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  • Universit Paris Ouest Nanterre La Dfense, Mines ParisTech, ESCP

    Mmoire prsent pour obtenir le diplme de

    MASTER 2 RECHERCHE Mention SCIENCES DE GESTION Spcialit MANAGEMENT DES ORGANISATIONS ET DES POLITIQUES PUBLIQUES

    La conception innovante lappui dune gestion collective des services cosystmiques Etude dun cas de mise en uvre de Natura 2000 en plaine cralire

    Elsa Berthet

    - Session de septembre 2010 - Sous la direction de : Patrick Gibert (UPX) Vincent Bretagnolle (CNRS) Comit de suivi du mmoire : Blanche Segrestin (Mines ParisTech) Egizio Valceschini (INRA) Laurent Lapchin (INRA)

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    Remerciements Je tiens tout dabord remercier collectivement les membres du comit de suivi de ce mmoire, pour leur disponibilit, leurs conseils et leurs encouragements, qui mont permis de faire un travail aussi passionnant. Je tiens remercier en particulier Vincent Bretagnolle qui ma accueillie au Centre dtudes biologiques de Chiz, qui a consacr beaucoup de temps rpondre mes questions et relire le mmoire. Je remercie Blanche Segrestin pour mavoir apport les outils mthodologiques indispensables la conduite de cette recherche. Un grand merci galement Egizio Valceschini pour mavoir aiguille des moments critiques et Laurent Lapchin sans qui ce stage naurait pas eu lieu. Je remercie Patrick Gibert qui a suivi lavancement de ce mmoire et ma fait part de conseils aviss. Je suis trs reconnaissante envers les personnes qui ont accept de participer aux entretiens, et qui souvent mont consacr beaucoup de temps. Je tiens par ailleurs remercier tous les tudiants et les chercheurs du CEBC que jai rencontrs au cours des quelques mois passs l-bas, avec qui jai pass de trs bons moments. Je remercie particulirement Mathieu Liaigre qui ma transmis beaucoup dinformations et de documents utiles pour le mmoire. Enfin un grand merci ma famille qui mencourage dans mes choix, et Fabien qui me soutient et maccompagne dans cette aventure.

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    Rsum Lvaluation des cosystmes pour le Millnaire (2005) a mis en vidence que les cosystmes rendaient un certains nombre de services dont bnficie lhumanit (production de nourriture, rgulation du climat, etc.), et quil tait ncessaire de grer ces services de faon durable. Or cet objet de gestion que sont les services cosystmiques pose des questions indites vu sa complexit, le manque de connaissances qui y est associ et le fait quil soulve un enjeu de bien commun. Le mmoire consiste en une analyse dtaille dun cas de mise en uvre dune politique communautaire dans une plaine dagriculture cralire intensive, visant concilier deux services antagonistes, la conservation de la biodiversit patrimoniale et la production agricole. Dans un premier temps, la conception des Directives Oiseaux et Habitats est retrace pour en comprendre les objectifs et les moyens prvus pour les atteindre. Puis un cas empirique est tudi, pour lequel la progression de la mise en uvre de la politique a consist surmonter diverses crises. Ltude rvle que le dispositif imagin par les concepteurs de la politique environnementale na pas t exactement suivi. Un acteur non prvu au dpart, le Centre dtudes Biologiques de Chiz (CNRS), a contribu surmonter diverses difficults inhrentes la mise en uvre de Natura 2000. Ce centre de recherche simplique dans la conservation de la biodiversit patrimoniale deux niveaux. Dune part il produit des connaissances scientifiques et les mobilise pour cibler des actions de conservation efficaces et acceptables. Dautre part il joue un rle dans le pilotage de laction collective au niveau du site Natura 2000 tudi. Ltude de ce cas, qui mobilise les thories de la conception, met en vidence que la mise en uvre dune politique publique dans un contexte de grande incertitude ncessite un processus de conception, pour lequel il faut mobiliser des acteurs comptents et mettre en place des mcanismes dapprentissage collectif. Lanalyse souligne la ncessit dadapter la mise en uvre et lvaluation de politiques publiques selon le degr dincertitude et de complexit de lobjet sur lequel elles portent. Enfin, de nouvelles perspectives sont formules pour instruire la question de la gestion des services cosystmiques en tant que bien commun.

    LUniversit de Paris-X nentend donner aucune approbation ou improbation aux opinions mises dans les mmoires : ces opinions doivent tre considres comme propres leur auteur.

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    Sommaire

    INTRODUCTION ................................................................................................................7

    METHODOLOGIE ............................................................................................................ 11

    I. LES DIRECTIVES OISEAUX ET HABITATS, UNE REPONSE DE LA COMMUNAUTE EUROPEENNE FACE AU DECLIN DE LA BIODIVERSITE ........ 13

    A. GERER LA BIODIVERSITE : EVOLUTION DES CONNAISSANCES ET DES OBJETS DE GESTION 13

    1. De la protection des espces la prise en compte de la diversit du vivant ............. 13 2. De nouveaux liens entre lcologie et les sciences sociales ..................................... 15

    B. LA MISE A LAGENDA DES ENJEUX DE PROTECTION DE LA NATURE DANS LES POLITIQUES ENVIRONNEMENTALES EUROPEENNES ................................................................................. 17

    1. Le contexte de llaboration et de ladoption des Directives Oiseaux et Habitats .... 17 2. Une procdure dtaille reposant sur une obligation de rsultats ........................... 18

    C. ANALYSE DES DIFFICULTES DE LA MISE EN UVRE DE NATURA 2000............................ 20 1. Une mise en uvre marque par de multiples crises ............................................... 20 2. Lincertitude et la complexit de la biodiversit, des obstacles la mise en uvre de la politique .................................................................................................................... 21 3. Natura 2000 en 2010 : valuations partielles et rsultats mitigs............................ 22

    D. LA MISE EN UVRE DE NATURA 2000 EN FRANCE ........................................................ 23 1. Une phase de dlimitation des sites marque par la contestation ............................ 23 2. Linstitutionnalisation de la concertation en rponse aux difficults de mise en uvre de Natura 2000 ................................................................................................... 26 3. La voie contractuelle, une autre tentative de rsolution des crises .......................... 28

    II. ANALYSE DUN CAS EMPIRIQUE : MISE EN PLACE DUNE GESTION COLLECTIVE DE LA BIODIVERSITE AU NIVEAU DUN SITE NATURA 2000 ................. 32

    A. LA MISE EN UVRE DE NATURA 2000 DANS LES DEUX-SEVRES : UNE SUCCESSION DE CRISES PEU A PEU RESOLUES ..................................................................................................................... 33

    1. A lorigine de laction : lintensification agricole vue comme une menace pour lavifaune de plaine ........................................................................................................................................ 33 2. Un premier enjeu, faire reconnatre lintrt cologique dun milieu fortement anthropis . 36 3. Dpasser la crise de coopration entre les acteurs du monde agricole et ceux de la protection de lavifaune de plaine.............................................................................................. 44

    B. LA CONCEPTION DACTIONS DE CONSERVATION DE LAVIFAUNE DE PLAINE ........................... 46 1. Limplication du centre de recherche en cologie dans llaboration progressive dactions de conservation ......................................................................................................................... 46 2. Les actions de conservation de loutarde, rsultats dun processus de conception .............. 51 3. Le changement dobjet, volution des programmes de recherche........................................ 63

    C. DE LA DESIGNATION DUN SITE NATURA 2000 A LA MISE EN PLACE DUNE ACTION COLLECTIVE 68

    1. Le pilotage de laction collective mis en place par le centre de recherche .......................... 69

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    2. Relire le rle de gestionnaire de site Natura 2000 comme celui dun organisateur du bien commun .................................................................................................................................... 76

    III. DISCUSSION : QUELQUES APPRENTISSAGES ISSUS DE CETTE ETUDE DE CAS ............ 78

    A. LIDENTIFICATION DUN MODELE CONCEPTUEL TRANSPOSABLE : LA PRAIRIE ........................ 78 B. REVISER LA FAON DEVALUER LES POLITIQUES PUBLIQUES .................................................. 80 C. DE LA CONSERVATION DESPECES PATRIMONIALES A LA GESTION DES SERVICES ECOSYSTEMIQUES ......................................................................................................................... 84

    CONCLUSION ............................................................................................................................................. 87

    BIBLIOGRAPHIE........................................................................................................................................ 88

    LISTE DES TABLEAUX ............................................................................................................................. 95

    LISTE DES FIGURES ................................................................................................................................. 95

    LISTE DES SIGLES ..................................................................................................................................... 96

    GLOSSAIRE ................................................................................................................................................. 97

    ANNEXES ..................................................................................................................................................... 98

    Annexe 1 : Liste des personnes interroges pour la ralisation du mmoire ............................... 99 Annexe 2 : Liste des MAET proposes en 2010 dans la zone des plaines et valles du Sud-est de Niort ....................................................................................................................................... 100 Annexe 3 : Fiche descriptive de la mesure territorialise PC_PVSD_AU1 : Implantation dune culture dintrt faunistique ........................................................................................... 101 Annexe 4 : La classification des services cosystmiques selon lEvaluation des cosystmes pour le millnaire (EEM, 2005) ....................................................................................................... 105 Annexe 5 : Statut de 24 services cosystmiques valus par lEEM (2005) ............................. 106

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    Introduction Au cours des cinquante dernires annes, lHomme a fortement modifi les cosystmes1, en grande partie pour satisfaire une demande croissante en matire de nourriture, deau douce, de bois, de fibre et dnergie, ce qui a entran une perte largement irrversible de la diversit biologique sur la Terre. La dgradation en cours des cosystmes entrane la perte de nombreux services dont bnficie lhumanit. LEvaluation des cosystmes pour le millnaire (2005) a identifi quatre grands types de services rendus par les cosystmes : des services dapprovisionnement (production de nourriture, de bois), de rgulation (pollinisation, squestration de carbone), culturels (biodiversit patrimoniale, lieux de rcration) et de soutien (cycles de lazote, du carbone). Le principe est que ces services reposent sur des fonctions cologiques, elles-mmes assures par l'activit biologique de certains groupes d'organismes prsents dans un cosystme. Une gestion inapproprie des cosystmes peut altrer fortement leurs fonctionnalits, donc la fourniture de services cosystmiques, alors qu linverse certaines formes de gestion peuvent se rvler bnfiques. Il est de plus en plus admis que lagriculture a une responsabilit forte vis--vis de la gestion durable des services cosystmiques. Certains affectent directement les rsultats de la production agricole (insectes auxiliaires des cultures), dautres concernent sa durabilit (limitation de lrosion des sols ou conservation des ressources gntiques), dautres nont pas de liens directs identifis (biodiversit patrimoniale). Cependant, il est difficile de se saisir de la notion de services cosystmiques en pratique, en situation daction et de gestion, aussi bien dans un cadre dintervention publique que collective. Ces services dpendent de facteurs htrognes (types dcosystmes, type dusage, etc.) et peuvent interagir entre eux de manire complexe et volutive (Bennett et al., 2009). De plus ces services ne sont pas forcment identifis, qualifis, pris en compte ni valoriss. Diverses classifications ont t proposes (EEM, 2005 ; Wallace, 2007 ; Le Roux et al., 2008) et des tentatives dvaluation conomique ont t ralises sur quelques services (Gallai et al., 2009 ; Sutton et Costanza, 2002), mais les services cosystmiques constituent encore un front de recherche mergeant dans diverses disciplines. La gestion de ces services implique donc de crer des connaissances sur leur identification, ainsi que sur la faon de les produire, les hirarchiser et les utiliser. Une autre difficult lie la gestion des services cosystmiques est que ce sont des ressources accessibles tous les membres d'une communaut, dont chacun peut bnficier sans que les autres membres puissent l'en empcher. Or le fait de favoriser la production de certains services cosystmiques peut en altrer la production dautres (Foley et al., 2005; EEM, 2005). Par exemple la production intensive de crales (service dapprovisionnement) a conduit la dgradation de services de rgulation tels que le maintien de la qualit de leau ou des insectes auxiliaires. En raison des mcanismes de trade-off2, il nest pas possible de produire tous les services que peut fournir un cosystme de faon illimite. Etant donn le caractre non-exclusif de lusage des services et le fait

    1 En cologie, un cosystme dsigne une entit fonctionnelle forme localement par un environnement physique et les organismes vivants qui le composent, en interaction les uns avec les autres 2 Compromis

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    que leur production nest pas illimite, on peut faire lhypothse que les services cosystmiques sont des biens communs. Certains services sont dailleurs directement lis la biodiversit qui est elle-mme un bien commun. Ainsi travailler sur la gestion des services cosystmiques soulve des questions de gestion des biens communs. Les biens communs font rfrence un domaine o il est difficile de dvelopper des moyens physiques ou institutionnels dexclure des bnficiaires, et o des problmes de sur-utilisation, de pollution, de disparition potentielle apparaissent en labsence de limitations dusages inventer et appliquer. Les conomistes distinguent les biens communs dont lutilisation est non-exclusive mais peut entraner des rivalits, des biens publics purs (par exemple lair), dont lutilisation est non-rivale et non-exclusive (Kaul et al., 2002). Un bien commun n'est pas divisible et son cot de production ne peut tre imput un individu en particulier, ce qui rend difficile sa valorisation conomique et sa gestion. Cette catgorie de biens rinterroge les fondements traditionnels de nombreuses disciplines, notamment le droit, lconomie, les sciences politiques et la sociologie, et soulvent des difficults non surmontes ce jour. La rflexion sur les biens communs sest surtout dveloppe partir de la publication en 1968 de larticle The Tragedy of the Commons du biologiste G. Hardin, qui dnonce lpuisement irrversible de ressources limites en situation daccs libre. Les diffrentes approches scientifiques de la notion de bien commun peuvent tre prsentes ainsi : cette notion est assimile pour certains celle dintrt gnral (notamment en sciences politiques), pour dautres celle de ressource commune (notamment en conomie) ou de valeur commune (en sociologie). De faon trs gnrale : les conomistes se sont interrogs sur le fonctionnement, les failles et les soutiens au march autour de ce type de bien. Les chercheurs en sciences politiques ont travaill sur la question de la gouvernance des biens communs : par qui et comment sont-ils gouverns, quelle est la place des Etats dans cette gouvernance ? Les sociologues ont cherch analyser les collectifs qui grent ces biens, leurs valeurs, leurs savoirs et les controverses qui les animent autour de la gestion de ces biens (Labatut, 2009). La gestion de biens communs tels que les services cosystmiques repose sur de multiples acteurs htrognes (individuels et collectifs, privs et publics), qui ont souvent des objectifs divergents. Ces acteurs font partie dorganisations distribues, plus ou moins coopratives, pour lesquelles il est difficile de dfinir qui gouverne, comment, et avec quelle lgitimit. Une chelle laquelle apprhender une telle action collective, qui permet de prendre en compte les interactions entre services cosystmiques, est celle du territoire. Le territoire est un concept utilis en sciences sociales pour apprhender des actions collectives transversales et trans-sectorielles. Il permet aussi de comprendre comment sont identifis des problmes et des modalits de rsolution locales. Se pose alors la question des modes de pilotage dune action collective permettant la gestion des services cosystmiques lchelle des territoires. Quels acteurs sont lgitimes pour la prendre en charge? Quels types dorganisations mettre en place ? Quel rle peuvent jouer les acteurs publics ? Les moyens envisags pour grer des biens communs sont gnralement de prserver ces ressources en interdisant les actions pouvant laltrer. Dans le cas complexe de la prservation des cosystmes et de leurs services, dautres voies doivent tre creuses ; la gestion de ces biens communs reste concevoir. Elle soulve des questions de qualification, de dfinition collective de ce bien commun. Ainsi, est-ce quaborder les services cosystmiques sous cet angle peut conduire dvelopper des clairages nouveaux par rapport aux approches classiques de gestion des biens communs ?

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    Les services cosystmiques tant une notion vaste et difficile apprhender en tant que telle, nous avons choisi dans le cadre de ce mmoire de cibler certains services seulement, dans le contexte dun cas dtude particulier. Dans la situation tudie, laction collective a pour objectif la production dun service culturel , la conservation de la biodiversit patrimoniale, conjointement avec le service d approvisionnement quest la production agricole. Lintensification de lagriculture ayant gnralement des consquences ngatives sur la survie des espces patrimoniales, la production simultane de ces deux services cosystmiques plutt antagonistes doit faire lobjet de compromis. Le service culturel consiste dans notre cas en la conservation dune espce doiseau patrimoniale dans les plaines cralires de Poitou-Charentes. Cette action est mene dans le cadre de la mise en uvre dune politique environnementale europenne : les Directives Oiseaux et Habitats conduisant la cration dun rseau de sites cologiques protgs lchelle europenne. Le rseau Natura 2000 couvre aujourdhui 17,6% du territoire europen3. La politique mene vise enrayer le dclin de la biodiversit en Europe, en ciblant la conservation despces et dhabitats dintrt cologique communautaire. En prcisant que les mesures prises en faveur de la biodiversit doivent tenir compte des exigences conomiques, sociales et culturelles, la Directive Habitats incite explorer des voies nouvelles par rapport la mise en place de rserves naturelles do les activits humaines sont exclues. La premire partie du mmoire est une mise en perspective historique de la prise de conscience des problmes lis la perte de biodiversit, et du contexte de llaboration de la politique europenne la plus ambitieuse ce jour en terme de protection de la nature. Elle dcrit la procdure envisage pour la mise en uvre du rseau Natura 2000 en Europe et plus spcifiquement en France. La mise en uvre de Natura 2000 a fait lobjet de crises qui ont marqu ses diffrentes tapes. Une synthse de la littrature reprend les principales difficults identifies et prsente un tat des lieux des valuations de la mise en uvre des Directives Oiseaux et Habitats ralises ce jour. La deuxime partie, plutt empirique, prsente une analyse dtaille dun cas de mise en uvre de Natura 2000 afin de comprendre les difficults rencontres et la faon dont celles-ci semblent avoir t surmontes. Lanalyse de la faon dont le site a t dsign, le plan de gestion ralis et les outils de mise en uvre dploys, rvle que le dispositif imagin par les concepteurs de la politique environnementale na pas t tout fait suivi. Un acteur non prvu au dpart, le Centre dtudes Biologiques de Chiz (CNRS), a contribu surmonter certaines difficults lies la mise en uvre de Natura 2000. Cet acteur sest impliqu dans laction de conservation de la biodiversit patrimoniale deux niveaux. Dune part il produit des connaissances scientifiques et les mobilise pour cibler des actions de conservation efficaces et acceptables. Dautre part il joue un rle dans le pilotage de laction collective au niveau du site Natura 2000 tudi. Lanalyse du rle de cet acteur repose sur deux hypothses: (i) Les actions mener pour atteindre les objectifs de conservation ntant pas connues, un processus de conception est ncessaire pour laborer des actions la fois efficaces sur le plan environnemental et acceptables socialement et conomiquement. (ii) Un enjeu-cl semble tre de passer de la gestion dun site cologique la gestion dun territoire, au sein duquel les actions des diffrents acteurs doivent tre coordonnes.

    3 Donnes issues du baromtre Natura 2000, DG Environnement de la Commission Europenne, 2009. Les sites marins ne sont pas pris en compte dans ce pourcentage.

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    La troisime partie du mmoire met en avant les lments gnriques que lon peut tirer de cette tude de cas, en mobilisant une approche par la conception. Elle identifie un levier dapprentissage collectif mis au point par le centre de recherche, qui peut contribuer surmonter les obstacles lis la complexit de la gestion de la biodiversit. Elle souligne dautre part la ncessit de rviser et dadapter la mise en uvre et lvaluation de politiques publiques selon le degr dincertitude et de complexit de lobjet sur lequel elles portent. Enfin, partir de lanalyse de ce cas sont formules de nouvelles perspectives pour instruire la question de la gestion des services cosystmiques en tant que biens communs.

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    Mthodologie Lanalyse ralise dans ce mmoire repose en premier lieu sur une revue de littrature, qui couvre diverses sources dinformation :

    - des articles scientifiques sur Natura 2000, pour faire un tat des connaissances scientifiques de diffrentes disciplines sur sa mise en uvre et son valuation

    - des articles scientifiques sur la biologie de la conservation pour faire le lien entre la production de connaissances scientifiques et la mise en uvre de la politique environnementale communautaire

    - des articles scientifiques sur les services cosystmiques pour raliser un tat de lart sur ce front de recherche

    - des articles et ouvrages en sciences de gestion sur la thorie de la conception, afin de mobiliser la thorie C-K permettant de formaliser les raisonnements de conception

    - des articles et une thse sur la gestion des biens collectifs - des projets de recherche et rapports scientifiques du CEBC, afin de comprendre finement la

    dmarche de recherche du laboratoire en cologie et sa stratgie en matire de conservation de lavifaune de plaine

    - et enfin des textes dordre administratif, rglementaire ou lgislatif concernant les Directives Oiseaux et Habitats et leur transposition en France, pour comprendre le cadre de la mise en uvre de Natura 2000.

    Dautre part une vingtaine dentretiens ont t raliss :

    - avec des chercheurs en cologie du CEBC - avec des chercheurs en sciences sociales de lINRA, de lENGREF et de lUniversit de

    Nanterre travaillant ou ayant travaill sur Natura 2000 - avec un panel assez large dacteurs impliqus dans la mise en uvre de Natura 2000 et de la

    gestion du territoire. Les catgories dacteurs viss taient les suivantes : o personnes du Ministre de lenvironnement (MEEDDM) o services dconcentrs de lEtat : DREAL, DRAAF et DDT o associations environnementales (GODS4, LPO, CREN5 Poitou-Charentes, Poitou-

    Charentes Nature) o collectivits territoriales (Conseil gnral du 79) o agriculteurs et organismes lis la profession agricole (ADASEA)

    La liste des personnes interroges ainsi que leur fonction figurent en annexe 1. Les entretiens ont t mens de faon semi-directive avec des questions ouvertes, qui variaient lgrement selon les interlocuteurs. Ils visaient comprendre le processus de mise en uvre de Natura 2000 en France mais surtout dans les plaines cralires de Poitou-Charentes : la gnalogie des actions, les obstacles rencontrs et les solutions imagines. Un autre objectif tait didentifier le systme dacteurs impliqus dans la dsignation et la gestion du site Natura 2000 correspondant au

    4 Groupement ornithologique des Deux-Svres 5 Conservatoire rgional de lenvironnement

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    cas dtude. Enfin une partie des entretiens a servi reconstituer le raisonnement de conception des actions de conservation de loutarde canepetire, principale espce patrimoniale vise par la mise en place de sites Natura 2000 dans les plaines cralires de la rgion. Pour renseigner les questions voques ci-dessus, quatre thmes principaux ont guid les entretiens. Ils sont repris avec des exemples de questions et les objectifs viss dans la grille ci-dessous, qui nest quindicative. Tableau 1: Structure indicative des entretiens mens

    Le cadre thorique principalement mobilis est celui des thories de la conception, dveloppes au Centre de Gestion Scientifique de Mines ParisTech. Les diffrents lments thoriques sont exposs au fil du mmoire, au moment o ils sont mobiliss.

    Thme Exemples de questions poses Objectif

    Histoire Comment la mise en uvre de Natura 2000 a commenc ? Ou comment les proccupations lies loutarde canepetire ont-elles merg ? Comment a-t-on formul les questions, le problme ?

    Identifier la gnalogie des actions : les diagnostics qui les ont guides, la faon dont elles taient prvues au dpart puis dont elles ont volu

    Organisation Quels taient les acteurs en jeu, les projets mis en uvre ? Comment les acteurs se situaient-ils et interagissaient-ils?

    Comprendre le systme dacteurs : lidentit et le rle des diffrents acteurs, les interactions entre eux, les outils de gestion mobiliss

    Connaissances Que savait-on au dbut ? Quelles connaissances ont t produites par la suite ?

    Dcrire ltat initial des connaissances, analyser le processus de cration de connaissances

    Raisonnement de conception

    La personne interroge doit-elle appliquer des consignes ou peut-elle gnrer des propositions ?

    Identifier le rle des diffrents acteurs dans le processus de conception, caractriser le rgime de conception (est-on dans un cas de conception rgle ou innovante ?)

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    I. Les Directives Oiseaux et habitats, une rponse de la communaut europenne face au dclin de la biodiversit Cette partie consiste en une mise en perspective historique de la prise de conscience des problmes lis la perte de biodiversit, et du contexte de llaboration de la politique europenne la plus ambitieuse ce jour en terme de protection de la nature. Comment les objectifs ont-ils t formuls ? En fonction de quelles reprsentations ? Comment la mise en uvre a-t-elle t pense ? Dans les faits, cette procdure a soulev de nombreuses difficults, que nous analysons globalement au niveau europen puis plus spcifiquement en France.

    A. Grer la biodiversit : volution des connaissances et des objets de gestion

    1. De la protection des espces la prise en compte de la diversit du vivant

    Jusquaux annes 1980, la diversit biologique tait une notion confine au milieu scientifique. Le grand public ne sy intressait pas, et la question ne constituait pas un enjeu politique. Le terme biodiversit , un nologisme construit partir des mots biologie et diversit, a t invent par W.G. Rosen en 1985, et formalis par E.O. Wilson en 1988 dans son ouvrage du mme nom. Il renvoie une catgorie trs large et assez vague (la diversit des espces animales et vgtales et des biotopes qui les hbergent) ; il sagit donc dune reprsentation assez abstraite construite par et pour la rflexion scientifique (Compagnon, 2010). Le terme a toutefois t consacr lors du sommet de Rio en 1992, est depuis utilis dans diffrentes disciplines scientifiques, mais aussi par les dirigeants et les citoyens. Cette rapide appropriation du terme concide avec la prise de conscience de l'acclration de l'extinction d'espces au cours de la fin du vingtime sicle. Pendant longtemps la diversit biologique tait assimile la richesse spcifique (nombre despces prsentes dans un cosystme) ou encore la raret de certaines espces (Pinton et al., 2006). Jusqu rcemment, les politiques de protection de la nature taient marques par un souci de prservation des qualits originelles de cette dernire, et sappuyaient essentiellement sur des outils de rglementation (ex. Rserves Naturelles, Parcs Nationaux). Les mesures de protection cherchaient exclure les activits humaines pouvant altrer lquilibre inhrent au fonctionnement naturel des espaces protgs. La politique de mise en rserve tait lie la reprsentation de la nature fonde sur une hirarchisation, qui distinguait une nature ordinaire pouvant tre sacrifie dune nature qui valait la peine dtre protge. Si lacclration du dclin de la biodiversit est constate depuis plus de vingt ans, il sagit dun phnomne difficile mesurer avec prcision, notamment parce quon ne connat pas exactement le nombre despces vivant sur Terre6. Par ailleurs il nest pas toujours possible dattribuer la disparition dune espce un seul facteur causal ; il sagit gnralement de processus en interaction. Ces

    6 On lestime entre 3 et 100 millions dont seulement 10% des insectes et 1% des virus et bactries seraient scientifiquement rpertoris (Compagnon, 2010)

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    incertitudes renforcent la difficult des dcideurs politiques et du grand public de se reprsenter lrosion de la biodiversit. La biologie de la conservation, ne la fin du XXe sicle a dvelopp divers concepts sur lesquels se sont bases la plupart des actions de conservation. Lun des principes est de cibler la protection de certaines espces de faon ce que les actions aient un impact sur dautres composantes de la biodiversit, trop vaste et trop complexe pour tre analyse en tant que telle (Dounias et Mesnil, 2007). Elles sont alors dsignes en anglais surrogate species . Il sagit notamment des concepts despces cls de vote , parapluies , porte-drapeaux et indicatrices dont les dfinitions apparaissent dans le tableau ci-dessous : Tableau 2 : Explicitation des concepts de surrogate species

    Concept en biologie de la conservation

    Dfinition Intrt/inconvnients

    Espce cl de vote Ce type despce a un impact important sur lcosystme en raison de sa taille ou de son activit. La moindre variation de population a un effet immdiat sur le reste de lcosystme (Mace et al., 2007).

    Lidentification de ces espces cls de vote est problmatique car elle implique de comprendre le fonctionnement des relations cologiques au sein du systme tudi (Mills et al., 1993).

    Espce parapluie Ce terme fait rfrence toute espce dote dun habitat tendu dont la prservation garantit la conservation de nombreuses autres espces.

    Cela permet au gestionnaire de dlimiter le type et la taille dun habitat candidat la protection (Andelman et Fagan, 2000)

    Espce porte-drapeau Elle caractrise un cosystme, mais surtout elle est charge dune valeur culturelle, politique et sociale lgard de lcosystme dont elle contribue la conservation (Andelman et Fagan, 2000).

    Ce type despce est utile pour sensibiliser les mdias et le public aux enjeux de conservation.

    Espce indicatrice Elle signale un niveau de biodiversit particulirement lev.

    Son suivi permet de mesurer les changements environnementaux dus aux perturbations dorigine anthropique.

    Ces concepts, et dautres non mentionns ici, sont utiliss non seulement pour crer des aires protges mais aussi pour laborer des mesures maintenant la biodiversit dans les habitats perturbs par les activits humaines (Reid et al., 1992). Lefficacit de ces stratgies a fait lobjet dun certain nombre dvaluations, dont les rsultats sont plutt mitigs. Lefficacit dpend beaucoup de la faon dont sont menes les actions de conservation (dlimitation daires protges par exemple) ou de ce qui est pris en compte parmi les autres composantes de la biodiversit (Caro et al., 2004 ; Bifolchi et Lod, 2005). Toutefois sils sont souvent contests, ces concepts continuent de faire rfrence en matire de conservation. Plus rcemment des travaux portant sur limpact de la fragmentation des habitats sur le fonctionnement des populations et la diversit gntique ont modifi de faon radicale la manire de concevoir les espaces protgs (Barbault, 2005). Ces travaux mobilisent la thorie des

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    mtapopulations. La fragmentation des habitats englobe tout phnomne artificiel de morcellement de l'espace qui peut empcher les espces vivantes de se dplacer. Elle affecte surtout la taille des populations et augmente leur risque d'extinction (Opdam, 1991). Elle est aujourdhui considre comme une cause majeure du dclin de la biodiversit (EEM, 2005). La fragmentation des habitats est aussi une notion cl de lcologie du paysage. Le paysage est ici compris comme une surface variable compos dune mosaque d'cosystmes. Il est considr dans cette discipline comme une unit cohrente de conservation de la biodiversit. Avec la Convention sur la Diversit Biologique signe en 1992, deux niveaux dorganisation du vivant que reprsentent les gnes et les cosystmes sajoutent celui des espces pour constituer ensemble la biodiversit. Le courant thorique relevant de lcologie classique, qui sintresse au niveau dorganisation des populations, se rapproche du courant systmique qui privilgie lanalyse fonctionnelle des units cologiques considres comme des systmes, lcologie fonctionnelle. Cette discipline traite des fonctions des organismes et des cosystmes en interaction avec leur environnement. Ces fonctions se traduisent par des flux dlments et dnergie. Lcologie fonctionnelle tudie les processus et les organismes lorigine de ces flux ainsi que leurs rponses aux variations naturelles et anthropiques du milieu. La notion de rsilience7 des cosystmes apparat et est mise en lien direct avec la diversit biologique qui les compose : cette dernire est considre comme essentielle pour permettre ladaptation des espces aux perturbations de lenvironnement. Ainsi, une logique de protection des milieux remarquables et des espces emblmatiques sest substitue une approche plus globale reposant sur la diversit du vivant. Les approches fonctionnelles et dynamiques de la biodiversit dans les sciences cologiques ont permis damliorer la comprhension du fonctionnement des cosystmes, et de dvelopper une nouvelle approche, celle de la gestion des cosystmes , posant des dfis majeurs en cologie (Le Roux et al., 2008 ; Kettunen et al., 2010). Les chercheurs ont introduit le concept de services cosystmiques pour la faciliter. La biodiversit intervient divers niveaux dans la production de ces services. Ainsi, en rfrence la classification de lEEM, de nombreuses espces dinsectes contribuent aux services de rgulation, comme la pollinisation ou la prdation des ravageurs des cultures. La conservation despces patrimoniales constitue un service culturel ; elle reflte un enjeu de prservation du patrimoine naturel, quil soit identifi au niveau dun territoire, dun pays, dun continent ou mme de la plante. Cette nouvelle faon de percevoir les cosystmes et de les prendre en compte ouvre des perspectives originales en matire de prservation de lenvironnement.

    2. De nouveaux liens entre lcologie et les sciences sociales Rcemment, les conomistes se sont saisis de la notion de services cosystmiques pour valuer des valeurs conomiques de rfrence de la biodiversit. Ces valeurs sont destines tre utilises dans lvaluation socioconomique des investissements publics (Chevassus-au-Louis, 2009 ; TEEB8). Lvaluation conomique des services est base sur lide que tant que les biens produits par les cosystmes ne sont pas intgrs un systme de march, ils ne font pas lobjet dalertes

    7 Capacit d'un cosystme, d'un habitat, d'une population ou d'une espce retrouver un fonctionnement et un dveloppement normal aprs avoir subi une perturbation importante 8 The Economics of Ecosystems and Biodiversity.

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    socitales lorsque leur dtrioration est constate. Lobjectif est donc dinciter la prise en compte des problmes environnementaux dans les dcisions politiques ou conomiques. Un premier champ thorique de lconomie qui traite la question des services cosystmiques est lconomie cologique (Ecological economics). Ce courant analyse la contribution des cosystmes aux usages quen font les socits et la valeur quils produisent (Costanza, 1997 ; EEM, 2005). Rcemment, une tude a mesur la contribution de la pollinisation par les insectes la valeur conomique de la production agricole mondiale ; la valeur conomique de la pollinisation a t estime 153 milliards deuros, soit 9,5% de la valeur de la production agricole mondiale pour lalimentation humaine en 2005 (Gallai et al., 2009). Un autre courant, lconomie de lenvironnement, sintresse aux services cosystmiques comme des externalits positives quil faut internaliser, cest--dire prendre en compte conomiquement. Cette sous-discipline tudie diffrents instruments de politique environnementale, notamment les approches administratives et rglementaires, qualifies de Command and Control (normes) ou encore les instruments conomiques reposant sur des effets prix (taxes, permis changeables). Si dans le domaine de lenvironnement, les politiques publiques ont souvent mobilis ces approches, une troisime option a merg dans les annes 1990. Base sur la coopration entre acteur publics et privs, elle incorpore de nouveaux critres (principe de prcaution, pollueur-payeur) et de nouveaux instruments, tels que les accords volontaires. F. Aggeri (1999) souligne que les accords volontaires sont beaucoup utiliss par les autorits europennes depuis le dbut des annes 1990 pour traiter les problmes environnementaux globaux complexes, qui ncessitent des apprentissages et des innovations. Cest la voie qui a t choisie par la France pour la mise en uvre des Directives Oiseaux et Habitats. Comme voqu en introduction, la question de la biodiversit est galement analyse depuis quelques annes sous langle du bien commun. Selon notre hypothse, celle des services cosystmiques pourrait ltre aussi mais cela napparat pas encore dans la littrature. J. Labatut (2009) distingue deux perspectives de recherche dans le domaine de la gestion des biens communs. Une perspective utilitariste, ne considrant que la logique conomique et la recherche dun intrt individuel des acteurs dans lanalyse de la gestion des biens communs. Le mode de pilotage optimum est alors considr comme tant le march, lEtat nintervenant pour rguler lusage de la ressource commune qu la marge, pour compenser les failles du march. Cette approche, principalement dveloppe par lconomie no-classique, a t critique et amende par les approches institutionnalistes et lconomie politique. Ainsi E. Ostrom (1990), dont les travaux portent sur la gestion collective des cosystmes, a mis en vidence que ladoption de rgimes institutionnels de gestion adapts permettait dassurer la durabilit de la gestion. Elle a montr que lintervention de lEtat ntait pas la seule rponse politique possible : des arrangements volontaires, au sein de communauts, peuvent galement faire merger des biens communs, parfois mme contre la volont de lEtat. Lautre perspective, qualifie de naturaliste, considre les biens communs comme donns. Cette perspective sintresse alors aux biens communs comme des stocks. Le bien commun doit tre prserv, ce dont lEtat doit tre le garant (Kaul, 2001) . Ces perspectives utilitaristes et naturalistes ont en commun un modle normatif qui suppose de connatre a priori la nature du bien commun et les positions des acteurs vis--vis de ce bien. Lobjectif du mmoire est au contraire de comprendre les processus de conception ncessaires la mise en place dactions collectives pour grer des biens communs.

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    B. La mise lagenda des enjeux de protection de la nature dans les politiques environnementales europennes

    1. Le contexte de llaboration et de ladoption des Directives Oiseaux et Habitats

    Lanne 1972, avec la confrence de Stockholm, marque le point de dpart de la mise en place de politiques environnementales communautaire lchelle de lEurope. Le premier programme d'action pour l'environnement contenant des propositions de la Commission europenne est adopt en 1973. LActe Unique Europen sign en 1987 introduit parmi les rgles sur le march intrieur, un chapitre concernant limportance de la coopration entre les Etats membres sur les questions environnementales. Il incite galement utiliser les mcanismes de march et les accords volontaires plutt que les seuls instruments de command-and-control jusqualors privilgis (Wurzel, 2008). Toutefois la fin des annes 1980 a t marque par la traduction devant la Cour de justice de l'Union europenne dun nombre croissant dEtats membres au motif du non respect des rglementations europennes en matire denvironnement (Wurzel, 2008). La stratgie de confrontation mene par la Commission Europenne, soutenue par les ONG9 environnementales, telles que le WWF10 et Birdlife, a suscit des rticences de la part des gouvernements et des reprsentants de nombreux secteurs conomiques dans les Etats membres. La Directive Oiseaux est la premire proposition de la Commission europenne en matire de lgislation environnementale communautaire. Elle a t adopte, aprs de longues ngociations, lanne de la signature de deux conventions internationales majeures dans le domaine de lenvironnement : la Convention de Bonn du 23 juin 1979 relative la conservation des espces migratrices doiseaux appartenant la faune sauvage, et la Convention de Berne11 du 19 septembre 1979 relative la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de lEurope. La directive Oiseaux part du constat que sur le territoire europen, un grand nombre d'espces d'oiseaux vivant naturellement l'tat sauvage subissent une rgression de leur population. Cette rgression est considre comme un danger srieux pour la conservation du milieu naturel en raison des menaces qu'elle fait peser sur les quilibres biologiques. En raison de la proportion importante des espces migratrices, la directive europenne rpond la ncessit de mettre en place un rseau cohrent de sites protgs l'chelle europenne et une action coordonne au niveau supranational. La directive incite crer de zones de protection pour prserver les habitats favorables aux espces doiseaux sauvages prsentes ou de passage. Cest dans le climat de confrontation entre les institutions europennes et les Etats membres que nat le projet dtendre la Directive Oiseaux lensemble des espces et des habitats menacs en Europe. Alors que la Directive Habitats est propose par la Commission Europenne en 1988, il faut attendre 1992 pour quelle soit adopte. Cest galement lanne de la signature de la Convention mondiale pour la diversit biologique (CDB) et de la confrence de Rio. Ces trois vnements majeurs ont contribu faire de lanne 1992 un tournant dans la prise en compte de la biodiversit au 9 Organisation non gouvernementale 10 World Wildlife Fund 11 Convention relative la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel de l'Europe : elle a pour objet d'assurer la conservation de la flore et de la faune sauvages et de leurs habitats naturels, notamment des espces et des habitats dont la conservation ncessite la coopration de plusieurs Etats. Une attention particulire est accorde aux espces menaces d'extinction et vulnrables.

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    niveau international. La Directive Habitats sappuie sur les exigences de la Convention de Berne (1979) et vise atteindre les objectifs fixs dans la CDB au niveau europen : enrayer le dclin de la biodiversit. Elle reprend l'ide d'un rseau de sites protgs l'chelle europenne. Associe la Directive Oiseaux, elle vise mettre en place le rseau Natura 2000 pour protger les habitats et les espces dintrt communautaire dans leur aire de rpartition naturelle. Il est important de souligner que la Directive prcise que la protection des habitats et des espces doit se faire en tenant compte des exigences conomiques, sociales, culturelles et rgionales, afin de contribuer au dveloppement durable.

    2. Une procdure dtaille reposant sur une obligation de rsultats La procdure de mise en uvre de Natura 2000 est prcisment dfinie dans la directive puis dans chacun des pays lors de la transposition. La premire tape de la mise en uvre de Natura 2000 est la dlimitation des sites dintrts cologiques qui constitueront le rseau : ce sont les zones de protection spciales (ZPS) au titre de la Directive Oiseaux et les zones spciales de conservation (ZSC) au titre de la Directive Habitats. A la diffrence de la directive Oiseaux, o la procdure de dsignation n'tait pas prcise, la constitution du rseau Natura 2000 fait l'objet d'une procdure trs dtaille prvue aux articles 4 et 5 de la Directive Habitats, qui requiert une collaboration troite entre la Commission et les Etats membres. Ceux-ci doivent, d'abord, dresser une liste des sites abritant les habitats ou les espces figurant respectivement aux annexes I et II de la directive. La Commission tablira ensuite, partir de ces listes nationales et en accord avec les tats membres, la liste des sites d'importance communautaire que les tats seront tenus de dsigner en ZSC. Le calendrier prvisionnel de la constitution du rseau Natura 2000 distinguait trois phases: - tablissement d'une liste nationale de sites (1992-1995) ; - tablissement de la liste communautaire (1995-1998) ; - incorporation des sites retenus au rseau Natura 2000 (1998-2004). (Le Grand, 1997) LUnion Europenne a t rpartie en sept zones biogographiques: atlantique, continentale, alpine, mditerranenne, borale, pannonienne et macaronsienne. Pour chaque zone biogographique, les Etats membres ont propos la Commission une liste de sites slectionns sur base des critres indiqus dans la Directive Habitats. Tableau 3 : Critres d'valuation des sites mentionns dans la Directive Habitats

    Critres d'valuation du site pour un type d'habitat naturel donn de l'annexe I

    Critres d'valuation du site pour une espce donne de l'annexe II

    a) Degr de reprsentativit du type d'habitat naturel sur le site.

    b) Superficie du site couverte par le type d'habitat naturel par rapport la superficie totale couverte par ce type d'habitat naturel sur le territoire national.

    c) Degr de conservation de la structure et des fonctions du type d'habitat naturel concern et possibilit de restauration.

    d) valuation globale de la valeur du site pour la conservation du type d'habitat naturel concern.

    a) Taille et densit de la population de l'espce prsente sur le site par rapport aux populations prsentes sur le territoire national.

    b) Degr de conservation des lments de l'habitat importants pour l'espce concerne et possibilit de restauration.

    c) Degr d'isolement de la population prsente sur le site par rapport l'aire de rpartition naturelle de l'espce.

    d) valuation globale de la valeur du site pour la conservation de l'espce concerne.

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    Le principe de subsidiarit est appliqu : il revient chaque Etat membre de raliser les inventaires biologiques, dsigner les sites puis mettre en place les mesures rglementaires, administratives ou contractuelles adquates qui rpondent aux exigences cologiques des types dhabitats naturels de lannexe I et des espces de lannexe II12 . Les Etats membres ont en revanche une obligation de rsultats vis--vis de la Commission Europenne : maintenir ou de restaurer dans un tat de conservation13 favorable les habitats naturels et semi-naturels et les espces dintrt communautaire, en ciblant plus particulirement la protection des 181 espces listes dans la Directive Oiseaux, et des quelques 200 types dhabitats naturels, 200 espces animales et 500 espces vgtales rpertoris dans la Directive Habitats. Il sagit dobjectifs chiffrs, qui doivent faire lobjet dvaluations rgulires (tous les 6 ans). LUnion Europenne fait appel des directives en matire de politiques environnementales. la diffrence d'un rglement communautaire qui s'applique totalement et directement, une directive donne des objectifs atteindre par les pays membres, en leur laissant la comptence quant la forme et aux moyens. Les tats membres doivent inclure dans leur lgislation interne les rgles de la directive (il sagit de la transposition en droit national) et disposent dun dlai pour cela. La Commission Europenne est charge du suivi et de lvaluation de la mise en uvre des politiques communautaires. Daprs la littrature, les procdures ont t trs diffrentes dun Etat membre lautre, mme si tous ont pris du retard dans la mise en uvre de Natura 2000. En revanche il nest pas fait tat des changements ou des innovations quaurait pu introduire la politique communautaire en termes de gestion des milieux naturels. Des rapports comparent les modes de mise en uvre adopts par les pays selon diffrentes grilles de lecture. Celle de Payen et al. (2004) distingue les pays dont ladministration trs centralise comme le Portugal et lIrlande, de ceux dont les procdures sont trs dcentralises comme en Allemagne ou en Autriche. Selon ce rapport une dmarche dcentralise permet sans doute une meilleure appropriation territoriale des enjeux, et une concertation plus approfondie ; elle peut en revanche porter en germe des difficults de cohrence et d'quit . Buller et al. (2002) voquent aussi un autre clairage transversal : le choix entre une approche rglementaire et une dmarche contractuelle. Les pays qui ont privilgi la voie rglementaire sont ceux qui se sont essentiellement bass sur des rseaux daires protges existantes pour constituer leur rseau de sites Natura 2000, comme lEspagne, le Royaume-Uni ou la Finlande (Buller et al., 2002). Dans ce cas les rglementations en vigueur sont appliques ; il ny a gnralement pas cration de nouvelles rglementations. Les instruments administratifs et rglementaires visent plutt limiter et contrler les pratiques dexploitation des milieux ou encore leur frquentation. Buller et al. distinguent galement les pays qui favorisent les outils rglementaires existants de ceux qui conoivent des plans de gestion spcifiques chaque site Natura 2000. Cest le cas notamment de la France qui a choisi la voie contractuelle. Cette voie conduit la mise en place de plans de gestion propres chaque site. Toutefois le rapport nanalyse pas si ces plans de gestion sont innovants.

    12 Article 6 de la Directive Habitats 13 Plusieurs paramtres sont considrs pour dterminer ltat de conservation des espces et des habitats ; ils sont assez similaires. Par exemple pour les espces, on prend en compte leur aire de rpartition, leffectif des populations, la surface dhabitat de lespce, et les perspectives futures de maintien. (Synthse de lvaluation de 2007, MEEDDM)

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    Un groupe dexperts a estim le budget annuel du dispositif Natura 2000 6,1 milliard deuros pour les 25 Etats membres (Miller & Kettunen, 2005). Dans les zones rurales, deux principaux types dinstruments europens sont la disposition des Etats membres pour mettre en uvre les Directives Oiseaux et Habitats. Ils sont mobiliss dans le cadre de la programmation de dveloppement rural 2007-2013. Il sagit du FEADER (Fonds europen agricole pour le dveloppement rural) qui sert financer les dispositifs agro-environnementaux, et des programmes LIFE14 (prolongs par LIFE+), qui permettent de financer des programmes europens de conservation et de protection de lenvironnement. Les financements europens sont complts par les Etats membres en fonction de leurs programmes nationaux et rgionaux de dveloppement rural.

    C. Analyse des difficults de la mise en uvre de Natura 2000

    1. Une mise en uvre marque par de multiples crises Parmi ces huit critres de dsignation des sites cologiques protger, aucun ne mentionne les aspects socio-conomiques des sites ; tous concernent leurs caractristiques cologiques. Par consquent dans la plupart des Etats membres, la dsignation des sites Natura 2000 a t confie par les administrations soit des naturalistes appartenant des associations de protection de lenvironnement, soit dans une moindre mesure des scientifiques. Que ce soit lors de la phase dlaboration de la Directive Habitats, ou de sa mise en uvre, le poids des associations de protection de lenvironnement est prpondrant (Mertens, 2009). Weber et Christophersen (2002) soulignent que ds la phase dlaboration de la Directive Habitats, les associations environnementales taient beaucoup mieux reprsentes Bruxelles que les professions agricoles et forestires. Les premires ont jou un rle majeur dans llaboration de la Directive Habitats tandis que daprs Weber et Christophersen, les secondes nont quasiment pas t consultes. Lvaluation des critres de dsignation des sites est laisse la discrtion des Etats membres ; elle est ensuite confronte au niveau europen des inventaires raliss selon un protocole dfini par lONG Birdlife, qui a conduit identifier des ZICO (zones dintrt pour la conservation des oiseaux) (Mauerhofer, 2010). La dsignation des sites a repos sur les avis dexperts naturalistes, sans prendre en compte les avis et les savoirs locaux des propritaires fonciers et autres usagers du territoire (Alphandery et al., 2001 ; Hiedanpaa, 2004). Ces derniers nont pas t associs au processus didentification et de dlimitation des sites, ou seulement dans une phase tardive du processus, ce qui ne leur permettait pas de remettre en cause les dsignations. A cela sajoutait une mauvaise communication de la part des gouvernements sur les principes et les objectifs du dispositif Natura 2000. Cette situation a caus des conflits que lon retrouve de faon gnralise dans les diffrents pays europens. Ces conflits sont analyss dans de nombreux travaux en sociologie (Pinton et al., 2006 ; Keulartz, 2009). Ils ont conduit une polarisation entre dun ct les cologistes et les biologistes de la conservation, soutenus plus ou moins fortement par les autorits nationales responsables de la mise en uvre du

    14 LInstrument financier pour lenvironnement (cest lacronyme de LIFE) a t cr en 1992 (rglement 1973/92) avec lobjectif gnral de contribuer la mise en uvre de la politique environnementale de la Communaut, en particulier pour ce qui concerne lintgration de lenvironnement dans les autres politiques ainsi qu un dveloppement durable. Le programme LIFE se compose de 3 volets dont LIFE Nature, qui sapplique la mise en uvre des Directives Oiseaux (79/402) et Habitats.

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    dispositif devant la Commission europenne, et dun autre les propritaires fonciers, agriculteurs, chasseurs et forestiers. Ces derniers considrent Natura 2000 comme une menace sur leur activit conomique et une remise en cause de leur rle de gestionnaire des milieux (Buller, 2002). Ils critiquent la lgitimit de la dmarche base uniquement sur les connaissances des naturalistes, qui ne sont pas ncessairement des scientifiques, mais parfois des militants associatifs dont ils mettent en cause la lgitimit. Toutefois ces analyses voquent les conflits sans analyser comment les difficults ont t surmontes selon les cas. Selon les Etats membres, une part plus ou moins grande des sites a t dsigne daprs leur appartenance un rseau de sites protgs existants. Dans les pays comme lAngleterre, la Finlande et dans une moindre mesure le Danemark, qui disposaient dj de rseaux importants de sites dans lesquels des mesures de protection taient dj mises en uvre, la dsignation des sites Natura 2000 a t beaucoup moins problmatique que lorsquil a fallu dlimiter de nouveaux sites comme en France (Buller, 2002). Toutefois la plupart des pays ont essuy des retards importants dans la phase de dsignation des sites, et prs de la moiti des gouvernements des 15 Etats membres15 ont t dfrs devant la Cour de justice de l'Union europenne, faute de proposer une quantit suffisante de sites protger (Keulartz, 2009).

    2. Lincertitude et la complexit de la biodiversit, des obstacles la mise en uvre de la politique

    Une difficult majeure lie la mise en uvre du dispositif Natura 2000 est celle de lincertitude inhrente la complexit des questions environnementales. La ncessit de progresser au niveau scientifique sur des problmatiques aussi complexes que le changement climatique ou la perte de la biodiversit et ses consquences sur les cosystmes, est indispensable pour mieux adapter les politiques de conservation (Pullin et al, 2009). Opdam (2009) rsume cette question de lincertitude lie la mise en uvre de Natura 2000 de la faon suivante : il sagit dune part de ce quil appelle l ignorance , cest--dire aux lacunes dans les connaissances scientifiques, mais aussi de l imprvisibilit des systmes cologiques et de l ambigit des politiques, notamment concernant leur interface avec la science. Lincertitude pose des problmes pour la mise en uvre de la politique publique mais aussi pour en valuer les impacts. Opdam propose dappliquer dans le cas de Natura 2000 le principe de prcaution, ainsi que des stratgies de gestion des risques bases sur le principe de rsilience des cosystmes. Lobjectif du dispositif Natura 2000 de maintenir ou rtablir ltat de conservation de la biodiversit dans lUnion europenne est difficile mesurer. A cela sajoute lenjeu dintgrer la protection de la nature dans les autres politiques sectorielles communautaires, notamment concernant lagriculture et lamnagement du territoire (Pinton et al., 2006). Mauerhofer (2010) insiste sur limportance de la mise en cohrence des politiques communautaires. De plus larticulation des exigences de la politique communautaire et des objectifs des politiques environnementales nationales est parfois loin dtre vidente. Divers auteurs soulignent le manque dobjectifs clairs affichs par les acteurs nationaux de la mise en uvre de Natura 2000 (Ioja et al. 2010 ; Apostolopoulou, 2009), ce qui rend difficile non seulement lapplication des directives mais aussi leur valuation. La volont politique des

    15 Danemark, Finlande, France, Allemagne, Grce, Irlande, et Pays-Bas

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    Etats membres concernant la mise en uvre du dispositif est dailleurs souvent questionne. Dans le cas de la Grce, Apostolopoulou et al. (2009) identifient quatre raisons labsence de stratgie nationale en matire de conservation : la marginalisation de la biologie de conservation, labsence de participation du public, le manque de comptences de lEtat en matire de conservation et labsence historique de politique de conservation en Grce. Ces deux derniers points sont lis un manque de concertation entre les ministres notamment de lagriculture et de lenvironnement.

    3. Natura 2000 en 2010 : valuations partielles et rsultats mitigs Aujourdhui le rseau Natura 2000 couvre 17,6% du territoire europen16 et constitue le plus vaste rseau de zones protges dans le monde (Kettunen et al., 2010). Pour chacun des sites appartenant au rseau, les Etats membres qui disposent dune priode de transition de 10 ans doivent tout mettre en uvre pour garantir la conservation de leurs sites et empcher leur dtrioration. Au titre de l'article 17 de la Directive Habitats, les tats membres doivent fournir tous les six ans des informations sur la mise en uvre de la directive. Pour la priode de rapport 2001-2006, les tats membres ont, pour la premire fois, fourni des valuations dtailles de l'tat de conservation de chacun des types d'habitats et espces numrs dans la directive et prsents sur leur territoire. Les rsultats sur 25 Etats membres montrent que seul un nombre rduit d'habitats et d'espces d'intrt communautaire sont dans un tat de conservation favorable. Globalement lobjectif denrayer le dclin de la biodiversit en 2010 auquel devait contribuer Natura 2000 est loin dtre atteint par les pays europens ; lune des principales proccupations concerne la biodiversit dans les zones agricoles (Kettunen et al., 2010). Dans son rapport au Conseil et au Parlement europen (2009), la Commission souligne que les mesures de conservation tablies par la directive ainsi que le financement et les autres instruments prvus dans le cadre des politiques sectorielles peuvent donner de bons rsultats . Toutefois ces conditions de succs ne sont pas analyses en dtail ni diffuses. Le rapport ajoute que des mesures de gestion et de restauration des sites doivent tre tablies, et que les efforts doivent tre renforcs par les pays membres pour le suivi et lvaluation du dispositif sans donner dindications prcises. Ainsi, cette valuation vise essentiellement suivre le critre d tat de conservation des espces et des habitats dintrt communautaire. Non seulement les rsultats ne sont pas tendus la biodiversit en gnral, mais les conditions de succs ou dchec ne sont pas analyses. Par ailleurs seuls les critres cologiques sont analyss ; il nexiste pas aujourdhui notre connaissance dvaluation la fois cologique, conomique et sociale de la politique communautaire, que ce soit au niveau national ou europen. Pour aller dans ce sens, lIEEP17 a propos en 2009 un ensemble doutils pour lvaluation socio-conomique de Natura 2000 bas sur lvaluation des services cosystmiques produits lors de la mise en place de sites Natura 2000 (Kettunen et al., 2009). En effet si cette politique na pas t initialement conue pour favoriser les services cosystmiques, elle y contribue en incitant la prservation de milieux comportant des habitats ou espces remarquables.

    16 Cela recouvre 21 600 sites dintrt communautaire qui deviendront ou sont devenus zones spciales de conservation au titre de la Directive Habitats et plus de 5200 zones de protection spciale au titre de la Directive Oiseaux. 17 Institute for European Environmental Policy

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    Il existe des travaux dvaluation des dispositifs agro-environnementaux, plutt dans le domaine de lcologie et de la conservation. A lheure actuelle, plus de 20% de la surface agricole europenne est concerne par ces dispositifs. Mais une faible part de ces dispositifs est spcifiquement ou directement cible sur la protection de la biodiversit ; certains peuvent par exemple concerner la qualit de leau ou la lutte contre les incendies. La participation de l'Union europenne s'est leve pour la priode 2007-2013 prs de 20 milliards d'euros, ce qui quivaut 22% des fonds consacrs au dveloppement rural. Les mesures agro-environnementales sont cofinances par les tats membres. Toutefois malgr les efforts financiers considrables dploys pour leur mise en place, le bilan des impacts des dispositifs agro-environnementaux sur la biodiversit des espaces agricoles est encore mal quantifi et souvent mitig (Kleijn et al. 2006). Bien que certaines mesures agro-environnementales semblent avoir eu des effets positifs (Peach et al. 2001, Berendse et al. 2004), dautres synthses (Kleijn & Sutherland, 2003 ; Kleijn et al. 2004, 2006) suggrent que les effets positifs sur la biodiversit de ces mesures restent difficiles dmontrer de faon rigoureuse. Dune part, les mesures sont choisies et mises en place sparment par chaque pays de lUE, ce qui rend leur comparaison difficile effectuer. Dautre part, il faut pouvoir mettre en place des dispositifs quasi-exprimentaux large chelle afin de pouvoir dtecter statistiquement des effets des mesures agro-environnementales sur la biodiversit, ce qui a rarement t fait (Kleijn & Sutherland 2003). Enfin, il est indispensable de connatre de faon dtaille la dynamique de la biodiversit avant et pendant la mise en place des mesures, de manire discerner la variabilit naturelle des effets positifs induits par ces mesures, ce qui requiert la mise en place de programmes de suivi long terme et une grande chelle spatiale. Par ailleurs les rsultats des valuations sont diffrents si lon cible uniquement les critres de conservation ou si lon ralise une valuation multicritres, qui prend par exemple aussi en compte les aspects rcratifs ou la beaut des paysages (Carey et al., 2005). Ces valuations des dispositifs agro-environnementaux restent poursuivre et complter (Kleijn et al., 2006). Dans le domaine des sciences sociales, des travaux en conomie portent essentiellement sur llaboration des instruments conomiques et financiers mettre en place. Dans le cadre de la prservation de la biodiversit dans les milieux agricoles ces travaux analysent les conditions dacceptation des mesures agro-environnementales par les agriculteurs, en se basant par exemple sur lanalyse du consentement recevoir des agriculteurs ou sur les effets de seuil (Thoyer et al., 2006 ; Bontems et al., 2005). Cependant ils ne sintressent pas au contenu des contrats tudis, notamment concernant les actions mettre en uvre. Ils nanalysent pas non plus les relations entre les acteurs ni les types dorganisations qui peuvent influencer ladoption de ces contrats.

    D. La mise en uvre de Natura 2000 en France

    1. Une phase de dlimitation des sites marque par la contestation Une fois la Directive Habitats adopte au niveau europen, le Ministre de lamnagement du territoire et de lenvironnement (MATE) a reu la charge des deux premires tapes de la procdure de mise en uvre de Natura 2000 en France : la constitution des inventaires nationaux et la validation de la liste des sites Natura 2000 par la Commission europenne. La procdure a t dclenche par la circulaire de janvier 1993. Le Musum National dHistoire Naturelle (MNHN) tait

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    charg de sa coordination scientifique. A lchelle des rgions, les Directions rgionales de lenvironnement (DIREN) ont organis la constitution des inventaires en collaboration avec les Conseils scientifiques rgionaux du patrimoine naturel (voir encadr). Sur le terrain, les oprateurs se sont surtout appuys sur des zones dj rfrences pour leur intrt cologique, en particulier les ZNIEFF (zones nationales dintrt cologique faunistique et floristique). Linventaire des ZNIEFF, men par le MNHN pour le compte du Ministre de lenvironnement a dbut en 1982. Lobjectif tait didentifier les sites dintrt patrimonial pour les espces vivantes et leurs habitats. Au niveau scientifique, il sagissait de rationaliser le recueil de donnes sur les milieux naturels, la faune et la flore. Cette dmarche dinventaire de sites dintrt patrimonial navait pas de porte rglementaire directe. Cependant les ZNIEFF constituaient des lments d'expertise pris en considration par les tribunaux administratifs et le Conseil d'Etat. Les projets damnagements, en particulier les plans doccupation des sols (POS, aujourdhui PLU) devaient respecter les contraintes environnementales lies aux sites (loi sur lenvironnement et les paysages de 1976). La dsignation des zones de protection spciale, elle, a largement repos sur lidentification dun rseau de ZICO (zones dintrt pour la conservation des oiseaux), initi par lONG Birdlife en 1985. Cette dernire a dfini les critres de dsignation de ces zones. Les ZICO ne confrent pas non plus aux sites concerns de protection rglementaire. Toutefois leur inventaire a t ralis en prvision de la dsignation de nouvelles aires protges au titre de diffrentes directives europennes ou conventions internationales (Rocamora, 1994). Des espaces protgs tels que les Parcs Naturels Rgionaux et Nationaux ont galement t intgrs au rseau Natura 2000. En dehors de toutes ces zones dj rpertories au niveau franais, peu de sites supplmentaires ont t crs.

    Encadr : les CSRPN (conseils scientifiques rgionaux du patrimoine naturel) Un CSRPN est constitu de spcialistes dsigns intuitu personae pour leur comptence scientifique, en particulier dans les universits, les organismes de recherche, les socits savantes, les musums rgionaux. Il couvre toutes les disciplines des sciences de la vie et de la terre pour les milieux terrestres, fluviaux et marins. Ses membres sont nomms par arrt du prfet de rgion aprs avis du prsident du conseil rgional. Successeurs des premiers comits scientifiques rgionaux constitus ds 1982 lors du lancement de linventaire des zones naturelles d'intrt cologique, faunistique et floristique (ZNIEFF), les CSRPN ont t mis en place en 1991. Outre la validation scientifique rgionale des ZNIEFF, les CSRPN ont jou un rle dterminant dans ltablissement de linventaire pralable la mise en uvre de la directive 92/43/CEE Habitats du 21 mai 1992 et la mise en place du rseau Natura 2000 (Source : Circulaire DNP/CC N2004-1, Ministre de lcologie et du dveloppement durable, 2004).

    Comme voqu prcdemment, la dsignation des sites, essentiellement base sur des avis de naturalistes, a entran de vives contestations, notamment entre 1995 et 1997, au point de susciter des modifications importantes du cadre institutionnel et procdural propos par le Ministre de lenvironnement. La diffusion en mars 1996 des premires propositions sur la dlimitation des sites a rvl lexistence de la directive Habitats beaucoup dacteurs du monde rural (Pinton et al., 2006). Le nombre de sites et lampleur de leurs superficies, associe au manque dinformation sur les obligations lies aux sites Natura 2000 a suscit des craintes et des conflits. Neuf organisations18

    18 Le groupe des neuf : Assemble permanente des chambres d'agriculture (APCA), Fdration nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), Jeunes agriculteurs (JA), Centre national professionnel de la

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    reprsentant des agriculteurs, forestiers, chasseurs et pcheurs ont rclam la mise en place d'une vritable concertation au niveau national, rgional et dpartemental sur Natura 2000. Parmi les critiques de la procdure de dsignation des sites Natura 2000, le Groupe des Neuf a mis en cause le savoir des naturalistes, car si leur savoir tait qualifi de scientifique par ladministration, tous ntaient pas issus du milieu de la recherche ; une majorit dentre eux en ralit appartenaient des associations de protection de lenvironnement. Par ailleurs, les DIREN ayant repris des inventaires datant parfois dune dizaine dannes pour dsigner les sites (les ZNIEFF et les ZICO), la qualit des donnes tait remise en cause. On pourrait qualifier cette crise de crise de lgitimit de laction publique. Lampleur de la contestation, la plus importante parmi les Etats membres, conduisit un gel de la procdure dcid par le Premier Ministre en juillet 1996. Le gel marqua un tournant important, celui de linstitutionnalisation des procdures de ngociation. Pendant la priode de suspension de la dlimitation des sites du rseau Natura 2000, des changes entre la Commission europenne et le ministre de l'environnement ont abouti en janvier 1997 la publication dun mmorandum interprtatif de la directive. Il sagit dune premire dmarche visant rduire les incertitudes lies la mise en place de la politique. L'objectif du mmorandum tait de dvelopper une concertation et une information tant des lus et des acteurs conomiques et sociaux que des populations locales, tous les stades de la mise en uvre de la directive Habitats. Le gouvernement franais a relanc la procdure pour aboutir l'laboration d'une premire liste de sites adresse la Commission l't 1997, reprsentant de l'ordre de 3 % du territoire national mtropolitain, puis des initiatives la fois lgislatives et de consultations ont permis de passer de 5% du territoire national en 2001, 12% en 2006. Les difficults de mise en uvre de la directive en France lui ont valu un arrt de condamnation par la Cour de justice des communauts europennes (CJCE). En janvier 2004, la Commission a menac nouveau dengager de nouvelles poursuites judiciaires pour le retard persistant dans lapplication des directives. En France, la directive Habitats sinscrit dans la politique environnementale de droit public. Le cadre gnral de la dsignation et de la gestion des sites Natura 2000 est prcis dans le Code de lEnvironnement (art L. 414.1 L. 414.7). Le pays sest peu peu dot d'un outil lgislatif et rglementaire qui assure la transposition des deux directives europennes et lui permet de btir le rseau Natura 2000 franais : - Loi du 3 janvier 2001 portant habilitation du gouvernement transposer par ordonnance des directives communautaires et mettre en uvre certaines dispositions du droit communautaire, puis Ordonnance du 11 avril 2001. La loi n 2003-591 du 2 juillet 2003 procde la ratification explicite de cette ordonnance. - Dcret du 8 novembre 2001 relatif la procdure de dsignation des sites Natura 2000 et modifiant le code rural, puis Dcret du 20 dcembre 2001 relatif la gestion des sites Natura 2000 et modifiant le code rural (Le Grand, 2003).

    proprit forestire (CNPPF), Fdration nationale des chasseurs (FNC), Fdration nationale des communes forestires de France (FNCOFOR), Fdration nationale de la proprit agricole (FNPA), Fdration nationale des syndicats de propritaires forestiers sylviculteurs (FNSPFS), Union nationale pour la pche en France (UNPF).

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    2. Linstitutionnalisation de la concertation en rponse aux difficults de mise en uvre de Natura 2000

    Jusqu rcemment, il ny a pas eu cration de rglementation propre Natura 2000 : les mesures sont prises dans le cadre des contrats ou des chartes prvus l'article L. 414-3 ou en application des dispositions lgislatives ou rglementaires, notamment de celles relatives aux Parcs Nationaux, aux parcs naturels marins, aux rserves naturelles, aux biotopes ou aux sites classs . Mais cette situation a chang rcemment suite la condamnation rcente de la France par la Cour de Justice Europenne pour le dfaut de transcription dans le droit franais de la directive europenne sur les tudes dincidences. Le Dcret n 2010-365 du 9 avril 2010 largit la liste dvnements et de projets qui devront faire lobjet dune tude dincidence sils peuvent porter atteinte ltat des espces et des habitats protgs dans les sites Natura 2000. Avant ce dcret seuls les projets soumis dclaration administrative et demande dautorisation taient lobjet dune tude dincidence. Cela excluait les petits projets, ceux en marge des sites mais qui peuvent avoir un impact, etc. Il sagit pour le moment du seul cas de cration dun rgime rglementaire propre Natura 2000. Le mmorandum a tabli la mise en place de dispositifs de concertation au niveau de chaque site Natura 2000 pour aboutir la production des documents dobjectifs (DOCOB). La procdure dlaboration du DOCOB, qui dure en moyenne 2 3 ans, commence par la dsignation dun oprateur par une procdure dappel doffre lance par la DIREN ; il peut sagir dune association de protection de lenvironnement proche du terrain, de reprsentants agricoles (ex. : chambre dagriculture), ou dun bureau dtudes. Cet oprateur doit respecter un cahier des charges prcis labor par la DIREN. Un Comit de pilotage est constitu avec les reprsentants des administrations, des collectivits, des usagers, des structures socioprofessionnelles et des scientifiques. Des groupes de travail se runissent par ailleurs en effectifs plus rduits tout au long de la procdure. Viennent ensuite la ralisation dinventaires biologique et socio-conomique du site qui constituent une sorte dtat zro. Le Comit de Pilotage valide cette premire tape. Puis cest la phase de diagnostic, didentification des menaces pesant sur les habitats ou espces dintrt communautaire. Les objectifs de gestion du site sont alors identifis et hirarchiss. Ceci fait lobjet dune deuxime validation par le comit de pilotage. Puis des mesures sont dfinies pour rpondre ces objectifs et sont formalises sous forme de fiches action. Cette tape fait lobjet de la troisime validation par le Comit de pilotage, puis par le prfet de dpartement. Le DOCOB dfinit les orientations de gestion et les mesures de conservation contractuelles et indique, le cas chant, les mesures rglementaires mettre en uvre sur le site. Il prcise les modes de financement des mesures contractuelles19. La mise en place de la procdure de concertation pour llaboration du DOCOB peut sinterprter avec le cadre thorique propos par Duran et Thoenig en 1996, l institutionnalisation de la ngociation . Pour faire face des problmes de nature transversale, laction publique doit changer : le territoire, plus que lappareil dEtat, constitue dsormais le lieu de dfinition des problmes publics . Le statut hgmonique de lEtat est remis en cause, et celui-ci trouve une raison dtre dans linstitution de capacits de ngociation entre une grande varit dacteurs . Le rle de lEtat revient alors proposer de faon non coercitive des scnes daction qui permettent de structurer les modes dchange dans un contexte dinterdpendance entre des problmes et des

    19 Natura 2000, Dix questions, dix rponses, MATE, janvier 2003, p10

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    acteurs. Ce nouveau rle de lEtat est qualifi de nodalit, cest--dire la capacit associer autour de soi et mobiliser les parties prenantes pour rsoudre les problmes donns. Dans le cas de la dcentralisation de la mise en uvre de Natura 2000, llaboration du document dobjectif revient cette situation. Les DREAL (ex-DIREN) jouent ce rle de pilotage et de structuration des changes : loprateur que la DREAL dsigne doit respecter un cahier des charges labor par le Ministre de lenvironnement et lui rendre compte de lavancement du DOCOB. La DREAL anime la premire runion du Comit de pilotage et informe les parties prenantes du droulement de la procdure. Par ailleurs elle veille au respect de la loi tout au long de la procdure. Deux types dinstances de concertation sont mises en place pour llaboration des DOCOB : - Le comit de pilotage, qui runit les reprsentants des administrations, des collectivits, des usagers et ayants droits, des structures socioprofessionnelles, des scientifiques. Sous lautorit du Prfet de dpartement, le comit de pilotage a pour rle dexaminer, damender et de valider les propositions faites par loprateur local. Un comit de pilotage peut rassembler 50 150 personnes. - Des groupes de travail thmatiques, qui permettent des runions techniques de discussion en effectif plus restreint. Cest davantage une instance de ngociation et dinformation que le comit de pilotage (J.-F. Berthom, GODS, oprateur du DOCOB de la ZPS Plaine de Niort Sud-est). Les groupes de travail, dont les runions sont publiques, sont composs de reprsentants des collectivits, des administrations, de structures socioprofessionnelles, et dassociations dont la plupart sont membres du comit de pilotage. - En marge de ces instances, loprateur organise des changes bilatraux, plus ou moins informels, avec les diffrentes parties prenantes du DOCOB. Duran et Thoenig estiment que linstitutionnalisation permet de qualifier les objets sur lesquels porte laction collective ; cela permet un apprentissage collectif, une conceptualisation conjointe des problmes, cest--dire une mise en place de cadres de rfrence conjoints ncessaire pour traiter des problmes transversaux tels que celui de la prservation de la biodiversit. L'laboration d'un DOCOB peut tre conue comme un travail d'appropriation locale par des acteurs qui cherchent s'accorder sur des objectifs et des moyens. La concertation est mise au service de laction, en particulier par la production de donnes permettant de se conformer lobligation de rsultat contenue par la directive. La concertation nest pas en elle-mme un dispositif novateur, mais lambition de runir autour de la table des acteurs sur un sujet aussi controvers que la prservation de la biodiversit est assez indite (Pinton et al., 2006). Aujourdhui en 2010, tous les DOCOB ne sont pas mens terme (par exemple, sur 13 sites en Poitou-Charentes, 10 nont pas de DOCOB valids). La difficult dlaboration des DOCOB peut tre lie des problmes de coopration entre les diffrents acteurs (crise de coopration). Une autre difficult peut tre de dfinir les actions mettre en uvre, faute de connaissances. Il sagit alors de crises de savoirs. Ainsi les difficults de mise en uvre de Natura 2000 ne se limitent pas la dsignation. Les phases dlaboration puis de mise en uvre de la gestion des sites peuvent faire apparatre dautres types de crises. Ainsi linstitutionnalisation de la concertation na pas permis dviter de nouvelles crises.

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    3. La voie contractuelle, une autre tentative de rsolution des crises La France a fait le choix de la voie contractuelle pour la mise en uvre de Natura 2000 pour deux principales raisons. Dune part une bonne partie des sites Natura 2000 identifis ne faisaient pas encore lobjet de rglementations. Dautre part la phase de dsignation des sites ayant t particulirement conflictuelle, cette voie a t choisie pour tenter dapaiser les rticences des propritaires fonciers ou gestionnaires de milieux naturels. La France a t lun des seuls pays privilgier autant la voie contractuelle, les autres pays ayant plutt favoris la rglementation. Trois types doutils contractuels existent en France pour mettre en uvre les documents dobjectifs : le contrat Natura 2000, la charte Natura 2000 (voir encadr) et les mesures agro-environnementales (MAE). Cest surtout ce dernier dispositif que nous nous sommes intresss, pour analyser la faon dont les pratiques agricoles sont amenes changer en faveur de la protection de la biodiversit patrimoniale. Encadr : Le contrat Natura 2000 et la charte Natura 2000 - Le contrat Natura 2000 concerne les titulaires de droits rels et personnels portant sur les terrains inclus dans le site Natura 2000, autres que les agriculteurs. Le contrat Natura 2000 comporte un ensemble dengagements, conformes aux orientations dfinies par le document dobjectifs, sur la conservation et, le cas chant, le rtablissement des habitats naturels et des espces qui ont justifi la cration du site Natura 2000. Il dfinit la nature et les modalits des aides de lEtat et les prestations fournir en contrepartie par le bnficiaire. Il est sign entre le prfet et le titulaire de droits rels ou personnels. Cet instrument permet de rmunrer les surcots de gestion sur prsentation de factures. - La charte Natura 2000 dun site est un outil dadhsion aux objectifs de conservation ou de rtablissement des habitats naturels et des espces dfinis dans le DOCOB. Elle contient des engagements de gestion durable des espaces et renvoie des pratiques de loisirs respectueuses des habitats naturels et des espces. Ladhrent sengage pour une dure de 5 ou de 10 ans. Ladhsion la charte Natura 2000 du site nimplique pas le versement dune contrepartie financire. Cependant, elle ouvre droit au bnfice de lexonration de la taxe foncire sur les proprits non bties.

    Les mesures agro-environnementales ne concernent que les agriculteurs. Elles nont pas t cres dans le cadre de Natura 2000 contrairement aux deux autres instruments. Les rgimes agro-environnementaux ont t intgrs la PAC fois la fin des annes 1980, incluant dans les mesures de soutien aux agriculteurs des paiements associs ladoption - ou au maintien - de pratiques agricoles respectueuses de lenvironnement. La rforme de la PAC de 1992 renforce le volet agro-environnemental : les MAE sont certes destines rduire les impacts ngatifs de lactivit agricole sur lenvironnement, mais elles servent aussi distribuer du soutien au revenu qui puisse tre class dans la rubrique bote verte des mesures non soumises limitation dans le cadre des accords agricoles de lUruguay Round (Thoyer et Sad, 2006). Le cadre dapplication des programmes agro-environnementaux en Europe, fond sur le principe de subsidiarit, implique une grande diversit de mise en uvre entre pays membres. Une mesure agro-environnementale est dfinie comme la combinaison dun ensemble dobligations et dune rmunration. Elle vise favoriser la mise en uvre de pratiques agricoles favorables lenvironnement par un exploitant agricole volontaire, en contrepartie dune rmunration annuelle. Cette rmunration correspond aux cots supplmentaires, aux manques gagner et aux cots induits lis la mise en uvre des pratiques agro-environnementales. En France, les agriculteurs

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    s'engagent, pour une priode minimale de cinq ans, adopter des techniques agricoles respectueuses de l'environnement allant au-del des obligations lgales. Evolution des dispositifs agro-environnementaux en France Les MAE mises en place en 1992 taient de trois types : des mesures nationales (accessibles tous les agriculteurs, indpendamment des priorits environnementales de leur territoire), des mesures rgionales (les cahiers des charges sont labors au niveau des rgions) et des mesures locales. Ces dernires, les oprations locales agro-environnementales (OLAE), reprsentaient un trs faible pourcentage du budget de la PAC et taient quasiment exclusivement concentres dans les zones humides. Elles mergeaient dinitiatives locales puis taient valides au niveau rgional. La PAC a fait l'objet de rvisions en 1999. Le premier pilier sur le contrle des marchs a t complt par un deuxime pilier : le dveloppement rural. Ce nouveau pilier permet de financer les dispositifs agro-environnementaux et leur donne plus de poids. Le Plan de Dveloppement Rural National (PDRN) prvoit alors que les mesures agro-environnementales rgionales et locales ne soient applicables qu travers des contrats territoriaux dexploitation (CTE), qui comportent trois volets, environnemental, territorial et socio-conomique. Chaque CTE est un projet individuel qui engage lensemble de lexploitation (et non plus des parcelles) pour une dure de 5 ans. Il est mis en place la suite dun diagnostic global de lexploitation, et est tabli sur la base de contrats-types dfinis au niveau dpartemental. Les CTE taient financs par les fonds europens FEADER ainsi que par le budget national du MAP, auxquels sajoutaient parfois le financement de collectivits territoriales et dagences de l'eau. Ces contrats sont mis en place dans un contexte de prise en compte croissante de la multifonctionnalit de lagriculture et de la rmunration de services non marchands rendus par les agriculteurs. Les inconvnients de ce systme taient lis des cots de mise en uvre levs et lexclusion de certains agriculteurs, notamment les plus de 56 ans. Les CTE taient par ailleurs assez en contradiction avec lobjectif territorial, puisquils concernaient les exploitants pris individuellement. Au bout de trois ans, les objectifs de mise en uvre des CTE nont pas t atteints : 20 000 contrats avaient t signs en 2002 au niveau national au lieu de 100 000 prvus. Leurs montants taient en moyenne de 40 000, avec de trs fortes disparits, au lieu des 20 000 prvus. Les Contrats Territoriaux dExploitations ont t remplacs en 2003 par les contrats dagriculture durable (CAD). Lobjectif de ce changement tait de simplifier les procdures (rduction du nombre de mesures, ajustement des dates de dmarrage, contrles uniques) et dencadrer davantage les budgets des contrats. Lide tait de cibler un nombre limit de mesures pertinentes au niveau du territoire ; en effet pour les CTE, les listes de mesures prioritaires labores au niveau des dpartements pouvaient tre trs longues (jusqu 150), ce qui a incit les agriculteurs profiter de l'effet d'aubaine et y piocher les mesures pour lesquelles leurs pratiques respectaient dj le cahier des charges (Thoyer et Sad, 2006). Paralllement, il est prvu dans le cadre du PDRN que tout agriculteur situ en territoire Natura 2000, signe un contrat CAD-Natura 2000 stipulant ses engagements en faveur de la biodive


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