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Les formes multiples de la cabale
en France au XX sicle
Charles Mopsik
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On considre souvent la cabale comme une ancienne forme de mystique
juive qui eut jadis son ge d'or dans l'Espagne du XIIIe sicle et dans la Galile
des XVIe et XVIIe sicle, qui influena certaines hautes figures de la
Renaissance et inspira quelques idalistes allemands au XVIIIe et XIXe
sicle (1). Mme un chercheur comme Mosh Idel qui, dans son ouvrage devenu
un classique, Kabbalah: New Perspectives ainsi que dans d'autres crits (2), a
critiqu l'approche exclusivement historique et textologique de la cabale tout ens'efforant de valoriser des approches phnomnologiques, psychologiques et
doctrinales, et qui, de surcrot, a tudi l'impact de la cabale dans la culture
occidentale (c'est l'objet du chapitre X de son livre prcit), a nglig l'tude de
la cabale en tant que phnomne religieux contemporain. Bien que Mosh Idel
insiste sur tout le bnfice qu'il y aurait tirer d'une rencontre entre chercheurs
et cabalistes, faisant remarquer que la distance gographique entre l'UniversitHbraque de Jrusalem et les cercles de cabalistes de cette ville est minime
alors que la distance idologique demeure immense, il s'est uniquement rfr
aux formes les plus typiquement orthodoxes, presque strotypes, d'tude de
la cabale (3). Il est vrai qu'entre le moment o Mosh Idel a rdig son ouvrage,
un peu avant 1988 et la fin des annes 1990, soit environ dix aprs, des
phnomnes se sont manifests avec plus de nettet, bien qu'ils aient t djconstitus cette date et mme bien avant. La ccit prolonge devant un fait
devenu vident pour beaucoup, savoir la complexit de plus en plus grande du
religieux contemporain et la prsence de la cabale dans ses rseaux polymorphes
n'est plus acceptable. Non seulement rien ne la justifie, mais elle porte prjudice
la discipline d'tude de la cabale dans son ensemble. Ce n'est pas seulement
auprs des reprsentants typiques de la cabale dans le milieu des ultra-
orthodoxes de Jrusalem (ou d'ailleurs), que le chercheur peut esprer trouver
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des lments susceptibles de nourrir ses analyses, comme le soutien Mosh Idel,
mais auprs de l'ensemble des personnes ou des groupes qui se dclarent
engags dans une tude de la cabale, qui s'inspirent de ses enseignements, mme
s'ils y mlent des lments venus d'autres traditions religieuses et de diverscourants philosophiques. D'ordinaire, cette forme de cabale modernise est
perue comme une sorte de prolongement de la cabale chrtienne de la
Renaissance. Celle-ci a t reprise et ramnage dans les courants occultistes,
spirites, sotristes des XVIIIe et XIXe sicle, en Europe et dans les pays de
culture occidentale. Mais peut-on encore regarder l'ensemble des nouveaux
cabalistes comme les hritiers et les continuateurs de cette cabale christianisedes Renaissants? C'est l'impression que l'on pourrait avoir en lisant les pages que
Mosh Idel consacre l'influence de la cabale sur la culture europenne (4).
Quant Gershom Scholem, le vaste aperu historique qu'il consacre la cabale
dans l'Encyclopedia Judaica (repris en un volume spar), se referme sur une
note trs brve concernant le XXe sicle: Divers types de littrature cabalistique
continurent tre crits en Europe de l'Est et au Proche Orient jusqu' l'poquede l'holocauste et en Isral jusqu' maintenant. La transformation des ides
cabalistiques dans les formes de pense moderne peut tre aperue dans les
crits de penseurs du XXe sicle tels que R. Abraham Isaac Kook [...]; dans les
livres en hbreu de Hillel Zeitlin; et dans les crits allemands de Isaac Bernays
[...] et Oscar Goldberg (5). Et Scholem conclut en indiquant que les assauts du
mouvement rationaliste de la Haskalah ont limit l'influence de la cabale en
Europe de l'Est mais que celle-ci a pu continuer s'panouir sans entrave dans
les pays d'Orient. Cette considration historique n'tait sans doute plus
totalement justifie l'poque o Scholem crivait ces lignes (au dbut des
annes 70), elle apparat aujourd'hui comme compltement dpasse.En dehors
de ceux qui ont t appels cabalistes chrtiens, la cabale a depuis longtemps
travers les murs du Ghetto, du Shtetel ou des quartiers juifs des pays
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musulmans, et des penseurs et animateurs de groupes d'tude cabalistique de
toutes tendances ont merg dans divers pays.
Le refus de la part de Scholem et de ses successeurs dans le centre qu'il afond Jrusalem d'accorder la moindre attention aux dveloppements
contemporains de la cabale, et surtout ceux qui concernent le monde
francophone (marqu entre autre par la pntration de la cabale venue des pays
d'Afrique du Nord), a t trs dommageable la recherche dans ce domaine.
C'est un pan entier du dveloppement historique et social de la cabale qui a t
ignor et qui, cause de l'immense influence de l'cole fonde par Scholem, n'a
pas d'existence acadmique. Nous n'entendons pas combler toutes les lacunes
au moyen de la prsente tude. Notre ambition est plutt de montrer que lacune
il y a effectivement, et que celle-ci est en ralit un trou bant dans le champ du
savoir.
Dans les lignes qui suivent nous prsentons le rsultat d'une enqute sur la
cabale en tant que rservoir d'ides et force idologique et religieuse dansl'espace francophone la fin du XIXe et au XXe sicle. De manire trs discrte
et progressive, sous des habits souvent bigarrs l'extrme, la cabale n'a pas
cess de participer au renouvellement des formes du croire et continue
d'alimenter toutes sortes de qutes religieuses. Mme si son rle est rest
minime l'chelle d'un vaste ensemble comme la socit franaise, elle a t un
ingrdient non ngligeable dans le renouveau religieux de certaines de sesstrates et connat une diffusion de plus en plus large dans tous les champs de la
cration intellectuelle, culturelle et religieuse. En outre, la communaut juive de
France, la diffrence des communauts juives amricaines o ne s'est exprim
un intrt pour la cabale que depuis fort peu de temps, a manifest depuis
longtemps une sympathie trs sensible envers elle. Comment expliquer une telle
diffrence et quelle poque peut-on la faire remonter ? Est-elle le fruit de la
migration massive des Juifs originaires d'Afrique du nord, plus enclins voir en
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la cabale une doctrine respectable du judasme alors que leurs coreligionnaires
d'occident tendaient plutt la regarder avec ddain sinon avec mpris? D'autres
facteurs culturels, intellectuels ou religieux doivent-ils galement tre pris en
compte?
1| La cabale a t un sujet d'intrt pour des penseurs franais, juifs et non-
juifs, des titres divers au dix-neuvime et au vingtime sicle. Nous entendons
par penseurs non seulement les philosophes professionnels, les historiens de la
philosophie, les enseignants et les chercheurs, mais aussi les divers auteurs
d'ouvrages qui proposent une vision du monde personnelle ou inspire par une
tradition qui fait autorit, partir d'un savoir acquis l'intrieur ou l'extrieur
de l'universit. Au XIXe et au XXe sicle l'institution universitaire franaise a
rejet quasiment toute prsence en son sein d'un enseignement de la pense juive
en tant que telle, celle-ci tant trop marque son got par le religieux. Mise
part l'Ecole Pratique des Hautes Etudes, et depuis la cration de l'Etat d'Isral,
seuls des postes universitaires consacrs la Langue et la civilisation
hbraque ont t ouverts. Cet vitement par l'universit rpublicaine - par
l'enseignement suprieur en gnral, qui comprend aussi les Grandes Ecoles -
du nom mme de pense juive, sous toutes ses formes, a eu des consquences
paradoxales, qui ne sont pas toutes forcment ngatives. Elle a laiss place libre
un style de discours spcifiquement judo-franais tenu par des
universitaires juifs venant des disciplines les plus diverses. Parlant souvent sous
le label de leur discipline d'excellence, sans rapport aucun avec le judasme, ces
intellectuels franais ont pratiqu un discours de pense juive", souvent
rudit et clair par leur savoir critique acquis par mtier, la fois engag voire
militant et simultanment en qute d'objectivit et de rigueur intellectuelle.
Librant les esprits et les langues du carcan des standards professionnels,
l'viction quasi totale des Etudes Juives du sein des facults a encourag
l'invention d'un type de discours qui n'a pas son quivalent dans les autres pays
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occidentaux. Un des effets de ce processus qui reste dcrire de faon dtaille
a t d'une part le faible dveloppement en France des tudes juives
acadmiques, sa sous-reprsentation au niveau international, et d'autre part la
multiplication prcoce de cercles d'tude privs ou semi-publics, anims par desuniversitaires parfois renomms dans leur discipline, mais sans aucune
formation ni habilitation scientifique dans celui du judasme. Phnomne unique
qui explique en partie le divorce profond qui s'est instaur entre les grands
reprsentants de la pense juive et les quelques rares universitaires qui ont fait
carrire dans les tudes juives. Loin d'avoir pour origine le conflit classique de
type croyants contre agnostiques, le foss qui s'est creus entre les uns et lesautres procde de faon mcanique de leur situation concrte dans la socit
franaise et de l'histoire contemporaine de cette dernire. En ce qui concerne la
cabale, son tude dans les instutions de l'enseignement suprieur a t quasiment
inexistante au XIXe sicle. Au XXe sicle, elle a t d'abord assure par
quelques figures de passage, comme A. Z. Aescholy-Weintraub (6), puis
pendant longtemps par l'unique sminaire de Georges Vajda l'Ecole Pratiquedes Hautes Etudes, encore n'tait-elle que l'une des matires abordes. Depuis
une vingtaine d'annes, Roland Goetschel, d'abord l'universit de Strasbourg
puis la Sorbonne, assure une srie de cours ayant trait la cabale. D'autres
disciples de G. Vajda ont continu l'enseignement de leur matre en matire de
cabale et de mystique juive : Micheline Chaze l'EPHE, Paul Fenton
Strasbourg. Nicolas Sd et Gabriel Rajna ont consacr une partie significative de
leurs travaux de recherche, effectus dans le cadre du Centre National de la
Recherche Scientifique, la cabale. On peut ajouter galement les noms de
Hayim Zafrani, Claude Sultan et Edouard Gourvitch parmi les anciens qui
professent ou publient dans le domaine des tudes rudites de la mystique juive.
Plusieurs chercheurs plus jeunes, souvent des lves des universitaires prcits,
participent galement au dveloppement de ce champ d'tude. Si l'on considre
que les centres d'tude qui viennent d'tre voqus sont parmi les trs rares lieux
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o la pense juive, sous une forme ou une autre, a fait l'objet d'un enseignement
acadmique, il n'est pas exagr de dire que la cabale a occup une grande place
dans les matires juives dispenses dans les tablissements suprieurs et de
recherche. Cependant, le rayonnement public de ces enseignements, leur impactsur la communaut juive, sur les tudiants, intellectuels ou simples lecteurs en
recherche", ainsi que sur les autres domaines du savoir ont t plutt limits.
Contrairement aux Etats Unis (ou d'autres pays, comme Isral, qui ont adopt
peu ou prou leur modle) o les universitaires sont aussi des agents performants
en situation d'influencer de faon consquente la socit globale, les
universitaires franais se tiennent en gnral l'cart des dbats collectifs (7).Ce qui est vrai galement des universitaires impliqus dans les tudes juives,
et cela au moins jusqu' une date trs rcente, quand des historiens de la shoa se
sont retrouvs au premier plan des dbats concernant la prservation de la
mmoire et le traitement du ngationisme. Il s'est donc constitu deux mondes,
que tout semble opposer: d'une part le camp des savants rudits de grande
notorit dans leur milieu restreint, mais gure connus au-del, d'autre part lecamp des libres penseurs (je retourne dessein le sens de cette expression
charge) dispensant un savoir explicitement engag, dont les connaissances,
souvent aussi tendues que celles des rudits des Etudes juives, rayonnent
cependant sur la socit juive globale et parfois trs au-del. Loin de nous la
tentation de considrer comme de nul effet les positions doctrinales des uns et
des autres. Mais celles-ci nous paraissent en l'occurrence de bien moindre
consquence que les situations sociales respectives des deux types d'acteurs
considrs. Le divorce bien franais entre universitaires et intellectuels se
retrouve galement dans le microcosme du judasme franais. Et on le rencontre
aussi dans le domaine de l'tude de la cabale. Celle-ci a t diffuse et a fait
l'objet d'enseignements et de recherches dans des institutions extra-
universitaires, communautaires et dans des cours privs. Mais sans doute,
cause de l'impact qu'elle eut dans certains secteurs de la socit dans les sicles
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qui prcdent, elle a t davantage objet de curiosit et d'intrt que d'autres
branches du judasme.
2| Nous ne dvelopperons pas l'tude de l'histoire de l'tude acadmique dela cabale en France, ce sujet a dj fait l'objet il y peu d'un travail minutieux et
remarquable de Paul Fenton (8). Nous voudrions, dans les lignes qui suivent,
dresser un tableau succinct de l'approche non-acadmique de cette forme de
pense issue du judasme, qui, depuis la Renaissance, suscite la curiosit et
parfois l'attention soutenue d'intellectuels occidentaux. Nous limiterons nos
investigations la France o plus exactement au domaine francophone dans la
mesure o la langue d'expression constitue la vritable frontire culturelle qui
traverse souvent les limites nationales. Il convient immdiatement de distinguer
deux types de rapports diffrents. Un premier ensemble de penseurs sont des
intellectuels juifs au plein sens du terme, ils ont labor une oeuvre qui s'adresse
d'abord au public juif et leur rapport la cabale est li leur vision gnrale du
judasme, la tendance laquelle ils appartiennent et leur formation initiale.
Un second ensemble comprend aussi bien des juifs que des non-juifs qui ont
rencontr la cabale un peu par hasard au cours de leur vie, qui l'ont abord
travers des crits de seconde main et leur intrt s'est parfois port sur des
aspects marginaux. Dans quelques cas cependant la distinction est difficile
tablir. Certains philosophes franais dont l'oeuvre principale relve de la
philosophie gnrale, qui ont t lus et apprcis essentiellement pour leurs
ides et leurs travaux philosophiques, taient eux-mmes des Juifs engags aussi
dans un travail d'interprtation et d'tude du judasme, et ont pu accorder une
place plus ou moins centrale la cabale deux titres : en tant que philosophes
intresss par la mtaphysique et la mystique cabalistique et en tant que Juifs
soucieux de promouvoir leur thologie du judasme. En tant que Franais et en
tant que Juifs ils ont cultiv une double relation avec la cabale, celle-ci devenant
dans certains cas la courroie de transmission qui permit leur francit et leur
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judit de trouver un moyen de communier, un espace o leur attachement la
pense franaise pouvait s'exprimer grce leur appartenance au judasme.
3| Avant d'aborder le sicle prsent, il convient de rappeler quelques nomsqui jourent un rle important dans l'introduction de la cabale parmi les
systmes de pense pris en compte dans la culture intellectuelle franaise. Sans
remonter jusqu'aux hrauts de la cabale chrtienne de la Renaissance, l'ide que
les intellectuels franais pouvaient avoir de la cabale est bien illustre, au sicle
des Lumires, par l'article qui lui est consacr dans l'Encyclopdie de d'Alembert
et Diderot. Cette oeuvre de tout premier plan reprsente la somme des savoirs
que tout honnte homme se devait de possder. Les opinions qui y sont
formules constituent une sorte de socle sur lequel vont s'tablir les
apprciations des gnrations que cette encyclopdie va former. Ouvrage
monumental, il marque une date importante dans l'histoire des ides. Son projet,
en prsentant tous les sujets de faon critique, est de s'opposer aux croyances
obscures, aux ides reues, aux informations douteuses et non vrifies. Aussi
est-il du plus haut intrt pour nous de saisir sous quels traits et travers quel
regard la cabale, laquelle une longue rubrique est consacre, y a t dpeinte.
4| Pour l'auteur de l'article cabale", celle-ci est d'origine trs ancienne et
s'enracine dans le prophtisme juif de l'Isral ancien. Bien qu'elle ne soit pas
demeure pure et qu'elle ait subi diverses influences tout au long de son histoire,
dont celle du platonisme, elle est marque du sceau de la plus haute antiquit(9). Mais ce qui intresse surtout l'encyclopdiste est ce qu'il appelle la
philosophie cabalistique, qui ne commena paratre dans la Palestine que
lorsque les Esseniens, imitant les moeurs des Syriens et des gyptiens, et
empruntant mme quelques uns de leurs dogmes et de leurs instituts, eurent
form une secte de philosophie [...] on ne peut donc douter que l'gypte soit la
patrie de la philosophie cabalistique (p. 477). La cabale se divise en cabale
contemplative et en cabale pratique. La premire est dfinie comme la
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science d'expliquer l'criture sainte conformment la tradition secrte et de
dcouvrir par ce moyen des vrits sublimes sur Dieu, sur les esprits et sur les
mondes : elle enseigne une Mtaphysique mystique et une Physique pure. La
seconde enseigne oprer des prodiges par une application artificielle desparoles et des sentences de l'criture sainte et par leur diffrente combinaison.
Aprs un expos succinct de la cabale pratique, qui consiste en fait en une
prsentation du systme de correspondance entre les lettres, les noms divins et
les manations, l'auteur dveloppe en dtail les principes et les fondements de
la cabale philosophique. Parmi ceux-ci, le premier qui retient l'attention est
l'ide selon laquelle de rien il ne se fait rien. L'encyclopdiste tire visiblementpartie de la critique cabalistique du crationisme, pour articuler sa propre
critique de la croyance en une cration ex nihilo. La longue explication de la
philosophie cabalistique, expression qu'il emploie et qui montre le type de
regard qu'un penseur franais pouvait porter sur la cabale ou sur certains de ses
aspects vers la fin du XVIIIe sicle, est marque par deux objectifs : rduire
nant les prtentions de la cabale chrtienne voyant dans les conceptions descabalistes des rfrences la Trinit ou Jsus, dresser un tableau le plus fidle
possible des principe gnraux de la cabale, que l'auteur affirme avoir tch
d'expliquer avec clart, quoique nous ne nous flattions pas d'y avoir russi (p
485). Il avoue qu'il y a souvent une profondeur si obscure dans les crits des
cabalistes, qu'elle devient impntrable : la raison ne dicte rien qui puisse
s'accorder avec les termes dont leurs crits sont pleins. Dans l'ensemble,
l'hostilit l'encontre de la cabale dont fait preuve cet auteur est dans la ligne de
son hostilit gnrale envers ce qu'il appelle la philosophie. Pour lui,
l'histoire de la philosophie est l'histoire des extravagances d'un grand nombre
de savants (p. 486). Malgr son persiflage, sa tentative critique de mettre plat
les principes de la philosophie cabalistique et d'en proposer une histoire
plausible, en se dgageant des ides reues, est l'une des toutes premires
cette date. Elle montre qu'un intrt trs vif tait port cette doctrine religieuse
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et philosophique par les contemporains de l'encyclopdiste la veille de la
Rvolution franaise. Mais surtout, ce qui apparat dj avec nettet dans cet
article est l'insistance sur le caractre philosophique de la cabale, tandis que
ses aspects mythiques sont marginaliss et considrs comme peu significatifs etpeu intressants. Cette tendance, on le verra, caractrise de faon gnrale le
regard que les auteurs franais qui se sont penchs sur la cabale ont port sur
elle.
5| Tel est le cas d'un philosophe franais du XIXe sicle, qui fut aussi l'un
des pionniers dans l'une tude historique et critique de cette forme de pense.
Adolphe Franck, qui intitula significativement son clbre ouvrage qui fut
traduit en plusieurs langues, La kabbale, ou la philosophie religieuse des
Hbreux (10), tait en son temps une figure trs en vue de la philosophie
franaise. Professeur de philosophie du droit dans la prestigieuse institution, le
temple du savoir qu'tait le Collge de France, il fut aussi le premier Juif
franais obtenir le diplme d'agrg de philosophie. lve de Victor Cousin,
de tendance spiritualiste, il a surtout t connu son poque pour son dition du
Dictionnaire des Sciences philosophiques, publi Paris en 1885. Dans cette
oeuvre qui fit date, il crivit lui-mme un article sur la cabale o il dfend son
antiquit et o il met l'accent sur son systme mtaphysique. Un exemple
permettra de discerner avec plus de prcision l'cart qui spare l'approche de
Franck de celle de l'encyclopdiste du sicle qui le prcde. Un mme motif, que
l'on peut considrer premire vue comme tant d'ordre mythique, a t
valu en des sens opposs par l'un et par l'autre. Ce motif a souvent choqu
ceux qui dcouvraient la cabale pour la premire fois : les images et les
peintures d'accouplements entre principes masculin et fminin au sein du monde
divin. Ces figures abondent en particulier dans le Zohar(fin du XIIIe sicle) et
dans les crits provenant de l'enseignement de R. Isaac Louria au XVIe sicle.
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Dans l'Encyclopdie du sicle des Lumires, ce motif est considr avec
svrit:
Ce mlange d'hommes et de femmes qu'on trouve associs dans lesSplendeurs, leur union conjugale, et la manire dont elle se fait, sont des
emblmes trop purils et trop ridicules pour reprsenter les oprations de Dieu et
sa fcondit (p. 485).
Changement de ton radical dans le livre de Franck :
Mais combien sur ce point le philosophe grec [Platon] est demeur au-dessous du kabbaliste ! On nous permettra aussi de faire observer que la
question dont on est ici proccup, et mme le principe par lequel elle est
rsolue, ne sont pas indignes d'un grand systme mtaphysique ; car si l'homme
et la femme sont deux tres gaux par leur nature spirituelle et par les lois
absolues de la morale, ils sont loin d'tre semblables par la direction naturelle de
leurs facults, et l'on a quelque raison de dire avec le Zoharque la distinction
des sexes n'existe pas moins pour les mes que pour les corps (p. 180-181).
Plus tard Henry Srouya, un philosophe juif du dbut du XXe sicle sur
lequel nous reviendrons, dclare propos de ce qu'il appelle la loi sexuelle dans
leZohar, la suite de Franck :
Remarquons que ce symbolisme purement mystique, transport sur le
terrain mtaphysique, surtout en ce qui concerne la conception grandiose de
procration cosmique, n'a rien de choquant. La pudeur n'a pas sa place ici.
Et il ajoute en note : Le Zohar s'lve aussi au-dessus de toutes les
conventions. Il admet dans un sens abstrait qu'en haut il y a union entre les
membres de la mme famille (11). Dj Salomon Karppe, qui fut professeur
d'allemand Paris au Lyce Charlemagne (12), dans son tude sur les origines
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et la nature du Zohar, publi Paris en 1901 (p. 428), avait propos un point de
vue qui allait dans le mme sens : au lieu de fustiger les audaces des cabalistes
en matire de symbolisme sexuel, il les considre comme une haute et sublime
expression de la mtaphysique. Une formulation de la cabale thosophiqueconsidre jusqu' nos jours comme tant particulirement mythique par les
chercheurs du monde germanique, anglo-saxons et isralien, hritiers en cela de
l'approche de Gershom Scholem, est perue comme un type exemplaire du
discours mtaphysique, et selon Franck un type suprieur celui que l'on trouve
dans la philosophie platonicienne. Ce qui est mythique pour les uns est
hautement philosophique pour les autres. L'usage de ce terme, l'un des pluscharg en histoire des religions et qui a fait l'objet d'une tude de Marcel
Detienne (13), est devenu monnaie courante dans les travaux contemporains
israliens et anglo-saxons sur la cabale (14), tandis que d'une manire gnrale,
les travaux mens dans les milieux franais ou francophones l'vitent autant que
faire ce peut (15). Ici encore, l'histoire culturelle des socits permet bien mieux
d'expliquer cette diffrence rcurrente et prenne que l'adoption consciente de telou tel point de vue doctrinal. La situation sociale de la discipline philosophique
en France, qui occupe en partie la place donne l'tude des religions dans les
pays soumis l'influence anglo-amricaine, pousse mcaniquement les
chercheurs franais valoriser leur objet d'tude au moyen du vocabulaire et des
concepts qu'ils ont appris honorer. Le mot mythe et ses drivs n'est
srement pas de ceux-l.
6| Ce bref rappel de quelques travaux marquant des sicles prcdents nous
indique dj par quel biais la cabale a t apprhende : nous allons voir si cette
propension considrer la cabale en tant que philosophie et mtaphysique plutt
que comme discours religieux ou exgse mythique perdure au XXe sicle et si
elle se vrifie aussi bien chez les penseurs juifs qu'auprs des penseurs non-juifs
qui l'ont aborde.
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7| Au tout dbut du vingtime sicle, un rabbin italien d'origine marocaine
et d'expression franaise, Elie Benamozegh, merge comme une figure de
cabaliste universaliste en France. Lui aussi met l'accent sur la profondeur
mtaphysique de la cabale. Sa thse fondamentale est que par la cabale, lapense biblique peut tre rconcilie avec la pense d'origine paenne en gnral,
surtout avec la pense grecque et la pense hindoue :
On comprendra maintenant quel mauvais service rendent leur propre
cause ceux qui, sous le prtexte de dfendre la pure doctrine juive, rejettent
comme importation trangre la Kabbale, seule capable, en dfinitive, de rtablir
l'harmonie entre l'hbrasme et la gentilit. Il est tout fait digne d'attention que
dans ce fonds commun aux uns et aux autres, ce qui est doctrine vulgaire chez
les Gentils est sotrique pour les Juifs, tandis que ce qui, pour ceux-ci, est
exotrique, demeure enseignement secret chez les paens. Pour ces derniers, la
vrit a t objet de mystre, comme elle est objet de foi pour les chrtiens, objet
de science en Isral (16).
Au lieu d'tre un facteur de sparation radicale entre Isral et les nations, la
cabale, parce qu'elle reprsente la substance interne de la Religion de l'humanit,
est leur trait d'union. Ce plaidoyer pour la cabale est trs audacieux une poque
o celle-ci tait rejete par les courants modernistes et rformateurs du judasme
qui voyaient en elle au contraire la marque la plus scabreuse de l'obscurantisme
juif. La cabale constitue pour Benamozegh la vritable thologie juive et sonsystme d'interprtation permet de faire merger du texte biblique une doctrine
de type mtaphysique :
La thologie kabbaliste, qui, malgr les dngations qu'on lui opposait de
toutes parts, a eu le mrite d'enseigner, avant toute autre cole, que la thorie de
l'manation n'est point trangre la Bible (17).
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Aim Pallire, dans sa prsentation de la pense du rabbin de Livourne,
parle de la kabbale philosophique de Benamozegh (18). Reprenant la
conception thurgique des commandements, Elie Benamozegh pose que les
observances du judasme ont une valeur ontologique, qu'elles constituent unecoopration de l'homme avec Dieu dans le mouvement continue de cration
auquel l'un et l'autre prennent part (19). La pense de Benamozegh n'a exerc en
son temps qu'une influence marginale sur le judasme franais, bien que son
oeuvre ait t trs estime. Nanmoins, plusieurs auteurs franais se sont
rcemment intresss elle. Le psychanalyste et crivain Grard Haddad, qui lui
voue une grande vnration, considre que le livre de Benamozegh, Isral etl'humanit, a permis au clbre psychanalyste Jacques Lacan d'laborer son
concept de religion vraie (20). Par ailleurs, un matre penser rcemment
dcd, dont l'enseignement essentiellement oral a profondment marqu des
gnrations de Juifs et de non-Juifs de l'aprs guerre, le rabbin Lon Achknazi,
a accord une place minente la doctrine d'Elie Benamozegh. D'autres
francophones, autour du rabbin Zini de Hafa, ont entrepris une rditioncomplte de son oeuvre partir de sources indites, tout en tentant d'inflchir la
pense de ce cabaliste en direction d'un intgralisme judo-centrique nationaliste
trangre sa doctrine profonde (21). Loin d'tre une pure relique du pass, la
thologie de Benamozegh joue encore un rle d'inspiratrice fconde qui n'en
finit pas de stimuler les penseurs du judasme franais et les francophones
israliens. Elle commence mme tre connue et apprcie dans le monde
anglo-saxon (22).
8| Si rares sont les rabbins en Occident qui, comme Benamozegh, ont t
des cabalistes et ont produit une oeuvre crite, il faut citer le cas d'un autre
rabbin franais, ancien lve de l'cole rabbinique de Paris, Emmanuel Lvyne,
dcd il y a quelques annes. Celui-ci n'a sans doute d'autre ressemblance avec
le matre livournais que la rprobation dont il a fait l'objet de la part de sa
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communaut d'origine et son intrt pour les courants de pense contemporains.
Animateur d'un cercle d'tudes cabalistiques, il a t aussi le fondateur d'une
petite maison d'dition et d'une revue consacres la cabale, Tsdek. Tenu
l'cart par ses pairs et la communaut juive en grande partie cause de sesopinions d'un antisionisme radical et de la rputation d'illumin qu'il s'tait
acquise, il tend dans ses ouvrages mettre en avant les aspects antinomistes et
rvolutionnaire de la cabale, son potentiel transgressif. Figure de juste
souffrant au milieu d'un monde impur dont il assure, par sa seule prsence, la
purification, il mettait en avant la doctrine cabalistique selon laquelle certains
justes ont la capacit de pntrer au sein de l'univers des qlipot(coquilles) pouren arracher les tincelles de lumire qui y sont enfermes. La relation entre
politique rvolutionnaire et doctrine cabalistique tait trs prsente dans ses
premiers crits, dits dans les annes qui suivirent immdiatement l'closion
gauchiste des annes 1968. Les titres de ses publications sont eux seuls des
tmoignages loquents de l'engagement de leur auteur, de ses centres d'intrt
multiples et de ses frquentations intellectuelles et politiques (23).
D'un tout autre genre est le grand rabbin Alexandre Safran de Genve,
ancien grand rabbin de la roumanie d'avant guerre, autorit spirituelle estime de
tous et d'envergure internationale. Il a contribu par ses livres sur la cabale
prsenter cette dernire un vaste public et en particulier un public religieux
ou traditionaliste priori plutt rticent son gard. Cependant, un fait ne
manque pas de surprendre le lecteur qui dispose dj d'une connaissance solide
dans ce domaine : ses ouvrages font bien rfrence la cabale et sa littrature
de manire constante mais leur contenu explicite est trs limit en matriaux de
type proprement cabalistique. Comme si l'auteur vitait volontairement de
coucher par crit les lments les plus spcifiques ce domaine et ne voulait
l'aborder que par le biais de thmes dj prsents dans la littrature rabbinique
classique. D'une certaine faon, la discipline de l'arcane et le souci de respecter
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la discrtion rabbinique exige par plusieurs dcisionnaires ont conduit le grand
rabbin Safran dcouvrir un palme et en cacher deux. Alors que la cabale
est souvent affiche comme le sujet essentiel de ses livres, elle est recouverte
des voiles pudiques des conceptions du Talmud et du Midrach (24). Il y aquelques annes, une chair d'tude de la mystique juive t cre dans
l'Universit isralienne de Bar Ilan au nom du grand rabbin Alexandre Safran, et
un volume en son honneur a t publi par des chercheurs, pour la plupart
historiens de la cabale. Ce qui constitue un vnement plutt singulier, il est rare
en effet que des universitaires consacrent le travail et la figure d'un personnalit
engage essentiellement dans la vie religieuse d'une communaut de croyants etqui entend surtout clairer la Tradition juive de l'intrieur, selon ses
propres termes. Encore une fois, les parois qui sparent la recherche objective
(research) de la qute de vrits spirituelles (seeking) ne sont pas si hermtiques
qu'elles n'y paraissent au premier abord. Ce n'est certainement pas l'intention
qui prside au travail de recherche qui doit servir de critre discriminant entre
l'une et l'autre, dans la mesure o il est possible de la connatre.
Parmi les thologiens et penseurs francophones qui ont crit et enseign
l'adresse de la communaut juive, il faut citer encore Jacob Gordin. Philosophe
juif d'origine russe qui a fait une partie de ses tudes en Allemagne, il a exerc
une grande influence aprs la deuxime guerre mondiale sur une groupe
d'intellectuels runis dans l'cole des Cadres des claireurs Isralites Franais,
appele aussi Ecole Gilbert Bloch, installe Orsay. Bien que Jacob Gordin ait
peu crit, son enseignement tait, selon les dires de ses anciens lves, satur de
citations duZoharet de rfrences la mystique juive (25). Il n'est pas douteux
que cet enseignement contribua forger une apprhension favorable de la cabale
parmi les intellectuels juifs de France de l'aprs-guerre. Lon Achknazi (connu
aussi sous son nom totmique de Manitou), rabbin et philosophe, fut un matre
charismatique, un meneur d'hommes qui forma de trs nombreux lves. Il leur
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inculqua une vision de la cabale beaucoup plus rationnelle que mystique et
marqua plusieurs gnrations. Parmi ses premiers disciples, il convient de citer
tout d'abord ceux qui avaient aussi bnfici de l'enseignement de Jacob
Gordin : Henri Atlan, Roland Goetschel, Armand Abcassis et Jean Zacklad. Lepremier, qui devint un biologiste et un mdecin de renom, a accord une place
honorable au systme de pense des cabalistes dans plusieurs de ses ouvrages
consacrs la notion de complexit et l'pistmologie. Le deuxime crivit
une thse sur un cabaliste du XVe sicle et devint professeur d'universit, son
enseignement a t principalement ax sur la cabale laquelle il consacre de
nombreux articles. Le troisime devint un auteur fcond d'ouvrages de rflexionet de prsentation du judasme o la cabale occupe une bonne place. Le
quatrime constitua autour de lui un groupe d'tude qui considrait la cabale
comme la vraie interprtation des critures et il fut l'auteur de plusieurs
ouvrages o la cabale occupe la toute premire place. Tout en demeurant
sentimentalement attach au judasme traditionnel, ce penseur revendiquait un
universalisme intellectualiste et litiste sans frontire confessionnelle, tout enprnant un messianisme militant. Il eut plusieurs disciples, tel Claude Birman,
philosophe aussi de formation et professeur de philosophie, qui poursuivent la
voie trace par le matre. Plusieurs philosophes de formation, lves de l'Ecole
des Cadres d'Orsay ont t amens nourrir une relation de sympathie voire de
connivence profonde envers la cabale (c'est le cas par exemple, outre les noms
prcits, de Grard Isral et surtout de Georges Hansel) et pour certains d'entre
eux devenir des enseignants dans ce domaine. Jacob Gordin exera aussi une
influence sensible sur Emmanuel Lvinas, auteur d'une oeuvre philosophique de
premire importance, mais la place de la mystique juive dans la pense de ce
dernier, sans tre tout fait nulle, est reste extrmement rduite (26), bien qu'au
moins l'une de ses lves, Catherine Chalier, ait intgr dans ses nombreux
livres de multiples rfrences aux grandes oeuvres de la cabale. Un autre
disciple de Lon Achknazi, Shmuel Trigano, a commenc son uvre d'crivain
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par un ouvrage, Le rcit de la disparue (1977) inspir en grande partie par la
cabale lourianique. Mais la rfrence cette dernire sera peu peu dlaisse
dans ses publications postrieures.
Une volution notable dans les enseignements prodigus par le rabbin Lon
Ashknazi doit tre souligne maintenant. Alors qu'il vitait gnralement de
dlivrer des enseignements explicitement cabalistiques dans ses cours publics,
la diffrence des cours qu'il rservait un trs petit nombre d'lves choisis,
dans les derniers temps de sa vie, il avait entrepris d'enseigner partir de textes
cabalistiques, comme le Cha'arey Orah de R. Joseph Gikatila, un classique de la
cabale castillane du XIIIe sicle. Le maintien d'un enseignement strictement oral
accompagn du souci de rserver le savoir sotrique quelques lus, a sans
doute contribuer faire de la personnalit charismatique qu'tait Lon Asknazi
un cabaliste de type traditionnel plutt qu'un gourou et un chef de secte. Cette
figure du judasme contemporain avait sans doute toutes les qualits requises
pour prendre la tte d'un groupe religieux missionnaire et conqurant, au lieu de
quoi son orientation personnelle et la fidlit aux rgles et coutumes anciennes
de la transmission de la cabale l'ont maintenu dans la fonction d'un matre
penser et d'une autorit intellectuelle et morale. L'tude dtaille de l'histoire des
cercles d'tudes anims par Lon Ashknazi, en Algrie d'abord, en France par
la suite et enfin en Isral, pourrait tre d'un immense intrt quant la question
de la formation (ou de la non formation) de groupes sectaires, de ce qui les
spare des groupes religieux activistes ou militants, et bien sr de la place et de
l'usage de la cabale, de ses ressorts intrieurs, face la tentation d'isolement
social de tels groupes. Le contenu mme de l'enseignement de ce grand
reprsentant francophone de la cabale contemporaine pourra tre mieux connu et
apprci lorsqu'une partie au moins des enregistrements de ses cours effectus
par ses lves sera disponible ou transcrits, travail en cours dont on attend
encore les premiers fruits au moment o ces lignes sont crites.
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9| D'autres auteurs, au XXe sicle, ont introduit la cabale auprs d'un plus
large public, sans lien particulier avec la communaut juive. Un philosophe juif
franais, d'une gnration antrieure, plaa la cabale au centre de ses intrts.
Henri Srouya (disparu en 1968), spcialis d'abord dans l'esthtique, laphilosophie politique et l'existentialisme, fut l'auteur de plusieurs articles ainsi
que d'un livre volumineux consacr la cabale qu'il rdigea en grande partie
dans la clandestinit pendant les annes d'occupation de la France par les armes
allemandes et qui fut publi en 1947 sous le titre La Kabbale. Cet ouvrage fut
couronn par l'Acadmie franaise. Contrairement aux auteurs prcdemment
cits, il n'avait accs la cabale, peu de chose prs, que par le biais detraductions franaises ou d'ouvrages spcialiss. Figure isole, dont le rapport
la cabale tait presque exclusivement livresque, ses crits connurent nanmoins
une large diffusion et sont rgulirement rdits. L'intrt qu'Henri Srouya
portait la cabale tait en grande partie motive par l'influence qu'avait exerce
sur lui la philosophie de Bergson et son interprtation du mysticisme. A ses
yeux, l'intrt de la Kabbale rside surtout, pour le mtaphysicien, dans unespculation qui embrasse la totalit, entendue dans sa conception la plus
profonde ( La Kabbale, p. 511). Ce philosophe fit naturellement beaucoup
d'efforts pour montrer que la pense de Bergson avait t inspire par le
mysticisme cabalistique. D'aprs lui, la philosophie de Bergson accuse une
parent foncire avec la Kabbale. Cependant, ajoute-t-il, au cours d'une longue
conversation, Bergson nous a dclar qu'il l'ignorait, mais qu'il avait beaucoup lu
les oeuvres des Pres de l'glise, surtout saint Augustin. L aussi, quelle que soit
l'influence subie par le philosophe parisien, il y a en lui ce reflet ternel de la
pense des Hbreux, ses anctres [...]. Au surplus, certains des lments
essentiels du bergsonisme pourraient s'insrer dans la mtaphysique de la
Kabbale (ibidem, p. 491).
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Le recours l'ternel reflet de la pense des anctres pour expliquer une
parent intellectuelle (relle ou non), n'est pas seulement un argument facile et
dpouvru de significations. Il convient de l'entendre aussi comme un appel une
mmoire invisible garante, l'insu des individus, d'un attachement indfectible une tradition perdue ou oublie. Dans cette perspective, l'ouvrage de Serouya
peut tre considr comme une sorte d'anamnse pour son auteur, retrouvant
tardivement la source du reflet ternel de la tradition juive qu'il n'a gure
connue dans sa priode de formation. Mme si Bergon questionn sur la cabale
lui rpond Pres de l'Eglise, Serouya ne se rsoud pas abandonner son
intuition initiale et il fait appel l'ultime argument : les anctres.
10| Une autre figure singulire, qui se dtache dans la nbuleuse des
penseurs cabalisants, est celle de Carlo Suars. Dtach du judasme de ses
pres, ce peintre et intellectuel d'origine gyptienne tabli en France, qui a t
par ailleurs l'un des premiers traducteurs de Krishnamurti en franais, a crit
plusieurs livres consacrs la cabale, dont notamment une traduction
commente duLivre de la Cration (Sefer Yetsirah) et de nombreux crits o il
se propose de retrouver la cabale authentique qui aurait t, selon sa thse,
dforme par l'idologie religieuse rabbinique (27). L'influence de la pense
originale de Carlo Suars a t peu prs insignifiante sur le judasme franais
mais elle s'est exerce sur divers milieux d'origine chrtienne, aspirant
dcouvrir de nouveaux horizons spirituels. Une fondation qui porte son nom et
qui se consacre diffuser son uvre picturale est toujours active.
11| Parmi les crivains chrtiens qui ont consacr des ouvrages significatifs
la cabale, il faut citer Paul Vulliaud, auteur en particulier d'un livre
monumental intitul La Kabbale juive (Paris, Nourry, 1923, rd. Marseille,
1976-1978), o il dfend l'antiquit duZohar. De faon gnrale il dplore que
la Kabbale ne fait pas encore partie du patrimoine commun de l'Intellectualit
(28). Il tente dans ses crits de mettre en vidence le caractre mtaphysique de
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la cabale, par del les formes mythiques qui n'ont qu'un caractre symbolique
ou allgorique et cachent de profondes abstractions. L'intrt du public chrtien
envers la cabale avait t aiguis par la traduction franaise du Zohareffectue
par Jean de Pauly (1905-1911) dans laquelle ce traducteur s'tait efforc demontrer le caractre chrtien et christologique des exgses et de la doctrine du
Zohar dans ses notes et travers sa traduction. Cette dition, malgr ses
nombreuses imperfections et ses traits tendancieux, marqua une date importante
dans la pntration de la cabale dans la culture franaise. Une autre figure
importante, un admirateur de Paul Vulliaud, mrite d'tre mentionne. Jean de
Menasce, Juif d'origine gyptienne converti au catholicisme qui devint unspcialiste de renomme internationale en matire d'iranologie, consacra en
1931 un ouvrage la cabale et au hassidisme intitul Quand Isral aime Dieu
(Paris, Plon). Pre dominicain passionn de mystique chrtienne, ce savant
voyait dans la mystique juive la littrature spirituelle du judasme qui l'arrache
au chaos du monde et s'oppose l'indiffrentisme et au nationalisme
politique qui se partagent actuellement le peuple d'Isral (p. 178). Plaidoyervigoureux en faveur de la cabale et du hassidisme, qui aux yeux de l'auteur
constituent la vritable me du judasme, lutte contre les Juifs modernistes qui
les dnigrent, le livre de Jean de Menasce est atypique plus d'un titre et
reprsente l'expos le plus brillant et le plus sensible ce jour crit en Franais
sur la spiritualit juive. Il n'eut cependant qu'un impact assez limit tant dans les
milieux juifs que dans les milieux chrtiens, peu enclins accorder du crdit
un Juif devenu un prtre chrtien qui entreprend une dfense vibrante de la
spiritualit juive.
12| Un autre courant de pense a t profondment marque par la cabale. Il
s'agit de l'cole de Ren Gunon. Cet auteur prolixe trs influent, chef de file des
sotristes franais et penseur de la tradition primordiale l'origine de toutes
les religions, il cite souvent les crits classiques de la cabale, dont leZohar, et en
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propose une lecture oriente par sa perspective globale considrant que chacune
des doctrines traditionnelles, au rang desquelles il range la cabale, reflte sa
faon la tradition de l'humanit (29). Un de ses disciples, Lo Schaya, a
dvelopp de faon notable cet intrt pour la cabale et a rdig trois ouvragesqui lui sont principalement consacrs (30). La tendance ici est celle d'un
syncrtisme entre les trois religions monothistes et d'une sorte de synthse entre
le soufisme et la cabale. Il faut aussi voquer ce qui demeure de l'influence que
le mouvement thosophique de H.P. Blavatsky, vers la fin du XIXe sicle, a
exerc sur une constellation trs diverse de personnalits franaises et qui se fait
encore sentir ici et l. D'autres auteurs succs ont cru dcouvrir dans la cabalela cl de tous les mystres de l'univers. Raymond Abellio (31), Charles Hirsch,
Francis Warrin ont crit des ouvrages qui proposent un systme d'explication
globale du monde physique et de tous les vnements de l'histoire directement
inspirs par la cabale. A. D. Grad a popularis cette apprhension de la cabale
dans plusieurs ouvrages qui connurent un rel succs (32). Parmi les philosophes
franais sans lien aucun avec le judasme qui ont accord quelque intrt lacabale, il faut citer tienne Souriau (33), Henry Corbin et Jean-Paul Sartre dans
les dernires annes de sa vie (34).
13| L'influence de Gershom Scholem, mesure que ses crits taient
traduits en franais, s'est surtout exerce sur des historiens, des sociologues et
des anthropologues, mais son impact sur des penseurs et philosophes franais est
assez ngligeable. Contrairement la situation dans les pays anglo-saxons et en
Allemagne, la pense de Gershom Scholem n'a gure marque les intellectuels
juifs de France et ses chos auprs des philosophes franais demeurent
marginaux. Comment expliquer un fait qui peut paratre singulier aux yeux d'un
isralien ou d'un amricain ? Dj en 1956, dans l'avant-propos la rdition de
son livre sur la cabale, Henri Srouya exprimait le type de rapport que les
philosophes franais vont entretenir avec cette figure centrale de l'tude de la
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cabale au XXe sicle : Certes, on constate a et l des aperus subtils d'ordre
historique qui cadrent avec les ides de la gnose et du noplatonisme. Mais on
cherchera en vain travers ces pages une pense profonde, vraiment originale,
semblable celle de Martin Buber. Autrement dit, si Scholem est regardcomme un historien de grande valeur, consciencieux, mthodique, il a accord
une trop grande place la cabale pratique, au mythe, aux croyances populaires,
et n'a pas su dgager les profondeurs spculatives et la dimension mtaphysique
de la cabale et de la mystique juive. En consquence, l'oeuvre de Scholem est
dpourvue de valeur philosophique et n'a qu'un intrt documentaire. Cette
apprciation svre de Henri Srouya qui ragissait alors la publicationfranaise des Grands Courants de la mystique juive, a t partage par la quasi-
totalit des intellectuels juifs intresss par la cabale, qui n'ont pas reconnu en
Scholem une autorit en matire de pense juive et d'interprtation de la cabale.
A cet gard, la France et la communaut juive franaise sont restes un lot isol.
Mme un chercheur dans le domaine de l'histoire des ides comme Georges
Vajda, pourtant trs proche de Scholem beaucoup d'gards, a reproch celui-ci d'avoir nglig la philosophie cabalistique.
14| La place relle et symbolique occupe par la philosophie en France
comme discipline scolaire et comme substitut laque aux dogmes religieux
explique en grande partie cette attitude. L'viction radicale de toute rfrence
religieuse du domaine du savoir moderne, de la culture acadmique et de
l'enseignement scolaire public a sans doute contribu hisser la philosophie, par
compensation, au rang de discipline de pense ayant valeur de savoir autoris,
de tradition intellectuelle situe au sommet de toutes les sciences. Pour tre
valorise et tre reconnue, la cabale doit tre prsente comme une philosophie
plutt que comme une pense religieuse. Pour prendre un exemple, un auteur
comme Jean Zacklad a donn sa thse intitule Essai d'ontologie biblique (35),
le sous-titre suivant : Mise jour des implications philosophiques des thses
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rabbiniques, lgislatives et mystiques, alors que son travail est essentiellement
fond, de son propre aveu, sur la cabale considre comme tradition secrte du
judasme.
15| Ce qui a intress la plupart des penseurs francophones qui ont crit sur
la cabale, qu'ils soient Juifs ou non, et quelque titre que ce soit, c'tait la
philosophie cabalistique ou du moins les implications philosophiques des
conceptions cabalistiques. Les aspects proprement religieux de la cabale, ses
ides concernant le rituel, les prires, les croyances eschatologiques, la morale
concrte, ont t presque totalement ngliges. C'est le cas aussi de ce que
Scholem a appel le mythe cabalistique, qui n'a t pris en considration ni par
les spcialistes franais des discours de type mythique ni plus forte raison par
les spcialistes de la philosophie et de son histoire. La cabale a pu interpeller la
pense franaise pour autant qu'elle a t prsente comme une forme
particulire de philosophie. En tant que doctrine religieuse, elle n'a gure suscit
d'intrt. Il n'existe aucune diffrence sensible entre Juifs et non Juifs cet
gard. Cette situation n'a pas fondamentalement chang aujourd'hui, bien que
quelques signes d'un intrt pour ses conceptions religieuses se manifestent
timidement ici et l dans les milieux juifs et chrtiens. Aujourd'hui la cabale est
souvent mle la pense hassidique dans les efforts qui sont mens pour
promouvoir une approche moderne et mme post-moderne du judasme, et il
convient de citer ce sujet les noms de Betty Rojtman, Marc-Alain Ouaknin,
David Banon, Laurent Cohen, Stphane Zagdanski. La cabale n'est dans ces
constructions qu'un ingrdient parmi d'autres et n'intervient parfois qu' titre
accessoire, bien que sa prsence soit parfois trs visible. D'autres auteurs trs
priss par le public Juif francophone, qui dans leurs crits tentent d'laborer ou
de rlaborer une conception globale du judasme, comme Amado Lvy-
Valensi, Shmuel Trigano, Raphal Dra, prennent trs au srieux la cabale et lui
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concdent une place significative en tant qu'interprtation profonde et
illuminante des critures (36).
16| Cependant, derrire ce tableau o la cabale parat s'tre impose commerfrence normale voire mme oblige dans les discours des intellectuels Juifs
qui crivent en franais sur le judasme, l'intrt pour la doctrine cabalistique
proprement dite, ses conceptions relatives l'tre, au bien et au mal, l'me, en
un mot ses concepts fondamentaux les plus propres, est loin d'tre partag par
tous. Il est de bon ton de citer telle ou telle sentence cabalistique, de puiser dans
la masse des crits de la cabale des formules ou des images afin d'illustrer une
ide ou d'tayer un raisonnement. En revanche, la cabale en tant que savoir
organis de faon consistante est ignore par beaucoup de ceux qui se prvalent
de ses maximes. La situation qui prdominait au sicle prcdent et au dbut du
XXe sicle, quand il tait en gnral mal vu de citer un passage du Zoharde
peur d'tre considr comme un esprit rtrograde et superstitieux, s'est
radicalement inverse. Cependant cette inversion ne signifie absolument pas que
la cabale soit elle-mme reue comme systme de pense ou comme thologie :
soit elle fait simplement partie de la bibliothque de l'homme cultiv, soit elle
entre dans les discours qui rflchissent sur le judasme ou en font l'apologie,
titre d'appui traditionnel et de rfrence exotique. Entre la perception populaire
de la cabale, sa prsence occasionnelle et opportuniste dans les crits des
apologtes, et sa ralit doctrinale intrinsque, s'ouvre un large abme. Il n'est
pas assur que les travaux acadmiques qui se multiplient sur la cabale et qui
exposent ses contenus conceptuels propres soient mme d'entraner dans leur
sillage un travail de rflexion approfondi sur ses conceptions. La tendance
dominante en France, mais qui n'est sans doute pas l'apanage exclusif des
intellectuels juifs, est actuellement celle d'un affaissement de l'affirmation
idologique, un clectisme dans le choix des sources d'inspiration, une
indiffrence pour les contenus doctrinaux au profit d'associations d'ides parfois
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superficielles. Ce tableau rapidement bross d'un dclin gnral de l'exigence de
rigueur dans les dmarches intellectuelles et philosophiques, qui est trs sensible
dans la production littraire actuelle du judasme francophone, traduit bien
videmment un phnomne historique et sociologique lourd. Dans un telpaysage culturel, la cabale apparat comme un lment accessible aux multiples
combinaisons et bricolages savants, d'autant plus aisment qu'elle a depuis
longtemps fait l'objet d'approches et d'interprtations trs diverses motives par
des raisons sans aucun lien entre elles. L'avenir dira si cette tendance n'est que
transitoire ou si elle reprsente une direction durable.
Charles Mopsik
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NOTES
1. C'est du moins la forme la plus courante du discours savant
contemporain relatif la cabale. Tel n'a pas toujours t le cas. En 1923, Paul
Vulliaud (La Kabbale juive, histoire et doctrine, essai critique), prsente encore
la cabale comme la tradition sotrique des Hbreux (t. I, p. 7), et il conclut
son analyse de la faon suivante: Cependant, n'existe-t-il pas une philosophie,
que nous appelerons la Tradition patricienne, dont les principes fondamentaux
sont reconnus pas tous les Sages? Nous le croyons. La Kabbale en transmet des
fragments de premier ordre (t. II, p. 451).
2. Le premier livre a t publi en 1988 (New Haven et Londres). Voir
aussi Mystique et histoire,Annales HSS, sept-oct. 1994, n 5, p. 1223-1240.
3. Voir Kabbalah: New Perspectives, chapitre I, V: Mais le contact avec
des cabalistes qui tudient et en mme temps mnent une existence en accord
avec les exigences de la cabale peut enrichir la vision acadmique de ce qu'est la
cabale. Un contact direct avec la faon dont des cabalistes approchent les textes
mystiques pendant leurs tudes, l'observation de cabalistes en prire, et surtout
des discussions avec eux au sujet de questions mystiques, peuvent contribuer
substantiellement la cristallisation de la perception de la cabale par les
chercheurs. Curieusement, malgr l'troite proximit gographique entre lescercles cabalistiques de Jrusalem et de Bnei Brak et les centres universitaires
d'tude de la cabale, de tels contacts ne sont pas regards comme productifs par
l'establishmentacadmique, au lieu de quoi toute la recherche sur la cabale est
exclusivement focalise sur des textes crits. Pour cette raison, aucun tableau
jour n'est disponible concernant la pense cabalistique courante. Plus d'une
centaine d'annes aprs que les ethnologues en sont venus considrer la
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collection de donnes et le contact avec les tribus lointaines comme essentiels
leur travail descriptif, et deux dcennies aprs l'introduction de l'tude psycho-
physiologique des expriences mystiques, les chercheurs dans le domaine du
mysticisme juif travaillent exclusivement en relation avec des textes, sans mmeavoir conscience de la ncessit de faire connaissance avec leurs proches
voisins, les cabalistes.
4. Voir le chapitre dix de son ouvrage prcit, intitul De l'sotrisme juif
la philosophie europenne : profil intellectuel de la cabale comme facteur
culturel.
5. Kabbalah, Dorset Press, New York, 1987, p. 85. Premire dition:
Jrusalem, 1974.
6. On lui doit l'une des premires tudes acadmique de la cabale en
franais au XXe sicle:Introduction l'tude des hrsies religieuses parmi les
Juifs. La Kabbale, Le Hassidisme, essai critique, Paris, Paul Geuthner, 1928.
Curieusement, dans l'article de l'Encyclopedia Judaica qui est consacr cet
auteur qui fit par la suite une brillante carrire dans la Palestine des annes trente
et quarante, cet ouvrage en franais n'est pas signal, comme si l'tape franaise
de son activit de recherche tait considre comme parfaitement ngligeable et
ses crits en franais, langue quasiment inconnue des spcialistes actuels de
l'tude du judasme, pas mme dignes d'tre mentionns.
7. Voir ce sujet Alain Renaut,La rvolution des universits, Paris, 1995.
8. La Cabale et l'acadmie: l'tude historique de l'sotrisme juif en
France, Pards XIX-XX (1994), 216-238. Il est remarquable que de
nombreuses pages de cet article sont consacres non pas des rudits
enseignants dans des universits, mais des crivains religieux engags, comme
Paul Vulliaud, Jean de Pauly, le chevalier Drach, Alexandre Weil, etc. Paul
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Fenton s'en explique ds le dbut:Prcisons d'emble que notre propos portera
avant tout sur l'tude historico-critique de la question, et par consquent ne
traitera qu'incidemment de ce que A. E. Waite appela le 'French Kabbalism'.
Aussi les thosophes et les mystificateurs de tout bord, depuis Eliphas Lvijusqu' A. Grad en passant par C. Suars, ne relvent-ils de notre thmatique que
de faon accessoire. Mme si maints gards leur activit littraire est digne
d'intrt, elle ne retiendra notre attention qu'en fonction de son incidence relle
sur l'closion de la cabale en tant que discipline universitaire. Une telle influence
d'ailleurs ne fait pas l'ombre d'un doute, ne serait-ce que par les efforts dploys
par les chercheurs pour dissiper le voile de confusion jet par les thosophes surtoute cette question (p. 216-217). Mais l'appellation de thosophes et
mystificateurs lance sur un vaste ensemble d'crivains, tout ceux qui
envisagent d'autres approches de l'sotrisme juif que l'tude historico-critique,
nous parat quelque peu excessive. En dehors de l'tude historique proprement
dite, bien d'autres tudes de la cabale que nul ne songerait qualifier de
mystification ont vu le jour. L'article cit plus de Mosh Idel paru en franaisdans la revue desAnnales plaide mme en faveur de la validit de d'autres types
d'approches de la cabale que la mthode historique. Par ailleurs, le fait que la
cabale a t et est encore largement exploite dans toutes sortes de contextes, y
compris les plus rebelles aux classifications historiques simples, et que
beaucoup de personnes trs ignorantes de son contenu ont crits des ouvrages
qui se rclament d'elles, est en soi digne d'intrt. Enfin, j'viterai pour ma part
de concder priori que la cabale en tant que discipline universitaire est
ncessairement mieux comprise qu'en tant qu'engagement religieux ou
philosophique. Il n'y a pas lieu d'accorder une existence ontologique
indpendante une discipline universitaire quelle qu'elle soit. Celles-ci sont les
produits de luttes d'influence, parfois froces, d'o le domaine du croire n'est
jamais exclu.
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9. Cette Cabale, ou bien cette tradition orale se conserva pure et conforme
la Loi crite tout le temps que les prophtes furent les dpositaires et les
gardiens de la doctrine. Mais lorsque l'esprit de prophtie eut cess, elle se
corrompit par les questions oisives et par les assertions frivoles qu'on y mla.Toute corrompue qu'elle tait, elle conserva pourtant l'clat dont elle avait joui
d'abord et on eut pour ces dogmes trangers et frivoles qu'on y insra le mme
respect que pour les vritables (p. 476).
10. Paris, 1843, rd. Paris, 1889.
11. La Kabbale, Grasset, 1947, rdit en 1956, p. 265.
12. Sur cet auteur voir Paul Fenton (op. cit.), p. 227.
13. L'invention de la mythologie, Paris, Gallimard, 1981. Voir aussi
l'ouvrage plus rcent de Luc Brisson et F. Walter Meyerstein, Puissance et
limites de la raison, Les Belles Lettres, Paris, 1995, p. 139.
14. Pour une critique de l'usage de ce terme dans ces zones linguistiques
voir Gil Anidjar, Jewish Mysticism Alterable and Unalterable: On Orienting
Kabbalah Studies and the 'Zohar of Christian Spain',Jewish Social Studies, vol.
3, n 1, 1966, p. 89-157.
15. Ce n'est pas l un fait nouveau. C'est une critique vhmente de la
recherche trop exclusive mene par G. Scholem du mythe dans la cabale
qu'entreprend dj Henri Srouya, un philosophe franais dont nous reparlerons,
dans la prface de la deuxime dition de son ouvrage intitul La Kabbale
(Paris, Grasset, 1956) : Est-ce dire que du point de vue psychologique,
l'auteur (Scholem) ait voulu satisfaire la curiosit et les aspirations des gens du
peuple, ports aux mythes, comme les nazis pour le mythe d'Arya?. Le
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reproche gnral adress par cet auteur Scholem est la trop grande place qu'il
accorde la cabale pratique au dtriment de la cabale spculative.
16.Isral et l'humanit, rd. Paris, Albin Michel, 1961, p. 62.
17.Ibidem, p. 59.
18.Ibidem, p. 15.
19. Voir le texte publi dans notre ouvrage, Cabale et cabalistes, Paris,
Bayard, 1997, p. p. 194-197.
20. Voir l'article publi par ce dernier dans l'phmre revue intitule
Jrusalem, p. 000.
21. Telle a t en substance l'orientation de la contribution de ce rabbin un
colloque consacr Elie Benamozegh qui s'est tenu la fin du Moi de Mars
1997 Jrusalem.
22. En tmoigne la publication rcente d'une traduction anglaise d'Isral et
l'humanit:Israel and Humanity, New York et Mahawah, 1994.
23. Judasme contre sionisme, Paris, Editions Cujas, 1969, 304 p. La
Palestine, [Le Fait national palestinien, par Georges Montaron. Le Temoignage
d'un juif anti-sioniste, par Emmanuel Lvyne. La Gauche israelienne, par
Bernard Schreiner, Paris, Temoignage chretien, 1970.Le Royaume de Dieu et le
royaume de Csar, prface par Jean Bauberot ; postface par Jean Corbon,
Beyrouth, Editions Le Reveil, diffusion Tsdek, 1973, III-73 p. Le Judasme
contestataire et rvolutionnaire, Issy-les-Moulineaux, Tsdek, 1974, 32 p.
Suppl. : Tsdek, 140, janvier 1974, recueil de textes extraits deLe Royaume
de Dieu et le royaume de Cesar. Petite anthologie de la mystique juive :
introduction a la Kabbale, textes choisis et presents par Emmanuel Lvyne,
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Issy-les-Moulineaux, Tsdek, 1975.La Kabbale du aleph, Issy-les-Moulineaux,
Tsdek, 1976. Un Kabbaliste la rencontre de Nicolas Berdiaev, mystique
juive et mystique russe, Paris, Tsedek, 1977. Lettre d'un kabbaliste un
rabbin : loi et cration, en appendice, choix de textes traduits de l'aramen et del'hbreu, extraits pour la plupart du Zohar et du Talmud, Paris, Tsdek, 1978. Le
Mystre du nom divin Elohim, prced de la Kabbale de la lettre h, Paris,
Tsdek, 1980.La Kabbale du commencement et de la lettre B(eith), Cagnes-sur-
Mer, Tsdek , 1982. Marciano, Alice, Au commencement est la relation : la
philosophie du "je et tu" de Martin Buber, textes d'introduction d'Emmanuel
Lvyne, Paris, Tsdek, 1984, 89 p. Can et Abel : la Kabbale de la rvolution,de la lettre Z (Ayine) et du chiffre sept, Paris, Tsdek, diffusion Dervy-livres,
1985, 116 p. Warok, Ael, Lettres d'un pote breton un kabbaliste, Morlaix,
Tsdek, 1988.
24. Parmi ceux-ci, citonsLa cabale, Payot, Paris, 1972.
25. Voir les propos de Lon Achknazi dans la prface deJacob Gordin, Lerenouveau de la pense juive franaise, Albin Michel, 1995, p. 13.
26. Voir ce sujet notre article paru dans Les Cahiers de l'Herne, Paris,
1991.
27. La Kabale des Kabales. La Gense d'aprs la tradition ontologique,
Adyar, Paris, 1962. La bible restitute, Mont-Blanc, Genve, 1967. Le SepherYetsira, suivi de l'astrologie sa source, Mont-Blanc, Genve, 1968.Les cls du
sacr, Mont-Blanc, Genve, 1971. Le Vrai Mystre de la passion de Judas,
ditions Caractre, Paris, 1972. Les Spectogrammes de l'alphabet hbraque,
Mont-Blanc, Genve, 1973.
28. Voir Paul Vulliaud, Traduction intgrale du Siphra di-Tzeniutha, le
livre du secret, Paris, 1930.
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29. Voir par exemple Le roi du monde, Formes traditionnelles et cycles
cosmiques.
30. Dont L'homme et l'absolu selon la kabbale et La Cration en Dieu.
31. La structure absolue, Paris, 1965.
32. Parmi ses nombreux ouvrages, citons L'Appel du cosmos, Les Cahiers
du XXe sicle, Paris, 1936;Infra-Chair, Le Livre et l'Image, Paris, 1937;Misre
de la Haute Magie, Nuestra America, Valparaiso, 1953; Thorie des quilibres
tensoriels, Institut de Mtalogique, Paris, 1963; Le temps des kabbalistes, LaBaconnire, Paris, Payot, 1967; Le vritable Cantique des Cantiques, Maison-
neuve et Larose, Paris, 1970, d. Du Rocher, Monaco, 1984; Pour comprendre
la Kabbale, Paris, Dervy-Livres, 1972, rd. en 1975, 1978, 1982, 1985; Les
cls secrtes d'Isral, Paris, Laffont, 1973; Le Livre des principes
kabbalistiques, Paris, Laffont, 1974;Le Golem et la Connaissance, Saint Jean de
Braye, Dangles, 1978; Initiation la Kabbale hbraque, Monaco, Du Rocher,
1982; Mose l'Hbreu, Monaco, Du Rocher, 1985; La Kabbale de feu, Dervy-
Livres, Paris, 1985.
33. Voir en particulier son ouvrage, L'Ombre de Dieu, Presses
Universitaires de France, Paris, 1955.
34. D'aprs le tmoignage de l'un de ses proches, Sartre a t surtout
impressionn par les spculations duLivre de la Cration dpeignant la cration
du monde au moyen de lettres de l'alphabet.
35. Edition Mouton, Paris-La Haye, 1967.