-
Un soleil presque bril lant venait de se leveravec un jour que les Parisiens sal uent avec unreste d’ insouciante gaîté , e t midi n
’avait pointencore sonné qu ’à chaque coin de rue uninévitable garde municipal semblait annoncer , par sa présence , qu
’ i l passerait une fouleT. r. 1
-
2 M E L C H IO R .
de masques sur les boulevar ts . Cependant,la
tr iste e t r idicule folie de se parer d ’or ipeauxde couvri r sa figure d ’un masque infec t
,de
mouches et de carmin commençait à tombertout - à -fai t en désuétude
,et il n ’ était déjà plu s
permis qu ’à la mauvaise compagni e ou à laprem iere Jeunesse de s e faire ridicule pouramuser les autres . Au ss i cette jeunesse insoucieuse qui tenai t impérieusement au droitde célébrer l e mardi gras en plein vent
,s ’y
l ivrait ave c toute la joie délirante e t cynique,
quunsp ire assez souvent aux gens raisonnablesqui en sont témoins plus de dégoût
,que de
sympathie .Une calèche a ttelée de quatre chevaux
b lancs chargée de posti llons de Longjumeau , de ba tehere s , etc e tc et condui teà la Daumont , par d
’
élégans j ocke is qui chancelaien t sur leu rs montures
,étai t arrêtée par
la file devan t le café Anglais ; l’équipage était
l este , soigné bri llant ; les costumes d'une
0 Aexcess ive fra icheu r , et ceux qui les portaient,
-
MELCH IOR 3
au milieu de leurs désor dres de tous genres,
conservaient,l es hommes surtout
,une sorte
de dist inctmn et d’hab i tude s aris tocratiques .M ais ce n ’ étai t poin t seulement la fa shiona
b i lité et la recherche de cette voiture qui attirait l ’a ttent ion
,elle se fixa i t principalement sur
un j eune homme d ’une tai lle élevée , dont le sformes étaient exactement accusées par unriche costume calabrais . L a fidélité de ce costume étonnait moins encore que la figurebelle et réguhe re de celui qui le portai tl’expression en éta it si attachante que le s r egards ne pouvaien t s
’
en détourner . La couleurtranchée de la plume qui o rna it son haut feutregris chargé de rubans , e t retombai t avec unemajestueuse fierté sur son épaule , prêtait à se syeux un merveilleux éclat . Ces yeux d ’un noirde j ais eûs sent é té peut- être efl’rayans de v ivacité
,s i de longs cil s touflus et fins comme de la
soie n ’ en avaient tempéré l ’éclat .C ontre l’habitude de ceux qui se déguisent ,
l e Calabrais n ’avai t point sal i sa figure de
-
MELC H IOR .
rouge ; elle étai t fort pâle au contraire , e t sansl e v if incarnat de ses lèvres presque t rop pro .
noneée s on eût pu trouver qu ’elle manquaitd ’animation . Des pistole ts ri chement montésso rta ient à dem i d ’une ceinture de pourpre ;m ais ce qu ’ i l y avait de plus remarquable danscelui qui étai t revêtu de ce r iche costume , c
’est
qu’
i l ne semblai t point déguisé pour une fête .Debout
,au milieu de la cal èche arrêtée , le
Calabrais promenait ses regards ennuyés e tr êveurs
,de la foulepressée sur les boulevar ts ,
aux fenêtres garnies de femmes e t ne paraissai t nullement partager la joie tumultueusede ses compagnons de plaisi rs .Tout à C oup sa figure s ’éc la ira d ’un souri re ,
e t sans attendre qu ’on lu i ouvr it la port iere,
i l santa légérement par— dessus une de s rouesde devant et entra dans la barr iere qui règn edevan t le café Anglais . Vainement une desbatelières le rappela - t - elle
,en l ’ave r ti ssant
que la calèche se remettait en marche , le C alabrais ne l
’
entendit pas,ou feignit de ne pas
-
ma caron. 5
l ’ entendre,et s ’asseyant à une table où un
jeune homme étai t déjà placé,i l tourna l e dos
au boule va r t , comme s’ i l étai t las de l ’ attention
qui s ’a ttacha it à lui .Qu’e s - tu devenu depuis t rois j0urs , li a
phael , demanda—t- i l aprés avoi r vidé une e arafe d’eau qui se trouvait devant lu i ? J ’ai envoyé chez toi chaque matin , ne pouvant yaller moi —même
,en est toujours venu me dire
que tu n’y étai s pas .
Je ne su is en effet de retour à Paris quedepuis deux heures , répondit R apheal , j e dési ra is v ivemen t te voir , mais où te t rouverdurant ces jours de fêtes et de folies .
Est o ce que tu n ’ as pas été , est—ceq’
ue tun iras pas une seule fois au bal ? d i t le Calabraisen demandant une seconde carafe d ’eau .R aphael secoua la tête e t fixa un tris te e t
profond regard sur son ami .Tu me prends en pitié , n
’
est-cc pas,e t
ma vie inutile e t débauchée fait honte à tonami tié ? Tu as rai son , j e ne sa is quel mauvais
-
6 M ELCH IOR .
génie m e pousse à accepter de s engagemensqui m ’ennuien t mortellement Cependantqueveux - tu
,R aphael
, j e ne sai s pas res ter seul , j em e sens méconten t de moi , e t j e m e fuis avectant de soin que la plus mauvaise compagniem e paraît préférable à la mienne . Je n’aimeque toi
,toi seul m e conviens , mais ton exis
t enee e st s i différente de cel le queje mèneElle doit l ’ être
,répondit R aphael
,j e n’ai
d’
autre s îr e ssour ce s que celles que m e procuremon travail . H eureusement j ’aime peu l emonde e t
,sans te blâmer
,j e t ’avoue que je ne
comprends pas, M elchior , le charme que tu
peux trouver dans la vie que tu m êmes .Du charme ! interrompit assez déda i
gneusem ent M elchior , je ne pensai s pas quetu m e crusses assez se t pour en chercher là .En parlant ainsi
,11 j eta négligemment le
chapeau qui cou vrait sa tête,e t son front parut
aux yeux de R aphael chargé de nuages,d ’en
nuis e t de larges rides .— Tu ne
_parais pas content
,reprit son
-
MELCH IOR . 7
ami, e t l
’expression de ta physionomie n ’estguère d’ac cord avec ton habit de fête .
Le diable emporte l ’habit de carnavale t les femmes .Raphael laissa échapper un sourire .Ton sourire de raillerie m e déplairai t
singul ièrement sur la bouche d ’ un autre,con
tinua M elchior . Tu sais que je ne sui s pas trèspatient .
- Je sai s que tu te lai sses facilement dominer par ta violence , mais j e sai s aussi qu ’enyréfléchissant , tu sais di s tinguer l
’expressi on del ’amitié d’avec celle de la moquerie . Je sourisde ton découragement que j ’ai vu tant de foi scéder à une nouvelle distraction . Tu m audis lecarnaval
,e t personne , j
’
en suis sûr,n ’y a fait
tant de folies que toi . Tu maudis ton habit,
et que de soins et d’étude n ’a s — tu pas appo rtés
,
j ’en su is cer tain , pour qu’ i l soit auss i fidèle
ment magnifique . Quant à tes maîtresses, j e
ne sais pas si tu les aimes réellement , mais tusais les poursu ivre avec ardeur si tu les aban
-
8 MELC HIOR .
donnes avec nonchalancc . Jaloux comme unpacha
,généreux comme un fou , tuot
’
e s faitl’ idole de ces créatures qui attirent les regardse t attristent l ’âme
En véri té ! s e cr ia M elchior , j e ne sais
pa s pourquo i elles m’
a ime ra ien t ; mais qu 1mporte ! à cel les à qui j e m
’adresse il ne faut quedes fêtes, que des plais i rs , que des parures ,e t mon cœur n ’entre pour rien dans ce que jel eur accorde .
Je me plai s cependant à te croire sensible
,dit Raphael , en fixan t ses yeux limpides
et deux sur ceux de son ami .Je puis le penser mieux qu ’ un autre
,moi
que tu as défendu , avec qui tu as voulu tou tpartager en me trouvant pauvre e t malade .
Je t ’aime toi , R aphael , j e t’aime
,e tmal
heur à qui t ’offenscra i t ! Quant à l ’amitié subite que je t ’ai montrée , elle a tenu à moncaractère qui ne peut supporter l ’ombre del ’ injustice . La prem iere foi s que je te vi s , j
’
é
tais avee deux ou trois fous comme moi au
-
ma ca ron. 9
balcon de l ’O péra . Après avoi r regardé toutesces femmes parées , qui viennent là s e faireadmirer à jour fixe , mes yeux retombèrent eusuite sur le parterre . Je remarquai ta têteblonde e t j eune
,fixée sur la scène
,avec un
intérêt que j e ne porte plus au spectacle ,moi déjà s i u sé pour les plaisi rs de ce genre .Dans l ’ entr ’ac te tu sortis , quand tu voulusrentrer on avai t rejeté ton gant que j e t
’ avaisvu déposer avec soin ; on le disputa ta place
que tu défendis avec une nie déra t ion qui s’ al
l iai t à la fermeté . M ais l e s lâches se mirent dixcontre toi
, j e senti s l’ indignation rougir mon
front,e t sans balancer je fûs à tes côt és .Exce llent ami !
— N o me loue pas R aphael , ce que je fa isais pour toi
,j e l ’aurais fai t pour tout autre
homme qu ’on aurait essayé de vexer en maprésence .
— C’est possible ; cependant quand j e fusmalade toi si avide de plaisirs , t u ne manquas
pas un j our de venir me voir . Tum’
entouras
-
10 MELCH IOR
de soins,tu n epa rgna s rien pour me sauver .
Je défendai s mon bien à la mort , interrompit M elchior
,tout insensé que j e suis , j e
'
savais bi en que tu m’
a ima i s , et ce n’ est point
auprès de ceux qui courent l e s fêtes avec moi ,
que j’
eus cherché un ami . Tiens , s i tu le veux ,j e vais t ’en donner la preuve ils sont éloignés ,
j e _ vais aller qu i tter ce r idi cule dégui sement ,nous passerons le reste du jour ensemble .
Bien des fers j e t’ai vu former un s em
blabl e proj et , observa R aphael en secouant latête
,et jamais
Il fut interrompu pa r le nom de M elchiorprononcé ou plutôt crié par plusieurs voiximpatientes e t joyeu ses . La calèche était revenue sur SC S paS .
J e vais leur déclarer qu rls m e lassen t
que j e veux être libre s’
éc r ia M elchior ensortan t sans reprendre son chapeau .
M ais cette résolution ne t int pas plus que ‘
d ’ autres de ce genre qu ’ i l avait tant de fors r
-
BIE L C H IO R 11
formées . R aphael ne s ’en étonna point , e t sansattendre que M elchior lu i demandât son chapeau i l l e lui tendit .
Je te jure,dit M elchior en le prenant , que
j ’aimerais cent fois mieux rester avec toi , maisce fat de Dor sa in avai t déjà pris m a placeauprès d ’Al ine et se vantai t j ’en sui sR aphael le salua de la main et s e loigna sansondre .
-
L e temps qui était re stémagnifique toute lamatinée
,se corre vers le soir de nuages noirs
et épais qui se fondirent tout à coup dans de storrens de pl uie . Elle tombait avec un bruitmonotone et continuel qui s ’un issa i t à celui
que M elchior produi sai t sur le parquet de sachambre qu’ i l arpentai t avec une sombre et
-
14 MELCH IOR
viol ente agitation . Le costume si frais qu 11avai t revêtu le matin
,était j eté sur un meuble ,
ains i que le feutre gr is dont les rubans etla plume mouillés attestai ent la négligence oula précipitation avec laquelle on les a vaitexposés à la nluie .Ce désordre était tr istement éclairé par une
seule bougre dont la lueur s e réfléta it sur lafigure al térée de M elchior .
— M a mère ma mère ! répétait—i l avec au
go i sse ; vous r e trcuv era i — j e ? S i cet insolent deDor sain allait m e blesser . C e n e serait rienqu ’ i l me tuât ; mais m
’empêcher d ’aller recevoir la bénédiction de ma mère
,de lu i de
mander son pardon,vivre e t la laisser mouri r
sans recevoir son dernier baiser .Abattu par sa torture morale e t se s fatigues
phys iques , M elch ior tomba enfin sur un fauteu il i l y resta long - temps dans une apathique immobilité
,cen t fois plus pénible que
l ’agi tation ; dans un te l accablement , la douleur qui semble extérieuremen t s ’ être calmée
,
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16 MELCH IO R
t inuel lcmcnt pleuré , e t pui s à côté de’
celleimage chérie appararssart celle d
’un hommed ’une figure impassible e t sévère dont la voixhaute e t métall ique se mêlai t au bruit de lapluie . Le réel alors se confondait avec le fantastique , e t M e lch ior ne savait plus distinguerl’
un de l ’autre .Il étai t en core affaissé sous cette fatigante
v i sion , quand la porte de sa chambre s’
ouvr it
vivement e t lu i fi t qui tter son fauteuil enpoussant un sanglot .
M onDi e u ! que t’
e s t—i l donc arrivé ? s ’écria en entrant Raphael dont le s habitsimprégnés d’ eau attestaient à la fois l ’ inquiétude e t l ’empressem ent .
C e que j’ai , j e souffre ; mais dis - moi
d ’abord M . Galeozz i est - i l déjà arr ivé .TonCet homme n ’es t pas mon père , tu le
sai s bienL
’
a ttends - t u ?—Je te dis qu’il va venir. Et encore une fois ,
-
ma caron 17
nous allons recommencer nos violentes diseussions .
M elchior,revi ens à toi , apprends
M a mère se meurt ! s ’écria M elchioren couvrant ses yeux de s es ma ins Cri spées ; eti l retomba anéanti sur son fauteui l .R aphael prit la tête de son ami sur sapoitr ine
et la garda long— temps , avec cette touchantesollici tude que l
’amitié semble emprunter àla tendresse maternelle . M elchior pleura alorsamèrement . Cette secretion de la douleur lesoulagea ; mais bientôt revenu à la hauteurviolente de son caractère i l eu t comme unesorte de honte de s ’être lai ssé dominer par lafaiblesse ; i l quitta la poitrine de son ami , e ssaya de reprendre de la fermeté et secouant sachevelure en désordre i l parcourut sa chambre à grands pas . R aphael garda le silencesans cesser de s ’occuper de lu i , i l ranimale feu presque éteint e t connai ssan t 1 impress ionnab i li té de son am i aux choses extérieures ,
T. I. 2
-
18 ma ca ron.
i l fit disparaî tre adroitement le déguisementqu ’avai t porté M elchior éclaira davantagel ’appartement
,et le prenan t doucement par le
bras,i l le conduisi t vers un fauteuil et se plaça
près de lui .Excellent ami ! murmura M elchior je te
r etrouve toujours au moment du chagrin , j’
ai
beau te négli ge r tu ne m ’abandonne s j amais
Puisque tu m e regardes comme ton vér itable ami
,interrompit R apheal confie moi
donc ce que tu vas fai re .Partir demain ; t iens , l i s cette lettre de
Flavie .Flavie ta cousine
, j e croisOui j e t
’
en ai peu parlé ma v ie,depui s
que j e te connais a été si follement occupéeinsensé que j e sui sR aphael lut la lettre tout hau t pour tâche r
de changer les réflexions de M elchior i l préféra it le ramener à la douleur à le voir abattu
par le remords .
-
ma caron. 19
La lettre de Flavie étai t courte elle enga
geai t M elchior à partir à l’ instant même
elle ne lu i cachai t pas que l’état de sa mère
semblait dangereux . E lle ajoutait que M . Galeozz i étai t attendu de jour en j our mais
, que
comme de coutume,on ignorai t le moment
précis de son arrivée .Cette lettre écrite avec une extrême sensi
bil ité ne contena i t c ependant aucune expression exagérée de douleur c ’était précisémentce qui lui donnai t une couleur de vérité touchante qui pla t à Raphael .
- Ta cousine ne t ’ête poin t tout espoirdit- i l d ’un ton consolant ; i l n
’est pas question que ton beau— père vienne à Paris pourquoi te montres —tu donc tellement effrayé
Tu as raison de parle r*
a insi , parce quetu ne sais pas que ma pauvre mère souffre depuis bien long— temps . Quant à la crainte devoir i ci M . Galeozzr j e conviens qu
’elle ne
tient qu ’à un état d ’exc itation nerveuse a rr
quel j e suis en proie depuis quelques mors .
-
20 MELCH IOR .
J ’ai re ç u cette lettre en rentran t i ci pour prendre de l ’argent le dernier qui m e reste jugequel effet elle a dû produire sur moi ; je nem
’
occupa i s que de plai si rs , tandis que mam ère souffrart , qu
’elle meurt peut Ah !R aphael que tu dois m e méprise r .
Je te plains mon pauvre ami car depui s un an que j e te connais je n e t
’ai jamaisvu véri tablemen t heureux et tu condamnest ‘r0p sincèrement te s erreurs pour que j en
’
e s'
père pas qu’ elles seront les de rm e re s .
Tu parsJe serais deja en route , s i j e ne me battais
au point du j ourUn duel ! s ceria tristement R aphael .
— S i j e succombe , tu l’
écr i ra s à Flavie,tu
lu i diras qu’ elle cache ma mort à ma mère ;s i el le se rétabli t , elle saura assez tô t la vérité .Quant à M . Galeozz i i l ne regrettera qu ’unechose c ’est que sa vic time lui soit échappée .
Tu parai s bien i rrité contre lui .C e t homme m ’a perdu en voulant m e
-
MELC H IO R. 21
sauver peut- être la violence de son caractère
a trop choqué le mien ; i l a vonlu me domine r par la force e t l ’autori té c ’es t un tyranqui n ecoute que sa volonté sous laquel le i lprétend que tout plie e t se courbe . F ie r de sahaute intelligence en affaires ce ne son t pointdes hommes qu’ i l veu t autour de lui ce sontdes machines à faire mouvoir à son gré .
Cependant tu m ’as di t plus ieurs fois , observa R aphael , que la conduite de M . Galeozzienvers ta mère e t même envers toi
,avait sou
vent été généreuse e t noble . C e souven ir n edevrait - i l pas te calmer ?
R ien ne m e calme,R aphael , mon cœur
est t r0p i rri té ; à vingt— cinq ans la vie m’est à
charge , et si j’avais reçu la bénédiction de m a
mère, j e voudrais que Dor sa in me tuât de
main .
A quelle heure te bats — tu ?
A dix heures . L e fa t m ’a dit qu il ne
pouvai t se lever plus matin.
-
22 ara r.cnron
— E t sans doute ce duel e s t venu à l ’occasion d ’une femm e .
Une femme en est le prétexte , mais depuis long - temps B orsaia me déplaît , i l es t fierde ses richesses
,vain de sa position
,et une
fois devant moi il a parlé avec mépris de ceuxqui gagnent de l ’argent dans le commerce . Jehais M . Galeozz i ,
‘mais j e soupçonnai queDorsa in voulait m ’offen scr , et dès ce moment
j’
ai cherché l ’occasion de punir ce t insolent .
Que de contrastes dans ton carac tère ,M elchior ! comme i l est formé d ’élém ens quine peuvent s ’allier . Je crain s que tu ne soissouvent malheureux par tes passions ; essaiedonc de le s vaincre .
Il t’est facile de parler ainsi,R aphael
,
l es tiennes ne te dominent point .Tu te t rompes peu t— être beaucoup
,mon
ami , mais j ’a i déjà souffer t , j ’ai vu souffri r .Élevé au milieu de privations
,mais soutenu
par une rel igion éclai rée,j ’ai appris à me
dominer . Cependant,crois moi
,une l iqueu r
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24 rrar.cnron.
de me connaitre , e t pr it assez d ’estim e dansmon carac tère
,pour se décider à me confier
l ’ éducation de son fils qu ’ i l rappela à la m a ison paternelle l ’éducation d ’E m i le étan tfinie
,j e l ’ai quitté , e t j e rentre avec lui auj our
d ’ha i plutôt comme ami que comme ins ti tuteu r . M . de Va labe r t m e traite d ’une man iere s iavantageuse e t s i honorable , qu il y aurai tfolie à moi de refuser . Avant un mois , je parsavec Émi le pour un long voyage .
Pauvre Raphael ! soum ettre constammentsa volonté à celle d ’un autre . Vivre toujoursdans la dépendance .
— Tous le s hommes sont dépendans , M e lchie r . C a sse donc de me plaindre , et revenonsà toi . Dis —m o i quelques mots de tes affai resi c i
,e t tu pourras parti r tranquill e .Tu oublies que demain la pointe d ’une
épée ou uneTais—t oi , tais— toi . Je vais tc
'
qu itte r quel
ques heures , es saie de dormi r .
Ah! neme laisse pas seul , ta présence
-
ma ca ron 25
me calme , songe que nou s allons nous séparer demain pour long- temps , peu t — être pourjamais .
“
E h ! bien , c ’e st parce que nous allonsnous quit‘ter
,non pour jamais , mais pour
long - temps,que j e te demande une entière
confiance .Tu vas au - devant de mes désirs , B a
phael . j e veux que tu m e connai sses tout ent ie r
,tu m ’ en estimeras sans doute moins , mais
j e sui s sûr que tu ne pou rras me retirer entièremen t ton amitié ; et peut—être ta ra i son ,
°
tes
consei ls m’
apprendront—i ls à m e soumet tre ?
Laisse - moi d’abord te parler de mon enfance ,ce souvenir me fera du bien . Ah ! pourquoi nesuis — j e pas mort alors ! M a tombe serait réchauffée par le beau solei l de ma 'patrie .’ Jereposerais auprès de mon père
,ma mère se
serait consolée,en se disant qu ’ elle avait un
ange au ciel . Aujourd ’hu i si j eDieu accueille l ’âme de l ’ innocent
ÇOŒme son bien,’
dit: Raphael gravement ;
-
26 ma ca ron.
celle du coupabl e qui se repent comme saconquêt e . M ou ri r enfant c ’ est seulementavoir repou ssé le breuvage pour n ’en pas connaître l ’amertume .
. M elchior garda long - temps le silence,les
yeux fixés su r la flamme du foyer , qui projetai t m rlle formes fantastiques ; R aphael selaissa dominer par la même rêverie la plui ee t le vent se faisaien t entendre , le bruittumultueux de la rue s’ étai t apaisé , cependant de m om en s e n mom ens s ’éleva ient desvoix rauques e t tumultueuses
, qui se conv ia ient à la joie
,mais elles étaient bientôt
étouffées par les élémens déchaînés, quisemblaient rire de leurs efforts pour les dominer .Tou t à coup plusieur s éclats de rire se
firen t entendre dans l ’escal ier et t rois personnes entrèrent dans l ’appartement .
Je vi ens te chercher , cria une belle
femme portant le costume de batel ière ,est- ce que tu as oublié que j e t
’attends . L e
-
ma caron. 27
comte Dorsa in voulai t savoi r où tu demenrais . Je l ’ai amené .
M elchior salua froidement le comte quilu i rendi t son salu t e t s ’appuya su r le marbre de la cheminée .
Quoi tu as quitté ton costumepri t Al ine habille - toi v ite on nous attendpour souper , et tu sais bien que j e ne peux yaller sans toi .
M adame dit R aphael en s ’approchan td
’
Al ine , M elchior a reçu d’
inqure tan tes nouvelles de chez li l i .
Qu’ impor te ! répondit- elle ce soi r le splaisirs demain les affai res .
Avez—vous un e mère'
Phut le monde en a ou en a ‘ cu reprite lle en éclatant de rire es t— ce que cela empêche de souper ?
Celle de M elchior e st t rès malade.Sc guérira - t — e lle plus v ite parce que son
fil s restera au coin du feir d ’ai lleurs, j e veux
qu I l vienne,j e m e moque bien de sam èæ.
-
28 ma caron.
Cela se conçoi t , prononça le comte Dorsa in avec ironie i l y a troi s j ours que lavôtre est morte à l ’hôpi ta l .Aline lança un regard de courroux au
comte e t sorti t avec sa compagne .M onsieu r , di t M elchior au comte , j e
ne m ’attendais pas à l ’honneur de vous v oi r cesoir . Le dési r que vous avez témoigné de savoi r ma demeure vous au rai t— i l éte inspiré parla crainte que j e ne me t rouvasse point au rendez— vous .
B ien au contrai re , M onsieur, j e sui s venuavec le désir de le prévenir . Je crois qu ’ i ln
’est personne au monde qui se permette dedouter de notre honneur à tous deux
,et un
duel comme celu i que nous projetons , peu tnous faire passer pour des insensés . On diraque nous nous battons pour une femme perdue , et j e vous avoue que j e redoute cen t foisplus un ridicule qu ’un coup d ’épée .
Vous savez , M onsieur , que ce n’est pas
la
-
ma caron. 29
On ne le dira pas moins . M on père e s tt rès souffrant dan s ce moment
,j e
Et la mère de M elchior l ’attend interrompi t R aphael avec douceur . M essieursdonnez - vous la main entre braves gens unetelle affaire ne peut avoir de sui te .Le comte tendi t la sienne à M elchior e l
’
di tavec beaucoup de digni téJe ne connais pas M . Galeozz i , j e n
’en avaisjamais en tendu parler quand je m e suiserrpr im é avec humeur devant vous à l ega rd deceux qu i t rafiquen t d
’argen t, j e n
’
a i pu avoi raucune intention de vous blesse r ; j e venai s deperdre dans le moment une somme cons idérable confiée à l ’un d’ eux .
Je sui s satisfait M onsieu r,interrompi t
M e lchio r, j e reconnais que ma susceptibilité
s ’ est alarmée mal à propos . Je vous remerciede votre noble franchise acceptezm e s excusesde m ’ être montré s i prompt à m ’oft’en se r .Le comte salua e t quitta l e s deux amis
.
R aphael regarda M elchior avec un mou
-
30 ma ca ron.
vemen t de j oie que celu i e i réprima .J’ avais une chance d’être tué
,s e c r ia—t - i l
a vec découragement , et s i ce Dor sa in allai tproclamer que j
’
a i bien facilement consenti àne pas me battre .
Parle- moi de ta mère , de ton enfancede Flavie . Allons M el chior , la moitié de teschagrins n ’est— elle pas mon bien .
Tu l e veux di t M elchior , i l fautt’
oberr,mais depui s que j e sui s plus certain
de la durée de ma v ie j e recule devant lapensée de jeter un coup d’œi l sur ce que j e l
’a ifaite .
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32 ma caron.
s es ble ssures , i l en m ourut. Je n avars queCinq a ns
,cependant j e me rappelle parfaite
ment la fa tale nui t où il expira .M a mè re le soutenait dans se s bras , on m
’avait assis ou plutô t couché su r le bo rd de sonl i t
,e t sa main affa issée sur mon front
,sem
blait y imprimer une dernière bénédiction .La fenêtre étai t ouverte
,e t de s milliers d ’é
toile s s cinti llaient sur le c iel d ’ un azur foncé ;j e n e comprenais pas le malheur qui allaitm e frapper
,cependant j e pleurais , car j e
voyais pleurer ma mère,e t tou s nos serviteurs
étaient à genoux dans cette chambre d oréeque j e n ’avais jamais vu quitter à mon père .De s sanglots é touffés troublaien t seuls le
silence ; quand d’une longue file de pièces
,
p récédant celle où allait mourir m on père , j ev i s s
’
a vance r un prêtre,tous les fronts s rn
cl inèren t,m on père fit signe que l ’on m ’ em
portât,j e résistai
,e t m e glissan t à genoux ,
je voulus garder sa main dans la mienne . Illa retira doucement e t la j o igu i t à l
’autre pou r
-
ma caron. 33
prier . Tout enfant que j etais , j e compris l epouvoir de la religion car la figure altéréede mon père dev int aussitôt calme et sere ine .M a mère était j eune quand elle dev int
veuve ; malgré son profond chagr in , sa beautébrillai t encore d’un éclat extraordinaire
,et les
l armes qui flétr i ssen t tant de jolis V i sagessemblaient aj outer aux grâces du s ien .Lorsque la première année de son veuvage
fut écoulée, (j
’a i su ces circon s tances depuis),plusieurs parti s s e présentèrent : elle l e s
’
re
fusa,e t voulut se consacrer entièrement à son
fils .’ Quelle enfance fut plu s heureuse que lamienne ! comme on eut soin de sati sfaire mesplus légères fantaisies
,et de m ’apprendrc que
j e serais le maitre d’une immense fortune ! Nédans un desplu sbeauxpala is de la s trada N aviss t
’
ma,mes yeux s ’ étaient ouver t s sur des lam
bris dorés,m e s pieds n ’avaient touché que le
m arbre'
ou la mosaïque ; s i la mauvaise saisonm
’
empêcha it de rester sous le s ombrages d’o
rangers et de c itronniers,couverts à la fors de
r . r. 5
-
34 ma ca ron
fleurs e t de frui ts , j e jouai s dans une magnifi
que galerie ornée des po rtrai ts e t des arm esde m es ancêtres .Tout entretenait mon imagination d idées
de grandeu r e t de puissance .J
’étais né fier e t hautain ; j e n’aurais pas eu
cette disposition que la m anre re dont j e fusélevé me l ’eut donnée . Si je sortai s , ée n
’
é
tai t que dans un magnifique équipage quis’
arrêta it aux somptueuse s vi lla s de s anciensamis de mon père . Quelles heureus es j ournéesj ’ai passées dans ces délic ieux j a rdin s , dont lesbalcons couverts de fleurs s ’ élèvent en amphithéâtre au ade ssus de la m er Avec quellejoyeuse liberté j e cueillais les plantes raresai lleurs , e t que la nature jette ave c profus ionsous ce beau c iel azuré ! La villa N eg roni étai tune de celles où j ’allais le plus souvent . Son
propr re ta i re , homme aussi in stru it qu’
a imable,
m e donnai t des notion s de botanique e t d’hort icul ture
,seule science à laquelle j e consen
tai s à m ’attacher , parce qu’elle m ’amusait .
-
ma ca ron. 35
Quelquefois j e suivais m a mère au palaisd
’
André Doria , palais à demi détruit , . ma isqui
,jusqu ’à la derni ère pierre , cons ervera sa
magique position et l ’ empreinte de grandeur
du maître qui éleva se s antique s murai ll e s .En parcourant, aux côtés de ; ma mère, la
longue terrasse de marbre que baignen t lesflots
,elle m e r acontai t . l ’hi stoi re ' de ces puis
sans Doria,e t quand arri vait l ’heure du soi r
,
cette heure s i ‘ belle dans n05 ’ con trées, j e
transformais les vieux ifs immobiles de ce s a llées , en graves personnages habillés de velourset d ’herm ine ; j e ne rêvai s que luxe
’
e t splende ur ; jamais j e n
’ avais pensé que l â r i chessepût m ’échappe r ; m on excellente m ère ne lecrai gnai t pas davantage , e t j
’aurais plutôt ima
giné que les flots cesseraient de battre le rivagea. leur heure accoutufi rée , que de supposerque j e cesserais d ’ê tre le plus riche
,le plus
heu reux enfant de Gênes . R aphae l ,é tai s —j ebien . coupable ? personne ne m
’avai t apprisque la for tune e st inconstante et qu’ elle reti re
-
36 ma c a ron
s es faveurs aus s i aveuglément qu’ elle les accorde .J
’
a tte ignis douze ans dans cette douce i rrcurie , quand un j our , au retour d
’
unc j oyeuse
promenade, je t rouvai ma mère en larmes .
Une l ettre venai t de lui apprendre sa ruiné ;elle n’eût pas tant pleuré si cette ruine n ’eûten traîné la mienne . J ’a i toujours mal compri scomment notre immense fortune fut ainsiinopinément détruite . Sans dou te , on abusa dece qu ’ elle était femme et de ce que j e n
’ étaisqu ’un enfant .Au bout ’de peu de mois d
’efforts inutiles,
nous quittâmes notre beau palais de marbre,
e t fûmes nous réfugier dans un obscur logement
,s i tué dans une de s rues le s plu s étroite s
de Gênes .La douceur de ma mère lu i fit supporter
ses revers avec une angélique résignation ;mais moi
,R aphael , moi , gâté par une cons
tante prospérité , j e m e l ivrai à de s emportemens qui désolèren t ma mère . M on éducation
-
ma caron. 37
était à peine ébauchée , personne n’avai t , jus
que là,osé s ’0ppo ser à ma volonté ; aussi n
’ avais-j e aucune ressource contre ma colère et
mon ennui . Quels plaisi rs pouvais— j e accepterquand ils éta ient tous dépourvus de luxe ! Dé
da igneux du nécessaire j’
exigea i s les moyensde contenter des capri ces qu ’on avait jusquelà aveuglément satisfaits , e t ma bonne , m onexcellente mère s ’ impo sa it le s plu s grandssacrifices pour m e conten ter , sans réfléchir
que c ette faiblesse augmentai t mes défauts e t
la gêne de notre intérieur .Elle devint horrible . M a mère , s i accentu
mée à la grandeur,au faste
,ne possédai t plus
que quelques misérables chambres où le soleilne donnait jamais . Au lieu de lambri s de marbres sculptés e t couverts de tableaux de prixses yeux fatigués de larmes ne rencontrai ent
que des muraille s nues et sombres .L e seul serviteur qui ne nous eût point
abandonnés,mourut . M a mère le remplaça
par une servante grossière,qui devint à la soif
-
38 ma caron
l ’objet de m om a ve r s ion et de m on 'dédain ;notre malheur s ’a ’ccrut de la vue du malheurd
’
un autre . Une s œur de ma mère s ’était - imprudemment mariée en France
,elle était d e l
vende veuve et sans for tune ; elle vint à Gênescroyant trouver un refuge dans nu
'
palai s,ma
mère lu i offrit la moiti é de sa mi sère .“ E ll emourut bientô t
,en laissant sou s notre pauvre
toi t une petite fille âgée de quatre ab s . Pauv re enfant chétif et doux qui semblaitn ’ être venu au monde que pour souffri r , maisqui ne souffrai t pas comme moi de la misère ,puisqu ’elle n ’avait jamais connu qu ’elle .
-M a mère était s i bonne qu’elle nepensa pas
un instant au surcroît de gêne que la présencede sa ni èce nous imposai t . M ais moi , j e me prisà la détester
,parce qu ’ i l me semblai t qu ’elle
m e volait la moitié de la tendresse et des soinsde ma mère . Flavie étai t s i déli cate e t s i maladive qu ’ i l fallait s ’en inquiéter sans cesse . Lebonheur dont j ’avais joui m ’avait fait égorste ,
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-
40 ma caron
injuste en vers Flavie , et changea si ce n’es t
en amit ie,du moins en bienveillance
,la ré
pulsion qu ’ elle m ’ava i t inspire jusque là .Pour rien au monde je ne serais sorti le
j our dans la ville, j
’
eûs se craint de rencontrerquelqu ’un qui m ’eut reconnu . M ais
,s itô t que
la nui t était arri vée,j e m ’élo igna i s de la m ai
son sans être retenu par le s prières de mam ère , qu i s
’
inqu iéta i t de me voir rester unepartie des nuits dehors . Pendant ces heur e s que j e passais loin d
’ el le,au lieu de le s
employer à la consoler, j e montai s sur le s
hauteurs qu i enveloppcnt Gênes , et là j e pleurais , j e me révoltais en contemplant ma villechérie ; ou bien j e m
’
en ivra is du par fum desfleurs que le s jardins répandent sur la villeavec une profusion toute royale .
D urant ce s heures , j’oubl iais parfois l ’hu
m i lia t ion où j ’étais tombé , m e s espérances
de fortune détruites , e t quand j e regardais lapureté du ciel , j
’ étais moins envieux du bon
beur des hommes ; i l s me semblaien t si petit s
-
ma caron. 4
en les comparant à ‘l ’ imm chsi té qui m’ entourait . e age d e mon père mourant s
’
offra i t
auss i’
a moi comme si j e’ l ’eus s e perdu la veille ,tant le spectacle de « sa niort était encore présent à mon souven ir.Souvent la fraicheur d e J ’a i r
,
‘
la ' donceur
de m e s émotions parvenaien t à me procurerquelques heures de sommeil . . t
’
Une nu i t , j e m etai s ainsi profondémentendormi
,le temps était bas e t les nuages de
plomb ; i l s s e fondirent e t la pluie tomba longtemps sans me réve i ller
, j etais trempé e t sai s ide froid quand ouvris le s yeux ; Le point dujour al lait paraitre
, j e me mis à courir pourregagner la maison . L e rsque j
’
ÿ arrivai , j’en
tendis la voix de : ma mère qui pleurai t .Cruel enfant , 8 e cr ia - t - elle en m
’
apc rcé
vant,quelle nuit tu m ’as fait passer !
Je l ’ embra ssa i a ve c plu s de tendresseque de
_
coutume , ,et j’eus bientô t obtenu nion
pa rdon . E lle se dis'posa seulement alors à aller
chercher quelque . r epos ,'
ma is avan t , elle
-
42 ma caron
voulut s ’assurer si Flavie était bien . Elle poussala port e du cabinet où était son petit l it
,e t
j etta un cri d ’ effroi qui me fit accouri r .Flavie était étendue contre la porte e t toute
bleu e de froid .« M elchior ! M elchior ! répétai t - clle d’une
voix pleine de sanglots i l ne revient pas i l
es t donc pe rdu f»Puis quand elle se fut bien assurée que
j etais là , elle s e j e ta à genoux , avec une joie s iexpansive que j e m e senti s profondémenttouché . Elle avait s ix ans à cet âge le sommeil est un besoin s i impérieux ! Pourtant ellen ’avait pas dormi
,parce que j e n
’étais pas deretour et qu ’ il faisait de l ’orage .Cette circons tan ce peu importante
,te peint
,
Raphael , le caractère de Flavie , et tu conccvra s ce que doit être aujourd
’hui un cœurcomme celui - là .Depui s ce moment j e m
’
en occupai davantage
,e t sans l ’ aimer
,j e lui parlai avec
moins de rudes se ; cependant cette dim inu
-
ma caron. 4
tiond ’ injust ice envers cette pauvre petite , neme rendai t pasmoins coupable al ’égard de m amère
,
"èt j e’nè faisai s rien pour l’aider a sup
porter une exis tence qui devenai t tous lesjours plus intolérable .Croi s—
'
rf10i Raphael,j ’ai sent i plu s d’nué
foi s que ma conduite étai t indigne ; j’ avai s
quinze ans, j
’
étars robuste , j’aurais
’
dû'
a l ler
téndre ine ‘s brasau travail le plus dur , pl_
1itôt
que de vivre ainsi dans—
une honteuse ihac £
t ion . M ais mon caractè re se révolta i lâ la seulepensée de in’hum i lie r dansune ville où j
’
étâié
né , au milieu de la splendeur e t de l a riche s se , et mon misérable orgueil ni e r
‘endaitmême insensible aux deux et j u
’
s te s
’
reproéhe s’
de ma mere , qui me représentait av ecbonté ,que si ce n’ étai t pour elle ce devrai t être pourmoi ; que j e devrais songer à mè
’ procurerquelques moyens d
’ existence .Loin de lu i obéir
, j e restai s soinbré, inactifde s j ournées enti ères . Je téle répète, Raphael ,j ’étais un méprisableinsensé .
-
44 ma caron.
Notre malheur étai t à son comble , nousn ’ avions plus aucune ressource , quand mamère reçut une lettre . Un négociant , de P ortM aurwe , lui mandai t qu ’ i l avait appris , indir ec tement la position où elle s e trouvait ainsi
que son fils ; qu’ i l ava it le droit de lu i offri r
des secours puisque.
jadis mon père lui avai trendu un service tellement essentiel quec ’étai t à ce service qu’ i l devai t la fortune qu ’ i lavait acquise que ne pouvant se rendre àl ’ instant même à Gênes i l lui envoyai t unesomme assez forte pour qu ’ elle pût l ’a ttendred ’une manière moins pénible ; i l promettai td ’ être auprès d ’e ll e aussitô t que ses affaires lelui permettraient .M a mère éprouva une vive joie de c ette
marque 1ns 1gne que Dieu ne nous abandonnait pas ; et elle attendi t avec une vive impal ienee l ’arrivée de M . Galeozz i , car c
’étai t lui .Il faut que j e prenne un instant de repos
pour te peindre cet homme,afin de bien te le
faire connaitre . J ’e ssaye ra i de fai re taire des
-
ma ca ron. 45
préventions in justes peut ê tre ; mais queveux — tu , j e sui s convaincu que M . Galeozz im ’a été plus funeste que n e l
’eut été un ennemi . Il n ’ a essayé de mc soumettre que parla crain te ; ma mère avait été tr0p faible pou rmoi i l voulut réparer ce tort par une sévéritéqui acheva de me perdre .
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48 ma ca ron.
impérieu se e t s I l s e laisse dom incr par la co1ère ses expressions sont presque toujoursbrutales e t commun es ; quand il est calme ,sa figure ne perd même point son expressionde sévéri té ; s
’ i l s ’ empor tc , elle devient cffrayante in5pi re de l
’
épouvante au faible e tune invincible répuls ion à celui qu i est audessus de la crain te .Quand j e l ’ entend is annoncer
,j e sorti s de la
chambre de ma mère et fûs me réfugier aufond du cabinet où couchait—Flavic . J ’es saya isains i de reculer de quelques mom ens une ent revue qui m rnspi ra i t de la répugnance . Ilm ’ en coûtait de voi r un homme qui connaissait e t allai t sc ruter notre misère qui se présen tait comme un protecteur e t qui nous avai tdéjà rendu un
’
servi ce pécuniaire . Auss i j e m el a rs sa 1 appeler plus ieurs fois par ma mère e t
JB gl tl l donnai même la peine de veni r m e chercher .
Vous avez là,un for t beau garçon , lui
d it M . Galeozz i , i l est sans doute déjà avancé
-
ma caron 49
dans ses é tudes , l’ intelligence de sa physio
Je ne sais rien monsieur , interrompis— j esèchement , le s malheurs de m a famille, laposition humiliante où il s nous ontC ’est une raison de plus pour travailler
,
repri t— i l plus rudement,la fortune ne ré
v ien t pas en dormant et en s e lamentant,i l
est sage de songer à se faire un sor t quand lescirconstances ont détru it celu i qui étai t toutfait ; à la véri té il faut bien se donner un peude peine
,travailler avec courage
,mais l ’argen t
qui reste le plus sûrement est celu i qu ’ongagne avec effort . M adame , avez— vous quelque projet pour ce jeune homme ?
Hélas ! non,monsieur , i l m e tart diffi
Je cohcois , je conçois . Comme j e vousl ’ai écrit
,comme j e vous le répète j e con
serve une profonde reconnaissance pour votremari
,e t j e m
’offre à servir de protecteur e td’appui à votre fils .
'r . 1.
-
50 ma ca ron.
Au lieu de remercier M . Galeozz i , j e réculai de quelques pas et gardai le si lence .M a mère , au contrai re , lui exprima vivemente t avec sensibili té sa grati tude .
Je reviendrai vous voir ce soi r , lui dit - i lj e n ’ai que peu de temps à rester à Gênes .C ansez avec votre fils madame de moncôté , j e vai s réfléchir à un proje t qui lèverai tbien de s difficultés .Le soir
,j e le laissai seul avec ma mère
,
et quand j e rentrai j’
app r i s qu’ elle avai t ac
cepté d’aller s ’établir à Port -M aurice chez
M . Ga leozz i qui hab i tai t avec sa sœur ,, beaucoup plu s âgée que lui . M a mère m e reprochade m ’être montré froid e t dédaigneux devantM . Galeozz i .
I l m e déplaît,répondis -j e avec humeur ;
j e ne veux pas deveni r marchand je ne veuxpas qu ’ i l se croie des droits sur moi .M a m ère employa vainement sa douce pa
t ience à me convaincre que j e ne pouvais n i‘
ne devais rejeter le seul moyen de fortune qu
-
ma ca ron 51
se présentât à moi elle en appela à ma tendresse e t à ma rai son mais inutilement .H uit jours après
,e t b ien malgré moi
,nous
partîmes pour Port —M auri ce ; j e ne qu i ttaipoint Gênes sans aller adresser de tri stes e tlongs adieux à cette vi lle si chère où j e laissai stant de beaux souvenirs d ’enfance .Nous fûmes reçu s chez M . Galeozz i avec
une hospitalité amicale ; cependant j e neme sentai s pas moins de répugnance à devenir l ’hôte d’un homme qui m ’ inspi ra it del ’éloignement e t Zdont les manières e t le tonme blessaient . Tout m e déplai sait dans cettemaison où rien de confortable ne manquai t
,
mais où je ne trouvais aucune trace de cettem agnificence , de cette grandeur auxquellesseules j
’
a ttaehai s l ’ idée de la richesse . M e syeux
,qui s ’étaient ouverts dans un palais
,
se détournaient avec dédain d’une habitationseulement arrangée pour l ’utile .Quelle différence aussi d’une petite ville
comme Port —M aurice , uniquement occupée
-
52 ma caron.
de commerce e t d rndus tr ie avec Gênes,—
s ibe lle
,s i poétique
,s i dorée .
M . Galeozz i passai t ses j ournées dansses comptoirs ou dans s és immenses maga :s ins rempl is de tenues d’huile . A chaque ins
tant on entendait sa voix s ’élever avec viol ence pour gronder ou donner des o rdreé. L escommis qu i rempl iesaient se s bureaux sembla ien t trembler sou s sa volonté mêmesous son regard ; i l ne recevai t que des personnes qui s ’ o ccupa ien t de commerce , e tquand i l donnait quelque trêve à son activitéou aux affaires , c
’étai t encore des moyens des’ enrichi r qu’ i l s ’occupait .Au bout de quelques j ours , i l me de
manda s i j e voulais rempli r la place du dern i er dc ses commis qu ’ i l al lai t renvoye r .
Je vous propose cette dern i ere placeaj outa— t— i l , parce qué c
’
c s t la moins d iffi ci leplus tard nou s verrons .
Je ne sui s pa s en état de la rempli r,
dis —j e froidement .
-
ma caron. 53
Diable ce n ’est pourtant pas diffici le ,00picr des lettres , faire une facture .
— Jc ne le saurais pas .Vous êtes donc tout à fait ignorant ?
Oui .Alors que voulez— vous devenir ?Soldat
,répondi s- j e avec fermeté .
M a mère poussa un c r i d ’angoisse .— Voilà unebel le idée , s
’
éc r ia M . Galeozz i
d’une voix de tonnerre savez—vous c e quec ’ est que ’état militaire aujourd’hui ? Pourri rdans une garn ison , se soumettre à la volontédes
’
a irtres pour gagner une mauvaise nourr iture .
M on père étai t mili tai re , c est la seulecarr iere qui
’
convrenne à la rroblësse .M . Galeozz i se pri t à rire avec i ronie .
La noblesse ! repri t - i l qu’
e sb ce celasans argent ? Et tout marqui s que vous soyezmon pauvre garçon , ce ti tre ne vous servira arien .Il avai t ära ison , mars j e ne me sentais
-
54 ma ca ron.
pas moins offensé de me l’entendre dire
a rnsi par lui .
— Je concevrai s,poursuivi t M . Galeozz i ,
que vous eussiez su ivi la carrière des armess i vous étiez Français
,e t que vous fussiez
‘ néquinze ans plus tôt . M ais soldat du roi de Sardaigne de Chypre et de Jérusalem !
— Je vous croyais son sujet,monsieur .
Nullement . Je sui s Françai s , et j e m’en
vante . M ai s mon père a fait sa fortune ici j esu i s sage en y restant ét en suivant son exempler evenons à vous . Quoique j e vous blâme j e
n’
a i aucun droit de vous empêcher de su i
vre votre volonté .
— E t que puis —j e deveni r autre chose quesoldat ? puisque j e n
’
a i ni fortune , n i éducation .
— S i vous voulez renoncer à des chimères ,et su ivre m e s conseils e t ma volonté , j e mecharge de vous faire donner l ’une , e t de vouscondui re à l ’autre .
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56 ma caron
senti r un protecteu r , et pour moi , par l’espoir
que j’allais acquérir les moyens de m ’ en pas
ser . M e s progrès furent rapides . Que lqu’
in
convéniens que présente une éduc ation comm eneée tard quand elle s ’adresse à un suje tqui a de l ’ intelligence et de la vanité ell eavance d ’autant plus rapidemen t que l ’es
p ri t comprend fac ilement c e qui n ’est souvent qu
’
un cahos pour l ’enfance .Les prem ieres vacances
,ma mère me pro
posa de veni r les passe r à Port-M aurice ; j erefusai , e t j
’
agis de même durant les trois années que j e passa i à Tournon . Quoique j
’aim asse tendrement ma mère
,la répugnance
que j’
éprouva i s d’habiter la maiso n de M . Ga
l eozz i l’
empo r ta su r le bonheur que j’aurais
r essenti à la revoir . E lle m e promettai t souvent de venir elle -même mais elle m ’écr iv i tenfin qu ’ il fallai t qu’elle y renonçât ; la sœurde M . Galeozzi venai t de mourir e t ma mèreajoutai t que se trouvan t seule maintenant
chargée de la conduite d’une maison con
-
rrmr.cnron. 57
s idérable i l la verrai t s eloigner avec peine .Je f us assez injuste pour faire un crime
à ma mère d’avoir accepté une position que
je t rouvais indigne d’ elle
,comme si la plus
grande preuve de noblesse d’âme n ’ était pasd ’accepter
,et même d ’aller au- devant de ce
qui peut alléger le poids de la reconnai ssance .Tu vois R aphael que je ne m e dissimule
pas à moi —même mes torts . J ’ en eus peut - êtreun bien plus grave plu s inexcusable ; cefut de rester long—temps sans pardonner à monexcellente mère d’avoi r consenti à deven i r lafemme de M . Galeozz i.Quoique le s années e t surtout le s
'
chagrinseussent flé t r i la beauté de mamère
,i l lui restait
ce qui conserwe le plus long- temps son empire ,une physionomie remplie de dign ité et de grâce .Elle avai t inspi ré dès le premier moment unevive pass ion à M . Galeozz i , e t quoique mamère m ’écr ivi t qu ’ elle n’accepta it sa mainque pour m ’assure r un protecteur e t une fo rtune , j
’
ai toujours pensé qu ’ il ne lui déplai
-
58 ma caron:
sai t pas . Les femmes aiment les hommes v iolens qui apportent de la passion dans tout
,e t
j ’ai r em a rqué que'
le s plus timides ne s ’effraya ie ri t poin t de ces caractères hautains e ttyranniques qu ’elles savent dom iner mêmeplus souvent que le s faibles . Cette dominat ionflatte leur vanité
,e t toute parfaite que soi t ma
mè re,elle y céda .
Pourquoi en effet aurait- elle consen tiseulement pour mon in térêt puisque j e lu iécrivis que j
’étais au moment d ’avoir terminém es études ; e t en état de choisir une car :
r rere, soi t celle d
’avocat,soi t celle de mé
dec in ? Je lui rappelais que j’ avais supporté
,
avec persévérance l es ennuis e t les pr ivat io rrsd ’un collège où le s élèves étaient maltraitésquoique les étude s y fussen t assez fo rtes ;
’
enfin,
j ’avai s gardé,pou r dernier argument
,celui
que j e croyai s le plu s pui s sant ; j e représentai sà ma mère sa naissance e t la splendeur dunom qu ’ elle abandonnai t .Ces argumen s comme mes prre res furen t
-
ma ca ron. 59
i nutiles et la marquise de Palmanova devintla femme du marchandGaleozz i . C e fut lui qui
m e l’
annonça dans une lettr e remplie j e doisl ’avouer de sentim ens généreux . Je ne répon
dis pas, j e gardai le même silence a vec ma
mère quoiqu’
el le m’
adressât souvent ïde
doux reproches .Ta mère avait raison
,inte rrompit Ba
pha€l , et jusqu’à présent mon pauvre ami
je ne découvre que de l’
aberra tion dans lesr a isonnem cns dont tu v eux appuyer ta conduite . M adame de Palmanova , s
’est montréemère auss i prudente que tendre ne devai telle rien
,non plus à l ’avenir de cet te
douce et aimable petite F lavie dont tu ne meparles plus .
Flavie grandissai t et s e fortifiai t , m ecriva i t ma mère
,elle profitai t aussi avec une
admirable raison de s maîtres qu ’on lui donnait . L e charme de son caractère l ’avart renduela favorite de M . Galeo zz i
,qui n ’épa rgua i t rien
pour son éducation .
-
60 ma ca ron.
Cette dern iere phrase fit renaître mon ancienne répugnance pour cette enfant
,l ’euve
leppant dans mon injustice , j e ne répondispas davantage aux fréquentes petites lettres
qu’ elle m ’éer ivai t .J ’avai s près de dix- neuf ans i IZéta it temps
que j e prisse un parti . M . Galeozz i le pens acomme moi
,ca r i l m ’éc r iv it for t sèchement
,
en m’
annonçant qu’ i l allai t cesser de payer
une pension qu ’ i l jugeai t désormais inu tile e t
que j’étais libre de venir habiter sa maison .
Je sorti s de Tournon avec l intention de nepas accepter cette invitation j e possédais seulemen t quelq ues louis reste de l ’a rgent
que ma mèr e à} .’envoyait exac tement . Je m e
rendis à Lyon . 5 avais é té rév olté de ne trouver à Port—M aurrc e que des êtres ne pensantqu ’à gagne r de l
’argent
, j e ne le fus pas moinsen parcou rant la seconde ville de F rance
,de ne
rencontrer que des occupat ions industrielles .Je fus au théâtre le parterre Il etai t qu ’une
seconde bourse où l ’on ne parlai tque de hau sse
-
ma ca ron. 6 1
ou de baisse de s soies,de réduire le salaire de s
ouvriers pour augmenter l e bénéfice de s fabricans l
’
âpre té du gain se li sai t sur de bellese t j cuncs figures comme sur le s plus flétr ie s
par l’âge .
Je fus entendre plaider ; une nuéc d’avocats
encombraien t le prétoi re quelques — unsavaient du talen t e t beaucoup cependan t resta ient sans occupation. Que de patience et detravail il fallait pour pe rcer dans cette c arrièredéjà obstruéeJe visi tai l 'hôpital
,la beauté du monument
m e plût ; mais là aus s i j e trouvai une foule dejeunes gens sans c l ien tellc quoique remplid
’
a rdeur et de taleu s quelques médecinsjouissaien t à Lyon d’un beau sort maisque de temps que de c irconstance s .fâ cheuse5ils ont dû traver se r pour arriver là !M on courage recula devant tant d’ obs tacles ;
la difficulté de la v ie se présen ta à moi commeune hydre à cent têtes que j e ne
'
pourra is ,j a
mias terrasser e t m ‘en malheureux orgue il , se
-
62 ma ca ron
révolta de la nécessité de lutter moi qui étaisné riche
.C’est un grand malheur de conserver
un caractère fier join t à une fortune basse ,tou t paraî t au - dessous de soi on s ’ indigne de
se trouver si petit , quand on se croi t fait pourmarcher s i haut et j e me sentis i rr ité commesi le sort n ’ était hostile qu a moi seul .Durant les trois ans que j
’avai s passés àTournon
,j ’avai s dépensé toute ” mon ardeur
pour l e t ravai l , une surveillance continuellem ’avai t pour ains i dire mâté . M ais quand j e
m e sentis l ibre , l’
a rdeur de la jeunesse fitbouillonner mon sang
,et m ’ inspira ou d
’
ex
t rayagans projets ou l e s idées les plus sinist res . Tantôt j e voulais m e lais se r mourir defaim
,projet que j e pouvai s le plus facilemen t
exécuter dans ma posi tion,tantô t i l m e pas
sait par la t ête d’aller exiger à main armée,
sur les grandes routes,une partie du superflu
des heureux de la terre . Et j e ne suis pas eucore persuadé que ce n e soit pas un droit . J
’
a
vais beaucoup travaillé à Tournon,ma is j
’
y
-
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-
64 ma caron
Un soi r j’
entra is au théâtre ; deux jeunesgens qui en sortaient prononcè ren t hautement mon nom . Ils ne m ’avaien t pointaperçu
,j e les sui vi s .
— C c M el chior , qui e s t— i l d’où vient— i l ?
disai t l ’un .
Il s e di t de Gênes e t marqui s .
Beau marquis qui vi t aux dépens d ’une
Il est assez beau garcon pour faire cemétier
,reprit l ’autre . Ce n e s t pas lui qui e s t
l e plu s i rnbéc ille ; i l pa sse pou r le frère de labelle
,e t l
’
entre teneur prend même des précautions afin de ne pas oflen se r l ’honneurde la famille .
Ils se miren t à rire s r bruyamment qu ’ i lsn
’
en tendi ren t pas d ’abord que je leur criai squ ’ i ls étaient des inso lens . Je posai ma mainsur l epaule de l ’un d ’eux .
- Ah ! vous nous écoutiez , dit - i l en seretournant , eh bien ! que voulez—vous ?
-
ma caron. 65
Vous di re qu 11faut que vous me rendiez raison .
Allons donc,aquo1 cela ressemble
A l ’action d’un brave .A l ’action d’un fou . Qu’est- cê que cela
me — fai t à moi,qu ’un homme qui n ’ est pas
mon ami soit trompé et que vous fassiez unv ilain métier .Je serrai son bras de m anre re à le lui casser ?
Vous avez d ’autant plus tort , continuat - i l en se dégageant , que vous se riez un excellen t portefaix , Tudieu ! quelle pognc .
M a main sera plus légère pou r vousappl iquer unsoufflet . Et j
’
en flétrrs sa joue .- Va chercher tes pis tolets ! ’cria — t - i l à
soncompagnon , j e t’
a ttëndra i aux Bro tteaux.»L ’ami de mon adversai re partit sans obse r
vations e t nous eontinuâm es notre chemin ;arrivé s sur les bords du R hône
,nou s nous
arrêtâmes pour attendre les armes . Le vents ifflai t fortement dans la saulée qu i ' nous
T. 1. 5
-
66 ma caron.
entourait les eaux mug i ssaient avec fureur ,l e froid étai t as sez v if. M a violence s ’ étai t peuà peu calmée ; j e n
’avais point perdu l ’ enviede me venger , mais une sorte d
’
a ttendr is se
ment mc gagnait e t le souvenir de ma mèrem
’
étre igna i t avec un déchirant remords . Dansce moment , mon adversaire lui — même , arrêtéà quelques pas
,gardait le silence en pensant
sans doute aux objets qui lui éta ient cher s .Depuis six mois ma mère i gnorait mon sort ; s i
j e succ ombai s , ce ne serai t point seulemen t mamort qu’ elle pleurerait mais auss i le déshonneur que j
’
ava is attache à mon nom . Cependant j e ne désirai s poin t d
’ être vainqueu r ;celu i avec qui j allais m e battre était aussi
jeune que mo i , son exi s tenc e était peut ê treutile à sa famille
,e t moi j e n
’étais que le tour
ment de la mienne . Il est de s ci rconstancestellement graves
,qu ’on n ’a point alors de juge
plu s inexorable , plus juste que soi -même , e t j en e regrettai pas d’ être peu habile aux armes
,
j e ne pensai point un in s tant que l’
obscu
-
ma caron. 67
rité rendrai t le combat encore plus dangereux ; ce qui m
’
occupa it , c’étai t le motifmême
de ce duel .Il n ’eut point lieu cette nu it - là . L’ami de
mon adversaire accourut l ’ave rti r qu’ i l lui
é tait impossible de se procu rer des pistolets ,e t que force était d
’attendre au jour . Nous
p rime s he ure e t nous fûmes exacts l’un et
l’autreDe cette fois . le sort fut jus te R aphael ,
et je resta i su r la'
place percé d ’une ’ bal le .M on adversaire me fit t ransporte r chez moi .Je loge ais chez de braves gens
,mais peufl_for
tunés , j e manqua i s de presque tout ce qui étaitnéces sai re à mon état , et j e m
’ en inquiétais
peu . Le dégoû t de l’exis tence
,sentiment qui
m’
a tte in t si fac ilement , m e tr e igna i t avec tantde force , que j e ne craignais pas la mort , ouplutôt qu ’une atonie complète s ’étai t emparé ede moi . Pour qui , en effet , aurais —j e désiré deV ivre ? était - ce pour ma mère qui avait aecepté une autre affe ction , et qui n
’avait trouvé
-
68 ma caron.
que des déceptions dans la tendresse que j e
l ui inspirais ? étai t- cc pour lutter con tre la
m isère ou m"en garantir par le travail ? si j e
v ivais , i l faudrai t me soumettre à l’autor ité de
M . Galeozz i ou désoler ma mère en m ’y soust rayant de nouveau Je m ’étais flétr i par unel iaison honteuse , avais souillé nron cŒur , et
j e le croyais à jamais désabusé du sen timentde l ’amour , l e seul qui soutienne e t anime lajeunesse. Je ne croyai s pas ofienser Dieuf endési rant la mort
,car j e ne considère point le
s uicide comme un crime , oui , j e regardele détachement de la vie comme une rés i
gna tion .
J ’étais en tièrement abandonné au découra‘gement
,quand ma mère e ntra dans ma
chambre et se je ta dans mes bra s . Je reçus sesc aresses avec tiédeur . Elle venait ranimer uneexi s tence don t j ’avais fait le sac rifice .Cependant ses larmes réchauffèren t peu à
peu mon âme glacée,j e me sentis do ucement
rena ître sous l ’ influence de ses ba iscers ; j e
-
ma caron. 69
n ’eus point la force de lui résister , e t nou spa' rtîmes pour Port— M aurice ; pour Port -M aurice 0ù j avais juré de nc j ama is retourner ; mamère n ’avait employ é que des prières pour m ’ ydéterminer
,ah ! que j
’
eus se bien mieux fai tde n ’y point céde r
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-
72 ma ca ron.
j us te envers elle . Enfin , i l y avai t long - tempsque je ne m ’ étais trouvé auss i calme .L ’état de convalescen t dispose à la douceur ;
l e cœur afl’a ibl i es t ouvert à tous les sentim en spai s ibles
,e t j e sui s persuadé qu
’à cette epoque
,s i M . Galeozz i l ’cût voulu , i l pouvai t me
di riger dans une meilleure route .M ais au contraire , à son retou r , i l me tra i ta
avec une i ronique pi tre qui m ’ cxaspéra . Loinde m ’engager à prendre un parti , i l parut meconsidérer commclun être tou t— à- fait incapab le de rien fai re d ’utile ; i l ne m
’
adre ssa i t pas
pa r ticul re rem e rrt de reproches , mars jamais i ln e manquait l ’occasion de lancer son méprissur leghomm e s qui regardent comme au -de ssou s d ’ eux le t ravail . Jusque— là , j e ne l ’avaisj amai s entendu s ’ exprimer sur la noblesseavec mépris . Dès ce moment i l ne perditpoin t une occasion de dénigrer les pretentions de s nobles e t d ’appuyer su r leurs ridicules . Tout ce qu ’ i l disai t était peut- être juste
,
cependant je ne pouvais me soumettre à cette
-
ma caron. 73
justice,parce que j e sen tai s qu’ i l ne s ’expr i
mait ains i que pourm ’offensc r .J ’aurais donné tout au monde pour qui tter
sa maison,e t j e l ’cusse fai t s i ma mère ne m ’ a s
vait fai t jurer par les cendres de mon père dene point m ’élo igne r . Je résolus au moinsde prouver à M . Ga leozzi que s i la carr ière ducommerce me déplaisai t
,ce Il etai t point l ’ in
tel ligence qui me manquait pour y réussir .Un matin j
’
e rrt ra i dans son cabine t e t lu idemandai de l ’occupation . Je m ’ étai s p romisde la patience s rl me recevai t mal ; j
’
en eusbesoin car il me répéta bien dix fois avec i ronie que ce que j e solli c it ais é tai t indigne demoi ; enfin i l cons en ti t à m e confie r un postefort peu . impor tant .Un mois ne se passa pas qu
’ i l ne reconnûtqu’ i l pouva i t m ’ employe r d
’une manre re plusu tile pou r lu i e t pour moi ; je pas sa i ain sipar tou s le s degrés de la hiérarchie comme rc ia le
, et j e devins ass ez habile pour que ,dans ses bons jour s
, M . Galeozzi pe rm i t
-
74 ma caron.
quelquefois que je le remplaçasse ; j e puismême dire qu ’au bout de peu de temps onpréférai t traiter avec moi qu ’avec lu1.Je n ’ai j amais eu de hauteur avec ceux
qui m ’offensent sans intention ou sans discernem ent
,et mori orgueil ne se révolte
que devant ceux qui se croient au— dessus demoi . Je me sens indulgent contre l ’ inférior i tésans prétent ion ' e t du momen t que j e nesuppose point arrière - pensée à la gross iereté
,j e la supporte comme la sui te inev i
table d ’un manque d education . Je sui s également persuadé qu ’ i l y a “une sorte decruauté à faire peser une autorité injustesu r celu i qui ne peut s e défendre . M . Galeozz i au contraire traitait du rement les ’inférieurs qu i avaient affaire à lui ; j
’ en obtenai s davantage en m
’y prenant pol irrient ,e t quand on arrivai t au comptoir , ce n
’étaitplu s à lu i qu
’on allait d ’abord , mai s àmoi .Sans doute le t ravail auquel j e m etais
-
ma caron. 75
a s suj éti me dép lai sait , cependant j e suis pe r
suade que j e l’aurai s continué . s i M . Ga
leozzi n ’ était tou t à coup devenu jaloux de la
préférence qu ’on m ’accorda it . Son caractèreétai t tellement impérieux qu’ i l ne vous pardonnai t pas qu‘on essayât de se soustraire àson autorité
,quand même son intérêt s ’en
t rouvait bien . Après m ’avoir tant reproché de
n’être bon à rien , i l m
’en voulu t de ce que j epouvais le remplacer . Les affaires en souffrirent . S i je commençais une Opération product ive
,j ’étai s certain qu’ i l la faisait manquer
,
uniquement parce que j e l’avais trouvée
bonne . Enfin , il en arriva au point de m’
a c cu
se r de vouloir m e rendre maître chez lu i .Nous n ’avions jam ais eu j usque— là de s cènes
directes ensemble ; une fois qu’ elles comm en
'
cèrent , elles ne s ’arrê tè rent plus . Accou tuméà faire tout plier sous sa volonté i l en rencontra une aus si apre , aus si violente que lasienne
,e t d ’autant plus pui ss ante,que j e se n
tars que dans cette occasion j’avai s raison
-
76 ma ca ron
Quoique assurémen t j e ne pensasse pas àm
’
éno rgue illi r de l’approbation de ceux qu i
m’
entoura ien t , j e croyais du moins qu’elle me
donnait le dro it de lu i résister p lus ouvertement .Je ne pourra is reven ir longuement sans
colère sur cette époque de ma vie . Ce que j epuis te dire R aphaël c ’ es t que nos scènesa vec M , Ga leozz i devin ren t s i vives e t s i fréquen te s
, que toute la v i lle en fut info rméeon m e plaigni t , i l l
’
appr i t , e t sa rage s’
en accrut . Dans s e s empo r tem cns , i l ne s e connai ssait plus ; et ce qu i l
’
exaspéra it davantage ,c ’ est que ma colè re pour ne pas ê tre moinsterrible que la s ienne , ne me faisai t jamaissorti r de s bornes d ’une bonne éducation .Plus il s e mon trai t grossie r
,plus j e m e m on
t rais poli . S i dans son emportement i l brisa itun meuble , j e m e hâtais de cacher le degatqu rl faisai t pour lu i montrer que j e regardais sa conduite comme une chose inconve
nante . La seule vengeance que j e pa sse ti rer
-
M a ca ron 77
de cet homme était de lui prouver son infér io r i té d ’ éducation et j e ne la lui épargnais
pas .
Formé de contrastes M . Galeozz i vraimentgénéreux dans les occasions importantesétai t d ’une pe titesœ incxpl icable dans la viehabituelle : i l apprenait
,sans sourcil le r
,l a
perte d ’une forte somme et rugissai t commeun l ion pour un por t de lett re final employé .Il donnait un secours considérable à un ouvr ie r malheureux e t lésinait obs tinément su run salaire de tous le s j ours .Il m ’avait à cette époque je l ’ai su depui s ,
assuré une forte part dans son commerce, e t i l
prétendait ne point m’
accorde r l’
appointe
m ent de l ’emploi que j e rempli ssais dans samaison .
Que te di rai— je R aphael ? notre v ie é tai tun continuel orage qui éclata it même en présence de ma mère quo iqu
’
cl le eût beaucoup°
d’
empire sur M . Galeozz i et qu’ i l l ’a imât pas
s ionnément ; m ais son caractère l’
empor ta it .
-
78 ma ca ron.
Il comm enca i t d ’abord quand nous étionsréunis e ’ es t-à —dire à table
,à me lancer
,avec
rronre d’
am e r s sarcasm es su r ma prétentionà me connaître en affai res . Un regard suppliant de ma mère m e forçait au s ilence ; m aisbien loin que ce silence le calmât , i l augmentai t la colère de M . Galeozz i i l ne gardaitplus aucun ménagement
,e t i l m e forçai t à
lu i faire entendre des paroles piquantes oudédaigneuses ou bien
, j e me conten tai s desouri re avec mépris . Alors i l ne s ’ a rrêta it plus ,et i l était impossible de reconnaître l ’hommequi pos sédai t réellement en affaires le jugement i r: plus sain e t le plu s rapide .Durant ces scènes ma mère pleurait ;
Flavie moins efl’rayée cherchait , par m rllepetits soins , à di strai re M . Galeozz i mais leschoses en vinrent enfin à un point
,que j e
fus forcé de m’eloi guer de la maison,aux heures
de s repa s . A cette époque j ’étais approuvéde tout le monde
,quand un hasard ma lheu
reux me donna un tort véritable .
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Les plus petites villes d’Italie,possèden t un
théâtre e t celui de Port- M aurice est assez rem arquable aussi i l arrive souven t que quelques troupes se rendant dans une des grandesv illes d ’Ital ie s ’y arrêtent pour y donner desreprésentation s .J
’
a imai s beaucoup la musique quoique j eT. 1. 6
-
82 ma caron.
n’
eusse reçu de leçons que de M ari etta , j echantais avec assez de goût . Aussi en apprenant l ’a rrivée d ’une t roupe italienne qui nedevai t eependantdemeure r que pe ude temps àPort - M aurice , j
’
éprouva i une joie de jeunehomme
,dont tout autre que M . Galeozz i n
’
eût
pas même songe am e faire un tort .Il se pressa pourtant de déclarer devant
moi qu ’ il défendai t aux personnes employéeschez lu i
,de mettre l es pieds au théâtre .
Je n ’eus pas l ’ai r de m e croi re compris danscette défense qu ’ i l adressai t à ses commis
,e t
l e jour même je m e hâtai d ’y aller,et pris
place dans une des loges le plu s en ev idence .On donnait le B a rbzer
,ce chef— d ’œuvre s i
Spirituel de R ossi ni . J ’oubl ia is en l ’écoutant ,m a v ie d’orages et de contrainte
,e t j usqu
’
à
l ’exi stence de M . Galeozz i Rosine paraît,leste
e t brillante , d’abord j’
he s1te , j e crois me tromper , mais elle se tourne de mon côté , j e nedoute plus , c
’ e st M arietta, M arie tta qui m’a
-
ma ca ron. 83
trompé,mais qui en trompai t plus pe rfide
ment un autre pour moi . Oui , c’est M arietta
,
réellement embellie,et embellie encore par
mon imagination . qu ’une vie de privation etd
’
ennu i a exaltée mon cœur ne battit poin td ’amour
,mais mes artère s
,mes sens palpité
r ent de cette fougue volcanique que l’on con
fond si souvent avec lui . M arietta , dont l ’œi lquêteur cherchait dans le public des hommages et de l ’admiration le fixa sur moi et m ereconnut . Je m ’en aperçus au trouble de sesregards
,à l ’émotion qui changea sa voix .
Certes,j e ne prétends pas te persuader que
M arietta m ’a imât profondément mai s elles’étai t donnée à moi avec tout le dés in téresse ament d’une tête montée
,elle étai t fort jeune
,
j avais été le premier qui n’eu t point mis de
prix à s a personne , une fantai sie nouvellen ’avait point affaibli celle que j e lu i avais ins
p irée ; enme revoyant , cette fantais ie se ranimaavec une ardeur q : e les yeux de M a r ie tta
,sans
cesse fixés de m on côté,me dévo iler ent . Emne
-
84 ma caron.
par ma présence,amb i tieuse de me dominer
de nouveau,e lle s e montra réel lemen t char
m an te dans un rôle qui semblai t fai t pou r la1nu t ine r ic de sa fi gu re e t pour
” la légèretéde sa voix .Quand la toile se baissa , M arie lt ta m e fi t
un signe que j e reconnus .Je me rendis à la porte des arti stes , e t peu
de m i nutes s ’ étaien t écoulées, que son bras
passé sou s l e mien m ’avait ramené au charmee t à l ’habitude du pas sé ! M arietta m ’appr i tqu ’ elle n ’ava it su mon duel que de la bouchede mon riva l , qu
’ elle avai t voulu cour i r à moi ,m ai s que sa mère 5 eta it j etée à s e s pieds ,
qu’ elle n ’ava it osé la braver en repoussant
l’homme généreux qui con se ri ta i t à lui pardonner
,u i encore moins la rédui re à la mi
sère , non plu s que sa fah1i lle nombreusedont el le étai t le seul appui .
« Cependan t,ajou ta M arietta
,i l n e fa i
sait que m e déplaire quand j e le trompais ; j ele pris en horreur du moment qu ’ i l fit le ty
-
ma crrron. 85
ran e t m’
empêcha de te voi r . Tu quittasLyon sans m e donner de tes nouvelles , e tcependant j e n e t
’a i point oublié e t en
acceptant un engagement pour l ’ Ital ie ou
j espère me fortifier dans l e chant ; j’avais le
secre t espoir de te retrouver .Je n e veux rie n te cacher , R aphael , j e
ne pensai pa s une minute à reprocher à M ar ie t ta le rô le qu ’ elle m ’avait fait jouer ; en r ét rouvant le plaisir , j oubliai qu t l m
’avai tav ili .Chaque so ir j allais au theatre e t j e rentrais
très avan t dans la nui t . La première fois avais éprouvé quelque difficulté à m e faire ouv rir la por te de lamaison ; depui s , ce fu t F laviequi m ’ introduis i t avec précaution . E lle me di tsimplement que le bruit que j
’ava i s été obligéde fai re avai t réveil lé ma mère
,e t que pou r
évite r ce t inconvénient,elle m ’a ttendra i t elle
même chaque nuit !Je baissa i la tête devan t son angélique i rr
no eence , devant sa bonté si dé licate e t s i
-
86 ma ca ron
adroite,car elle évitait de m e rappeler l ’auto
r ité qui pesai t su r m oi,et elle s ’ exposa it à la
colère de M Galeozzi .M arietta m ’annonça bientôt qu
’ elle qu ittai t Port— M aurice le lendemain et me fi t promettre de la rej oindre à M i lan , s i j e ne pouvai sla suivre à l ’ instant même .Je te le répète Raphael mon cœur Il etait
pour rien dans ma l iai son avec cette femmemais elle rompait l ’ennuyeuse uniformité dema vie . E n la perdant j e perdais le s plaisi rs ,dont la violence de mes sens me faisait undangereux besoin ; e t elle ne consen ti t à part irqu ’après que j e lui eus répété vingt foi s le serment de la rejoindre . rCe ne fut point cette de rn1e re nuit Flavie
qui m ’ouv r it,mais M . Ga leozz i ; sa figure o r
d inai rem ent colorée,était pâle et ses lèvres
frémissantes . Je voulu s éviter de lui parlerdans un te l moment
,et après l ’avoir remercié
,
j e rire disposais à monter chez moi quand i lm e pria , avec une i ronique politesse de lu i
-
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88 ma caron.
part i terminer nos comptes . Prenez la peinede vou s asseoir .
Je restai debout . Il ou vri t un ti roi r en tiraune l iasse de papiers et repri t
Je ne vous aurai s j amais rappelé ce quevous me devez
,monsieur
,s i j e ne savais main
t enan t de quoi vous êtes capable . Non conten td ’avoir vécu à Lyon aux dépens d ’une femmev ous vous êtes encore plus gr re vcmen tm anquéà vous —même en renouant àvcc elle et en fe rcant une innocente enfant à deveni r la com ;
pl ie e de vos tort s ; vous avez souffert qu’
ellepassât
,à vous attendre le s nuits que vous
perdiez dans le désordre e t la débauche .
Cette réflexion éta it j us te je ne trouva i rienà répondre et s i M . Galeozz i s ’était arrêtépeu t - être y avait-i l e ncore quelque chance derapprochement entre nous . M ai s c ’ est unhomme dont le cœur e st généreux
,e t don t
l ’ espri t ne l ’es t pas ; i l ne sait r ien ménager quand i l se c roi t un avantage z et
-
ma caron 89
son regard vi ctorieux éteignit à l 1ns tantm ême mon repentir .
«Vous voilà rédui t au silence,poursuivit
i l,allons
,m onsieu r le bravache
,j e vous een
seille de vous soumettre à toutes me s v olonte sà ce prix j e consens à vous pardonner et avous garder chez moi .
— E t moi, j e veux en sort i r , nr cerini je ,
j e ne prétends pas rester plus long- tempssous la domination d ’un tyran brutal .Il vint à moi la main levée j ’avais pris m a
chirra le rn ent un canif su r le bureau en tendant lam a in comm e pour empêche rhl .Ga leozz i
de s ’approcher de moi,c e can if s e t r ouva di
rige vers lui .Il veut m ’a s sas s i rre r ! cria M . Galeozz i .
A cette pa role terrible qui v ibre dans lahaute pièce où nous étions la porte s ’ouvr it e tFlavie se précipita entre nous le canif touchason bras e t lui fit une blessure assez profondepour que l e sang en jaill i t e t marquât aus sitô tde larg es taches sa robe blanche . Je pous sai un
-
90 ma caron.
C r i de désespoir et j etant le malheu reux canifloin de moi je portai son bras à m es lèvres e tpleurai amèrement .La colère de M . Galeozz i s etai t égalemen t
dissipée à cette Vue,i l m ’aida à faire reveni r à
e lle la pauvre Flavie à demi évanouie elleouvri t enfin les yeux .
M on oncle,prononça - t elle de sa voix
d ’ange, m
’
a im é z —vous ?Si j e t ’aime tu le sais bien aussi ne
pardori ne ra i —j e jamais aVous dites que vous m
’
a iméz e t vou stourmentez M elchior ; il faut oublier à l
’ in stant un accident dont i l est bien i nnocent .Vous ne le connaissez pas i l a un cœur bone t généreux savez - vous qu ’une nui t que vousétiez en rou te pou r revenir de M afi dont onassurai t que la route n
’ étai t pas sûre,M elchior
est part i seul pour aller au—devant de vous ; i lfaisai t un bien mauvais temps et quand i l rc
v in t,espérant ce qui étai t arrivé que vous
aviez pris une autre route i l me fit j urer de ne
-
ma cao rnl 9 l
rien dire ni à vou s ni à ma tante de ce qu ’ i lavai t fait . M on oncle ! mon oncle ! vous êtesinjuste envers M elch ior .M . Galeozz i m e tendit la main .Qu’ i l ne soit plus question de rien , me
dit- il à moitié désarmé mais souvenez — vousjeune homme qu’ i l e st des fautes dans les
quelles i l ne faut pas retomber .Vas embrasser ta mère
,me di t tout bas
la douce Flavie ne lui dis rien de ce qui s’est
passé elle est deja a ssez inqure te car elle tesait avec mon oncle . Surtout n ’he s1te pas à luipromettre que tu ne quit teras point lamaisonJe montai chez ma mère que je trouvai tout
en larmes et je jurai su r sa main brûlante defièvré , que j e me soumettra i s . Le sang de Flavie avait été un moment comme un baptêmede paix entre M . Ga leozz i et moi .Nous passâmes quelques mois dans des r e
latic a s convenables ; mais si la ci catr ice de lablessure de Flavie ne devait jamais s ’efi’ace rle souvenir de l ’émotion qu’ elle avait c ausé à
-
92 ma caron.
M . Galeozzr , fut moins durable , c l i l repri t
peu à pcu l rnto lérab le tyrannie de son caractère ; j c la supportai avec rés i gnatjon j e crusle désarme r en ne lu t tan t pas
,mais loin de
produire l ’ effet que j’
e spéra is , i l devin t plusexigeant à mesure que je me montrais plusdocüe .
M a mère s ’ape rçu t que ma pa ti ence a urait nu terme qui serait l ’occasion de quelquescéne funeste ; e t , j
’ en sui s sûr,à force de
p rre re s et de larmes , elle ob tint que j’
cusse lal iberté de su ivre une carr iere qui me convînt .
M on départ pour Paris fut résolu M . C u'
leozz i , en me l’
annonçan t , ne put s’ empêcher
de mêler le sa rca smc à la générosité . Il m ereprocha amèrement le mépr i s que j e professais pour la plu s u tile et la p lus honorablecarrière ; i l me di t que j e n
’
aurars de succèsdans aucune
,tout ce la avec une i ronie
taquine qui dissimulai t mal son mécontentemen t de voir échapper la vic time qui mainte
-
ma caron. 93
nait en haleine un état de co lère néce ssaire àson organ isation .Au moment de le quitte r , j e ne me trou
va i n i le dési r n i la volonté de le heurter ; l epoids de ma chaine ne me pesait plus depuis
que j e savais qu’ el le allait ê tre brisée ; ma
douceur faill i t tout gâter M . Galeozz i essayade me re tenir c ri m ’ a s surant , pour la pr cm re refois , que j
’avais tou t ce qu’i l fallai t pour
réuss i r dans le commerce . M aisj e le connai ssais trop bien pour ne pas être convaincu que1105 débats recommenceraient si j e cédais , àmon refus , toute son i rritat ion reparut , s
’ ima
g inant s’ être abaissé en essayant de m e reten ir
par la douceur ; et quand je le quittai , i l étai tplus mécontent que jamais .M a mère m e supplia de ne point oublier
tous le s sacr ifices qu ’on faisai t pou r moi .Flavie fondait en larmes .Je quitta i ain s i Port -M aurice
,i l y a trois
ans , pour venir à Paris commencer l ’étude dudroit .
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96 ma caron.
le moyen: même de les é riger en qualitésnous possédons cependant l ’ ins tinc t des dangers auxquel s i ls pem ent nous en traîner .Quand j e voulais réfléchi r
,j e ne me dissi
m ula is pas mon attra it v iolen t pour les plais i rs le besoin cont inu el que j ’éprouve d ’êtreému par des dis t i actions nouvelles , la fierté demon carac tère , j e le sentais aussi , se raien t decontinuel s obs tacle s à ce que j e trouvasse uneca rriè re e t un sort dignes de moi .Et puis les premières impressions ne s ’efla
cen t j ama is ; j e ne sava i s m’
a s suj ét ir à aucuncalcul posi tif
,e t j e payais par la gêne oum e
m e ttai t mon con tinuel desordre,le malheur
d ’être né au sein de la r iehe sse . L o in de hom erm es dépenses à la pension qii e
’
m e fai sait m am ère ou plutôt M . ‘ Galeozzi ; je me trouvaistoujours au— delà . Alors j e tombais dans le découragement , et j e laissais deviner mon embarras à ma mère par de sombres réflexions ,su r la vie à laquelle j ’ éta is condamné . Ellerépondait constamment à mes plaintes avec la
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ma ca ron. 97
même tendresse,en m ’exhortant à m ’oeen
’
per sérieusement de la carrière que j’avai s
choisi moi - même . Elle accompagnait souventse s l e ttre s d ’envois d ’argen t .Pendant une année
,j e méritai son indul
gence,car je fuyais avec persévérance les
occasions de me distraire de mes études,mais
i l fau tque j e t’
avoue que j ’avais peu de mériteà cette conduite . Les amis , c
’ est - à- di re les cam arade s qui m ’entoura ient , se trouvaient heureux de posséder d e jeunes maîtresses modestés dans leu r toile tte comme dans leurs plais irs j e ne sentais aucun attrai t pour ce genr ede liai sons; i l me fallait à moi des femmesbri llantes e t parées , et si M arietta m
’avai tséduit
,c ’est qu ’elle se revêtait chaque soir
de — costumes magnifiques , et que: son lan
gage s ’ étai t,pour ain si dire
,emprein t de cett e
sorte d ’élégance que donne le théâtre .J ’allais souvent au spectacle
, j’en revenais
toujours mécontent e t plu s envieux,le luxe
des autres excitait mon humeur e t m e rendaitl . 7
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98 nancnxoa .
dédaigneux du bi en- être que j e p ossédais
rée llement . Que veux—tu , Raphael , je suis fai ta insi , j e ne jouis de rien quand i l faut me refuser quelque chose
,e t la n écessité de cal
culer trouble, tous m e s plais ir s :Une ci rconsta nce dont un autre plu s rai
sonnahl e, j en eonv rens , eut t iré un sage parti
m e rendi t réel lement coupable . Je dési rai sl’
indépendance , j e l’ai tenue entre m e s mains
e t j e l’
ai dis sipée comme un fou .M a mère n1 e cr iv it qu ’une p ersonne qui
a va it été une des principales causes de la pertede notre fortune
,vena it d ’en retrouver une
immense . Elle joignait à sa lettre le s papiersnécessai res pour être parl é de cet homme , e tajoutait que s i j e rentra s dans cette somme
j e pourrais su ivre avec plus de chance lacarrière d
’avocat à laquelle j e m e destinais .C e fut aussi mon intention , tan t que j e ne
possédai pas ce t argent,mais dès que j ’en pus
joui r , une sorte de folie s ’ empara de mo i .îJ’
a
varsnegl igémes étu le s pour su ivre cette affaire ,
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100 mnr.cmon.
En apprenan t que j’étais rentré dans la
somme due à mon père , m a mère m e mandaque M . Gal eozz i s ’ offra it de s ’ en charger . Jelu i répondis fi èrem ent que j
’en avai s t rouvél ’ emploi
,de man iere à m e donn er en même
temps de l ’occupation e t des bénéfices cousidérab le s . M a mère sans dou te appri t mes désordre s elle