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    De la thologie apophatique comme antidote du nihilisme

    Confrence donne Thran le 20 octobre 1977

    lors dun colloque organis par le Centre iranien pour ltude des Ciilisations

    sur le th!me

    " #impact de la pense occidentale rend$il possible un dialogue rel entre les ciilisations %&

    reproduite ici aec laccord gracieu' de (erg )nternationalqui a publi lentier compte rendu en 1979

    I. O, comment et quand y a-t-il dialogue ?

    Il nous faut tout dabord claircir le rapport entre le thme que je propose et celui de notre

    colloque, posant la question de savoir si limpact plantaire de la pense occidentale rend

    possible un dialogue rel entre les civilisations. Cet claircissement pralable postule un triple

    point de vue o!, comment et quand " a#t#il un dialogue $

    %. Une premire questionqui se pose est celle#ci un dialogue entre civilisations a#t#il eu des

    prcdents $ &n fait, le terme civilisation est un terme abstrait. Ce ne sont pas les civilisations comme telles 'les universau( ) qui peuvent dialoguer. *euls, leurs porte#

    paroles, peuvent +tre les partenaires rels du dialogue. Cest en ce sens que jentends ladjectif

    rel affi( au mot dialogue dans lnonc du thme de notre colloque.

    *ous cet aspect nous avons retenir, comme prcdents, les grandes entreprises de

    traduction menes au cours des sicles. -ans lordre chronologique, nous retiendronsparticulirement

    a) es traductions du sans/rit en chinois 'deu( princes arsacides traduisent au IIe sicle le

    te(te fondamental du bouddhisme de la 0erre 1ure, la Sukhavati).b) 2 la fin de la priode sassanide en Iran les traductions du grec en pahlavi.c) 2u( premiers sicles de lIslam, les traductions de larabe en latin, avec linterfrence des

    te(tes philosophiques en hbreu et en arabe.

    d) 2u 34Ie sicle, la gnreuse rforme de *h5h 2/bar stimulant les traductions du sans/riten persan.

    *ous ce m+me aspect, nous pourrions trouver une raison doptimisme dans lesmultiplications des traductions effectues de nos jours. 6ais jusquo! serait#il lgitime de

    professer cet optimisme $ *oulignons tout dabord avec force lintr+t passionn que l7ccident a

    manifest depuis le 3I3e sicle pour les e(plorations archologiques, pour la rsurrection des

    villes mortes, pour la mise au jour des collections de manuscrits reclant les secrets des s"stmesphilosophiques et religieu(. a conscience occidentale a obi un impratif de la recherche qui

    est tout le contraire dun obstacle au dialogue, et qui dcle des proccupations tout autres que le

    matrialisme quon lui impute un peu trop sommairement. Cette recherche implique laptitude remettre lacquis en question, au contact de penses nouvellement dcouvertes. 6ais dans quelle

    mesure " a#t#il eu rciprocit $ 2#t#on manifest en 7rient un intr+t semblable pour les hautes

    traditions spirituelles de l7ccident $ 8e nose pas rpondre par laffirmative, et cest pourquoifaute dun dialogue rel , nous en sommes rests au monologue.

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    es responsabilits sont partages, certes. 6ais puisque un dialogue se passe entre des

    personnes , il faut, pour quil " ait dialogue, que le statut des personnes dialoguantes ait entreelles quelque chose de commun. 9n dialogue se passe entre toi et moi . Il faut que toi

    et moi nous so"ons investis de la m+me responsabilit dun destin personnel. a question de

    la personne se trouvant ainsi pose, nous faisons un grand pas vers la comprhension du thme

    que je propose.

    :. Pour quil y ait dialogue rel , tout dpend en effet de la situation des partenaires du

    dialogue. e souci sous#entendu dans lnonc du thme de notre colloque, cest le fait accomplide la disparition des civilisations dites traditionnelles, sous limpact de ce que lon dsigne en

    gros comme nihilisme. Il sagit par essence du nihilisme mtaph"sique, procdant de

    lagnosticisme radical, du refus de reconna;tre quelque ralit transcendant lhori

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    conscients de ce parado(e. Il " eut, par e(emple, la phnomne caractristique de lhistoire

    religieuse de l7ccident le phnomne &glise. a sparation de l&glise et de l&tat, l o! elle alieu, consomme, certes, la dsacralisation et la scularisation de la vie publique. 6ais, dans toute

    la mesure o! cette dsacralisation procde de la ngation de toute perspective mtaph"sique, de

    tout arrire#monde , voici quun pseudo#sacr peut rinvestir les institutions humaines

    scularises. 2u phnomne &glise succde tout simplement l&tat totalitaire.

    &t cela, parce que sacralisation et scularisation sont des phnomnes qui ont lieuet leur

    lieunon pas primairement dans le monde des formes e(trieures, mais dabord dans le mondeintrieur des 5mes humaines. Ce sont les modalits de son +tre intrieur que lhomme projette au

    dehors pour constituer le phnomne du monde, les phnomnes de son monde, dans lequel il

    dcide de sa libert ou de sa servitude. e nihilisme advient lorsque lhomme perd conscience desa responsabilit de ce lien et proclame, avec dsespoir ou avec c"nisme, que sont closes les

    portes quil a lui#m+me fermes.

    e passage du thologique au sociologique saccomplit quand lesocialprend la place du

    thos. 1ar horreur de pouvoir +tre qualifie comme servante de la thologie, la philosophie se faitla servante empresse de la sociologie. 6alheureusement la sociologie ne saurait plus lui offrir

    lissue que lui rservait la double modalit de la thologie, savoir la thologie apophatique oungative 'le tan!"hen arabe et persan) et la thologie affirmative 'ou /ataphatique > ces deu(

    concepts seront prciss ci#dessous. *elon ce que lon dcide quant au rapport entre lune et

    lautre de ces deu( modalits, quant la prsance de lune et lautre, et selon que lon acceptelabsence de lune ou de lautre, se dcide la porte du nihildu nihilisme. e nihilisme culturel

    nest que laspect socialis dune issue malheureuse ou manque de cette dialectique, je veu( dire

    lissue o! se trouve abolie la primaut de la thologie apophatique, de sorte que les dogmes posscomme absolus par la thologiepositiveou affirmative vacillent comme privs de leur fondation

    et de leur justification.

    7r, cette issue entra;ne avec elle le sort de la personne, le sort de ce que postulele(istence rellede la personne humaine, et par l m+me le sort des personnes, des partenaires

    ventuels dun dialogue qui ne soit pas irrel mais vrai. Cest pour ce motif que mon thme

    propose la thologie ngative comme antidote du nihilisme .

    @ous voici, je crois, au cBur m+me de la question, telle que je lenvisage. 1our la

    dnouer, il nous faut dabord confronter les notions de personnalisme et de nihilisme . 8e leferai en marge dun article rcent de lun de nos minents collgues philosophes franais,

    dnonant, comme philosophe indianiste, le personnalisme de l7ccident comme tant la cause

    du nihilisme.

    8e crains que le malentendu ne soit total. Car, tout au contraire nous vo"ons dans

    limpersonnalisme, dans la dfaillance, lannulation ou lalination de la personne, la fois la

    cause et lissue du nihilisme. affaire est dautant plus grave quelle met finalement en cause unconcept fondamental pour la famille des trois religions abrahamiques.

    2lors il nous faut e(aminer %) Duel concept de la personne professe#t#on, quand on la dnonce comme cause du nihilisme $

    2utrement dit, quen est#il dupersonnalismeet du nihilisme$

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    :) a raison de cette mise en accusation du personnalisme mappara;t dans le fait que soit perdu

    de vue ce que la tradition abrahamique dans son ensemble 'donc non pas seulementoccidentale) a envisag comme thologie ngative ou apophatique. 2utrement dit, quen est#il

    de la thologie apophatique et du personnalisme$ Cette confrontation esquisse, nous

    pourrons discerner o#est en vrit le nihilisme.

    ?) -s lors nous pourrons opposer un principe de ralit rival, la conception scientifiquesolidaire du nihilisme. m+me nous aurons entendre la voi( de nos philosophes iraniens

    traditionnels, leur t+te celle de 6oll5 *adr5 *h;r5

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    lidologie (ondamentalede l2sie traditionnelle, telle quelle transpara;t dans les doctrines du

    4edanta non dualiste, du 0aoNsme ou du Oouddhisme du Jrand 4hicule .iiiK?L

    @ous voici invits considrer que pour lhomme d7rient le rel sidentifie avec

    l9niversel ou le *upraformel. 6ais il nous faut alors demander comment la pense humaine

    peut#elle se(primer sur un *upraformel autrement quen termes ngatifs $ 7n nous propose laformule clbre tat tvam asi, comme signifiant avec cela, l2bsolu suprapersonnel, toi 'lego) tu

    les aussi, ce qui laisse intacte la question de savoir comme l egonomm ici est encore un ego,

    quand il est mis en quation avec le *uprapersonnel. &n dautres termes, comment est#ce je qui a le pouvoir de dire 8e suis identique cela, l2bsolu suprapersonnel puisque lon nous

    oppose lide de lhomme rel celle de lego$ &st#ce lhomme rel, est#ce legoillusoire, qui

    dclare 8e suis cela . *uffit#il de dire 8e suis cela , pour que legocesse d+tre illusoire $

    Certes, notre collgue e(plique quici la ngativit implique par legodans lacception

    courante et e(otrique de legonest pas originairemais drive, en ce sens que cette ngativit a

    pour origine la cro"ance la ralit de cet ego, cro"ance qui est lobnubilation m+me de

    lidentit essentielle du 6oi et de l2bsolu suprapersonnel . e 6oi en est en lui#m+meresponsable. 0e(tuellement nous lisons ceci individu est en un sens responsable de sa propre

    individuation, car il a la possibilit permanente inscrite au cBur de son +tre, de redcouvrir ladimension universelle ou infinie de l&tre, dont il na jamais t spar en ralit . ivKL

    2utrement dit lindividu est coupable de(ister, coupable de sa propre e(istence. 1roposition

    franchement et e(tr+mement inquitante, faisant prvoir le moment o! lon imposera lindividude se dculpabiliser , mais non plus pour retrouver sa dimension universelle ou infinie . e

    dchirement de toute e(istence, culminant dans le dchirement de la mort, ne serait, nous dit#on,

    prouv comme tel que si lon identifie lhomme rel avec lego. &n termes bouddhiques, le(istence de legoest identique la souffrance et l+tre de legoest identique au vide . 6ais

    un 7ccidental sans besoin m+me quil soit un philosophe ni un gnostique se demandera &t si

    ctait linverse $ *i la souffrance avait pour origine la mutilation de lindividualit spirituelle, etsi ctait cette mutilation qui justifiait seule que lon considr5t l egocomme une illusion $ *idonc la grande affaire ne serait pas la restauration de lego en sa plnitude originaire $ 2utrement

    dit, la tragdie de la mutilation de la personne, on rpondra non point par lacceptation du vide,

    mais par le combat des fils de la umire contre les puissance des tnbres, bref par toutelthique

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    de l+tre du grand noplatoniciens 1roclus le rapport entre lhnade des hnades et les hnades

    unifiques des 9ns multiples quelles posent dans lacte d+tre en faisant de chacun untant, carl)trene peut +tre tant que dans la multiplicit des tants individuels. 2ffirmer la ralit des

    formes individuelles nest donc nullement une mutilation de l&tre, mais tout au contraire sa

    rvlation et son plein panouissement. Confondre lordre de ltreet lordre de ltantest une

    confusion mortelle. e principe dindividuation estpositionde ltant. *i lon ne voit en lui quengativit, on est mis sur la voie de la catastrophe mtaph"sique.

    -e plus, nous ne cro"ons pas que lon puisse tout simplement dire que ce principedindividuation domine toute la pense de l7ccident depuis 2ristote jusqu *artre viKHL, car ce

    principe a t lui#m+me interprt de deu( manires si opposes quelles entra;nent des

    consquences irrductibles. =ormule en termes dh"lmorphisme, la question est celle#ci leprincipe dindividuation est#il la matire, ou bien est#il la forme $ *i cest la matire,

    lindividualit spirituelle, la forme, lide dun +tre, nest peut#+tre quillusoire. *i cest la forme,

    celle#ci est cette individualit spirituelle elle#m+me, imprissable, inalinable. &lle peut sappeler

    -ravarti'persan(or,har) dans l2vesta,.eshamadans la Pabbale juive, aynth/ita'heccit

    ternelle) che< Ibn 2rab;, @ature 1arfaite 'alti/ altmm) che< *ohravard; et dans la traditionhermtiste de la thosophie islamique, etc.

    2lors, quand notre collgue crit que pour lui le nihilisme lui semble remonter

    lintronisation du principe dindividuation ou la sancti(ication mtaphysique de lego et que

    le destin, proprement tragique, de l7ccident nous para;t consister dans la dcouverteprogressive des consquences de cette sanctification coNncidant avec le promthisme

    fondamental de lhomme d7ccident > que lhomme d7ccident est un homme essentiellement

    tragique, parce que la ngativit est che< lui originaire et non drive. viiKQL# il nous faut avouerque ce qui nous vient spontanment la pense, cest une position radicalement antithtique. e

    tragique nest pas particulier lhomme d7ccident, parce que le tragique, la tragdie, cest

    lhomme lui#m+me. Il " a tragique promthen, mais il " a aussi un tragique Rhrma

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    droits de lindividuel, comment caractriser l7ccident par une sanctification de lindividuel $

    7u bien, il sagit dautre chose de plus que de linfluence occidentale. 7u bien la penseoccidentale nest pas ce que lon nous dit. @ous sommes mis ainsi au cBur du thme de notre

    colloque, car comment concevoir un dialogue sans un accord sur les prmisses fondamentales $ Il

    n" aura que confrontation ou dialogue de sourds. 8essa"e justement de nous acheminer vers les

    conditions dun dialogue entre partenaires qui soient partenaires du dialogue parce quepartenaires dun mme destin.

    e principe dindividuation est tellement essentiel qu supposer que ce principe constituele tragique m+me, alors le tragique ne marquerait pas le seul 7ccident, mais tous les univers

    spirituels dont les gnoses au( "eu( de feu ont tent de pntrer le m"stre qui prcda la

    descente de lhomme en ce monde#ci. &n fait la porte du principe dindividuation est telleque notre collgue philosophe, poursuivant sur la lance qui lui fait dnoncer lidentification du

    rel avec lindividuel comme source du nihilisme, va, en passant de lanthropologie la

    thologie, dnoncer galement la conception judo#chrtienne du -ieu personnel comme

    responsable du nihilisme thologique proclamant la mort de -ieu . 6ais l encore et surtout,

    de m+me que prcdemment la dnonciation du principe dindividuation nous semblait perdre devue ce quont dcrit les cosmogonies narratives des gnoses, ici cest ce qui, dans lensemble des

    gnoses et thosophies abrahamiques, sappelle thologie ngative ou apophatique 'tan!"h), quinous semble dlibrment pass sous silence. 7r, il serait e(tr+mement grave de le perdre de vue.

    :. 0hologie. M m+me en effet nous dcelons la prsupposition tacite qui permetdaffirmer un lien essentiel entre lide du -ieu personnel et la ngativit du moi conue comme

    originaire, comme inhrente lide m+me du moi qui serait la forme e(tr+me de lactivit de

    ngation , donc source primordiale dun nihilisme primordial 'en quelque sorte un

    Urnihilismus). 0out au contraire nous posons, quant nous, que cette ngativit nest nullement

    originaire, nullement inhrente au moi, et que le tragique est mettre en conne(ion avec une

    ngativit advenuequi est la condition prsente de lego, condition qui est celle de son e(istenceen ce monde#ci et le rsultat dune catastrophe. Cest ce quont e(prim toutes les anthropogonieset ps"chogonies narratives de la gnose. Ce nest pas legoqui est la tragdie, mais sa mutilation

    compense par une inflation maladive, bref sa descente en ce monde#ci. Cest ce que(prime

    le sentiment de le1il'si vif en thosophie juive et en thosophie islamique) la dmesure estentre ce que l5me, lego, est prsentement, et ce quoi l5me, lego, se sent appele en vertu

    dune origine pre(istentielle quelle pressent. es popes m"stiques mieu( encore que les

    s"stmes philosophiques traduisent cette protestation, cette dmesure. 'Car il n" a pas decommune mesure entre son tat actuel et ce quelle est appele +tre). Cest toujours la m+me

    tragdie que les popes m"stiques et les thosophies ont raconte. 6ais cette aventure, cette

    tragdie de l5me, dont le monde de l2me est le lieu, serait inconcevable si elle ntait pas aussi

    une aventure divine, ou plutRt intradivine, laquelle a lieuetson lieudans la divinit m+me. Cestcela m+me que vise et que cerne la thologie apophatique, et la raison pour laquelle le -ieu

    personnel nous regardeencore, cest##dire nous concerneencore et jamais.

    Cest dire ainsi que la personne divine, la forme personnelle du -ieu personnel, nest pas

    elle#m+me labsolu originaire > elle est le rsultat ternel dun processus ternel dans la divinit.

    6ais comme rsultant ternellement dun processus ternel, elle est la fois drive et originaire.*i lon mdite ce secret, on comprendra que le personnalisme nest nullement la source du

    nihilisme. Cest inversement la perte de ce personnalisme, lchec et lavortement de la personne

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    qui nihilise son ontogense. )o ipso, le transpersonnel ne peut pas +tre conu par la pense

    humaine comme ontologiquement suprieur la forme personnelle de la divinit et du moihumain.

    -s lors, quand il sagira de lorigine du 6al, il appara;tra tout fait suffisant de rduire

    le problme une alternative ou le m"the de la tragdie grecque tendant innocenter lhomme,ou le monothisme judo#chrtien tendant innocenter -ieu, en ce sens que ce serait la seule

    volont de lhomme libre, cr par -ieu, qui serait lorigine du 6al. (K%EL1eut#+tre est#ce ainsi

    que se proposent les choses dans un monothisme purement e(otrique. 6ais prcisment unethologie apophatique, se dveloppant en thosophie, dpasse et dplace le problme pos ainsi

    en termes e(otriques. 0out se passe malheureusement comme si le porte#parole de lhomme

    asiatique traditionnel nenvisageait en face de lui dautre position que celle de la thologieaffirmative e(otrique, laquelle, prive de la sauvegarde de la thologie ngative ou apophatique,

    est par l m+me impuissante pressentir lide fondamentale qui fait du -ieu personnel et de son

    fidle lespartenaires dun mme com/at> les hros affrontant ensemble une m+me tragdie, dont

    lorigine et lenjeu ne sont point que leurs personnes respectives seraient une ngativit

    rsorber, mais sont au contraire une positivit conqurir.

    Il appara;t donc qu la thse de la culpabilit de lego comme tel, dj voqueprcdemment ici, posant que legoest coupable de(ister et que lindividuation appara;t

    comme une faute dans la mesure o! nous sommes renvo"s la dimension suprapersonnelle

    du *oi dont legone serait finalement distinct quen mode illusoire(iK%%L, nous ne pouvons, pournotre part, quopposer une double antithse la culpabilit nest pas dans le(istence de lego>

    elle est dans la dchance qui le mutile et le paral"se, donc dans ce qui est en ralit la perte de

    lego, perte qui se traduit le plus souvent par une inflation vide et monstrueuse. &t lillusionnest pas dans une diffrenciation illusoire de lego lgard de labsolu transpersonnel, mais

    dans son annulation par sa mise en quation avec cet absolu. &t la thse posant que le tragique

    nest possible que pour lhomme qui reste fidle la fameuse mesure grecque, cest##dire la vision de lhomme enferm dans sa finitude, qui sidentifie avec les limites constitutives de sonhumanit, cest##dire avec lego(iiK%:L, il nous faut opposer la thse que tout au contraire cest le

    franchissement de cette limite qui appara;t, dans les popes gnostiques, comme a"ant dcha;n

    la catastrophe antrieure qui dtermina le(istence de ce monde, catastrophe dont rsultent leslimites dun moi mutil et paral"s dans et par son e(istence en ce monde#ci. Ces limites sont

    celles de sa captivit et de son e(il, non pas les limites qui dterminent ternellement son +tre

    m+me, lunit de sa monade. Chute et libration sont les grands actes de cette tragdie. 6aislibration ne veut pas dire abolition. ibrer l+tre individuel, cest restaurer son individualit, sa

    monadicit, plnire et authentique. Cest en restaurer la vrit, non point la dnoncer comme

    illusoire.

    @ous voici orients dans une direction toute diffrente de celle qui, envisageant la

    personne et le personnalisme du point de vue dun non#dualisme asiatique , les dnonce

    comme impliquant un nihilisme. @ous posons, au contraire, quil incombe au concept de lapersonne de contrer le nihilisme, pour que les partenaires du dialogue soient des personnes

    relles, non pas les ombres dun *oi suprapersonnel, et dont lindividualit ne serait quune

    illusion.

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    e peu que nous venons de dire nous met sur la voie dapprofondir la thologie

    apophatique, en refusant ds maintenant la thse qui ferait du monothisme abrahamique, cest##dire judo#chrtien#islamique, une autre forme du tragique inhrent la culture de l7ccident

    comme sanctificatrice de lego et de lindividuel. @ous venons dinverser les thses

    nihilisantesque prolonge encore une autre thse, posant que le fond de cette tragdie serait

    lintronisation dun 2bsolupersonnelen lieu et place de l2bsolusuprapersonnel. a thologieapophatique a justement la vertu de nous prserver de toute confusion entre l2bsolu et le -ieu

    personnel, entre lindtermination de celui#l et la ncessit de celui#ci. 1ar consquent, l o!

    notre collgue se faisant le porte#parole du non#dualisme asiatique dnonce le -ieu vivant etpersonnel du monothisme judo#chrtien#islamique comme la premire tape de la mort de

    -ieu(iiiK%?L, il faut encore inverser le sens de la nihilitude, la remettre dans le bon sens. Cette

    premire mort de -ieu serait, nous dit#on, amene par la confusion, la mise en quation del2bsolu et du -ieu personnel. @ous accorderons volontiers que telle peut appara;tre, en effet,

    lBuvre dune thologie affirmative, dogmatique de l&glise toute e(otrique, prive ou se privant

    de la sauvegarde de la thologie apophatique. 1eut#+tre est#ce prcisment cet aspect de la

    thologie officielle quenvisage notre ami Jeorges 4allin. -ans ce cas, nous serons daccord

    avec lui. &n revanche, quen est#il pour la thologie thosophique que fonde une thologieapophatique, posant prcisment la diffrenciation entre l2bsolu et le -ieu personnel $ &n fait,

    cest une thologie prive de thosophie qui dlibre sur un -ieu absent , objet dune sortedimpuissante nostalgie de la conscience malheureuse , comme le dit trs bien notre collgue

    philosophe(ivK%L, en se rfrant e(pressment 1ascal, Pier/egaard, Parl Oarth. 6ais alors nous

    aurions aim quil envisage5t M et il nous appara;t impossible que, secrtement au moins, il naitpas envisag M ce que nous envisageons ici, et qui lui eUt permis de se rfrer avec nous un 8ean

    *cot &rigne, un 8acob OBhme, un Ibn 2rab;, un Isaac ouria, etc.

    &n fait, la/solunest pas cet aspect premier et primordial quon a lhabitude de signifier

    par ce mot. Cest un participe passif qui suppose un nomen agentis, savoir la/solvens qui

    labsolve en faisant de lui la/solutum. *i la/solvensabsout labsolu de toute dtermination, ilreste absoudre labsolu de cette indtermination m+me. Cette remarque pourrait viter bien desmalentendus. 2 linverse de la thse qui pose que lavnement du -ieu personnel des religions

    du ivre des trois groupes abrahamiques constitue la premire mort de -ieu , il nous faut

    opposer que lacte de conjurer cette mort de -ieu ne consiste pas effacer le -ieu personneldevant l2bsolu suprapersonnel, mais comprendre que lautognration du -ieu personnel

    sengendrant de l2bsolu, sa/solvantde lindtermination de cet 2bsolu, cest cela non pas la

    mort , mais la naissance ternelle de 2ieu. Aenversement, certes, de lanal"sephnomnologique. 1our Jeorges 4allin la modernit sera la seconde mort de -ieu , ou du

    moins lvnement conscutif la seconde mort de -ieu . &lle consisterait en ce que lego

    humain, perdant jamais de vue sa ngativit foncire, entre dans un processus actif de

    totalisation , une totalisation qui dboucherait sur lhgmonie du principe dindividuation .2lors, dit#il, lhistoire est divinise et lhomme collectivis .

    @ous sommes sUr que notre ami Jeorges 4allin ne nous en tiendra pas rigueur, si nousavouons avoir un certain mal suivre jusque#l lanal"se quil nous propose. Il nous appara;t en

    effet que, pour que lhomme soit collectivis, il faut au contraire que scroule tous les niveau(

    le rempart de la personne de la monade individuelle. Cest prcisment lorsque l egocomme telest dnonc comme une illusion, que nous ne vo"ons plus trs bien comment il peut rsister la

    collectivisation, m+me si lon nous dfinit cette illusion par rapport un *oi suprapersonnel V &t

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    pour que lhistoire soit divinise , il faut que les agents qui font cette histoire et que les

    vnements de cette histoire soient perus sous une dimension unique, une unidimensionalit,passant par le nihilismequi rejette la dimension transcendante de la personne, donc de chaque

    personne respective, parce que ce nihilisme peroit dans cette dimension la manifestation dun

    principe de ralit rival.

    2lors, en quoi la thologie apophatique est#elle, comme telle, la sauvegarde de la

    personne contre le nihilisme, sauvegarde aussi bien de la personne divine que de la personne

    humaine $ Corollairement, comment fait#elle de la personne ainsi sauvegarde, la sauvegardecontre le nihilisme $ Duelle diffrence " a#t#il ds lors entre lpiphanie de la personne naissant

    ternellement de lUrgrund, et laffirmation dogmatique de la personne divine, affirmation qui

    na pas subi lpreuve apophatique $

    III. Thologie apophatique et personnalisme

    Duand on dit thologie affirmative ou /ataphatique, on dsigne une thologie qui,

    dlibrant sur le concept de -ieu, en affirme tous les attributs dessence, dopration et deperfection qui lui semblent convenir au concept de la divinit. 0out attribut humain est sublim

    la limite. Cest ce que lon appelle la via eminentiae. Cependant cette voie ne fait que sublimer

    des attributs craturels pour les confrer la divinit. e monothisme est en pril de succomber lidol5trie quil dnonce par ailleurs. a thologie ngative ou apophatique, pour viter

    radicalement ce pril dassimilation 'tash/"h) de la divinit la crature, dnie tout attribut la

    divinit et ne se(prime son gard quen termes ngatifs cest le tan!"h, la via negationis. Cestla voie choisie par e(cellence en Islam sh;ite, aussi bien par les Ismaliens(vK%FL que par les

    sh;ites duodcimains. 8e pense au prRne prononc 6erv par le 4IIIe Im5m, 2l;#Ae

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    Il " a donc initialement un double nant, un double nihil, et partant un double aspect du

    nihilisme, lun en quelque sorte positif, lautre ngativit pure. Il " a un nihil a quo omnia (iunt,un nant partir duquel toutes choses adviennent. Cest le @ant de l2bsolu divin suprieur

    l+tre et la pense. &t il " a un nihil a quo nihil (it, un nant dont rien ne procde et o! tout tend

    retomber et sab;mer, un nant infrieur donc l+tre et la pense. Il est craindre que,

    lorsque lon parle de nihilisme, on perdre trop souvent de vue la diffrence entre les deu( nihil.

    a tradition noplatonicienne aussi bien che< les Jrecs que dans les trois rameau(

    abrahamiques, tendra donner la priorit la voie apophatique, lui subordonner la voieaffirmative, /ataphatique, parce que l&tre se trouve lui#m+me subordonn l2bsolu. @ous "

    avons fait allusion, il " a un instant. *ans cette priorit de lapophatique 'de ce nihildont tout

    procde), on ne fait quaccumuler sur la divinit des attributs craturels 'donc du nihildont rienne procde). 2lors le monothisme prit dans son triomphe, dgnre en lidol5trie quil voulait

    farouchement viter. Ce fut le sort des thologies affirmatives, quand elles se couprent et

    sisolrent du ch5teau#fort de la thologie apophatique, et cest leur sort qui nous a sembl

    lgitimement vis par la critique de Jeorges 4allin. 6ais la thologie ngative dresse ici un

    2bsolu dans lequel il ne sagit nullement de tout faire rentrer et sab;mer 'cest cela le nihilisme),mais dont au contraire il faut tout faire sortir et qui maintient dans ltretout ce quil fait +tre. &n

    bref le monothisme e(otrique comprend cette constitutivit de l)trequi est unique comme sielle tait lunit de ltant> nous avons dj signal prcdemment cette confusion mortelle. 6ais

    le rapport de ltre ltant, de l2bsolu indtermin au -ieu personnel, va non pas dans le sens

    dune nihilit rsorber dans l2bsolu, dune multiplicit des tants confondre dans lunit del+tre, mais dans le sens m+me de la positivitdont l2bsolu est le principe et la source. (viiiK%SL

    Cest en ce sens que les thosophies sotriques en Islam, par e(cellence celle dIbn 2rab;, ont

    compris le clbre had"th 8tais un 0rsor cach. 8ai aim +tre connu. 8ai cr le mondeafin de devenir connu. e nihilisme qui dgrade la valeur positive du -ieu personnel quivaut

    interdire au 0rsor cach ' l2bsolu indtermin) de se manifester en se dterminant, interdire

    ltred+tre tantdans la pluralit des tants.8e viens de citer Ibn 2rab; dont la thosophie m"stique est a(e sur cette diffrenciation

    entre l2bsolu indtermin et inconnaissable, l'/sconditum, et le3a//, le seigneur personnel, le

    2eus revelatus, le seul dont lhomme puisse parler, parce quil en est le terme corrlatif. Il en vade m+me dans la thosophie de lIsmalisme, pour qui le nom'l$hchoit en fait la 1remire

    Intelligence du plrRme. 7n pensera ici au rapport entre &n#*Rf et les di( *ephiroth, 6traton

    et au Chrubin sur le 0rRne dans la gnose juive, comme aussi tous les grands m"stiquesprotestants un *bastien =ranc/, un 4alentin Weigel(i(K%TL, etc., car pour tous ce nest que par

    rapport nous, la crature que la ditappara;t comme force, puissance, volont, action, etc.

    2bsolument indtermin ne devient le 2eus revelatus, dtermin, que(ige la viapositionisque par rapport la crature en tant que ce2eus revelatusen est le crateur. Il faut

    donc que l2bsolu sorte de son absoluNt, pose une crature personnelle dont il est

    personnellement le -ieu, de sorte que le -ieu personnel nest pas du tout la ngativit originaireque nous avons entendu dnoncer prcdemment comme la premire mort de -ieu . Cest tout

    au contraire la naissance divine, advenant dans ce passage de l2bsolu la personne. *i lon

    demande pourquoi il " a cette sortie, pourquoi le choi( de cette corrlation du Crateur avecl+tre#cr, la meilleure rponse se trouve encore dans lBuvre e(emplaire de notre 8acob

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    OBhme son Buvre immense, parce quelle recle le secret de sa Du+te, est la rponse

    personnelle cette question, et il ne peut " avoir dautre rponse que personnelle.

    Cest que toute la thologie de OBhme est une anal"se des conditions de la possibilit

    de la personne absolue , cest##dire a/soute de lindtermination de l2bsolu originel, de

    l'/sconditum 'nous disions ci#dessus l2bsolu tant absous de toute dtermination, il reste labsoudre de cette indtermination). e mrite de Po"r fut davoir t un des trs rares saisir

    cet aspect qui diffrencie OBhme de tant de ses devanciers dont il nous vite les piges M aspect

    capital, parce que son cas e(emplaire nous aide percevoir ce que met en question le thme quejai propos, et travers ce thme les conditions dun dialogue.

    Ce que OBhme croit avant toute doctrine, ce quil cherche, ce que toute sa doctrine estdestine justifier, cest que -ieu est un &tre personnel, bien plus, quil est une personne, une

    personne vivante, consciente delle#m+me, une personne agissante, une personne parfaite((K:EL.

    @otons bien les mots ce quil cherche. e -ieu personnel nest pas donn primitivement. Il

    est rencontr au terme dune Du+te 'comme celle du saint Jraal). Il n" a donc nulle confusion

    entre l2bsolu et le -ieu personnel, confusion qui aurait t commise par le personnalismeoccidental et dnonce, nous lavons vu, comme source du nihilisme fauteur de la mort de

    -ieu . &t cette Du+te contraste avec deu( nihilismes s"mtriques celui dune thologieaffirmative '/ataphatique) rigeant demble son dogme en absolu, au#del duquel rien ne serait

    chercher > celui dune thologie ngative 'apophatique) qui naspirerait qu lindtermination de

    l2bsolu, et qui perdrait de vue quil est le nihil a quo omnia procedunt 'le 0rsor cach duhad"thcit ci#dessus). -e part et dautre, on a une thologie sans thophanie.

    &t cest partir de l que lon peut discerner deu( attitude permanentes au cours dessicles jusqu nos jours, qui sont t"pifies respectivement dans la doctrine m"stique de 6a;tre

    &c/hart '3I4e sicle) et dans la thosophie m"stique de 8acob OBhme '%FQF#%H:)((iK:%L.

    7bserver ces deu( cas e(emplaires cest nous mettre m+me de djouer les piges du nihilisme.Che< lun comme che< lautre, il " a, certes, le sentiment profond de la -ivinit m"stique

    comme 2bsolu non dtermin, immobile et immuable dans son ternit. *eulement, partir de l

    les deu( ma;tres divergent. 1our un 6a;tre &c/hardt, la 2eitas 45ottheit) transcende le -ieupersonnel et cest celui#ci quil faut dpasser, parce quil est corrlatif de l5me humaine du

    monde, de la crature. e -ieu personnel nest donc quune tape sur la voie du m"stique, parce

    que ce -ieu personnel est affect de limitation et de ngativit, de non#+tre et de devenir. Ildevient et d#devient ((iiK::L')r *ird und ent*ird). 5me ec/hartienne cherche donc sen

    librer pour chapper au( limites de l+tre, au nihilde la finitude, tout ce qui la pourrait fi(er > il

    lui faut donc schapper elle#m+me pour se plonger dans lab;me de la divinit, un'/grund

    dont par essence elle ne pourra jamais atteindre le fond '5rund). 0out autres sont la conception etlattitude de 8acob OBhme. a libration, il la cherche dans laffirmation de soi, dans la

    ralisation du 6oi vritable de son ide ternelle 'ce que dsigne le concept m+me de ayn

    th/itache< Ibn 2rab; et tous ceu( quil inspire en thosophie islamique).

    -onc, tout se trouve invers ce nest pas le -ieu personnel qui est une tape vers la

    2eitas, vers l2bsolu indtermin. Cest au contraire cet 2bsolu qui est une tape vers lagnration, la naissance ternelle du -ieu personnel. 8acob OBhme admet aussi )r *ird und

    ent*ird, mais cela ne dsigne pas pour lui le nihilnihilisant, nantissant le -ieu personnel. 0out

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    au contraire, cela dsigne le nihilde l2bsolu se diffrenciant dans son aspiration se rvler,

    se dterminer 'le 0rsor cach V) dans un seul .unc aeternitatis 'e*iges .u). Il " a ainsi une

    histoire intradivine, non pas une Xistoire au sens ordinaire de ce mot, mais une Xistoire

    intemporelle, ternellement acheve et ternellement commenante, donc simultanment et

    ternellement tout entire 'simul tota) sous toutes les formes et toutes les tapes de son

    autognration comme -ieu personnel. Celui#ci contient en lui#m+me toute diffrence 'Y). Ilest dans le mouvement et le mouvement est en lui. a dtermination que comporte la personne

    nest donc pas ici originaire > elle nest plus frappe de nihilitude, elle est une conqu+tesuret

    parle nihilde lindtermination originelle.

    Ce dont nous avons tous faire notre profit, cest ceci. &n dcrivant les conditions qui

    rendent possible la personne absolue comme triomphe et conqu+te du nihilprimordial 'conditionsqui forment toute la structure de lorganisme divin), OBhme dcrit eo ipso la route par laquelle

    -ieu a pass et passe ternellement pour pouvoir sengendrer et se constituer lui#m+me, les

    phases ternellement successives puisque ternellement simultanes de la vie divine les tapes

    de son dveloppement intrieur((iiiK:?L. 7r, cette histoire ternelle intradivine de la gnration

    ternelle du -ieu personnel est larcht"pe que(emplifie son tour l5me humaine pour accderau rang de la personne. Cest que la forme personnelle de l+tre est la plus haute, parce quelle

    ralise la rvlation de soi. 7r, l+tre ne se ralise et ne se manifeste quen se dterminant et en semanifestant((ivK:L. Ce sont ces m+mes rapports que(prime le le(ique de nos philosophes

    iraniens en des termes comme !oh,r 'manifestation), ta+all" elh" 'thophanie), ma!har 'forme

    thophanique), tashakhkhos 'individuation). 7n nonce tout un programme de philosophiecompare en nonant ces termes.

    -s lors aussi nous disposons de la stratgie ncessaire pour faire face au nihil a quo nihil

    (it, cest##dire au nihilisme tout court, lequel se prsente de nos jours sous la forme laNcise de

    lagnosticisme ou du collectivisme totalitaire. e personnalisme nest pas seulement la vocation

    de l7ccident > ce nest pas seulement le monde grec, cest aussi le monde iranien, et cest toutlunivers spirituel des religions du ivre . Il est le rempart contre toutes les forces ngatives etnantissantes. Aechercher les origines et les causes des dfaillances et des dmissions de ce

    personnalisme, nous entra;nerait ici trop loin.

    Oref, jai cit le cas de notre 8acob OBhme comme le cas e(emplaire de ceu( pour qui le

    but supr+me de la Du+te de lhomme en ce monde, ce nest pas l)nsnullo modo determinatum

    'm+me si lon prsente cet +tre entirement indtermin comme lidal de l2sietraditionnelle). Cest tout au contraire l)ns determinatum omni modo 'l+tre entirement

    dtermin) qui est le but de la Du+te. &n dehors de cela, il n" a plus personne . e dialogue

    naura lieu quentre des ombres . Cest le sens m+me que je donne au thme que jai propos

    de la thologie ngative comme antidote du nihilisme, parce que cette thologie ngativeauthentifie la naissance ternelle de la personne. Ce nest donc pas en sanantissant par fusion

    dans la divinit, ou dans la collectivit qui en est la laNcisation illusoire, ce nest pas par

    labandon de ce qui le dfinit comme une personne et le pose dans l+tre, mais cest au contraireen ralisant ce quil a de plus personnel et de plus profond que lhomme remplit sa fonction

    essentielle qui est fonction thophanique e(primer -ieu, +tre le thophore, le porteM-ieu.

    e contraste qui nous met devant le choi( peut snoncer dans deu( formules latines que

    lon doit au gnie de =ran< von Oaader, grand interprte de OBhme 2 la thse %mnis

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    determinatio est negatio 'toute dtermination est ngation, cest la thse qui voit dans le

    personnalisme la source du nihilisme), OBhme oppose implicitement la cro"ance %mnis

    determinatio est positio'toute dtermination est position)((vK:FL. -ans le contraste entre ces deu(

    positions de thse se trouve rcapitul tout ce que nous essa"ons de montrer ici. 2lors, que nous

    prenions en charge le pass ou lavenir, nous pouvons faire face la question o# est le

    nihilisme 6

    IV. O est le nihilisme ?

    2 cette question nous pouvons maintenant rpondre que le nihilisme nest pas dans le

    principe dindividuationqui avait t dnonc comme tel. Ce principe est au contraire le rempartcontre le nihilisme, condition quil vise lego intgral, non pas lego que nos mauvaises

    habitudes qualifient de normal. 2utrement dit cest dans lalination du principe dindividuation

    que nous appara;t le nihilisme. Cela, parce que toute dtermination, loin d+tre une ngativit, est

    positive > parce que la forme personnelle de l&tre en est la supr+me dtermination, et parce

    quelle en est la supr+me rvlation. 2lors tout ce qui tend abolir celle#ci, constitue ou unemenace ou un s"mptRme de nihilisme. &t cette menace peut se voiler sous des formes

    apparemment diffrentes, bien que foncirement identiques. 8e veu( dire que le personnagednomm par -ostoNevs/i comme le Jrand Inquisiteur dispose dun grand choi(

    duniformes. &n revanche, la mise en garde nous la trouvons formule, par e(emple, dans ces

    quelques lignes dun ps"chologue que cite opportunment 0hodore Aos lmergence

    darcht"pes intrieurs mdiateurs de la puissance divine, laboutissement de cette mort unerenaissance et la recration dune nouvelle fonction de lego, o! le moi ne trahisse plus le divin

    mais le serve.((viK:HL

    1esons bien chaque terme de ces lignes trs denses. &lles ont la porte dune instructioninitiatique, nous invitant dabord mourir un egomutil par une ralit sociale aline, puis

    nous conduisant la nouvelle naissance dun moi rgnr, investi dune fonction divine quil a

    dsormais la force de supporter et de remplir. 2 partir de l, il nous est loisible de poser laquestion capitale Duest#ce que la personne $ Cest la question implicitement pose de nos

    jours dans bien des recherches qui apparaissent dsordonnes, parce quelles sont dsespres,

    mais qui sont en fait ordonnes au pressentiment que le secret dcisif, savoir la valeur cache dela conscience personnelle, ne se trouve pas, par e(emple, dans une quelconque conscience de

    classe, mais dans une conscience de la conscience rvlant le secret de celle#ci.

    8ai eu le privilge de participer, au mois de mai dernier, un colloque tenu lInstitut dephilosophie de l9niversit de 0ours, qui avait pour thme lXomme et l2nge . &noncer un

    thme pareil de nos jours peut sonner comme un dfi port au( vidences admises et reues.

    Certes, et cest parce quil est un dfi, quun pareil thme recle justement la voie secrte surlaquelle trouver la rponse la question que nous posons Duest#ce que la personne $ *ur

    cette voie, cest nos philosophes iraniens, qui je dois beaucoup depuis longtemps, que je ferai

    appel pour dire comment mappara;t cette rponse, et par l#m+me finalement commentmappara;t pour notre colloque le message de la philosophie iranienne.

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    Cette rponse, je la trouve en me rfrant un concept fondamental de lanthropologie de

    lIran

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    Cette menace se prcise l justement o! dispara;t la dimension spirituelle, transcendante,anglique, de la personne, bref quand dispara;t la -ravarti qui lui donne, sans intermdiaire

    institutionnel, sa dimension au del de ce monde. Duand dispara;t cette dimension qui est le

    supr+me principe dindividuation, alors commence linvasion du nihilisme. @ous navons pas

    en faire lhistoire ici. Il " a longtemps quelle a commenc, cest lhistoire de lhomme sans(ravarti. &t sans doute, parce que les Zoroastriens sont ceu( qui ont eu la force de regarder en

    face lhorrible 2hr;man, le principe de la nihilitudeactive, est#ce cette menace m+me quils ont

    pressentie en mditant linvasion de la cration Rhrma

  • 5/20/2018 [A] CORBIN, Henry - De la thologie apophatique comme antidote du nihilisme

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    nature humaine et la nature divine. Il fallait ou bien que llment humain abolisse le divin, ou

    bien que le divin volatilise lhumain. Ce dernier cas fut le fait du monophysismeet lon peut direque le phnomne de socialisation et le totalitarisme quil entra;ne, ne sont quun monoph"sisme

    rebours(((ivK?L.

    2utant de consquences de la dfaillance ou de la disparition du personnalisme M de cepersonnalisme que nous avons entendu dnoncer comme fauteur du nihilisme. Cest linverse qui

    nous appara;t. 2lors il nous faut dresser, ou redresser, cest##dire ractiver, un principe de ralit

    rival de cette ralit nihilisante, donc rival du nihilisme, tout court.

    V. Pour un principe de ralit rial du nihilisme

    Ce principe, nous le trouverons prcisment partir du dialogue que prsuppose et

    quinstitue la fois la double dimension de la personne intgrale, entre son pRle cleste et son

    pRle terrestre, nous venons de dire, en termes iraniens, entre la -ravarti'ou l2nge) et l2me.

    1uisque cest la rupture de cette bipolarit qui rend possible le retour offensif de la nihilitude dunihil, il nous faut instaurer ou restaurer un principe de ralit qui rende impossible cette

    inversion, inversion fatale aussi bien lorsque le -ieu personnel est confondu avec l2bsoluindtermin, que lorsque celui#ci est scularis au niveau dune Incarnation sociale.

    e m"stre des m"stres 'dans lIsmalisme et en gnose islamique ghay/ alghoy,/)est mani(estativum sui. Il tend par essence se manifester soi#m+me, nous lavons vu 'OBhme et

    Ibn 2rab;). ide de cette manifestation prsuppose eo ipsole second terme celui qui il se

    manifeste. Il " a donc eo ipsocorrlation entre cette autognration amenant l2bsolu divin semanifester comme -ieu personnel, entre cette Xistoire intradivine et lXistoire de l5me

    sarrachant au( pressions et oppressions e(trieures pour quclose enfin son Ide ternelle

    qui est le secret m+me de sa personne unique. Il " a corrlation entre la naissance divine et lanaissance de l5me pour laquelle se produit cette naissance divine. Cette corrlation noue doncentre les deu( termes une interdpendance, une solidarit rciproque, telle que lun ne peut

    continuer de(ister sans lautre. Due lun des deu( termes disparaisse, et lautre devient la proie

    du nihil. Il " a corrlation entre la mort de -ieu et la mort de lhomme. @ous avons parl dunpacte de solidarit chevaleresque, dont lide premire est dans la chevalerie cleste du vieil Iran

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    personne quil promeut au rang dune personne en se rvlant elle, cette relation est

    fondamentalement une relation e(istentielle, non point dogmatique. &lle ne peut se(primercomme un dogma, mais comme un dokma. es deu( termes drivent du m+me verbe grec

    doko, signifiant la fois para;tre, se montrer comme, et croire, penser, admettre. e dokma

    marque le lien dinterdpendance entre la forme de ce qui se manifeste et celui qui elle se

    manifeste. Cest cette corrlation m+me que veut dire la doksis. 6alheureusement cest de celaque la routine accumule par des sicles dhistoire des dogmes en 7ccident, a tir le terme

    doctisme, s"non"me de phantasmatique, irrel, apparence. 2lors il faut remettre en vigueur le

    sens premier ce quon appelle doctisme est en fait la critique thologique, ou plutRtthosophique, de la connaissance religieuse. 9ne critique qui, sinterrogeant sur ce qui est visible

    pour le cro"ant mais invisible pour le non#cro"ant, sinterroge sur la nature et les causes de cette

    visibilit. @ature et causes qui tiennent ce que lvnement qui a lieu et consiste dans lacorrlation dont nous parlons, na son lieu ni dans le monde de la perception sensible, ni dans le

    monde abstrait de lentendement. Il nous faut donc un autre monde qui assure ontologiquement le

    plein droit de ce rapport qui nest pas un rapport logique, conceptuel, dogmatique, mais un

    rapport thophanique, constitutif dun ralisme visionnaire o! lapparencedevient apparition.

    Cet intermonde, cest celui qui depuis des sicles a proccup tant et tant de nos

    philosophes iraniens, depuis *ohravard; 'm. %%T%) jusqu 6oll5 *adr5 *h;r5

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    0out au plus les ethnologues en parlaient#ils comme dune conception primitive , alors quil

    sagit dune conception non pas primitive au sens ethnologique, mais ontologiquementprimordiale. 8e crois que les choses ont chang depuis lors. 7utre les recherches multiplies dans

    cette marche#frontire que lon dsigne comme le domaine psi, la philosophie a de son cRt

    multipli les tentatives pour chapper au dilemme issu du cartsianisme.

    heure est donc venue ou, mieu( que comparer, nous pouvons conjuguer les efforts

    convergents dun 8acob OBhme et dun 6oll5 *adr5 *h;r5

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    m+me dimension spirituelle 'ce qui est tout autre chose que dappartenir la m+me gnration,

    par e(emple). Cette dimension intgrale de la personne humaine, un enseignement comme celuide 8acob OBhme nous la montre. @ous venons de dire m+me aspiration , car en fait cette

    dimension intgrale de la personne humaine ne(iste pas encore. &lle ne peut sachever quau

    terme du processus qui, loin de la reconduire une identification illusoire avec un 2bsolu

    suprapersonnel, achve en elle le processus par lequel l2bsolu, l'/sconditum, sest lui#m+meengendr comme 1ersonne divine. Car l2bsolu na pas de =ace > seule la 1ersonne a une =ace

    permettant le face face, et cest dans ce face face que se noue le pacte de solidarit

    chevaleresque.

    Cest une aberration que dentra;ner ce que lon appelle l2bsolu dans les vicissitudes de

    la destine humaine. &n revanche, le -ieu personnel et son fidle nous sont apparus commepartenaires dun m+me destin. 2lors ce -ieu personnel, qui ne pourrait mourir que par la trahison

    de son rpondant, donne son vrai sens laventure humaine. &t cest la vrit profonde dun

    propos courant dans ce groupement dun spiritualisme intrpide connu en 7ccident sous le nom

    de 6ormons Ce que vous +tes, -ieu le fut. Ce que -ieu est, vous le sere< . 2lors nous ne

    serons plus seulement les partenaires dun dialogue. @ous serons ce dialogue m+me.

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    iK%L2rticle de Jeorges 4allin 'professeur l9niversit de @anc") in Aevue philosophique , 1aris, juillet#septembre %TQF,pp. :QF#:SS. 4oir galement son article plus rcent Pourquoi le nondualisme asiatique 6')lments pour une thorie de la

    philosophie compare).7/id. n[ :, %TQS, pp. %FQ#%QF.

    iiK:L8.#6. -omenach: $e retour du tragique, 1aris %THQ, p. :T:, cit. i/id, p. :QF.iiiK?L7/id, p. :QH. es italiques sont de lauteur lui#m+me.

    ivKL7/id, p. :QS.vKFL@otamment *a""ed 2hmad 2lav; Ispah5n; et Xosa"n 0on/5bon;. 4oir *.8. 2sht;"5n; et X. Corbin, 'nthologie des

    philosophes iraniens depuis le ;ash( al9ah+,/'e -voilement des choses caches),te(te ismalien du I4me sicle de lhgire dit par Xenri Corbin 'Oibliothque Iranienne, vol. %), 0hran#1aris, %TT.

    auteur " poursuit une dialectique rigoureuse de la double ngativit non#+tre et non non#+tre. -ieu est non#dans#le#

    temps, et non non#dans#le#temps > non#dans#lespace et non non#dans#lespace, etc. 4oir aussi du m+me auteur $e $ivre des

    Sources'>it/ al?an/"), te(te arabe dit et traduit dans notre 0rilogie ismalienne'Oibliothque Iranienne, vol. T),0hran#1aris %TH%. 4oir linde( s.v. ta*h"d.

    (viK%HL4oir X. Corbin,)n 7slam iranien @ aspects spirituels et philosophiques, 1aris, Jallimard, %TQ%#%TQ:, tome I4, inde(

    gnral s.v. ta*h"d. *ur D5

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    ((iK:%Le regrett Po"r a bien marqu le contraste en une brve anal"se, i/id., p. ?%H, note :.

    ((iiK::L*elon lheureuse traduction de Po"r.

    ((iiiK:?L2. Po"r, op= cit=, p. ?%S.

    ((ivK:L7/id., p. ?%T.

    ((vK:FLCest Po"r, i/id., p. ?%T, que nous devons ici lopportune intervention des formules latines de =r. von Oaader,

    lesquelles rcapitulent toute la question.

    ((viK:HL0hodore Aos


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