablottidanslecreuxdel’épauledeMartin.Cedernier
se marrait en silence. Il aimait bien clouer le bec à son amant malicieux, à tendance légèrementprovocatrice.—Aufait,pourquoilecentre-ville?
—Boutiquedutatoueur.Jevaisluidemanderderepassersurmontatouageetd’accentuerlerougedesboutonsderose.—Tuneveuxpastransformertonfilbarbeléenautrechose?—Non,justequelesrosesprennentlepouvoir.—C’estunebonneidée.—Ouais,etjevaispeut-êtrem’enfairefaireunautre.—Ahbon?Quoietoù?—Ismaël,tatouésurmafessegauche.Ismaëls’étranglaetMartinpartitdansunfourirequifittairelesoiseaux.Sonmecétaitunabrutifiniet
il allait lui faire ravaler son rire.En trois secondes, Ismaëlétaitàcalifourchonsur lescuissesdesonhomme,dixdeplusetilavaitlamaindanssonshort,vingtdeplusetc’estsabouchequilefaisaitgémir.Martinacceptasadéfaiteetselaissaporterparleplaisir.
Lebarbecueétaitallumé,latableetleschaisesinstalléessurlaterrasse,etlerepasàvenirpatientait
danslacuisine.Martinsemontraitserein,Ismaëltentaitd’afficherlamêmemaîtrise.L’arrivéebruyantedeLisalesoulagea.Avecelle,ilétaitsûrd’avoirquelquesmomentsderépit.Elleluifitunebiserapidesurla joue,avantdesedirigerversMartinetdeluiréclamersondû:uncâlincommeelle lesaimait.Louis Nolan et sa femme étaient juste derrière. Un moment d’hésitation flotta dans l’air, son pères’approcha.Lisas’écartaetpritdanslasiennelamaindesonfrère.—Commentvas-tu,Martin?—Jevaisbien,trèsbienmême.Jesuiscontentdevousvoir.Unsourireheureuxs’affichasurlevisagedesonpère.Iln’osaenréclamerplus,ilcouleraitdel’eau
souslespontsavantqu’ilsneréussissentàcéderàdesembrassadesfamiliales,maisc’étaitunpremierpasencourageant.—Bonjour,Élise.Commentallez-vous?Laroutes’estbienpassée?—Oui,sansencombre.Accepteras-tuunjourdemetutoyer?—Jevaism’yentraîner.Sonpères’infiltradanslaconversation.—Etcejeunehomme,tunousleprésentesquand?—Maintenant.MartinrejoignitIsmaëletluitenditlamain.Ilsimplifialeschosessanslesfaires’éterniser.Iln’était
pas fande formalisme. Ils s’installèrentautourde la tableet Ismaël fit les fraisdequelquesquestionsauxquelles il répondit sans faire de manières. Lisa mit les pieds dans le plat avec sa spontanéitélégendaire.—Vousattendezquoipourvousinstallerensemble?C’estunpeubêtededépenserdeuxloyersalors
quevousêtespratiquementtoujoursaumêmeendroit.—Ismaëlesthésitant.—Hein?Pourquoi?—Ilaunepetiteamie,enplusdemoi,etilnesaitplusquichoisir.Lisaécarquillalesyeux,LouisetÉliserestèrentbouchebée,MartinjubilaetIsmaëléclataderire.Il
seleva,semitderrièreLisaetentourasesépaulesdesesbras.—Tum’as déjà oublié,ma chérie ?Ce n’est pas très gentil, ça. Je ne te sers que pour te pavaner
devanttescopines?Lisarougitlégèrementetdonnaunetapesurl’unedesmainsd’Ismaël.Ellesereculapourlerepousser.—Vousêtesdesabrutis,touslesdeux!Quoi?C’étaittentant.Vousavezvuàquoivousressemblez?
Mesamiessontvertesdejalousieetj’aiquelquescopainsquimeregardentdetraversmaintenant.C’estdrôle!Leurpèreretrouvasavoixetvrillasonregarddansceluidesafille.—Lisa,qu’est-cequetuasraconté?—Maisrien,papa.Ilfallaitbienquejetrouveunedistractionauxcontraintesquim’étaientimposées.—C’est-à-dire?CefutMartinquiréponditàsaplace.—Tafilleestunebombe!Elleadeuxmecspourelletouteseule.Lisaenrajoutaunecouche.—Etpasn’importelesquels!Lesdeuxplusbeauxdelaville.—TuasditqueMartinetIsmaëlétaienttespetitsamis?—Oui!—Mais,quevontpenserlesgens?—Quej’aidelachance,beaucoupdechance.—Jemedemandebiendequitutienspourêtreaussiimpertinente.—Unpeudetoi,unpeudemamanetunpeudeMartin.—Çadoitêtreça.—Ceciétant,maquestionétaitsérieuse.IsmaëlrepritsaplaceetMartinselança.—Bientôt.Onvachercherunemaison.—Vraiment?La conversation se polarisa sur cet évènement, puis Ismaël se leva et commença les grillades.
Rapidement,chacunparticipaetlerepassepassadansuneambiancebonenfantetconviviale.Ilyavaitparfois des tempsmorts, sans pour autant qu’ils ne soient trop pesants. Il y en avait toujours un pourrelancerlesablierdutemps.Cefutsurl’invitationdesonpèrequeMartinseretrouvaàmarcheràsescôtéssurlaplage.Illuiposa
lamêmequestionquecellequ’Ismaëlluiavaitposéeetilréponditàpeuprèsàl’identique.Puis,Martinl’interrogeaàsontour.—Pourquoiest-cemoiquiaietrouvémaman?—Unmauvaisconcoursdecirconstances.Quandtamèrem’alaissésonmessage,j’étaisenréunion.
Dèsquejel’aiécouté,j’aicomprisqu’untrucgraveétaitàl’œuvre.J’aiappelélecollège,maistuétaisdéjà parti.Un prof était absent, ton emploi du temps avait étémodifié et tu avais quitté l’école troisheuresplus tôt.Letempsquej’arrive, ilétait troptard.Lespompiersontsurgi troisminutesaprès toi.J’enaiétémalade,j’aifaitunulcèreaprèsça.—Jenem’ensouvienspas.—C’estnormal,Martin.L’inverseneleseraitpas.Dansl’espritdeMartin,touteslespiècesdupuzzlesemettaientenplace.Ledessinqu’ellesformaient
n’étaitpastrèsattirant,maisilétaitcompletetilnepouvaitenrienlemodifier.—Qu’as-tudécidéparrapportàmoi?—Tueslà,non?Etjet’aiprésentéIsmaël.—C’estvrai,maisj’aibesoindeplus.— J’avais très envie de mettre le passé derrière moi et j’y suis toujours résolu. J’ai obtenu des
réponsesetellesm’ontfaitdubien.—J’auraisdûtedonnersonjournalplustôt.—C’estaussicequejepense,maisj’aidécidédenetefaireaucunreproche.Onfaittousdeserreurs
etjen’aiplusenviedemefocaliserlà-dessus.Quellequesoitlafaçondonttut’yespris,tueslàettul’as toujours été. Tu aurais pumille fois m’envoyer balader et laisser tomber. J’en suis parfaitementconscient.J’aiunenouvelleviemaintenant.Jevoudraisneplusavoirqu’àregarderdevantmoi.—Est-ceàdirequejepeuxcomptersurtoietIsmaëlpourleréveillondeNoël?—C’estunpeuloin,non?—Unpeu,maispastantqueça.—Onseralà.—Jefêtemescinquante-troisansdansquinzejours.Tuviendrais?—Cinquante-trois!Letempsfile.—Bientropvite.Alors?—Nousviendrons.Ce fut ungeste impulsif, de ceuxqui ne se calculent pas, sinon ils n’auraient jamais lieu. Sonpère
stoppasamarche,forçantMartinàfairedemême,etl’enlaça.C’étaituneétreinted’hommes,sansréelledouceur,avecuneportéeémotionnelleforte.Martinsefigea,nesachantpasquoifaire.Maladroitement,ilentouraledosdesonpèreetletapota.Ilsesentaitridiculeetfaillitcéderàl’amusement.Pourtant,ilnesel’autorisapas,parégardpoursonpèrequ’ilsentaittrèsému.Leurretoursefitdansunsilencepaisible.L’essentielavaitétérévélé.Cesoir-là,alorsquetoutlemondeétaitcouché,MartinetIsmaëldiscutaientdansleurlit.Leurjournée
avaitétéuneréussiteetilstentaientdelaprolonger.—J’aienviedefairel’amour.—Tuastoutletempsenviedefairel’amour,Ismaël.—Pastoi?—Si.—Alors?—Tufaistropdebruit.—C’estdéloyal!—C’estlavérité.—Allonsailleurs,alors.—Où?—Surlaplage.—Onn’estpasdansleslivres,là!Fairel’amourdanslesablen’estromantiquequedanslesfictions.
Lesable,çagratteetçapiquelecul.—Oh,lavache!C’estdepireenpire!Tudevraisapprendreàtetaire!—Hummm…J’aiuneidée.Sijet’attacheetquejetebâillonne,onpourraitpeut-êtreréussiràs’en
sortir?—Danstesrêves,Nolan!—Dommage…—Hein?T’essérieux?Martin se pencha sur Ismaël et l’embrassa en glissant directement sa langue dans sa bouche. Il lui
attrapalespoignetsetarrimasesmainsaumontantdulit.Illebloqua.—Sijetebâillonneavecmabouche,quejet’attacheavecmesmains,ceneseraitpassimal.Ismaëlsetortilla.Sapositionetl’enchevêtrementdeleurscorps,auxquelss’ajoutaitlebaisersauvage
deMartin,l’avaientémoustillé.—Commentvas-tut’yprendrepourmetouchersitun’asplustesmainsetquetupassestontempsà
m’embrasser?—Jepourraistefaireconfianceletempsdespréliminaires.—Fais-moiconfiance,Martin.—Jeveuxbiententerlecoup,maisaumoindregémissementplusélevéqu’unsouffle,j’arrêtetout.—Tuneferaispasça!—Si.—Jeseraiaussisilencieuxqu’unpoissonrouge.—Essayons,alors.Ilyeutbienquelquesratés,maiscommeMartinsavaitquec’étaitdesafauteetqu’illefaisaitexprès,
iln’entintpasrigueuràsonamant.Ildutluireconnaîtreundésirsuffisammentpuissantpourqu’ilfassel’effort de contrer sa nature emportée. Il admit avec un plaisir évident que quelques contraintesapportaientunesaveurparticulièreàlaclartédeleursressentis.Leurjouissancefutintense,cequ’Ismaëlne put contredire.Brider son cri de délivrance lui porta les larmes aux yeux. Il en resta tremblant delonguesminutesetnesecalmaquedanslaquiétudeetlachaleurdesbrassolidesdeMartin.Dansquelquesheures,unnouveaujourpointeraitleboutdesonnez.Lespiaillementsintempestifsdes
oiseaux les réveilleraient et ils seraient là, un sourire sur les lèvres et les regards brillants, pourl’accueillir.
LejournaldeMartinC’est unpeu lamerde, là. Je suis devantmon cahier,mon styloà lamain et je ne sais pasquoi
raconter.Apparemment,pourtenirunjournal,quecesoitmamèreoumoi,ilfautqu’onaillemalouqu’onseposedestonnesdequestions.Pourtant,ils’estpassédestasdetrucscesderniersmois.Ilyaeucetteenquêtequiapasmalmalmenénosvies,àIsmaëletmoi.C’étaitparfoisétrange.Ma
mèreétait omniprésente, sans lien évident pour la relier avec cette histoirededingue. Je crois quec’estparcequ’elleétaitunpeutropprésentedansmatête.AvecIsmaël,onnes’enestpastropmalsorti.Cen’estpasévidentdelaisseràlaporteduboulotunetelleaffaire.Ellenoussuivaitpartout,toutletemps.C’estunmiraclequ’ellen’aitpasréussi,untantsoitpeu,àsalopernotrerelation.Notrecollaboration, en tant que flics et sur le terrain, s’est avérée des plus positives. Notre premièreenquête ensemble, celle sur Marc Grandin, nous en avait donné quelques signes. Celle-ci l’adémontré.Nousformonsunebonneéquipe.Ledouterésidaitdansnotrecapacitéàcloisonnernotreviepersonnelle et à ladistancierde laprofessionnelle.Elles ont passé leur tempsà s’entrecroiser,sans sepercuterouentrerdansune luttedepouvoir. Il yaeucettepériodeunpeu tendueoùnousavionsdécidédenousvoirmoinssouvent,àcauseduremue-ménageautourdel’enquêteetdel’intérêtdesmédias.Nousn’avonspastenuladistance.Monhomosexualitéaétéaffichéeàlafacedumonde,cequiauraitétélecasavecousansIsmaël.Lasienneesttoujoursunsecret,mêmesicertains,plusintuitifs,doivents’endouter.Moiquirefused’êtreunpointdemireetquiexigequemavieprivéenesorte jamais de ce cadre, je suis servi. J’espère que les conséquences subies par cette journalisteindiscrèteetcasse-couillesserontdesleçonsquelesautresjournauxnesaurontpasoublier.Commejel’avaisanticipé,safeuilledechouapréférés’enséparerplutôtquedeseretrouversurlebancdesexclus.JeledoisàBricksetàsonsoutien,àsaloyautéaussi.Il m’a fallu quelques jours pour mettre derrière moi l’enquête sur « le tueur de visages de
porcelaine ». Je pense que toutes les déductions que nous avons faites sont les bonnes, mais jen’auraispascrachésurquelquesexplicationsdece taré,ni surquelquesconfirmations.Depuis, samaisonetsonjardinontétécomplètementretournés.Unemassedecheveux,parfaitementrangée,aétéretrouvéedanscedernier.Illesavaitensevelisdansune«tombe»,côteàcôte.J’aivulesphotos,c’étaitdérangeantàsouhait,àmefilerlanausée.Lecouteauaétéretrouvédansuncoindel’église,danssapartiehaute,làoùestaccrochéelacloche.Ilétaitproprecommeunsouneuf.Jelesoupçonnedel’avoirbaignédansl’eaubéniteavantchacundesescrimes.Rienn’estsuffisammentproprepourlaPolicescientifique.Destracesdusangdesquatrevictimesontétéextraitesetanalysées.C’estunepièceàconviction.Leprêtren’estpasprêtdelerécupérer,maisjecroisqu’iln’envoudraitplus.Ilaétédiabolisé.J’aipuconstater,avecunréelsoulagement,quelamortneplanaitplusautourdemoi.Durantces
longues semaines, aucune des victimes n’est venue me perturber. J’ai bien eu quelques insomnies,maisellessontrestéesépisodiquesettoutàfaitgérables.Ellesn’avaientriend’étrange.J’ai lu le journaldemamère.Vingtansdevie,avec seulementquelquesespoirs. Il adétruitma
colère etm’a renduprofondément triste.Parfois, lanuit, cette tristesseme réveille etme volemonsommeil. Ce n’est pas une ombre de plus,mais une peine pour cette femme,mamère, qui n’a pas
réussiàtrouveruncheminlaconduisantàuneviesimplequiauraitpulasatisfaire.Jepenseàcethommeaussi,Emmanuel.Unpèrequin’apaseul’occasiond’enêtreunnid’êtreunmari.Ilestmortsi jeune. Du haut de mes trente-deux ans et de mon expérience, être flic n’aide pas à garder unementalité de jeune homme, je le vois comme un gamin. Les quelques photos qui se trouvent dansl’albumquem’aoffertmamèrerenforcentcetteimpression.Ilm’estimpossibledelevoircommemonpère,mêmebiologique.Jeluiressemble,c’estvrai,maissansquecelanemesauteauxyeux.Jesuisplus grand, plusmusclé, plus ténébreux. Par contre, je vois très bien cemélange quemes parentsm’ont laissé. Jeme reconnais plus dans cette alliance, avec quelques données supplémentaires quim’endifférencientetmerendentunique,aumêmetitrequen’importequelêtrehumain.J’ai,detoutefaçon,choisiLouispourpère.Lisaestunlieninaltérablemais,mêmesanselle,àcetteétapedemavie,j’enseraiarrivéaumêmechoix.MonpèreestLouisNolan.JesuisMartinNolan.Mapremièrevraieréunionfamilialeaeulieuilyatroissemaines.Putaindemerde!J’aicruque
j’avais changé de planète. J’ai aussi pensé à une quatrième dimension dans laquelle je me seraiségaré.Me retrouver au milieu de personnes que j’avais toujours rejetées de mon plein gré, et lesregarder en les considérant comme faisant partie desmiensm’a donné le vertige. C’est le souriremoqueur d’Ismaël, comme s’il lisait dansma tête et s’amusait demes délires, quim’a ramené surTerreetm’apermisdenepasenfairetoutunplat.Jenesuispaspeufierd’êtreceluiquiadétendul’atmosphère et qui a enclenché le riredans cettepièceoùmonpère fêtait ses cinquante-trois ans,entouré de sa famille, frères, sœurs, neveux et nièces comprises, plus quelques amis proches.Moncadeauprouvequejepeuxêtreautrechosequ’unconnardemmerdantetfroid.Ilprouveaussiquejesuiscapablede rangermonsérieuxdansunplacardetd’êtreungai luron.Au-delàde tout cela, ilaffichaitunesensibilitédontseulsLisaetIsmaëlontconnaissanceet,jel’aienfincompris,monpère,quimeconnaîtbienplusetmieuxquejeneleprésupposais.Quandiladécouvertlaboîtecachéesouslepapiercadeau,uneboîtedetailleplusquerespectable,ilm’aoffertunregardd’ahuri.Seulsluietmoi pouvions comprendre. Même Ismaël était en dehors du coup. Quelques rires ont fusé, teintésd’étonnement,carc’étaitbienl’incompréhensionquirégnait,mêmesicecadeaun’étaitpasinsoliteàcepoint-là.Monpèrem’aposéuneseulequestion,levisagegrave:«onvalefaireensemble?».Maréponseadéclenchéunsourirequejenesuispasprêtd’oublier.C’étaitceluid’unenfantàquionaproposélalune.OnapassédeuxjoursàconstruireleTowerBridgeenLego.Quatremilledeuxcentquatre-vingt-quinzepièces,cen’estpasrien.Touttriernousaprisuntempsconséquent.C’étaittrèssérieux commeactivité. Sa constructiona été entrecoupéedenombreusespauses.LesphotosprisesparLisaetIsmaëlsontlepointdedépartd’unalbumquejen’auraisjamaiscruposséderunjour.Ilyapeudechancesquecesouvenirquitteunjourmamémoire,maissic’étaitlecas,ilyenaunquinemelepermettraitpas.Ismaëlaimemelerappelerensefoutantouvertementdemagueule.Jelelaissefaire, car dans ses yeux, il y a toujours une tendresse infernale qui me pousse à le conduiredirectementdanslelitouàlepoussersurlecanapé.Jevaispeut-êtreoffrirleTajMahalenLegoàmonpèreàNoëlprochain…Ce moment unique, où le regard de mon père a plongé dans le mien, avec toute l’intensité
émotionnellequecechoixdecadeaurévélait, est lepointdedépartd’une relationpèreet filsplussaine.Elleaencorebienducheminàparcouriravantd’être totalement libre,maiselleexiste.Monpèrem’aimeetj’aimemonpère.AvecÉlise,mabelle-mère,c’estàmongrandétonnementplusfacile.Peut-êtreparcequec’estune
femmeetqu’elleporte ladouceursursonvisage.Peut-êtreàcausedesespetitsplatsqu’ellenousmitonneetaveclesquelsjereparsàchacunedemesvisites.Peut-êtreàcausedesestartesdontelleme gave. Peut-être à cause de ses sourires timides qu’ellem’adresse à toutes occasions et qui ont
tendanceàselibérer.Peut-êtreparcequeLisaluiressembledeplusenplus.Jemesuisenfinmisàlatutoyer.Quieutcruqu’unjeudeLegoetun«tu»pouvaientavoirautantdepouvoir?Pasmoi.AvecLisa,rienn’achangé,ousipeu.Quoique,c’estàréfléchir…Ellesquatteplussouventmon
appartementetestdevenueculetchemiseavecIsmaël.Passûrquejedoivem’enréjouir.Cesdeuxabrutisontdécidédepousserlejeuunpeuplusloindevantlesamisdemasœur.Cesontdeuxgaminssansscrupules.Ilssepavanentdevantlafacetpassentleurtempsàsemarrercommedespingouins.Jemesuispermisdelesespionnerunefois,ilsm’ontfaitmarrer.Lesoirmême,j’aiététrèsclair:pasde baiser sur la bouche, encore moins de roulages de pelle. Là, je pourrais devenir pire qu’unconnard.Ilsontcriéàl’outrage,jenemesuispaslaisséprendre.Cequimefaitleplusjubiler,c’estcette attentedu jouroù Ismaël fera son comingout.Endehorsde ceque je prévois pour ces deuxloustics, je m’en fiche. Seule l’envie d’Ismaël de pouvoir vivre librement son homosexualité et sarelationavecmoimepousseparfoisàmettrelesujetsurle tapis.Ceciétant,cejour-là, jecasseraicettehistoireà la conquinous faitmarrer.Ce seramabouchequi emballera celled’Ismaël etmalanguequi s’enrouleraautourde lasienne.Et jeprendraigardequenotrepublic soit suffisammentétendu.Ceseraunedérogationàmesrèglesdeconduite.Je l’assume.Si,après,Lisaveutraconterqu’on forme un trio, grand bien lui fasse. Je ne lui suggérerai pas l’idée,mais avec elle, tout estpossible.Jelalaisseàsesprovocationsdegaminetropgâtée.J’espèreseulementqu’iln’yapasprèsd’elleunamoureuxtransiquipourraitêtreparfaitpourelle.Ceseraitunsacrébazar.AvecIsmaël,nousavonscommencélarecherchedecettemaisonquinousfaittantenvie.Ilm’arrive
trèssouventdemesentiràl’étroitdansmonappartementoudanslesien.J’aideplusenplusbesoind’espaceetdesortirdemesquatremursconfinés.Auboutducompte,qu’Ismaëlserévèleoupas,jelapréféreraisenmargedelaville,aucalme,dansunendroittranquille.J’aitrèsenvied’unjardin.Cedésirestnélorsdemesdeuxsemainesdeconvalescencepasséesdanscelledemonpère,auborddelamer.Latroisième,enfermédansmonappart,aétébienplusdifficileàsupporter.Pourcettedernière,ilmemanquaitaussiIsmaëlquiavaitreprisleboulot.LeBossaétésympa,ilaacceptéqu’ilrécupèresesheuressupplémentairesdanslafouléedel’enquête.Lavieprivéedeseshommesneleregardepas,ill’atoujoursdit,maiss’ilpeutlafaciliter,illefait.Celanefaitqu’unedizainedejoursquenousdécortiquonslespetitesannoncesetquenousvisitons
quelquesagences.Ceneserapassimpleetcertainementunpeulong.Monexigencesembleserévéleraussidanscedomaine.Pource futurachat, jepeuxremerciermamère.Depuismesdix-huitans, jesuislebénéficiaired’uncomptesurlequelelleaplacédel’argentpourmoi.Jenem’ensuisjamaispréoccupéetjenevoulaispasytoucher.J’aitoujoursfaitcommes’iln’existaitpas.Maintenantquetoutestauclairdansmavieetquejeconnaislavérité,jenevoisplusleschosesdelamêmefaçon.Ilmerevient.C’estparamourquemamèreaagiainsi.IlseraparfaitpourceprojetquideviendranotrenidàIsmaëletmoi.C’estuneaidenonnégligeable,carnousneroulonspassurl’oravecnossalairesdeflic.Aucoursdecesdeuxsemainesderemiseenétat–laformulen’estpasgalvaudée–j’aifaitunsaut
chezuntatoueur.Ilarehaussélateinterougedesboutonsderosequidécorentmonbiceps.Jevoulaisquelefilbarbelérestelégèrementdélavé,sansqu’ilneparaissefadeouabîmé.Ilafaitdubonboulot.J’ailonguementhésitéàm’enfaireundeuxième.L’idéeestnéelorsdecetteboutadefaiteàIsmaël,histoiredememarreretde le scotcher. Jen’ai,bienévidemment,pas imaginéunseul instant fairetatouersonprénomsurmoncul.Quelleconnerie!Satêteapourtantvalulecoup.Ceciétant,cetteidéem’atrottédanslatête.Graverunnomsursapeaun’estpasanodin.Letatouagequisymbolisemamèrene s’effacera jamais. Il reste le laserpour le fairedisparaître,mais cen’est pasdansmavisiondeschoses.Jeneprendspasuntelactepourunjeuouunesimpledécoration.C’estbienplus
profond que cela. Tatouer une représentation d’Ismaël sur ma peau a la même valeur qu’unengagement.Cen’estpasrien.J’aifiniparmedirequemêmesicelanemarchaitpasentrenous,ouneduraitpas,cequ’ilestaujourd’huipourmoiresteraitvrai.Quecesoitpouruntempsoupourlavie,messentimentssontréels.Jemesuislancé.Monchoixaétédifficile.Cequejevoulaispouvaitêtreinterprétéparn’importequinousconnaissant.Ismaëlesttoujoursdanssonplacard.J’aicédéàla tentation. Je ne mettrai que des manches longues au boulot. Son prénom, en arabe, décorel’intérieurdemonpoignetdroit,surtoutelalargeur.L’excitationd’Ismaëlquandill’adécouvert,c’étaitquelquechose!Punaise!Lanuitaétélongue.
Iladécrétéqueçaavaitlamêmevaleurqu’unengagementmaritaletqu’ilallaitfairelamêmechose.Jenesuispasalléaussiloin,bordel!Iladetellesenvoléesparfois,ilmefaitflipper.Ismaëln’estpasdu genre à se faire tatouer, ça ne colle pas avec sa personnalité. Évidemment, il n’en avait rien àbattre,cen’étaitquedespréjugésàlacon.C’étaitvrai,iln’avaitjamaispenséàsefairetatouerunjour.Non,cen’étaitpassontruc.Oui,iltrouveçatrèsvirilsurmoi.Non,çaneleseraitpassurlui.Oui,ils’enfoutetilfaitcequ’ilveut.Oui,c’estunrisque,maistantpis.Montatouagelerenddingueetfaitgrimpersalibido.Ilenvoulaitunaussi.Résultatdescourses:monprénom,plusdiscret,estsursonpoignetgauche.Pourquoilegauche?Parcequ’IsmaëlresteIsmaël.Quandonsetiendralamain,nosdeuxpoignetsserontcôteàcôte:IsmaëletMartin.J’aiévitédemefoutredesagueule,ill’auraitmalpris.J’yaipensé trentesecondes,puis l’imagequim’a traversé l’espritm’aenvoyédirectementenfilerunsurvêtementetparcourirsixkilomètresàbonneallure.Jenevoulaispascroirequ’unetelleidéem’aittraversélecerveau.CommeonnerefaitpasunMartinNolan,elles’estincrustéejusqu’àl’obsession.EtcommeonnerefaitdécidémentpasunMartinNolan,ilafalluquejelatransformeenactes. Jemesenscon, trèscon,mais je survis,pour la simpleetbonneraisonquemaconnerieestenferméeàclédansun tiroir,à l’abrides regards.Deuxanneauxenorblanc, identiques, largesetsimples, traversésdedeuxlignesnoires, lecolonisent.Jenesaispasencorecequejevaisenfaire,maisilsremplissentleurrôle:l’idéeconcrétisée,elleaquittématête.Quemereste-t-ilàdire?Pasgrand-chose…Ah,si!C’estunhurluberluquiaprislepouvoirsur
moncœur.Sijesuisunemmerdeur,jenesaispascequ’ilest.Quelquesjoursaprèssavisitechezletatoueur, cet empêcheur de tourner en rondm’a fait la surprise d’exposer àmon regard un fessiermagnifiquedont,ilfautbienl’avouer,jenemelassepas.Mastupeuraétéréellelorsquej’ailumonprénomsursafessegauche.J’aicruquej’allaisfaireunesyncope.C’étaitmocheetmalfait,ridiculeetstupide.Moneffarementpassé,macolèreaprisledessus.QuiétaitleconquiavaitoséapposeruntrucaussiimmondesurleculdeMONmec?Quiétaitl’idiotinconscientquiavaitoséprendreuntelrisque?Lefourired’Ismaëlrésonneencoredansmatête.Oui, jesuispossessif.Non,onnetouchepasàcequim’appartient.Oui, les fessesd’Ismaëlsontàmoiet tout lerestedesapersonneaussi.Oui, j’allaiscommettreunmeurtre.Non, jene trouvaispasçabeau.Oui, il fallaitqu’ilsedécideàcesserderireou,sinon,jenerépondraisplusderien.Non,mesneuronesn’avaientpasdésertémoncerveau.Oui, jevoyaisbienquec’étaituntatouageéphémèrecomplètement loupé.Merde!Allait-ilenfinmedirequiétaitcecondéjàmortetenterré?Lui,c’étaitlui,cequiexpliquaitsonappositionmaladroite.Jeluiaifaitpayercetoutrage,àmafaçon.Lalégèregêneàs’asseoirqu’ilaressentielelendemainneluiapasretirésonairdegroschatrepuetsatisfait.Elleétaitsilégèrequ’elleluifaisaitplusdebienquedemal,toutcommel’énergiequej’aidéployéepourenarriveràcerésultat.Il est des battements de cœur qui parlent d’éternité, de pérennité et de bonheur. Ismaël a cette
capacitédelesrendrenombreux.Ilssontdessoufflesdevie,desrespirationsrapidesetgrisantes,desbrisesrassuranteseteuphorisantes.J’ai chassémes ombres. Lemonde en est peuplé, il n’a pas besoin desmiennes. Je n’en ai plus
l’utilité non plus.Mamère voulait que je trouvemaplace sur cette terre, je l’ai trouvée.Pourmafamille, jesuisentraindefairecequ’il fautpour.Elledésiraitplusquetoutquejesoisunhommelibre,j’ensuisdevenuun.Ellevoulaitdesriresdansmavie,j’enaideplusenplus.Dansdeuxsemaines,nousseronsenvacances.AvecIsmaël,nousavonsprévudenousrendresurce
lieu qu’elle aurait souhaité pour dernière demeure. J’y déposerai une rose rouge, symbole demonamour pour elle, et je jetterai à la mer un bouquet de marguerites. J’aurais bien choisi descoquelicots,mais ils sont si fragilesque,commeelles, ilsnerésisteraientpas jusqu’aubout.Je luidiraiaurevoir,lecœurpluslégerqu’ilnel’ajamaisété.Jeluipardonnerai,mêmesi,aufond,iln’yarienàpardonner.Onestcequel’onestetonnepeutrienreprocheràceuxquiontfaitdumieuxqu’ilslepouvaient.Elleafaitdumieuxqu’ellelepouvait.
Mamèren’apascomplètementtortlorsqu’elleditqu’ilarrivetoujoursunmomentoùilfautlaisser
tomberlerideau.C’estàcetteétapedemaviequejechoisisdelefaire.Ilyaurapeut-êtred’autrescahierssurlesquelsjeferaicourirmonstylo.Pourcelui-ci,ilnemerestequ’unmotàécrire:
FIN
N°ISBN:978-2-37521-013-0©MixEditions2016,Tousdroitsréservés.
©VirginieWernert,pourlaprésentecouverture.
Dépôtlégal:mars2016Datedeparution:mars2016
MixEditions:
ImpassedesMares,76970Grémonville
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