Download - Bat'Carré N°11
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numéro 11 //avril - mai - juin 2014
MARGUERITEDURASla passionnéePRIX MÉTIS miano & ladjali
rencontre avecLOLITA MONGA
ROSEMARY NALDEN& le buskaid soweto
Femme Artiste
ÉVASION CULTURELLEÉVASION BEAUX LIVRES, ÉVASION JEUNESSE & ÉVASION ROMANAU COEUR DE L’ÎLE DEUX FEMMES, LAURÉATES DU PRIX ROMAN MÉTISAU COEUR DE L’ÎLE FEMMES DE PÊCHEURSESCAPADELA DAME DE LA VALLÉE PERDUEAU FIL DES FESTIVALSLEU TEMPO 2014OCÉAN INDIENROSEMARY NALDEN, LA PUISSANCE DE L’ARCHETBEAUX-ARTSELLE ET LUI, L’ATELIER DES AILLEURSRENCONTRELOLITA MONGA, LA GRANDE DAME ET SON CLAPOTIS DES MOTSHORIZONLES PÉTRELS DE LA RÉUNIONVOYAGE VOYAGELE NÉPAL, ASCENSION DU SACRÉCHRONIQUE DE VOYAGEMADIBA, LE DERNIER VOYAGECOULISSE MARGUERITTE DURAS, LE ROMAN DE SA VIEPAPILLES EN FÊTENOISETTES DE FILET D’AGNEAU RÔTI AU SUCRE AMAMI OSHIMA, PLEUROTES ET PATATES DOUCESTAAFTERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES, ESCALES À KERGUELENRENDEZ-VOUS BDDES BULLES AU CHOIX
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Couverture Photographie IngimageÉditeur BAT’CARRÉ SARLtrimestriel gratuit
Adresse 16, rue de Paris97 400 Saint-DenisTel 0262 28 01 86www.batcarre.comISSN 2119-5463
Directeur de publication Anli [email protected] 24 98 76
Directrice de la rédactionFrancine [email protected] 28 01 86
RédacteursJean-Paul Tapie,Géraldine Blandin,Arnaud Andrieu,Stéphanie Légeron,Francine George.
Secrétaire de rédactionAline Barre
Directeur artistique P. Knoepfel, Crayon [email protected]
Photographes Éric Lafargue,Graham de Lacey,Arnaud Andrieu,Géraldine Blandin,Christian Vaisse,Jean-Noël Énilorac,Adeline Méliez,Sébastien Marchal,Gaetan Hoarau,Marten Persiel,Christiane Geoffroy,Bruno Marie,Doisneau.
Création & exécution graphique Crayon noir
Développement web Anli Daroueche et New Lions Sarl
PublicitéFrancine George : 0262 28 01 86
DistributionTDL
Impression Graphica 305, rue de la communauté97440 Saint-AndréDL No. 5565 - Mai 2014
Tous droits de reproduction même partielle des textes et des illustrations sont réservés pour tous pays. La direction décline toute responsabilité pour les erreurs et omissions de quelque nature qu’elles soient dans la présente édition.
ErratumDans le précédent numéro, la photographie de Bataye Kok a été injustement attribuée à Hippolyte, or elle était de Nicolas Anglade. Toutes nos excuses à l’auteur.
BAT’ CA
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Nous ne serons jamais assez fiers d’Éric Lafargue, champion national 2014
de la photographie professionnelle dans la rubrique Mode & Beauté, avec
la photo qu’il a réalisée pour la couverture du BAT’CARRÉ N°10. Un beau
titre qu’il a remporté dans un univers où la concurrence est particulièrement
vive.
Le BAT’CARRÉ N°11 est consacré à la femme, femmes de tous horizons,
femmes engagées que la passion relie. Des trajectoires peu communes qui
montrent bien que la détermination peut ouvrir de grands horizons dans
tous les domaines.
Femmes de pêcheurs de Terre-Sainte, discrètes et profondément rivées aux
flux de l’océan Indien. Une Anglaise qui révolutionne Soweto en redonnant
le goût de la vie grâce à la musique. Une romancière qui a bouleversé la
littérature française, mais pas seulement, le cinéma aussi.
ET une rencontre, avec une femme exceptionnelle, Lolita Monga, directrice
du CDOI depuis sept ans, qui se livre avec autant d’authenticité que de
liberté sur ses envies de théâtre.
Les hommes ne sont pas absents, un hommage particulier à Madiba grâce
à Sébastien Marchal, un autre photographe de talent.
Vive les femmes !
Francine George
Bonne balade sur www.batcarre.com
PHOTOGRAPHIEÉRICLAFARGUE
4 · ÉVASION BEAUX LIVRES SÉLECTION FRANCINE GEORGE
EN COLLABORATION AVEC LA LIBRAIRIE GÉRARD
JARDINS DE SAGESSE
Yolaine escande, sinologue et directrice de recherche au cnrs, dévoile les trésors des jardins chinois etjaponais, leur capacité à transmettre des valeurs ancestrales tout en restant un espace ouvert sur le monde.ce bel ouvrage, à l’iconographie inédite, nous fait pénétrer dans un univers magique où la nature, le rocherabrupt, l’arbre noueux deviennent l’essence de l’art, le pivot du jardin conçu pour laisser cheminer les voiesde la sagesse.
AUTEUR Yolande EscandeÉDITEUR Éditions du Seuil
FRANÇOIS SCHUITEN, L’HORLOGER DU RÊVE
chroniqueur de l’actualité bédéiste à la radio belge, thierry bellefroid nous invite à voyager au pays de Françoisschuiten, « créateur de rêves ». l’auteur nous fait découvrir, outre la finesse du trait et le décor des célèbresCités obscures, le champ immense du travail de l’artiste, scénariste de spectacles vivants, d’événementsurbains ; architecte d’exposition universelle ; concepteur de décors pour le cinéma et pour le théâtre...projets, réalisations, utopies, tout est mis en lumière dans ce splendide album à garder précieusementdans sa bibliothèque et/ou à offrir à ses meilleurs amis.
AUTEUR Thierry BellefroidILLUSTRATION François SchuitenÉDITEUR Casterman Édition
SALAZIE
ce nouvel ouvrage de roland bénard laisse aux belles photos le soin de parler du cirque de salazie, un paradisvert foisonnant de richesses. panoramas grandioses, treille de chouchou, voile de la mariée, piton d’anchaing,mare à poule d’eau, passerelle vertigineuse de l’îlet à vidot, chat à bois de pomme, vieille case tapisséede journaux, belles cases créoles ornées de lambrequins…le cirque, connu ou inédit, est revisité par l’œilamoureux de celui qui photographie la réunion depuis plus de 60 ans.
AUTEUR Roland BénardTEXTE HISTORIQUE Mario Serviable
COMMENTAIRES GÉOLOGIQUES René RobertÉDITEUR Austral Éditions
5 · ÉVASION JEUNESSE SÉLECTION FRANCINE GEORGE
EN COLLABORATION AVEC LA LIBRAIRIE GÉRARD
ABCVERT
un abécédaire original de la réunion, très nature, où le dodo fait plonger le dauphin, la vanille et le vacoavoisinent avec l’usnée barbue, la babouk tisse sa toile sur un paysage de rêve… superbe !
TEXTE ET ILLUSTRATION Solen CoefficÉDITEUR Océan Jeunesse
UNE VIE EN BLEU
À partir d’une étiquette de paquet de pâtes, les auteurs parlent de la quête du bonheur aux touts- petits enjouant sur les couleurs. une poésie de la vie en quelque sorte. Frais et ravissant !
TEXTE Alice Brière-HaquetILLUSTRATION Claire GarralonÉDITEUR Océan Jeunesse
CÉTACÉ
les rencontres insolites d’une baleine espiègle en quinze tableaux. l’album bleu nuit invite à découvrir lesprofondeurs marines en jouant avec les mots. c’est assez amusant !
TEXTE ET ILLUSTRATION Coralie SaudoÉDITEUR Epsilon Jeunesse
RIKIKI, TERRIBLE PIRATE DES MERS
rikiki, fils de rikita Fleur de java et du cap’taine Grabuge, couple de pirates redoutés, veut tout de suiteêtre un grand et pour se faire entendre pousse des cris opportunément stridents. les illustrations magnifiquesne peuvent que donner envie de plonger dans le monde imaginaire des pirates. À l’abordage !
TEXTE ET ILLUSTRATION Marianne BarcilonÉDITEUR Kaléidoscope
6 · ÉVASION ROMAN TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE ARNAUD SPÄNI
MURMURER À L’OREILLE DES FEMMES
dans ce recueil de nouvelles, douglas kennedy meten scène des femmes, comme dans tous ses romans,même si, parfois, le narrateur est un homme. char-meur invétéré, il sait déceler les affres de la sensibilitéqui donnent à la femme le courage de rompre avecl’ennui. en fait, tout au long de ces douze nouvelles,parues dans différents médias, le héros est le modusvivendi du couple pris au piège du quotidien. issu d’unmariage raté, « j’ai très tôt pris des notes », il met enscène, pour la première fois, ses parents dans « Guerrefroide ». certaines nouvelles pourraient devenir unroman, et c’est bien dans le roman que douglaskennedy s’illustre le mieux.
chacun d’entre eux est un best-seller traduit en unequinzaine de langues. rythme et suspens, universvariés, ses personnages ont toujours un accent devérité. il met ses héros en danger face à la questiondu choix alors qu’ils se sentent pris au piège de leurvie conjugale. La Poursuite du bonheur, son premiergrand succès, est la clé de voûte de ses fictions avecune certaine lucidité : « mais qu’est-ce que l’on veutvraiment ? »
UNE MISE EN DANGER PERMANENTE
pourtant, il n’est sûr de rien. après l’échec de sonsecond roman, Les Désarrois de Ned Allen, les états-unis le boudent pendant une quinzaine d’années.un bien pour un mal. il est ainsi plus libre d’explorertous les champs d’investigation et rencontre un succèsinternational. un de ses romans les plus réussis, Cetinstant-là, se situe dans le berlin avant la chute du mur,un autre tout aussi passionnant, Quitter le monde,suit la remontée des enfers d’une jeune femme quia perdu son enfant dans un accident.
dans son dernier roman, Cinq jours, qui traite de laquestion de la deuxième chance, on est interloquépar cette séance de scanner, la précision et la jus-tesse des mots. en réalité, il a effectivement passéun scanner, flirté, un peu, avec la manipulatrice pourengranger la matière nécessaire à son roman.
« un écrivain doit regarder la rue, pas son nombril. »il vit dans le monde actuel, s’en imprègne commeune éponge, servi par une mémoire phénoménale.douglas kennedy n’écrit pas seulement au fil de laplume, il travaille avec méthode, s’astreint aux millemots par jour, fait des recherches et c’est ce quidonne de l’épaisseur à ses romans.
À LA RÉUNION
la curiosité et le voyage sont ses moteurs. lorsqu’agora lui a proposé de venir faire la promotion deCinq Jours, il s’est demandé où pouvait bien setrouver la réunion. et son attirance pour les tropiquesl’a décidé. très surpris par le fait que « l’île soit siisolée, mais en même temps si connectée, avecles mêmes inquiétudes culturelles qu’ailleurs, fran-çaise, mais vraiment, avec une identité différente… »,il a adoré son séjour et espère bien y revenir. ses fans étaient au rendez-vous, deux heures dequeue avant de pouvoir obtenir une dédicace ! ilaccueille chacun avec la même gentillesse, une pointed’humour par-ci, une photo par-là… il se donne entiè-rement à son public qui le lui rend bien. new-Yorkaisdans l’âme, européen d’adoption, il vit entre paris,berlin, le maine et montréal et s’exprime dans unparfait français. son prochain roman serait un polardont l’action se déroulerait au maroc. À très bientôt donc !
Douglas Kennedyla vie tambour battant
LÉONORA MIANO ET CÉCILE LADjALI ONT REMpORTÉ LE pRIx DU
ROMAN MÉTIS DE LA VILLE DE SAINT-DENIS ORgANISÉ pAR LA RÉUNION
DES LIVRES. LE gRAND pRIx pOUR LA SAISON DES OMBRESDE LÉONORA
MIANO ET LE pRIx DES LyCÉENS pOUR SHÂB OU LA NUIT DE CÉCILE
LADjALI. DEUx ROMANCIèRES ANCRÉES DANS LE SyMBOLISME, L’UNE
SUR LES TRACES DE L’hISTOIRE ET L’AUTRE SUR LES TRACES DE SON
ADOpTION.
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9 · AU COEUR DE L’ ÎLE TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC
Le grand prix du Roman Métis
Depuis quatre ans, le grand prix du Roman Métis
de la Ville de Saint-Denis décerné en décembre
récompense un roman francophone paru dans
l’année « mettant en lumière les valeurs de mé-
tissage, diversité et humanisme. » Ce prix de la
ville de Saint-Denis organisé par la Réunion des
Livres en partenariat avec la Dac OI et le Rectorat
rencontre en très peu de temps un vif succès
grâce aux grandes qualités littéraires d’un jury
composé d’écrivains et de passionnés de lecture
qui, ne pouvant pas tous se réunir sur place, ont
pris l’habitude d’échanger par mail. Une vingtaine
de romans envoyés par les maisons d’édition
sont sélectionnés chaque année.
Les quatre lauréats sont :
- En attendant la montée des eaux de Maryse
Condé, prix du Roman Métis 2010
- La belle amour humaine de Lyonel Trouillot,
prix du Roman Métis 2011
- Le terroriste noir de Tierno Monénembo, prix
du roman Métis 2012
- La saison de l’ombre de Léonora Miano, prix
du roman Métis 2013
En continuité du prix du Roman Métis et à l’image
du prix goncourt, le prix Métis des lycéens en est
à sa troisième édition. Cette année, huit lycées
ont participé à cette belle aventure qui les a
conduits à lire la dernière sélection du prix Métis,
à débattre et choisir, via un jury de deux jeunes
par lycée, le roman sélectionné.
La lauréate Cécile Ladjali est venue dernièrement
à La Réunion dans chaque lycée pour échanger
de vive voix avec les élèves et…
Les trois lauréats du prix du Roman Métis des
lycéens sont :
- Samba pour la France de Delphine Coulin, prix
du Roman Métis des lycéens 2011
- À défaut d’Amérique de Carole Zalberg, prix du
Roman Métis des lycéens 2012
- Shâb ou la nuit de Cécile Ladjali, prix du Roman
Métis des lycéens 2013
10 · AU COEUR DE L’ ÎLE
Léonora Miano, prix du Roman Métis 2013
pour ses quarante ans, Léonora Miano a été fêtée,
et doublement consacrée. En premier lieu, elle a
reçu le grand prix du Roman Métis 2013 pour son
roman La saison de l'ombre paru chez grasset,
puis quelques jours plus tard, le prix Fémina. À
juste titre. Femme d’une autorité charismatique,
elle a conquis le parterre de spectateurs venus
l'applaudir lors de la soirée organisée à l'ancien
hôtel de Ville de Saint-Denis pour lui remettre
son prix en présence du maire, des membres du
jury et des partenaires associés.
Née à Douala, sur la côte du Cameroun, elle part
en France faire ses études littéraires en 1991. Elle
souligne que sur son passeport, il était alors écrit
« pays interdit : l'Afrique du Sud ». Elle voue sa vie à
l’écriture : « je veux savoir, voilà pourquoi j'écris »,
dit-elle de sa voix envoûtante.
Auteure de sept romans, de deux recueils de
nouvelles, d'un texte théâtral, elle est également
inspirée par le jazz « musique métisse par excel-
lence » et c’est en tant que chanteuse qu’elle a
franchi le pas en se produisant sur scène en
début d’année.
globe-trotteuse de la pensée humaine, elle a
publié un recueil - Habiter la frontière - de ses
conférences à travers le monde. Son œuvre vise
à « restituer les peuples subsahariens et afro-
descendants dans la globalité de l'expérience
humaine ». L'immense beauté de ses textes laisse
passer les messages de fond avec une profon-
deur de chair et de sang. Il y a toutefois quelques
barrières à franchir avant de suivre les person-
nages dans leur univers : « Il faut que les lecteurs
acceptent de passer le miroir, d'entrer dans un
autre monde. »
La saison de l’ombre est un roman complexe qui
nous met dans la peau des Mulango trahis et ven-
dus aux « étrangers venus du Nord par les eaux »
pendant la traite négrière. Cette confrontation à
l’histoire, mise en scène avec une grande virtuo-
sité, exhume le choc brutal de ces populations
enclavées qui vivaient de rites sacrés et ne
connaissaient comme horizon que le ruisseau
qui borde leur territoire. Cette oeuvre centrée sur
l'arrachement à sa terre, à sa famille, parle - et c'est
très rare - de la voix de ceux qui sont restés, de leur
destruction aussi, témoignant de ce côté-là de
l'histoire.
Un rapport de mission pour l'UNESCO de la mère
de la chanteuse Sandra N'Kaké, La Mémoire de la
capture, lui a donné une base pour mailler son
imaginaire aux faits historiques.
En 2006, l’écrivaine camerounaise avait déjà
reçu le prix goncourt des Lycéens pour Contours
du jour qui vient paru chez plon, qui raconte
l’histoire de Musango, petite fille de neuf ans
rejetée par sa mère et plongée dans le calvaire
quotidien des enfants de la rue. Ainsi, ses romans
à portée universelle offrent une formidable dé-
couverte de « figures effacées des mémoires » et,
grâce à leur sens de l’épopée, plongent dans l’his-
toire avec réalisme, car seuls les écrivains sont
capables d’en extraire la dimension profondément
humaine.
profondément touchée de recevoir ce prix dans
cette partie de l’océan Indien, Léonora Miano
regrette néanmoins de ne pas avoir suffisamment
échangé avec le public et part un peu déçue,
comme s’il s’agissait d’un rendez-vous manqué.
Mais en tant que lauréate, elle devient membre
du prochain jury et elle est bien décidée à faire
des propositions et à se rendre disponible pour
aller à la rencontre des Réunionnais.
Cécile Ladjali, prix du Roman Métis
des lycéens 2013
Cécile Ladjali, quant à elle, a eu la chance de ren-
contrer de nombreux lycéens, d’échanger avec
eux, tout autant qu’avec le public. Une habitude
chez elle qui a travaillé pendant quinze ans en
Seine Saint-Denis avec des élèves difficiles à qui
elle a transmis avec une grande exigence l’amour
des belles lettres. De ses travaux avec ses élèves,
elle a publié en 2001 chez L’esprit des péninsules
un recueil de poèmes Murmures et une tragédie
Tohu-Bohu en 2002, qui sera mis en scène par
William Mesguich. En 2003, elle publie Éloge de
la transmission basé sur ses entretiens avec le
philosophe et écrivain george Steiner dans lequel
tous les deux décryptent le difficile chemin par-
couru par les élèves pour écrire les poèmes de
Murmures.
pour elle, la maîtrise du langage est avant tout
une garantie de liberté. Dans toutes sortes de si-
tuations, on se fait manipuler par des gens qui
ont le verbe haut et le sens de la répartie. Son parti
pris est donc d’enseigner à ces jeunes de la Seine
Saint-Denis la liberté qu’ils se doivent et qu’ils ne
peuvent atteindre qu’en ayant accès au langage.
« Le courant passe entre nous parce que je les
respecte tout en mettant la barre très haut. Tout
ce qui est beau est difficile. »
12 · AU COEUR DE L’ ÎLE
L’écriture est une bouffée d’air à côté de la mis-
sion qu’elle s’est donnée en tant qu’enseignante :
« Les deux métiers ne sont pas exclusifs, ils s’en-
richissent mutuellement. » Après le succès de sa
fiction-autobiographie, Cécile Ladjali pensait que
l’écriture d’un nouveau roman irait de soi. Mais
pas du tout, en fait ! « c’est encore plus dur qu’avant,
et comme je ne suis pas du genre à renoncer, j’en
bave ! »
Shâb ou la nuit est effectivement une épopée
personnelle qui voyage entre des épisodes pleins
de lumière et d’autres, pleins de douleurs, pas
encore complètement cicatrisées. Un roman rare
sur l’adoption, mais aussi sur les liens de parenté.
Qu’est-ce qu’on attend de son père ou de sa mère,
biologique ou pas ? Sans doute d’être soutenu contre
vents et marées. Et ce que dénonce, parfois vio-
lemment, Cécile Ladjali dans Shâb ou la nuit, c’est
le fait de ne pas oser, de courber l’échine face au
potentat de certains professeurs. Comme elle était
jolie, même si elle était brillante en français, on la
destinait à un métier de vendeuse !
Elle a vite pris sa revanche, bardée de diplômes ;
Cécile Ladjali est agrégée de Lettres Modernes et
titulaire d’un doctorat sur la figure de l’androgyne
dans la littérature décadente.
Elle reconnaît qu’elle n’aurait jamais pu écrire son
roman si ses parents avaient été vivants. Elle en a
écrit une première version à la naissance de son
fils. puis, elle l’a reprise beaucoup plus tard. Toute
son histoire gravite autour de la cécité, son prénom
antinomique avec celui que sa mère iranienne
avait choisi pour elle, sa mère adoptive qui se
meurt d’une maladie orpheline qui rend aveugle,
dans cet imbroglio familial, elle cherche à retrou-
ver les pulsions de son histoire. parfois très rude
avec ses parents adoptifs, Cécile Ladjali l’explique
par le fait qu’elle leur en voulait de ne pas se battre
pour elle, de cette inculture qui les conduisait à
choisir toujours en dehors du beau, mais elle les
aimait profondément et a choisi d’écrire pour eux,
pour ceux qui n’avaient pas « le culot des mots
pour s’exprimer ». Un roman autobiographique
certes, mais qui pose beaucoup de questions
au-delà d’un style qui emporte et qui fait émerger
de vives émotions.
femmes
TERRE SAINTE N'EST PAS UNE VILLE, NI UN QUARTIER. IL Y A LÀ L'ÂME D'UN VILLAGE
TISSÉE DE LA PATIENCE DES FEMMES QUI ATTENDENT LE RETOUR DE LEUR MARI,
PARTI EN MER DÈS LES PREMIÈRES LUEURS DU JOUR.
de pêcheurs
14 · AU COEUR DE L’ ÎLE TEXTE & PHOTOGRAPHIE ARNAUD ANDRIEU
TERRE SAINTE LONTAN
Les gramounes que l'on croise aujourd'hui ra-
content volontiers le Terre Sainte lontan où la vie
s'écoulait au rythme des allées et venues des
pêcheurs, partis sur leurs barques, à la rame, afin
de ramener dans leurs filets bichiques, moules,
crabes, zourites, et de nombreuses espèces de
poissons bien plus abondantes à l'époque. On y
pêchait même le homard. La qualité du poisson
de Terre Sainte serait due à la présence de limon
vert dans ses eaux. La mer était si prolifique que
les pêcheurs n'hésitaient pas à distribuer le fruit
de leur labeur pour le cari. L'entraide était alors de
mise, et même si les moyens manquaient, que la
vie était rude, sans confort et qu'il y avait de nom-
breux marmailles à nourrir, l'on était heureux. La
vie était faite de plaisirs simples, l'on mangeait
tous ensemble dehors, les enfants jouaient dans
les rues, sur la plage ou dans la rivière, les hommes
s'adonnaient aux dominos, au darion sous les
banians pour passer l'après-midi. Des animations
étaient organisées, comme la course aux canards,
lâchés à l'eau, et qu’il fallait rattraper en nageant ;
la course en goni (sacs de jute), les jeux de hasard,
de loterie, de musique, les bals au Tambour
Cabaret et au Bon plaisir sur le front de mer et la
procession de Notre-Dame de Bon port depuis la
Croix des pêcheurs. Tout cela a disparu.
LES PREMIERS TEMPS
L’histoire de Terre Sainte commence au xVIIIe
siècle. Le sud de l'île est encore sauvage, inhabité,
la végétation est abondante, quelques esclaves
vont venir se réfugier près de la rivière d'Abord et
débuter le peuplement de la zone.
Terre Sainte et son activité de pêche traditionnelle
naissent en 1859, quand la jetée est créée. Au départ,
les cases sont très rudimentaires, des cases séparées
par des clôtures en paille. plus tard, au milieu du
xIxe, des cabanes en bambou servent d'habitat aux
ouvriers et artisans, dont certains sont des affran-
chis venus à la périphérie des villes. La population
augmente peu à peu, et s’installe dans un lacis
irrégulier de chemins et de routes. Les maisons
se tassent, mais comportent des jardinets bien en-
tretenus dont les arbres répandent une fraîcheur
bienfaisante et donnent à l'ensemble un aspect
bocager. Le littoral lui, est réservé aux commerces
et maisons de pêcheurs. La vie maritime était très
dynamique, de gros bateaux venaient mouiller au
large de Terre Sainte, certains venaient de très loin,
de Chine, entre autres. Les marchandises, comme
le sucre et le café, étaient entreposées dans une bâ-
tisse qui se trouvait à la place de l'école maternelle
peverelly. Les premières extractions de parfums
de l'île se sont faites dans le quartier à la fin du
xIxe, ce qui donnera lieu à la création d’une dis-
tillerie dans les hauts de Terre Sainte.
à Terre Sainte
16 · AU CŒUR DE L’ ÎLE
L'on communiquait beaucoup. Mais l'on ne se
mélangeait pas. Il existait en effet une rivalité entre
ceux des hauts, ceux de « Bonne Mer » (les habi-
tants des bas) et ceux de Tanambo. pas question
pour une tantine des bas de fréquenter un gars
des hauts. Même entre les marmailles, c'était un peu
la guerre des clans.
Cette mésentente a aujourd'hui heureusement dis-
paru. Les gramounes que l'on croise sur le front
de mer sous les banians aiment à se regrouper
dans leur « salon », qu'elles entretiennent en le
balayant. Elles y refont le monde, échangent les
dernières nouvelles. Tout se fait ici, tout se voit.
Rien n'échappe à leur regard exercé. Elles se sou-
viennent de leur jeunesse, du lavoir commun où
elles puisaient l'eau de source, la « source bleue ».
Ce point de rendez-vous où elles échangeaient
les derniers ladi lafé, où elles lavaient leur linge
qu'elles étendaient ensuite tout le long
de la jetée, en posant des pierres dessus afin que
le vent ne l'emporte pas. Au même endroit, le pois-
son, que l'on ne pouvait conserver au frais, séchait
sur des sacs de jute, jalousement surveillé par les
femmes qui craignaient le larcin des chats. Leurs
cuisines étaient à l'époque remplies de filets de
pêche et il n'était pas rare de voir un moteur de
bateau dans la cour. Ces femmes attendaient, parfois
dans l'angoisse, les jours où le ciel se plombait de
gris, le retour de leurs maris pêcheurs. Lorsque les
vagues étaient trop fortes, ils devaient laisser leur
barque au port, et rentrer à pied sur Terre Sainte.
Les femmes priaient alors beaucoup, car beaucoup
périssaient en mer. pour nourrir leurs familles, elles
achetaient leurs victuailles chez les commerçants
du front de mer - aujourd'hui disparus pour la
plupart - et réglaient à crédit, sur carnet. Quand
la pêche était bonne, elles remboursaient les
boutiquiers.
Les femmes se désolent de la disparition du mé-
tier de pêcheur, trop dur pour les jeunes et trop
cher au regard des charges qu'ils doivent payer.
Ils sont concurrencés par des plaisanciers qui
pêchent sans quota et vendent moins cher leurs
poissons aux restaurants. Elles voient désormais
leurs maris, leurs fils, rester à terre, inactifs, se
détourner de la mer qui jadis leur amenait nour-
riture et argent.
Certains y retournent pour le plaisir à l'âge de la
retraite, mais seulement une dizaine de jeunes
vont à l'eau régulièrement pour vivre de la pêche.
Certains pêcheurs s'adonnent à la pêche sous-
marine, d'autres se regroupent pour acheter de
plus gros bateaux, partir en mer plus loin et plus
longtemps, pêcher des poissons qui
se font plus rares. Mais le petit pêcheur de Terre
Sainte qui partait seul au lever du jour, à la force
des bras puis avec un petit moteur, dont la
femme attendait le retour, les marmailles plein la
jupe, celui-ci a disparu.
Les pêcheurs, solidaires en mer, mais jaloux sur
terre, s'y mettaient pourtant à plusieurs pour
remonter leurs barques en haut des ruelles à
l'approche des raz-de-marée. Le dernier de 2007
a eu raison de l'emplacement de ces barques sur
le front de mer de Terre Sainte. Elles sont désormais
rassemblées dans le port de Saint-pierre, loin des
pêcheurs et ont été remplacées par des bateaux
en plastique.
VIE QUOTIDIENNE
LA DISPARITION DE LA PÊCHE
SOUVENIRS PARTICULIERS
Ange, 80 ans, et Georges, 85 ans, ont eu sept enfants qui leur ont donné 21 petits-enfants, 30 arrière-
petits-enfants. Georges est à la retraite depuis 35 ans, mais retourne régulièrement à l'eau sur sa
barque dès qu'il fait beau temps. Ange, quant à elle, vit tranquillement au rythme des passages des
petits, avec, toujours, un pic d’inquiétude les quelques fois où son mari décide de sortir en mer.
Arlette et Regina sont deux gramounes que l'on voit tous les après-midi sur le front de mer, assises
sur le banc de pierre en train de discuter. Elles ont gardé l’habitude de se baigner le matin tout habillée
sur la plage des banians. Régina, fille de pêcheur, se remémore le temps où le parking devant la jetée
n'était pas goudronné. Elle mangeait sur le muret de la maison avec les autres enfants face à la mer
à la lueur de la bougie. À l'époque, il n'y avait pas d'école maternelle. On faisait « l'école marron » à
la maison avec d'autres enfants. Ils savaient ainsi lire, compter et écrire à 6 ans en arrivant à l'école
élémentaire.
Madeleine, 84 ans, est une gramoune gâtée, elle a 14 petits-enfants, 16 arrière-petits-enfants. Elle
est l'une des plus anciennes femmes de marins pêcheurs de Terre Sainte. Elle aime bien discuter,
parler du temps de sa jeunesse. Elle vit face à la jetée, devant les cases de pêcheurs, mais est la plupart
du temps dehors. Elle n'aime pas le poisson cru et les sushis, importés récemment, ni la viande cuite
trop vite, comme l'apprécient les zoreils. Elle est très dynamique et garde une très bonne mémoire
des dates, des événements passés. Les frais de médecins étaient très chers de son temps et elle n'allait
pas si rapidement qu'aujourd'hui voir un médecin. Ses cinq enfants morts en bas âge auraient peut-
être été aujourd’hui sauvés ?
La femme de Marco vit au-dessus de la croix des pêcheurs. Son mari, 72 ans, faisait des campagnes
de pêches dès son plus jeune âge sur de grands bateaux, en Antarctique, au Mozambique, Mada,
Maldives, Colombo, Diego, Cap Dame, Tromelin, Juan De Nova, Europa, les Glorieuses, la Nouvelle-
Amsterdam, Seychelles, Saint-Paul, Mayotte, Maurice, Rodrigues... Il partait longtemps et avait le mal
de mer dès qu'il rentrait à Terre Sainte. Il pêche encore pour le plaisir et on le croise régulièrement
dans Terre Sainte avec marinière et casquette de marin. Sa femme l'a toujours patiemment attendu
et la vie les a gâtés puisqu’aujourd’hui, ils coulent ensemble des jours paisibles, à l’abri des fureurs
de l’océan.
18 · AU CŒUR DE L’ ÎLE
20 · ESCAPADE TEXTE JEAN-PAUL TAPIEPHOTOGRAPHIE ADELINE MELLIEZ
J’APPELLE VALLÉE PERDUE UNE VALLÉE QUI NE MÈNE NULLE PART.
JE SAIS, L’EXPRESSION EST ROMANESQUE À L’EXCÈS.
C’EST UNE SÉQUELLE DE MES LECTURES ADOLESCENTES :
JULES VERNE, STEVENSON, FRISON-ROCHE, PALUEL-MARMONT
ET BIEN D’AUTRES AUTEURS PUBLIÉS DANS LA PETITE BIBLIOTHÈQUE VERTE
OU LA COLLECTION ROUGE ET OR.
TELLE EST DONC LA VALLÉE DU VÉNÉON ENTRE LES ALPES DU NORD
ET LES ALPES DU SUD, UNE VALLÉE PERDUE, AU CŒUR DE LAQUELLE
UNE FEMME, TEL UN PERSONNAGE DE ROMAN, TIENT À ELLE SEULE
UN PETIT HÔTEL, RESTAURANT, CAFÉ LITTÉRAIRE ET SPECTACLE MUSICAL...
la damede la vallée perdueLa cordée 38520 St-Christophe-en-OisansT. 04 76 79 52 37
ormalement, une vallée monte
vers un col qui permet de franchir
une barre montagneuse et vous
conduit, de l’autre côté, dans une
autre vallée. Une vallée perdue ne
mène nulle part. À un moment donné, elle se
heurte à une paroi apparemment infranchissa-
ble, et cela ne donne pas forcément un cirque
comme celui de Gavarnie. La route s’arrête, elle
ne va pas plus loin. Avec un peu de chance, elle
se prolonge d’un sentier qui permet de monter
un peu plus haut. Mais pas de col en vue. Pour
passer de l’autre côté, il faudra sûrement, au bout
du sentier, escalader la dernière partie. Sans être
certain de trouver une autre vallée de l’autre côté.
En clair, une vallée perdue est un cul-de-sac.
Telle est la vallée du Vénéon dans l’Oisans. À la
sortie du Bourg d’Oisans, il faut quitter sur la
droite la route qui mène au col du Lautaret pour
s’engager sur une route qui a tout l’air de savoir
où elle va. Au Bourg d’Arud, juste à l’aplomb des
Deux-Alpes, vous apercevez les dernières re-
montées mécaniques. Au-delà, la vallée tourne
le dos à tout ce modernisme encombrant, cette
société des loisirs acharnée. Elle s’ensauvage, si
j’ose dire, un peu plus à chaque kilomètre. Par
endroits, le Vénéon se précipite en chutes d’eau
à flanquer la trouille à n’importe quel kayakiste
confirmé. Il se calme un instant grâce à un bar-
rage, mais déjà la route, au-delà d’une base nau-
tique, entreprend, à coups de larges lacets, de
franchir une gorge étroite dans laquelle a été
installée une via ferrata, pour se hisser à la hau-
teur de Saint-Christophe-en-Oisans, un village
dont les hautes maisons se précipitent de part et
d’autre de la route, comme si elles rêvaient de
voir passer le Tour de France. Là, sur la gauche,
dans la portion la plus étroite, un petit hôtel qui
a l’air de rien, La Cordée, tenue d’une main
brouillonne, mais efficace par une femme du
pays, Marie-Claude Turc. L’endroit est aussi
inattendu que la propriétaire : on entre dans ce
qui paraît être un bistrot, mais qui s’avère être un
véritable capharnaüm, une caverne d’Ali Baba,
mais remplie de brimborions inutiles et bon
marché. On trouve de tout dans cette salle de
bistrot : des peluches énormes, des couteaux
suisses, des lunettes de vue pour lire, des bri-
quets, des cartes postales, des friandises, des
guides touristiques, des lunettes de soleil, des
bonnets en laine, des journaux, des désodorisants
pour voiture, des livres, des albums de photos, des
bibelots, des baromètres, des figurines kitsch en
pâte colorée… On dirait un inventaire à la Prévert, ou
encore un jeu de Kim, ce jeu où vous disposez d’une
minute pour tenter de caser dans votre mémoire un
maximum d’objets insolites que vous devez ensuite
énumérer. La patronne du lieu semble incapable de re-
fuser tout ce que les représentants de passage lui pro-
posent de prendre en dépôt. Cette disponibilité est
probablement dans sa nature. Elle s’occupe pratique-
ment de tout dans son hôtel-restaurant, à peine aidée
par une aide en cuisine. Elle sert en terrasse, au
comptoir et en salle. Elle monte vérifier si les cham-
bres ont été faites. Si vous le lui demandez, elle ira
aussitôt mettre en marche le hammam qu’elle a fait
installer dans une bâtisse derrière l’hôtel. Elle donne
l’impression de tout faire, et d’avoir le temps de tout
faire. Elle ne se hâte jamais. Elle devrait être classée
en même temps que son établissement.
Une salle un peu sombre, au-delà du bistrot, tient
lieu de restaurant, une demi-douzaine de tables, où
l’on vous sert une cuisine locale fortement impré-
gnée d’herbes sauvages que la patronne ramasse
elle-même. Quand ? Mystère et boules de gomme !
La nuit, peut-être…
Elle doit disposer d’encore un peu de temps libre, car
elle a annexé une autre maison, derrière l’hôtel,
qu’elle a transformée en salle de spectacles. Je m’y
trouvais au moment de la Fête de la musique : une
chorale de la région régalait un auditoire d’une cin-
quantaine de personnes avec un répertoire de chants
d’Europe centrale. Des échos slaves, tziganes ou russes
dans un village de l’Oisans : incongru et surprenant.
Au-delà de Saint-Christophe, de La Cordée et de sa
pittoresque patronne, la route continue sur une
quinzaine de kilomètres jusqu’à La Bérarde, terminus,
tout le monde descend. Et tout le monde grimpe : à
partir de là, on peut atteindre une demi-douzaine de
refuges d’où s’élancent les alpinistes à la conquête
de la Meije et autre sommet. Les débutants s’exercent
sur la Tête de la Maye. De belles randonnées, ennei-
gées jusqu’à la mi-juin, parfois au-delà, sont là pour
vous prouver que toute la montagne n’a pas été an-
nexée, équipée, outillée pour le plaisir des seuls skieurs.
Vous êtes arrivé au cœur de la vallée perdue. Mais
elle n’est pas perdue pour tout le monde.
N
22 · PUBLI-REPORTAGE
C O N S E I L G É N É R A L
NassimahDindar
10 ans de mandature, 10 ans d’engagement pour le patrimoine et la mémoire.
la réunion est jeune de ses 350 ans
d’histoire humaine et en même temps
riche du patrimoine, matériel et imma-
tériel que son peuplement aux origines
multiples a forgé. l’histoire institu-
tionnelle a fait de la collectivité dé-
partementale le dépositaire d’éléments
majeurs de ce patrimoine, aux visages
multiples : architectural, mobilier, pay-
sager, muséal…
le conserver, le restaurer, l’enrichir,
l’étudier et le faire connaître est une
responsabilité quotidienne, immense
et exaltante. elle a appelé le conseil
général sur tant de fronts à la fois
qu’il a dû faire des choix, sans toute-
fois jamais renoncer. depuis 2004, pas
une année qui n’ait vu l’assemblée dé-
partementale lancer ou accomplir un
chantier patrimonial ou une œuvre de
mémoire.
des chantiers patrimoniaux à haute valeur symbolique
C’est parce qu’il connaît ce que ces sites ou ce que ces collections précieuses racontent de La Réunion
que le Conseil général a lancé dès 2004 le 1er chantier de restauration du lazaret de la grande chaloupe,
lieu emblématique du peuplement singulier de notre île. plusieurs autres chantiers ont suivi, multi-
disciplinaires (mémoire orale, archéologie, ethnobotanique…) et se poursuivent aujourd’hui encore,
avec une attention constante portée à l’implication active des populations vivant à proximité et à la
qualité de l’accueil du public.
Un autre lieu de mémoire est ouvert dans l’ouest en 2007, sur le site de la pointe au Sel : l’éco-musée
du sel, créé en partenariat avec le Conservatoire du Littoral, qui raconte à un public de plus en plus
nombreux dans ses murs ce que les salines donnent à voir et à comprendre hors des murs.
Ont aussi été rénovés en 2008/2009 le jardin de l’etat - l’ancien jardin d’acclimatation de La Réunion
qui conserve encore un nombre important d’espèces botaniques rares - ainsi que la plus ancienne
bibliothèque de l’île, gardienne de son patrimoine imprimé et littéraire, devenue bibliothèque
départementale de la réunion qui, pour assurer pleinement sa mission singulière, a bénéficié d’une
extension de ses locaux.
Tout aussi fort a été en 2008 puis 2010 le geste fait par la collectivité en direction du patrimoine musical
de La Réunion : deux expositions de partitions et de disques ont pris leur part dans la longue et
minutieuse entreprise de conservation de la mémoire musicale de la réunion ; de même que l’exposition
« Les noms de la liberté » construite en 2013 autour des registres spéciaux dans le cadre des 350 ans du
peuplement de l’île préfigure l’ambitieux chantier patrimonial des futures archives du peuplement.
Au service du patrimoine, le Conseil général a aussi mobilisé les outils de la modernité en inaugurant
en 2011, et ce après plusieurs années de gestation, son 1er service public culturel numérique : l’icono-
thèque historique de l’océan indien qui ouvre avec plus de 10 000 images anciennes évoquant trois
siècles d’histoire et la diversité de ses témoignages. Cette offre s’enrichit progressivement - grâce
aux collections départementales et à la faveur de nombreux partenariats - tandis que son public se
fidélise et s’élargit, il a dépassé les 100 000 en 2013.
partager la mémoire, pour un mieux « vivre-ensemble »
Le Conseil général est aussi un passeur de mémoire. En plus d’accompagner chaque année les
manifestations associatives et artistiques liées au 20 décembre, au Dipavali, à la Semaine Créole etc ;
au-delà des accords de coopération signés avec plusieurs pays de peuplement et où la dimension
culturelle est toujours centrale, la collectivité départementale a veillé depuis dix ans à partager avec
le plus large public réflexions et manifestations sur le sens et la portée de textes ou d’événements-clés
de la mémoire collective : nationale (centenaire de la loi sur la laïcité en 2005, année du dialogue
interculturel en 2008…) ou locale (60 ans de la départementalisation en 2006, 150 ans du lazaret
en 2011, 50 ans de l’histoire des enfants de la creuse en 2013).
l’œuvre patrimoniale et mémorielle portée par le conseil général n’est évidemment pas achevée.
nul doute cependant que ce qui a été entrepris sur ces 10 années passées mérite d’être poursuivi,
dans le même élan, avec la même exigence, en mobilisant toutes les ressources disponibles :
humaines, scientifiques, associatives, traditionnelles, numériques… au bénéfice du patrimoine
insulaire.
24 · AU FIL DES FESTIVALS
TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC & MARTEN PERSIEL
UN TIGRE DANS LE MOTEUR !
les spectacles du leu tempo, payants et gratuits,
fédèrent tous les publics autour du rire, du plaisir,
de l'éblouissement, du talent tout simplement.
pendant cinq jours, la grande rue et le bord de
mer ont été envahis de clowns, d'acrobates, d'ac-
teurs, de marionnettistes, d'humoristes, et d'ar-
tistes à caresser du regard. cette année, grande
nouveauté, la danse des mots et l’humour caus-
tique étaient les invités de cette seizième édition.
Le tigre bleu, l’œil féroce et les crocs sortis, sym-
bole de la mise en danger de l’artiste, voire même
du spectateur, était l’emblème de cette seizième
édition du Leu Tempo Festival.
« Il a fallu se battre – comme un tigre – pour affir-
mer la même ligne volontariste et dynamique »,
explique le directeur de la programmation Jean
Cabaret, après une si belle édition anniversaire
avec plus de 16 000 spectacles vendus et une
fréquentation exceptionnelle de 30 000 personnes
dans la rue pour la grande parade.
leutempo 2014
Ce fut un super hommage à Baguett’, le créateur
du festival. Il n’était donc pas évident de continuer
sur cette lancée, « avec des spectacles forts tout
en apportant des nouveautés, des spectacles de
paroles à l’humour incisif » ; improvisations face
au public de Sébastien Barrier ; fantaisie orientale
de gwen Aduh qui rêve d’un autre monde et le
premier spectacle politique, la grande Saga de la
Françafrique. Un one man show porté par jérôme
Colloud, comédien aux mille ressorts qui met à
nu les liens occultes entre la France et l’Afrique en
habillant le message d’une performance épous-
touflante où le son frappe de plein fouet l’imagi-
naire. « Notre but est de sortir de la zone de confort
du spectacle de rue et d’offrir des spectacles
décalés apportant un propos qui fait réfléchir »,
souligne jean Cabaret.
L’humour, le corrosif n'étaient pas les seuls invités
de cette seizième édition, le burlesque, la fraîcheur
et la légèreté ont toujours eu leur place au Leu
Tempo. Les créations locales côtoient avec bon-
heur les créations internationales, performances
des acrobates de La Meute qui ont réuni quatre fois
neuf cents personnes, chorégraphie musicale de
Soraya Thomas, facétie décalée de Maria Dolorès,
badinage moqueur de Myriam Omar Awadi et
Nicolas givran autour du concept d’exposition
contemporaine ; fantaisie avec Vélocipèdes, spec-
tacle de déambulation conçu par Lolita Monga pour
emmener le théâtre dans la rue ; belle envolée
avec des Lettres à plumes et à poils ; fantaisie de
pleine nature avec la compagnie Cirquons Flex…
Il était impossible de tout voir ! Mais le public du
Tempo le sait bien et s’organise en conséquence.
L’ambiance du Leu Tempo est particulièrement
chaleureuse, les festivaliers se baladent en toute
quiétude, avec surgit de nulle part, de joyeux effets
de surprise, comme un père Noël au mois de mai
qui harangue la foule et la met en garde contre la
plus grande machination commerciale !
Les organisateurs du Tempo offrent vraiment
une programmation de grande qualité, les artistes
invités s’y plaisent, les journalistes en parlent, le
prosélytisme opère pour dénicher de nouveaux
talents à faire découvrir aux Réunionnais, sans
risque d’expansion fulgurante qui dénaturerait
l’esprit de grande fête familiale du festival : « l’es-
sentiel, pour nous, est de garder cette dimension
à taille humaine », conclut jean Cabaret.
Une belle édition donc cette année encore avec
des retombées bénéfiques pour les artistes réu-
nionnais invités, depuis, à se produire dans des
festivals européens. En attendant l’année prochaine,
restez en éveil, certains spectacles se jouent encore
sur l’île.
26 · AU FIL DES FESTIVALS
programme à co
nsulter sur www.lesecho
ir.com
PHOTOGRAPHIEMARTENPERSIEL
PHOTOGRAPHIEGRAHAMDELACEY
28 · OCÉAN INDIEN TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE GRAHAM DE LACEY – LE POULAILLER
Rosemary Nalden
la violoniste rosemary nalden a
tout quitté, sa famille, ses amis, les
musiciens de son orchestre, sa
carrière, son environnement très
confortable à londres, pour créer
une école pas comme les autres
dans le township de soweto où elle
est l’étrangère. parfois, un brin de
nostalgie la gagne, mais se dissipe
lorsque le groupe commence à
jouer. la musique pour laquelle
elle se lève tous les matins, la vo-
lonté de ces jeunes à qui elle en-
seigne l’excellence, et la magie qui
opère aux premières notes de
l’orchestre effacent toute trace de
regret. elle mène son équipe d’une
main de maître et laisse le talent
de ses jeunes et joyeux virtuoses
éclater sur les scènes mondiales.
l’unique et remarquable buskaid
soweto string ensemble est l’œuvre
de sa vie.
30 · OCÉAN INDIEN
L’histoire commence en 1992. Rosemary Nalden,
brillante élève du célèbre Sir john Éliot gardiner,
entend un appel à la BBC de jeunes sud-africains
qui souhaitent créer une école de musique à Soweto,
l’immense bidonville qui borde johannesburg.
Branle-bas de combat, Rosemary Nalden réussit
à mobiliser les 120 musiciens de sa connaissance
qui se produisent dans les gares de Londres et de
toute l’Angleterre pour récolter de l’argent. Une
belle somme, en petites pièces, 6000 livres de
l’époque,soit un peu plus de 7000 euros. Un ami
lui conseille d’aller sur place se rendre compte du
projet. Ce sont les prémices du BUSKAID SOWETO
STRINg ENSEMBLE ; l’ensemble à cordes du Bus-
kaid Soweto, Buskaid voulant dire en anglais faire
la manche.
Lorsqu’elle prend l’avion pour johannesburg, elle
a tout à fait conscience qu’elle va avoir un choc
culturel terrible et que la démarche n’est pas sans
risque. C’est l’époque de la fin de l’Apartheid en
Afrique du Sud, les troubles et les massacres se
perpétuent avant que Nelson Mandela n’accède
à la présidence. Mais au milieu de ces sombres
pensées, émerge l’intuition qu’une part inconnue
d’elle-même va se libérer et donner un sens à sa
vie.
Elle arrive dans un taudis nauséabond squatté par
des jeunes à la rue. La pièce devant servir de salle
de musique était attenante à la salle de bains,
avec des WC sans porte. Et en permanence, des
personnes venaient aux toilettes et repartaient
tandis qu’elle essayait de donner des leçons de
violon aux jeunes gamins, sans aucun doute très
motivés. Un cauchemar !
puis, il y a eu des dérives avec certains profes-
seurs, des vols et autres dérapages que Rosemary
Nalden ne pouvait tolérer. Elle se retire du projet.
poussée par le potentiel musical inné qu’elle a
perçu chez ses premiers élèves, elle décide de créer
un nouveau concept en construisant une école
qui ouvrira ses portes cinq ans plus tard.
En 1997, la grande aventure commence, à force
de ténacité, de patience, d’amour aussi pour ces
gamins déshérités, d’amour pour la musique qui
les réunit comme une famille soudée dans ce chaos
indescriptible où règne la terreur.
À l’entrée de l’école, un petit panneau avec un
pictogramme posé sur le mur en brique annonce
la couleur : « This is a gun-free zone 1».
Les enfants vivent tous des drames. Drogue,
alcool, assassinat, sida, faim, maltraitance... La
plupart d’entre eux ne voient jamais leur père ou
tout au plus une fois par an. La normalité pour
eux, c’est d’aller enterrer un oncle, un cousin, un
parent proche qui s’est fait tuer par balle. Ils vivent
plongés dans cet univers de violence, et à chaque
fois qu’ils franchissent les portes de l’école du
Buskaid, ils oublient, pour un temps, le fardeau
de leur existence. Seule, la musique a de l’impor-
tance.
Rosemary Nalden parle de ce petit garçon, haut
comme trois pommes, découvert par une mamie
dans une décharge et laissé pour mort. Son visage
et son corps étaient couverts de brûlures de ciga-
rette. Aujourd’hui, il porte encore quelques cica-
Ceci est un espace sans arme1
trices, mais il sourit au violon qui lui apporte une
indicible envie de vivre.
Le but de Rosemary Nalden n’est pas d’enseigner
le violon à des enfants comme dérivatif à leur
détresse. Son but est d’élever cette école au plus
haut niveau de qualité tout en aidant les enfants
à trouver les vraies valeurs de l’existence.
Elle leur enseigne aussi les valeurs fondamen-
tales de la vie collective. Respect de soi, respect
des autres, respect du groupe. Il est très difficile,
dit-elle, d’enseigner l’honnêteté aux enfants dans
ce contexte-ci. pour mener à bien son projet, les
élèves du Buskaid sont suivis sur le plan médical,
social et psychologique. Lorsqu’il y a des problèmes,
elle se charge d’aller à la rencontre des familles, à
leur domicile, pour qu’ils soutiennent leur enfant
dans cette démarche qui lui ouvre des perspec-
tives d’une vie décente en dehors du bidonville.
Son recrutement repose sur trois critères essen-
tiels, une vraie détermination, une sensibilité
musicale et un talent émergent. Elle s’occupe de
faire éclore le potentiel de l’élève, au prix d’une
discipline inflexible. Et si l’enfant n’a pas en lui
cette envie tenace de réussir, elle ne pourra pas
le conduire au sommet, là où il n’a sans doute pas
imaginé pouvoir accéder un jour.
Beaucoup de ses élèves ont obtenu des bourses
d’études dans des conservatoires internationaux.
Certains ont réussi à intégrer le prestigieux Royal
Northern College of Music de Manchester. Ces élèves
qu’elle a portés à bout de bras, avec, chacun, une
histoire personnelle lourde, sont devenus pour
certains musiciens professionnels.
pour Rosemary Nalden, c’est une fierté, une joie
immense de les voir s’envoler si haut, et un dé-
chirement aussi, comme une mère perd son en-
fant qui a grandi trop vite.
Ce ne sont pas les parents qui viennent inscrire
les enfants à l’école de musique, mais les enfants
eux-mêmes. Une petite fille, très timide, est ainsi
venue tous les jours de la semaine. Le week-end,
elle venait aussi. Le lundi, le mardi, jusqu’au di-
manche, pendant des semaines, inlassablement
la petite fille frappait à la porte en disant : « je veux
faire du violon ! » Finalement, Rosemary Nalden
lui a fait passer une audition et elle l’a intégrée
dans la formation. Elle fait maintenant partie de
ses meilleures élèves, avec une personnalité qui
s’est révélée chatoyante.
Rosemary Nalden est depuis le début fascinée par
le sens musical de ces jeunes. Et c’est avec un
grand enthousiasme et quelques brins d’humour
qu’elle leur transmet ses préférences musicales
qu’ils interprètent avec beaucoup d’aisance. Elle
commencera à produire son orchestre à cordes
en concert avec les œuvres de Rameau. Le Che-
valier de Saint-george lui tient aussi à cœur. Mais
pas seulement, le répertoire enseigné est très
large, musique baroque, classique, romantique,
contemporaine, ainsi que les standards de jazz,
de gospel et les propres arrangements du groupe
en musique traditionnelle et en afro-pop.
33 · OCÉAN INDIEN
Il n’y a pas de hiérarchie entre la musique, le chant
et la danse. Dans le même geste d’élégance, toutes
les performances sont réalisées dans une re-
cherche d’excellence.
L’école du Buskaid compte aujourd’hui 115 élèves,
de 6 ans à 33 ans. En 2000, la bassiste Sonja Bass
est venue la rejoindre pour apporter son soutien,
mais très vite Rosemary Nalden s’est rendu compte
qu’il lui serait difficile de trouver des enseignants
à Soweto. Alors, elle a formé les plus anciens qui
sont devenus les tuteurs des plus jeunes. Ainsi,
chaque élève qui entre au Buskaid peut poten-
tiellement devenir enseignant. L’esprit et les va-
leurs de Rosemary Nalden s’y perpétuent, mais
lorsqu’elle ne sera plus là, qui reprendra le flam-
beau de la Dame de fer ?
Chaque année, pendant les vacances, Rosemary
Nalden organise des ateliers de cordes dans le
bush africain pour y préparer, avec ses élèves, le
programme de l’année. Le Buskaid Soweto String
Ensemble est invité partout, à New york, en Aus-
tralie, en Corée, au Brésil, en Europe… à la Cité de
la musique à paris dans le cadre de la résidence
de Sir john gardiner qui les suit avec bienveil-
lance depuis le début. De grands artistes, donc,
applaudis dans le monde entier pour leur admi-
rable talent, leur énergie musicale et leur joie de
vivre sur scène. Les concerts et les ventes de DVD
servent aussi à financer l’école.
Rosemary Nalden est, de fait, un chef d’entre-
prise. Elle mesure depuis dix-sept ans maintenant
combien il est difficile de maintenir le Buskaid à
ce niveau d’exigence d’autant que, dans cette op-
tique, elle y a ajouté une fabrique d’instruments
et une bibliothèque. Ses partenaires la suivent fi-
dèlement, mais la santé financière de l’école n’en
demeure pas moins fragile. Elle dépense beau-
coup de temps et d’énergie pour convaincre les
sponsors et autres mécènes privés, l’État ne lui
apportant aucune aide.
Ainsi, Rosemary veille sur tout, les achats, les
réparations de violons, le fonctionnement de
l’école au centime près. Lorsqu’elle organise un
voyage, elle vérifie chaque détail, scrute chaque
frais engagé, trente personnes à emmener au
restaurant deux fois par jour, ce n’est pas simple !
Avant de partir, elle pèse toutes les valises pour
s’assurer que ses élèves n’emportent que l’essen-
tiel et qu’il n’y aura pas de problème à l’aéroport.
Le Buskaid Soweto String Ensemble s’est produit
pour la première fois à La Réunion, invité par
l’association Nakiyava à l’occasion du 350e anni-
versaire du peuplement de l’île. Rosemary Nalden
a choisi de présenter une œuvre du Chevalier de
Saint-george, surnommé le « Black Mozart »,
parce que sa musique est belle et parce que ce
compositeur et violoniste, métis guadeloupéen,
noir de peau, représentait au xVIIIe siècle l’excep-
tion à la cour du roi de France.
Le Buskaid a offert trois magnifiques concerts en
ce mois de décembre 2013. Le premier au Tampon
dans la salle Luc Donnat avec les jeunes du
Conservatoire Régional. Les répétitions ont été
courtes, ce qui a néanmoins permis de très beaux
échanges entre les élèves réunionnais et ceux de
Soweto. Le second, au jardin de l’État à Saint-
Denis, le dimanche 15 décembre, jour de l’inhu-
mation de Nelson Mandela. À travers la prestation
de l’ensemble orchestral du Buskaid, toute l’assis-
tance pouvait ainsi lui rendre hommage. Et la
tournée s’est terminée à l’église de Saint-gilles-
les-Bains.
En 2013, Rosemary Nalden a reçu une des plus
hautes distinctions de la sphère musicale, le prix
d’honneur du Royal philharmonic Society. Ce prix
a été décerné à cinq musiciens dans le monde.
Cinq lauréats, chacun pour un projet complexe
réalisé dans son propre pays, sauf Rosemary
Nalden, une Anglaise qui a créé le Buskaid Soweto
String Ensemble en Afrique du Sud. Cinq lauréats,
dont une seule femme, Rosemary Nalden.
34 · BEAUX-ARTS PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE CHRISTIANE GEOFFROY
LA PLASTICIENNE CHRISTIANE GEOFFROY SUR KERGUELEN ET LE CHORÉGRAPHE PACO
DÈCINA SUR CROZET SONT REVENUS LE VENDREDI 4 AVRIL 2014, ÉMERVEILLÉS DE LEUR
RÉSIDENCE ARTISTIQUE DANS LES TAAF. QUATRE MOIS D’ISOLEMENT, DE COMMUNION
AVEC LA NATURE ET DE VIE COLLECTIVE AVEC LES SCIENTIFIQUES DE LA BASE. DEUX FOIS
10 JOURS DE TRAVERSÉE SUR LE MARION DUFRESNE. ET TROIS MOIS DE QUESTIONNEMENT,
D’INTROSPECTION ET DE CHEMINEMENT VERS UN TRAVAIL CRÉATIF QUI SERA PRÉSENTÉ
EN 2015. CHAQUE ARTISTE A VÉCU UNE AVENTURE PASSIONNANTE AVEC LES RESSORTS
SINGULIERS DE SA SENSIBILITÉ.
INSTRUMENT DE MESURE SUR LA BASE DE KERGUELEN
Elle & lui l’Atelier des Ailleurs
pour cette deuxième édition des Ateliers des Ail-
leurs initiés par les TAAF, les artistes sélectionnés,
Christiane geoffroy et paco Dècina, ne seront pas
en résidence sur la même base. Leur point com-
mun, un travail de longue date sur le rapport entre
art, sciences et nature. Ils retracent, avec le même
enthousiasme, les grands moments de leur aven-
ture
ELLE : « MON TRAVAIL AVANCE
COMME JE COMPRENDS LA VIE. »
professeur à l’école des Arts du Rhin, Christiane
geoffroy travaille depuis 2010 sur les changements
environnementaux et collabore avec le labora-
toire de glaciologie et de géophysique de l’envi-
ronnement de grenoble. Dès l’annonce de son
départ pour les Kerguelen en novembre 2013, elle
tient un journal de bord sur l’espace des sciences
de Rennes :
www.espace-sciences.org/explorer/blog/46419.
humour, éblouissement, implication, désappro-
bation, parsèment, comme autant de petits cailloux
blancs, son parcours résidentiel au fil des jours.
Son projet d’art contemporain « Sub-antartica,
quand le tout est supérieur à la somme des par-
ties », réalisé dans le cadre de l’Atelier des Ailleurs,
va aborder les écosystèmes, leur évolution et les
changements auxquels ils sont soumis, toujours
dans l’idée de relier son travail d’art plastique aux
questions scientifiques.
Très indépendante, seule à s’occuper de tout, cette
femme débordante d’énergie raconte son excita-
tion extrême avant le départ et son stress à l’idée
de ne pas avoir tout anticiper, de l’essentiel à l’anec-
dotique.
Arrivée sur le district des Kerguelen, elle découverte
de la base de port-aux-Français, un village avec
poste, cinéma, bibliothèque, dortoirs. Au restau-
rant où sont alignées de grandes tables, « on s’as-
soit par ordre d’arrivée, on ne sait jamais qui l’on
va côtoyer ». Les horaires sont fixes, la réglemen-
tation est stricte. Interdit de s’éloigner, seule, de la
base. Les sorties sont très codifiées et chacune
d’entre elles participe à une démarche d’ensemble
planifiée sur l’année.
Très impressionnée par la cohabitation naturelle
des hommes et des animaux : « Les manchots
traversent l’espace, s’arrêtent près de vous et vous
regardent. » Christiane geoffroy, de jour en jour,
découvre l’archipel des Kerguelen, en partant sur
les différents lieux d’observation : « Le chaland glisse
le long des parois des îles en un long travelling aux
mille nuances. »
Cette poésie de la nature est toutefois entachée
par les protocoles scientifiques. « À leur dernier
stade de mue, les poussins sont transpondés... avec
un pistolet, on leur injecte sous la peau une très
fine gélule en résine qui transmet un numéro
d’identification. » Les manchots, quant à eux, sont
mesurés et pesés. « Le manchot porte une cagoule
afin de réduire son stress.» Ailleurs, ce sont les
pétrels bleus, dénichés au fond des galeries qu’ils
ont creusées dans la roche. Un sentiment contra-
dictoire l’envahit entre l’intérêt évident des ces
mesures pour la science et le stress des animaux
au cours de ces manipulations.
« Et si l’on observait l’animal comme l’on observe
la terre ? » Sur la base, à l ‘écart des bâtiments, des
installations gigantesques abritent une petite
Silicon Valley. Centre de surveillance des satellites,
de données sismiques, de champs magnétiques…
à l’échelle mondiale le monde et les ondes gardent
encore la trace nostalgique des lancements de
fusées soviétiques qui fonctionnaient symétri-
quement dans les deux hémisphères à Kerguelen
et à Sogra, au nord de la Sibérie, pour déclencher
des aurores boréales.
Christiane geoffroy échange beaucoup avec les
scientifiques et découvre un univers sauvage
peuplé d’animaux à profusion qui l’émeut à tel
point que même leurs fientes sur les rochers lui
évoquent un film de pollock en train de peindre.
Elle lit beaucoup aussi, observe tout le temps,
filme et photographie le plus possible au gré du
vent qui parfois sature la bande son. Chaque ins-
tant capté laisse l’empreinte de moments su-
blimes dont elle ne sait pas encore comment elle
va en transmettre l’intense beauté.
LUI : « LA DOUCEUR PERMÉABLE
DE LA ROSÉE »
Dans une démarche complètement différente,
avec la responsabilité d’une troupe, paco Dècina
a un devoir de restitution auprès des autres pour
créer sa pièce chorégraphique.
Après avoir fait des études scientifiques, il s’oriente
vers les arts plastiques puis étudie la danse et, plus
particulièrement les techniques afro-cubaines,
avec l’américain Bob Curtis. En 1986, il s’installe
en France, et fonde sa Cie post-Retroguardia. Il se
définit comme un chorégraphe de l’épure et de
l’harmonie.
Très énergique lui aussi, il fait autorité tout en
gardant ce charme italien qui lui permet d’impo-
ser ses vues avec délicatesse.
« Dans ce spectacle, je vais traiter de la douceur
de la nature comme remède et antithèse de la
violence imposée par notre société actuelle. »
La musique du spectacle « La douceur perméable
de la rosée » issu de sa résidence artistique sera
composée par Fred Malle à partir des échantillon-
nages recueillis durant son séjour à Crozet. D’ores
et déjà, plusieurs théâtres en métropole l’ont
programmé ainsi que Total Danse à La Réunion.
Quelle chance !
Le fonctionnement de Crozet est tout aussi co-
difié que celui de Kerguelen. paco Dècina se met à
apprendre un nouveau langage. La base à Crozet
est, comme à Kerguelen, remplie d’activités. Très
proche des équipes scientifiques et du personnel
de la base, il organise des séances de relaxation,
le soir, pour ceux qui veulent tenter de nouvelles
expériences.
pour lui, il existe un vrai clivage entre la fourmi-
lière du monde intérieur et l’immensité déser-
tique, vierge de toute population, du monde
extérieur. La base est là où tout se passe, une ville
fantôme où se rassemblent toutes les fluctuations
de l’esprit humain « On est donc obligé d’aller au
fond de soi pour gérer sa relation avec les autres
». Les sorties sont donc des respirations où
s’exhalent « le silence et le sens de l’immensité ».
L’intérêt, pour lui, est de s’imprégner de cette réa-
lité pour ensuite être capable de la partager avec
son équipe artistique. Capter les sons, témoigner
par la lumière, filmer l’instant magique…
« j’essaye avec la danse de donner un espace à
ce qui est prisonnier dans le corps. »
Son travail de questionnement sur la philosophie
et la médecine chinoise l’amène à relier le corps
aux souffles de la nature. pour lui, « le corps ainsi
traversé par le souffle vital peut révéler l’indicible
». C’est donc avec passion qu’il a, lui aussi, vécu
cette résidence à Crozet. Et de conclure : « La
graine créative est plantée, il faut juste lui laisser
le temps de pouvoir germer. » En attendant, une
vidéo sur son site www.pacodecina.fr montre un
incroyable ballet de manchots, comme si paco
Dècina les avait formés à exécuter cette choré-
graphie insolite.
36 · BEAUX-ARTS
38 · RENCONTRE PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL
Lolita Monga
La grande dame et son clapotisdes mots
40 · RENCONTRE
Sa carrière fulgurante débute à Lyon où elle fait ses
premières armes, se poursuit avec la fondation de
la scène des Bambous et sa compagnie Acte 3 avec
Robin Frédéric où, déjà, elle produit des pièces qui
sont représentées à La Réunion, en métropole et à
l’étranger. Elle continue son ascension au théâtre
du grand Marché où ses pièces, Paradise, Majorettes…
font salle comble.
Lauréate de nombreux prix, de résidences d’artistes,
de bourses d’écriture, le ministre de la Culture,
Frédéric Mitterrand, en 2011, complète son palmarès
en lui remettant l’insigne de chevalier de l’ordre des
Arts et des Lettres : « parce que vous avez depuis
plus de quinze ans été l’une des âmes vivantes du
théâtre à La Réunion, parce que vous avez su faire
souffler un vent de liberté et de poésie sur le théâtre. »
Il est vrai qu’avec sa grande chevelure auburn, Lolita
Monga enflamme la scène de son aura, pugnace,
humaniste, énergique, prolifique, rêveuse et toujours
dans l’esthétique des mots. La femme dramaturge,
une vingtaine de pièces à son actif, est aussi une
femme engagée, présidente du SyNDEAC 2, elle
milite pour que la culture s’enracine dans toutes les
strates de la société réunionnaise et elle est, bien
évidemment, très fière de son île.
Ses thèmes de prédilection gravitent autour des
« petits riens » qui reflètent la profondeur du
quotidien, ses personnages, telle une peinture de
Caravage, incarnent les champs du réel avec leurs
joies, leurs tristesses, leurs interrogations et leurs
violences aussi, parfois. Lolita Monga invente un
théâtre de l’humain, proche du public à la manière
de peter Brook, modelé par une nouvelle langue
dans un univers de musicalité qu’elle fait rayonner
sur les scènes d’ici et d’ailleurs.
lolita monga, tout à la fois auteur, actrice et metteur en scène, est reconduite
pour la troisième fois à la tête du centre dramatique de l’océan indien1, autrement
nommé théâtre du grand marché. depuis 2010, elle est la première femme réunion-
naise à diriger, seule, une salle de cette envergure. comme tous les centres
dramatiques, ses missions sont multiples, en tout premier lieu la création, puis la
programmation, le travail à la sensibilisation des publics et la formation. lolita
monga y ajoute la décentralisation des spectacles en créant des formes itiné-
rantes, en travaillant avec des écoles, des associations, des quartiers pour faire
découvrir le théâtre et pour susciter des vocations. un lourd travail de l’ombre
où elle imagine sans cesse des ponts, des lieux d’échanges et de ressourcement.
bat la lang, le mois des auteurs, s’inscrit dans cette démarche de rencontre et de
proximité avec le public.
et tout le monde se souvient de son extraordinaire parcours théâtral, poétique,
émouvant, fantaisiste qu’elle a créé en 2012 pour le centenaire du musée léon
dierx.
Pour rappel le Centre Dramatique de l’océan Indien est un organisme, comme tous les centres dramatiques, dirigé par des artistes reconnus au niveau national et nommés directement par le Ministre de la Culture pour un mandat de trois ans. En 2007, Lolita Monga est nommée à la direction du CDOI avec Pascal Papani, puis elle est reconduite, seule, à ce posteen 2010, puis en 2013.
Syndicat des Entreprises Artistiques et Culturelles
1
2
Le clapotis des mots est une expression que Lolita
Monga, fille de l’île, aime bien, car elle se rattache
à la mer. Suivons-là, dans ce parcours singulier,
comme le petit poucet trouve son chemin de mots
en mots.
vocation
je suis née à Saint-Denis et j’ai passé mon enfance
à La Redoute. je suis l’aînée d’une famille de trois
enfants, ma sœur a 11 mois de différence avec moi
et mon frère, 10 ans. Quand j’étais toute petite, il
n’y avait pas de théâtre à La Réunion, il y avait
seulement Au théâtre ce soir à la TV. On était tou-
jours à se raconter des histoires, ma sœur et moi,
on était toujours dans un film. Il y avait à la TV une
série Les chevaliers du ciel, on prenait nos draps et
on s’amusait à tomber du ciel, on s’inventait des
rôles, on avait beaucoup d’imagination. On fabri-
quait des spectacles et tous les mercredis on invitait
nos parents à voir notre création de la semaine. On
était très fans de spectacles de cirque et on s’inven-
tait de faux numéros de cirque, on jouait aux
équilibristes sur une corde. Depuis toute petite, j’ai
toujours écrit des poèmes, des chansons. j’ai été
une enfant qui n’en faisait qu’à sa tête, mais mes
révoltes m’ont permis de tracer mon chemin et de
vivre ma passion. Une passion qui n’a jamais été
contrariée par mes parents qui ont été ouverts et
bienveillants.
lecture
Ma mère aimait beaucoup les livres, il y en avait en
abondance à la maison et j’adorais lire. je lisais tout
ce qu’il y avait à la bibliothèque, les romans clas-
siques, Le rouge et le noir ; Les mémoires d’outre-
tombe… je dévorais tout ce que je trouvais !
Lorsque j’aime un auteur, je lis toute son œuvre.
« Quand on est dans les mots,
on a envie de les vivre »
début
j’ai toujours voulu partir, même si avec mes parents
on a beaucoup voyagé. j’avais envie de découvrir
le monde ! j’imaginais un tas de choses derrière la
notion de voyage, c’était toujours mieux ailleurs.
j’ai donc prétexté aller faire mes études en mé-
tropole, je me suis inscrite à un BTS d’action com-
merciale à Lyon, un alibi pour partir. j’avais
dix-neuf ans. j’habitais Villeurbanne, juste à côté
du théâtre de l’Iris. Un jour, je suis entrée et je me
suis inscrite au cours tout en poursuivant mes
études de socio. puis, j’ai travaillé au théâtre à Lyon
et j’ai eu mon garçon qui a maintenant 28 ans.
je suis restée huit ans en métropole, et je suis re-
venue à La Réunion. Un matin, je ne me sentais
pas bien et j’ai décidé de revenir pour voir si j’allais
rester.
métiers
Au départ, j’ai commencé à travailler pour la ville
de Saint-Denis et très vite, j’ai fondé la compagnie
Acte 3 avec Robin Frédéric. j’étais en résidence à
Saint-Benoît au théâtre des Bambous et j’ai écrit ma
première pièce Le vieux rêve. C’est parti d’une
observation à l’aéroport alors que j’attendais un
comédien, j’ai regardé autour de moi, la gestuelle,
les retrouvailles et c’est parti de là. La pièce a bien
fonctionné et ça m’a donné envie de continuer.
Ensuite, je me suis concentrée sur le rôle de co-
médienne. je me souviens très bien, la première
fois où je suis montée sur scène, je tremblais,
j’étais effondrée, j’avais chaud, j’avais froid… au
bout de cinq minutes, je me suis rendu compte
que je n’étais pas morte et j’ai continué !
j’ai codirigé les Bambous avec Robin pendant
cinq ans, j’étais auteur, comédienne et metteur en
scène des créations de la Compagnie Acte 3. Ce
n’était pas évident de concilier les trois métiers. En
France, on est très spécialisé, plus que dans d’autres
pays. Au début, on me disait il vaut mieux faire une
seule chose bien et ne pas prendre le risque de mal
faire plusieurs choses à la fois. Mais, j’étais décom-
plexée, et je trouvais que ces trois métiers étaient
complémentaires et très différents à la fois et ça
me plaisait.
Bon, ce n’était pas systématique, la mise en scène,
ça vient avec le temps. Les costumes, ça m’intéresse
aussi, je rêve de faire des costumes, mais la tech-
nique, ce n’est pas mon truc !
42 · RENCONTRE
symbiose
je ne réfléchis à rien en écrivant. je ne veux pas me
mettre de barrières, je ne veux pas avoir d’images
sur le spectacle ou des comédiens en tête.
« Je ne veux pas bricoler mon imaginaire »
j’ai toujours écrit sans penser à la suite. En même
temps, je fais partie de cette famille de théâtre,
je suis comédienne et j’aime jouer des formes dif-
férentes de théâtre. Alors, quand j’écris, je reste
quelqu’un du plateau et j’écris pour les corps des
acteurs.
écriture
je ne prétends pas analyser la société, c’est plus
une écriture paysage, une peinture de ce que les
gens vivent au quotidien, leur joie, leur frustration,
leur colère. Laisser parler les petites choses, ces
petites choses qui racontent les grandes.
Au début, je racontais beaucoup d’histoires. Main-
tenant, de moins en moins, c’est plus ouvert. je
laisse une place au public pour que les gens se
questionnent. Il n’y a aucun intérêt à trouver le
coupable, ce qui important c’est que tout le groupe
se sente concerné, que tout le monde se sente
responsable.
inspiration
Ça dépend des pièces, ça tourne autour des gens,
du monde dans lequel je vis.
pour Majorettes, on parlait de fanfares dans le
nord de la France. j’ai été majorette dans le quartier
lorsque j’étais petite. j’ai pensé aux femmes seules,
et ça s’est très vite maillé, un clan dans un quartier,
des femmes qui prennent en main l’avenir du
quartier, continuer à rêver et à rester debout…
pour Paradise, c’est parti d’une image qui m’a
frappée après le cyclone, j’ai vu depuis le pont
cette jeune fille dans la ravine qui remontait le
courant d’eau boueuse. j’ai raconté ça autour de
moi et tout le monde s’est mis à raconter des his-
toires de disparus, ça grouillait, il y avait là une
effervescence incroyable, chacun racontait sa
propre vie à partir de ces disparus. C’était magique !
En général, je ne sais pas trop d’avance ce que je
vais écrire, je n’ai pas d’histoire a priori. je suis tou-
chée par les petits riens du quotidien qui font la
vie. je pique des phrases, j’écoute la radio, j’écoute
les gens, je laisse mes oreilles traîner. je peux écou-
ter trois conversations en même temps.
L’inspiration peut aussi venir d’une image, une si-
tuation dans un train ou ailleurs qui me marque.
Une lecture dans le journal, comme Vénus, cette
histoire incroyable de cette jeune femme africaine
arrachée à son pays et exhibée dans les foires puis
après sa mort disséquée sans vergogne.
rayonnement
Le problème de toutes les compagnies, c’est de
sortir de l’île, et même sur l’île, on ne joue pas énor-
mément. Autour de nous, dans l’océan Indien, c’est
difficile, les pays sont en difficultés financières.
Ce que j’écris est un théâtre de texte pas un théâtre
visuel ou de mouvement, c’est un peu compliqué
pour les tournées. À Colmar, Paradise était, par
exemple, sous-titré.
je m’évertue à tisser des liens et renforcer les ré-
seaux avec la métropole. Nous sommes en réseau
avec les Centres dramatiques de Colmar et de
Nancy. Majorettes cette année est programmée à
Colmar, Nancy, poitiers, en guadeloupe, et d’autres
lieux encore.
avignon
On a joué beaucoup de nos spectacles à Avignon,
c’est un format lourd, c’est cher. par contre, pour le
CDOI c’est essentiel, les rencontres, la découverte
de nouvelles créations. Avignon reste un festival
unique, un rendez-vous incontournable pour les
artistes, les programmateurs. Dans la jungle qu’est
devenu ce festival en quelques années, il est difficile
de se faire une place. Cette année, nous emmenons
Katerpilar, spectacle en partenariat avec Cyclones
production, la Fabrik parce que cette proposition
artistique est originale, pertinente et qu’elle peut
trouver un écho. On y croit et on espère qu’elle va
trouver son public et voyager ! On sait que l’on
peut affronter ce marathon !
cdoi
TROISIèME MANDAT
SEpTIèME ANNÉE À LA TÊTE DU CDOI
C’est génial d’avoir un toit. Le CDOI est un théâtre
d’auteurs, la mission n°1 c’est la création, mais on
ne s’occupe pas que de son projet, on accueille
d’autres spectacles, on fait partager d’autres esthé-
tiques qui ne sont pas les siennes. je tourne moins
autour de mon nombril !
On est au contact d’autres auteurs, d’autres met-
teurs en scène. Au CDOI, toute mon énergie est
concentrée sur tous les spectacles que je veux
défendre et pas seulement mes créations.
Dans une grande ville, le public est captif. Ici, il faut
aller chercher le public. Mais ce n’est pas qu’à La
Réunion, dans beaucoup d’endroits, c’est pareil.
L’inconvénient, c’est qu’un Centre dramatique est
très convoité, il faut savoir dire non et ça ne fait
pas toujours plaisir.
La direction du CDOI, c’est aussi tout l’aspect poli-
tique, le travail avec les partenaires, c’est une action
à long terme, les résultats ne sont pas immédiats.
Chaque année, c’est toujours un combat, même si
les partenaires vous font confiance, la culture est
un combat permanent. C’est toujours une lutte, il
faut sans cesse prouver comment on travaille,
pourquoi on fait tel choix. Tout ce travail de décen-
tralisation à Mafate par exemple, aller chez l’habi-
tant, il faut le justifier.
« À l’image de ce qu’on est, l’esprit de ce qu’on
inspire au CDOI, on constate de plus en plus
d’engouement pour le théâtre »
bat la lang
pour aimer le théâtre, il faut aimer la lecture. je
trouve important de travailler avec des auteurs
vivants, un auteur en chair et en os. Découvrir
un texte lu par la bouche d’un comédien, c’est
chouette.
Il n’y a pas beaucoup de gens qui écrivent pour
le théâtre. C’est important de susciter des vocations.
Un mois de résidence et ce n’est pas seulement de
l’événementiel. Les choses se tricotent, les compa-
gnies découvrent un auteur, c’est le terreau des
échanges, un partage avec tous les publics, les
enfants, les ados, les adultes.
« Ce sont des liens qui font grandir »
Bat la Lang, c'est toujours un moment fort et diffé-
rent à chaque édition !
Disons que cette année, on a proposé encore plus
de rendez-vous aux publics dans tous les coins de
l'île, que les auteurs étaient un groupe soudé qui
s'est tout de suite trouvé et la marche à Mafate y a
été pour beaucoup ! Le moment de lecture tous
ensemble pour les habitants de grand place était
très fort et très émouvant pour tous... Les compli-
cités sont nées à ce moment-là. Au théâtre on est
toujours surpris de voir le public présent pour dé-
couvrir les textes en lecture. Retrouver également
des auteurs d’autres éditions présents tant aux
soirées qu'aux différents stages nous conforte
dans le besoin des auteurs pays d'échanger, de se
confronter et de prendre plaisir à écrire ensemble.
La prochaine édition, c'est l'envie d'écrire tous dans
une même résidence, mais ça, ce n’est pas gagné !
Question de moyens ! En tous les cas, les auteurs
invités pour 2017 sont des pointures !
Ce que je retiens de cette édition 2014, ce sont des
instants, l'émotion d'une participante à la lecture
de son texte à la bibliothèque de la Source, le sourire
des collégiens à la médiathèque du Tampon,
l'accueil à la bibliothèque de la Montagne, le silence
des auteurs, des comédiens, des enseignants pen-
chés sur leurs feuilles... Et bien d'autres moments !
langue
j’aime travailler sur la langue, parfois des mots
malgaches, parfois des mots étrangers que j’ai
retenus, parfois des mots inventés… créer ma
propre langue, c’est ce qui m’intéresse, je veux
construire ma propre langue. Le son, la sonorité,
c’est très important.
44 · RENCONTRE
engagement
En ce qui concerne mon engagement, je pense
qu'on ne fait pas ce métier sans le défendre, avec
des armes, certes dérisoires, mais quand on est
persuadé que l'art est nécessaire à la société, on se
bat ! Se battre ce n'est pas défendre son pré carré ou
ses subventions, c'est une position citoyenne pour
la culture.
La culture est transversale, elle touche tous les do-
maines de la société, elle modifie les relations
sociales au quotidien, elle influence notre façon de
percevoir le monde et nous permet de mieux vivre
ensemble et de porter un regard critique et actif sur
le monde qui nous entoure. Elle donne du sens à
la vie.
« Et quand on fait un travail de fond avec
les publics dans les quartiers, les écoles,
les associations, on se rend vite compte que
notre travail a du sens par ce qu'on apporte
et par ce que les gens nous apportent :
un enrichissement mutuel ! »
vie privée
j’ai deux garçons, complètement différents l’un
de l’autre. joan a 28 ans et Léo 12 ans. joan n’est pas
du tout dans le théâtre, mais dans la politique. je lui
ai transmis le sens de l’engagement. C’est bien,
même si c’est inquiétant pour une mère. joan a fait
Sciences po, il est dans le combat de changement
de société, de qualité de vie. Il lit beaucoup, mais
des essais, il est plus dans la réflexion d’un intello
que dans celle de quelqu’un qui aime le théâtre et
ça rejaillit sur sa vie. Ma passion est artistique, et
pour joan, sa passion est politique.
Léo, lui est en 5e, c’est une autre génération, il est
dans l’ipad. Il est très sensible, très curieux, très joueur
aussi, contrairement à joan. Il est toujours en train
de courir, de taper dans une balle. Il est très critique
aussi. Il fait le répétiteur. Il connaît tous les textes
de tous mes rôles. Il veut être explorateur. Il adore
cuisiner aussi. C’est tout un art, il va faire des com-
mentaires sur le goût, le dressage d’un plat, les
couleurs, les saveurs …Il y a là aussi quelque chose
d’artistique. Léo est un bon vivant, il aime bien
manger.
joan n’a même pas de téléphone portable alors que
Léo est rivé sur ses jeux sur internet… Léo dit ce
qu’il pense. Les enfants ont souvent raison, ils ont
beaucoup de bon sens, à propos de choses très
simples, ils posent des questions pertinentes sans
parler de logique, mais sur des détails… L’enfant
sait que l’on fait un métier qui nous passionne, ça
lui donne le goût de la passion.
loisirs
Le théâtre, ce n’est pas toute ma vie, j’existe en
dehors du théâtre, j’ai une vie de famille aussi.
j’aime ma famille, l’endroit où je vis. j’adore cuisi-
ner, faire des choses simples, monter à Mafate, ça
me permet de prendre du recul sur ce que je fais.
Cuisiner, c’est aussi le plaisir de recevoir des amis.
rêve
Mon rêve pour l’avenir, ce n’est pas que tout le
monde vienne au théâtre, je ne vais pas aller à
l’opéra, par exemple, alors je ne vois pas pourquoi
tout le monde viendrait au théâtre !
Mon rêve serait d’apporter une bulle de rêve, de
questionnement, d’émotion. Si j’avais un rêve per-
sonnel, ce serait de partir six mois avec peter Brook
découvrir l’Afrique et les liens à tisser avec ce pays
que je ne connais pas.
nouveauté
pour la rentrée, plein de belles choses en perspec-
tive, des spectacles invités et surtout la nouvelle
création du théâtre du grand Marché « Onoma»,
un projet qui me tient particulièrement à cœur.
Deux personnages qui affrontent l'absence et dé-
couvrent le mystère de la vie, de la mort, des souve-
nirs. Ils deviennent si précieux et ils sont si fragiles,
au bord du vide. Alors, comme pour arrêter le temps
qui court et semble vouloir effacer toute trace, ils
ressuscitent des petits bouts de vie.
Finalement, une vie est toujours une histoire qui
peut se raconter, tel un conte. Chaque vie crée sa
mythologie propre, ses anges et ses démons. On se
penche sur son histoire. De quoi héritons-nous?
Que faire de notre héritage ? Sommes-nous prêts
à être les auteurs de ce que nous engendrons, alors
que nous ne cesserons jamais d’être les fils de nos
pères ?
46 · HORIZON PROPOS RECUEILLIS PAR FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE GAETAN HOARAU
Les Pétrels de La Réunion
LE PÉTREL NOIR DE BOURBON L’île de La Réunion héberge une autre espèce unique au monde,
elle aussi en danger d’extinction, le pétrel Noir de Bourbon. plus petit, il se reconnaît à son plumage
tout noir. Il niche dans une zone géographique plus basse que celle du pétrel de Barau, entre 1 100 mètres
et 2 200 mètres, donc plus exposé encore à la prédation des chats et des rats.
Nettement plus en danger que son cousin, il risque de disparaître complètement dans les dix années
à venir. La SEOR (La Société d’Etudes Ornithologiques de La Réunion) qui gère les plans de conserva-
tions et met en place des plans de sauvetage en a recueilli quatre en 2014 et l’on estime la population
reproductrice à quelques dizaines de couples seulement.
VOUS AVEZ TROUVÉ UN OISEAU Contactez la SEOR en urgence au 0262 20 46 65. Mettez l’oiseau
dans un carton, au calme et faites des trous dans celui-ci afin que l’animal puisse respirer.
LE PÉTREL DE BARAU Il a l’air d’un canard en
train de barboter, tranquillement, sur l’eau calme
d’un lac. En fait, il s’agit du pétrel de Barau, oiseau
endémique de La Réunion qui va se nicher sur les
plus hauts sommets de l’île, comme le piton des
neiges (3 069 m), le gros Morne (3 013 m) ou le
grand Bénare (2 896 m).
Il s’aménage des terriers profonds sous des blocs
rocheux dans les zones rocailleuses, au milieu des
branles vert et blanc.
Le pétrel de Barau se nourrit au large, parfois à
plus de 100 km des côtes réunionnaises, jusqu’au
Sud de Madagascar.
Oiseau en danger d’extinction, il est la proie des
chats et des rats. Quant aux plus jeunes, les éclai-
rages artificiels provoquent les échouages de leur
premier envol. Chaque année, entre 200 à 800
jeunes pétrels sont affectés par cet aveuglement
mortel. C’est pourquoi, en ville, certains soirs d’avril,
toutes les lumières sont éteintes pour leur per-
mettre de gagner le large sans se blesser.
le NépAlASCENSION DU SACRÉ
48 · VOYAGE VOYAGE
TEXTE GÉRALDINE BLANDIN
PHOTOGRAPHIE GÉRALDINE BLANDIN & CHRISTIAN VAISSE
LA CAPITALE DU NÉPAL N'EST PLUS LA DESTINATION FÉTICHE POUR
RECHERCHER LA PAIX SPIRITUELLE. SEULS QUELQUES HIPPIES, NOSTAL-
GIQUES DES ANNÉES SOIXANTE-DIX, ARPENTENT ENCORE LES RUES DU
QUARTIER TOURISTIQUE DE THAMEL. LES BOUTIQUES DE SAROUELS ET
AUTRES TUNIQUES CÔTOIENT DÉSORMAIS LES MAGASINS REMPLIS DE
DOUDOUNES ET DE SACS À DOS. POURTANT, MÊME SI DEPUIS QUELQUES
ANNÉES, LE NÉPAL EST DEVENU LE PARADIS DU TREK, LA MONTAGNE
RESTE LE SANCTUAIRE DES DIVINITÉS.
Kathmandu
Chine
Inde
50 · VOYAGE VOYAGE
le voyage commence dans les rues de Kathmandu. la capitale
du népal est bruyante et grouillante. difficile de trouver sa
place entre les bus, les motos et les rickshaws ! en cinquante
ans, la population a doublé. près d'un million de personnes
y habitent aujourd'hui. les conséquences de cette explosion
démographique sont nombreuses : décharges sauvages, eau
courante non-potable et gaz d'échappement omniprésents…
Kathmandu manque de s'étouffer à chaque instant.
50 · VOYAGE VOYAGE
L’AUTOROUTE DES TREKKEURS
autrefois, les montagnes himalayennes n'étaient accessi-
bles qu'aux grands aventuriers. aujourd'hui, n'importe qui
peut s'y aventurer, seul ou accompagné d'un guide. le grand
classique, c'est d'aller dans la chaîne des annapurnas et
d'en faire le tour. dix à quinze jours de marche à traverser
des forêts, escalader des rochers et fouler la neige. ce sen-
tier, le plus fréquenté du népal, est surnommé « l'autoroute
des trekkeurs ».
l'autre possibilité dans les annapurnas est de rejoindre le
camp de base situé à 4 130 m d'altitude. très vite, les mar-
cheurs se retrouvent dans les hautes vallées himalayennes
et traversent ces nouveaux « villages » composés unique-
ment de gîtes. car il faut pouvoir accueillir les touristes, de
plus en plus nombreux chaque année : 390 000 en 1993,
600 000 en 2006.
pour attirer tous ces vacanciers en quête d’aventure,
certains gîtes jouent la carte du confort. au cœur des mon-
tagnes, à chommrong par exemple, à 2 000 m d'altitude, les
randonneurs peuvent se faire masser et consulter leurs mails
dans un cyber-café. plus loin, à machapucharé à 3 700 m, le
wifi est disponible dans chacune des chambres et la douche
chaude est à volonté ! ces gîtes « nouvelle génération » font
sourire les népalais, peu habitués à tant de confort, mais
plaisent aux touristes. en montagne, les journées sont
longues et souvent difficiles entre le froid, l'altitude et les
nombreuses heures de marche.
mais tous ces efforts sont vite oubliés car là-haut, il y a ce
sentiment d'être ailleurs. seuls les craquements des glaciers
se font entendre… le camp de base des annapurnas est situé
dans un cirque entouré de multiples sommets enneigés al-
lant tous au-delà des 6 000 mètres. le plus impressionnant
est l'annapurna 1 et ses 8 000 m, grimpé pour la première fois
en 1950 par les français louis lachenal et maurice herzog.
sur place, une stèle bouddhiste appelée chörten, entourée
de nombreux drapeaux de prière et de photos d’inconnus,
attire le regard. ce monument rappelle aux trekkeurs que la
montagne n'est pas sans risque. l'annapurna 1 est le sommet
le plus dangereux de la chaîne himalayenne avec un fort
taux de mortalité : un mort pour deux ascensions réussies.
rarement dans les sentiers pour s'y balader, les népalais y
vont pour travailler. ils sont guides, gîteurs, agriculteurs
mais surtout porteurs.
reconnaissables à leur large sangle autour de la tête accro-
chée à un gros panier en osier, ces hommes portent jusqu'à
30, 40, parfois même 50 kilos. un jour, ils traînent les ba-
gages de touristes venus découvrir la montagne. le lende-
main, ils ravitaillent les gîtes d'altitude. à l'origine, les porteurs
appartenaient à la tribu des sherpas, une tribu originaire du
tibet installée au pied de l'everest depuis cinq cents ans.
aujourd'hui, tous les porteurs ne sont plus des sherpas,
mais beaucoup en font encore partie. très croyants, ils ont
souvent dans leurs poches des drapeaux de prière, ces pe-
tits morceaux de tissus colorés visibles partout au népal,
qu'ils déposent tout au long du chemin pour remercier les
dieux de leur aide et leur protection.
les montagnes de l’himalaya portent la marque de la fer-
veur religieuse de ses habitants. chörtens, moulins à prière,
drapeaux multicolores ou encore pierres gravées de textes
ou d’illustrations sont partout le long des sentiers et à l’entrée
des villages. le népal est bel et bien le pays du bouddhisme.
siddhartha gautama, plus connu sous le nom de bouddha,
est né au népal à lumbini, près de la frontière indienne il
a y 2 500 ans. la petite ville est aujourd’hui un lieu de pè-
lerinage sacré pour les bouddhistes du monde entier, tout
comme bodhnath, situé à quelques kilomètres de Kath-
mandu. à bodhnath, il y a le plus grand stûpa du népal. le
stûpa, ce monument en forme de dôme surmonté d’une
tour où sont peints les yeux de bouddha. chaque jour, des
milliers de bouddhistes du monde entier viennent en faire
le tour dans le sens des aiguilles d’une montre, tout en ré-
citant des textes sacrés et des prières. sur cette immense
place bordée de boutiques, de restaurants et de monastères,
l’ambiance est sereine, empreinte de spiritualité qui tranche
avec le reste de la ville.
LA MONTAGNE A UN CARACTÈRE SACRÉ
52 · VOYAGE VOYAGE
à quelques kilomètres du stûpa, pashupatinath, le temple
hindou le plus important du pays. construit le long de la ri-
vière sacrée bagmati, pashupatinath est l'endroit de prédi-
lection pour l'incinération des hindouistes. tout au long de
la journée, des cérémonies de crémation se déroulent sur les
berges de la rivière. un brin voyeurs, fidèles et touristes
s'assoient sur l'escalier face aux ghâts de crémation. un corps
enveloppé dans un linceul blanc repose sur le bûcher. ses
proches le recouvrent de paille et allument le feu. en quelques
secondes, le corps s’embrase.
les cendres seront ensuite jetées dans la rivière sacrée
bagmati. autour, la vie continue. la foule déambule dans ce
lieu sacré, squatté par les singes et les sadhus, ces hommes
reconnaissables à leurs cheveux ébouriffés et leur corps
enduit de teinture et de cendres. les sadhus ont choisi la
voie du renoncement. ils ne possèdent rien et passent leur
vie à errer sur les routes de l'inde et du népal.
PASHUPATINATH, LE TEMPLE HINDOU
54 · VOYAGE VOYAGE
LES CITÉS ROYALES
À pashupatinah, les vendeurs de babioles côtoient les fidèles venus se recueillir. Les bâtiments modernes
se mêlent à l’architecture d’époque. L’endroit est un lieu de contrastes, à l’image de Kathmandu. La
capitale népalaise n’est pas que pollution visuelle, sonore et olfactive. Kathmandu est aussi et surtout
un ancien royaume dont la vieille ville est classée au patrimoine mondial de l’Unesco depuis 1979.
pour le découvrir, il faut être un brin fouineur et prendre le temps de se perdre dans les nombreuses
ruelles de la capitale, jusqu’à tomber sur le quartier historique et son palais. Là, le parfum d’encens se
mêle aux tintements de cloches. Les temples de bois sculpté, en pierre ou en bronze sont nombreux
et s’éparpillent autour de la grande place qui servait autrefois de parking pour les éléphants royaux. Les
bâtiments ont tous deux, trois ou quatre toits superposés, la marque du style pagode imposé par les
Newars. Cette ethnie, particulièrement douée pour l’art, a parsemé un grand nombre d'œuvres archi-
tecturales dans toute la vallée de Kathmandu. Deux anciennes cités royales, patan et Bhaktapur, sont
également classées à l’Unesco.
LA VIE QUOTIDIENNE
Et puis au Népal, il y a cette autoroute, la Mahendra highway, longue de 232 km. pas très touristique au
premier abord, cette ligne droite qui traverse le Népal d’est en ouest révèle pourtant de nombreuses
surprises. Elle permet de découvrir quelques grandes villes aux allures indiennes, aux immeubles multi-
colores et aux femmes habillées d’un sari et d’une paire de baskets. À quelques kilomètres, des petits
villages peuplés de paysans quasi-nus, vivant dans des habitations faites de branches et de boue, où
l’électricité n’a jamais existé. Sur cette autoroute, il y autant de charrettes tirées par des boeufs que de
motos et de camions. Et puis, on aperçoit quelques églises, perdues au milieu de cette terre dédiée à
Bouddha et à Krishna.
Un mélange des genres où le seul point commun est le sourire de ses habitants. partout au Népal, les
gens sourient à chaque instant, peut-être pour oublier le quotidien. Car ce petit pays coincé entre l’Inde
et la Chine est l’un des plus pauvres au monde. Il connait une situation politique difficile même si elle
s’est un peu stabilisée en 2006, après dix ans de guerre civile. Aujourd’hui, la monarchie n’existe plus,
le pays est devenu une république fédérale. Mais pour les Népalais, peu de choses ont évolué. Dans
un anglais approximatif, tous racontent leur quotidien, sans jamais se plaindre. Du travail 7 jours sur
7, des taxes qui ne cessent d’augmenter et des visas impossibles à obtenir sans bakchich. Alors, ils
discutent avec les touristes venus découvrir leur petit paradis, et s’imaginent qu’un jour, eux aussi,
pourront aller au-delà de leurs montagnes, les plus hautes du monde.
56 · VOYAGE VOYAGE
58 · CHRONIQUE DE VOYAGE TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE SÉBASTIEN MARCHAL
Madiba le dernier voyage
APRÈS DIX JOURS DE FUNÉRAILLES SUIVIES PAR LE MONDE ENTIER, NELSON MANDELA,
LE HÉROS UNIVERSEL DE LA LUTTE POUR LA LIBERTÉ ET POUR LA RÉCONCILIATION, VA
BIENTÔT REJOINDRE SA DERNIÈRE DEMEURE DANS LE VILLAGE DE SON ENFANCE À QUNU.
AU STADE DE SOWETO, LIEU DU PREMIER SOULÈVEMENT CONTRE L’APARTHEID, LA CÉRÉMONIE
INTERNATIONALE A VU DÉFILER TOUS LES GRANDS DE CE MONDE, BARACK OBAMA SERRANT
LA MAIN DE RAOUL CASTRO, L’HOMMAGE DÉCHIRANT DE SES COMPAGNONS DE L’ANC, ET
DE L’ARCHEVÊQUE DESMOND TUTU, SON TRÈS FIDÈLE AMI. À PRETORIA, ILS ÉTAIENT PLUS
DE 100 000 À SE BATTRE POUR LE VOIR UNE SECONDE ET LUI DIRE ADIEU, NOIRS ET BLANCS
RÉUNIS DANS LA DOULEUR. CELA FAIT MAINTENANT 10 JOURS QUE LE PAYS DANSE ET
CHANTE À LA MÉMOIRE DE MADIBA, LE PÈRE DE LA NATION ARC-EN-CIEL. SÉBASTIEN SUIT
CES OBSÈQUES À TRAVERS LES MÉDIAS RÉUNIONNAIS. MAIS UN APPEL IRRAISONNÉ LE
CONDUIT À SAUTER DANS L’AVION POUR SUIVRE EN DIRECT L’ULTIME CÉRÉMONIE.
FACE À L’ÉCRAN NOIR, LE TEMPS S’ARRÊTE, IL EST ENCORE IMPOSSIBLE D’ACCEPTER LE DÉPART DE MADIBA
LE TRAJET
C’est parti, l’aventure commence !
De Saint-Denis à johannesburg, Sébastien est devenu une
boule de nerfs, alors il boit un peu pour apprivoiser ce temps
mort où il réalise qu’il ne sait vraiment pas comment il va s’y
prendre. Il n’a aucune accréditation pour passer les barrages
et aller au plus près du convoi qui conduit Nelson Mandela à
sa dernière demeure. Savoir oser !
23h, il atterrit à Durban, un peu groggy, et se rend à l’hôtel. Im-
possible de dormir. Tôt le lendemain matin, il part chercher sa
voiture de location, et prend quelques photos deci delà de
gens qui se baignent tous au même endroit, dans une étroite
bande surveillée par des maîtres-nageurs. Certains sont à moitié
habillés, d’autres portent des bonnets de bain très colorés, des
cris lui parviennent lorsque de grosses vagues déferlent sur la
plage, la joie de vivre… Il commence à se détendre. Il monte
dans sa voiture. Le volant est à droite ! Un détail auquel il
n’avait pas pensé ! Il a 600 km à faire pour arriver au plus près
de Qunu, village où Mandela a passé son enfance, là où il va
être inhumé selon les rites traditionnels. Or, Qunu est inconnu
au bataillon sur son gpS. Il écoute la radio. Le corps de Mandela
devrait arriver à l’aéroport de Mthatha en milieu de journée, ce
samedi. Ce sera sa destination.
Cette petite ville est située à 35 km de Qunu. pas de temps à
perdre. Il roule sans s’arrêter, fasciné par l’immensité de l’es-
pace qu’il découvre pour la première fois. Le gpS lui indique
de tourner à gauche…200 km plus loin ! L’échelle de ses repères
a pris un sacré coup de distorsion. plus il s’approche, plus le
ballet d’avions et d’hélicoptères devient incessant, une cen-
taine d’entre eux sont venus déposer les quelque 4500 invités
à la dernière cérémonie d’adieu célébrée avant l’inhumation.
C’est quasiment un dispositif de guerre qu’il a fallu mettre en
place dans ce petit aéroport habitué à la rotation de deux
avions par jour.
60 · CHRONIQUE DE VOYAGE
LA DÉCISION
Sa nuque est glacée. Il appuie sur la souris, Clic,
la réservation est faite, le montant va être débité !
Sébastien est secoué par une bonne décharge
d’adrénaline. plus moyen de faire machine arrière.
Le fou ! Il faut être inconscient pour prendre une
telle décision, mais c’est plus fort que lui. Ça fait
des jours que ça lui trotte dans la tête, il ne focalise
que sur une réalité, il habite tout à côté. Au pas-
sage, il s’aperçoit qu’avec l’âge, on prend des res-
ponsabilités, mais aussi on prend peur. Sébastien
est un bourlingueur, habitué à voyager seul, alors
pourquoi cette peur soudaine de l’inconnu ? Il
n’est jamais allé en Afrique du Sud et son anglais
n’est pas en bonne forme. Tant pis !
Autant la cérémonie officielle au stade de Soweto
ne l’a pas vraiment attiré, trop d’officiels, tout est
cadré d’avance, autant rendre hommage à Mandela
sur la terre de son enfance lui semble un acte qui
a du sens. Nous sommes quoi dans la vie ? pas
grand-chose, se dit-il, à côté de ce géant qui a
conduit son pays à la liberté en évitant guerre
civile et bains de sang.
LE POINT DE MIRE
Sébastien entre dans la ville, Mthatha n’offre pas, de prime
abord, une image rassurante. Il se demande s’il peut garer la
voiture en toute sécurité. Sur l’autre rive, le campus de l’Uni-
versité et ses alentours semblent plus accueillants. Les rues
sont bloquées, de part et d’autre, le convoi mortuaire va passer
par là. À l’intuition, il sort de la ville et trouve un Bed & Breakfast.
Il range sa voiture et revient à pied au centre, son appareil
photo en main. Il erre sans trop savoir où se diriger. Il a vraiment
l’air d’un touriste, un peu perdu de surcroît. Un jeune l’aborde
et le conduit chez lui. Il a une bouille bien sympathique. Il le
présente à sa mère qui berce sa petite sœur pour l’endormir.
Tout le monde s’installe à la terrasse, Sébastien prend des photos.
Et là, surgit devant ses yeux le corbillard. Un coup au cœur. Il
ne peut réprimer quelques larmes silencieuses qui glissent sur
ses joues. Il laisse son appareil en berne. C’est cet instant qu’il
était venu chercher, vivre et partager. Cette image restera au
fond de lui jusqu’à la fin de sa vie. Les gens criaient dans la rue :
« Tata Madiba » - papa Madiba ! - nom lui venant de ses ancêtres.
puis, le calme est revenu.
En redescendant dans la rue, Sébastien rencontre
un journaliste italien. Ils sympathisent et cherchent
un endroit pour se remettre de leurs émotions. Ils
se retrouvent dans une arrière-cour jonchée de
cannettes, et descendent dans une sorte de cave
où tout le monde, complètement ivre, expose fiè-
rement son T-shirt à l’effigie de Mandela. Ce sont
les seuls Blancs. Sébastien, son LEICA en bandou-
lière, n’est pas très rassuré. Ils avalent une pizza,
boivent leur bière et sortent rapidement de ce
bouge obscur. Des états d’âme infondés. La fin de
l’Apartheid ne date que d’une vingtaine d’années et
pourtant les Noirs sud-africains sont accueillants,
chaleureux, sans a priori racial.
puis, ils tentent le tout pour le tout, des accrédi-
tations, sésames nécessaires pour se rendre à Qunu.
Ils embarquent avec eux le gamin pour qu’il les
aide dans ce labyrinthe administratif.
62 · CHRONIQUE DE VOYAGE
Après de nombreuses et longues heures d’at-
tente, on leur indique une salle remplie d’une
quarantaine d’ordinateurs avec des gens rivés
dessus comme des zombies. Il est une heure du
matin et force est de constater qu’il est impossible
de s’approcher, la route pour Qunu est définiti-
vement barrée. Ils s’inscrivent néanmoins sur la
liste d’attente tandis qu’une journaliste de la BBC
se trouve, elle aussi, juste derrière eux. Un inci-
dent entre la presse et l’armée se propage comme
une traînée de poudre. L’AFp, comme certains au-
tres médias, avait loué une maison équipée
d’électricité dans le village de Qunu en prévision
des obsèques. Il venait de monter une plateforme
élévatrice leur permettant de prendre des images
à 18 mètres de hauteur lorsqu’un hélicoptère de
combat de l’armée, avec tireurs d’élite à bord, leur
a foncé dessus pour vérifier qu’ils n’avaient pas
d’armes. Finalement, les journalistes filmeront, le
lendemain, le passage du cercueil de Mandela vu
d’un talus.
Dimanche matin. Il ne reste plus qu’à se rabattre dans les stades
où la cérémonie sera retransmise en direct. Ils traversent à
nouveau la ville. Les rues sont désertes. L’attente marque un
temps suspendu. Le vent du Transkei s’est levé. Le caddy man
pousse son chariot vide, faute de client. Qu’est-ce que l’on
mange ? Ce n’est pas l’histoire d’aujourd’hui. Ils trouvent un
stade de cricket - le Khaya Majola Oval Stadium - où l’immense
écran installé sur les gradins sommeille encore. peu à peu,
l’espace se remplit, les adultes occupent les chaises installées
sur la pelouse tandis que les enfants courent partout en liberté.
Un bébé, tout juste en âge de s’asseoir, semble parlementer
avec Mandela qui fait la couverture d’un journal posé à terre.
Un clin d’œil à l’homme des symboles qui arborait fièrement
le maillot des Springboks à la finale de Coupe du monde de
rugby au stade d’Ellis park en 1995.
Le ciel est lourd et le feu du soleil claque brutalement entre
deux séries de nuages. Soudain, les premières images appa-
raissent. Un gros plan sur le corbillard qui avance lentement,
escorté par les militaires, le cercueil apparaît enveloppé du
drapeau de l’Afrique du Sud dont Mandela a été le premier
président noir... L’assistance se lève, le poing levé, et chante
« Invictus », le poème préféré de Mandela.
Dans la grande bulle blanche plantée au milieu d’un champ,
les 4500 invités, dont quelques dignitaires étrangers, assistent
à la dernière cérémonie. Coups de canon, hymnes religieux,
chœurs d’enfants, les honneurs déployés pour cet homme
d’État sont accompagnés de témoignages bouleversants, sans
artifices. Quatre-vingt-quinze immenses bougies blanches
sont dressées autour d’un autel où, tour à tour, les proches et
la famille vont prononcer leur discours d’adieu. Les souvenirs
passent. Il y a vingt ans, en ce mois décembre 1993, Nelson
Mandela et Frederik De Klerk recevaient ensemble le prix
Nobel de la paix à Oslo. Son ami l’archevêque Desmond Tutu,
qui a failli ne pas être là, car il critique trop ouvertement la
politique corrompue du président Zuma, pourtant issu de
l’ANC, est brisé par l’émotion. Nelson Mandela, après être resté
27 ans de sa vie en prison, est élu à la tête de l’État de 1994 à
1999. Il confie alors à Desmond Tutu, prix Nobel de la paix en
1984, la présidence de la Commission de la Vérité et de la
Réconciliation qui, après trois ans d’enquêtes et des milliers
d’auditions, a rendu publiques ses conclusions. Véritable fon-
dement de la réconciliation sud-africaine, car tous les crimes
commis pendant l’Apartheid ont été jugés, que leurs auteurs
aient lutté pour ou contre la ségrégation.
L’INTIMITÉ POUR L’ÉTERNITÉ
puis, les caméras sont coupées. La mise en terre
a lieu dans la plus stricte intimité. Mandela va
reposer auprès de ses parents et de ses trois en-
fants décédés. L’inhumation a lieu selon les rites
Thembu, clan royal auquel Mandela appartenait.
Le chef de la tribu Inkosi Bonginkosi a dirigé toute
la cérémonie rituelle : « Il doit rentrer chez lui parce
que son esprit connaît l’endroit et le chemin pour
rejoindre les ancêtres. » Dans son autobiographie
Un long chemin vers la liberté publiée en 1996,
Mandela a écrit : « je ne doute pas un seul instant
que lorsque j’entrerai dans l’éternité, j’aurai le
sourire aux lèvres. »
Madiba reste maintenant à jamais le modèle,
dans le monde entier, du combat pour la liberté
et pour la paix. Avant lui, personne n’avait réussi
à réconcilier victimes et bourreaux sur les décom-
bres encore fumants des exactions commises.
Margueritte Durasle roman de sa vie
65 · COULISSE
TEXTE FRANCINE GEORGE
PHOTOGRAPHIE DOISNEAU – COLLECTION GAMMA-RAPHO
Passionnée, complexe, drôle,
grande amoureuse, intellectuelle, généreuse,
narcissique, guerrière, exigeante…
une légende !
« Il se trouve que j’ai du génie,
j’y suis habituée. C’est tout.»
Marguerite Duras n’est pas seulement
écrivain, elle est entrée en littérature.
Elle traverse le 20e siècle et s’en empare,
c’est aussi le roman de sa vie, l’histoire
des colonies françaises, la Seconde Guerre
mondiale, la guerre d’Algérie, mai 68,
la libéralisation des femmes…
Femme engagée, femme de combat,
elle s’investit en politique, et, chose rare,
reconnaît ses erreurs. Femme de lettres,
elle est aussi journaliste à Libération
et fait scandale en 1985 avec son article
« Sublime, forcément sublime » sur
Christine Villemin. Femme du 7e art,
elle invente un autre cinéma en brouillant
les pistes, voix désynchronisées, le récit
s’impose à l’image. Femme de théâtre,
elle adapte de grands auteurs autant
que ses propres textes qui, parfois,
se transforment en film ou en roman.
Pas dans le sens du recyclage, mais dans
un art bien à elle de mettre en scène des voix
solitaires qui expriment l’errance, la folie,
le cri du silence.
Marguerite Duras, c’est enfin le Goncourt
avec L’Amant.
Le TEAT Champ Fleuri nous a offert
Une nuit durassienne pour fêter le centenaire
de sa naissance en projetant l’adaptation
de son roman par Jean-Jacques Annaud.
1 - Marguerite Duras et l’urgence d’écrire
Elle a consacré toute sa vie à l’écriture, à toute forme
d’écriture, romans, pièces de théâtre, scénarios
de films, articles de presse… mais toujours dans
cette recherche d’absolu qui lui fait dire dans l’un
de ses nombreux interviews : « Quand je rentre
dans le livre, quand je me mets à mon bureau, j’ai
l’impression d’entrer quelque part. Ce n’est pas la
solitude. C’est un endroit foisonnant. Mais difficile,
car il ne faut pas faire d’erreurs. C’est sacré, écrire. »
Cette injonction, presque mystique, à écrire va
guider son œuvre : « La phrase s’accorde aux mots
qui viennent, il faut aller vite, prendre la crête des
mots, car on oublie tout, tout de suite. »
Elle fut associée, un temps, au Nouveau Roman
mené par Robbe-grillet, phrases courtes, descrip-
tion du banal, personnages non identifiés, absence
de dénouement… Moderato Cantabile, étudié au
lycée, en est la quintessence.
Mais elle s’en détache sans peine, car sa vie dans
l’écriture ne peut se résumer à une tendance, elle
cherche jusqu’au dernier souffle à atteindre la
pureté du sens. « C’est du Duras, disait-elle, ce n’est
pas du Duras », un souffle, un style unique, très
imagé, repérable à sa musicalité.
Travail acharné, exigence féroce, elle bouscule
les codes du roman, mais aussi du théâtre et du
cinéma. Elle est entrée en littérature comme une
religieuse voue sa vie à Dieu, en quête d’absolu.
Elle puise dans sa prime jeunesse en Indochine
la source d’une partie de ses romans, mais pas
seulement. Au fil du temps, elle crée des person-
nages auxquels elle s’identifie et elle renoue avec
les intrigues qu’elle a écrites une vingtaine, voire
une quarantaine d’années plus tôt. Elle explore
la puissance des mots sur toutes les scènes, mu-
sique, film, théâtre. Son œuvre est un labyrinthe
où la récurrence des thèmes et des personnages
se déploie dans des espaces infinis jalonnés par
la diversité des supports artistiques.
Forcément déçue par l’adaptation de ses romans,
elle les porte à l’écran ou sur une scène de théâtre.
D’abord scénariste et dialoguiste - Hiroshima mon
amour d’Alain Resnais en 1959 - elle réalise une
vingtaine de films dont quelques-uns resteront
des films culte, comme India Song en 1975 avec
des textes en voix off sur une musique de Carlos
d’Allessio ou Le Camion en 1977 où elle dialogue
avec gérard Depardieu sur un film qui pourrait se
faire et que le spectateur doit donc imaginer.
pendant toute cette période de création cinéma-
tographique, son fils jean, qu’elle surnomme
Outa, participera à la réalisation de la plupart de
ses films.
Elle n’appréciait pas que sa vie soit résumée à une
biographie et souvent renvoyait à ses écrits :
« j’aime mes livres. Ils m’intéressent. Les gens de
mes livres sont ceux de ma vie. » Mais il est en fait
très difficile de dénouer l’écheveau complexe de
son imagination et de faire la part du réel et de
l’imaginaire chez Marguerite Duras. Au fond, c’est
l’œuvre qui importe !
En 1998, Laure Adler lui consacre, chez gallimard,
une biographie particulièrement bien documen-
tée qui apporte un éclairage multiple à partir
d’archives officielles et privées et de rencontres
avec Marguerite Duras pendant les huit années
de ce long travail d’exploration et de recherche.
66 · COULISSE
2 - Marguerite Duras en trois romans
Le Barrage contre le Pacifique
l’empreinte de l’enfance en Indochine
Son enfance passée en Indochine va marquer
une partie de son œuvre. Elle s’en éloignera pour
mieux y revenir, du Barrage contre le Pacifique
paru en 1950 à L’Amant de la Chine du Nord paru
en 1991.
Marguerite Donnadieu est née le 4 avril 1914 à
gia Dinh en Indochine. Elle y vivra jusqu’à l’âge
de 18 ans, mis à part un séjour de deux ans en
métropole. Son père, henri Donnadieu, décède,
elle est alors toute jeune. Son nom de plume vient
de lui, un village du Lot-et-garonne dont il est
originaire. Sa mère, institutrice, élève donc seule
ses trois enfants. Un fils aîné, voyou qu’elle vénère,
un fils cadet qu’elle délaisse tout autant que « sa
petite misère », sa seule fille.
Le premier roman de Marguerire Duras, Les
Impudents a pour héros le frère aîné, « ce voleur
d’armoire ». L’histoire d’Un barrage contre le
Pacifique est celle de sa mère, ruinée et abusée
par l’administration coloniale qui lui a vendu des
terres régulièrement inondées. On y voit la dé-
chéance de sa mère, devenue presque folle, ses
cris et ses moments d’abattement tout autant que
l’ambiance si particulière, la beauté des paysages
du golf de Siam, son enfance livrée à elle-même
avec le petit frère. Un abîme de souffrance. Sa mère
qui ne l’aimait pas sera, en fait, présente dans
toute son œuvre :
« Dans les histoires de mes livres qui se rapportent
à mon enfance, je ne sais plus tout à coup ce que
j'ai évité de dire, ce que j'ai dit, je crois avoir dit
l'amour que l'on portait à notre mère mais je ne
sais pas si j'ai dit la haine qu'on lui portait aussi et
l'amour qu'on se portait les uns aux autres, et la
haine aussi, terrible, dans cette histoire commune
de ruine et de mort qui était celle de cette famille
dans tous les cas, dans celui de l'amour comme
dans celui de la haine et qui échappe encore à
tout mon entendement, qui m'est encore inac-
cessible, cachée au plus profond de ma chair,
aveugle comme un nouveau-né au premier
jour. Elle est le lieu au seuil de quoi le silence
commence. »
Elle a raté de peu le prix goncourt, mais à l’époque
son adhésion au parti communiste a rebuté le
jury.
Anxieuse à l’idée de tomber dans la déchéance,
comme sa mère, elle s’emploiera à asseoir sa
position financière. En 1958, elle cède ses droits
d’auteur à René Clément pour l’adaptation d’Un
Barrage contre le Pacifique. Elle pourra ainsi ac-
quérir la propriété de Neauphle-le-Château, havre
de paix où elle écrivait beaucoup et qui a aussi
servi de décor à ses films, Nathalie Granger, Le
Camion.
La douleur
les années de guerre
À 18 ans, elle retourne en France pour faire des
études imposées par sa mère, droit, Sciences po,
et elle devient fonctionnaire au Ministère des
Colonies. Elle rencontre le poète Robert Antelme.
Ils se marient en 1939, leur enfant meurt à la nais-
sance. peu de temps après, elle apprend le décès
de son petit frère qui la plongera dans le chaos.
Elle fait la connaissance chez gallimard de l’écri-
vain Dyonis Mascolo, spécialiste de Nietzsche et
de Saint-just, qui deviendra son amant : « Nous
étions dans une entente esthétique. » dira-t-il. Et
Dyonis Mascolo insiste sur le fait que Robert
Antelme était son ami : « Quand Marguerite et
Robert étaient ensemble, il avait des maîtresses,
Marguerite des amants, je n’ai jamais trompé
Robert. »
En 1943, Marguerite Duras s’installe avec son mari
Robert Antelme rue Saint-Benoît, au n°5, et elle
restera jusqu’à la fin de sa vie dans cet apparte-
ment devenu mythique.
Le couple s’inscrit au parti communiste en 1944,
« espérant retrouver un esprit de fraternité ».
Marguerite Duras est une vraie militante, une
femme engagée.
pendant la guerre, elle, son mari, son amant
entrent dans la Résistance. Ils font partie du réseau
dirigé par Morland, pseudo de François Mitterrand.
En 1944, Robert Antelme est arrêté avec sa sœur
par la gestapo et envoyé à Dachau. À la libération,
Dyonis Mascolo part chercher son ami, mourant.
Marguerite Duras a tenu un journal durant cette
période et une quarantaine d’années plus tard,
elle l’a retrouvé « dans deux carnets des armoires
bleues de Neauphle-le-Château ».
À partir de ces carnets, dont elle ne se souvenait
plus, elle publie en 1985 un recueil de nouvelles
La Douleur. La première partie est consacrée à
l’attente atroce du retour de Robert L. Elle travaille
au service des recherches du journal Libres afin
de communiquer aux familles des nouvelles des
prisonniers. On plonge directement dans cette
réalité du quotidien et en même temps le texte
sublime l’attente, l’angoisse de la mort avec des
évocations si précises qu’elles pourraient être
filmées. puis, la nouvelle se poursuit avec le retour
tout aussi atroce de son mari mourant. Dans les
autres parties, elle met en scène l’exaltation et le
déferlement de haine à la libération en y tenant
un rôle actif. Un livre clé qui témoigne d’héroïsme
autant que de trahisons dans cette période tra-
gique, nœud d’interactions contradictoires.
Robert Antelme publie en 1947 un livre poignant
L’espèce humaine qui relate, avec une grande
retenue, sa survie dans les camps.
C’est aussi l’année du divorce, la naissance de
jean, fils de Marguerite Duras et Dionys Mascolo
avec qui elle vit désormais.
En 1950, Marguerite Duras est exclue du parti
communiste.
Le groupe de la rue Saint-Benoît formé du trio
et des amis écrivains, philosophes, tels qu’Edgar
Morin, georges Bataille, Maurice Blanchot, jean
genet, Clara Malraux, Maurice Nadeau, Maurice
Merleau-ponty… fera l’objet d’un film de jean-Marc
Turine qui couvre la période de 1942 à 1964.
À la fin des années 50, Marguerite Duras se sépare
de Dionys Mascolo, commencent pour elle ses
premières expériences journalistiques et ciné-
matographiques. Les amants se succèdent.
L’Amant
l’apothéose de sa carrière
1984, georges Orwell. Non. Marguerite Duras !
pour son célèbre roman autobiographique, L’Amant,
Marguerite Duras avait en premier lieu choisi la
photographie absolue. L’histoire commence par
cet instant où sa vie bascule, elle vient de passer le
week-end à Sadec dans la maison familiale avec
sa mère et ses frères et se rend, seule, au pensionnat
à Saigon :
« C’est le passage d’un bac sur le Mékong. Sur le bac,
à côté du car, il y a une grande limousine noire
avec un chauffeur en livrée de coton blanc. Oui,
c’est la grande auto funèbre de mes livres. C’est la
Morris Léon-Bollée. Dans la limousine il y a un
homme très élégant qui me regarde. Ce n’est pas
un Blanc. Il est vêtu à l’européenne, il porte le
costume de tussor clair des banquiers de Saïgon.
Il me regarde. j’ai déjà l’habitude qu’on me regarde. »
Cette rencontre avec L’Amant alors qu’elle n’a que
quinze ans, va forger son destin d’écrivain et sa
recherche de plaisir dans la vie. Marguerite Duras
n’est pas qu’une grande intellectuelle, son œuvre
brillante est chargée d’émotions, d’observations
subtiles du désarroi et des comportements sin-
guliers dans des situations d’interdits.
L’Amant, le roman de l’apothéose, rencontre de
suite l’adhésion du public dès sa sortie en septembre
1984. Si bien que Bernard pivot, contrairement à
68 · COULISSE
ses habitudes, consacre son émission exclusive-
ment à Marguerite Duras. Une émission, pièce
d’anthologie, où elle se livre, tour à tour enjouée,
sérieuse, drôle, énigmatique, lucide, une Marguerite
Duras comme à la ville, telle que ses proches la
décrivent, touchante et terrible à la fois.
Quelques semaines plus tard, en novembre 1984,
c’est la consécration, elle reçoit le prix goncourt.
Succès mondial, l’Amant est traduit en 27 langues,
2,5 millions d’exemplaires seront vendus.
Mais Marguerite Duras est affaiblie, elle se relève
d’une sévère cure de désintoxication : « je suis une
alcoolique qui ne boit pas. »
Et l’histoire de L’Amant devient une saga à la
Marguerite Duras. Claude Berri souhaite produire
le film tiré de son roman. jean-jacques Annaud,
auréolé de ses succès avec L’ours et Au nom de la
rose, est rapidement pressenti pour la réalisation.
Marguerite Duras participe dans un premier temps
au scénario, mais assez vite, se fâche avec jean-
jacques Annaud. La passion charnelle sur laquelle
il centre le film ne reflète pas assez la teneur
dramatique et sociale du roman.
Une nouvelle hospitalisation plonge Marguerite
Duras pendant cinq mois dans le coma dont elle
sortira particulièrement meurtrie par des souvenirs
de viol dont elle ne sait pas s’ils sont du domaine
de l’hallucination ou de la réalité. Le tournage du
film se poursuit avec une jeune comédienne jane
March qui joue son rôle et Tony Leung Ka Fai dans
celui de l’amant chinois. La voix off de jeanne
Moreau, actrice fétiche de Marguerite Duras, semble
faire le lien.
pendant ce temps, Marguerite Duras écrit L’Amant
de la Chine du Nord, qui est en fait l’histoire de
L’Amant revisitée et surtout l’écriture du film qu’elle
avait imaginé. L’Amant de la Chine du Nord paraît
en 1991, en même temps que le film de jean-jacques
Annaud sort sur les écrans ! Elle dit avoir passé un
an de bonheur à se plonger une dernière fois dans
l’univers sensuel de son enfance indochinoise.
3 - Les dernières années avec Andréa
Son dernier amant, le jeune yann Andréa, surnom
qu’elle lui a donné, yann Lemée de son vrai nom,
accompagne, soigne, et se soumet à la tyrannie
de Marguerite Duras durant les dernières années
de sa vie.
Ils se sont rencontrés en 1975 lors de la projection
du film India Song à Caen. Il est littéralement
envoûté et lui écrit des lettres d’amour et d’admi-
ration sans bornes. Elle ne lui répond pas et un
jour, lui fait parvenir son roman, qu’il apprécie un
peu moins que les autres, mais il s’abstient de tout
commentaire. Elle comprend le signal et son in-
tuition ne la trompe pas. Il lui offrira l’exigence de
vérité dont elle a besoin pour parachever son
œuvre. En 1980, elle lui demande de le rejoindre
à Trouville où elle réside de temps à autre dans
son appartement face à la mer. Il a 28 ans, elle en
a 66. Alors, commence une vie tumultueuse à
deux, dictée par l’amour des mots.
Elle en a fait son exécuteur littéraire.
En 1992, elle écrira sur lui Yann Andréa Steiner, il
écrira sur elle, M.D., à propos de son hospitalisation
en 1989. Il recueillera le texte de ses derniers écrits,
Écrire et C’est tout, avant qu’elle ne décède le 3
mars 1996. yann Andréa disparaît alors pendant
deux ans jusqu’à ce qu’il revienne avec Cet amour-
là, récit de ces seize années avec elle qui sera adapté
à l’écran par josée Dayan avec jeanne Moreau
incarnant l’immortelle Marguerite Duras.
PAPILLES EN FÊTE · 70 RECETTE BENOÎT VANTAUX
PHOTOGRAPHIE JEAN-NOËL ENILORAC
Noisettes de filet d’agneau rôtiau sucre Amami Oshima, pleurotes et patates douces
Recette de l’Atelier de Ben
Ingrédients
pour quatre personnes
800 g de filet d’agneau
25 cl jus d’agneau
20 g de sucre noir Amami Oshima
2 g de xérès
200 g de pleurotes
400 g de patates douces
30 g de beurre
Ail et persil
Recette par étapes
1 Cuire en robe des champs les patates
douces, peler et écraser à la fourchette
avec du beurre.
2 Dans une casserole faire fondre
le sucre Amami Oshima avec le xérès
et mouiller avec le jus d’agneau faire
réduire à consistance légèrement
sirupeuse, si elle est trop sucrée,
équilibrer en ajoutant une goutte
de xérès à nouveau.
3 Cuire à la cuisson souhaitée le filet
puis le trancher en quatre.
4 Faire sauter à feu vif les pleurotes
dans une poêle en ajoutant un peu
d’ail et de persil.
5 Dresser les assiettes avec une
tranche de filet entourée d’une
quenelle de patate douce, de pleurotes
et de pousses de graines germées pour
donner du volume à la décoration.
Parsemer d’une pincée d’ails
et d’oignons frits pour parfaire
le dressage.
En accompagnement de ce plat
fin et léger, la Cave de la Victoire
vous conseille un Morey Saint-Denis
En la rue de Vergy, 2008, domaine
de Michel Gros.
Pour enchanter vos papilles !
Restaurant L’Atelier de Ben 12, rue
de la Compagnie - tel : 0262 41 21 40
Retouvez cette recette filméesur www.batcarre.com
72 · TAAF TEXTE STÉPHANIE LÉGERON
PHOTOGRAPHIE BRUNO MARIE
LES TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES,
TERRITOIRES RICHES EN BIODIVERSITÉ, REPRÉSENTENT UN IMMENSE ESPACE PROTÉGÉ
DE 2,39 MILLIONS DE KM² DE ZONES ÉCONOMIQUES EXCLUSIVES (ZEE),
RÉPARTI SOUS DES LATITUDES EXTRÊMEMENT VARIÉES, DES PAGES DE SABLE BLANC
SUR LES ÎLES EPARSES À LA CALOTTE GLACIAIRE DE LA TERRE ADÉLIE.
À BORD DU MARION DUFRESNE, LA TROISIÈME OPÉRATION PORTUAIRE DE L’ANNÉE
ASSURE, EN PLUS DES MISSIONS LOGISTIQUES, LA RELÈVE DES ÉQUIPES SCIENTIFIQUES
ET MARQUE LE DÉBUT DES CAMPAGNES ESTIVALES DE RECHERCHES.
DESTINATION, LES ÎLES KERGUELEN, SITUÉES À UNE LATITUDE PROCHE DE 50° SUD,
DANS LA ZONE DITE DES « CINQUANTIÈMES HURLANTS ».
terresaustrales et antarctiques françaises
Escale à Kerguelen
L’ANSE DU GROS VENTRE SUR LA PÉNINSULE RALLIER DU BATY
Le « Marduf », de l’avis de tous, n’est pas un bateau
comme les autres. Nous l’avions quitté l’an dernier
à Crozet, suite au ragage à l’ouest de l’île de la
possession qui occasionna l’évacuation des pas-
sagers. Réparé en cale sèche à Durban, en Afrique
du Sud, le navire ravitailleur et océanographique
des TAAF reprenait du service deux mois plus
tard. Remis de son infortune, le Marion resplendit
maintenant au soleil, fin prêt à parcourir les 9 000
kilomètres de la rotation australe. Nous sommes
105 passagers à bord. Les marins s’affairent à leurs
postes. Bientôt les amarres se détachent. Nous
franchissons la sortie du chenal, en partance vers
le grand sud. Quelques dauphins bondissent de-
vant la proue. À perte de vue, l’océan calme et bleu.
Un souffle de liberté gagne l’étrave où se sont
réunis pour l’appareillage de nombreux passagers
de cette « Op » qui s’annonce exceptionnelle. Si la
météo le permet, la tournée de ravitaillement des
îles subantarctiques sera jalonnée de sites rarement
approchés : îles Froides à Crozet, îles Nuageuses,
arche des Kerguelen...
Deux semaines se sont déjà écoulées. Le temps
passe vite. Les échanges à bord sont continuels.
Du matin jusqu’au soir, la vie en communauté.
Des affinités se créent. photographie, repas, confé-
rences scientifiques, projections de documen-
taires rythment les journées. Avant l’arrivée à
Crozet, la houle s’est enflée, faisant tanguer et rou-
ler le navire. Des paquets de mer se sont abattus
sur le pont, les embruns ont déferlé. par mesure
de sécurité, les accès extérieurs ont été fermés. Le
commandant a annoncé des creux de douze
mètres. Quelques précautions étaient vite de mise :
rangement, amarrage des sacs à dos dans les
cabines, prise d’appuis sous la douche, vigilance
au cours des repas, pose de patchs derrière l’oreille
pour les âmes sensibles aux humeurs du grand
large.
Depuis l’appareillage au port de la pointe des
galets, nous sommes descendus une fois à terre,
dans un grand champ d’albatros. À pointe Basse,
site protégé de Crozet où nichent les albatros
hurleurs. L’envergure de ces oiseaux embléma-
tiques des mers australes, les plus grands repré-
sentants de leur espèce, peut dépasser trois mètres.
Comme nous l’a expliqué Fabrice de la réserve
naturelle des TAAF, des tendons bloquent les
articulations de leurs ailes, leur permettant d’éco-
nomiser leur énergie en vol. Ils utilisent la force
du vent pour planer sans effort au-dessus des
vagues et sillonner les immensités océaniques.
Nous avons ainsi photographié ces infatigables
voiliers qui par contraste avec leur aisance aérienne
se meuvent si maladroitement au sol. En contre-
bas, de petits manchots avaient élu domicile dans
les anfractuosités d’une falaise, les gorfous maca-
ronis, au bec et aux yeux rouges, coiffés « punk »
avec leurs aigrettes jaunes.
Le Marion maintient son cap à bonne vitesse vers
les îles Kerguelen, attirant dans son sillage les oi-
seaux des mers subantarctiques. Albatros, pétrels,
damiers du Cap et prions voltigent au ras de l’eau,
tourbillonnent, virevoltent autour du navire. Les
moins farouches le longent à quelques mètres du
bastingage, l’œil inquisiteur.
Le navire n’est plus qu’à quelques milles au nord-
ouest de la grande Terre. La mer moutonne.
Nous sommes en vue de petites îles. Ce sont les
Nuageuses, ainsi nommées par le capitaine bri-
tannique james Cook qui aborda en 1776 ces
côtes fréquemment nimbées de brouillard. À
l’horizon, la péninsule Loranchet étire une ligne
sombre. Imperceptiblement les reliefs se dessi-
nent. Bruno cherche des yeux ce qui symbolise
la porte d’entrée de la grande île mythique. Il
reconnaît les deux colonnes immuablement an-
crées dans la mer. Vestiges du volcanisme originel,
elles se dressent à 103 mètres d’altitude. On imagine
l’arche naturelle avant que l’érosion n’emporte sa
voûte de basalte entre 1908 et 1913, dates des
expéditions de Raymond Rallier du Baty. Cette
curiosité géologique ne manqua pas d’attirer
l’attention des navigateurs depuis sa découverte
en 1774 par yves de Kerguelen de Trémarec.
Il est rare que le Marion Dufresne passe par ici.
jean-paul Kauffmann, auteur du très bel ouvrage
74 · TAAF
« L’arche des Kerguelen » n’a pas eu cette chance…
Nous profitons de la nôtre d’autant plus que
les TAAF nous proposent un survol en hélico.
Rendez-vous sur la « DZ » (Drop Zone). Les pales
vrombissent dans l’air froid au-dessus de la cabine
de pilotage. L’équipe logistique de la plateforme
nous fait signe de monter. Ouverture des vitres et
calage des boîtiers pour éviter les reflets et les
vibrations indésirables. Vue du ciel, l’arche effondrée
révèle des angles inédits. L’appareil d’hélilagon
s’enfonce maintenant dans la baie. Sur le sable
dur, de lourds éléphants de mer se prélassent. Des
dizaines de manchots royaux sont attroupés dans
leur costume noir et blanc sur un petit coteau
herbeux irrigué par deux cascades. Nous nous
éloignons de l’hélicoptère et retirons nos gilets de
sauvetage. Cette plage a gravé son nom dans
l’histoire de l’archipel. C’est ici, dans la Baie de
l’Oiseau, qu’eut lieu en 1774 la prise de possession
officielle des îles Kerguelen par la couronne fran-
çaise, lors de la seconde expédition d’yves joseph
de Kerguelen de Trémarec. Le Sergent Lafortune,
qui accosta depuis le canot Le gros Ventre, écrivit
dans son journal : « Nous laissâmes sur le rivage
avant de nous embarquer des lettres dans plusieurs
bouteilles, de la monnaie de France et un pavillon
blanc. » De retour à bord, un cadre enchanteur
nous attend pour dîner : à travers le hublot, l’arche
des Kerguelen s’irise doucement dans la lumière
du crépuscule.
Un mois à Kerguelen, une durée suffisante pour
permettre de parcourir quelques-uns des sites
extraordinaires que recèle cet archipel jadis sur-
nommé « îles de la Désolation ». Quand nous ne
sommes pas en randonnée pendant plusieurs
jours, nous logeons sur la base de « pAF ». À port-
aux-Français, les installations étonnent par leur
modernité et leur confort, quelque peu insolites
si l’on se remémore l’éloignement des lieux : la
terre habitée la plus proche, l’île de La Réunion,
est distante de 3 490 kilomètres !
La station technique et scientifique de port-aux-
Français est l’unique établissement permanent
des îles Kerguelen. Accueillant entre 45 personnes
pendant l’hiver austral et 120 personnes pendant
l’été, elle a tout d’un village miniature. Les rési-
dents disposent d’infrastructures de qualité :
chambres spacieuses, salle de restauration, bar,
bibliothèque, cinéma et petit hôpital, respective-
ment appelés « Cinéker » et « Samuker » dans le
lexique taafien, gérance postale, salle de muscu-
lation, boutique « Coop »… Au-delà des moyens
nécessaires au bon déroulement de la vie quoti-
dienne, la plus grande base des TAAF affiche une
technologie de pointe : laboratoires de biologie et
géophysique, station Météo France, centre spatial
de suivi des satellites...
Dès notre arrivée à Kerguelen, nous accompa-
gnons trois ornithologues de la réserve naturelle
des TAAF, avec lesquels nous effectuons une ran-
donnée en terrain escarpé à l’île haute, au sud-
ouest de la péninsule Courbet. La petite île de 6 km
de long pour 2 km de large domine le golfe du
Morbihan du haut de ses 300 mètres, offrant de
beaux panoramas sur les nombreuses îles alen-
tours. Nous repérons les empreintes de l’unique
mouflon rescapé de la campagne d’éradication
lancée par les TAAF. Seules traces visibles laissées
par ce survivant solitaire qui continue de se jouer
des chasseurs et d’échapper aux regards…
Nous sommes début décembre. Dans un site cette
fois très éloigné de la base, nous allons retrouver
une autre équipe d’ornithologues : le canyon des
Sourcils Noirs sur la presqu’île jeanne d’Arc. À
partir de port-aux-Français, ce sanctuaire d’alba-
tros, haut-lieu de l’ornithologie à Kerguelen, est
accessible après une demi-journée à bord du
chaland l’Aventure II, qui nous dépose au halage
des Naufragés, puis quatre heures de transit à
pied. Le temps se couvre. Nous avons en ligne de
mire la « grenouille », bloc de roche qui surplombe
en saillie le haut versant que nous allons gravir.
Le ciel de traîne signale le passage récent d’un
front froid. Subitement, une averse de grésil nous
gifle le visage. La fraîcheur de l’air pénètre à travers
nos gants. Le poids des sacs à dos se fait sentir
mais la moindre pause nous refroidit vite. Le gré-
sil fait place aux flocons, et tout à coup c’est fini, le
ciel commence à se dégager. Nous étions prévenus,
76 · TAAF
LE MARION DUFRESNE AVEC EN ARRIÈRE-PLAN LE FRONT DU GLACIER COOK
la météo est très changeante à Kerguelen. Arrivés
au sommet, s’ouvre devant nous un grand désert
de rocaille qui décline en pente douce dans les
nuages. À l’horizon, on imagine le canyon des
Sourcils Noirs, refuge de milliers d’albatros qui
plonge ses falaises dans l’eau glacée. Vers la fin
du transit, au sol dur et instable se substituent les
souilles, flaques boueuses dans lesquelles nous
enfonçons nos guêtres. Le point gpS manquant
de précision, nous cherchons le chalet dans les
renfoncements du canyon, et découvrons sa
position dans les tout derniers mètres. Le mode
de vie dans les cabanes ou « arbecs » a un aspect
amusant et atypique que nous ne tardons pas à
apprécier. L’accueil de nos quatre hôtes scienti-
fiques est convivial et chaleureux. Le chalet est
fonctionnel, composé d’une cuisine où brûle un
petit radian, de deux chambres à lits jumeaux
superposés, d’une mezzanine et de sanitaires.
Boîtes de conserve et produits secs sont fournis
par l’IpEV dans des touques hélitreuillées depuis
le Marion Dufresne.
pour aller d’un point à l’autre, il est nécessaire de
parcourir de longs itinéraires à pied. La marche
fait partie intégrante du voyage. Il faut cette lenteur
dans les déplacements pour s’immerger en pleine
nature et se rendre compte des distances. Avec
6 675 km², la grande Terre est la troisième plus
grande île française après la Nouvelle Calédonie
et la Corse. Elle est aussi la plus vaste de toutes
les îles subantarctiques. Les randonnées y sont
relativement ardues compte tenu des risques
d’intempéries et des terrains qui ralentissent la
progression, comme les champs d’acaena, rosa-
cée native de Kerguelen, que nous traversons dans
la péninsule Courbet. À l’issue de deux jours de
randonnée et de prises de vues, nous posons nos
sacs à dos au cap Ratmanoff. Une foule compacte
colonise des kilomètres de plage. Devant nous
sont rassemblés près de 300 000 manchots royaux.
Face à une telle démesure, il est aisé de compren-
dre que Kerguelen ait fait rêver les plus grands
navigateurs.
L'ARCHE DES KERGUELEN, PORTE D'ENTRÉE DE L'ARCHIPEL
Les moments de contemplation sont fréquents
dans les TAAF, survenant au hasard d’une plaine
nue et venteuse à vous donner le vertige, face
aux mimiques cocasses des manchots, ou encore
au milieu des rangées de chaudrons rouillés
déversés par l’ancienne usine baleinière de port
jeanne d’Arc.
En dépit du déchaînement de la mer, du froid,
de la puissance incessante du vent qui fait de
l’archipel une terre sans arbres, Kerguelen attire
et magnétise. par sa minéralité, ses lumières
diffuses, ses ciels chargés. L’archipel garde une
très grande part de mystère. De péninsules mo-
notones en reliefs acérés, d’à-pics dangereux en
plages poudrées de neige, les paysages distillent
la beauté du dépouillement. Les conditions clima-
tiques sévères et l’éloignement des terres désolées
ne sont pas favorables à l’installation humaine,
certes. Mais quand au détour d’étendues âpres et
dénudées surgissent les éléphants de mer, les
colonies de gorfous sauteurs ou les majestueux
albatros fuligineux, le grand archipel cesse d’ins-
pirer la désolation et ne peut que fasciner chacun
de ses visiteurs.
Stéphanie Légeron et Bruno Marie préparent un livre inédit sur les TAAF qui devrait sortir d’ici la fine de l’année 2014.
78 · TAAF
SUR L'ÎLE DU CIMETIÈRE ONT ÉTÉ RECENSÉES UNE TRENTAINE DE TOMBES DE CHASSEURS AMÉRICAINS, DATANT DU MILIEU DU XIXE SIÈCLE
BAT’ CA
RR
É
NUMÉRO 1 // JUILLET - AOUT 2011
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LISBONNEÀ L’OMBRE DES CONQUISTADORS
RENÉ ROBERTLE FEU SACRÉ DE LA TRANSMISSION
TERRE DE PASSION
BA CA
RR
É T’NUMÉRO 9 // AVRIL-MAI 2013
LEU TEMPO15 E ÉDITION
RENCONTRE AVEC ÉRIC LANGUET
HAMPILE ROYAUME OUBLIÉ
�����������LE PASSÉ EN DEVENIR
BAT’ CA
RR
É
NUMÉRO 2 // OCTOBRE - NOVEMBRE 2011
VOYAGE DANS LE PATRIMOINEÀ LA RÉUNION
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RR
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NUMÉRO 10 //SEPTEMBRE-DÉCEMBRE 2013
CULTUREMANGA
RENCONTRENICOLAS GIVRAN
& DES HOMMES
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RR
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NUMÉRO 3 // DÉCEMBRE 2011 - JANVIER 2012
T’������� ��������� �������������� �����������
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des jouets
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RR
É
NUMÉRO 11 //AVRIL - MAI - JUIN 2014
MARGUERITEDURASLA PASSIONNÉEPRIX MÉTIS MIANO & LADJALI
RENCONTRE AVECLOLITA MONGA
ROSEMARY NALDEN& LE BUSKAID SOWETO
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É T’NUMÉRO 4 // FÉVRIER - MARS 2012
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���������UN PARADIS TOUT PRÈS D’ICI
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RR
É T’NUMÉRO 5 // AVRIL - MAI 2012
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LucSchuiten��� ����� �����
BA CA
RR
É T’NUMÉRO 6 // SEPTEMBRE - OCTOBRE 2012
PATAGONIEFIN ET COMMENCEMENT D’UN MONDE
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BA CA
RR
É T’NUMÉRO 7 // NOVEMBRE - DECEMBRE 2012 // JANVIER 2013
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Langevi������ ��������
BA CA
RR
É T’NUMÉRO 8 // FÉVRIER-MARS 2013
MAFATELA VIE AU-DESSUS DES NUAGES
RENCONTRE AVEC TIERNO MONÉNEMBO
BATAYE KOKJIM, UNE PURE LÉGENDE
���������LE PAYS DU MATIN CALME
Une année en compagnie de Bat’carré, le magazine de toutes les balades.
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CINQ
UN AN
OUI, je m’abonne au magazine Bat’carré pour une période d’un an.
80 · RENDEZ-VOUS BD EN COLLABORATION AVEC DES BULLES DE L’OCÉAN
LA FANTAISIE DES DIEUX
en cette date anniversaire du génocide au rwanda qui a entraîné la mort de 800 000 rwandais, principa-lement des tutsis mais aussi des Hutus opposants, le journaliste patrick de saint-exupéry nous livre cet albumdocumentaire dessiné par Hippolyte. présent en 1994, il est revenu sur les lieux avec Hippolyte, à la rencontredes rares témoins rescapés. du 6 avril au 10 juillet 1994, huit mille personnes, sans armes ni défense, sonttuées par jour, en moyenne. Flash-back sur l’opération turquoise, les zones d’ombre du rôle de la Francelors du massacre de bisesero, lieu historique de résistance des tutsis. au travers de cet album-reportage,ancré dans l’histoire, les mots jaillissent comme des coups de poignard : « cette bande dessinée est stricte-ment la réalité. ce sont des mots qui ont été prononcés. chaque image est exacte. il n’y a pas une virgulede fiction. » ainsi, la légèreté du trait peut rendre compte de cette folie exterminatrice où l’horreur est esquissée,le silence de la mort aussi.
AUTEURS Hippolyte et Patrick de Saint-ExupéryÉDITEUR Édition des Arènes
L’HÉRÉTIQUE
couverture grise, sombre, à l’image du naufrage, et pages intérieures lumineuses, avec un air de tintin, cetalbum, à l’inverse des autres, n’annonce pas la couleur. en suivant à la trace le naufragé volontaire d’alainbombard, paru il y a 60 ans, sébastien Gannat restitue fidèlement le récit de cette aventure incroyable, latraversée de l’atlantique en canot pneumatique sans eau, ni vivres grâce à laquelle alain bombard adéveloppé des méthodes de survie en mer. sébastien Gannat lui rend un bel hommage avec cet albumpassionnant, plein de vie, de courage et de ténacité.
AUTEUR Sébastien GannatÉDITEUR Des bulles dans l’océan
MARRAKECH
depuis 2010, casterman et lonely planet éditent une nouvelle collection d’itinéraires dans les villes. le proposest de sortir des sentiers battus avec des descriptions de sites, des anecdotes historiques, des ambiancesintimes, des paradis cachés… l’ensemble magnifiquement illustré par des auteurs qui connaissent particu-lièrement bien la ville ; François schuiten pour bruxelles, jacques Ferrandez pour marrakech. de quoi rêver,flâner en douceur, en feuilletant chez soi ces guides pleins de saveurs et superbement illustrés.
AUTEURS Jacques Ferrandez et Olivier CirendiniÉDITEUR Lonely Planet et Casterman