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Barbara Cassin, docteur ès lettres et directeur de recherches au CNRS, est philologue et philosophe. A partir des antagonismes, antiques et modernes, entre sophistiques, rhétoriques et ontologies, elle travaille sur les rapports que les philosophes entretiennent avec leur langue.

Aristote et le logos Contes de la phénoménologie ordinaire

Collection

BIBLIOTHÈQUE DU COLLÈGE INTERNATIONAL

DE PHILOSOPHIE

BARBARA CASSIN

Aristote et le logos Contes

de la phénoménologie ordinaire

Presses Universitaires de France

REMERCIEMENTS

Les chapitres de ce livre ont fait l'objet d'une communication ou d'une première publication dans des revues ou des collectifs, sous une forme parfois très différente et avec d'autres implications quant à la sophistique. Je renvoie, en remerciant leurs éditeurs, à :

— « Parle si tu es un homme ou l'exclusion transcendantale », dans Les Études philosophiques, Philosophie grecque / Aristote, avril-juin 1988, p. 145-155.

— « Logos et poli tique. Politique, rhétorique et sophistique chez Aristote », dans Aristote politique, études sur la Politique d'Aristote, sous la direction de Pierre Aubenque, publiées par Alonso Tordesillas, Paris, PUF, 1993, p. 367-398.

— « Aristote avec et contre Kant », dans Penser avec Aristote, études réunies sous la direction de M. A. Sinaceur, Toulouse, Erès, 1991, p. 341-366.

— « Dire ce qu'on voit, faire voir ce qu'on dit », dans Cahier de l'École des sciences philosophiques et religieuses, Des lieux du Voir, Facultés universi- taires Saint-Louis, 5-1989, p. 7-37.

— « Enquête sur le logos dans le De Anima », dans Corps et âme, Sur le De Anima d'Aristote, Gilbert Romeyer Dherbey (dir.), études réunies par Cristina Viano, Paris, Vrin, 1996, p. 257-293.

— « De l'objet de la sensation au sujet de la phrase », Actas del Primer Congreso Internacional de Ontologia, Categorias e inteligibilidad global, coordinador Victor Gomez Pin, Université autonome de Barcelone, Bellaterra, 1994, p. 179-187.

ISBN 2 13 048851 X

Dépôt légal — 1 édition : 1997, octobre

© Presses Universitaires de France, 1997 108 boulevard Saint-Germain, 75006 Paris

Présentation

Contes de la phénoménologie ordinaire

« Le sérieux ontologique a besoin d'un humour diabolique ou phénoménologique. »

Gilles Deleuze, Foucault, p. 118.

Aristote m 'a toujours paru (quelque ou t recu idan t et na ï f que doive à jus te titre paraître un tel j ugement ) un phi losophe d ' u n e honnê te té terrible. Il p r end de front ou de plein fouet les questions les plus entières et les plus v i o l e m m e n t difficiles (Métaphysique Gamma : « Le principe que doit nécessairement posséder celui qui cherche à c o m - prendre un étant quel qu'il soit [...], quel est ce principe, nous pouvons main tenant le dire » ; Zêta : « Qu 'es t ce que l'on, c'est-à-dire qu 'est-ce- que l ' »), sans que jamais son intelligence, son style, sa virtuosité, son excellence, c o m m e on voudra, ne lui servent à glisser, à mi-dire, à esquiver-mettre en scène, à déplacer-faire entendre, à intervenir sans y toucher ; au t rement dit, à la différence de Platon et peu t -ê t re c o m m e Kant, jamais écrire ne l 'avantage.

D e m ê m e , c 'est-à-dire en honnê t e h o m m e , son rapport au monde , au sens de m o n d e physique (la phusis est pluralité en m o u v e m e n t , l ' h o m m e n'est ni une bête ni un dieu), c o m m e au sens de culture, d 'organisat ion humaine et poli t ique (tous les h o m m e s désirent na tu- rel lement savoir, la cité est une pluralité de citoyens), à la fois est et est devenu stupéfiant de pléni tude banale (au b o n sens, le m ieux partagé, où R i m b a u d disait « Excusez-moi si c'est banal »). Aristote a cons tam-

m e n t vécu la doxa, s'y rappor tant (avec la diaporét ique, la dialectique, le juste milieu, et toutes ces sortes de justesses et de justices rendues), la

constituant en sa noblesse. Au point qu'il est la doxa même, aussi pour nous, non plus certes en tant qu'autorité légiférante et légitimante, mais plutôt comme source, sue ou non, des plus simples et des plus pérennes constats. Il fait partie intégrante, sauf sans doute en cosmo- logie où nous avons sauté dans l'univers infini, de notre vécu immé- diat et normal.

Ainsi : « Ceux qui se posent la question de savoir s'il faut ou non honorer les dieux et aimer ses parents n'ont besoin que d'une bonne correction, et ceux qui se demandent si la neige est blanche ou non n'ont qu'à regarder» (Topiques, I, 105 a 5-7). Avec une belle et bonne phrase de ce genre (qui vaut contre l'impiété de Protagoras, contre le Sur la vérité d'Antiphon, contre le Traité du non-être de Gorgias), on rejoint la phénoménologie, ou plutôt les contes de la phénoménologie ordinaire. Manière de dire, d'entrée de jeu, que je ne prétends pas traiter ici de «phénoménologie», en son sens de doctrine historique- ment et philosophiquement (historico-philosophiquement) datée, constituée, en mode critique et thétique, avec ses initiateurs et ses maî- tres. Je prendrai «phénoménologie» au sens étymologique, comme rapport entre le, ou du, phénomène et le, ou du, logos ; donc aussi bien au sens grec de ce mot qui, en grec, n'existe pas encore ; mais par là, du coup, en un sens de «phénoménologie» que Martin Heidegger, lisant et ne cessant de lire Aristote, aura à sa grande manière parfois effleuré comme allant de soi, parfois thématisé dans ses risques et ses différences.

C'est pourquoi je pourrais donner un exergue heideggérien à chaque moment de ce livre. Au tout, Aristote et le logos : «La langue est pour autant qu'elle est, comme le Dasein, c'est-à-dire que la langue existe, qu'elle est historiale»; à la partie Parler en homme ? : «Le décou- vrement du présent — subsistant trouve son fondement dans le fait que le Dasein en tant qu'existant se rapporte toujours déjà à un monde qui est ouvert», et, en refrain: « Quand un Dasein communique avec un autre Dasein... »; à la partie Dire le monde ? : «L'énoncé est un faire voir qui met en évidence l'étant en question. »

1. Toutes ces citations sont tirées de Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie, trad. J.-F. Courtine, Paris, Gallimard, 1985 (= GA, XXIV, Klostermann, 1975), cours du semestre d'été 1927 ; respectivement p. 251, 260, 253 et 264.

Ce ne serait là que justice quant à trois points essentiels : 1 / Il s'agit bien, avec la phénoménologie en quelque sens qu'on la

prenne, et ici avec Aristote, du « dépassement de l'alternative objectif- subjectif »

2 / L'Aristote que je lis a déjà été lu par Heidegger (déjà, toujours déjà? « toujours déjà» étant un très sûr signal, comme le note Hei- degger lui-même, de « la méthode phénoménologique de l'ontologie » [ p. 388]) ; c'est un Aristote en prise sur le dévoilement, l'apo- phantique, la coappartenance.

3 / C'est aussi un Aristote aux prises avec, en prise sur, pris dans ou par, la langue, la langue grecque. Comme le résume Jean-François Courtine pour caractériser, dans son principe, le versant régulièrement positif de l'interprétation phénoménologique d'Aristote: « Aristote a eu accès "naïvement" — mais c'est aussi en vertu d'un privilège de la langue grecque — aux choses mêmes. »

Je pourrais donner ces exergues, mais au sens du sens près.

1. Je reprends la formule de J.-F. Lyotard dans son très ancien et significatif, car encore « à chaud », « Que sais-je ? » sur La phénoménologie, Paris, PUF, 1954 (par ex. p. 70 de la 6 éd., 1967).

2. « Une difficile transaction : Heidegger, entre Aristote et Luther », Nos Grecs et leurs modernes, Paris, Seuil, 1992, p. 337-362, ici p. 343.

On aura compris que je ne peux ni ne veux, dans ce work in progress, ni rendre justice à toute la lecture heideggérienne d'Aristote, ni explorer le chemin phénoménologique parcouru par Hei- degger. Pour faire l'un et l'autre, il faudrait s'appuyer, d'une part, sur F. Volpi, Heidegger e Aris- totele, Padoue, Daphne, 1984, et, en tout dernier lieu, « La question du logos chez le jeune Heidegger », Heidegger 1919-1929. De l'herméneutique de la facticité à la métaphysique du Dasein, éd. J.-F. Courtine, Paris, Vrin, 1996, p. 33-65, et sur J. Taminiaux, Lectures de l'ontologie fonda- mentale. Essais sur Heidegger, Grenoble, Millon, 1989, chap. III ( « La réappropriation de l'Éthique à Nicomaque » ) ; d'autre part, sur J.-F. Courtine, Heidegger et la phénoménologie, Paris, Vrin, 1990, en particulier II, 4 ( « Le préconcept de la phénoménologie et le problème de la vérité dans Sein und Zeit » ). Et repartir de Questions IV, « Mon chemin de pensée et la phénoménologie » :

« C'est là [en faisant un séminaire sur les Recherches logiques de Husserl] - au départ plus guidé par un pressentiment que dirigé par un point de vue bien fondé – que j'appris ceci : ce qui pour la phénoménologie des actes de la conscience s'accomplit comme le se manifester du phénomène, est pensé plus originellement encore par Aristote et dans toute la pensée des Grecs, la façon dont ils furent des Grecs, comme Alêtheia, comme l'ouvert sans retrait de la présence, son dévoile- ment, son se montrer. Ce que les recherches phénoménologiques avaient redécouvert comme le maintien, le port de la pensée, s'avère le trait fondamental de la pensée grecque, pour ne pas dire même de la philosophie comme telle.

« Plus je voyais clair en cela, et plus devenait pressante la question : D'où et comment, d'après le principe de la phénoménologie, se détermine ce qu'on doit éprouver comme "la question même" (die Sache selbst) ? Est-ce la conscience et son objectivité, ou bien est-ce l'être de l'étant dans son non-retrait et son retrait ? » (texte paru en 1963, trad. Baufret, Fédier, Lauxerois, Roëls, Paris, Gallimard, 1976).

Qu'est-ce à dire ? Il y a un Aristote, Grec entre les Grecs, modèle d'une phénoméno-

logie épanouie et heureuse. Si j'ose dire: un Aristote paradigme du Phénoménologiquement correct. Car correct non seulement dans l'aisance, mettons ontologique et sapientiale, à dire le monde comme il est : phénoméno-logie où, selon la grande charte du De Interpretatione, les choses, les affections de l'âme et les sons de la voix coïncident naturel- lement. Mais correct aussi, de manière plus délicate à définir et à obtenir, quant au rapport à autrui, mettons pratique et phronétique, où les hommes coïncident non moins naturellement dans un monde

commun, vivable et, y compris poétiquement et politiquement, pré- sentable, au sens cette fois de respectable.

Or l'effet sophistique met en relief ceci : comment chacun de ces bonheurs est une pierre d'achoppement.

Par «effet sophistique», j'entends désigner la façon dont une his- toire sophistique de la philosophie fait frissonner l'histoire de la phi- losophie. Ce petit livre est, de fait, le relief aristotélicien de l ' sophistique. Parménide, Platon, Aristote avaient alors servi de grands autres, indispensables à la constitution même de l'objet sophistique; à rebours, la sophistique a permis de les cerner, de les délimiter, de les appréhender chacun un peu autrement. Cependant, le cas d'Aris- tote est le plus complexe : c'est lui en effet qui définit le langage de manière à ce que la sophistique soit définitivement privée de parole (de philosophie, d'humanité) ; en même temps, à la différence de Platon, plus exactement parce que Platon il y a, sa marge de manœuvre est des plus réduites : Aristote, son système ou ses doc- trines, apparaît comme le résultat d'une difficile négociation entre Platon et la sophistique, permettant par exemple de réussir l'expul- sion de la sophistique vers la littérature, mais contraignant à par- tager, sur le consensus notamment, des thèses avec elle. Relief est ainsi à entendre au sens de restant : ce qui d'Aristote se dessine à par- tir d'une réflexion sur la sophistique, mais qu'un livre sur la sophis- tique n'avait pas à dire. C'est, dès lors, à entendre aussi au sens d'éminence et de géographie: ce qui, dans une Antiquité repeuplée un peu autrement, sur fond de cette violente critique de l'ontologie que constitue la sophistique, se voit d'Aristote face aux questions d'aujourd'hui.

Comment donc l'effet sophistique fait-il paraître chacune de ces béatitudes phénoménologiques, citrouille autant que carrosse («la phénoménologie est trop pacifiante, elle a béni trop de choses », dit encore Deleuze, Foucault, p. 120) en obstacle aristotélicien à la phé- noménologie ?

Ce n'est pas, même s'il y a confluence, parce que, en mode hei- deggérien et conformément aux critiques plus phénoménologiques que Heidegger peut lui adresser, Aristote serait aussi moderne, et que les interprétations qui font de la vérité une adéquation et du logos une suite de mots seraient des mésinterprétations historialement bien méritées.

Mais c'est bien plutôt parce qu'Aristote honnête, et toujours «sous la contrainte des phénomènes » et « sous la contrainte de la vérité », n'a pas cessé de ne pas réussir à se cacher, ni nous cacher, les difficultés constitutives de cette phénoménologie heureuse, de faire le constat des apories et de tenter philosophiquement, c'est-à-dire en affinant ou en forgeant des concepts, d'y porter remède.

Parfois les difficultés sont pleines, objectivées, étalées, et traitées autant que faire se peut : l'esclave par nature a et n'a pas le logos en partage, est et n'est pas un homme - cela se pense et, somme toute, se résout tant bien que mal, conceptuellement et réellement, par l'éduca- tion et la nouthétique, qui sont une manière de conduire au logos par le logos.

Mais, parfois, la difficulté est si principielle, si constitutive de la «structure de monde», que, même si elle ne se cache pas, si elle ne fait l'objet d'aucun truquage, voire saute aux yeux (je dirais volontiers : à ceux d'Aristote qui exprime sa gêne ou change de registre, et donc aux nôtres), pour autant, elle ne se gère ni ne se règle à moins d'un oukase ou d'un saut. Ainsi le sophiste qui «parle pour le plaisir de par- ler», lui aussi, est et n'est pas un homme: s'il persévère, il est une plante, et il faut, non seulement décider une fois pour toutes que par- ler c'est signifier, mais faire une greffe éthique, enter sur la rhétorique

1. Je rejoins ainsi la manière dont les questions d'aujourd'hui se laissent rassembler dans le rapport d'Éric Alliez sous le titre, consonant avec cette présentation, De l'impossibilité de la phéno- ménologie. Sur la philosophie française contemporaine, Pans, Vrin, 1995.

un supplément d'intention bonne, pour que la rhétorique échappe à la sophistique et que la politique soit bien gardée.

Parler en homme ? Que parler en homme n'aille pas de soi pour tous les hommes, cela peut bien tourmenter (assumons les anachro- nismes) la nature humaine ou l'être au monde au titre, non d'une déchéance, mais d'un mal radical.

Cependant, la difficulté proprement ingérable est celle qu'on pourrait dire inscrite phénoménologiquement au cœur même de la phénoménologie. C'est elle que je tente d'expliciter aristotéliquement.

Le De Anima vient relayer et remplir la charte du De Interpreta- tione : l'âme est la consistance du tiret entre phénomène et logos, c'est le lieu entre choses et mots — lieu de la coïncidence, de la coapparte- nance, de la déclosion - lieu de l'échange, du chiffrage, de la transfor- mation (il n'y a que des dérives métaphoriques, dans un sens ou dans l'autre). L'alternative objectif-subjectif s'y trouve, on dirait, toujours déjà dépassée. Pour indice très sûr, il n'est qu'à prendre : aisthêsis. L'ais- thêsis dit à la fois la faculté de percevoir (la sensibilité), l'exercice de cette faculté (la perception), sa distribution liée et non liée aux organes des sens (les cinq sens, mais aussi le fameux sens commun), et les affec- tions, les pathèmes, produits par les objets des sens (les sensations). Aristote la définit constamment comme une coïncidence en acte entre

l'organe du sens (aisthêtêrion) et l'objet sensible senti (aisthêton), et affirme l'identité sensation-senti «à l'être près » Cette définition et celle de l'âme ( « entéléchie première d'un corps naturel possédant la vie en puissance», II, 1, 412 a), qui font intervenir la puissance et l'acte, nous transportent dans un monde d'une autre évidence, et suffisent à balayer les termes modernes de la problématique de l'union de l'âme et du corps ( « Aussi n'y a-t-il pas lieu de se demander si l'âme et le corps ne font qu'un, pas plus que pour la cire et la figure», 412 b) avec celle du statut de l'objet dans le sujet («Qui s'aviserait de demander s'il y a dans l'âme une pierre ou homme? », I, 5, 4 1 0 10 s.).

1. III, 2, 425 b 26-28, « L'acte du senti et celui de l' aisthêsis sont un et le même, mais leur être

n'est pas le même » ; 426 a 16-17 « Puisque l'acte de ce qui sent (tou aisthêtikou) et de ce qui est senti (tou aisthêtou) est un, mais que l'être diffère... ».

Soit. Mais le point de non-passage, de non-porosité, n'en est que plus singulièrement circonscrit. Si l'on part de ce qui se fait sentir et qui ne déçoit jamais, le «propre», par exemple le visible-vu (to oraton) pour l'œil - du jaune —, on arrive, non sans beaucoup de mal théo- rique, notamment grâce à la possibilité de sentir au moins deux pro- pres ensemble, en commun (comme effet de cet ovni qu'est le «sens commun» justement), à percevoir un quelque chose qui se tienne — au croisement du jaune et de l'amer, tiens, c'est du fiel ! Mais cette recon- naissance esthétique (comme on reconnaît dans une tragédie) ne fait pas encore pour de bon une phrase ordinaire : demeure le hiatus entre l'ordre esthétique (voilà du jaune, c'est du fiel) et l'ordre prédicatif (le fiel est jaune). Dans le phrasé normal en effet, c'est au senti par acci- dent (le fiel et non le jaune), qu'il revient d'être proprement sujet. Sans parler de la différence entre ce fiel bien physique, que nous sen- tons quand même par soi, même s'il ne fait qu'accidenter le jaune et l'amer, et «le fils de Diarès», cet autre type de senti par accident, qui lui n'a vraiment rien à voir avec l ' mais qui fait, presque, un bon sujet logique. En toute incorrection phénoménologique, on ne cesse de tomber, de texte en texte, à coup de distinctions, d'aménage- ments et de raccords, dans la discordance entre l'objet de la sensation et le sujet de la phrase, la sensation et son expression, le phénomène et la grammaire.

Il est vrai qu'il suffirait d'enchaîner sur les Catégories pour que les sentis accidentels fassent à jamais oublier leur accidentalité, et qu'ils deviennent vraiment sujets, c'est-à-dire sujets par deux fois en toute coïncidence de la physique et de la logique. Comme au premier jour en effet, tout peut dorénavant aller phénoménologiquement de soi,

1. Ce rapprochement avec la Poétique, qui m'a été suggéré par Monique Dixsaut, est au nombre des fils qui restent à tirer, liant les deux sens d'« esthétique », l'ancien et le moderne, l'un à l'autre. Anagnôrizomen, « nous procédons à une reconnaissance» (III, 1, 425 a 24, texte des manuscrits L Ha P, retenu par Barbotin par exemple, mais non par Ross), quand nous sentons deux propres à la fois (et par là même, de manière accidentelle, des sentis « communs » à plusieurs propres, comme le mouvement par exemple). De quel(s) type(s) d'anagnôrisis s'agit-il - de la pire, forgée par le poète, ou plutôt d'une reconnaissance par signes distinctifs, à peine meilleure (Ulysse et sa cicatrice), par souvenir (un coup d'oeil sur le tableau), par raisonnement (quelqu'un de ressemblant est arrivé, or nul n'est ressemblant sinon Oreste, donc c'est Oreste qui est arrivé), ou bien de la meilleure, par les pragmata eux-mêmes (par les voies du vraisemblable, la seule à se passer de signes forgés et de colliers) ?, cf. Po., chap. 17.

le fiel est jaune et le fiel est jaune : en tant que hupokeimenon, «sujet» de la proposition, génitif dont se disent les prédicats, et en tant que hupokeimenon, «substrat» du changement, datif dans lequel sont les accidents («Est ousia, dit au sens premier, souverain et maximal, cela qui, à la fois, n'est pas dit en le rapportant à un sujet et n'est pas non plus dans un sujet », hê mête kath'hupokeimenou tinos legetai mête en hupokeimenôi tini estin, 5, 2a 11-13). La sérénité de cette définition, constitutive et principielle, rebouche définitivement, en amont ou en aval selon la perspective, les disjonctions qui font du De Anima une torture.

Mais l'inaltérable propriété du propre, dont il est donc, au moins en longeant Aristote, si difficile de sortir sans s'expulser hors du para- dis phénoménologique, et qui constitue pourtant l'une des thémati- ques caractéristiques de la phénoménologie dans la longue durée, est finalement peut-être le plus pervers et le moins interrogé des héritages de la sophistique. Le Traité du non-être («De même que la vue ne vient pas à connaître les sons de la voix, de même l'ouïe n'entend pas non plus des couleurs... ») aura montré en tout cas, selon sa prise catastro- phique habituelle, comment, collée à l'idiotie des propres, trop de phénoménologie interdit la phénoménologie.

Il n'est en tout cela pas question d'autre chose que de logos. De deux manières, bien prévisibles. D'abord, parce que toutes ces

difficultés sont liées aux thématiques aristotéliciennes du logos comme discours doué de sens. Donc et propre de l'homme, qui en fait un ani- mal plus politique que les autres, plus perfectible et tel que sa nature soit sa culture, faculté-pouvoir des animaux rationnels (dire quelque chose qui ait un sens pour soi-même et pour autrui). Et (la définition du sens est aussi bien dans ce double et) ouverture du/au monde comme il est, c'est-à-dire même comme il n'est pas (dire quelque chose qui ait un sens pour soi-même et pour autrui). Ces thématiques ressassables jus- qu'à l'écœurement, je tente de détecter, comme au bruit du moteur, à quels instants elles tournent moins rond.

C'est là que je rejoins l'autre question de logos. Aristote honnête : jamais écrire ne l'avantage. Mais sa langue, le grec, l'avantage. Ne par- lons plus d'aisthêsis, d'hupokeimenon, car logos suffit bien ! Jusqu'à l'écœurement encore, on est à qui mieux mieux, d'Héliodore à Hei-

d e g g e r comblé par l'amplitude rétrograde, perçue comme centrifuge ou comme centripète, du mot devant lequel nos discours, langage, langue, parole, rationalité, raison, intelligence, fondement, motif, pro- portion, calcul, compte, valeur, rapport, relation, récit, thèse, raison- nement, argument, explication, énoncé, proposition, définition, terme et j 'en passe, prêtent à rire et à pleurer. Aristote entend les amplitudes et les raisonne dans le premier des lexiques philosophiques que cons- titue le livre Delta, mais nous n'avons pas d'entrée logos. Pourtant, dans toute son œuvre, et singulièrement dans le De Anima, il en étale distinctement les sens, et, quelque unitaire que demeure la consistance, il homonymise au maximum. Il joue contre sa langue, il l'ausculte et la surveille pour tenter qu'elle n'aille pas sans lui, et considère qu'il y va de son métier de philosophe. Là encore, je tente d'arrêter les occa- sions où les forces concurrentes de la langue maîtresse et du philo- sophe, entraîné mais remontant à contre-courant, produisent des bouillonnements de texte et piègent l'interprétation. Une sensation est ainsi un logos de sentis contraires (je vois du gris, et c'est un calcul de blanc et de noir), et elle legei que c'est du gris : quel honnête sursaut de côté ou pas en arrière peut donc avarier cet indiciblement dit, tou- jours déjà surdit ?

On verra les cassis et quelques traces de glisse. Ou pourquoi il n'y a pas, toujours déjà pas, de phénoménologie heureuse.

1. Héliodore, Scholia in Dionysii Thracis artem grammaticam, éd. A. Hilgard, 1901 (= Gram- matici Grœci, I, 3), p. 353, 29, cité en part. par J. Lallot, « L'ordre de la langue. Observations sur la théorie grammaticale d'Apollonius Dyscole », Philosophie du langage et grammaire dans l'Anti- quité, Bruxelles-Grenoble, 1986, p. 413. De Heidegger, on dira passim évidemment, en signalant «Logos (Héraclite, fragment 50) », Essais et conférences, tr. fr. Paris, Gallimard, 1 9 5 8 p. 249-278, et Acheminement vers la parole, tr. fr. Paris, Gallimard, 1976.

résultat est proche de un: l'aisthêsis est un «milieu», une «médiété», et le sentant peut alors rechercher un tel senti.

Dans ces deux cas, ce n'est pas le sens de logos (« proportion », « cal- cul », « médiété ») qui change, mais seulement sa dénotation.

— Mais en III, 2, dans la suite immédiate de l'un des passages où Aristote thématise le plus clairement la manière dont senti propre et sensation sont tous deux logos (proportion, calcul), ainsi que le pouvoir critique de la sensation, fait son apparition le sens indubitablement logique, discursif, de legein.

Il s'agit en l'occurrence de comprendre à la suite une phrase comme: hê d'aisthêsis ho logos (426 67): «la sensation, c'est le rap- port», voire même, puisqu'il s'agit d'agrément, la «juste proportion ». Puis une séquence comme : Dei to hen legein hoti heteron ; heteron gar to gluku tou leukou. Legei ara to auto. Hôste hôs legei, houtô kai noei kai ais- thanetai (426 b 20-22) : « Il faut quelque chose d'un qui dise que c'est différent, car le doux est différent du blanc. C'est donc la même chose qui peut le dire. En sorte que comme elle le dit, et elle le pense et elle le sent. » Le problème est à nouveau celui de l'idiotie des pro- pres : «la vue juge du blanc et du noir, le goût du doux et de l'amer». Repérer la différence entre deux sentis propres, les identifier, ne peut par définition être fait ni par l'un des cinq sens, même privilégié (le

1. Voici, dans son suivi, l'ensemble du passage que j'ai cité bout par bout, pour sérier les sens de logos, au chapitre précédent (p. 120, 123, 125) : « Si la voix est une sorte de consonance, que le son et l'ouïe sont comme une seule chose [...], si par ailleurs la consonance est un logos, alors nécessairement l'ouïe est aussi logon tina. C'est pourquoi aussi chaque excès détruit l'ouïe, l'aigu comme le grave ; dans les saveurs, le goût ; dans les couleurs, le trop brillant ou le sombre, qui détruit la vue, et dans l'odorat, l'odeur forte, la douce comme l'amère, dans la mesure où la sensation est une sorte de logos. C'est pourquoi aussi les sentis sont agréables, d'une part, chaque fois que, étant purs et sans mélange, ils rentrent dans le logos, par exemple l'aigu, le doux ou le salé : ils sont alors agréables en effet. D'autre part et de manière générale, le mixte est plus une consonance que l'aigu ou le grave ; et pour le toucher, ce qui peut être réchauffé ou refroidi. La sensation, c'est le logos, et les excès sont pénibles ou destructeurs.

« Chaque sensation est sensation du senti qui la provoque, elle appartient à l'organe en tant que tel et juge [krinei] des différences de ce senti, par exemple la vue juge du blanc et du noir, le goût du doux et de l'amer. De même pour les autres. Puisque nous jugeons du blanc et du doux, et de chacun des sentis par rapport à chacun, par quoi sentons-nous qu'il diffère ? [...] Il faut quelque chose d'un qui legei que c'est différent, car le doux est différent du blanc. C'est donc la même chose qui peut le legein. En sorte que comme elle le legei, et elle le conçoit et elle le per- çoit. Que donc il ne soit pas possible à des sens séparés de discriminer entre les sentis séparés, c'est manifeste » (III, 2, 426 a 27 - b 22).

toucher par exemple, sans lequel aucun animal ne peut exister), ni par aucun des cinq sens pris séparément, et pourtant il doit bien s'agir d'un «sens» puisqu'il s'agit de sensibles et de sentis. On retrouve ainsi, sans que le mot soit prononcé, la problématique du sens commun : ce « quelque chose », qui n'est pas un « sixième sens », mais une « limite » où s'opère la transversalisation des propres, autrement dit la mise en rap- port des rapports que sont les sentis propres et leur sensation.

Du senti propre et de sa sensation à l'identification du senti et au sens commun, on glisse du logos-rapport au logos-énoncé : on touche ici du doigt le lien entre élaboration doctrinale et saut sémantique. C'est ce lien, et sa complexité, qui me fait dire qu'il importe, non pas tant de se mettre à l'écoute de la source originelle, que de comprendre comment la langue grecque fonctionne comme une suture, à quels moments son rôle de langue (philosophique ou pensante, pourra-t-on donc dire), voire de supplément, est de tasser, de colmater, les difficultés et les problèmes qu'un philosophe grec élabore en son sein. Je renoue ainsi avec la vieille querelle Benveniste/Derrida ; Benveniste affirmait, dans « Catégories de pensée et catégories de langue » : « Pour autant que les catégories d'Aris- tote sont reconnues valables pour la pensée, elles se révèlent comme la transposition de catégories de langue. C'est ce qu'on peut dire qui déli- mite et organise ce qu'on peut penser ». A quoi Derrida répondait, dans « Le supplément de copule » : « Il se trouve que la catégorie de catégorie n'est qu'une mise en forme systématique de cette prétention au-dehors de la langue, à la fois langue et pensée parce que la langue est interrogée au lieu où la signification "être" se produit. » A cette aggravation près, si j'ose dire, que les catégories sont thématisées par Aristote lui-même comme des faits de langue, sinon de grec (pollakhôs legomenon), alors que la «saturation » du terme de logos (calculus, ratio, oratio) n'est jamais inter- rogée comme telle, mais seulement usée, ou laissée libre de jouer.

Gorgias doublait l'idiotie des propres d'une conception du logos comme propre parmi les autres, donc performance sans référence. Rien d'étonnant à ce qu'Aristote doive à la fois sortir de l'idiotie des propres pour passer à la logique prédicative, et faire que le discours soit non pas du son mais du sens. Ce sont là deux problèmes parallèles,

1. E. Benveniste, Problèmes de linguistique générale, Paris, 1966, p. 63-74, ici p. 70. J. Derrida, Marges de la philosophie, Paris, 1972, p. 211-246, ici p. 219.

conjoints plutôt, résolus par le même type de tour et de suture. En effet, de même que le sujet logique de la phrase est un accident per- ceptif, la signification dans le discours est elle-même de l'ordre de l'ac- cident pour l'esthétique. On le voit par exemple dans le De Anima à la séquence des propres qui servent à spécifier peu à peu le logos humain ; en II, 8, il s'agit en effet de la «voix » (phônê), en tant qu'elle départage l'homme de l'animal ; elle est d'abord caractérisée au moyen d'une cascade de réquisits physiques — c'est un son émis par un être animé (pas par une flûte), par un mouvement de l'air, de l'air intérieur (pas par un poisson), qui frappe la trachée artère (pas une toux) ; or à la récapitulation de cette série s'ajoute, sans autre forme de procès, un simple « et » : « Il faut que ce qui frappe soit animé et avec accompagne- ment d'une représentation [phantasia], car la voix est à coup sûr un bruit sémantique [sêmantikos... tis psophos] » (420 b 31-33) ; autrement dit, on ne rejoint la définition «ordinaire» que par un saut explicatif, marqué comme tel, hors de la phonation et du sonore. C'est ce que confirme le remarquable passage du De Sensu déjà épinglé par Cash- dollar, à la fin de son article : « C'est par accident [kata sumbebêkos] que l'ouïe contribue pour une très grande part à l'intelligence [pros phronê- sin]. En effet le logos est cause de l'instruction quand il est entendu, non par soi mais par accident [akoustos ôn, ou kath'hauton alla kata sum- bebêkos] ; car il est composé de mots, et chaque mot est un symbole. C'est pourquoi, parmi les hommes privés congénitalement de l'un de ces sens, les aveugles sont plus intelligents que les sourds-muets» (437 a 11-17). Le logos grec est ainsi à lui seul le saut et la suture.

On aura le droit d'en conclure qu'Aristote est deux fois sophiste. Une première fois contre Platon avec Protagoras, parce que le monde dans lequel nous sommes immergés est pour de bon le monde esthé- tique. Mais une deuxième fois contre sa propre esthétique, et contre son esthétique du propre, puisqu'il apporte pour finir la preuve que c'est le logos comme tel, et non l'aisthêsis, qui performe le monde. Car ce qu'on perçoit, ta aisthêta, le «monde sensible », est en réalité le monde des sujets logiques : c'est du vin, croisant le senti accidentel et le senti commun, et non du doux, le senti propre, que nous buvons. Nous ne buvons jamais que ce dont nous parlons. En toute logologie, le monde sensible d'Aristote n'est pas esthétique mais logique. Phénoméno/logique, ou même logicophénoménal.

Annexe

Dossier textuel :

de la phrase esthétique à la phrase logique

Je voudrais proposer pour finir de tenir sous la loupe et de ruminer le cœur du dossier, c'est-à-dire le rapport entre sentis propres, sentis communs et sentis accidentels, lieu de la tentative d'élaboration esthé- tique du phrasé logique. La question que je me poserai est à chaque fois et pour chaque type de senti : que dit donc la sensation, comment « s'exprime »-t-elle ?

Il existe trois textes, et trois seulement, qui présentent dans le De Anima les trois sortes de sentis. Les voici dans l'ordre, accompagnés de quelques remarques destinées à accentuer leurs caractéristiques et leurs différences

— Texte 1 : De Anima, II, 6, 418 a 7-25 :

« A propos de chaque sens, il faut d'abord parler des sentis. Or le senti se dit de trois manières : dans deux des cas, nous disons qu'il y a sentir par soi, et dans un, qu'il y a sentir par accident.

« Parmi les deux, l'un est propre à chaque sens, l'autre commun à tous. J'ap- pelle propre ce qui ne peut être senti par un autre sens, et au sujet duquel il est impossible d'être illusionné, comme voir une couleur, entendre un son, goû- ter une saveur (mais le toucher comporte un plus grand nombre de différences). En tout cas chaque sens juge de ses propres, et ne s'illusionne pas sur le fait qu'il y a couleur ou son, mais sur ce qu'est, ou bien où est, ce qui est c o l o r é , s u r c e q u ' e s t , o u b i e n o ù e s t , c e q u i r é s o n n e [

].

1. Je place en note certains points remarquables ou atypiques de l'interprétation qui n'ont pas d'incidence directe sur la question directrice.

« Les sentis de ce genre sont donc dits propres à chaque sens, alors que sont dits c o m m u n s le mouvement, le repos, le nombre, la figure, la grandeur ; car ceux de ce genre-là ne sont les propres d'aucun, mais sont communs à tous : ainsi du mouvement est senti par le toucher, comme par la vue.

« O n parle de senti par accident si, par exemple, le b lanc est fils de Diarès [ ] : c'est par accident qu'on sent cela, car cela qu'on sent se trouve accidenter le blanc [ ] . C'est aussi pourquoi on ne subit rien sous l'effet du senti comme tel. Mais, parmi les sentis par soi, ce sont les propres qui sont au sens fort les sentis, et c'est par rapport à eux que chaque sens dans son essence se trouve par nature constitué. »

— Texte 2 : III, 1, 425 a 13-b11 :

[Aucun sens ne saurait nous manquer] « Du coup, il n'est certainement pas possible non plus qu'il existe un organe sensoriel propre aux sentis communs : c'est au moyen de chacun des sens que nous les sentons par accident, par exemple le mouvement, le repos, la figure, la grandeur, le nombre, l'unité. Nous les sentons en effet tous au moyen du mouvement : par exemple la grandeur, c'est par un mouvement ; et donc la figure, puisque la figure est à son tour une sorte de grandeur ; et le repos, par le fait de ne pas être en mouvement ; et le nombre, par la privation du continu. Et au moyen des propres2 : chaque sens en effet ne sent qu'un seul senti.

« Si bien qu'il est évidemment impossible qu'il y ait un sens propre aux sentis comme le mouvement. Car il en ira comme lorsque de fait nous sentons le doux par la vue : c'est le cas lorsque nous nous trouvons avoir des deux à la fois une sensation, grâce à laquelle nous effectuons une reconnaissance [E : nous avons une

1. Pour l'interprétation de ce « tous », j 'adopte « l'hypothèse disjonctive » de J. Brunschwig (art. cité) selon laquelle le commun n'est pas ce que tous les sens, ni même plusieurs d'entre eux, sentent ensemble, conjointement, mais seulement ce que chaque sens, disjonctivement, peut sen- tir en même temps que son senti propre (je peux voir le grand en même temps que le blanc, et toucher le grand en même temps que le doux : « ainsi du mouvement est senti par le toucher, comme par la vue », kai... haphêi... kai opsei, 418 a 19 s.) — ce que corrobore la fin de notre texte 2 (c'est parce que les sentis communs peuvent être sentis par au moins deux sens différents qu 'on ne saurait les confondre avec des sentis propres). Mais on verra que l'exercice conjoint des sens propres est requis pour la focalisation sur un « objet », la bile par exemple.

2. O n comprend d'habitude que « et au moyen des propres » ne s'applique qu'au nombre (« et le nombre, c'est par la négation du continu et grâce aux sensibles propres », Bodéüs e.g.). Je crois qu'il faut construire , «nous sentons les communs au moyen du mouvement... et au moyen des propres ». D 'une part en effet il faut au moins un propre à un instant donné pour sentir un senti commun ; d'autre part, pour qu'il y ait sensation du commun, il faut que le sens propre ne demeure pas figé sur son senti propre, mais s'exerce en mouvement, c'est-à-dire en respectant la caractéristique de l'être vivant (cf. la fin du texte 3 : « le mouvement produit sous l'effet de l'acte du sens », 428 b 26). O n remarquera que le mouvement joue d'ailleurs par rapport aux autres sentis communs le rôle de l ' par rapport aux catégo- ries : on peut les rapporter à lui, il « transparaît » en tous.

connaissance s imul tanée] c h a q u e fois qu 'e l les co ïnc iden t . Faute de quo i , nous n ' e n

aur ions a u c u n e a u t r e s e n s a t i o n q u e p a r a c c i d e n t , a u s e n s o ù n o u s s e n t o n s

d u fils d e C l é o n , n o n p a s q u ' i l e s t b e l e t b i e n l e fils d e C l é o n , m a i s q u ' i l

e s t b l a n c - b l a n c à q u i q u a n t à l u i il a r r i v e p a r a c c i d e n t d ' ê t r e f i ls d e

C l é o n [

] . M a i s e n r é a l i t é n o u s a v o n s d e s c o m m u n s u n

s e n s c o m m u n [une sensat ion c o m m u n e , ] , q u i n ' e s t

p a s p a r a c c i d e n t . Il n ' y en a d o n c pas de sens p r o p r e ; car alors n o u s ne les sen-

t i r ions q u e de la m a n i è r e d o n t o n dit q u e n o u s v o y o n s le fils de C l é o n . P o u r t a n t ,

les p ropres les uns des autres, c 'est p a r a c c i d e n t que les sens les sentent , n o n pas

en tant qu' i ls son t c h a c u n p o u r soi mais e n t a n t q u ' i l s s o n t u n e u n i t é [ ]

c h a q u e fois q u e le sens [ , les sens c o m m e u n – le sens c o m m u n ] est

d i r igé s i m u l t a n é m e n t s u r u n m ê m e , p a r e x e m p l e la b i l e [don t il sent]

q u ' e l l e e s t a m è r e e t j a u n e [

] . C a r ce n 'es t c e r t a i n e m e n t pas à u n sens di f férent qu ' i l r ev ien t

de d i r e q u e les d e u x n e f o n t q u ' u n . C ' e s t p o u r q u o i il lui arr ive d ' ê t r e dans l ' i l -

lusion, et q u a n d c 'est j a u n e , c ro i t que c 'est de la bile.

« O n p e u t d 'ai l leurs se d e m a n d e r dans que l b u t nous avons plusieurs sens et n o n

pas u n seul. N e serai t -ce pas p o u r que les sentis qui a c c o m p a g n e n t , c ' e s t - à -d i re les

sentis c o m m u n s [ ] c o m m e le m o u v e m e n t , la g r a n d e u r e t

le n o m b r e , ne n o u s é c h a p p e n t pas ? C a r si la v u e était no t r e seul sens, laquel le elle est

v u e du blanc, ils n o u s é c h a p p e r a i e n t davan tage : o n croira i t q u e t o u t cela est i den -

t ique pa rce q u e la c o u l e u r et la g r a n d e u r s ' a c c o m p a g n e n t r é c i p r o q u e m e n t dans u n e

s imul tanéi té . E n réalité, le fait q u e les c o m m u n s a p p a r t i e n n e n t aussi à u n au t re senti

r e n d manifes te q u e c h a c u n d ' e u x est q u e l q u e chose de différent . »

— T e x t e 3 : I I I , 3 , 4 2 8 b 1 7 - 3 0 (il s ' a g i t d ' u n d é v e l o p p e m e n t s u r l a

p h a n t a s i a ) :

« La sensat ion des p rop re s est vraie ou ne c o m p o r t e q u e le m i n i m u m d ' e r reu r .

« Vient e n s e c o n d l i e u la sensa t ion de ce à q u o i les p r o p r e s a r r i v e n t a c c i -

d e n t e l l e m e n t [ , l e çon r e t e n u e par J a n -

n o n e / B y w a t e r ] , et déjà [ἤδη] à ce n iveau o n p e u t se t r o m p e r . Q u ' (il y a i t d u )

b l a n c , il n ' y a p a s d ' e r r e u r , m a i s q u e c e c i s o i t b l a n c p l u t ô t q u e c e l a , il

p e u t y a v o i r e r r e u r [

] .

« E n t r o i s i è m e l i e u , la sensa t ion des c o m m u n s , q u i a c c o m p a g n e n t les

a c c i d e n t s à q u o i a p p a r t i e n n e n t les p r o p r e s [

] , pa r e x e m p l e le m o u v e m e n t e t la g r a n d e u r , qui

a r r i v e n t p a r a c c i d e n t a u x s e n t i s [ ] : c 'est à l eur

p r o p o s su r t ou t qu ' i l est déjà possible d ' ê t r e i l l u s i o n n é q u a n d o n sent.

« O r le m o u v e m e n t p r o d u i t sous l 'effet de l 'ac te d u sens différera se lon celle des trois sensations d o n t il p rov ien t . Le p r e m i e r , en la p résence de la sensat ion, est

v ra i ; les autres, en la p résence c o m m e en l ' absence de la sensat ion, p e u v e n t être

faux, et su r t ou t q u a n d le senti est lo in . »

Dans les trois textes, le point de départ ou de référence est le senti propre ou le sens propre. Du propre, il y une aisthêsis et une phasis qui échappent à l'illusion. La sensation du senti propre dit: «blanc», «doux», «voilà du blanc», «voilà du doux» (textes 1 et 3).

On peut se demander aussitôt si la sensation du propre, une sensa- tion d'un senti propre, est autre chose qu'un effet d'analyse, un cas d'école ou de laboratoire, une supposition d'origine : les sens propres sentent en effet aussi les propres les uns des autres (texte 2, 424 a 30 s.), les « sentis communs », et les « sentis accidentels ». De même que la sen- sation n'en reste pas au propre, de même la phasis dépourvue d'apatê ne peut pas ne pas s'élaborer en kataphasis, dès lors susceptible de pseu- dos — on l'a souvent noté, chez Aristote comme chez Descartes, mais pour de toutes autres raisons, il n'y a pas d'illusion perceptive mais seulement des erreurs de jugement.

L'énoncé modèle vrai/faux diffère d'un texte à l'autre. Les deux pre- miers textes, en même temps qu'ils privilégient, dans la foulée des sentis propres, les sentis communs et le sens commun par rapport aux sentis accidentels, mettent en place une logique esthétique. Le troisième privi- légie les sentis accidentels, et se situe dans une logique logique. A vrai dire, le second a réellement un statut intermédiaire, mettant un instant en concurrence à propos des sentis accidentels les deux logiques, même si c'est la logique esthétique qui triomphe. Pour rendre sensible le change- ment de perspective, l'ordre de considération des trois sortes de sentis suffit : il est superposable à la différence de phrasé.

Texte 1. Que disent les sens propres? Réponse: « Blanc » (phasis du senti propre), « Le blanc est un homme / fils de Diarès » (senti propre est sub- stance /senti accidentel), « Le blanc est ici / immobile » (senti propre est autre catégorie / senti commun).

«Chaque sens juge de ses propres, et ne s'illusionne pas sur le fait qu'il y a couleur ou son, mais sur ce qu'est, ou bien où est, ce qui est coloré, sur ce qu'est, ou bien où est, ce qui résonne» (418 a 14-16) : dans le premier texte, les erreurs s'expriment, comme les vérités cor- respondantes, sous forme de ce que nous avons appelé des «phrases perceptives ». Elles on t toujours p o u r sujet un p r o p r e et leur pré- dicat, catégorialisé, ressemble fort à un senti accidentel (« ce qu'est [P] ce qui est coloré [S] » équivaut à : «le blanc [S] est fils de Diarès [P] »),

ou à un senti commun (« où est [P] ce qui est coloré [S] » appelle la considération du «mouvement», le premier, dans tous les sens, des sentis communs).

Dans ce texte où règne la logique esthétique des propres, il faut noter fortement que les sentis c o m m u n s sont, au plus près des sentis p r o p r e s regroupés avec eux sous le genre des «sentis par soi» (kath'auta). Ce regroupement est la marque de la logique esthé- tique : on sent « essentiellement », c'est-à-dire conformément à la nature de la sensibilité, par soi donc, le mobile en tant que mobile au même titre que le blanc en tant que blanc ; et autrement mieux, autre- ment en tout cas, que le fils de Diarès, qui en soi, en tant que fils de Diarès, ne saurait faire l'objet d'aucune perception (il est perceptible seulement en tant que blanc se trouvant par accident être fils de Diarès).

Statut du commun qu'explicite le texte 2 : on éprouve la sensa- tion du mobile («mouvement, repos, figure, grandeur, nombre, unité») en même temps qu'on éprouve la sensation du blanc, juste- ment parce qu'il n'y a pas, par définition, de sens «propre» aux sen- tis communs (pas de sixième sens) ; il faut sentir au moins un propre pour pouvoir sentir un commun: tous les sens propres sont égale- ment propres aux sentis communs ; il faut même sentir (ou avoir senti?) deux propres accompagnés du même commun pour repérer le commun comme commun. On dira donc que les sentis communs ne sont pas des accidents par rapport à la sensibilité, à la différence des sentis accidentels, alors que ce sont pourtant des accidents par rapport aux propres, puisque leur sensation doit «accompagner» celle d'un p r o p r e

C'est pourquoi, en logique esthétique, sentis propres et communs

1. Cette distinction règle les apparentes contradictions entre texte 1 ( « dans deux des cas [propres et communs], nous disons qu'il y a sentir par soi ») et texte 2 ( «nous les [= les sentis communs] sentons par accident»), comme au sein du texte 2 («nous les sentons par acci- dent » /« nous n'en aurions aucune autre sensation que par accident » / « nous avons des communs une aisthêsis koinê qui n'est pas par accident » /« c'est par accident que les sens les sentent » ). Elle règle aussi la différence, du point de vue de l'accidentalité par rapport aux propres, entre sentis communs, qui accompagnent les propres dans une perception par soi, et sentis par accident, qui ne sont jamais perçus par eux-mêmes (texte 2, 424 a 24 s. : « nous n'en [= les sentis communs] aurions aucune autre sensation que par accident, au sens où nous sentons le fils de Cléon »).

s'opposent ensemble aux « sentis par accident» (kata sumbebêkos), qui les «accidentent» aussi comme prédicats dans la phrase. L'expression logique est alors un simple décalque de l'esthétique : je ne sens pas directement le fils de Diarès, je ne subis rien sous son effet, alors que je sens directement le blanc; de même, «fils de Diarès» se trouve prédiqué de «blanc» dans la phrase perceptive, qui dit toujours le senti par accident du point de vue du propre : « Le blanc est fils de Diarès. » On est en droit de supposer, étant donnée la classification, que cette phrase ne diffère pas de cette autre : « Le mobile (ou le grand) est fils de Diarès. » Ou encore, en anticipant sur le statut des communs déployé dans le texte 2: «Le blanc, qui bouge (qui est grand), est fils de Diarès.»

Remarquons pourtant un premier signe de tension entre logique esthétique et logique ordinaire, sous forme d'une hésitation, d'un repentir de vocabulaire : à quoi faut-il réserver le terme de « senti » tout court, «comme tel» (hêi toiouton)1 ou «proprement dit» (kuriôs) ? Dans la logique du texte, c'est évidemment aux sentis propres, par rapport à quoi chaque sens se trouve dans son essence et par nature constitué. Dans la logique ordinaire, qu'on ne peut apparemment même pas ici éviter d'évoquer, c'est aux accidents. Ainsi, Aristote désigne couram- ment par aisthêta des sentis qui auraient ici plutôt le statut de sentis accidentels — mais peut-être aussi, en faisant fonds sur le texte suivant, de sentis communs (la bile) — que de sentis propres : en Metaph. Γ 5 par exemple, les aisthêta sont les phénomènes du monde sensible, tout ce que les héraclitéens-protagoréens, etc., croient vrai, et pourtant c'est le statut du senti propre, toujours vrai (le doux par exemple, en tant qu'il est perçu par le goût), par différence avec la sensation de ce qui est étranger (allotriou), qui permet de réfuter ces détracteurs du principe de non-contradiction qui se fient à la constante transforma- tion des sentis. Autrement dit, même lorsqu'il s'agit de faire fonds sur la vérité des propres, la logique ordinaire renverse le rapport esthé- tique d'accidentalité : c'est le doux que nous sentons proprement, mais

1. Je construis, en 418 a 23-25 ( ) , avec , comme la plupart des interprètes, et non avec οὐδὲν, comme Bodéüs ( « rien comme tel »).

c'est le vin que nous buvons, et dont nous disons donc qu'il est ou n'est pas d o u x

Que les exemples de sentis accidentels soient des descriptions défi- nies (fils de Cléon, de Diarès), et non des substances (Cléon, Diarès, S o c r a t e ) , m é r i t e , c o m m e l e s u g g è r e C a s h d o l l a r q u ' o n y r é f l é c h i s s e .

D a n s l a l o g i q u e d e s C a t é g o r i e s c o m m e d e l a M é t a p h y s i q u e , S o c r a t e ,

C l é o n , o u l e v i n , s o n t p a r e x c e l l e n c e à c h a q u e f o i s u n t o d e t i , d e s s u b -

s t a n c e s p r e m i è r e s q u i n e s a u r a i e n t ê t r e n i p r é d i q u é e s n i c o n t e n u e s d a n s

a u c u n h u p o k e i m e n o n , b r e f , c e q u e j e r e n c o n t r e d e p r i m e a b o r d d a n s l e

m o n d e e t q u i c o n s t i t u e l e s u j e t d e m e s p h r a s e s . P a r c o n t r e , j e n e p e r -

ç o i s p a s e n s o i « l e f i l s d e C l é o n » , q u i p a r e x c e l l e n c e s e p r é d i q u e d ' a u t r e

c h o s e , d ' u n t o d e t i j u s t e m e n t . E n c o r e u n e f o i s , i l n ' e s t p a s s û r q u e l a

s u b s t a n c e - s u j e t s o i t j a m a i s é l a b o r a b l e à p a r t i r d e l ' e s t h é t i q u e p u r e , e t

p u i s s e ê t r e a u t r e m e n t q u ' a p p r o c h é e d a n s u n e h é s i t a t i o n , u n c r o i s e m e n t

o u u n e c o n c u r r e n c e e n t r e o b j e t d u s e n s c o m m u n ( « l a b i l e » ) e t s e n -

s i b l e p a r a c c i d e n t ( « l e f i l s d e D i a r è s » ) .

1. On comparera 418 a 22-24 : « C'est par accident que l'on sent cela, car cela qu'on sent se trouve accidenter le blanc [tôi leukôi sumbebêke touto hou aisthanetai, le blanc a pour accident le fils de Cléon] », et Metaph. Γ 5, 1010 b 20 s. : « Ce n'est pas sur l'affection que diverge une sensation, mais sur ce dont l'affection est un accident [ to hôi sumbebêke to pathos, le vin a pour accident le doux] ». Notons une bonne fois que le datif commandé par subebêkenai désigne le sujet logique dans la phrase canonique : « y est accident pour x [datif] » équivaut à « x [nominatif] est, ou a pour prédicat, y ».

2. Cashdollar note très judicieusement (art. cité, p. 168 et n. 24) la différence entre « fils de Cléon », « fils de Diarès », à propos des sentis accidentels, et « Cléon » tout court pour les phrases noétiques (430 b 6, et ailleurs dans le corpus), comme se surimposant à la différence entre ce que j'appelle logique de la sensation et logique de la prédication (« le blanc est fils de Diarès » /« Cléon est blanc »). Il mentionne alors le passage des Premiers analytiques (27, 43 a 33-35) qui règle le choix des prémisses dans les syllogismes catégoriques sur fonds de la distinction entre prédication universelle et prédication selon l'accident, où les aisthêta fournissent le seul exemple d' « étants qui par nature ne sont à l'évidence prédiqués de rien » (kat'oudenos pephuke legestai) : « Car chacun des sentis est sans doute tel qu'il ne puisse être prédiqué de rien, sauf en tant que par accident (mê katê- goreisthai kata mêdenos, plên hôs kata sumbebêkos) ; nous disons en effet à l'occcasion que ce blanc-ci est Socrate, et que ce qui s'approche est Callias (phamen gar pote to leukon hekeino... Sôkratên einai kai to prosion Kallian) ». De mon point de vue, c'est d'abord l'équivalence entre to kath'hekaston, « l'individuel », et aisthêton, « le senti », opérée comme allant de soi dans ce passage des Analytiques, qui pose problème : « Parmi tout ce qui est, certaines choses sont telles qu'elles ne sont prédiquées universellement d'aucune autre avec vérité, par exemple Cléon et Callias, autrement dit (kai) l'in- dividuel et (kai) le senti », mais il faut aussi se demander, sur fonds de cette équivalence, comment alors est fabriqué l'exemple « ce blanc-ci est Socrate ».

La logique du sens commun culmine dans le texte 2, et celle de l'accident dans le texte 3.

Texte 2. Que dit le sens commun ? Réponse : « Doux et mobile » (phasis du senti propre et du senti commun) ; «Jaune et amer sont bile » (sentis pro- pres sont objet physique).

La sensation des communs élargit celle des propres, ouvrant à d'autres sentis par soi. Elle dit quelque chose comme : «voilà du blanc et du mobile », «voilà du doux et du mobile ». A quoi il faut sans doute ajouter «voilà du mobile», et même tout simplement «voilà du blanc (qui n'est pas du doux)», «voilà du doux (qui n'est pas du blanc)», dans la mesure où c'est l'exercice commun des différents sens, les sens «en tant qu'ils forment une unité», les sens comme un, le sens «com- mun » donc à proprement parler, qui permet d'entre-sentir les propres (texte 2, 425 a 30 s.), et de «juger par-dessus le marché » de la diffé- rence entre doux et chaud.

La proposition la plus intéressante est celle obtenue par l'exercice, cette fois à coup sûr non pas disjonctif, mais simultané de plusieurs sens (hotan hama genêtai hê aisthêsis epi tou autou, 425 a 31 - b 1), qui pro- duit ce qu'on peut appeler un objet du sens commun: «par exemple de la bile, qu'elle est amère et jaune» (hoion kholê hoti pikra kai xanthê, 425 b 1 s.). La maladresse de ma traduction tente de rendre sensible la procédure de construction : voilà deux propres, du jaune, et de l'amer, je dis qu'ils ne font qu'un, je dis que c'est de la bile. La phrase est du type : amer et jaune (deux propres en position de sujets) sont bile (pré- dicat), la bile est un accident des propres, une sorte de commun sur lequel je peux me tromper, parce que je peux croire le percevoir alors que je ne le perçois pas (apatatai, 425 b2 : mon jugement, comme per- ceptif, est encore de l'ordre de l'illusion et non de l'erreur logique). Avec le sens commun, on peut donc rejoindre ou fabriquer quelque chose comme le suppôt physique, l'objet complet, qui peut probable- ment tenir lieu de hupokeimenon « normal » en phrase logique, mais ce

1. Epikrinei, III, 7, 431 a 20 ( « Par quoi juge-t-on par-dessus le marché de la différence entre doux et chaud, nous l'avons déjà dit et nous avons à le redire à présent. Il s'agit de quelque chose d'un, à la manière d'une limite » ) fait écho au krinei de II, 2, 426 b 10 (texte cité n. 1, p. 152).

dernier demeure un prédicat des sentis propres, qui occupent toujours la position de sujet dans la phrase esthétique.

Il faut enfin remarquer qu'au moment où le type d'accidentalité des sentis communs est différencié de celui des sentis accidentels, la concurrence entre les deux logiques, logique esthétique et logique ordinaire, joue à nouveau, et cette fois de manière formelle, formali- sable. «Nous sentons du fils de Cléon, non pas qu'il est bel et bien le fils de Cléon, mais qu'il est blanc (oukh'hoti Kleionos gar uios, all'hoti leukos) » : cette phrase, qui joue en l'occurrence un rôle contrefactuel, met en parallèle «Le fils de Cléon est fils de Cléon» / « Le fils de Cléon est blanc ». Elle a donc pour modèle une phrase ordinaire, comparable à un énoncé d'identité: S est P, où S pour la première fois est un senti accidentel, et P pour la première fois un senti propre. Mais ce penchant ordinaire est aussitôt démenti par la fin de la phrase, qui produit l'analyse requise par la démonstration: «Mais c'est au blanc qu'il arrive par accident d'être fils de Cléon» (toutôi de sumbebêken uiôi Kleônos einai), énoncé esthétique cette fois, dans lequel S est le senti propre, et P le senti commun qui vient acciden- ter le propre dont il est prédiqué (senti propre est/a pour accident senti commun). C'est l'ordre des mots qui fait décider des rôles res- pectifs joués par les datifs. Nous sommes en esthétique : c'est par accident que nous voyons le fils de Cléon, alors que nous voyons par soi le blanc et le mobile.

Texte 3. Que dit la sensation du senti par accident ? Réponse : « Ceci ou cela est blanc » (senti accidentel est senti propre) ; L e fils de Cléon, qui est grand, est blanc » (senti accidentel, qui a pour épithète senti commun, a pour prédicat senti propre).

Le premier bouleversement est hiérarchique : les sentis par acci- dent viennent après les propres (deuteron de, «en second lieu »), et les sentis communs cette fois seulement « en troisième lieu » (triton de). Sous couvert des propres, énoncés d'abord, nous entrons dans la logique de l'accidentalité esthétique, au plus proche de la logique ordinaire.

Une série de modifications se produit alors. En ce qui concerne les propres, c'est évidemment du point de vue

de la logique ordinaire toujours déjà en cours d'élaboration qu'on peut

produire cette affirmation es thé t iquement stupéfiante : « La sensation des propres est vraie ou ne comporte que le minimum de pseudos. »

« Vient en second lieu la sensation de ce à quoi les propres arrivent accidentel lement » (tou hôi sumbebêke tauta) : les propres sont cette fois les accidents logiques des sentis accidentels, il y a réversion du rapport esthétique d'accidentalité. Le modè le est : S (senti accidentel) est (a pou r accident) P (senti propre). Ce que conf i rme le phrasé de l 'exemple d 'erreur , par différence avec celui du texte 1. Tex te 1: « [ O n s'illusionne] sur ce qu'est ce qui est coloré » — fo rme : «le blanc (propre) est ceci (accident) ». Mais texte 3 : « Q u ' i l y ait du blanc, il n 'y a pas d 'erreur , mais que ceci soit blanc plutôt que cela [ei de touto leu- kon ê allo2, il peut y avoir erreur » — forme : «ceci (accident) est blanc (propre) ».

Enfin, avec la description des sentis communs , c'est la phrase logique entière qui déploie sa nouvelle hiérarchie: «Les c o m m u n s a c c o m p a g n e n t [hepomenôn] les accidents à quoi a p p a r t i e n n e n t les propres [hois huparkhei ta idia] ». D ' u n e part, le centre de la phrase, son héros et son sujet, n 'est autre que le senti accidentel. Cet te p réémi- nence logique est signée par l 'emploi de huparkhein , qui t e rminolog i - q u e m e n t expr ime le rapport entre sujet et prédicat, et qui vient se sub- stituer au rapport es thét ico-physique entre substrat et accident expr imé par sumbebêkenai3. O n a donc : « les propres appar t iennent aux accidents», c'est-à-dire «les accidents sont les substrats des propres», S (accident) est P (propre). D ' au t r e part, les c o m m u n s sont dits accompagner , n o n plus les propres (relation esthétique), mais les acci- dents (relation logique). Ils sont m ê m e les «accidents» logiques des

1. Je choisis donc, contre Bodéüs par exemple, de ne pas l'interpréter esthétiquement (« l'er- reur minimale ici admise pourrait être le manque de discrimination nette entre deux sensibles voisins dans le même registre, deux couleurs assez proches, par exemple », n. 2, p. 220), voir supra, p. 134. Cette divergence reflète notre divergence d'appréciation sur l'importance du hiatus entre logique esthétique et logique ordinaire, à laquelle Bodéüs ne consacre qu'une note isolée et comme surprise, en appel au premier texte : «En d'autres termes, le sujet substantiel échappe aux sens qui n'en saisissent que les accidents ! » (n. 3, p. 166).

2. Certains manuscrits portent allo ti, qui donne peut-être encore davantage consistance de sujet au senti accidentel.

3. Que les constructions des deux verbes, huparkhein comme sumbebêkenai, obligent à mettre le sujet logique au datif (jusques et y compris dans l'énoncé du principe de non contradic- tion en Γ 4) est peut-être la marque ultime de la prégnance esthétique au sein du logique.

accidents esthétiques : « m o u v e m e n t et grandeur , qui arrivent par acci- dent aux sentis » ; où « sentis » désigne les sentis accidentels, qui conquièrent ipso facto le droit à l 'appellat ion de «sentis» tout court (voir fin du texte 1). Les accidents sont ainsi deux fois «recteurs»: ils

ont p o u r prédicats les propres, et p o u r épithètes les communs . Le modè le de phrase ainsi élaboré est quelque chose c o m m e : « Le fils de Cléon, qui est grand, est blanc. » U n e phrase, enfin, qui ressemble à ce que nous disons, mais dans la mesure m ê m e où elle ne ressemble pas, si l ' on en croit le Traité de l'âme, à ce que nous sentons.

O n est ainsi parvenu à passer de cet énoncé : « Le blanc est fils de Diarès » (le fils de Diarès, senti accidentel, est un accident du blanc, senti propre), à cet autre énoncé : «Le fils de Diarès est blanc » (le senti propre est un accident du senti accidentel). Mais on n 'a pas p o u r autant rejoint la «vraie» phrase ordinaire: «Diarès est blanc». Cet te phrase ne se rencont re nulle part c o m m e un énoncé construit à partir de la sensation. O n peu t dire que l ' irréductibilité de la logique esthé- t ique est lisible dans cette différence entre description définie («le fils de Diarès») et substance première («Diarès») . Il est impossible en effet de faire figurer le tode ti en posit ion de prédicat ou d'accident, c'est m ê m e là tou te sa définition, d o n n é e aux premiers mots du cha- pitre 5 des Catégories1. O r il est impossible que le senti par accident ne figure pas d ' abord en posit ion d 'accident et de prédicat, dans une logique esthétique où les propres sont seuls les authent iques sujets. La distorsion entre la description et le n o m propre n 'est pas un effet du hasard des exemples, mais un symptôme de l 'hé térogénéi té des struc- tures esthétique et logique : phénoméno / log i e , et non p h é n o m é n o - logie, faudrait-il donc écrire.

D e fait, la phrase, n o n pas «Diarès», mais «Cléon est blanc», ne figure q u ' u n e seule fois dans le De Anima. Elle sert alors d'i l lustration au pouvo i r synthét ique du nous. C 'es t la suite, ou plutôt le complé- ment , du texte «phénoméno log ique» qui ancre l 'analogie entre per -

1. . Ajoutons que le pro-

blème. du rapport entre physique et logique est ici, génialement ou grossièrement, résolu « une fois pour toutes » par la pure et simple juxtaposition entre le kata + génitif et le en + datif, c'est- à-dire par le double sens de hupokeimenon, sujet de la proposition et substrat du changement.

ception et pensée dans le rapport toujours vrai aux propres et aux indivisibles Elle représente un exemple de composition, en tant que tel susceptible d'erreur (pseudos, et non plus apatê) comme de vérité; mise sur le même plan que « Cléon était/sera blanc », elle rend mani- feste le lien entre erreur et temps. Certes, l'analogie esthético-noétique vaut toujours, dans la possibilité du faux ouverte par le rapport entre deux termes et jusque dans la temporalité même qu'on retrouve dans la phantasia, tout comme dans la vérité du simple. Reste que le rapport au langage n'est pas le même en esthétique et en noétique : quant à la phasis, le nous et lui seul est capable d'assurer la définition de chaque terme, c'est-à-dire aussi le sens de chaque mot («Cléon», «blanc»), en ancrant la présence simple dans la conformité à la quiddité ; quant à la kataphasis, c'est encore lui qui effectue à chaque fois l'unité, vraie ou fausse, de la synthèse prédicative (to de hen poioun, touto ho nous hekas- ton, 430 b 5-6) : « Cléon est blanc. » Bref, il faut passer de l'aisthêsis au nous pour achever tranquillement l'imposition du logique, pour bou- cler logiquement l'esthétique.

1. III, 6, 430 a 26 s., que nous citions partiellement note 1, p. 145, en complément de Metaph., Θ 10, à l'appui du sens esthétique de « vérité » retenu par Heidegger. Voici la fin du pas- sage : « S'il s'agit de choses passées ou futures, c'est avec l'idée du temps qu'on compose aussi. Car le faux réside toujours dans une composition : si on dit que le blanc n'est pas blanc, c'est qu'on fait entrer le non blanc en composition. On peut aussi bien appeler tout cela division. Mais en tout cas ce qui est faux ou vrai n'est pas seulement que Cléon est blanc (hoti leukos Kleôn estin), mais aussi qu'il l'était ou le sera. Ce qui en fait l'unité, c'est à chaque fois le nous. »

2. Cf. III, 6, 430 b 28, cité note 1, p. 136 : est toujours vrai le nous tou ti esti kata to ti ên einai.

Index des principaux auteurs et des passages cités

ALLIEZ (É.) 5 n. 1 ANTIPHON 28, 86 et n. 1 - Sur le consensus, 87 B 44 D.K.,

fr. A, col. 1 28 n. 1 - Sur la vérité 2 - Tétralogies 47 n. 1 APEL (K. O.) 11, 15-20, 21, 22,

24 ARENDT (H.) 26-28, 61 et n. 3,

72 et n. 1 ARISTOPHANE 49 ARISTOTE, passim - Premiers analytiques (APr.) 43, 53 n. 1

27, 43 a 33-35 161 n. 2 - Seconds analytiques (APo.) 43

19, 99 b 35 119 n. 1 - Catégories (Cat.) 7,116,161

5, 2 a 11-13 8, 165 et n. 1 - De Anima (De An.) 6, 8, 9, 27, 95 n. 1,

97, 103-138, 139, 140, 143-154, 155- 166

1 105,107 I, 1, 403 a 25 107 n. 1 I, 1, 403 b 1-6 s. 107 et n. 2 I, 1, 403 b 16-17 108 I, 4 117 I, 4, 407 b 27-408 a 29 114 n. 4 I, 5, 410 a 10 s. 6 II 107 II, 1 131 II, 1, 412 a 6 II, 1, 412 a 5-6 108 II, 1, 412 b 6 II, 1, 412 b 4-5 108 II, 1,412 b 10 109 et n. 2, 110 n. 2 II, 1, 412 b 15-16 109 II, 2, 413 a 14 108 II, 2, 414 a 13-14 109 II, 2, 414 a 27 110 II ,3 ,414 b 22-28 109 et n. 1 II, 5, 417 b 24-26 145 II, 5, 417 b 28 144 II. 6 132,134,135 II, 6, 418 a 6-25 129 II, 6, 418 a 7-25 155-156 II, 6, 418 a 8-10 129-130 II, 6, 418 a 11 s. 144, 147 II, 6, 418 a 11-13 115 n. 1 II, 6, 418 a 11 et 12 95 II, 6, 418 a 16-23 97 II, 6, 418 a 21 135 II, 6, 418 a 22-24 161 n. 1 II, 6, 418 a 23-25 160 n. 1 II, 6, 418 a 23-24 130 n. 1 II, 8 110, 154 II, 8, 420 & 5 110-111 et n. 1 II, 8, 420 b 11 et 16-25 111 II, 8, 420 b 29-33 111 et n. 2 II, 8, 420 b 31-33 154 II, 8, 420 b 32-33 112 II, 11 120 n. 2 II, 11, 423 b 14 s. 118 II, 11, 423 b 27 118 n. 1

II, 11, 424 a 3-10 118 et n. 2 II, 11, 424 a 6 118,151 II, 12 114, 120 n. 2 II, 12, 424 a 17-b 3 115 II, 12, 424 a 17-32 151 II, 12, 424 a 24 s. 159 n. 1 II, 12, 424 a 29-30 118 n. 2 II, 12, 424 a 30 s. 158 II, 12, 424 b 1 118 III 135,145 III, 1 131 n. 1 III, 1, 425 a 13-6 11 129, 156-157 III, 1, 425 a 15-16 133 n. 4 III, 1, 425 a 24-27 130 III, 1, 425 a 24 7 n. 1 III, 1, 425 a 25-26 135 III, 1,425 a 27 124 n. 2, 127 III, 1, 425 a 30 s. 162 III, 1, 425 a 30-b 4 122 n. 1, 128 III, 1, 425 a 31-b 1 s. 162 III, 1, 425 b 2 149 n. 1, 162 III, 1, 425 b 3-5 120 n. 2 III, 1, 425 b 3 127 n. 2, 132 n. 1,

146 n. 3 III, 2 114, 120 n. 2, 123,

152 III, 2, 425 b 14 124 III, 2, 425 b 27 105 III, 2, 425 b 25-27 114 n. 3 III, 2, 425 b 26-28 6 n. 1 III, 2, 426 a 20-23 105 III, 2, 426 a 16 s. 144 III, 2, 426 a 16-17 6 n. 1 III, 2, 426 a 27-b 29 119 III, 2, 426 a 27-b 22 152 et n. 1 III, 2, 426 a 27-b 8 119 III, 2, 426 b 1 105 III, 2, 426 b 8-12 123-124 III, 2, 426 b 10 162 n. 1 III, 2, 426 b 12-427 a 16 122 n. 1 III, 2, 426 b 13-15 125 III, 2, 426 b 13 et 15 105 III, 2, 426 b 14-15 124 n. 2 III, 2, 426 b 20-22 125,152 III, 2, 426 b 20 124 n. 2, 149 n. 1 III, 2, 426 b 21-22 129 III, 2, 426 b 21 149 n. 1 III, 2, 426 b 23-29 125 III, 2, 426 b 24 124 n. 2, 149 n. 1 III, 2, 426 b 26 s. 144 III, 2, 426 b 28 125, 149 n. 1 III, 2, 427 a 3 124 n. 2 III, 2, 427 a 10 125 III, 3 112, 113, 131, 134 III, 3, 427 a 19-b 6 132 n. 1, 146 n. 3 III; 3, 427 b 6-14 146-147 III, 3, 427 b 11-13 134 n. 1 III, 3, 427 b 11 94 III, 3, 427 b 12-15 112 III, 3, 427 b 12 94 III, 3, 427 b 16 et 24-26 113 III, 3, 428 a 22-24 113 n. 2 III, 3, 428 b 17-30 157 III, 3, 428 b 18-25 130-131

III, 3, 428 b 19 147 III, 3, 427 b 24-26 113 III, 3, 428 b 9-29 119 III, 3, 428 b 18-19 134 III, 3, 428 b 25 132 n. 1, 146 n. 3 III, 3, 428 b 26 156 n. 2 III, 3, 428 b 18-30 129 III, 6, 430 a 26 s. 166 n. 1 III, 6, 430 a 26-b 6 145 n. 1 III, 6, 430 b 2 135, 136 III, 6, 430 b 4-6 136 III, 6, 430 b 5-6 166 III, 6, 430 b 6 161 n. 2 III, 6, 430 b 26-31 133 n. 2, 136 n. 1 III, 6, 430 b 28 166 n. 2 III, 6, 430 b 29-30 134 n. 1 III, 7, 431 a 8-16 136-137 III, 7, 431 a 8-11 118 n. 3, 135 III, 7, 431 a 8-10 122,148 III, 7, 431 a 14-431 b 12 31 III, 7, 431 a 20-b 2 126 III, 7, 431 a 20 162 n. 1 III, 7, 431 a 22 125,150 III, 7, 431 a 23 et 26-27 126 n. 1 III, 7, 431 a 27-31 145 n. 1 III, 7, 431 a 27 et 28 126 n. 1 III, 7, 431 b 16 31 III, 9-11 112 III, 9, 432 a 15-17 138 III, 9, 432 a 16 119 n. 1 III, 9, 432 a 30 s. 138 III, 10, 433 b 29-30 113 n. 1 III, 11, 434 a 5-21 137 III, 11, 434 a 6-8 113 III, 13, 435 b 13-19 118 n. 2

- De Interpretatione 4,6, 32-33, 95 n. 1, 103,106,139,140

1-6 95 1, 16 a 3-8 92-93 1, 16 a 9-13 95-96 et n. 1 2, 16 a 19 32 2, 16 a 27 et 28 s. 32 et n. 2 4, 16 b 26 112 4, 16 b 33-17 a 2 32 n. 3

— De la sensation et des sensibles (Sens.) 114 1, 437 a 11-17 154 3, 439 b 25-440 a 6 120 et n. 2 3, 440 a 18-21 120 n. 2 4, 442 a 12-29 120 n. 2 7, 447 b 2 120

— Du mouvement des animaux (MA) 119 n. 1

- Éthique à Eudème (EE) 49 - Éthique à Nicomaque (EN) 29 n. 1, 53,56 n. 1,

73, 88, 119 n. 2 I, 1, 1094 a 1 s. 85 I, 1, 1094 a 22 48, 75 n. 1 I, 1, 1094 a 26 s. 48 I, 1, 1094 b 2 s. 48 n. 2 I, 1, 1094 b 7 et 10 48 I, 1, 1094 b 27 48 n. 2 I, 4, 1096 a 21 43 n. 1 I,10, 1099 b-1100 a 4 71 n. 1 I, 13, 1102 b 13 s. 36, 68 n. 1 I, 13, 1102 6 31 36 I, 13, 1102 b 33-35 36 n. 1 I, 13, 1103 a 2 s. 36

II 48 II 2, 1104 b 34 s. 31 n. 1 II, 2, 1104 b 30-1105 a 1 31 II, 3, 1105 a 28-33 74 II, 3, 1105 b 7-9 74 II, 7, 1108 a 19-23 49 II, 8, 1108 b 11-26 118 n. 3 III, 3, 1111 a 25 s. 71 n. 1 III, 4, 1111 b 8-17 71 n. 1 III, 4, 1112 a 15 73 III, 7, 1114 b 16-21 75 IV, 13, 1127 b 11-22 49 n. 1 VI, 2, 1139 a 22 s. 73 VI, 9, 1142 a 25 26 VI, 13 48 VI, 13, 1144 a 13-20 74 VI, 13, 1144 a 33 75 n. 1 VI, 13, 1144 b 8-17 71 n. 1 VIII, 6, 1157 b 6 s. 31 n. 1 VIII, 11, 1160 a 13 s. 32 n. 1 VIII 69-70 VIII, 12,1161 b 5-8 70 X, 7, 1178 a 6 26 X, 10, 1179 b 20-1180 a 14 34 X, 10, 1180 b 31-1181 a 3 55-56 X, 10, 1180 a 5 s. 69 n. 1 X, 10, 1181 a 12-17 56

- Grande Morale (MM) 48 - Histoire des animaux (HA) 106

I,1, 488 a 7-10 30 n. 1 V, 9, 535 a 28-30 112 V, 9, 536 b 1 112

- Métaphysique (Metaph.) 28, 29 n. 1, 44, 116,161

α 105 r 1, 11, 16-19, 99

1 105 2 49 2,1004 b 17-26 50-51 2, 1004 b 18 41 2, 1004 b 25 45 n. 3 3, 1005 b 3 49 4 164 n. 3 4, 1006 a 6 49 4, 1006 a 26 18 4, 1008 b 15-17 21 5, 1009 a 21 s. 19 5, 1009 b 12-15 99 5, 10:10 a 7-15 21 n. 1 5, 1010 a 10-15 100 5, 1010 b 9-11 21 5, 1010 b 15-26 134 n. 1 5, 1010 b 20 s. 160-161 et n. 1 5, 1011 a 15.s. 19 6, 1011 a 10-11 21 6, 1011 a 17-24 100 6, 1011 a 22 13,18 7, 1011 b 25 s. 98. 7, 1011 b 25-27 16

∆ 9 3, 1005 & 13-14 12 4.1005 b 35-1006 a 1 12 4, 1006 a 11-26 12

Z 1, 108 n. 1, 110 n.2

H 2,1043 a 10 1120


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