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466 - Novembre 2012 - Aviation et Pilote 53 52 Aviation et Pilote - 467 - Décembre 2012

TRANSPORT

Par Gérard Jusoi PhotoGraPhies de l'auteur et airbus-s. ramadier

Welcome to the land of the Brave ! L’Airbus 320 vient de se garer devant le terminal de l’aéroport de Kaboul,

sous un immense portrait de feu le commandant Massoud. Moteurs cou-pés, cales en place, les passagers peu-vent débarquer sous l’œil des forces de sécurité qui ne tardent pas à entourer l’avion. Des diplomates en costume 3 pièces, des employés d’ONG en jean et keffieh, des militaires en tenues et des « contractors » (nouveau mot inventé par le Pentagone pour éviter de prononcer le mot mercenaire, sor-tes de rambos du XXIe siècle, dopés aux stéroïdes dont on devine le regard patibulaire sous les ray bans envelop-pant les yeux). Les passagers attendent

qu’un VIP gouvernemental débarque. Un cortège de 4x4 s’approche de la passerelle. Le chef des gardes du corps frappe à la porte du cockpit : il demande à récupérer les armes de poing qu’il a confié à l’équipage en montant dans l’avion.

Flash back, 3 heures plus tôt : décol-lage aux aurores de Dubaï, la mégapole régionale des pays du Golfe Persique, qui clame haut et fort son ambition de devenir le nouveau barycentre mon-dial de l’aéronautique. Notre route passe au-dessus du fameux détroit d’Ormuz, enjeu de toutes les atten-tions de la part des chancelleries car une menace de blocus par le pouvoir Iranien, paralyserait tout l’économie mondiale, en créant une interruption des livraisons de pétrole. Puis, sur-vol du sud de l’Iran et de l’ouest du Pakistan (les fameuses zones tribales le long de la ligne Durand, du nom du gouverneur Britannique qui imposât,

au XIXe siècle, une frontière artifi-cielle entre Pakistan et Afghanistan, source des tensions actuelles entre les deux pays), changement de siècle et de planète entre Dubaï, la capitale économique des Emirats Arabes Unis, Kaboul, qui vit depuis 30 ans dans un état de guerre. Parti d’une ville arrogante et sûre d’elle, aux ambitions résolument planétaires, le contraste est frappant pour le voyageur qui foule le sol de la capitale afghane pour la première fois. Ici, la modernité semble s’être figée aux années d’après-guerre en Europe. Du côté du terminal civil, des épaves d’avions russes accidentés achèvent de pourrir sur les parkings. (Un musée à ciel ouvert de ce que fut la puissance du complexe militaro industriel soviétique, du temps de la guerre froide).

Sur le terminal militaire, l’acti-vité est frénétique. Un 747 cargo d’Air France vient d’atterrir et un Falcon 50 aux couleurs de la Répu-blique Française attend que la tur-bulence de sillage du gros porteur se dissipe pour décoller à son tour. Le paradis pour amateur de voilures tournantes : des Mi-8 alignés en rang d’oignons à côté du MI 26, le plus gros hélicoptère jamais construit, recon-naissable à son rotor à 8 pales qui peut emporter plus de 90 passagers. Plus loin, des convertibles V22 Osprey sont garés à côtés des birotors en tandem Chinook et de Black Hawk frappés des armoiries de l’oncle Sam. Sur la fréquence, je reconnais l’accent fran-çais : deux Tigre Eurocopter rentrent de mission et s’annoncent en finale. Ils iront se poser sur le tarmac près des Caracals et des Gazelles des forces françaises qui, membre de la coali-tion de l’ISAF, ont la responsabilité de Kaboul et des proches vallées de la Surobi et de la Kapisa. En finale, je surveille du regard les deux félins tricolores aux voilures tournantes.

Vol au-dessus d'un nidde Talibans

EXPERIENCEConjoncture européenne

oblige, le fait de s'asseoir dans un cockpit se mérite particulièrement

aujourd'hui. Gérard Jusoi nous livre ici un éclairage

particulier sur le métier et fait le point sur l'embauche au

Moyen-Orient.

Le vent de travers de 25 à 30 kt contre lequel je viens de me battre pour poser l’Airbus ne semble poser aucun problèmes aux hélicos fran-çais, habitués aux conditions météos extrêmes de ce pays. En été, la piste de l’aéroport de Kaboul, tracée en fond de vallée, subit des fortes turbulences, qui augmentent en puissance en milieu de journée, descendues des hautes monta-gnes qui enserrent Kaboul. Les alertes au windshear (cisaillement de vent) ne sont pas rares. En revanche, en hiver, l’air est plus calme, voire trop calme pour dissiper les bancs de brumes qui réduisent la visibilité à l’atterrissage, bien en dessous des minimas. L’aéroport de Kaboul peut ainsi rester totalement inaccessible durant plusieurs jours.

Hier, c’est un Hercules C130 qui a raté son atterrissage pour finir sur le bord de la piste, très probablement surpris par une rafale vent de tra-vers, bien au-delà du raisonnable. Proverbe d’un vieux pilote afghan : quand l’avion militaire froisse sa tôle, alors l’avion civil reste sagement au parking. Un atterrissage à Kaboul se mérite même par beau temps. En finale, la vue est barrée par une montagne. La perception visuelle est comparable à la finale de l’altiport de Megève. Mais la comparaison s’arrête là car piste

de Kaboul est situé à 5900 ft contre 4300 pour Megève…Les obstacles naturels (les montagnes) ont façonnés une approche à forte pente (ILS à 3,5 degrés) qui n’autorise aucun écart de trajectoire, aussi bien en finale qu’en remise de gaz (en cas de panne moteur, il faut zigzaguer entre deux montagnes et éviter un ballon captif qui assure la sécurité et les communications de Kaboul). La forte pente exige un flare franc et précis, car les repères visuels habituels du pilote, pendant l’arrondi, sont faussés. Difficultés supplémen-taires : la coexistence avec le trafic militaire très dense (qui évolue en VFR dit « tactique »), les hélicoptères civils et militaires, sans parler des UAV (les drones pilotés depuis Bahrain, à plus de 2000 kilomètres de Kaboul). Un décollage de Kaboul requiert la mobili-sation de toutes les ressources mentales de l’équipage: les alertes TCAS sont monnaie courantes. Par fort vent de travers, le pilote a le choix entre décol-ler face à l’Ouest face à une montagne ou face à l’Est et subir des rabattants qui vont dégrader ses performances en montée. Le système d’alerte de proxi-mité terrain de l’Airbus (GPWS) n’a pas été conçu pour des environnements montagneux aussi confinés et il n’est pas rare qu’il se déclenche lors des fran-chissements de col. L’altitude élevée du

terrain (5900 ft) contribue à dégrader les performances de l’appareil. Tout ce cocktail de contraintes font qu’un vol vers ou au départ de Kaboul n’est jamais une routine. Stimulant pour les neurones du pilote mais parfois stressant car les alternatives disponi-bles sont limitées : un déroutement se fera vers l’aéroport de Kandahar (en plein territoire Talibans) ou vers la base militaire de Bagram, à 40 nautiques au Nord de Kaboul. Enfin, des procédures « particulières » sont autant de piqures

Proverbe d’un vieux pilote afghan : quand l’avion militaire

froisse sa tôle, alors l’avion civil reste sagement au parking !

En finale à Kaboul, face à la montagne.

En vol à vue au milieu

du relief en arrivant sur

Kaboul.

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de rappel pour le pilote qui a tendance a oublié qu’il vole dans un pays en guerre : ce matin, c’est un C130 qui fait un atterrissage à forte pente tout en larguant une nuée de flares. Son système d’auto protection aura, peut-être, identifié une menace au sol. La nuit, au décollage, l’usage veut que toutes les lumières soient éteintes dès la rotation, avec la rentrée du train et, au décollage, que les lumières ne soient allumées qu’aux minimas.

Le deuxième vol de la journée est à destination de la province de Hérat dans l’Est du pays, près de la fron-tière avec l’Iran. Une région beaucoup plus calme que Kaboul ou Kandahar. C’est aussi une région prospère, et pour cause, c’est la principale région productrice d’opium, qui sert à fabri-

quer de l’héroïne base. Pour trouver l’aérodrome, pas besoin de moyens de radionavigation, il suffit de suivre la vallée d’Herat, plantée de « champs » verdoyants, après avoir laissé sur la droite les bouddhas de Bamyan, fameux pour avoir été détruits au canon sous le régime des talibans, malgré leur statut de merveille du monde, décrété par l’UNESCO (Il ne subsiste aujourd’hui que deux immenses trous béants percés dans la montagne, à la place des deux bouddhas de 52 mètres de haut, visibles depuis un avion croisant au FL280). Arrivés au point d’entrée de la TMA, nous sommes autorisés à l’approche à vue depuis le niveau de vol 235 par un contrôleur militaire au fort accent espagnol.

Tout pilote Airbus a en tête ses Golden Rules : l’A320 peut être piloté comme n’importe quel autre appareil conventionnel. Je passe en régime VFR et je coupe tout les auto-matismes de l’avion pour retrouver les sensations et le plaisir du vol à vue, en pilotage manuel, comme à l’aéro-club. Soudain, un point se rapproche sur mon TCAS. Le contrôleur venait d’autoriser au décollage un Harrier (le fameux jet militaire britannique à décollage vertical qui équipe les Navy Seals) et celui-ci est en train de se diri-ger vers moi à vive allure. 2 secondes plus tard, c’est le premier niveau de l’alerte TCAS qui se déclenche « Trafic Trafic ». Puis le deuxième niveau, la

« résolution », « Climb Climb » qui m’ordonne de stopper ma descente en même temps qu’il ordonne à l’autre appareil de descendre pour m’éviter. Une fois la manœuvre terminée, je reprends ma descente mais la trajectoire d’approche à vue que j’avais calculée mentalement est désormais totalement faussée. Je me retrouve trop haut sur mon plan et je dois afficher une assiette franchement à piquer pour obtenir un taux de descente de 4000 ft minute qui me permettra de retrouver mon plan. En face de moi, une montagne et un champ de tir (actif aujourd’hui, selon les NOTAM !) qui délimitent ma tra-jectoire en base. Soudain, un « Terrain Terrain » résonne dans le cockpit. Mon fort taux de descente et la proximité du relief ont déclenché une alerte GPWS (Ground Proximity Warning System). L’avion calcule une trajectoire prédic-tive qui me mènerai tout droit dans le relief si je maintenais mon fort taux de descente. L’alerte se tait et je rentre en finale au FAF (Final Approach Fix). Autorisé à l’atterrissage, attention aux brins d’arrêt disposés en travers de la piste. Une fois au parking, les passa-gers débarqués, le responsable d’es-cale frappe à la porte du cockpit et me demande de descendre. Le personnel chargé de décharger les bagages et le cargo a abimé un colis qui s’est ouvert, répandant son contenu sur la cale du compartiment cargo : des balles de 12,7 ! A mes côtés, le « GO » du vol (l’Air Marshall qui accompagne tous nos vols, installé incognito en cabine au milieu des passagers) ne semble pas étonné. Le pays n’est pas sûr et les hommes d’affaires en vue ont tous leur service de protection privé.

Kaboul & Massoud

welcome you to the land of

the braves.

La tour de l'aéroport de Kaboul est restée dans le même état depuis l'invasion russe de 1982.

Les quartiers de Kaboul ressemblent aux favelas cariocas.

Après Herat, retour sur Kaboul puis un nouveau vol qui nous ramène au bercail, à Dubaï, après une journée riche en émotions aéronautiques.

Pour les équipages, les découchés à Kaboul sont exceptionnels et stric-tement encadrées par les contraintes de sécurité drastiques imposées par la compagnie d’assurance de la com-pagnie aérienne. La ville, militarisée et encadrée par des forces de police très présentes, semble sûre mais il y règne néanmoins, une ambiance de défiance où tout le monde se surveille. Dans les rue embouteillées de Kaboul, les gros 4x4 japonais sur motorisés et alourdi par leur blindage jouent des coudes en essayant d’intimider les Lada essouf-flées et les Jigouli russe délabrées. (modèle 1967 « Octobre Rouge » !). Les rares moments de réjouissance ont lieu dans les ambassades ou dans les jolies maisons du quartier de Qala-e-Fatulah reconverties en guest-houses pour héberger les différentes agences de l’ONU, ou les nombreuses ONG sous-

traitantes de l’action humanitaire. Le visiteur, invités à ces agapes d’expatriés bien arrosées, et frappé par la grande jeunesse, l’esprit de responsabilité et le niveau de compétence élevé des acteurs de l’humanitaire présents en Afgha-nistan. Une réalité bien différente de l’image du baroudeur, mi-photographe mi-mercenaire, que véhicule l’excel-lente série Kabul Kitchen, diffusée sur Canal Plus (mais tournée au Maroc c’est plus sur) qui raconte la vie d’ex-patriés dans la capitale afghane.

En Afghanistan et dans les pays du Golfe, un pilote peut vivre, en accéléré, toutes les expériences de la vie d’un navigant. Le « terrain de jeu Afghan » offre tous les ingrédients pour parfaire sa connaissance de la machine : vol en environnement montagneux, météo extrêmes, calculs de performances, vol a vue et en manuel, navigation mixtes (avec les militaires)…. Les grandes compagnies du Golfe, gros employeurs de pilotes, ne s’y trompent pas : elles valorisent un passage dans une compa-gnie afghane. Un pilote n’y fera qu’un

passage d’un an en moyenne, pour enri-chir son carnet de vol et pour l’expé-rience acquise, avant d’être « aspiré » par Emirates, Etihad ou Qatar ! y

La demande est extrêmement actuellement forte en Asie et au Moyen Orient. En Asie, et principalement en Chine, les commandes d’avion et le développement de l’aviation commerciale suivent un rythme que les écoles de formation locales n’ont pas anticipé. D’où un recours massif aux pilotes étrangers. Les compagnies aériennes du Moyen Orient, et principalement les pays du Golfe (Qatar, Emirats Arabes Unis et, dans une moindre mesure, Bahrain et Koweit,) ne sont pas en reste et « squattent » littéralement les sites d’annonces d’offre d’emploi. Dans le Golfe, les causes de la demande sont différentes de celles de la Chine : l’aviation est vu comme un axe de développement stratégique qui, à moyen - long terme, créera une industrie de services qui se substituera, progressivement, à la rente pétrolière. Les trois principaux acteurs régionaux, Qatar Airways, Etihad, à Abu Dhabi, et Emirates à Dubaï, ont des ambitions globales et se livrent une concurrence acharnée, basée pourtant sur des modèles économiques très similaires. C’est-à-dire, un « hub » où les passagers du monde entier viendront transiter (actuelle-ment 90% des passagers qui atterrissent à Dubaï ont une destination finale autre que Dubaï et ne font que transiter) où les avions « refuellent » à des tarifs auxquels les compagnies européennes ne peuvent pas s’aligner. A Dubaï, le nom d’un projet majeur aéronautique résume, à lui seul, l’objectif ultime de cette stratégie : DWC, pour Dubaï World Central. Un immense aéroport créé ex-nihilo au milieu du désert, doté de six pistes d’atterrissages, de hangar pour entretenir les 90 A380 commandés par Emirates, est en train d’émerger et sera opération-nel à partir de 2016. Avec de telles ambitions, la compagnie crée un fantastique appel d’air sur le marché, désormais mondial, des pilotes et « siphonne » littéralement les autres acteurs. En revanche, les critères pour postuler sont relativement sévères : 2500 heures minimum sur A320 pour un copilote, 5000 pour un commandant. Etihad a placé la barre un peu moins et ne réclame que 1000 heures sur A320 pour un copi (avec 2000 heures totales). Quand à elle, Qatar ne se contente de 250 heures sur avion multipilotes, pour postuler à son programme « Fast Track Second Officer ».

A côté des trois compagnies majors de la région, il existe d’autres acteurs non dénués, eux aussi, d’ambitions. Deux low cost régionales: Air Arabia qui exploite des A320 (dont 40 en commande) au départ de l’aéroport de Sharjah (à moins de 20 kilomètres de l’aéroport de Dubaï) et la petite dernière, Fly Dubaï qui a choisit, quant à elle, le Boeing 737. Elles même ont de gros appétits en pilotes qualifiés et expérimentés sur la machine. Il n’est pas exagéré de les comparer à leur cousines siamoises européennes, easyJet et RyanAir qui animent un quasi duopole sur le vieux continent. A côté de ces acteurs émergents (dont la plupart n’existait pas, il y a moins de 10 ans), les compagnies nationales tentent de survivre en inventant un nouveau modèle. C’est le cas de la compagnie Gulf Air qui était, avant la survenance des acteurs précités, la seule et unique compagnie des pays du Golfe. D’autres marchés de niche existent et peuvent constituer des alternatives intéressantes à exploiter pour les pilotes à la recherche soit d’un bon poste d’observation (pour intégrer l’une des trois compagnies majeures du Golfe), soit d’un job rémunérateur. Par exemple, la reconstruction de l’Afghanistan a suscité la création de deux compagnies aériennes privées qui se sont spécialisées sur le créneau du transport régulier, avec une clientèle de diplomates et de salariés d’ONG désireuse de transiter par Dubaï. Côté salaire et conditions de vie, un co-pilote en début de carrière gagnera environ 7000 dollars US, net de cotisations sociales et d’impôts. Pour un captain en début de carrière, compter le double. A cela s’ajoutera un perdiem par jour d’engagement, une allocation logement, les frais médicaux et une allocation pour payer la scolarité éventuelle des enfants sur place. A noter que, si les salaires versés sont net d’impôts sur le revenu (inexistants dans ces contrées), l’employeur ne verse pas de cotisations pour la retraite des salariés. Il faut donc contribuer volontairement à la CFE (Caisse des Français de l’Etranger), soit environ 1500 euros par mois, un montant comparable à l’impôt sur le revenu en France. Au final, le salaire net est comparable à celui que toucherai un pilote en France (la contribution volontaire à la retraite est compensée par l’économie d’impôt).

LES PERSPECTIvES D’EMPLOI PILOTE AU MOyEN-ORIENT

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