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7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
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Denis Bertrand
Smiotique du discours et lecture des textesIn: Langue franaise. N61, 1984. pp. 9-26.
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Bertrand Denis. Smiotique du discours et lecture des textes. In: Langue franaise. N61, 1984. pp. 9-26.
doi : 10.3406/lfr.1984.5180
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1984_num_61_1_5180
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lfr_818http://dx.doi.org/10.3406/lfr.1984.5180http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1984_num_61_1_5180http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_1984_num_61_1_5180http://dx.doi.org/10.3406/lfr.1984.5180http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_lfr_818 -
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concerne,
plutt
que
de dbattre de
telle
ou
telle
lecture , clairante
ou obscurcissante,
rductrice
ou rvlatrice,
nous nous interrogerons
sur
les fondements
thoriques et mthodologiques d'une smiotique
de
la
lecture.
En d'autres
termes,
c'est la
lecture
en tant qu'activit smiotique
en
tant
qu'activit
de construction de sens qui sera,
en
toile de fond,
notre constant
foyer
de
proccupation au
fil de cette tude.
Ainsi
formul,
le
problme
nous renvoie,
en
apparence,
une
inter
rogation sur
les
processus
psycho-cognitifs de
la
lecture,
tels
qu'ils
appa
raissent
effectivement
dans la ralit. Or,
il n'en
est rien : la
smiotique,
pas plus qu'elle ne statue
- en aval
sur la littrature comme
objet
culturel,
n'a pour
objet
en amont
de dcrire,
d'un
point de vue
gntique, les
mcanismes
de la connaissance humaine,
ne
serait-ce qu'
travers
l'une
de ses formes particulires. Entre ces deux ples, elle ambi
tionne
seulement, et ce n'est dj pas mal, de reconstruire de
manire
homogne (c'est--dire
l'aide
d'un mtalangage dfini)
les
diffrents
modes d'agencement des procs et des
systmes
de signification
partir
de
ces
objets concrets
qui
en
sont
la
fois
la
trace
manifeste
et
la
voie
d'accs oblige
: les
textes.
C'est
dire
si
la distance est grande
entre
la
mise nu
des
structures
immanentes
du sens
effectu et
l'activit mentale
relle du locuteur
ou
du lecteur qui effectue ce sens :
on
ne
saurait sans
lgret infrer
tout
bonnement celle-ci de
celles-l.
Nous
ne
franchirons
donc pas cette
distance et ne
prtendrons pas dire ce
qu'est
la lecture.
Nous
croyons,
en
revanche,
que
la
smiotique
propose un modle de
simulation opratoire, susceptible
d'clairer en
retour
certains
phno
mnes propres la lecture conue
comme
activit
cognitive.
La thorie smiotique, forte de sa
double
origine linguistique
et
anthropologique ',
nous parat
particulirement arme
pour
mettre
nu
et
expliciter les
schemes
infrentiels
que
met
en uvre
tout
lecteur
comptent pour ordonner,
dynamiser,
et finaliser les significations
du
texte qu'il lit; elle
permet,
partir
des modles
de prvisibilit
qu'elle
a
su
dgager,
d'clairer
les
raisons
de cette
attente toujours frustre
du sens
qui
appelle la poursuite de la
lecture;
elle montre ce
qui,
sous
la
concatnation
ligne aprs ligne des
noncs,
les organise
en
sous-
main, les structure
diffrents niveaux
et en assure
1 orientation. De
notre point de
vue,
l'analyse
du
texte informe l'activit de lecture :
condition toutefois
qu'elle assume aussi
fortement que possible les
instruments
qu'elle sollicite
pour son exercice. Il
est clair
qu'ainsi nous
nous situons largement
en amont
de l'interprtation littraire,
de l va
luation
esthtique,
ou
de
l'examen
des
conditions
extra-discursives de
production des
textes.
Ces diverses dimensions ont, bien
entendu,
leur
place et
non
des
moindres,
mais il
nous
parat qu' vouloir
les envisager
a
priori
on inverse
d'une certaine manire l'ordre du
travail
: chacune
d'elles,
en effet,
prend
appui
implicitement du moins sur une
certaine thorie des reprsentations construites,
vhicules
et recons
truites
dans
le
langage;
c'est
mme sur les
modles
de cette thorie
1.
Cf.
Actes
Smiotiques
- Le
Bulletin,
Bibliographie smiotique
, Les Sources ,
GRSL,
V, 22,uin 82,
pp. 5-6.
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qu'elles
laborent et
dveloppent leurs
analyses, et
qu'elles tirent leurs
conclusions. A vrai dire, ces directions de recherche
ne
peuvent,
nos
yeux,
qu'tre soutenues
et alimentes
dans leurs projets
respectifs par
une approche pralable
qui
s'enracine dans
une
thorie
explicite
et
raisonne
du
langage et
du
discours.
Un des enjeux d'une
telle
approche, pour peu
que
son domaine de
pertinence
soit
clairement dlimit,
est
de
favoriser
chez
les
psycholing
uistesomme chez les didacticiens et
a
fortiori chez les enseignants
une rflexion sur les
processus
smio-narratifs
et
discursifs que
mobilise
tout engagement
dans la lecture.
Pour
les premiers,
il parat incontestable
que la schmatisation
narrative (centre sur le dispositif actantiel, la
constitution
modale
des
actants
et la dynamique
transformatrice
qui les rgit) apporte
dsormais
de solides lments de rponse, condition
toutefois
qu'on
ne
l'utilise
pas comme une
grille ad
hoc et
suffisante,
et qu'elle
soit
assez finement
manipule dans l'analyse concrte des textes. Pour
les
processus
dis
cursifs
en
revanche,
bien
des
questions
restent en
suspens
et
font
aujourd'hui l'objet du dbat
thorique
2; parmi celles-ci,
on
s'intressera
seulement
dans
les pages qui suivent
la
linarit de
la
lecture elle-
mme.
Il s'agira
alors
de rpondre deux
questions : comment
rendre
compte, partir du tissu textuel ses liens, ses renvois
et
ses
bances
de
la
construction effective
par le
lecteur
d'une signification continue
et homogne?
Et
comment
dcrire, de
manire
suffisamment simple,
la multiplicit des reprages internes
(que nous
regrouperons sous le
terme
de rfrentialisation )
qui, dbordant
largement les connec
teurs xplicites, constituent les lments actifs de la cohsion du di
scours?
Ces
questions,
nous semble-t-il,
concernent
directement
la
pratique
de l'explication de texte qui
n'est pas
autre chose
en dfinitive
qu'un
miroir
de
la
lecture. Et
puisque
les textes
qu'on
tudie
en classe
de
franais
sont essentiellement des
textes figuratifs
, nous avons
choisi,
par commodit,
de
centrer notre rflexion sur la construction des effets
figuratifs dans
le
discours
et,
plus prcisment, de Yiconicit, c'est--dire
de l'illusion de ralit que certains types de textes ont pour objectif
affich
de
susciter
chez le lecteur.
2.
Deux effets
de lecture
:
la
rfrenciation
et
la
rfrential
isation.
L'approche
smiotique
du discours exclut de sa
problmatique
la
notion de rfrent.
Il importe
cependant
de souligner
aussitt
que,
contrairement
une
critique formule
parfois
et juste titre par des
2.
Il
s'agit notamment du
problme
de la conversion
entre les
diffrents niveaux de l'analyse
smiotique : celui des
structures
profondes, celui
des
structures
smio-narratives de surface et celui des
structures
discursives
o
s'agencent les
figures du monde.
Cf.
ce sujet, J.
Petitot
d., Aspects
de
la
conversion , Actes smiotiques - Le Bulletin, GRSL-CNRS, V, 24, dc. 1982.
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linguistes 3,
il n'est
pas
question selon
nous de
disjoindre le
sens de
la
rfrence :
il
convient plutt de prciser l'articulation entre ces deux
notions.
Au
total,
il
semble bien que l'on
puisse
rendre compte de ce problme
en considrant le
double
dplacement auquel
a
donn lieu, en smiotique,
son apprhension. Le
premier
consiste
refuser, telle
quelle, la notion
empirique
de
ralit;
le
second concerne
le
mode de
construction dans
le discours des effets ou valeurs
rfrentielles,
ainsi
que les
principes
de
leur
description.
Tout
d'abord,
la rfrence n'est pas une rfrence
au
rfrent : les
univers figuratifs
ne
sauraient
tre
interprts
comme une
image,
ad
quate ou
non, du
monde tout simplement parce
qu'un
tel monde
est dj
une
reprsentation. C'est pourquoi, au lieu d'assumer l'ide selon
laquelle l'activit du discours,
travers
le filtre de ses reprages, consis
terait
reprsenter de
la
ralit
comme si le langage tait
constitu
de substituts dtachables
du rel
auquel
on rfre
en parlant,
les smio-
ticiens
prfreront
montrer
que
cette
ralit
au
moment
o
elle
est
perue est elle-mme
construite,
informe
de
sens,
rige
en
figures signi
fiantes
qui
entretiennent
ensemble des
relations
descriptibles, et saisie
d'emble
sous
la forme
de ces relations
et
de
ces
figures 4.
Comme
construction cognitive, c'est--dire comme reprsentation, Te monde auquel
nous rfrons
en discourant
est dj
lui-mme
un
discours.
Dans ce cadre,
les figures du
langage
sont
des substituts dtachs
de figures, c'est--dire
d'un rel smiotis. Toute
mise
en
discours, ft-elle ce qui n'est
qu'un
cas limite
la plus strictement
et la
plus explicitement rfrentielle,
doit donc tre
comprise comme
un renvoi de figures
appartenant
deux
ordres distincts de
la
signification.
On comprend alors
que
l'effet dit
rfrentiel
soit interprt
comme
une
construction
smiotique
effec
tue
sur la
base
d'une
autre
smiotique
(dite
naturelle), et non pas comme
une simple
dnotation d'un
rel inerte
et objectif.
Que ce rel soit
effectivement
prsent
dans la situation
de
communication (c'est le cas
du discours quotidien) ou qu'il ne le
soit pas
(c'est le cas
du
discours
fictif
ou
onirique)
est
de peu
d'importance
: ce
qui
compte, c'est que
le
langage
se comporte
son gard
comme s'il
tait
la
traduction
d'un
autre
langage.
Si l'on admet ce
point,
partir
duquel
nous pourrons
envisager
la
figurativisation
sous
ses aspects
smantiques et
syntaxiques,
comme
une
construction thorique
de
l'nonciateur, il
nous faut
alors
rechercher
3.
Cf.
A.
Culioli qui,
dnonant
les
dangers
d'un nomcanisme qui
escamoterait
la
relation
de
Tnonc
renonciation , ajoute qu'une telle conception serait
en
dfinitive
celle d'
un langage (activit,
texte)
sans nonciateurs, sans
situations
o
s'insre
l'acte
d'nonciation,
sans
reprage, un langage
o
l'on spare le sens de la rfrence , in Sur quelques
contradictions en linguistique
, Communications 20,
Paris, Le
Seuil, 1973,
p.
85;
cf.,
de mme,
C. Fuchs, Les
problmatiques nonciatives...
,
in
Dans le
champ
pragmatico-nonciatif
,
DRLAV-Revue
de Linguistique, Universit de Paris VIII, 25,
1981,
p. 49.
4.
Elles
sont
dj
relies, au
niveau
du plan
de
l'expression
(comme
le nuage et la pluie), par
des
faisceaux de
connexions associatives
qui fondent l'interprtation et constituent leur plan du
contenu
:
ces faisceaux
de
relation sont inhrents
l'exprience physico-culturelle
du monde naturel.
Un sch
izophrne dit :
Un
oiseau gazouille dans le jardin. J'entends l'oiseau et je sais qu'il gazouille, mais que
ce
soit
un oiseau
et
qu'il gazouille, les deux choses sont si loin
Tune
de l'autre... Il
y
a un
abme...
Comme
si
l'oiseau
et le gazouillement
n'avaient rien faire l'un
avec
l'autre
(cit par
M.
Merleau-
Ponty,
L'espace
, in La phnomnoloyie de la perception, Gallimard, Tel, p.
326).
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comment
dans les discours se forment les effets de rel
aptes
donner
cette
illusion
continue du monde. Une telle recherche
est
videmment
de la
plus
haute importance pour l'tude des discours dits ralistes :
ils
sont, en
effet,
des
vecteurs de
constructions rfrentielles
si
puissants
que la tentation est grande de n'en
assumer
la lecture qu'au-del de
I
iconisation
dont ils sont le
vhicule.
A.-J.
Greimas
propose donc de
distinguer deux modes essentiels
de
rfrentialisation
:
celui,
tout
d'abord,
qu'il nomme la rfrentialisation
externe
et qui se situe dans la relation
inter-smiotique qu'entretiennent les
figures du
discours avec les
figures
construites du
monde
naturel.
L'attribution des indices
rfrentiels dont
la base lexicale
est
celle
de
l'onomastique permettra l'tablissement d'une
correspondance
entre
tel ou tel smme
avec telle
ou
telle
figure. C'est
dans ce mode de rfrentialisation
qu'entreront aussi
les catgories dic-
tiques qui instituent les repres spatio-temporels ainsi
que
ceux de la
personne. Le
second mode, nomm
rfrentialisation
interne, concerne
l'ensemble des procdures par lesquelles le discours
prend
appui sur lui-
mme, renvoie
par des mcanismes varis des noncs dj
produits,
et
s'assure ainsi
de
ce
qu'on
pourrait
appeler
son
continuum
rfrentiel.
L'effet de ralit
est
alors un effet du discours
lui-mme
: nous
revien
drons dans un instant sur ces diffrents
mcanismes
de formation et
nous
les illustrerons d'un
exemple.
Mais,
auparavant, il
nous
faut
insister sur ce
double
rseau :
chacun
des
deux
modes dgags est-il
de mme
nature? En
de de
l'opposition
externe
vs
interne, ces deux rfrentialisations renvoient-elles
une
mme opration
fondamentale comme
semble
le
suggrer la
dnomi
nationunique qui les
recouvre?
La rponse
ne nous parat pas vidente.
II nous
semble
plutt que nous
avons
affaire ici deux
oprations
ffisamment diffrentes mme si
elles concourent
ensemble
produire
un seul rsultat pour
justifier du
mme coup
une
plus
nette
diffren
ciation terminologique, apte distinguer clairement deux dimensions
d'tude spares. La
premire nous
ramne
directement
la problmat
iquee renonciation et la composante smantique des
formations
figuratives :
elle concerne
la construction
nonciative
de rfrentiel ;
elle
est
trangre,
la
limite,
la dimension proprement transphrastique
des
phnomnes
discursifs.
La seconde, au
contraire,
centre sur
les
relations intrieures au discours et particulirement sur les modes de
passage d'une
unit discursive
l'autre,
concerne
plutt
le dploiement
syntagmatique des univers figuratifs dploiement par lequel se construit
prcisment,
selon
nous,
l'iconisation.
C'est
la raison
pour
laquelle
il
nous
parat
justifi de parler de rfrenciation propos de la premire
opration (= construction de
valeurs
rfrentielles)
et
de rserver
le
terme
de rfrentialisation
l'ensemble des procdures
internes
au tissu
dis
cursif.
Distinction fort utile nos
yeux,
puisqu'elle
doit
nous
permettre
de
donner une
assise
plus stable
aux
deux notions
diffrentes
de figurati-
visation et d'iconisation. Nous poserons ainsi
que
la
figurativisation,
comprise comme la
mise
en place
de smmes
constitus
d'un ensemble
de traits
figuratifs,
peut tre dcrite
partir
de la seule opration de
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rfrenciation.
Celle-ci
apparatra
comme
une
projection de figures
ana
lysable d'un
double
point de vue :
(i)
d'un point de vue smantique, les
lexemes figuratifs seront caractriss,
au palier superficiel
du parcours
gnratif,
par la
densit
et la spcialisation
de leurs traits
smiques conus
comme des paquets
de virtualits (qui constituent,
au fond, ce que
J.-C.
Milner appelle
la rfrence
virtuelle
d'une unit lexicale);
et (ii)
d un
point
de vue syntaxique,
ces
lexemes
seront
actualiss
par
l'nonciateur
(dans une construction
predicative)
partir de reprages extrieurs
au
discours, qui signalent ce
quoi
il
veut rfrer par cette construction,
et
qui dterminent
en
retour la slection des traits figuratifs
pertinents
(cet extrieur dont nous parlons peut, encore
une
fois, faire partie
ou
non du
hic et nunc
du monde naturel). Ce
deuxime
point de vue
sur
l'tude des lments
figuratifs
actualiss est rapprocher de ce que
J.-C.
Milner nomme leur rfrence actuelle
\
L'iconisation, quant
elle,
n'est
qu'un prolongement parmi d'autres
des constructions
figuratives
:
on
peut considrer, par
exemple,
que la
posie
surraliste,
par
ses
associations
htrotopiques,
bloque prcisment
le
processus
d'iconisation
dont
sont
virtuellement
porteurs
les
traits
figuratifs; d'une autre manire,
le
discours abstrait, pour maintenir
le
plan
isotope sur
lequel il
se
situe,
doit
s'interdire toute iconisation des
figures
qu'il
est cependant amen
mettre
en
scne. C'est pourquoi un
des critres de l'iconisation nous
parat
pouvoir tre recherch dans sa
nature proprement syntagmatique.
Le
problme de
description qu'on entrevoit ici
se
poserait
de manire
capitale,
on
le
conoit,
dans
une tude
gnrale sur les
figures
de la
spatialit et les oprations de spatialisation dans les discours : elles sont
comme chacun sait au
cur
des
textes
thoriques et abstraits ainsi que
des
espaces oublis puisque,
si tout
s'y
observe
,
s'y
dispose
et
y
prend
place
, jamais cependant n'y merge la moindre
trace concrte
d'un lieu
ou
d'un regard.
Mais notre
propos
est
plus restreint.
Il vise
seulement
montrer
que
l'iconisation caractristique centrale des textes
qu'on
appelle
ralistes est le fait d'un agencement de
constructions
figuratives syntagmatiquement engages dans le discours; elle rsulte
donc de la
combinaison
de deux
oprations
de rfrenciation
(ncessaire
la production
des
figures)
et
de rfrentialisation (apte garantir la
vise rfrentielle de la premire opration). Si
cette
approche gnrale
des conditions internes de l'iconisation est
admissible, il
nous
parat
possible
d'aller un
peu
plus loin
et
de
distinguer trois modes diffrents
de
la
rfrentialisation intradiscursive,
assez
gnraux
semble-t-il pour
recouvrir un nombre important de phnomnes. Ces trois modes sont
disposs, dans l'ordre de notre
prsentation,
en
allant
du plus
gnral
au
plus spcifique.
1. Le premier mode de
rfrentialisation
est constitu de
ce
qu'on
pourrait appeler Visotopisation.
Il
s'agit l de la rfrentialisation mini
male, commune tout discours qui se veut suivi : mais, pour ce
qui
5.
Cf.
J-C. Milner,
Rflexions
sur la rfrence , Langue
Franaise
n" 30, Paris, Larousse, mai 1976,
p. 64 : Le segment de ralit associ
une squence est
sa rfrence
actuelle; l'ensemble
des conditions
caractrisant une
unit lexicale
est sa rfrence
virtuelle.
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nous concerne, nous dirons seulement que la
redondance
d'une unit
figurative slectionne (quel
que soit son
niveau) est
une
condition indis
pensable pour
que
se mette en place, dans un texte dit figuratif , un
effet d'iconicit.
Par
ailleurs, toute
redondance
smantique de
cet
ordre
impose la
premire
occurrence
de
l'unit
figurative
en question comme
support des
occurrences ultrieures,
leur
point de
rfrence oblig : ce
faisant,
puisqu'elles
continuent
en
mobiliser
les
virtualits,
elles
en
garantissent la densit smique;
elles en
augmentent mme au fil des
spcialisations
qu'elles
apportent
et des nouvelles isotopies qu'elles
dclenchent, la consistance initiale. L'isotopisation
ne
fait donc
pas
que
maintenir un
continuum homogne
de signification;
elle est en
elle-
mme une procdure dynamique; elle renforce constamment,
par
l al
imentation continue des pans
de figures qu'elle slectionne,
et par le
bombardement de rfrentialisation qu'elle
opre
en
amont, les
effets de
rel
auxquels s'abandonne
la lecture
6.
2. Le
second
mode
majeur
de
rfrentialisation est constitu par
les
dbrayages internes au discours, par lesquels
se trouve
assur
notamment
le
passage d'une
unit
discursive
l'autre.
L'analyse
littraire
tradition
nelle
onnat
bien ces units, qu'elle
manipule depuis
des sicles :
des
cription , dialogue ,
rcit
, monologue intrieur , comment
ire,
discours
indirect , etc.
Mais elle
s'intresse peu au fait que ces
units
ne
se
distinguent
pas seulement entre elles par ce
qu'elles
disent,
mais aussi
par leur mode de dire :
en
d'autres termes, par
tout
un
jeu
de
distances tablies
entre
l'nonciateur et le discours qu'il
produit. Ces
distances sont analysables en
smiotique
partir
des procdures de
dbrayage et d'embrayage : un embrayage actoriel
permet
de passer
du
rcit
par
exemple, au
dialogue
;
un
dbrayage spatial permettra
de
dcrocher
du
rcit
pour revenir
la
description
;
un
dbrayage
temporel
assurera
le
retour
de
la
description
au
rcit
,
etc. Bref,
nous n'allons
pas entrer ici dans
les
dtails complexes de ces
oprations;
nous
voulons
seulement insister sur l'effet global de sens que leur mode
de
succession
entrane,
prcisment parce qu'il ne s'agit pas
seulement
d'un dispositif linaire de succession,
mais
bien plutt d'un
systme
de
transformations des units les
unes
dans les autres 7. Dans cette pers
pective,
chaque
dbrayage interne s'appuie sur une situation
nonce
qui
devient du mme coup sa rfrence; lorsqu'il produit un discours au
second degr, le dbrayage rfrentialise donc 1
nonc
partir
duquel
il
s'effectue et instaure ainsi,
l'intrieur mme des
jeux
de discours,
un effet de ralit
-
li
en
somme
l'enchanement
rfrentialise,
etrfrentialisant,
des
simulacres.
3. Le
troisime mode de rfrentialisation
a un
caractre
plus
direc
tement
instrumental :
en
tant
que
tel, il se
trouve
l'uvre dans les
deux prcdents. Il s'agit,
en effet,
de
Yanaphorisation.
L'anaphore,
d'un
6.
Il
serait intressant
cet gard
de se
pencher sur
l'effort de mmoire active qu'exige
le
commenc
ement
e
la lecture
d'un
rcit,
lorsque l'isotopisation en est encore
ses
dbuts
et
que les
repres
internes
manquent
pour fixer les
isotopies rfrentielles.
7.
Cet
effet
est mis en vidence en divers
points, par A.-J.
Greimas
et
J. Courtes,
Smiotique-
Dictionnaire..., op.
cit.,
cf.
entres
unit
,
dbrayage-embrayage
, rfrent , etc.
15
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
9/19
point de vue
linguistique,
peut tre dfinie
comme
la reprise d'un
lment du contexte par un autre lment qui
ne
serait pas
quivalent
au
premier
hors contexte 8 . Au sens strict,
l'anaphore
est un
lment
qui
n'a pas, par lui-mme,
de
rfrence
: seul un contexte,
explicite ou
non, lui permet
d'en
actualiser
une. C'est donc un lment qui se construit
une rfrence
au second
degr,
on
pourrait presque dire par dlgation.
Lorsqu'on
lit,
au
dbut de
Germinal.
(...)
Un
homme suivait seul la
grande route de Marchiennes
Montsou
(...).
Devant lui,
il
ne
voyait mme pas
le
sol noir
(...),
les lments anaphorisants
(lui
et il)
ne
se
constituent une
rfrence
qu'en s'appropriant celle du groupe
nominal
auquel ils renvoient : un
homme.
On
dit souvent, ainsi, que la relation anaphorique constitue un
cas particulier
de
co-rfrence.
Sa particularit
consiste dans la relation
a-symtrique
qu'elle
tablit entre les deux lments, alors que la co-
rfrence
ordinaire
implique une relation symtrique :
si
je
lis
Georges
Marchais
a
particip
l'mission X...; le
premier secrtaire
du
PC
a
expliqu...
,
il n'y a pas
entre les deux termes
souligns
de
relation
anaphorique
proprement dite mais une relation
symtrique de co-rf
rence
les deux termes peuvent indiffremment tre substitus
l'un
l'autre, ce qui n'est
pas le
cas dans la relation anaphorique 9.
A ce titre, la
distinction que nous
avons
tablie entre rfrenciation
et rfrentialisation parat opratoire : la reprise anaphorique consiste
rfrentialiser,
l'aide d'un
terme
condens, un lment de discours (qui
peut tre une unit lexicale, un syntagme
ou
une
squence) qui
rpond,
lui,
une
opration
de rfrenciation.
Si les
termes
en relation se trouvent
tous
deux
dots
d'une capacit smantique
de rfrenciation
autonome,
la possibilit d'une relation
anaphorique
relve alors d'un problme de
hirarchie smantique. Un
terme
gnrique peut anaphoriser
un terme
spcifique
mais non
l'inverse. Il
est
ainsi
possible
d interprter
la rf
rentialisation anaphorique dans
l'nonc
:
un
ouvrier errait sur le
che
min; l'homme tait sans travail ;
mais
l'inversion des termes
en
relation
interdit
en revanche
toute rfrentialisation
et l'nonc n'est
pas
accep
table un
homme
errait sur le chemin; l'ouvrier tait sans travail .
On voit ainsi que les problmes qui surgissent lorsqu'on envisage les
conditions
de la rfrentialisation anaphorique sont complexes et
nomb
reux. Il conviendrait d'y
ajouter ceux
qui concernent l'anaphorisation
anticipatrice
(ou
cataphorisation)
dont
l'examen
permettrait
de
rendre
compte d'un certain nombre de phnomnes discursifs essentiels dans la
littrature
romanesque qu'on
dsigne
littrairement
par des configura
tionsomme
celle
de la prmonition .
Nous situant
cependant
au-del des aspects spcifiquement tech
niques
de l'anaphore que nous
ne saurions
dvelopper ici, nous
aimerions,
8. H.
Portine, lments pour
une
grammaire
de renonciation. I.
L'Anaphore,
Paris, B.E.L.C, mul-
tigraphie,
1979,
p. 7.
9.
Pour une
analyse rigoureuse de ces problmes, cf. J.-C. Milner, Rflexions sur la rfrence ,
art. cit.,
pp. 67-72.
16
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
10/19
titre
d'exemple, indiquer
l'usage qu'en fait
le discours zolien
afin de
crer ses
effets rfrentiels. Examinons
donc
la
premire ligne du
roman.
Dans
la plaine rase, sous la nuit sans
toiles...
L'emploi
des
dterminants dfinis , la (2x), produit un effet de
flchage
10
anaphorique, lorsqu'on
pourrait attendre pour
un dbut de
roman
le
dterminant
d'extraction ,
une-une
(
Dans une
plaine
rase,
par une nuit sans
toiles... ).
Ce choix de
l'nonciateur
constitue une
opration de rfrentialisation : elle renvoie un
nonc antrieur absent
mais prsuppos
au moment mme de la lecture,
et
conforme au modle
de l'nonc inaugural
classique
des contes populaires : [il y avait
une
plaine, et
il
faisait nuit]. La vise rfrentielle ici est donc
double puisque,
d'une part,
les lexemes
plaine
et
nuit
construisent
une rfrencia-
tion en
renvoyant
une
reprsentation
du monde naturel,
et d'autre
part, ces
lexemes se
trouvent inscrits dans
une
rfrentialisation
un
discours implicite
qui
pose
comme
dj connues
-
comme
dj
introduites
dans l'univers
figuratif
et
la plaine
et
la
nuit.
L'nonc
initial ralise
donc
d'emble
l'effet
d'iconicit par le double
jeu de ces
procdures n.
Les rfrentialisations par isotopie, par dbrayage et par
anaphore
permettent donc de reconstituer, croyons-nous, certains des
mcanismes
essentiels de l'iconisation dans les discours figuratifs.
Ils
n'puisent sans
doute
pas,
loin de l,
la question.
De l'
illusion
rfrentielle , nous
n'avons
en
effet esquiss
que
le second
terme
de l'expression : resterait
analyser ce que
recouvre
le premier, l'illusion . De quel
ordre
est la
croyance trompeuse
qu'elle
tend susciter? Le
problme qui
se pose ici
ne peut
plus
tre envisag
seulement
partir
des procdures
internes
au
discours
:
il
s'tend
une
question
plus
vaste
et
englobante
qui
est
celle
de ce
qu'on
pourrait appeler la communication iconique.
Nous
prfrons
toutefois,
pour
ne
pas
dpasser
les limites de
notre
propos,
nous
en tenir l'analyse des processus
discursifs eux-mmes.
Aussi, pour illustrer le schma d'analyse que nous
venons
de proposer,
nous
allons
rechercher dans l'tude d'un bref
extrait
de Germinal les
diffrents
modes
de rfrentialisation
qu'il
met
en
uvre, susceptibles
de promouvoir cette fameuse iconicit.
10. Nous empruntons cette notion
A. Culioli, qui l'oppose, propos des
oprations
de dtermi
nation,
celle d' extraction ; cf. Notes
sur
dtermination
et
quantification: dfinition des oprations
d'extraction
et de flchage, Multigraphie,
Dpartement de
Recherches
Linguistiques, Paris VII,
1975.
11.
Puisque
le roman
raliste
vise
avant
tout
l'iconicit
-
du
moins premire
vue
-
le
problme
du comment
commencer?
est
de
taille;
c'est l
que
tout
se
joue.
Un certain nombre de procds ont
t mis en
uvre par
divers crivains (notamment
par
Zola) et
forment,
en raison de la
codification
implicite
qui
semble les rgir,
une
vritable rhtorique des dbuts de romans.
Ils
nous paraissent tous
fonds, en dfinitive,
sur
un principe gnral de rfrentialisation par lequel se trouve projet un amont
du
texte, susceptible d'estomper
la
brusquerie des incipit :
qu'il
s'agisse
d'une
anaphore ponctuelle,
comme c'est
le
cas de
Germinal,
de l'introduction par son patronyme d'un acteur suppos dj connu
et
identifi, comme on
le
trouve dans
L'Assommoir,
ou des configurations de Vattente ou de V
arrive
qui
prsupposent des
programmes narratifs
immdiatement antrieurs, comme
dans
La
Bte humaine,
ou
Pot-Bouille
par exemple, le principe appliqu
diffrents niveaux de l'analyse
reste le
mme. Plusieurs
tudes ont t consacres au problme de ces squences inaugurales; cf. en particulier les
articles
de
Ph.
Hamon
Un discours
contraint
, de H. Mitterand, Fonction narrative
et
fonction mimtique
et
de
J. Dubois,
Surcodage et protocole
de
lecture ,
dans
le
numro
16 de la revue Potique,
Seuil, 1973,
consacr au Discours raliste .
17
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
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3.
chantillon d analyse
[PI]
12
Alors,
en
courtes
phrases,
l'haleine
coupe,
tous
deux
conti
nurent se plaindre. Etienne racontait ses courses
inutiles
depuis
une
semaine;
[P2] il fallait donc crever
de
faim? Bientt
les
routes seraient pleines
de mendiants.
P3] Oui,
[P4]
disait le vieillard,
P3]
a
finirait
par
mal tourner, car il n'tait pas Dieu permis de jeter
tant
de chrtiens la rue.
[P5] On n'a pas de la viande tous les jours.
[P6] - Encore
si
l'on avait du pain
[P7] -C'est vrai, si
l'on
avait du
pain seulement
[P8]
Leurs
voix
se
perdaient,
des
bourrasques
emportaient
les mots
dans
un hurlement
mlancolique.
r-(P9]
Tenez
[P10]
reprit trs haut le
charretier
en se
tournant
vers
le midi,
9] Montsou est l...
3.1. La rfrentialisation discursive
Zola est, comme
on
sait,
un
des
premiers
crivains
avoir
syst
matis
(aprs
Flaubert) l'usage
du discours
indirect
libre,
au
point
d'en
faire
une
des caractristiques
les plus
manifestes
de l'criture natural
iste
.
A vrai dire, c'est moins
l'usage de cette
forme
du discours
en
elle-
mme qui
est remarquable,
que
la
diversit
et
l'entrecroisement
des
formes diffrentes : discours
direct,
discours indirect, discours indirect
libre avec
ou
sans verbe introducteur
en
incidente... Et pourtant, dsigner
de cette
manire
les
formes
du
discours n'explique en soi
pas grand
chose,
en
dehors de la reconnaissance des
marques linguistiques
(temps
et modes des
verbes,
marques personnelles,
signes typographiques, etc.)
qui
les distinguent. Les instruments de description utiliss
paraissent en
dfinitive
fort
allusifs lorsque, dpassant le cadre
strictement
linguistique,
on
entend les
utiliser
dans
une
analyse
discursive
:
il
est
vrai, en
effet,
que la signification
globale
que ces
formes
produisent rsulte davantage
du
mode de leur agencement qui
doit
donc tre dcrit - que de leur
type
proprement
dit.
Pour
ces
diverses raisons, il
nous
parat
plus
prcis
d'en
envisager
l'tude
partir
des
notions
smiotiques
que nous
avons
dj
dfinies
: nous prfrons donc parler leur sujet de dbrayages
actantiels de
prise en
charge du discours,
marquant
ainsi la structure
12.
Nous dsignons
ici
par
[PI, P2, Pn...]
non
pas les phrases, mais les segments de prise en charge.
Le passage
cit est
extrait du premier chapitre du roman de Zola, le Livre de poche (n 145), pp.
10-
11.
18
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
12/19
smio-narrative
qui
est
sous-jacente la diversit de ces
formes. Par
ailleurs, leur intrication extraordinaire,
telle qu'on
peut l'observer dans
l extrait ci-dessus, a pour effet de multiplier partir de dcalages parfois
tnus
le
travail
de
la
rfrentialisation
et d'accentuer
du mme coup
la dimension
iconique du
discours.
Il
nous parat enfin
que les autres
modes
de
rfrentialisation
-
ceux
qui
se
construisent
par
isotopie
et
par
anaphore
se trouvent
en
quelque sorte
encadrs par
le systme
majeur
des
dbrayages
actantiels. Nous
les
examinerons donc
ultrieurement.
En
aval du
dbrayage nonciatif par lequel
s'institue
tout discours,
le texte lui-mme peut tre la
scne
de
dbrayages
et d'embrayages internes.
Ces
procdures
du deuxime
degr fonctionnent
de
manire
analogue
celle du premier degr, dont elles sont
en
quelque sorte le dcalque exact.
Ici, dans [PI] la procdure initiale aboutit selon toute
apparence
un
dbrayage strict :
l'instance
de prise
en
charge du discours, le narrateur
(not dornavant Sj), semble
totalement
efface,
conformment
d'ailleurs
aux
prceptes
affichs
de l'criture
naturaliste
13.
Nous
verrons
tout
de suite
que
ce
pseudo-effacement
n'est
jamais
ni
si
pur
ni
si
tanche
qu'il
y
parat.
En dehors
de
Sj,
les actants de prise
en
charge
sont dans cet extrait
l'acteur
Etienne
Lantier (S2)
et l'acteur
Bonnemort ,
le
vieillard
(S3). Tout se
passe
donc
premire vue
comme s'il y avait
une
succession
de
tours
de
paroles
entre S^
S2 et S3.
Or,
la
ralit
discursive est
loin
d'tre
aussi simple.
Entre
le discours dbray
de
Sj [PI] et
les
discours
embrays des deux acteurs, que manifeste
l'change
dialogu,
il
y a
des strates intermdiaires :
celles
que recouvre prcisment la notion de
discours
indirect,
et
que ralisent les segments [P2]
et [P3]. Les diffrents
modes d'effectuation
du
discours indirect
nous
paraissent
pouvoir tre
interprts comme des dbrayages actantiels de prise
en charge;
ils
modulent
de
manire
progressive
les
disjonctions actantielles.
Le
passage
de
[PI]
[P2] ( il fallait
donc
crever
de
faim? bientt
les
routes seraient pleines de mendiants ), peut tre analys, selon nous,
comme
un
semi-dbrayage
: on
ne
saute pas,
en
effet, du discours de
S,
celui
de
S2 comme
si
le
premier abandonnait
d'un seul coup au
second
toute
l'initiative discursive;
on
y passe
progressivement
par le
biais d'une
collaboration nonciative.
Dans l'nonc au style indirect, Sj
poursuit son propre discours auquel
il
vient superposer
celui
de S2.
On
assiste bien alors un ddoublement de
l'instance
nonciatrice : les deux
actants
S, et S2 prennent
en
charge ensemble le
segment discursif
qui
commence par ces
mots,
il
fallait
donc crever de faim... . La commun
aut
'instanciation qui
se
met
ici
en
place
nous parat
fondamentale,
car
le discours indirect
s'institue de
la
sorte
comme
un
systme
de
rfrentialisation actantielle rciproque.
Le
phnomne
est encore
plus
significatif dans le
segment
suivant
[P3],
o
il
trouve
une
modulation
supplmentaire. La rponse du vieillard
se
situe sur le
mme
plan
que
l'nonc
d'Etienne;
en elle
se
conjuguent
les deux sujets
d'nonciation Sj et
S3,
et
nous
avons affaire comme pr-
13.
Le
naturalisme ne se prononce
pas,
il examine. Il
dcrit.
Il dit : cela est , E.
Zola,
Le
roman
exprimental.
19
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
13/19
cdemment un semi-dbrayage de
Sj.
Cette fois, cependant, le discours
de
Sj resurgit en [P4] par l'introduction en incidente
de
la proposition :
disait le vieillard . On peut considrer que, de
cette
manire, se creuse
l'cart entre les deux sujets, le discours de S3 allant alors vers
une plus
grande autonomie.
Le
dbrayage d'une instance l'autre est consomm
dans
l'nonc
de
S3
au discours
direct,
qui
constitue
la
base
de
l'change
dialogu entre S3 et S2
[P5,
P6 et
P7].
Au
terme
de cet change, [P8]
rsulte d'un
nouveau dbrayage
qui rinstalle le discours descriptif de
S
j. Enfin, entre [P9]
et [10] l'cart est maximum
entre
le
discours embray
de
S3 ( Tenez ) et celui
du narrateur, Sx
(
reprit
trs
haut
le charret
ier), qui s'intercale entre ses deux segments.
On
voit ainsi comment, l'intrieur
d'un extrait remarquablement
court,
les
diffrents modes
de prise
en
charge
discursive sont
susceptibles
de donner lieu
un nombre lev de combinaisons. Chacune d'elles
repose bien entendu sur un
agencement particulier des
dbrayages
et
embrayages qui mettent en scne soit
le
narrateur (S^, soit
l'acteur
(S2),
soit
les
deux instances
conjugues
(Si/S2), soit
les deux
instances
en
successivit (Sj
+
S2), soit les deux instances intercales (S2
+
S, 4- S2).
Nous pouvons
ainsi tablir la
liste
de ces
formes,
avec leurs correspon
dantsans la terminologie classique,
accompagns
d'un exemple :
d(S,)
d(S2)
d (S, + S2)
d (S2 + S, + S2)
d (S,/S2)
d
(S, + S,/S2)
d (S,/S2
+ S,
+ S,/S2)
discours descriptif/narratif
discours direct (dialogue
ou
monologue)
discours direct
introduit par un
discours descriptif
discours
direct
avec proposition
introductrice
intercale
discours indirect
libre
discours indirect introduit par
une proposition
descriptive
discours indirect libre
avec
pro
position introductrice
intercale
(en incidente)
Alors tous deux continurent
se
plaindre.
-
On n'a
pas de la
viande
tous
les
jours.
Etienne
se
demandait
: il faut
donc crever de faim?
-
Tenez
reprit le
charretier,
Montsou
est l...
II fallait donc
crever de faim
Etienne
se
demandait s'il fal
lait donc crever
de faim
Oui,
disait
le vieillard, a fini
rait pas
mal tourner
Le
jeu
de ces
multiples
variations
renvoie, nous semble-t-il,
trois
procdures
de
dbrayage
essentielles
: il y a la
procdure simple (discours
de S, ou discours de S2), la
procdure
par mdiation qui aboutit l'non-
ciation conjugue
de Sj
et
de
S2
(discours indirect)
et
la procdure par
intercalation
o le discours
de S, prend
place
au sein du discours cit
(quelle que soit
sa
forme) de
S2.
La
manipulation rapproche
de
ces
diverses
possibilits
produit d'abord un effet de
chass-crois
des instances
nonciatrices.
Mais elle produit plus
aussi
: elle
impose
un systme d qui
valence actantielle entre le narrateur et
les
acteurs. Le premier, lorsqu'il
se dfait ainsi de son discours au profit de celui des personnages, modifie
20
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
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son
propre
statut
:
en
s'installant
comme
une rfrence
commune
dans
le discours
indirect libre,
il
parat
partager le statut nonciatif des
acteurs
noncs, et
se trouve rfrentialis au mme titre
qu'eux.
Ces derniers,
pour leur
part,
troitement
intriqus au
discours du narrateur, reoivent
en retour le coefficient
d'existence (relatif
la
matrise
cognitive
de
l'univers figuratif)
qui
lui revient
en
propre. C'est ainsi que la source
relle
(le
narrateur
et,
en
amont,
l'nonciateur
proprement
dit)
et
les
sources fictives de la parole
(les
personnages)
se trouvent rapproches,
voire confondues. En
conjuguant
leurs fonctions respectives,
l'crivain
naturaliste
impose
entre
elles
une
solidarit organique, lie aux
contraintes et aux possibilits
du
langage.
Les
mcanismes
dmultiplis
de la prise
en
charge discursive produisent, ou du moins renforcent
considrablement,
l'effet
d'iconisation actorielle
:
l'une des qualifications
majeures
de
l'acteur anthropomorphe est
bien,
en effet, celle
de
sa compt
ence iscursive propre.
D'un autre ct, la
succession
rapide des units de discours
augmente
d'autant
le
nombre
des
processus
effectifs
de rfrentialisation, puisque
chacune d'elles,
si
brve
soit-elle, devient
instantanment le
support
rfrentiel de celle qui suit. C'est de ces
jeux
rciproques
que
nous pro
posons, ci-dessous,
une
reprsentation
graphique.
S En. /
dbrayage
nonciatif
discours
du
narrateur i -i-
P4(S1)
LES DBRAYAGES ACTANTIELS DE
PRISE
EN
CHARGE
("Germinal",
extrait
pp. 10-11 )
P8(S1)
PlO(Sl)
discours
direct
P6(S2)
3.2.
La
rfrentialisation
par
isotopie
Ces processus, bien
entendu,
ne
s'arrtent
pas
aux seules rfren-
tialisations
actantielles
et l'iconisation des
personnages
;
ils
concernent
aussi, selon d'autres
modes, les
diverses dimensions smantiques et syn
taxiques du contenu qui se trouvent
toutefois, comme
on
l'a not
plus
haut,
encadres
par le systme des dbrayages discursifs. A propos du
fonctionnement interne
des
isotopies, nous
n
voquerons dans cette
ana
lyse
que
deux
aspects
propres
montrer
avec
assez
de prcision comment
les significations se trouvent assembles et maintenues les unes par les
21
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
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autres,
comme
s'il
fallait
pour
prix
de leur efficacit
que se trouve
jugul leur
panchement linaire et alatoire.
Le
dialogue
entre les deux
acteurs,
sous les deux
formes discursives
distinctes
qui
le manifestent, est
remarquablement
redondant : Etienne
et le
charretier disent
et l'autre la
mme chose
comme si la
rfrentialisation
du
discours
du premier
dans le discours
du
second tait
le
moyen
d'assurer
leur
communaut
d'existence.
De
fait,
la redondance
smantique
de leurs propos impose progressivement les deux acteurs
comme
les fragments
d'un
sujet
collectif:
l'identification
s'opre par la
slection des mmes isotopies. Ils passent du statut d' units intgrales
discrtes,
chacun possdant
les
traits d'individuation qui
lui
sont
propres,
celui
de totalit partitive lorsque, ayant abandonn l'intgrit de
leurs
traits,
ils
n'en slectionnent
qu'une partie
partir de
laquelle
ils
se
constituent
comme
une
nouvelle
totalit
fonde
sur les traits qu'ils
possdent
en commun
14 : cette
nouvelle
totalit partitive , qui les
constitue
comme appartenant
une mme
classe (la classe
ouvrire) se
ralise par l'nonc monologique assum successivement par
les deux
acteurs :
Si
l'on avait
du
pain
En y regardant d'un peu
plus
prs,
on
s'aperoit
que
les traits
slectionns pour
former l'actant
collectif se rpartissent
en
deux
isotopies
smantiques
distinctes qui
toutes
deux tablissent
l'tat
du
manque : la
premire, correspondant
l'univers
individuel,
peut tre
dcrite
comme
le
manque
alimentaire
(il
=
/faim/); la seconde, correspondant
l uni
vers collectif, se
dfinit
par le manque de
travail
(i2
= /chmage/).
Dans
la
premire
s'inscrivent
les
noncs suivants :
11
/faim/ : -
il fallait
donc crever de
faim?
-
On n'a pas de la viande tous les
jours.
-
Encore,
si
l'on
avait
du
pain
- C'est vrai, si
l'on
avait du pain seulement
Et, dans la seconde :
12 /chmage/ : -
bientt
les routes seraient pleines de mendiants.
a
finirait par
mal tourner,
car
il n'tait pas Dieu permis
de jeter tant de chrtiens
la rue.
Or,
et
c'est
cela qui
nous intresse ici, on
s'aperoit
que les deux
premires occurrences de
il et
les deux occurrences de i2 s'agencent,
indpendamment
de
la
relation
causale
qui
les
relie,
selon
la
structure
croise
d'un chiasme smantique
:
il
>
i2,
puis i2 >
il.
Le premier
nonc
du
vieillard
rpond
au second
du jeune
homme et le second
de
celui-l
reprend
le
premier de celui-ci,
comme si ce dcalage par lequel
les
isotopies
resserrent
leurs rfrentialisations rciproques,
constituait
une tape prliminaire l'tablissement de l'isotopie commune dans
laquelle vont
fusionner les deux sujets. Nous n'allons pas nous
attarder
14. Cf. A.-J. Greimas
et
E. Landowski, dans
L'analyse
smiotique d'un discours
juridique
(A.-J. Greimas, Smiotique
et
Sciences
Sociales, Paris, Le
Seuil, 1976, pp. 79-127).
22
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
16/19
sur
cette
analyse qui pourrait tre pousse
plus
loin (notamment au
niveau des
liens de prsupposition
logique et
de
l'usage
de
la parataxe) :
l'esquisse que
nous en proposons suffit montrer comment
un
discours
romanesque
aussi
rapide
en apparence
que
celui
de
Zola n'en
tisse
pas
moins des
rseaux
internes
tout aussi
serrs que ceux
qu'on
a coutume
de reconnatre
et d'analyser
l'intrieur
des
textes
potiques
: c'est ce
prix,
croyons-nous,
qu'il
dgage
son
coefficient
d'iconicit.
Le
deuxime
phnomne
de rfrentialisation par isotopie concerne
le seul discours descriptif du narrateur : entre [PI]
et [P8] s'tablit en
effet
une corrlation fonde
sur l'isotopie
de
la /plainte/. Cette
corrlation,
courante
il
est vrai depuis la
potique impose
par le Romantisme,
fait
de la /plainte/ un trait isotopant (Greimas) entre le discours des
acteurs humains ( tous deux continuaient se
plaindre
) et celui d'un
vent
anthropomorphis (
les
bourrasques emportaient
les mots dans un
hurlement
mlancolique
). A
dire vrai, cette
relation
isotope entre les
deux
discours va sensiblement
plus
loin : l'acteur
vent
y occupe la
position actantielle d'un anti-sujet
dont
le
parcours
s'oppose
celui
des
deux interlocuteurs :
il
leur
coupe
l'haleine .
Ce faisant,
il
rfrentialise
leur discours
en
justifiant
les courtes phrases et
en
faisant
paratre
naturelle la reprise
en
charge de la description par le narrateur
en
[P8].
Entre
l'acteur
cosmique
et
les acteurs
humains
le rapport de rfrentia
lisationst
donc
double
et paradoxal : il est de solidarit axiologique,
les
deux discours
tant
marqus dysphoriquement, et il est de contradiction
narrative, les deux parcours apparaissant comme antagonistes.
3.3.
La rfrentialisation anaphorique
Au-del
des
anaphores
explicites
qui
assurent la
liaison
entre
les
noncs, il
nous
semble
possible
d'invoquer l'existence de procdures de
reprise
et d'anticipation
qui renvoient une conception largie de l'ana-
phorisation smantique :
de telles procdures,
correspondant
des
fl
chages
largement implicites,
n'ont pas, c'est le moins qu'on puisse dire,
un
statut thorique
solidement
assur; c'est pourquoi,
bien
qu'il y
ait
l
des
phnomnes sous-jacents
non ngligeables, nous devons envisager cet
largissement du concept d'anaphonsation avec une grande
prudence.
Pour les
premires,
il est ais de reconnatre les anaphores
classiques
de rfrentialisation dans tous deux continurent
se
plaindre
, et
dans leurs voix se perdaient... ; de mme, Etienne
et
le (vieillard) ,
le
(charretier)
renvoient,
dans
l'amont
du
texte,
des
extractions
dj
effectues; par ailleurs,
on
peut aussi noter
une
occurrence de lexicali
sation o-rfrentielle entre vieillard
et
charretier . La
seule conclu
sion
ue
nous pouvons tirer
de ces faits
est d'ordre
quantitatif.
L' hy
pertrophie des procds anaphoriques
a dj
depuis longtemps t
dcele
comme
une
des
proprits
majeures
de
la communication
qui
caract
risent
e
texte
raliste-lisible
1S.
15.
Ph.
Hamon,
Un discours
contraint ,
in
Potique, n"
16, 1973, op. cit.,
p. 423 : L'hypertrophie
des procds anaphoriques et de la redondance du texte vise essentiellement
assurer la
cohsion
et la
dsambigusation de l'information
vhicule,
ceci
en
mettant
en corrlation des
units disjointes du
23
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
17/19
Plus
dlicats sont
les
phnomnes anaphoriques et
cataphoriques
qui
ne
sont
pas
directement supports
par des
marques
lexicales spci
fiques. Dans
l'extrait que nous tudions, ils concernent deux
segments
partir
desquels le
lecteur
est amen
construire
des inferences complexes.
Tout
d'abord, dans l'nonc des
courses inutiles
et l'vocation
de
la
faim qui leur est
associe
se trouve
condense une squence
narrative
tendue
qui
est
du
mme coup
rfrentialise
dans la seule
dnomination
que
le
texte manifeste ici. Cette
squence s'articule en
programmes de
qute rpts (cf. la multiplication des
PN),
chaque
fois sanctionns par
un
chec,
et
se situe quelques
paragraphes
plus
haut l'intrieur d'une
unit
dite
de
monologue
intrieur
qui
intgre elle-mme
celle d'un
micro-rcit. Ce dernier, parfaitement clos, se
dploie
conformment
l'ordre des preuves
du
schma
canonique
et peut tre
interprt
comme
un parcours ngatif de dmodalisation
du sujet (pp.
9-10) :
il
songeait lui, son existence de vagabond,
depuis
huit
jours
qu'il
cherchait une
place;
il
se
\
revoyait
dans
son
atelier du chemin
de fer,
giflant
>
preuve qualifiante
son
chef,
chass de Lille, chass
de
partout;
le
'
samedi,
il tait
arriv Marchiennes, o
Ton
\
disait qu'il
y
avait du travail
aux
Forges; et rien, > preuve principale
ni aux Forges, ni
chez
Sonneville, il avait d '
passer le
dimanche
cach sous les bois d'un chan- \
tier de charronnage,
dont
le surveillant
venait
de > sanction
l'expulser,
deux
heures
de
la
nuit. Rien, plus
'
un sou, pas mme une crote;
(...)
On
voit
que
les
courses
inutiles
n'induisent
pas un
simple
ph
nomne de catalyse
u'
:
le
syntagme
est
bien dans une relation d qui
valence
smantique,
exacte
et
complte avec
l'ensemble
de la squence
cite; il en
contient
la
structure
syntaxique et en prsuppose l'explicitation
antrieure.
C'est la raison
pour
laquelle il
nous semble opportun de parler
son propos d'un
phnomne
d'anaphorisation.
Le deuxime segment qui nous intresse
est
constitu de la
double
rplique : Si l'on avait
du
pain
Cet nonc
revient
trois reprises
l'intrieur
du premier
chapitre, qu'il scande la
manire
d'un
leitmotiv.
Pour cette raison,
il
pourrait sembler prfrable de
parler
son propos
d'une simple
redondance
plutt que d'y voir la
trace
d'un processus
anaphorique.
N'apportant
aucune
information
nouvelle
chacun
des
interlocuteurs, ces
rpliques
n'ont qu'une
fonction phatique;
elles per
mettent
de maintenir entre eux
le
contact
et
de cimenter,
en le
rfren-
tialisant, la solidarit
de leur destin
: c'est cet nonc
qui
fonde,
ainsi
mme nonc un mme
niveau linguistique, des
niveaux
linguistiques
diffrents du mme
nonc,
ou
des
lments de deux noncs distincts.
Pour
notre part, plutt que d'envisager la
question
sous l'angle
de l'information , nous prfrons parler d'oprations qui visent
le
maintien rigoureux d'un continuum
rfrentiel intradiscursif.
16 Exploitation des lments elliptiques qui manquent dans la structure de surface. Cette pro
cdure s'effectue
l'aide
d'lments contextuels
manifests
et
grce aux relations de prsupposition qu'ils
entretiennent
avec les lments implicites , A.-J.
Greimas,
J. Courtes, Dictionnaire,
op.
cit., p. 33.
24
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
18/19
que
nous l'avons
vu plus haut,
la
constitution de
l'actant
collectif. Or,
ce titre justement, il exerce
une fonction
cataphorique puisqu'il est
en
effet prmonitoire du slogan qui,
quinze reprises, rythmera la grande
manifestation des mineurs dans la
cinquime
partie du livre : Du pain
du
pain
du
pain
(chapitre
4,
5
et 6) ; le slogan peut globalement tre
interprt
comme l'nonc
par
lequel
le sujet collectif se pose
et
s'identifie
en tant
que
tel.
On
pourra
mme
noter
l'isotopie
sur
le
plan
du signifiant
qui organise de la mme manire les deux formes de la manifestation :
deux
hexamtres
structure ternaire.
Mais c'est la seconde occurrence
cette fois qui se trouve
rfrentialise
par la premire,
et
qui
en
est
l'expansion acheve.
De
tels
phnomnes
cataphoriques,
dont nous signa
lons
ci un exemple,
sont trs nombreux dans
Germinal
et pourraient
justifier eux seuls
une tude
spare. Nous pensons, entre autres,
la
mtaphore
directrice
de la germination, dont la premire apparition est
signaler
au chapitre 5 de
la
premire partie : une
rbellion
germait
(p. 62); ou encore
cette
haine
d'instinct
(p. 39)
qui
flambe
subitement
entre
le
hros
et
son
futur antagoniste, Chaval. L'ensemble
de ces
rela
tions
tisse
la
surface du
texte
un
rseau
extrmement
serr
de
rfrences
internes qui
confirment
que
c'est par
ce moyen mme que se trouve
construite
et tanchifie l'iconicit caractristique de l'criture ra
liste.
3.4.
Un
effet
de rfrenciation : l'nonc sociolectal
A
ces
multiples mcanismes
de rfrentialisation,
il convient encore
d'ajouter l'usage des formes
sociolectales
du discours, qui
relvent
selon
les
dfinitions
que nous
avons
adoptes de l'opration de rfrenciation.
Au
service
du
faire
paratre
vrai
, ces
formes
compltent
la
manire
d'une
modalisation
de surface l'identification
des
acteurs qui
en
assument
l'nonc : elles signalent leur
appartenance
socio-culturelle. Crever de
faim , a finirait par mal tourner ,
il
n'tait pas Dieu
permis
, jeter
tant
de
chrtiens la
rue
imposent
la fois l'iconisation
de
l'acteur
et celle
de
l'univers
de
rfrence.
Il
est
d'ailleurs intressant de
noter
que ce sont l
des
expressions
figes, des
noncs collectifs strotyps
reproduits tels quels,
dicibles
par n'importe quel membre
du groupe,
et
donc
emblmatiques
de l'univers
qu'ils
dsignent. Dans ce sens ils
n'appartiennent pas aux
sujets qui
en sont
les porteurs, au contraire
:
ce
sont
les
sujets
qui
leur appartiennent,
et
qui
se
trouvent
en
quelque
sorte
ports par eux.
Notons
aussi
que,
paralllement
la norme socio-culturelle qui se
dessine
ici, l'effet
d'authenticit est notablement
renforc
par la manire
dont ces noncs se trouvent insrs dans le discours indirect
libre
et
donc combins avec
renonciation
du narrateur : de la sorte, la
coupure
entre les diffrents niveaux de
langue
est
sensiblement attnue,
et
leur intrication mme
les
impose comme
un
plan
isotope. Il
est vrai
que
ce dernier aspect relve de la rfrentialisation intra-discursive.
25
-
7/25/2019 Bertrand - Smiotique Du Discours Et Lecture Des Textes
19/19
4. Conclusion
Nous
avons
donc eu
tout le
loisir
d'examiner
l'importance
des mca
nismes dont
l'troite
combinaison
permet
de
produire
et
de
maintenir
l'effet d'iconicit mimtique, comme le palier le
plus
superficiel
de
la
signification figurative.
On
objectera peut-tre que
l'exemple
choisi, tir
du corpus raliste , confirme trop aisment les principes de
l'analyse.
Une
telle
objection
nos
yeux est
sans fondement puisque nous tentons
prcisment d'articuler notre rflexion
en
dehors des
prjugs
typolo
giques qui
sont d'ordre historico-culturel
relatifs aux genres
d'cri
ture.
Nous
pouvons
seulement dire
que le texte
de
Zola
exploite un
certain
ordre
de relations entre les
oprations
de rfrenciation
et
de rfren-
tialisation, qui concourent ensemble
un effet global de
conformit
avec
l'exprience
du monde
naturel; cet
ordre de relation fonde la spcificit
d'une
potique
,
mais
il
n'est
en
rien
exclusif. Si on
envisage,
par
exemple,
le clbre rcit
de J. Supervielle,
L'Enfant
de
la
haute
mer,
on
observera aisment que c'est entre les deux types d'oprations que la
relation
est
diffrente : le jeu des rfrentialisations intra-discursives y
tisse
bien
le continuum smantique ncessaire au cheminement
homo
gne t
isotope
de la lecture,
mais
il se dploie sur la
base
d'un rseau
de
rfrenciations
non conforme aux relations qu'impose
une
smiotique
du monde naturel (un
village
flottant
au
milieu de l'ocan et, aussi bien,
l'ensemble des
actes excuts
par la petite
fille). Entre les contraintes
serres des premires et
les
bances des secondes s'labore la formation
particulire d'un univers smantique.
Le
cadre
d'analyse
que nous
esquis
sons
insi
est
bien entendu
trs
large
et
ne
saurait
tre
exploit
tel
quel.
Mais il
prsente, croyons-nous, quelques
avantages
non
ngligeables : tout
d'abord, il
permet de regrouper, d'intgrer
et
de rinstaller
dans le
tram
du discours un grand nombre de phnomnes
envisags
le plus souvent
de
manire ponctuelle et disparate; il
se dploie, deuxime avantage,
en
parfaite conformit avec
le
principe
d'immanence dans lequel l'analyse
smiotique
engage sa pertinence globale, et
rend
aise, au niveau des
structures
discursives (du
palier figuratif, notamment)
et
celui
des
enchanements
d'noncs, l'mergence
des structures smio-narratives
qui leur sont sous-jacentes. En troisime lieu, enfin, il propose
une
simul
ation
de l'activit de
rception du
lecteur
conue
comme
une activit
de
construction
signifiante
sans
qu'il
soit
ncessaire
pour
autant
de
convo
quer
'image d'un
lector in
fabula
(U. Eco).
26