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Appel à contribution
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à envoyer le 31 juillet 2015.
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Le sujet dans la Cité.
Revue internationale de recherche biographique
N° 6 - Novembre 2015
Être à l’école aujourd’hui
Citoyenneté, pluralité, mondialisation
(sous la direction de Béatrice Mabilon-Bonfils)
Les mutations contemporaines des socialisations et de la citoyenneté dans un contexte
de globalisation ne sont pas sans interroger la « forme scolaire » qui, somme toute, a
peu bougé depuis plus d’un siècle dans les représentations et les définitions
institutionnelles1, alors qu’elle est débordée de partout par les conditions faites à
l’école et plus largement aux apprentissages et aux savoirs dans les sociétés
contemporaines2. Le « tournant global » autant que l’explosion des technologies
numériques interrogent la raison d’être de l’École qui, pendant des années, a consisté,
quel que soit le pays, à former des citoyens intégrés à la nation. Ce double tournant
1 Vincent, G. (dir.) (1994). L’Éducation prisonnière de la forme scolaire ? Scolarisation et socialisation dans les
sociétés industrielles. Lyon : Presses Universitaires de Lyon. 2 Dubet, F. (2010). Déclin de l'institution et/ou néolibéralisme ? Education et sociétés, 25, 17-34.
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questionne autant la production des savoirs pour penser le monde, l’éducation au
monde dispensée par l’école que le vivre-ensemble qu’elle promeut3.
La modernité occidentale s’est structurée grâce à de grands discours collectifs
surplombants de rationalisation du monde qui ont produit, comme le montre Max
Weber, les conditions de leur propre désenchantement. Le discours national, grand
récit de la modernité, est aujourd’hui saturé, engendrant une panne de la francisation,
notamment chez les jeunes générations. En France particulièrement, l’École s’est
historiquement constituée comme lieu cardinal de construction de la citoyenneté. Elle
a longtemps été l'outil privilégié de la fabrique du citoyen français, institution à
l'œuvre dans le processus de construction d'une identité commune faite de récits
collectifs et de symboles partagés : l’école publique est née au moment de la création
du « sentiment national ». Or, notre modèle républicain d’intégration repose sur
l’impensé du pluriel, et l’école est au cœur même de cette violence symbolique. Les
principes politico-culturels, fondateurs de notre modèle citoyen – laïcité, nation et
république – reposent sur une norme identitaire : il s'agit d’une norme ethnique,
ethno-religieuse qui (se) dissimule qu’elle l’est, un « ethnocentrisme de la république »
selon l’expression de S. Duchesne4. Si les dynamiques identitaires émergentes
contemporaines font effraction dans notre manière de penser le vivre-ensemble, c’est
en réponse à un cadre stato-national que l’École a participé à construire en définissant
une identité nationale moniste héritée de la révolution française. Notre modèle sociétal
est aujourd’hui toujours pensé à partir d’un équilibre comtien/durkheimien où la
cohésion sociale se construit par des mécanismes de « solidarité organique ». Or ce
modèle est questionné tant du fait de la globalisation que par les mutations identitaires
nées de l’ethos de l’autonomie et de la réalisation individuelle caractéristiques de la
seconde modernité. Entre crise de la transmission et crise du récit national, l’École est
confrontée à une question socialement vive : « Dans quel espace du commun les jeunes
générations peuvent-elles aujourd’hui se reconnaître, à quelle Cité peuvent-elles
appartenir ? » Les réponses que donne (ou ne donne pas) l’École à cette question
3 Durpaire, F., Mabilon-Bonfils, B. (2014). La fin de l’école. L’ère du savoir-relation. Paris : PUF. 4 Duchesne, S. (1994). Citoyenneté à la française. Tensions entre particularisme et universalisme. Analyse
d’entretiens non directifs. Thèse de doctorat de Sciences politiques, sous la direction de J. Leca. Institut d’études
politiques de Paris, 1994.
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s’expriment tant dans les modalités de construction des savoirs scolaires dans
l’organisation des « dispositifs de pouvoir » et/ou des « configurations
d’assujettissement » oscillant entre construction d’une mémoire collective et formation
d’un citoyen. Elles conduisent à reconsidérer la forme scolaire aujourd’hui. Est-elle
épuisée ? Faut-il la repenser ? Il s’agit donc de cerner le projet général d’éducation et
de formation dans lequel les prescriptions institutionnelles contemporaines prennent
place et sens, autrement dit les processus de subjectivation (et le type de sujets et de
formes d’être collectif) que cherche à produire l’École (et évidemment la société qui
soutient cette École).
Puissant vecteur d'acculturation, l’École est désormais confrontée à la manifestation
croissante en son sein des identités culturelles plurielles reflétant le caractère
pluriculturel de la population française. En questionnant les mutations contemporaines
du sentiment d'appartenance des jeunes générations à l’ère de l’identité plurielle,
créolisée et de l’hétérogénéité croissante des socialisations, nous nous demandons
quelle place l’école fait effectivement aujourd’hui à la diversité et/ou aux cultures
minorées mais aussi plus largement quelles appartenances elle promeut, quelle
citoyenneté et quel citoyen elle fabrique. L’École est aujourd’hui questionnée,
concurrencée par les modes et formes de socialisation pluriels des jeunes, qu’il
s’agisse des socialisations familiales, des espaces de convivialité juvénile, des cultures
musicales émergentes, des réseaux sociaux et de la socialité numérique en général, des
collectifs militants, associatifs, religieux, etc. Les mutations sociales et politiques de la
seconde modernité renforcent aujourd’hui l’hétérogénéité des formes identitaires
d’appartenance sociale et fonde un Mit-sein que les institutions (école, État, partis…)
ne suffisent plus à définir. Le mythe de la République française unitaire et moniste
comme quintessence des régimes politiques masque l’idéologie élitiste qui structure en
profondeur notre société. Celle-ci modèle l’imaginaire collectif et sécrète les rouages
typiquement français qui imbriquent réussite sociale et réussite scolaire.
Comment les mutations contemporaines des formes et conditions de socialisation des
sujets affectent-elles l’institution scolaire, à la fois la manière de vivre l’École, les
sociabilités juvéniles, les normes scolaires elles-mêmes, les rapports à ces normes
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scolaires mais aussi les prescriptions institutionnelles de l’École en matière de
citoyenneté et de vivre-ensemble dans une France devenue objectivement
pluriculturelle et pluri-confessionnelle, dans laquelle la présence des minorités a
complètement bouleversé le paysage intégrationniste de la société française ?
Comment les sujets peuvent-ils se positionner pour se réapproprier un pouvoir d’agir
dans l’institution scolaire ? Quel(s) sujet(s) l’École confrontée à l’éclatement des
formes identitaires d’appartenance et de socialisation professionnelle promeut-elle ?
En quoi la remise en cause des configurations traditionnelles d'« assujettissement » de
la seconde modernité5 questionne-t-elle l’identité au travail des enseignants,
l’expression des violences à l’École, la définition de l’autorité scolaire mais aussi les
choix didactiques et les pratiques pédagogiques ? À travers l’expérience du monde de
l’école et les biographisations qu’en font ses acteurs6, il s’agit de questionner le
rapport biographique des sujets à l’institution scolaire.
Les rapports des parents à l’école et les manières dont ils y sont impliqués constituent
un élément de construction du rapport à l’institution scolaire comme vecteur (ou pas)
du sentiment d’appartenance à une « communauté nationale ». L’école française a mis
progressivement en place un système de représentations des parents d’élèves sur le
modèle de la démocratie indirecte visant à favoriser leur investissement. Le défaut de
participation des familles populaires ou/et des familles émigrées à ce mécanisme est
régulièrement interrogé alors que ce fonctionnement dit démocratique n’est pas
socialement neutre. Les modes de résistance de parents confrontés aux technologies
institutionnelles visant à transformer leurs modalités d’implication ne sont pas de
simples défenses ou oppositions produites par des individus trop peu
institutionnellement acculturés ou en trop grande souffrance. Elles présentent aussi des
stratégies individuelles ou collectives qui, dans certaines situations, permettent à des
parents éloignés de l’école d’expérimenter des formes de vie citoyenne dans lesquelles
ils entraînent éventuellement, mais non mécaniquement, leurs enfants. Cela permet
d’éclairer comment le sentiment d’appartenance des jeunes est produit, amendé,
infléchi par le rapport familial aux institutions dans un jeu ouvert où socialisations
5 Nordmann, J.-F. (2013). L'École et la crise des « configurations d'assujettissement ». Le Télémaque, 43, 59-72.
6 Delory-Momberger, C. (2005). Histoire de vie et recherche biographique en éducation. Paris : Anthropos.
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familiale et scolaire s’articulent et questionnent la légitimation des normes
d’appartenance sociale et politique.
Telles sont quelques-unes des pistes, non exclusives, que pourrait venir emprunter et
explorer ce dossier ouvert sur un « être à l’école aujourd’hui » que les mutations
contemporaines conduisent à interroger de façon toujours plus pressante.