Download - Cause Commune no. 32 - Automne 2011
numéro 32 automne 2011
En juillet dernier, on apprenait, par l'entremise d'unarticle dans les pages du Journal de Montréal,l'existence d'une nouvelle escouade au sein duService de police de la ville de Montréal (SPVM) :l'escouade GAMMA, chargée du « Guet desactivités et des mouvements marginaux etanarchistes ». La révélation faisait suite àl'arrestation de quatre militants et militantes ayantparticipé aux manifestations du premier mai et àcelles de l'Association pour une solidarité syndicaleétudiante (ASSÉ), quelques mois plus tôt. Depuis,un autre militant associé à l'ASSÉ a été arrêté et, àen croire le SPVM luimême, ce n'est qu'un début.Tout comme l'ASSÉ et la Coalition contre larépression et les abus policiers (CRAP), ainsi qued'autres organisations qui ont réagi vivement à lanouvelle, nous ne sommes pas dupes. Bien quel'existence d'une escouade spécifique, dédiée à« coordonner sa lutte aux groupes marginaux etanticapitalistes » constitue un développementinquiétant, on savait déjà que le SPVM ciblaitspécifiquement des individus dont les convictionspolitiques remettent en question l'ordre établi. Lecommuniqué publié par la CRAP faisait d'ailleurs lalumière sur la présence de préjugés antianarchistesdans un rapport portant sur la manifestation anticapitaliste du 1er mai 2008.1S'agit il d'un changement de tactique pour le SPVM?En menant une répression plus ciblée à l'endroitd'individus identifiées commes des « leaders » ausein des mouvements surveillés, les boeufs espèrentpeutêtre pouvoir délaisser peu à peu les arrestationsde masse qui les plongent plus souvent qu'autrementdans l'embarras. Ce ne serait pas surprenantcompte tenu du fait que le service depolice a échoué à plusieurs occasions àbâtir des dossiers assez solides auprèsde la cour pour obtenir des verdictsde culpabilité. Parmi les exemples,on se rappelle de l'arrestation demasse en marge del'Organisation mondiale ducommerce en 2003, qui faitprésentement l'objet d'uneplainte auprès de laCommission des droits de
la personne, et celle du 19 novembre 2004,opération pour laquelle le SPVM a été blamé pourses pratiques discriminatoires dans un rapport del'Organisation des nations unies (ONU)2.Tout cela en dit long sur les priorités du SPVM... Ladivision de lutte au crime organisée, responsable deGAMMA, s'inquiète des « mouvementsmarginaux » tandis que les rackets et la corruptioncontinuent de s'épanouir quasiimpunément dans lesdifférents paliers du gouvernement. À cet effet, lecommuniqué de la CRAP nous rappellait que le chefde la division en question du SPVM était luimêmesous enquête pour une affaire de potdevin! Bellejustice!Au fait, serionsnous devenues le nouvel « ennemiintérieur », cette construction politique nécessaire àla légitimation de l'État dont parle Mathieu Rigoustedans son ouvrage3 ? On aimerait penser que lasurveillance policière accrue de nos activités laissesupposer une capacité de mobilisation dont nous nesoupçonnions pas l'importance. Il faut dire que lesmotifs de mécontentement de la population nemanquent pas, et que leur radicalisation et leurconvergence pourrait bien donner quelquesmauvaises nuits de sommeil à ceux et cellescensées nous « représenter » : dégradation desservices publics, scandales et corruption deci, delà,gaz de schiste, dégoût de plus en plus clair et net àl'encontre du capitalisme...Au final, même si les plaintes déposées contreGAMMA auprès d'instances officielles portent fruit,ce ne sera pas la fin de la répression àcaractère politique. Tant qu'il y aura desindividus et des mouvements quiluttent contre le statu quo, ceux etcelles qui en profitent trouveront depauvres larbins pour leur servir à lafois de bras armé et de bouclier. C'estpourquoi, sans tomber dans le piège dela paranoïa paralysante, nous devonsdévelopper des pratiques et desoutils qui permettront d'assurernotre propre sécurité, tant quece sera nécessaire.
(1) « La CRAP dénonce l'escoude GAMMA »,http://www.lacrap.org/lacrapdenoncel’escouadegamma(2) « L’ONU blâme la police de Montréal »,http://www.lecouac.org/spip.php?article56(3) Mathieu Rigouste, « L'ennemi intérieur lagénéalogie coloniale et militaire de l'ordre sécuritairedans la France contemporaine », 2009.
Une nouvelle escouadepour vous défendre...
...pour vous défendre de réfléchir, d'être vous-même, de poser des questions, de critiquer,
de vous opposer à l'ordre établi et à ses injustices, de vouloir changer le monde, etc.
Petite histoire de la policepolitique au Canada
Quand on pense « police politique », on pense souventaux exemples célèbres comme le KGB soviétique oula Schutzstaffel (SS) de l'Allemagne nazie. Sans enaffirmer l'équivalence, le Canada a aussi sa proprehistoire en la matière, histoire trop peu présente dansla consience populaire qui refuse encore de considérerle Canada comme un pays violeur de droits. Danscette optique, la création d'une police politique au seindu SPVM n'a rien de nouveau, ni d'unique, dansl'histoire policière canadienne.Entre 1939 et 1945, dans le contexte de la deuxièmeguerre mondiale, le Canada a interné des milliers depersonnes, surtout immigrantes (principalement duJapon), mais aussi des communistes, dans des camps.Aucun crime n'était reproché aux individus internés,le seul motif de cette mesure extraordinaire étant lasécurité nationale.La CRAP soulignait justement un exemple de ce faitdans son communiqué au sujet de GAMMA :« Comme le révélait l’émission Enquête de RadioCanada en octobre dernier, la Gendarmerie royale duCanada (GRC) a géré pendant plus de trois décenniesun programme nommé PROFUNC destiné à organiserl’internement de milliers de militants communistes etleurs progénitures dans des camps secrets en cas deguerre avec l’Union soviétique. »Enfin, durant la crise d'octobre 1970, des centaines depersonnes furent arrêtées et emprisonnées,uniquement parce qu'elles étaient affiliées, de près oude loin, à des mouvements indépendantistes ouconstestataires.
Après neuf ans à la tête des 300 000 membres de laConfédération des Syndicats Nationaux (CSN),Claudette Carbonneau a récemment cédé son poste àLouis Roy, responsable des négociations dans lesecteur public de 2002 à 2011, en tant que viceprésident de l'exécutif. Celui qui se plaît à saluer sescollègues d'un « camarade » et qui se prétend detendance socialiste seratil en mesure d'infuser unebonne dose de combativité à la CSN comme leprédisent certains commentateurs dans les médias?Depuis la défaite humilitante de la centrale contrel'empire Québécor, entraînant avec elle des dizainesde travailleurs et travailleuses dans la spirale duchômage et de l'incertitude, un examen deconscience s'impose plus que jamais. Dans un telcontexte, tant mieux si le nouveau chef de la CSNest en mesure de mettre en cause le corporatisme, lemanque de démocratie et la judiciarisation àoutrance des luttes, autant de maux qui à nos yeuxminent les possibilités des travailleurs ettravailleuses de gagner leurs luttes contre lespatrons.Mais tout de même, permetteznous d'en douter. Laculture de collaboration qui a progressivementédenté les grandes organisations de travailleurs et detravailleuses au Québec et ailleurs n'est pas prête dedisparaître à la CSN. Car même si Louis Roy estsincère lorsqu'il exprime un désir de révolution dansles pratiques de son organisation, il aura d'abord àsurmonter, sur son chemin, une vaste structure etune armée de bureaucrates de profession. Un chefqui s'attaque à une hiérarchie dont il est à la tête, envoilà une idée saugrenue!Nous ne prétendons pas que Louis Roy soit pirequ'un autre, mais il nous semble important de ne pastomber bêtement dans le panneau des discours
pompeux. Rappelons que notre cher « socialiste »,lors des dernières négos du secteur public, acceptaitsans broncher que les ajustements salariaux soientdépendants du niveau de croissance économique!Quel est donc ce drôle de socialisme nouveaugenrequi prône une meilleure répartition... de ce que lespatrons n'ont pas encore empoché?!Les syndicalistes à la CSN qui ont encoreà coeur la défense des travailleurs etdes travailleuses, plutôt que d'attendreun salut venu d'en haut, auraientintérêt à s'intéresser à l'étatlamentable d'innombrables locauxsyndicaux, où les principes desolidarité et d'éducation politique nes'observent plus que sur des vieillesaffiches jaunies, sur les murs d'unlocal dont l'existence même estinconnue de la plupart dessyndiquées.Lorsqu'on constate que les assemblées généralesne sont plus que des instances de rubberstampingdes décisions d'en haut, que l'initiative des membres,où elle n'est pas carrément étouffée, est fermementencadrée d'un légalisme paralysant, bref que lestravailleuses et travailleurs se sentent gérées parleur syndicat plutôt que l'inverse, on comprendpourquoi les syndicats comme la CSN ont de plus enplus de difficulté à gagner contre les patrons.En parallèle, les exécutifs locaux, même les pluscombatifs, se butent régulièrement à des troupesdémobilisées baignant dans l'individualisme ambiantqui agissent en spectateurs et spectatrices de leurspropres luttes. L'exécutif est plus souvent qu'à sontour pointé du doigt lors de défaites, parfois avecraison, par des membres, qui de leur côté, se
déresponsabilisent trop souvent de ces défaites.Dans un tel contexte, il est difficile de croire qu'unchangement d'en haut mobilisera, comme par magie,une base qui se reconnaît de moins en moins dansun syndicalisme dépolitisé voué entièrement à ladéfense de convention collective et qui s'adapte de
plus en plus difficilement au capitalisme du XXIesiècle. Plus que jamais, la politisation des
luttes de la base est nécessaire etcruciale. Mais ce constat n'est pas
nouveau, il y a 50 ans, PierreVadeboncoeur, alors conseillersyndical à la CSN, écrivait déjà :« La négociation collective aintroduit dans l'histoire duprolétariat un pattern propre à serépéter, donc à remplir à lui seul des
années dès lors perdues pour le projetrévolutionnaire. La convention collec
tive est l'instrument voulu pour qu'il n'yait plus, officiellement, efficacement,
consciemment, dangereusement, d'histoire duprolétariat. »Pour que ça change, ça va prendre une volontécommune de dépasser par la base ces courtiers etcourtières de notre force de travail, nécrosées dansleur stratégie de lobbyisme et de paradesspectaculaires. Afin de survivre aux prochainesdécennies, la grande machine syndicale devra serenouveller et cesser de livrer ses seules bataillesdans les bureaux luxueux des mercenaires juridiqueset redevenir l'organisation de lutte par excellencedes travailleurs et travailleuses contre le Capital.Et n'en déplaise au « camarade » Louis, c'est unmouvement qui ne pourra et ne devra pas s'imposerd'en haut.
« Camarade » Louis Roy
« Vous en savez déjà suffisamment. Moi aussi. Ce nesont pas les informations qui nous font défaut. Cequi nous manque, c'est le courage de comprendre ceque nous savons et d'en tirer les conséquences. »Sven LindqvistPour un anniversaire, c'est un anniversaire. Pas sûrqu'on ait demandé quelque chose d'aussi spectaculaire. Mais le génie atomique ne fait rien à moitié.En mars dernier, nous avons donc eu droit, et lepeuple japonais en premier, à une commémorationde Tchernobyl pleine de panache (de fumées radioactives). Faites chauffer l'uranium, le grand barnumnucléaire rejoue sa meilleure pièce! Non pas celledes contaminations sournoises aux abords descentrales, pas celle non plus des irradiations inopinées de travailleurs et travailleuses mal protégées,mal formées, pas plus que celle des fuites radioactives, ni celle des petits scandales autour des conditions d'extraction du minerai ; mais la catastrophe, lavraie. L'oeuvre maîtresse, après la bombe.Et on n'a pas fini de fêter. Les mois qui vont suivrenous apporteront de nouvelles révélations sur l'ampleur de ce qui se joue à Fukushima. Sans entrerdans les détails, ça risque de donner quelque chosecomme ça : « Ah, ça se calme » ... « Ah non, en faitc'était pire » ... « Ce coupci c'est bon, on a tout stabilisé » ... « Ah zut, il restait ça aussi » ... « Bon écoutez, de toute façon cette région est inhabitable pourdes centaines d'années, alors on pourrait peutêtrepasser à autre chose, non? »Mais dans l'ensemble on n'a plus besoin de cesfrémissements médiatiques. À qui veut bien le voir,le désastre est déjà là, sous nos yeux, et il nouséblouit. Qu'il soit plus ou moins grave que Tchernobyl, selon tels ou tels critères scientifiques d'évaluation, n'a aucune importance ; qu'il soit de naturedifférente comme le répètent à l'envie les experts,non plus. Les conséquences sont semblables, et c'esttout ce qui compte.Pour rappel : des dizaines de milliers de personnes
déplacées, une explosion decancers à venir – en premierlieu chez les sousprolétairesrecrutées on ne sait commentpour aller en première lignelimiter la casse –, des naissances d'enfants hors normes,une chaîne alimentaire ravagéepour une durée indéterminée.On pensait vivre à l'âge de larationalité et du progrèstriomphant, et voici qu'un accident technologique prend desproportions extravagantes – une fois de plus.De quoi ébranler quelques certitudes. Enfin, pas partout si l'on en juge par la récente décision de prolonger la durée de « vie » de Gentilly2. Ailleurs, pourapaiser une opinion publique de plus en plussourcilleuse visàvis des nuisances du capitalismeindustriel à mesure que cellesci se font de plus enplus visibles, une armée d'experts, d'expertes et deseconds couteaux médiatiques monte au créneaupour entonner en choeur quelques airs connus sur lasûreté de la filière nucléaire, son incroyable rapportqualitéprix, son absence d'émission de CO2, etc. Ledisque est rayé, mais le son est à fond – et on espèreque vous aimez les chansons françaises.Et gare si l'on en vient à considérer Fukushimacomme une occasion somme toute très, très suffisante pour envisager l'abandon de la filière nucléaire : c'est « manquer de respect aux victimes! »Par une contorsion rhétorique déconcertante, lesmarchands d'atomes et leurs idéologues, loin de seterrer dans quelque bunker dans l'angoisse d'unesaine réaction populaire, plastronnent toujours etdécernent les certificats de bonne ou mauvaiseconsience politique. Et ce n'est pas qu'en France.Pour la saveur locale, nous renvoyons les amateurset amatrices de vacuité au blog de la baudrucheBockCoté, pour qui il n'y a « pas vraiment de leçonà tirer » de Fukushima. Et les opinions à BockCôté,y atil quelque chose à en tirer? « Pas vraiment. »De toute façon, pas de panique : si les centrales nesont pas encore assez sécuritaires, elles vont le devenir grâce au fumeux « audit mondial » proposé notamment par l'amuseur Sarkozy. C'est comme lalessive : avant ça lavait blanc, maintenant ça lave encore plus blanc. Et l'EPR1 que la France tente laborieusement de refourguer au reste du monde laveraencore, encore plus blanc ; en attendant la lessiveultime, ITER2, le réacteur à fusion censé reproduireen miniature les réactions nucléaires dans les étoiles.Rien de moins. Où l'on voit à nouveau que cetteépoque de crise capitaliste et écologique est aussicelle de l'irresponsabilité politique et de la bouffonnerie scientiste.Au fait, maintenant que nous avons passé la grandeépoque des bombes atomiques et de la doctrine de ladissuasion, le nucléaire, c'est pour quoi faire ? Essentiellement, faire tourner la machine productiviste.
D'ailleurs, si certaines centrales doivent un jour êtrefermées, ce ne serait qu'à condition qu'elles soientremplacées par des centrales au charbon, des barrages, du solaire, des éoliennes, de la géothermie,etc. À quantité égale d'énergie. Pas question dechanger nos habitudes, encore moins de remettre encause notre modèle de consommation. Mais nous ensommes aussi à un point où le nucléaire finit parmener le combat pour son propre compte. Et lechangement climatique arrive à point nommé pourlui donner l'occasion de se refaire une virginité.« Les fous gouvernent nos affaires au nom del’ordre et de la sécurité. Les fous « en chef » seréclament du titre de général, d’amiral, de sénateur,de savant, d’administrateur, de secrétaire d’État oumême de président. » (Lewis Mumford)Le plus tragique dans cette histoire, c'est que noussommes coincées avec le nucléaire pour des centaines d'années. Une révolution mondiale aboutissant à l'effondrement de l'ordre dominant, ou unetransformation sociale tranquille rendant obsolètetoute forme de pouvoir étatique et capitaliste, nesaurait faire l'économie de ce constat : la sortie dunucléaire nécessitera toujours une caste de spécialistes auxquelles il faudra bien faire confiance. Iln'y a pas moyen d'autogérer le démantèlement d'unecentrale, pas plus que la gestion des déchets.Au fait, savezvous combien de centrales sontnécessaires pour faire fonctionner Google ? Deux,selon certaines estimations. Mais chut, on n'aimepas trop parler de ces choseslà.(1) EPR : European Pressurized Reactor. La prochainegénération de réacteurs proposée par le constructeur français Areva. Ils seront plus sûrs, plus puissants, pluspropres, plus beaux, écolocompatibles, etc. Le prix deleur construction, non encore achevée, a doublé par rapport aux estimations initiales, et l'ASN (autorité de sûreténucléaire française) a récemment émis de sérieusesréserves quant à la sécurité de ces structures.(2) ITER : International Thermonuclear ExperimentalReactor. Reposant sur une technologie complètement différente de celle des centrales actuelles, ce réacteur estcensé ouvrir la voie, dans une cinquantaine d'années, à laproduction d'une énergie plus sûre, plus puissante, pluspropre... (cf. (1))
Appel à la créativité, à l'articulation despossibles, au pouvoir destrucréateur des mots.Contre le caractère immuable du français, que noslangues s'insurgent! Le masculin y prime sur leféminin et les adjectifs possessifs y sont inévitables,même pour désigner les personnes. La languefrançaise est un lieu privilégié où le patriarcat sereproduit sournoisement : il se reproduit dans notrebouche, du bout de la langue. C'est comme frencheravec le boss. Dans le champ lexical, l'État s'érige enmajuscules, la division sexuelle des genres estgrammatically correct et le masculin l'emporte defacto. Pour les féministes libertaires, la combativités'impose à chaque mot.
La divisionsexuelle des mots
La structure même de lalangue française repose sur
deux catégories de genre quiémergent de la construction
sociale du féminin et du masculin. Alors que pourles objets la référence au genre masculin ou fémininest arbitraire, pour les sujettes animées (vivantes),elle fait directement référence à leur sexe. Dans
certaines langues, les catégories de genre réfèrentplutôt aux classes inanimé et animé : il n'y a alorsaucun risque qu'une roche ou une cruche soientassociées à des êtres humaines. S'il en était ainsipour la langue française, il serait impossible pourdes compagnies comme Daigneau d'annoncer ainsileur nouvelle cruche d'eau : « la seule cruche quevous voudrez au bureau », ou « tout le monde tourneautour de la nouvelle cruche ». Ça suffit!Dans le camp conservateur, les règles du patriarcatont bonne presse : « C'est lourd, lire un texteféminisé ». Évidemment que c'est lourd quand on lefait peu et mal. Cesser de s'agripper aux traditions –qu'elles soient écrites ou orales – implique de sortirde ses zones de confort et de mettre un peu d'efforts!Comment mettre en scène tant les femmes que leshommes si leur visibilité est structurellementinégale? « C'est trop long à écrire », rechigneraton,« Ça a toujours été comme ça, on se comprend,pourquoi changer? ». Contre ces justifications, ilapparaît pertinent de rappeler que la prédominancedu masculin sur le féminin n'est pas anodine, mais abien été socialement construite. Dans le texte d'unepétition intitulée Que les hommes et les femmessoient belles! lancée fin mai en France et ayantrecueilli plus de 2000 signatures, on apprend qu'en1676, le père Bouhours – l'un des grammairiensresponsable de la mise en vigueur de cette règle –expliquait son choix ainsi : « lorsque les deuxgenres se rencontrent, il faut que le plus noblel'emporte ». Pourtant, poursuit le texte de la pétition,« avant le XVIIIe siècle, la langue française usaitd'une grande liberté. Un adjectif qui se rapportait àplusieurs noms pouvait s'accorder avec le nom leplus proche. Cette règle de proximité remonte àl'Antiquité : en latin et en grec ancien, elles'employait couramment ». Mise en oeuvre, une tellerègle pouvait par exemple produire « Ton corps et tatête sont belles » (BoisRegard).
Le caractère malléable de la langue, révélé par cetteanectode historique, permet d'entrevoir lespossibilités qui s'offrent à nous pour la modifier. Etpas besoin d'attendre le succès d'une pétition pourmettre en bouche nos figures de style égalitaires!Y atelle des libertaires dans la salle?Le français est structuré à partir d'une sociétécapitaliste et patriarcale depuis bien longtemps.Comme c'est le cas pour tous les systèmesd'oppression, pas de réforme possible. Estilsuffisant de suggérer d'ajouter des marquesféminines à des concepts historiquement sexistes?Pire : se réfugier derrière un astérisque ou une notepolie en bas de page?Notre souci d'abolir et de rendre compte dessystèmes d'oppression devrait précéder notre envied'écrire. Ainsi, nous pourrions ensemble développerun langage modelé par notre conception du mondequi rend compte de la multiplicité des êtreshumaines et humains.
Un champ de bataille surle bout de la langue
Cause commune est le journal de l'Unioncommuniste libertaire (UCL). 3000 exemplaires dece journal sont distribués gratuitement par desmilitantes et des militants libertaires, membres ounon de l'organisation.Si le journal vous plaît et que vous voulez aider àle diffuser dans votre milieu, contactez le collectifde l'UCL le plus près de chez vous. Vous pouvezaussi soumettre un texte ou nous faire part de voscommentaires en écrivant à :[email protected]
Visitez notre site web :www.causecommune.net
...suite en page 3.
« Vous en savez déjà suffisamment. Moi aussi. Ce nesont pas les informations qui nous font défaut. Cequi nous manque, c'est le courage de comprendre ceque nous savons et d'en tirer les conséquences. »Sven LindqvistPour un anniversaire, c'est un anniversaire. Pas sûrqu'on ait demandé quelque chose d'aussi spectaculaire. Mais le génie atomique ne fait rien à moitié.En mars dernier, nous avons donc eu droit, et lepeuple japonais en premier, à une commémorationde Tchernobyl pleine de panache (de fumées radioactives). Faites chauffer l'uranium, le grand barnumnucléaire rejoue sa meilleure pièce! Non pas celledes contaminations sournoises aux abords descentrales, pas celle non plus des irradiations inopinées de travailleurs et travailleuses mal protégées,mal formées, pas plus que celle des fuites radioactives, ni celle des petits scandales autour des conditions d'extraction du minerai ; mais la catastrophe, lavraie. L'oeuvre maîtresse, après la bombe.Et on n'a pas fini de fêter. Les mois qui vont suivrenous apporteront de nouvelles révélations sur l'ampleur de ce qui se joue à Fukushima. Sans entrerdans les détails, ça risque de donner quelque chosecomme ça : « Ah, ça se calme » ... « Ah non, en faitc'était pire » ... « Ce coupci c'est bon, on a tout stabilisé » ... « Ah zut, il restait ça aussi » ... « Bon écoutez, de toute façon cette région est inhabitable pourdes centaines d'années, alors on pourrait peutêtrepasser à autre chose, non? »Mais dans l'ensemble on n'a plus besoin de cesfrémissements médiatiques. À qui veut bien le voir,le désastre est déjà là, sous nos yeux, et il nouséblouit. Qu'il soit plus ou moins grave que Tchernobyl, selon tels ou tels critères scientifiques d'évaluation, n'a aucune importance ; qu'il soit de naturedifférente comme le répètent à l'envie les experts,non plus. Les conséquences sont semblables, et c'esttout ce qui compte.Pour rappel : des dizaines de milliers de personnes
déplacées, une explosion decancers à venir – en premierlieu chez les sousprolétairesrecrutées on ne sait commentpour aller en première lignelimiter la casse –, des naissances d'enfants hors normes,une chaîne alimentaire ravagéepour une durée indéterminée.On pensait vivre à l'âge de larationalité et du progrèstriomphant, et voici qu'un accident technologique prend desproportions extravagantes – une fois de plus.De quoi ébranler quelques certitudes. Enfin, pas partout si l'on en juge par la récente décision de prolonger la durée de « vie » de Gentilly2. Ailleurs, pourapaiser une opinion publique de plus en plussourcilleuse visàvis des nuisances du capitalismeindustriel à mesure que cellesci se font de plus enplus visibles, une armée d'experts, d'expertes et deseconds couteaux médiatiques monte au créneaupour entonner en choeur quelques airs connus sur lasûreté de la filière nucléaire, son incroyable rapportqualitéprix, son absence d'émission de CO2, etc. Ledisque est rayé, mais le son est à fond – et on espèreque vous aimez les chansons françaises.Et gare si l'on en vient à considérer Fukushimacomme une occasion somme toute très, très suffisante pour envisager l'abandon de la filière nucléaire : c'est « manquer de respect aux victimes! »Par une contorsion rhétorique déconcertante, lesmarchands d'atomes et leurs idéologues, loin de seterrer dans quelque bunker dans l'angoisse d'unesaine réaction populaire, plastronnent toujours etdécernent les certificats de bonne ou mauvaiseconsience politique. Et ce n'est pas qu'en France.Pour la saveur locale, nous renvoyons les amateurset amatrices de vacuité au blog de la baudrucheBockCoté, pour qui il n'y a « pas vraiment de leçonà tirer » de Fukushima. Et les opinions à BockCôté,y atil quelque chose à en tirer? « Pas vraiment. »De toute façon, pas de panique : si les centrales nesont pas encore assez sécuritaires, elles vont le devenir grâce au fumeux « audit mondial » proposé notamment par l'amuseur Sarkozy. C'est comme lalessive : avant ça lavait blanc, maintenant ça lave encore plus blanc. Et l'EPR1 que la France tente laborieusement de refourguer au reste du monde laveraencore, encore plus blanc ; en attendant la lessiveultime, ITER2, le réacteur à fusion censé reproduireen miniature les réactions nucléaires dans les étoiles.Rien de moins. Où l'on voit à nouveau que cetteépoque de crise capitaliste et écologique est aussicelle de l'irresponsabilité politique et de la bouffonnerie scientiste.Au fait, maintenant que nous avons passé la grandeépoque des bombes atomiques et de la doctrine de ladissuasion, le nucléaire, c'est pour quoi faire ? Essentiellement, faire tourner la machine productiviste.
D'ailleurs, si certaines centrales doivent un jour êtrefermées, ce ne serait qu'à condition qu'elles soientremplacées par des centrales au charbon, des barrages, du solaire, des éoliennes, de la géothermie,etc. À quantité égale d'énergie. Pas question dechanger nos habitudes, encore moins de remettre encause notre modèle de consommation. Mais nous ensommes aussi à un point où le nucléaire finit parmener le combat pour son propre compte. Et lechangement climatique arrive à point nommé pourlui donner l'occasion de se refaire une virginité.« Les fous gouvernent nos affaires au nom del’ordre et de la sécurité. Les fous « en chef » seréclament du titre de général, d’amiral, de sénateur,de savant, d’administrateur, de secrétaire d’État oumême de président. » (Lewis Mumford)Le plus tragique dans cette histoire, c'est que noussommes coincées avec le nucléaire pour des centaines d'années. Une révolution mondiale aboutissant à l'effondrement de l'ordre dominant, ou unetransformation sociale tranquille rendant obsolètetoute forme de pouvoir étatique et capitaliste, nesaurait faire l'économie de ce constat : la sortie dunucléaire nécessitera toujours une caste de spécialistes auxquelles il faudra bien faire confiance. Iln'y a pas moyen d'autogérer le démantèlement d'unecentrale, pas plus que la gestion des déchets.Au fait, savezvous combien de centrales sontnécessaires pour faire fonctionner Google ? Deux,selon certaines estimations. Mais chut, on n'aimepas trop parler de ces choseslà.(1) EPR : European Pressurized Reactor. La prochainegénération de réacteurs proposée par le constructeur français Areva. Ils seront plus sûrs, plus puissants, pluspropres, plus beaux, écolocompatibles, etc. Le prix deleur construction, non encore achevée, a doublé par rapport aux estimations initiales, et l'ASN (autorité de sûreténucléaire française) a récemment émis de sérieusesréserves quant à la sécurité de ces structures.(2) ITER : International Thermonuclear ExperimentalReactor. Reposant sur une technologie complètement différente de celle des centrales actuelles, ce réacteur estcensé ouvrir la voie, dans une cinquantaine d'années, à laproduction d'une énergie plus sûre, plus puissante, pluspropre... (cf. (1))
NucléaireLe saccage durable
Alors : Il ou elle? Ils ou elles? Ils et elles sontbeaux et belles. Le pronom ILS pose problème,surtout lorsque vient le temps d'écrire un textequi parle d'un collectif mixte. Son utilisation peutêtre ambiguë. Mme Françoise Marois, éditrice etprofesseure en linguistique, a proposé la créationd'un nouveau pronom pour la langue écrite :ILLES, réunion du ils et du elles. Le « illes » estun « pronom personnel de la troisième personnedu pluriel qui s’utilise afin d’assurer la représentativité féminine d’un couple ou d’un groupemixte de deux personnes et plus ». Ainsi, parexemple : « La grammaire et le dictionnaire sontsexistes, illes méritent donc qu’on lesréécrivent ».Un pansement « couleur peau » (celle desoccidentaux?), des vêtements de taille« médium » (celle considérée souhaitable?),« avoir des couilles » (ne pas en avoir implique lalâcheté?) : le langage est normatif. Il n'est pasque patriarcal ou sexiste, il est synonymed'oppressions de toutes sortes puisque dessituations normalisées peuvent être expriméesaisément alors que les mots manquent pourdésigner d'autres situations. La rédaction épicènenécessite une réflexion préalable à l'écriture.L'idée n'est pas de remplacer des règles pard'autres, ou de demander à l'Office de la languefrançaise la permission de changer tel ou tel mot.Les mots sont si près de nous, porteurs de sens,politiques, capables de dépasser nos consciences.Agissons directement sur/avec ceuxci.Les mots sont les alliés du volubile possible, c'esttoute la poésie de la liberté.
...sur le bout de la langue (suite)
« Monsieur le Président, il nous est désormais impossible de différer plus longtemps. Nous avons essayéde trouver une porte de sortie, en vain. Cette grèvene vient pas des dirigeants. Elle vient de la base syndicale. »American Federation of Labour (AFL), 1919.Les récents évènements – que ce soit la crise économique, le printemps arabe, les explosions sociales enEurope, les attaques contre le droit à la syndicalisation au Wisconsin ou les lockouts à répétitions –annoncent, pour la prochaine décennie, une périodede luttes sociales et de violences de classes qui seraune lutte à la mort entre le capital et les travailleurset travailleuses. Cette période de troubles à venirn'est pas sans rappeler le début du 20e siècle et soncycle de crise. Chaque variation quantitative duprolétariat amenait des attaques frontales du capitalisme auxquelles succédait inévitablement une radicalisation des syndicats, dont le membership était enexplosion. Un superbe bouquin de Louis Adamic,relatant cette période, vient d'ailleurs d'être traduiten français.Louis Adamic, né en Yougoslavie en 1899, est unhistorien populaire, un syndicaliste révolutionnaireet un auteur malheureusement presque inconnu aujourd'hui. Militant nationaliste au sein d'un groupeclandestin, il est jeté en prison à 13 ans. Afin de fuirla répression, il émigre aux ÉtatsUnis à l'âge de 14ans. Il est ensuite mobilisé pendant la PremièreGuerre mondiale et, suite à son retour, se rapprochedes Industrial Workers of the World (IWW), le grandsyndicat révolutionnaire étatsunien. C'est à cemoment qu'il entame sa carrière d'auteur. Désillusionné du syndicalisme et du prolétariat étatsunien,il devient un partisan de Tito (le leader yougoslave)et meurt en 1951, au New Jersey dans des circonstances nébuleuses, vraisemblablement assassinépar les staliniens.À travers ce livre, l'auteur, en tant qu'historien etacteur de ces luttes, analyse les moments clés d'unsiècle de luttes ouvrières chez nos voisins du sud. Celivre, à sa façon, n'est pas sans rappeler l'incontournable Histoire Populaire des ÉtatsUnis d'Howard
Zinn. Adamic y traite entre autres des évènementsplus connus de l'historiographie ouvrière étatsunienne – du moins pour les libertaires – tels que lemassacre de Haymarket, la fondation des IWW etl'exécution de Sacco et Vanzetti. On y aborde aussides éléments historiques beaucoup moins connustels que la grande grève de Homestead, le dynamitage de l'immeuble du Times par des membres del'AFL (l'affaire McNamara) ou les Molly Mcguire,
une société secrète de mineurs irlandais catholiquesspécialisée dans l'exécution de patrons! On y apprend aussi comment le gompérisme, du célèbreprésident et fondateur de l'AFL Samuel Gompers, unréformiste et ennemi acharné du syndicalisme révolutionnaire, a tranquillement transformé la lutte desclasses (Class struggle) en lutte des places (Assstruggle), supprimant à moyen terme toute perspective révolutionnaire à la classe ouvrière au pays del'Oncle Sam.
« L'atmosphère américaine est surchargée deviolence parce que la société américaine est mûrepour la révolution alors que l'esprit américain nel'est pas... »La thèse d'Adamic est que le capitalisme, par sa violence et sa répression armée, a poussé le prolétariatà opter pour des moyens plus radicaux, allant desdynamitages aux exécutions de « jaunes » et de patrons. Les mercenaires, à l'origine embauchés par lepatronat, furent à leur tour utilisés par certains syndicats qui développèrent des liens de plus en plusétroits avec certains groupes criminels. Ces liensdonnèrent en bonne partie naissance au crime organisé, nommé « syndicat du crime ». Les menaceset « rackets de protection » contre les patrons, maisaussi contre les non syndiqués ou les syndiquésprovenant d'autres syndicats devinrent monnaie courante.Pour Adamic, le racket devint un « moment deconflit de classe ». On vit de plus en plus d'anciensleaders syndicaux se convertir en « chefs de gangs »méprisant les « travailleurs honnêtes » qui travaillaient trop, pour si peu. Comme le mentionnaitJeanPatrick Manchette, libertaire et auteur depolars noirs bien connu en France : « On y voit lumineusement comment le syndicalisme américain s’esttransformé en syndicalisme criminel quand la possibilité de la révolution a disparu et quand, parconséquent, la question n’a plus été que celle desfameuses parts du gâteau. ». Un bouquin qui permetde mieux comprendre comment le syndicalismenordaméricain est passé de vecteur révolutionnaireà gestionnaire de convention collective.Bref, un livre d'histoire populaire qui ne fait pasdans la dentelle et qui se dévore comme un romannoir. Le truc idéal à lire durant les vacances, pourceux et celles qui en ont, lorsqu'on est loin dupatron...ADAMIC, Louis. Dynamite ! Un siècle de violencede classe en Amérique (18301930) [1931]. Paris :Sao Maï, 2010. 476 p.
DYNAMITE! Un siècle de violence de classe en Amérique
« Power's a poisoned giftTake that power and spread it thinLike ice on our revolution's spring »Troy – Union MadeAlchemists, c'est le nom du nouvel album du groupemontréalais Union Made. Ce groupe au style hardcore avec quelques accents de punk en est à sondeuxième album après la parution de Hard Grace ily a de cela quelques années. La formation demeurefidèle au son et au ton qu'elle avait su montrer dansson dernier album, ne reniant pas son engagementpolitique anticapitaliste et antiraciste.C'est ainsi qu'on peut entendre, tout au long d'Alchemists, une musique sans compromis avec des textesintelligents sur des thèmes variés, tels que leracisme, le pouvoir, le capitalisme, la lutte desclasses, etc. Au niveau des textes, les chansons« Troy », sur le pouvoir, « Some Watch the Trains »,sur l'holocauste et l'extrème droite, ainsi que « We
Were There », sur les changements climatiquesretiennent particulièrement notre attention.Le groupe, qui qualifie sa musique de RevolutionaryHardcore lance également un petit clin d'oeilapprécié aux arrêtées des manifestations contre leG20 à Toronto, durant une intermission vers la finde l'album. Finalement, le groupe offre égalementune excellente reprise de la pièce « InjusticeSystem » du groupe américain Sick of it All pourclore l'oeuvre.Bref, c'est un excellent album que signe UnionMade avec la sortie récente d'Alchemists. Nous vousconseillons fortement d'en faire l'écoute ou d'allervoir le groupe en concert si ce dernier se produitprès de chez vous.http://www.myspace.com/unionmademtlhttp://www.unionmadehardcore.com
Alchemists, le nouvel album de Union Made
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