Accessibilité, nature et expérience des services
de santé mentale pour les francophones
de milieux ruraux du sud-est du Nouveau-Brunswick
Rapport final
Monica Lavoie, adjointe de recherche
Jimmy Bourque, directeur
Caroline Gibbons, assistante de recherche
Hélène Albert, professeure
Centre de recherche et de développement en éducation (CRDE) Université de Moncton
Mars 2012
Table des matières Sommaire ........................................................................................................................................ 1
Introduction ................................................................................................................................. 1
Méthode ...................................................................................................................................... 1
Résultats ...................................................................................................................................... 1
Conclusion ................................................................................................................................... 1
Remerciements ............................................................................................................................... 2
1. Introduction ................................................................................................................................. 3
2. Méthodologie .............................................................................................................................. 4
2.1 Collecte de données .............................................................................................................. 5
2.2 Participants ............................................................................................................................ 5
2.3 Analyse des données ............................................................................................................. 7
2.4 Éthique de la recherche ......................................................................................................... 7
3. Résultats ...................................................................................................................................... 7
3.1 Interventions et services offerts en santé mentale (objectif 2) ............................................ 7
3.2 Accessibilité des services francophones en santé mentale (objectif 1) .............................. 10
3.2.1 Accessibilité des services .............................................................................................. 10
3.2.2 Disponibilité des services en français ........................................................................... 13
3.3 Expérience des usagers des services (objectif 3) ................................................................ 14
3.3.1 Caractéristiques de santé ............................................................................................. 14
3.3.2 Satisfaction envers les services .................................................................................... 15
3.3.3 Expériences avec la médication ................................................................................... 16
3.3.4 Isolement ...................................................................................................................... 17
3.3.5 Travail ........................................................................................................................... 18
3.3.6 Rétablissement ............................................................................................................. 19
3.4 Besoins en santé mentale (objectif 4) ................................................................................. 20
3.4.1 Besoin d’un système de transport en commun ........................................................... 20
3.4.2 Besoin de ressources humaines ................................................................................... 21
3.4.3 Besoin de ressources communautaires ........................................................................ 21
3.4.4 Besoin d’emplois adaptés aux usagers ......................................................................... 24
3.4.5 Besoins additionnels soulignés par les intervenants .................................................... 24
4. Conclusion ................................................................................................................................. 25
4.1 Accès aux services francophones ........................................................................................ 25
4.2 Nature des interventions et services ................................................................................... 26
4.3 Expérience des usagers ....................................................................................................... 26
4.4 Autres besoins ..................................................................................................................... 27
Références ..................................................................................................................................... 28
Annexe 1 ........................................................................................................................................ 30
1
Sommaire
Introduction
Les populations rurales rapportent être en moins bonne santé que leurs voisines
urbaines, et les services y sont souvent plus difficilement accessibles.
La nature des services obtenus varie entre les résidents urbains et ruraux.
Cette étude vise à : a) documenter l’accessibilité aux services francophones en santé
mentale pour les communautés rurales du sud-est du Nouveau-Brunswick; b)
préciser la nature des interventions et des services offerts; c) documenter
l’expérience vécue par des usagers francophones de ces services; et d) cerner les
besoins en services.
Méthode
Des entrevues semi-dirigées ont été réalisées avec des usagers du système de santé
mentale (10), des aidants naturels (8) et des intervenants en santé mentale (11).
Les entrevues touchaient quatre thèmes : l’accessibilité aux services, leur nature,
l’expérience des participants avec les services et les besoins en services.
Des statistiques provenant de Statistique Canada et du Conseil de santé du
Nouveau-Brunswick apportent des informations complémentaires.
Résultats
Les services offerts par le Centre de santé mentale communautaire de Richibucto
(CSMC-R) sont systémiques, flexibles, diversifiés et centrés sur les besoins de
l’usager pour s’adapter aux exigences particulières de la ruralité.
Le transport sur le vaste territoire du CSMC-R constitue un obstacle à l’accès aux
services, à la fois pour les usagers, les aidants naturels et le personnel du CSMC-R.
L’expérience des usagers avec les services semble généralement satisfaisante, bien
que leur principal défi touche la médication.
Le travail est un thème saillant chez les usagers; plusieurs y voient une solution à
l’isolement qu’ils vivent ainsi qu’à leur situation financière précaire.
Les besoins du système de santé mentale incluent un réseau de transport collectif,
des ressources humaines et communautaires additionnelles et des emplois adaptés
aux usagers.
Conclusion
Le rapport suggère de mener une réflexion quant à l’implantation possible de
différentes mesures, notamment: a) la mise sur pied d’un service de navette; b)
l’adoption du modèle de traitement communautaire dynamique (ACT en anglais) ou
d’une de ses variantes; c) la création d’un programme d’aide à l’emploi; et d) l’usage
accru de ressources en ligne et de la télémédecine.
2
Remerciements
L’équipe de recherche tient à remercier chaleureusement les personnes suivantes pour
leur collaboration, leur appui et leur engagement dans ce projet :
Pauline Clark
Claire Denis
Isabelle Dugas
Marie-Josée Fortin
Philippe Godin
Eva LeBlanc
Janice Lizotte-Duguay
Michelina Mancuso
Sylvie Martin
Andrée Parker
Sylvie Poirier
Stéphane Robichaud
Mai Savoie
Le Consortium national de formation en santé (CNFS), dont le financement a permis la
réalisation de cette étude.
Le Conseil de santé du Nouveau-Brunswick (CSNB).
Le Réseau de santé Vitalité.
Le personnel du Centre de santé mentale communautaire de Richibucto (CSMC-R).
Tous les intervenants, usagers et aidants naturels qui ont accepté de nous rencontrer.
Révision linguistique : Alicia F. Cleaver
3
1. Introduction D’entrée de jeu, comparativement aux populations urbaines, les populations rurales
canadiennes obtiennent des résultats défavorables sur la majorité d’une série
d’indicateurs de la santé, tels les niveaux d’embonpoint, d’asthme et d’hypertension,
entre autres (Statistiques Canada, 2003). Il est donc peu surprenant que la prévalence
de la dépression soit plus élevée en milieu rural et que « l’auto-évaluation de la santé
diminue à mesure qu’on s’éloigne des régions urbaines » (Statistiques Canada, 2003,
p. 7). Au Nouveau-Brunswick, seulement 46,7 % de la population vivant en milieu rural
déclare être en « très bonne » ou en « excellente » santé, alors que ce taux est de
54,0 % dans les milieux urbains (Statistiques Canada, 2003). En 2005, 7,5 % des Néo-
Brunswickois rapportaient avoir consulté un professionnel de la santé au sujet de la
santé mentale au cours de l’année précédente (Statistiques Canada, 2005). En 2011, ce
taux double et s’élève jusqu’à 16,8 % pour la région du sud-est de la province (Conseil
de la santé du Nouveau-Brunswick, 2011).
Vivre avec des problèmes de santé mentale s’avère difficile pour tous ceux qui sont
atteints, mais le fardeau s’alourdit considérablement à mesure que le lieu de résidence
des concernés s’éloigne des villes. Les régions rurales apportent des défis bien
particuliers aux usagers du système de santé, surtout en matière d’accessibilité. Pour
ces gens, l’accès aux services est limité par les grandes distances qui les séparent des
soins. Bien que de posséder une voiture en ville soit utile, cela devient nécessaire dans
les régions rurales puisque les déplacements à pied ou par transport en commun sont
rarement possibles. Arcury, Preisser, Gesler et Powers (2005) rapportent que dans les
milieux ruraux de la Caroline du Nord le fait d’avoir un permis de conduire et d’avoir
quelqu’un qui peut fournir un moyen de transport est significativement associé à
l’utilisation des services de santé.
Certaines autres barrières auxquelles sont confrontées les populations de milieux ruraux
sont toutes aussi importantes, mais bien plus subtiles. En Nouvelle-Galles du Sud (New
South Wales) en Australie, Fragar et al. (2010) publient que, bien qu’ils soient
considérablement en détresse, les chômeurs des milieux ruraux sont souvent négligés
par les programmes de promotion de la santé mentale puisque ces derniers sont
généralement offerts à travers les employeurs. Certains auteurs (Fuller, Edwards,
Procter et Moss, 2000; Hoyt, Conger, Valde et Weihs, 1997; Jones, Cook et Wang, 2011;
Rost, Smith et Taylor, 1993) rapportent des résultats soutenant l’hypothèse que la
stigmatisation de la maladie mentale est une barrière à l’accès aux services de santé en
milieu rural. On mentionne aussi des obstacles comme le manque de reconnaissance du
besoin en services des personnes souffrant de problèmes de santé mentale (Fox, Blank,
Berman et Rovnyak, 1999) et les pénuries de professionnels de la santé (Buchanan et al.,
4
2006; Ryan-Nicholls et Haggarty, 2007). En milieu francophone minoritaire, la
composante linguistique viendrait exacerber le problème (Bouchard, Gilbert, Landry et
Deveau, 2006). C’est dans ce contexte que le premier objectif de cette étude vise à
documenter l’accessibilité des services francophones en santé mentale pour les
communautés rurales du sud-est du Nouveau-Brunswick.
Aux États-Unis, ce sont les résidents des régions rurales qui reçoivent moins de
traitements de tous genres (any type) en santé mentale et moins de soins spécialisés
que leurs voisins urbains. Pour les résidents métropolitains, les probabilités de recevoir
un traitement en santé mentale, tous genres confondus, sont 47 % plus élevées que
pour les résidents des régions rurales et 72 % plus élevées lorsqu’il s’agit de traitements
spécialisés en santé mentale (Hauenstein, Petterson, Rovnyak, Merwin, Heise et
Wagner, 2007). Les résultats de Ziller, Anderson et Coburn (2010) complètent le portrait
en précisant qu’il est moins probable qu’un résident des régions rurales étudiées
rencontre un professionnel de la santé mentale qu’une personne des milieux urbains.
Les traitements de santé mentale offerts dans les régions rurales se limiteraient souvent
aux prescriptions psychothérapeutiques. Une étude auprès de personnes atteintes de
sclérose en plaques et vivant des problèmes de santé mentale rapporte des résultats
similaires. En effet, Buchanan et al. (2006) trouvent qu’une proportion significativement
plus grande de résidents urbains (50 %) reçoit un suivi incluant consultations et
médication, comparativement aux résidents ruraux (39 %). Ces résultats introduisent le
deuxième objectif de cette étude, soit d’identifier la nature des interventions et des
services offerts en santé mentale à la population francophone ciblée par cette étude.
Par ailleurs, étant donnés les défis d’accessibilité propres à la population visée par cette
étude ainsi que l’information parcellaire disponible sur la nature des interventions et
des services offerts en santé mentale en milieu rural, deux autres objectifs s’ajoutent :
documenter l’expérience vécue par des usagers francophones de ces services et identifier
les besoins de services francophones en santé mentale dans la région ciblée.
2. Méthodologie La présente étude vise à complémenter l’information obtenue sur l’efficacité et les
coûts d’une nouvelle approche d’intervention en itinérance et en santé mentale dans le
cadre du projet de recherche pancanadien At Home | Chez soi. Le site de Moncton1
comprend un volet rural dans lequel seront également évalués l’efficacité et les coûts de
1 T. Aubry et J. Bourque: Research Demonstration Project in Mental Health and Homelessness, Moncton
Site.
5
la nouvelle approche. Notre étude dresse un état des lieux des services existants et de
leur capacité à desservir la population francophone des communautés rurales.
2.1 Collecte de données
Pour dresser un portrait des conditions d’utilisation des services en santé mentale chez
la population ciblée, des entretiens semi-dirigés ont été réalisés avec trois groupes de
participants : des usagers du système de santé mentale, des aidants naturels2, ainsi que
des intervenants en santé mentale. Les guides d’entretiens ont été préparés par les
chercheurs de l’équipe du Centre de recherche et de développement en éducation
(CRDE) de l’Université de Moncton. Ils touchent quatre thèmes : l’accessibilité aux
services, la nature des services, l’expérience du participant avec les services et les
besoins de services francophones en santé mentale. Chacun des thèmes était abordé
avec les trois groupes de participants.
Notons que la proposition initiale de l’étude comportait également l’obtention de
données administratives provenant du ministère de la Santé. Par contre, n’ayant pu
obtenir ces données, nous avons plutôt eu recours à des statistiques fournies par
Statistique Canada et le Conseil de santé du Nouveau-Brunswick (CSNB). Une analyse
rétrospective des événements ayant mené à renoncer aux données administratives est
fournie à l’annexe 1.
2.2 Participants
Les dix usagers du système de santé mentale qui ont pris part à cette étude ont été
sélectionnés au hasard parmi un groupe de 18 personnes participant au volet rural du
projet de recherche At Home | Chez soi, site de Moncton. Ils avaient premièrement été
identifiés et dirigés vers l’équipe de recherche At Home | Chez soi par le Centre de santé
mentale communautaire de Richibucto (CSMC-R). Ces individus vivent des problèmes de
santé mentale et leur situation de logement est précaire. Ces problèmes de santé
mentale que vivent ces usagers du système sont ceux qui servaient de critère d’inclusion
au projet At Home | Chez soi, c'est-à-dire les troubles répertoriés sur l’axe 1 du DSM-IV
(dépression, troubles anxieux, trouble bipolaire, schizophrénie, etc.). Bien qu’ils soient
tous en âge d’être autonomes, certains usagers demeurent dans le foyer familial, alors
que d’autres se retrouvent en foyer de soins pour personnes âgées. Des dix usagers du
système de santé mentale sélectionnés pour la présente étude, cinq vivaient dans un
foyer de soins, deux avec un parent, deux dans leur propre logement et un dans une
maison d’accueil pour adulte avec une adulte chargée d’en prendre soin. Tous les 2 Selon Santé Canada (2003), « [l]es aidantes et aidants naturels sont des membres de la famille ou des
amis qui prodiguent des soins et de l'aide en continu, sans aucune rémunération, à des personnes qui ont besoin d'un soutien en raison de troubles cognitifs ou de problèmes de santé physique ou mentale » (p. 3).
6
participants étaient francophones et résidents de la région géographique définie par
l’axe Richibucto-Shemogue. Finalement, chacun des dix usagers du système de santé
mentale a participé à un entretien dont la durée variait d’une vingtaine de minutes à
une heure.
Chacun des huit aidants naturels ayant pris part à cette étude avait une connexion avec
l’un des usagers du système de santé mentale. L’échantillon d’aidants naturels compte
trois parents, deux propriétaires de foyers, un conjoint, une sœur et une aide à
domicile. Les aidants naturels étaient tous francophones et résidents de la région
géographique définie. Chacun a participé à un entretien d’une durée de 10 à 45
minutes. Les aidants naturels ont été identifiés dans le cadre d’un sous-projet de
recherche lié à At Home | Chez soi, soit une étude sur la santé mentale et le mieux-être
des aidants naturels3. Ils ont été suggérés aux chercheurs du projet par les usagers du
système et ont ensuite été invités à participer aux deux études : celle sur la santé
mentale des aidants naturels et, subséquemment, celle-ci.
Les 11 intervenants en santé mentale qui ont pris part à l’étude étaient employés par le
CSMC-R et identifiés par sa directrice. Notons que l’une des participantes n’a pas pu
terminer la séance de discussion à cause de ses obligations professionnelles. Les
domaines suivants sont représentés dans notre échantillon : science infirmière, travail
social, intervention communautaire et psychologie. Les intervenants du CSMC-R sont
organisés en trois équipes de travail. L’équipe « enfants/adolescents » intervient
seulement auprès des jeunes âgés de 6 à 19 ans. L’équipe « court terme » s’occupe des
cas pour lesquels le traitement est de six à douze mois. L’équipe « long terme » traite les
cas pour lesquels la durée du traitement s’étend au-delà d’un an. Trois groupes de
discussion, d’une durée d’une heure à une heure et demie, ont été organisés pour
accommoder les intervenants. Six intervenants se sont présentés au premier groupe et
deux intervenants se sont présentés à chacun des deux autres.
Les entretiens avec les participants des trois groupes ont été enregistrés (audio) et
transcrits pour l’analyse. Notons que l’enregistrement de l’entretien avec un des usagers
du système de santé mentale s’est interrompu à mi-chemin. Pour remédier à la
situation, tous les sujets abordés lors de l’entretien ont, dans la mesure du possible, été
notés immédiatement après l’entretien et ajoutés à la suite de la transcription des cinq
minutes d’enregistrement disponibles.
3 D. Nolin, N. Prévost et N. Belliveau : Santé mentale et mieux-être pour les aidants naturels : Analyse de
besoins dans les communautés rurales en situation francophone minoritaire du Comté de Kent et du sud-est du Nouveau-Brunswick.
7
2.3 Analyse des données
Les données qualitatives provenant des entrevues et des groupes de discussions ont été
analysées selon les principes de l’analyse thématique (Paillé et Mucchielli, 2008). Cette
méthode d’analyse suppose d’abord l’identification de thèmes larges suite à une lecture
libre du corpus. Cette première étape mène ensuite à l’identification de thèmes
saillants, puis à un codage plus fin du corpus. Ces codes sont ensuite regroupés en
catégories signifiantes, rattachées aux grands thèmes. Ces différents thèmes, codes et
catégories sont enfin reliés de façon plus ou moins hiérarchique selon un réseau
conceptuel.
2.4 Éthique de la recherche
Le projet a reçu l’approbation du Comité d’éthique en recherche de l’Université de
Moncton (dossier 1011-024) ainsi que du Réseau de santé Vitalité.
3. Résultats
3.1 Interventions et services offerts en santé mentale (objectif 2)
La prestation des services en santé mentale dans la région étudiée est offerte par le
Centre de santé mentale communautaire de Richibucto (CSMC-R), qui possède
également un bureau satellite à Shédiac. Le centre offre des services à trois catégories
d’usagers : enfants et adolescents (âgés de 6 à 19 ans), suivi à court terme (de 6 à 12
mois) et suivi à long terme (plus d’un an). Le personnel du CSMC-R se répartit en quatre
spécialités : intervention communautaire, psychiatrie, psychologie et science infirmière.
Les fonctions des membres du personnel diffèrent selon leur spécialité (tableau 1).
Les problèmes que traitent les intervenants du CSMC-R incluent : l’alcoolisme, l’anxiété,
la dépression, la gestion de la colère, l’intimidation scolaire, les problèmes d’affirmation
de soi, les problèmes d’estime personnelle, les psychoses, les ruptures conjugales, la
schizophrénie, le stress, la toxicomanie, les troubles alimentaires, les troubles bipolaires,
les troubles d’adaptation (souvent secondaires à la perte d’un époux, de la santé
physique, d’une maison, de son autonomie), les troubles de comportement, les troubles
de démence, les troubles de personnalité, les troubles délirants et les troubles du déficit
de l’attention.
L’équipe du CSMC-R se rencontre une fois par semaine pour établir ses priorités, gérer
la liste d’attente, l’horaire de travail ainsi que l’assignation des dossiers selon les
expertises. Il existe aussi un comité de prévention du suicide et une équipe de
débriefing. De façon générale, les services offerts à la population sont nombreux et
diversifiés.
8
Tableau 1 : Fonctions du personnel du CSMC-R selon la spécialité
Spécialité Fonctions
Science infirmière Interventions selon la problématique de l’usager
Gestion de la médication
Groupes éducatifs
Éducation
Intervention communautaire Visites à domicile, à l’hôpital, dans un centre, etc.
Développement des habiletés sociales
Thérapies récréatives
Rencontres de groupes
Psychiatrie Évaluation psychiatrique
Médication
Psychologie Évaluation psychologique
Psychothérapie
Un service d’accueil est disponible au CSMC-R du lundi au vendredi, entre 8 h 30 et
16 h 30. Aucun critère de sélection ne doit être rempli par l’usager pour l’obtention des
services, faisant de sorte que les refus de cas sont très inhabituels. Ce sont les
responsables du service d’accueil qui ouvrent les nouveaux dossiers et qui répondent
aux urgences des usagers dont leurs collègues sont responsables s’ils sont absents :
Une fois par semaine, on a une journée où on est à l’accueil. S’il y a des walk-
ins [consultations sans rendez-vous], s’il y a des références téléphoniques ou
par fax, c’est nous qui nous occupons d’ouvrir le dossier puis de faire
l’évaluation initiale [GDI14].
Chaque équipe de travail identifie un responsable du service d’accueil. Ainsi,
l’adolescent en crise qui téléphone discutera avec un intervenant de l’équipe enfant-
adolescent, qui détiendra l’expertise pour gérer la situation. Selon l’équipe de travail, le
responsable du service d’accueil change d’une journée à l’autre ou d’une semaine à
l’autre. Pendant la période assignée, l’intervenant doit maintenir ses tâches habituelles
en plus d’exercer les fonctions du service d’accueil :
Quand tu es à l’accueil, tu peux faire ton travail normal, mais tu as l’extra de
faire toutes les nouvelles références [GDI2].
4 Pour protéger l’anonymat des participants, chaque extrait est identifié par un code qui précise
seulement la catégorie d’acteurs : GDI = groupe de discussion avec les intervenants; AN = aidant naturel; U = usager.
9
Les services offerts par le CSMC-R sont systémiques et centrés sur les besoins des
usagers. Afin d’accommoder ces besoins, les intervenants travaillent en bonne
collaboration avec les écoles, les familles d’accueil, les services de développement
social, les services sociaux, les services de protection de l’enfance ainsi que les services
de développement et ressources humaines (GDI2). Par exemple, alors qu’il avait besoin
d’un travail, un usager rapporte que son intervenante communautaire a fait les
démarches pour lui en trouver un (U4). De plus, une intervenante communautaire du
CSMC-R fait de la thérapie récréative avec les usagers afin de les intégrer en
communauté par l’entremise de sorties sociales :
Ils [les usagers] arrivent ici, ils n’ont pas juste besoin [d’aide] au niveau de la
santé mentale, ils ont besoin de directions dans tous les sens : hygiène,
organisation, travaux ménagers, préparation de repas, habiletés parentales,
autonomie, valorisation personnelle, empowering [reprise du pouvoir d’agir],
préparation en vue d’un emploi, gestion du budget, informations liées aux
ressources communautaires, transport aux rendez-vous [cliniques, hôpitaux]
[GDI3].
Si je [intervenant] focus juste sur le problème d’anxiété de ce jeune-là, je
manque le bateau [GDI3].
Le CSMC-R organise également des séances éducatives pour des groupes d’usagers. Les
thèmes abordés lors de ces séances touchent la gestion de l’anxiété, la dépression, la
gestion de la colère, l’affirmation de soi et les habiletés sociales (GDI1). Des sessions de
groupe du Centre de jour sont aussi organisées une fois par mois à Richibucto ainsi qu’à
Bouctouche pour stimuler les usagers et améliorer leur vie sociale. Lors de ces activités,
les intervenants animent des séances de 30 minutes d’exercices, 30 minutes
d’éducation (comme l’estime de soi ou la gestion de la colère) et 30 minutes d’artisanat
(GDI2) :
Au niveau rural, des fois [il] faut que tu [intervenant] ailles au-delà de la
norme. Des fois, il faut en faire un petit peu d’extra, parce que si on ne le fait
pas, il n’y a personne pour le faire [GDI2].
Les services du CSMC-R sont d’abord offerts dans leurs locaux, mais il n’est pas rare que
les infirmières et les intervenantes communautaires se déplacent pour rendre visite aux
usagers à domicile. Ceci témoigne encore une fois de leur flexibilité ainsi que de la
grande portée qu’ont les services assurés par les intervenants du CSMC-R.
Les intervenants du CSMC-R vont souvent au-delà des exigences de leur description de
tâche afin de répondre aux besoins des usagers :
10
Tu [intervenant] peux arriver là pour parler au niveau de la relation avec la
mère et la fille, au niveau du respect, pis sortir de là, pis tu es en train de faire
la liste de grocery [épicerie] deux heures après avec eux [GF3].
Je [intervenante] me suis déjà vue aller à Pointe-Sapin, qui est à un bon 40
minutes [de route], chez une personne âgée qui n’avait aucun service à
domicile. […] Elle ne pouvait pas se faire à manger, ni nettoyer. Sa famille
n’était plus par ici, so [donc] on s’est déjà vu aller à la maison lui faire des
fricots [soupe au poulet acadienne traditionnelle] puis nettoyer. […] Je
n’avais pas ça dans mes rôles et responsabilités. Mais des fois, il a fallu aller
au-delà pour aider cette madame-là. Sinon, je la voyais malade, hospitalisée
[GDI2].
Force est donc de constater la diversité, mais surtout la flexibilité des services
multidisciplinaires offerts aux usagers du CSMC-R pour s’adapter aux exigences
particulières de la ruralité.
3.2 Accessibilité des services francophones en santé mentale (objectif 1)
Dans cette section, nous utilisons les statistiques fournies par le Conseil de la santé du
Nouveau-Brunswick (2011) et les résultats de nos consultations auprès des trois groupes
de participants (usagers, intervenants et aidants naturels) pour tracer le portrait de
l’accessibilité aux services de santé mentale et de leur disponibilité en français (objectif
1). Nous constatons que s’il semble possible d’être servi en français dans la grande
majorité des cas, il existe d’importants problèmes d’accessibilité, notamment en raison
de l’absence de services de transport et des grandes distances à parcourir.
3.2.1 Accessibilité des services
La région ciblée par cette étude englobe deux des 28 communautés de soins de santé
primaires (CSSP), soit Richibucto et Shédiac. Selon les résultats d’un sondage publiés en
2011 par le Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick, 12,1 % (57) des répondants
adultes de la CSSP de Richibucto et 9,6 % (60) des répondants de la communauté de
Shédiac avaient visité un centre de santé communautaire (CSC). De ce nombre, 83,0 %
(47) des répondants de la communauté de Richibucto disaient avoir eu accès au CSC
avec une attente de moins d’une heure, alors que ce pourcentage diminue à 64,0 % (38)
à Shédiac. Sur l’ensemble des répondants, 14,4 % (68) de la communauté de Richibucto
et 15,4 % (97) de la communauté de Shédiac avaient eu recours à des services de santé
mentale dans l’année précédant le sondage (tableau 2).
Le score d’accessibilité aux services obtenu par ces deux communautés est inférieur à la
moyenne néo-brunswickoise (300). Ainsi, avec un score de 267, Richibucto se classe au
11
19e rang sur 28 au chapitre de l’accessibilité aux services. Shédiac, avec un score de 261,
arrive au 22e rang (tableau 2).
Tableau 2 : Accessibilité aux services
Richibucto Shédiac
Population de 18 ans et plus (recensement 2006) 16 285 24 550
Nombre de répondants au sondage du CSNB 474 630
Score d’accessibilité (NB : 300) 267 261
Accessibilité 50 % moyen 25 % faible
Rang sur 28 19e 22e
% ayant visité le CSMC 12,1 % 9,6 %
% accès au CSMC (attente de moins d’une heure) 83,0 % 64,0 %
% ayant consulté pour des services de santé mentale 14,4 % 15,4 %
Source : Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick (2011)
Lors des groupes de discussions, les intervenants font valoir comme un défi important la
taille de la région desservie par le CSMC-R et son bureau satellite de Shédiac. Les
distances à parcourir, à la fois par les intervenants et les usagers, posent des obstacles
notables en ce qui a trait à l’accessibilité aux services dans un contexte où il n’existe
aucune infrastructure de transport en commun :
Les déplacements, c’est assez vaste. C’est assez loin. Comme, je peux aller à
Rogersville ou Acadieville voir un patient qui n’est pas bien : ça, c’est un
avant-midi. […] Parce qu’on a un gros territoire, ça prend beaucoup de notre
temps au niveau du travail. But [mais], c’est un service qu’on donne parce
qu’il n’y a pas de transport [GDI2].
Pour compenser, le CSMC-R fournit certains services par téléphone et effectue de
nombreuses visites à domicile. Ces visites, nécessaires en raison de l’absence de
transport en commun, exigent d’y consacrer un temps considérable vu l’étendue des
distances à parcourir. Ainsi, comme l’illustre l’extrait précédent, il arrive qu’un
intervenant doive consacrer une demi-journée à un seul usager à cause du temps de
déplacement. Les intervenants évaluent la proportion d’usagers vus à domicile entre
15 % et 50 %, selon les spécialités (GDI1).
Les problèmes d’accessibilité liés au transport constituent une préoccupation majeure
pour les trois groupes d’acteurs rencontrés :
12
On développe une certaine façon de faire : on va chez eux à la place. On n’a
pas les services, on n’a pas d’autobus… Donc on fait avec ce qu’on a. Le
transport, c’est le défi numéro un [GDI3].
But [mais] là, s’ils lui trouvent de quoi [un travail], ils veulent que moi je
l’emmène là puis que j’aille back [retourne] le chercher. Si je travaille, je ne
peux pas [AN1].
J’en avais une [voiture], mais j’en n’ai plus. Ma mère, c’était elle souvent qui
le faisait [me conduire], mais elle a beaucoup de préoccupations, so [donc]
j’essaie de pas trop [demander]. Si je peux m’organiser d’autres manières,
j’essaie de faire ça [U6].
La distance constitue un obstacle pour les usagers pour leurs rendez-vous avec les
spécialistes de la santé mentale, mais aussi pour les activités sociales, les groupes
d’entraide et la formation d’un réseau d’amis. La difficulté présentée par le
déplacement contribue à l’isolement, un facteur pathogène en soi. Il semble donc
exister un problème sérieux d’accessibilité géographique aux services, problème que le
personnel du CSMC-R tente de résoudre en multipliant les visites à domicile. Or, si les
visites sont certainement appréciées des usagers et des aidants naturels, elles sont aussi
coûteuses en temps et en argent.
Ce temps supplémentaire consacré aux déplacements pourrait, en retour, affecter la
rapidité des services du CSMC-R et entraîner l’allongement de la liste d’attente :
C’est par vague aussi. Il y a des périodes de temps dans l’année où on dirait
qu’il y a beaucoup, beaucoup de références. Les intervenants sont surchargés
puis il peut y avoir des périodes de temps d’attente qui peuvent être difficiles
pour tout le monde [GDI2].
Si c’est un client qui n’est pas dans le système, puis qui n’est pas suivi, là c’est
difficile. […] [Ceux] qui ne sont pas dans le système, ou qui y sont, mais qui
n’ont jamais eu besoin de rien, eux autres, si quelque chose arrive, s’ils
tombent malades, là c’est plus difficile. Des fois, c’est difficile d’avoir des
rendez-vous [AN2].
Le problème d’accessibilité est compliqué par la pénurie de ressources communautaires
dans la région étudiée. Cette carence pousse parfois les usagers à fréquenter des
activités peu adaptées à leur âge ou à leur condition, faute d’accès à de meilleures
options. Le manque de ressource signifie surtout, généralement, que les usagers sortent
peu de la maison, ce qui surtaxe les aidants naturels : « On n’a pas de vie. On est
13
toujours ici. Sept jours par semaine » [AN8]. L’absence de transport, la pauvreté et la
pénurie de ressources communautaires se conjuguent pour créer une situation difficile
pour tous les acteurs :
Les ressources communautaires, on n’en a pas beaucoup, ce sont toujours les
mêmes. S’il y en a, il faut aller à Moncton et ces gens-là [usagers] n’ont pas
d’auto d’habitude. Donc, on [intervenants] devient la personne ressource
pour des années. J’ai encore des gens qui m’appellent dix ans après. On l’a
toujours dit, les enfants apprennent par le jeu. Mais là, tout de suite, le seul
jeu qu’ils ont dans Kent, c’est le pot, l’ecstasy, la cocaïne, les mushrooms, la
meth… Le hockey, sorry [désolé], mais c’est un jeu de riches [GDI3].
Nous constatons donc un cumul de défis sérieux quant à l’accessibilité aux services : le
manque d’option pour le transport limite les déplacements des usagers, qui voient ainsi
leur accès aux services de santé mentale et aux rares ressources communautaires
réduit. Pour pallier ce problème, le CSMC-R offre plusieurs services à domicile, une
option onéreuse en temps et en argent. Par contrecoup, puisque les intervenants
peuvent passer beaucoup de temps sur la route, le nombre d’usagers desservis sur une
période de temps donnée diminue, ouvrant la porte à l’allongement de la liste d’attente.
3.2.2 Disponibilité des services en français
Dans les deux CSSP ciblées par cette étude, un peu moins de la moitié de la population a
recours aux services francophones. De ce nombre, plus de quatre personnes sur cinq
affirment recevoir les services de santé dans la langue de leur choix, ici le français
(tableau 3).
Tableau 3 : Accessibilité aux services en français
Richibucto Shédiac
% de la population dont la langue de service est le français 42,9 % 46,0 %
% des francophones servis dans la langue de leur choix 81,0 % 85,0 % Source : Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick (2011)
Les consultations réalisées auprès des trois groupes d’acteurs semblent confirmer ce
portrait. Par exemple, tout le personnel du CSMC-R est francophone et la langue de
travail est le français (GDI1). Les entrevues avec les usagers et les aidants naturels
confirment l’utilisation prédominante du français au CSMC-R et dans les interactions
entre intervenants, usagers et aidants naturels. Aucun problème n’est donc soulevé
quant à la possibilité d’obtenir des services de santé mentale francophones.
14
En réponse à l’objectif 1, nous pouvons conclure que, si l’accès aux services eux-mêmes
constitue parfois un défi, une fois ce premier problème résolu, il est facile d’être servi en
français. Toutefois, le transport sur un vaste territoire constitue un obstacle à la fois
pour les usagers, les aidants naturels et le personnel du CSMC-R.
3.3 Expérience des usagers des services (objectif 3)
3.3.1 Caractéristiques de santé
La compréhension de l’expérience des usagers requiert une certaine mise en contexte.
Selon le Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick (2011), les CSSP de Richibucto et
Shédiac se classaient respectivement 26e et 8e sur 28 quant à leur état de santé. De plus,
Richibucto doit composer avec une population plus démunie financièrement que la
moyenne provinciale : plus du quart de la population de cette communauté doit vivre
avec un revenu annuel de moins de 25 000$ (tableau 4).
Tableau 4 : Santé de la population
Richibucto Shédiac
Score de santé (NB : 100) 82 101
Santé 25 % faible 50 % moyen
Rang sur 28 26e 8e
Revenu < 25 000 $ (NB : 21,7 %) 27,2 % 19,3 % Source : Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick (2011)
Ces deux phénomènes (pauvreté et mauvaise santé) reviennent également dans le
témoignage des usagers. Par exemple, leur situation financière constitue une contrainte
importante, entre autres, quant aux activités qu’ils peuvent s’offrir, à la qualité de la
nourriture qu’ils consomment : « Puis nous autres, on n’a pas les moyens d’aller ici et là,
comme au gym ou quelque chose. On n’a pas les moyens pour payer ça » [U7]. Des
interactions complexes (et parfois difficiles à comprendre et à accepter de l’extérieur)
existent entre la situation socioéconomique, l’oisiveté qu’entraînent la pénurie de
ressources communautaires et l’absence de transports en commun, ainsi que l’adoption
de comportements néfastes à la santé. Le tabagisme constitue un exemple éclairant : la
cigarette est souvent présente dans la vie des usagers, bien qu’il s’agisse d’un important
risque en matière de santé. Or, l’oisiveté, l’isolement et le manque d’argent rend très
difficile l’adoption d’activités alternatives qui pourraient encourager la cessation de
fumer. Pour certaines personnes, la cigarette devient leur unique passe-temps et elles y
consacrent une bonne part de leurs maigres ressources financières, ce qui, en retour, les
appauvrit davantage. Cette dépense pour un passe-temps nocif et onéreux a un coût
d’option : l’usager sacrifie parfois sur la quantité ou la qualité de la nourriture qu’il
achète. Le risque pour la santé est donc cumulatif :
15
J’ai des problèmes avec la cigarette. Puis aujourd’hui, quand ça arrive
vendredi, j’ai rien à fumer. Faut que j’espère [attende] le lundi pour avoir
quelque chose. Là, l’argent que je vais avoir, je vais pouvoir acheter deux
paquets. […] Plus tard, j’essaierai peut-être d’arrêter de fumer. Tsé, si
t’arrête de fumer, tu manges plus, puis tu manges des gros repas, t’as faim
[U2].
J’essaie de moins fumer, mais je fume pareil. […] Des fois, ma mère dit que
mon chien regarde [a l’air] mieux que moi, puis je le sais! Y a des fois, j’ai
vraiment de la misère, j’ai juste pas l’énergie. Faut que tu prennes le temps
de dire « You’re worth it », parce que c’est là que tu commences à te caler
[dénigrer]. Mes outils, c’est-y de m’assoir tout le temps avec la cigarette?
[U6].
L’expérience des usagers du CSMC-R s’inscrit donc souvent dans une dynamique de
pauvreté, d’isolement et d’habitudes de vie parfois peu propices au développement et
au maintien d’une bonne santé, physique comme mentale. La situation semble plus
grave dans la CSSP de Richibucto que dans celle de Shédiac.
3.3.2 Satisfaction envers les services
Selon l’enquête réalisée en 2011 par le Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick, les
deux CSSP touchées par la présente étude obtiennent un score de satisfaction
légèrement supérieur à la moyenne provinciale qui est de 900. Richibucto occupe en fait
le troisième rang sur 28 avec un score de 956, qui situe cette communauté parmi les
25 % ayant obtenu les scores les plus élevés. La proportion des répondants se disant
satisfaits des services de santé en général et des services des Centres de santé
communautaires (CSC) en particulier dépasse légèrement 70 %. Toutefois, la situation
semble plus difficile dans la CSSP de Shédiac qui se trouve parmi les 50 % moyens, au
17e rang sur 28 avec un score de 905. Dans ce cas, la proportion de répondants se disant
satisfaits des services se situe autour de 60 % (tableau 5).
Les entrevues avec les usagers du CSMC-R révèlent cependant un haut niveau de
satisfaction et ce, envers la vaste majorité des services. Qu’il s’agisse des
communications téléphoniques pour obtenir de l’information, des visites à domicile ou
du travail des intervenants, tous s’entendent pour affirmer que le service est
professionnel et de haute qualité. Les aidants naturels partagent aussi cet avis :
Ils essaient vraiment dur de m’aider autant qu’ils peuvent [U4].
Voir le médecin, des fois voir la garde-malades ou la travailleuse sociale. Je
trouve qu’ils savent bien s’occuper d’elle. Elle a une femme qui la sort. Puis
16
elle s’est trouvé une petite job [emploi]. A c’t’heure, elle peut aller puis elle a
quasiment tout de suite quelqu’un. Si elle est en peine, elle va appeler, puis
ils vont s’arranger pour la voir [AN8].
Tableau 5 : Satisfaction envers les services
Richibucto Shédiac
Score de satisfaction (NB : 900) 956 905
Satisfaction 25 % élevé 50 % moyen
Rang sur 28 3e 17e
Satisfaction globale envers les services de santé 71,4 % 61,3 %
Satisfaction envers les services des CSC 72,1 % 61,2 % Source : Conseil de la santé du Nouveau-Brunswick (2011)
Il semble donc que l’expérience des usagers soit généralement satisfaisante quant aux
services reçus, et ce, malgré les diverses contraintes pratiques, comme la pauvreté ou
les défis liés au transport.
3.3.3 Expériences avec la médication
L’un des principaux défis des usagers liés aux soins reçus touche la médication.
L’adoption d’un nouveau médicament, les changements de médicaments, la gestion des
effets secondaires : autant d’événements qui peuvent bouleverser la vie des usagers,
pour le mieux ou pour le pire. Dans certains cas, les usagers reconnaissent le rôle
important que la médication a joué dans leur rétablissement. Bien qu’il ait souvent fallu
du temps pour trouver la bonne combinaison, le résultat final s’avère positif pour
l’usager :
J’aime mieux les pills [pilules] qu’ils me donnent à c’t’heure. Parce qu’avant,
les pills me faisaient engraisser puis dormir, puis j’avais tout le temps faim.
Là, à c’t’heure, les pills ne me réveillent plus, puis je peux faire ma journée
puis bouger. […] Je me sens bien avec les pills [U4].
Toutefois, l’expérience d’être médicamenté pour des conditions de santé mentale vient
avec une part d’anxiété : peur des rechutes, de la dépendance, des effets indésirables,
ou simplement méfiance envers des médicaments que l’on ne connaît pas ou inquiétude
devant le nombre croissant de médicaments différents que l’on doit prendre (un
médicament pour traiter la maladie, un autre pour traiter les effets secondaires, etc.) :
Il y a une pilule que je prends le soir. Celle-là, si j’arrête de la prendre, je vais
faire comme un nervous breakdown [dépression nerveuse]. Parce que quand
tu viens addicted [dépendant] sur des sortes de pilules… Avant, ils me
donnaient la needle [injection]. J’étais tanné. Si c’était encore de même, il
17
faudrait que j’y aille à tous les mois. C’est ça qui est dur. Ça remplace les
injections. Ça a commencé en 2004 ou 2005 cette pilule-là. Puis avec ça, il n’y
a rien qui m’arrive [U2].
Savoir mes pills, ce que je prends. Des fois je sais, des fois je ne sais pas. Puis
les pills que j’ai, je ne les trust pas [ne leur fait pas confiance]. Trop de
médicaments, moi je trouve [U8].
La gestion des effets secondaires pose un défi important, tant pour l’adhésion de
l’usager au traitement que pour le succès du rétablissement. Les antidépresseurs
amènent souvent une prise de poids importante, alors que d’autres médicaments ont
un effet sur le sommeil. Dans un monde où l’image corporelle est si saillante, de tels
effets secondaires ont des effets psychologiques considérables et menacent à la fois le
maintien du traitement et le succès de la démarche thérapeutique. De plus, les usagers
sont très conscients des conséquences potentielles sur leur santé physique :
Comment es-tu supposée de feeler [te sentir] mieux si tu engraisses? Le plus
que tu engraisse, well [bien], plus tu feel mal. C’est comme un vicious circle
[cercle vicieux]. Tu ne te sens pas bien, tu ne te sens pas belle, tu te sens
grosse… Puis là j’ai mal au dos, ça n’a pas d’allure. J’ai une hernie que je ne
peux pas faire opérer parce que je suis trop grosse. Je suis obligée
d’emprunter des wheelchairs [chaises roulantes], puis c’est comme gênant.
On n’a les outils pour rien on dirait [U7].
3.3.4 Isolement
L’expérience de plusieurs usagers est marquée par l’isolement : faute de moyens
financiers, de transport ou d’activités, certains usagers demeurent chez eux, isolés, sans
contact et sans réseau de soutien. Cet isolement contribue à une vulnérabilité accrue :
Mais, quelque chose que je n’ai pas encore fait, c’est de me sortir. Juste me
sortir moi-même. […] Faudra que je commence éventuellement à essayer de
faire des choses de moi-même. Des fois, c’est juste… Tu ramasses le
téléphone puis tu appelles un voisin. Ou bien juste appeler une help line
[ligne d’entraide], jaser avec quelqu’un une couple de minutes, si t’as un bad
feeling [tu te sens mal], que tu te sens tout seul… [U6].
Je suis toujours dans ma chambre. Je ne sors pas [parce que je n’aime pas les
grands groupes] [U10].
Cet isolement est difficile à briser, surtout dans la mesure où la condition de santé
mentale des usagers peut avoir contribué à cet isolement et continuer à les empêcher
18
d’aller vers les autres. L’usager peut ne pas avoir l’énergie et la motivation de le faire, ou
alors craindre la stigmatisation. L’isolement fait partie d’un cercle vicieux : la maladie
mentale amène à s’isoler, puis l’isolement nuit au rétablissement. Or, la recherche sur la
résilience identifie le soutien social comme un important facteur de protection. C’est
pourquoi le CSMC-R tente d’occuper le quotidien de ses usagers à l’aide d’activités
récréatives :
Y a une couple de fois où j’ai été avec un groupe, puis on a fait un petit brin
d’ergothérapie, on a fait de l’exercice, on a parlé un petit brin de nutrition,
puis ensuite, deux ou trois fois dans l’été, ils font des sorties. Bien ça
t’apprend à voir que t’es pas la seule [U6].
Ça marche bien. Ils [le CSMC-R] nous ont organisé un tour, deux semaines
passées. On a été visiter la buffalo farm [ferme de bisons]. […] Puis dans la
même semaine, ils ont eu un tour organisé : le bateau à Cocagne. […] Ils se
dérangent, ils viennent ici pour organiser ces tours-là. On a du bon service
[AN8].
L’isolement fait donc souvent partie intégrante de l’expérience des usagers vivant avec
un problème de santé mentale. Cette absence de soutien sociale constitue un facteur de
risque pouvant ralentir ou empêcher le rétablissement. Le CSMC-R coordonne des
sorties et des activités récréatives pour permettre à ses usagers de contrer l’isolement
et l’oisiveté. Tandis que pour diverses raisons, souvent reliées à leur condition mentale,
certains usagers ne bénéficient pas de ces activités, ceux qui y participent les apprécient
et prennent conscience qu’ils ne sont pas seuls à vivre avec un problème de santé
mentale.
3.3.5 Travail
Le travail constitue un thème saillant de l’expérience des usagers et joue différents rôles
dans leurs récits. Le travail est lié de près au thème de la pauvreté : les usagers vivants
de prestations d’assurance-emploi ou d’aide sociale expriment l’anxiété générée par la
précarité financière. Dans plusieurs cas, la solution envisagée est le retour au travail. Le
retour au travail n’est pas seulement désiré pour des raisons financières cependant : il
s’agit aussi d’une porte vers une vie sociale, le remède à l’oisiveté et à l’isolement.
Cependant, selon l’état de santé des usagers, il n’est pas toujours simple de dénicher un
emploi qui convient. Le travail à temps plein demeure souvent un objectif prématuré. Le
CSMC-R joue alors un rôle important dans l’aide à la recherche d’emploi et la
préparation à l'emploi :
19
Je travaille à [l’entreprise X]. Je travaille rien que six heures puis je divide
[divise] les journées. Usually [habituellement], j’y vais deux jours par
semaine. Ah! J’aime vraiment ça! Ça fait sortir de la maison. […] Ici [dans la
communauté], ils ne veulent pas me donner une job [emploi]. Puis j’ai
demandé à [l’intervenante du CSMC-R], puis elle m’a demandé ce que je
voulais, puis elle a été voir [l’entreprise X]. [L’entreprise X] a dit oui parce
que c’est pas eux qui me payent, c’est en fait [le CSMC-R], avec un projet
qu’ils ont. […] Ça va faire deux ans que j’ai la job. Je pense que sans ça,
j’aurais peut-être pas de job aujourd’hui [U3].
Pour certains usagers, les options sont limitées. Par exemple, leur santé physique peut
restreindre l’éventail d’emplois convenables en éliminant d’office ceux qui exigent des
efforts physiques intenses ou des mouvements répétitifs. Pour d’autres, les symptômes
de troubles mentaux compliquent la tâche. Enfin, pour certains, l’énergie ou la
motivation demeure insuffisante pour envisager de manière réaliste un retour au travail.
Par ailleurs, quelle que soit la condition de l’usager, il faut pouvoir trouver un employeur
qui accepte de l’embaucher. Le fait que les employeurs sont généralement peu formés
ou préparer à accueillir des employés souffrant de problèmes de santé mentale
constitue un autre obstacle à l’embauche et au maintien en emploi des usagers du
CSMC-R.
3.3.6 Rétablissement
L’expérience de rétablissement peut être facile ou difficile, réelle ou insaisissable.
Certains usagers constatent leurs progrès, se voient remporter le combat contre la
maladie. Le rôle des services reçus au CSMC-R ressort de façon prépondérante
dans le récit de leur expérience :
Ma maladie, je trouve que ça va bien là. J’me sens pas déprimé comme
j’étais au commencement. Ma nurse [infirmière] dit que je fais du progrès.
Ah oui, je trouve que j’ai fait beaucoup de progrès. Avant, je ne pouvais plus
travailler, j’étais vraiment brûlé au bout, je ne pouvais plus rien faire [U4].
Pour d’autres, le rétablissement demeure temporaire, fragile, un équilibre
précaire atteint au terme d’efforts considérables. Encore ici, les services du CSMC-
R sont soulignés et apparaissent comme un filet de sécurité ou une bouée de
sauvetage pour les usagers; quelque chose à quoi se raccrocher pour atténuer la
crainte d’une rechute :
[L’infirmière] veut me faire comprendre que… M’apprendre à avancer au lieu
de… Comme des journées comme celle-ci des fois j’ai tendance à régresser.
20
Des fois, j’ai tendance à juste vivre dans le passé. […] On parle, elle essaie
de… Des fois, je vais assez bien, puis tout d’un coup, elle s’aperçoit que je me
sens moins bien. Puis c’est là qu’elle réalise qu’il faut faire quelque chose
avant que je rechute, parce que j’en ai eu beaucoup de rechutes à l’hôpital.
Puis elle, avec mon médecin, ils sont convaincus que je suis capable de le
faire, dans la communauté, avec les soins appropriés [U6].
Notons que l’expérience du rétablissement est souvent liée à celle de la
médication. Plusieurs inquiétudes, déceptions et frustrations vécues au cours du
processus de rétablissement dépendront des médicaments et de leurs effets,
désirés comme secondaires.
3.4 Besoins en santé mentale (objectif 4)
3.4.1 Besoin d’un système de transport en commun
Il semble maintenant évident qu’un système de transport en commun fait partie de la
discussion sur les besoins de services francophones en santé mentale dans les milieux
ruraux du Sud-est. L’absence d’un système de transport collectif fait en sorte que les
usagers, les aidants naturels, ainsi que les intervenants du CSMC-R doivent trouver le
moyen de se déplacer sur de longues distances pour que les usagers du système de
santé mentale puissent avoir accès aux soins dont ils ont besoin. Nous l’avons vu, le
manque de transport le nombre d’usagers que les intervenants peuvent servir, car ceux-
ci passent de longues heures supplémentaires sur la route. Finalement, tous nos
répondants s’entendent pour dire qu’un système de transport collectif aurait un impact
considérable sur leur expérience dans l’obtention et la prestation des services en santé
mentale. Ce système devrait être accessible à la population visée, ainsi qu’économique.
Transport en commun… C’est sûr que ça, ça aurait un impact sur nos services
[GDI1].
Ah ben non! Je ne peux pas tout le temps la conduire! [AN3].
Un shuttle [une navette], ça serait économique. Pis les personnes
essaieraient de faire leurs rendez-vous pour les mêmes dates à peu près [U6].
21
3.4.2 Besoin de ressources humaines
Comme c’est le cas pour d’autres instances, nous ressortons de cette étude que pour
répondre plus efficacement aux besoins des usagers, le CSMC-R aurait besoin de
ressources humaines additionnelles. Actuellement, le rapport usagers/intervenant se
situe aux environs de 60 usagers par intervenant. Les intervenants du centre sont
soucieux des listes d’attentes et s’entendent pour dire que davantage de ressources
humaines règleraient la situation. D’une part, on suggère l’embauche de deux
professionnels qui ne s’occuperaient que du service d’accueil :
Un système d’entrée à point unique avec deux spécialistes de l’accueil qui
font seulement de l’accueil pour tout le monde et qui ont la charge qui nous
permet de faire notre travail clinique davantage [GDI2].
D’autre part, on suggère d’enrichir la diversité du centre en ajoutant à l’équipe des
spécialistes dans certaines sphères comblant les points faibles des intervenants du
CSMC-R. De façon générale le centre aurait besoin d’un plus grand nombre de
psychologues et de travailleurs sociaux, mais plus spécifiquement, on mentionne le
besoin d’un intervenant communautaire mâle, d’un ergothérapeute, d’un
physiothérapeute, d’un économiste familial, ainsi que de spécialistes des troubles
alimentaires, des agresseurs sexuels, du syndrome d’alcoolisme fœtal et de la douleur
chronique.
J’aurais tout le temps aimé en avoir un [un intervenant communautaire
mâle] pour ces jeunes-là. Parce que tu as besoin de quelqu’un qui puisse
relater [avoir un rapport]. Tu sais, comme un role model [modèle]. Ça j’ai
toujours trouvé que ça manquait [GDI3].
3.4.3 Besoin de ressources communautaires
Le besoin de ressources communautaires additionnelles transparaît de manière
évidente des entretiens conduits dans le cadre de cette étude. De plus, il est évident
que le manque de ressources affecte tous les acteurs impliqués dans la prestation des
services de santé mentale. Premièrement, chez les intervenants, on voit un valeureux
effort pour combler cette carence de ressources dans leur communauté. Les
intervenants du CSMC-R s’acharnent, bien au-delà de leurs fonctions, pour combler les
22
besoins insatisfaits au sein de leur communauté, mais il arrive que leurs efforts, ainsi
que leurs bonnes intentions, ne suffisent pas :
Big Brothers/Big Sisters [Grands frères et grandes sœurs-GFGSC], on a essayé
de le monter. Ils [GFGSC] étaient prêts à venir nous aider, mais la
communauté n’a pas embarqué. Mais en même temps, le vouloir politique
ou le vouloir des plus hauts n’était pas là non plus [GDI3].
Le centre famille à Moncton [Centre de ressources familiales du Grand
Moncton], je les ai appelés. Je leur ai dit, peut-on faire une réplique de ça ici?
Ben, ça tombé à l’eau [GDI3].
Le « Voyage de l’espoir », qui est pour les personnes qui restent avec les
personnes qui ont des problèmes de santé mentale, qui vivent avec eux, a
comme tombé à l’eau. Il n’existe plus comme tel. Elle [intervenante] a fait ce
programme là pour des années, puis là, ils ont comme changé ça, mais ça n’a
jamais pris. Ça, c’est un besoin [GDI3].
Chez les usagers, on remarque clairement un manque de stimulation et de
divertissement. Comme le souligne une intervenante, les jeunes du comté de Kent ont
besoin d’un centre de jeunesse où ils pourront se rassembler en soirée et les fins de
semaines pour des activités saines. Plusieurs participants à cette étude expriment
l’importance qu’auraient des groupes de soutien, des ateliers, bref, des activités
favorisant la socialisation des usagers :
Parce qu’il faut que tu les occupes! Il faut qu’ils soient occupés, il faut qu’ils
aient une valorisation en quelque part comme n’importe qui d’autre. Pis ça,
ça c’est une lacune incroyable [AN4].
Il ne sait plus quoi faire de lui! Je sais, il y a un affaire, il est trop pris [isolé] à
la maison pour l’âge qu’il a. S’il y aurait de quoi qu’il pourrait… Plus
d’activités, de sorties… À c’t’heure [maintenant], il trouve le temps long
[AN5].
Il y a des choses que je peux faire pour améliorer mon sort, puis, ce n’est pas
tout le temps de courir à la clinique. Si j’allais à un groupe, qui serait organisé
avec un shuttle [une navette] là, on dirait « Ok, cet après-midi on va se
rencontrer en quelque part puis on fait de quoi ensemble». On fait un souper
23
Potluck [repas-partage]. Je pourrais commencer à faire un p’tit brin [un petit
peu] de socializing [socialisation] [U6].
Notons toutefois que les ressources communautaires se doivent d’être pertinentes pour
la population desservie. Ceci pourrait s’avérer un défi pour une petite communauté
comme celle du Sud-est, surtout lorsqu’elle tente de servir une large portion de la
population. Une aidante naturelle souligne l’importance de ressources et de services
appropriés pour les usagers :
Il va au centre de jour, il dit que c’est plus du vieux monde [personnes âgées]
qui sont là. Je sais qu’il n’aime pas ça. Pis là, ils veulent l’envoyer où sont les
handicapés à Cap-Pelé. J’ai dit : « Nope » [non]. Je n’ai pas voulu. Il n’est pas
de même lui. Il peut se débrouiller [AN1].
Chez les aidants naturels, on remarque un effet pervers double. D’une part, les lacunes
de leur communauté font en sorte qu’ils doivent subvenir aux besoins non comblés de
la personne dont ils sont responsables. D’autre part, si la communauté offre peu de
services aux usagers du système de santé mentale, elle en met encore moins à la
disposition des aidants naturels. Certains d’eux se retrouvent donc devant des situations
qui les dépassent, ou qu’ils comprennent mal, d’autres, sans répit en vue, s’épuisent
tout simplement. Les aidants naturels de cette région ont besoin de programmes de
formation et d’appui pour les aider à exécuter leur travail de façon saine.
Moi c’est du repos [dont j’ai besoin]. Tu [l’aidant naturel] fais tout. C’est
comme Mr. Mom [Monsieur Maman] puis tout. Plus! Puis ce n’est pas que je
n’aime pas de faire ça. Après un bout, ça vient que tu es épuisé à mort [AN6].
Puis des fois nous autres [propriétaire du foyer], il y a des choses dont on
n’est pas certain. Comme au point de vu de médicaments ou au point de vu
de maladies [AN2].
Qu’est-ce qui se passe, moi je ne suis pas trop au courant de ça. Parce qu’ils
ont dit « il a cette maladie-là », mais cette maladie-là, moi, je ne sais pas
qu’est-ce que… C’est quoi? […] S’il y a quelque chose qui se passe avec lui, je
pourrais comprendre [si j’étais informé sur sa maladie]… Moi, je n’ai rien
entendu parler de ça. Ils ont dit « c’est ça la maladie qu’il a » … [AN5].
24
3.4.4 Besoin d’emplois adaptés aux usagers
Dans cette étude, on remarque que les usagers du système de santé mentale s’ennuient
et qu’ils désirent occuper leurs journées avec quelque chose de productif. Par le passé,
plusieurs ont fait des démarches pour se trouver un emploi à temps partiel. Certains ont
eu d’agréables expériences, mais pour la plupart c’était le cas contraire. Le Sud-est a
besoin d’un programme fournissant aux usagers du système de santé mentale l’accès à
un travail valorisant et adapté à leurs besoins :
On a eu de la difficulté. Ce n’est pas tout le monde veulent les engager [AN8].
Des p’tites jobs même pour quelques heures par jour. Il aime ça! Tu sais, ça le
motive, ça lui donne un petit peu d’argent aussi [AN2].
3.4.5 Besoins additionnels soulignés par les intervenants
En raison de la spécificité de l’expertise requise pour les identifier, certains besoins de la
région ne sont repérés que par les membres du personnel du CSMC-R. En premier lieu,
on identifie un manque sur le plan de la promotion de la santé mentale et de la
prévention :
Bien, en termes de travail de prévention, en tout cas, je parle pour moi là, on
n’en fait pas… on n’en fait pratiquement pas [GDI].
On rapporte aussi le besoin de formations liées à l’épanouissement personnel et au
développement personnel des employés du CSMC-R. La formation qu’ils reçoivent est
très minime et déterminée par l’employeur. Les intervenants rapportent qu’ils
souhaitent suivre de la formation, mais pas seulement des formations techniques
[GDI1] :
C’est nous autres l’outil. Et je n’ai jamais vu quelqu’un scier avec une scie
dont les dents ne sont pas limées. Il faut prendre soin des employés, et la
formation personnelle, c’est important [GDI3].
Parallèlement, on mentionne comment des rencontres informelles en début de journée
étaient profitables aux membres de l’équipe. Ceux qui le désiraient (ce n’était pas
obligatoire) pouvaient se rencontrer avant de débuter la journée. Certains en profitaient
pour déjeuner, mais c’était principalement un temps de discussion et d’échanges, un
25
moment de connexion avec les membres de l’équipe. Ce temps permettait aux
intervenants de décompresser. Ils rapportent que, bien que ces temps de rencontres
aient été coupés, les discussions ont toujours lieu, mais elles se font plus discrètement
[GDI3].
4. Conclusion Ce projet visait l’atteinte de quatre objectifs : a) documenter l’accessibilité aux services
francophones en santé mentale dans les régions ciblées, b) identifier la nature des
interventions effectuées, c) documenter l’expérience vécue par les usagers de ces
services et d) identifier les besoins des différents acteurs.
4.1 Accès aux services francophones
La prestation de services en français semble être la norme au CSMC-R et aucune des
personnes consultées n’a affirmé avoir des difficultés à être servie en français. Les
intervenants du CSMC-R sont tous francophones et leur langue de travail est le français.
Cependant, l’accès géographique aux services, lui, constitue un défi. L’absence de
transports en commun dans la région et les grandes distances à parcourir amènent
souvent le CSMC-R à offrir ses services à domicile. Or, cette solution est coûteuse, en
temps comme en argent.
Nous proposons deux pistes de réflexions :
i) Est-il possible de mettre sur pied un service de navette qui pourrait faire
appel au bénévolat de membres de la communauté? Même en remboursant
les frais de déplacement, ce service demeurerait probablement moins
onéreux que la situation actuelle, où le personnel du CSMC-R se déplace et
conduit parfois ses usagers à leurs rendez-vous.
ii) Dans quelle mesure peut-on mettre à profit la télémédecine? Certaines
consultations peuvent-elle être effectuées de cette façon au lieu de déplacer
un intervenant?
26
4.2 Nature des interventions et services
Les interventions du CSMC-R sont à la fois variées et flexibles, ce qui constitue à la fois
une force et une faiblesse, au sens où il existe un risque de surtaxer les intervenants.
Toutefois, les répondants font remarquer une pénurie de services communautaires, qui
entretient l’isolement et l’oisiveté chez les usagers. Parmi les difficultés vécues par ceux-
ci, la gestion de la médication représente sans doute le plus grand défi. Les usagers
expriment le besoin d’être mieux informés et suivis quant à leurs médicaments et leurs
effets secondaires.
Ici encore, nous suggérons deux pistes de réflexion :
iii) La télémédecine peut-elle jouer un rôle sur ce plan également?
iv) Est-il envisageable d’offrir une ressource en ligne ou téléphonique (App, par
exemple) à l’aide de laquelle les usagers pourraient aisément avoir accès à de
l’information sur leurs médicaments? (Le site Web de la Clinique Mayo
constitue un exemple d’une telle ressource.)
4.3 Expérience des usagers
L’expérience des usagers avec les services du CSMC-R est majoritairement positive et le
niveau de satisfaction est élevé. Par contre, les caractéristiques de la population et du
milieu génèrent certains défis. La combinaison de la pauvreté, de l’absence de
transports en commun et de la rareté des ressources communautaires entraîne
l’oisiveté et l’isolement chez les usagers, conditions non propices au rétablissement.
Cependant, le CSMC-R propose des activités sociales et récréatives pour contrer ce
problème. Il semble toutefois y avoir un risque de surmenage, tant pour les intervenants
que pour les aidants naturels, pour qui il n’existe aucun service de soutien. La difficulté à
trouver et maintenir un emploi adapté dans un environnement permettant leur
rétablissement est également mentionnée fréquemment par les usagers. Ici encore,
l’aide du CSMC-R est hautement appréciée, mais ne suffit pas à la tâche.
Deux pistes de réflexions nous apparaissent ici :
27
v) Peut-on prévoir un service d’aide à l’emploi qui, en plus d’aider les usagers à
trouver du travail, offrirait des formations aux employeurs sur les meilleures
pratiques avec des employés ayant des problèmes de santé mentale?
vi) Serait-il approprié de créer un groupe d’entraide et de soutien pour les
aidants naturels? En plus de rencontres en personne et de soutien
téléphonique, ce groupe pourrait innover en faisant appel aux médias
sociaux (Facebook, Twitter, etc.).
4.4 Autres besoins
Outre les besoins déjà mentionnés (transport en commun, aide avec la médication,
activités récréatives, emplois adaptés, etc.), il semble exister un besoin pour des
ressources humaines supplémentaires au CSMC-R, surtout si les défis mentionnés plus
haut demeurent. Tous ces besoins ne sont pas uniques au sud-est du Nouveau-
Brunswick : plutôt, ils répliquent ceux observés par la plupart des études sur les services
de santé mentale en milieu rural. C’est dire que ces obstacles ne sont pas aisément
surmontés.
Plusieurs approches novatrices, notamment celles basées sur l’approche de traitement
communautaire dynamique (ACT: assertive community treatment) ou ses variantes, ont
été testées avec succès en milieu rural (Bak et al., 2007; Husted, Wentler et Bursell,
1994; Meyer et Morrissey, 2007; Van Veldhuizen, 2007). Ces approches, qui misent sur
un suivi intensif, une flexibilité des services et une démarche visant le rétablissement et
l’autonomisation des usagers, gagneraient donc à être étudiées plus en profondeur pour
une possible implantation au Nouveau-Brunswick.
28
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29
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30
Annexe 1 Données administratives : analyse rétrospective
Le projet initial comprenait l’obtention de données administratives sur les usagers du
Centre de santé mentale communautaire de Richibucto (CSMC-R). Toutefois, en raison
du cumul de circonstances hors du contrôle des chercheurs, il s’est avéré impossible de
les obtenir à temps pour le présent rapport. Dans cette section, nous désirons fournir
une brève analyse de ces circonstances et des leçons apprises au cours du processus.
Dans le cadre du projet At Home | Chez soi, une rencontre avait eu lieu à l’été 2009
entre les chercheurs principaux du site de Moncton (T. Aubry et J. Bourque), la
coordonnatrice de site (C. Bradshaw) ainsi que des représentants de la direction de
l'information et de la protection des renseignements personnels du ministère de la
Santé et des deux réseaux de santé. La rencontre avait été facilitée par J. Estey, de la
direction des services de santé mentale et de traitement des dépendances du ministère
de la Santé du Nouveau-Brunswick. Au terme de cette rencontre, l’équipe du projet At
Home | Chez soi croyait (à tort) détenir une entente de partage de données avec les
trois instances rencontrées. C’est pourquoi l’accès aux données administratives avait été
inclus dans la demande présentée au CNFS en 2010.
Le suivi à cette rencontre s’est toutefois avéré inégal selon les instances : si le réseau de
santé Horizon a porté la demande à travers son processus d’approbation éthique, ce ne
fut pas le cas du réseau Vitalité. Dans les trois cas (ministère et deux réseaux), aucune
démarche subséquente n’a été entreprise pour évaluer les documents remis par les
chercheurs en 2009 dans l’optique d’une entente de partage de données
administratives. Il s’agirait ici en partie d’un manque de communication, et en partie de
roulement de personnel, parmi les personnes qui occupaient les postes de direction de
l'information et de la protection des renseignements personnels. Ainsi, aucun document
écrit (sauf l’approbation éthique du réseau Horizon) n’a suivi la rencontre pour
confirmer qu’une entente avait eu lieu. Ce fait à lui seul aurait dû semer la puce à
l’oreille des chercheurs, mais ceux-ci, entraînés par l’effervescence du début du projet
Chez soi, n’ont pris conscience de cette anomalie que plus tard. Dans l’intervalle, deux
des trois personnes rencontrées avaient été remplacées et les nouvelles personnes en
poste à la direction de l'information et de la protection des renseignements personnels
n’avaient pas été informées du projet.
À ce stade du projet (2009-2010), les chercheurs, n’ayant pas encore eu à soumettre de
requête pour l’obtention de données administratives, croient toujours qu’ils disposent
d’une entente en bonne et due forme, que des documents viendront sans doute
confirmer plus tard. C’est à cette époque que les efforts pour circonscrire la situation de
31
la prestation de services de santé mentale en milieu rural au Nouveau-Brunswick
révèlent que peu d’information est disponible à ce sujet. Ce constat mène à
l’élaboration du projet soumis en 2010 au CNFS et qui fait l’objet du présent rapport.
Entre le moment où le projet est soumis et celui où le financement est obtenu, la
directrice du CSMC-R (P. Clark) quitte ses fonctions. Il faudra attendre la fin de l’été
2010 pour qu’elle soit remplacée (par M.-J. Fortin). La première rencontre visant à
présenter le projet à la nouvelle directrice et à s’assurer de sa collaboration ne pourra
finalement avoir lieu qu’en octobre 2010. Sept mois se sont déjà écoulés sans que le
projet n’ait pu avancer. La durée initialement prévue du projet est de 12 mois.
Suite à l’obtention de garanties de collaboration de la part de M.-J. Fortin, les
chercheurs entament les démarches d’accès aux données administratives, d’abord
auprès de M.-J. Fortin, qui les dirige vers d’autres instances. Au cours des douze mois
qui suivront (de novembre 2010 à novembre 2011), l’équipe de recherche est référée
tour à tour à divers services, aucun d’entre eux ne semblant connaître le processus à
suivre pour en arriver à une entente de partage des données. La période estivale, avec
les vacances des différents acteurs impliqués, ralentit considérablement le processus.
À l’automne 2011, alors que les démarches tournent visiblement en rond, S. Martin, du
ministère de la Santé, décide d’organiser une téléconférence réunissant à nouveau le
ministère et les deux réseaux de santé. Les responsables des comités d’éthique en
recherche des deux réseaux, les représentants de la direction de l'information et de la
protection des renseignements personnels du ministère de la Santé et des deux réseaux
de santé et divers représentants de ces organismes rencontrent donc le chercheur
principal (J. Bourque) pour ce qui s’avère plus ou moins une reprise de la rencontre de
l’été 2009, mais entre de nouveaux interlocuteurs, la plupart des personnes présentes
n’étant pas en poste en 2009. De cette rencontre, il ressort que 1) l’approbation éthique
du réseau Vitalité n’a jamais été obtenue par l’équipe de recherche et 2) qu’aucune
démarche n’avait été entreprise par les représentants du ministère et des deux réseaux
suite à la rencontre de 2009 en vue d’une entente de partage des données
administratives. Une personne par instance (ministère et réseaux) est nommée comme
point de contact avec le chercheur afin d’effectuer le suivi du dossier.
D’octobre 2011 à février 2012, le chercheur dépose la demande d’approbation éthique
au réseau Vitalité (approbation reçue le 4 novembre 2011) et communique avec les
personnes identifiées afin de clarifier les étapes de la démarche de négociation d’une
entente de partage de données. Une première rencontre à Fredericton avec des
représentants du ministère de la Santé en janvier 2012 mène à l’organisation d’une
seconde rencontre en février et à une première ronde de communication avec les deux
32
réseaux de santé. Après une première rencontre téléphonique avec la personne-
ressource du réseau Vitalité, cette personne, responsable du dossier depuis 2009, prend
conscience que ce dossier ne relève en fait pas de ses fonctions. Le chercheur est alors
contacté, en février 2012, par une nouvelle personne, avec qui il doit reprendre le
dossier du début. La discussion avec le réseau Horizon n’a pas connu de suites non plus
en date de la rédaction de ce rapport. En ce qui a trait au ministère, après la rencontre
du 6 février 2012, il a été convenu que l’information fournie par l’équipe de recherche à
l’égard de la sécurité informatique des données était insuffisante et qu’une
téléconférence entre le personnel de la direction de l'information et de la protection des
renseignements personnels, le responsable de la sécurité informatique de l’Université
de Moncton, le responsable de la sécurité informatique chez HealthDiary Inc. (la
compagnie chargée de la gestion des données pour le projet At Home | Chez soi) et le
chercheur était nécessaire avant de procéder plus loin. Après vérification, il s’avère que
le responsable de la sécurité informatique chez HealthDiary est en vacances jusqu’au 21
février. À cette date, compte tenu des délais requis pour 1) la bonification de la
demande de partage de données, 2) l’étude de cette demande par les représentants de
la direction de l'information et de la protection des renseignements personnels, 3)
l’étude des recommandations de ces représentants par le propriétaire des données, 4)
la communication des données au chercheur, 5) l’analyse des données et 6) la rédaction
du rapport (on estime à six mois le délai entre le dépôt de la demande et l’accès aux
données, en supposant que la demande soit acceptée telle quelle), le chercheur décide
d’abandonner la requête.
Cet épisode décevant résulte à la fois de causes internes et externes au processus de
recherche. D’abord, il peut être reproché à l’équipe de recherche de ne pas avoir
consigné et confirmé par écrit le résultat de toutes les rencontres et de tous les
engagements oraux établis avec de tierces parties. Si cette démarche avait été effectuée
systématiquement dès les premières phases du projet, le fait que la rencontre de 2009
n’avait pas abouti en une entente formelle aurait été connu beaucoup plus rapidement.
Il aurait alors été possible de remédier à la situation dans des délais acceptables. De
façon générale, la communication entre l’équipe de recherche et les diverses instances
impliquées dans le processus d’obtention des données administratives s’est avéré trop
sporadique et fragmentée : non seulement les communications écrites n’étaient pas
régulières, mais les suivis étaient souvent espacés et dirigés vers différents
interlocuteurs (généralement par la force des choses, toutefois).
Enfin, il semble que les instances ministérielles aient une expérience limitée du partage
de données non pas entre juridictions ou programmes gouvernementaux, mais avec des
chercheurs. Le renvoi du chercheur d’un interlocuteur à un autre durant plus d’un an
33
témoigne probablement d’un protocole qui n’est pas connu à tous les échelons du
gouvernement. Qui plus est, ce protocole, s’il convient probablement à l’établissement
d’ententes entre ministères, pourrait être jugé peu adapté aux réalités des
établissements de recherche, dont les exigences en matière de sécurité informatique ne
sont pas les mêmes. Cela nous paraît malheureux au regard de la valeur ajoutée que
constituerait l’accès aux données administratives à des fins de recherche sur la
pertinence, la rigueur et la fiabilité des données. Une réflexion s’impose sur
l’accessibilité réelle aux données pour des chercheurs externes et sur la lourdeur du
processus menant à une entente de partage des données.