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Professeur Jean Hytier
Autour d'une analogie valryenneIn: Cahiers de l'Association internationale des tudes francaises, 1965, N17. pp. 171-189.
Citer ce document / Cite this document :
Hytier Jean. Autour d'une analogie valryenne. In: Cahiers de l'Association internationale des tudes francaises, 1965, N17.
pp. 171-189.
doi : 10.3406/caief.1965.2286
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1965_num_17_1_2286
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_caief_236http://dx.doi.org/10.3406/caief.1965.2286http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1965_num_17_1_2286http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/caief_0571-5865_1965_num_17_1_2286http://dx.doi.org/10.3406/caief.1965.2286http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/author/auteur_caief_236 -
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AUTOUR D UNE
ANALOGIE
VALRYENNE
Communication de M.
Jean HYTIER
{Columbia University)
au XVIe Congrs
de
VAssociation, le
29
juillet 1964.
Je dois prvenir
que
cette analogie, au sens le plus prcis,
car c est
une
proportion
quatre
termes
exprimant
l identit
de deux
rapports, ne
se
prsente
pas sous une forme
aussi
nette chez
Valry
et chez
les
crivains
qui l ont
utilise avant
lui. Mais sa prsence
en esprit y
est incontestable. On
disput
ait,l y
a
trois sicles,
pour
savoir si les cinq
propositions
de
Jansnius se trouvaient
bien dans
VAugustinus, et
Bossuet
affirmait
qu elles
taient l me
du
livre.
La
formule dont il s agit
serait
: La
posie est
la
prose
ce
que
la
danse est
la
marche.
J ai pens qu il serait bon d amorcer une
enqute sur
le
sort de cette formule
et
de la
comparaison
complexe
qu elle
rsume, sur
les
analogies
apparentes qui ont servi
illustrer
l opposition de la
prose et
de la
posie,
sur la
chane
des
mta
phores suscites par ce thme central, et, dans une autre
direction, non
moins
instructive,
sur
la polyvalence
des
images,
c est--dire sur
l exploitation
d un mme terme de compar
aison
des
fins htrognes. Des
exemples
suffiront
mont
rer
attrait
de
cette perspective.
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JEAN HYTIER
Quand
Valry a-t-il
eu
l ide d assimiler
le rapport
de la
marche et de la danse celui de la prose et de la posie
?
Le rapprochement se dessine
dans
ses Cahiers. En octobre
1918 :
Marche-Danse et
entre
les deux, pas
rythm, marche
proces
sionnelle.
Qu est-ce
qui
distingue
ces
divers
modes
?
par
dplacement
du
but.
Quand
je
marche
[...]
la
manire dont
je
franchis la
distance
pour
l atteindre importe
peu
est nulle. C est bien l
la
prose ordinaire...
En
1922
:
Dans la marche, les actes dpendent des lieux c est--dire des
corps voisins.
Dans la
danse, les actes dpendent des temps
c est--dire
de
la
loi.
Ce sont peu
prs
les mmes machines
mais
autrement ordonnes.
Dans
le
Calepin un
pote,
antrieur
sa
publication
en
1928, la
proportion
apparat. Elle est mme double :
Le passage de
la
prose au vers ; de
la
parole au
chant,
de
la
mar
che la
danse.
Ce moment
la
fois actes
et
rve.
La danse
a
pour
objet de me transporter
d ici l ; ni
le
vers,
ni
le chant purs.
Mais ils
sont pour
me rendre plus prsent moi-mme...
Dans
une
confrence en 1927,
publie
en 1928,
Propos
sur
la
posie,
Valry
s appuie
sur
une
citation
communique
par
un auditeur
lors
d un
sjour
l tranger.
C est
un
extrait
d une lettre de
Racan
Chapelain
dans
laquelle Racan
nous
apprend que Malherbe assimilait
la prose
la
marche,
la posie
la danse.
Le
dveloppement donn
par
Valry
cette
comparaison
porte sur deux points. i La
danse
-
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autour
d une analogie valryenne
173
use
des
mmes
membres, des mmes organes...
que la
marche
mme,
comme la posie
use
des
mmes
mots, des
mmes formes,
des
mmes
timbres
que
la prose.
2
Quand l homme
qui marche
a accompli
son
mouvement,
... atteint le lieu
o
il
voulait
aller, il ne demeure
de son
acte
que le
rsultat
.
De
mme, le langage ordinaire,
quand
il
a
rempli
son office,
s vanouit
peine arriv [...], il est remplac
[...]
par
son sens
[...]
;
dans
les emplois
pratiques
ou
abstraits
du
langage, la forme ne
se
conserve pas.
Au contraire, le pome
est
fait
expressment pour renatre
de
ses cendres [...] la
forme
potique
se rcupre automatiquement.
A Oxford,
en
1939
(voir
Posie et Pense abstraite), Valry
reprend
le
parallle
et en montre
la gense naturelle
:
Pensez
un
petit enfant :
[...]
il appris
parler et
marcher.
Il
a
acquis
deux
types
d action
[...]
il
dcouvrira
qu il
peut
non
seu
lement
marcher,
mais
courir, [...] mais
danser
[...] Il a
invent
et
dcouvert
du
mme
coup une sorte d utilit du
second ordre
pour
ses membres, une gnralisation de sa
formule
du mouvement.
Mais, du ct
de
la parole, ne trouvera-t-il pas
un
dveloppement
analogue
? [...]
Ainsi, paralllement la Marche et la Danse, se
placeront
et se
distingueront
en lui les types
divergents de
la Prose et
de
la Posie.
Dans
sa
confrence
sur
la
libert de V esprit (1939),
Valry
rappelle,
en passant,
la fonction double,
et de
la locomotion
et
du langage.
II
La
citation de
Racan, nous confie Valry,
me
fit voir
que l ide n tait pas
nouvelle.
Elle
ne
l'tait
du
moins
que pour moi
[...]
-
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174
JEAN HYTIER
La
comparaison que
Racan donne
Malherbe et que j avais,
de
mon
ct, facilement
aperue, est
immdiate.
Quelqu un s en
est-il
avis avant Malherbe
? En
tout cas,
entre Racan et
Valry on la
retrouve, et le hasard
des
lec
tures me
fait
rencontrer
plusieurs
reprises.
Voici d abord le texte exact
de
Racan,
qui
date probable
ment
e 1656 mais ne
fut imprim
qu en 1857, dans l dition
procure par Tenant de Latour
:
... je suis rsolu de me tenir dans les prceptes de mon premier
matre et
de
ne chercher jamais ni nombre ni cadence mes p
riodes
[...].
Ce
bonhomme comparoit
la
prose
au
marcher ordinaire,
et la
posie
la danse et
disoit qu aux choses que nous sommes obli
gs
de
faire on y doit tolrer
mme
ngligence, mais que ce que nous
faisons par vanit,
c est tre
ridicule que de n y
tre
que mdiocre.
Les boiteux et les
goutteux
ne se peuvent
pas
empcher
de
marcher,
mais
il
n y a rien qui les oblige denser la valse ou les
cinq
pas.
Le
Pre
Bouhours,
dans une phrase
cite par
l abb Bre-
mond (Les
deux
musiques
de
la
prose),
dclare
:
...
la prose a
un
autre
nombre
que la posie et il y a pour
le moins
autant de
diffrence
entre
elles
qu il
y
en
a
entre
deux personnes
dont l une marche
et
l autre
danse
parfaitement
bien.
Voltaire,
l article
Molire
de
son catalogue d crivains
en
tte
du
Sicle de
Louis
XIV, tablit
une
proportion
triple
:
La bonne
posie
est la bonne prose ce que
la danse
est une
simple dmarche noble, ce que la musique est
au
rcit ordinaire,
ce que les couleurs d un
tableau
sont des dessins au crayon.
V
Encyclopdie,
l article Pome,
tire
de la
Thorie
gn
raledes Beaux-Arts
de
Sulzer les remarques suivantes :
... le pote feint des
mouvements et
des
sentiments qui
n existent
point au-dedans de lui, ou
du
moins qui y sont beaucoup plus
fai
bles. [...] Il en est comme
de
la
danse qui, dans
son origine,
tait
une
marche
imptueuse dont
les
passions
rglaient les
pas. [...] Les
sauvages [...] ne dansent que
dans
le transport de quelque
passion.
Mais dans
les
lieux o la danse est
cultive,
on danse
de
sang-froid,
-
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autour d une analogie valeryenne
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en feignant cependant
de suivre
les impulsions
de
quelques mou
vements plus forts que ceux de
la
simple nature.
Que
la posie
et la
danse
aient
cette
affinit,
c est
ce
qui
rsulte
encore
du
besoin
qu elles ont l une et
l autre d tre secondes par
la
musique.
Alfred de Musset,
dans
un
roman
commenc en 1839,
Le
pote dchu, prend
l gard
de
la prose rythme la mme
attitude que Racan, semble retrouver d instinct l analogie
malherbienne et
deviner
l un des
points
de comparaison de
Valry
:
...
la
prose
n a
pas
de
rythme
dtermin, et,
sans
le
rythme,
la
mlo
die existe pas. Or,
du
moment qu un moyen
qu on emploie
n est
pas une condition
ncessaire
pour arriver au
but
qu on veut
attein
dre, quoi bon ?
Que
dirait-on
d un
homme qui, ayant une affaire
presse, s imposerait l obligation de ne marcher
dans
les rues
qu en
faisant des pas
de
bourre comme
un
danseur
?
C est
peu
prs
l ce
que
fait
le prosateur qui cadence ses mots ; car lui
aussi a
une
affaire
presse,
c est
de
dire ce qu il pense et
non
pas autre chose.
Enfin,
Ernest Legouv,
l auteur
dramatique
ami
et colla
borateur
de Scribe, qui, dans sa verte
vieillesse, s tait
refait
une
popularit
comme
confrencier,
a
crit,
dans
Y
Art de
la
lecture
(1873), nvre plusieurs fois
rdit,
remani et adapt
pour les diffrents ordres
d enseignement, une
page
curieuse.
C est
dans la 3e partie : La prose. Second entretien.
...
Je dirais donc
volontiers que
la
lecture de
la prose est
la
lecture des vers
ce que la
marche est
la
danse.
Les
anciens disaient
sermo
pedestris,
sermo
solutus : traduisez
sermo
par allure, dites
allure
pdestre,
allure
libre, et vous
aurez
l image
de
la lecture
de
la
prose. Quel
est,
en effet, le
trait
caractristique de
la danse
? D ad
mettre
des poses, des pas, des virtuosits de jambes et de bras, o
le danseur
doit
s'arrter
pour
marquer
les
points
saillants
du pas
de
ballet. Rien de pareil dans
la
marche. Le
mouvement est
un
mouve
ment
d ensemble,
un mouvement continu ; son but est
d aller,
l allure est
le mot
qui l exprime : la
marche
peut tre
lgante, imp
tueuse languissante, rapide, brusque mme, mais
sans
s interrom
pr
our
excuter des
exercices chorgraphiques. Le
corps
qui
marche, peut exprimer tous les
sentiments
intrieurs qui
se
tra
duisent
en attitudes,
il
peut raliser toutes les
lgances,
toutes les
grces,
toutes
les formes du mouvement,
mais
la
faon
du rcitatif
-
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JEAN HYTIER
dans la
musique ;
c est
une parole mesure,
ce
n est pas
du
chant.
Votre
double comparaison me
frappe
et
me plat
;
mais
ne
pourrez-vous pas la
prciser par
quelque
exemple
?...
Et
Legouv
rpond par le rapprochement classique entre la
scne
du Menteur et
la
scne du
Dom
Juan o le pre
noble
fait
au
jeune
premier
des reproches svres. Il
n est pas bien
sr que les
vers de
Corneille
et
la
prose
de
Molire se prtent
la dmonstration
de Legouv, mais il
n importe.
Il
est
plus
fructueux
de
remarquer que
les
utilisateurs
de
l analogie rvlent
des intentions, en
gnral, bien
diffrentes.
Seuls
Racan
et
Musset
s en
servent
pour repousser
la
prose
cadence.
Le
Pre Bouhours,
au contraire,
est
prt recon
natre un nombre
la prose,
quoique diffrent.
Voltaire n
tend
marquer la
supriorit
d un mode d expression
arti
stique sur
l autre, et il
en
donne quatre exemples. Sulzer est
intress par la simulation du civilis, pote ou danseur,
dont
il oppose le
sang-froid
l imptuosit du
sauvage.
Quant Legouv, c est moins la prose et
la
posie
qu il
compare que
deux
manires
de
lire ; il
met
en relief l allure
gnrale,
libre
dans
la prose,
la
rigueur
mesure, jamais
chantante
comme
dans
les
vers.
L opposition
du
chant
au
rcitatif qu il introduit la fin
fait
penser
Diderot.
Valry,
enfin, est
beaucoup plus systmatique
que ses devanciers.
Il
veut
surtout
piouver,
comme il dit
dans
La libert
de
V
esprit,
qu un mme
mcanisme
est dans
les
deux
cas utilis
deux
fins
entirement
diffrentes.
Ces divergences
dans
l emploi
d une
mme
formule
sont
retenir pour apprcier la valeur fonctionnelle de
celle-ci.
III
La
comparaison de
la posie
avec
la
prose a suscit tout
un jeu
d images
qui
complique, et
parfois
dborde, le parallle
entre
la danse
et
la
marche. La difficult
de la
danse a t
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autour d une analogie valryenne
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souvent
souligne. Dans
la
danse, comme dit gravement
Pascal,
il
faut
bien penser o
l on
mettra ses
pieds.
Dans la posie,
que
de risques Le pote
Jean
de Schelandre
le constate
dans
un
sonnet
qu il
adresse
aux
potes
de
ce
temps :
Je
vois clocher Virgile, Homre
sommeiller.
Chacun
fait
ce qu il peut, en vers comme
la danse
;
Mais le bal
tant long,
il
faut tant
travailler
Que
les meilleurs
danseurs
y sortent
de
cadence.
Un
sicle plus tard, l abb de Pons, dans une Dissertation
sur
le
pome pique... observe qu
un
danseur
de
corde ne danse pas,
beaucoup
prs,
sur
la corde,
avec des
mouvements aussi varis
qu il
pourrait le
faire
sur un
vaste thtre...
et il
applique expressment sa
remarque au pote.
Voltaire
renchrit :
L art
du
versificateur
est,
la
vrit,
d une
difficult
prodigieuse,
surtout
en notre langue [...] C est danser sur la corde avec des
entraves.
(Dictionnaire philosophique.)
Pour d Alembert,
un pote est un homme
qu on
oblige de marcher avec grce lesers aux
pieds
; il faut bien lui permettre de chanceler quelquefois
lgrement. (Suite des rflexions sur
la
posie.)
Avec Valry, le pote tourne
l acrobate
:
le pote est le personnage le plus
vulnrable de
la
cration.
En effet,l marche
sur
les mains. (Mauvaises penses et
autres.)
Dans
les
deux derniers exemples, la
marche
est
substitue
la danse, alors
que le terme
de comparaison reste la
posie.
C est qu il
y a une dialectique possible o marche et
danse
prvalent
chacune leur tour.
Mallarm, dans
son
12
-
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178
JEAN HYTIER
magazine
mondain,
La
dernire mode,
le 15
novembre
1874,
parlera
de
cette faon suprieure de marcher
qui
s appelle danser.
On
peut
d ailleurs
bien
danser
et mal marcher, Diderot
le dit :
II y a la
grce de
la
personne,
et la
grce de
l action.
Ce Dupr,
qui
dansait avec tant
de grce, n en avait plus
en
marchant.
(Penses
dtaches
sur la
peinture...)
Mais la marche, condition
d tre
parfaitement
excute,
pourra
passer
pour
le
degr
suprieur de la danse.
L loge,
pour le danseur, ce
sera
de savoir marcher. Ainsi
donne-t-on
au gnral couvert de dcorations
la mdaille
militaire, rcom
pense
des
sous-officiers. Dans L me et la danse,
Valry
nous prsente
la
grande
danseuse Atikht
:
Elle commence par le
suprme
de
son art
; elle marche
avec
naturel sur le sommet
qu elle a
atteint.
Le domaine de l quitation, riche en comparaisons ... comp
arables
offre
aussi
ce
modle
de simplicit dans l allure.
Valry conte une
anecdote admirable,
dont
les
applications
seraient faciles
en
littrature :
Un des
premiers
hommes
de
cheval qui fut jamais tant devenu
vieux et pauvre reut du Second Empire une place d cuyer Sau-
mur.
L,
vint le visiter un jour son
lve
favori, jeune chef d esca
dron t
brillant cavalier.
Baucher lui
dit
: Je
vais monter un
peu
pour vous.
On
le
met cheval
; il traverse au
pas
le
mange
\
revient... L autre, bloui, regarde s avancer
un
Centaure
parfait.
Voil, lui
dit
le matre. Je ne fais pas
d esbroufe.
Je suis au sommet
de mon
art.
Marcher
sans
unefaute. (Autour
de
Corot).
A
propos
d Atikht,
Valry
nous dit :
Cette
seconde nature est
ce qu il
y
a
de plus loign de
la
premire,,
mais il faut qu elle lui ressemble
s y
mprendre...
et, propos de Baucher
:
Je prtends que l'artiste finisse par le naturel ; mais le naturel
d un nouvel homme. Le spontan est
le fruit
d une conqute.
-
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autour d une analogie valeryenne
179
Combien vrai
mais n est-il pas mouvant d entendre
frapper
la mme
note
par
un
vieux
moraliste
galement
tou
ch par les
deux extrmes, La
Bruyre
:
Combien d art pour rentrer dans la nature combien
de
temps,
e
rgles, d attention et
de
travail pour danser avec la mme libert
et la
mme grce
que l on
sait
marcher ; pour chanter comme on
parle
; parler
et
s exprimer comme l on pense;
jeter
autant de
force,
de
vivacit,
de
passion et
de
persuasion dans un discours
tudi et que l on prononce dans
le
public, qu on en a
quelquefois
naturellement
et sans
prparation dans les entretiens les
plus
famil
iers.
Cette
enumeration
contient
les couples
valryens
danse-
marche et chant-parole
;
il
y manque
la dualit posie-
prose,
mais
en
revanche on
a
les associations
langage-pense
et discours-conversation. Le ton de
La
Bruyre,
mdiocre
danseur
et
joueur de luth,
n est pas loin
du
soupir, sur quoi
toute
pense
s achve,
selon Valry. Comme il
est
difficile,
en
s levant d un
degr,
de
conserver
l aisance
qu on avait,
ou croyait avoir, l chelon infrieur
Si la marche
n est
qu exceptionnellement considre comme
le
summum
de la
danse,
elle
est souvent
juge
cratrice.
Dj
Montaigne
disait :
Mes penses
dorment si je les assis.
Mon esprit ne va
si
les jambes ne
l agitent.
Valry va plus loin
:
La
marche libre et vive chante de
soi-mme. Il
est
impossible
de
ne pas crer en
marchant. {Autres
rhumbs).
Et
voil la
marche
en tat
de posie.
J imagine
l-dessus,
la
manire de
Thibaudet,
grand
dcouvreur de
dialogues,
deux familles de
potes
: les
danseurs
et les marcheuis.
Parmi ces derniers,
la palme revient
Pguy
:
Vous
nous voyez
marcher
sur
cette
route
droite,
Tout
poudreux, tout
crotts, la
pluie
entre
les dents.
Sur ce large
ventail
ouvert tous les
vents
La route nationale
est notre
porte
troite.
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l8o
JEAN
HYTIER
Vous
nous
voyez marcher,
nous
sommes
la pitaille.
Nous
n avanons
jamais
que
d un
pas
la
fois.
Et comme on peut marcher, les
pieds dans
ses souliers,
Vers un dernier carr le soir
d une
bataille.
Mais les
purs
prosateurs sont
parfois
des potes, et c est
l un d eux,
Louis
Veuillot,
qui
a fait, en vers, l loge de la
prose
:
prose,
mle outil
et
bon aux
fortes mains,
Quand l esprit
veut marcher
tu lui fais
des chemins.
Selon Quintilien, les Grecs
appelaient
la prose
langage qui
marche
terre
,
et c est peut-tre bien
de
l que s est dgage
l analogie
que nous
tudions.
La prose marchante,
la prose
bien allante, c est
autre
chose que la prose pdestre.
La mar
che
lgante peut
tre prfre
la
danse comme
repre
esthtique
; Jean Cocteau, dans
ses Secrets
de beaut, affirme :
Le style n est pas une danse, c est une dmarche.
Et
Alain,
qui
trouve
que
dans le vrai pome, la nature parle
;
on la laisse
aller ;
on la laisse
danser
et chanter...
pense, en revanche,
que
la
belle
prose ne
se met pas en vers. Elle refuse le vers.
La
belle
prose
est un autre
art.
{Propos de littrature,
XIV).
Tous les prosateurs
n ont pas
refus le vers :
Marmontel,
Paul-Louis
Courier,
Renan mme... Et la
prose
peut
avoir
d autres rythmes,
sa
danse, assurment.
Dans
ces
oppositions pittoresques ou subtiles, les images
empruntes
l quitation produisent un nouveau clivage.
L Encyclopdie,
l article
Prose,
rappelait
que
Saint-Evremond compare les crivains
en prose
aux gens de pi
qui
marchent plus
tranquillement et avec
moins de
bruit,
-
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12/20
autour d une analogie valryenne
181
ce
qui
introduit
les
cavaliers bruyants,
les
potes. Musset,
dans
le
fragment
du
Pote
dchu,
se
dfendait
de
vouloir
prouver que le prosateur
est
un piton et le pote un cavalier,
mais on
devinait o
allait sa
prfrence,
puisque, disait-il,
on nat
pote,
on devient
prosateur.
Les espces
de
chevaux
ont permis
des distinctions semblables.
Ronsard, dans sa prface posthume
la Franciade,
reprenant
la position prise
dans
son
lgie mise en tte
du Thtre
de
Grvin,
crit
:
Tous ceux
qui
crivent
en carmes,
tant
doctes puissent-ils tre,
ne sont pas
potes.
Il
y a
autant
de
diffrence
entre un pote
et
un
versificateur,
qu entre
un bidet
et
un
gnreux coursier
de
Naples.
Il
ne
pouvait
prvoir qu on
l attaquerait
un
jour
au
moyen
de la mme image.
Pierre
de Deimier dira :
Ronsard a fait des vers
de neuf
et dix syllabes [...]
mais
ses vers
ont
si
peu
de grce
en comparaison de ceux
que
nous
voyons
ordi
n irement
qu ils
semblent
la
dmarche
d un
maigre
roussin
entrav,
la
comparoir
au
libre
et
gaillard
trot d un gent d Espagne.
Legouv qui, comme Valry, s intressait aux cuyers,
nous parle
non seulement de
Baucher, mais aussi du vicomte
d Aure :
le cheval de M. Baucher, c est l alexandrin,
ou
le
vers
de strophes
[...]
Et le cheval de M. d Aure est le vers libre.
Il faut
savoir
que Baucher
tait par excellence
l cuyer
de
mange
,
d Aure
le
cavalier
du
cheval
mont
en
plein
air
,
et tandis
que
le
cheval
de
M. Baucher est toujours puissant, quoique
captif,
celui de
M.
d Aure
est
toujours docile,
quoique indpendant.
Valry, en fait
d crivains,
n aime
que
les pur-sang
{Propos
me
concernant), et il compare
la
premire danseuse, l toile
de
ballet,
-
7/24/2019 article_caief_0571-5865_1965_num_17_1_2286
13/20
1 82
JEAN
HYTIER
le pur
sang en
parfait
quilibre,
que
la
main de
celui qui
le monte
semble
tenir
suspendu et qui
s avance au
petit pas en
plein
soleil.
(Degas, Danse, Dessin.)
Entre
les vers
rguliers et
les
vers
mls,
ou libres, dont
parle
Legouv
et la prose ordinaire, se situe la prose potique,
qui
peut
prendre des
aspects
bien divers, selon qu elle
cher
cheun rythme, une musique verbale, ou
joue
seulement
sur
l vocation
des
images et
la suggestion des
sentiments. Les
analogies ne
manqueront
pas.
Dmarche
noble
disait dj
Voltaire de la
bonne
prose.
Pas rythm, marche proces
sionnelle
,
disait
Valry
en
191 8,
et,
en
1922,
il
ajoute
:
Marche
solennelle
prose
Bossuet. Dans
ses
derniers
cahiers, il
voit entre
vers et prose rythme une diffrence de
degr de
prcision
(XXVIII, 656), le vers a plus de
varit
(XXVIII,
424) et possde
une
sorte
de causalit propre
(XXVI, 404). Hugo rejoint Musset et Racan et Malherbe
dans
leur
rejet de la prose lyiique, et
son
jeu
d images fait
appel la marche, la danse, au vol,
des
tres rels et
des
tres
de
fiction :
Prends
garde
Marchangy,
la
prose potique
Est
une ornire o geint le vieux Pgase tique
La prose en vain essaie
un
essor
assommant.
Le vers s envole au ciel tout naturellement.
La prose, c est toujours
le
sermo pedestris.
Tu
crois
tre Ariel et tu n es
que Vestris.
(Les quatre
vents
de
V
esprit).
Avant
de songer
au
vol,
on
peut
envisager
une
forme
moins
ambitieuse de mouvement
: le
bond. Il
est vrai
que
celui-ci peut tre
exagr
volont, comme le
saut
du clown
de Banville, qui l envoie
rouler
dans les
toiles. Pour
les
acro
bates
chers
Cocteau,
ils volent par mtaphore, et mme
par
calembour :
Volent
les voleurs d enfants.
-
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14/20
autour d une analogie valryenne
183
Chez
Boileau,
sauter n est
pas
un bon
signe
pour un pote :
Sa Muse
drgle,
en
ses
vers vagabonds,
Ne s lve jamais que par sauts et par
bonds.
Malherbe, au contraire, valorise
le
saut, par rapport
la
marche,
dans
cette
rplique transmise par
Tallemant
des
Raux :
On lui demanda une
fois
pourquoi il ne
faisait point
d lgies.
Parce que je fais des Odes, dit-il, et que l on doit croire que
qui
saute bien pourra bien marcher.
Joubert recommande le bondissement :
Le pote
ne
doit point traverser au pas un intervalle
qu il
peut
franchir
d un
saut.
Au
lieu de sauter, le
pote
souvent survole.
C est
cette
capacit qui
le
met
hors de
pair. Aussi, afin de dcourager
les
plats
versificateurs, Rivarol
dclare-t-il qu
on
ne
saurait
entourer
l'art
des
vers
de trop
de remparts
et
d obst
acles, afin qu il n'y ait que ceux qui
ont
des
ailes
qui
puissent
les
franchir.
Quant
au pauvre
diable
sans
talent,
on
peut lui dire, avec
Voltaire :
Tu n as point d ailes, et tu veux
voler rampe.
Comme
ramper
est oppos
marcher, et
marcher danser,
marcher est
galement oppos
voler. Boileau trouve que
tandis
que,
Malherbe, dans ses furies,
Marche
pas trop
concerts.
Comme un
aigle
audacieux,
Pindare tendant ses ailes
Fuit
loin
des vulgaires yeux.
-
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15/20
184
JEAN HYTIER
L autre Pindare, ou prtendu
tel, pour
peu
de temps, cou-
chard
Lebrun,
se
rit
de
voir La Motte [...] venir [...]
toiser
la marche audacieuse
de
nos
gants lyriques, qui
tout
coup
prenant des ailes, dconcertent le
bel esprit qui s imaginait les suivre.
{Rflexions
sur
le
gnie de l Ode, 1736.)
Ses pigrammes opposent la
tortue l aigle ;
La Harpe
Rampe avec
art
dans ses
timides vers...
mais
le
pas de Pgase
est
le
galop
,
et
C est pour voler
que
Pgase a des ailes.
Ce pauvre Pgase, que Boileau nous montrait rtif, et Hugo
tique, perd ses
ailes
pour
se
mtamorphoser
en
Gnie, ardent coursier,
chez l auteur des
Orientales,
dans l allgorie
de Mazeppa.
Lamartine,
dans
L enthousiasme,
s en
tenait
l aigle,
vain
queur. A ct du bestiaire de
la
potique, il y a place pour
une volire. Paul Stapfer, dans Les rputations littraires, di
t
drlement
:
Loyson,
Chnedoll,
d autres potes lyriques de
la
Restauration
et
de
l Empire, sont
d intressants volatiles
agitant une aile timide
et
tremblante
au-dessus du chaos fcond d o
Lamartine,
en
1820,
s lvera comme un aigle.
Comment
ne
pas
faire
une place
Albatros de
Baudelaire,
avec ses
ailes
qui
l empchent
de
marcher
?
Ce
n est
pas
seulement
le
pote, c est la
posie, le
pome,
le
vers qui
devient
oiseau :
Que ton vers soit la chose
envole...
dit Verlaine, et Jules
Renard
dfinit le beau
vers
:
douze
pieds
et deux ailes.
Cette
qualit
aile doit se retrouver dans
-
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16/20
autour d une analogie valryenne
185
la marche mme de
l oiseau. Delille,
recevant Lemierre
l Acadmie
franaise,
lui reconnaissait le don
d une
heureuse
rapidit,
qualit si rare et si essentielle la posie, qui doit
toujours
s lancer et
jamais
s appesantir.
Telle
qu elle nous repr
sente
ces divinits
fabuleuses, qui, dans leur marche arienne et
lgre, semblaient ne point toucher la terre ; telle elle doit tre
elle-mme ou si vous
me
permettez une comparaison qui vous
soit
moins trangre, j appliquerai
la
posie
en
gnral
et
la vtre en
particulier,
ce vers charmant
de
votre pome des Fastes :
Mme
quand l oiseau marche on
sent
qu il
a
des ailes.
Ce
vers
clbre
a
suscit
des
parodies
:
Mme
quand Loyson vole on sent qu il a des pattes
mais il
tait
rest dans l oreille
de
Vigny, comme le prouve,
dans
sa
Lettre en
tte de
sa traduction
Othello
(1829),
son
explication de la
supriorit
du vers au thtre :
le
vers, plus lastique,
se plie
toutes les
formes : lorsqu il
vole,
on
ne
s en tonne pas
car,
lorsqu il marche, on sent qu il a des ailes.
Claudel,
avec
une
autre
image, a
bien
rendu
ce
sentiment
d une
puissance
latente
;
il
dit de
Nijinsky
Mme
au repos il avait
l air
de danser imperceptiblement
comme
ces
voitures
sensibles qu on appelait autrefois des
huit-ressorts.
{Positions
et
Propositions).
C est l exigence
de cette
force
cache et autonome
qui
a
dict
Valry
ce conseil
:
II
faut
tre lger
comme
l oiseau
et
non
comme
la plume.
(Choses tues.)
Valry a envi
la
mobilit de
l oiseau
(Cahiers, V, 631),
des hirondelles en particulier, dont les sensations, selon lui,
doivent donner les images les plus approches des proprits
fabu
leuses de l esprit
quelles
intuitions
de dynamique
-
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17/20
1
86
JEAN HYTIER
C est cette dynamique qu il faudrait
examiner
dans d autres
formes
du
mouvement,
la
course,
l ascension,
la nage...
Valry s est intress
la
nage,
que Baudelaire
a
parfois
assimile
au
vol,
notamment
dans lvation. Ionesco, dans
le
Piton
de
l air,
titre
analogique s il
en est,
dclare
:
Voler
est
un besoin indispensable
l homme [...]. Que
dirait-on
si l on oubliait
de
marcher ?[...] Je veux
marcher
dans
les airs...
et il ajoute
sans
recourir
la mcanique
artificielle. Que
de
possibilits
d images
n offre
pas cette dernire ?
Tous les
modes de
locomotion
invents
par
l homme
ouvrent
des
cha
pitres
d un
inventaire potique.
Prenons comme
dernier
exemple cette page
de
Claudel
sur
ndiffrent de
Watteau,
o
ne
sont
utilises
que des
analogies naturelles,
mais
nomb
reuses
et
disperses sur
un
ventail
blouissant, et
qui
se
termine par l loge
significatif du
pote capable
de
se crer
un
instrument
personnel
:
Non, non, ce n est
pas
qu il soit indiffrent, ce messager
de nacre,
cet avant-courrier de
l Aurore,
disons plutt
qu il balance entre
l essor
et la
marche,
et ce
n est
pas
que dj
il
danse,
mais
l un
de ses
bras tendus et l autre avec ampleur
dployant
l aile
lyrique,
il
suspend
up
quilibre
dont
le poids,
plus qu
demi conjur,
ne
forme
que le
moindre lment. Il
est
en
position de dpart
et d en
tre,
il
coute,
il
attend le moment juste,
il
le cherche
dans
nos
yeux,
de
la
pointe
frmissante
de
ses
doigts
l extrmit de
ce
bras
tendu
il
compte,
et
l'autre bras volatil
avec
l ample
cape
se prpare
seconder le jarret.
Moiti
faon et
moiti oiseau, moiti
sensibilit
et moiti
discours,
moiti aplomb et moiti dj la dtente Sylphe,
prestige, et
la
plume vertigineuse qui se prpare au paraphe L ar
chet
a
dj commenc
cette
longue tenue
sur
la corde, et
toute
la
raison d tre
du
personnage
est dans
l lan
mesur
qu il
se
prpare
prendre, effac, ananti dans son propre tourbillon. Ainsi le pote
ambigu, inventeur de sa propre prosodie, dont on ne sait
s il
vole
ou s il
marche,
son pied,
ou cette
aile
quand
il
le veut
dploye,
aucun
lment
tranger, que
ce soit
la
terre, ou l air, ou le feu,
ou
cette
eau pour y
nager
que
l on appelle
ther.
(L il
coute.)
-
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18/20
autour d une analogie valryenne
187
IV
II me reste
indiquer
brivement que le rapport
de
la
danse
la
marche, et
les rapports qui
en
drivent, ont t
identifis d autres rapports
que
celui qui unit la posie la
prose.
Nous
avons
dj vu
que
Voltaire songeait aussi
bien
au couple musique-rcit, ou peinture-dessin. Diderot
ren
contre le rapport posie-prose
dans
la srie suivante
:
La danse est
la
pantomime comme
la posie est
la
prose, ou
plutt
comme
la
dclamation est
au
chant.
C est
une
pantomime
mesure.
(Entretiens
sur le Fils naturel.
Troisime
entretien.)
Voltaire aboutit
la danse en
partant
des humanits
:
... le
grec et
le
latin sont
toutes les
autres
langues du monde ce
que le jeu d checs
est
au jeu de dames, et
ce
qu une belle danse
est
une dmarche ordinaire.
(Lettre
l abb
d Olivet.)
La
danse
a t
assimile
bien
des activits.
Elle
est,
par
exemple,
un langage. Des danseuses
de
son fameux
dialogue,
Valry
dit :
Leurs mains
parlent et
leurs pieds
semblent
crire.
Dj au
xvnie
sicle, le pote
Dort, invoquant
Terpsichore
:
Lger
comme
tes pas, fidle
leur cadence,
Que
mon
fidle vers brille, parte et s lance,
Dort donne aux danseurs des conseils d une grande ambition
intellectuelle
:
Que par l expression vos traits s panouissent :
L me doit
commander,
que
les
pieds
obissent.
Un
mcanisme
vain
suffit
pour
un sauteur ;
Mariez les
talents
du
peintre
et
de
l acteur ;
Et
prenant
votre
essor
loin
des routes
traces,
Dans vos pas, s il
se peut, enchanez des
penses.
(La
Dclamation thtrale,
chant
IV).
-
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19/20
1
88
JEAN HYTIER
Son
contemporain Barthe dit
la
Guimard :
Oui,
tes
bras
ont
une
me
et tes
pieds
un
langage
:
Quel
ton,
quel
sentiment n est par eux
exprim
?
(Fragment d un
Art
aimer.)
On
connat de Mallarm le passage o il prouve que la
dan
seuse
ne danse pas,
suggrant,
par le prodige
de
raccourcis ou d lans,
avec une criture corporelle ce qu il faudrait des paragraphes en
prose dialogue
autant
que
descriptive, pour exprimer
dans la rdac
tion pome dgag
de tout
appareil du
scribe.
{Ballets.)
Comme la danse, la posie a paru ressembler d autres
arts. Passons sur
la comparaison classique avec la
peinture,
souvent appuye sur une expression
d Horace
prise contre
sens, u
avec
la
musique, devenue
banale :
II n est pas moins vrai
de dire
du
peintre
qu il est
un
pote,
que du
pote
qu il est
un peintre.
(D Alembert, Encyclopdie,
Discours prliminaire.)
Les
vers sont
en
effet
la
musique
de
l me.
(Voltaire, Eptre au
Roi de la
Chine.)
Valry enrichit cette tradition d une nouvelle
proportion :
La
musique
est
la
posie
dans
le rapport de
l algbre
l arithm
tiquet
la
thorie des nombres.
{Cahiers,
VII,
69.)
Mais
l opposition
entre prose et posie
est parfois brusque
mentsolue, ou mme nie. Jules Renard prtend que
La prose
doit tre un vers
qui
ne
va
pas
la
ligne.
{Journal, 18-10-1891.)
Mallarm explique,
la
mme
anne,
Jules Huret
:
...
en
vrit
il
n y
a pas
de
prose
:
il
y
a
l alphabet
et puis
des
vers
plus ou moins serrs : plus ou moins diffus. Toutes les fois
qu il
y
a
effort au style,
il
y a versification.
-
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20/20
autour d une analogie valryenne
189
On
se souvient que
l opposition
entre vers et
prose,
notam
ment
hez
Valry, roulait surtout
sur
le
rle donner
r
spectivement au fond et
la forme,
la
signification
et
la
suggestion.
Or
cette
distinction s vanouit
son tour dans
une excellente remarque
de
Chesterton
:
This identity
between
the
matter and
the manner is simply the
definition
of poetry. The aim of
good
prose
words is to mean what
they
say.
The aim of
good
poetical words is to mean what
they do
not say.
*
*
Si
nous avions
le temps,
je
montrerais
que la structure
de
l analogie
de
proportion, en dehors mme
des
contenus
qu elle
a
pu vhiculer,
a
connu en
littrature
une
fortune
surprenante, moins
surpienante
toutefois
que
l oubli o son
tude a t tenue. Bien
connue
des thologiens,
des
philo
sophes et
des
logiciens, cette
formule
d origine
mathmatique
n a
retenu
les linguistes que comme procd assimilateur
dans la
formation
de
certains mots,
mais
n a que
fort
peu
intress
les
grammairiens
et
les
stylisticiens,
en dpit
de
l importance que
lui accordait
Aristote.
Dans tous
les
genres
littraires,
mais
surtout
chez les moralistes et les
essayistes,
l analogie a t un
instrument de
prdilection, pour
des
r
isons
qu il vaudrait la peine de
chercher.
Ce sera pour une
autre fois.
Jean Hytier.