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7/30/2019 Carnet 2 - Fvrier 1931, par Carlo Suars
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CARNETF E V R I E R 1 931
L A F I N OU
GRAND M YTHE
(2 )
ET TEXTES DE
KRISHNAMURTI
B O U S Q U E T
GEORG. CAROL
J. A U D A R D
S U A R E S
France : le N 4 f rs. Carnets Mensuels Et ran ger : le N 5 f rs.
A g e n t G n r a l : J o s C o r t i 6 R u e d e C l i c h y P a r i s I X.
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CARNET 2
LA FIN DU GRAND M YTHE (2 )
J. KRISHNAMURTI
La Porte de lEternel
JOE BOUSQUET
Insolite
GEORGETTE CAROL
Fragments dun Journal
JEAN AUDARD
Blake et la posie prophtique
Notes : Maurice Kellersohn, Alain Berthier
Pierre Humbourg, Tagore, par C. Suars
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Carnets mensuels (sauf aot et septembre, soi t dix numros par an).
AGENT GENERAL : JOSE CORTI, 6, RUE DE CLICHY, PARIS.
Adresser tout ce qui concerne l adminis trat ion et la rdact ion
M. Carlo Suars, 15, Avenue de la Bourdonnais. Paris VIIe.
Chques postaux Paris 152573.
Abonnement pour lanne 1931 :
France et Colonies : 25 frs. Etranger : 35 frs.
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LA FIN DU GRAND MYTHE
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La Vr it est -elle ut ile ?
Nous sommes tous ainsi construi ts que nous brlons de faire
quelque chose pour les autres, damliorer les circonstances o se
dbattent ceux qui souffrent, de soulager, de gurir. A moins dtre
des monstres dgosme tous ceux dentre nous qui se portent bien,qui nont pas de malheurs , qui mangent , dorment et se chauffent
leur aise, e t ont du temps de l ibre, dsirent faire quelque chose pour
les aut res , sa u f sils y ont dj r en on c p our une r aison qu el
conque. Mais, aussitt que disparat une des conditions sur la
quel le nous fondions notre t ranquil l i t et notre scuri t , aussi tt
que le malheur ou lpret de la vie sous une forme quelconque
nous prive des loisirs que nous donnions aux autres, cest nous quidemandons tre secourus. Si nous avons pu s i faci lement perdre
pied cest que notre quilibre sappuyait sur des choses extrieures
nous. Notre tre, tel que nous en tions conscients, tait une cons
t ruct ion dont les fondations ne reposaient pas sur un bon sol , mais
sur un amas de choses susceptibles de seffondrer. Or nous ne pou
von s don n er qu e ce que n ou s a von s : le bien qu e n ous dispension s
ne pouvait gure tre dune nature plus s table que celui que nous
possdions. Ce qui selon nous constituait notre tre dpendait de
conditions extrieures et fragiles, et son quilibre provisoire navait
pas une valeur en soi. Notre vraie richesse ntait pas cet quilibre :
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chaque instant notre vraie richesse est la capacit que nous pou-
vons avoir de dcouvrir un quilibre plus stable que celui que nous
possd on s.
Si un stage provisoire dquilibre, ft-il trs instable, on croit
pouvoir aider quelquun, i l est vident et naturel quon le fasse de
son m ieux. Mais limp ort a n t est de n e pas a tt ribuer ce secou rs un e
valeur quil na pas. Plus tard on sapercevra que si lon a port
secours en toute sincrit et sans calculs, on sest secouru soi-mme
beaucoup plus quon na secouru les autres. Car un secours quenous portons spontanment et sans t rop nous soucier de la perte
dquilibre quil entranera pour nous (et toute action de cette nature
est au dtriment de lquilibre do elle est partie) nous porte
dcouvrir pour nous-mmes un nouvel quil ibre, dans la direct ion
de notre bien.
Le secours na pas une valeur en soi que lon puisse apprcier,
car, si l mane dune position quilibre sur des donnes inconscientes qui nous ont fait accepter une orthodoxie traditionnelle, une
croyance religieuse ou une morale tablie, i l naura dautre but que
celui de propager cette cause provisoire dun quilibre imparfait .
Les proslytes dune tradition, dune confession ou dune morale ne
se rendent pas compte que cette loi ou cette foi quils veulent consi
drer comme des remdes sont essentiel lement prissables du fai t
mme quel les prtendent exis ter indpendamment des individus.Cette mtaphysique, cette philosophie, ce systme du monde, cette
morale pr tendent avoir une valeur par eux-mmes , un qui l ibre
objectif. Ils sont donc tous susceptibles de se dmolir les uns les
aut res , indpendamment de nous .
Lhomme qui, confortablement assis dans un systme, croit
aider ainsi les autres , en vri t ne fai t que dis tr ibuer des fantmes.
Une grave il lusion dans ce sens est celle dans laquelle sombrent lesleaders et les pontifes des mouvements religieux lorsquon les invite
rechercher une l ibrat ion totale . I ls dclarent t r iomphalement
ne pas vouloir abandonner les hommes leurs frres , cest--dire
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quils veulent demeurer aveugles avec eux, et leur distribuer des
systmes. Il est goste, disent-ils de vouloir se librer, sans sedouter quils dfendent ainsi inconsciemment un difice en quilibre
sur des objets destructibles. Leur sophisme la fois sentimental et
thorique fait les pires ravages, car i l sollicite tous ceux pour qui
il est agrable de se sentir la fois utile et labri.
P ou r tre vra iment u t i le , i l fa u t au cont ra ire a ba n donn er l i llu
sion per sonn elle de scur it. L h om m e pleinem en t l ibr n est, pe r
sonnellement, ni labri ni en danger, car i l na plus aucune existence propre. Son quilibre tant lquilibre ultime, la parfaite har
monie base sur rien, mais uniquement dynamique, i l es t , de tous
les hommes de la terre, celui qui sans le vouloir est le plus utile aux
autres .
Nous verrons comment i l peut tre utile socialement, mme du
point de vue technique, et comment par contre le spcialiste dune
t ech n ique n est quun lmen t de ch a os sil n est pa s int rieu r em en tlibr, car i l peut fort bien ne pas savoir o appliquer sa technique.
Disons simplement que celui qui se fait le prtre dun mythe
dans lequel i l est install, loin de rsoudre des nuds de conscience,
loin de les ramener la simplicit dune liqufaction, les endurcit
en les repltrant. Lquilibre provisoire ainsi forc nest quune
diff icul t de plus dont la vict ime momentanment soulage devra
se dfaire, difficult grave, comme leffet dun stupfiant.
Qui a fa i t ce la ?
Le monde inconscient o chacun vit depuis son enfance, ce
monde qui nous a envots, qui nous refuse toute l ibration, est le
terrain rapport , compos de dbris , sur lequel nous construisons
ldifice chancelant de notre identit. Cette identit, la notion mme
du je s u is, seffor cer a , ap rs tr e ne de li llusion , de fa ire du rer
cette i l lusion dont toute sa vie dpend. Cette volont de durer est
la cause de la souffrance, et cette souffrance nous oblige perdre
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lquilibre, et nous pousse chercher sans cesse lquilibre dfinitif,
le r oc de la ra lit sans for m es. Le je suis tr ou vera tous les pr
textes pour se refuser cet accomplissement qui exige sa destruc
tion, et ira jusqu crer un Dieu p er son n el son image, cest--dire
ju squ p la cer le sou ver a in bien dans ce qu i est im pa r fa it pa r dfin i
tion.
Nous reviendrons longuement plus loin sur les diffrentes no
tions de Dieu. Depuis le Dieu de la Bible, PEternel qui parle, agit etintervient dans mille petits dtails de la vie, jusqu la notion philo
sophique de lEtre, depuis le Dieu des mystiques jusqu celui dont
on prouve objectivement lexistence, toutes ces notions, nous verrons
quelles ne pourraient pas exister si des individus ntaient profon
dm ent en r a cins da n s lillus ion qu e leur je est in dest ru ctible.
Cette i l lusion est la vritable base de toutes les oprations de leur
esprit . Leu r j e est leur un ique ral it , surt out lors qu ils prt en
dent faire surgir la notion de ltre dun examen objectif du monde,
car comment pourraient-ils le faire sils ne posaient pas priori la
ral i t de leu r j e devan t l in con n u de ce l a ? Mais au l ieu de
r sou dr e cela en le devena nt , ils prt en den t le ra m en er au sein
de l eur propre ra l i t je , en se demandant q u i a fa i t ce la?
cest - -dire q u e l est le je qu i a fait ce la ? car ils ne conoivent
au cun e ral it en deh ors du j e . Que ce l a se fasse tout seul ,
que la vie soit impersonnelle, cela leur semble absurde, impossible,
incon cevable, ma is qu un j e m ystrieusement surn atu rel, qu un
je , exa lta t ion de leu r je p r opr e, ait tou t fait , les voici sau vs...
Cest ainsi que sinventent les causes premires et les cosmogo-
nies. Mais en vrit ces philosophies ne mritent dtre tudies que
p our en dgager la psych ologie de ceu x qu i sy laissent pr en dr e. Ilssont plongs dans leur mythe, dont le point de dpart es t une qua
tion non rsolue quil est assez facile de mettre jour. Leurs recher
ches ne sont que des dveloppements de cette donne inconsciente.
Aussi bien, accorder un seul principe un thologien cest tout lui
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accorder. Mais ce premier principe, et la position quil est ncessaire
de prendre pour lnoncer ne sont que lexpression dun mythe.
Nous avons vu dans le premier carnet comment se pose le pro
blm e fon da m en ta l de lh om m e lor squ on rdu it ses don nes leur
essence j e et ce l a . N ous venons galement d indiqu er que la
Vrit, qui est la rsolution de cette quation, est le seul quilibre
stable, donc utile. Nous voudrions dans ces pages essayer de montrer
en quoi rside cette Vrit non mythique, en quoi elle ne rside pas,
et quelle peut tre sa puissance.
Bon sol et terrain rapport
En vr it, en vr it, je vou s le dis, si le grain n e m eu rt aprs
qu il a t jet dan s la terre, il d em eur e seu l; m ais sil m eu rt, il porte
beaucoup de frui ts . Mais le grain ne veut pas mourir, i l veut conti
nuer vivre confortablement et indfiniment dans le sein dun grain
com m e lui, n orm e et qu i l a ppel le Dieu. Ce gra in n orm e le pr en
dra , le met tr a sa droi te , lui dira t u es sa u v, et pen da n t ce
temps la vie at tend quun grain veuil le bien ne pas se sauver,
veui l le bien mouri r pour por ter des f rui t s .
Mais i l fa u t qu e le gra in m eu r e apr s seulemen t qu il a t jet
dans la terre. Sil mourait avant, cras ou dessch, sa mort serait
aussi strile. Ltre qu i dit j e , ce! gra in de fromen t , ne d oit pas
san n ihiler, ma is m our ir da ns le bon sol, i l n e doit p a s n on plus
chercher devenir gigantesque, se t ransformer en une maison, en
croyant que les frui ts viendront quand i l sera devenu aussi gros que
le m on de . Cest ce qu e lon croit h a bitu ellem en t. J e cr oit qu il
peut devenir universel , i l veut prier Dieu, i l veut t rouver Dieu, i l
veut t r ou ver la Voie et la Vrit, je est pr t t out sa u f m ou r irdans le bon sol.
Mais le sol de linconscient est un bien mauvais sol; ltat dhyp
nose ne vaut r ien, ne porte aucun frui t . Si le grain meurt dans un
mythe, dans une reprsentation quil stait faite de la Vrit i l ne
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porte aucun fruit . Tout ce quil savait , tout ce quil prvoyait en
ter m es de gra in * d oit m ou rir , ca r le gra in a vec tout ce qu i lui
appart ient nest pas du monde de la Vri t . I l es t une pos sibilit de
Vr it, i l est la Vrit en poten tiel , m a is la Vrit est u n e ra lisa tion.
Dan s le m au vais sol le gra in, le j e , se met const ru ire , et
tous les difices scroulent lun aprs lautre. Mais d s qu il trou v e
le bon sol i l n e peu t plu s con stru ire, il ne peu t qu e m ourir et porter
des frui ts . Son uvre alors nest plus mesurable avec les mesures
qui sadaptaient aux difices de tout lheure, son langage nest
plus un langage ddifices, de constructions, dchafaudages, il de
vien t en a pp a r en ce n gat if : cest qu en ter m es de fru ct ifica t ion il
es t devenu p osi t if. Les j e , a bsorbs pa r leurs const ru ct ions, ne
le voient pas, ne le comprennent pas, nont rien saisir : les mains
tendues nagrippent quune invis ible t ransparence, et se ret i rent
du es. Car ces je sont seuls, et sont fr a pp s de st rilit d an s leu r
isolemen t. Ils dem eu r en t seuls car ils n on t qu un e a m bition :
demeurer. Ils demandent quon les nourrisse, quon les porte, quon
les transporte vers la vie ternelle en les faisant enfler, qu leur
isolem ent , j e on a jout e quelqu e ch ose, u ne cr oya n ce, un d ogme,
une thologie, une philosophie. Ils veulent tre encombrs de baga
ges, de bagages intellectuels ou mystiques. Tout doit se runir autour
de ce je in sat iable, obstin, qui au ra r ecou r s toutes les r uses
dans le but de durer .
Nous r ech ercher on s le bon sol, n ou s l exposer on s de n otr e
mieux, mais en termes de fruct if icat ions, non en termes de grains
qui doivent m ou rir . Si des je ne com pr en n en t pa s , m a lgr la s im
pl ici t , ou cause de la s implici t de la Vri t , nous leur deman
dons de fair e leffor t de r en verser leur point de vue, et d envisager
ce que nous disons du point de vue des grains qui sont dj norts.
Le b on sol, ce qu e n ou s a pp elion s la p u r ifica tion du je , est
tout ce qui le libre, ce qui le fait sortir de linconscience.
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Toute exprience nest pas utile
Est ut i le toute exprience que nous faisons la recherche du
bon sol , es t inut i le toute exprience qui ne nous oriente pas vers
lui. Le gra in qui doit m our ir peut aller se fa ire pein dr e en
rouge, peut errer dune cave une armoire. Si l exprience ne
le rapproche pas un peu du bon sol , sa souffrance ne lui sert
rien. Des vies peuvent se gcher, des vies entires. En vertu de
quel incroyable optimisme des personnes aff i rment-el les que toutest uti le, que toute exprience porte ses fruits , que toute souffrance
nous lve? Il y a des souffrances striles, des sacrifices striles. Il
y a la grande piti des hrosmes, des larmes, des agonies striles.
Il aurait suffi parfois dun simple coup dil attentif et intell igent
l o toute une vie sest use dans des efforts mal dirigs.
La sou ffra nce es t tou jou rs un e erreur , e lle es t une r upt ur e d ha r
m onie ent re soi et ltern el. La souffr a n ce est sainte >, ent en dons-
n ou s dir e, la souffr a n ce est d ivi n e , etc... ou i, si n ou s nous a per
cevons quelle nest quune erreur, et si elle nous apprend ne plus
nous t romper. Reconnatre quune peine a t perdue cest chercher
la Vrit ail leurs, donc util iser cette peine en la condamnant. Mais
on exal te au contra i re la pe ine de cra inte de sombrer dans le dses
poir. Une mre qui sest exalte de grands mots, qui sest nourrie
de prjugs rel igieux et nat ionaux au point denvoyer son f i ls se
fa i re tuer la guerre , prfrera souvent mouri r plutt que de recon
na t r e son erreu r inhu ma ine . El le cu lt ivera sa sou ffra n ce en lui a t t r i-
! bua n t un e valeu r posi t ive. E lle se servira de son err eur pou r r en for
cer les er reu rs qu i en on t t la cau se. E lle d ira i l nest pa s possible
qu un e t elle souffr a n ce a it t va ine , elle sat ta cher a cett e
sou ffr a n ce, elle vivr a a vec elle, elle siden t ifiera elle, et la r en dr a
compltement s tri le .
Ainsi t rop souvent la souffrance, pour des raisons sent imentales ,
et parce que nous refusons daccuei l l i r le dsespoir davoir inut i le
ment gch ce qui nous tai t le plus prcieux, es t non seulement
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inutile mais nous approfondit dans lerreur. Nous nacceptons pas
que la vie puisse tre si froidement cruelle. Mais ce nest pas la viequi est cruelle, cest lerreur. Et si au lieu dtre sentimental au sujet
de notre erreur, nous avons la force de lui donner sa valeur juste ,
alors, en dtruisant tout ce qui nous avait port aux sacrifices les
plus inous, nous aurons quelque chance de dcouvrir la Vrit.
Linconscient
Linconscient nous fait agir comme des pantins. Il nous a en
vots bien avant que nos propres vicissitudes naient cr nos
com plica t ion s pa r t icu lir es et les em b ch es o n otr e je sisole
et se dfend. Linconscient appartient la race entire, tous
les hommes, il se droule travers lHistoire, il se modifie,
volue selon un certain dterminisme. LHistoire entire nest que
le rve qui se cristall ise autour de lui. Les hommes et les femmes ne
sont que ses instruments. Il est irrsistible, tout puissant, fatal . Il
impose les destines. Il est le Destin lui-mme. Chacun sidentifie
dabord lui, puis ce nest quen lui et travers lui quil se cherche
et se trouve, en fonction de lui. Les connaissances des hommes ne
sont que ses symboles, leurs dlivrances ses reprsentations, leur
volut ion son droulement , leur s tagnat ion son immutabil i t . I l a
commenc ds la nuit des temps envoter. Il a t le matre pen
dant des millnaires. Il a cr les civilisations, il les a animes,
pu is i l les a fa ites m our ir lune ap rs lau tr e en un cycle gigan tesque,
ou indfiniment durer en se rptant .
Aujourdhui cest la premire fois peut-tre dans lhistoire
du m ond e nous savons que lincon scient doit m our ir : cest la
n aissan ce de lhu m ain. Lh um ain plein em en t con scient , lhu ma in
total, lhumain libr, suprme expression de la Vie universelle, nat
aujourdhui, surgit du mythe, et met fin au mythe, car i l en est
l a lfa et lom ga , le com m en cem en t et la fin.
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La fin de lenvotement
Nous rechercherons pat iemment l origine de l envotement , e t
la fa on don t il a fonct ion n t ra vers lH istoire. Cela n ous sem
ble ind ispen sa ble, ca r si n ou s a ffirm on s a u jou r d h u i qu il peut
tre bris, i l est nanmoins si puissant encore, et si pais, que
cest la Vrit qui est invisible. Nous parlons le langage de
ceux qui se sont recrs en dehors du temps, dans une cons
cience libre. Linconscient est au contraire le temps lui-mme,
et quand nous marquons sa f in cest la f in des temps que nous mar
quons. L es tem ps son t accom plis , et aussi les Ecritures de tous ceux
qui avaient vu et compris lenvotement. Il sagit de choses trs
simples que chacun peut comprendre. Par la seule puissance de la
Vri t nous pouvons comprendre la raison dtre de tout un cycle
de civilisations, et percevoir que ce cycle est fini. Nous pouvons nous
arracher au Dest in, le dominer, puis construire , en abandonnant les
ruines qui nous entourent, les bases dune vraie civilisation. Il est
indispensable et urgent que nous sort ions tout de sui te du cauche
mar, car la souffrance est devenue dmesure. Le dormeur na plus
qu se rvei l ler ou m ou rir .
Linconscient et le temps
Nous venons de dire que linconscient est le temps lui-mme.
Il convient ici de donner une premire explicat ion de ces mots , que
nous complterons plus loin en revenant aux cosmogonies . Pour le
moment disons que les races humaines sont , dans la nature, le point
o la dualit se peroit elle-mme, et sent que ses deux termes sont
ant inomiques. Ltat humain tel quon lentend gnralement estdonc par dfinition lexpression dune antinomie, mais lhumain
vri table dont nous parlons est un tat dans lequel l ant inomie est
dtrui te . Nous serons donc contraints dappeler sous-humain ltat
o lantinomie nest pas encore rsolue, cest--dire celui de presque
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tout le monde. Nous marquons ainsi que la rsolut ion de l ant inomie
au sein de l un iversel n ap pa rt ien t pa s au sur na tu rel ma is l h u
main vri table, e t que de notre point de vue le surnaturel nexis te
pas.
De mme nous ne pouvons pas appeler conscient l tat quordi
nairement on appelle conscient , car cet tat repose sur l ant inomie
humaine non rsolue, comme sur un substratum; i l surgi t de cet te
an t inomie, m ais comm e un e plan te sur git de la terr e : ses racin es y
demeurent caches et nourrissent toute la plante. Ce qui merge,ce qu i est visible, cest la r epr sen t a t ion m yth iqu e et le r le qu e
chacun y joue. Par contre nous appelons conscient l tat dans lequel
lant inomie est rsolue, et qui appart ient ce que nous appelons
lhu m ain.
Linconscient est la position dans laquelle se trouvent, dans les
individus et les collectivits, les deux termes non rsolus de lanti
nomie. Le Mythe est le droulement de ces donnes inconscientesqui tendent vers leur rsolut ion; le Mythe est donc le devenir de
lquation non rsolue, et le Temps, tel que nous le dfinissons au
jou r d h u i, n est qu e ce deven ir , et n exist e pa r con squ en t plu s lor s
que la rsolution sest produite. On voit donc que ltat quordinaire-
m ent on a pp elle cons cien t n est qu e le d even ir d e lin con scien t.
Nous ne considrons donc pas , pour le moment, le temps en
deh ors de l incon scien t h u m a in; nous a ppellerons tem ps la n ot ionde dure. Cette not ion mane du devenir mythique, el le es t ce
devenir lui-mme.
Nous laissons de ct, pour le moment, les tats de la Nature
dans lesquels la dualit ne sest pas pos elle-mme le problme
de lant inomie. Nous appellerons provisoirement tat non-conscient
(minral, vgtal, animal) celui o la dualit ne sest pas transpose
en un e repr sent at ion m yth iqu e d ont les person n ages sont des je individual iss . Nous reviendrons plus loin sur le temps pr-mythi
que et non-conscient , en sa qual i t de modali t de l univers mani
fest . Nous rservons pour le moment les mots inconscient et temps
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au x individu s hu ma in s, isols dan s leur j e , qui, cau se de leur
isolement, sont donc la raison dtre et la consquence la fois duMythe, de la notion de dure, et de celle du devenir.
Le Grand Mythe
L incon scient se tr an smet la con scien ce h a bitu elle des h om m es
sous des formes symboliques. Ces symboles et tous les rapports qui
stabl issent entre eux const i tuent des drames qui se jouent intermi
nablement . Ces drames sont les mythes. Nous appelons donc mythes
des fa its rels et des situ at ions relles, tr an smis pa r lincon scient sou s
des formes symboliques. Le Grand Mythe est le thme qui a donn
naissance la conscience individuelle isole. Tout individu pour qui
le j e est spar des aut r es j e au sein dun e ant inomie
part icipe ce Mythe primordial de la sparat ion. Ce Mythe con
cerne donc chacun, car i l a envot chacun. On ne peut saffranchir du Mythe quen brisant le sens de la sparation individuelle.
Nous voudrions rendre tangible sa puissance hypnotique afin din
citer des librations. Ds linstant que nous savons que tel geste,
qui nous est famil ier , appart ient au Mythe et non pas nous,
i l tom be de nous com m e u ne m can ique ina nime. Ne cra ignon s pas
de dtruire tout ce sur quoi sappuyait notre pseudo-enti t , car ce
qui est susceptible de scrouler sous nous, na aucune valeur : pardfin ition la Vie est ind est r u ct ible, et seule la Vie est pr cieu se. J e
suis la Vie ont dit ceux qui se sont identifis elle, ceux sur qui on
a con st r u it le plu s de r eligion s. Cette Vie qu i con t ient la n a is
sance et la mort es t une ral i t qui , lorsque tout scroulera, pourra
enfin merger.
Le rve
P our com pr en dr e ce qu est la fin des t emp s i l n ous fau t
r etr a cer lor igin e des tem ps . P ou r cela n ou s allon s fa ire a pp el
lanalogie du rve, mais en disant tout de suite que nos vies
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d h om m es et de fem m es ne sont pas sem blables des rves, mais
sont vri tablem en t des rves.Dans un rve la conscience du dormeur se fragmente et un des
fra gmen ts usu rpe liden tit du dorm eu r , son je . Ces fra gm en ts de
con science peuvent ne pas se con n a tr e ent re eu x, ils jouen t des rles,
ce sont des personnages qui sagitent dans un univers qui leur est
propre : le rve. La cause du rve est la mme que celle qui a cr les
personnages. Le rve est insparable de ces personnages : ce qui se
jou e , dr a m e ou com die, es t la con squ en ce dir ect e de leu r s ca r a ctres. Pa r exem ple, si le per sonn a ge qu i a u su r p le je est le
symbole dune incapacit du dormeur, dune insuffisance, dun vice
dorigine, i l se dbat, dans son rve, afin dattraper un train qui par
dfin ition pa rt ira sans lui, ou il essaie d ch a pp er des br iga n ds, sans,
par dfinition, pouvoir senfuir. Ce qui constitue la vraie nature du
cauchemar ce ne sont pas les lments quemprunte le rve, mais le
m an que de quelque chose, autour duquel le rve se cristall ise.Que ce soit un train prendre, des brigands quil faut fuir, ou sim
plement des vtements mettre pour sort i r e t quon ne t rouve pas ,
le r ve est le m m e. Le vrit a ble per sonn a ge cest lim p er fect ion ; Je
personnage qui joue le rle est le symbole de cette imperfection; et
le rve est une reprsentat ion dramatique qui se cris tal l ise autour
de lui. Le rve est la consquence du personnage. Puisque ce rve
est la reprsentat ion dune certaine incapaci t , le personnage se dpchera, luttera, fera des efforts dsesprs, et ne russira pas puis
que prcisment i l est le symbole dune incapacit.
Or s i nous, personnages humains dun rve que nous faisons,
parvenons comprendre que nous ne sommes que les pseudo-enti ts
qui l ont pr ovoqu , notr e at t i tude par r a pp ort au r ve cha ngera.
Nous sommes des personnages de rve parce que chacun de
nous est un fragment isol de conscience. Chaque homme croittr e u ne ent it isole, il souffr e de son isolem en t, il con sta te
que cet isolement le met en face de toutes les antinomies les plus
impossibles rsoudre, i l sent confusment que cet isolement nest
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pas n a t u r el, que r ien dan s la n at ur e nest fr a pp de cet te m a l
diction, que lhomme primitif ne lest pas, il sent peut-tre que leChrist, que le Bouddha ne le sont pas. Au-dessous de lui lhomme
moyen constate la joie de la nature une, au-dessus de lui la joie
de lunit reconquise. Lui, personnage isol, se dbat pour corriger
son rve, que par d f in it ion i l ne pourra pas changer, puisque ce
rve, quil le sache ou non, est cr par lui. S on isolem en t est le vice
dorigine autour duquel sest cristallis le rve.
Dans son cauchemar i l peut bien courir, lutter, sefforcer dematriser les lments qui se drobent lui, se battre contre toutes
les difficults : celles-ci surgiront de nouveau, intactes, indfiniment.
Il pourra essayer lune aprs lautre toutes les armes de ce rve,
lambition, la possession, lamour, la mtaphysique ou lindiff
r en ce : rien n y fer a : ce rve tant la repr sent a tion de son im per
fection (son sens disolement), i l ne pourra jamais le dominer quen
suppr imant la cause du rve, cette imperfection primordiale.Tant quil fondera ses espoirs sur des objets que le rve lui
donne, tant quil ne se dtachera pas compltement de cette repr
sentat ion inconsciente pour comprendre enfin la vraie nature de
son tre, il navancera pas dun pas, sa souffrance sera inutile.
Le temps de rve
Le temps, avons-nous dit , nest que la fragmentation de la
conscience. La conscience-une, pleinement consciente, nest pas prise
par le temps, elle en est libre, car elle la consom m . Mais un
fragment isol de conscience, qui, cause de son isolement est im
parfait et l imit, nest plus que le jouet inconscient du temps, du
tem ps qui est spar at ion . Ici en cor e le rve nou s mont r e com m en t
se cre le temps, car chaque rve cre un temps qui lui est propre.Dans un ca u ch em ar la con science du dorm eu r sest fra gmen te en
morceaux ennemis, cest--dire que le morcellement sest fait trs
profondment car les morceaux ne se reconnaissent pas du tout , ne
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peuvent pas supposer qui ls appart iennent la mme conscience.
Alors le cauchemar qui en ra l i t a peut - t re dur un f ragment de
secon de donn e lim pr ession da voir du r des h eur es : plus lisole
ment des fragments est profond, plus le temps est long. Certains
songes au contraire o notre tre , par une espce de rvlat ion,
semble pr en dr e con ta ct a vec l essence de lui-m m e pa r del l isole
ment habi tuel o nous nous t rouvons , nous f rappent par leur inten
s i t indescript ible , foudroyante, inoubliable, nous marquent pour
tout le reste de notre exis tence dune fulgurante ral i t , sans qui l
nous soit possible dattribuer ce contact une dure quelconque.
Il en est de mme de ces personnages que sont les hommes : i ls
sont pris par le temps pour la bonne raison qui ls le fabriquent , par
dfini t ion. Le temps de chaque individu a une unit de mesure pro
pre, qui varie suivant quil se sent plus ou moins isol, temps qui
peut tre interminable, qui peut tre lenfer ternel, s i l lment
de conscience sisole tout fait, ou qui au contraire peut sacclrerdune faon formidable, qui en quelques minutes peut voir se prci
piter lui des cent aines de sicles venir, qu i peut se cons om
m er tota lemen t jus qu tr e la fois le comm en cem en t et la fin.
On voit par l quel le erreur es t cel le de placer dans l avenir
une rdemption, un salut , un paradis , une l ibrat ion, la perfect ion.
J e ne su is pa s a ssez volu , p en se-t-on , ou j a tt end s la gr ce ,
ou j e s era i s a u v, ou je t rouvera i m on m a t r e, ou l a m o-ksha . Tout ce la veut d i re : je cont inuera i encore fabr iquer
du temps, je nen ai pas encore assez fabriqu. Ce qui veut dire
en core : je con tin u er a i m isoler, je ne suis pa s en cor e assez
isol . En plaant sa dlivrance dans lavenir, on la place donc pr
c isment l o aucune dl ivrance ne peut jamais se produire .
Si les hommes, personnages de rve, non seulement compre
naient que le rve, (le monde tel quils le subissent) est la consqu en ce de leur im per fection, m ais qu e le tem ps qu il leu r fau t
p ou r ch er ch er est pr cism en t li llusion qu i p rolon ge ce rve, un
tel dsespoir les saisirait quils en sortiraient instantanment.
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De ltonnement
Mais revenons lenvotement, et ici encore le rve nous
per m et de com pr en dr e certa in es bases : ce qu il y a de plus
fra ppa n t dans un r ve pr ofon d cest lincapa cit qu e lon a de
sen tonn er. Le je qu i a u su rp la t ot alit du je h abit u el
du dormeur (et cest ainsi que chaque individu que lon rencontre
dit j e en croyan t dire quelque chose), ce j e , plus i l est im
merg dans son isolement, moins il est capable de sen tonner.
Nous avons dj parl de cette qualit de ltonnement, mais nous
revenons plusieurs fois aux mmes choses par des voies diffrentes.
Ce je de cau ch em a r n e stonn e de r ien, bien que son m on de soit
absurde, invraisemblable, impossible. On se dit en se rveillant
que lon a fait un rve stupide, mais pendant quon rvait on le
trouvait tout fait naturel.
Cest ainsi que les gens qui se trouvent dans les situations lesplus invraisemblables, les plus folles, sont prcisment ceux qui
acceptent ces situations sans sen tonner, sans en concevoir la
parfaite insanit. Des foules entires, des nations, des continents,
peuvent tre pris dan s un e hypn ose de ce genr e sans que lvident e
insanit collective saute aux yeux de personne. Par exemple : nous
souffrons, nous dit gravement tout le monde, dune crise de produc
tion. Mais si lon a tant produit ce serait loccasion ou jamais de
consommer tranquillement toutes ces richesses sans plus avoir be
soin de travailler : non, chaque pays est en rvolution parce quil a
t r op de qu elque ch ose, tout le m ond e est r u in cau se d un e sur
pr odu ct ion . Cest que le ca u ch em a r est deven u si pr ofon d , lisole
ment de chaque conscience humaine si total , que tous ces person
nages de rve en sont venus ne stonner de rien. Tous ces fous,
lorsque vous leur dites quils ne sortiront du cauchemar quen se
rveillant, vous rpondent que vous rvez. Eux, ils ont lesprit pra
tiqu e , cest--dire q u ils a tt enden t la cat a st r oph e quils n e peu vent
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pa s viter. Mais en lat tenda nt , ils sobstin en t p r oposer des r em
des qui eux-mmes appartiennent au rve, et qui de ce fait narran
gent rien.
Lutile Vrit
Nous en revenons dire que seule est utile la Vrit, car
elle est en dehors du rve qui est vici dans son essence. Si
un des personnages du rve sveille et comprend quil ntait que
le symbole dune imperfection, voil quil se dissout, quil disparat,
ca r il na plus de ra ison dtr e : sa pla ce na t la cons cien ce de
lveil, une conscience dont la nature est tout fait nouvelle, dont la
nature loin de pouvoir sadapter au rve le dtruit . La conscience
veille apprhende le rve dans sa totalit. Lindividu dlivr du
cauchemar ne cherche plus imposer son rve part icul ier , rem
placer un rve par un autre rve, mais parce qui l a t ransperc tou
tes les illusions, il entre dans la Vrit, et par consquent il la fait
na tre dans le monde.
Une rvolution plus grande que celles de tous les temps, la rvo
lution de lternit, souvre nous en dchirant le dernier voile du
tem ps. En deh or s d elle il n y a p oin t de vie.
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LA PORTE DE LTERNEL
La seule solut ion aux problmes du monde, le seul baume qui
puisse gurir toutes les blessures et les peines, est la Vrit, qui est
la libration et le bonheur. Il ne sagit pas dune mystique ainsi que
beaucoup de personnes aiment se limaginer. La libration, comme
toute chose, a un aspect mystique et un aspect pratique, et chaque
individu est l ibre de la comprendre, ou de la dformer pour l adap
ter son t emp ra m ent pa rt icu lier . Lors qu on la com pr en d la fois
avec le cur et la raison, elle conduit laccomplissement de la paix
intrieure et de la srnit.
En rsolvant son propre problme individuel on rsout le pro
blme du monde. Ce sont les individus qui crent le monde. Celui
qui intrieurement possde la paix, cre autour de lui la srni t ,
et la comp r h en sion de la Vrit. Cette pa ix, cette fa cu lt de com
prendre les luttes et les vains dsirs du monde, cette immense cer
titude, naissent lorsquon a saisi le sens de la vie, lorsquon en a vu
et compris laboutissement.
Comme un f leuve qui dans sa course rencontrerai t un dsert
dont le sable finirait par labsorber tout entier, les crations de ceux
qui n on t pas dcou vert le sens de la vie sont an an ties pa r lom br e
du prsent . Ceux qui voudraient crer dans l abri de l ternel doi
vent comprendre leur raison dtre, doivent avoir la vision de la
Vrit. Sans cette vision ils ne creront rien de durable. Mais ce
qu ils creront a vec la com pr h en sion de leur c u r et d e leur ra ison
portera le sceau de lternit.
(1) Copyright by S. P. T.
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La Vrit ne peut pas tre comprise uniquement par lintellect.
Dailleurs i l nexiste pas un seul homme que domine uniquementlintelligence, ou dont la vie soit uniquement guide par les mo
tions. Il est inutile de vouloir comprendre la vie dun point de vue
troit et limit appartenant exclusivement lintelligence ou aux
motions. Les facults de comprendre et de sentir ne peuvent tre
spares, et laccomplissement de la vie est le rsultat dune union
harmonieuse du cur et de la raison.
La diffrence entre un sauvage et lhomme que lon appelle civilis nest pas trs grande. Le sauvage se peint le corps, se dcore
de plumes et de verroterie, emploie des systmes encombrants pour
sorner extrieurement. Lhomme en apparence civilis a les compli
ca tions de la beau t int r ieur e : il a ses plu m es int ellectuelles, son
fa r d sentimenta l, ses in n om bra bles verr oter ies doctr inales. Lh om
me civilis que lon rencontre partout na pas le droit de se dcorer
le corps la manire barbare du sauvage, mais son esprit et sesmotions sont bien souvent sauvages. Intrieurement il nest pas trs
diffrent du sauvage, mais extrieurement i l ne le montre pas.
L h omm e vr aim ent civilis est au del des d cora t ion s et des com
plications. Sa beaut ne dpend daucun objet, car il a ralis la
simplicit de la vie.
Lvolution agit en une spirale ascendante vers une simplifica
tion de plus en plus grande de toute chose. Bien des personnes ontlambition de guider les autres vers la connaissance, mais si elles ne
possdent pas la simplicit elle ne font que crer de nouvelles bar
rires, des malentendus, de nouveaux voiles entre le monde et sa
raison dtre.
Comme un lphant qui trace son chemin travers la fort,
celui qui comprend la Vrit se taille sa route travers la confusion
du monde. Ce chemin une fois fait lui sert aider les autres : on nepeut pas aider les autres, quel que soit le dsir quon ait de le faire,
si lon na pas soi-mme trouv la Vrit, cette Vrit qui est ter
nelle.
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Chacun dsire ouvrir les yeux aveugles , faire sort i r les prison
niers de leur s prisons, d on n er la lu m ire ceu x qui croup issent danslom br e qu ils on t eu x-m m es cre. Mais on n e peut rien fair e si
lon n est pa s soi-m m e plein em en t l ibr e et h eu reu x du fa it que lon
a compris la Vri t . Si nous ne pouvons crer que des choses qui
prissent , quel le valeur auront ces choses pour le monde? Tant de
person n es cren t l om br e du prsent , ma is ceu x qui com pr enn ent
doivent crer labri de lternit. Mme sils nont pu que saisir, en
un moment t ranquil le , une fugit ive vis ion de la Vri t , i ls ne pour
ront plus retourner dans les cages de leurs l imitat ions.
Celui qui a at teint la l ibert voudrai t que chaque tre au monde
soit l ibre. Lui seul peut vraiment aider car i l a la certi tude, i l ne
sest pas assis dans lombre de sa propre cration, il nest pas tenu
dans lesclavage, comme un prisonnier dans la cage de la tradition.
Ceux qui marchent vers la porte de l ternel sont nombreux.
Mais quelques-uns ont pass le seuil , et tournent maintenant le dos
la porte . I ls ne projet tent plus leurs ombres sur les chemins de
ceux qui sefforcent de parvenir la porte, car i ls se sont unis la
lumire ternel le .
J. KRISHNAMURTI.
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I N S O L I T E
Simple comme un cri : nous ne sommes l quen passant. Vois-tu?. . . Car ces mots ne sortiraient pas de notre gorge si nous nima
ginions pas qui l y a prs de nous un tre pour les entendre, pour
dem a n der l a m ou r qu i l a pou r nous d e les lui t ra duire... A n otr e
motion de nous rpondre chaque instant de ce quune tel le
certi tude (la seule certi tude) introduit de tragique dans le plus
mince vnement, dans le hasard quotidien o notre vie se noue
et dnoue.
Condamns en naissant , cherchant devenir , la faveur de la
vie, cela mme qui nous condamne. A travers l 'obscurcissement
progressif de notre conscience, nous avons inaugur en nous le
rgne des choses, qui la dpassent, lenvotent, laveuglent dans
lima ge d u n e totalit sous le poids de laqu elle elle devin e a vec
joie qu elle su ccom be. Cest a insi qu e sou s le ciel cou ver t de l a m ou r ,
se r vle elle tout e la m a gie de lirr a tion n el. La vie se su r vole
dans la perptuel le ngat ion del le-mme quest l amour de ces
choses que lon rencontre et auxquelles on sattache sans savoir
pourquoi .
Guids par le got de linsolite. Laspect anormal des objets
nous entoure dune autre vie , o, dans l oubli de notre propre
identi t cest l amour qui nous aide nous retrouver.
Assez riches pour nous passer de tout. Lre des merveille
ments commence. La bizarre disposi t ion des choses fai t cran entre
m on espr i t e t mon entendement , me sauve de m on insu ffisan ce .
Images qui , ntant les images de r ien, rpondent encore notre
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plaisir : un soir que je r ent ra is Villalier, de n uit , en com pa gn ie
de James Ducellier, jai vu, du boulevard, travers les vitres dun
rez-de-chausse une grande croix de lumire coupant , sur le mur
intr ieur , une lumire plus tendre .
Nous ne nous dem a n dons pa s jus qu o cela va nous con du ire.
Que tout se brle, que tout meure. La vie nest rien. Ce nest pas
le surn at ur el qu e n ou s voyon s dan s linsolite.
Tout est insolite pour lenfant. Tout est insolite pour le fou.
Tout est insolite la lumire plus violente du crime.. .
... L e solei l d es raisin s blan cs dans la vign e d es son ges qu i n e
voit pas le jour. La vendangeuse jette dans un panier les grappes
qu elle a ch oisies. Jai cou ru su r ses tra ces p ou r t irer d e lh erbe
dj haute une guirlande trs longue dabricots jaunes et rouges que
je lu i m on tre d e loin ...
Ah! nous sa vons a u jou r dhu i ce qui r son n ait en nous d tern el
dan s ce sent iment de l insol ite qui n ous p ren ai t devan t des ren con
tres inattendues et qui rvlaient notre conscience quelle avait
en el le-mme des tnbres t raverser , qu e sa lu m ire tait celle des
ch oses qu i se con su m en t. Or, ces rencontres, nous avons pass, par
la sui te , notre temps en favoriser le retour. Dans le domaine de
la posie , ma foi , cela parut un jeu de salon, tout dabord, quand i l
nous plut de fabriquer coups de ciseaux des pomes dans le genre
de celui-ci :
LA PLUIE ET SON AMANT
La neige
F a i s e u s e d a n g e s
SOUS LES VERROUS.
Mais la lumire daprs la mort inondait les toi les de Max Ernstqui oprai t mme le monde. Grce l intervention magique du
quel i l se rvla soudain que notre corps tai t de la part ie .
I l t rompe les apparences sur lesquel les rgnait mon espri t . I l
les persuade dentrer dans un plan o ce sont elles, ensuite, qui
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me font la loi . Au centre de lArabie heureuse. Sans eifort . . . Je rve
que je suis au monde et cest en moi que tout se poursui t .
Les apparences tombent sur ce qui les at tendai t dternel dans
mon regard e t se br isent .
Sur les routes , des arbres morts blanchissent sans tomber. Des
vignes sarrtent moit i chemin dun plateau brl par le vent du
ciel.. . le soir les routes sont dsertes, et les villages nous regardent
venir.Nous parlons peu, nous parlons mal . Eprouver, crer , se d
t ruire . Notre vie nest pas dans ses eaux mouvantes , mais dans ce
qui es t port sur ces eaux, qui en franchit l tendue.
JOE BOU8QUET.
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FRAGMENT DUN JOURNAL
Nentends-tu pas ma plainte t ravers le grondement bleu des
vagues qui se brisent, travers le vent nentends-tu pas toute la
force de ma dtresse couleur de pluie?. . . Ce sont mes premires
souffrances.
Jcoute le murmure des petits sapins secous par le vent qui
pleu r e : Si la vie vau t la pe in e d tr e vcue? Pet ite fille, la vie a
plus de secrets encore que lau-del .Une chanson qui pourrai t tre cel le du bonheur chante t rs
douce... claire par une seule toile trs belle et trs nue.
Ronronnement dune motocyclette ivre dans le lointain, Lhori
zon seul est clair. Les coteaux de toute leur masse sombre, re
foulent la lumire. Tout bouge un peu, ce soir. Le bruit de moteur
arrive plus faible chaque dtour du chemin. Jai envie ce soir,
pour me calmer, de renverser le croissant de la lune et dy semer
des lentilles.
Un b ois de p ins n oir , dor. Si cta it le b ois de Milosz !
Le vent me parle, je lentends. Il me caresse, il se fait violent,
il me mord... Tiens, la premire toile.. .
Je laime... Cest son amour qui ma mis au monde et qui me
prend la vie .
Au del des champs et des bois, il y a ce soir une petite fille qui
pleure dans la nuit et dont les larmes sont bues par les toiles.
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Jai trop besoin daffection, jai trop de vide lme. Oh! mon
amour, jai froid de ta tendresse.Et ici, ils n e com pr en n en t pa s qu e si je suis in sensible et m ->
chante, cest parce que je veux leur cacher jusquau bout ce besoin
daffection quils ne sauraient combler. Je suis trop fire pour leur
crier ma dtresse, jaime mieux quils croient que je nai pas de
cur.
Danse folle de lumires roses dans un village perdu. Je voudraisprendre cet te nature deux mains, l treindre et la rouer de coups.
Je voudrais soulever ce paysage bras tendu et le jeter sur la terre
comme un sac de ds, et que les arbres aient les racines en lair, que
les maisons gisent sur le ct, que plus rien ne soit en place et que
les hommes soient un peu fous.
Week-end
Samedi . Chanson grise du vent dans les oliviers. Il fait trs
froid, ce soir, mes yeux me regardent dans lherbe. Partir , partir . . .
Les sapins sont draps dans des manteaux de voyage, les oliviers
agitent leurs capuchons dargent, on dirait des pensionnaires qui
von t pr en dr e le tr ain. J a r r ivera i tr an sie : Ta voix m a gar e, jai
fr oid, rch a u ffe-m oi de ton a m ou r . Part ir , oh ! Part i r .
Mon bon h eu r est s i lou r d qu e je ne peu x plus cha nt er . 0 m on
amour dor, cest seulement dans tes yeux que je peux voir tout
l 'amour que jai pour toi .
Le bass in du Lampy engourdi t dans son rayonnement bleulangoisse de mon me. Nonchalance... Tessons de bouteilles, botes
de sardines. Lhumanit.
Il me semble que les mots vont faire peur mes penses. Je
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voudrais brler les heures , tre demain, car je sens que demain
ma pense sera prs de lui plus encore.
Dim an ch e soir. Un ciel qui saigne. Je suis reste l, perdue
d a zu r ; ju sq u au crpu scule. J ai sent i ce qu e jam a is je navais* senti
ju squ a lor s deva n t la t ide nu it fr le de zph ir s. J ta is deven u e
arbre, oiseau, fleur, phalne, je sentais que jtais tout sauf moi-
mme, que je munissais l me mme de la nature. Et puis , un
besoin daffect ion ouvrai t mon cur comme un croissant de lune.
Je ne peux pas mendormir, je me sens affaibl ie . Le son de ma
tte scoule. Et les tnbres sont horriblement vertes, le sommeil se
jou e de m oi.
Ce soir, les feuilles sont dores, les champs sont dors, les socs
de ch ar ru es, m m e le regar d, fu se d or d an s le ciel. P our qu oi le
souvenir dun fantme blond dont les lvres taient vivantes etglaces vient- i l me troubler s i profondment? Ses regards sont ceux
dune femme. Je laime comme si jtais ne delle. Laimer, penser
el le , nest-ce pas une manire de penser Lui , de part i r de Lui
pour lui revenir?
QEORQETTE CAROL.
Illll
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BLAKE ET LA POSIE PROPHT IQUE l>
En dehors du pur verbal isme pot ique, e t des dtes tables vers i f icat ionsdescr ip t ives ou d idact iques , i l es t un phnomne, pot ique par excel lence,
qui effra ie les cr i t iques e t les a ca dm iciens : je veux pa r ler de la pos ie
concrte e t exprimentale , dont Blake nous offre un des rares exemples (2) .
C'est qu en effet , un e telle posie rom pt le jeu du s ym bolism e verba l : la posie
h abitu elle sa ccom m ode de n otion s a bstra i tes , et soit qu elle u ti l ise le sens
coutumier du concept, soit quelle sat tche la pure quali t des mots, comme
cert a ine p os ie n om ina l is te el le ne fa i t jam ais que s efforcer de r vei ller
un mort . Car les mots sont des symboles , e t prendre comme symboles ; ds
lors , i l sagit de ne plus accepter le jeu de ces symboles si ls ne conviennentpas une exprience vcue. Accepter le symbol isme verbal pour dcr i re les
ch oses , ces t fa i re un invent ai re , n on de la pos ie . Accept er un au tre sym bo
l isme verbal pour lu i -mme, ces t fa i re une sauce l inguis t ique, non de la po
sie. Or, cest ce qu a fa i t pr esqu e t ou jour s la posie : toujour s el le pa sse
ct du rel , e t ce la expl ique le mpris de cer ta ins pour la vani t de l expres
s ion pot ique.
Mais avec Blake, i l ne sagit plus de ce nominalisme dont le but le plus
jol i es t de n ou s fa ir e p leu r er , ou de cr er un e in ca n t a t ion son or e du m eill eu r
got. La posie repose sur une exprience vcue. I l nest plus question de magiedu verbe, mais dune express ion auss i exacte e t dta i l le que poss ib le , avec
toute la prcis ion charnel le ds i rable , dun fa it rel, dune vision. Cette posie
n a p lus pou r ma t ire des not ions , mais des expr iences , non p lus l ide de
lclair , mais lclair lui-mme.
Ce nes t pas d i re qui l y a i t chez Blake la rvla t ion dune contre sp i r i
tue lle , a u t r e r a l i t , m on d e des esse n ces, et que nous n ous la i s s ions
prendre ce qu i peu t passer pour asse r t ion mtaphys ique dans ce t t e pos ie .
(1) A propos des Seconds l ivres P roph tiqu es traduit par P . Berger (Riede r) .
(2) L a notion de cette posie comm en ce tre dgage qu elque peu a u jou rd hui : elle
est trs voisine de ce que M . Sau ra i nomme, on ne sait pour qu oi, posie ph ilosoph ique .
Encore faudrait-il y faire rentrer certains que M. Saurat ne veut pas reconnatre : par exem
ple Laut ra mont. P ou r m oi, je prfrerais le terme posie propht ique .
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Ces personnifications darchtypes, ces ralisat ions dabstractions, sont vi
demment , s i on veut les prendre la le t t re , des imposs ib i l i ts exprimenta les. Aussi bien, si lon ne doit pas voir de lallgorie dans ces pomes cosmo-
goniques, du moins ny a-t-i l l pas plus une histoire relle du monde. Sim
plement des p h n om n es vcus, dans lhistoire psychologique du pote,
avec une acui t concrte remarquable , des hal lucinat ions piques o sai l len t
les moindres dtai ls , sont-i ls ici saisis et t ransposs dans la rhtorique de la
Bible. Blake nest pas un voyant, mais un visionnaire; cette dist inction, en
mme temps quelle peut lever bien des soupons, dlimite exactement la
porte ph i losoph ique que nous somm es en dr oi t da t t r ibuer ces pomes.
Alors que le Voyant est celui qui prtend arriver lIl lumination, la Sagesse,
la Connaissance pure e t parfa i te par la rvla t ion in te l lectuel le dun pr in
cipe transcendant, ce qui suppose toute une mtaphysique avec son ontologie
h ir a r chiqu e, ses yogas , ses boud dh a s, ses an ges et son dieu , - le Vision
naire nest pas un homme de connaissance, mais le personnage dun drame.
11 se m oque de lexist en ce de Dieu ou m m e de toute ra lit occu lt e, m a is il est
boulevers par des phnomnes auxquels i l n accorde une valeur mtaphy
sique objective que parce qui l se laisse prendre une i l lusion, mais qui sont
en rali t purement psychologiques et subjectifs . I l y a l ce quon pourrait
app eler u ne r vla t ion cor por el le : les v is ion s pr enn ent une r ichesse , une
chaleur, une couleur, en gnral celle du Terrible. Cest ainsi que nous consi
drons, dans le M ilton , dont M. Pierre Berger v ient de publ ier la t raduct ion ,
le sent iment dun e pr sen ce terr ifiant e, exactem ent loppos des rvla
t ions sereines, intel lectuelles , abstrai tes des Voyants . Cest ce caractre tou
jou r s r vu ls de l im a gin a t ion p r op h t iqu e qu i n ou s pou sse a dm et t r e l ex is
tence, en tant quexprience, mais sans que nous soyons en droit de leur
at t r ibuer la valeur de rvla t ions mtaphysiques , de phnomnes fantas t iques
qui passent sur cer ta ins c o m m e des rvlat ions, les laissant toujours marqus
du signe indlbile de celui qui a connu la Mort face face. Ainsi je pense
Vivekana da, quan d on le re t i ra un ca i llot de sang dans l i l de cet an tr e
de lH ima laya o, d evant le l inga m con jugu de Shiva et de K li , il avait
ba is la face d e la Mort . De mm e Blake est le fam ilier de la t er re ur , et la
dmarche tourmente de sa pense qui se cherche t ravers les ddales du
langage es t ident ique aux sombres bouleversements qui durent des mil l iers de
sicles, aux pouvantables transformations de la terre ou de largile humaine.
(Les symboles se font sang et terre (1) ).
(1) Ainsi, les dieux se font forgerons, tisserands et meuniers. Les organes du corpshumain sont des villes ou des contres. Il y a une constante interpntration du inonde ren
ferm lintrieur de noire peau et des immensits extrieures, et cette conception biologique
de lUnivers et cosmique du corps humain est un des plus importants lments du Terrible
de Blak e. On y reconn at d ailleurs la tr ace d e la pa rent qui relie Blak e au x cosm ologues,
astr ologues et spa gylistes de lantiquit et du M oyen -Age.
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Du caractre vcu, exprimental , que nous venons de signaler sensuit un
second ca ra ct re : la pense de Blake, au l ieu dtr e logique, clair e, froide ,a la dmarche irrat ionnelle, confuse, chaude, vivante en un mot quon sac
cor de recon n a t re l insp ira t ion a uth ent ique. Ce qui car actr ise , d un p oin t
de vue plus proprement formel, la posie de Blake, cest la confusion et la
chaleur. Et mme, i l tai t s i persuad que la vri t ne pouvait tre ai l leurs que
dans l exprience pot ique qui l condamne la Raison comme fausse , parce
que froide et qui l exalte le Dsir comme le seul moyen de parvenir la
vri t, parce que chaud. Ce sentiment est lorigine de lidologie blakienne,
et , dire vra i , elle com pr ome t s ingu lir em en t ldifice m ta ph ysique ida lis te
qu i l sem ble lui-m me stre plu voir da ns son uvre. P roph te, i l par le parimages, i l est toujours environn de sa nue, l intrieur de laquelle i l brle
des feux de lenthousiasme. Les images at teignent ds lors la splendeur de
la perception brute. Blake a cr un nouveau monde, avec son temps et son
espace, avec son Eden, ses dieux, son apocalypse, et chaque chose est loca
l ise et n om m e : tel est le tr oisime ca r a ctr e de sa posie, le ca ra ct r e
concret , ou mythologique.
Par del le caractre ar t i s t ique e t le caractre aposto l ique, par del
linspirat ion et la prophtie, l uvre de Blake at teint peut-tre ce qui l y a de
plus pr ofon d dans le pa tr im oin e de pen se des r a ces : le mythe. Cest pa r lacrat ion de mythes que l ar t dborde le caractre t ro i tement indiv idual is te
qui lui est t r op souvent at tr ibu : la p osie; la pense mm e se dr oule
lint rieu r de mythes. Peu t-tre nexister a ient-elles pas san s les m ythes,
coup sr e l les sera ient au tres . Les mythologies prparent la voie aux cons
tr uctions p h ilosoph ique s : nous cit ons la Bible tout instan t , ou tel le br ibe
de tradit ion homrique. Or, avec Blake, i l sagit bien de constructions cosmo-
goniques du mme genre que ces mythologies collectives. Et , ct de cette
crat ion prodig ieusement complexe, les p lus g igantesques const ruct ions du
roma n fon t bien pitr e figur e : dans le myt he r om an esque, il sagit de per son na ges et d a ctions de n otr e m ond e, de notr e poque, la cosm ogon ie de Blake,
si tue dans une Eternit sans visage, est la source du monde, et ses dieux
sont bien antrieurs nous, comme bien postrieurs, actuels . . .
JEAN AUDARD.
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MAURICE KELLER80HN : La vie dune mort (Stock).
ALAIN BERTHIER : Notre Lchet (au Sans-Pareil).
PIERRE HUMBOURG : Aux Mains des Innocents (au Sans-Parei l).
II nous ar r ive souvent d tr e gns devant des livres qu i nous t ouchen t
profondment, cause de leur ton trs personnel. Il nous semble que lexpres
sion dune exprience personnelle gagne en intensit dans la mesure o cette
exprience est recre en nous, digre jusqu ne plus tre elle, mais nous A
cause delle, modifis et tels que nous ne nous connaissions peut-tre pas
encore. Mais si le livre (surtout si cest un premier livre) se prsente imp
rieusement sous la forme dun examen de conscience dont laccent est authent iquement vrai (s inon les fai ts) , nous acceptons de passer outre notre gne,
t rop heureux, tout b ien pes , de nous la isser toucher par un dmarrage authen
tique. Ce premier livre, lui seul, justifie toute luvre venir. Mais il arrive
que lauteur l che sa seule richess e, son ch oc intr ieur , pou r lu vre, en
tuant les deux; ou quil aille se perdre, en se strilisant, dans les maquis des
consolations rel igieuses. Nous voudrions ardemment que les auteurs de ces
trois livres maintiennent vis--vis deux-mmes les promesses que, par ces
livres, ils se sont faites.
Devant la m ort , di t Kellersohn , on ne peut plus t r ich er avec soi-mm e.Le besoin d absolu devient a bs olu . Un fils assiste la m ort de sa m re. Il
regarde venir la mort dans les yeux de la mourante. Cette femme dont la vie
entire a t saintement consacre aux siens, son amour pour eux, ses
devoirs, voici au moment de mourir, alors quelle ne peut plus parler, que ses
yeux, au l ieu dexprimer la srnit et la joie dun accomplissement, expri
ment la lassitu de, pu is le dcour a geme nt , puis le ds esp oir . La cca blemen t
se faisai t reproche. Ltonnement se changeait en scandale. La dception l i
vrait passage la rvolte. Laffollement, au lieu du dsarroi. Il ny avait plus
un e inter rogation mais un e somma tion . . . Et devan t cette absolue fai ll ite , ta quelle laut eur ne vou dr a it pas croire pa r ce quelle est t rop cru elle, il nous
reste dire quelle est non seulement possible mais fatale pour tous ceux que
la bsolu besoin d absolu na pas r end u imm ort els a vant de m our ir. Ne
pas a voir peu r ?... Oui, ce nest qu e pa r l que lon peut com m en cer tre.
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N ot re lch et nous touche mais autrement. La pit i que ce l ivre suscite en
nous est froide et t ranchante comme un bistouri . Si Alain Berthier ne veutplu s a voir d m e, sil se dtest e, sil sen lise, sil se fuit, ce n est qu e pa r d sir
de se trouver. Mais cette recherche qui consiste spaissir pour bien se voir
est celle qui le plus facilem en t peut cha n ger de but en cour s de r ou te : on
souffre de ne pas se trouver, puis on sattache si bien celte souffrance (au
sujet de laquelle on cri t) , que lon peut en arriver accepter de ne pas se
trouver, puis redouter de se trouver, puis enfin se chercher pour se fuir ,
en une tonnante marche arr ire .
La fausse piti quAlain Berthier analyse si admirablement, qui sabaisse
et se mutile dans le but de secourir alors quelle ne peut quentraner dans
une chute, il ne nous en voudra pas de ne pas lprouver pour leffroyable enfer
quil nous dcrit.
Pirre Humbourg na cri t , di t- i l , que par dsir de tmoigner, mais son
livre est plus quun tmoignage, il est presque la promesse que nous atten
dions. Humbourg est de la gnration qui a juste t trop jeune pour faire la
guer re : dix-sept ans la rm istice. Pu isse ce tm oin , par m i les plus nus, les
plus clairs, les plus dnus dartifice que cette gnration nous ait donns,
puisse-t-il aller jusquau bout. Trop de tmoins jusquici se sont fait complices
dun monde la destine duquel nous refusons, nous refuserons jusquau bout
de par t ic iper .
RABINDRANATH TAGORE : Lucioles (2e Cahier de Feuilles de
lInde, publications Chitra).
La issez-m oi a llum er ma lam pe, dit lt oile, sans jam ais dem an der si cela
dissipera les tnbres. Cette prire, cette supplication est infiniment mou
vante. Elle est Tagore tout entier. Il sait quil na pas atteint lillumination, il
> asp ire, il y ten d, ma is que lon a ccor de cha qu e tre hu ma in le dr oit d al
lumer sa lampe sans jamais demander si l dissipera les tnbres. Quand chacun
aura pu, en toute l ibert, al lumer sa lumire, sa lumire qui lui est propre,
pourr a-t-on en cor e cepend an t, con cevoir les tn bres? \
Ce l ivre, admirablement traduit et orn, contient le meil leur de Tagore.
CARLO 8UARES.
Le Grant : J acques Crespelle.
Im pr . de la Soc. Nouv. d E d. Fr a n co-Slaves, 32, rue de Mn ilm on ta n t. P a r is 20.
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